Idalecio Rodriguez de Oliveira - Petrobras - Lusitania Grupo - Chariot Oil Africa

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UNIVERSITE PARIS 8 - VINCENNES-SAINT DENIS

ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES SOCIALES (ED 401)

CENTRE DE RECHERCHES ET D’ANALYSES GEOPOLITIQUES

Doctorat en Géographie – Mention Géopolitique

Benjamin AUGE

Produire du pétrole en zone de conflit :

cas de l’Afrique médiane

Thèse dirigée par Béatrice Giblin

Présentée et soutenue le 20 novembre 2012

Membres du Jury :

Béatrice GIBLIN Professeur Université Paris 8 Emmanuel GREGOIRE Directeur de recherche, IRD

Géraud MAGRIN Chercheur/HDR, CIRAD (rapporteur)

Jean-Yves MOISSERON Chercheur/HDR, IRD

Roland POURTIER Professeur émérite Université Paris 1, (rapporteur)

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Remerciements

Cette thèse a vu le jour grâce à l’appui confiant de nombreux fonctionnaires des différents ministères africains, rencontrés au cours de mes voyages sur le continent. Certains sont devenus des amis, d’autres ont gardé une certaine distance, mais ils ont tous contribué significativement à cette recherche. Je les en remercie chaleureusement.

Deux personnes clé ont facilité ce travail : Michel Demaeght en République démocratique du Congo et James Serugo en Ouganda. Leur accueil chez eux pendant plusieurs mois et leur connaissance des arcanes de la politique locale m’ont fait gagner un temps précieux.

L’apport de la rédaction d’Indigo au contact de laquelle j’ai énormément appris depuis quatre ans -en particulier auprès de Philippe Vasset- et les discussions et expériences avec les chercheurs du programme Afrique de l’Institut Français des relations internationales et son directeur Alain Antil ont également eu un rôle indéniable dans l’écriture de cette thèse.

J’ai également une pensée particulière pour le Professeur des Universités Jean-Claude Daumas, qui a dirigé mon mémoire de master en histoire économique sur la première crise pétrolière. Il m’a donné le goût de la recherche et de l’effort.

Je ne saurais trop remercier ma directrice de thèse Béatrice Giblin dont l’approche a été très efficace : grande disponibilité et précision pour me corriger, m’encourageant lorsque cela s’avérait nécessaire et m’aiguillant lorsque manifestement je n’allais pas dans la bonne direction.

Je remercie tout particulièrement ma famille, mes frères, et évidemment mes parents André-Marcel et Anny Augé qui m’ont poussé à aller le plus loin possible et m’ont soutenu moralement et financièrement dans un processus long et parfois difficile. Mon ami d’enfance, Richard Vuillemin, a aussi contribué, grâce à sa grande disponibilité, à l’achèvement de ce doctorat.

Enfin, la personne la plus méritante est sans nul doute mon épouse Rawaa Kalassina. Elle est restée au fil des années, un soutien indéfectible et une aide formidable pour débloquer des situations inextricables. Rawaa a su faire preuve d’une patience hors pair avec moi, y compris dans les moments de grande tension. Ce doctorat lui est tout naturellement dédié.

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Produire du pétrole en zone de conflit : cas de l’Afrique médiane

Résumé

L’exploration pétrolière sur le continent africain évolue très rapidement depuis la hausse des cours du brut au début des années 2000. On compte désormais une quarantaine d’Etats africains en exploration. Plus aucun obstacle n’arrête les sociétés venues mettre à jour les réserves indispensables à une demande mondiale croissante. En Afrique, les majors occidentales sont rejointes par des compagnies d’Asie, de Russie, du Brésil. Seulement, sur un continent où les conflits sont légion, l’arrivée du pétrole se superpose parfois à des situations déjà instables. Cette thèse se donne comme objectif d’expliquer ce phénomène d’une exploration/exploitation pétrolière exacerbant les tensions préexistantes. Si des exemples de pays pétroliers sont pris sur tout le continent, la focale est mise sur l’Afrique médiane, vaste région alliant l’Afrique des Grands Lacs et l’Afrique de l’Est. Cette région a été marquée dans les années 1990 par deux guerres en République démocratique du Congo. Plusieurs coalitions se sont combattues sur le territoire d’un pays dont les ressources minières sont pillées par les Etats voisins et des milices locales au détriment de l’Etat. L’exploration pétrolière, dans les zones frontalières à l’est du Congo, conduit à de nouveaux litiges avec les belligérants d’hier (Rwanda et Ouganda). Quant au pillage du brut par l’Angola à l’embouchure du fleuve Congo, c’est la rançon du maintien de la famille Kabila au pouvoir. La division du Soudan, en deux Etats en 2011 crée un dangereux précédent : les frontières du 19ème siècle en Afrique ne sont plus intangibles. Or, le rôle du pétrole dans ce processus est loin d’être secondaire.

Mots-clés

Pétrole • Afrique • Conflit • Frontières • Gaz • République Démocratique du Congo • Ouganda • Soudan • Géopolitique • Représentation

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Producing oil in a confict zones: The case of central-east Africa

Abstract

Oil exploration has been changing at break-neck speed since the oil price began to spike around the year 2000. Exploration is now taking place in around 40 countries on the continent. No barriers or difficulties whatsoever stand in the way of companies turning up to search for new reserves, a key raw material to fuel the continuous growth of the global economy. In Africa, western majors are joined by companies from Asia, Russia and Brazil. But on a continent where conflicts are widespread, oil extraction can superimpose itself on unstable situations. This doctoral thesis aims to explain how oil exploration/production can exacerbate pre-existing tensions. To focus on this particular issue, examples will be cited from across Africa but we will look at greater depth at central-east Africa, a vast area composed of the Great Lakes region and eastern Africa. In the 1990s this region was plagued by two wars that raged in Democratic Republic of Congo. Coalition forces fought over a country whose mineral resources are still being looted by neighboring nations and local militias at the expense of the Congolese government. Oil exploration around the borders of eastern Congo has fuelled new conflicts with former adversaries (Rwanda and Uganda). Elsewhere, the theft of crude by Angola around the mouth of the Congo River has been the price that Joseph Kabila's family has had to pay to remain in power. South Sudan, which broke away from the North in 2011, has created a dangerous precedent; the move demonstrated that the 19th century borders of Africa are not definitive. And the role of oil in the process has been decisive.

Key words

Oil • Africa • Conflict • Borders • Gas • Democratic Republic of Congo • Uganda • Sudan• Geopolitics

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Figures ...................................................................................................................................... 11

Introduction ............................................................................................................................ 14

Partie I : Le pétrole africain, un danger ou une chance pour le marché mondial des hydrocarbures ? ...................................................................................................................... 26

1 La production africaine d’hydrocarbures, des situations très diverses ................ 36

1-1 Les producteurs de pétrole en Afrique ................................................................. 36

Les piliers pétroliers .................................................................................................. 39

Les pays pétroliers en stagnation .............................................................................. 44

1-2 Les producteurs de gaz en Afrique ...................................................................... 47

Les exportateurs de gaz ............................................................................................. 50

Les producteurs mineurs qui consomment entièrement leur débit. ........................... 55

2 Les menaces pesant sur la production du continent ............................................... 58

2-1 L'accroissement de la consommation africaine, un défi pour la sécurité énergétique mondiale ? ......................................................................................... 58

Un nouveau producteur de pétrole africain, le cas du Ghana .................................... 59

Le problème de frontière maritime avec la Côte d'Ivoire.......................................... 66

2-2 Les tensions géopolitiques liées aux hydrocarbures en Afrique .......................... 71

Les litiges frontaliers ................................................................................................. 71

La gestion pacifique entre la Tunisie et la Libye ...................................................... 72

Les zones de développement conjoint ....................................................................... 74

Le cas particulier de la péninsule de Bakassi ............................................................ 81

Les autres cas de litiges frontaliers liés aux hydrocarbures en suspens .................... 87

2-3 Le Nigeria, une menace persistante sur l'approvisionnement ....... d'hydrocarbures mondiale ............................................................................................................... 91

La montée progressive des violences ........................................................................ 94

Le MEND ou la professionnalisation du combat contre l'Etat et les compagnies .... 97

Les réponses de l'Etat nigérian face aux défis posés par les militants du Delta ........ 99

Les causes profondes du militantisme dans le delta du Niger ................................. 102

Les tensions géopolitiques liées au pétrole et l'arrivée de Boko Haram ................. 105

2-4 L'exploration et la production pétrolière dans le Sahara, un défi sécuritaire ....... et géopolitique ........................................................................................................ 107

Le poids des sociétés nationales dans la zone saharienne. ...................................... 108

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Les sociétés nationales du Maghreb actives au Sahara. .......................................... 108

L'implication des Chinois dans le Sahara ................................................................ 113

Comment exporter le brut des zones enclavées ? .................................................... 121

2-5 Le pétrole comme vecteur de financement de conflit ........................................ 124

2-6 La gouvernance du secteur pétrolier africain, le cas emblématique du Tchad ........ ............................................................................................................................ 128

Conclusion de la partie I ......................................................................................................... 133

Partie II : Le secteur pétrolier en République démocratique du Congo et en Ouganda, une gestion confuse, opaque et présidentialisée. ................................................................ 137

1 La gouvernance du secteur pétrolier en République démocratique du Congo .. 142

1-1 Le ministère des hydrocarbures, la Cohydro et la présidence ........................... 149

1-2 La difficile entrée de la société italienne ENI .................................................... 156

1-3 La production et l'exploration au Bas-Congo ..................................................... 159

Perenco, le pilier du secteur pétrolier au Congo ..................................................... 161

L'exploration au Bas-Congo .................................................................................... 168

Les impôts et obligations des sociétés en exploration ............................................. 173

1-4 L'exploration dans le bassin de la Cuvette centrale ........................................... 174

L'enjeu environnemental au Congo en général et dans la cuvette centrale en particulier ............................................................................................................. 175

L'historique de l'exploration de la Cuvette centrale ................................................ 179

La cuvette centrale, un bassin pétrolier partagé avec le Congo-Brazzaville ........... 186

2 L’histoire tourmentée des blocs congolais du rift est-africain ............................. 188

2-1 La véritable « saga » des blocs du lac Albert, côté congolais ............................ 190

Un contrat sans décret présidentiel .......................................................................... 194

Le nouveau consortium de Lambert Mende : Divine Inspiration Group ................ 197

L'attribution des blocs du Graben Albertine à des inconnus. .................................. 200

Caprikat et Foxwhelp, les protégés du pouvoir ........................................................ 203

Les autorités congolaises accompagnent Caprikat et Foxwhelp .............................. 206

Tullow et Divine demandent des comptes au pouvoir ............................................. 209

2-2 Les défis géographiques de l'exploration pétrolière dans la zone du Graben Albertine ............................................................................................................. 211

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3 Le pétrole du graben Albertine, une stratégie ougandaise différente pour une même zone ......................................................................................................... 224

3-1 Une histoire pétrolière récente ........................................................................... 230

3-2 La gouvernance du secteur pétrolier en Ouganda .............................................. 236

Une gestion du secteur pétrolier facilitée par la Norvège. ...................................... 243

Le contrôle présidentiel du secteur pétrolier ........................................................... 249

Le rôle des ministres comme porte-voix du président face aux pétroliers. ............. 251

Quel rôle joue l'Assemblée nationale dans le pétrole ? ........................................... 253

Les nouveaux parlementaires tentent de prendre la main. ...................................... 255

La sécurisation politique et militaire de la zone pétrolière ..................................... 257

Le royaume de Bunyoro cerné ................................................................................ 260

Les problèmes fonciers et environnementaux liés au pétrole ................................. 263

Conclusion de la partie II ....................................................................................................... 268

Partie III : Nouvelle géopolitique pétrolière de l’Afrique de l’Est et litiges frontaliers entre le Congo et ses voisins ................................................................................................ 270

1 Les litiges frontaliers entre le Congo et l'Ouganda sur le lac Albert .................. 274

1-1 La tuerie d'août 2007 et le lancement d'un processus de concertation. .............. 275

2 Le litige frontalier entre la République démocratique du Congo et l'Angola .... 284

2-1 Des blocs angolais contestés par le Congo ........................................................ 287

2-2 Nouvelles manœuvres dilatoires: la création d'une zone de développement conjoint ............................................................................................................... 290

2-3 Le plateau continental, un débat international cachant un problème bilatéral ... 293

2-4 Les ambassades américaines mettent à jour la teneur exacte du conflit ............ 300

2-5 La négociation du gazoduc de Chevron avec le Congo ..................................... 306

3 Les autres bassins sédimentaires partagés entre le Congo et ses voisins. ........... 309

3-1 Le méthane du lac Kivu ..................................................................................... 310

La coopération bilatérale Congo/Rwanda sur le méthane ....................................... 317

3-2 Le bassin du lac Tanganyika .............................................................................. 320

La coopération entre les Etats sur le lac Tanganyika .............................................. 325

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4 Afrique de l’Est: une nouvelle géopolitique pétrolière et gazière régionale ....... 327

4-1 L'enjeu pétrolier dans un Soudan éclaté ............................................................ 328

Les zones de production et les multiples problèmes frontaliers .............................. 332

Les espoirs dans l'exploration pour le Nord ............................................................ 336

Les espoirs pétroliers pour le Soudan du Sud. ........................................................ 341

La mainmise d'Omar el Béchir et ses proches sur le secteur pétrolier .................... 342

Les nombreux enjeux pétroliers non réglés depuis l'indépendance du Sud. ........... 345

Le rôle de la Chine dans le conflit pétrolier entre les deux Soudan. ....................... 348

Pas un mais des projets d’oléoducs ......................................................................... 350

4-2 Les conséquences régionales des découvertes pétrolières ougandaises............. 353

La raffinerie d’Hoïma, quelle taille et pour quel marché ? ..................................... 356

L’exportation du brut ougandais ............................................................................. 359

4-3 Le Kenya comme nouveau hub pétrolier ........................................................... 360

L’option d’un oléoduc Lac Albert/Mombasa .......................................................... 362

4-4 Les découvertes gazières au Mozambique, quelles perspectives ? .................... 367

Conclusion de la partie III ...................................................................................................... 373

Conclusion ............................................................................................................................. 376

Bibliographie et personnes interrogées: ................................................................................. 381

Annexes .................................................................................................................................. 392

Annexe 1 : La declaration de Kaiama, texte fondateur du mouvement de revendication Ijaw dans le delta du Niger. ............................................................................................................ 392

Annexe 2 : Résolution du parlement ougandais du 10 Octobre 2011 mettant en difficulté le gouvernement sur la question pétrolière. ............................................................................... 396

Annexe n°3 : Principaux évènements au Soudan, d’une independence à l’autre .................. 399

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Figures

Carte n°1a et 1b: Diversité des sociétés pétrolières actives en Afrique ................................... 33 Tableau n°1 : Les producteurs de pétrole africains en 2011 .................................................... 36 Carte n°2: La production pétrolière africaine. .......................................................................... 38 Carte n°3: Pétrole et gaz en Libye. ........................................................................................... 41 Carte n°4 : Les blocs pétroliers en Angola ............................................................................... 43 Tableau n°2: Les producteurs africains de gaz......................................................................... 48 Carte n°5 : La production gazière en Afrique ......................................................................... 49 Carte n°6 : Gazoducs existants et en projet entre le Maghreb et l'Europe ............................... 51

Carte n°7: Découvertes pétrolières dans l'offshore ghanéen .................................................... 61 Carte n°8: Blocs pétroliers ivoiriens en novembre 2011.......................................................... 70 Carte n°9: Frontière maritime entre la Tunisie et la Libye. ..................................................... 73 Carte n°10: L'AGC entre le Sénégal et la Guinée Bissau. ....................................................... 76 Carte n°11 : ZDC entre Sao Tomé et le Nigeria ...................................................................... 78 Carte n°12 : Péninsule de Bakassi ............................................................................................ 82 Carte n°13: Blocs partagés entre le Nigeria et le Cameroun. ................................................... 86 Carte n°14: Blocs pétroliers de Juan de Nova .......................................................................... 90 Carte n°15 : Région du delta du Niger au Nigeria ................................................................... 93 Carte n°16: Blocs pétroliers du bassin de Taoudenni en Mauritanie et au Mali .................... 110

Carte n°17: Blocs pétroliers au Niger .................................................................................... 116 Carte n°18 : Exportation et transformation du pétrole nigérien et tchadien........................... 122

Tableau 3 : Ministres en charge du secteur pétrolier depuis la chute de Mobutu Sese Seko . 147

Carte n°19 : Production pétrolière onshore et offshore en RDC ............................................ 160 Carte n°20 : Blocs congolais de la Cuvette centrale .............................................................. 181 Carte n°21 : Les quatre lacs congolais partagés avec présence d’hydrocarbures .................. 189

Cartes n°22: Blocs 1 et 2 du graben Albertine ....................................................................... 212 Carte n°23 : Blocs 3 et 5 du graben Albertine........................................................................ 213 Carte n°24 : Enclavement de la zone d’exploration du rift est-africain ................................. 214 Carte n°25: Falaises et plages autour du lac Albert ............................................................... 218 Carte n°26 : Parc des Virunga dans le bloc d'exploration 5 opéré par Soco et Dominion ..... 219

Carte n°27 : Anciennes et nouvelles zones d'activité de l'Armée de résistance du Seigneur en Ouganda. ................................................................................................................................ 227

Carte n°28 : Blocs pétroliers en exploration en Ouganda ...................................................... 230 Tableau 4 : Ministres en charge du secteur du pétrole depuis la fin des années 1990 ........... 238

Carte n°29: Ville d’Hoïma, futur carrefour pétrolier ............................................................. 259 Carte n°30: Bunyoro et les autres royaumes de l’Ouganda ................................................... 260 Carte n°31: Parc de Murchison dans la zone pétrolifère. ....................................................... 267 Carte n°32: Ile de Rukwanzi disputée entre le Congo et l’Ouganda ...................................... 279

Carte n°33 : Zone économique exclusive de la RDC, étouffée par les blocs angolais. ......... 286

Carte n°34 : Blocs pétroliers litigieux entre la RDC et l'Angola ........................................... 289 Carte n°35 : Prétention territoriale maritime de la RDC ........................................................ 296 Carte n°36: Proposition de découpage en concessions sur le lac Kivu entre le Congo et le Rwanda ................................................................................................................................... 313

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Carte n°37: Lac Tanganyika partagé en quatre ...................................................................... 321 Carte n°38: Blocs pétroliers et projets d’exportation du brut du Soudan du Sud .................. 333

Carte n°39: Oléoduc kenyan et projet d’extension vers l’Ouganda ....................................... 354

Carte n°41: Projets d’oléoducs entre l’Ouganda et le Kenya. ................................................ 366 Carte n°42: Découvertes gazières au Mozambique/Tanzanie et projets de centrales électriques. .............................................................................................................................. 369

Schéma n°1 : Les relations entre les Congo et ses voisins ..................................................... 372

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Introduction

La géographie de l’exploration et la production du pétrole et du gaz sur le continent africain

évolue rapidement depuis le début des années 2000. Cela est en partie le résultat de

l’augmentation de la consommation d’hydrocarbures en Asie et dans les pays producteurs, et

des multiples instabilités géopolitiques (Irak, Iran, Venezuela, Arabie Saoudite, Nigeria) qui

ont entraîné depuis 2003 une hausse continue des cours du brut (sur les bourses de Londres et

New York). Ces cours ont permis d’une part, l’accroissement des budgets d’exploration des

plus importantes compagnies pétrolières, celles que l’on appelle les « majors » et d’autre part,

la création de nombreuses sociétés, intéressées par la nouvelle rentabilité que le secteur offre.

Cette séquence économique a immanquablement entraîné un accroissement de la prise de

risque du fait des importantes réserves financières pour les sociétés établies, ainsi qu’une sorte

de raison d’exister pour les firmes récemment créées, ou les nouveaux venus comme les

Chinois, Indiens, Coréens, Brésiliens et Russe, avides de mettre à jour de nouvelles

« frontières » pétrolières que les majors n’ont pas encore découverts. Ce nouveau contexte de

consommation et de cours élevés a un impact direct sur le continent africain où l’exploration

ne se limite désormais plus aux seuls pays du Maghreb et du golfe de Guinée, mais concerne

une quarantaine de pays africains. Cette nouvelle situation a ainsi accru des tensions pour

l’appropriation et le contrôle de territoires autrefois considérés par ces mêmes Etats comme

peu stratégiques puisque ne présentant pas d’intérêt majeur. Or cette nouvelle phase pétrolière

se produit sur un continent africain on le sait non exempt de conflits.

Parmi les éléments pouvant exacerber considérablement les conflits sur le continent africain,

les ressources naturelles (eaux, minerais, hydrocarbures) sont déterminantes. On sait par

exemple que les minerais ont contribué à la création ou du moins à l’allongement de certains

conflits: Liberia, Sierra Leone et République démocratique du Congo, Angola. De même pour

les guerres civiles en Angola et en République du Congo où les revenus du pétrole ont permis

à l’une ou à plusieurs des parties, de se procurer de l’armement et donc d’aggraver les

dommages de part et d’autre. Le pétrole a même parfois été la cause principale d’un conflit

comme dans la région du delta du Niger depuis les années 1990, ce conflit étant loin d’être

terminé.

La multiplication des zones d’exploration pétrolière en Afrique, y compris dans des zones

contestées, où les frontières ont été mal définies depuis l’indépendance et où des tensions

entre communautés ou Etats ont déjà éclaté en conflits, est une des préoccupations

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économiques et géopolitiques actuelles du continent. L’utilisation de la démarche

géopolitique d’Yves Lacoste est ici éclairante car elle implique l’étude des différents acteurs

et leurs luttes de pouvoir pour contrôler des territoires où il y a la présence effective ou

supposée d’hydrocarbures. Ces territoires ne sont pas nécessairement l’objet d’un litige pour

ce qu’ils renferment car dans la période d’exploration, il est encore impossible de déterminer

la présence de ressources, mais ils représentent déjà un potentiel gain politique, économique

ou de pouvoir. Un conflit n’est pas forcément un combat entre deux armées officielles comme

il y en eut de nombreux au 20ème siècle, y compris pour le contrôle du pétrole. Cela peut être,

un conflit entre une armée et des milices, entre une grande compagnie multinationale et des

villageois travaillant à proximité de sa zone d’exploitation. Cela peut être aussi un conflit

majeur du fait de l’importance, politique, symbolique, économique du territoire objet du litige

mais qui peut se dérouler sans violence physique du fait d’une domination diplomatique,

économique et militaire d’un acteur sur l’autre comme nous le verrons entre la République

démocratique du Congo et l’Angola. C’est un cas plus feutré voire étouffé mais qui

n’empêche pas des conséquences importantes. Le conflit représente selon moi les actions ou

moyens mis en œuvre dans le but de dominer un adversaire pour s’emparer et contrôler l’objet

du dit-conflit. La diplomatie et le chantage, dans le cas de différends entre Etats, peuvent

avoir des effets aussi dévastateurs que nombre de combats entre armées.

Si le pétrole, dont l’utilisation à l’échelle industrielle a débuté au milieu du 19ème siècle (aux

Etats-Unis et à Bakou dans l’actuel Azerbaïdjan), n’a historiquement quasiment jamais été la

raison officielle d’une guerre entre armées, il a cependant, dans la réalité été l’un des moteurs

de nombres de conflits. L’un des plus anciens est probablement celui entre la Bolivie et le

Paraguay lors de ce qu’on appelle la guerre du Chaco entre 1932 et 1935. Les deux pays se

sont ainsi combattus causant la mort de centaines de milliers de soldats à la suite de rumeur

sur la présence de pétrole dans la région frontalière de Chaco (nord-ouest du Paraguay et sud-

est de Bolivie). Cela étant, le pétrole n’était pas la raison première du conflit mais davantage

un élément se surajoutant à celui né de frontières mal définies par la puissance colonisatrice

espagnole et de problèmes relationnels passés entre les deux nations. Ce cas de figure d’un

pétrole, ultime étincelle pour enflammer un conflit dont les réels motifs sont ancrés dans

l’histoire d’une région depuis longtemps, se retrouvera souvent dans l’histoire, en particulier

en Afrique où le découpage des frontières par les puissances colonisatrices pose souvent

problème. En l’occurrence, du pétrole, dans le Chaco, il n’en a finalement pas été découvert à

l’époque, et c’est du gaz qui dans la région a commencé à être produit dans les années 1970.

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Mais la probabilité de mettre la main sur un gisement pétrolier a pesé très lourdement dans les

motifs du lancement de la guerre des années 1930.

Après la guerre du Chaco, la seconde guerre mondiale démontre combien le pétrole est

devenu un enjeu stratégique puisque principal combustible pour les transports. En 1942,

Adolphe Hitler se lance dans la conquête de Bakou pour s’assurer d’un approvisionnement en

hydrocarbures, nécessité absolue pour le fonctionnement des blindés et des avions devenus

essentiels dans les combats depuis l’entre-deux guerres. Les Soviétiques empêchent alors

Hitler d’atteindre Bakou grâce à la longue et meurtrière bataille de Stalingrad. Dans ce dernier

cas, ce n’est pas un gisement potentiel en pétrole mais du pétrole produit depuis le 19ème

siècle qui est l’objet du conflit. L’accès à cette matière première aurait représenté un avantage

considérable pour l’armée allemande. Hors des seuls moments de conflits, posséder de

grandes quantités de pétrole comme aux Etats-Unis depuis les années 1850 (en Pennsylvanie,

puis au Texas) est un puissant vecteur de croissance économique. Aux Etats-Unis, cela a

lourdement contribué à la construction de la puissance du pays. Une énergie bon marché et

abondante est capitale dans l’économie d’une nation si celle-ci sait correctement en employer

les revenus. Cependant les réserves américaines se sont bien vite avérées insuffisantes, le pays

a alors privilégié la diplomatie afin de contrôler de nouvelles zones pétrolières comme en

Arabie Saoudite (accord de Quincy en 1945). D’autres conflits pour le contrôle des ressources

pétrolières surgissent rapidement après-guerre. En effet, la découverte par la France en 1956

du pétrole et du gaz à Hassi Messaoud et Hassi R’mel en Algérie a certainement contribué à

rendre le conflit pour l’indépendance entre le Front de libération nationale (FLN) et l’armée

française encore plus violent. L’indépendance suite aux accords d’Evian en 1962 (où dans les

discussions préalables les Français avaient proposé la partition du pays avec un Sahara

pétrolier français et la côte algérienne, évidemment refusé par la partie algérienne) n’abolit

cependant pas tous les privilèges pour l’industrie pétrolière française. Il faut attendre 1965

puis la nationalisation de février 1971 pour que le pays retrouve une réelle souveraineté sur

ses hydrocarbures [voir les ouvrages d’Hocine Malti]. La région du Golfe n’a pas non plus été

épargnée par les conflits liés au pétrole. Si la guerre Iran/Irak entre 1980 et 1988 n’a, une fois

de plus, pas mis en avant le pétrole comme motif (des litiges frontaliers existaient depuis

longtemps), le contrôle par Saddam Hussein des régions iraniennes proches de Bassorah

(région pétrolière du sud la plus prolifique d’Irak avec l’actuel Kurdistan irakien) avait de

toute évidence une visée pétrolière. De même, la première guerre du Golfe de 1990 lors de

l’invasion du Koweït par Saddam Hussein, est en grande partie liée à la nécessité pour l’Irak,

surendetté du fait de la guerre qui l’opposa à l’Iran, de trouver des moyens d’accroitre sa

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production. A l’époque, le prix du brut était très bas, à peine 10 dollars le baril (contre-choc

brutal après l’envolée des prix lors de la révolution iranienne), et les pays prêteurs de l’Irak,

en l’occurrence l’Arabie Saoudite et le Koweït avaient refusé d’annuler leur créance vis-à-vis

de Bagdad. Quant à la deuxième guerre du golfe (ou troisième, c’est selon, si l’on considère la

guerre Iran-Irak comme la première) suite aux événements du 11 septembre 2001, le rôle du

pétrole est beaucoup plus discutable. Si les compagnies américaines sont revenues

nombreuses dans le pays pendant et après le conflit, qui s’est officiellement arrêté en

décembre 2011 avec le retrait des troupes américaines, elles sont loin d’être les seules à avoir

obtenu des contrats. La recherche du contrôle du pétrole a été l’une des composantes du

conflit mais pas la seule. Dans ce conflit, il ne faut pas négliger de prendre en compte de

l’idéologie des néo-conservateurs et de leur représentation du rôle de leader mondial de la

démocratie que doivent assumer les Etats-Unis et de donc de leur mission de l’étendre aux

Etats qui n’en connaissent pas encore les bienfaits.

L’objet de cette thèse n’est pas de comprendre dans quelle mesure le contrôle du pétrole est

facteur de conflit, cela a été maintes fois démontré, mais bien de comprendre dans quelle

mesure l’exploration puis la découverte de pétrole accroît, aggrave et fait durer des conflits

préexistants à son arrivée. Les travaux de Paul Collier et Anke Hoeffler pour la Banque

mondiale « Greed and Grievance in Civil War » publié en 2003 et repris par d’autres

chercheurs comme Philippe Hugon (Hérodote, 3/2009) ont entre autres démontré à l’aide

d’une méthodologie économique quantitative que la présence de matières premières dans une

zone en conflit (en l’occurrence la plupart du temps les minerais comme en Sierra Leone et

Liberia) aggrave les situations car les matières premières permettent le financement de l’effort

de guerre1. Le cas de l’Angola est à cet égard parlant, les deux principaux partis pendant la

guerre civile entre 1975 et 2002 se sont chacun financés par une matière première, le MPLA

grâce au pétrole et l’UNITA grâce au diamant et parfois aussi le pétrole. Cependant, les

réflexions de Collier se sont bien davantage focalisées sur des pays miniers et non pétroliers.

C’est pourquoi l’étude de l’Afrique des Grands Lacs et de l’Afrique de l’Est que nous

réunissons ici sous la formule d’Afrique médiane2 est utile car si des conflits existaient dans

1 Les thèses de Collier ont été combattues pour leur simplification par Christine Messiant et Roland Marchal dans « De l'avidité des rebelles », Critique internationale 3/2002 (no 16), p. 58-69. Les deux chercheurs considèrent que le rapport de la Banque mondiale de Collier ne prend pas en compte les dynamiques politiques et sociales de chacun des conflits mentionnés. 2 Cette expression d’Afrique médiane a notamment été utilisée par Yves Lacoste dans la revue Hérodote en 1997 lors d’un numéro intitulé « Géopolitique d’une Afrique médiane » dont le but était d’étudier le rôle et l’influence des pays frontaliers- ou proches- sur la nouvelle République démocratique du Congo. Cette acception permet aussi bien de parler de l’Angola que de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi, Tanzanie mais aussi du Soudan.

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ces deux zones avant l’arrivée du pétrole, cette matière première a eu ou pourrait avoir des

conséquences aggravantes. On se demande ainsi comment le facteur pétrole se greffe sur une

zone déjà conflictuelle.

Or le continent africain présente une particularité, très dangereuse dans le cas de l’exploitation

du pétrole: les frontières sont très souvent litigieuses car mal délimitées et imprécises,

héritage de partages coloniaux que les Etats africains lors de leur indépendance ont décidé

ensemble d’assumer. Or, si les imprécisions des traités coloniaux ou des balisages peuvent

être surmontées lorsque l’on parle de zones de pêche comme dans les Grands Lacs (Albert,

Edouard, Kivu, Tanganyika, Nyassa), l’exploration des hydrocarbures impose de délimiter ces

frontières au mètre près. C’est pourquoi la recherche de pétrole est souvent le début des

problèmes sérieux, la relative bienveillance passée se transforme vite en une franche hostilité

pour s’accaparer ce qui représente l’avenir économique d’un pays ou plutôt parfois d’un

régime. Les revenus pétroliers peuvent être l’opportunité de s’émanciper, de devenir

réellement indépendant pour certains pays africains, « abonnés » aux aides internationales du

FMI, de la Banque mondiale ou des bailleurs bilatéraux depuis l’indépendance. Le pétrole est

donc le moyen d’une réelle émancipation économique et donc politique pour les dirigeants

dans certaines conditions de gouvernance.

Si les conflits africains n’ont pour la plupart rien à voir avec le pétrole, le continent n’a pas

pour autant complètement été exempté de conflits liés à cette matière première. Ainsi, bien

que la présence de pétrole au Biafra (sud-est du Nigeria), où dans les guerres civiles en

Angola ou en République du Congo, n’ait pas été l’élément déclencheur, elle a néanmoins

renforcé le conflit en le prolongeant du fait de puissances extérieures avides de le contrôler

comme la France dans le cas du Biafra qui a pris le parti des indépendantistes. Le pétrole a pu

aussi être le moteur de financement du conflit comme pour l’Angola. Cependant, si ces

conflits feront l’objet de développements dans la première partie sur les menaces portant sur

la production d’hydrocarbures en Afrique, c’est bien davantage les conséquences des récentes

découvertes, notamment en termes de frontières, qui vont nous préoccuper ainsi que l’arrivée

de nouveaux acteurs (pays producteurs, compagnies venant de divers horizons). Ces acteurs

récents et les changements du secteur pétrolier en Afrique qu’ils accompagnent sont le cœur

de notre sujet.

Cette Afrique médiane -Grands Lacs et Afrique de l’Est- sera cependant scrutée avec

davantage de minutie. Dans ces deux grandes régions, l’exploitation ou l’exploration du

pétrole s’est superposée à des situations déjà conflictuelles. La République démocratique du

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19

Congo, pays central de l’Afrique des Grands lacs, vit depuis une vingtaine d’années des

situations conflictuelles de différentes natures : dans l’est du pays des conflits ouverts armés

avec certains de ses voisins ou avec les milices congolaises que ceux-ci soutiennent, et des

situations que l’on pourrait qualifier post-conflictuelle sur le reste de son territoire. Cette

instabilité à l’est, mais aussi au sud est fortement entretenue par certains des pays voisins,

surtout l’Angola et le Rwanda (l’Ouganda dans une moindre mesure), afin que le grand

Congo (2,3 millions de km² et 70 million d’habitants) ne puisse pas profiter du produit de ses

immenses richesses naturelles et reste un Etat affaibli. Rappelons que ce pays a connu une

sorte d’âge d’or après l’indépendance le 30 juin 1960 où le cuivre ainsi que les autres

minerais lui permettaient d’être un centre de rayonnement régional voire continental au

niveau économique et culturel. Les élites de toute la région venaient se former dans les

universités à Kinshasa ou Lubumbashi comme les Angolais, Gabonais, Congolais de

Brazzaville etc…Or, comme nous allons le voir, l’un des moyens les plus efficaces

d’empêcher la République démocratique du Congo (RDC) de retrouver ce statut est de lui

piller ce qu’il a de plus précieux : ses matières premières.

On sait que la RDC a de nombreuses richesses minières, que l’on connait déjà depuis la

colonisation belge (fin du 19ème siècle-1960) et qui couvre la quasi-totalité de son territoire :

du cuivre dans le Katanga au sud, or et diamant dans la province Orientale au nord, au Kasaï

et dans le district de l’Ituri ainsi que coltan, cassitérite dans les provinces des Kivus (liste non

exhaustive). Seulement si les conséquences du pillage organisé par le Rwanda et l’Ouganda et

du pillage plus sournois, œuvre des fonctionnaires congolais ou hommes d’affaires congolais

avec des soutiens étrangers à l’est du territoire ou au sud en Zambie, ont été très précisément

étudiés par des rapports de l’ONU (notamment le Mapping de la décennie 1993/2003 sorti en

2010), des articles et ouvrages de chercheurs [Pourtier, 2003, Vircoulon, 2005, Deneault,

2008] et diplomates [Jacquemot, 2009], des rapports fréquents d’organisation non

gouvernementales (International Crisis Group, Human Rights Watch, Global Witness), les

conséquences de l’exploration et production pétrolière sont largement inconnues. Avant de

commencer cette recherche en 2007, seul un journaliste allemand Dominic Johnson avait

spécifiquement travaillé sur la question précise du pétrole dans la zone de l’Ituri au Congo et

de son implication dans les conflits locaux déjà préexistants qui avait donné lieu à un rapport

en 2002. Le reste de l’information disponible sur le pétrole dans cette région se trouvait

principalement dans la presse congolaise et ougandaise ainsi que dans les quelques rapports

d’activités des sociétés pétrolières Tullow et Heritage Oil, actives du côté ougandais du lac

Albert (l’autre partie appartenant au Congo). Avec l’importance des découvertes en Ouganda,

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de l’ordre de 2,5 milliards de barils en 2012, et l’arrivée de nouvelles sociétés comme Total et

la compagnie chinoise CNOOC, l’intérêt pour cette zone s’est accru. Non seulement les

articles des journaux des pays concernés sont de plus en plus fréquents, (certains journalistes

à Kampala ne font désormais que couvrir le secteur pétrolier) mais les ONG commencent à

rédiger des rapports sur la question des contrats pétroliers (comme Platform) ou sur les

conséquences de l’exploration pétrolière. Ce dernier point a été abordé dans le premier

rapport écrit sur les conséquences de l’exploration au Congo en dehors de celui de Johnson, et

auquel j’ai grandement contribué, de l’International Crisis Group en 2012. L’accélération de

ces publications témoigne aussi d’une crainte de plus en plus prégnante de certains analystes

concernant l’est du Congo. Les minerais ont été et continuent d’être un facteur très important

du prolongement des conflits et de leur autofinancement dans cette région, validant une fois

de plus une partie des théories de Paul Collier sur les raisons des conflits et des guerres civiles

dans le monde. Le pétrole pourrait aussi être un facteur de déstabilisation supplémentaire dans

cette région qui subit depuis 20 ans les pires atrocités.

Durant ces cinq années de travail, mon objectif a été d’apporter des éléments de réponse à un

thème global qui est celui de la conflictualité de l’exploration et l’exploitation du pétrole et de

nous questionner sur les rivalités de pouvoir suscitées par cette matière première. J’ai choisi

de répondre plus précisément à cette question de la conflictualité de cette matière première

dans un cadre géopolitique d’abord large avec le continent africain puis à un niveau d’analyse

davantage circonscrit avec le cas particulier de l’Afrique médiane. La démarche géopolitique

est dans ce cas utile car elle permet de comprendre comment les différents acteurs congolais

(hommes politiques nationaux, cadres de la fonction publiques, conseillers du président,

dirigeants locaux comme les gouverneurs ou députés…) luttent pour s’approprier ces blocs

pétroliers congolais territorialement bien délimités. A un autre niveau d’analyse, plus grand, il

s’agit de comprendre comment les pays voisins s’ingèrent dans les affaires congolaises afin

d’empêcher le Congo de se développer, en matière pétrolière comme dans d’autres secteurs.

Même si le pétrole n’a pas encore été découvert dans cette zone est du Congo (les

explorations n’en sont qu’à leur début), les champs ougandais qui produiront vers 2016/2017

font déjà rêver. Cela impose de comprendre comment le secteur pétrolier congolais est

organisé, qui prend les décisions (l’un des objectifs les plus difficiles de ce travail) et quelles

sont les raisons qui poussent ces acteurs à les prendre? Ce travail impose de connaître au plus

près les acteurs congolais (ministres, conseillers, députés, cadres de la présidence, du

ministère des hydrocarbures, de l’environnement, de l’énergie).

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Mais cette problématique ne peut se limiter au seul Congo, car ce dernier doit négocier avec

ses voisins pour développer ses ressources pétrolières potentielles. Celles situées à l’est de son

territoire sont en partie limitrophes des lacs partagés avec l’Ouganda, le Rwanda (pour le

méthane) et le Burundi/Tanzanie/Zambie pour le pétrole. Il s’est donc avéré nécessaire

d’étudier la politique pétrolière de ses différents pays en réservant une part beaucoup plus

importante à l’Ouganda, seul pays frontalier à avoir jusqu’alors fait des découvertes

pétrolières significatives depuis 2006. Une comparaison de ce secteur entre le Congo et

l’Ouganda sera donc l’objet de longues analyses. Mais l’étude de la gestion et gouvernance

par les gouvernements n’est pas suffisante pour ces bassins frontaliers. L’intérêt des pétroliers

pour ces zones partagées a entraîné de nombreuses tensions au sujet du tracé de ces frontières.

L’un des objectifs de cette recherche est de décrypter la relation entre le Congo et ses voisins

par l’intermédiaire d’un secteur précis qui est celui de la gestion des bassins partagés

pétroliers. En se focalisant sur ce sujet unique, il est plus aisé de comprendre comment

fonctionne les couples de présidents Kabila/Museveni, Kabila/Kagamé, Kabila/Kikwete. Du

côté Atlantique, la totale sujétion du président congolais Kabila à son homologue angolais

José Eduardo dos Santos sur la question pétrolière montre bien combien le Congo est encore

loin d’avoir recouvert sa souveraineté.

Si le cœur géographique du sujet est bien le Congo et ses voisins de l’est et de l’ouest, j’ai fait

le choix de faire une place importante dans ma réflexion à la problématique d’exportation du

brut. Car en effet, tous les producteurs de la région, ou ceux qui vont le devenir, doivent lutter

contre leur enclavement. Cet enjeu est valable pour l’est du Congo mais également pour

l’Ouganda et pour le Soudan du Sud. L’indépendance de ce dernier en juillet 2011, seule

puissance pétrolière actuelle de la région, change considérablement la donne. La relation

tendue que ce nouveau pays entretient avec le régime du président soudanais Omar el Béchir

entraîne le Soudan du Sud à regarder de plus en plus vers le sud et principalement vers

l’Ouganda et le Kenya afin d’exporter son brut, totalement arrêté suite à un nouveau conflit

avec son voisin historique du nord. Autrefois la totalité de son pétrole passait par Port-

Soudan, désormais, il faut soit trouver une solution de compromis avec le ministère du pétrole

à Khartoum (qu’on attend depuis 2010 et qui aurait été trouvée en août 2012) ou construire

d’autres infrastructures vers le sud. Mais en cas d’accord en 2012 entre les deux Soudan,

aucune certitude ne sera possible sur la durée de leur entente. Le passif est trop lourd. Le

Soudan du Sud fait les frais de sa géographie sans accès à la mer. Il est nécessaire de tenir

compte de ce nouveau pays dans l’analyse régionale et expliquer aussi comment le secteur

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pétrolier depuis son commencement en 1999 s’est structuré autour de l’armée et des services

de renseignement au Soudan. Ce dernier est de plus dans une situation identique à celle du

Congo (en cas d’importantes découvertes), le pétrole est venu se rajouter à une situation déjà

conflictuelle. Analyser les similitudes et les différences entre les deux cas est intéressant dans

une démarche prospective pour le Congo. Les différents projets de tracés d’oléoducs

d’exportation des compagnies pétrolières, pour le pétrole ougandais et plus tard congolais et

peut être sud-soudanais se terminent au Kenya (Lamu ou Mombasa) ou en Tanzanie (Dar es

Salaam), il convient de comprendre quels sont les avantages et les enjeux de ces différents

tracés. Cela est d’autant plus intéressant à analyser que le Kenya a fait ses premières

découvertes pétrolières au début de l’année 2012 et va donc probablement rentrer dans le club

des producteurs à la fin de cette décennie. Dans la même problématique d’enclavement, il est

difficile de ne pas dire un mot sur le Mozambique qui a fait depuis 2010 des découvertes

gazières gigantesques. Seulement, le Mozambique qui est dépourvu de marché local et même

régional, doit réfléchir à l’exportation par liquéfaction et l’approvisionnement des pays

asiatiques. Notre sujet s’inscrit donc résolument dans l’Afrique des Grands Lacs mais aussi

dans l’Afrique de l’est, sans laquelle rien n’est possible en termes d’exportation et de marché.

Concernant le Congo et les problématiques avec ses voisins immédiats de l’Afrique des

Grands lacs, j’ai fait le choix de commencer l’analyse avec l’arrivée de Laurent Désiré Kabila

au pouvoir en 1997. Cette étude se termine avec les élections présidentielles de la fin 2011 au

Congo que je n’ai pas traité. En effet, pour ce sujet, les conséquences les plus intéressantes de

cette élection sont la formation des gouvernements (qui est intervenue seulement en avril

2012) et la nomination des cabinets et des nouvelles personnes influentes. Or, à l’écriture de

ces lignes, le nouveau gouvernement et principalement le ministère des hydrocarbures n’a pas

encore pris la moindre décision. C’est donc sous les présidences de Laurent mais

principalement Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001, que le secteur pétrolier sera étudié.

La relation du Congo avec les pays frontaliers sera également étudiée pendant les mandats de

la famille Kabila. Concernant l’Afrique de l’Est et son lien avec l’Afrique des Grands Lacs

pour l’exportation et la question de l’enclavement, dans une démarche d’ouverture et de

prospective, j’ai centré cette analyse sur les projets d’oléoducs vers le Kenya, sur les

négociations entre le Nord Soudan et le Soudan du Sud et les découvertes au Mozambique.

L’étude du secteur pétrolier s’est focalisée sur les acteurs politiques : des ministres, aux

conseillers du président, jusqu’aux députés nationaux et provinciaux des régions pétrolières,

les cadres de la fonction publique en charge du pétrole (au ministère de l’énergie, de

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l’environnement ou des hydrocarbures) et évidemment sur les compagnies pétrolières privées

et publiques. Cela a été complété aussi par le travail des ONG et des représentants de la

société civile dans les zones d’exploration au Congo comme en Ouganda. Le jeu d’acteurs est

compliqué à comprendre au Congo car il a une résonnance éminemment géopolitique, les

différents protagonistes jouant une partition parfois très singulière pour leur rang (la

hiérarchie ne veut pas dire grand-chose au Congo, un ministre peut n’avoir aucun pouvoir) et

fonctionnant davantage en fonction d’intérêts liés à leur province d’origine ou de leur

proximité avec le chef. La dimension de sujétion à l’extérieur est également à prendre en

compte. Au sein du pouvoir congolais, il est nécessaire de savoir qui a des accointances avec

l’Angola, avec le Rwanda ou avec l’Ouganda. Les choix de politique nationale sont

intrinsèquement liés à l’influence de ces trois pays ayant des intérêts importants au Congo.

