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L AMATEUR CURIEUX QUI , PAR UN dimanche pluvieux, s’amuserait à replacer sur une carte mondiale des zones sismiques la dis- tribution des sites à haut risque technologique – centrales nucléaires, raffineries, stockage de produits dangereux – s’exposerait à quel- ques surprises. Il découvrirait ainsi que le réacteur nucléaire d’Indian Point, à quelques kilomètres de New York, a été construit sur la faille Ramapo, l’une des plus dangereuses du New Jersey. Dans la région des Yucca Mountains (Nevada), tout près de la zone sismique de la Death Valley, un emplacement de stockage de déchets nucléaires à très haut risque devrait prochainement voir le jour. Et l’usine anglaise de Sellafield (Cumbria Ouest), spécialisée dans le retraitement des déchets radioactifs, est située dans une zone de faille active. On se dit naïvement qu’aujourd’hui, avec notre connaissance du risque sismique et de son impact sur les bâtiments, on ne commettrait plus de telles erreurs. Et pourtant ces choix a priori si déraison- nables ont une explication cachée. Car si l’on n’a pas sélectionné ces sites en raison du dan- ger qu’ils présentent, du moins s’est-on dirigé vers ce qui cause ce danger : la tectonique. La tectonique est en effet seule capable de façonner une zone plane comme celle d’Indian Point : coupant les berges escarpées de l’Hudson, une faille a modelé l’emplace- ment idéal. Les sites du Nevada et de Sellafied ont eux aussi été sélectionnés pour des raisons militaires, et ils sont tous deux protégés des regards extérieurs par la tectonique, qui créé des escarpements… Dernier avantage : la tec- tonique est en plus capable de faire baisser une nappe phréatique, paramètre indispensable pour le stockage des déchets en profondeur. L’association entre activité sismique et implantation humaine n’est pas une donnée récente, loin de là. Il pourrait même s’agir d’une constante dans l’histoire de l’humanité, comme en témoignent, pour la période la plus ancienne, les découvertes de fossiles en Afrique de l’Est (VOIR l’encadré : « De l’arbre au rift »). Voici 10 millions d’années, alors que l’Afrique commençait à s’assécher, ses forêts se mirent à dépérir et les très nombreuses espèces de singes qui vivaient dans les arbres furent peu à peu décimées. On raconte que de nou- velles espèces à l’allure redressée sont alors apparues et ont parcouru les prairies nouvel- lement formées, en équilibre sur leurs deux pieds. Les singes sont descendus des arbres pour aller vivre dans la savane : voilà une idée bien enracinée dans le folklore paléontolo- gique ! Mais ce récit est-il proche d’une quel- conque réalité ? Sur un sol plat, un singe qui campe sur deux pattes a en effet bien du mal à rivaliser avec un quadrupède. Il est bien plus doué pour grimper aux arbres, et quitter la forêt pour la savane aurait été une grave erreur stratégique. Un animal ayant une forme proche de la nôtre est bien mieux adapté aux environ- LA RECHERCHE HORS SÉRIE N° 11 - LA TERRE - AVRIL 2003 8 (I) LA RECHERCHE a publié : «L’East Side Story n’existe plus », entretien avec Yves Coppens, n° 361, février 2003. San-Francisco, Istanbul, Naples, Delhi... Pourquoi l’homme s’installe-t-il sur les failles les plus actives de la planète ? Pourquoi plante-t-il ses réacteurs nucléaires et ses usines à risque là où la géologie est la plus menaçante ? À cause des forces tectoniques ! Car si la dynamique terrestre nous menace à court terme de tragédies – séismes et éruptions –, elle offre aussi de nombreux avantages. Geoffrey King travaille à l’Institut de physique du Globe de Paris. Il y est directeur du laboratoire de tectonique. [email protected] Geoffrey Bailey est professeur d’archéologie à l’université de Newcastle. [email protected] La dynamique terrestre crée des conditions idéales pour l’implantation humaine. Il y a plusieurs millions d’années, les coulées volcaniques et les failles façonnèrent en Afrique un relief « protecteur » pour les hominidés. En Europe, on retrouve de nombreux sites du Paléolithique supérieur dans les zones de forte sismicité. CES FAILLES QUI NOUS ATTIRENT Texte traduit de l’anglais par Isabelle Manighetti.

Transcript of Il y a plusieurs millions d’années, les coulées ...king/Geoffrey_King/Publications_files/2003...

