Drouin - Identité Bagaude

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ISABELLE DROUIN L'identité bagaude aux Hle et Ve s.: mouvements de population, révoltes isolées, continues ou concertées? Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en histoire pour l'obtention du grade de Maître es arts (M.A.) DEPARTEMENT D'HISTOIRE FACULTÉ DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2010 ©Isabelle Drouin, 2010.

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  • ISABELLE DROUIN

    L'identit bagaude aux Hle et Ve s.: mouvements de population, rvoltes isoles, continues ou concertes?

    Mmoire prsent la Facult des tudes suprieures de l'Universit Laval

    dans le cadre du programme de matrise en histoire pour l'obtention du grade de Matre es arts (M.A.)

    DEPARTEMENT D'HISTOIRE FACULT DES LETTRES

    UNIVERSIT LAVAL QUBEC

    2010

    Isabelle Drouin, 2010.

  • L'identit bagaude aux IHe et Ve s.: mouvements de population, rvoltes isoles, continues ou concertes?

    Rsum Une premire rbellion dite bagaude clate vers 285 en Gaule. Ce terme de

    bagaudaelbacaudae est nouveau employ pour qualifier des rvoltes paysannes en

    Gaule et en Tarraconaise lors de la premire moiti du Ve s. Ces mouvements ruraux

    demeurent peu connus des historiens, puisque les sources anciennes demeurent

    laconiques et imprcises. En outre, le peu d'informations qui nous a t transmis par les

    Anciens fut souvent dform par les idologies de divers courants historiographiques

    (nationalistes, socialistes, etc.). Dans un premier chapitre, des critres identitaires pour la

    rvolte du IHe s. sont cerns en respectant la chronologie et en s'aidant d'autres exemples

    historiques. Notre analyse intgre les concepts de mmoire historique, de la

    reprsentation et de l'identit dynamique au cur de cette problmatique. Le second

    chapitre se concentre sur les origines sociales et gographiques des individus composant

    la rvolte du IHe s au moyen des sciences historiques, archologiques et

    paloenvironnementales. La question de la gestion sociale tardive des ressources

    naturelles rurales y est brivement introduite. A chaque partie, l'on rvise la longue

    historiographie au sujet des bagaudes, donc cette tude peut servir d'introduction utile.

    Au terme de cette analyse, une image plus raliste et romanise des bagaudes du IHe s.

    apparat. Ce soulvement paysan phmre ne toucha qu'une partie des Gaules et tait

    organis par deux chefs en cavalerie et en infanterie. La perception subjective des auteurs

    aristocrates est explique, ce qui claire des passages obscurs et explique certains

    strotypes portant sur les bagaudes. Le terme de bagaudes parait avoir t employ

    divers usages par les acteurs anciens, et donc avoir port au moins deux identits

    diffrentes. 11 n'y eut pas de continuit du mouvement rebelle bagaude travers tout le

    Bas-Empire. En effet, l'identit bagaude/bacaude fut d'abord revendique par les rvolts

    eux-mmes au IHe s., puis transforme en contre-exemple idologique au IVe s. avant de

    servir dnoncer des provinciaux dviants au Ve s.

  • L'identit bagaude aux IHe et Ve s.: mouvements de population, rvoltes isoles, continues ou concertes?

    Introduction

    Les mutations de l'Empire romain au IHe s p.l

    Des paysans rebelles: bilan historiographique de C.Jullian aujourd'hui p.4

    La chronologie des variations environnementales de l'Antiquit romaine p.8

    Une rvolte perue comme un phnomne secondaire de l'Histoire: varit du corpus de

    sources qui traite des bagaudes et de leur milieu de vie p. 10

    Une mthode interdisciplinaire pour mieux dfinir une rvolte p. 13

    1. Un mouvement de rvoltes dans une socit en mutation p. 16

    1.1 La reconstitution des faits p. 16

    1.2 Les critres identitaires du mouvement p.22

    1.2.1 Les origines du mouvement p.22

    1.2.2 Les stratgies identitaires p.29

    1.3 Les reprsentations du mouvement par l'aristocratie romaine p.39

    1.3.1 Contexte et concepts identitaires p.39

    1.3.2 Apparition et tymologie du terme p.42

    1.3.3 Reprsentations sociales d'un monde en mutation p.47

    1.3.4 Un renouveau du terme au Ve sicle p.52

    2. Identits sociales et gographiques p.56

    2.1 Identits sociales p.58

    2.1.1 Professions agricoles p.62

    2.1.2 La base de la pyramide sociale (colons et esclaves) p.66

    2.1.3 Des bagaudes latrones: brigands, rebelles ou dserteurs? p.71

    2.2 Localisation p.77

    2.2.1 Indices des sources crites p.82

    2.2.2 Tmoignages archologiques sur des rvoltes et des destructions p.86

    2.2.3 Continuit ou changement de l'exploitation des ressources naturelles p.90

    2.2.4 Une rtroaction ncessaire p.93

    Conclusion p.97

  • Bibliographie p. 103

    Annexes

    Annexe I: Empereurs phmres et usurpateurs occidentaux de 250-300 p.124

    Annexe II: Territoires rcuprs ou abandonns sous Gallien et Aurlien p. 125

    Annexe III: volutions des frontires administratives de la Gaule p. 126

    Annexe IV: volution du Tractus Armoricanus p.129

    Annexe V: Tableau synoptique du corpus de sources sur les bagaudes p. 132

    Annexe VI: Carte des cits de l'ouest de la Gaule p. 138

    Annexe VII: Carte des cits et tribus gauloises p. 139

    Annexe VIII: Localisation d'Agaune p. 141

    Annexe LX: Conceptions romaines de la libert p. 142

  • L'identit bagaude aux IHe et Ve s.: mouvements de population, rvoltes isoles, continues ou concertes?

    Les mutations de l'Antiquit tardive L'Antiquit tardive est ne de la priode anarchique qui a suivi la chute des Svres de

    235 284. Durant cette priode, une srie d'empereurs phmres ont rgn et presque ananti la puissance politique et militaire de Rome. En revanche, certains empereurs ont innov pour retrouver une certaine stabilit et les provinces perdues.2 Cette Antiquit tardive romaine est protiforme et recouvre la fois des systmes ttrarchiques et dynastiques, des empires romains unifis ou diviss, des priodes anarchiques et stables ainsi que des gouvernements paens ou chrtiens. Aprs 284, de Yimperator victorieux qu'il tait, Diocltien leva son statut par le biais de symboles monarchiques et religieux.3 Les empereurs furent progressivement identifis ce crmonial et cette idologie unificatrice qui finirent par devenir leur raison d'tre.4 Leurs fonctions militaires furent peu peu confies des officiers hauts grads. Les successeurs de Diocltien poursuivirent sa rorganisation administrative et fiscale, mais sans viter les invasions barbares et les guerres civiles. D'ailleurs, Diocltien cra galement les diocses en 297 au-dessus des provinces, de plus en plus nombreuses, afin que les nouveaux vicaires surveillent leurs gouverneurs.6 L'existence de ces provinces plus rduites affaiblissait d'autant ces gouverneurs. Les pouvoirs civils et militaires furent galement spars. Cependant, certaines rformes sont postrieures la Ttrarchie. Ainsi, ce n'est qu'aprs Constantin que les prfets du prtoire, autrefois si prompts l'usurpation, perdirent leurs pouvoirs militaires. l'aube de l'Antiquit tardive,

    o

    l'nigmatique soulvement des bagaudes en 284 a souvent intrigu les lecteurs. Peu 1 Annexe I: Empereurs phmres et usurpateurs occidentaux de 250-300. 2 Sous Gallien, le pouvoir central a perdu les Gaules et la Rhtie aux mains des usurpateurs gaulois et du royaume de Palmyre, ces deux territoires ont ensuite t repris par Aurlien. Annexe II: Territoires rcuprs ou abandonns sous Gallien et Aurlien. 3 II consolida son pouvoir en proclamant la filiation divine des Augustes, attachs l'idologie jovienne et herculenne, il adopta des symboles monarchiques, se faisait appel Dominus (Aurlius Victor, Livre des Csars, XXXIX) et instaura la prostemation/proskynse (Eutrope, Abrg d'histoire romaine, VIII, 16) la place de la salutatio. Constantin alla plus loin en adoptant le diadme des monarques hellnistiques et en instaurant le monopole imprial de la pourpre. (Jean-Pierre Martin et al., Histoire romaine, Paris, Armand Colin, 2001, p.343.) Raymond Van Dam, Leadership and Community in Late Antique Gaul, Berkeley, University of California

    Press, 1985, p. 24. 5 Surtout aprs la dfaite d'Andrinople: le gnral franc Arbogast protgea le jeune Valentinien II avant de le trahir, Stilicon veilla sur Honorius, le Romain Constance lui succda et aprs lui vinrent de nombreux hommes forts militaires: Aetius, Majorien, Ricimer, etc. 6 Christine Delaplace et al., Histoire des Gaules (Vie av. J. -C. au Vie s. ap. J. -C.), 3e dition, Paris, Armand Colin, 2005, p.41 et Jean-Michel Carri et al , L'Empire romain en mutation: des Svres Constantin 192-337, Paris, Du Seuil, 1999, p. 192. Annexe III: volution des frontires administratives de la Gaule. 7 Martin et al., op.cit., p.395. 8 Nanmoins, pour la casse des bagaudes, je maintiens la minuscule, sauf dans les cas o il s'agit de citations latines ou d'un nom propre personnel (comme dans infra, chapitre I, p.42-43 et 46). Par contre, la majorit des cas o nous utiliserons le terme de bagaudes, cela s'appliquera aux partisans d'Aelianus et Amandus qui prennent le nom de bagaudes ou bacaudes. En franais, pour les partisans, la rgle veut qu'on mette la minuscule. Les quatre seules exceptions s'appliquent aux principaux groupes de partisans de la \ a t Rpublique franaise. Malheureusement, beaucoup d'historiens mettent la majuscule Barbares ou Bagaudes , ni l'un ni l'autre ne sont dans ce cas des noms propres, des vnements historiques prcis ou des gentils (nom des habitants d'un lieu). Il y a dans cet usage des emprunts des langues trangres ou des gnralisations fautives.

  • auparavant, la prfecture des Gaules avait fait scession (de 260-274).9 Ces usurpateurs appartiennent la srie d'empereurs romains illgitimes de la crise du IHe s. (235 284). En moyenne un empereur tous les deux ans dfile durant ce demi-sicle,10 mais ce n'est pas le seul pril qui menace l'Empire. Aprs le milieu du IHe sicle, de nouvelles confdrations tribales franque et alamane profitent de cet affaiblissement temporaire pour extorquer du butin aux provinciaux et passent l'attaque (en 254, en 260 et en 275).

