INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le...

14
Le Symbole du Renouveau Thibault Minervini

Transcript of INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le...

Page 1: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2

Le

Sym

bole

du

Ren

ou

vea

u

Le Symboledu Renouveau

Thibault Minervini

11.94 508313

----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 142 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 11.94 ----------------------------------------------------------------------------

Le Symbole du Renouveau

Thibault Minervini

Th

ibau

lt M

iner

vin

i

Nov 2013

Page 2: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 2

Page 3: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 3

Notre planète se meurt, elle agonise, rongée.

Rongée par quoi ? Par notre propre intelligence ;

avec l’intelligence, don empoisonné, vient la

conscience de nous-même, de notre âme, de notre

supériorité sur les autres espèces du règne animal.

Avec l’intelligence, vient l’amour, et avec lui, son

éternel double maléfique, la haine. Ces deux

sentiments sont inséparables, il n’y a pas d’amour

sans haine, et inversement : « Qui aime bien, châtie

bien », d’accord, mais « Qui châtie bien, aime bien »

est également vrai, c’est dans l’ordre des choses.

C’est pour cela qu’une société parfaite relève de

l’utopie, une société emplie d’amour le serait aussi de

haine, au moins en égale proportion.

Vous trouvez cela pessimiste ? Mais non !

Regardez-vous, regardez-nous, c’est la réalité ! Il y

aura toujours de la haine jalouse envers ceux qui ne

ressentent que de l’amour et n’aspirent qu’à la paix.

Inversement, il y aura toujours un amour frustré et

déçu envers ceux qui sont consumés par la haine.

Cette dichotomie, ces deux frères siamois, amour

et haine, c’est le revers de la médaille de notre

intelligence.

Page 4: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 4

Chacun a ses armes et ses alliés, l’amour peut

compter sur la bonté, la compassion et la sagesse ; la

haine, quant à elle, côtoie la cupidité, l’égoïsme et la

violence. Le bien, le mal, le yin, le yang, séparés par

une frontière si fragile que le concept de manichéisme

perd beaucoup de sens : on verra aussi bien des sages

usant de violences pour appliquer le bien, que des

égoïstes cupides qui considèrent que cette même

violence n’est qu’une absurdité.

En théorie, il y a équilibre, en théorie seulement…

Je pense qu’un équilibre parfait entre amour et haine

est la définition même d’un monde humain idéal,

stable, parfois injuste, certes, mais stable.

D’aucuns objecteront que nous faisons partie de la

nature, et que la nature aime l’équilibre, alors

pourquoi tendrions nous vers l’autodestruction ? Je

leur répondrai que cette idée d’équilibre naturel est

erronée, la preuve, dès la création de l’univers, il y

avait déséquilibre. Matière, antimatière, deux autres

frères siamois, qui vont l’un vers l’autre avec passion,

et s’embrasent inéluctablement. En théorie, ils

auraient dû s’entretuer, et nous ne serions pas là. Mais

pour une raison qui nous échappe encore, il y avait un

déséquilibre, plus de matière que d’antimatière, et

nous voilà. La nature a même poussé le vice en nous

dotant d’assez d’intelligence pour découvrir ce fait

physique. Je pense que c’était un avertissement,

c’était pour nous faire comprendre qu’il n’y a pas

d’équilibre, et que notre existence n’est qu’un petit

trou d’air dans le souffle colossal de l’univers.

Aujourd’hui, c’est la revanche de l’antimatière, en

quelque sorte : l’équilibre haine/amour est en train de

se rompre, et l’intégrité de la planète avec lui. Trop de

Page 5: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 5

haine, trop de cupidité, trop de violence et d’égoïsme,

trop d’hommes ? Sans doute.

Tout n’était pas perdu, pourtant. Cet équilibre avait

une chance de basculer de l’autre côté. Mais la nature

humaine étant mal faite, je crois que ce plongeon

haineux était somme toute inéluctable.