Cela explique d’avoir privilégié l’étude des lieux de pouvoir et d’avoir passé la plus grande

partie du temps des terrains d’enquêtes à tenter d’approcher puis de nouer des liens de

confiance avec ces personnes et acteurs de haut niveau, qui pour certains ne désirent pas

parler et sont difficiles à interroger.

Afin d’apporter des éléments de réponse à la problématique de la conflictualité pétrolière sur

des zones déjà instables, j’ai d’abord souhaité commencer par une partie introductive sur ce

qu’est le pétrole en Afrique. L’axe de cette première partie a été de privilégier les cas de

litiges en répondant à cette question, quelles sont les menaces qui pèsent sur la production

pétrolière et gazière africaine ? Le continent étant un formidable pourvoyeur d’énergie pour le

marché mondial, va-t-il continuer à le rester, malgré ses conflits multiples dans le delta du

Niger au Nigeria, les guerres civiles passées (Congo Brazzaville, Angola), les nationalismes

pétroliers conduisant à la baisse de la production (Algérie) ? De même, la multiplication des

conflits frontaliers liés à l’exploration de cette matière première, peuvent-ils dégénérés et

quels sont les moyens à la disposition des Etats pour les régler ? Enfin, la faible

consommation du continent et donc sa très grande capacité d’exportation (7 barils sur 10 sont

exportés hors de l’Afrique) représente-t-elle une tendance qui va durer ?

Cette première partie repose d’une part, sur les travaux de chercheurs qui se sont intéressés au

pétrole en Afrique mais surtout sur mes enquêtes de terrain depuis 2007 sur le continent

africain. D’abord dans le cadre du master où nous sommes restés plusieurs mois en

Mauritanie pour étudier les conséquences de l’exploitation pétrolière qui avait commencé en

février 2006, ensuite dans le cadre du doctorat où nous nous sommes rendus à nouveau en

Mauritanie, au Mali, au Sénégal pour l’exploration pétrolière, ainsi qu’au Ghana (producteur

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depuis 2010), et bien évidemment en République démocratique du Congo et en Ouganda où

nous nous sommes rendus à de nombreuses reprises et en Afrique du Sud pour les multiples

sommets pétroliers. Ces terrains nous ont permis de rencontrer les acteurs de ce secteur ainsi

que de visiter les installations pétrolières notamment en Ouganda où nous avons pu nous

rendre aux abords du lac Albert (ce qui est désormais quasiment impossible pour les

chercheurs). Autre source majeure d’informations depuis l’été 2008, mon travail comme

principal rédacteur de la lettre d’informations Africa Energy Intelligence qui délivre toutes les

deux semaines le résultat d’investigations poussées sur les secteurs du pétrole, gaz et

électricité en Afrique. Cette fonction m’a permis grâce aux sommets pétroliers (très bons

moyens de rencontrer des cadres de pays marginaux dans le pétrole comme la Somalie, Sao

Tomé, la Gambie..) puis lors de très fréquentes entrevues privées, d’enrichir un réseau de

sources dans une trentaine de pays africains, notamment avec des cadres de ministères et

hommes politiques en charge des secteurs de l’énergie et du pétrole. Cette connaissance de

chacun des pays africains dans ces secteurs précis s’est avérée précieuse afin de brosser un

tableau le plus fidèle possible de la réalité car basée sur des entretiens très fréquents (plusieurs

par semaine pour certains pays) avec les fonctionnaires et hommes politiques qui prennent les

décisions dans leur pays. Ces conversations m’ont permis d’être en permanence en prise avec

le terrain. Je ne citerai que très rarement mes interlocuteurs, les conversations ayant été

acceptées quasiment à chaque fois en échange d’un anonymat total.

Ce réseau de sources fidèles ainsi que les nombreux voyages effectués pour Africa Energy

Intelligence ou dans le cadre du doctorat m’a aussi permis de rédiger les deux autres parties

de cette thèse sur lesquelles la littérature est peu prolifique. Notre deuxième partie sur la

gouvernance du pétrole au Congo et en Ouganda et sur les explorations en cours a été presque

entièrement basée sur des entretiens et l’observation sur le terrain. Certains cadres du secteur

ont parfois écrit de livres très intéressants en particulier en Ouganda comme l’ex responsable

du ministère de l’énergie en charge de l’exploration/production Reuben Kashambuzi, mais

leur diffusion ne dépasse pas le cadre du pays, se les procurer et apprendre même leur

existence a donc pris du temps. Le plus chronophage a été de comprendre qui a le pouvoir et

pourquoi les décisions dans le secteur pétrolier sont prises, en effet les titres officiels n’ont

que peu de valeur au Congo. L’Ouganda n’est d’ailleurs pas exempt non plus de ce type de

fonctionnement parallèle comme on le verra et ce, même si ses cadres pétroliers ont très

rapidement appris alors même que le pays n’a jamais rien produit, contrairement au Congo.

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La troisième partie que nous avons rédigée sur les problèmes de bassin partagés entre

plusieurs pays et sur l’enclavement pétrolier de région en conflits: l’Afrique des Grands Lacs

et par extension de celui de l’Afrique de l’Est, a été aussi principalement traitée en nouant des

relations particulières avec des fonctionnaires, hommes politiques et militaires en Angola, au

Soudan et Soudan du Sud, au Kenya et en Tanzanie. Ces derniers s’ajoutant à ceux que nous

avions déjà au Congo et en Ouganda, dont l’aide a été une nouvelle fois précieuse et décisive.

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Partie I : Le pétrole africain, un danger ou une chance

pour le marché mondial des hydrocarbures ?

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Avant de nous appesantir plus avant sur la région des Grands lacs, cœur géographique de

notre recherche, et plus particulièrement sur la question de l'exploration/exploitation

pétrolière et gazière, il est indispensable de faire un point sur l'industrie pétrolière sur un plan

plus large, à l'échelle du continent africain. Sur ce sujet, nous ne partons pas de rien, beaucoup

de recherches ont donné lieu à la publication de travaux académiques ou d’ouvrages de

journalistes d’investigation. Cependant, cette ressource bibliographique est principalement

focalisée sur les producteurs anciens. Plusieurs chercheurs se sont intéressés aux

conséquences de l'exploitation pétrolière dans un pays en particulier, thème plus

particulièrement étudié depuis les années 1990. On peut faire état de certains doctorats qui

sont encore fréquemment cités aujourd'hui, c'est le cas de celui de Douglas Yates sur le

Gabon « The Rentier State in Africa: Oil Rent Dependency and Neocolonialism in the

Republic of Gabon » soutenu en 1996. Yates y montre les effets pervers de la manne

pétrolière dans un pays qui n'a pas réussi à diversifier son économie et qui n'a eu que trois

présidents depuis l'indépendance en 1960 (deux seulement lors la rédaction de son doctorat).

On peut également citer le travail de Géraud Magrin sur « Le sud du Tchad en mutation. Des

champs de coton aux sirènes de l'or noir », soutenu en 2001. Magrin met l'accent sur les

mutations profondes d'une région autrefois agricole où la production de coton était importante

et sa lente transformation lors du développement de l'exploitation pétrolière, qui a commencé

en 2003. Il y a aussi les travaux de Nicolas Donner sur le thème « l'Exploitation pétrolière et

dynamiques géographiques dans les territoires insulaires du golfe de Guinée ». Ses articles

rendent compte de l’exploitation du pétrole en Guinée équatoriale et de l’exploration à Sao

Tomé et Principe3. Le pétrole en Guinée équatoriale qui est exploité depuis 1993 a permis

d’accentuer le pouvoir de son président Teodoro Obiang Nguema depuis 1979. Ce dernier a

ainsi trouvé les moyens de durcir son emprise sur un pays auparavant parmi les plus pauvres

du continent africain. Concernant le plus gros producteur africain, le Nigeria, la thèse de

Kathryn Nwajiaku « Oil politics and identity transformation in Nigeria: the case of the Ijaw of

the Niger Delta » soutenue en 2005 sur le groupe ethnique des Ijaw du delta du Niger a donné

un éclairage unique sur la stratégie d'un groupe ethnique dans l'appropriation d'une ressource

qui bouleverse son quotidien en terme environnemental et financier. Tous les moyens sont

mis en œuvre pour capter une partie des revenus grâce à la création d'Etat (comme Bayelsa

d'où vient l'actuel président du Nigeria Goodluck Jonathan) et de gouvernements locaux. Un

autre groupe ethnique dominant du delta du Niger, les Ibo, a été décrite par Philipe Sébille-

3 Nicolas Donner, « Notes sur la dimension immunitaire des enclaves pétrolières », EchoGéo [En ligne], numéro 17 ou du même auteur « The Myth of the Oil Curse: Exploitation and Diversion in Equatorial Guine »a, Afro-Hispanic Review, vol.28, n°2, 2009.

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Lopez dans sa thèse « Géopolitique des hydrocarbures au Nigeria du plan mondial au plan

local » soutenue à l’Institut Français de Géopolitique en 2009. D’autres chercheurs ont

travaillé sur la question pétrolière d'un point de vue plus régional comme Ricardo Soares de

Oliveira avec le golfe de Guinée : « Oil and politics in the Gulf of Guinea », ouvrage paru en

2007 et directement inspiré de ces travaux de doctorat. Il y explique notamment combien les

pays de cette zone allant du Nigeria à l'Angola sont ultra dépendants de la manne pétrolière et

que cette dernière renforce les moyens de leurs dirigeants pour se maintenir au pouvoir. Deux

ouvrages de référence de journalistes d'investigation sortis en 2007 ont également beaucoup

apporté au sujet avec cette fois-ci une vision davantage continentale. C’est d'abord le cas du

livre de John Ghazvinian “Untapped, the scramble for Africa's oil” ainsi que de “Poisoned

Wells, the dirty politics of african oil” écrit par Nicholas Shaxson. Grâce à leurs nombreuses

enquêtes de terrains, ces deux auteurs ont permis une approche instructive et très détaillée des

conséquences du pétrole à l’échelle de l’Afrique. Ghazvinian est encore aujourd'hui l'un des

rares auteurs à avoir pu montrer la particularité et la spécificité de chacun des producteurs ou

futurs producteurs, grâce à des séjours sur place, y compris dans les zones difficiles (sud du

Soudan de l'époque, delta du Niger, Guinée équatoriale, Cabinda en Angola). Chacun de ces

pays est différent du fait de son histoire, de l'état de son administration après l'indépendance

(les colonies britanniques et françaises ont davantage fait participer "les locaux" à

l'administration contrairement aux colonies portugaises où ils en ont été davantage écartés4).

La spécificité géographique peut jouer également, Ghazvinian parle par exemple très

longuement de l'enclave de Cabinda qui appartient à l'Angola mais dont le territoire, riche en

brut, aiguise les tentations indépendantistes...

Citons également les travaux de l'économiste Duncan Clarke qui anime chaque année depuis

vingt ans le plus important sommet pétrolier du continent au Cap en Afrique du Sud, l'Africa

Oil Week. Clarke a fait paraître en 2008 un ouvrage sur l'histoire de l'exploration et la

production pétrolière « Crude continent, the struggle for Africa's oil prize ». Ce livre qui se

veut assez exhaustif est une sorte de tableau de la situation pétrolière actuelle du continent.

Clarke donne sa vision des compagnies pétrolières et de leur stratégie selon leur taille et leur

provenance. L’ouvrage est très instructif pour comprendre les différences et stratégies des

divers acteurs pétroliers. On compte aujourd’hui plus d’une centaine de sociétés pétrolières en

activité dans une quarantaine de pays africains.

4 Voir Ghazvinian ainsi que conversations personnels avec des cadres angolais et mozambicains de la fonction publique.

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L'exploration et la future exploitation dans les Grands Lacs s'inscrivent dans un contexte bien

particulier, celui d'une Afrique où les producteurs sont déjà nombreux (19) et parfois très

anciens (fin des années 1950 pour le Nigeria, l'Algérie, le Gabon). Ils ont tous une histoire

particulière et un lien singulier avec le secteur pétrolier. Ce dernier peut être ultra dominant et

destructeur pour les autres secteurs économiques qui ont peu à peu dépéri, c'est le cas de la

plupart des Etats africains qui n'ont dans l'ensemble jamais réussi le pari de la diversification

économique avec un budget alimenté jusqu’à 80% par des recettes pétrolières (cas du Nigeria,

République du Congo et Gabon). Ce secteur peut-être également mineur ou représenter un

parmi d'autres: cas de l'Afrique du Sud, Mauritanie ou Tunisie par exemple, tous ces pays

consommant bien davantage que leur production. Dans ces derniers cas, il n'y a pas eu de

bouleversement, l'économie n'ayant pas été transformée après l'arrivée de cette ressource.

Evidemment, dans cette première partie, nous allons bien davantage nous concentrer sur le

premier cas des pays exportateurs d'hydrocarbures. La problématique de cette partie consiste à

se demander quelles sont les menaces qui pèsent sur la production de pétrole et de gaz du

continent africain, qui pourvoit à la production d'un baril sur huit consommés par l'économie

mondiale chaque jour ainsi que près de 11% des besoins en gaz. La thématique de la

production en zone de conflit, fil rouge de la démonstration de ce doctorat est applicable à de

nombreux producteurs africains. Cette conflictualité du pétrole n’implique pas que des Etats

soient toujours en guerre ouverte (cela a très rarement été le cas dans l’histoire pétrolière)

mais l’exploitation entraîne la multiplication de différends entre acteurs de différents niveaux.

Cette situation pétrolière nouvelle où le niveau des cours excitent les compagnies ainsi que les

responsables du secteur sur place seraient parfois en Afrique dans un environnement déjà

difficile voire en instabilité préexistante (nous le verrons avec l’Afrique des Grands lacs et

l’Afrique de l’est dans la deuxième et troisième partie). Les conflits actuels liés à

l’exploitation de cette ressource si spéciale sont bien évidemment de diverses natures. Les

hydrocarbures peuvent être la cause de litiges frontaliers entre Etats (Grands Lacs,

Nigeria/Cameroun etc…), la captation des revenus du pétrole peut aussi conduire à un jeu

violent entre acteurs locaux, régionaux et fédéraux ainsi qu’avec les compagnies comme au

Nigeria avec comme conséquence une atomisation du pouvoir ; le pétrole peut conduire au

renforcement du pouvoir de dirigeants autocrates comme en Guinée équatoriale (qui devienne

tout d’un coup fréquentable auprès des nouveaux clients : les Etats-Unis), l'arrivée de

nouveaux acteurs dans ce secteur comme les sociétés d’Etat asiatiques peut s’avérer aussi une

source de conflit avec les cadres nationaux du secteur comme ceux des ministères (Niger,

Tchad, Soudan/Soudan du Sud).

Page 30: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

30

Les études récentes sur les nouvelles zones d'exploration et de futures exploitations sont loin

d'être légion. Hormis qui nous avons déjà cités, les doctorats et travaux académiques se

focalisent principalement sur les anciennes zones productrices comme le Gabon, le Nigeria,

l’Algérie qui produisent depuis la fin des années 1950. Et pourtant, la géopolitique pétrolière

et gazière du continent a beaucoup évolué ces dix dernières années.

A cela deux causes principales. La première est d’ordre économique : le marché pétrolier

mondial s'est métamorphosé depuis la fin des années 1990. En 1998, les cours étaient au plus

bas avec un baril à 10 dollars à peine. A partir de 1998, grâce au respect des quotas de

l'Organisation des pays explorateurs de pétrole (OPEP), le baril a fluctué entre 22 et 28

dollars. A partir de 2003, une nouvelle séquence économique s'ouvre. Grâce à une croissance

de la demande et de multiples conflits géopolitiques (Iran, Irak, Arabie Saoudite, Venezuela,

Nigeria, etc…), le baril est parti de 28,1 dollars en 2003 pour atteindre 36,5 dollars en 2004,

50,6 en 2005, 61,1 en 2006, 69,1 en 2007, 94,4 en 2008 (avec un pic historique à 147 dollars

le 11 juillet) avant de redescendre ponctuellement à 61,1 en 2009 et remonter finalement à 76

en 2010. Ces cours à la hausse ont eu comme principale conséquence de modifier en

profondeur la géopolitique des zones d'exploration dans le monde. Les budgets d'explorations

des sociétés pétrolières ont encouragé la recherche dans des bassins sédimentaires peu

connues et plus instables comme dans l’Afrique des Grands Lacs afin d'ouvrir de nouvelles

perspectives de découvertes.

La ruée spécifique sur le pétrole africain et donc de la conquête de zones particulièrement

difficiles est aussi la conséquence de la politique énergétique des Etats-Unis mise en place

après le 11 septembre 2001. Dans un souci de rééquilibrer la politique énergétique de son

pays, l'administration Bush, fortement poussée par le vice-président Dick Cheney, a misé sur

l'Afrique afin de moins dépendre du golfe Persique d’où venait la quasi-totalité des terroristes

du 11 septembre. Les prévisions du National Intelligence Council, indiquent que les Etats-

Unis (plus grand consommateur du monde) pourraient faire passer le volume de leur

importation africaine de 16% en 2001 à 25% d’ici à 2015. Cela laisse donc pour les

compagnies américaines et étrangères de grands espoirs d’achats de cargaison de la part des

Américains venant d’Afrique.

La conjugaison d’importants moyens financiers de la part des pétroliers et la nouvelle

importance géopolitique de l’Afrique pour les puissances comme les Etats-Unis entraînent

une multiplication des découvertes dans des zones considérées encore récemment par les

majors, comme marginales voire inintéressantes. C'est le cas de l'offshore ouest-africain allant

Page 31: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

31

de la Guinée Conakry jusqu'au Ghana (en passant notamment par les très prometteurs Sierra

Leone et Liberia), de la bande sahélienne : de la Mauritanie au Soudan en passant par le Niger

et le Tchad, de l'Afrique des Grands Lacs (République démocratique du Congo, Ouganda,

Rwanda, Burundi) ou de l'offshore d'Afrique de l'Est (Kenya, Tanzanie, Mozambique). Ces

zones ne sont quasiment pas étudiées, elles requièrent donc qu'on y prête une attention toute

particulière dans cette première partie (l’Afrique de l’Est sera principalement couverte lors de

la 3ème partie). Hors de ces nouvelles zones sur lesquelles il faut s'appesantir, il semble utile de

revenir sur ce que représentent actuellement les producteurs historiques car ils comptent

toujours pour une part majoritaire du débit pétrolier et gazier du continent. Par historique,

nous faisons référence au Nigeria, Gabon, Angola, République du Congo, Algérie et Libye.

Mais au lieu de les traiter les uns après les autres, nous chercherons à chaque fois à mettre en

valeur un axe particulier afin de comprendre leur spécificité face à la problématique de fond :

produire en zone de conflit. Les conflits peuvent être localisés comme c'est le cas avec le delta

du Niger où des militants combattent l'Etat ainsi que les compagnies pétrolières. Cela peut

également être un conflit poussé par un nationalisme pétrolier fort qui met en danger la

production de long terme comme en Algérie, ou bien des conflits de frontières pour

l'appropriation des hydrocarbures (l'Afrique en connait ou en a connu de nombreux), ou

encore des conflits entre compagnies pétrolières. A ce titre, l’arrivée de la Chine est un

exemple intéressant, elle a pu être considérée comme un danger pour les major pétrolières

occidentales mais peu à peu, elle devient grâce à ces trois sociétés étatiques, un acteur

"presque" (elles opèrent encore dans des zones où les autres ne veulent plus aller) comme les

autres.

Si la géographie de l'exploration a changé, les acteurs pétroliers aussi se sont diversifiés. Les

majors occidentales sont toujours massivement sur le terrain africain depuis le début du 20ème

siècle. Elles continuent d'avoir un rôle clé pour mener des projets d'importance au Nigeria,

Angola, Algérie, Congo-Brazzaville, Gabon, et sont toujours largement les premiers

producteurs en volume sur le continent africain. Elles sont cependant rejointes depuis les

années 1980, par des sociétés intermédiaires qui ont un rôle de pionnier, elles prennent

d'avantage de risques dans leur stratégie que les firmes géantes. Cela peut d'ailleurs être

payant comme au Ghana et en Ouganda avec les découvertes de Tullow Oil. Ce type d'acteur

qui produit déjà, a de l'expertise et une importante surface financière (où au moins la

confiance des marchés pour lever des fonds) mais il ne peut entreprendre des projets

gigantesques à lui tout seul. Il doit se résoudre à travailler à un moment du développement de

son projet, en coopération avec des majors. Les sociétés intermédiaires sont elles-mêmes

Page 32: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

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rejointes par des compagnies nouvellement créées, qui ont parfois peu de moyen et peu

d'expertise. Ces sociétés spéculatives sont intéressantes car elles parviennent parfois à obtenir

de très bon permis d'exploration. Les majors ou groupes intermédiaires sont contraints de

négocier avec elles en cas de découvertes à proximité de leur blocs. Hors de la simple

question de la taille et de l'expertise des sociétés, la nationalité d'origine est importante à

analyser. Si jusqu'aux années 1980/90, les sociétés venaient quasi-exclusivement d'Occident

c'est-à-dire Etats-Unis, Canada, Europe et Australie, cela n'est plus du tout le cas aujourd'hui.

Les sociétés indiennes, chinoises, malaisiennes, coréennes, brésiliennes, argentines, et russes

ont pris une part considérable dans l'exploration du pétrole africain. Si c'est principalement les

sociétés étatiques de ces pays qui sont actives, ces Etats en très forte croissance économique

ont aussi des compagnies privées sur le continent. La présence chinoise doit encore être

cependant mise à part dans l'analyse. Les sociétés de ce pays, principalement publiques, ont

consenti des milliards de dollars d'investissement depuis le milieu des années 1990 et ont

permis à des pays comme le Soudan ou le Niger de devenir producteurs, alors même que le

potentiel de leur sous-sol était connu depuis longtemps, grâce aux majors occidentales.

Cependant, aucune de ces sociétés venant d'Europe et des Etats-Unis n'a voulu se lancer dans

le développement des gisements pour des questions de risques politiques ou et d'enclavement

géographique. Enfin, tous ces acteurs sont rejoints par l'entrée des sociétés africaines

nationales dans l'exploration dans leur pays d’origine, dans d'autres pays africains ou même

en dehors du continent (cas de la Sonangol angolaise présente en Iran, Irak et Venezuela ou de

la Sonatrach algérienne en Colombie). Des sociétés privées africaines se développent aussi

principalement au Nigeria avec des visées d’abord nationales puis régionales (cas d’Oando,

MRS ou de Taleveras), très actives en Afrique de l’Ouest.

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Carte n°1a et 1b: Diversité des sociétés pétrolières actives en Afrique

Source : Sites internet des sociétés pétrolières mentionnées.

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34

Sources : Sites internet des sociétés mentionnées.

Hors des compagnies pétrolières, un autre acteur a profondément changé en Afrique: l'Etat.

Avec dix-neuf producteurs de pétrole et neuf de gaz, ainsi que plus de quarante nations en

exploration, le continent africain est "cerné" par les opérateurs du secteur. La gouvernance

Page 35: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

35

pétrolière est cependant très différente selon les pays. Cela vient principalement de la période

où la production a commencé. Au début des années 1950 par exemple, aucun de ces pays

n'étaient indépendants et l’organisation d'administrations en charge du secteur a pris du temps

à se former, voire n'a jamais réussir à se structurer. D’où une importante présidentialisation

des décisions. A l'opposé, on peut prendre le cas du Ghana où la production de pétrole n'a

commencé qu'en 2010. Ce pays a eu le loisir de s’inspirer des différents modèles de

gouvernance afin d'éviter certains contre-exemples. Le Ghana, ayant déjà un système

politique parmi les plus démocratiques en Afrique, a pu également profiter de l'aide

d'organismes tels que les bailleurs de fonds ou de la coopération norvégienne pour former ses

cadres à des pratiques optimales dans le secteur pétrolier.

Nous nous proposons de commencer cette partie par une étude globale de l'exploration et la

production en Afrique. Ce sera l'occasion de se pencher sur le poids du continent dans la

production et consommation mondiale ainsi que sur les espoirs de découvertes futures pour

répondre à l'accroissement de la demande. Les acteurs pétroliers sont très divers et leur poids

diplomatique et économique est loin d’être identique. Pour répondre à la problématique

centrale, de la production en zone de conflit, nous poursuivrons par l’étude des différentes

menaces qui ont pesé ou pèsent sur la production du continent, que cela soit lié à des conflits

de frontières (Ghana/Côte d’Ivoire) des conflits internes géopolitiques (delta du Niger au

Nigeria) ou des guerres civiles qui ont été permises, allongées et davantage meurtrière grâce

ou pour l’argent du pétrole (Congo-Brazzaville, Biafra, Angola). Nous ne prétendons pas que

le continent africain n’a que des producteurs pétroliers et gaziers en conflit, cependant, cette

ressource est aujourd’hui un puissant stimulateur de litige territorial et parfois légal, ainsi que

de violence. Cela s’explique par la puissance de la représentation du pétrole chez les élites

comme chez les populations. Il faut chercher à le contrôler à tout prix, y compris s’il ne nous

appartient pas. A ce titre, cette ressource représente une incarnation parfaite de l’étude

géopolitique : lutte de pouvoir sur ou pour le contrôle d’un territoire.

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36

1 La production africaine d’hydrocarbures, des situations très diverses

1-1 Les producteurs de pétrole en Afrique

Avant de détailler les différences entre les Etats producteurs, analysons le tableau ci-dessous

qui regroupe le débit quotidien, les réserves et l'année de première production des nations

africaines.

Tableau n°1 : Les producteurs de pétrole africains en 2011

Production/Millions

barils par jour

(2011)

Reserves/milliards

de barils

Année du premier

baril exporté

Nigeria 2,4 37,2 1958

Angola 1,8 13,5 1959

Libye 1,6 46,4 1961

Algérie 1,8 12,2 1958

Egypte 0,7 4,5 1910

Soudan du Sud 0,35 6,7 1999

République du

Congo

0,29 1,9 1967

Guinée équatoriale 0,27 1,7 1993

Gabon 0,24 3,7 1957

Tchad 0,12 1,5 2003

Soudan (Khartoum) 0,1 1 à 2 1999

Ghana 0,8 1 à 2 2010

Tunisie 0,080 0,4

Cameroun 0,073 0,5 1977

Côte d’Ivoire 0,034 0,5 1982/

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37

République

Démocratique du

Congo

0,025 0,5 1976

Niger 0,20 0,6 2011

Afrique du Sud 0,020 0,5

Mauritanie 0,008 0,2 2006

Total 10 132 /

Sources : BP Statistical Review of World Energy 2011/Benjamin Augé

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Carte n°2: La production pétrolière africaine.

Sources : BP Statistical Review, Benjamin Augé

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Au-delà des données déjà évoquées, le tableau 1 permet de donner une vision prospective

grâces aux flèches indiquant si la production des différents pays stagne, diminue ou s'accroît.

Cette carte permet de localiser tous les producteurs ainsi que de mesure leur importance. Il

n'est pas question ici de faire un développement sur chacun des producteurs mais d'expliquer

les grandes tendances en prenant quelques pays clés. La première remarque est que l'Afrique

compte pour près de 9,5% des réserves du monde en pétrole soit 132 des 1382 milliards de

barils actuellement mis à jour. C'est finalement assez peu. Ce pourcentage est à peu près le

même depuis trente ans. En 1980, le continent ne comptait que 53,4 milliards de barils de

réserve sur un volume global de 667. L'Afrique pesait alors 9% des réserves mondiales. On

peut en conclure qu’historiquement les découvertes sur le continent Africain se sont fait au

même rythme que celles dans les autres zones du globe car la part du continent n'a jamais

diminuée alors que les réserves mondiales ont été multipliées par deux. Cela démontre un

intérêt des compagnies pétrolières depuis fort longtemps pour l'Afrique : des moyens

importants y ont été investis. Ce que l'on voit aussi dans ce tableau et la carte, c'est la très

grande hétérogénéité des cas. Une multitude d'Etats produisent quelques dizaines de milliers

de barils par jour et seuls quatre sont au-dessus d'un million de barils par jour : Nigeria,

Angola, Algérie, Libye.

Les piliers pétroliers

Les deux piliers pétroliers africains devraient rester la Libye et le Nigeria. A eux deux, ils

renferment les 2/3 des réserves totales de pétrole avec 83 sur 132 milliards de barils. L'Angola

arrive en troisième position et peut, grâce à ses découvertes récentes, monter sensiblement,

sans toutefois espérer rejoindre la Libye ni le Nigeria dans le court et moyen terme. Ces deux

derniers produisent d'ailleurs assez peu compte tenu de leur réserve. Pour le Nigeria, les défis

sécuritaires dans la région de production, le delta du Niger, expliquent largement ce débit

assez bas (2,4 millions b/j), la Libye a quant à elle souffert des embargos américains des

années 1980 à 2004 et sanctions onusiennes entre 1993 et 1999. Dans le cas nigérian, la

sécurité est loin d'être rétablie (nous y reviendrons plus tard), et pour la Libye, plus aucune

sanction n'est en place mais les défis des nouvelles autorités qui ont pris le pouvoir à la chute

de Mouammar Kadhafi en octobre 2011 sont immenses et il est difficile de se prononcer si tôt

sur sa politique pétrolière. Ces deux pays peuvent être considérés comme l'Arabie Saoudite et

l'Iran d'Afrique et ils seront probablement les derniers à produire sur le continent. Des

découvertes importantes sont évidemment à prévoir ailleurs encore, mais elles ne permettront

probablement pas de rivaliser avec celles des deux géants. De plus, les réserves nigérianes et

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libyennes ne sont pas non plus vouées à rester au même niveau. Si l'onshore du Nigeria est

assez bien radiographié, des milliers de forage depuis les années 1950 ont été effectués, des

découvertes sont encore possibles dans l'offshore profond permettant d'accroitre encore les

réserves. La croissance de la production dépend de la sécurité mais atteindre 3 voire 4

millions de b/j serait tout à fait faisable en cas de longue période de calme dans le Delta (zone

de production). Quant à la Libye, comme on peut le voir sur la carte ci-dessous, seule une

petite partie de son territoire est en production, et son territoire est loin d’avoir été entièrement

radiographié.

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Carte n°3: Pétrole et gaz en Libye.

Source : African Energy, n°206, 1 avril 2011/Benjamin Augé

Hors de la zone ouest, l'offshore libyen est encore assez mal connu. Des blocs ont été attribués

notamment à des sociétés occidentales après 2004 mais davantage de temps est nécessaire

pour avoir une vision du potentiel des eaux territoriales libyennes. Actuellement une très

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faible part de la production provient de l'offshore du pays. De même, les régions sahéliennes

les plus lointaines de la côte, frontalières avec le Tchad et le Soudan, sont également mal

connues. La Libye a besoin d'investissements lourds sur le long terme pour mettre en

production ce qui a été déjà découvert et améliorer le taux de récupération5. Son cas est à

rapprocher de celui de l'Irak avant la guerre de 2003. Les découvertes étaient déjà immenses

mais le manque d'investissements et l'usage de technologie vieillissante faisaient stagner la

production aux alentours des 2 millions de b/j alors que les réserves étaient de 115 milliards

de barils6. Avant la chute de Kadhafi en 2011, la production libyenne était aux alentours de

1,6 million b/j, mais en 1970, alors que les découvertes étaient beaucoup moins importantes

qu'aujourd'hui, la production atteignait 3,3 millions de b/j7.

Revenons à nouveau au tableau 1, en particulier sur le cas du potentiel de l'Angola. La guerre

civile de 1974 à 2002 a lourdement pénalisé ce pays. La mort de Jonas Savimbi en 2002, le

chef de d'un des deux mouvements l'UNITA, a d'ailleurs coïncidé avec le début d'une

croissance rapide de la production, passé de 740 000 b/j à 1,8 million en l'espace de huit ans.

Les découvertes en offshore très profond vont faire croitre la production du pays au-delà des 2

millions de barils d'ici à 2014. Les mises en développement des seuls projets de Total dans le

bloc 17 (voir carte ci-dessous) se succèdent rapidement : Girassol (240 000 b/j) en 2001,

Dalia (250 000 b/j) en 2006 Pazflor (220 000 b/j) le 22 novembre 2011, CLOV (160 000 b/j)

en 2014.

5 Le taux de récupération correspond au pourcentage d'huile que la société opératrice peut effectivement extraire de la poche pétrolière. Ce taux est en moyenne entre 30 et 40% dans le monde. Cependant, il peut descendre en cas d'utilisation de technique ancienne. La Libye du fait des embargos et du manque de pièces de rechange a dû se débrouiller avec peu de moyen : les taux de récupération sont assez faibles sur la plupart des champs. 6 BP Statistical Review of World Energy, 2011. 7 BP Statistical Review of World Energy, 2010.

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Carte n°4 : Les blocs pétroliers en Angola

Source : Benjamin Augé, sites internet Total et Sonangol

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Cette carte montre que la plupart des zones en production sont dans l’offshore mais qu’une

très faible partie des eaux territoriales du pays est encore en exploitation.

Outre ces trois cas particuliers dont les réserves et la production devraient mécaniquement

s'accroître dans les prochaines années, sauf en cas de problème géopolitique, dont on parlera

plus tard, d'autres pays peuvent voir leur production s'accélérer également. C'est d'abord le cas

du République du Congo (Brazzaville). Cette dernière a vu sa production doubler entre 1990

et 2010, passant de 150 000 à 292 000 b/j. Plusieurs projets sont actuellement en

développement et devraient permettre au pays de stabiliser voire d’accroître le débit actuel.

Les deux nouveaux producteurs, à savoir le Ghana en 2010 et le Niger en 2011 vont

également voir leur production s’apprécier. De 80 000 b/j en 2012, on peut estimer qu'avec les

découvertes déjà effectuées, la production ghanéenne pourra atteindre autour de 200 000 b/j

au milieu à la fin de cette décennie. Quant au Niger, la production actuelle:20 000 b/j, sert

uniquement à l'approvisionnement d'une raffinerie à Zinder (deuxième plus grande ville du

pays), l'excédent venant des champs du permis d'Agadem devrait être exporté par le Tchad et

la Cameroun d'ici à 2 ou 3 ans8. Les nigériens du ministère du pétrole comptent atteindre entre

60 et 100 000 b/j d’ici à la fin de la décennie. Enfin, l'arrivée de l'Ouganda dans le club des

producteurs d'ici à 2016/2017 (voir partie II) permettra vers 2020 d'atteindre un plateau de

250 000 b/j supplémentaires en faveur du continent. Ce dernier est un bon exemple de

découverte récente significative. Près de 2,5 milliards de barils ont été découverts dans une

zone autrefois totalement oubliée des majors qui n'y ont jamais vraiment cru.

Les pays pétroliers en stagnation

Outre la bonne situation de certains producteurs pétroliers anciens, et l'arrivée de nouveaux

avec des gisements de taille conséquente, d'autres cas africains ont un avenir beaucoup moins

optimiste. C’est d’abord le cas du Gabon: en 2010, ce pays produisait une moyenne de 245

000 b/j alors qu'au pic de sa production en 1996, il atteignait 356 000 b/j. Cette baisse de

volume risque de se poursuivre, une grande partie de ses champs sont matures et ont

désormais une durée de vie comptée. Dès 2010, le Gabon a lancé des discussions pour

octroyer des licences en offshore très profond mais à la mi-2012, aucune société n'avait

encore signé le moindre contrat ferme. La raison majeure réside dans la profondeur d'eau de

cette zone, entre 2000 et 3000 mètres. Cette particularité nécessite l'intérêt des majors, seul

type de sociétés capables technologiquement et financièrement de mener des explorations

8 Africa Energy Intelligence, n°643, 12 janvier 2011.

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45

dans ce genre de conditions extrêmes. Or actuellement, à l’exception de quelques sociétés

d’Etats asiatiques, elles ne se sont pas vraiment mobilisées pour venir négocier à Libreville.

L’intérêt du Gabon pour les pétroliers réside dans le fait qu'il consomme très peu de brut, soit

13 000 b/j, du fait de sa très faible population : 1,7 million d’habitants. Il peut donc exporter

plus de 80% de sa production, même si celle-ci est déclinante. L’une des autres particularités

peu appréciée du Gabon du point de vue des compagnies étrangères, réside dans ses syndicats

pétroliers. Le plus puissant d'entre eux, l'Organisation nationale des employés du pétrole

(ONEP) peut entrainer des grèves qui se terminent parfois par l'arrêt de la production (cas en

avril 2011). Il réclame des augmentations de salaire ou comme plus récemment, l'expulsion

des salariés étrangers pour réattribuer des emplois aux locaux. Le Gabon est déjà le pays

africain avec la législation la plus sévère à ce sujet : plus de 90% des emplois du secteur

doivent être occupés par des Gabonais. Ces dispositions datant de 1968 et 1975 n'ont pourtant

jamais été appliquées à la lettre, au plus grand plaisir des sociétés pétrolières. Selon le dernier

recensement de novembre 2011 que nous avons pu obtenir auprès de l'ONEP, sur 9 000

salariés, 2 888 sont étrangers. Or ce n'est pas principalement les postes d'expatriés venant

d'Europe et des Etats-Unis qui sont visés par ces revendications mais bien davantage des

postes non qualifiés occupés par des Africains, le plus souvent venant du Cameroun ou du

Congo. Les pays frontaliers avec le Gabon ont une main d'œuvre abondante qui accepte des

salaires très bas, en tout cas moins élevés que si ces emplois étaient proposés à des Gabonais.

L'ONEP lutte pour que ces emplois, peu qualifiés, soient réservés aux seuls Gabonais. Cela

risque mécaniquement d’accroître la masse salariale au grand dam des sociétés pétrolières.

Les multiples grèves orchestrées par l'ONEP depuis le début de l'année 2011 ont en tout cas

forcé le président gabonais Ali Bongo à durcir les procédures de visa pour les étrangers. Cette

puissance de l’ONEP a entraîné plusieurs compagnies à se détourner du pays9.

Dans la même région en Afrique centrale, le cas du Cameroun est également inquiétant.

Produisant, en 1985, 181 000 b/j, il plafonnait en 2010 à seulement 73 000 b/j. Le manque

d'opportunité et de champs porteurs a même conduit en 2010 Total à quitter le pays, la major

a vendu la totalité de ses actifs à la petite société familiale française Perenco10. Le pays

compte actuellement sur les explorations sur la péninsule de Bakassi que le Nigeria lui a

officiellement rétrocédé en 2008. Cette zone frontalière avec le Nigeria pourrait regorger de

pétrole, mais cela prendra beaucoup de temps afin déterminer les éventuelles réserves car

9 Conversations privées avec plusieurs d’entre eux en Afrique du Sud. 10 Africa Energy Intelligence, n°640, 24 décembre 2010. L'histoire et le parcours de la société Perenco seront décrits lors de la deuxième partie sur l'Afrique des Grands lacs.

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l'appel d'offres lancé en 2010 vient seulement de conduire à la signature d’un premier contrat

en mai 2012 avec Dana Petroleum (rachetée en 2010 par la société d’Etat coréenne KNOC).

Un autre cas de producteur en chute libre est celui de l'Egypte. Ce dernier produisait 924 000

b/j en 1994 et se retrouve désormais avec un débit de seulement 735 000 b/j (entièrement

consommé pour les besoins locaux d'ailleurs). On verra qu'en matière de gaz les opportunités

sont encore possibles, mais concernant la production pétrolière, les chances de succès pour

redresser la barre semblent très réduites. Des découvertes sont toujours effectuées dans le

golfe de Suez, la péninsule du Sinaï et les zones désertiques mais celles-ci couvriront au

mieux les baisses des champs déjà en exploitation.

L'Algérie est également un cas préoccupant. Etant l'un des quatre plus importants producteurs

du continent et le plus ancien d'entre eux (hors de l'Egypte), l'Algérie a une longue histoire

pétrolière. Cependant, depuis 2004, la production diminue pour des questions majoritairement

liées au régime fiscal influencé par un nationalisme pétrolier assez fort. La loi pétrolière de

2005, amendée en 2006 a en effet obligé la société nationale Sonatrach à prendre 51% de tous

les champs du pays. Cela implique que les compagnies étrangères ne peuvent obtenir au

mieux que 49% des permis, en cas de succès lors d'un appel d'offres11. Cette mesure a conduit

à un important désinvestissement des sociétés déjà présentes dans le pays et un ralentissement

des arrivées de nouveaux pétroliers. Outre cette question de participation, les sociétés

pétrolières qui produisent en Algérie doivent depuis cette nouvelle loi, s'acquitter de 50% de

taxe sur leurs bénéfices exceptionnels lorsque le prix du baril dépasse les 30 dollars (ce qui est

chaque année le cas depuis 2003). Les sociétés étrangères engagées dans le pays n'investissent

pas autant qu'elles le souhaiteraient du fait de la part imposée pour la Sonatrach, et très peu de

nouvelles compagnies rentrent dans l'exploration. La conséquence est immédiate, la

production pétrolière est passée de 2 millions b/j à 1,8 alors que la consommation, à l'inverse,

passait de 250 000 b/j à 327 000. De même pour le débit gazier, entre 2005 et 2011, il est

passé de 88,2 milliards m3 à 78, alors que dans le même temps la consommation a crû de 23,2

à 28,9 milliards m3. De plus, les trois derniers appels d'offres lancés depuis 2006 ont été des

échecs. Le dernier, datant de mars 2011, a donné lieu à seulement quatre offres pour 10 blocs

proposés. Or, la situation est périlleuse. Engagée dans de nouveaux projets de livraison pour

le gazoduc Medgaz (8 milliards de mètres cubes), et bientôt peut-être pour Galsi (8 milliards

m3) dont nous allons parler plus en détails, l'Algérie sera prochainement dans l'impossibilité

d'honorer ses promesses de livraison du fait de la stagnation des productions gazière et

11 KPMG, Algeria hydrocarbon guide, 2007.

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47

pétrolière et de la croissance de sa consommation. Les résultats de ces trois derniers appels

d'offres sont loin d'être anecdotiques. Ils conditionnent le futur pétrolier et donc économique

du pays car sans nouvelle exploration, il est à prévoir que la production continue à diminuer.

Le cas de la Mauritanie est beaucoup moins crucial, en termes de poids pétrolier, que les

précédents. Seulement, il est symptomatique de la difficulté qu'ont les géologues, même s'ils

appartiennent à de grandes sociétés, de prévoir la production future de gisements

nouvellement découverts. La firme australienne Woodside qui a mis à jour le gisement de

Chinguetti à 70 kilomètres des côtes en 2001 avait prévu une production de 75 000 b/j.

Seulement, lors de son lancement en février 2006, le champ n'a jamais dépassé les 40 000 b/j

et son débit est très vite tombé en dessous des 10 000 b/j12. Début 2012, il plafonne à 7000 b/j.

Les autres découvertes n'ont toujours pas été mises en développement. Seulement, le pays n'a

jamais vraiment contribué à une part importante du volume pétrolier produit sur le continent.

La Mauritanie reste cependant une déception.

1-2 Les producteurs de gaz en Afrique

Les importantes nations gazières en Afrique sont assez peu nombreuses, comparés aux acteurs

du secteur pétrolier. Cinq pays : l'Algérie, l'Egypte, le Nigeria, la Libye et la Guinée

équatoriale représentent 80% du débit gazier africain. Or, s'il y a d'autres producteurs, c'est

uniquement ces cinq derniers qui exportent une partie de leur production. Les autres

consomment la quasi-totalité de leur production pour assouvir leurs propres besoins

énergétiques. Le tableau 2 ci-dessous montre le poids des principaux producteurs gaziers.

12 Voir Benjamin Augé, 2007. "Les Enjeux géopolitiques du pétrole en République islamique de Mauritanie". Mémoire de master 2, Université Paris 8, Saint-Denis.

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48

Tableau n°2: Les producteurs africains de gaz

Production/Milliard

de mètres cubes en

2010

Reserves/Trillion

pieds cubes

Première

année de

production.

Algérie 80.4 159,4 60'

Egypte 61.3 78 60'

Libye 15.8 54,7 1971

Nigeria 33.6 186,9 60'

Les autres

(Principalement

Guinée

équatoriale,

Tunisie,

Tanzanie,

Mozambique,

Afrique du

Sud)

17.8 45 /

Sources: BP Statistical Review of world Energy 2011, Benjamin Augé

Page 49: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

49

Carte n°5 : La production gazière en Afrique

Sources : BP Statistical Review, Benjamin Augé

Ce tableau et cette carte montrent la grande prééminence de l'Algérie et du Nigeria qui

devraient rester de par leurs réserves respectives les grands producteurs du continent. Et

Page 50: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

50

pourtant ces deux cas sont très différents du fait du mode d'exportation de leur gaz. L'Algérie,

tout comme la Libye et l'Egypte exportent en grande partie par l'intermédiaire de gazoducs

vers l'Europe et le Moyen Orient pour l'Egypte (Israël et Jordanie). Quant au Nigeria et la

Guinée équatoriale, au regard de leur position géographique, loin des marché de

consommation, c'est uniquement par l'intermédiaire de gaz liquéfié que leur production est

exportée vers les Etats-Unis et l'Europe.

Les exportateurs de gaz

La carte ci-dessous montre l'importance pour l'Union européenne du gaz venant des pays du

Maghreb.

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51

Carte n°6 : Gazoducs existants et en projet entre le Maghreb et l'Europe

Source : Benjamin Augé/ Rapport Penspen.

Nous pouvons voir que trois gazoducs relient l'Algérie à l'Europe. D'abord deux via l'Espagne

(Medgaz en bleu et Maghreb/Europe en jaune) et un via la Sicile (TransMed en violet). Le

Page 52: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

52

Maghreb/Europe a été mis en service en 1996 et transporte 12 milliards de mètres cubes par

an. Quant au Medgaz, il envoie 8 milliards de mètres cubes depuis le 1 mars 2011. Le

Maghreb Europe n'est pas le premier gazoduc à avoir relié les deux rives de la méditerranée.