    Ces temps troubls ne suscitrent pas de vocations littraires en Occident. Hormis les pangyriques latins, peu de sources contemporaines guident le chercheur. Les raids germaniques ont dtruit certaines infrastructures, mais l'ampleur de ces destructions a souvent t exagre par les historiens." Les conditions environnementales ne semblent pas nuire aux changes conomiques, mais la hausse importante des dpenses militaires cre une inflation exponentielle, ds le rgne d'Aurlien (270-275).13 Malgr cela, mme les socits relativement isoles de la pninsule armoricaine14 et du val de Loire utilisent des monnaies romaines.15 Le nouveau systme d'imposition fiscal instaur par Diocltien reste raisonnable, bien que plus systmatique qu'auparavant.16 L'conomie est instable et fluctue selon les circonstances politico-militaires et les rgions affectes. Le faux-monnayage se rpand de l'Armorique17 l'Egypte pour rpondre la demande de numraires.18 Cependant, bien avant

    9 En effet, Postumus et ses successeurs avaient ddoubl toutes les institutions ncessaires pour la mise en place d'un empire romain parallle: un snat, des cohortes prtoriennes, des consuls, des monnaies, etc. 10 Lucien Jerphagnon, Les divins Csars, Paris, France Loisirs, 2005, p.226. 1 ' En ralit, il est trs difficile de dpartir les sites incendis par accidentent ou volontairement. Paul Van Ossel, tablissements ruraux de l'Antiquit tardive dans le nord de la Gaule, Paris, ditions du CNRS, 1992, p. 171 dnonce l'attribution systmatique et souvent infonde de toutes les destructions tardives des Germains; Yvan Maligorne, L'architecture romaine dans l'ouest de la Gaule, Rennes, PUR, 2006, p.275-276 critique galement la pratique de dater tous les niveaux de destruction de 275-276. Pour les dcouvertes archologiques lies aux bagaudes: infra, chapitre II, p.86. 12 Infra, introduction, p.9. 13 Delaplace et al., op.cit., p.138-139. 14 Infra, p. 12-13 pour notre observation des donnes archologiques armoricaines, mais voir l'Annexe IV: volution du Tractus Armoricanus pour la vision romaine de l'Armorique. 15 Patrick Galliou, Monde des morts et monde des vivants en Armorique romaine, Alain Ferdire, Monde des morts, monde des vivants en Gaule rurale. Tours, FRARCF/La Simarre, 1993, p.241-246 et beaucoup de monnaies des empereurs gaulois circulent dans l'Ouest, voir Gilles Leroux et al., L'Ille-et-Vilaine, Paris, Acadmie des Inscriptions et des Belles Lettres, 1990, p. 121, 150 et 155 ainsi que Michel Provost, Le Val de Loire dans l'Antiquit, Paris, CNRS ditions, 1993, p.296-297. Pour le faux-monnayage, voir Idem, Loire-Atlantique, Paris, Acadmie des Inscriptions et des Belles Lettres, 1988, p.48, 61-62; Patrick Galliou et al., Les anciens Bretons : des origines au XVe sicle, Paris, Armand Colin, 1993, p.106-107 et Delaplace et al., op.cit., p.138-139. 16 Voir Rmy Bernard, Diocltien et la ttrarchie, Paris, PUF, 1998, p.74 puis Carri et al , op.cit., p.600-614. Aurlius Victor, De Caesoribus, XXXIX, 31-32 traite galement de l'volution de l'imposition: 31. Enfin, l'immense calamit de l'impt fut tendue une partie de l'Italie. En effet, alors qu'elle se trouvait tout entire soumise la mme taxation et dans des conditions modres...; 32. cette poque elle tait supportable dans sa modration, mais, de nos jours, elle est devenue un flau. 31.Hinc denique parti Italiae inuectum tributorum ingens malum. Nam, cum omnis eadem functione moderateque ageret...32. Quae sane illorum temporum tolerabilis, inperniciem processif his tempestatibus.) 17 Pour le numraire d'origine armoricaine: Maligorne, op.cit., p. 176; Pierre-Roland Giot et al., Les premiers Bretons d'Armorique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p.50 et 195; Herv Krbel, Corseul (Ctes-d 'Armor), un quartier de la ville antique: les fouilles de Monterfil II, Paris, ditions de la maison des sciences de l'homme, 2001, p.139; Galliou et al, op.cit., p.106-107; Leroux et al., op.cit., p.32 et 245; Provost, Loire-Atlantique, op.cit., p.40, 48, 61; Patrick Galliou, L'Armorique romaine, Braspars, Les Bibliophiles de la Bretagne, 1983,p.277.

  • cette inflation, une nette rcession rurale avait touch la Gaule. Certaines rgions, comme la valle de la Loire, furent affectes ds la fin du Ile s., avant la fin de la pax romana. Cela indique surtout des causes internes ce phnomne. Quant l'Armorique, elle a perdu 75% de ses sites ruraux entre 270-280, un sicle plus tard, d'aprs l'analyse des tuiles romaines.19

    Pourtant, la pninsule bretonne est souvent reprsente comme tant plus isole que la rgion ligrienne: le val de Loire rural aurait-il d dcliner aprs l'Armorique? L'est de la Gaule fut frapp directement par les invasions barbares, mais la piraterie maritime des Francs et des Saxons affecta aussi l'ouest de la Gaule au IHe sicle. trangement, les sites de l'est de la Gaule semblent avoir eu davantage de resilience que leurs homologues occidentaux.20

    L'aristocratie impriale a aussi volu vers de nouvelles pratiques de gestions. Ainsi, la crise de 235-284 a boulevers leur conception du pouvoir. Seules l'arme et les armes dterminent alors le sort de l'Empire. En outre, ce service militaire est devenu interdit aux patriciens. Les snats sont rduits l'tat d'honorables conseils municipaux, bien que les alas de la fin de l'Empire d'Occident redonnent un certain pouvoir celui de Rome au Ve sicle. Une minorit de lettrs conserve la culture classique, comme un signe identitaire de supriorit morale et culturelle, non seulement face aux barbares. Au IVe sicle et surtout au Ve sicle, les dcurions occidentaux fuient les charges fiscales des cits vers le snat ou les postes exempts (fonctionnaires, naviculaires, mdecins, rhteurs publics, religieux, etc.) Cependant, les curies restent stables et fonctionnelles au IHe s. La corruption tait courante, mais il est difficile d'valuer ses effets quantitatifs. Parmi les volutions culturelles romaine et tardive, on note que le statut de Rome se modifie, elle n'est plus que le centre symbolique de l'Empire. La capitale relle se dplace selon les besoins avec les empereurs Trves, Arles, Milan, Antioche et bien d'autres villes. Des changements profonds affectent la religion, le

    18 Ces pices devaient pallier aux manques de liquidits, elles n'taient ni officielles, ni illgales. Pour preuve, certaines taient frappes au pied d'un fort militaire Dyonysias en Egypte (Bernard, op.cit, p.82) et cela se produisit galement prs de l'lot central de Corseul, la capitale des Coriosolites (Krbel, op.cit.,p. 140 et 233). 19 D'aprs Grenville Astill et al., Un paysage breton de l'archologie l'histoire dans le sud de la Haute-Bretagne, Saint-Malo, CERAA (Centre rgional d'archologie d'Alet), 2001, p.74, qui mettent cependant quelques rserves sur cette interprtation, il est possible que les toits tardifs aient moins souvent t couverts de tuiles et plus souvent de chaume, il reste quand mme de la monnaie et des cramiques locales, infra, introduction, p.12, n.91-92. 20 Philippe Leveau, Ingalits rgionales et dveloppement conomique dans l'Occident romain , Jean-Pierre Bost et al, dir., Itinraire de Saintes Dougga: mlanges offerts L.Maurin, Bordeaux, ditions Ausonius, 2003, p.346. 21 Ainsi, le snat de Rome appuya l'usurpation d'Attale. Le Snat put aussi reconnatre des empereurs, surtout aprs Valentinien III, quand les difficults politiques rendaient toute source de lgitimit additionnelle opportune, comme pour Avitus en 455. Andr Loyen, Recherches historiques sur les pangyriques de Sidoine Apollinaire, Paris, Librairie Honor Champion, 1942, p.35. 22 Alain Chauvot, Opinions romaines face aux barbares au IVe sicle aprs Jsus-Christ, Paris, Boccard, 1998, p. 81 et 90.

    D'une part, Ramsay MacMullen la peroit comme une maladie mortelle pour l'Empire romain (Ramsay MacMullen, Le dclin de Rome et la corruption du pouvoir, Paris, Les Belles Lettres, 1991 (1981), p.256-260). D'autre part, Peter Gamsey et al. l'interprtent plutt comme un supplment ncessaire face un salaire dficient. Peter Garnsey et al., L'volution du monde de l'Antiquit tardive, 2e dition, Paris, ditions la dcouverte, 2004, p.62 Quoi qu'il en soit, on trouve de nombreuses rfrences la corruption dans les sources, mais cela n'est gure une nouveaut de l'Antiquit tardive. Pour des rfrences la corruption dans les sources tardives, voir: En 362, Claudius Mamertin. Pan.latins, XI, 1.4 et 4.1; en 414-417, Rutilius Namatianus, De Reditu Suo, I, v.606-614, etc. Ramsay MacMullen en rpertorie un grand nombre, mais sans tre exhaustif. (MacMullen, op.cit., cite ces sources spcifiquement en p.75, 204, 208,235, 239, 256, 257, 277, 279, 280, 296.) Pour un exemple plus classique, Cicron lui-mme dnonce la corruption dans les Verrines.

  • christianisme progresse. Nanmoins, la nouvelle religion n'atteindra les campagnes gauloises qu'au IVe sicle et il faudra attendre le Ve sicle pour que toutes les cits d'Armorique aient des vques.24 Il ne faut donc pas avoir une perspective statique de l'Antiquit tardive, qui fut une priode dynamique et erratique. De surcrot, la vision historiographique porte sur le Bas-Empire et les bagaudes volua galement.

    Des paysans rebelles dans une poque de dclins progressifs: bilan historiographique de C.Jullian aujourd'hui

    Cet Empire romain tardif a longtemps t peru par les humanistes, puis les historiens comme une priode de long dclin gnral et continu. Ce point de vue est partiellement hrit d'auteurs anciens qui ont eu une impression de dclin aprs certains dsastres.26 Cette perspective est remise en question par l'essor rcent des tudes portant sur l'Antiquit tardive qui rvle la diversit des situations tant au plan chronologique que gographique. Cette Antiquit tardive est maintenant qualifie de priode historique distincte de la priode

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    classique et du Moyen Age, bien que les historiens ne s'entendent pas toujours sur sa dure chronologique exacte.30 Auparavant, les tudes sur l'Antiquit tardive se limitaient souvent

    24 D'aprs Luce Pietri et Jacques Biarne, Province ecclsiastique de Tours (Lugdunensis Tertio), Le Mans, Boccard, 1987, p. 15, ils sont tous prsents au concile d'Angers (453), mais quelques-uns sont absents au concile de Tours en 461. Respectivement, les vques des Coriosolites, des Osismes et des Vntes, leur place, un certain Mansuetus, episcopum Britannorum, se prsente, ce qui amne situer vers cette poque l'afflux de Bretons dans la pninsule. Voir Annexe VI: Carte des cits de l'ouest de la Gaule. 25 Ainsi, la notion de Bas-Empire, neutre au XVIIIe sicle, prit progressivement une connotation ngative. Nanmoins, ds la Renaissance, des humanistes percevaient dfavorablement l'attnuation des canons grco-hellnistiques dans l'art et les modifications du latin cicronien. Ensuite, Montesquieu et Edward Gibbon cristallisrent dans leurs uvres respectives cette perspective ngative de l'Antiquit tardive. Voir Alexandra Chavarria Arnau, Interpreting the Transformation of Late Roman Villas , Neil Christie, dir., Landscapes of Change: Rural Evolutions in Late Antiquity and Early Middle Ages, Cornwall, Ashgate, 2004, p.68; Bertrand Lanon, Antiquit tardive, Paris, PUF, 1997, p.3-13; Averil Cameron, L'Antiquit tardive, Paris, ditions Mentha, 1992, p.7-8 et Henri-Irne Marrou, Dcadence romaine ou antiquit tardive?, Paris, ditions du Seuil, 1977, p.l 1 et p.l 11 pour les arts tardifs. 26 Comme ceux d'Andrinople, le sac de Rome ou les invasions barbares. D'autres Romains pensent aussi que la fin du monde approche, car lors de la prise des auspices de la fondation de Rome, Romulus aurait aperu 12 vautours, ainsi la ville devait rgner 12 sicles. Amboise de Milan, Hydace, Nicomaque Flavien, Pal lad i us et Rutilius Namatianus croyaient en cette fin d'un monde, mais sans s'accorder sur la date fatidique. (Yves-Marie Duval, Histoire et historiographie en Occident aux IVe et Ve sicles, Aldershot/Brookfield, Ashgate, 1997, article VII, p.244,259 et 260-264.) 27 Ces nouvelles tudes questionnent ainsi le lien traditionnellement tabli entre les invasions barbares et l'abandon d'un trs grand nombre de sites (Doug A. Lee, War in Late Antiquity: a Social History, Maiden/Oxford, Blackwell Publishing, 2007, p.l 15). 28 Lanon, op.cit., p. 13. 29 Henri-Irne Marrou plaide pour ce changement de perception ds 1977. Marrou, op.cit.,p. 13. 30 Ainsi, l'Antiquit tardive a une dure variable selon les auteurs. B.Lanon prcise que le rgime tardif du Bas-Empire est n des mutations survenues entre les rgnes des empereurs Gallien et Constantin (260-320), cette poque s'tendrait du IV et Ve sicle (Lanon, op.cit., p. 3-4 et 19.) Pour l'Antiquit tardive, il ajoute les Vie et Vile sicles. A.Cameron l'appuie en ajoutant que cette prolongation sculaire s'accorde avec les rsultats des tudes conomiques (Cameron, op.cit., p.7). D'une part, la majorit des historiens suivent la chronologie d'Arnold Hugues Martin Jones, selon laquelle l'Antiquit tardive commence avec le rgne de Diocltien et se termine avec l'empereur byzantin Hraclius (284-610). D'autre part, certains tentent d'tablir leurs propres chronologies, ainsi Frank M. Clover et R. Stephen Humphreys distinguent deux Antiquits tardives, centres sur la Mditerrane (400-700) et le Proche-Orient (600-900). (Frank M. Clover et al., Tradition and innovation in Late Antiquity, Madison/London, University of Wisconsin Press, 1989, p.l 1 et 15.) Pour une brve introduction sur ce dbat de priodisation: Martin et al., op.cit., p.330.

