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ARTICLE DE SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE Impact pronostique et thérapeutique de la différenciation neuroendocrine au sein de ladénocarcinome prostatique : mise au point Prognostic and therapeutic impact of neuroendocrine differentiation in prostate adenocarcinoma: an update M. Oukabli · L. Mpiga Ekambou · A. Boudhas · A. Albouzidi Reçu le 19 juillet 2011 ; accepté le 15 septembre 2011 © Springer-Verlag France 2012 Résumé Le cancer neuroendocrine de la prostate est une variante histologique rare. La différenciation neuroendocrine au sein de ladénocarcinome de la prostate a reçu une atten- tion croissante ces dernières années en raison de ses impli- cations pronostiques et thérapeutiques. Cette différenciation neuroendocrine est présente au moins dans 10 % de tous les adénocarcinomes prostatiques. Aujourdhui encore, son impact sur le pronostic et le traitement du cancer de la prostate fait lobjet de controverse. Actuellement, elle est considérée comme un facteur de mauvais pronostic impliqué dans lhormonorésistance. Les mécanismes de transition vers lhormonorésistance sont complexes, et la tumeur évolue dans un microenvironnement. La différenciation neuroendo- crine est actuellement considérée comme facteur de mauvais pronostic impliqué dans cette hormonorésistance. Le traite- ment de la maladie hormonorésistante associera vraisembla- blement plusieurs approches. La compréhension de ces dif- férents mécanismes est la clé du développement de thérapies plus efficaces sur les cancers de la prostate hormonorésis- tants. Pour citer cette revue : J. Afr. Cancer 4 (2012). Mots clés Adénocarcinome prostatique · Différenciation neuroendocrine · Hormonorésistance Abstract Neuroendocrine prostate cancer is a histologically rare variant. Neuroendocrine differentiation in prostate can- cer has received an increasing amount of attention over the last few years due to its prognostic and therapeutic implica- tions. Neuroendocrine differentiation is present in at least 10% of all prostate adenocarcinomas. Yet today, its impact on the prognosis and the treatment of prostate cancer is still the subject of great debate. Currently, it is considered as a poor prognosis factor, involved in hormone resistance. Hormone resistance transition mechanisms are extremely complex and the tumour develops in a microenvironment. Neuroendocrine differentiation is currently considered as a poor prognosis factor, involved in this hormone resistance. Treatment of this hormone resistant disease is likely to combine several approaches. The understanding of these dif- ferent mechanisms is the key to the development of more effective therapies for hormono-resistant prostate cancers. To cite this journal: J. Afr. Cancer 4 (2012). Keywords Prostate adenocarcinoma · Neuroendocrine differentiation · Hormone resistance Introduction Récemment, la différenciation neuroendocrine au sein de ladénocarcinome de prostate a obtenu une attention crois- sante du fait de ses implications pronostiques et thérapeu- tiques [1]. La différenciation neuroendocrine est présente au moins dans 10 % des adénocarcinomes de prostate [2]. Aujourdhui encore, son impact sur le pronostic et le traite- ment du cancer de la prostate fait lobjet de controverse [3,4]. Historique Les cellules neuroendocrines ont été mises en évidence pour la première fois en 1944 par Feyter. Visualisées grâce à leur argentaffinité (capacité à réduire les sels dargent) et à leur argyrophilie (capacité à fixer les sels dargent réduits par un agent réducteur exogène) [5]. Les caractères argentaffine et chromaffine sont dus à la présence de sérotonine ; largyro- philie est due à la présence des chromogranines et de divers peptides. Elles sont dès lors décrites dans plusieurs organes, M. Oukabli (*) · L. Mpiga Ekambou · A. Boudhas · A. Albouzidi Service de cytologie et danatomie pathologiques de lhôpital militaire dinstruction Mohamed-V, Rabat, Maroc e-mail : [email protected] J. Afr. Cancer (2012) 4:108-113 DOI 10.1007/s12558-012-0195-4

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ARTICLE DE SYNTHÈSE / REVIEW ARTICLE

Impact pronostique et thérapeutique de la différenciationneuroendocrine au sein de l’adénocarcinome prostatique : mise au point

Prognostic and therapeutic impact of neuroendocrine differentiation in prostate adenocarcinoma:an update