Le premier, le Transmed (appelé également Enrico Mattei en mémoire au fondateur de la

société pétrolière italienne ENI) a été inauguré dès 1994. Il transporte quelque 30 milliards de

mètres cubes par an, pompés pour l'essentiel dans le méga champ d'Hassi R'mel, en plein

désert algérien. La Libye n'a actuellement qu'un seul gazoduc pour exporter son gaz, le

Greenstream, en fonctionnement depuis octobre 2004. Il approvisionne l'Italie à hauteur de 11

milliards de mètres cubes. Les autres gazoducs représentés sur la carte, le Galsi (Orange) et le

Trans Saharan Gas Pipeline (jaune) ne sont encore qu'à l'état de projet. Le Galsi semble faire

consensus auprès des autorités italiennes ainsi que françaises (il passerait par la Corse13). C'est

désormais davantage un problème de capacité de production de la part de l'Algérie qui

pourrait éventuellement poser problème. Sa mise en fonctionnement théorique en 2014 sera

probablement repoussée au-delà de 2016.

Quant au gazoduc transsaharien (en rouge), le projet est beaucoup plus incertain. Le Trans

Saharan Gas Pipeline (TSGP) partirait de Warri dans le delta du Niger au Nigeria puis

passerait par Kano au Nord du pays, puis Agadez au Niger avant de rejoindre Hassi R'mel en

Algérie. De plus, les autorités maliennes ont poussé pour que le gazoduc passe aussi par son

territoire (voir carte précédente). L'Autorité pour la promotion de la recherche pétrolière au

Mali (Aurep) a commandé en septembre 2009 un rapport de préfaisabilité à la compagnie

canadienne ERCO Worldwide qui a dû se prononcer sur deux questions concernant ce

gazoduc. D'abord, le TSGP peut-il être plus économique en passant par le territoire malien ?

Et les connaissances géologiques actuelles des blocs du pays permettent-elles d'être optimiste

concernant un éventuel approvisionnement du TSGP ? Une hypothèse très improbable au vu

de la faiblesse actuelle des recherches14. Des émissaires maliens ont tout de même rencontré

les autorités nigérianes et algériennes à ce sujet 2010 en et 201115.

Les réserves gazières non exploitées sont importantes dans le Delta, mais c'est davantage les

instabilités multiples le long du tracé qui minent le TSGP. En dehors de l'instabilité de la

région du delta du Niger d'où proviendrait l'essentiel du volume de gaz, le tracé proposé par le

13 Le 2 février 2010, le président Français s'est rendu en Corse où il a déclaré que le gazoduc Galsi passerait bien par cette île. Le surcout de ce détour est estimé à 285 millions d'euros mais il semble nécessaire au plan local car les centrales au fuel en Corse sont très polluantes. Source : Africa Energy Intelligence, n°622, 17 février 2010. 14 Africa Energy Intelligence, n°615, 4 novembre 2009. 15 Africa Energy Intelligence, n°621, 627, 632, 650.

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53

cabinet Penspen16 va devoir emprunter des zones très difficilement contrôlables du fait de leur

très faible densité de population en particulier au Niger et en Algérie. Plusieurs menaces sont

à prendre en considération : les Touaregs du Niger et du Mali dont une partie qui étaient au

service de Mouammar Kadhafi sont revenus dans leur pays d'origine. Au Mali, ces derniers

ont créé fin 2011, l'organisation indépendantiste le Mouvement National de libération de

l'Azawad (MNLA). Le MNLA est à prendre au sérieux car ses membres se sont approprié une

partie des stocks d'armes de l'ancien guide Libyen. Ce mouvement ainsi que d’autres

représentants des Touaregs pourraient très bien causer des troubles pour le fonctionnement

d’un tel gazoduc si stratégique. Au début 2012, le MNLA avait, avec d’autres groupements à

tendance islamistes comme Ansar Dine et le Mujao (Mouvement pour l’unicité et je djihad en

Afrique de l’Ouest) un contrôle total sur la zone nord du Mali appelée Azawad17. Tant que la

situation ne sera pas reprise en main par une armée malienne bien en peine, avec le concours

des armées de la CEDEAO18 (en particulier du Nigeria), le TSGP restera à l’état de projet. Ce

gazoduc restera un objectif très facile de faire sauter de par sa longueur soit 3841 kilomètres

(1000 au Nigeria, 841 km au Niger puis l’Algérie sur près de 2000 km pour rejoindre le nœud

gazier de Hassi R’mel). L'autre menace dans la région vient de l'ancien Groupe pour la

prédication et le combat (GSPC), devenu en 2007 Al Qaeda au Maghreb islamique (AQMI).

Ses membres agissent, par l'intermédiaire d'enlèvement notamment depuis 2007 en

Mauritanie, Mali et Niger. AQMI a d’ailleurs renforcé les groupes islamiques du nord du

Mali. Enfin la dernière menace est celle de Boko Haram. Ce mouvement islamiste né au début

des années 2000 dans l'Etat de Borno au nord-est du Nigeria veut imposer une application

stricte de la Sharia. La répression brutale de ses membres et la mort de son leader historique

Mohamed Yusuf en 2009 suite aux actions des forces armées nigérianes a conduit à une

radicalisation du mouvement en 2010/2011. Grâce au financement de leur action par certaines

élites nordistes, écartées des postes fédéraux à responsabilité depuis l'arrivée du président

Goodluck Jonathan19 en 2010, Boko Haram est passé à une phase d'attentats suicides et de

16 Cette société britannique ainsi qu'IPA Energy ont été mandatées par le Nigeria et l'Algérie pour proposer un tracé ainsi qu'une étude de faisabilité économique et technique sur le TSGP. Le premier rapport de faisabilité a été rendu en mai 2006, les deux cabinets assurent que le projet est viable économiquement ainsi que techniquement faisable. Benjamin Augé, Les nouveaux enjeux pétroliers de la zone saharienne, Hérodote, n°142, 2011. 17 A l’écriture de ces lignes, c’est davantage les groupes islamiques qui avaient repris la main dans l’Azawad, laissant le MNLA sans réel pouvoir. 18 Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest. 19 Goodluck Jonathan est le premier président nigérian issu de la région du delta du Niger (Etat de Bayelsa). Il a d'abord, en tant que vice-président, remplacé en février 2010 son prédécesseur, Umaru Yar'Adua, gravement malade. Puis, Jonathan a été élu en avril 2011 président plénipotentiaire. Les élites du Nord, habitués à obtenir la plupart des postes importants de la fédération, moyens d'avoir accès à d'importantes mannes financières se sont alors sentis écartés et ont appuyé Boko Haram pour redonner des moyens au Nord. Cette explication politique et

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54

pose de bombes. Les plus spectaculaires manifestations de ce nouveau mode de

fonctionnement sont l'attentat contre le siège des Nations Unies à Abuja où 18 personnes ont

péri le 26 août 2011 et l'explosion de plusieurs églises le 25 décembre 2011 à Damaturu (Etat

nordiste de Yobe) où 130 personnes sont décédées. Ce groupe, possède des militants dans la

plupart des Etats nordistes et en particulier dans celui de Kano où passerait précisément le

TSGP. Le 20 janvier 2012, des attaques coordonnées dans divers postes de police de la ville

de Kano ont fait 180 victimes dont 150 civils. Tant que cette menace n'est pas écartée, il est

très difficile d'envisager le passage du TSGP par l'Etat de Kano. Une autre des difficultés de

ce gazoduc est économique. Son coût qui oscille entre 10 et 21 milliards dollars selon les

sources compliquent considérablement sa faisabilité. Actuellement, aucune société privée ne

veut mettre les moyens pour financer un tel ouvrage dans une zone si instable. C'est la raison

pour laquelle, plusieurs nouveaux projets d'usine de liquéfaction du gaz (LNG) dans le delta

du Niger ou en Guinée équatoriale sont peu à peu en train de se monter20. Cela n'est pas

beaucoup plus onéreux et surtout cette méthode représente un investissement beaucoup plus

sûr pour les pétroliers.

L'Egypte exporte également son gaz par l'intermédiaire de gazoduc vers Israël21 et la Jordanie.

Seulement les ¾ de ses 42.5 milliards de pieds cubes par jour sur 61,3 sont consommés

localement. Le pays devrait réduire ses exportations à mesure que sa demande interne en

électricité augmente. Les potentielles découvertes dans la région du delta du Nil et dans les

régions désertiques, entrainent les principaux producteurs du pays : BG, ENI, Apache, Dana

Petroleum à être cependant optimistes. Il ne faudra pas compter sur l'Egypte dans un futur

proche pour satisfaire une partie des besoins du marché méditerranéen. Ce rôle sera repris par

Israël à l'horizon 2017/2020 grâce aux champs de Léviathan, Dalit, et Tamar (qui produira dès

2013.

économique de l'émergence violente de Boko Haram est partagée par le National Security Adviser du Nigeria, le général Azazi (principal conseiller sur président sur les questions de sécurité) rencontré en mars 2012 à Bruxelles. Le général Azazi venant du même Etat que le président, celui de Bayelsa dans le delta du Niger a d’ailleurs été remplacé en juin 2012 par Sambo Dasuki venant de Sokoto à l’extrême nord-ouest. 20 On peut citer Brass LNG, dans l'Etat de Bayelsa, dont la décision finale d'investissement devrait être prise en 2012. Cela permettra de produire quelque 5 millions de tonnes de LNG supplémentaires par an. 21 Israël devrait acheter de moins en moins de gaz à son voisin du fait des très importantes découvertes réalisées depuis 2010 dans son offshore. Le champ géant de Léviathan découvert en 2010 par la firme américaine Noble Energy recèle près de 17 trillion de pieds cubes. Cela ferait d'Israël à terme, un pays indépendant pour son électricité. Lorsque Léviathan sera mis en production vers 2015, le pays aura également des capacités excédentaires afin d'exporter une partie de son gaz (on parle d’un gazoduc passant par Chypre qui a aussi découvert du gaz vers l’Europe par la Grèce). Israël a déjà un champ gazier en production depuis 2004 : Mari-B. La découverte de Léviathan fait suite à celle de Tamar en 2009 (9 trillion de pieds cubes) qui devrait produire en 2012/2013.

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Le dernier cas d'utilisation de gazoduc pour l'exportation est le Mozambique. Depuis 2004, la

totalité de la production des champs de Pande et Tamane dans le sud du pays est envoyée

directement en Afrique du Sud pour approvisionner l'usine de Secunda. Cette dernière opérée

par la société sud-africaine Sasol transforme le charbon en essence selon le procédé Fischer–

Tropsch inventé par les Allemands et mis en pratique durant la deuxième guerre mondiale.

Les autres pays exportateurs utilisent uniquement des terminaux de liquéfaction. Le plus

important en Afrique est le Nigeria, grâce aux six trains de l’usine de Nigeria Liquefied

Natural Gas (NLNG) basée dans l'Etat de Rivers. La production y a commencé en 1999, pour

atteindre désormais 22 millions de tonnes de gaz liquéfié. La totalité de l'exportation au

Nigeria se fait par ce biais. La différence avec la production totale, de l'ordre de 30 milliards

de mètres cubes par an, s'explique par la consommation interne. La quasi-totalité de la

production électrique dans le sud du Nigeria se fait grâce à des centrales à gaz. L'autre pays

importants en matière de LNG est la Guinée équatoriale. Depuis 2007, EG LNG produit

quelque 4 millions de tonnes de gaz liquéfié par an (soit 9,5 millions mètres cubes) grâce à un

train de liquéfaction sur l'île de Bioko où est située la capitale Malabo. Evidemment, cette

production est bien en dessous de celles des quatre géants du continent dont on a parlé plus tôt

mais le projet d'ouvrir rapidement un second train devrait faire augmenter la production.

Les producteurs mineurs qui consomment entièrement leur débit.

Outre les exportateurs de gaz, qui possèdent des réserves significatives, le continent a

également quelques petits producteurs. Ces derniers parviennent depuis une dizaine d'année à

approvisionner une partie de leur marché intérieur en électricité grâce à leurs faibles

ressources en gaz. Deux cas de figure sont possibles, soit des importants producteurs de

pétrole utilisent le gaz associé pour l'électricité mais n'ont pas de capacité suffisante pour

exporter ou alors des pays non producteurs de pétrole découvrent de petits champs gaziers et

décident de les développer afin de faire baisser la facture énergétique (plombée par le prix du

pétrole importé). En dehors des pays du Maghreb comme l'Algérie, la Libye et l'Egypte qui

produisent leur électricité quasiment entièrement avec leur gaz, plusieurs pays ont été tentés

depuis les années 1990 par ces projets de transformation.

En Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire a été pionnière en la matière. Toutes les centrales de la

capitale économique Abidjan, sont approvisionnées au gaz : Azito (290 MW), et Ciprel I et II

(210 MW). Le gaz est principalement extrait du champ de Foxtrot dans l'offshore du pays. La

Côte d'Ivoire, qui n'a jamais eu les capacités suffisantes pour envisager une filière de

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liquéfaction, s'est lancée dès le début des années 1990 dans la transformation locale du gaz

grâce à des investisseurs tels que Bouygues, qui gère la Compagnie ivoirienne d'électricité

jusqu'en 2020, c’est le cas aussi des autres opérateurs des champs ivoiriens : Foxtrot, Afren,

CNR et Devon. Ces sociétés produisent quelque 160 millions de pieds cubes par jour, destinés

uniquement à approvisionner les centrales.

Dans une moindre mesure, toujours en Afrique de l’Ouest, le Sénégal a lancé depuis 2001 une

production de gaz au nord du pays grâce au permis de Tamna. C'est la petite société

américaine Fortesa qui opère ce bloc dont le débit est de 11 millions de pied cube par jour.

Tamna permet principalement d'approvisionner quelques clients privés à Dakar. Ce débit reste

cependant encore trop faible pour alimenter une centrale électrique de grande ampleur. Cela a

cependant un impact très important pour faire baisser les prix et proposer un

approvisionnement continu, très rare au Sénégal depuis quelques années.

En Afrique centrale, le cas de Douala, la capitale économique du Cameroun, est singulier.

Cette ville profite depuis 2012 de la production du champ onshore de Logbaba. Ce petit

gisement gazier, situé dans le quartier éponyme de la banlieue Est de Douala entraîne, grâce à

sa localisation, un faible coût de transport pour atteindre les clients. C'est une petite société, la

britannique Victoria Oil & Gas qui est responsable de ce projet, qui produira dans un premier

temps huit millions de pieds cubes par jour. L'objectif serait d'accroître la capacité jusqu'à 40

millions de pieds cubes pour produire quelque 500 MW (le pays produisait à peine plus de

1000 MW). Un réseau de gazoducs d'une quarantaine de kilomètres permet d'acheminer le gaz

aux différents clients privés à Douala. Un tel projet a nécessité 70 millions de dollars, soit une

somme assez raisonnable au regard des économies que les clients, des compagnies privées,

peuvent espérer réaliser grâce à ce gaz. Le Cameroun produit du pétrole depuis les années

1970, mais il brule la quasi-totalité de son gaz associé car la plupart de ses champs sont situés

dans ses eaux maritimes.

Toujours dans la même région d'Afrique centrale, le cas de la République du Congo est

également intéressant. La société italienne ENI a été la première à utiliser le gaz associé de

ses champs pétroliers pour approvisionner une centrale en 2002 à Djeno (terminal pétrolier

situé sur la côte). Plus récemment, en mai 2010, la même société ENI a commencé à alimenter

en gaz le Centrale électrique du Congo (CEB) près de Pointe Noire (deuxième ville du pays,

sur la côte). La CEB, qui était auparavant approvisionnée par le petit gisement de Kitina, est

désormais raccordée au plus important champ pétrolier onshore du pays, M'Boundi (40 000

bpj), opéré par la société italienne ENI. D'une capacité installée de 300 MW, l'objectif d'ENI

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57

est de faire passer en quelques années la capacité de génération à 450 MW. Si la CEB sert en

priorité les activités de la société italienne, elle approvisionne aussi le réseau national.

Enfin, en Afrique de l'Est, la Tanzanie a commencé en 2004 la production de ses champs

gaziers de l'île de Songo Songo opérés par la junior britannique d'Orca Exploration. Reliés par

un gazoduc de 207 kilomètres à la centrale d'Ubungo à Dar es Salaam, ils produisent 180 MW

sur une capacité électrique totale de 1000 MW. La production actuelle de gaz, de 83 millions

de pieds cube par jour, devrait doubler d'ici fin 2012/début 2013. Avec ce gaz supplémentaire,

Orca devrait sensiblement accroître la production électrique actuelle de la centrale d'Ubungo.

Un autre champ proche de Songo Songo, Songo Songo West, pourrait également accroître les

capacités du pays sur le moyen terme. Enfin, la Tanzanie a découvert depuis 2010

d’importantes réserves gazières dans le Sud du pays, susceptibles d’être suffisante pour

envisager un projet d’exportation avec son voisin mozambicain (on en reparlera dans la partie

III).

Ces différentes situations montrent que les petits projets ne sont pas l'œuvre des majors

pétrolières. Ces dernières se lancent dans de tels projets uniquement dans des pays

producteurs significatifs comme au Congo-Brazzaville avec ENI. Cette société a concédé ces

investissements pour transformer le gaz en électricité, sans espoir d'exporter, afin de répondre

à ses propres besoins électriques dans le pays et également car elle est soumise à la pression

des chefs d'Etats. Ces derniers ont besoin pour des raisons politiques d'obtenir des pétroliers la

réalisation de projets sociaux ainsi que l'électrification des villes et villages aux alentours de

l'exploitation. Il semble aussi évident que ce type d'investissement, non rentable sur le court ni

moyen terme, soit effectué pour obtenir d'autres concessions pétrolières du pouvoir en place.

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2 Les menaces pesant sur la production du continent

2-1 L'accroissement de la consommation africaine, un défi pour la sécurité

énergétique mondiale ?

Après avoir fait le tour des différents cas de producteurs de pétrole et de gaz, il est nécessaire,

dans le cadre de la sécurité énergétique, de se pencher sur la consommation en hydrocarbures

en Afrique. Les sociétés pétrolières ont toujours considéré le continent comme une importante

source d'énergie. En effet, la consommation interne de l'Afrique a été très faible, est très faible

et le restera selon leurs calculs. L'histoire pétrolière du continent montre qu'à mesure que les

sociétés ont mis, depuis les années 1950, de nouvelles découvertes à jour, la croissance de la

consommation n'a pas suivi le même rythme. En d'autres termes, c'est grâce au faible

développement économique du continent, et malgré la croissance rapide de sa population

atteignant désormais 1 milliard de personnes, que la capacité exportatrice en hydrocarbures

s'est accrue de façon exponentielle depuis les années 1950. Toute énergie confondue, le

continent ne représente que 3,1% de la consommation mondiale, alors que le même temps,

l’Afrique représente 1/6 de la population du globe. Pour le pétrole, sur les 10 millions de

barils produits en Afrique, seuls 3 sont consommés sur place22. En ce qui concerne le gaz, sur

les 203 milliards de mètres cubes produits, seuls 40% sont utilisés localement.

Les pays producteurs de pétrole et gaz en Afrique sont des cas à part dans le monde pour leur

consommation. La plupart du temps, les producteurs de pétrole consomment beaucoup plus

per capita que les autres Etats car ils ont accès à des ressources bon marché et ont donc

tendance à les gaspiller. Le cas de l'Arabie Saoudite est à cet égard très intéressant. Avec une

population de 30 millions d'habitants, le royaume consomme 2,8 millions de b/j23. C'est à dire

que 12 Saoudiens suffisent pour consommer quotidiennement un baril. Comparons cette

consommation avec un pays occidental comme le Portugal qui a les mêmes revenus per

capita que l'Arabie Saoudite soit 23/24 000 dollars24. Le Portugal n'est pas nucléarisé et n'a

pas de ressources en hydrocarbures. Celui-ci consomme 261 000 b/j pour 10 millions

d'habitants, soit un baril pour 40 personnes. Prenons désormais un cas africain, le plus

emblématique, le Nigeria. Celui-ci produit 2,4 millions de barils par jour et consomme entre

22 BP Statistical Review of World Energy 2011. 23 BP Statistical Review of World Energy 2012 24 CIA, The World Factbbok, 2012.

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200 000 et 300 000 b/j25. Avec ses 160 millions d'habitants, il faut 500 personnes pour

consommer un baril quotidiennement. La différence entre l'Afrique et les autres cas est

évidemment liée au très faible développement des pays de ce continent, y compris de ceux qui

produisent du pétrole. Le Nigeria n'est pas un cas isolé, ce type de comparaison est tout à fait

valable pour les autres pays producteurs africains.

Est-ce que cette spécificité africaine d'une consommation très faible d'hydrocarbures va

perdurer ? Les compagnies pétrolières devraient pouvoir continuer à se représenter le

continent comme une source conséquente d'hydrocarbures. L'histoire économique des 20

dernières années leur donne en tout cas plutôt raison. De 1990 à 2010, alors que la croissance

africaine était en moyenne de 5%26, soit bien davantage que la moyenne du reste du monde (à

l’exception de la croissance chinoise et indienne), la consommation de pétrole est passée dans

le même temps de 2 à 3 millions27. L'Afrique devrait donc rester, même avec une croissance

soutenue une source d'énergie pour le reste du monde. Cependant, comme on l’a vu certains

pays producteurs sur le continent sont déjà passés dans une phase quasi irrémédiable (selon

les projections actuelles) de baisse de leur débit (Gabon, Cameroun). D'autres auraient les

moyens d'accroitre la production, mais pour des questions de sécurité ou de régimes fiscaux

très punitifs découragent les investisseurs (Algérie). Seulement ces cas sont largement

compensés par de nouveaux arrivants dans le club des producteurs comme le Ghana.

Un nouveau producteur de pétrole africain, le cas du Ghana

Certains producteurs historiques vont continuer à voir leur débit croitre encore plusieurs

dizaines d'années, tels que l'Angola, le Nigeria ou la Libye. Cependant, une partie non

négligeable de la croissance de la production en hydrocarbures proviendra de nouveaux

acteurs. En pétrole, quatre Etats vont faire la différence dans les prochaines années : le Niger,

l'Ouganda, le Ghana et enfin le très prometteur bassin partagé entre l'offshore libérien et

25 La consommation au Nigeria ne peut être que théorique pour deux raisons. D'abord car près de 150 000 b/j sont siphonnés sur les milliers de kilomètres de réseaux dans la région productrice du delta du Niger. Une partie des 150 000 b/j est également issue du vol de cargaison entière aux terminaux pétroliers grâce à la corruption des douaniers et de certains soldats. Une partie non négligeable de ce brut volé sera revendue sur le marché noir à des prix très compétitifs, après avoir été raffiné dans des conditions plus que précaires. Mais cette imprécision sur les chiffres tient aussi au fait que les données officielles (qui font état de 371 000 b/j) ne tiennent pas compte de la très importante revente dans les pays frontaliers (Cameroun, Bénin, Niger, Tchad, République Centrafricaine) de produits raffinés importés par le Nigeria et lourdement subventionnés par l'Etat fédéral. Ces volumes représenteraient quelque 150 000 b/j selon une commission d'enquête menée par le sénateur Farouk Lawan lancée début 2012. Africa Energy Intelligence, n°668, 2 février 2012. 26FMI, World Economic Outlook et FMI, African department Data base, 2011. 27 BP Statistical of World Energy, 2010.

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sierra-léonais. Pour ce qui est du gaz, les Etats actuels seront rejoints par le futur géant : le

Mozambique28.

Le cas ougandais est amplement traité dans la partie II concernant les découvertes du lac

Albert. Nous nous attarderons davantage sur le cas du Ghana, l'une des démocraties africaines

les plus avancées actuellement ainsi que sur le Niger dans la sous partie sur le Sahara. Cela

nous permettra d'introduire le problème des frontières maritimes liées aux hydrocarbures en

Afrique, véritable enjeu géopolitique des prochaines années.

Le Ghana produit depuis décembre 2010 quelque 80 000 b/j grâce à un seul champ situé dans

des eaux territoriales : Jubilee. Ce gisement a été une grande surprise lors de sa découverte en

2007. D'abord, de par sa taille, entre 700 millions et 1,8 milliard de barils récupérables (on ne

trouve plus très souvent ce type de volume) mais de plus car il a été suivi par d'autres

découvertes significatives comme Tweneboa, Enyara, Teak, Akasa, Mahogany (voir carte ci-

dessous).

28 Alors que nous écrivions ce doctorat, l’annonce de nouvelles découvertes tombent quasiment chaque semaine au Mozambique. Du fait du manque de recul sur l’impact de ces réserves mises à jour depuis 2010, on parle de 60 à 80 trillions de pieds cubes soit la moitié des réserves du Nigeria, il nous est apparu plus prudent de ne pas trop s’engager et donc de développer les conséquences de ce gaz dans la dernière partie sur l’enclavement. Il semble évident que l’économie du pays doublera en une décennie, et que de nombreux mémoires et thèses seront nécessaires pour analyser les conséquences. Une analyse sur la nouvelle géoponique de l’Afrique de l’Est dans la dernière partie proposera tout de même quelques explications sur la question de l’enclavement du Mozambique.

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Carte n°7: Découvertes pétrolières dans l'offshore ghanéen

Source : Tullow Oil

C'est la même société britannique Tullow Oil qui a été à l'origine de tous ces gisements. Si la

production est encore modeste, elle devrait, compte tenu de ce qui est déjà connu des réserves,

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atteindre au moins 200 000 b/j d'ici à 2015/2016 et voir se déverser des milliards de dollars

chaque année dans les caisses de l'Etat. Le Ghana, ou Gold Coast sous la colonisation

britannique, connait déjà les potentiels méfaits des industries extractives car elle exploite

d'importantes quantités d'or depuis une centaine d'années. Seulement, les circonstances sont

désormais très différentes, en particulier pour l'industrie pétrolière. Les nouveaux producteurs

africains ont eu tout le loisir de regarder leur voisin nigérian, exemple quasi caricatural (on

expliquera plus tard pourquoi), de ce qu'il faut éviter à tout prix pour gérer convenablement

cette nouvelle manne qui peut s'avérer très dangereuse.

Le Ghana a cependant plusieurs avantages sur tous ces voisins africains. Il a d'abord un

enracinement réel, même si encore assez récent, dans une démocratie bipartisane apaisée. Son

histoire post indépendance, soit après 1957 (l'un des premiers pays africains indépendants à

l'exception du Liberia en 1847, de l'Egypte en 1922 et du Soudan en 1956), a été cependant

heurtée par de multiples coups d'Etat. Mais cette période d'instabilité a pris fin avec la

démocratisation mise en place par le Général Jerry Rawlings grâce à un cycle électoral

vertueux à partir de 1992 (IVème République). Rawlings et son nouveau parti le National

Democratic Congress (NDC) a été élu avec 58% des voix dans un scrutin reconnu comme

transparent et juste par la plupart des organisations internationales de contrôle. Il sera

d'ailleurs réélu en 1996. N'ayant pas le droit de se présenter une troisième fois en 2000, c'est

son successeur à la tête du parti John Atta-Mills qui se lance dans la bataille. Ce dernier

échouera devant John Kufuor, le leader du New Patriotic Party (NPP). C'est une première

transition réussie, alors que c'est l'opposition qui remporte le scrutin, très peu de contestation

émaille l'annonce des résultats. Après deux mandats, Kufuor s'en va en 2009. Une fois de

plus, c'est un changement de majorité que plébiscite le Ghana avec l'arrivée de John Atta-

Mills. Le candidat soutenu par Kufuor, Nana Akufo-Addo perd sans heurt. Ce parcours

démocratique des deux dernières décennies démontre un enracinement profond du jeu

électoral libre. Le NDC est considéré comme plutôt conservateur et le NPP plutôt socialiste.

Même si l'idéologie n'est pas vraiment mise en valeur lors des campagnes ni d’ailleurs durant

l'exercice du pouvoir, le changement des présidents fait qu'aucun système organisé et

confiscatoire ne peut plus contrôler le pays.

Un des rares désavantages de cette relative bonne démocratie au Ghana (l'une des rares en

Afrique sub-saharienne sur laquelle nous avons déjà deux décennies de recul) où un parti

succède à un autre sans culte de la personnalité d'un chef, concerne le secteur particulier des

hydrocarbures. En effet, une réelle suspicion entre les deux partis s'est faite jour à ce sujet.

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Lorsque le NPP est arrivé aux affaires en 2009, il a remis en cause ce qu'avait fait le NDC lors

des découvertes de Jubilee, il lui a donc fallu plusieurs années avant de prendre la moindre

décision et surtout faire passer les lois indispensables à la gestion du secteur. Nos fréquentes

discussions avec Moses Assaga, responsable du comité sur l'énergie au parlement29

démontrent bien cette suspicion entre les deux principaux partis. Quasiment tout a été repris

depuis le début, les rapports du NDC lors du passage de témoin en 2009 ont été ignorés par le

NPP. Ces suspicions ont été également alimentées par les participations de sociétés proches

de John Kufuor qui ont été données sur les permis où a été découvert Jubilee. En effet, EO

Group qui a 1,75% sur ce champ de Jubilee30 est une société dirigée par le Ghanéen George

Yaw Owusu (un ancien responsable de Shell) et Kwame Bawuah-Edusei (un médecin

exerçant à Washington), tous les deux de hauts dirigeants du NDC. Or c'est John Kufuor qui a

demandé à ses deux amis vivant aux Etats-Unis de convaincre des sociétés pétrolières

américaines de venir au Ghana en 2004 au moment où personne ne s'intéressait à ce pays.

Kwame Bawuah-Edusei et son compère, ont donc été récompensés en obtenant des parts sur

le permis où la société américaine Kosmos (Texas) qu'ils ont convaincue de venir au Ghana, a

décidé d'investir. Kosmos est devenu le partenaire de Tullow sur ce permis où sera découvert

Jubilee en 2007. Kufuor a également récompensé Edusi en lui confiant le poste d'ambassadeur

du Ghana à Genève puis à Washington pendant sa présidence. La façon dont cela s'est passée,

et que Kufuor décrit très librement comme étant une récompense en échange de lobbying

payant réalisé aux Etats-Unis31, pose problème lors de son départ en 2009. Le parti du

nouveau président John Atta-Mills a alors reproché aux dirigeants d'EO Group d’avoir obtenu

leurs participations grâce à leur proximité avec l’ancien chef d'Etat et en échange de pot de

vin. Cet épisode montre combien le pétrole est un sujet de friction de par la manne qu'il peut

générer pour le Ghana et de par la représentation qu'en ont les partis. En cas de nouveau

changement de parti lors des élections de la fin 2012, il se peut que de nouvelles

manifestations de suspicions se fassent jour. Ce manque de confiance entre les partis fait

perdre beaucoup de temps au pays.

Le point positif de ce regard critique et sérieux de la part des partis est le côté relativement

constructif des débats parlementaires. Il y a même parfois des divisions au sein des deux

formations politiques majoritaires, nécessitant de faire des compromis. Cependant, ce

29 Moses Asaga a été nommé en janvier 2012 ministre du travail. 30 Jusqu'au rachat de ses parts sur le champ de Jubilee ainsi que la part sur le permis de West Cape Three Points sur lequel se trouve Jubilee (3,75%) pour 305 millions de dollars par Tullow oil en juin 2011. Africa Energy Intelligence, n°653, 8 juin 2011. 31 Voir l'entretien à ce sujet de l'ex président John Kufuor dans le Financial Times du 25 octobre 2010.

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processus de discussion qui commence à l'intérieur du ministère de l'énergie puis au sein du

parlement a tout de même pris presque deux années. Trois lois d'importance sur le secteur

pétrolier ont été votées en 2011 : Ghana Petroleum Revenue Managment bill, Ghana

Exploration and production et la Ghana National Petroleum Commission. Cependant, elles

ont été votées après le début de la production de décembre 2010. Celle concernant la part des

locaux dans cette industrie (Local Content bill) devrait être votée seulement en 2012. Le

processus a donc été long et cela en grande partie suite à cette suspicion politique ambiante.

Outre la qualité de certains de ces parlementaires qui mènent des débats de haute tenue, le

Ghana a aussi la particularité d'avoir une société civile organisée et influente. Elle ne peut pas

être complètement court-circuité par le gouvernement, ni par le parlement32. Nos discussions

lors de nos recherches à Accra en octobre 2011 avec Steve Manteaw de l'organisation

Integrated Social Development Centre, (ISODEC), puis à nouveau lors d'un colloque à Jinja

en Ouganda en décembre 2011 nous montre combien son organisation, sorte de groupe de

pression et Think Tank (rédaction de rapport), a le potentiel d'influencer les décisions sur le

secteur pétrolier. Il a les moyens de le faire d'une part car il est très bien formé (docteur de la

North London University) et très bien informé, mais aussi parce qu'il est l'un des

coordinateurs de Civil Society Platform on Oil and Gas. Cette dernière plateforme regroupe

depuis 2010 110 ONG qui ont la charge de scruter, proposer et amender s'il le faut, les lois et

décisions sur le secteur pétrolier au Ghana.

Enfin, comment réussir son entrée dans l'industrie pétrolière sans de bons fonctionnaires bien

formés ? Ceux rencontrés en octobre 2011 au ministère de l'énergie et à la Ghana National

Petroleum Corp (GNPC) ont une vision assez claire sur ce qu'ils ont à faire et où ils veulent

aller. La plupart ont été formés aux Etats-Unis ou en Grande Bretagne. Ils ont notamment pu

profiter de l'assistance de la coopération norvégienne (NORAD) qui a lancé un programme

visant à renforcer les capacités du pays dans ce secteur (elle a également aidé à l'élaboration

des différentes lois). Cependant, le Ghana est probablement pour un chercheur ou un

journaliste l'un des pays parmi les plus difficiles où travailler en Afrique. Les fonctionnaires

ne parlent pas facilement et se retranchent très vite derrière la nécessité d'avoir un accord de

leur supérieur avant de parler. Cela est l'héritage d'une bureaucratie lourde et hiérarchisée

voulu par Nkrumah, le père de la nation. Si le directeur de l'énergie (numéro 3 du ministère)

nous a parlé longuement et librement, c'est en grande partie, selon ses explications, qu'il a été

32 Multiples discussions depuis 2009 avec Moses Asaga, le président du Parliamentary Sub-Committee on Energy (Parlement du Ghana).

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formé au Canada et qu'il y a travaillé longtemps. Il critiquait à mot couvert la frilosité de ses

collègues à nous parler lors de nos recherches sur place. Or, en dehors même de notre

expérience, l'administration ghanéenne est très pesante et les décisions prennent très

longtemps à être tranchées. Les discussions avec les opérateurs pétroliers sur place nous

conduisent à penser qu'il est difficile de savoir comment les décisions vont être prises et qu'il

y a un flou sur qui décide de quoi. Ces problèmes sont aussi probablement liés au fait que le

pétrole est une nouvelle industrie et que les fonctionnaires hésitent à parler en conséquence.

Ce bilan contrasté est pourtant porteur d'espoir. Les bailleurs ont d'ailleurs toujours considéré

le Ghana comme un bon élève d'Afrique33. Le président américain Barack Obama s'est même

rendu sur place en 2009 pour y prononcer un discours très favorable aux efforts

démocratiques et économiques du pays (John Atta-Mills a été reçu avec les honneurs à

Washington en mars 2012), alors qu'il ne s'est jamais rendu au Kenya d'où son père est

originaire. Habitué à une croissance assez robuste (4,1% en 2009 malgré la crise

internationale et 7,7% en 2010), celle de 2011, première année de production, a été comme

prévu dopée par le pétrole. Selon le Fonds monétaire international, elle a atteint les 13,5%. Le

FMI table sur une croissance de 8 à 9% pour l'année 2012, soit une des plus fortes du

continent34. Cependant le Ghana qui a d'autres richesses minières comme l'or mais aussi

beaucoup de cacao (deuxième producteur après la Côte d'Ivoire), va devoir éviter la mort

lente de ses autres secteurs d'activité. Il devrait aussi tout faire pour éviter la hausse des

importations liées aux marges de manœuvre budgétaire supplémentaires grâce aux revenus du

pétrole. Ceux-ci sont difficilement estimables du fait de la grande volatilité des prix du baril.

Cependant, on peut aisément tabler sur plusieurs milliards de dollars chaque année alors que

le budget de l'Etat était de 9 milliards de dollars en 201135. L’arrivée du pétrole représente

bien un bouleversement économique et ne peut en aucun cas être indolore. Seulement, le cas

de la Norvège qui a dès les années 1970 créé un fonds pour récolter l'argent du pétrole afin de

payer les retraites de sa population et réaliser des dépenses de long terme, est inimaginable

dans les pays en développement. Ce genre de choix implique de ne jamais inclure dans le

budget les revenus du pétrole et donc de n'envisager aucune dépense de fonctionnement avec

cette manne. Les pays africains comme le Ghana ont besoin d'accroître leur efficacité

étatique, il est vrai que ce n'est pas uniquement une question pécuniaire. Cependant, la

création immédiate d'écoles, la formation puis l'embauche de nouveaux professeurs, en

33 Très grande facilité d’avoir des fonds par la Banque mondiale, le FMI, ou les organismes comme la Banque africiane de développement. Discussions avec des cadres de l’Agence française de développement (AFD). 34 African Press organization, communiqué du 5 mars 2012. 35 CIA World Factbook.

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nombre très insuffisant actuellement, va dès maintenant coûter de l'argent. A cela s’ajoute la

nécessité d’investir dans des infrastructures au sens large. Il est donc inconcevable de sortir la

totalité des revenus pétroliers du budget de l'Etat. Le Ghana a d'ailleurs fait le choix dans sa

loi Petroleum Revenue Bill de dépenser plus de la moitié de ses revenus pétroliers (qui seront

entièrement déposés dans un Transitory Petroleum Account avant d'être réintégrés dans le

budget) et de créer par précaution deux fonds spéciaux. L'un pour les générations futures, le

Heritage Fund qui ne concernera pas plus de 10% des revenus et qui sera dédié à des

dépenses de long terme comme les infrastructures et le Stabilization Fund qui veillera à

rééquilibrer le budget en cas de baisse brutale du cours du baril de brut, afin de garantir les

dépenses déjà engagées.

En termes d'emplois, l'équation ne sera pas simple non plus pour le gouvernement ghanéen, il

est encore trop tôt pour juger de ses actions à ce sujet. Plus de 50% de la population vit encore

du travail de la terre. Un abandon trop rapide des aides à ce secteur et le recours aux

importations de nourriture seraient un coup dur pour ces millions de paysans. Or c'est bien le

principal écueil à éviter. L'industrie pétrolière ne requière pas beaucoup de main d'œuvre. Ces

agriculteurs ne pourront pas passer des champs vers les plateformes pétrolières. Il faudra

néanmoins dans la loi prévue d’être votée en 2012 sur le Local Content s'assurer qu'un

pourcentage important de locaux soient imposés aux sociétés pétrolières, sans pour autant que

cela retarde les travaux et les investissements. Le pourcentage à imposer est en fonction du

nombre de locaux qualifiés au moment de la loi. Au Ghana, ils sont peu nombreux, mais il

faut que les formations localement et à l'étranger soient accélérées et concernent le plus grand

nombre pour que la frustration soit la moins importante possible. On parle au ministère de

l'énergie d'imposer 90% de Ghanéens en donnant dix années aux pétroliers pour y parvenir

(standard gabonais). Des paliers seraient cependant imposés afin que l'accroissement du

pourcentage des locaux soit continu avec une échéance finale.

Le problème de frontière maritime avec la Côte d'Ivoire

Hors des défis purement nationaux liés à la gestion pétrolière, le Ghana doit aussi gérer un

conflit frontalier dans ses eaux maritimes avec son voisin la Côte d'Ivoire. Ce type de conflit

où l'exploitation du pétrole est en jeu, est de plus en plus courant depuis l'accélération de

l'exploration des grandes profondeurs marines dans les années 1990. Depuis une vingtaine

d'années, des commissions techniques mixtes entre les deux Etats ont travaillé afin de borner

clairement les frontières terrestres. Cette démarche a été notamment (mais pas seulement)

accélérée par des accrochages dans le nord-est du pays à partir de 2002, mêlant les Forces

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nouvelles de Guillaume Soro (ex Premier-ministre de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara

puis Président du parlement depuis mars 2012) qui ont traversé la frontière afin de piller le

territoire ghanéen36. Cependant, ce bornage terrestre s'est relativement bien passé (78 bornes

avaient déjà été posées en 1903 mais une bonne partie avaient été enlevées), la frontière

restant tout de même toujours aussi poreuse avec le Ghana, le Liberia, la Guinée, le Mali ou le

Burkina Faso. Le bornage des frontières maritimes n'a quant à lui pas été réalisé car il était

d'abord plus contraignant au niveau logistique et surtout le pouvoir a changé en Côte d'Ivoire

avec l'élection à la présidence de Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo le 22 octobre 2000. Le

mandat de ce dernier a été très rapidement marqué par un conflit conduisant à la partition en

septembre 2002 du pays en deux entités géopolitiques distinctes, un nord en butte au pouvoir

de Gbagbo et un sud soutient du président. Depuis cette fin 2002, le pays n’a plus été géré de

manière classique et les médiations se sont succédé pour tenter d'aplanir la situation (accords

de Linas-Marcoussis en 2003 et Ouagadougou en 2007).

Finalement après des élections très contestées à la fin 2010, Laurent Gbagbo a été écarté du

pouvoir le 11 avril 2011 suite à l'intervention des forces militaires françaises Licorne sous

mandat des Nations unies. Durant les dernières années du pouvoir Gbagbo, les questions de

frontières maritimes ont été traitées avec une certaine sérénité car le président ivoirien et le

président ghanéen John Atta-Mills sont depuis longtemps réputés proches. Officiellement

donc, la règle non écrite que les deux présidents ont édicté stipule qu'en cas de découverte

pétrolière franchissant la frontière coloniale (1905), des discussions sur le partage seraient

lancées37. Or, comme on l'a vu sur la carte 6 montrant les découvertes du Ghana, les

gisements de Tweneboa mais surtout d'Owo (Enyara) se trouvent à proximité immédiate de la

frontière. Enyara découvert en 2010 est le plus proche mais sa mise en valeur la dernière

année de présidence de Laurent Gbagbo, n’a pas vraiment causé de vague en Côte d'Ivoire, le

chef de l'Etat étant davantage occupé par des problèmes de survie politique interne.

L'arrivée au pouvoir en Côte d’Ivoire d'Alassane Ouattara en avril 2011 change la donne.

Ouattara qui sait que son homologue ghanéen Atta-Mills a soutenu la campagne de son

rival38, ne va pas avoir la même mansuétude que son prédécesseur. Le problème est réel et

sérieux, les pétroliers actifs au Ghana ont une connaissance désormais plus précise de la taille 36 Discussion avec l'attaché de Défense à l'Ambassade de Côte d'Ivoire au Ghana (octobre/novembre 2011). 37 Discussions avec des membres du cabinet du ministre ivoirien du pétrole de l'époque Augustin Komoé Kouadio (2010). 38 John Atta-Mills a toujours milité contre l'intervention militaire de peur de l'arrivée de nombreux réfugiés sur son territoire et de part la proximité idéologique (tout deux dirigeants de parti dit de gauche) et historique entre lui et Laurent Gbagbo. Gbagbo a même aidé financièrement Atta-Mills lorsque celui-ci était dans l'opposition entre 2000 et 2009. Sourcess: discussions avec journalistes ivoiriens depuis 2010.

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et de la position des gisements frontaliers. Or comme on l'a vu, la frontière maritime issue de

la colonisation a été basée sur des accords très flous entre la Grande Bretagne et la France en

190539.De plus, la Côte d'Ivoire a besoin de fonds pour se reconstruire après une décennie

économique assez difficile. Sa propre production pétrolière est passée en quelques années de

50 000 à 34 000 b/j en 201140.

Le président Alassane Ouattara joue d'abord sur plusieurs registres. Il menace de poursuite

judiciaire devant les tribunaux internationaux (les deux choix possibles sont Tribunal

international du droit de la mer à Hambourg ou la Cours Internationale de Justice de la

Haye) le Ghana, en cas de laxisme de son gouvernement envers les centaines de cadres du

régime de Laurent Gbagbo qui se sont réfugiés au Ghana (notamment des hauts gradés

militaires et économiques41). Ce message de fermeté est porté le 2 mai 2011 par le premier

ministre ivoirien Guillaume Soro, lors d'une visite au président ghanéen John Atta-Mills à

Accra42. Il précise bien que le règlement du différend frontalier, à l'amiable, serait privilégié

tant que les opposants à Ouattara seraient neutralisés. Quelques mois après, constatant la

bonne volonté ghanéenne, Alassane Ouattara et John Atta-Mills, décident, le 30 juin 2011,

lors de discussions privées en marge du sommet de l'Union africaine dans la capitale équato-

guinéenne Malabo, de créer une zone de développement conjoint. Cela permettra, à terme, de

partager les revenus selon l'étendue des réserves se trouvant de part et d'autre de

la frontière litigieuse. On parle alors de la réactivation de la commission technique constituée

de fonctionnaires des deux pays, d'abord mise en place en 2010 pour suivre le dossier des

limites de cette zone conjointe. La société pétrolière nationale, Petroci, est sensée piloter la

discussion entre les pétroliers concernés. Côté ghanéen, les principales intéressées sont la

britannique Tullow Oil, opérateur d’Enyara ainsi que Kosmos Energy et Anadarko.

Cependant, cette discussion va bien au-delà de ces seules sociétés, car du côté ivoirien des

blocs frontaliers ont également été attribués. Immédiatement à l'ouest des découvertes

ghanéennes, la société américaine Vanco opère les blocs CI-101 et CI 401 (voir carte 8 ci-

dessous). Ces permis sont importants car des quantités commerciales de gaz ont déjà été

mises en valeur. Enfin, un peu plus au sud, le CI 100, a été attribué par Laurent Gbagbo à la

major française Total en 2010. Total voulait ce bloc du fait des découvertes ghanéennes et

39 Pour comprendre l'historique compliquée de la détermination de cette frontière terrestre et maritime depuis la fin du 19ème siècle, voir Dabié Désiré Axel Nassa « Les frontières nord de la Côte-d'Ivoire dans un contexte de crise », Les Cahiers d'Outre-Mer 3/2010 (n° 251), p. 461-483. 40 Chiffres émanant d'un document du ministère de l'économie discuté en conseil des ministres (jamais rendue publique). 41 Nous en avons rencontré certains à Accra en octobre 2011. 42 Africa Energy Intelligence, n°656, 20 juillet 2011

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Gbagbo a souhaité le donner à une société importante car il voulait un allié dans son combat

futur pour le partage des gisements.