  • la recherche des causes de la chute de l'Empire d'Occident.31 Comme l'affirmait H.-I. Marrou, il faut oublier la thse simpliste d'un Empire o tout dcline, mais sans pousser la thse jusqu'au paradoxe et fermer les yeux sur tout aspect ngatif... .32 Traditionnellement, les rvoltes bagaudes sont associes aux difficults de l'Empire tardif d'Occident.33

    Dans les annes 1920, C. Jullian avait aussi une perception assez ngative de l'Empire tardif. Il suppose galement que le nord-ouest de la Gaule, mme l'poque classique, serait plus sauvage, moins latinis que le reste de la Gaule, parce qu'elle possde moins d'inscriptions et de ruines monumentales. 4 Malgr les rares fouilles archologiques rurales menes son poque, C.Jullian comprend la diffrence fondamentale entre la lgende mdivale des chrtiens bagaudes et les rvoltes historiques.36 Il tablit que seule une confusion entre plusieurs versions des martyrs d'Agaune avait permis ce mythe mdival de

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    circuler. Aucun auteur antique ne peroit les soulvements bagaudes comme un mouvement chrtien. Depuis 1920, de nombreux articles ont t publis sur les bagaudes, sans toutefois 31 Cameron, op.cit., p.21-22. Ces difficults existent, mais les obstacles rencontrs par les Romains tardifs ont vari en amplitude selon les situations sociopolitiques, militaires, gographiques, etc. Les Romains rpublicains ou du Haut-Empire ont galement affront des difficults, mais sans que les historiens se rvlent aussi svres. Pierre Ouzoulias critique avec raison la vision historiographique apocalyptique de l'Antiquit tardive. (Pierre Ouzoulias, La dprise agricole du Bas-Empire: un mythe historiographique , Pierre Ouzoulias et a l , Les campagnes de l'le-de-France de Constantin Clovis: colloque de Paris, 14-15 mars 1996: rapports et synthses de la 2e journe, Paris, Dioecesis Galliarum, 1997, p. 10-12.) 32 Marrou, op.cit., p. 143. 33 Juan Carlos Sanchez Lon, Les sources de l'histoire des bagaude, Paris, Belles lettres, 1996, p. 14 et Edward Arthur Thompson, Peasant Revolts in late Roman Gaul and Spain , Past and Present,2, (1952), p.23. 34 Maligorne, op.cit.,p.\3. Cet auteur rsume ces propos de Camille Jullian, dans son Histoire de la Gaule, pour expliquer le peu d'intrt manifest pour la recherche dans le nord-ouest de la Lyonnaise. 35Ainsi Alain Ferdire, Les campagnes en Gaule romaine: Les hommes et l'environnement en Gaule rurale (52 av.J.-C. -486 ap.J.-C), tome 1, Paris,. ditions Errance, 1988, p.82 explique que l'archologie l'poque de C.Jullian n'avait repr que trs peu de sites agricoles (qu'une exploitation pour 1000 ha alors qu'aujourd'hui, l'archologue en compte souvent une pour 15 ha.) 36 Camille Jullian, Notes gallo-romaines LXXXVI: Castrum Bacaudarum-\es origines de Saint-Maur-des-Fosss, Revue des tudes anciennes, 22, 4e dition, 1967 (1920), p. 107-116. L'historien nationaliste raconte comment une lgende chrtienne s'est fixe sur le nom populaire d'une ruine sans qu'aucune source antique n'taye une allgation d'historicit. Un auteur mdival dplore dj l'absence de textes rapportant leur suppos martyre. Le Liber de compositione castri Ambaziae prsente des bagaudes chrtiens, mais cet ouvrage mdival est peu fiable: il prsente de srieux problmes de chronologie, des erreurs flagrantes et mme des contradictions. Son utilisation dans un travail srieux sur les bagaudes historiques est impensable. propos de ce texte: Lon Fleuriot, Les origines de la Bretagne: L'migration, Paris, Payot, 1980, p. 132 puis Pietri et al., op.cit, p.70, qui jugent ce texte plus svrement et non sans raison.

    La version d'Eucher prtendait que des troupes venaient en Gaule anantir des chrtiens, mais la rpression des chrtiens n'a jamais utilis des troupes militaires importes, les forces locales suffisaient pour ces perscutions qui commencrent aprs la premire bagaude (cette dernire eut lieu en 284/285, alors que les 4 premiers dits de perscutions diocltiennes furent publis en 303-304). En outre, le christianisme tait alors bien peu rpandu dans les campagnes gauloises (Dom. A. Lambert, Bagaudes , Dictionnaire d'histoire et de gographie ecclsiastiques, tome VI, Paris, ditions Letouzey et An, 1912-, p. 194).

    Selon John Nowell Linton Myres, Pelagius and the end of Roman Rule in Britain , Journal of Roman Studies, 50, (1960), p.21-36 qui pense que le pelagianisme serait li aux bagaudes. Notons au passage que mme au Ve sicle, le cheminement du christianisme fut lent dans la pninsule armoricaine, contrairement la rgion du val de Loire. (Giot et al., op.cit., p.84-87; Lanon, op.cit., p.81 ; Juan Carlos Sanchez Leon, Los Bagaudas: rebeldes, demonios y martires: revueltas campesinas en Galia e Hispania durante el Bajo Imperio, Jaen, Universidad de Jaen, 19%, p.53-55.) Voir pour la christianist ion postrieure du mouvement, Sanchez Leon, Bagaudas, op.cit., p.97-106; pour l'onomastique piscopale, Philippe Badot et al., Les mouvements sociaux au tournant de l'Antiquit et du Moyen ge: Prsentation de recherches en cours , Les tudes classiques, 60 (1992), p.241 et pour de fausses chartes de Saint-Maur des Fosss du Vile sicle professant le christianisme des

  • rsoudre tous leurs mystres. Le prsent travail ne prtend pas non plus tout clairer, mais seulement ajouter une nouvelle brique un difice dj ancien. En fait, nous sommes tous les hritiers de plusieurs tendances historiographiques qui ont dj tudi les bagaudes. Malheureusement, la littrature scientifique reste souvent difficile d'accs.39

    D'abord, un courant nationaliste et culturel a suppos que les rvoltes bagaudes dcoulaient de la construction ou de la persistance d'une identit anti-romaine. Des campagnards moins romaniss des rgions isoles de l'Empire auraient rejet les influences culturelles romaines. Des nationalistes y virent une volont de rsistance nationale gauloise face l'envahisseur romain.40 Si la thse des mouvements culturels minoritaires41 est soutenue par quelques auteurs aujourd'hui, le paradigme du mouvement pan-gaulois ou nationaliste est tomb en dsutude. Toutefois, un lment social autochtone, celtique en Armorique ou basque en Tarraconaise, aurait t un des dclencheurs de ces bagaudes. Cela parait incertain. En effet, l'indigence du matriel archologique peut aussi tre le signe d'un moindre dveloppement conomique. Elle n'est pas forcment la marque d'une moindre romanisation des esprits. Par exemple, la romanit peut bien s'y tre rpandue autant qu'ailleurs, mais avec des matriaux moins onreux, donc moins susceptibles de parvenir jusqu' nous.4 Nanmoins, diffrents auteurs ont trait les bagaudes comme des mouvements nationalistes de minorits.44 Cependant, R.MacMullen rappelle que rien n'tait moins celte ou basque que cette ide d'tat-nation. Ces rvoltes bagaudes n'taient pas non plus une insurrection de la classe sociale servile, rvolte lors du passage du mode de production esclavagiste au mode fodal. 5 Ce paradigme marxiste est vite tomb en disgrce,46 puis, les

    bagaudes: Pierre Gillon, Nouvelle histoire de Saint-Maur-des-Fosss, tome 1: des origines aux bagaudes, Paris, Le vieux Saint-Maur, 1987, p.71. 39 Badot et al., loc.cit, p.238: Les productions scientifiques abondent, mais ou bien elles se rvlent d'un accs difficile ou elles ne dpassent pas le stade d'une explication littrale des sources. Pour notre part, nous pouvons tmoigner que des articles d'histoire rgionale et des mmoires semblent avoir tout simplement disparus. 40 Cette vision nationaliste des bagaudes fut surtout populaire au XIXe sicle, lorsque les Franais voulaient reconstruire leur nationalisme mis mal par l'invasion prussienne de 1871 et la Commune de Paris (Sanchez Lon, Bagaudas, p.l 13- 118). 41 Sanchez Lon, Sources, op.cit., p.13 et surtout Idem, Bagaudas, op.cit.,pAS-55 dfend cette ide avec brio, mais ajoute que l'existence d'un conservatisme culturel ne justifie pas lui seul le phnomne bagaude, et il prfre traiter d'un mouvement social.

    D'aprs des fouilles rcentes Carhaix, Maligorne, op. cit., p.67, affirme qu'au IHe s et au dbut du IVe s.: ...les structures de reprsentation impliquent le maintien d'un type de sociabilit troitement li aux lites et marqu du sceau d'une romanit qui n'a rien de dcadent. 43 lbid,p.146 et p. 188, Y van Maligorne remarque que peu de grandes richesses se seraient constitues dans l'ouest de la Gaule durant l'Antiquit, contrairement l'Aquitaine. La pierre grave en gaulois avec des caractres romains Plumergat au IHe ou au IVe sicle reste un exemple isol de celtique (Giot et al, op. c/7.,,p.73), mais elle n'est pas si surprenante, cette inscription utilise un mgalithe dj ancien. En outre, l'usage du gaulois persiste, entre autres, parmi la noblesse auvergnate au Ve sicle (Fleuriot, op.cit., p.55) et les Gaulois du Nord (Sulpice Svre, Dialogi, I, 27, 2-4 pour Gai lus de Sancerre). D'ailleurs au Vie s., Grgoire de Tours et Fortunat le traduisent encore correctement. (Grgoire de Tours, Histoire des Francs, I, 32 et De Gloria Confessons, 72, MGH, 1884, p.790 et Fortunat, Carmina.X, 9, 5-10.) 44 Les tenants de cette hypothse taient Sanchez-Albornoz pour les Basques, et dans un ouvrage rcent pour les Gaulois, aisment accessible au grand public, mais en rien scientifique: Maurice Bouvier-Ajam. Cette critique s'ajoute celle de Sanchez Lon, Sources, op.cit., p.13. Dans son commentaire, Alain Tranoy, Chronique d'Hydace, tome 2, Paris, dition du Cerf, 1974, p.47 et suivantes, l'auteur soutient galement que les bagaudes espagnols taient basques. Il s'agit donc d'un terme polysmique dont le sens dterminera l'utilisation des majuscules (majuscule pour les gentils ou minuscule pour les partisans ou les insurgs). 45 Pour une explication de la position des marxistes: Delaplace et al., op.cit.,p. 139.