M. Oukabli · L. Mpiga Ekambou · A. Boudhas · A. Albouzidi

Reçu le 19 juillet 2011 ; accepté le 15 septembre 2011© Springer-Verlag France 2012

Résumé Le cancer neuroendocrine de la prostate est unevariante histologique rare. La différenciation neuroendocrineau sein de l’adénocarcinome de la prostate a reçu une atten-tion croissante ces dernières années en raison de ses impli-cations pronostiques et thérapeutiques. Cette différenciationneuroendocrine est présente au moins dans 10 % de tousles adénocarcinomes prostatiques. Aujourd’hui encore, sonimpact sur le pronostic et le traitement du cancer de laprostate fait l’objet de controverse. Actuellement, elle estconsidérée comme un facteur de mauvais pronostic impliquédans l’hormonorésistance. Les mécanismes de transition versl’hormonorésistance sont complexes, et la tumeur évoluedans un microenvironnement. La différenciation neuroendo-crine est actuellement considérée comme facteur de mauvaispronostic impliqué dans cette hormonorésistance. Le traite-ment de la maladie hormonorésistante associera vraisembla-blement plusieurs approches. La compréhension de ces dif-férents mécanismes est la clé du développement de thérapiesplus efficaces sur les cancers de la prostate hormonorésis-tants. Pour citer cette revue : J. Afr. Cancer 4 (2012).

Mots clés Adénocarcinome prostatique · Différenciationneuroendocrine · Hormonorésistance

Abstract Neuroendocrine prostate cancer is a histologicallyrare variant. Neuroendocrine differentiation in prostate can-cer has received an increasing amount of attention over thelast few years due to its prognostic and therapeutic implica-tions. Neuroendocrine differentiation is present in at least10% of all prostate adenocarcinomas. Yet today, its impacton the prognosis and the treatment of prostate cancer is stillthe subject of great debate. Currently, it is considered as a

poor prognosis factor, involved in hormone resistance.Hormone resistance transition mechanisms are extremelycomplex and the tumour develops in a microenvironment.Neuroendocrine differentiation is currently considered as apoor prognosis factor, involved in this hormone resistance.Treatment of this hormone resistant disease is likely tocombine several approaches. The understanding of these dif-ferent mechanisms is the key to the development of moreeffective therapies for hormono-resistant prostate cancers.To cite this journal: J. Afr. Cancer 4 (2012).

Keywords Prostate adenocarcinoma · Neuroendocrinedifferentiation · Hormone resistance

Introduction

Récemment, la différenciation neuroendocrine au sein del’adénocarcinome de prostate a obtenu une attention crois-sante du fait de ses implications pronostiques et thérapeu-tiques [1]. La différenciation neuroendocrine est présenteau moins dans 10 % des adénocarcinomes de prostate [2].Aujourd’hui encore, son impact sur le pronostic et le traite-ment du cancer de la prostate fait l’objet de controverse[3,4].

Historique

Les cellules neuroendocrines ont été mises en évidence pourla première fois en 1944 par Feyter. Visualisées grâce à leurargentaffinité (capacité à réduire les sels d’argent) et à leurargyrophilie (capacité à fixer les sels d’argent réduits par unagent réducteur exogène) [5]. Les caractères argentaffine etchromaffine sont dus à la présence de sérotonine ; l’argyro-philie est due à la présence des chromogranines et de diverspeptides. Elles sont dès lors décrites dans plusieurs organes,

M. Oukabli (*) · L. Mpiga Ekambou · A. Boudhas ·A. AlbouzidiService de cytologie et d’anatomie pathologiques de l’hôpitalmilitaire d’instruction Mohamed-V, Rabat, Maroce-mail : [email protected]

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et tout particulièrement dans l’appareil urinaire (urètre, ves-sie, prostate normale adénomateuse ou cancéreuse). À partirde 1980, la diffusion des techniques immunohistochimiquesa permis de découvrir de nombreuses cellules endocrinesdans la prostate normale et pathologique. Pearse [4] a montréque ces cellules avaient des propriétés chimiques particu-lières, entre autres, la captation d’amines précurseurs et ladécarboxylation. Ainsi, il les a regroupées dans un ensembleappelé système APUD : Amine Precursor Uptake Decarbo-xylation [6] ou système neuroendocrinien diffus [7,8]. Ladifférenciation neuroendocrine dans la prostate a été obser-vée en premier par Azzopardi et Evans en 1974 dans 10 %des carcinomes prostatiques qui contiennent des cellulesargentaffines positives.