Cependant, cette brève accalmie est violemment battue en brèche après la très décevante

rencontre du 6 octobre 2011, entre le président ivoirien Alassane Ouattara et son homologue

John Atta-Mills. Lors de cette discussion, Ouattara demande l'expulsion des anciens

dignitaires du régime de Laurent Gbagbo, accusés de visées déstabilisatrices depuis le Ghana,

mais n'obtient aucune garantie43. La contre-attaque ivoirienne est rapide: lors de la 18ème

édition de l'Africa Oil Week au Cap44 (2 au 4 novembre 2011), le directeur des hydrocarbures

de Côte d'Ivoire, Ibrahim Diaby et le directeur de la PetroCI Daniel Gnangni présentent une

nouvelle carte des blocs pétroliers de leur pays (voir carte 7 ci-dessous). Un changement

notable y a été introduit : cinq nouveaux permis, allant de CI 540 à 544, ont été dessinés à l'est

des eaux territoriales ivoiriennes (cela forme un triangle bleu sur la carte). Ces périmètres se

superposent à plusieurs blocs ghanéens, notamment Tano Deepwater. C'est bien sur ce permis

que Tullow Oil a fait ses découvertes en 2008 et 2009, avec Tweneboa et Enyenra. Les

ministres ghanéens, mis au courant de l’élaboration de cette nouvelle carte, défilent à Abidjan

depuis le mois de septembre pour tenter de déminer le dossier. Cette carte, officielle,

estampillée République de Côte d'Ivoire, est un élément très fort de la négociation. Elle "dit"

en résumé que comme le Ghana ne veut pas négocier de bonne foi, la Côte d'ivoire s'approprie

les zones litigieuses y compris les zones où des découvertes ont été effectuées. Nos

discussions avec Ibrahim Diaby en novembre 2011 montrent que cette stratégie a été

murement réfléchie et qu'elle n'est pas le fruit d'un simple coup de sang.

43 Cette conversation est rapportée par des membres de son cabinet interrogés par nos soins. 44 Grand-messe annuelle où les sociétés pétrolières et les représentants des Etats africains producteurs et en exploration se rencontrent. Quelque 1000 délégués y font des présentations, des stands permettent également de faire la promotion des blocs libres (Etats) ou de technologie et projet en développement (sociétés pétrolières).

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Carte n°8: Blocs pétroliers ivoiriens en novembre 2011.

Source : Ministère ivoirien des hydrocarbures.

Le ministère ivoirien du pétrole a bien préparé le coup d'éclat de l'Africa Oil Week. Il a

envoyé début octobre aux quatorze opérateurs dans les eaux territoriales ivoiriennes, ainsi

qu'aux principales ambassades, un document dans le but d'expliquer la stratégie ivoirienne sur

ce dossier. La position ivoirienne repose sur le fait que son voisin a profité de la situation de

crise politique qui a prévalu en Côte d'Ivoire depuis 2002 pour attribuer des blocs dans la zone

litigieuse de l'offshore, notamment à Tullow. Après avoir tenté d'ouvrir des pourparlers, le

président Alassane Ouattara veut désormais forcer son voisin à négocier au plus vite, c'est-à-

dire avant que Tweneboa et Enyenra n'entrent en production (entre 2014 et 2017).

Après cet épisode, les pourparlers reprennent sur de nouvelles bases. Le Ghana comprend que

si le pouvoir de Gbagbo était très contesté, celui de Ouattara est amplement appuyé par les

Etats-Unis, la France, l'Union européenne en général et qu'il doit faire des propositions

concrètes. Un premier accord de principe est signé en décembre 201145. Il prévoit qu'en

échange de l'abandon des prétentions ivoiriennes sur les découvertes de Tullow Oil,

Tweneboa et Enyara, le Ghana s'engage à arrêter et à remettre aux autorités ivoiriennes

quelque 200 ex-gendarmes, policiers, militaires et personnalités politiques partisans de

45 Africa Energy Intelligence, n°665, 14 décembre 2011.

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Laurent Gbagbo. Une partie de ces derniers font par ailleurs l'objet de mandats d'arrêt

internationaux. L'accord négocié entre les deux parties prévoit également qu'en cas de

découverte d'un gisement à cheval sur la frontière, il soit exploité conjointement par les deux

pays. Les modalités d'exploitation devant faire l'objet de rencontres futures.

Si la frontière n'a pas été précisée pour autant (elle devrait faire l'objet d'autres négociations),

les deux gouvernements discutent sur de nouvelles bases. Les forages de Total prévus en

2012/2013 doivent faire également l'objet de discussion et de communication permanente

pour éviter toute tentation d'un durcissement de ton. On voit bien ici que ces problèmes sont

réglés de manière totalement différente selon les régimes qui les mènent. Gbagbo n'avait pas

la même stratégie que son successeur. De même, on ne peut être certain que le successeur de

Atta-Mills (ce dernier est décédé en juillet 2012, remplacé jusqu’aux élections de décembre

2012 par son vice-président John Dramani) poursuivra la même politique. Si ces négociations

de frontières sont basées sur l'interprétation de traités ainsi que l'étude de données

géophysiques et géomorphologiques, c'est avant tout des décisions politiques et donc des

rapports de force qui s'installent et amènent à une décision d'apaisement ou au contraire de

grande tension. Et de façon encore plus incontrôlable et imprévisible, la relation personnelle

entre des chefs d'Etat est déterminante dans le règlement du conflit.

2-2 Les tensions géopolitiques liées aux hydrocarbures en Afrique

Les litiges frontaliers

La description de l'exemple ghanéen n'est pas fortuite, elle ouvre la discussion sur un

problème assez répandu sur le continent africain : les litiges frontaliers liés aux

hydrocarbures. Dans la troisième partie, nous nous pencherons très longuement sur ce sujet

dans la région des grands lacs, en particulier entre la République démocratique du Congo et

l'Ouganda sur le lac Albert et entre la République démocratique du Congo et l'Angola à

l'embouchure du fleuve Congo. Tous les cas de ce type sur le territoire africain sont la

conséquence directe de traités signés par les colons, avec la particularité d’être très flous, et

utilisant des démarcations basées sur des éléments naturels dont certains bougent au fil du

temps, cas typique du lit d'une rivière. La plupart du temps, la relative pauvreté des données

disponibles délimitant les frontières ne pose pas de problème majeur entre les Etats. Parfois,

certains litiges très locaux entre habitants de villages frontaliers pour des questions d'élevages

(en particulier dans l'Est africain comme au Kenya, Somalie, Djibouti etc...) ou d'agriculture

conduisent à certaines luttes. Cependant la découverte d'hydrocarbures dans une zone

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72

frontalière change bien vite la donne en mettant finalement en lumière une fragilité des

traités : l'imprécision. A leur décharge, dans les cas des explorations en haute mer, ces traités

ne pouvaient pas avoir cette vision de très long terme46. Le pétrole est donc un puissant

révélateur d'une nécessité de contrôle d'un territoire particulier qui était auparavant peu défini,

sans que cela ne pose le moindre problème (la question préalable est le partage des zones de

pêche sur lesquelles les Etats peuvent s'opposer parfois). Ces discussions ou tensions

permettent aussi de jauger du poids politique, économique et diplomatique (en particulier

dans le cadre de la recherche efficace des soutiens d'autres Etats) des deux, trois ou quatre

parties qui font face à un même différend frontalier. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, la part

« scientifique » du problème compte mais le plus faible des protagonistes doit comprendre

que sans l'appui d'institutions tierces il ne pourra pas gagner contre plus fort que lui (cas

d'école de la péninsule de Bakassi entre le Nigeria et le Cameroun où ce dernier a du avoir

recours à des arbitrages internationaux).

Le but n'est pas ici de faire la liste de tous le cas de litiges frontaliers liés aux hydrocarbures

mais de montrer les spécificités de certains d'entre eux. Celui du Ghana et de la Côte d'Ivoire

est déjà particulier car on a à faire en l'espèce à deux pays de puissance, de taille, de

démographie assez semblable. Le Ghana semble tout de même avoir profité d'une situation

d'instabilité en Côte d'Ivoire sous le régime de Laurent Gbagbo afin de lancer des projets

d'exploration dans des zones qui n'avaient pas fait l'objet de traités clairs entre les deux Etats.

Cela se serait probablement passé différemment en cas de pouvoir stable et légitime à

Abidjan. Le fait qu'Alassane Ouattara fasse jouer ses arguments est le résultat d'une stratégie

de rééquilibrage assez naturel.

La gestion pacifique entre la Tunisie et la Libye

La relative égalité des forces entres des nations en litige frontalier lié aux hydrocarbures est

un cas assez rare. Commençons par un type de résolution de conflit par consensus quasi

immédiat, qui est d'ailleurs l'un des plus anciens dans l'histoire pétrolière africaine : le cas de

la Tunisie et de la Libye dans le bassin frontalier de Ghadamès. La Libye qui est un important

producteur depuis les années 1960 accepte en 1989 (alors qu'il produit à l'époque 1,164 000

46 Le pétrole a commencé à être extrait et utilisé dès le milieu du 19ème siècle aux Etats-Unis puis vers 1870 dans la région de Bakou, actuelle capitale d'Azerbaïdjan.

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73

b/j) de créer avec son voisin Tunisien (produisant alors 105 000 b/j) une société commune

appelée Joint Oil qui aura en charge la gestion de cette zone difficile à départager. En effet,

les travaux sismiques ont montré que des structures géologiques étaient de part et d'autre de la

frontière communément admise entre les deux Etats (voir carte ci-dessous).

Carte n°9: Frontière maritime entre la Tunisie et la Libye.

Source : site internet de Sonde Resources : www.sonderesources.com.

Seulement ici, une fois de plus, et comme sous le couple Gbagbo/Atta-Mills qui avaient des

affinités particulières permettant d’éviter tout emploi de la force, le colonel Mouammar

Kadhafi appréciait beaucoup son homologue tunisien Zine El-Abidine Ben Ali. Kadhafi avait

même décidé d'appeler le permis d'exploration opéré par Joint Oil, le bloc 7 novembre,

comme le jour de l'arrivée au pouvoir de Ben Ali en 198747. Evidemment à la fin du pouvoir

de Ben Ali en février 2011, le bloc 7 novembre a rapidement été rebaptisé Joint Oil block. Du

gaz a été découvert dès les années 1990 sur ce périmètre puis du pétrole en novembre 2010

grâce à la société canadienne Sonde Resources. Cependant, ces quantités n'ont pas encore

atteint la masse critique pour être développées. A l'époque de la création de la Joint oil, cela

n'était pas très difficile pour Kadhafi de partager cette zone, la Libye avait déjà les plus

grandes réserves du continent et une population très faible (4 millions d'habitants). De plus,

les pétroliers et à fortiori les autorités ne savaient pas les quantités d'hydrocarbures se trouvant

dans la zone. La Tunisie de l'époque, quelque 6 millions d'habitants, avait une armée assez

bien formée ainsi qu'un soutien sans faille de la puissance coloniale, la France. Les deux pays

avaient donc plutôt intérêt à s'entendre, surtout que Kadhafi faisait déjà l'objet d'un vif rejet de

l'occident du fait de ses velléités à soutenir le terrorisme (ETA, Fractions armée rouge etc...).

47 Oil and Gas Journal, 15 septembre 2008.

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74

On ne peut s'empêcher de se demander comment cela va se passer en cas de partage de la

production. Il peut y avoir des tensions en cas de grandes quantités d'hydrocarbures.

Les zones de développement conjoint

D'autres cas de litige frontalier en Afrique ont pu être réglés d'une manière différente.

Certains pays, au lieu de créer une société commune comme pour la Libye et la Tunisie ont

privilégié l'établissement d'une zone conjointe partagée. Cette dernière peut s'appeler de

différentes manières : zone de développement conjoint (JDZ en anglais) ou zone d'intérêt

commun (ZIC)...On trouve historiquement la première trace de ce type de procédé en Asie

entre le Japon et la Corée du Sud qui signe le Japan-ROK agreement en 1974. Ce dernier qui

rentre en pratique en 1978, après la validation des parlements nationaux va permettre le début

de l'exploration pétrolière en 1979 et le premier forage en 198048. Cet accord est signé alors

que la Chine est farouchement contre car lésée, dans une zone qui se trouve à l'est de la Mer

de Chine. On voit qu'à l'époque le Japon, rapidement devenu la deuxième économie mondiale

après la deuxième guerre mondiale pouvait se permettre des décisions non concertées qui

avaient des conséquences sur son voisin chinois, encore très replié sur lui-même et incapable

de défendre ses positions. Plusieurs sociétés vont se succédés dans cette zone partagée, y

compris des américaines comme Texaco. Cependant aucune découverte commerciale n'a été

mise à jour.

Les cas de ce type vont ensuite se multiplier du fait de la nouvelle précision des textes

juridiques concernant le droit de la mer. La convention de Montego Bay de 1982 met à plat le

droit maritime et les limites des eaux économiques exclusives (200 miles) ainsi que celles du

plateau continental (350 miles). L'Australie va créer une JDZ avec le Timor Oriental en 1989

(en pleine guerre avec l'Indonésie qui considère le Timor comme sa 17ème province depuis le

départ des Portugais en 1975). Le Vietnam fait de même avec la Malaisie en 1992, cette zone

produira dès 199749. L'Asie est donc précurseur dans ces zones communes créées pour

explorer le pétrole du fait de pourtours maritimes très accidentés et très proches les uns des

autres. L'Afrique va aussi y venir assez rapidement.

Le 14 octobre 1993, un « Accord de Gestion et de Coopération » entre le Sénégal et la

Guinée-Bissau est conclu à Dakar entre les deux gouvernements. Cet accord vient refermer

48 BBC Summary of World Broadcasts, 9 mai 1980. 49 Wikipédia sur le Vietnam.

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une longue procédure juridique qui a commencé par un arbitrage lancé dès mars 198550. En

effet, la Guinée Bissau conteste l'accord Franco-Portugais édicté lors de l'indépendance du

Sénégal en 1960 concernant la détermination des frontières maritimes. Cependant, la Cour

internationale de justice de La Haye se déclare en partie incompétente pour régler le litige et

incite à de nouvelles discussions qui amènent à l'accord de 1993. Ce dernier crée une Agence

qui prend la dénomination d’« Agence de Gestion et de Coopération entre le Sénégal et la

Guinée-Bissau (AGC)». L'AGC est la première de ce type en Afrique avec un personnel

dédié, elle est basée à Dakar. C'est donc un processus beaucoup plus lourd que celui de la

Tunisie et de la Libye. Cependant, au départ, dans les objectifs de l'AGC, nulle mention du

pétrole. C'est uniquement les ressources halieutiques qui intéressent les deux partis mais

l'AGC va servir de cadre à sa deuxième vocation : le partage du pétrole en cas de découverte

dans la zone partagée. Des découvertes ont été mises à jour en 1967 et 1971 par Exxon dans

ce territoire litigieux entre les deux pays puis par Total sur le permis de Dôme Flore à l'est de

l'AGC profond (voir carte ci-dessous).

50 Voir à ce sujet l'article de Ibou Diaité, « Le règlement du contentieux entre la Guinée-Bissau et le Sénégal relatif à la délimitation de leur frontière maritime ». In: Annuaire français de droit international, volume 41, 1995. pp. 700-710.

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Carte n°10: L'AGC entre le Sénégal et la Guinée Bissau.

Source : Site d’Ophir Energy, Benjamin Augé

L'accord de l'AGC prévoit qu'en cas de mise en développement d'une découverte, le Sénégal

aurait 80% des revenus et la Guinée Bissau 20%. Entre 1997 et 1999, l'AGC commande de

nouvelles opérations de sismique afin de mieux promouvoir ses blocs. En 1998, un code

pétrolier sénégalais donne aussi un cadre fiscal à l'exploration. Les forages n'ont jusqu'à 2012

pas permis de mettre en valeur suffisamment d'huile. Pourtant des compagnies sérieuses ont

cru à ce procédé de résolution de conflit de frontière maritime. En 2012, deux sociétés de

dimension importante Ophir Energy (très présente en Guinée équatoriale et en Tanzanie) et

Noble Energy (société qui a mis à jour toutes les découvertes gazières de l'offshore israélien

depuis 2000) sont toujours sur le permis d'AGC profond. Elles y ont cependant effectuées un

forage en 2011 qui s'est avéré décevant.

Le cas de l’AGC est symptomatique d'un grand déséquilibre de puissance. Le Sénégal est très

influent en Guinée Bissau, pays qualifié par l'Office contre la drogue et le crime des Nations

unies de "narco Etat" et où plusieurs chefs d'Etat-major ont été assassinés en une décennie

ainsi qu'un président en 2009. La création de l'AGC en 1993 montre que le président

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77

sénégalais Abdou Diouf a été contraint par la justice internationale de trouver un accord avec

la Guinée Bissau mais clairement ce dernier est un "nain" diplomatique, militaire et un Etat en

totale déliquescence51. Plusieurs discussions avec des membres de l'AGC ainsi que des

consultants qui ont eu à voir le président sénégalais Abdoulaye Wade (2000-2012) nous on dit

que ce dernier voulait, vers 2009, modifier les règles de l’AGC. En effet, la Guinée Bissau n'a

jamais payé sa quote-part de l'organisation et sa gestion de cette zone de pêche commune

augure mal d'un possible partage de revenus pétroliers. Wade qui était assez excédé de cette

situation, n'a jamais mis ses projets à exécution car il a rencontré les consultants pour

appréhender la faisabilité d'un tel changement, dans la même période où a eu lieu le meurtre

du président Bissau Guinéen. Lancer le processus aurait été perçu comme l'utilisation d'un

moment de faiblesse de la Guinée Bissau.

L'un des cas de zone de développement conjoint les plus médiatisé en Afrique est celui du 21

février 200152 entre le petit archipel de Sao Tomé et Principe (170 000 habitants) et le Nigeria

(160 millions d'habitants). La similitude avec le Sénégal et la Guinée Bissau se situe au

niveau de l'extrême différence de poids diplomatique, économique, militaire et

démographique entre Sao Tomé et le Nigeria. Sao Tomé, ancienne colonie portugaise vit

quasi exclusivement de son agriculture et de l'exportation de son chocolat (l'un des meilleurs

du monde du fait du climat et de son sol volcanique) et de son café. Toutefois, son budget

reste en bonne partie financé par l'aide internationale. Quant au Nigeria, c'est le premier

producteur de pétrole et le troisième de gaz en Afrique. Différence de taille. Là encore, ce

sont des problèmes de pêche qui ont été à l’origine des premières disputes dans les eaux

séparant les deux nations. Des négociations sont lancées en novembre 1999 lors d'une

National Boundary Commission pour déterminer des frontières maritimes. Constatant

l'absence de consensus, la création de cette JDZ (ou ZDC en français) a été privilégiée, zone

en jaune sur la carte ci-dessous.

51 International Crisis Group, "Au-delà des compromis : les perspectives de réforme en Guinée-Bissau", 23 janvier 2012. 52 Africa Energy Intelligence, 30 janvier 2002.

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Carte n°11 : ZDC entre Sao Tomé et le Nigeria

Source : site internet de la JDZ/Africa Confidential

Le texte de création de la ZDC en 2001 prévoit qu'en cas de découverte dans cette zone, 60%

des revenus revenant à la partie étatique iraient au Nigeria et 40% à Sao Tomé et Principe.

L'histoire de cette création est cependant un peu plus compliquée que la présentation

officielle, car d'une certaine manière la JDZ est le résultat marchandé de l’appel au secours de

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Sao Tomé au Nigeria pour le règlement de ses problèmes pétroliers. En effet, l’Etat de Sao

Tomé crée en 1998 la compagnie ST Petro en collaboration avec la petite société américaine

ERHC (groupe à l'époque spécialiste dans les questions environnementales) qui contrôle 60%

des parts. L'accord prévoit que ERHC est chargé de faire la promotion de tout l'offshore du

pays, en prenant évidemment une participation dans chacun d'entre eux. ERHC découpe alors

les 22 blocs de la zone économique exclusive de Sao Tomé dès 199753, (voir carte ci-dessus).

Or cette alliance ne s’avère pas aussi fructueuse que prévu, un arbitrage est lancé à Paris en

1999 concernant 5 millions de dollars que ERHC n’aurait pas payé à Sao Tomé, le patron de

la société américaine répliquant que le président santoméen Miguel Trovoado a accepté des

pots de vin54. Devant une situation bloquée, s'en suit une demande d'aide du président

Trovoada au Nigeria pour tenter de sortir le très pauvre archipel de ce guêpier. L'un des

proches du très puissant président nigérian de l'époque Olusegun Obasanjo, Emeka Offor, va

alors forcer EHRC d'accepter que sa société (Chrome Energy) rentre à son capital, à la suite

de quoi ERHC/Chrome négocient un accord avec Sao Tomé dans lequel le consortium aurait

15% dans quatre blocs frontaliers avec le Nigeria. Le règlement du litige de Sao Tomé avec

ERHC va donc être conditionné à la création de cette JDZ (composée de neuf blocs) où le

Nigeria va pouvoir accroitre ses revenus en cas de découvertes, tout en donnant des blocs aux

amis d'Obasanjo et en passant aux yeux de l'ONU comme le pays qui a réglé un litige

juridique et maritime d'un coup, sans violence. En réalité, ce procédé a été très bénéfique pour

le Nigeria qui n’a rien eu à débourser, et Sao Tomé n'a eu que le choix d’accepter la

proposition du grand voisin du Nord, le procès avec ERHC aurait pu financièrement être

coûteux. La découverte en 1996 du gigantesque champ de Zafiro en Guinée équatoriale au

nord-est de Sao Tomé et Principe a fait prendre conscience au Nigeria que cette zone, assez

loin de ses côtes (presque 200 kilomètres) pouvait être très productive.

Depuis lors, si aucune découverte n'a été considérée comme commerciale, les majors s’y sont

néanmoins installées. Chevron a été d'ailleurs la première à prendre un bloc (le 1, désormais

opéré par Total, voir carte ci-dessus) et a foré en 2006 le puits d'Obo-1. La grande profondeur

d'eau et la déception d'Obo-1 a entraîné des années sans aucun autre forage (un seul d'entre

eux coûte 100 millions de dollars). La nouvelle formule d'ERHC à capitaux nigérians a réussi

sans débourser un seul dollar, des participations dans les blocs 2-3-4-5-6 et 9 de cette JDZ.

Grâce à son partenaire chinois Sinopec, elle a foré en 2009 dans le bloc 2. De même sur le

bloc 3, son partenaire Addax Petroleum (racheté également par Sinopec en 2009) a fait trois

53 Africa Energy Intelligence, n°351, 26 août 1998. 54 John Ghazvinian, ibid, p. 216.

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autres forages entre 2009 et 2010. Total qui est rentré en 2010 sur le bloc 1 de Chevron

devrait forer en 2012. Cependant, cet activisme n'a pas encore permis de mettre à jour des

réserves suffisantes pour les mettre en développement. La profondeur d'eau impose d'avoir de

gros volumes de pétrole ou de gaz afin de rentabiliser les investissements. Plusieurs sociétés

sont d'ailleurs parties de la JDZ après avoir obtenu des participations dès 2005, c'est le cas de

Noble Energy ou Ophir dont on a déjà parlé.

Cet exemple montre bien que parfois les JDZ sont une solution bénéfique non pas uniquement

pour les Etats mais pour des intérêts particuliers, là en l'occurrence ceux des proches de

l'ancien président nigérian Olusegun Obasango (qui a probablement été lui aussi récompensé

pour son volontarisme). Une fois de plus, si la justice a été invitée dans le processus, elle n’a

pas été à son terme et les Etats ont trouvé d’autres solutions. Cependant, nous ne sommes pas

encore dans le cas de découverte commerciale, si cela survient, rien ne prédit que le Nigeria

ne souhaiterait pas renégocier sa part dans la JDZ qui est déjà de 60%. Sao Tomé qui vit en

partie des investissements des Nigérians et de la relative bienveillance de ce voisin, se verrait

mis devant le fait accompli et n'aurait d'autre choix que de négocier. La nouveauté depuis le

début des années 2000 est l'intérêt toujours plus fort de l’Angola à Sao Tomé. L'Angola a

beaucoup plus de moyens depuis la fin de sa guerre civile en 2002 et la montée en flèche de

sa production pétrolière. La société nationale pétrolière Sonangol a d'ailleurs acheté en quasi-

totalité (75%) la société de distribution d'essence de l'archipel55 (Empresa Nacional de

Combustiveis e Oleos). Lors d'une de ses visites en Angola en mai 2011, le premier ministre

santoméen Patrice Trovoada a rappelé que les projets de Sonangol d'un port en eau profonde

ainsi que de nouvel aéroport dans son pays sont les bienvenus. Sao Tomé pourrait jouer du

soutien angolais contre le Nigeria. Ces deux pays étant d'ailleurs parfois opposés dans leur

politique étrangère, le Nigeria étant très pro-occidental et très pro américain (le président

Goodluck Jonathan a beaucoup appuyé le départ de Laurent Gbagbo du pouvoir ivoirien en

2011) alors que l'Angola est plutôt pour une sorte de non ingérence (elle a appuyé Gbagbo,

son ambassadeur étant l'un des seuls à assister à la prestation de serment).

D'autres cas de zones de développement conjoint ont été créés en Afrique, c'est le cas

notamment entre l'Angola et ces deux voisins congolais dont nous parlerons dans la deuxième

et troisième partie.

55 Africa Energy Intelligence, n°651, 11 mai 2011.

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Le cas particulier de la péninsule de Bakassi

La résolution du conflit entre le Cameroun et le Nigeria pour le contrôle de la péninsule de

Bakassi qui s’est déroulé entre 1993 et 2008 a eu pour motif sous-jacent la potentielle

présence d'hydrocarbures56. Contrairement à tous les cas précédemment étudiés, ce litige

porte sur la souveraineté d’un territoire et non sur un conflit de frontière. Bakassi est

l'extension de la péninsule de Calabar dans le golfe de Guinée. Ce territoire situé à la frontière

entre le Nigeria (plus particulièrement de l'Etat de Cross River, voir carte ci-dessous) et le

Cameroun a fait l'objet d'un important contentieux entre les deux pays.

56 Voir l'article de Léon Koungou « Comment construire la paix dans un espace postconflictuel ? », Afrique contemporaine 2/2010 (n° 234), p. 11-24.

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Carte n°12 : Péninsule de Bakassi

Source : Google Earth

A la suite de la décision d'annexion de la péninsule par le président nigérian Sani Abacha en

décembre 1993, la tension a logiquement monté entre les deux pays. Cependant, à la suite de

la saisine par le Cameroun des Nations Unies en mars 1994, un arrêt de la Cour Internationale

de Justice (CIJ) de la Haye rendu en octobre 2002, a finalement attribué cette zone au

Cameroun. Le processus a été très compliqué tellement les traités, en particulier celui entre la

Grande Bretagne et l'Allemagne de 1913 qui définissent les sphères de contrôle des deux

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puissances ont été contestés par le Nigeria57. Et pourtant, c'est bien en partie à partir de ce

dernier que la Cour Internationale de Justice de La Haye s'est appuyée pour statuer en faveur

du Cameroun. Il faudra cependant attendre le mois d’août 2008 pour que l'armée et la police

nigériane quittent définitivement la péninsule. Les premiers bataillons ayant commencé à

quitter la zone dès 2006. Pourtant, nos conversations avec les soldats camerounais

responsables de la péninsule de Bakassi58 montrent combien une certaine violence perdure

entre les pécheurs locaux, quasiment tous d'origine nigériane et l'armée et la police

camerounaise qui a construit plusieurs casernes à Bakassi. Une unité du BIR (bataillon

d'intervention rapide, unité d'élite) est d'ailleurs stationnée en permanence dans la zone et est

gratifié de primes pour cela59.

Si la décision de justice de 2002 rendant Bakassi au Cameroun va être acceptée (contraint et

forcée) par le pouvoir du président nigérian Olusegun Obasanjo, cela ne va pas être le cas des

populations basées à Bakassi. Si des violences ciblent les militaires camerounais, la lutte

contre les Camerounais et le refus d'accepter la "faiblesse" nigériane a aussi entrainé la

création de mouvements violents avec des discours indépendantistes sur Bakassi. C'est

notamment le cas du Bakassi Movement for Self-Determination (BAMOSD) créé en 2006 qui

a proclamé l'indépendance de Bakassi le 2 juillet 2006 depuis la capitale de l'Etat de Bayelsa

au Nigeria60. La BAMOSD se déclare d'ailleurs solidaire d'un autre mouvement dont on

parlera plus tard, le Movement for the emancipation of the Niger Delta (MEND) qui mettra à

genoux les compagnies pétrolières et l'Etat fédéral en 2009. Plusieurs autres mouvements vont

rapidement naître et revendiquer des actions violentes comme des kidnappings avec demande

de rançons. C'est le cas du mouvement des Bakassi Freedom Fighters (BFF) qui émerge le 20

octobre 2008 avec la prise en otage de dix expatriés sur un bateau de la société française

Bourbon. Il demande l'ouverture immédiate de négociation sur Bakassi. Les BFF dont le

nombre n'a jamais dépassé la centaine de membres, n'ont pas revendiqués d'actions depuis

2009. Certains d'entre eux ont été mis en prison, d'autres ont certainement accepté l'amnistie

57 Le processus juridique de ce différend entre le Nigeria et le Cameroun sur Bakassi nous a été expliqué lors de longs entretiens avec l’un des avocats qui a eu à défendre le Nigeria. Le processus a été dès le départ très politisée, le Nigeria savait selon lui qu’au géologiquement et au niveau juridique il perdrait mais il était impossible pour Sania Abacha puis Olusegun Obasanjo de ne pas mener la bataille du fait des très fortes pressions internes de la part des hommes politiques de l’opposition et surtout pêcheurs de Bakassi. 58 Lors d'une intervention que nous avons donnée à l'Ecole Militaire en mars 2011 auprès de colonels venant de divers pays dont plusieurs Nations africaines, puis après lors d'entretiens privés. 59 L'endroit est particulièrement difficile : forte prévalence de la malaria avec la présence de moustiques ; serpents en nombre et chaleur humide. La présence de mangrove facilite les maladies et la prolifération d'animaux dangereux. 60 Quotidien nigérian Vanguard, 10 juillet 2006.

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destinée aux militants du Delta au Nigeria61. En mars 2010, un nouveau sigle surgit lors du

kidnapping de sept chinois sur un bateau de pêche, c'est l'Africa Marine Commando (AMC)

qui revendique l'action. Une rançon de 320 000 euros sera payée pour la libération de

l'équipage. Si les BFF avaient des motifs affichés assez politiques, l'AMC semble davantage

être motivée par des motifs uniquement crapuleux. Nos discussions avec les militaires

camerounais montrent aussi la possible instrumentalisation de ce genre de mouvements par

les militaires camerounais basés à Bakassi. Mécontents suite à des différends au sujet des

grades ou des salaires, certains kidnappings, sont l'œuvre ou sont aidés par le BIR (Bataillon

d’intervention rapide) camerounais. Ce genre d’actions permet de se constituer une cagnotte

et de donner un signal à Yaoundé, la hiérarchie militaire étant évidemment au courant de ce

type d'actions.

Si le potentiel géologique de Bakassi n'est pas connu, la proximité avec les réserves

pétrolières nigérianes a depuis les années 1990 poussé les deux Etats à lutter pour récupérer

cette zone potentiellement intéressante. La zone onshore de Bakassi a été comme on l’a vu, en

partie attribuée dans le courant 2012 par les autorités camerounaises. Mais si Bakassi a bien

été rendue, le partage des eaux territoriales entre les deux pays est encore en suspens. Le 11

mai 2007, les autorités nigérianes et camerounaises ont cependant approuvé une frontière qui

reprenait trois accords passés. Le premier, signé en 1972, portait sur le partage des eaux de

l'estuaire de Calabar à l'est de Bakassi en douze points (Yaounde Line). En 1975, la Marua

Line délimitait les frontières maritimes au sud de Bakassi. Enfin en 2002, l'arrêt de la Cour

internationale de justice de La Haye achevait de délimiter la frontière maritime entre les deux

pays. Or ce nouveau tracé coupe trois blocs nigérians (voir carte ci-dessous) qui se trouvent,

de facto, à cheval sur les eaux territoriales camerounaises et nigérianes62. Ainsi les champs

d'Abana et Ekwe, qui font partie du bloc nigérian OML 114 opéré par Monipulo, sont aussi

sur le territoire camerounais. Plus au sud, 1/10e de l'OML 123 d'Addax Petroleum déborde de

même sur les eaux camerounaises. Composé des champs d'Ebne, Ebughu, Ebbé et Bogi,

l'OML 123 produit 55 000 bpj63. Enfin, à l'extrême sud, se trouve l'OML 115 assez peu

exploré par les Nigérians d'Oriental Petroleum Resources. Une vingtaine de kilomètres carrés

seraient situés côté camerounais tandis qu'une autre portion du bloc serait à cheval sur les

eaux équato-guinéennes, dont la frontière reste encore à déterminer.

61 Benjamin Augé, "le delta du Niger ou la quadrature du cercle sécuritaire", Armand Colin. 2011. 62 Africa Energy Intelligence, n°600, 6 mars 2009. 63 Africa Energy Intelligence, n°600, 11 mars 2009

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Cependant, les négociations avec les autorités nigérianes s'enlisent dans des comités

interminables, le Nigeria a du mal à partager...

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Carte n°13: Blocs partagés entre le Nigeria et le Cameroun.

Source : Carte issu d'un rapport daté de 2007 obtenu auprès d'un des cabinets d'avocat qui a défendu le Nigeria

pour Bakassi.

Le Nigeria et le Cameroun ont créé des commissions qui sont chargées de régler les

problèmes de frontières maritimes en lien avec les questions pétrolières. Ces commissions

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dont nous avons pu rencontrer certains membres, sont aidées par les deux sociétés nationales

Nigerian National Petroleum Corp (Nigeria) et Société national des hydrocarbures

(Cameroun). Seulement, les rencontres qui ont lieu plusieurs fois par an n'ont toujours pas

conduit à une solution pérenne64. Les enjeux sont considérables pour le Cameroun dont la

production baisse continuellement mais aussi pour le Nigeria qui doit sécuriser son futur,

toujours considérablement dépendant des hydrocarbures.

Les autres cas de litiges frontaliers liés aux hydrocarbures en suspens

Plusieurs autres cas africains de règlement de litiges frontaliers sont toujours en cours de

négociation ou d'instruction. C'est notamment le cas des îles de Mbanié, Cocotier et Conga

disputées entre la Guinée équatoriale et le Gabon. Le litige a commencé en 1972 lorsque le

président de la Guinée équatoriale Francisco Marcias Nguema a déclaré que le traité signé en

1900 par l'Espagne (colonisateur de la Guinée équatoriale) et la France (qui contrôlait le

Gabon), prévoyait que ce petit ilot de 30 km² à peine, appartenait à l'Espagne. Seulement, lors

de cette déclaration de Nguema, la Guinée équatoriale qui vient d'obtenir son indépendance de

l'Espagne en 1968 est très pauvre, elle n'a pas les moyens de défendre plus avant son point de

vue en s'adjoignant les conseils de cabinets d'experts (en droit international ainsi que pour son

lobbying). Le Gabon, au contraire produit du pétrole depuis 1958 et peut se prévaloir du

soutien inconditionnel de la France. Dès 1974, le président gabonais Omar Bongo Ondimba

(qui gouverne jusqu'en 2008) parvient à arracher un accord avec son homologue Francisco

Marcias Nguema donnant les droits de propriété sur l'ilot de Mbanié, Cocotier et Conga au

Gabon. Il est fort probable que ce genre de différend ait été réglé de façon discrète mais

efficace, grâce à de l'argent, dont manquait cruellement le pouvoir dictatorial de Nguema. Ce

dernier fut d'ailleurs tué en 1979 par le président actuel du pays Teodoro Obiang Nguema, qui

est son neveu.

Ce cas de différend frontalier est singulier car la Guinée équatoriale va changer de dimension

et de poids diplomatique après ses premières découvertes pétrolières au début des années

1990. Le rapport de force va ainsi se rééquilibrer voire se déséquilibrer au profit de la Guinée

équatoriale cette fois-ci. Les autorités de ce pays, fort mécontentes du règlement de 1974,

vont donc réactiver en 2003 le combat face à leur voisin gabonais, mais avec des armes

financières : des conseils et des soutiens diplomatiques de poids mieux "aiguisées". On a

davantage d'amis quand on produit du pétrole, les Etats-Unis ont d'ailleurs complètement

64 Voir Africa Energy Intelligence, nos : 648, 650, 651

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changé leur politique face à Malabo en deux décennies. Afin de symboliquement appuyer sa

position, le Gabon envoie le 26 février 2003 son ministre de la défense sur l'île de Mbanié qui

réaffirme la souveraineté gabonaise de la zone65. Cette visite du ministre Ali Bongo, fils du

président de l'époque (qui deviendra président en 2009) va encore davantage mettre sous

tension les relations bilatérales. Les deux présidents décident de se rencontrer le 2 mai 2003

afin de calmer la situation, on envisage à l'époque une zone de développement conjoint,

preuve que la position guinéenne s'est renforcée66. L'exploration pétrolière avait commencé

dans la zone notamment grâce à la compagnie américaine Santa Fe Snyder qui opère le bloc

d’Ebene Marin autour de Mbanié. Cependant depuis que la société a rendu le permis,

l'exploration est gelée (elle n'a toujours pas repris en 2012).

Les conversations directes entre les deux présidents au début de l'année 2003 semblent ne

mener nulle part, on évoque sans grande conviction l'opportunité de créer aussi cette zone de

développement conjoint lors d'un somme de l'Union africaine en juillet 2004 mais cette

proposition est sans lendemain. L'ONU a nommé quelque mois plus tôt, le 30 octobre 2003, le

canadien Yves Fortier comme négociateur afin de trouver une solution au différend. Ce

dernier, avocat et diplomate a été membre de la Cour d'arbitrage internationale de La Haye

entre 1984 et 1989 et a donc une grande expérience des différends entre Etats, y compris liés

aux questions délicates de territoire et de souveraineté. Yves Fortier effectue ainsi de

nombreuses navettes entre Malabo et Libreville afin de rapprocher les positions, sans résultat

concret. Pensant que c'est peut être le médiateur lui-même qui n'est pas à la hauteur, le

secrétaire général de l'ONU Kofi Annan (d'origine ghanéenne) s'implique lui-même

directement à partir de 2006. Ce dernier quitte son poste la même année, sans avoir rencontré

davantage de succès qu'Yves Fortier. En 2008, c'est le professeur de droit à Genève Nicolas

Michel qui est nommé à ce poste de médiateur. Plusieurs rounds de négociations ont lieu à

New York durant l'année 2009 et 2010, mais une fois de plus sans résultat. Désormais, nous

sommes dans un processus d'arbitrage international classique, accepté par les deux parties.

C'est la Cour Internationale de La Haye qui devra trancher67.

Il faut noter que les deux ex-puissances coloniales se sont impliquées sur le tard dans la

médiation sur Mbanié. Du fait de la nécessité de gagner des contrats dans son ancienne

colonie devenue intéressante grâce à son pétrole, l'Espagne a appuyé ostensiblement la

Guinée équatoriale. Dès novembre 2003, la ministre espagnole des Affaires étrangères, Ana

65 9 juin 2004, Winhua News Agency. 66 Africa Energy Intelligence, n°462, 7 mai 2003. 67 Discussions avec certains médiateurs de l’ONU.

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Palacio, affirme lors d'une visite à Malabo que "la documentation existante en Espagne sur ce

sujet indique que Mbanie appartient à la Guinée équatoriale68". Trois ans après, le 23 octobre

2006, le ministre espagnol des affaires étrangères Miguel Angel Moratinos Cuyaube,

accompagne une délégation espagnole de plus de 80 personnes, dont de nombreux hommes

d'affaires. Cela est suivi par la visite officielle à Madrid le 15 novembre du président équato-

guinéen, qui ne s'y était pas rendu depuis une quinzaine d'années69. De même pour la France,

le président Jacques Chirac a aidé son ami de 30 ans, Omar Bongo, qui a financé les

campagnes électorales de la gauche comme de la droite en France et qui avait même son mot

à dire sur les ministres de la coopération (écartement de Jean-Marie Bockel en 2008 du poste

dans le gouvernement de François Fillon70). Lors d'un sommet du 2 octobre 2006 programmé

à Genève mais qui n'a finalement pas eu lieu, Jacques Chirac et le premier ministre espagnol

José Luis Rodriguez Zapatero auraient dû être aux côtés des présidents gabonais et

équatoguinéen ainsi que du secrétaire général de l'ONU Kofi Annan pour avancer sur le

différend71. L'implication des deux leaders européens est quand même symptomatique

d'enjeux importants autour de Mbanié comme celui du pétrole (même si celui-ci est pour le

moment totalement fantasmé par manque d'étude). Auparavant, lorsque la Guinée équatoriale

n'était qu'un pays pauvre, les discussions ne s'étaient pas internationalisées, le Gabon avait

gagné par l'achat des négociations.

D'autres litiges frontaliers font toujours l'objet de discussions ou d'arbitrages, c'est notamment

le cas de la Guinée équatoriale avec le Nigeria. Ce dernier fait durer les débats, tout comme

avec le Cameroun. Il est aussi à craindre que de nouveaux différends naissent des récentes

découvertes gazières en Afrique de l’Est et australe notamment à la frontière entre la Tanzanie

et le Mozambique, entre ce dernier et Madagascar. Dans cette zone, la France devrait être

dans le futur impliquée une fois de plus à cause de l'île de Juan de Nova située entre

Madagascar et le Mozambique. Voir carte ci-dessous :

68 Xinhua, Ibid. 69 La Lettre du Continent, n°505, 9 novembre 2006. 70 La Lettre du Continent, n°537, 19 mars 2008. 71 La lettre du continent, ibid..

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Carte n°14: Blocs pétroliers de Juan de Nova

Source : Périmètres des titres miniers d'hydrocarbures, Direction générale de l'énergie et du climat. République

Française.

Des explorations ont lieu depuis 2008 sur cette île de Juan de Nova, autrefois revendiquée par

l'ancien président malgache Didier Ratsiraka (1975-1989). Depuis lors, l'armée française a

conservé des soldats en permanence sur cette île non habitée. Si ces revendications ne sont

plus très courantes depuis plus de deux décennies, une découverte pétrolière à Juan de Nova

ne manquerait pas de relancer les débats. Outre la souveraineté même de l'île de Juan de

Nova, on peut voir sur la carte officielle française des périmètres pétroliers que les frontières

maritimes avec Madagascar et le Mozambique restent à déterminer. Ces imprécisions sont

d'ordre mineur pour les pêcheries, mais majeures en ce qui concerne le pétrole et le gaz. Les

découvertes gazières au Mozambique depuis 2010 sont telles (on parle de 85 trillion de pieds

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cubes soit l'équivalent de la moitié de réserves du Nigeria) qu'inévitablement tous ces

problèmes vont ressurgir et vont imposer une clarification rapide. Une autre bataille juridique

risque d'être menée entre la République des Comores et la France pour les eaux territoriales

de Mayotte (département français depuis 2011). Les Comores, encore très sous explorées, ont

déjà donné un permis au début 2012 à Bahari Resources (petite compagnie bien connectée

politiquement) et cette zone à quelques dizaines de kilomètres à peine des découvertes

mozambicaines. Or comme les Comores revendiquent la souveraineté sur Mayotte, cela

promet des débats houleux entre l'ex-puissance coloniale et Moroni.

Enfin, concernant les différends frontaliers, il faut parler des questions liées non plus aux

zones économiques exclusives mais également au plateau continental. Tous les Etats membres

de l'ONU avaient jusqu'au mois de mai 2009 pour déposer leur dossier aux Nations-unies

pour appuyer leur demande d’augmentation de leur plateau continental. Plus d'une dizaine de

pays africains ont déposé un dossier avec un objectif : passer de 200 à 350 miles marins (la

plupart n'ont pas cette chance car ils doivent déjà partager avec un autre Etat dans les 200

miles). Ces demandes ont parfois été déposées en commun, c'est le cas des îles de Maurice et

des Seychelles afin d'avoir davantage de chance d'obtenir ces précieux miles supplémentaires

et délivrer des licences d'exploration aux compagnies pétrolières au plus vite. Mais en

Afrique, ces demandes se sont faites la plupart du temps en "solo", c'est le cas de la Côte

d'Ivoire et du Ghana, comme de la Mauritanie, du Cap Vert et du Sénégal, même s'ils

travaillent depuis lors pour harmoniser leur position. Le tribunal de la Mer en Jamaïque ou

celui de Hambourg prendront beaucoup plus longtemps pour rendre une décision en cas de

litige évident. Cela gèlera de fait toute exploration sur les plateaux continentaux au-delà de

200 miles. Cependant comme le verrons dans la partie III, ces dossiers d'extension des

frontières maritimes, ont parfois servi à régler des comptes entre deux pays n'arrivant pas à

résoudre seuls leurs différends dans leur zone économique exclusive, alors que théoriquement

cela n'était pas le sujet. C'est notamment le cas de la République Démocratique du Congo

opposée à l'Angola.

2-3 Le Nigeria, une menace persistante sur l'approvisionnement

d'hydrocarbures mondiale

La plus lourde menace pesant sur la production pétrolière africaine, et par extension mondiale

(un baril non produit ne sera pas immédiatement compensé ailleurs), vient du Nigeria. Les

eaux bordant le delta du Niger, zone où est située la totalité de la production du pays, sont

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devenues avec 114 attaques en 2008, les deuxièmes plus dangereuses au monde après celles

aux larges de la Somalie. Si ce chiffre a grandement diminué en passant à 91 en 2009 puis 58

en 201072, la société danoise de conseil Risk Intelligence évalue désormais à 70 les actes de

piraterie dans les eaux du pays en 201173. Cette instabilité a des conséquences économiques

innombrables. En effet, le Nigeria représente une puissance particulière sur le continent

africain et même plus largement sur le marché mondial des échanges. Comme on l'a vu, c'est

un "mastodonte énergétique". Il est membre de l'Organisation des Pays Exportateurs de

Pétrole (OPEP) depuis 1971 grâce à sa production pétrolière importante : entre 2 et 2,5

millions b/j, et premier producteur du continent (deuxième en termes de réserves). Quant au

gaz, le Nigeria produit depuis le début des années 1970 et se place au troisième rang du

continent avec 35 milliards de mètres cube par an (premier pour les réserves).