    4T

  • historiens largirent la typologie sociale des rvolts pour se conformer aux sources. Ainsi, l'ide de la rvolte sociale des esclaves et des autres subalternes contre les propritaires fonciers a t rcupre, entre autres, par E.A.Thompson,47 P.Docks48 et J.C Sanchez Lon.49

    G.B.Castaneda suppose que ces grands propritaires terriens des rgions priphriques de l'Empire n'taient pas dfendus par l'arme romaine que lors des priodes de crise. De surcrot, en condition critique, les contradictions internes de cette socit se seraient exacerbes jusqu' l'insurrection.50

    Un autre groupe d'historiens considrent au contraire que la socit romaine avait trop de liens verticaux pour qu'une polarisation entre les pauvres et les mieux nanties se produise. R.MacMullen, le premier, prsuma que de riches propritaires rgionaux s'taient crs des little realms, des petits domaines, o ils rgnaient durant les troubles.51 Le second, J.Drinkwater, ajouta que ces propritaires fonciers taient probablement les patrons des troupes bagaudes. Par la suite, R.Van Dam considra que ces bagaudes propritaires domaniaux avaient usurp des pouvoirs impriaux en zone priphrique. Il ne s'agirait donc pas d'une remise en question socitale, mais d'un retour des liens de dpendance traditionnels sous l'gide de chefs locaux.53 Par contre, D.Whittaker s'oppose partiellement ces thories, le mouvement bagaude ne serait qu'une forme extrme d'armes de dpendants, qui s'opposerait au patronage traditionnel des curiales. sa place, d'autres patronages concurrents, comme ceux de militaires, se seraient rpandus. En consquence, il y aurait donc bien eu une remise en question socitale par le rejet d'un patronage ancien.54

    La tendance actuelle est une vision plus diversifie du mouvement bagaude, plusieurs mcontents s'y seraient rallis pour s'opposer aux intrts romains. Les cadres proposs prcdemment comme la lutte contre les riches propritaires ou le patronage sont parfois adopts ou rejets par les historiens plus rcents.55 C.Delaplace et al. traitent d'une

    Delaplace et al, op.cit., p.139; Ferdire, Campagnes, op.cit., p.l 11 crit que l'esclavage dans les campagnes gauloises a t exagr par les marxistes, et Van Dam, op.cit., p. 25-27 est d'accord, il ajoute sa propre critique, trs pertinente, sur cette mthodologie strictement concentre dbusquer les contradictions internes d'une socit. MacMullen, op.cit., p.198 et 214-215 dnonce surtout les anachronismes qui projetaient sur la socit romaine des concepts modernes comme les classes sociales ou les tats-nations. 47 Thompson, loc.cit., p.l 1-12 et 14. Cet auteur persistait croire en une participation massive et cruciale des esclaves. 48 Pierre Docks et al.. Sauvages et ensauvags, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1980, p. 156-158. 49 Sanchez Lon, Bagaudas, op.cit., p.53 et 66. 50 Gonzalo Bravo Castaneda, Acta Bagaudica: Sobre quienes eran bagaudas y su possible identification en los textos tardios, Grion 2 (1984), p.256. Cependant, une question se pose: partir de quand les contradictions internes d'une socit produisent-elles son effondrement ou une rvolte de masse? 51 John Drinkwater, "Patronage in Roman Gaul and the problem of the Bagaudae", Andrew Wallace-Hadrill, Patronage in Ancient Society, London/New York, Routledge, 1989, p. 197-198. 52Ibid., p. 196 et il crit p.200 que la bagaude est le rsultat de la faillite du systme de patronage. 53 Van Dam, op.cit., p.25-27. 54 Dick Whittaker, Landlords and Warlords in later Roman Empire , John Rich et al., War and Society in the Roman World, London/New York, Routledge, 1993, p.288. '5 Pour des historiens qui utilisent les concepts de patronage de MacMullen, Drinkwater et Whittaker, voir Garnsey et al, op.cit., p.137-138 et David Harry Miller, "Frontier Societies and the Transition Between Late Antiquity and the early Middle Ages", Ralph W. Mathisen et al., Shifting Frontiers in Late Antiquity, Cornwall (R.-U.), Variorum, 1996, p.58-66 qui pense que les bagaudes ne seraient qu'une des consquences de la militarisation et du renforcement du lien patron-dpendants dans les socits frontalires. D'autres historiens refusent ce lien bagaude-patronage: Badot et al., Les religions devant les mouvements sociaux de l'Antiquit

  • collusion d'intrts de dclasss sociaux (brigands, notables dchus, colons fugitifs, paysans indpendants ruins, dserteurs, etc.). G.B.Castaneda n'oublie personne et spcifie toutes les divisions de la socit romaine.56 Tous les amalgames taient possibles , admet mme P.-R.Giot.57 Malheureusement, la vision du mouvement bagaude devient tellement large, que tout marginal ou brigand gaulois peut tre dsign comme un bagaude, que les sources anciennes auraient oubli de dsigner ainsi. Peu importe si une rvolte bagaude est atteste dans la rgion son poque. J.Drinkwater propose mme que le terme de bagaudes, aprs le IHe sicle, serait rutilis pour ...toutes les activits violentes et illgales en Gaule. 58 Le terme de bagaudes semble s'largir progressivement quiconque s'oppose aux lois romaines dans l'historiographie, mais pas dans les sources. P.Badot et D.de Decker s'lvent contre ce point de vue pour affirmer une constante religieuse aux IHe et Ve sicles.59 Nanmoins, cela demeure dmontrer. Les troubles du IHe et du Ve s. sont-ils vraiment de mme nature? Comment les auteurs anciens dterminaient-ils qu'un tel groupe tait bagaude? Nous notons galement qu'aucune recherche prcdente ne pose la question des interactions socit-environnement, une tendance historiographique qui prend de plus en plus d'ampleur. Un facteur environnemental aurait-il t prsent dans ces rbellions?

    La chronologie des variations environnementales de l'Antiquit romaine Le climat est souvent accus d'avoir dtruit l'Empire romain,60 mais il est certain

    aujourd'hui que ce ne fut pas le cas,61 bien que son systme conomique ait t vulnrable aux alas environnementaux, comme le ntre. Nanmoins, la grande question est de savoir quelle fut la part du facteur anthropique et du facteur environnemental dans cette priode

    tardive: l'exemple des Bagaudes , Les tudes classiques, 66, (1998), p.91-93 affirment une origine religieuse au mouvement. Tandis qu'Edith Mary Wightman, Roman Trier and the Treveri, New York, Praeger, 1970, p.55 voit les bagaudes seulement comme une bande de brigands pratiquant une sorte de gurilla. Pour notre part, les sources sur les bagaudes du IHe sicle ne sont gure concluantes au sujet du lien bagaude-patronage. 56 Delaplace et al, op.cit., p. 139 et Castaneda, loc.cit., p.256 qui spcifie: les ingnus, les esclaves, les colons et les affranchis. Pour Wightman: supra, mme page, note prcdente. 57 Giot et al., op.cit., p.73 et en tudiant l'historiographie, il est difficile de lui donner tort... 58 John Drinkwater, The Bacaudae of fifth-century Gaul , John Drinkwater et al., dir., Fifth-century Gaul: a crisis of identity?, Cambridge, Cambridge University Press, 1992, p.208. II propose une absence de liens entre les mouvements du IHe et Ve sicles. Cependant, sa dclaration semble critiquable, pour le Ve sicle, l'usage du terme bacaudae ne s'est pas limit la Gaule et tous les auteurs d'activits violentes internes et illgales ne sont pas qualifis de bagaudes dans les sources, du moins. Pour l'oral, il n'en reste plus de trace. Pour le lien entre les bagaudes et les brigands au IHe s., infra, chapitre II, p.71-77. 59 Badot et al, Mouvements , loc.cit., p.242. 60 D'une part, parmi d'autres causes invoques et nuances: Robert Delort et al . Histoire de l'environnement europen, Paris, PUF, 2001, p. 191, Claude Raynaud, Les campagnes rhodaniennes: quelle crise? , Jean-Louis Fiches, dir., Le IHe sicle en Gaule Narbonnaise: donnes rgionales sur la crise de l'Empire, Antibes, ditions APDCA, 1996, p. 189 et Ferdire, Campagnes, op.cit. , p.207. D'autre part, mais de manire moins nuance, il y a J. Donald Hugues, Ecology in Ancient Civilization, Albuquerque, University of New Mexico Press, 1975, p. 128 et 134. Et pour du dterminisme climatique: Ellsworth Huntington, Civilization and climate, New Haven (Conn.), Yale University Press, 1915 attribue la chute de l'Empire au climat sur la base d'une tude dendrologique des squoias californiens...Cela peut faire sourire, mais il innovait l'poque et ne se doutait gure de la complexit du systme climatique.

    1 Pour la complexit de l'attribution de la chute de l'Empire au climat seulement: Pascal Acot, Histoire du climat: du Big Bang aux catastrophes climatologiques, Paris, Perrin, 2003, p.133, Delort et al., op.cit., p. 191 et Jared Diamond, Collapse: How Societies chooses to Fail or Succeed, New York, Penguin Books, 2006, p. 13-14. 62 Peter Garnsey et al., Patronage of the Rural Poor in the Roman World , Wallace-Hadrill, op.cit., p.155 notent la grande vulnrabilit des paysans romains dont l'effort pour survivre peut tre rduit nant par de mauvaises rcoltes.

  • mouvemente...63 Au-del des valuations des climatologues et palontologues, qui nous transmettent des courbes climatiques plus ou moins fines selon diffrents marqueurs climatiques,64 une certaine diversit rgionale apparat.65 La multitude des tudes paloclimatiques permet de percevoir les principales priodes de variation climatique sur la moyenne dure. En Europe non mditerranenne, R-Bedon66 et C.Allinne67 distinguent une priode de tendance plus froide jusqu' 150/250, suivie d'un rchauffement68 qui selon C.Allinne se termine vers 400/500. Lors des premiers soulvements bagaudes, le climat semble de plus en plus favorable l'agriculture. Pour parvenir ces courbes paloclimatiques, une grande diversit de mthodes et de marqueurs palo-environnementaux est utilise, d'o la relative imprcision des rsultats actuels. En outre, il y a peu de publications sur la Gaule non mditerranenne.69

    D'autres facteurs environnementaux ont pu affecter l'Empire tardif et nos bagaudes. Ainsi, les tudes montrent une transgression littorale durant la fin de l'Antiquit.70 Il est