L ’AMATEUR CURIEUX

Q U I , P A R U N

dimanche pluvieux, s’amuserait à replacer surune carte mondiale des zones sismiques la dis-tribution des sites à haut risque technologique– centrales nucléaires, raffineries, stockage de produits dangereux – s’exposerait à quel-ques surprises. Il découvrirait ainsi que leréacteur nucléaire d’Indian Point, à quelqueskilomètres de New York, a été construit sur lafaille Ramapo, l’une des plus dangereuses duNew Jersey.

Dans la région des Yucca Mountains(Nevada), tout près de la zone sismique de laDeath Valley, un emplacement de stockage dedéchets nucléaires à très haut risque devraitprochainement voir le jour. Et l’usine anglaisede Sellafield (Cumbria Ouest), spécialiséedans le retraitement des déchets radioactifs, est située dans une zone de faille active. On se dit naïvement qu’aujourd’hui, avec notreconnaissance du risque sismique et de sonimpact sur les bâtiments, on ne commettraitplus de telles erreurs.

Et pourtant ces choix a priori si déraison-nables ont une explication cachée. Car si l’onn’a pas sélectionné ces sites en raison du dan-ger qu’ils présentent, du moins s’est-on dirigévers ce qui cause ce danger : la tectonique.

La tectonique est en effet seule capable defaçonner une zone plane comme celled’Indian Point : coupant les berges escarpéesde l’Hudson, une faille a modelé l’emplace-ment idéal. Les sites du Nevada et de Sellafiedont eux aussi été sélectionnés pour des raisonsmilitaires, et ils sont tous deux protégés desregards extérieurs par la tectonique, qui créédes escarpements… Dernier avantage : la tec-tonique est en plus capable de faire baisser unenappe phréatique, paramètre indispensablepour le stockage des déchets en profondeur.

L’association entre activité sismique etimplantation humaine n’est pas une donnéerécente, loin de là. Il pourrait même s’agird’une constante dans l’histoire de l’humanité,comme en témoignent, pour la période la plusancienne, les découvertes de fossiles en Afriquede l’Est (VOIR l’encadré : « De l’arbre au rift »).

Voici 10 millions d’années, alors quel’Afrique commençait à s’assécher, ses forêts semirent à dépérir et les très nombreuses espècesde singes qui vivaient dans les arbres furentpeu à peu décimées. On raconte que de nou-velles espèces à l’allure redressée sont alorsapparues et ont parcouru les prairies nouvel-lement formées, en équilibre sur leurs deuxpieds. Les singes sont descendus des arbrespour aller vivre dans la savane : voilà une idéebien enracinée dans le folklore paléontolo-gique ! Mais ce récit est-il proche d’une quel-conque réalité ?

Sur un sol plat, un singe qui campe surdeux pattes a en effet bien du mal à rivaliseravec un quadrupède. Il est bien plus doué pourgrimper aux arbres, et quitter la forêt pour lasavane aurait été une grave erreur stratégique.

Un animal ayant une forme proche de lanôtre est bien mieux adapté aux environ-

LA RECHERCHE HORS SÉRIE N° 11 - LA TERRE - AVRIL 20038

(I) LA RECHERCHE a publié :« L’East Side Story n’existe plus », entretienavec Yves Coppens,n° 361, février 2003.

San-Francisco, Istanbul, Naples, Delhi... Pourquoil’homme s’installe-t-il sur les failles les plus actives de la planète ? Pourquoi plante-t-il ses réacteursnucléaires et ses usines à risque là où la géologie est la plus menaçante ? À cause des forcestectoniques ! Car si la dynamique terrestre nousmenace à court terme de tragédies – séismes etéruptions –, elle offre aussi de nombreux avantages.

Geoffrey King travaille à l’Institut de physique du Globe de Paris. Il y estdirecteur du laboratoire de [email protected]

Geoffrey Baileyest professeur d’archéologie à l’université de [email protected]

¶ La dynamique terrestre crée des conditions idéales pour l’implantation humaine. ¶ Il y a plusieurs millions d’années, les coulées volcaniques et les failles façonnèrent en Afrique un relief« protecteur » pour les hominidés. ¶ En Europe, on retrouve de nombreux sites du Paléolithiquesupérieur dans les zones de forte sismicité. ¶

CESFAILLESQUI NOUS ATTIRENT

Texte traduit de l’anglais par Isabelle Manighetti.