La totalité de l'exploitation des hydrocarbures au Nigeria se situe dans la région du

delta du Niger. Quelque 40% du volume total est produit onshore, et 60% en offshore. La

tendance globale de la production est à l’accroissement des gisements situées dans les eaux

territoriales et une décroissance des gisements "à terre", qui sont les plus anciens, et

considérés pour certains d'entre eux, déjà matures, c'est-à-dire en fin de vie. Le delta du Niger

n'est pas uniquement une réalité géographique comme pourrait être le delta du Nil ou du

Mékong, elle est aussi, pour le pouvoir nigérian, une zone géopolitique bien distincte qui

regroupe les trois principaux Etats producteurs de pétrole du pays : Rivers, Delta et Bayelsa

ainsi que les Etats producteurs de moindre importance: Abia, Akwa Ibom, Cross River, Edo,

Imo et Ondo. Cette région est représentée sur la carte ci-dessous en rouge vif.

72 Risk Intelligence Nigeria, Review of 2010 and Outlook for 2011. 73 Africa Energy Intelligence, n°667, 18 janvier 2012.

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Carte n°15 : Région du delta du Niger au Nigeria

Source : Wikipedia/Benjamin Augé

Outre son poids économique évident pour le Nigeria, le pétrole pourvoit à 80% des

réserves en devises du pays, le Delta pèse aussi démographiquement puisqu'il abrite une

quarantaine de millions d'habitants sur 160 millions. Il est donc logique que cette région soit

gérée distinctement. Au niveau fédéral, dans la capitale Abuja, un ministère dédié au Delta est

en place depuis novembre 2007. Le président a également un conseiller spécial chargé de

cette région qui a un rôle opérationnel de premier plan.

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Cependant, cette zone est sujette à une instabilité chronique depuis plus de deux

décennies. Les raisons du mécontentement de ce qu'on appelle les "militants", auteurs des

violences dans le Delta contre les sociétés pétrolières, sont nombreuses. Aucun des problèmes

qu'ils soulèvent n'ont été réglés par les gouvernements nigérians successifs : peu ou pas

d'électricité, pollutions majeures liées au pétrole empêchant les pêcheurs de travailler74, pluies

acides liées au torchage du gaz etc...Enfin, ce qui reste probablement le problème principal, la

répartition des revenus pétroliers n'a pas bougé depuis 1999. Le pays dans son ensemble ne

s’est pas du tout enrichi depuis le début de la production pétrolière en 1958. En tenant compte

de l’inflation depuis les premières années de la production pétrolière, les Nigérians se sont

même appauvri « grâce » au pétrole. En 1971, le PIB (produit intérieur brut) par habitant était

de 382 dollars dont 103 dollars de revenus pétroliers ; en 2000 les revenus pétroliers par

habitant étaient de 170 dollars et pourtant le PIB global par parité de pouvoir d’achat est passé

en dessous du niveau constaté 29 ans plus tôt75.

La montée progressive des violences

Après une guerre du Biafra (1967-1970), violente et meurtrière (1 million de morts), qui a

anesthésié toute contestation des populations affectées par l'exploitation pétrolière dans les

années 70 et 80, les protestations ont considérablement évoluées depuis le début des années

1990. C'est le Movement for the Survival of Ogoni's People (MOSOP) qui, le premier, a fait

valoir de façon organisée son mécontentement face aux pratiques de la société anglo-

néerlandaise Shell. Les membres de l'ethnie Ogoni, estimés à 832 000 personnes76 que le

MOSOP représente, vivent dans l'Etat de Rivers (voir carte précédente). Le leader du

MOSOP, Ken Saro Wiwa promeut cependant des méthodes non violentes contre les

pétroliers. Dans son manifeste fondateur de décembre 1990, l'Ogoni Bill of Rights, il écrit que

son mouvement se bat pour une « utilisation dans des proportions justes des ressources

économiques pour le peuple Ogoni ». Saro Wiwa se bat contre un des principes les plus

décriés par les habitants du Delta : depuis une loi de 1978 votée par le parlement nigérian, les

propriétaires d’un terrain où se trouve du pétrole peuvent théoriquement être légalement

expropriés sans compensation. Le MOSOP combat de façon plus globale pour une meilleure

74 A ce sujet, lire le rapport du Programme des nations-unies pour l’environnement (PNUE) « Environmental assessement on Ogoniland » sortir en 2011. Il estime que pour une zone très restreinte de cette région de l’Ogoni dans l’Etat de Rivers salie par Shell dans les années 1990, il faudrait plus de 10 milliards de dollars de nettoyage. 75 Jean-Marie Chevalier et Marie-Claire Aoun, La Croissance, la promotion de l'emploi et la gestion de la rente pétrolière : défis et enjeux, conférence à Nouakchott le 26 février 2007, p. 2. 76 Ce chiffre est donné dans le rapport du Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE), « Environmental Assessement of Ogoniland», 2011.

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redistribution des revenus pétroliers entre l’Etat fédéral et les Etats producteurs ainsi que

contre les pratiques d'exploitation du pétrole par les compagnies qui dégradent

considérablement l'environnement. Entre 1976 et 1999, le pourcentage revenant aux Etats

producteurs n'est que de 3%77.Ces manifestations, exclusivement pacifiques, conduisent

cependant le chef de l'Etat de l'époque Sani Abacha, à pendre Ken Saro-Wiwa, ainsi que neuf

autres activistes du MOSOP en 1995.

Le relatif échec des dirigeants du MOSOP à contrôler une plus grande partie des

revenus issus du pétrole va quand même avoir un effet sur la décision du nouveau président

Olusegun Obasanjo, élu en 1999. Quatre ans après les pendaisons, il fait passer de 3% à 13%,

la part dévolue aux Etats producteurs. Cependant, si cela symbolise un pas important, cela

reste très insuffisant pour les populations locales et ne change rien aux pratiques des

compagnies notamment face aux problèmes environnementaux (l'autre combat des

communautés du Delta). Cette relative surdité du pouvoir contribue à la fin des années

1990/début des années 2000, à l’émergence de nouvelles "rebellions" plus exigeantes et plus

violentes envers l’Etat et les compagnies. Le combat pacifique semble en effet révolu. Un

discours de radicalisation se fait jour avec l'apologie de l'utilisation des armes contre les

pétroliers ainsi que l'armée nigériane (cette dernière symbolise l'Etat dans ce qu'il a de pire : la

répression violente). Ces nouveaux mouvements continuent toujours à défendre une ethnie en

particulier, mais cette fois-ci c'est celle des Ijaw qui représente l'une des plus grandes

communautés (la deuxième en nombre après les Ibo) dans plusieurs des neuf Etats du Delta et

en particulier dans celui de Bayelsa. On estime à 14 millions leur nombre au Nigeria (chiffres

à prendre avec précaution car les recensements sont fortement contestés78). Plusieurs

mouvements se créent pour représenter les revendications de cette ethnie. C'est le cas

notamment des Ijaw Youth Council (IYC) qui dans leur manifeste de 1998 (The Kaima

Declaration, voir en annexe 1) n'emploie pas de termes violents mais revendique leur droit

d'obtenir les revenus du pétrole sur leur sol même s'il ne demande pas d'indépendance. Deux

points sont particulièrement importants à cet égard dans le communiqué final de la réunion

dont sortira The Kaima Declaration:

77 A l'indépendance en 1960, il était de 60%. Cependant à l'époque, les revenus pétroliers étaient très faibles. La production a cru significativement à partir de 1970 où il a atteint 1 million de barils par jour. Source : BP Statistical Review of World Eneegy 2010. 78 Kathryn Nwajiaku, Between Discourse and Reality, The politics of oil and Ijaw Ethnic Nationalism in the Niger Delta, Cahier d'Etudes Africaines, 2005. L'auteure utilise la fourchette entre 8 et 12 millions en se basant sur les travaux de Sokari Okine (2001) ou de Human Rights Watch. Selon Nwajiaku, le recensement de 1952 fait mention de 900 000 Ijaw et aucune autre recherche de terrain n'a pu mesurer précisément le nombre de membres de cette communauté. Ce commentaire est d'ailleurs valable pour la plupart d'entre elles au Nigeria.

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4. Ijaw youths in all the communities in all Ijaw clans in the Niger Delta will take

steps to implement these resolutions beginning from the 30th of December, 1998, as a step

towards reclaiming the control of our lives. We, therefore, demand that all oil companies

stop all exploration and exploitation activities in the Ijaw area. We are tired of gas flaring;

oil spillages, blowouts and being labelled saboteurs and terrorists. It is a case of preparing

the noose for our hanging. We reject this labelling. Hence, we advise all oil companies staff

and contractors to withdraw from Ijaw territories by the 30th December, 1998 pending the

resolution of the issue of resource ownership and control in the Ijaw area of the Niger

Delta.

"Les jeunes Ijaw dans toutes les communautés du delta du Niger vont prendre des

mesures pour mettre en pratique les résolutions suivantes avant le 30 décembre 1998, afin de

montrer que nous pouvons prendre le contrôle de notre destin. Nous demandons que toutes

les compagnies arrêtent l'exploration et la production de pétrole dans la zone Ijaw. Nous en

avons assez du torchage du gaz, des marées noires ainsi que d'être considérés responsables

de ces faits et appelés de ce fait saboteurs et terroristes. Nous rejetons cette responsabilité et

ces termes. En conséquence, nous conseillons à toutes les compagnies et leurs salariés de

partir du territoire Ijaw au plus tard au 30 décembre 1998, en attendant de trouver une

solution concernant le contrôle des ressources dans la région Ijaw du delta du Niger"

Le point 10 est également à noter:

10. We agreed to remain within Nigeria but to demand and work for Self

Government and resource control for the Ijaw people. Conference approved that the best

way for Nigeria is a federation of ethnic nationalities. The federation should be run on the

basis equality and social justice.

Nous acceptons de rester au sein de la fédération du Nigeria mais à la seule condition

que les Ijaw puissant s'approprier et contrôler les ressources de leur sol. La conférence (de

Kaima) considère que le meilleur futur pour le Nigeria est une fédération basée sur les

ethnies. La fédération doit être gérée sur des bases de justice et équité.

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Le manifeste revendique aussi ainsi la création d'un "Ijaw Land". Pour résumer, les

Ijaw veulent obtenir 100% des revenus des ressources pétrolières extraits sur leur sol, et ce

même s'ils ne sont jamais les seuls sur un territoire.

Ce mouvement qui a des revendications fortes et légitimes pour beaucoup est dirigé de

2001 à 2004 par un militant converti à l'islam79 "Mujahid" Asari Dokubo80. Cependant très

vite, en désaccord avec les autres leaders, Dokubo créé en 2004 le Niger Delta People's

Volunteer Force (NDPVF), qui va lutter à Port Harcourt et Warri (les deux plus grandes villes

du Delta) contre un mouvement rivale, le Niger Delta Vigilant (NDV) dirigé par un autre Ijaw

Tom Ateke. L'action violente est lancée. Si le mot Ijaw disparait des dénominations de ces

deux groupes, ils sont tous les deux quasi exclusivement formés de membres de cette ethnie.

S'ils ont aussi des revendications politiques, comme le contrôle de la manne pétrolière par les

populations locales, ils ont surtout comme but de s'arroger le "business" très rentable de la

contrebande de pétrole brut81. Ils aident aussi les hommes politiques locaux durant les

élections en échange d'une certaine immunité pour leurs "affaires". Dokubo est par exemple à

cette époque réputé très proche du gouverneur de Rivers Peter Odili82. Si les mouvements

Ijaw sont fortement réprimés par le pouvoir fédéral, ils sont également fortement

décrédibilisés par leurs actions dans les villes où nombre de civils meurent alors que c'est à

Abuja que les décisions se prennent. Les idéaux de Kaima sont d'une certaine manière battue

en brèche par l'affairisme des leaders Ijaw de l'époque.

Le MEND ou la professionnalisation du combat contre l'Etat et les compagnies

La création en 2006 du Movement for the Emancipation of the Niger Delta (MEND) marque

une nouvelle étape dans la violence. Le MEND est le premier mouvement d'ampleur qui ne se

réclame pas d'une ethnie en particulier mais de tous les habitants de la région du Delta. Dans

son premier courriel envoyé à certains organismes de presse locaux en janvier 2006, sa

rhétorique est autrement plus radicale que ces prédécesseurs: « notre but est de détruire

entièrement la capacité du gouvernement à exporter du pétrole ». Le MEND veut aussi que la

terre du Delta appartienne aux habitants et que la redistribution soit revue. Constatant que ces

79 La grande majorité des habitants du Delta sont chrétiens ou animistes contrairement aux Etats du nord où la religion musulmane est dominante. 80 Nous avons pu rencontrer ce dernier en 2010. 81 Les professionnels du secteur pétrolier, estiment le vol de pétrole par les militants et hommes d'affaires locaux à quelque 150 000 b/j en période normale, c'est-à-dire en dehors des crises de 2006/2009 où ce chiffre a explosé. Source : Le volume de 150 000 b/j volé a été donné lors d'un discours du Vice-président de Shell Africa Ian Craig, le 20 février 2012 à Abuja lors de la conférence Nigeria Oil & Gas 2012. Africa Energy Intelligence, n°670, 29 février 2012. 82 Kathryn Nwajiaku, Ibid.

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revendications n'avancent pas, il veut contraindre l'Etat à négocier en détruisant les

infrastructures pétrolières. Le MEND effectue sa première attaque en janvier 2006 où il

assassine neuf salariés de la société parapétrolière italienne Saipem. Le groupe met en place

une habile stratégie de communication: il revendique ses attaques par des courriels envoyés à

des journalistes identifiés, sous l'alias Jomo Gbomo. Cependant, aucun de ses membres ne se

fait connaître publiquement. Le MEND n'a pas non plus de hiérarchie formellement établie.

Le mouvement est une sorte de nébuleuse comme est devenue Al Qaeda, où certains de ses

membres participent à des actions en son nom puis reprennent ensuite leur autonomie.

Plusieurs de ses militants vont cependant se faire arrêter, c'est notamment le cas de Henry

Okah, considéré comme le vendeur d'arme attitré du mouvement. Okah est incarcéré en

septembre 2007 alors qu'il est en Angola, il sera extradé en 2008 vers le Nigeria puis libéré en

2009 lors d'un processus d'amnistie. Il est incarcéré à nouveau depuis 2010 près de

Johannesburg.

Grâce à ses moyens venant en partie du trafic de pétrole brut (comme les mouvements plus

anciens), le MEND a à sa disposition d'implorantes capacités de nuisance : bateaux rapides,

armements lourds... Ces combattants sont de plus bien entraînés. Le MEND parvient

rapidement à déployer sa stratégie de prise en otage de l'industrie pétrolière contraignant le

gouvernement de négocier. L‘organisation frappe les pétroliers au cœur: les oléoducs,

gazoducs sautent, les usines de liquéfaction sont endommagées. Ces attentats arrêtent chaque

fois la production pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois. Cela est grandement

facilité par des militants qui travaillent aussi pour les compagnies pétrolières et savent

précisément quels sont les points névralgiques à viser83. Il n'y a d'ailleurs pas davantage

d'étanchéité entre les membres de l'armée et le MEND. En effet, les soldats nigérians, mal

payés, peuvent soutenir pour des raisons financières et même parfois idéologiques ce

mouvement, alors même qu'ils sont partie intégrante des forces de défense.

Le MEND a aussi la particularité d'attaquer dans les zones où les pétroliers se sentaient

auparavant en sécurité comme dans l'offshore, parfois très loin des côtes. Le 2 juin 2006 par

exemple, ils prennent le contrôle d'une plateforme de la société pétrolière norvégienne Statoil.

16 personnes y sont kidnappées. Le 20 juin 2008, des bateaux rapides attaquent la plateforme

de Bonga (produisant plus de 200 000 bpj), située à 120 kilomètres des côtes. Si cette attaque

83 Discussions depuis 2011 avec des militants ayant accepté l’amnistie de 2009 et envoyés en Malaisie pour une formation.

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fait peu de dégât, elle est orchestrée comme une démonstration de force : l'organisation peut

désormais agir partout. Après plusieurs bombardements de l'armée nigériane contre des

villages où seraient cachés des militants en septembre 2008, la mission "Barbarossa" est

lancée par le MEND où plusieurs dizaines d'attaques vont faire à nouveau plonger la

production pétrolière et gazière. Puis un cessez le feu intervient le 27 septembre 2008, rompu

dès le 30 janvier 2009. Le 25 février 2009, une nouvelle étape est franchie, un hélicoptère en

vol transportant des civils est visé. Plus aucun espace (mer, terre, air) n'est désormais sûr. Le

11 juillet 2009, le MEND sort du Delta en faisant sa première attaque à la bombe dans la

capitale économique du pays à Lagos. Il monte encore d'un cran sa capacité de nuisance avec

l'attentat du le 1er octobre 2010 à Abuja, la capitale fédérale, lors de la célébration du

cinquantenaire de l'indépendance.

Le but immédiat des activités du MEND au Nigeria est atteint, la production d'hydrocarbures

plonge. Certains jours de 2009, elle sera divisée par trois. Entre 2008 et 2009, la production

gazière a baissé de 29% passant de 35 à 25 milliards de mètres cube durant l'année. On assiste

dans le même temps à l'explosion des budgets sécurité des sociétés pétrolières. Dennis

Amachree, le chef de la sécurité d'Addax (une des sociétés actives dans le Delta) estime en

février 2009 les budgets sécurité des sociétés pétrolières de la région (primes d'assurance,

employés, mesures de sécurité en général) à 3,5 milliards de dollars pour l'année 2007, et à

plus de 3 milliards de dollars les pertes de pétrole.

Les réponses de l'Etat nigérian face aux défis posés par les militants du Delta

Pour résoudre la crise du Delta, le président nigérien Olusegun Obasanjo, met en place dès la

première année de son mandat, en 2000, le Niger Delta Development Commission (NDDC)84.

Ce dernier a pour but de financer des projets d'infrastructures et faciliter la création d'emplois

pour la région. Mais les budgets de cette institution, trop limités, empêchent des résultats

significatifs. Cette institution n'a comme seul résultat tangible de placer des personnalités

influentes du Delta à son conseil d'administration. Par chance, à l'époque, les combats sont

encore peu violents. Pour écraser les premiers actes de violence, en plus du volet économique,

Obasanjo met en place en 2003 la Joint Task Force (JTF), formée de militaires et de policiers

d'élite spécialement chargés de ramener le calme dans le Delta (elle sera dès 2010 envoyée

84 Pour voir le détail des tentatives de règlement politique des violences dans le delta, Benjamin Augé, « Pillage et vandalisme dans le delta du Niger », Hérodote, 2009.

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dans le Nord pour mater avec un succès mitigé les membres de la secte Boko Haram).

Cependant, très vite, les JTF vont se forger une mauvaise réputation de par leur extrême

violence. De plus, ils vont aussi s'intéresser au "business" du recel du pétrole de contrebande,

tout comme certains groupes de militants.

L'arrivée du président Umaru Yar'Adua en mai 2007 va assez peu modifier la stratégie globale

dans ces premières années de gouvernement85. Yar'Adua crée le 4 septembre 2008 le Niger

Delta Technical Committee (NDTC) avec à sa tête le dirigeant du MOSOP, Ledum Mitee.

Les membres de ce comité sont installés le 8 septembre avec comme triple mission de

synthétiser tous les rapports effectués sur la question du Delta depuis 1958, d’en tirer les

recommandations à court, moyen et long terme et de faire des propositions pour une solution

pérenne. Après trois mois de consultations, y compris avec le MEND, le NDTC rend son

rapport. Ses recommandations les plus marquantes sont : l’augmentation immédiate de 13 à

25% du pourcentage des revenus du pétrole alloué au Delta, une amnistie pour un certain

nombre de leaders rebelles et une réinsertion des militants. Le rapport, jamais publié, n'a

aucune suite immédiate. Fin décembre 2008, le premier ministre en charge du Delta est enfin

nommé, mais une fois de plus, il n'a qu'un très faible budget à sa disposition, tout comme le

NDDC. Sa nomination ne va pas modifier la politique vis-à-vis du Delta.

Devant l'inefficacité des mesures politiques et militaires (la production pétrolière continue à

s'écrouler avec l'accroissement des attaques), le président Yar'Adua, poussé par les sociétés

pétrolières à agir, propose en mai 2009 un projet d'amnistie qu'il lance le 25 juin 2009. Il

faudra cependant attendre le 25 octobre pour que le MEND accepte enfin une nouvelle trêve.

Entre le 6 août et le 4 octobre 2009, fenêtre ouverte par le gouvernement aux militants, 20 192

militants ont officiellement ralliés ce processus d'amnistie. D'autres militants ont souhaité,

après coup, rallier le programme qui compte en 2010, près de 26 000 personnes. L'amnistie

permet déjà aux 26 358 militants "de base" qui ont accepté de rendre leur arme86 d'obtenir un

paiement mensuel de 52 000 nairas soit 338 dollars. Quant aux chefs, ils négocient

directement avec le conseiller du président pour le Delta en charge de l'amnistie, Timi Alaibe

puis depuis 2010 Kingsley Kuku87. Leurs avantages sont considérablement plus importants.

85 Benjamin Augé, ibid. 86 Il semble évident qu'ils n'ont rendu qu'une partie de leur arsenal au cas où la situation dégénérerait à nouveau. 87 Avec lequel nous avons pu nous entretenir à de nombreuses reprises.

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On peut citer le cas de Boyloaf, Farah Dagogo, Tom Polo qui obtiennent des montants plus

généreux ainsi que des garanties de sécurité de la présidence.

L'autre volet de l'amnistie est la formation/réinsertion. Des centres de "rééducations" sont

créés dans le Delta pour apprendre un métier aux militants. Certains sont envoyés à l'étranger.

Au total, 1 538 anciens rebelles, sur les quelque 5 280 qui étaient en cours de formation fin

2011, ont trouvé une place à l'étranger. En majorité, les Etats qui les accueillent sont assez

peu implantés économiquement au Nigeria : Afrique du Sud (933), Malaisie (172),

Philippines (129), Inde (65), Bénin (42), Sri Lanka (34), Pologne (21)88. A l'inverse, ceux

disposant déjà d'intérêts économiques importants dans le pays sont moins accueillants : seuls

64 militants sont en Russie, 56 aux Etats-Unis et 22 en Israël. Ces formations ne se font

cependant pas sans heurts, certains envoyés en Malaisie, avec lesquelles nous nous sommes

entretenus, n'avaient toujours pas commencé leur formation après un an dans le pays. De

même, au Ghana, une dizaine d'entre eux ont même été incarcérés début 2011 pour mauvaise

conduite89. Enfin, l'un des 74 militants envoyés en Malaisie en juin 2010, soit après huit mois

sur place, nous a appris90 qu'une bonne partie de ses "collègues" ne savent même pas écrire

leur nom. Ceux-là sont automatiquement mis en échec dans ses formations et leur frustration

de ne pas construire quoique ce soit de nouveau et solide pour leur avenir les poussent à

nouveau vers le militantisme, âge doré où l'argent « coule à flot ».

L'un des autres problèmes de l'amnistie est le budget alloué, quelque 600 millions de dollars

en 2011 et "seulement" 458 millions (74 milliards de Nairas) en 201291. Ce budget qui est très

faible compte tenu du nombre de militants engagés, va continuer à diminuer jusqu'à l'arrêt du

dispositif. Kingsley Kuku évoque parfois une échéance vers 2013/2014 comme fin de

l'amnistie mais il est nécessaire de se demander à quoi tout cela va servir si tous les militants

ne sont pas bien réinsérés ? Or, cette hypothèse est bien la plus probable.

88 Ces chiffres comme ce paragraphe sont issus d'entretiens avec des militants ainsi qu’avec Kingsley Kuku, le conseiller du président nigérian pour la région du delta. 89 Africa Energy Intelligence, 23 février 2011, n°646. 90 Conversation privée en mars 2011. 91 Africa Energy Intelligence, n°668, 1er février 2012.

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Les causes profondes du militantisme dans le delta du Niger

Il est difficile de comprendre les problèmes actuels de sécurité dans la région du Delta en

mettant de côté la place prépondérante du pétrole et du secteur de l’énergie dans le pays. La

mauvaise gestion du pétrole est certainement la cause essentielle des troubles de la région du

Delta ; elle est aussi l’une des grandes faiblesses d’un pays qui n’a pas réussi à développer

d’autres industries fortes pour la contrebalancer. Le pétrole représente 95% des exportations

et près de 80% des recettes du budget de l’Etat fédéral. Le pays a gagné 330 milliards de

dollars de revenus pétroliers de 1971 à 2000, plus de 100 milliards de 2000 à 2004 et plus de

55 milliards en 200792. Malgré cela, le Nigeria se trouve toujours dans le bas du tableau en

termes de développement mais dans les places de tête pour la corruption.

L’un des principaux problèmes de la gestion pétrolière du Nigeria tient dans sa politique

décentralisatrice. Alors qu’à l’indépendance, le Nigeria était composé de trois grandes

régions, il compte aujourd’hui trente-six Etats, eux même subdivisés en 774 gouvernements

locaux. Dans les zones de production, ces gouvernements locaux peuvent s’avérer être le

premier maillon à «graisser» pour que les compagnies pétrolières travaillent en relative paix.

Cette décentralisation incomplète s’est révélée désastreuse pour la gestion pétrolière. L’Etat

fédéral redistribuait 50% des revenus du pétrole aux régions pétrolières en 1960, puis 45% en

1970. A mesure que la production a cru, le pourcentage a continué à s'effondrer : 20% (1975)

2% (1982), 1.5% (1984) puis une légère amélioration en 1992 avec 3%93. L'une des

principales raisons de cette baisse de la "redérivation" dès les années 1970 est que le pouvoir

militaire en place pendant de nombreuses décennies au Nigeria se désintéressent

complètement du développement du Delta, (la quasi-totalité des dirigeants venaient du Nord,

du centre et de Lagos) et ont privilégié les dépenses liées à la création de la nouvelle capitale

politique Abuja. Comme on l’a vu en 1999, le premier président civil élu Olusegun Obasanjo

porte le pourcentage de redistribution aux Etats producteurs à 13%. Le budget des Etats

dépend encore aujourd’hui en grande partie des redistributions de l’Etat fédéral qui viennent

quasi exclusivement des recettes pétrolières. La décentralisation a complètement échoué sur le

plan de la gestion pétrolière car tout est verrouillé à Abuja. De plus, la multiplication des Etats

et des gouvernements locaux diluent les sommes versées à chacune des entités administratives

et rend la dépense publique peu efficace de par son "émiettement". 92 L’année 2007 a été meilleure pour les revenus pétroliers au Nigeria. Cela s'explique par une production stable contrairement à 2008 où les cours sont en moyenne plus élevée mais où la production est en chute libre du fait des attaques des militants. 93 Ces pourcentages sont disponibles dans le texte de la déclaration de Kaima des Ijaw (en annexe).

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Ces dotations spéciales aux Etats producteurs sont aussi très mal perçues dans le Nord du

pays. Si les militants ont de tout temps demandé une meilleure répartition entre l'Etat fédéral

et leur propre dotation, ceux du Nord combattent même le principe de son automaticité. Le

gouverneur de l'Etat nordiste de Niger (nord-ouest, en dehors du Delta), Mu’azu Babangida

Aliyu, depuis 2012 critique cette formule qui doit, selon lui, profondément changer.

S'exprimant en tant que représentant des 12 Etats nordistes regroupés dans une association,

dont il est le président, Aliyu propose par exemple de ne pas inclure les revenus des champs

pétroliers loin des côtes dans les 13% de redistribution94. Ces gisements seraient ainsi

considérés comme appartenant à l'Etat nigérian -car dans ses eaux territoriales- mais sans

rétribution particulière pour les Etats producteurs, très loin géographiquement. Ce procédé

permettrait alors que les Etats du nord notamment, plus pauvres, obtiennent d'avantage

d'Abuja, car celui-ci ne rétrocéderait pas automatiquement 13% au Delta sur ces nouveaux

champs. Cette revendication du gouverneur Aliyu s’explique par le fait que le Delta profite

déjà des taxes des pétroliers qui sont actifs sur son territoire, ainsi que des nombreuses

opportunités d'emplois du fait de l'industrie pétrolière. Tout cela n'est pas du tout profitable

pour le nord du pays, qui est principalement agricole et très en retard comparé à Lagos (la

capitale économique) et le Delta.

Cette lutte des différentes ethnies du delta, qui n'ont pour le moment pas vraiment portée

leur fruit (à part pour les militants amnistiés), se situe dans un contexte national très difficile.

Alors qu'il est le premier producteur de pétrole du continent, le Nigeria se montre par exemple

incapable de raffiner la quantité nécessaire de produits pour sa propre consommation (250

000 bpj) alors que celle-ci ne représente qu’1/6ème de sa production de brut. De même, pour sa

consommation électrique, le Nigeria produisait en 2011 3.000 MW pour 150 millions

d’habitants. Par comparaison, l’Afrique du Sud possède 43 000 MW de capacité installée

alors qu'elle ne compte que 48 millions d’habitants et ne jouit que de très peu de gaz et de

pétrole (20 000 bpj seulement). Cela est d'autant plus problématique que les compagnies

pétrolières ont depuis 50 ans brûlé la quasi-totalité du gaz associé au pétrole. Cette action

appelée « torchage » est estimé à 70 million de mètres cubes par jour95 par le vice-président

nigérian en 2008, fait perdre 2 à 3 milliards de dollars par an au Nigeria, détériore

l’environnement et contribue à la pénurie de gaz des centrales électriques qui ne peuvent donc

94 Africa Energy Intelligence, n°670, 29 février 2012. 95 Chiffres donnés par le vice-président de l'époque Goodluck Jonathan, devenu président depuis 2010, dans un discours prononcé le 11 février 2008 pour les 50 ans du début de la production pétrolière.

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pas délivrer suffisamment de courant. Le Nigeria détient aujourd’hui les premières réserves

gazières d’Afrique, devant l’Algérie. Cependant, du fait de ce torchage massif du gaz associé,

il n’arrive qu’en troisième position, pour la production, après l’Algérie et l’Egypte96. Le

manque de volonté politique prime aussi ici, car les gouvernements, n’ont pas su contraindre

les sociétés pétrolières à stopper le torchage. Cette pratique est officiellement interdite depuis

1984, après le vote de « The associated Gas Re-injection Act », en 1979. Sous la présidence

Obasanjo, le Parlement vote une résolution donnant aux compagnies jusqu’au 31 décembre

2007, pour se conformer à la loi. Les pétroliers obtiennent un nouveau délai d’un an sous

Yar’Adua. A partir du 31 décembre 2008, les compagnies s’acquittent d’une amende de 3,50

dollars par 1000 mètres cubes de gaz torché. Cependant, aucune compagnie n’a créé les

réseaux nécessaires à l’arrêt du torchage dans les temps impartis. Les compagnies ne cessent

de négocier pour obtenir de nouvelles échéances pour se mettre en conformité avec la loi97.

Les pétroliers sont devant un dilemme, vendre le gaz au Nigeria en construisant des réseaux

coûteux et produire à quasi perte, brûler ce gaz, ou bien trouver des clients sur le marché

international qui seront livrés sous forme de gaz liquéfié, et gagner de l'argent. La ministre

des ressources pétrolières Diezani Alison-Madueke arrivée en mai 201098, a proposé dès le

mois de juin aux compagnies, une hausse graduelle des prix d'achat du gaz pour

l'approvisionnement des centrales. Le million de BTU (British Thermal Unit), unité de mesure

utilisée le plus couramment, passerait à 1 dollar à la fin 2010 au lieu de 0,2 auparavant, puis à

1,5 dollar en 2011 et 2 dollars en 2012. Cette mesure pourrait à terme changer la donne.

Cependant, au début 2012, cette nouvelle grille de prix n'était toujours pas appliquée et les

coupures de courant systématiques. La population consciente des ressources du pays, déplore

cette gestion très mauvaise du secteur énergétique et ne peut que constater que son niveau de

vie baisse et qu'aucun "business" ne peut survivre à l'absence d'énergie.

96 BP Statistical Review of World Energy, 2010. 97 Africa Energy Intelligence, n°601, 25 mars 2009. 98 Diezani Allison-Madueke a un parcours singulier car elle a pasé la plus grande partie de sa carrière chez Shell (société la plus haïe au Nigeria). Elle a notamment été la directrice exécutive de Shell dans le pays de 2006 à 2007. Son père a par ailleurs été un cadre de la major anglo-néerlandaise : Diezani Allison-Madueke a ainsi grandi sur un compound du groupe à Rumuomasi (Port Harcourt).

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Les tensions géopolitiques liées au pétrole et l'arrivée de Boko Haram

Le président de transition Goodluck Jonathan qui a remporté le scrutin présidentiel nigérian

d'avril 2011 doit lutter sur plusieurs fronts en même temps. Si le Delta se réarme et les

attentats et kidnapping reprennent car les problèmes de fond n'ont pas été réglés, le « feu

brûle » dans le nord du pays. La montée en puissance de la secte islamiste Boko Haram active

au départ dans les Etats nordistes de Borno, Yobe, Bauchi et Kano depuis 2002 a connu une

accélération avec l'attentat suicide du 26 août 2011 contre le siège de l'ONU à Abuja où 18

personnes ont péri. Boko Haram qui demande une application stricte de la sharia

(théoriquement en place depuis 1999 dans le Nord) s'est radicalisée lors de la mort de 700 de

ses membres ainsi que de son leader Mohamed Yusuf en 2009. L'élection de Goodluck

Jonathan, un chrétien du Delta en 2011 a encore aggravé la détermination du mouvement à

perpétrer davantage de violence. En effet, lors de son arrivée au pouvoir, Jonathan a mis aux

postes stratégiques des personnes qui lui sont proches (comme la ministre du pétrole ou le

conseiller sécurité du Nigeria Andrew Azazi), au détriment des nordistes (la plupart du temps

musulmans) qui ont pris l'habitude de conserver des prébendes et des avantages depuis

l'indépendance. Cela a créé une grande frustration des élites du nord qui ont pour certains

d’entre eux soutenu Boko Haram qui n'était à l'origine qu'un petit groupe extrémiste local. Le

groupe a tué plus de 100 personnes lors d'attentats simultanés le 25 décembre 2011. Des

églises chrétiennes ont été visées faisant craindre une guerre de religion. Or, il n'en est rien ou

plutôt cela n’est qu’une représentation commode99. Boko Haram est désormais

instrumentalisé par certains nordistes pour obtenir une part du gâteau pétrolier dont ils ont pu

jouir grâce à des postes décisionnels à Abuja pendant des années. Si le gouvernement a eu la

même stratégie lors des premières années de Boko Haram "on ne négocie pas avec des

terroristes, on les écrase", il a été obligé de négocier. Boko Haram vise aussi l'Etat lors

d'attaques de postes de police (à Kano par exemple en janvier 2012), il a donc davantage un

message politique que religieux. Ce discours prolifère sur un terreau fertile grâce à la pauvreté

du nord et la grande frustration face aux revenus engrangés par le delta, "aggravées" par

l'argent de l'amnistie. Boko Haram cherche donc à faire d'une certaine manière comme le

MEND : créer une situation telle, que l’Etat fédéral sera contraint de proposer des amnisties

pour les jeunes « lampistes » et des grosses sommes ou postes pour les leaders.

99 Voir l’article de Marc-Antoine Pérouse de Montclos: « Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria :insurrection religieuse, contestation politique ou protestation sociale ? », CERI, Sciences-Po, juin 2012.

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Goodluck Jonathan se trouve donc dans une situation difficile. Il ne peut favoriser le statu quo

dans le Delta. L'amnistie ne durera pas et n'a pas réglé grand-chose, elle a juste permis

d’acheter du temps pour les pétroliers et renflouer les caisses de l'Etat. Cependant, il ne peut

pas trop promettre au Delta, région dont il est originaire. Les habitants du Nord ne

comprendraient pas que le président nigérian augmente à nouveau les revenus du sud-est, cela

montrerait qu'il est influencé par sa région. De plus, cela conduirait à amoindrir les revenus

alloués au Nord, et aussi par ricochet, ceux du gouvernement central qui en a grandement

besoin. La menace de Boko Haram empêche désormais toute initiative dans ce sens. A

l'inverse, le président ne peut pas donner trop au nord, sous peine d'avoir d'autres mouvements

du même type naître avec d'autres revendications qui déstabiliseraient un peu plus encore le

pays. De plus, les militants sont très hostiles à toute aide au nord comme celles dont ils ont

bénéficiés. Ils se considèrent comme des militants "chevalier blanc contre les pétroliers et

l'Etat fédéral" alors qu'ils considèrent Boko Haram comme des terroristes100.

Pour finir avec le delta, les manifestations violentes des militants depuis le début des années

2000 ne doivent pas uniquement être perçues comme la conséquence du désespoir. Le chaos

des Etats pétroliers permet au "business" du vol du brut, par le perçage d'oléoduc ou grâce à

des organisations bien plus grandes qui s'emparent de plus grandes quantités, de prospérer

plus facilement. Les mouvements Ijaw comme ceux d’Asari Dokubo au début des années

2000 ou certaines entités du MEND à partir de 2006 gagnent beaucoup d'argent grâce à ce

pétrole. Ils le raffinent dans des petites structures de fortune puis le revende dans les pays

frontaliers comme au Cameroun, Bénin, Niger et Tchad ou alors payent les douaniers et les

responsables des ports pour emporter des cargaisons entières au large. Le pétrole est ensuite

raffiné dans les grandes structures de la région, Sénégal, Cameroun, Côte d'Ivoire et Ghana et

est ainsi "blanchi". Ce commerce a pu atteindre en 2008, pire moment de la crise, quelque

15% de la production du pays soit plus de 200 000 bpj. Très souvent le discours politique de

ces mouvements n'est qu'un vernis. Cependant, tant que la corruption des élites du pays

empêchera les habitants de profiter de la manne pétrolière, que l'environnement sera pollué

par l'exploitation pétrolière sauvage sans que l'Etat prenne des mesures de coercition, tous les

mouvements de militants pourront prospérer sur un mécontentement des Nigérians. Cela est

aussi valable pour Boko Haram au nord, qui applique une stratégie "miroir" avec celle les

militants du Delta: "le chaos pour obtenir des dollars".

100 Multiples conversations avec des militants.

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2-4 L'exploration et la production pétrolière dans le Sahara, un défi sécuritaire

et géopolitique

Toujours dans l'objectif d'expliquer les évolutions récentes du continent en matière pétrolière,

il est nécessaire de parler d'une zone géographique assez méconnue pour ce secteur : la bande

saharo-sahélienne. Grâce à nos nombreux terrains dans la région (en Mauritanie et au Mali)

ainsi que des conversations très fréquentes avec les cadres des ministères et des sociétés

pétrolières au Tchad et au Niger, nous allons tenter de poursuivre l'axe directeur de cette

première partie, à savoir le conflit lié à l'exploration et la production des hydrocarbures en

Afrique. Le Sahara est depuis 2007 largement troublée par les actions de nombreux

mouvements islamiques comme Al Qaeda Au Maghreb Islamique ainsi que par la question

Touareg dont la zone d'influence couvre le nord du Mali et du Niger ainsi que le Sud de

l'Algérie101. De même, la description de la zone du Sahara permet de parler d'un autre type de

conflit en invoquant un autre acteur : la Chine. Le Niger et le Tchad ont mis en grande partie

leur destin pétrolier dans les mains de cette puissance asiatique : le résultat est mitigé. Enfin,

l'un des autres aspects géopolitiques essentiels, en dehors des menaces sécuritaires

croissantes, est la difficulté d'exporter le brut dans cette zone totalement enclavée (cela fera

écho avec le thème de notre troisième partie).

L'exploration pétrolière dans la région saharienne a beaucoup évolué depuis une dizaine

d'années, résultat principalement d'une augmentation des cours du pétrole sur les marchés

internationaux. Cette vaste étendue caractérisée par une hyper aridité englobe

géographiquement des régions allant de la Mauritanie jusqu'au Soudan, en passant par

l'Algérie, le Mali, le Burkina Faso, la Libye, le Niger, le Tchad et le Soudan. L'exploration au

Sahara n'est cependant pas une nouveauté pour tous les pays de la région. Les sociétés

pétrolières, en particulier française, ont commencé à produire dans la partie septentrionale du

Sahara algérien à partir de 1958 (même année que sur les côtes libyennes ainsi qu'au Nigeria).

Cependant, il a fallu attendre 1999 pour qu'un autre pays de cette zone devienne producteur.

En effet, le Soudan grâce à la China National Petroleum Corporation102 et à Petronas

(Malaisie) produit quelque 450 000 barils par jour dans la région qui est devenu le 9 juillet

2011, l'Etat du Soudan du Sud103. La zone de production échappe pourtant à la région

101 Voir Emmanuel Grégoire, "Touaregs du Niger, le destin d'un mythe", Nle éd., 2001, Paris, Éd. Karthala, 360 p., (coll. Hommes et Sociétés). 102 China National Petroleum Corporation. 103 Une partie des gisements pétroliers sont également sous le contrôle unique de Khartoum à hauteur de 100 000 baril par jour mais une partie des blocs sont situés à cheval sur la frontière ce qui pose de lourds problèmes dans les négociations entre les deux Etats.

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saharienne, au sens purement climatique du terme, qui s'arrête à l'ouest du pays, au Darfour.

Quatre ans après les débuts pétroliers du Soudan, c'est au Tchad, dans la région sud du bassin

de Doba que la production commence avec un peu moins de 150 000 b/j. La Mauritanie

obtient ce statut envié de producteur de pétrole en 2006, grâce au gisement offshore de

Chinguetti situé à 70 kilomètres à l'Ouest de Nouakchott. Enfin, le Niger devient en 2011 le

dernier producteur de pétrole en date du continent africain avec 20 000 b/j qui

approvisionnent la raffinerie de Zinder (ville proche de la frontière avec le Nigeria).

Le poids des sociétés nationales dans la zone saharienne.

L'étude des cadastres pétroliers de la région met en évidence la présence de trois types de

sociétés pétrolières. Le premier, largement dominant et surreprésenté, sont les sociétés d'Etat

maghrébine (principalement Algérie, Tunisie et Libye), du golfe (Qatar et Koweït) ou de

Chine. Le deuxième: les quelques majors et sociétés intermédiaires occidentales, uniquement

européennes, avec notamment Total, ENI, Exxon, Repsol, et Wintershall. Enfin, le troisième

type qui est très répandu, en particulier en Mauritanie jusqu'à peu et au Mali encore

actuellement, sont les très petites sociétés qui sont parfois sans moyen et qui en prenant un

bloc, réalisent une simple affaire de spéculation en espérant que d’autres compagnies opérant

dans des zones proches fassent des découvertes qui valoriseront leur périmètre. Si la présence

des majors est un phénomène assez ancien -les Français se sont intéressés au pétrole et au gaz

du Sahara bien avant l'indépendance de l'Algérie- l'arrivée des sociétés nationales du Maghreb

et de Chine est beaucoup plus récente.

Les sociétés nationales du Maghreb actives au Sahara.

Les sociétés pétrolières nationales venant des pays producteurs du Maghreb s'intéressent toute

à la zone Sahara au sud de leur territoire pour des raisons de contrôle géopolitique d'une sorte

d'arrière-pays car elles ont des relations privilégiés de langue (français ou arabe) et d'histoire.

Leur investissement pétrolier dans cette zone est souvent le premier en dehors de leur

territoire national. Cependant, l'arrivée de ces sociétés coïncide aussi avec la récente hausse

des cours du pétrole qui les poussent, (grâce à leur "cagnotte"), à aller explorer ailleurs que

sur leur sol.

La société algérienne Sonatrach a commencé à s'intéresser aux Etats sahariens du sud il y a

moins d'une dizaine d'années. La Sonatrach International Petroleum Corporation (Sipex), a été

créée et enregistrée aux îles vierges Britanniques en 1999 afin de permettre à Sonatrach de

prendre des participations dans des blocs en dehors du territoire algérien. La multiplication

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des investissements de Sipex est largement encouragée par les réserves en devises engrangées

par la maison mère pendant "les années folles" de 2000 à 2008 (entre 300 et 400 milliards de

dollars). En 2005, Sonatrach s'est donné comme objectif ambitieux, de produire à l'horizon

d'une décennie, 30% de son débit total de champs en dehors de son territoire national104. Cet

objectif très ambitieux est inatteignable dans le moyen terme.

En 2005, la Sipex commence par prendre 20% des deux blocs détenus par Total (Ta7 et Ta8)

dans la partie mauritanienne du bassin de Taoudenni partagé entre la Mauritanie, le Mali et

l'Algérie105, voir carte ci-dessous :

104 Africa Energy Intelligence, n°505, 2 mars 2005. 105 Le Taoudenni algérien (environ 100 000 km²) n'a quasiment pas été exploré. Il n'y a eu aucun forage, ni de sismique. Juste quelques carottages peu profonds et un travail de terrain de repérage. Cependant selon des discussions avec des cadres de la Sonatrach, la société s'y intéresse et pense qu'il y a d'énormes potentiels mais le développement des zones plus septentrionales est prioritaire. N'oublions pas que le Taoudenni algérien se trouve à l'extrême sud ouest du pays, soit très loin des côtes. Les études du Taoudenni dans les autres pays permettent tout de même aux cadres de Sonatrach de mieux comprendre la géologie de ce bassin en vue d'une exploration prochaine plus poussée du potentiel de leur partie nationale du bassin.