    63 Propos de Marcel Jollivet rapport par Delort et al , op.cit., p.42-43: L'histoire devrait permettre de comprendre un schma causalit multiple. Brent D. Shaw, War and Violence , Glen Warren Bowersock et al., Interpreting Late Antiquity: Essays on the Postclassical World, Cambridge/London, Belknap Press of Harvard University, 2001, p. 140 traite galement de cette sparation difficile tablir entre l'environnemental et le culturel. Nathalie Carcaud et al., Rive droite rive gauche: la Loire et Tours (XHe-XVe sicles) , Jolle Burnouf et al., Fleuves et marais, une histoire au croisement de la nature et de la culture, Paris, CTSH, 2004, p. 141 rencontre un problme similaire avec le systme hydrofluvial ligrien au XVe s. l'poque romaine, Jean-Franois Berger, Climat et dynamique des agrosystmes dans la moyenne valle du Rhne , Fiches, op.cit., p.299 admet l'existence de cette difficult. 64 Ces diffrents marqueurs ne sont pas synchrones. Voir Philippe Leveau et al., La crise environnementale de la fin de l'Antiquit et du Haut Moyen ge: dfinition d'un modle et retour aux milieux rels., Herv Richard et al., Equilibres et ruptures dans les cosystmes durant les 20 derniers millnaires en Europe de l'Ouest, Paris, ditions Errance, 1995, p.297 et Michel Magny, Une histoire du climat, des derniers mammouths au sicle de l'automobile, Paris, ditions Errance, 1995, p.57. 65 Berger, loc.cit., p.317 traite de petits dcalages chronologiques selon les rgions. 66 Ccile Allinne, L'volution du climat l'poque romaine en Mditerrane occidentale: aperu historiographique et nouvelles approches , Ella Hermon, d., Vers une gestion intgre de l'eau dans l'empire romain: actes du colloque international, Universit Laval, octobre 2006, Rome, L'Ermadi Bretschneider, 2008, p.93. 67 Ella Hermon, Bilan et perspectives de la journe d'tude du 3 avril 2008: changements climatiques dans une perspective historique et systmique des interactions socit-environnement naturel , Ella Hermon, Socits et climats dans l'Empire romain: pour une perspective historique et systmique de la gestion des ressources en eau dans l'Empire romain, Naples, Editoriale Scientifica, 2009, p.3-18. 68 Ce rchauffement est aussi repr par Franco Ortolani, Changements climatiques et environnementaux des derniers 3000 ans dans l'espace mditerranen , Hermon, Socits, op.cit., p.51-68 ; et par Pierre Jailette. "Il n'y a plus de saison:" lieu commun, climat et dcadence dans l'Antiquit tardive , Robert Bedon et al.. Concepts, pratiques et enjeux environnementaux dans l'Empire romain, 5e dition, Centre de recherche Andr Piganiol, PULIM, 2005, p.324 et par Jean-Franois Berger et al., volution des agro- et des hydrosystmes dans la rgion mdio-rhodanienne, Pierre Ouzoulias et al., dir., Les campagnes de la Gaule la fin de l'Antiquit, Antibes, dition APDCA, 2001, p.378-379. 69 Robert Bedon, Climat, mtorologie et environnement en Gaule non mditerranenne , Ella Hermon, Socits et climats dans l'Empire romain: pour une perspective historique et systmique de la gestion des ressources en eau dans l'Empire romain, Naples, Editoriale Scientifica, 2009, p. 179-206. 70 Pour toute la Gaule, elle est observe par Ferdire, Campagnes, op.cit. , p.32-33 et Franois de Izarra, Hommes et fleuves en Gaule romaine, Paris, dition Errance, 1993, p.33. Dans l'ouest de la France, elle est constate sur des sites archologiques comme Bazan, dans l'estuaire de la Charente (Alain Bouet, La mort de Barzan et la naissance du Litus Saxonicum , Jean-Pierre Bost et al , op.cit., p. 102); Million, (Catherine Bizien-Jaglin et al., Ctes-d'Armor, Paris, Acadmie des Inscriptions et des Lettres, 2002, p. 162) ; Clis (Provost, Loire-Atlantique, op.cit., p.68) et Alet, en Ille-et-Vilaine (Leroux et al., op.cit.,p.23S).

  • 10

    difficile de cerner les causes de ce phnomne.71 Les effets de cette hausse des niveaux 72 maritimes ne sont que rarement quantifiables. D'autres auteurs contemporains dsignent une

    possible dgradation pdologique ayant diminu les revenus individuels et impriaux.73 Or, l'puisement des sols tait un problme invisible pour la majorit des communauts prmodemes. Son ampleur demeure largement inconnue. Quant la deforestation, ce n'tait apparemment plus un problme l'poque romaine tardive.74 Les soulvements bagaudes apparaissent dans ce contexte environnemental difficile cerner. Tout ce que nous connaissons d'eux parvient spcifiquement des sources historiques.

    Une rvolte perue comme un phnomne secondaire de l'Histoire: varit du corpus de sources qui traite des bagaudes

    Chaque source constitue une vision subjective et partielle de la ralit historique. Pour l'lite aristocratique et ecclsiastique, dont seuls les textes ont survcu, l'Empire reprsente le centre de la civilisation.75 Mme les Romains provinciaux ou ruraux sont considrs comme moins civiliss, la limite, barbares.76 Ces auteurs ont une vision dfavorable des bagaudes.77

    71 Ferdire, Campagnes, op.cit., p.32 et 226 pense que la transgression maritime est un indice d'une dgradation climatique aux IVe et Ve sicles (un lger refroidissement). Il soutient plutt une plus grande humidit dans un ouvrage plus rcent: Ferdire et a l , Histoire de l'agriculture en Gaule: 500 av.J.-C.-1000 apr.J.C, Paris, ditions Errance, 2006, p. 135, mais spcifie que cela reste toujours hypothtique. Georges Depeyrot, Le Bas-Empire romain: conomie et numismatique, Paris, Editions Errance, 1987, p. 12 affirme plutt que cette transgression maritime est due un climat plus humide et plus frais qu'auparavant. Toutefois, Giot et al., op.cit., p. 19-20 soulignent que la pninsule armoricaine est constitue d'environ six plaques tectoniques comprimes et accoles du nord au sud et toujours actives, les constations des sites archologiques sont peut-tre insuffisantes? n Galliou et al, op.cit., p.105 n'hsitent pourtant pas crire que cette transgression maritime fora les Germains littoraux migrer vers des terres plus accueillantes! Ferdire, Campagnes, op.cit., p.33 expose cette thorie avec davantage de nuances. 73 David R. Montgomery, Dirt: the Erosion of Civilization, Berkeley, University of California Press, 2007, p.62-63 postule qu'une rosion dramatique des sols et une dgradation anthropique de leur fertilit auraient rduit l'alimentation disponible pour les habitants de l'Empire tardif et affect son gouvernement. Diamond, op.cit., p.13-14 n'est pas si catgorique. Quoi qu'il en soit, le nord de la Gaule parait relativement pargn. Cependant, l'absence d'tude systmatique de l'ensemble du corpus archologique et palo-environnemental est peut-tre l'origine de cette impression. Exceptionnellement, Jean-Mary Couderc, Forts et dfrichements en Touraine dans l'Antiquit , Le bois et la fort en Gaule et dans les provinces voisines, Tours, Errance, 1985, p. 126 mentionne les landes de Cravant, exploites temporairement de 50 180 ap. J.-C. Leur mise en culture fut facile, mais les sols furent rapidement dtriors par la podzolisation et le lessivage rosif. 74 La deforestation n'est pas inconnue dans le nord-ouest de la Gaule, elle apparat ds le Nolithique moyen, mais fut plus prsente lors du second ge du Fer. Elle s'intensifia au Haut-Empire, avant un certain redploiement de la lande durant la priode tardive. (Dominique Marguerie, L'tat du milieu forestier durant la Protohistoire et l'Antiquit en Bretagne, l'apport de l'anthracologie , Jean-Claude Bai, L'arbre et la fort, le bois dans l'Antiquit, Paris, Boccard, 1995, p.29-30; Marguerie et al., Les traces d'amnagement et d'agriculture en Armorique, Penn Ar Bed\"57>, 4, (1994), p.47-48; Giot et al., op.cit., p.46; Galliou et al., op.cit., p.107 et Loc Gaudin. Transformations spatio-temporelles de la vgtation du nord-ouest de la France depuis la fin de la dernire glaciation: reconstitutions palo-paysagres , tome 1, thse de doctorat, Rennes, Universit de Rennes-1, 2004, p.229 se prononcent plutt pour une avance forestire ds le IHe s., mais l'un n'exclut pas l'autre. 75 Marie-Claude L'Huillier, L'Empire des mots: orateurs gaulois et empereurs romains 3e et 4e sicles, Paris, Belles Lettres, 1992, p.69. 76 Alain Chauvot, Barbarisation, acculturation et "de la culture" dans l'Antiquit tardive, Antiquit tardive, (2001), p.81. 77 Incluant Salvien, qui les regarde comme des victimes du fisc, mais aussi comme des barbares. (Salvien, De Gubernatione Dei, V, 22 et 26) Pour la vision des Anciens face aux brigands, voir Catherine Wolff, Les brigands en Orient sous le Haut-Empire, Paris, Editions de l'cole franaise de Rome, 2003, p. 1-2.

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    Cette reprsentation sociale dcoule de l'interaction entre les systmes social et naturel.78

    Certains auteurs antiques ne considrent pas les bagaudes comme dignes d'histoire et les ignorent totalement.79 Aucune source ne traite des bagaudes pour eux-mmes, elles le font dans des modles de la littrature classique, pour magnifier les faits d'empereurs, d'un haut grad, ou d'un saint; pour abrger l'histoire de l'Empire romain ou pour justifier la colre de Dieu83. Dans ce mmoire, le corpus de sources est celui analys et rassembl par J.C. Sanchez Lon dans Les sources de l'histoire des bagaudes. En effet, cet historien a tudi tous les textes portant sur les bagaudes et il a dtermin leur filiation, leur authenticit et leur valeur historique que nous utiliserons pour notre propos qui a pour objectif de reconstituer la vision la plus proche des vnements rapports entre le III et le Ve sicle.84 Ainsi, les passages postrieurs au Vile sicle traitent davantage de lgendes mdivales que de faits historiques, pour cette raison, je les ai exclus de cette recherche. Le corpus de sources de Sanchez Lon runit non seulement des passages connus, mais galement ceux d'origines obscures, parfois conservs seulement de manire fragmentaire que nous retenons en raison de leur rapport avec les propos de notre recherche.86 Cependant, les sources historiques, bien qu'irremplaables, ne refltent pas toujours fidlement la ralit objective, les sources archologiques doivent les complter. De ce ct, l'Antiquit tardive a longtemps souffert d'un manque d'intrt de la part des chercheurs, encore davantage en milieu rural.88 C'est

    78 Infra, chapitre I, p.47-50. 79 Entres autres, Ammien Marcellin, Histoire, XXVII, 2, 11 et XXVIII, 1, 15. Il prcise alors qu'il ne traite que de ce qui est digne d'tre racont et que l'histoire se construit avec des faits significatifs, dans Castenada, loc.cit., p.259. Mamertin prcise que l'empereur Maximien prfre oublier sa victoire sur les bagaudes plutt que s'en glorifier (Mamertin, Pangyrique de Maximien, IV, 4) tandis que l'anonyme du Querolus prfre taire des informations plus graves sur les habitants du bord de la Loire (Querolus, scne 2, 30). Comme l'crit Charles W. Hedrick Jr., History and Silence: Purge and Rehabilitation of Memory in Late Antiquity, Austin, University of Texas Press, 2000, p. 122: "// may be useful to think of silence as a way of representing a limit, a boundary. " Lorsqu'Aurlius Victor rsume son Livre des Csars dans son Epitome de Caesaribus, il enlve les informations portant sur les bagaudes, signe qu'elles n'taient pas cruciales pour lui (Delaplace et al , op.cit., p.582). 0 Par les pangyriques, le corpus qui traite des bagaudes du IHe sicle en comprend deux attribus Mamertin

    (Pan.latins II et III) et celui anonyme Maximien et Constantin (Pan.latins.Vl). Dans ce mmoire, l'ordre numraire et chronologique, tabli par Edouard Galletier, est utilis et non celui des manuscrits, pour voir les correspondances: L'Huillier, op.cit., p.24. 81 Par l'hagiographie, le corpus comprend des Vies de saint Martin par Sulpice Svre, Paulin de Prigueux et Venance Fortunat; la Vie de saint Germain par Constance de Lyon, puis trois textes anonymes: la passion de saint Typasius et deux versions des martyrs d'Agaune (la lgion thbaine, version XI et X2). 82 Ce modle historique perdura jusqu'au Vile s. avant d'tre envahi par les lgendes et les faits difiants (Averil Cameron, Remaking the Past, Bowersock et al., op.cit, p.6). 83 Salvien, Du gouvernement de Dieu, V. 84 Sanchez Leon, Sources, op. cit., p.9-16. 85 Cameron, loc.cit., p. 13 et pour les lgendes mdivales: supra, introduction, p.5 et n.36. 86 Ainsi des informations sur les rvoltes bagaudes du Ve s. sont tires des textes fragmentaires de Rutilius Namatianus, Zosime et Jean d'Antioche. Voir l'Annexe V: Tableau synoptique du corpus de sources sur les bagaudes. 87 Christie, op.cit., p.9: elle dcrit des sites o des dcouvertes archologiques contredisent des auteurs anciens, entres autres, le Biferno surveys a trouv des villae, de sites dfensifs ou religieux Molise(Samnium), bien que Paul le diacre l'ait dcrit comme un locus desertus. 88 Lanon, op.cit., p.22 note un: dsintrt durable pour des sicles rputs obscurs... , ou pire encore: Trop souvent, les couches tardo-antiques des chantiers de fouilles furent vacues pour dgager les "strates intressantes" des sicles antrieurs. Voir galement, Christie, op.cit., p.8; Yves Moderan, Empire romain tardif (235-395 ap.J.-C.), Paris, Ellipses, 2003, p.17 et Van Ossel, op.cit., p.79-81 et 171. En outre, en Armorique, le dsintrt pour cette priode tait empir par le manque d'inscriptions lapidaires (Maligorne, op.cit., p.16, 145 et 194 ainsi que Patrick Galliou, Commerces et socit en Armorique romaine , L'ocan et