Cellules neuroendocrinesdans la prostate normale

La prostate normale contient une population isolée de cellulesayant des propriétés de cellules endocrines et neuronales, cesont les cellules neuroendocrines. Elles sont caractérisées parun long processus dendritique et des nerfs similaires à desvaricosités. Elles sont souvent disposées à la périphérie destubes carcinomateux, prenant plusieurs aspects : cellules trian-gulaires appliquées contre la basale, dont le sommet n’atteintpas la lumière ; ou cellules fines, allongées paraissant rami-fiées. Certaines ont enfin un cytoplasme abondant très discrè-tement granuleux. Plusieurs types de granules neurosécré-toires ont été identifiés par marquage immunohistochimiqueet par l’étude ultrastructurale indiquant ainsi la présence decellules neuroendocrines. Les cellules neuroendocrines de laprostate produisent une variété d’amines biogènes et de neu-ropeptides qui peuvent influencer la croissance de la tumeur etle comportement des métastases par des mécanismes para-crine ou autocrine : la sérotonine, la somatostatine, la bombé-sine, la chromogranine A (CgA) et la neuron specific enolase(NSE) [9–11].

Origine des cellules neuroendocrines

Malgré l’importance des cellules neuroendocrines dans lacarcinogenèse de la prostate, l’origine du cancer associéaux cellules neuroendocrines reste une véritable énigmequi fait encore l’objet de controverse. Actuellement, le pri-mum movens des cellules neuroendocrines dans la prostateest représenté par le sinus urogénital, le diverticule ventraldu cloaque endodermique [7]. L’apparition des cellulesneuroendocrines précède la formation des glandes prostati-ques ; le contact entre ces types de cellules constitue le signald’initiation du développement de la prostate. Ces cellulesdérivent du paraganglion périprostatique. Au début du déve-

loppement de la prostate vers la dixième semaine d’âgegestationnel, les cellules neuroendocrines sont portées del’épithélium urogénital vers la future prostate. Feyter a trouvéune relation entre les fibres nerveuses et les cellules neuro-endocrines avant le développement prépubertaire de la pros-tate [7]. Les cellules neuroendocrines dans le cancer de pros-tate proviennent des cellules basales indifférenciées del’épithélium prostatique et ont une origine neurogénique [12].

Différenciation neuroendocrinedans le cancer de la prostate

Il est actuellement admis que les cellules neuroendo-crines dépourvues de récepteur d’androgène sont capablesd’induire la transdifférenciation des cellules épithéliales enphénotype neuroendocrine [13]. De ce fait, elles semblentêtre responsables de la progression tumorale du cancer de laprostate et de l’échappement hormonal. Ces cellules ont lacapacité de se différencier en cellules ayant un phénotyperésistant à l’apoptose cellulaire. Cette différentiation existegénéralement dans les cellules dépendantes des androgèneset est induite quand des agents pharmacologiques augmen-tent le niveau d’AMPc en présence de l’interleukine. Lescellules neuroendocrines indépendantes des androgènes ducancer de la prostate n’intègrent pas dans leur programme lamort cellulaire suivant la castration hormonale. Ces cellulesneuroendocrines sont responsables de la prolifération et de laprogression tumorale. Les tumeurs avec une augmentationde la population neuroendocrine sont souvent plus agressi-ves et éventuellement deviennent indépendantes des andro-gènes [12]. Des facteurs d’angiogenèse ont été retrouvés surla membrane cytoplasmique des cellules neuroendocrines,contenus dans les mêmes granules que la CgA. La différen-ciation neuroendocrine serait liée à l’absence de réponse descellules tumorales aux facteurs de croissance androgénique.La croissance et la prolifération des cellules prostatiquesneuroendocrines seraient plutôt réglées par l’associationdes facteurs paracrine et autocrine.