Notre planète se meurt, rongée par la science, un

outil initialement neutre, mais dont nous avons fait un

bien mauvais usage. Je ne citerai aucun exemple,

vous ne les connaissez que trop bien, ils sont là, bien

au chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir :

« Potentiellement sujet à remords ».

Des hommes ont vidé leurs tiroirs personnels, et

ont voulu réagir :

« Si la science a pu saborder le monde, elle pourra

le remettre à flots. »

J’y ai cru, personnellement, de toutes mes forces !

Hélas…

Je vous parlais d’équilibre, notre société est

pyramidale, et il s’avère que le sommet, bâti par de la

cupidité et avec de l’indifférence, est plus lourd que la

base. Cet édifice est voué à l’écroulement, malgré

tous les travaux entrepris. Seul un miracle pourrait

nous sauver à présent.

Je m’appelle Philip Turner, je suis chercheur en

physique des hautes énergies, et ceci est mon

testament, un testament sans héritage, adressé à

d’hypothétiques générations futures, pour qu’elles ne

réitèrent pas nos erreurs, ou du moins qu’elles le

fassent le plus tard possible.

Cela peut vous paraître être un acte

mélodramatique et larmoyant, mais notre civilisation

Page 6: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 6

va s’éteindre, c’est une certitude, maintenant, et si

jamais il venait à y avoir des survivants, je ne conçois

pas de les laisser sans la moindre trace de leur passé.

Notre air est vicié, et brûlant, en un demi-siècle,

avec la déforestation et la pollution, nous avons gagné

5 degrés Celsius en moyenne, des milliers d’îles ont

été englouties, nous ne pouvons plus sortir sans

masque filtrant et écran total, du poison coule dans

nos rivières, les espèces animales ont été à moitié

décimées. La population humaine est ravagée par des

cancers, ainsi que par des virus foudroyants échappés

des bouillons de culture après l’accident du

laboratoire de Minkova Health & Hope Corporation,

il y a déjà trois ans.

Les désespérés et les fanatiques se regroupent en

des bandes de soudards et de pillards prêchant

l’Armageddon en tuant, volant et violant, ils écument

nos rues à la recherche d’âmes à convertir.

Quant au reste de la population, ils ne savent pas…

Personne ne leur a dit officiellement que le monde

allait imploser et qu’il n’y avait aucun espoir, ils s’en

doutent sûrement. Mais sans doute espèrent-ils

naïvement que les scientifiques ont une solution pour

tout arranger.

Ce n’est pas le cas, loin s’en faut, il circule même

des idées pour abréger nos souffrances, et partir avec

« panache ». Quelle bêtise… qu’est-ce qu’on en a à

foutre du panache ? Qui allons-nous impressionner

par cet acte autodestructeur ?

Je passerai rapidement là-dessus, je ne pense pas

qu’on puisse dire qu’il s’agit réellement de science.

Et puis merde, à la fin, on a bien le droit d’être

fatigué de vivre, dans un monde qui part en latte,

Page 7: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 7

qu’importe la façon de mourir. Il est vrai que notre

survie commence à prendre une tournure

d’acharnement thérapeutique. C’est le chaos, tout le

monde devient fou, moi y compris, hier, je me suis

surpris à lorgner amoureusement le revolver que je

garde au fond de mon tiroir, je suis las, si las…

Ce sera tout pour aujourd’hui, je laisserai quelques

autres mots demain, si je suis encore là, bien sûr.

*

* *

Il faisait une chaleur infernale dans la chambre.

Philip baignait dans sa sueur, ainsi que dans la fumée

infecte de sa cigarette. Il toussa, il n’avait pas

l’habitude. L’état dans lequel était le monde lui

donnait des envies suicidaires, comme il respectait

trop la vie pour se l’ôter directement, il préférait se

tuer à petit feu. Avec un peu de chance, il crèverait

d’un cancer bien dégueulasse avant la fin du monde.

Sa femme, Jane, était couchée à ses côtés, nue,

comme lui. Par cette chaleur, ils ne supportaient plus

de dormir avec le moindre vêtement sur le dos, à

peine une fine couverture. Du reste, ça leur faisait

moins de choses à enlever pour faire l’amour.