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Carte n°16: Blocs pétroliers du bassin de Taoudenni en Mauritanie et au Mali

Sources : Ministère du pétrole en Mauritanie, AUREP au Mali, Benjamin Augé

Total voulant partager les risques sur une zone très enclavée et où les connaissances

géologiques sont très faibles, vend également 20% de ces deux périmètres à Qatar Petroleum

en 2007. La même année, Sipex signe un contrat de coopération avec la Société

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111

mauritanienne des hydrocarbures (SMH) pour le développement blocs Ta1,

Ta30, Ta31 et Ta3 (sans aucun effet sur le terrain). Sipex poursuit son expansion dans la zone

saharienne en prenant le bloc nigérien de Kafra en 2005 (nord-est du pays) sur lequel elle est

sensée forer en 2012/2013. Enfin, la société algérienne décide de prendre sur le Taoudenni

malien un bloc en propre (le 20) et cinq en partenariat avec la société italienne ENI (blocs 1, 2

,3 ,4 et 9). Cependant en 2009, voyant qu'elle ne pouvait pas honorer ses engagements

contractuels pour tant de blocs, la joint-venture entre les deux sociétés procède à la restitution

des blocs 3 et 9, et signe un avenant au contrat de partage production qui permet la fusion des

blocs 2 et 4. Cette opération ne s'explique aucunement par des problèmes de trésorerie de

Sonatrach mais davantage par le souhait d'attendre les résultats du premier forage dans ce

bassin sur l’un des blocs de Total en Mauritanie (voir carte), achevé à l'été 2010. Sonatrach

souhaite ainsi prendre des risques modérés. Le forage de Total a d'ailleurs été décevant mais

le groupe français est tenu de forer un autre puits. Cependant, l'attentisme de Sonatrach lui

impose de rendre une partie des blocs à l'Etat malien. La société est d'ailleurs aux premières

loges sur le périmètre mauritanien du fait de son partenariat avec la majore française.

Au Mali, Sonatrach a profité durant les deux mandats de l'ex président Amadou Toumani

Touré, de la faiblesse de la gouvernance et du relatif laxisme des autorités pétrolières de ce

pays représentées par l'Autorité pour la promotion de recherche pétrolière (AUREP) pour

repousser son forage depuis 2009. Puisqu'elle n'a plus que deux blocs, elle n'est désormais

contrainte d'effectuer qu'un seul forage par périmètre. Ils devaient "théoriquement" avoir lieu

en 2011 puis en 2012106. Seulement, toute la zone malienne du Taoudenni est depuis le début

2012 contrôlée par le Mouvement National de libération de l'Azawad (MNLA107) qui se sont

ensuite fait doubler par des groupes islamistes comme Al Qaeda au Maghreb Islamique et

Ansar Dine (voir carte 5 sur les gazoducs vers l’Europe). Ces rebellions, alliées de

circonstance, vont empêcher toute exploration pour un temps plus ou moins long selon les

efforts de médiation, dans cette zone qui va de la frontière mauritanienne à celle du Niger. Le

106 Selon l'ex première ministre Mariam Kaidaba Cissé Sidibe, lors de son discours de politique général prononcée le 24 juin 2011 devant l'Assemblée nationale. Cissé a précisément indiqué que le premier forage d'ENI et Sipex sur le bloc 2, dans le bassin de Taoudenni, est désormais programmé pour le mois de février 2012 (Africa Energy Intelligence, n°655, 6 juillet 2011). 107 Le MNLA est en partie composé d'anciens soldats touaregs employés par Mouammar Kadhafi qui ont fui la Libye avec leurs armes et leurs véhicules lors de la chute du régime en 2011. N'ayant pas de place dans la politique et l’économie à leur retour au Mali, ils ont créé divers mouvements de rébellion afin d'être en position de force face au gouvernement. Ils contrôlaient en avril 2012 plus de la moitié du pays. Le discours du MNLA peut prendre facilement dans un contexte d'extrême pauvreté du nord du Mali qui n'a jamais été développé convenablement. La construction d'infrastructure dans cette zone a toujours été un problème du fait des faibles moyens de l'Etat central et surtout la très faible densité de population au nord où à peine quelques centaines de milliers de personnes habitent sur près de 500 000 km², soit la superficie de la France.

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gel des investissements pétroliers dans le Nord va dépendre de la capacité du Mali à recouvrer

sa souveraineté sur la totalité du territoire.

Hors de la Mauritanie, Mali et Niger, la Sonatrach est aussi active via des joint-ventures,

notamment Numhyd, société mixte contrôlée à 50% par la Sonatrach et à 50% par l'Entreprise

tunisienne d'activités pétrolières (ETAP), société nationale locale. Numhyd dispose de deux

permis en Afrique du Nord : Kabboudia dans l'offshore tunisien et Hmara dans la préfecture

d'Illizi, en Algérie.

L'ETAP tunisienne travaille aussi sous son nom propre, notamment sur la partie

mauritanienne du bassin de Taoudenni. La société a signé un premier accord en 2007,

confirmé en 2008, pour collaborer avec la Société mauritanienne des Hydrocarbures (SMH)

sur l'exploration des périmètres Ta 40, 39, 54 et 22. La SMH créée en 2004, voulait bénéficier

de l'expérience de l'ETAP qui a des participations dans quasiment tous les champs onshore et

offshore en Tunisie108. Cependant au début 2012, cet accord n'était toujours pas ratifié. Ceci

résulte en partie de l'instabilité au poste de ministre en charge du pétrole en Mauritanie où huit

titulaires se sont succédé depuis 2005. Mais elle est aussi le résultat d'un manque réel de

volonté de la part des cadres pétroliers tunisiens. L'accord de 2007 relève d'une décision

politique soulignant la bonne volonté de Tunis vis-à-vis de son "pauvre" voisin du Sud.

Si la Libye n'a pas de participation directe dans l'exploration des pays sahariens par

l'intermédiaire de sa société nationale National Petoleum Corporation (NOC), elle contrôle en

revanche une grande partie des stations-services au Niger. Elle a en effet racheté les actifs

d'ExxonMobil dans la distribution en Tunisie, au Maroc et au Niger en janvier 2008, ainsi

qu'au Sénégal en novembre 2007. C'est la société Tamoil qui appartient à la Libya Oil

Holdings Ltd (l'un des fonds d'investissement libyen109) qui se charge de ces opérations. Le 5

septembre 2009, la LOHL qui possède aujourd'hui près de 3000 stations-services en Afrique,

a fait ses premiers pas dans l'exploration en rentrant au capital de Circle Oil, compagnie

irlandaise. Enfin, ce fonds s'est vu attribuer, en décembre 2007, trois permis d'exploration au

nord du Tchad : Erdiss 1 et 2, ainsi que Djado 1.

108 Selon les chiffres du BP Statistical Review of World Energy 2012, la Tunisie produisait 78 000 bpj en 2011. Sa production n'a jamais dépassé les 118 000 bpj atteint en 1980. La quasi-totalité de son territoire est explorée par des sociétés de taille moyenne. Le pays produit aussi des quantités significatives de gaz, le directeur général de l'Etap a même évoqué dans un entretien au magazine Petrole et Gaz Arabes en janvier 2011, une possible filière d'exportation dans les 5 à 10 prochaines années. 109 Africa Energy Intelligence, n°588, 17 septembre 2008.

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113

L'implication des Chinois dans le Sahara

La description de cette zone saharienne nous donne l'occasion de mieux comprendre

l'implication de la Chine dans l'industrie pétrolière africaine. Si la Chine est présente depuis

plusieurs décennies sur le continent, notamment dans la construction, (stades, ministères,

ouvrages d'Art divers), ou même grâce à une diaspora très ancienne comme à Madagascar110,

son arrivée dans le secteur pétrolier est beaucoup plus récente. La Chine possède trois sociétés

pétrolières étatiques, China National Petroleum Co (CNPC), China National Offshore Oil Co

(CNOOC) et Sinopec (voir carte 1) qui ont le devoir de sécuriser les approvisionnements de la

patrie qui ne sont plus, depuis 1993, satisfaits par les ressources nationales en charbon et en

pétrole. En 2011, la Chine consommait quelque 9 millions de barils par jour, et seuls 4

millions étaient produits sur son territoire. La stratégie de son implantation pétrolière en

Afrique s'est faite en trois temps111.

D'abord, la Chine qui n’avait pas les moyens d’être en concurrence frontale avec les majors

occidentales privées cible des pays aux régimes devenus « infréquentables » pour nombre de

pays de l’ONU. C'est ainsi que la CNPC signe en 1996 ses premiers contrats pétroliers avec le

Soudan du président Omar El Béchir. Ce dernier ayant abrité sur son territoire Oussama Ben

Laden (entre 1992 et 1996) et le terroriste Illich Ramirez Sanchez dit "Carlos" ainsi que

soutenu explicitement l'invasion irakienne du Koweït en 1991, est sous embargo américain

depuis 1997. Toutes les sociétés qui ont exploré le pays auparavant, notamment Chevron qui a

fait de multiples découvertes dans les années 1970, sont parties soit du fait de l'instabilité liée

aux deux guerres civiles (1955/1972, 1983-2005) soit suite à l'interdiction américaine

d'investir dans ce pays (cas de Marathon Oil). La CNPC n'a ainsi aucun rival à son arrivée en

1996. Elle produit grâce à d'autres sociétés asiatiques comme ONGC (Inde) et Petronas

(Malaisie) entre 400 et 450 000 b/j depuis 1999 grâce à deux oléoducs partant de l'actuel

Soudan du Sud jusqu'à Port Soudan (nous développerons ce pays dans la dernière partie).

La deuxième étape des activités pétrolières des Chinois s’opère grâce à une politique de

rachat de sociétés déjà existantes, bien implantées en Afrique. C'est le cas avec le rachat en

2009 par Sinopec da la société suisse Addax Petroleum qui produit 100 000 b/j au Nigeria et

au Gabon. Cet achat, d'un montant de 7,2 milliards de dollars, est décidé afin de rentrer sur le

marché nigérian, très difficile d’accès car très concurrentiel. En effet, ce pays est ultra

110 Mathieu Pellerin, « Le renforcement des relations bilatérales Chine - Madagascar », Note de l'Ifri, mars 2011. 111 Cette analyse vient de notre observation grâce à notre travail de veille pour Africa Energy Intelligence ainsi que grâce aux conversations avec les pétroliers los de sommets pétroliers.

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compétitif et il n'est pas si facile de s’entretenir avec le chef de l'Etat pour tout régler avec lui

et quelques-uns de ses conseillers. Or, les sociétés chinoises fonctionnent le plus souvent ainsi

pour le secteur pétrolier et minier. Elles ont l'habitude de tout régler -contrats et obligations

mutuelles- directement avec la plus haute personnalité de l'Etat, sans même passer parfois par

le ministre. Or, si cela est possible au Soudan qui est aux abois au milieu des années 1990,

cela n'est pas le cas avec le Nigeria112. Cette stratégie de rachat fait également gagner du

temps car une partie des blocs d'Addax sont déjà producteurs. La CNPC a de son côté, pris

pendant cette période des participations sans lendemain en Mauritanie et au Kenya, d'où elle

est par la suite partie. Durant cette deuxième phase de la première décennie du 21ème siècle,

les pétroliers chinois ont beaucoup appris. Ils se sont améliorés technologiquement et ont fait

leur « apprentissage » du continent. Alors qu'ils ont toujours été habitués à travailler seuls

dans leur exploration (les blocs sont souvent opérés avec 100% des parts), les pétroliers

chinois s'ouvrent depuis quelque temps à la coopération avec les occidentaux, c'est ce qu'on

pourrait qualifier de « troisième étape » de leur stratégie africaine. Le cas ougandais illustre

parfaitement cette étape avec la prise par CNOOC de 33% des trois blocs autour du lac

Albert. Or, si CNOOC a bien candidaté, c'est la société Tullow Oil, une junior britannique qui

va faire sciemment le choix de travailler avec les chinois (avec Total). Les dirigeants de

Tullow, avec lesquels nous avons discuté longuement expliquent cette décision comme ceci :

« les Chinois maîtrisent des savoir-faire que nous ne maitrisons pas, comme la construction

d'oléoducs (secteur sous-traité par les majors occidentales depuis longtemps) ou dans le

raffinage, et deuxièmement ce choix a été fait car les sociétés chinoises ont accès à beaucoup

de liquidités ». Dans une période de trouble économique où le crédit est rare, travailler avec

une compagnie étatique est un atout car elle représente un partenaire de long terme. Cela est

encore plus vrai lorsqu’il s’agit de projets complexes où l'enclavement et le passage d'un

oléoduc à travers des pays tiers rend le processus long et coûteux.

L'arrivée dans la région saharienne de la CNPC se déroule plutôt à la fin de sa première phase

d'implantation en Afrique où elle négocie avec des régimes autoritaires. Sa première

participation dans la région remonte à 2005 où elle prend les blocs mauritaniens 12, situés sur

la côte entre Nouakchott et la frontière sénégalaise ainsi que les 13 et 21 sur le bassin de

Taoudenni (partagé avec le Mali et l'Algérie, voir carte 18). CNPC négocie alors à l'époque

avec le pouvoir du militaire Maaouiya Ould Taya qui se fait renverser dès le mois d'août 2005

112 Outre les actifs nigérians de Sinopec grâce au rachat d'Addax, seule la CNOOC est présente dans ce pays : elle possède 45% du bloc offshore OML 130 opéré par Total. Ce permis produit depuis 2009 grâce au champ d'Akpo.

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115

par le directeur de la sureté nationale Ely Ould Mohamed Vall113. Ould Taya était au pouvoir

depuis 1984. Après avoir effectué un forage sec (sans aucune découverte) sur le permis 12 en

2007, la société rend tous ses périmètres au gouvernement en 2009, y compris ceux sur le

bassin de Taoudenni, situés juste au sud de ceux opérés par Total. Si la CNPC n'est pas au

Mali114, elle est en revanche au Niger et au Tchad. Au Niger, elle rentre en 2003 sur le bloc de

Ténéré, qui s'étend sur près de 70 000 km² sur les régions de Diffa, Zinder et Agadez115. En

2008, elle prend le contrôle du périmètre géant d'Agadem à l'est du pays dont la production

commencera à la fin 2011 (voir carte ci-dessous).

113 Voir Benjamin Augé, Les enjeux géopolitiques du pétrole en Mauritanie, mémoire de master 2, Institut Français des relations internationales, 2007. 114 Sinopec a pourtant essayé de s'y implanter. Le groupe a en effet longuement rencontré le président malien Amadou Toumani Touré (un militaire également) lorsque d'un séjour en Chine en août 2004. En octobre de la même année, une délégation de Sinpec, conduite par son vice-président Mou Shuling, s'est rendu à Bamako pour négocier des permis dans les régions de Tombouctou, Gao et Kidal avec le premier ministre Ousmane Issoufi Maiga et le ministre de l'énergie Hamed Diane Séméga. Cela ne s'est pourtant pas matérialisé. Africa Energy Intelligence, n°497, 3 novembre 2004. 115 Africa Energy Intelligence, n°475, 26 novembre 2003.

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Carte n°17: Blocs pétroliers au Niger

Source : ministère nigérien du pétrole

Ces négociations de 2003 et surtout celles de 2008 se déroulent de la même manière : à la

présidence, court-circuitant quasi totalement le ministère des mines de l’époque. La CNPC a

ainsi emporté le contrat d'Agadem grâce à sa proximité avec le président de l'époque

Mamadou Tandja. Ce dernier, lieutenant-colonel de l'armée nigérienne est pourtant arrivé

normalement par les urnes en 1999 puis réélu lors d'un nouveau suffrage en 2004. Cependant,

Tandja va peu à peu administrer ce secteur pétrolier, tout comme celui des mines (le Niger est

le premier producteur d'uranium d'Afrique) comme sa chasse gardée116. En butte aux Français

d'Areva (qui exploite l'uranium), il va se rapprocher de la Chine. Son propre fils,

Ousmane Tandja, va devenir conseiller commercial de l'ambassade du Niger à Pékin, chargé

de faire le pont entre les deux pays117.

Grâce aux 300 millions de bonus et à la promesse de construire une raffinerie de 600 millions

de dollars, la CNPC remporte le bloc d’Agadem. La raffinerie est construite à Zinder

116 Discussions avec plusieurs cadres du ministère nigérien des mines ainsi qu’à la présidence. 117 Africa Mining Intelligence, n°160, 18 juin 2004.

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(deuxième centre urbain du pays, voir carte suivante), très loin du principal centre de

consommation qui est Niamey, à 890 kilomètres. Mais Zinder n'a pas été choisi au hasard par

Mamadou Tandja. Le président qui envisageait déjà en 2008 de se présenter à un troisième

mandat, ce qui impliquait de modifier la constitution, a voulu lancer plusieurs chantiers

visibles par la population comme un nouveau pont sur le fleuve Niger à Niamey inauguré en

février 2011 ou la raffinerie de Zinder. L'emplacement de cette dernière n'a pas été anodin. Le

but était de ramener les partisans de l'un des principaux opposants à Mamadou Tandja :

Mahamane Ousmane118, dans le giron de Tandja. La Chine accepte donc de financer une

stratégie politique davantage qu’une stratégie économique.

Le succès de CNPC au Tchad est similaire : le pouvoir d'Idriss Déby, (une fois encore un

colonel de l'armée) est total. Déby, arrivé à la tête de l'Etat en décembre 1990, grâce à l'appui

de la France, dirige le pétrole (comme beaucoup d'autres domaines), de façon très

personnelle119. La CNPC peut donc facilement tout régler avec le président et ses quelques

conseillers. Il n'y a pas de nécessité de passer par de longues étapes où les processus édictés

par les codes miniers et pétroliers seraient respectées. Au Tchad, la CNPC est d'abord

associée avec la petite société canadienne Encana, qui développe depuis son arrivée en 2003

les champs du permis de Rônier proches de la petite ville de Bousso (sud-ouest). En 2006, elle

prend 50% des parts du consortium, avant de racheter le 12 janvier 2007 la totalité du permis

H qui se prolonge sur plusieurs bassins sédimentaires. La CNPC promet en septembre 2007,

au président Déby de lui construire une raffinerie en échange de ces champs, cette dernière est

inaugurée en juin 2011 (voir carte suivante). Il est nécessaire de comprendre le contexte : c'est

une récompense pour avoir reconnu en 2006 la Chine Populaire au détriment de Taïwan.

Les conséquences néfastes de ce type de négociations très personnelles entre des Etats : le

Tchad et le Niger d’un côté, et les chinois de la CNPC de l’autre, sont rapidement

perceptibles. Elles se cristallisent sur ces raffineries cadeaux, qui ont à leur lancement, une

rentabilité plus qu'incertaine.

Concernant celle de Zinder d'abord, la CNPC savait dès le départ que la rentabilité d'une telle

structure serait très risquée. En effet, le pays consomme entre 6 et 7 000 bpj de produits

pétroliers correspondant à seulement 1/3 de la capacité de Zinder. Or, cette ville est située à

proximité immédiate de la frontière du Nigeria par laquelle transite chaque jour des milliers

118 Mahamane Ousmane a été président du Niger de 1993 à 1996, puis président du parlement sous Mamadou Tandja. Il est originaire de la région de Zinder. 119 Discussions régulières avec l’un de ses conseillers, des cadres de la Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) et du ministère du pétrole.

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de barils par jour de produits raffinés de contrebande, trois fois moins chers que le prix à la

pompe au Niger. Dans l'un de ses rapports de 2007 destiné aux services de l'Etat que nous

avons pu nous procurer, la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP) décrit la

contrebande de pétrole raffiné ainsi : "Ce phénomène à manifestations diverses est devenu si

ancré dans la mentalité de certaines populations qu’il devient culturel. Traditionnellement la

fraude était l’apanage des régions frontalières du Nigeria (Tahoua, Maradi, Zinder et Diffa).

Aujourd’hui, elle a pris une telle ampleur que les zones jusque-là épargnées sont littéralement

envahies de produits pétroliers provenant de la fraude". En d'autre terme, la SONIDEP fait le

constat que l'achat de pétrole de contrebande venant du Nigeria est devenu une habitude de

consommation naturelle pour les Nigériens, non seulement parce que les stations-services ne

sont pas en nombre suffisant, mais aussi parce que le prix de l'essence légale est beaucoup

plus élevé. La raffinerie de Zinder qui lors de la décision de sa construction n'avait pas grande

chance de survivre du fait de cette contrebande nigériane qui inonde toute la sous-région, a

cependant pu profiter d'une décision inespérée. Le 1er janvier 2012, le président nigérian

Goodluck Jonathan a décidé de supprimer les subventions sur le carburant vendu dans son

pays. Les prix à la pompe sont passés ainsi de 65 nairas à plus de 143 Nairas (88 cents de

dollar) en l’espace de 24 heures. Cela a permis aux quantités d'essence de contrebande venant

du Nigeria et à destination des pays comme le Niger, le Tchad ou le Cameroun de baisser

sensiblement120. Si Jonathan, sous la pression des grèves et manifestations au Nigeria,

réintègre mi-janvier une partie des subventions (le prix passe à 97 Nairas soit 0,61 dollar),

l'essence de Zinder arrive désormais à s'écouler tout de même grâce à un prix de vente

relativement modeste (579 F CFA soit 1,1 dollar). Cela aurait été impossible avec le prix

subventionné de 2011 au Nigeria.

Pour preuve que CNPC, maître d’œuvre de la raffinerie, est bien consciente de la possible non

rentabilité de l'ouvrage, la part de l'Etat (40%) dans la construction de Zinder était au départ

sensé être financée par la vente des produits pétroliers transformés par la raffinerie. Mais de

nouvelles négociations informelles ont eu lieu en 2009 entre quelques conseillers du président

nigérien et le patron de la CNPC locale Fu Jilin. Ce dernier a proposé que les 40% de l'Etat

soient gagés sur la vente des produits raffinés et sur le pétrole d'Agadem destiné à

l'exportation revenant théoriquement au trésor publique, soit entre 15 et 20 % de la production

totale. Ceci fut conclu.

120 Conversations en janvier 2012 avec des militaires camerounais dans la région nord de Maroua, avec des cadres du ministère du pétrole à Niamey et à N’Djamena.

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Depuis la chute de Mamadou Tandja à la suite d'un coup d'Etat en février 2010, et l'arrivée

d'un pourvoir "légitime" personnifié par l’élection de Mahammadou Issoufou en 2011, cet

accord qui n'a pas fait l'objet d'une ratification officielle est rediscuté. De plus, les

fonctionnaires nigériens remettent en cause le coût de la raffinerie affiché par la CNPC : 980

millions de dollars. Ce dernier était à l'origine de 600 millions dans le contrat. La différence

est telle que le Programme des Nations Unies pour le développement a été jusqu'à financer en

2011 une étude d'un expert indépendant121 chargé de mener un audit sur les coûts de

construction de Zinder. En définitive, afin de s'assurer de ne pas perdre d'argent dans ce

projet, les Chinois ont essayé de gonfler la note de l'ouvrage pour pouvoir rentabiliser au

maximum leur investissement, dont ils n'ont à la base pas voulu. Lors d’un voyage en Chine

en juillet 2012, le président Issoufou a même publiquement reproché au président de la CNPC

la surfacturation des travaux au Niger, 3 à 4 fois plus élevés que les prix pratiqués

habituellement dans le pays122 (en particulier concernant les routes).

Ces relations particulières entre la CNPC et l'Etat sont le résultat d'une période où Tandja,

pour se maintenir au pouvoir a fait de nombreuses concessions pour obtenir des fonds. Or,

tous les contrats importants, dans le pétrole comme dans l'uranium, ont échappé aux

fonctionnaires du ministère des mines. Cela a conduit à l'absence totale de contrôle de l'Etat et

à des mauvais contrats. Les Chinois se mettent au niveau de leur interlocuteur : si les

négociateurs sont de bons niveaux, les Chinois sont contraints de proposer les meilleurs

services et contrats. Par contre, si l'interlocuteur, en l'occurrence le Niger, est faible car en

manque d'argent et sans aide d'experts, Pékin profite au maximum de son avantage. C'est une

des raisons pour lesquelles dans des Etats plus forts comme en Angola ou au Nigeria, la Chine

a eu de grosses difficultés pour s'implanter dans l'industrie pétrolière123. Et ce, y compris en

proposant la construction d'infrastructures en échange des investissements, comme au Nigeria

où cela n'a pas marché.

Au Tchad, la CNPC a inauguré le 27 juin 2011 à Djermaya, 40 kilomètres au nord de

N'djamena, une raffinerie de même capacité que celle de Zinder soit 20 000 bpj. La CNPC qui

opère désormais cinq blocs au Tchad, approvisionne Djermaya grâce aux champs de Rônier et

de Mimosa, proches de la ville de Bousso (sud-ouest), eux même reliés par un oléoduc de 311

kilomètres à la nouvelle usine de transformation. Cependant, les problèmes entre le Tchad et

121 Discussions avec cet expert, professeur à l'Institut Français du Pétrole (IFP). 122 Propos rapportés par le Journal officiel du Niger, Le Sahel, 19 juillet 2012. 123 Voir à ce sujet le rapport de Alex Vines, Lillian Wong, Markus Weimer and Indira Campos, "Thirst for African Oil: Asian National Oil Companies in Nigeria and Angola", Chatham House, août 2009.

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la CNPC ont été d'une toute autre nature. Le coût fixé au départ, quelque 600 millions de

dollars va être respecté (le président tchadien peut se prévaloir de davantage d'expérience

pétrolière que son voisin nigérien) mais de gros problèmes relationnels avec la Chine

conduisent à la fermeture provisoire de la structure en janvier 2012.

Le président Idriss Déby a en effet ordonné la fermeture administrative de la raffinerie de

Djermaya le 19 janvier 2012, excédé par les pénuries constatées dans la capitale et dans

l'intérieur du pays. Il en a profité pour congédier son ministre du pétrole Eugene Tabe,

remplacé le 27 janvier 2012 par Brahim Alkhalil Hiléou124. La CNPC a en réalité arrêté la

production dès le 23 décembre 2011 car les cuves de stockage d'essence étaient pleines et

l'empêchaient de fonctionner. Les prix du litre de carburant traité à Djermaya ont été fixés le

29 décembre 2011 à 380 F CFA pour l'essence, et 520 F CFA pour le diesel (de loin le plus

couramment utilisé dans le pays). Relativement modiques, ces prix restent malgré tout, plus

élevés que ceux de l'essence de contrebande venant du Nigeria, qui continue à être exportée

dans la sous-région. C'est donc in fine l'impossibilité d'écouler les stocks d'essence qui ont

bloqué techniquement la raffinerie et crée la pénurie sur le gasoil125.

L'autre problème est que les fonctionnaires en charge du secteur pétrolier au Tchad sont

agacés par la façon dont les cadres de CNPC font fonctionner la raffinerie. Et pour cause,

alors que la partie chinoise a nommé le directeur général de l'usine, c'est à la partie tchadienne

de nommer le directeur général adjoint (DGA). Cependant, ce poste, occupé jusqu'au 30

janvier 2012 par un tchadien, avait été "encadré" dès la fin de l'année 2011 par quatre autres

DGA chinois. Le DGA tchadien, a été ainsi cantonné dans des fonctions purement

administratives, et n'a jamais remplacé le directeur général lors de ses déplacements. De

même, concernant les salaires, les différences sont très importantes : l'écart pour les cadres

selon leur nationalité peut aller d'un à quatre. Et ce alors que c'est la même société qui

emploie tous les salariés de la structure.

Ces multiples problèmes : capacité de stock de gasoil insuffisante, trop de production

d'essence comparé au diesel, différence de salaires entre les locaux et les Chinois sont la

conséquence logique de décisions présidentielles sans réel suivi. Si les procédures avaient été

respectées, les contrats avaient été convenablement rédigés, les études de marché et technique 124 Brahim Al-Khalil Hiléou était jusqu'alors le président de l'Ecole nationale d'administration et de magistrature (ENAM) du Tchad. Hiléou a rapidement gravi les échelons de l'appareil juridiciaire tchadien, avant d'être nommé membre du Conseil supérieur de la magistrature en 2009 après en avoir été le secrétaire administratif. Il est titulaire d'un master en droit public de l'Université de Poitiers. N'ayant jamais été confronté au secteur pétrolier auparavant, il devrait comme ses prédécesseurs appliquer les directives venant de la présidence. 125 Explications venant d’un des directeurs de la structure de Djermaya. Multiples entretiens privés.

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121

correctement effectuées, cela ne se serait pas passé ainsi. Il a fallu en arriver à cette crise pour

que les choses soient remises sur la table. Le ministre tchadien de la Justice, Abdoulaye

Fadoul, chargé des négociations, nous a expliqué que le conseil d'administration de Djermaya

doit faire des propositions concrètes pour résoudre ces problèmes. En juin 2012, aucun de ces

problèmes n’avaient été réglés de façon pérenne. Entre le président tchadien et la CNPC, la

relation s’est d’ailleurs considérablement tendue. Pour le comprendre, Idriss Déby a décidé de

ne pas attribuer tous les permis autour du lac Tchad (appelé BCT I) à CNPC alors qu’en 2006,

il les avait arbitrairement repris à la CPC taïwanaise pour les donner à la major chinoise (dans

le prolongement de la reconnaissance du Tchad de la Chine au détriment de Taïwan). La

relation n’est donc clairement plus aussi bonne126.

Comment exporter le brut des zones enclavées ?

Hors de l'exploitation du brut par les raffineries, les réserves déjà prouvées au Niger ou au

Tchad, où le cas échéant celles du Taoudenni mauritanien ou malien, doivent être exportées.

Or pour ce faire, la construction d'un oléoduc est nécessaire. Cette thématique de

l'enclavement sera de plus en plus prégnante dans les prochaines années car des pays

auparavant trop loin des côtes étaient ignorées, mais désormais cette limite physique n'est plus

une barrière. Il faut mettre de nouvelles réserves à jour, le prix du brut étant suffisamment

élevé pour permettre aux sociétés pétrolières de rentabiliser leur investissement (voir le

traitement de cette question dans la dernière partie sur la géopolitique des oléoducs en Afrique

de l’Est).

126 Africa Energy Intelligence, n°676, 29 mai 2012.

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122

Carte n°18 : Exportation et transformation du pétrole nigérien et tchadien.

Source : conversations avec cadres des ministères nigérien et tchadien du pétrole.

Concernant le bloc d'Agadem à l'Est du Niger (le seul à produire dans le pays), la CNPC a fait

évoluer son projet d'oléoduc d’exportation. A l'hypothèse béninoise en passant par le port de

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123

Cotonou (1600 kilomètres) trop long et donc excessivement coûteux, la CNPC privilégie

depuis 2010 la solution tchadienne (voir carte ci-dessus). L'oléoduc partirait d'Agadem puis

rejoindrait la frontière avec le Tchad soit quelque 200 kilomètres puis passerait au nord du lac

Tchad et se connecterait à l'ouvrage opéré par ExxonMobil et Petronas pour évacuer le pétrole

du bassin de Doba127. Au Tchad, le nouvel oléoduc de raccordement serait de 800 kilomètres.

Ce projet sera plus facilement réalisable du fait de la présence de CNPC dans les deux pays. Il

n’est pas encore très clair si CNPC qui a déjà construit un tronçon inauguré en 2011 entre

Bousso et Djermaya au nord de N’Djamena afin d’approvisionner la raffinerie éponyme va

utiliser cette partie pour l’exportation du brut nigérien. Les deux administrations nigérienne et

tchadienne ont déjà discuté de ce projet, ce que confirme le ministre du pétrole tchadien

Eugène Tabe en mars 2011128. Les actions sur le dossier d’oléoduc d’exportation se sont

accélérées avec l'élection du président nigérien Mahamadou Issoufou en avril 2011. Une

délégation nigérienne conduite par le ministre du pétrole Foumakoye Gado et son homologue

aux affaires étrangères Mohamed Bazoum s’est rendue en février 2012 au Tchad et au

Cameroun. La délégation a été reçue par le premier ministre camerounais Philémon Yang qui

a promis qu'il transmettrait la demande de soutien de ce projet au président Paul Biya. Si

l'étape camerounaise n'a pas débouché sur un accord du fait de l'absence du ministre et du

président, la visite au Tchad le 26 février a été plus fructueuse. Le président tchadien Idriss

Déby et son ministre du pétrole Brahim Al-Khalil Hiléou ont directement signé un protocole

ouvrant la voie au raccordement d'Agadem à l'oléoduc tchadien. Ce projet est dans l'intérêt

des tchadiens et camerounais car il leur permettra de lever des droits de transit (de l'ordre de

50 cents de dollars par baril) sans rien avoir à dépenser. De plus, la relation personnelle entre

les dirigeants de ces pays est plutôt bonne, il n’y a donc aucune raison de repousser un tel

projet.

Concernant le bassin de Taoudenni (entre la Mauritanie et le Mali), l'enclavement va aussi

poser de lourds problèmes129. La campagne de forages menée par Total depuis 2009 dans la

partie mauritanienne est située à plus de 800 kilomètres des côtes, ce qui obligera, en cas de

découverte, la construction de coûteuses infrastructures. Des champs moyens peuvent être

économiquement rentables sur les côtes, ou dans l'offshore peu profond ou enfin s'ils sont

proches d'autres champs où le partage des infrastructures existantes est possible, la rentabilité 127 Cet oléoduc a été construit en 2003 par Exxon pour transporter quelque 250 000 bpj, il a donc actuellement une capacité excédentaire de presque 100 000 bpj. 128 Entretien privé avec le ministre lors de sa venue à l'Organisation de coopération et de développements économiques le 3 mars 2011. 129 La société allemande Wintershall a décidé de jeter l’éponge en janvier 2012 sur la partie mauritanienne. Elle n’a pas trouvé de partenaire alors que les forages dans cette zone sont très coûteux.

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124

est par contre tout à fait différente lorsqu'il faut rejoindre la mer avec des oléoducs de

plusieurs centaines de kilomètres. Cela vaut également pour la partie malienne du Taoudenni

où l'enclavement est encore plus pénalisant. Cela exigera donc de développer les

infrastructures pétrolières ou gazières dans un cadre régional. Cette zone du Taoudenni serait

d’ailleurs davantage gazière que pétrolière selon les premières données disponibles. Dans ce

cas, les problèmes seraient identiques mais cela pourrait par contre permettre l’utilisation

locale de cet hydrocarbure pour produire de l’électricité à moindre coût.

2-5 Le pétrole comme vecteur de financement de conflit

Le continent africain a dans son histoire post-indépendance abrité au moins trois conflits, en

l'occurrence des guerres civiles, qui ont été entretenues et probablement rallongées par les

revenus du pétrole. Le pétrole n'était pas en l'espèce, la raison de ces conflits, mais un

puissant pourvoyeur de devises permettant l'achat d'armes par l'une ou plusieurs des parties en

présence. On a brièvement parlé du Nigeria et du cas spécifique de la guerre du Biafra entre

1967 et 1970. La déclaration d’indépendance de cette région du Nigeria en 1967 comprend un

territoire abritant à l'époque les 2/3 de ce qu'on appelle désormais le delta du Niger où la

totalité des réserves pétrolières et gazières se situent. Cela pourrait laisser penser que ces

ressources ont été le principal motif ou cause du conflit. En réalité, c'est bien davantage

l'autonomisation d'une ethnie, les Ibo, la plus importante dans cette région, qui se sentait à

cette époque exclu du pouvoir détenu par les Haoussa et Yoruba, qui a conduit à

l'indépendance du Biafra. Cette dernière correspondait en réalité à l'une des trois régions du

Nigeria postindépendance, en l'occurrence, l'eastern region. Le périmètre du territoire

revendiqué par les biafrais était donc bien plus vaste que les zones sur lesquelles il y avait la

présence d'hydrocarbures à cette époque. La superficie du Biafra s'étendait beaucoup plus au

nord que l'actuel delta du Niger. La capitale du Biafra était située à Enugu dans l'actuel Etat

éponyme qui n'a jamais produit de pétrole. Il faut également souligner qu'au déclenchement

de la guerre du Biafra, suite à la déclaration d'indépendance du général Odumegwu Emeka

Ojukwu130 le 30 mai 1967, le Nigeria produisait encore relativement peu de pétrole: 319 000

b/j en moyenne pour l'année 1967. C'était une toute nouvelle industrie, moins de dix ans

d'ancienneté, et le but des indépendantistes était davantage de s'autonomiser face à un pouvoir

fédéral à Lagos (capitale à l'époque) qui leur était hostile. Un coup d'Etat en janvier 1966

avait de plus été perpétré par des Ibo et le président putschiste Johnson Aguiyi-Ironsi avait été

130 Ojukwu qui était commandant de l'eastern region (frontière du Biafra) à l'époque est décidé en novembre 2011. Il a eu droit à des obsèques nationales au Nigeria entre le 27 février (date de l'arrivée de son corps dans le pays) et 3 mars (date de son enterrement).

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125

exécuté en juillet de la même année par les Haoussa/Yoruba. Cela avait encore davantage

renforcé l'idée chez les Ibo qui leur fallait obtenir leur propre territoire afin de ne pas être sous

la domination des autres grandes ethnies qui leur feraient probablement payer ce coup d'Etat.

Si la présence de pétrole dans cette région sécessionniste a probablement été secondaire dans

la décision d'Ojukwu de créer le Biafra, pour les puissances étrangères comme la France, cela

a clairement été un motif pour soutenir financièrement et militairement les Biafrais131. Ce

soutien était pensé comme un moyen d'affaiblir ce grand pays d'Afrique de la sphère

britannique et cela permettait du même coup de mettre la main sur des réserves de pétrole

intéressantes (dès 1974, la production du Nigeria atteint les 2 millions b/j132). La France

n’était pas seule, l’Afrique du Sud d’Apartheid était également à la manœuvre133.

Dans ce sens, cette guerre civile qui a entrainé la mort de près d’un million de personnes, a

bien été entretenue par les forces étrangères, dans le but de contrôler une zone riche en

pétrole. Sans cette ressource, dont les plus grandes sociétés pétrolières (en particulier

française comme Elf, tout juste créée) étaient déjà pleinement conscientes de son importance

dans la région du Biafra, il est très probable que la France n’aurait jamais permis l’armement

des biafrais et que donc la guerre se serait passée différemment. L’armée nigériane aurait eu

en effet bien moins de difficulté à reprendre le contrôle de la zone. Dans ce sens, la présence

d’hydrocarbures a probablement permis au conflit biafrais de durer davantage et à une guerre

civile de s’envenimer, mais c’est davantage par un interventionnisme extérieur que par

l’utilisation des locaux de l’argent du pétrole que cela a pu se passer de cette façon. Les

biafrais n’ont en effet pas vraiment pu toucher l’argent de leur pétrole, d’autant plus qu’une

bonne partie des sociétés présentes comme Shell (la plus importante dans la zone) ont

toujours continué d’appuyer le pouvoir de Lagos, même si des contacts étaient pris avec les

dirigeants à Enugu (capitale du Biafra et de l’actuel Etat éponyme).

Autre cas de guerre civile liée à l’argent du pétrole : le cas de la République du Congo. Ce

conflit interne entre divers factions politiques et ethniques a commencé lors des élections

législatives de juillet 1993 jusqu’à la fin des années 1990 et a causé la mort de probablement

près de 100 000 personnes sur une population totale de l’ordre de 2,5 millions d’habitants.

Cette lutte qui a mis aux prises les partisans de Pascal Lissouba (président de 1992 à 1997),

ceux de Denis Sassou Nguesso (président de 1979 à 1992 puis de 1997 à nos jours) ainsi que 131 Sur le soutien de la France au Biafra, voir Jessie Lhoste « La diplomatie française face à la crise du Biafra, 1966-1970 », Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin 1/2008 (N° 27), p. 15-26. 132 BP Statistical Review of World Energy 2010 133 Rony Braumann, « Biafra - Cambodge : un génocide et une famine fabriqué », colloque international « face aux crises extrêmes », faculté des sciences juridiques de Lille, 21 octobre 2004.

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126

ceux de Bernard Kolelas (dernier premier ministre de Lissouba) n’a pas été causée par le

pétrole directement mais la durée des combats (non continus mais avec des pics de violence)

n’est que la conséquence de l’argent du brut, principale ressource du pays (avec le bois).

Denis Sassou Nguesso n’a jamais accepté de perdre le pouvoir en 1992 au profit de Pascal

Lissouba. Des 1993, des violences causées par les milices de Sassou (les Cobras) font

plusieurs morts lors des élections législatives, l’état d’urgence est même décrété. Lissouba

recrute à son tour la même année des factions de l’armée spéciale qui lui sont dévouées134.

Les années de pouvoir de Lissouba vont être marquées par des violences des milices qui vont

être financées en partie par l’argent du pétrole. A l’approche du scrutin présidentiel de 1997,

les violences redoublent de vigueur dès le mois de juin à Brazzaville et dans la région du

Pool135. Le maire de Brazzaville à la tête des Ninjas Bernard Kolelas, qui a été aux côtés des

Cobras de Sassou, rejoint finalement Lissouba qui le nomme premier ministre le 13 septembre

1997. Denis Sassou Nguesso se fait aider par un autre acteur clé de la région : l’Angola qui

envoie son armée et repousse les forces encore fidèles à Lissouba et Kolelas. Nguesso se

proclame le 24 octobre 1997 président du Congo.

Dans cette fin de crise, le pétrole a joué un double rôle : il a permis d’acheter de l’armement

et de former des soldats et milices du côté de Lissouba136 mais il a également permis à Sassou

de s’adjoindre les services de l’armée angolaise. On sait déjà à l’époque que certains champs

du bloc angolais 14 (côté Cabinda, voir carte sur les blocs angolais) opéré par Chevron se

situent des deux côtés de la frontière maritime entre les deux pays. Or, l’aide de l’armée

angolaise n’est pas gratuite et la bienveillance de Sassou sur ce dossier pétrolier a été

probablement déterminante dans l’intervention militaire. De plus, la société Elf, très proche

de Sassou lors de ces premiers mandats entre 1979 et 1992 l’a toujours soutenu au détriment

de Lissouba. Ce dernier en a d’ailleurs publiquement voulu à la société française à plusieurs

reprises. Dès 1995, Sassou obtient un nouvel allié de poids, le président français Jacques

Chirac, qui succède à François Mitterrand. Le financement probable d’une partie des activités

de Sassou lorsqu’il était dans l’opposition par des fonds d’Elf a également pu compter. Cette

134 La Lettre du Continent, n°199, 18 novembre 1993. 135 Voir J-C. Mayima-Mbemba, « La violence politique au Congo-Brazzaville », L'Harmattan, 2008. 136 Israël a même formé des soldats congolais au profit de Pascal Lissouba : La lettre du Continent, n°201, 16 décembre 1993.

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127

aide aurait été, comme pour les angolais, gagée sur de futurs contrats pétroliers en cas de

retour au pouvoir137.

Enfin, lorsque l’on parle de guerres civiles africaines nourries par l’argent du pétrole,

l’Angola doit être évoqué. Ce pays, indépendant depuis 1975, n’a pas connu de vraie trêve de

long terme avant 2002, année de la mort du chef de l’opposition Jonas Savimbi. Ce dernier,

chef de l’UNITA138 lutte contre le mouvement qui prend le pouvoir dès la fin 1975, le

MPLA139 à tendance marxiste (soutenue par Cuba et l’URSS). Savimbi, soutenu par les Etats-

Unis, Israël et l’Afrique du Sud notamment, va être l’acteur principal d’un des théâtres de la

guerre froide entre les deux grandes puissances mondiale d’alors. Grâce à l’argent des

puissances qui le soutiennent ainsi que celui du diamant, il va pouvoir financer l’effort de

guerre et recruter des soldats alors que dans le même temps, dans le camp rival, le MPLA va

davantage avoir recours au financement de ses activités grâce au pétrole des provinces de

Cabinda et de Zaïre. Cette façon de procéder se brouille parfois car l’UNITA contrôle aussi

des zones auxquelles les pétroliers ont besoin d’accéder pour l’exploitation du brut. C’est le

cas des régions nord à partir des années 1990. Les membres de l’UNITA ont ainsi parfois

accès à la manne pétrolière mais de façon discontinue pour financer leurs actions140. Le conflit

connaît un seul véritable arrêt en 1991 grâce aux accords de paix de Bicesse qui conduisent

aux élections de 1992. Les résultats sont contestés par Savimbi, qui est largement battu. En

1992, la guerre reprend jusqu’en 2002 avec la mort du chef de l’UNITA. La longueur de ce

conflit, est en grande partie liée à cette manne pétrolière qui offre des moyens aux deux partis.

Sans cet élément, il aurait été impossible d’obtenir si facilement des armes et de la

formation141. La mort de Savimbi en 2002 est aisément compréhensible. Il n’a pas pris

conscience que le monde avait changé : la guerre froide était finie et la lutte contre l’idéologie

communiste représentée par l’aide des Etats-Unis à son mouvement dans les premières années

de guerre était totalement anachronique dès les années 1990. Les compagnies pétrolières

américaines comme Chevron et Exxon ont investi des milliards dans le pays et ont très bien

travaillé avec le MPLA, auparavant honni pour des raisons purement idéologiques. Les

137 Cette partie sur le Congo-Brazzaville a été également nourrie par de multiples conversations avec des cadres de Total et des journalistes spécialisés sur cette région. 138 União Nacional para a Independência Total de Angola. 139 Mouvement Populaire pour la Libération de l'Angola. 140 Le PDG d’ELF de 1989 à 1993, Loïc le Floch-Prigent l’a évoqué à de nombreuses reprises lors d’entretiens et des documentaires sur l’Affaire Elf comme dans Les prédateurs réalisé par Lucas Belvaux, diffusé sur CanalPlus en 2007. 141 Voir les articles de Christine Messiant, notamment « Les guerres civiles à l’ère de la globalisation » avec Roland Marchal, Critique internationale 1/2003 (no 18), p. 91-112. Sur cette question également: Philippe Le Billon, « Angola’s political economy of war: the role of oil and diamonds, 1975-2000 », African Affairs, 100, 2000, p. 55-80.

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soutiens de Savimbi ont donc disparu les uns après les autres : outre les Etats-Unis, c’est le

cas de l’Afrique du Sud avec l’arrivée de Nelson Mandela au pouvoir en 1994. Enfin, il ne

faut pas sous-estimer la fatigue de la population angolaise qui a vécu dans une situation de

guerre civile pendant 25 ans et militait pour la paix et l’acceptation du MPLA. Une partie des

Angolais ont soutenu Savimbi dans les premières années mais dès les années 1990, il a eu

plus de difficulté à faire comprendre sa position alors que des milliers de vies faisaient les

frais de sa lutte.