Les cellules neuroendocrines semblent se présentercomme des cellules de transit indépendantes des androgènes,car elles ne possèdent pas de récepteur d’androgène, nonprolifératives et non apoptotiques, provenant probablementde la différenciation de cellules dépendantes des androgènes.Ce processus dynamique bidirectionnel semblerait donclargement dévié vers la différenciation neuroendocrine aprèssuppression androgénique [14]. De plus, les enzymes dedégradation des produits neuroendocrines sont diminuées,favorisant ainsi l’action des peptides neuroendocrines surla prolifération, l’angiogenèse et l’agressivité des cellulescancéreuses prostatiques.

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Rôle des cellules neuroendocrines

Le rôle des cellules neuroendocrines prostatiques est récem-ment devenu le centre de beaucoup d’attention. Au sein de laprostate normale, elles régulent la croissance et la différen-ciation cellulaire. Si les cellules neuroendocrines exercent uncontrôle régulateur sur le tissu prostatique, de nombreusesquestions subsistent encore quant à la nature de cette régu-lation. Les cellules neuroendocrines expriment plusieursneuropeptides qui jouent un rôle de médiateur de divers pro-cessus biologiques tels que la croissance cellulaire, la diffé-renciation et la transformation. En plus de leur morphologieet de leur répartition dans le tissu prostatique, elles jouent unrôle régulateur similaire à celui des cellules du systèmeAPUD des autres organes. Ces cellules n’ont généralementpas de récepteur d’androgène et jouent ainsi le rôle de sup-port initial de changement néoplasique [13]. Dans le cancerde la prostate, elles apparaissent morphologiquement diffé-rentes de celles du tissu prostatique bénin. Elles coexprimentles marqueurs épithéliaux tel le PSA et des marqueurs neu-roendocrines telle la CgA et sont souvent le résultat de latransdifférenciation.

Peu d’éléments sont encore connus sur le rôle fonctionnelde ces cellules. Elles ont vraisemblablement un rôle régula-teur dans la croissance et la différenciation de la glande pros-tatique tout en régulant sa fonction sécrétoire. Les cellulesneuroendocrines libèrent des neuropeptides par fusion deleur granule avec la membrane cellulaire puis exocytosede leur contenu. Ces neuropeptides atteignent leur cible pardifférents mécanismes :

• endocrine, avec passage dans la circulation entraînant uneffet régulateur à distance ;

• paracrine, avec un effet régulateur direct sur les cellulescibles adjacentes ;

• autocrine, avec un effet régulateur sur les récepteurscorrespondants des cellules neuroendocrines et des cellu-les épithéliales [8] ;

• neurocrine, avec un effet direct sur la fonctionneuronale [15].

Classification des tumeurs neuroendocrines

La classification OMS 2004 des tumeurs neuroendocrines dela prostate distingue :

• l’adénocarcinome avec composante neuroendocrine ;

• les tumeurs carcinoïdes ;

• le carcinome à petites cellules.

Plusieurs auteurs ont décrit, la différenciation neuroendo-crine sous deux formes [13] :

• la forme pure : elle comprend le carcinome à petitescellules et les tumeurs carcinoïde ou carcinoïde-like. Ellereprésente 0,2–1 % des cancers de prostate [2] ;

• la forme mixte : dans laquelle, au sein d’un adénocarci-nome classique souvent peu différencié, on retrouve uncontingent de cellules neuroendocrines. Cette dernièreest la plus fréquente, et sa fréquence varie selon lesauteurs. Xavier et al., et Daisaku et al., ont rapporté unefréquence inférieure ou égale à 10 %, 10 % par Nadezda etal. et 5–83 % par Neil et al. [2,11].

Dans la forme pure, on distingue les tumeurs suivantes :carcinoïde typique, carcinoïde atypique, carcinome neuroen-docrine à petites cellules [16].

Marqueurs neuroendocrines

CgA

Dosage sérique

Le niveau de la chromogranine dans le plasma pourrait reflé-ter l’activité neuroendocrine du carcinome prostatique etpourrait être utilisé dans l’évaluation du suivi du cancer deprostate avancé et peut constituer l’entité primaire des cellu-les tumorales associées aux métastases.