nements complexes, là où les tourments dupaysage, vallées encaissées et falaises abruptes,lui offrent protection. Un autre scénario d’évo-lution, à nos yeux plus réaliste, peut donc êtreproposé.Des couléeset des falaises. Il y a 15 ou 20 mil-lions d’années, une vaste balafre, le rift est-africain, a commencé d’entailler le continentsur toute sa longueur. Un volcanisme impor-tant accompagne son ouverture progressive. Lepaysage qui se forme alors ressemble étrange-ment à ce qu’est aujourd’hui l’Est de l’Afar,avec ses falaises verticales, ses coulées basal-tiques et ses volcans. Le décor actuel de larépublique de Djibouti est un bon équivalentdu milieu dans lequel les hominidés ont dûséjourner. Et si l’on n’a pas retrouvé de fossilesà Djibouti, c’est bien sûr à cause de la trop

grande jeunesse de cette portion de rift(1).Comme en Afar donc, dans les coulées et aucœur des caldeiras volcaniques, de petits lacset des sources se forment, permettant le déve-loppement d’enclaves fertiles et verdoyantes.La tectonique façonne un lieu où les homini-dés n’ont pas, comme en savane, à parcourirde longues distances pour trouver de l’eau. Et cette eau attire en plus des proies poten-

tielles qu’il est facile de piéger en les acculantaux falaises ou aux ravins. Bref, le rift est-africain, dans sa partie la plus active, offraittous les avantages des arbres… sans leursinconvénients.

Car si les arbres protègent des prédateurs,ils sont aussi source d’accidents. On ne le saitpas toujours, mais les meilleurs grimpeurstombent : les autopsies de chimpanzés révèlentfréquemment des cassures osseuses liées auxnombreuses chutes qu’ils endurent avant l’âge adulte… Voilà qui n’aurait certes pasfavorisé le développement du cerveau humain,qui nécessite une longue maturation durantl’enfance.

Les enclaves fertiles et protégées situéesentre des falaises verticales, à l’intérieur des coulées volcaniques, offrent des nids autrement plus douillets. Des éthologues ont

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P E U P L E RHOMINIDÉS

Avec ses falaises verticales, ses coulées

basaltiques et ses volcans, le rift d’Asal,

en république de Djibouti, est sans doute

un bon équivalent du « décor »

où les hominidés ont dû évoluer.

© P. Tapponnier

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Le bipédisme est certainement le résultat d’une longue évolution(7). Lesd é c o u v e r t e spaléontologiques

suggèrent un développement en deux phases. La première époque va de 6à 3,5 millions d’années : les dents se modifient, permettant la mastication d’aliments durs, le mode de locomotion se transforme et tendvers la station debout. L’habitat pourrait se trouver en milieu humide etboisé : la relation à l’arbre est probablement encore forte, comme en témoi-gnent les fossiles découverts récemment dans le bassin du Tchad (crânede Toumaï), le rift éthiopien et kényan(I) (8,9,10,11,12). La période qui s’étendde 3,5 à 2 millions d’années est essentiellement marquée par la disparitionde certaines espèces au profit du développement du genre homo dans larégion du rift est-africain. Les fossiles découverts à Olduvaï, à Turkana et à Awash (« Lucy ») confirment l’hypothèse centrale du texte : l’hommevivait à cette époque dans un paysage façonné par l’activité volcanique ettectonique. ◆◆

de l’arbre au rift

lac Tchadlac Tll

Awash

Turkana

Olduvaï

golfe d'Aden

mer Rouge

détroit de

Bab el Mandeb

Méditerranée

Djibouti

Des fossiles d’hominidés vieux de plus

de 3,5 millions d’années ont été retrouvés

dans une zone très vaste. Dernier

découverte en date, le crâne de Toumaï,

près du lac Tchad. Entre 3,5 et 2 millions

d’années, le développement du genre

homo semble restreint à la région

du rift est-africain, marquée par une

tectonique et un volcanisme actifs

(sites d’Olduvaï, Turkana et Awash).

Le crâne d’Australopithecus boisei a été

découvert près du lac Turkana (Kenya),

à l’est du rift. Présent dans cette région

de 2,5 millions à 1,6 million d’années,

cet australopithèque fut ensuite remplacé

par le genre homo. Le paysage du lac

Turkana (ci-dessus) devait à l’époque

se rapprocher de celui de Djibouti,

(photo page précédente).

© P

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Euré

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d’ailleurs observés en Zambie des chimpanzésqui les utilisent. Et à Hawaï, certaines espècesanimales se protègent des cochons et deschèvres dans des enclos de lave appelées« kapuka ».

Vers deux millions d’années, le genre homoest pleinement développé, il est désormaiscapable de fabriquer des outils sophistiqués, de former des groupes sociaux organisés, dedominer le feu, et de se nourrir de façon diver-sifiée, en chassant, en tirant partie de la végé-tation, ou encore en exploitant les ressourcesdes rivières et les lacs.