Les Américains ont par pragmatisme contribué à affaiblir leur ancien protégé car outre

l’achèvement de la guerre froide et l’affaiblissement des idéologies, ils ont obtenu le contrôle

d’une partie des champs pétroliers les plus intéressants du pays. Le moteur de cette guerre

civile a donc été au départ la lutte de deux idéologies mondiales : le libéralisme économique

et politique contre le marxisme, mais le pétrole s’est greffé en devenant un facteur aggravant.

Il a en effet rendu le conflit plus long et plus meurtrier. L’URSS n’a jamais lutté aux côtés du

MPLA pour le contrôle du pétrole en Angola, les réserves en russes sont gigantesques

(première en terme de gaz). Actuellement, aucune société russe n’exploite le pétrole et le gaz

angolais.

2-6 La gouvernance du secteur pétrolier africain, le cas emblématique du

Tchad

Lorsque l'on travaille sur les conséquences de l'exploitation pétrolière, à fortiori sur le

continent Africain, inévitablement la première représentation qui vient à l'esprit est la

mauvaise gouvernance. L'Afrique, serait l'archétype du continent ne sortant pas de ses maux :

écart grandissant entre les riches et les pauvres, démographie incontrôlée, manque de

formation adéquate de la majorité de la population pour accompagner tout défi lié au

développement, démocratie inexistante ou tout au mieux incomplète (voir Ghana) et

corruption généralisée. Ces particularités africaines seraient -couplées avec une ressource (le

pétrole) qui permet de gagner très rapidement beaucoup d'argent- le cocktail fatal de la

fameuse "maladie du pétrole" ou "dutch disease". Or, ce concept utilisé pour la première fois

par l’hebdomadaire britannique The Economist en 1977 n'est pas tout à fait convainquant

concernant le continent africain. Le « dutch disease » implique le passage d'une société

industrialisée, à un autre modèle économique où l'arrivée du pétrole détruit la plupart des

secteurs d'activité productif. La société en question ne vivant plus que grâce à l’industrie

pétrolière. Cette situation entraine un chômage massif et un déficit profond de la balance des

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129

paiements car la manne pétrolière sert à acheter les produits à l'étranger, qui étaient produits

localement avant l'exploitation de cette ressource. Mais l’arrivée du pétrole rend les produits

locaux moins compétitifs du fait d’une inflation importante. C'est bien ce scénario qui s'est

déroulé aux Pays-Bas avec le début de la production du gaz du champ géant de Groningue en

1963, d'où le terme de "Dutch disease". Cependant, cet Etat européen s'est bien vite repris.

En Afrique, l'arrivée de la manne pétrolière, pour la plupart des gros pays producteurs à partir

des années 1960 et encore plus massivement dans les années 1970 grâce aux deux crises

pétrolières de 1973142 et de 1979 (révolution iranienne), n'a pas eu un véritable effet sur le

secteur industriel et manufacturé car ce dernier était, à l’arrivée du pétrole, encore très faible.

Si le pétrole n'a pas eu comme effet de désindustrialiser l'Afrique, dont le secteur secondaire

était (et reste) embryonnaire, il a par contre eu des conséquences très profondes sur le secteur

primaire. Des pays comme le Nigeria, dont une bonne partie du territoire était utilisée pour

l'agriculture jusque dans les années 1970, a connu une forte baisse de ce secteur. Les pouvoirs

publics ont d'ailleurs injecté des milliards de dollars afin de relancer l’agriculture, sans aucun

succès jusqu'à maintenant. Le pétrole n'est pas la seule raison de cette baisse de rendement du

secteur agricole constatée dans les pays africains. La plupart d’entre eux sont en effet loin de

parvenir à l'autosuffisance alimentaire alors qu'ils ne sont pas tous producteurs de pétrole.

Cependant, le pétrole a clairement été un accélérateur de l’affaiblissement du secteur agricole.

Les Etats producteurs de pétrole ont suffisamment d’argent pour importer de la nourriture,

cela rend moins urgent d'insuffler des politiques volontaristes afin de viser l'autosuffisance

alimentaire voire l’exportation. De ce point de vue, très clairement, la gouvernance du secteur

pétrolier a échoué sur le continent africain. Et ce d'autant plus que le secteur pétrolier est très

capitalistique (lourds investissements) mais ne permet pas de donner du travail à un grand

nombre de citoyens (on a vu l'exemple gabonais avec seulement 9000 salariés pour une

production de 240 000 b/j).

On pourrait donner plusieurs exemples africains pour comprendre combien la gouvernance du

secteur est loin d'être satisfaisante. Cependant, il en est un qui est symptomatique car il a

marqué considérablement les bailleurs de fonds ainsi que leurs pratiques: le Tchad. En effet,

le cas de ce pays d’Afrique saharienne a été très tôt discuté au siège de la Banque mondiale,

pour qui un prêt visant à faciliter la construction des infrastructures pétrolières, devait 142 Crise causée par l'embargo de l'Organisation des pays arabes des pays producteurs de pétrole (OPAEP) sur les importations des pays soutiens d'Israël pendant la guerre de Yom Kippour en octobre 1973 (Etats-Unis, Pays-Bas etc...). Plus fondamentalement, cette crise a permis à l'OPEP de prendre une position centrale sur la fixation des prix du brut passée de 3 à 11,65 dollars en l'espace de deux mois. Benjamin Augé, "La genèse de la première crise pétrolière", Mémoire de Master 2 d'histoire économique, Université de Franche-Comté, 2006.

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s'accompagner d'un important volet sur la gouvernance. Une façon de faire « à l'occidentale »

a donc été imposée au Tchad, qui a pu ainsi devenir producteur dès 2003.

Les bailleurs partent d’un constat simple sur le Tchad : les deux derniers pays à s’être lancés

dans l’exploitation du pétrole en Afrique, la Guinée équatoriale, qui produit depuis 1993, et le

Soudan depuis 1999, sont loin d'utiliser les revenus de leur pétrole de façon optimale. Bien au

contraire, cet argent semble même renforcer le pouvoir du président autocrate Teodoro

Obiang Nguema, arrivé en 1979 ainsi que celui d'Omar El Béchir (1989) au Soudan. Ce

constat les pousse à agir et éviter ce genre de mauvais exemple "moderne" de gouvernance

pétrolière. Les sociétés opératrices au Tchad : Exxon, Petronas et Chevron convaincues du

potentiel pétrolier gisant dans les champs du bassin de Doba (sud du Tchad) ont d’une

certaine manière conditionnée le développement des champs à l’implication des bailleurs. La

raison était simple : ces majors éprouvaient une certaine gêne à investir seules sur un projet de

4 milliards de dollars dans un pays potentiellement instable143. La Banque mondiale ainsi que

la Banque européenne d'investissement ont donc décidé de s'impliquer en prêtant des fonds au

Tchad (140 millions de dollars). L’organisme de prêt a aussi été actif dans le travail de

médiation entre les trois acteurs: l'Etat tchadien, les populations touchées par le projet

pétrolier et les compagnies pétrolières144.

En échange de ce soutien financier et technique, les deux institutions ont imposé au président

Déby de créer un fonds pour les générations futures et que la quasi-totalité des revenus (80%)

soit utilisée pour des secteurs prioritaires (santé, éducation, infrastructures). De plus, tous les

revenus ont été déposés à la CitiBank de Londres et non dans les caisses de l’Etat tchadien.

Cela a même fait l’objet d’une loi appelée 001 et ratifiée en 1998. Cependant, acculé par les

multiples tentatives armées de le faire chuter du pouvoir en 2005, Déby suspend la dite loi

afin de contrôler plus directement l’argent du pétrole. En réaction au blocage du compte à

Londres imposé par le président de la Banque mondiale Paul Wolfowitz suite au souhait de

Déby de revoir le processus de redistribution de l’argent du pétrole, le président tchadien

décide de supprimer le fonds destiné aux générations futures, et de modifier la répartition des

143 Le président tchadien Idriss Déby est arrivé par un coup d’Etat militaire chassant ainsi du pouvoir Hissène Habré en décembre 1990 avec l’appui de l’ancienne puissance coloniale française. Cependant, son pouvoir est sans cesse fragilisé par des rebellions abritées par le Soudan. Depuis les années 2005/2006, ces mouvements sont principalement dirigés par des proches de Déby écartés du pouvoir comme Tim et Timam Erdimi (ses neveux issus de la même ethnie que lui : Zighawa). Timam est le chef du Rassemblement des forces pour le changement (RFC). Voir René Lemarchand « Où va le Tchad ? », Afrique contemporaine 3/2005 (no 215), p. 117-128. 144 Voir Géraud Magrin, Geert Von Vliet, Greffe Pétrolière et dynamiques territoriales, l'exemple de l'onshore tchadien, Afrique contemporaine, n°216, 4ème numéro de 2005.

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131

80% restants lors d’une nouvelle modification de la loi 001 en janvier 2006145. La Banque

mondiale accepte en juillet 2006 un compromis où la suppression du fonds pour les

générations futures est actée. Cependant, ces tensions récurrentes poussent le gouvernement

tchadien à se rapprocher des investisseurs non occidentaux comme la Chine qui pose bien

moins de conditions avant de décaisser des fonds. Cela coïncide d’ailleurs avec la montée en

puissance de la firme chinoise CNPC dans le pays146.

Le 9 septembre 2008, une autre étape est franchie, le Tchad rembourse, avant terme, le prêt de

la Banque mondiale soit 65,7 millions contractés en 2001 plus les intérêts. Le Tchad profite

ainsi de la hausse du baril (1,4 milliard de dollars de recettes pétrolières pour la seule année

2008) pour se passer des services des organismes multilatéraux. Un an après, Idris Déby

décide de commercialiser directement la part du brut qui lui revient soit quelque 40 000 bpj

sur les 145 000 produits. A la faveur de négociations au siège d'Exxon-Mobil à Houston en

mars 2009, la major accepte ce procédé qui théoriquement doit d’abord être validé par le

dernier partenaire n’ayant pas encore été remboursé : la Banque européenne d’investissement

(BEI)147. Si cette dernière se refuse d’abord à donner son quitus et n’accepte pas le

remboursement avant terme148 (prévu pour 2015), elle doit finalement céder après des

pourparlers menés à N’Djamena en février 2010. Les Tchadiens ont menacé de poursuivre

devant des tribunaux la BEI. Le Tchad finit ainsi en 2010 le remboursement de tous les prêts

auprès d’organismes multilatéraux. Conséquence : le contrôle de la "manne" pétrolière par les

ONG et les institutions de Bretton Woods devient très compliqué, voire impossible.

Cet épisode entre les bailleurs et un Etat nouvellement producteur est très révélateur. En effet,

le Tchad dont la production a commencé en 2003, s'est émancipé de la communauté

internationale grâce à ses revenus pétroliers. Lorsqu'un Etat obtient d'importants revenus

grâce à ses matières premières, la tendance naturelle est de se débarrasser au plus vite des

organismes qui vont orienter la dépense vers des secteurs spécifiques. Le régime d'Idriss Déby

peut désormais utiliser l'argent en toute indépendance. Les nouveaux et futurs pays

producteurs africains comme le Ghana ou l'Ouganda ont préféré dès les prémices de leur

exploitation se tourner vers la coopération norvégienne pour l’’expertise en terme de gestion

des hydrocarbures. La Norvège procède d’une telle manière, que son aide est vécue par les

Etats comme étant beaucoup moins interventionniste et beaucoup plus "à la carte". En résumé,

145 La Lettre du Continent, n°486, 19 janvier 2006. 146 Voir John Ghazvinian sur ce sujet. 147 Africa Energy Intelligence, n°603, 25 mars 2009. 148 Africa Energy Intelligence, n°621, 3 février 2010.

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132

la Norvège fait des propositions aux pays pétroliers : formation des fonctionnaires ainsi que

des hommes politiques (cas de l’Ouganda), conseils sur les contrats, expertise sur les

questions de frontières (Madagascar, Mozambique…), et elle n’impose rien (ou en tout cas

fait comme si rien n’était imposé). Le pays de plus, n’est pas considéré comme profitant de ce

genre de pratiques : sa compagnie pétrolière Statoil n’est pas en Ouganda, ni au Ghana, ni au

Mozambique…Evidemment, cela peut être une bonne façon pour faciliter sa venue dans le

futur. Cependant, il est indéniable que sur le terrain, la coopération norvégienne est très

efficace, voire parfois même un peu intrusive dans des pays vierge en terme de textes légaux

sur le secteur pétrolier (Zambie). Si cela se passe mal, la coopération s’arrête, en tout cas de

manière officielle, comme à Madagascar après le coup d’Etat d’Andry Rajoelina en mars

2009 où la représentante norvégienne (à qui nous avons pu parler) a quitté le pays. Cependant,

une coopération par l’intermédiaire de l’ambassade se poursuit car ce n’était pas l’action des

Norvégiens qui posait problème mais le contexte politique dans lequel le pays se trouvait.

Outre le cas norvégien, il est nécessaire de reparler de la coopération chinoise. Dans son

projet pétrolier en développement depuis 2008, le Niger suit la même stratégie que le Soudan

dans la deuxième moitié des années 1990. Le financement et la mise en place de l'industrie

pétrolière sont uniquement le fait de sociétés étatiques chinoises, en l'occurrence de la CNPC.

Le pays ne compte ainsi pas du tout sur les bailleurs de fonds traditionnels pour ce secteur. Le

Niger a d’ailleurs reçu d’énormes moyens pour construire notamment des routes, la Chine va

lancer prochainement les travaux de goudronnage d'une route entre Diffa et la frontière

tchadienne. Elle a également fait des propositions concernant la route reliant N'Guigmi

(frontière avec le Nigeria), Agadem, Bilma et la frontière libyenne149. Cependant, la formation

des locaux a été très faible (en particulier les premières années des projets pétroliers). Le

manque de main d’œuvre qualifié a même été d’une certaine façon instrumentalisé par les

sociétés chinoises pour éviter d’embaucher des locaux, stratégie causant d’importants

problèmes de relation : fermeture de la raffinerie au Tchad. Les cadres des ministères du

Niger comme du Tchad se plaignent d’ailleurs lors d’entretiens privés qu’ils ne peuvent pas

accroître leur compétence s’ils ne travaillent qu’avec des chinois car non seulement ces

derniers préfèrent travailler avec leurs salariés mais en plus, ils n’ont que des relations très

épisodiques avec les ministères, préférant gérer directement avec la présidence. Ce type de

coopération devra évoluer ou alors elle posera davantage de problèmes : grèves, violences de

la part des populations locales etc…

149 Africa Energy Intelligence, n°666, 1er janvier 2012.

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133

Conclusion de la partie I

Cette première partie a permis d’expliquer ce que représentent vraiment les ressources en

pétrole et gaz du continent africain. L’Afrique compte des cas très divers : ceux dont l’avenir

semble géologiquement assuré pour plusieurs décennies (Nigeria, Libye, Angola), les cas où

cela est moins clair (Gabon, Cameroun), les cas très marginaux où l’importation est tout de

même obligatoire (Afrique du Sud, Mauritanie) ainsi que les nouveaux venus (Ghana, Niger,

Ouganda). Avec le niveau d’exploration et les moyens mis en œuvre par les compagnies

pétrolières, le continent africain va continuer à bouger très vite en matière d’hydrocarbures.

Les récentes découvertes en Sierra Leone, Liberia et Kenya (pétrole) et en Tanzanie et

Mozambique (gaz) démontrent que la géographie des ressources va continuer à se modifier en

profondeur. De même, si les acteurs étatiques sont toujours plus nombreux, les compagnies

pétrolières le sont aussi. Outre l’arrivée des sociétés d’Etat chinoises, l’Asie s’insère très

franchement dans l’exploration du continent avec des sociétés venant de Corée du Sud, d’Inde

ainsi que du Japon. De même, les Russes de Gazprom et la société brésilienne Petrobras sont

également de plus en plus actives. Il n’y a plus, loin de là, de quasi-monopole des majors

occidentales (Shell, Chevron, Exxon, BP, Total, ENI), comme cela pouvait être le cas au

début de l’histoire pétrolière africaine dans les années 1950. Hors des sociétés étatiques

étrangères, une multitude de compagnies de petites et moyennes tailles tentent leur chance

dans l’exploration. Certaines ont été créées par des anciens cadres de majors (Chariot Oil &

Gas en Namibie), d’autres l’ont été par des aventuriers affectionnant particulièrement les

zones délicates (Heritage Oil en Ouganda et Congo-Kinshasa et Libye), d’autres encore ont

été fondées par des personnes ayant juste de bonnes connections (ERHC au Nigeria et à Sao

Tomé et Principe), ou par des gens n’ayant ni connaissance technique, ni capital à dépenser

(multiple cas au Mali et en Zambie). Il y a aussi le cas de compagnies entrant par

« effraction » dans le secteur comme Hyperdynamics, société américaine de logiciel

informatique qui prend la totalité de l’offshore guinéen en 2005 grâce à des connexions

politiques. Il y a donc de la place pour tous, même s’il est plus que probable que des rachats

de sociétés vont conduire à une concentration du secteur avec moins d’acteurs mais plus

puissants. Cela sera encouragé par l’accroissement continu des moyens nécessaires pour

l’exploration150. Une partie des petites sociétés (Dana, Addax Petroleum) ont d’ailleurs été

rachetées par les compagnies d’Etat asiatiques, enchantées de pouvoir profiter de leur

150 Une simple plateforme de forage offshore peut se louer jusqu’à 600 ou 700 000 dollars par jour. Quand on sait que ce type de puits en grande profondeur marine peut prendre plusieurs mois, cela conforte l’idée d’une exploration devenue très coûteuse.

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134

connaissance de certains pays africains. D’autre part, une partie d’entre elles ont été mises en

faillite pendant la crise du crédit que l’on constate depuis 2008.

Le continent africain a aussi la particularité d’« abriter » un grand nombre de pays pétroliers

dans lesquels la présence d’un conflit a été entretenue ou a été causée par l’exploitation de

cette ressource. Notre problématique sur la production en zone de conflit est donc éclairante à

cet égard. S’il semble acquis que l’Afrique restera de par sa très faible consommation comme

un important pourvoyeur de pétrole et de gaz pour le marché international, il n’est pas à

exclure que les conflits géopolitiques entrainent des ralentissements ponctuels de la

production. Si cela n’a pas été le cas dans le passé avec les guerres civiles de la République

du Congo, de l’Angola et du Biafra, cela a cependant différé des investissements. Nous avons

vu que même si le pétrole n’est pas la raison de la lutte entre divers acteurs politiques, la

manne qu’il engendre permet à ces conflits de durer, parfois plusieurs durant plusieurs

décennies (Angola).

Le cas du Nigeria reste toujours à part dans les conflits liés au pétrole sur le continent, d’une

part car les violences sont toujours en cours et d’autre part car leurs conséquences sur le

marché sont importantes : ce pays est le plus gros exportateur africain. Les combats des

locaux contre les compagnies pétrolières et l’Etat fédéral ne s’arrêtera pas, tant que

l’éradication de la pauvreté généralisée dans la région du delta du Niger ne sera pas un

objectif à atteindre et tant que l’intérêt général ne primera pas sur les intérêts particuliers. Ce

dernier point étant capital si l’on veut que l’idée, très couramment émise d’explosion de la

fédération nigériane, ne se matérialise jamais. Ce but est fréquemment martelé par certains

nordistes, tout comme de la part de certains militants du delta du Niger. Les groupes qui se

réclament de la population afin d’atteindre des objectifs louables (augmentation des revenus

redistribués aux locaux ainsi que meilleur respect de l’environnement par les sociétés

exploitantes) ont été et sont encore discrédités par l’implication de certains de leurs membres

dans le vol de pétrole et autres activité illégales. Certains de leurs chefs vivent ainsi très bien

et ne voient le combat politique que comme un moyen de s’accaparer davantage de richesses

au détriment de l’Etat fédéral ou des compagnies pétrolières. Le cas nigérian, s’il est

complexe car ancien, est absolument essentiel pour l’approvisionnement du marché

international car il pèse pour ¼ de la production totale du continent africain. La nouvelle

stratégie de résolution du conflit par l’intermédiaire de l’amnistie a permis au secteur pétrolier

de souffler, mais il est à prévoir que cela ne suffira pas à rendre la situation apaisée sur le long

terme.

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135

La problématique des conflits de frontière est également centrale dans l’exploitation du

pétrole. Les différents moyens de les résoudre sont nombreux mais comme on l’a vu, ils

dépendent beaucoup de la relation des Etats concernés et du poids politiques, diplomatiques et

économiques des acteurs en présence. Ces conflits risquent de se multiplier sur un continent

dont les frontières terrestres sont mal définies par des textes obsolètes et incapables de

départager des Etats. Le cas des frontières maritimes est encore plus inquiétant, les règles de

Montego Bay ayant été adoptées après les indépendances en 1982, les litiges devraient se

multiplier avec les progrès techniques des compagnies pétrolières, désireuses d’aller de plus

en plus profondément en mer.

Enfin, il faut citer les cas africains qui font fuir les investisseurs de par leur nationalisme

pétrolier. L’Algérie est à un tournant de son histoire économique, soit elle décide de mettre en

place de très grands moyens dans la recherche/développement afin de réaliser ce qu’a réussi

Petrobras au Brésil, c’est-à-dire pouvoir piloter des projets complexes, soit elle doit modifier

ses lois pétrolières (2005/2006) qui empêche les sociétés d’investir. Il est à prévoir que la

première solution sera difficile à mettre en œuvre, tellement la Sonatrach semble paralysée

par la bureaucratie et la mainmise des services de renseignement et l’armée dans son

fonctionnement. Le Mexique qui a nationalisé sa société le secteur pétrolier en 1938 avec la

Pemex, est dans le même cas aujourd’hui. Le manque de réforme et le retard technologique de

sa société nationale l’oblige à s’ouvrir aux sociétés privées, sous peine d’être spectateur de la

baisse chronique de sa production pétrolière, alors que son économie est très peu diversifiée.

Ce nationalisme pétrolier mène à un conflit entre l’Etat et les sociétés pétrolières présentes,

mais il peut aussi mener à un conflit entre la société pétrolière et la population locale. En

effet, la mauvaise efficacité de Sonatrach peut faire baisser à terme les revenus de l’Etat et

donc conduire la population à un mécontentement du fait de la baisse des transferts d’argent

(salaire de la fonction publique etc…). Le régime algérien a pour le moment été « sauvé » du

printemps arabe du fait des « pétrodollars ». Ces derniers ont été encaissés en masse, non pas

du fait de la production (déclinante) mais bien davantage du fait du niveau du baril sur les

marchés internationaux. Se baser uniquement sur ce paramètre est très dangereux, le régime,

du fait du manque de réforme du secteur pétrolier, ne montre pas vraiment qu’il en a

conscience.

Les nouveaux producteurs comme le Ghana, Niger, Mozambique et Tanzanie vont devoir se

pencher sur tous ces cas de producteurs « matures » afin d’éviter de reproduire les mêmes

erreurs. Pour ce faire, ils ont pour certains d’entre eux fait le choix de l’aide norvégienne, à la

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136

carte, tout en continuant le dialogue avec la Banque mondiale qui ne veut plus s’impliquer de

la même manière que ce qu’elle a pu faire avec le Tchad à la fin des années 1990. L’arrivée

de la Chine a aussi permis à certains pays comme le Niger et le Soudan de devenir producteur,

son rôle dans la gouvernance du secteur devrait cependant évoluer considérablement dans les

prochaines années. Le partenariat win/win qu’elle propose, n’est pas aussi évident, les retours

d’expérience comme au Tchad et au Niger le démontrent.

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Partie II : Le secteur pétrolier en République

démocratique du Congo et en Ouganda, une gestion

confuse, opaque et présidentialisée.

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Après un tour d’horizon du continent africain et des enjeux liés à l’exploitation du pétrole/gaz

ainsi qu’à ses conflits inhérents, le but de cette deuxième partie est de travailler à un niveau

d’analyse géographiquement plus restreint mais en plus grande profondeur. Cette deuxième

partie se veut d'abord comme l'étude de la politique pétrolière d'un Etat, la République

démocratique du Congo (RDC) et de celle de son voisin l’Ouganda, dans une région en conflit

ou en post-conflit selon les zones. Le prisme du secteur pétrolier comme sujet d’étude dans

cette région a été jusqu'à présent très peu abordé par les chercheurs, bien davantage intéressés

par la gestion des minerais que la RDC exploite de façon industrielle depuis le début du 20ème

siècle avec notamment la création de l'Union minière du Haut Katanga créée en 1908. Le

secteur minier a aussi été très médiatisé par les "minerais du sang", qui ont financé des

mouvements rebelles dans les deux provinces du Kivu (à l’Est du Congo) et enrichis des Etats

(Rwanda, Ouganda) au détriment du Congo depuis les années 1990. Comparer les

gouvernances du pétrole en République démocratique du Congo (qui produit déjà de faibles

quantités) avec celle de son voisin ougandais s’explique d’abord car ces deux Etats partagent

l’un des bassins sédimentaires les plus prolifiques et prometteurs dans la région des Grands

Lacs: le graben albertine, là même où se situe notamment le lac Albert. Si la RDC n’y a pas

encore mis à jour du pétrole, par absence de cohérence dans sa stratégie pétrolière comme on

le verra, l’Ouganda, qui n’a jamais produit une goutte de brut, a quant à lui accéléré les

explorations et est déjà à la tête de 2,5 milliards de barils de réserves.

Afin d'appréhender au mieux le fonctionnement du secteur pétrolier au Congo et en Ouganda,

il nous est apparu utile d'analyser en profondeur les réseaux de pouvoir. Lors de nombreux

séjours dans ces deux pays, une centaine d'entretiens (parfois plusieurs à plusieurs années

d’intervalle avec les mêmes personnes) a permis de comprendre la méthode de prise de

décision dans le pétrole, donnant également des indications plus larges sur la gestion étatique

congolaise et ougandaise. Cela passe par l’étude de la façon dont les compagnies tissent des

liens avec des personnes dépositaires du pouvoir (parfois étrangères) pour obtenir leur permis

d’exploration ainsi qu’avec quel genre de personne elles travaillent localement pour arriver à

leurs fins. La gestion du secteur pétrolier au Congo est opaque et réservée à un tout petit

nombre de personnes autour du président, très peu de personnes peuvent influencer les

décisions. De même, en Ouganda, c'est parfois uniquement la relation particulière d'un

fonctionnaire au ministère de l’énergie avec le président qui fait avancer un dossier ou au

contraire l'enterre. Un ministre peut aussi se trouver marginalisé par le président ou les

conseillers (officiels ou officieux) de ce dernier et n'avoir aucun moyen d'agir concrètement.

Les questions de réseaux de pouvoir sont donc l'une des clés de voute de cette gestion

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pétrolière. Les comprendre impose des relations de confiance avec les acteurs et observateurs

locaux à Kinshasa, dans les provinces pétrolières (Ituri, Bas-Congo) ainsi qu'en Ouganda

(Kampala, Hoïma). Fonctionnaires ou hommes politiques, professeurs d'université ou cadres

de compagnies pétrolières, nos discussions avec ces acteurs ont permis de donner un résultat

probablement incomplet mais le plus fidèle possible de la façon dont fonctionne le secteur

pétrolier dans ces deux piliers de l’Afrique des Grands Lacs. Nous avons pris le parti de

décrire avec un maximum de détails chacun des protagonistes de ce secteur, en faisant une

galerie de portraits. Certains sont connus, d'autres beaucoup moins, ou alors une part très

réduite de ces personnalités est publique.

La géopolitique est une cartographie à différents niveaux d'analyse d'une situation

conflictuelle territorialisée. Cette partie se propose d'expliquer comment au sein d'une toute

petite structure, dans un ministère, à la présidence, à la société nationale, les fonctionnaires ou

conseillers peuvent bloquer des systèmes ou appuyer une décision dont les répercussions sont

importantes sur une zone d’exploration. Ces décisions ont des conséquences (actions ou

inactions) sur des territoires très lointains de Kinshasa (en particulier en Ituri), tout comme sur

des conseils d'administration de sociétés basées en Grande-Bretagne, Canada, France, Afrique

du Sud...etc. Ces sociétés elles-mêmes ne veulent pas seulement regarder leur cours de bourse

varier au gré des décisions de ce petit groupe de fonctionnaires congolais, ou de conseillers

occultes du président Joseph Kabila, il faut donc influencer les décisions avec les bonnes

personnes. Toute l'analyse part de ces quelques personnes capables de délivrer des permis

d'exploration dans un pays où les opportunités pétrolières sont immenses du fait d’une

géologie exceptionnelle. En Ouganda, si les fonctionnaires sont dans l’ensemble mieux

formés et ont plus d’accès aux dossiers qu’en RDC, les vraies décisions et orientations sur ce

nouveau secteur se règlent aussi entre quelques hommes uniquement. Un certain parallélisme

est donc à faire, même si la stratégie de choix des compagnies de l’Ouganda est bien plus

efficace.

L'Afrique des Grands Lacs est probablement l'une des zones d'Afrique (après le Nigeria)

parmi les moins propices à l'exploration pétrolière. S'il y a d'abord des obstacles purement

géographiques avec un enclavement total des bassins sédimentaires les plus intéressants, aux

abords des lacs, les défis sécuritaires et politiques sont également très difficiles à surmonter.

Depuis le génocide rwandais de 1994, la région à l'Est du Congo "vit" une instabilité

chronique. La deuxième guerre du Congo, débutée en 1998, a de plus durablement modifié les

relations entre les Etats qui composent la région au sens large : outre la RDC, l'Ouganda,

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Rwanda, Burundi, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe, Angola et également la République du

Congo. Tous ces Etats ont désormais des liens marqués d'une grande méfiance du fait du

rapport de force qui s'est créé entre eux durant cette période de guerre. Dans cet

environnement, le choix des compagnies n’est pas anodin, il peut avoir des conséquences

chez le voisin comme on le verra entre la RDC et l’Ouganda avec Tullow Oil.

La gestion congolaise des secteurs rémunérateurs est à comprendre à l’aulne de la

géopolitique régionale. Si la première guerre du Congo (juin 1996/mai 1997) avait un objectif

assez clair, remplacer à tout prix le dirigeant zaïrois Mobuto Sese Seko, ceux de la deuxième

guerre sont beaucoup moins lisibles. Officiellement, l'objectif était d'expulser les Rwandais et

Ougandais qui contrôlaient le pays jusqu'alors. Cependant, ce qui semble certain sur le terrain,

c'est que les alliances de circonstance entre différentes puissances ou groupes de miliciens qui

se sont formés depuis (et qui continuent aujourd'hui à une moindre échelle) ont un enjeu

commun: piller la République Démocratique du Congo. Le pays est devenu un vaste terrain

de "jeu" considéré par ses voisins comme une immense réserve de matières premières à ciel

ouvert, sans contrôle de ses frontières151. Cette prédation a été également entretenue par

l'ancien président Laurent Désiré Kabila, assassiné en 2001. Afin de repousser ceux qui

l'avaient aidé un an plus tôt, en l'occurrence les Ougandais et Rwandais, Kabila avait besoin

de l'aide d'autres Etats aux armées puissantes. Il a alors fait appel en 1997 aux membres de la

Southern African Development Community (SADC), en particulier à l'Angola, la Namibie et

le Zimbabwe. Mais il a également été plus loin en demandant l'appui du Tchad qui a envoyé

quelque 1000 soldats et enfin celui de la Libye qui a très largement financé le déploiement

tchadien152.

En 1998, le pouvoir de Laurent Désiré Kabila s'est retrouvé attaqué par l'Est, dans la région

des deux Kivu Nord et Sud (par les Rwandais) ainsi qu'en Ituri et province Orientale (par

l'Ouganda), mais également dans la région du Bas-Congo plus proche de Kinshasa où des

éléments rwandais ont tentés de couper l'alimentation des barrages d'Inga 1 et 2 qui

approvisionnent en électricité la capitale congolaise et la région minière du Katanga. En

échange de cette aide immédiate des Etats "amis" du pays, il a fallu partager le « gâteau » que

représentent les richesses congolaises. Le président congolais, mis au pouvoir depuis

seulement un an, grâce aux concessions minières accordées aux alliés d’alors, Ouganda et

Rwanda, a été contraint de recourir au même procédé avec ses nouveaux "sauveurs". Kabila a

151 Colette Braeckman, « Les nouveaux prédateurs : Politique des puissances en Afrique centrale »; Eden Editions, 2009. 152 Le Monde, 16 décembre 1998.

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donc proposé de les rémunérer en matières premières, sa seule monnaie d'échange. C'est ainsi

que des généraux zimbabwéens et des gradés d'autres nationalités se sont appropriés

d'importantes carrières dans le Katanga et dans les provinces Est du Congo. Après de

multiples médiations, en particulier de l'Afrique du Sud, de la Zambie et de la Tanzanie, un

cessez le feu est acté en 2002 lors des accords de Sun City près de Pretoria. Celui-ci est

conclu pour le Congo par le fils de Laurent Désiré Kabila, Joseph Kabila, nouveau maître à

bord depuis 2001. Il est aussi conclu, non pas directement avec les deux puissances présentes

sur le sol du Congo : l'Ouganda et le Rwanda mais avec les milices et groupes politiques qu'ils

soutiennent de façon plus ou moins voilées. Pour l'Ouganda, c'est particulièrement le

Mouvement de Libération du Congo (MLC) de Jean Pierre Bemba qui va le représenter à Sun

City. Pour le Rwanda, cela sera le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD153)

fondé par Ernest Wamba dia Wamba.

Ce cessez le feu a été conditionné à un partage du pouvoir entre les différentes factions

pendant une transition. Joseph Kabila resta président pendant cette période spéciale appelée

1+4, car quatre vice-présidents lui seront adjoints154. Cette transition dura jusqu'à l'élection

présidentielle de 2006 où Joseph Kabila a remporté au deuxième tour son duel face à Jean

Pierre Bemba. Ce dernier est incarcéré depuis le mois de mars 2008 aux Pays-Bas durant la

durée de son procès au Tribunal Pénal International, il est notamment accusé de crimes de

guerre.

S'il n'est pas question ici de faire la genèse des guerres du Congo, il est en revanche

indispensable de comprendre combien la méfiance a eu tout le loisir de s'installer entre le

pouvoir à Kinshasa et ses deux voisins belligérants rwandais et ougandais, mais également

153 Le RCD a considérablement évolué en termes de figures politiques et de bases géographiques entre le moment de sa fondation en 1998 et l'élection présidentielle de 2006. Au départ, c'est davantage des ex-compagnons de route de Laurent Désiré Kabila au sein des Alliance des Forces démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL) qui ont formé le RCD au Nord Kivu. Ils ont rapidement été rejoints par d'anciens cadres du régime précédent dirigé par Mobutu Sese Seko. Le RCD était clairement un mouvement soutenu par les Rwandais, en représailles à la politique de renvoi des cadres de leur armée conduite par Laurent Désiré Kabila en 1998. Le RCD s'est scindé dès 1999 avec le départ de son fondateur Ernest Wamba dia Wamba, ce dernier créant le RCD Kisangani (principale ville au nord du Congo) soutenu par l'Ouganda. Les deux mouvements RDC Goma et RCD Kisangani s'affrontèrent à Kisangani, bataille où le RCD Goma remporta facilement la victoire. La conséquence immédiate fut la mise à l’écart d'Ernest Wamba dia Wamba au profit de Mbusa Nyamwisi qui renomma le RCD Kisangani par le RCD Mouvement de Libération (ML). Quant au RCD Goma, trois chefs se succédèrent entre 1998 et 2003, d'abord Emile Ilunga (qui fut Premier Vice-président du Sénat pendant la transition (2003/2006) et qui est sorti de la politique ensuite), Adolphe Onusumba (qui fut ministre de la défense pendant la transition puis député national depuis 2006) puis Azarias Ruberwa (qui deviendra Vice-président sous la transition puis avocat depuis son échec aux élections présidentielles de 2006). 154 Ces quatre personnalités politiques sont Jean-Pierre Bemba du MLC (vice-président chargé des finances), Azarias Ruberwa du RCD (Vice-président en charge de la Commission politique, défense et sécurité), Abdoulaye Yerodia Ndombasi du parti de Kabila le PPRD (Vice-président en charge de la reconstruction) et enfin Arthur Z'ahidi Ngoma de l'opposition politique (Vice-président de la commission sociale et culturelle).

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avec certains de ses alliés (ou ceux qui se disaient l’être), en particulier l'Angola, dont on

reparlera en détails dans la troisième partie. La question pétrolière représente ici un puissant

révélateur de cette méfiance dans le cadre des bassins pétroliers transfrontaliers. Les mauvais

choix et errements de Kinshasa sur le choix des compagnies d’exploration et le temps que

prennent chaque décision est le reflet de ce contexte conflictuel avec les voisins ainsi que la

déliquescence de l’administration congolaise et de l’idée d’Etat-nation depuis l’ère mobutiste.

1 La gouvernance du secteur pétrolier en République démocratique du

Congo

La RDC produit de petites quantités de pétrole depuis les années 1970 dans la province du

Bas-Congo (onshore et offshore), le débit a toujours oscillé entre 20 et 30 000 barils par jour

(b/j). Cependant sa gestion du secteur n'a jamais été vraiment optimale. Plusieurs raisons à

cela. D'abord, les responsables de l'économie du pays ont toujours considéré le Congo comme

un pays minier. Cette notion nous parait essentielle pour comprendre le peu d'intérêt suscité

par les élites politiques pour le secteur pétrolier. Ces cadres congolais, conseillers à la

présidence ou au ministère de l'économie n'ont donc historiquement jamais, y compris bien

sûr sous la période de Mobutu (1965/1997), considéré que les réserves pétrolières pouvaient

devenir un important vecteur d'enrichissement pour le pays. C'est d'ailleurs la raison

essentielle pour laquelle le secteur pétrolier a été géré jusqu'à la création du premier poste de

ministre du pétrole le 15 mars 1999 puis celui des hydrocarbures au lendemain de la transition

en 2007, par des ministères à plusieurs attributions. Durant l'époque coloniale belge jusqu'en

1960, c'est le ministère de l'économie qui s'est occupé de l'exploration pétrolière, puis entre

1960 et 1965, ce secteur a été transféré au ministère des travaux publics. Sous l'ère Mobutu, le

pétrole a été sous la coupe du ministère des mines et énergie entre 1965-1987, puis du

Ministère de l'Energie entre 1988 et 1997. En 1998, c'est la naissance du ministère de

l'économie et du pétrole qui préfigure donc celle du pétrole en 1999 dirigé par un proche de

Laurent Désiré Kabila : Jean-Victor Mpoyo (voir encadré ci-dessous) et enfin celui des

hydrocarbures (non couplé avec un autre secteur) en 2007155.

Pierre Victor Mpoyo , titulaire du premier poste ministériel du pétrole de l'histoire du Congo

est nommé le 15 mars 1999 ministre en charge de ce secteur, pour la première fois considéré

comme stratégique. Mpoyo a probablement milité pour la création de ce poste car il a déjà

traité le pétrole dans ses attributions ministérielles précédentes, où il était l'un des deux seuls

155 Conversations avec cadres du ministère des hydrocarbures.

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ministres d'Etat, en charge de l'économie et du pétrole (encore couplée à l'époque) dans le

gouvernement de janvier 1998. Il était chargé depuis juillet 1997 de l'économie et des

industries dans le premier gouvernement suite à la chute de Mobutu. Mpoyo est un expert du

secteur, il a travaillé comme consultant pour la major française Elf Aquitaine puis

l'américaine Mobil au Nigeria (il travaille également pour le régime Biafrais de 1967 à 1970)

et en Angola (La Lettre du Continent, 29 janvier 1998). Il se lance rapidement en politique et

rentre en contact avec les mouvements de libération en Afrique australe et fait la connaissance

des cadres de l'ANC (Afrique du Sud). Il devient notamment un contact privilégié pour

Winnie Mandela. Il est d'ailleurs organisateur principal de la visite de Nelson Mandela aux

Etats-Unis au lendemain de sa libération en juin 1990. Au Congo, sa grande proximité avec

Laurent Désiré Kabila l'a entraîné à le représenter à plusieurs reprises dans des sommets avec

d'autres chefs d'Etat durant dans la guerre avec le Rwanda et l'Ouganda (1998-2003). Pierre-

Victor Mpoyo est réputé avoir financé l'arrivée au pouvoir de Kabila en partie grâce à sa

grande carrière de trader et entremetteur entre pétroliers et politiques. Opposant à Mobutu

Sese Seko, considéré comme le numéro 2 du régime, il va s'engager durablement avec Kabila

jusqu'à l’assassinat de ce dernier en janvier 2001. Mpoyo fut l'un des ardents partisans de la

nomination du fils de Kabila, Joseph, afin qu'il reprenne le flambeau suite à la mort de son

père. Même s'il est nommé ministre sans portefeuille dans la première équipe de Joseph

Kabila, il retourne vivre en France pour se soigner ainsi que pour s'éloigner d'un pouvoir dont

il ne se sent pas très proche (ou qui ne le veut plus, c’est selon les interprétations). Selon des

cadres du ministère qui ont travaillé avec lui à l'époque, Mpoyo a toujours eu une grande

proximité avec les investisseurs et hommes politiques américains et angolais, cela a eu une

importance particulière dans le secteur pétrolier.

Lors de l'arrivée au pouvoir de Joseph Kabila en janvier 2001, jusqu'à la fin de la période des

gouvernements de Salut Public en 2003, les hydrocarbures seront systématiquement couplés

aux mines. Cette stratégie est une nouvelle fois modifiée en juillet 2003 dans le gouvernement

de transition où aucun ministre en charge des hydrocarbures n’est nommé. C'est l'énergie qui

coiffe désormais ce secteur. Jean-Pierre Kalema Losona (voir encadré ci-dessous) devient

alors le ministre de l'énergie en charge des questions d'électricité et d'eau (avec comme

adjoint Nicolas Georges Badingaka) alors qu'un autre ministre Eugène Diomi Ndongala est

nommé aux mines.

Jean-Pierre Kalema Losona (né en 1956) est ministre de l'énergie en charge des

hydrocarbures du 30 juin 2003 au 25 novembre 2004. Il est écarté ainsi que cinq autres

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collègues du gouvernement pour corruption et utilisation de l'argent public à des fins

personnelles. Ingénieur civil de formation, il est originaire de la province du Maniema (Est du

Congo). Kalema Losona est diplômé de la Faculté Polytechnique de l'Université de Kinshasa

et a intégré le gouvernement congolais dès la prise de pouvoir de Joseph Kabila en 2001, où il

a été chargé de l'industrie pétrolière comme vice-ministre des hydrocarbures. C'est notamment

lui qui a négocié les différents accords passés à la fin des années 1990 par le Congo-Kinshasa,

via la société nationale Cohydro, avec les traders chargés d'approvisionner le pays en produits

pétroliers. Kalema est membre du mouvement politique de Kabila, le Parti du peuple pour la

reconstruction et la démocratie (PPRD).

Nicolas Georges Badingaka (adjoint de Kalema) est un ministre d'opposition sous la période

de transition 1+4 (2003/2006). Son action a d'importantes répercussions sur le secteur

pétrolier car il signe, à l'achèvement de la période de transition en 2006, le premier contrat de

partage de production attribué sur les blocs 1 et 2 aux abords du Lac Albert. Les sociétés

concernées : Tullow Oil et Heritage Oil, n'ont cependant jamais obtenu la validation de leur

contrat par un décret présidentiel. Badingaka est également parvenu à rester au poste de Vice-

ministre de l'énergie pendant plus de trois ans (2003/2007), ce qui est remarquable alors que

les titulaires du portefeuille ont dans le même temps changé quatre fois.

De multiples batailles politiques s'engagent entre les ministres chargés de l'énergie et celui

chargé des mines pour prendre en charge le secteur des hydrocarbures. En effet, celui-ci

permet d'importantes commissions du fait des multiples contrats d'importations de produits

pétroliers et parfois aussi d’autres liées à l'exploration/production. En septembre 2003, c'est

finalement Kalema en charge de l'énergie qui emporte l'arbitrage du président Kabila, il se

charge donc de l'électricité et des hydrocarbures. Le Congo revient donc une fois de plus en

arrière en évitant de nommer un ministre plénipotentiaire chargé uniquement du pétrole. C’est

donc jusqu'en février 2007, un ministre de l'énergie qui s'occupe du secteur des

hydrocarbures.

A ce manque d'intérêt national pour le pétrole s'ajoute de nombreux changements de

responsables du secteur, la période de transition entraînant des rapports de force fluctuants

entre les groupes politiques. Kalema Losana est ainsi remplacé le 25 novembre 2004 par

Salomon Banamuhere Baliene (voir encadré ci-dessous), ce dernier conserve cependant

Nicolas Georges Badingaka comme adjoint.

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Salomon Banamuhere Baliene est un proche de Joseph Kabila, il vient de la même zone

géographique, la province cuprifère du Katanga (ex-Sheba). Il est de plus l'un des co-

fondateurs du Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD) du président

congolais. Il a d'abord été ministre des affaires foncières dans le premier gouvernement

Kabila en avril 2001 puis responsable de l'agriculture, élevage et pêche le 17 novembre 2002.

Salomon Banamuhere Baliene a été nommé au portefeuille de l'énergie avec la main sur les

hydrocarbures, lors du remaniement ministériel du 18 novembre 2005, en remplacement de

Pierre Muzyumba Mwanahembe. Licencié en biologie de l'Université de Kisangani (nord du

Congo) et titulaire d'une maîtrise en sciences de l'environnement de la Fondation universitaire

d’Arlon (Belgique), il est aussi diplômé de l'Ecole de génie rural des eaux et forêts de

Montpellier. Après le gouvernement de transition (2003/2006), il exerce à nouveau la fonction

de ministre de l'énergie en charge cette fois-ci uniquement des questions électriques jusqu'en

octobre 2008. Il est depuis lors le premier ambassadeur du Congo au Burundi depuis 1993.