Depuis quelques semaines, ils n’arrêtaient pas,

juste pour aller bosser, sans la moindre conviction, ou

alors pour boire, et fumer des clopes. D’ailleurs, le sol

était parsemé de mégots, et de cadavres de bouteilles,

et ce n’était pas de la limonade.

C’était peu digne, mais c’était ainsi. L’imminence

de la fin du monde donnait une folle envie de

bazarder la dignité aux ordures, en même temps que

Page 8: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 8

l’espoir et la joie de vivre. Philip espérait seulement

avoir l’esprit clair pour voir les seins de Jane s’agiter

sous ses yeux au moment où la surface de la terre se

consumerait. Peut-être même jouir une dernière fois,

si possible.

Il regarda son épouse. Elle dormait encore, brune,

bien en chair sans l’être trop. La peau parfaitement

épilée, au teint légèrement hâlé. Son corps luisait de

sueur.

Et dire qu’auparavant, ils n’étaient pas très portés

sur le sexe…

Trop de boulot, peu d’envie d’enfanter, peu de

passion pour ce genre d’exercice, tout simplement…

Philip avait 38 ans, elle en avait 6 de moins, ils

s’étaient rencontrés 10 ans auparavant, lors d’une

conférence sur les nouvelles formes d’énergies

civiles. Elle était alors étudiante, et lui au début de sa

carrière de chercheur.

Ils s’étaient plu de par leurs intérêts communs pour

la science écologique, ainsi que par un sentiment

amoureux encore ténu.

C’était principalement le fantasme maître-

étudiante qui les avait guidés jusqu’à une chambre

d’hôtel miteuse et hors de prix. Ils y avaient

consommé leur union avant le passage à l’autel.

L’hôtel avant l’autel, comme se plaisait à le répéter

Philip. Ce calembour ne faisait plus rire personne

depuis belle lurette.

Il fallait dire que l’ambiance générale ne s’y prêtait

guère.

Le réveil atteignit la limite fatidique des 6h35, la

radio s’alluma automatiquement. C’était une station

exclusivement musicale et publicitaire, que Philip

Page 9: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 9

avait choisie pour son absence d’émissions

d’informations, lesquelles étaient généralement si

pessimistes, qu’elles anéantissaient toute volonté de

se lever.

Comme Jane grognait dans son sommeil, Philip

baissa un peu le son, et se leva. Lui, n’avait pas

beaucoup dormi, voire pas du tout. Au mieux, il avait

somnolé, naviguant dans ses pensées les plus

morbides sans jamais parvenir à les transformer en

rêves, ou en cauchemars. Sans conviction, il enfila un

caleçon et un débardeur bleu ciel de dernière

fraîcheur. Ceci fait, il écarta les rideaux, et observa la

rue à travers la vitre anti-UV. Le soleil se levait à

peine, faisant pourtant déjà grimper la température

au-delà du seuil supportable. Il brancha la

climatisation à une température modérée, pour ne pas

subir un choc thermique en sortant. C’en était fini de

la timide fraîcheur nocturne.

Comme d’habitude, la rue était déserte, et il y avait

fort à parier qu’elle l’était restée toute la nuit. Depuis

le début de cette crise, d’étranges et inquiétants bruits

se faisaient entendre, dehors, une fois la nuit tombée.

Des rumeurs couraient à ce sujet, toutes alarmistes, et

sinistrement plausibles. Philip n’y faisait plus

attention depuis longtemps, il était déjà assez déprimé

pour songer à se préoccuper du sort de gens qu’il ne

connaissait pas.

Il s’arracha de cette vision sinistre avec un sourire

attristé. En traînant les pieds, il se dirigea vers la

cuisine, et s’assit sur une chaise pour prendre ce qu’il

considérait comme étant son dernier petit déjeuner.

Il avait contracté cette manie plusieurs semaines

auparavant. Il s’était dit que comme cela, il les

Page 10: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 10

savourerait tous (plus ou moins), jusqu’à son véritable

dernier.