L’homme commence alors à se déplacer surde longues distances(2). On retrouve ses traces auMoyen-Orient, en Europe du Sud, dans leCaucase et en Asie du Sud-Est. Qu’est-ce qui afavorisé cette sortie d’Afrique, cet « Out ofAfrica » de la première diaspora humaine ?Quelle est la raison qui pousse ces premiershommes à quitter leur berceau africain ?Comment ont-ils surmonté les barrières géogra-phiques ? Quels environnements les attiraient ?

L’Afrique et l’Eurasie sont séparés par lamer Rouge, qui s’étend de la Méditerranée audétroit de Bab el Mandeb, à l’est de Djibouti.De part et d’autre, il n’y a rien aujourd’huique le désert à perte de vue. Rien d’attirant en

apparence. Et pourtant il y a deux millionsd’années, le bassin de la mer Rouge était sen-siblement moins large. Le franchir à ses passesles plus étroites, au niveau du Bab el-Mandebpar exemple, n’était pas beaucoup plus diffi-cile que de traverser un gros fleuve, surtoutquand le niveau de la mer était bas. Autreavantage, les rivages de la mer Rouge offraientalors de la nourriture en abondance, et ce quiest aujourd’hui un désert était à l’époque unvaste champ de laves qui ressemblait forte-ment au milieu dans lequel les hominidéss’étaient développés. Au nord comme au sud,le bassin de la mer Rouge devait pour les pre-miers hommes se révéler plus proche d’uneautoroute que d’un obstacle.Tectonique et peuplement. Il est probable quel’émigration humaine s’est déroulée parvagues successives : l’une des dernières aconduit notre ancêtre direct hors d’Afrique, il ya environ 125 000 ans. Mais partout oùl’homme est allé, en Europe, en Asie et, plustard, sur les continents américain et austra-lien, il s’est installé en bord de mer, le long desrivières et dans les régions à topographie com-plexe, souvent en combinant les trois, parti-culièrement dans les régions tempérées.

Pour s’en persuader, il suffit de regarder la position des sites paléolithiques deMéditerranée (ci-dessus). Ils se trouvent enmajorité dans des zones sismiques. La corré-lation est particulièrement claire dans la zonequi va de la vallée du Rhône aux Pyrénées(3),mais aussi de la Dordogne à la Bretagne. Alorsqu’on ne trouve pratiquement aucun site surle plateau ibérique, inactif du point de vue dela tectonique, le pourtour sud de l’Espagne, leMaghreb, les chaînes de montagnes d’Europecentrale et des Balkans, très sismiques, en sontcouverts. La plupart des sites sont implantés làoù une rivière coupe une faille active ou surles plissements de la croûte terrestre, àl’aplomb des failles profondes(4).

Depuis une quinzaine d’années, nous étudions les relations entre tectonique et

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P E U P L E RHOMINIDÉS

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Les sites paléolithiques de Méditerranée

(en rouge)(13) se trouvent en majorité

dans des zones très sismiques (en jaune).

Les plateaux inactifs comme le centre

de l’Espagne en sont dépourvus.

Un site du Paléolithique supérieur

Plusieurs sites voisins

peuplements humains en Grèce du Nord. Prèsde la ville de Ioannina, en Épire, le jeu desfailles actives a provoqué la surrection oul’effondrement de vastes zones. Les sites paléo-lithiques étudiés depuis 1950 sont installésentre montagne et plaines, au pied des escar-pements de failles(5). L’activité tectonique,même faible, a suffi à remonter localement lanappe phréatique et à transformer toute unezone en terrain fertile. Le site de Kastritsa setrouve sur les berges du lac de Ioannina, unplan d’eau qui s’est développé entre deux anticlinaux. Son implantation présente unavantage indéniable : il est précisément audébouché d’un chenal naturel, à un endroit oùil devait être relativement aisé de repérer deloin les proies potentielles et de les piégerensuite, entre le lac où elles étaient venues

s’abreuver et les anticlinaux qui leur barraientla route. D’autres sites, comme ceuxd’Asprochaliko et Klithi, toujours en Épire,sont situés à la sortie d’étroites vallées que lesanimaux suivaient, attirés par la végétationabondante.

Un pointde passage obligé. Grâce à la position stratégique deses implantations pourvues d’eau et de végé-tation, enserrées entre des barrières naturelles,l’homme n’avait pas besoin de se déplacer pourchasser : les proies venaient à lui toutes seules,attirées par la richesse du lieu. Et si cet état defait devait être appréciable au quotidien, ill’était encore plus dans les périodes de grandesécheresse. Les sites choisis par l’homme deve-naient alors les seuls garde-manger possibles,

de véritables « pots au miel » pour les animauxqui s’y laissaient prendre un à un. Cette straté-gie permit à l’homme de traverser au mieux lescrises climatiques.