Cussenot et al. ont trouvé que le niveau de CgA dans lesérum était élevé durant l’hormonorésistance du cancer dela prostate et que les patients qui avaient un taux élevé deCgA avaient un pronostic sombre [17]. Parmi les patientsmétastatiques avec faible PSA, ceux ayant une CgA élevéeont un pronostic plus péjoratif que ceux qui ont une CgAfaible [18].

Pris ensemble, ces résultats confortent l’hypothèse que leniveau préthérapeutique de la CgA dans le sérum constitueun potentiel facteur pronostique pour le cancer de la prostatemétastatique.

Immunohistochimie

La CgA est le marqueur neuroendocrine le plus utilisé pourdétecter la différenciation neuroendocrine dans le cancerde la prostate [19]. Dans le tissu prostatique normal ouhyperplasique, le contingent de cellules neuroendocrinesest caractérisé par la présence de la CgA et ne possède pasde récepteur d’androgènes. Il est donc insensible aux andro-gènes circulants. Dans le tissu prostatique malin, une co-expression de la CgA et de récepteurs d’androgènes est rare-ment observée, suggérant le développement d’un clonecellulaire indépendant des androgènes insensible au traite-ment hormonal [15]. La mise en évidence de ce contingentde cellules neuroendocrines dans le cancer prostatique est

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devenue importante devant ses implications potentielles surle plan du pronostic et du traitement de ce cancer.

Certains travaux utilisant l’immunohistochimie ontpermis de corréler le marquage cellulaire neuroendocrineavec une hormonorésistance et un pronostic défavorable,cependant l’ensemble des résultats publiés jusqu’à présentest très contradictoire [15]. Le développement d’uneméthode de dosage sérique de la CgA a permis une premièreapproche comparative avec le dosage du PSA total (tPSA)par des dosages sériés au cours de l’évolution du cancer. Descomparaisons avec la méthode immunohistochimique ontmontré une bonne corrélation entre une concentrationsérique élevée de CgA et la positivité de la tumeur primitiveen immunohistochimie [19].

De tous les marqueurs neuroendocrines, la chromogra-nine semble être le marqueur le plus exact et le plus fiable.Plusieurs raisons permettent d’expliquer cela : la spécificitéde la chromogranine est très haute indépendamment de laméthode analytique ou du type d’échantillon biologiqueutilisé ; la chromogranine est hautement exprimée par lescellules d’origine neuroendocrine présentes aussi bien dansle tissu normal que le tissu tumoral ; enfin, elle permetd’identifier les cellules tumorales neuroendocrines et lesmétastases sans tenir compte de leur localisation.

NSE

La NSE est une enzyme glycolytique. Elle est présente enhaute concentration dans les cellules neuroendocrines. Cescellules neuroendocrines peuvent être identifiées par immu-nohistochimie en utilisant des anticorps dirigés contre laNSE. Quelques études faites sur la NSE ont échoué en vou-lant démontrer l’importance clinique du niveau de NSE dansla pathogénie du cancer de prostate. En plus, la CgA reflètel’activité neuroendocrine de la prostate plus que la NSE [20].

Le niveau de NSE pourrait prédire le pronostic despatients atteints de cancer de prostate métastatique traitéspar hormonothérapie. La NSE pourrait prédire la surviechez des patients présentant un cancer hormonorésistant dela prostate et pourrait devenir un marqueur pronostiquevalable [21].

Synaptophysine

La synaptophysine est une glycoprotéine membranaire de38 D présente dans les vésicules présynaptiques des neuro-nes et dans les petites vésicules claires des cellules neuroen-docrines normales et néoplasiques. Son expression est indé-pendante de celle des autres marqueurs neuroendocrines[22,23]. Elle ne dépend pas non plus du contenu de la celluleen grains de sécrétion.

Différenciation neuroendocrineet hormonothérapie

Le cancer neuroendocrine de la prostate est un cancer le plussouvent hormonorésistant qui se présente souvent à la phaseavancée, métastatique, ayant un très mauvais pronostic. Lestraitements hormonaux antiandrogéniques restent le traite-ment de référence en première intention entraînant près de80 % de réponse initiale.