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    cependant grce aux documents non crits que l'histoire de l'empire tardif doit ses plus importants progrs dans les cinquante dernires annes. La rvolution des techniques archologiques a t ici dcisive. Nanmoins, il subsiste des difficults quant la datation de la numismatique90 et de la cramique. ' L'ingalit des prospections92 et de mauvaises interprtations des fouilles 3 peuvent dformer notre perspective. Malgr l'essor des tudes sur l'Antiquit tardive, il manque de nombreuses donnes archologiques sur l'Armorique romaine tardive,94 comme le prouvent la dcouverte de la domus de Carhaix en 1996-1997. Les rsultats archologiques publis pour quatre civitates de la pninsule armoricaine et l'Indre-et-Loire sont utiliss comme un chantillon pour la Gaule tardive. La pninsule armoricaine est considre comme un ensemble rgional valable par les chercheurs.95 Tours, loigne de la frontire germanique, a t ajoute pour accentuer le caractre citadin de cet

    les mers lointaines dans l'Antiquit, Paris, Boccard, 1991, p.26). Cela a galement des effets sur la mise en valeur des sites archologiques, Jacques Biarne nous a parl des thermes d'Entrammes (Mayenne), dcouverts en 1987, o une reconstitution de l'tat classique des bains du Ile s. a occult le niveau d'une glise chrtienne tardive. 89 Citation de Moderan, op.cit., p. 17. 90 Par exemple, H. Krbel explique que les monnaies et minimi de Ttricus (empereur gaulois , 270-274) auraient t produits vers 290-300 et auraient circul jusqu'en 320! Ainsi, toutes les datations bases sur elles seraient assez incertaines (Herv Krbel, Le dclin progressif de Corseul (Ctes-d' Armor), ancien chef-lieu de la cit des Coriosolites , Alain Ferdire, Capitales phmres: des capitales de cits perdent leur statut dans l'Antiquit, Tours, FERACF, 2004, p. 157-172). Yvan Maligorne note galement ce problme, surtout avec ces imitations de monnaie de Ttricus qui auraient circul jusque dans les annes 330. OVIaligorne, op.cit., p.176, 187-188). Voir galement Alain Ferdire, Les Gaules Ile av.J.-C- Ve s. apr. J.-C., Paris, Armand Colin, 2005, p.301.

    1 La premire monographie sur la cramique tardive ne date que de 1972 (John Hayes, Late Roman Pottery, d'aprs Cameron, op.cit, p. 13). Les implantations rurales du Bas-Empire ne sont repres que lorsque de la cramique ou de la monnaie typiquement tardives y est trouve. Malheureusement, les importations et la culture matrielle sont plus rduites au Bas-Empire (Christie, op.cit., p.4-5 et pour les restes laisss en Armorique par ce mode de vie simplifi, voir Giot et al., op.cit., p.45). Les cramiques locales demeurent mal connues. En consquence, les sites tardifs sont difficiles identifier (Couderc, loc.cit., p.128 et Astill et al, op.cit.,p.!5). L'tude des cramiques communes n'en est qu' ses balbutiements (Catherine Balmelle et al, Les campagnes de la Gaule du sud-ouest aux IVe et Ve sicles , Ouzoulias et al..Campagnes, op.cit., p.219). En outre, aprs la fin du IVe sicle, le mobilier datable diminue progressivement (Bizien-Jaglin et al., op.cit., p.52 et Van Ossel, op.cit., p.77).

    Les prospections sont d'une efficacit ingale et certains secteurs sont davantage prospects que d'autres (Leroux et al, op.cit., p.30-31). La prospection pdestre est mme inutile dans les secteurs fort recouvrement (Berger et al., Donnes palogographiques et donnes archologiques dans le cadre de l'opration de sauvetage archologique du TGV-Mditerrane , La dynamique des paysages protohistoriques, antiques, mdivaux et modernes, Antibes, Editions APDCA, 1997, p. 180). La prospection arienne a aussi des rsultats varis: efficace dans l'est de l'Armorique, elle est moins commode dans l'ouest (Giot et al., op.cit, p.21-22.) 93 Pour les difficults d'interprtation des rsultats de fouilles archologiques, voir Bizien-Jaglin, op.cit, p.l 15; Pierre Ouzoulias et al , Dynamiques du peuplement et formes de l'habitat tardif: le cas de l'le-de-France , Ouzoulias et al.. Fin, op.cit, p. 157-161, Raymond Brulet, La Gaule septentrionale au Bas-Empire, Trves, Reinisches Landermuseum, 1990, p.288 et Grard Coulon, Les Gallo-Romains: les villes, les campagnes et les changes, tome 1, Paris, Armand Colin, 1990, p. 87. 94 L'archologie armoricaine serait moins dveloppe que celle du Centre de la France (Leroux, op.cit, p.23 et 30 ainsi que Provost, Loire-Atlantique, op.cit, p.26). La dcouverte de nouveaux sites archologiques est troitement lie aux dveloppements d'infrastructures ou de zones industrielles, ce qui favorise les rgions plus industrialises, et non le nord-ouest de la France (Claude Lorren et al., L'habitat rural du haut Moyen ge: France, Pays-Bas, Danemark et Grande-Bretagne, Rouen, Association franaise d'archologie mrovingienne et Muse des antiquits de Seine-Maritime, 1995, p.l). 5 Maligorne, op.cit, p. 13: Le savant distingue clairement les cinq cits les plus occidentales-Osismes

    (Carhaix), Coriosolites (Corseul), Ridons (Rennes), Vntes (Vannes) et Namntes (Nantes), qui composent ce que l'on a coutume d'appeler l'Armorique...

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    chantillon.96 Lorsque cela s'est avr possible, des tudes sur des sites rgionaux ont t consultes.97 Nanmoins, la vision notre disposition de la pninsule et de la Tours tardives reste assez modeste et pourrait voluer dans un avenir assez proche.98 ces sources, l'on ajoute lorsque c'est possible, des sources environnementales. En effet, les indicateurs palo-environnementaux donnent des indications directes sur la gestion socitale de l'environnement, bien qu'il soit parfois difficile de dpartager les facteurs anthropiques et environnementaux. Ainsi, F.Trment et al. supposent une possible hausse de la pluviosit en Grande-Limagne durant l'Antiquit tardive, mais ils admettent aussi que cette interprtation peut dcouler de facteurs anthropognes (le colmatage des fosss de drainage naturel ou le

    i no manque d'entretien). Cet angle novateur enrichit cette tude pour cerner l'identit bagaude.

    Une mthode interdisciplinaire pour mieux dfinir une rvolte Malgr tout ce qui a t crit sur les bagaudes, il convient de les tudier davantage. En

    effet, beaucoup d'auteurs n'ont pas mis dans leurs contextes des informations provenant d'poques et de rgions diffrentes.101 Le IHe sicle n'est pas similaire au Ve sicle.102 En recherchant des informations sur les bagaudes, on constate comme J.C. Sanchez Leon,

    96 En concentrant cette illustration sur le nord de la Gaule occidentale, cette recherche se prive de certaines donnes archologiques, toutefois, elle contribue galement une perception plus diverse, rgionale et raliste de la Gaule. Cette dernire n'tait pas uniquement habite sur la frontire rhnane et dans le Midi o se concentrent les fouilles et les sites les plus riches. Pour la pninsule armoricaine, les cartes archologiques de la Loire-Atlantique, de la Ctes-d'Armor, d'Ille-et-Vilaine et du Finistre sont utilises. Malheureusement, nous n'avons pas pu consulter la nouvelle parution sur le Morbihan. La carte du dpartement d'Indre-et-Loire a t ajoute pour voir la progression des sites tardifs dans une rgion plus citadine. 97 Par exemple, les fouilles de Paul Van Ossel et Pierre Ouzoulias sont galement prises en compte pour dresser un portait aussi reprsentatif que possible de la Gaule du IHe sicle. 98 Maligorne, op.cit., p. 14: ...la reprise rcente de l'exploration de vastes ensembles, comme la villa du Quiou (Coriosolites) ou celle de Man-Vchen, Plouhinec (Vntes), laisse augurer de nouveaux et sensibles progrs. Puis, il ajoute, p.188: ...mais maintenant que la fin du IHe s. n'est plus considre comme une limite imprieuse, les donnes devraient rapidement s'accumuler et gagner en paisseur. 99 Ces dernires sont trs varies, leur utilisation en histoire est relativement rcente et leur interprtation est assez difficile. Cependant, ils peuvent parfois tmoigner du contexte palo-environnemental et rvl l'ampleur de la deforestation, des changements pdologiques, de la perte de fertilit, de la salinit et mme du manque de terres. Annie Antoine, Archologie du paysage et histoire culturelle de l'Ouest , Annales de la Bretagne et de l'Ouest (Anjou, Maine, Touraine), 103,2, (19%), p. 12. L'on peut consulter les tudes archomtriques produites pour comprendre l'cologie d'un site archologique (Ferdire, Campagnes, op.cit, p. 18). Elle peut dtecter des indices de mise en cultures, par l'tude des pollens et des graines (en palynologie et en carpologie, Giot et al., op.cit, p.47), les tudes du bois anciens (en xylologie), l'tude des charbons de bois (en anthracologie, Gaudin, loc.cit, p. 187), et les tudes des sdiments (comme les carottages effectus Cordemais). Voir Anne-Laure Cyprien et al., Le problme des ports de Loire dans l'estuaire, de la priode gallo-romaine au Moyen ge , Grard Mazzochi, Approche archologique de l'environnement et de l'amnagement du territoire ligrien, Orlans, Fdration archologique du Loiret et tudes ligriennes, 2003, p. 126. 100 Frdric Trment et al., Habitat et milieu humide en Grande Limagne de l'ge de Fer au Moyen-ge. Essai de spat iali sat ion dynamique des relations socits-milieu , Jolle Burnouf et al.. Fleuves et marais, une histoire au croisement de la nature et de la culture, Paris, CTHS, 2004, p. 104. 101 D'aprs Badot et al, Mouvements , op. cit., p.238. D'ailleurs Ian Wood, "The End of Roman Britain: Continental Evidence and Parallels , Michael Lapidge et al., Gildas: New Approaches, Cambridge, The Boydell Press, 1984, p.4 s'interroge dj sur la pertinence d'associer systmatiquement les bagaudes du IHe et du Ve sicle, hormis au sujet de l'opprobre des auteurs anciens pour les deux mouvements. Parmi les nombreux auteurs qui associent les mouvements homonymes du IHe et du Ve sicle: Marrou, op.cit., p.138; Drinkwater, Bacaudae, loc.cit, p.214 et Clifford Edwards Minor, Brigand insurrectionist and separatist movements in the Later Roman Empire, Michigan, Ann Arbor, 1971, p. 149-150, etc.

    Supra, introduction, p. 1-4.