Si le relief aida l’homme à piéger ses proies,il l’aida aussi plus tard, pour retenir les trou-peaux d’animaux domestiqués. Ce contrôle a sans doute facilité le développement del’agriculture, notamment dans le « Croissantfertile », une région qui combine fertilité etaccidents tectoniques. Mais il est évident que lefacteur clé, celui qui permit à l’homme dedominer complètement les sols, fut la domesti-cation du cheval, dans les steppes d’Asie cen-trale. L’homme s’alliait alors un animalrapide, qui décupla ses capacités(6), pour lemeilleur et pour le pire.

Les premiers chevaux ne pouvaient êtremontés car leurs pattes étaient trop fragiles. Oninventa donc le chariot. Bien loin de leurimage « hollywoodienne », les premiers cha-riots étaient extrêmement légers et relative-ment petits, un peu comme les caddies que l’onutilise aujourd’hui pour transporter les clubsde golf. Dans les plaines fertiles de l’Europe del’Est ou de l’Asie, l’homme pouvait, installédans son chariot, se lancer à la poursuite de sesproies, voire les devancer. Plus tard, lorsque lesos des chevaux furent plus solides, l’hommemonta l’animal et put atteindre des lieux et desressources jusqu’alors inaccessibles. Le chevaldevint symbole de pouvoir. Des arméesd’hommes à cheval déferlèrent d’Asie centralepour envahir la Russie, la Méditerranée. Etmême la Grande Muraille de Chine ne put arrê-ter les Mongols… On se mit à chasser l’hu-main comme on avait autrefois chassél’animal. Ceux qui étaient menacés n’avaientd’autres recours que de rejoindre une foisencore les régions à topographie tourmentée…en espérant que les chevaux et leurs cavaliersne pourraient les rejoindre. Comme on l’a vudernièrement en Afghanistan, la « fuite vers lehaut » est d’actualité. Dans les reliefs monta-gneux, difficiles d’accès, tous les substitutsactuels du cheval – moto en temps de paix,tank en temps de guerre – perdent complè-tement leurs atouts. G.K et G.B ◆

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RÉFÉRENCES

(1) G. Bailey, G. King,I. Manighetti, in G.N. Bailey,R. Charles, N. Winder (éds)Human Ecodynamics,Oxbow, 2000.(2) I. Tattersall, J. Schwartz(éd.), Extinct Humans,Westview Press, 2001.(3) G. King, D. Sturdy etG. Bailey, Journal of GeophysicalResearch, 99, 78, 1997.(4) G. Bailey, G. King,D. Sturdy, Antiquity, 67, 292,1993.

(5) G. Bailey (éd.), Klithi :Palaeolithic Settlement andQuaternary Landscapes inNorthwest Greece, Cambridge,McDonald Institute forArchaeologicalResearch, 1997. (6) J. Keegan, A history ofWarfare, Hutchinson, 1993.(7) K. Wong, ScientificAmerican, 288, 42, 2003.(8) M. Brunet et al., Nature,418, 145, 2002.(9) B. Senut et al., ComptesRendus de l’Académie des

Sciences de Paris, 332, 137,2001.(10) M.G. Leakey et al.,Nature,410, 433, 2001.(11) T.D. White et al., 1994.Nature, 371, 306, 1994 ; T.D. White et al., Nature,375, 88, 1995.(12) Haille-Selassie,Nature, 412, 178, 2001.(13) T. Madeyska, TheDistribution of HumanSettlement in the Extra-Tropical World,Unwin & Hyman, 1990.

POUR EN SAVOIR PLUS

✑✑ G. N. Bailey, G. King, I. Manighetti, in G.N. Bailey (éd.), Human Ecodynamics,Oxbow, 2000.

✑✑ G. Bailey (éd.), Klithi : PalaeolithicSettlement and Quaternary Landscapes in Northwest Greece, Cambridge, McDonaldInstitute for Archaeological Research, 1997.

ww www.larecherche.fr

Barrière topographique

Barrière topographique Piste des cerfs

Le site paléolithique de Kastritsa, sur les berges

du lac de Ioannina (tache sombre),

se trouve au débouché d’un chenal naturel,

lieu de passage obligé vers l’eau pour

les animaux. On devine sur cette photo

satellite qu’il était aisé d’y repérer

de loin les proies potentielles, pour les

piéger ensuite entre le lac et les obstacles

naturels. La ligne noire montre le niveau

du lac au Paléolithique.