Jane le rejoignit entre deux bouchées de biscotte

insipide. Elle était en pantoufles et nuisette, des

cernes sous les yeux et les cheveux en bataille.

Mécaniquement, elle mit en marche sa bouilloire

électrique, avant de s’asseoir sans élégance sur une

chaise, en face de Philip.

Elle regarda son mari avec une once de regret au

fond des yeux. Sans doute le regret d’être sortie du

monde nocturne du désir et du plaisir désespéré, et

d’abandonner ce semblant de paradis, comme chaque

matin, pour aller bosser avec l’espoir infime de

pouvoir rendre les choses meilleures. Encore fallait-il

savoir quoi et où chercher.

Philip s’arrêta de ruminer sa biscotte pour lui

rendre son regard. Un regard qu’il aurait voulu

rassurant, compatissant et tendre, mais il n’avait plus

la volonté d’être expressif. Ils se regardèrent ainsi

pendant un instant, puis la bouilloire émit un

claquement.

– Ton eau est chaude, dit Philip d’un ton morne.

Sans répondre, Jane se leva, alla chercher son eau,

la versa dans son mug, et se mit à touiller placidement

son breuvage. Ayant fini, Philip émigra vers la salle

de bain pour procéder à de rapides ablutions.

Il ne reconnut pas l’homme qu’il vit dans le miroir

en train de se brosser les dents. Encore musclé, mais

visuellement abattu et quinquagénaire, malgré

l’absence de cheveux blancs. Les cernes remplaçaient

avantageusement les rides. Il contempla avec

mélancolie le mélange salive-dentifrice s’écouler

Page 11: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 11

inexorablement dans le lavabo, entraînant avec lui

tout un cortège de miettes de biscottes.

Il y vit une sorte de métaphore du monde en train

de sombrer, avec les gens qui luttaient contre

l’inéluctable.

– Philosophie de comptoir… grogna-t-il pour lui-

même.

Il ouvrit le robinet, chassant ainsi ses divagations

au fond de son esprit.

*

* *

Une petite heure plus tard, Philip était au volant de

sa Chevrolet. Jane était assise sur la place du

passager, et n’avait pipé mot depuis qu’elle lui avait

réclamé une serviette en sortant de la douche (ses

premiers mots de la journée).

Philip roulait assez vite, sur une route qui il y a

quelques temps, aurait été bondée, à cette heure-ci.

C’était avant l’arrivée des milices en tous genres.

Avantage non-négligeable, l’absence d’embouteillages

était salutaire pour les nerfs des usagers. Par contre,

ces routes mortes donnaient un désagréable avant-goût

de l’apocalypse.

Ils arrivèrent au pôle de recherches sans encombre.

Philip déposa sa femme au centre de calcul : un

laboratoire bunker qui abritait un des supercalculateurs

les plus rapides au monde. Un monstre de plusieurs

milliards de dollars, avec une puissance de calcul

impressionnante, quoiqu’à peine au-dessus d’un

cerveau humain qui serait entièrement dédié au calcul.

Jane était l’adjointe au chef de l’équipe responsable du

Page 12: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 12

calculateur, lequel avait été tendrement baptisé

« Hadès 0.1.5a », « Hadès », pour les intimes.

Philip travaillait dans le bâtiment juste à côté : le

centre de recherche en physique théorique. Non loin

de là, il y avait le centre de recherche en physique

générale et mathématiques appliquées. Le labo de

chimie, l’observatoire, le quartier général de

l’accélérateur à particules, et tant d’autres choses…

Tout cela formait le grand centre Nord-Américain

scientifique d’enseignement et de recherche, ou

institut Feynman. Le deuxième plus gros institut de

science au monde, après celui de Beijing, et avant

l’institut C.H.E de Bruxelles.

Ce genre d’infrastructures pullulait depuis que les

climatologues avaient sonné l’alerte noire il y avait de

cela… 8 ans.