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    J.Drinkwater et R.Van Dam, qu'il n'y a aucune source sur les bagaudes au IVe s. Il y a bien 104 du brigandage en Gaule au IVe s, mais il y en avait dj bien avant. Nanmoins, certains

    historiens supposent que cette absence de sources est due la retraite des bagaudes qui se cacheraient dans de vastes forts sauvages.105 Si les Anciens ne traitent pas de bagaudes au IVe s., il est possible qu'il n'y en ait pas eu cette poque. Furent-ils tous anantis par Maximien au IHe s.? Alors pourquoi ressurgissent-ils au Ve sicle dans le nord-ouest de la Gaule, dans les Alpes et en Espagne? Il s'agit d'un problme identitaire, les bagaudes constituent une identit et renvoient une ralit abstraite qui volue et s'adapte. Comme K.Blouin106 l'explique, une reprsentation identitaire peut servir d'outil d'intgration, mais aussi d'exclusion. L'identit varie aussi avec le temps: les bagaudes du IHe sicle ne sont pas les bagaudes du Ve sicle, les bagaudes espagnols n'ont pas ncessairement de liens directs avec leurs homonymes armoricains.

    Comment justifier l'absence apparente de cette identit au IVe sicle et sa reprise au Ve sicle? Cette tude n'apportera pas toute la lumire sur le mouvement bagaude, mais une mise jour est ncessaire ne serait-ce que pour clarifier la divergence entre les sources et les interprtations ultrieures. Nous procderons une analyse identitaire d'aprs les sources antiques et les interprtations modernes. Quels sont les lments de l'identit bagaude au IHe sicle qui ont permis le retour de ce concept dans les sources du Ve sicle? Ainsi, des auteurs clricaux dnoncent au Ve s. en Gaule et en Espagne des mouvements de rbellions endmiques que l'on dclare parfois bacaudes. Toutefois, malgr l'homonymie, il ne faudrait pas dfinir l'insurrection bagaude du IHe s. d'aprs des sources relatives au Ve s. Notre dmarche interdisciplinaire permet de comparer les apports respectifs des diffrentes sciences pour mieux saisir le contexte societal, environnemental et mental o sont apparus les premiers bagaudes. D'abord, les critres identitaires spcifiques de la rvolte des bagaudes du IHe sicle sont singulariss dans la mesure du possible et de manire strictement chronologique. Ensuite, les reprsentations partiales construites par leurs opposants, l'aristocratie fidle Rome, sont tudies pour montrer leurs effets sur leur description de l'insurrection. Ces sources historiques proviennent non seulement des Gaules, mais galement du reste de l'Empire romain. Il semble donc que l'identit bagaude puisse se concrtiser non seulement l o ils luttrent, un espace physique, mais galement dans un espace mental plus vaste. Les abrviateurs du IVe s., Aurlius Victor, Eutrope, Paenius et Jrme,108 dcrivent le mieux ces

    103 Sanchez Lon, Sources, op.cit, p.76; John Drinkwater, Bacaudae , loc.cit, p.208 et Van Dam, op. cit., p.33. 104 Entre autres, Ammien Marcellin avec la mort d'un parent de l'empereur, Constantianus (Histoires, XXVIII, 2, 10); Sulpice Svre, quand Martin rencontre des bandits dans les Alpes (Sulpice Svre, Vie de saint Martin, 5) et Ausone avec ses bandits du Mdoc (Lettres, IV), etc. 105 Docks et al., op.cit, p.154. Il voque la thorie des communauts bagaudes rebelles dormantes et les imagine vivants cachs comme des Marrons. Pour d'autres tenants de cette hypothse, infra, chapitre I, p.55, n.261. 106 Katherine Blouin, Le conflit judo-alexandrin de 38-41, Paris, L'Harmattan, 2005, p.25-26. 107 De mme, les Franais immigrs dans la colonie du Canada, avant 1763, ne sont pas des Canadiens dans le sens d'aprs 1867. Par exemple, ils n'avaient pas reu la citoyennet fdrale ou ne songeaient pas aux Anglais, installs en Acadie aprs 1713, comme des compatriotes. 108 Eutrope fut le magister memoriae de l'empereur d'Orient. Paenius, un Asiatique, le traduisit en grec. Aurlius Victor, l'auteur anonyme de la Passion de saint Typasius et Orose vivaient en Afrique. Tandis que Fortunat et

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    rvoltes, car ils livrent davantage d'informations et sans les mtaphores, parfois obscures, de Mamertin. L'ensemble de leurs textes forment le corpus principal de sources auquel nous intgrerons ensuite les lments du corpus secondaire selon nos questionnements. Plusieurs modes d'analyse de l'identit sont pertinentes. D'une part, de nombreux historiens utilisent une mthode comparative o les donnes sur les bagaudes sont confrontes avec d'autres issues de socits antiques, mdivales ou modernes et d'autres mouvements criminels ou rebelles.109 Cela permet de questionner la plausibilit de certains faits ou thories et de rvler les divergences identitaires. D'autre part, les paradigmes rcents sparent gnralement l'tude de l'identit en trois chelons: d'abord, les traits identitaires spcifiques puis les interrelations avec l'Autre . Cette relation avec l'Autre n'est pas que gographique, mais aussi sociale. Au niveau suprieur, les idologies et les reprsentations dont dcoulent partiellement les deux premiers niveaux. Ainsi, dans le premier chapitre, les traits identitaires spcifiques au mouvement bagaude sont prsents, puis les reprsentations de ces autres invitables: les aristocrates, auteurs des sources qui traitent des insurgs. Le mme cheminement est ralis dans le deuxime chapitre, puisque le dbut identifie la position sociale de l'individu bagaude, avant d'analyser sa relation avec sa ralit gographique (d'o un rapporta un autre, bien que non humain). Ainsi, nous pourrons rpondre notre questionnement et trouver pourquoi cette identit bagaude, surgie au IHe sicle, a pu rapparatre inopinment, a priori, au Ve sicle.

    Le premier chapitre est divis en trois sections. La premire rtablit le cours des vnements des bagaudes de 284-285, trop souvent encore mconnus, la seconde section tablit les critres identitaires, avant que la dernire section du chapitre explore la reprsentation de ce soulvement a posteriori par une lite loyale aux empereurs victorieux. Le second chapitre s'interroge sur l'origine sociale et gographique des individus ayant particip ces troubles. L'optique environnementale sera ajoute aux autres perspectives plus rpandues dans l'historiographie bagaude, lorsque que ce sera possible. Or, il faut garder l'esprit que tous ces biais de recherche forment un tout unique dans la socit gallo-romaine du IHe sicle, d'o l'intrt d'une dmarche intgre. D'abord, les traits identitaires du mouvement bagaude sont prsents, avant de passer un niveau d'analyse et d'entropie plus lev.

    Jordans taient des Italiens. Les bagaudes du 11 le s. ne sont donc pas une affaire exclusivement gauloise. Leur histoire circula dans tout l'Empire. 109 Pour une comparaison gnrale avec les mouvements prmodernes : Delaplace et al., op.cit, p. 139. Les historiens comparent les bagaudes aux milices locales des seigneurs de la guerre de Chine (Whittaker, loc.cit, p.300), la bande de Maternus ou la rvolte des Sacrovir, Vindex, (Thompson, loc.cit, p. 13; Galliou et al, op.cit, p. 105; Patrick Galliou, La Bretagne romaine: de l'Armorique la Bretagne, Saint-Brieuc, Editions Jean-Paul Gisserot, 1991, p.104 et Ferdire, Campagnes, op.cit, p.212), aux brigands orientaux gothiques ou romaniss (Whittaker, loc.cit., p.286-289 et Peter Brown, Pouvoir et persuasion dans l'Antiquit tardive: vers un Empire chrtien, Paris, Du Seuil, 1998(1992), p. 126), aux Isauriens (MacMullen, op.cit, p.280-282), aux Gaulois brigands, nomms les Vargi par Sidoine Apollinaire, Lettres, VI, 4 (Badot et al, Mouvements , loc.cit., p.237.)

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    Chapitre I

    Un mouvement bagaude dans une socit en mutation

    1.1 Reconstitution des faits Au seuil de la restauration impriale par Diocltien, l'Empire subit de nouvelles avanies.

    Entre autres, les bagaudes se rvoltrent peu aprs la mort de Carin1, alors que l'Empire avait perdu une succession d'phmres empereurs militaires plus ou moins prometteurs, dont Aurlien, Probus et Cams. Diocltien, le nouveau prtendant la pourpre, justifie son ascension au trne par le meurtre du suppos assassin d'un fils de Cams. Cependant, rien ne l'empche de combattre Carin, l'autre fils de Cams, qui refuse de le reconnatre officiellement. A priori, rien ne semble distinguer Diocltien des autres usurpateurs romains. Ses rformes homonymes que vanteront certains pangyristes ne sont pas encore commences. Ces derniers produisent leurs uvres laudatives partir de 289, aucune n'est donc contemporaine la rvolte bagaude. Leurs auteurs esprent obtenir des rcompenses pour cette communication hautement codifie, la fois politique et littraire.2 Ils glorifient la victoire des empereurs contre les raids germains incessants qui ont menac la Gaule durant toute la seconde moiti du file sicle.

    Ces derniers venaient rgulirement et impunment faire du butin sur le compte des provinciaux.3 Tours, elle-mme, pourtant relativement loigne de la frontire, a t prise par des Francs en 275. Il faut se rappeler que certaines cits ne commencent que tardivement se munir de remparts, l'image de la Rome mure d'Aurlien Leur construction en province est trs longue et commence gnralement par le creusement d'un foss dfensif.5 Le danger terrestre s'accompagne d'attaques maritimes souvent ngliges par les historiens: les Saxons,

    1 Minor, op.ci t , p. 120. ' Cependant, la vie intellectuelle de l'poque n'tait pas sans danger, puisqu'elle tait politise par le mcnat. Par exemple, Longin, le disciple no-platonicien de Plotin, conseilla Znobie, avant d'tre mis mort par Aurlien en 272 cause de son influence dltre sur celle-ci. Ce pril ne date pas de l'Antiquit tardive, dj au Haut-Empire, Domitien avait fait prir le stocien L. Junius Arulnus Rusticus. 3 Herv Inglebert, L'Atlas de Rome et des barbares, Paris, ditions Autrement, 2009, p.5: ...il faut distinguer plusieurs types de violence belliqueuse. Un raid est bref et a pour but d'extorquer du butin (un raid celte a pill Rome vers 390 av. J.-C.). Une migration est le dplacement d'une population qui cherche un nouveau territoire...Au Dlc sicle apr. J.-C., Rome a surtout d repousser des raids. Au Vc sicle, clic a d faire face des migrations. I.es dplacements des peuples barbares n'taient donc pas forcment des invasions au sens classique mais, pour les populations romaines, les consquences taient souvent identiques (mort, viols, esclavage, destructions). 4 Provost, Val, op.cit., p. 136 et Ferdire. Gaules, op.cit, p.295 Ces derniers se hasent sur un fragment de / 'Histoire des empereurs romains, livre IX, d'Eusebios, crit sous Diocltien et trouv par M.Wescher dans le ms. de Paris. Robert Bedon, Tours, Caesarodurtum , Robert Bedon, Les villes de la Gaule Lyonnaise, Limoges, PUTJM, 1996, p.295 est moins catgorique, mais ce raid aurait eu lieu en 258, 275-276 ou entre mai et juin 276, durant la guerre civile entre Probus et Florianus.

    Le dbut de la construction des remparts urbains des villes provinciales commence vers 275, mais sur de trs longues priodes, par exemple, un foss fut creus, peut-tre complt d'une palissade, Tours durant la construction des remparts en pierre d'environ 275 375. (Provost, Val, op.cit., p.136) Pour Bavay, il eut successivement au IIIc sicle un foss, puis une enceinte avec des pierres de remploi, puis une deuxime enceinte de moellons et en brique au IVe s. Cela suit le modle observ en Aquitaine. (Frdric Loridant, Dcadence urbaine et Antiquit tardive k Bagaettm et dans la civitas camaracensmm , Ferdire, Capitales, op.cit, p.75-77). D est donc faux d'crire que ces ouvrages furent construits contre les rvoltes bagaudes.