Mécanismes impliqués dans l’hormonorésistancedu cancer de la prostate

Récemment, la différenciation neuroendocrine des cancersde la prostate a reçu une attention particulière, car les résul-tats de plusieurs études lui attribueraient un rôle dans l’hor-monorésistance de ces cancers [8,11]. Les cellules neuroen-docrines sont peu représentées dans la prostate normale,mais peuvent constituer 10–100 % des cellules tumoralesdans certains cancers prostatiques. Des études immunohisto-chimiques ont démontré que ces cellules sont plus abondan-tes après privation androgénique. Cette possible associationentre la différenciation neuroendocrine et l’acquisition del’hormonorésistance après privation androgénique semblese confirmer dans l’étude de Hirano et al. [24]. Au coursde cette étude, les échantillons de prostatectomie radicaleont été comparés à des échantillons provenant d’autopsiesde patients en hormonorésistance, contrairement aux étudesplus anciennes dans lesquelles la comparaison se faisait uni-quement avec des échantillons de patients en progressionsous hormonothérapie [25,26].

D’autres voies comme le récepteur d’androgène ont étéincriminés dans l’hormonorésistance du cancer de la pros-tate. Il existe plusieurs mécanismes pouvant l’expliquer soitpar modifications structurelles ou fonctionnelles du récep-teur : amplification du récepteur aux androgènes (30 % destumeurs) ou mutation hyperactivatrice du récepteur auxandrogènes se traduisant par une hypersensibilité aux andro-gènes circulants résiduels ; altération des cofacteurs durécepteur aux androgènes ; hyperméthylation du promoteurdu gène du récepteur aux androgènes [25]. Ces changementsprocurent une activation agoniste à d’autres hormones sté-roïdiennes comme les estrogènes ou les antiandrogènes surle récepteur d’androgène et perpétuent l’activation de cerécepteur à de faibles concentrations d’androgènes. Cerécepteur peut également rester actif indépendamment de lafixation du ligand sous l’effet de phosphorylations induitespar des facteurs de croissance et des cytokines. En conditionde privation androgénique, il reste d’autres mécanismes misen jeu pour permettre la croissance des cellules cancéreusesprostatiques. Dans un environnement de privation androgé-nique, les cellules cancéreuses prostatiques développent desstratégies pour leur croissance par amplification ou mutation

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du récepteur d’androgène, augmentation de l’expression demolécules coactivatrices ou de l’activité de 5-alpharéductaseet développent des voies d’activation du récepteur d’andro-gène indépendantes du ligand.

Implication pronostique

Actuellement, les facteurs pronostiques les plus importantsdu cancer de prostate sont le stade tumoral et le grade histo-logique. Plusieurs facteurs ont été incriminés comme respon-sables de la progression du cancer de la prostate et responsa-bles du mauvais pronostic : le volume tumoral, le score deGleason, le stade tumoral.

Différenciation neuroendocrine : facteurde progression du cancer de la prostate

Récemment, la différenciation neuroendocrine dans le can-cer de prostate a été considérée comme facteur de mauvaispronostic. Après les années 1990, la différenciation neuro-endocrine est apparue comme un nouveau facteur pronos-tique du cancer de prostate [13,27,28]. L’impact de la diffé-renciation neuroendocrine sur le pronostic reste un sujet decontroverse [3,29]. De récentes études chez des patientsayant un cancer hormonorésistant de la prostate ont démon-tré le rôle de l’élévation de la CgA comme facteur de mau-vais pronostic dans la différenciation neuroendocrine.Alfredo Berruti et al. ont établi le rôle prédictif et pronos-tique de la différenciation neuroendocrine en évaluant lapositivité des cellules à la CgA, dans des séries de biopsieset des échantillons sanguins, provenant de patients ayant uncancer de prostate et qui ont reçu le traitement de suppres-sion androgénique pendant une courte durée [3].