A cette époque, ils avaient réussi l’exploit de

convaincre le monde entier du désastre en devenir.

Même les habituels climato-sceptiques n’avaient pas

émis la moindre critique, sentant probablement que

c’étaient leurs propres vies, et non pas celles de leurs

enfants qui étaient menacées.

Après avoir garé sa voiture et distraitement salué

ses collègues, Philip prit place devant son bureau et

reprit son travail.

Il étudiait des calculs et des résultats numériques

en provenance de l’équipe de conception du réacteur

à fusion. Une source d’énergie presque illimitée, si le

projet allait jusqu’au bout… Le cas échéant, ce serait

un grand bol d’air pour l’humanité. Un léger répit

avant de boire définitivement la tasse, selon Philip. Il

aurait fallu que cette technologie ait été découverte un

siècle plus tôt, il était bien trop tard, à présent.

Page 13: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 13

C’était d’autant plus dommage que ces résultats

étaient très prometteurs, à première vue. Souvent

déçu, Philip avait appris à ne pas crier victoire trop

vite.

Quelqu’un venait de s’asseoir sur le bord de son

bureau. Il leva les yeux.

C’était Rory Clarckson, le sous-directeur du

laboratoire de physique optique, un chercheur très

réputé dans le monde de la science, et un des plus

grands amis de Philip, ils se connaissaient depuis

l’université.

Depuis le début de la crise, le stress l’avait

prématurément vieilli : son crâne se dégarnissait sur

le devant, et il avait déjà beaucoup de cheveux blancs,

ainsi que des poils de même couleur dans les boucles

de sa barbe. Ses yeux bruns cernés reflétaient une

immense fatigue physique et mentale.

– Ça va aller ? demanda Rory.

Philip haussa les épaules.

– Je pourrais te retourner la question… Pour ma

part, ça irait si nous étions tirés d’affaire… Ce qui

n’est pas gagné.

Rory émit un petit rire sans joie.

– Bah, dis-toi qu’il nous reste sûrement quelques

très longues années d’agonie. Ça donne quoi ces

résultats ?

– Prometteur, répondit laconiquement Philip, les

précédents défauts semblent avoir été gommés… Ils

pensent même avoir trouvé un moyen d’améliorer

l’isolation. Je crois qu’on pourrait passer aux essais.

– Hourra…

Page 14: INFORMATION---------------------------- Couverture : … chaud au fond de votre conscience, dans le tiroir : « Potentiellement sujet à remords ». Des hommes ont vidé leurs tiroirs

2 14

– Quel optimisme ! Tu ne te rends pas compte ? Ça

pourrait prolonger notre calvaire d’au moins une

décennie.

– Tu sais, railla Rory, c’est toujours un plaisir

d’écouter tes sarcasmes, tu es vraiment un modèle

d’ange de l’espoir.

– Parle pour toi, grogna Philip avant de citer : tant

qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir, le désastre n’est

pas non plus pour demain. C’est cette attente

impuissante qui est désespérante…

– Pff ! Le désastre viendra bien assez vite, on

n’aura même pas le temps de s’en rendre compte !

Comme pour confirmer cette macabre prédiction,

un agent d’entretien fit irruption dans l’open-space,

complètement paniqué.

– On va tous crever !! Venez ! Venez tous voir,

venez, ils le disent à la télé !

– Ils le disent tous les jours, maugréa Rory, dis-

nous un truc qu’on ne sait pas !

– Ils disent qu’on n’a plus que quelques mois !

Tout au plus !

Un court silence angoissé accueillit la nouvelle,

puis ce fut la ruée vers la salle de la télé : les gens se

bousculaient, se marchaient sur les pieds, se

griffaient, criaient beaucoup. Les couloirs

fourmillaient de monde, envahis par tout le personnel

du laboratoire, prévenu par le même oiseau de

mauvais augure. Ce dernier guidait à présent son

troupeau de brebis affolées.

Lorsque Rory et Philip arrivèrent à portée

d’oreilles de la télé, le reportage avait commencé

depuis longtemps.