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    les Francs et les Frisons attaquent les ctes septentrionales.6 Ces assauts rcurrents provoqurent certainement des difficults conomiques en Gaule romaine, ne serait-ce qu'au niveau des changes commerciaux interprovinciaux, dont une partie passait par l'ocan, la Manche, la Loire et les territoires frontaliers. Ce fut tellement majeur que R.MacMullen crivit que l'Armorique avait prcd les autres rgions gauloises dans le haut Moyen ge.7

    Nanmoins, cette rgion pninsulaire et excentre demeura malgr tout exploite et habite. L'ide prcdente de R.MacMullen demeure-t-elle gnralement exacte ou l'ouest de la Gaule serait-elle reste davantage lie un prsent romain, mme lointain? Comment cette rgion si excentre fut-elle affecte par les conjonctures politiques impriales?

    Le 20 novembre 284, Diocltien se fait proclamer empereur Nicomdie. D se dirige promptement vers l'Occident pour vaincre Carin, le fils lgitime de Cams. L'affrontement final a lieu Viminiacium, au printemps 285, o Carin, trahi par ses officiers, perd la fois le trne et la vie. Diocltien cueille les fruits del victoire et visite l'Italie l't suivant.8

    Seulement, le nouvel empereur hrite galement de la charge du problme bagaude. Milan, il nomme Maximien Csar le 25 juillet 285.9 Diocltien l'envoie pacifier la rbellion gauloise tandis que lui-mme consolide sa nouvelle position impriale. Les oprations militaires sont de courte dure. Cette chronologie est celle de la majorit des sources romaines, qui dnigrent le cruel Carin10 pour ne se proccuper que du vainqueur Diocltien. Il est donc possible que

    6 Ferdire, Campagnes, op.cit., p.207, 207-212 et 219; Galliou et al, op.cit, p.108; Bouet, loc.cit, p.95-99; Yann Le Bohec, L'arme romaine sous le Bas-Empire, Paris, ditions A. et J. Picard, 2006, p. 153 considre que des pirates cossais de la Bretagne, d'origine picte ou scote, attaquaient galement les ctes gauloises.)

    videmment, les dcouvertes plus rcentes nuancent partiellement ce point de vue (supra, introduction, p. 12), bien que l'identit romaine antique n'ait certainement pas t seulement lie aux conditions de vie matrielle ou une forme d'exploitation rurale inchange. MacMullen, op.cit, p.45 crit mme que l'Armorique entra dans le haut Moyen ge quelques sicles avant le reste de la Gaule. 8 Timothy D. Barnes, The New Empire of Diocletian and Constantine, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 1982, p.49-50. 9 lbid, p.57 et Sanchez Lon, Sources, op.cit, p.71. 10 L'Histoire est crite par les vainqueurs, toutefois le dossier contre Carin est si pais que douter de sa cruaut reste difficile, n est clair que l'aristocratie snatoriale romaine ne l'apprciait gure. Par exemple, le pangyriste Mamertin dclare: Je ne rappelle don: point l'tat dlivr par votre valeur d'une domination tyrarmique, je ne parle pas des provinces exaspres par les injustices de l'poque prcdente et ramenes l'obissance par votre bont. Non commmemoro igitur uirtute uestra rempublicam dominant saeuissimo liberatam, non dico exacerbatas saeculi prions iniwriis per clementiam uestram ad ohsequium redisse prouincias... (Mamertin, Pan.latin, m , V, 3) L'anonyme qui a prononc en 307 le pangyrique de Maximien et Constantin en rajoute: C'est lui qui, l'aurore mme de sa puissance divine, ramena au loyalisme envers l'Empire les Gaules exaspres par les injustices des temps prcdents et qui les rendit elles-mmes pour leur salut. Hic est qui in ipso ortu numinis sui Galbas priorum temporum iniuriis efferatas rei publicae ad obsequhim reddidit, sibi ipsas ad salutem. (Pan.latin. VL, VIII, 3) Les abrviateurs sont sans doute moins partiaux que les orateurs prcdents. F.utrope, Abrg d'histoire romaine, IX, XTX, I: Carus avait laiss son csar Carin en Tllyrie, en Gaule et en Italie, o il se souilla de toutes sortes de crimes, tua de nombreux innocents sous des accusations fleuves, porta le trouble dans de nombreux mnages; il causa galement la perte de condisciples qui, dans une salle de confrences, l'avaient gratign d'un sarcasme, fut-il anodin. Ha de tous pour cette raison, il en subit peu aprs le chtiment. Interea Carims, quem Caesarem ad Parthos proficiscens Carus in Illyrico, Gallia, Italia reliquerat, omnibus se sceleribus inquinavit Plurimos innoxios fictis criminibus occidit, matrimonia nobilia corrupit, condiscipulis qunque, qui eum in auditorio vel levi fatigatione taxaverant, pemicioxus fuit. Oh quae omnibus hominibus invisus non mul to post poenas ddit. Aurlius Victor, Livre des Csars, XXXIX, 11 : Mais Carin, quand il atteignit la Msie, aussitt engagea le combat avec Diocltien sur les bords du Margus et, tandis qu'il pressait avec ardeur ses ennemis vaincus, il tomba sous le coup de ses soldats: car incapable de dominer ses passions, il cherchait sduire en grand nombre les femmes de ses soldats; ceux-ci, devenus ses ennemis, avaient pourtant ajourn l'issue de la guerre leur colre et leur ressentiment. At Carinus, ubi Moesiam

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    l'insurrection bagaude ait commenc sous le rgne de Carin, mais que La plupart des auteurs anciens ne s'en intressent que lorsque Diocltien s'en occupe efficacement.11

    Certains affirment que les troubles auraient commenc ds le dpart-de Carin-pour l'Italie,12 vers janvier-fvrier 285 en se basant sur un passage d'Aurlius Victor.13 Les bagaudes feraient ainsi partie de ces motus qui clataient alors. D'autres croient que les bagaudes auraient commenc se rvolter plus tt sous Carin14 ou mme avant.15 Les sources ne sont pas aussi claires. Cependant, Aurlius Victor affirme galement que Diocltien donne le titre de Csar Maximien16 au printemps 285, puisque, aprs la mort de Carin, Amandus et Aelianus se seraient soulevs en Gaule. Les autres abrviateurs n'affirment rien de tel. Un certain flou chronologique persiste sur la date exacte de la naissance du mouvement bagaude. Par contre, les auteurs anciens nous fournissent la dure de La rpression militaire. En effet, Maximien, parti en juillet 285, retourne Milan ds le 10 fvrier 286. Durant ces sept mois, il a non seulement cras le mouvement bagaude, mais galement vaincu des barbares Germains l'automne 285, prs de Trves. Il a probablement cras les bagaudes avant la fin de la saison militaire17 et le dbut de 286. En consquence, il est srement incorrect de traiter de bagaudes en 28618 ou en 287.19 Lors de ces mmes annes, Carausius usurpe les attributs impriaux sur l'le de Bretagne. Maximien ne parvient pas achever cet ennemi, mais les

    contigit, illico Margum iuxia Diocletiano congressus, dum uictos auide premeret, suorum ictu interiit, quod, libidine impatiens, militarium mul tas affect a bal, quorum infestiores uiri iram tamen doloremque in euentum belli distilleront. Ce comportement attribu Carin est d'autant plus grave que l'idal romain impose le contrle des passions de toutes sortes, surtout pour les aristocrates ou les gens de pouvoir (membres des familles snatoriales, fonctionnaires, et plus forte raison, aux empereurs, infra, chapitre , p.48.) Nanmoins, cela offense davantage les individus de la haute socit, habitus cette morale stocienne. Les rvoltes bagaudes ne sont gure provoques par la cruaut de Carin, sinon elles se seraient arrtes ds la victoire de Diocltien, ce qui ne fut videmment pas le cas. 11 Minor, op.cit, p. 120. Ces passages sur la cruaut de Carin tmoigneraient davantage de l'opinion de Diocltien et des lites aristocratiques que de l'avis des paysans. 12 Sanchez Lon, Source*, op.cit, p.71. 13 Aurlius Victor, Livre des Csars, XXXIX, 9: Cependant Carin, inform de la situation (Diocltien s'est empar du pouvoir en Orient aprs la mort de Carus et de Numrianus), dans l'espoir qu'il apaiserait plus facilement les rvoltes qui clataient alors, gagne en hte l'Dlyrie (pour arrter la marche vers Rome de Diocltien) en faisant un dtour par l'Italie. (O il crase l'usurpateur Julianus, correcteur de Vntie) Interim Carinus, eorum, quae acculer am, spefaci litis e rum pent es motus se datum iri, Illyricum propere Italiae circuiti petit 14 Galliou et a l , op.cit, p. 107. " Wightman, op.cit.p.55 pense que les bagaudes menaient une gurilla sous Probus (276-282), mais die ne cite ni ses sources, ni son raisonnement. Inglebert, op. cit., p. 19 soutient galement que la rvolte des bagaudes aurait commenc en 276 jusqu'en 286. Aucune source ne traite explicitement de bagaudes avant 285. Cependant, les dbuts des bagaudes du IHe sicle furent peut-tre si modestes qu'ils n'attirrent gure l'attention des abrviateurs et des chroniqueurs. Selon Herv Inglebert (non-publi), les raids germaniques de 276 et la piraterie ultrieure en Manche, facilits par l'intrt des empereurs pour le front oriental aprs 274, auraient pu prcipiter le dclenchement de l'insurrection bagaude en Gaule du nord en raction la carence de l'tat impriale. 16 Aurlius Victor, Livre des Csars, XXXIX, 17. Diocltien, en effet, apprenant qu' la mort de Carin, Aelianus et Amandus, aprs avoir lev en Gaule une troupe Namque, ubi comperit carini discessu Aelianum Amandumque per Galliam, excita manu... 17 La saison militaire s'ouvrait avec le dbut de l't et se terminait avec la fin de l'automne, la paix tait souvent conclue pour que les troupes retournent leur retraite hivernale, ds l'automne, l o l'approvisionnement tait garanti. Seuls les barbares Germains attaquaient l'hiver, lors des crises de subsistance alimentaire. Shaw, loc.cit., p. 139. 18 Inglebert, op.cit, p. 19: Maximien crase les bagaudes en Gaule (286), combat les Francs en 286, puis les Alamans en 287 et en 288... et Castaneda, loc.cit, p.254. 19 Wightman. op.cit, p.57-58.

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    bagaudes sont dj de l'histoire ancienne, comme le confirment Mamertin qui en traite au pass.20 Aurlius Victor prcise que Maximien avait pacifi tout le pays (quieta omni breui patraverat).2' Les autres sources l'affirment galement22 CE. Minor songe, peut-tre avec raison, que les rares difficults de la rpression des bagaudes, furent causes davantage par la mutinerie d'une partie des forces militaires de Maximien, La lgion thbaine, que par les bagaudes eux-mmes! Les troubles sociaux bagaudes se rsorbrent rapidement, mais marqurent les mmoires. D ne faut pas oublier que l'lite devait maintenir le calme et qu' dfaut de maintenir les intrts du peuple, elle risquait toujours des soulvements et la colre impriale.23 Nanmoins, le mcontentement populaire requrait rarement l'intervention de l'arme! Aurlius Victor, comme les autres auteurs anciens, est trop vague sur ce sujet, puisque les bagaudes eux-mmes l'intressent moins que les actes de l'empereur Maximien.

    Cela explique partiellement la grande diversit des opinions sur le mouvement bagaude. Au contraire des auteurs aristocrates des sources anciennes, l'historien contemporain s'intresse intensment l'anomalie bagaude. Les perceptions vont des voleurs de grands chemins au pseudo-empire gaulois supposment recr par les chefe bagaudes, Aelianus et Amandus. Aux difficults lies aux buts et La nature inconnue du mouvement, vient s'ajouter un problme de sources numismatiques et de La terminologie. Le principal tenant de la restauration phmre de l'Empire gaulois, R Van Dam, pense que les chefs bagaudes ont usurp le pouvoir et les symboles impriaux; ils auraient mme frapp monnaie leur effigie.24 Aujourd'hui, la majorit des auteurs doutent srieusement de l'existence et de l'authenticit de ces pices, de surcrot, introuvables: ... pero segun especialislas, es difficil que estas monedas juron acunadas por losjefes bagaudas. 25 Ces monnaies font l'objet de doutes srieux depuis le XVle sicle. La majorit