Identité, de Zygmunt Bauman

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identité

Carnets

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titre original : Identity

Cette édition a été publiée avec l’accord de Polity Press Ltd., Cambridge

© traduit de Zygmunt Bauman, identity, Polity Press, 1re édition, 2004© Zygmunt Bauman et Benedetto, Vecchi 2004© Éditions de L’Herne, 201022, rue Mazarine75006 [email protected]

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Zygmunt Bauman

identitéTraduction de l’anglais par Myriam Dennehy

La série des Carnets anticapitalistes est dirigée par Alexandre Lacroix et Laurence Tacou

L’Herne

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introduCtion

L’œuvre de Zygmunt Bauman a toujours su ébranler nos croyances fondamentales, et le présent recueil d’entretiens sur la question de l’identité ne fait pas exception. Ces conversations ont pris une tournure quelque peu inhabituelle, dans la mesure où elles n’ont pas été menées de vive voix ni retrans-crites par la suite. nous avons choisi de communi-quer par courrier électronique, ce qui a imposé un rythme un peu fragmentaire à l’échange de questions et de réponses. Soustrait aux contraintes temporelles qu’impose le face-à-face, le dialogue s’est souvent interrompu pour ménager un temps de réflexion, demander des éclaircissements et permettre quel-ques incursions dans des sujets que nous n’avions pas prévu d’aborder. Chacune des réponses de Bauman me plongeait toujours davantage dans la perplexité. Au fur et à mesure, je réalisais que j’avais mis le pied sur un continent bien plus vaste que je n’imaginais, et dans lequel les cartes routières ne servaient plus à rien. J’aurais certes dû m’y attendre, sachant que Zygmunt Bauman n’est pas un sociologue comme les autres. Sa pensée est un work in progress  : il ne

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lui suffit pas de définir ou de « conceptualiser » un événement, il cherche plutôt à tisser des liens avec des phénomènes ou des manifestations de l’ethos popu-laire qui auraient pu sembler très éloignées de l’objet initial de l’enquête. Les pages qui suivent témoignent bien de cette pensée en mouvement, qui ne se laisse jamais circonscrire à des influences intellectuelles ou à une école de pensée.

on présente souvent Zygmunt Bauman comme un sociologue éclectique, ce dont il ne prendrait sûre-ment pas offense. Sa méthodologie vise avant tout à faire ressortir une myriade de connexions entre l’objet étudié et d’autres manifestations de la vie en société. il considère en effet qu’il est essentiel de recueillir la « vérité » de chaque sentiment, de chaque mode de vie et de chaque comportement. Pour cela, il faut décortiquer non seulement le phénomène en soi, mais son contexte social, culturel et politique. d’où le caractère touche-à-tout de son œuvre, qui aborde tout aussi bien la crise du débat public, comme dans In Search of Politics (1999), ou la mutation du rôle des intellectuels dans une société exhibitionniste, comme dans La Décadence des intellectuels : des législa-teurs aux interprètes (1987, trad. fr. 2007). Son esprit est à la fois bouillonnant et rigoureux ; il est attentif à l’actualité, mais soucieux d’en établir la généalogie, ou plutôt les généalogies.

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Le sujet qui nous occupe ici, à savoir l’identité, est élusif et ambigu par nature. Bauman relève le défi dans une double pirouette  : relisant l’histoire de la sociologie moderne à la lumière de l’obsession iden-titaire dont témoignent les débats contemporains, il en conclut qu’on ne saurait trouver de réconfort dans le corpus de la pensée critique. L’ouvrage inti-tulé Liquid Modernity (2000) nous projette dans un monde où tout est fuyant, où l’angoisse, la souf-france et l’insécurité engendrées par la vie en société appellent un examen minutieux de la réalité et de la place qui y est assignée aux individus. toute tentative pour pallier l’inconstance et la précarité des projets humains et pour en justifier la confusion en s’abri-tant derrière des certitudes obsolètes et des interpré-tations standards serait aussi futile que de vouloir vider l’océan avec un dé à coudre.

nous avons ici affaire à un intellectuel qui consi-dère que le principe de responsabilité sous-tend tout engagement dans la vie publique. Pour lui, la socio-logie n’est pas une discipline « à part », mais un outil analytique servant à établir une interaction féconde avec la philosophie, la psychologie sociale et l’his-toriographie. Aussi le «  télescopage  » entre culture de masse et culture élitiste n’a-t-il rien d’étonnant : les articles de presse ou les slogans publicitaires lui donnent autant matière à penser que les interprétations

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philosophiques de Kierkegaard sur don Giovanni. Bien qu’il n’évoque pas volontiers sa vie privée, précisons que Zygmunt Bauman est né en 1925 dans une famille juive de Pologne. Fuyant l’union soviétique au début de la Seconde Guerre mondiale, il rejoint les troupes polonaises ralliées à l’Armée rouge et combat le nazisme. Au fil des Conversations with Bauman (2001), on apprend qu’il entame des études de sociologie dès son retour à Varsovie, où ses premiers maîtres sont Stanislaw ossowski et Julian Hochfeld, deux intellectuels polonais peu connus en dehors de leur pays mais qui joueront un rôle décisif dans sa formation intellectuelle.

ils lui ont surtout appris à « regarder le monde en face  », sans recourir à des idéologies préfabriquées. Quand on demande à Bauman, qui s’est imposé comme une figure majeure de l’école sociologique de Varsovie, d’évoquer les difficultés qu’il a rencon-trées dans les années 1950 et 1960, il le fait sans la moindre amertume envers ses censeurs. C’est même avec une subtile ironie qu’il compare le musellement de l’université polonaise au conformisme des milieux universitaires anglo-saxons. il reste également discret sur la part qu’il prit en 1956 au mouvement contes-tataire d’« octobre rouge » contre le leadership du Parti ouvrier unifié Polonais et l’alignement du pays sur Moscou. Cette expérience décisive l’a amené à

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se colleter à l’idéologie officielle du marxisme sovié-tique, par le biais de l’œuvre d’Antonio Gramsci, notamment. il entreprend alors de fréquents voyages à l’étranger, passe une année sabbatique à la London School of economics et fait une tournée de confé-rences dans les plus grandes universités européennes. Mais l’année 1968 va marquer un tournant dans sa vie. Bauman, qui soutenait le jeune mouvement étudiant polonais, voit ses écrits mis à l’index par le Parti communiste, tandis que l’antisémitisme sert d’arme de répression contre les étudiants et les universitaires qui réclamaient la fin du parti unique au nom « de la liberté, de la justice et de l’égalité ». interdit d’enseignement, Zygmunt Bauman s’exile en Angleterre, où il vit encore aujourd’hui. dans la plupart de ses livres, et notamment dans Modernité et holocauste (1989, trad. fr. 2002), il ne manque jamais d’exprimer sa gratitude envers Janina, son épouse et compagne de toute une vie, dont il est très proche à la fois par le cœur et par l’esprit. Sans doute est-elle une des figures intellectuelles les plus influentes pour l’élaboration de ses théories sur la « modernité solide » et la « modernité liquide ».

Son séjour en Angleterre, où il enseigna à l’uni-versité de Leeds, fut intensément productif sur le plan intellectuel. J’ai déjà évoqué quelques-uns de ses travaux, mais c’est sans aucun doute avec la