Pour eux, l’immunohistochimie sur biopsie pourrait sous-estimer le nombre de cellules neuroendocrines, réduisant lavaleur pronostique de la CgA dans les spécimens debiopsies. Cependant, d’autres paramètres validés sur lesbiopsies tel le score de Gleason peuvent varier, si la biopsieest comparée au tissu de prostatectomie [30]. L’évaluationdu phénotype neuroendocrine sur biopsie a l’avantaged’inclure tous les patients et d’éviter des résultats biaisés.D’autres études ont montré que la différenciation neuro-endocrine dans le cancer de la prostate augmentait après letraitement de suppression androgénique [8]. La différencia-tion neuroendocrine dans le cancer de la prostate pourraitavoir un rôle de transition entre la phase de dépendanceandrogénique vers la phase d’hormonorésistance, chez despatients sous traitement de suppression androgénique. Desétudes réalisées par Taplin et al. suggèrent que la différen-ciation neuroendocrine est corrélée à un mauvais pronostic età une progression de la maladie prostatique [31]. Plusieursétudes ont suggéré une corrélation entre la différenciation

neuroendocrine et l’évolution néfaste des résultats cliniques,d’autres ont montré qu’il n’existe pas de corrélation avecles résultats cliniques. McWilliam et al. [32] ont rapportéune corrélation entre le mauvais pronostic, la présence demétastases osseuses et une tumeur très mal différenciée. Laprogression du cancer de prostate peut être attribuée à l’exis-tence de métastases chez des patients ayant un cancerconfiné à la prostate après échec de l’hormonothérapie. Pourles patients qui ont subi une prostatectomie radicale, la pro-gression est généralement due aux métastases. En revanche,la progression de la maladie chez des patients qui ontsubi une résection transuréthrale de prostate et qui ont reçul’hormonothérapie est due à la transition de dépendanceandrogénique (échec du traitement) à l’indépendance andro-génique du tissu tumoral résiduel [28].

Corrélation entre différenciationneuroendocrine, stade tumoralet grade histologique de Gleason

Une corrélation entre la CgA, le stade tumoral et le score deGleason a été établie dans plusieurs études [3,27]. La diffé-renciation neuroendocrine est fréquemment observée chezles patients ayant une maladie avancée avec un PSA faibleou normal. Berruti et al. ont conclu qu’il existait une relationentre la différenciation neuroendocrine, le score de Gleason,le stade tumoral [3].

Tan et al. ont évalué 41 patients présentant un adénocar-cinome de prostate, en vue de rechercher la relation entre ladifférenciation neuroendocrine, le stade tumoral et le scorede Gleason [27]. Il ressort que l’incidence de la différencia-tion neuroendocrine est plus importante chez les patientsayant une tumeur faiblement différenciée (Gleason 7–10)en comparaison aux patients ayant des tumeurs modérémentou bien différenciées (Gleason < 7). Le pourcentage de ladifférenciation neuroendocrine était plus important dans lecancer avancé de la prostate (stades C et D) que dans lecancer localisé de la prostate (stades A et B). Une corrélationsignificative a été observée entre le score de Gleason et lestade tumoral, ces deux facteurs sont responsables de l’évo-lution de la maladie.

La corrélation entre la progression tumorale et la différen-ciation neuroendocrine n’a pas été uniformément remarquéechez tous les auteurs. Dans les travaux de Naoki et al., ladifférenciation neuroendocrine était présente dans 50 %des cancers de prostate [22]. Il existe une corrélation entrela différenciation neuroendocrine et le score de Gleason dehaut grade (significative p < 0,05). Cependant, ils n’ont pastrouvé de corrélation entre la différenciation neuroendocrineet le stade tumoral. Jose et al. ont recherché une relationentre la différenciation neuroendocrine et le score de Glea-son chez 72 patients qui ont reçu l’hormonothérapie après

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résection transuréthrale de prostate [28]. Ils n’ont pas trouvéde relation entre ces deux paramètres ; ils ont en revancheprouvé que le score de Gleason était un facteur pronostiqueimportant et pouvait prédire la progression et la libre survie(p = 0,016).

Conclusion

La majorité des tumeurs échappant à l’hormonothérapiereste dépendante des androgènes et au minimum du récep-teur androgénique pour leur croissance et leur survie. Lesmécanismes de transition vers l’hormonorésistance sontcomplexes, et la tumeur évolue dans un microenvironne-ment. La différenciation neuroendocrine est actuellementconsidérée comme facteur de mauvais pronostic impliquédans cette hormonorésistance. Le traitement de la maladiehormonorésistante associera vraisemblablement plusieursapproches. La compréhension de ces différents mécanismesest la clé du développement de thérapies plus efficaces surles cancers de la prostate hormonorésistants.

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