L'avènement de la troisième république le 18 février 2006 puis l'élection comme président de

Joseph Kabila le 27 novembre 2006 et la nomination de son premier gouvernement en février

2007 mettent fin aux changements perpétuels de tutelle sur le secteur pétrolier. A partir de ce

gouvernement dirigé par le premier ministre Antoine Gizenga (voir encadré ci-dessous), un

ministère est uniquement en charge du pétrole sous la dénomination "hydrocarbures" car il se

charge de l'exploration/production ainsi que de l'importation et de la distribution des produits

pétroliers dans le pays.

Antoine Gizenga est issu du Parti Lumumbiste Unifié (PALU) dont il est le président. Il a été

le premier vice-chef de gouvernement du Congo libre entre 1960 et 1961 aux côtés de Patrice

Lumumba (assassiné en 1961 par les services de Mobutu aidé notamment par la Belgique). En

butte au régime mobutiste, il a vécu entre 1965 et 1992 en exil. Gizenga ayant obtenu 13% à

l'élection présidentielle de 2006, soit le troisième meilleur score, le parti du candidat Joseph

Kabila (PPRD) a passé un accord de coalition avec lui en vue de remporter le deuxième tour

des élections. En échange de son soutien, le PALU obtient le poste de premier ministre durant

la mandature de Kabila. Gizenga dirige ainsi les deux premiers gouvernements de 2007 à

2008 puis c'est son adjoint au PALU, et ex-ministre du budget, Adolphe Muzito qui prend la

relève de 2009 à 2012. Muzito est un proche de Gizenga, puisqu'il est son propre neveu.

Le choix de dissocier les deux portefeuilles de l'énergie et du pétrole, et accessoirement de ne

pas seulement attribuer à ce secteur un simple bureau au ministère de l'économie, représente

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bien davantage qu'un symbole. Cependant, cette avancée est bien tardive. Elle survient pour la

première fois vingt ans après le début de la production dans le pays. Le secteur électrique est

lié au pétrole dans les Etats où aucun de ces secteurs n'est en position ultra dominante dans

l'économie (cas du Bénin ou de la Côte d'Ivoire). Il est en revanche difficilement

compréhensible de lier ces secteurs dans des Etats où le pétrole compte pour une très large

part du budget national, c'est pourquoi les principaux producteurs africains comme le Nigeria,

l'Angola, la Libye, la République du Congo et le Gabon ont scindé depuis longtemps l'énergie

et le pétrole. Dans ses derniers, la gestion du pétrole peut être par contre couplée aux mines

(cas de l'Algérie et du Gabon), secteur où la logique est identique aux hydrocarbures car tous

les deux font partie de la famille des industries extractives.

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Tableau 3 : Ministres en charge du secteur pétrolier depuis la chute de Mobutu Sese Seko

Ministre en charge du

secteur pétrolier

Vice-ministre (le cas

échéant)

Durée de la

fonction/régime en

place

Dénomination du

portefeuille

Pierre-Victor Mpoyo / Mai 1997/Janvier

1998/Mars 2001

Gouvernement de

Salut Public (L-D

Kabila)

Responsable du

secteur sans

nomination puis

Ministre de

l'économie et du

pétrole puis ministre

d'Etat du pétrole

Simon Tumawaku

Bawanganiwo

Jean-Pierre Kalema

Losana

Avril 2001/17

novembre 2002

Gouvernement de

Salut Public (J

Kabila)

Ministre des mines et

hydrocarbures

Jean-Louis Nkulu

Kitshunku

Jean-Pierre Kalema

Losana

Novembre 2002/24

février 2003

Gouvernement de

Salut Public (J

Kabila)

Ministre des mines et

hydrocarbures

Jean-Pierre Kalema

Losona

Nicolas Badingaka 30 juin 2003 au 25

novembre 2004

Gouvernement de

transition (1+4)

Ministre de l'énergie

Pierre Muzyumba

Mwanahembe

Nicolas Badingaka Novembre 2004/2005

Idem

Ministre de l'énergie

Salomon Banamuhere

Baliene

Nicolas Badingaka 18 novembre

2005/2006

Idem

Ministre de l'énergie

Augustin Simanga Nicolas Badingaka Octobre 2006/février

2007

Ministre de l'énergie

Lambert Mende

Omalanga

/ Février 2007/27

octobre 2008

Troisième république

(J Kabila)

Ministre des

hydrocarbures

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René Isekemanga

Nkeka

Gustave Beya Siku Octobre 2008/19

Février 2010

Idem

Ministre des

hydrocarbures

Célestin Mbuyu

Kabango

/ 19 février 2010/Mars

2012

Idem

Ministre des

hydrocarbures

Sources : Africa Energy Intelligence et conversations avec des cadres en charge du secteur.

L'une des autres raisons majeures d'une gestion parfois chaotique du secteur pétrolier au

Congo est propre au secteur économique dans son ensemble. Comme toutes les

administrations chargées de l'économie congolaise, les hydrocarbures ont pâti des

conséquences de la lente déliquescence de l'Etat sous le régime de Mobutu Sese Seko depuis

les années 70. On peut probablement faire débuter ce phénomène de délitement avec le

lancement de la Zaïrianisation de l'économie au début des années 1970 et la création du Zaïre

(monnaie remplaçant le Franc Congolais) en 1974. Ce choix de nationalisation brutale de

l'économie a entraîné une importante inflation (jusqu'à 1000% en 1994156) ainsi que

l'importation d'une part toujours plus importante de denrées alimentaires couplée avec un

aggravement de l'endettement157. Conséquence : une désorganisation progressive de

l'économie, accélérée par des phénomènes extérieurs comme les deux crises pétrolières de

1973/74 et de 1979/80. Ces derniers ont alourdi considérablement la balance des paiements du

pays -avec parfois quelques répits grâce à la hausse des cours des minerais comme en 1980-

car le Congo n'a quasiment jamais raffiné son propre pétrole (la raffinerie SOZIR de Banana

au Bas-Congo n’a pas tenu bien longtemps et à vite été transformé en cuve de stockage) et a

donc toujours exporté la totalité de son brut et importé dans le même temps tous ses besoins

en hydrocarbures. Entre 1983 et 1986, le Zaïre doit se résoudre à accepter, contraint et forcé,

les plans d'ajustements structurels proposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire

international. Au début des années 1990, la baisse des cours des matières premières -en

particulier du cuivre- due à la crise économique, finit d'achever la décomposition du régime

mobutiste.

L'arrivée au pouvoir de Laurent Désiré Kabila en mai 1997 n’entraine pas de quelconque

réorganisation du secteur économique. Bien au contraire, cela va le déstructurer encore

davantage car le secteur productif (en particulier le secteur minier) est en partie géré par les

156 Theodore Trefon, Van Hoyweghen Saskia and Stefaan Smis, State Failure in the Congo: Perceptions & Realities, Review of African Political Economy, Vol. 29, No. 93/94, (Sep. - Dec., 2002), pp. 379-388. 157 Jusqu'à 9 milliards de dollars en 2000 pour un budget national d'à peine 3 milliards à l'époque.

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puissances frontalières. Le pays perd peu à peu de sa souveraineté et par conséquent des

marges de manœuvre pour se redresser. Le Rwanda et l'Ouganda qui ont activement participé,

à l'aide de leur armée respective, à l'écartement de Mobutu lors de la première guerre du

Congo (1996-97), ont réclamé leur dû en prenant de fait le contrôle de vastes carrières

minières de l'Est (Ituri et province Orientale) pour l'Ouganda, et les deux Kivus vont être de

fait administrés par le Rwanda pendant quelques années. A sa mort en janvier 2001, Laurent

Désiré Kabila laisse la place à son fils Joseph. L'organisation de l'économie ne s’ordonne pas

davantage car nous sommes au beau milieu de la deuxième guerre du Congo qui ne se termine

qu'en 2003. Or, les pays qui aident la famille Kabila durant le conflit (Angola, Zimbabwe,

Namibie, Tchad et Libye indirectement158) vont à nouveau restreindre la souveraineté du pays

en mettant la main pour longtemps sur une partie des minerais du pays. Vis-à-vis de l'Angola,

la dette est encore plus lourde car ce pays est allé jusqu'à envoyer des troupes pour protéger le

candidat à l'élection présidentielle Joseph Kabila en 2006. L'Angola se rétribue toujours

principalement en pétrole situé à l'embouchure du fleuve Congo dans les eaux territoriales

congolaises.

1-1 Le ministère des hydrocarbures, la Cohydro et la présidence

Au sein des différents ministères auquel le pétrole a été rattaché depuis les années 1950, le

nombre des fonctionnaires a évolué. Ce secteur n'occupait qu'un simple bureau jusqu'aux

années 1980, puis il a été traité par une division, enfin cette dernière est devenue dans les

années 1990 une direction des combustibles solides liquides et gazeux. La naissance du

secrétariat général au pétrole n'est arrivée qu'en 1999. Si les hydrocarbures n'ont, par choix

des dirigeants congolais, jamais été au centre du développement économique du pays, y

compris depuis le début de la production dans les années 1970, on peut se demander en quoi

la prise de conscience grâce au puissant premier ministre du pétrole Pierre-Victor Mpoyo en

1998 de l'importance de cette matière première, puis enfin la création en 2007 d'un ministère

pérenne des hydrocarbures, a pu changer la gestion du secteur ?

Il est difficile de trouver des motifs de satisfaction concernant la gouvernance du pétrole

depuis les années 1990. Sur les quelque 185 fonctionnaires qui travaillent en 2011 au

ministère159, seuls quelques dizaines font réellement "tourner" le secteur. Même constat à la

158 La lettre du Continent, n°314, 8 octobre 1998 et Maghreb Confidentiel, n°404, 4 décembre 1999. 159 Conversation avec un cadre du ministère des hydrocarbures, juillet 2011.

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Cohydro, la société nationale pétrolière créée en 1999160. Cette dernière est en charge de

l'importation et la distribution d'une partie des produits pétroliers vendus au Congo

(principalement à Kinshasa, les autres zones étant en partie approvisionnées par

l'intermédiaire des pays frontaliers) et de la part de l'Etat sur les champs pétroliers du pays.

Ses 110 fonctionnaires n'ont pas tous, loin s'en faut, les compétences et les capacités de traiter

les dossiers de façon efficace. Malgré un nombre important de "serviteurs de l'Etat" travaillant

uniquement dans le secteur, soit un total de 300 personnes environ, il manque des

compétences en interne pour négocier d'égale à égale avec les sociétés pétrolières161.

Assez peu de cadres ont été formés à l'étranger162, la plupart du temps, ils ont pu réaliser ce

projet du fait de familles ayant d'importants moyens financiers. Une bonne partie est donc

issue de l'université de Kinshasa, l'Unikin, venant des départements de géologie (où la

spécialisation pétrolière n'est pas bien représentée comparée à celle des mines), d'économie ou

en droit. Après un premier cycle général en géologie, les étudiants choisissent en deuxième

cycle la spécialisation mines ou pétrole. Depuis la rentrée 2010, une nouvelle faculté du

pétrole et du gaz a vu le jour à l'Unikin mais elle n'en est qu'à ses balbutiements. Ce nouveau

diplôme, les sortants seront ingénieurs pétroliers, démontre cependant que la représentation

d'un Congo comme puissance minière unique s'estompe, le secteur pétrolier devient crédible,

du moins à l'Université. De petits instituts totalement privés existent aussi comme l'Institut

congolais du pétrole et du gaz, créé par des cadres du ministère des hydrocarbures. Un projet

du même type mais plus vaste est en cours d'élaboration avec comme objectif d'ouvrir un

campus vers 2014/15.

Le principal pourvoyeur de cadres pétroliers, l'université de Kinshasa, a été créée en 1954 par

les colons belges. Elle a été pendant plusieurs décennies l'une des plus réputées en Afrique

centrale (plusieurs pays comme l'Angola, le Cameroun, ou le Congo-Brazzaville y envoyaient

leurs meilleurs étudiants), elle a cependant décliné au même rythme que l'économie du pays à

partir de la fin des années 1970. Manque de moyen et désaffection des professeurs, désespérés

160 Cohydro n'est pas la première société pétrolière au Congo. Son ancêtre, PetroCongo, a été dissoute le 9 août 1999 avec ses 315 employés (Africa Energy Intelligence, n°404, 22 novembre 2000). Cependant PetroCongo, à la différence de Cohydro, s'occupait uniquement de l'importation de produits pétroliers et non de l'exploration pétrolière qui était encadrée par le ministre de l'énergie ou par le ministère du pétrole en 1999 et hydrocarbures depuis 2002. 161 Remarquons aussi combien les dirigeants de Cohydro font l’objet de choix très politique. Le dernier directeur général de la société, nommé en mai 2012, Ludjwera Birindwa, est un ancien membre influent du rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) à qui le pouvoir a dû trouver un poste. Il n’a aucune compétence en matière de pétrole. Africa Energy Intelligence, n°677, 12 juin 2012. 162 L'un des rares docteurs congolais en géologie pétrolière nous confiait que lorsqu'il passait son doctorat à l'Université Aix-Marseille au début des années 1990, seuls 3 ou 4 compatriotes étaient à l'étranger pour se former dans ce domaine.

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d'attendre sans résultat leur maigre rétribution (quelques centaines de dollars par mois pour

les plus chanceux d'entre eux dans une des villes les plus chères du monde163), et pour les

meilleurs, poussés à embrasser une carrière parallèle de consultant. Certains professeurs, en

particulier en géologie, ont donc créé leur propre cabinet et ont travaillé avec les sociétés

étrangères ou alors ils ont été directement employés par elles. Cela n'est pas davantage

enviable lorsque ces diplômés accèdent enfin à la fonction publique. Les budgets formation

du ministère auxquels toutes les compagnies pétrolières doivent abonder annuellement ne

financent, la plupart du temps, que des séjours de spécialisation de courte durée (lorsqu'ils

sont vraiment utilisés à bon escient). Et, une fois de plus, c'est plutôt les ingénieurs miniers

qui sont favorisés car les opportunités d'emploi dans ce secteur y sont bien plus nombreuses

au Congo. Deux autres universités congolaises forment aux métiers du pétrole : Lubumbashi

dans la province cuprifère du Katanga ainsi que très marginalement Goma (Nord-Kivu).

Lubumbashi a même été jusqu'au milieu des années 1980 (moment à partir duquel Kinshasa

est redevenue la plus grande Université dans ce domaine) l'unique faculté qui formait les

ingénieurs miniers et pétroliers du pays. Cet éclatement avait été un choix opéré à la fin des

années 70 par le président Mobutu Sese Seko. En effet, les différentes spécialités

universitaires étaient à l'époque éclatées dans les différentes provinces, dans un souci

(officiellement) d'aménager le territoire congolais. En réalité, c'était probablement davantage

afin d'éloigner de la capitale politique les professeurs, trop souvent tentés de militer dans

l'opposition du fait de la précarité de leur condition de travail.

Autre défi auquel doit faire face d'administration congolaise: une partie des meilleurs cadres

de la société nationale ainsi que du ministère, quittent la fonction publique pour aller travailler

dans le secteur privé. Il est assez tentant d'aller proposer ses services aux sociétés privées, qui

ont, elles, les moyens d'offrir de meilleures rétributions que dans le secteur public. Pour les

cadres congolais les plus débrouillards, ils peuvent espérer devenir une sorte « d'interface »

entre une société pétrolière étrangère souhaitant s'implanter dans le pays et l'Etat congolais.

Ces cadres congolais aident la société dans les interminables démarches administratives et

peuvent également mettre à disposition leur connaissance des réseaux de pouvoir, essentielle

pour espérer décrocher un contrat ou ne pas être constamment mis sous pression par les

services des impôts (arme souvent utilisée pour obtenir de l’argent). En cas de réussite, ceux- 163 Lors d'un discours visant à démontrer le succès de son mandat prononcé le 14 septembre 2011 dans sa ferme à 70 kilomètres de Kinshasa, Joseph Kabila a évoqué l’augmentation des salaires des professeurs d’universités. D’après lui, leur salaire est passé de 8 $ en 1997 à 200 $ en 1998; puis de 300 $ en 2010 à 500 $ en 2009. Désormais, a-t-il poursuivi, le professeur touche 2.200 $ et sa situation sociale s’est améliorée avec l’acquisition des véhicules. Interrogé par nos soins sur ce discours, plusieurs professeurs ont contesté avec véhémence cet état de fait.

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ci peuvent espérer devenir le représentant de la société étrangère à Kinshasa et suivre les

différentes démarches et réunions. Le labyrinthe des lois, codes et pratiques au Congo suite à

la désorganisation des structures étatiques rend ces cadres, passés par la fonction publique,

indispensables pour les compagnies étrangères souhaitant mener des campagnes d'exploration

au Congo.

Au sein des sociétés en exploration dans la zone du bassin côtier dans la province du Bas

Congo (sud-ouest de Kinshasa), certaines se sont adjointes ces ex-supers fonctionnaires. C'est

d'abord le cas de la société américaine Energulf qui opère le bloc d'exploration de Lotshi. Elle

a successivement recruté comme directeur général adjoint l'ancien conseiller juridique du

ministre des hydrocarbures Lambert Mende Omalanga, l'avocat Jean Muganza (voir encadré

ci-dessous), entre le 2008 et mai 2009.

Jean Muganza est depuis le 13 décembre 2010, le directeur de cabinet du ministre des hydrocarbures

Célestin Mbuyu Kabango. Avant d'être conseiller juridique de Lambert Mende Omalanga de 2007 à

2008 où il a été associé à toutes les négociations avec les pétroliers et avec les Etats (Ouganda et

Angola), il a travaillé au Sénat et à participer à l'élaboration de la constitution de la troisième

république approuvée en février 2006. Il a été pendant plus d'une décennie avocat au barreau de

Bruxelles, ville où il a également effectué la quasi-totalité de ses études. Rencontré à plusieurs

reprises depuis 2008, il semble avoir un réseau d'influence suffisamment dense pour toujours revenir

dans les cercles du pouvoir, il est issu d'une famille d'hommes politiques congolais.

Energulf a ensuite fait appel à Albert Ongendangenda, nommé quant à lui au poste de

directeur général.

Albert Ongendangenda est docteur en géologie de l'université d'Aix-Marseille, Professeur

de l'Université de Kinshasa, il a été, fonction suprême et recherché (même si pas toujours très

opérationnelle), membre de divers collèges de conseillers à la présidence. D'abord en charge

des infrastructures de 2002 à 2007, il a pris les rênes du collège des mines, énergie et

hydrocarbures de 2007 à 2009. Bien introduit du fait notamment de ses précédentes fonctions,

tout comme son prédécesseur Jean Muganza, il a été une prise de choix pour la société

américaine Energulf164.

164 D'autres sociétés sont davantage tentées par d'autres profils d'anciens fonctionnaires, la société britannique Surestream qui explore dans la même zone qu'Energulf a recruté comme directeur général de sa filiale locale, Baudouin Ebeli Popo qui a été un haut cadre à la Banque centrale du Congo ainsi qu'à l’Agence nationale de renseignement (ANR).

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Ces diverses désaffections chez les professeurs et ensuite chez les fonctionnaires pèsent sur

les services de l'Etat qui se retrouvent avec un personnel insuffisamment qualifié. Alors que

de nombreux pays africains producteurs de pétrole (tels que le Congo-Brazzaville, le Gabon,

le Tchad, la Côte d'Ivoire etc...) font régulièrement appel à des cabinets de consultants

étrangers pour suppléer à des lacunes ponctuelles en interne : pour établir des contrats,

négociations spécifiques...le Congo-Kinshasa a tendance à assez peu confier son secteur

pétrolier à des mains de extérieures.

Cependant, l'un des problèmes les plus aigus dans la gestion du pétrole en RDC est

l'interférence quasi permanente des services de la présidence dans la gestion quotidienne du

ministère des hydrocarbures. Le président congolais a à sa disposition plusieurs collèges de

conseillers pour chaque sujet, il y a neuf collèges au total. Les hydrocarbures sont jumelés

avec les mines et l'énergie dans un collège composite, mais chaque secteur possède un

conseiller propre qui est chapeauté par le chef de ce collège tricéphale. Depuis le 30 janvier

2009, le responsable de ce collège est Clément Mubiayi Kashama165 qui est ingénieur minier,

il a comme adjoint aux hydrocarbures Michel Ngoi Kahese166. De plus, le président Joseph

Kabila, tout comme ses prédécesseurs utilisent des conseillers officieux (dont la nomination

n'a pas fait l'objet d'une ordonnance). Ces derniers sont beaucoup plus influents que ceux qui

siègent au collège des mines, énergie et hydrocarbures. Ces personnes représentent quasiment

un cabinet noir ou un gouvernement parallèle. Ce sont des technocrates discrets, qui se sont

formés souvent à l’étranger (bonne pratique des langues étrangères en particulier de l’anglais

pour certain et de la finance), à qui le chef de l'Etat confie des missions particulièrement

délicates et qui les rémunèrent en fonction de leur réussite sur chaque dossier. Ils peuvent être

chargés de dossiers très différents. Nous parlerons de certains d'entre eux qui ont joué un rôle

particulier dans les hydrocarbures mais il a été impossible d'en rencontrer directement, leur

rôle central est cependant attesté par de nombreux témoignages directs (nous les avons

interrogé par personnes interposées). Ce genre d’organisation relativise considérablement la

capacité des ministres à pouvoir agir dans leur domaine. Certains sont influents et ont les

coudées franches (cela dépend de leur caractère et de leur lien avec le président), d'autres sont

165 En avril 2010 Clément Mubiayi Kashama nous a accordé un très long entretien dans son bureau à la présidence à Kinshasa. Cela nous a permis de comprendre les fonctions du collège qu'il dirige mais surtout sa compréhension des enjeux pétroliers. A bien des égards, lui-même avoue être largement court-circuité par les conseillers directs, non nommés, du président Joseph Kabila. 166 Michyel Ngoi Kahese vient de la province cuprifère du Katanga tout comme la famille Kabila. Cette donnée est très importante à prendre en compte pour comprendre la plus grande proximité de Ngoi avec le chef de l'Etat que ce dernier a avec le patron de Kahese au collège des hydrocarbures, Clément Mubiayi Kashema. Mubiayi vient en effet de la province du Kasaï occidental. Nous avons pu nous entretenir avec lui à de nombreuses reprises.

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beaucoup plus corsetés et se contentent d’un rôle symbolique. Cet état de fait conduit à une

politique assez illisible car les acteurs qui sont censés avoir le pouvoir ne l'ont pas forcément.

Cette relative absence de moyen d'action des ministres est encore accentuée lorsque le

ministère titulaire du portefeuille ne communique pas avec la présidence sur des décisions ou

négociations importantes. Parfois, ces dernières années, les deux institutions se sont donc

annulées par manque de communication ou par absence de confiance mutuelle. Ce fossé est

évidemment très différent selon que le ministre des hydrocarbures est proche ou pas du

président Joseph Kabila. Ce dernier étant contraint de sélectionner certains de ses ministres

parmi les multiples partis membres de l'Alliance pour la majorité présidentielle (AMP167).

Enfin, dernier échelon de décision avant d'atteindre le chef de l'Etat, les conseillers qui se

mêlent de tous les domaines et qui ont le pouvoir d'influencer des décisions majeures

particulièrement dans le domaine des mines (très rémunérateur) et du pétrole (depuis qu'ils

réalisent aussi combien les opportunités financières peuvent se révéler alléchantes). Deux

personnes sont identifiées par plusieurs témoignages au ministère des hydrocarbures comme à

la présidence, comme étant essentiel dans le dispositif mis en place par Joseph Kabila depuis

sa prise de fonction. D'abord l'ancien gouverneur du Katanga, Augustin Katumba Mwanke

(voir ci-dessous).

Augustin Katumba Mwanke (né en 1963) a été nommé dans le premier gouvernement de

Joseph Kabila dès le mois d'avril 2001 comme ministre à la présidence. Cela lui permettait

d'avoir prise sur tous les dossiers. Il a été ensuite, à partir de 2004, ambassadeur itinérant pour

le président puis son directeur de cabinet adjoint. Lorsqu'il était gouverneur du Katanga dans

les années 1990, il a été mandaté par Laurent Désiré Kabila pour former le jeune Joseph aux

affaires (principalement liées aux mines). Ce dernier séjournait en effet très souvent à

Lubumbashi après la chute de Mobutu en 1997. Katumba connaissait très bien les affaires

personnels et d'argent de Laurent Désiré car les mines du Katanga ont financé le régime ainsi

que les armées de l'Alliance (Zimbabwe, Angola, Namibie, Tchad). Joseph l'a donc tout de

suite considéré comme son père en affaire. Ingénieur mécanique de formation, Katumba a

longtemps travaillé dans une banque d'investissement en Afrique du Sud. Il est réputé très

167 L'Alliance pour la majorité présidentielle a été créée en 2006 et comprend les partis suivants : Parti de l'alliance nationale pour l'unité (PANU), le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), le Parti Lumumbiste unifié (PALU), d'Antoine Gizenga (premier ministre jusqu'en 2008) et l’Union des démocrates mobutistes (UDEMO) du fils du Président Mobutu, François-Joseph Mobutu Nzanga, l’Alliance pour le renouveau congolais (ARC), l’Union des nationalistes et fédéralistes du Congo (UNAFEC), la Convention des Congolais unis (CCU), le Mouvement social pour le renouveau (MSR).

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155

proche des Angolais, Zimbabwéens et bien sûr Sud-Africains. S'il n'a plus aucune fonction

officielle auprès de Joseph Kabila, il a quitté le secrétariat exécutif de l'Alliance pour la

majorité présidentielle en 2009, il reste toujours député du Katanga ainsi que le principal

conseiller occulte du président. Katumba a eu une fin tragique en mourant dans un accident

d’avion en février 2012 près de Bukavu (Sud-Kivu). Du fait de sa puissance, certaine rumeur

ont couru comme quoi cela aurait été la seule façon pour Kabila de s’en débarrasser.

Si Augustin Katumba a davantage été porté sur les questions minières, il a aussi joué un rôle

central dans les attributions de périmètres pétroliers à des sociétés inconnues dans lesquelles il

aurait des intérêts (Caprikat et Foxwhelp168). Il a une relation quasi paternelle avec le

président et est considéré comme le véritable numéro deux du régime (jusqu’à sa mort). Le

deuxième conseiller très privilégié de Kabila, lui aussi d'abord intéressé par les mines,

principalement le diamant, est l'israélien Dan Gertler (voir ci-dessous).

Dan Gertler est le petit-fils de Moshe Schnitzer, le président de l’Israel Diamond Institute, et

neveu de Shmuel Schnitzer, ancien président de l’Israel Diamond Exchange. Il dirige un

consortium regroupé sous l’appellation Dan Gertler International (DGI). Gertler a fourni à la

fin des années 1990 de l’armement au régime de Laurent Désiré Kabila en échange d’un

quasi-monopole signé en 2000 sur l’exportation de diamant par l’intermédiaire de sa société

International Diamond Industries (IDI). Après la mort de Laurent Désiré Kabila le 16 janvier

2001, le marché sera rompu en 2002 mais Gertler continu à avoir une relation très privilégiée

avec Joseph Kabila, il est l’un des très rares étrangers à avoir notamment été invité au mariage

du président congolais le 16 juin 2006. Dès le mois d’octobre 2003, il obtient avec sa société

Emaxon Finance International l’exportation de 88% de la production congolaise nationale de

la MIBA (la Minière de Bakwanga). Avec la maison mère d’Emaxon, International Group

(DGI) fondée en 1996, Gertler et ses associés comme Chaim Liebovitz contrôlent de

nombreux sites de production de diamants ainsi que les circuits de vente. Outre les mines de

diamants au Congo, DGI travaille en Amérique Latine, en Europe et ailleurs en Afrique.

Le président lui est reconnaissant pour le soutien financier important qu'il a fourni à son père

pendant la deuxième guerre du Congo. Gertler est un acteur minier et bancaire central au

Congo. Mais il n'apparait pas toujours sous son propre nom. Gertler est devenu à lui seul une

galaxie d'investissement à Kinshasa. Il est, lui aussi, mêlé aux affaires liées aux sociétés

Caprikat et Foxwhelp.

168 Sociétés dont nous développerons les ramifications internationales partuclières plus tard dans cette partie.

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Ces deux conseillers occultes, non nommés, et assez jeunes, n'ont pas pu être rencontrés mais

ils sont probablement les seuls depuis le début des années 2000 à avoir les moyens de pousser

Joseph Kabila à signer un contrat. Ils ne sont pas des spécialistes du secteur pétrolier, d'où

probablement la succession de mauvais choix effectuée depuis une décennie dans ce domaine.

1-2 La difficile entrée de la société italienne ENI

Afin de montrer le lien parfois conflictuel entre la présidence et le ministère, le cas de

l'histoire congolaise de la major italienne ENI peut être éclairant. Le ministre congolais des

hydrocarbures lors de cet épisode qui se déroule à l'été 2009 est René Isekemanga Nkeka

(voir ci-dessous).

René Isekemanga Nkeka a été nommé le 27 octobre 2008 comme ministre des

hydrocarbures du Congo, poste qu'il conserve jusqu'en février 2010. Nkeka est député sans

étiquette de la circonscription de Befale dans la province de l'Equateur où il est né en 1951. Il

est très proche de François Nzanga Mobutu, fils du président Mobutu Sese Seko et président

de l'Union des démocrates mobutistes (UDEMO). René Isekemanga Nkeka est en outre le

gendre du général Etienne Nzimbi Ngbale, qui a dirigé la Division spéciale présidentielle

(DSP) chargée entre autres de la sécurité de Mobutu. Cette proximité avec l'élite mobutiste lui

a permis d'occuper de hautes fonctions sous l'ancien régime : administrateur délégué à Petro-

Zaïre (ancêtre de la Cohydro) et président administrateur délégué à la Société zaïro-italienne

de raffinage (Sozir) qui gérait avec des capitaux italiens la petite raffinerie de Muanda. Il a

également siégé au conseil d'administration de compagnies étatiques comme la Gécamines

qui produit du cuivre et du cobalt, ainsi qu'à la Sozacom qui commercialisait les minerais à

l'époque mobutiste. Joseph Kabila a rapidement après avoir pris le pouvoir, passé un accord

avec les mobutistes pour les inclure dans son régime. Ces personnes représentent encore une

partie non négligeable de cadres et une importante "force de frappe" pour les élections.

Isekemanga est également un acteur de la distribution de produits pétroliers au Congo par

l'intermédiaire de barges qu'il possède pour approvisionner sa région natale. Il a perdu son

siège lors des élections législatives de 2012.

Isekemenga a reçu une première délégation de l’ENI en juillet. Le ministre s'est rendu avec

les cadres italiens dans la zone du bassin de la Cuvette centrale qui s'étend sur 750 000 km²

dans le nord-ouest du pays où de nombreux suintements de brut ont été décelés. Le ministre

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157

connait bien cette zone puisqu'il était à l’époque élu de la province de l'Equateur. Les

discussions après la visite se sont achevées par un accord de coopération paraphé par le

ministre. Cet accord permettait au groupe italien d'avoir accès aux données géologiques

disponibles de la région, de les compiler et les étudier afin d'en apprécier le potentiel. Pour

officialiser l'accord, le Président directeur général de cette société, Paolo Scaroni avait prévu

de se rendre à Kinshasa le 12 août 2009. Sauf que ce partenariat, annoncé par l’ENI avant

l'arrivée au Congo de son PDG et repris par toute la presse financière internationale, n’a en

réalité jamais été signé. Alors qu'une salle avait été réservée au Grand Hôtel de Kinshasa pour

la cérémonie, les conseillers du chef de l’Etat Joseph Kabila ont annulé l’événement deux

heures seulement avant la signature.

Par cette décision, la présidence congolaise a ainsi voulu manifester son « déplaisir » d’avoir

été tenue à l’écart des négociations, menées pour l’essentiel par le ministre des hydrocarbures

René Isekemanga169. Ce dernier, proche des Italiens avec lesquels il a travaillé depuis les

années 1980 dans l'importation de produits pétroliers, n'avait en effet pas jugé utile de

prévenir les conseillers de la présidence avant la veille de la cérémonie de signature. Si ces

conseillers ont certainement été irrités par le comportement d’Isekemanga, ce dernier n'a

certainement pas eu non plus l'appui du président Kabila "derrière le dos" des conseillers.

Isekemanga n'a en effet jamais eu de très bonnes relations avec le chef de l'Etat qu'il n'a

quasiment jamais réussi à voir en tête à tête durant son court passage à ce ministère entre

octobre 2008 et février 2010. Ce manque d'intimité entre un ministre et Joseph Kabila peut

justifier à lui seul l'échec d'un projet. Cela n'est pas le fait de court-circuiter le collège des

hydrocarbures qui pose le plus de problème, même si cela peut aussi entrainer des longueurs.

Ce dernier est la plupart du temps consulter pour des avis techniques mais pas tout le temps

pour les projets les plus stratégiques. Isekemanga a donc payé son manque de connivence

avec Kabila et a pu mesurer la nécessité absolue de le mettre au courant par l'intermédiaire

des conseillers occultes ou d'autres canaux plus traditionnels.

Craignant que cet épisode avec le ministre des hydrocarbures n’éloigne à jamais une major de

la Cuvette centrale, la présidence congolaise a essayé au lendemain de ce fiasco de renouer un

lien avec ENI170. Plusieurs émissaires du président ont dès la fin de l'année 2009, été chargés

de reprendre contact avec la société italienne à Milan. Une lettre d'invitation a même été

envoyée en janvier 2010 par la présidence congolaise pour inviter Paolo Scaroni à se rendre à

169 Discussions privées avec le responsable du collège des hydrocarbures, mines et énergie, avril 2010. 170 Africa Energy Intelligence, n°610, 28 juillet 2009.

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Kinshasa171. Après de multiples problèmes d'agenda de part et d'autre, une délégation

italienne a finalement été envoyée début mars 2010. Cependant, ENI attendra le 16 septembre

2010 pour signer un accord lui permettant de rentrer au Congo sur le bloc côtier de Ndunda

(beaucoup moins prospectif que la Cuvette centrale) aux côtés de la junior britannique

Surestream. Pour éviter une nouvelle déconvenue, ENI a donc préféré négocier directement

avec une société déjà présente dans le pays172.

Ce manque de coordination des différents acteurs du secteur pétrolier donne une très

mauvaise image du Congo aux investisseurs. Cela est encore plus problématique lorsque cela

concerne de gros investisseurs comme ENI. Le comportement du ministre Isekemanga peut

cependant se comprendre aisément. Isekemanga, a un fort ancrage local, important pour

Kabila dans l'hypothèse d'un soutien lors de prochains scrutins mais il n'est pas proche du

président, comme on l'a vu. Certains ministres, dans le même cas que celui des hydrocarbures,

essayent donc au maximum de s'autonomiser et parfois de faire des coups, susceptibles de

leur ramener au plus vite de l'argent. Ils ont conscience d'être en permanence sur un siège

éjectable et que ce genre de poste ministériel ne leur sera peut-être pas attribué à nouveau

avant plusieurs années. Ils en profitent donc au plus vite. C'est l'une des raisons pour

lesquelles l'économie congolaise, ainsi que d'autres secteurs, souffrent d'un manque de

continuité des décisions. Ce comportement témoigne d'une absence d'Etat car ces ministres

n'agissent pas pour le bien public, mais bien davantage pour leur propre compte. On peut

aussi déplorer cet état de fait dans l'armée congolaise, normalement premier creuset de la

transmission de l'idée de nation à condition d'une réelle diversité et mixité des soldats (en

terme religieux, ethnique et géographique). L'armée congolaise ou Forces armées de la

République Démocratique du Congo (FARDC) est un "patchwork" où se côtoient les

combattants des différentes milices ralliées, à grand frais, à l'armée nationale. Cependant,

l'assimilation n'a pas eu lieu car les milices subsistent et leurs combattants n'ont jamais été

séparés173.

171 Africa Energy Intelligence, n°622, 17 février 2010. 172 Fort de leur meilleure connaissance des réseaux congolais, les dirigeants d'ENI tentent depuis avril 2011 d'obtenir pas moins de sept nouveaux blocs couvrant quasiment tous les bassins sédimentaires du pays, il s'agit des 15-16-17 de la Cuvette centrale, les 1-2-3 au nord du lac Tanganyika et le bloc 4 du Graben Albertine (Africa Energy Intelligence, n°650, 20 avril 2011). Nous y reviendrons plus en détail dans le courant de cette partie. 173 Cas du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkuda soutenu jusqu'en 2009 par le Rwanda. Le CNDP a négocié son intégration dans l'armée nationale en janvier 2009 mais ses quelque 6000 combattants n'ont pas été mélangés, seule façon de réussir un brassage efficace.

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1-3 La production et l'exploration au Bas-Congo

Avant de commencer à décrire les différentes zones d'exploration partagées ou non avec les

autres pays frontaliers, cœur de notre problématique, il nous semble essentiel de commencer à

décrire les zones déjà en production ou depuis longtemps en exploration au Congo. Le bassin

sédimentaire dit de la zone côtière (voir carte ci-dessous) est actuellement le seul en

République démocratique du Congo où des périmètres sont effectivement en production. La

totalité des puits se situent à l’extrême-Est de la province du Bas Congo (proche de la petite

ville de Muanda).

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Carte n°19 : Production pétrolière onshore et offshore en RDC

Source : Perenco

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161

Le bassin côtier comprend comme on le voit sur la carte, une partie onshore (trois blocs) et

offshore (un bloc). Cette zone produit depuis les années 1970 quelques milliers de barils par

jour, actuellement 25 000. Depuis 35 ans, 315 millions de barils ont ainsi été extraits174. C’est

la société franco-britannique Perenco qui opère175 par l'intermédiaire de contrats de

concession les blocs onshore et offshore de cette zone176.

Perenco, le pilier du secteur pétrolier au Congo

Perenco est rentré au Congo-Kinshasa en octobre 2000 après avoir racheté les participations

de Total Fina Elf sur les trois permis onshore où se trouve les champs de Tschiende,

Liawenda, Kinkasi, Makelekese et Muanda (voir carte précédente). Désormais elle possède

93,18% de ces périmètres onshore aux côtés de la société nationale congolaise Cohydro. La

société a poursuivi ses investissements au Congo-Kinshasa en rachetant en juillet 2004 la

majorité soit 50% des parts des champs offshore détenus par Muanda International Oil

Company (filiale de Chevron). Perenco opère donc depuis lors ce bloc offshore où se trouve

notamment les champs de Mibale, Motoba, Tshiala. Sur ce périmètre, elle est en partenariat

avec la société japonaise Teikoku Oil Company (32%) et ODS qui regroupe les américains de

Chevron et Unocal (17,72%). Au total, les permis onshore et offshore et leur quelque deux

cents puits produisent actuellement entre 25 et 28 000 bpj.

Perenco est une société familiale d’origine française. Son fondateur, Hubert Perrodo (voir

portrait ci-dessous) a commencé ses activités en 1974 en louant des bateaux, il s'est ensuite

lancé dans la location d’appareils de forage à Hong-Kong. Il faut attendre 1985 pour qu'il

rentre définitivement dans l'exploration pétrolière.

Hubert Perrodo est un self-made man, il n'a pas fait d'études particulièrement poussées. Il a

mis assez volontiers en avant cet aspect de sa vie. Il a commencé sa carrière au sein de la

société pétrolière américaine Gulf Oil au début des années 1960. Revenu en France une

dizaine d'année plus tard, il travaille dans des sociétés de services pétroliers comme Forex,

une filiale de Schlumberger, puis à Comex. Il se lance enfin sa propre affaire avec Perenco

aidé par ses amis de Total. Il est réputé avoir été proche d'André Tarallo, le monsieur Afrique

d'Elf. A la mort d'Hubert Perrodo dans un accident de randonnée en décembre 2006, c'est son

fils François qui prend les rênes de la société dont les sièges sont à Londres et Paris. Outre 174 Selon le site internet du groupe : http://www.perenco-drc.com/about-us/permit-area.html. 175 Les opérateurs de blocs pétroliers sont les sociétés qui ont la maîtrise opérationnelle du travail d’exploration/production. Ces sociétés ont la plupart du temps la plus grande participation sur un bloc. 176 Les concessions courent jusqu'en 2023 pour l'offshore et 2021 pour l'onshore. Ces temps longs sont absolument courants dans l'industrie pétrolière dans le cas de contrat de concession.

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l'Afrique qui est son principal cœur de cible, Perenco est également active en Amérique

Latine, Mer du Nord, Océanie et Europe orientale (Turquie).

La proximité d'Hubert Perrodo avec le directeur général d’Elf Albin Chalandon (1977-1983),

va considérablement aider la société dans ses premières années. Elf a ainsi cédé plusieurs

champs africains matures (en voie d'épuisement) à Perenco, en particulier au Gabon, et dans

les deux Congo177. Grâce à Elf, la petite société française est par exemple devenue très vite, le

deuxième producteur du Gabon après Total à la fin des années 1990. La proximité avec Elf

(devenue ensuite Total en 2003) ne s’arrête pas là car son directeur général de 2001 à 2007,

Jean-François Gavalda, est aussi l’ancien directeur Afrique d’Elf.

Perenco s’est peu à peu fait une spécialité de reprendre des champs matures. Son but est de

redynamiser une production déclinante178 grâce à des procédés chimiques et techniques pour

accroître le pourcentage de liquide récupéré (taux de récupération). Ces champs ne sont plus

intéressants pour les majors qui ont des frais de structure très importants et qui ont besoin de

développer de gros projets avec des productions dynamiques. En revanche, pour Perenco, ces

champs peuvent rester tout à fait rentables. La société familiale estime que sur la partie

offshore de ses champs congolais, les 9/10 des réserves ont déjà été extraites, quant à la partie

onshore, le ratio est de 2/3179. Les périmètres congolais déjà anciens et vieillissants ne

devraient donc pas avoir une durée de vie excédant une quinzaine d’années.

Perenco a un rôle essentiel au Congo et veut le faire savoir. Il met en effet en avant le fait

d'être le premier payeur de taxes dans ce pays sur son site internet180. Le ministre des

hydrocarbures Lambert Mende Omalanga devant l’Assemblée nationale le 13 juin 2008

déclarait que Perenco avait payé quelque 311 millions de dollars au trésor pour la seule année

2007181. Ces sommes transférées au trésor représentent chaque année les impôts et les

royalties, soit les obligations financières contenues dans les contrats182. Perenco met aussi des

177 Un signe que cette tradition de bonnes ententes entre les deux sociétés françaises perdure encore de nos jours, Total a cédé le 10 novembre 2010 la totalité de ses actifs pétroliers camerounais (Total E&P Cameroun) à Perenco. Cela est loin d'être négligeable car ces actifs représentaient quelque 50 000 bpj de production. Elf était présente dans le pays depuis 1976. Africa Energy Intelligence, n°640, 24 novembre 2010. 178 L’industrie pétrolière utilise l’expression « taux de récupération » pour parler du pourcentage de pétrole brut qu’il est possible d’extraire avec une technique donnée. Ce taux est en moyenne de 30% dans le monde, mais plusieurs programmes de recherches des majors pétrolières comme Total estiment qu’il sera possible d’atteindre 50% grâce à de nouvelles techniques comme l’utilisation de polymères. Cela doublerait quasiment les réserves d’un champ. 179 Site d’internet de la société dédié à la RDC : http://www.perenco-drc.com/fr/qui-nous-sommes.html. 180 http://www.perenco-drc.com/about-us/permit-area.html. 181 Source : http://africatime.com/rdc/nouvelle.asp?no_nouvelle=407340&no_categorie=. 182 Les différentes taxes pour les blocs en production et en exploration sont fixées par l'ordonnance loi du 2 avril 1981. Si un nouveau code minier a été mis en place le 11 juillet 2002, celui portant sur les hydrocarbures n'a

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moyens pour s'attirer la bienveillance des populations locales. Nos conversations avec les

cadres de Perenco au Congo depuis 2008 nous ont permis de déterminer que la société

dépense annuellement quelque 500 000 dollars pour des actions locales. Une somme de 210

000 dollars est gérée par un comité de consultation composé de plusieurs notables locaux et

dirigé par l'administrateur du territoire de Muanda (actuellement Guillaume Ngongo). Perenco

et le comité de consultation décident ensemble de l'utilisation des fonds. Les 390 000 dollars

restants sont directement administrés par Perenco pour financer ce que la société appelle « les

cinq chantiers » : infrastructures, accès à l'eau, électricité, santé, emploi. La société finance

d'autres projets d'envergure qui peuvent s'avérer encore plus importants comme la réfection de

la piste de l'aéroport de Muanda qui a couté 3,8 millions de dollars et dont Perenco a pris à sa

charge 2,5 millions de dollars en mai 2009183. Perenco est l'un des principaux usagers de la

piste mais cela peut aussi profiter au commerce local ainsi qu'à l'armée congolaise. La société

a depuis son arrivée dans la commune de Muanda, un rôle central. Le site wikipedia de cette

ville, qui est la seule grande agglomération côtière du Congo avec quelque 70 000 habitants,

fait d'ailleurs l'éloge des aides apportées par le pétrolier. Grâce à lui : un mégawatt

d'électricité est disponible, l'éclairage public a été installé, la réhabilitation de la principale

avenue du commerce a été faite. De plus, l'ONG Bunkete qui ramasse les ordures est soutenue

par Perenco. Enfin, depuis 2001, la société pétrolière gère une bibliothèque de près de 10 000

ouvrages et une école. En somme, Perenco a réussi à se façonner une image de société

paternaliste dans un lieu auparavant très pauvre. Le site participatif ne mentionne pas une

seule réalisation qui n'ait été soutenue par elle184. L'internaute en quête d'informations sur

cette agglomération va donc être confronté à la représentation que Perenco est un formidable

mécène. Or, cela est loin d'être aussi simple.

Ses actions n'empêchent en effet pas la société d'être accusée, depuis plusieurs années, de

polluer les sols et les côtes. Ces allégations sont relayées par certains députés nationaux

d’opposition élus de la province du Bas Congo. Les deux chefs de file: Jean-Claude Vuemba

et Rufin Mpaka du Bureau politique du Mouvement du peuple congolais pour la République

toujours pas été ratifié. Ce dernier préparé et discuté du 11 au 13 août 2008 par des experts internationaux de cabinets privées et d’organismes para étatiques (Banque mondiale etc…) est déjà passé en première lecture au Sénat et au parlement en 2009. Il prévoit notamment une codification de ce que les contrats de partage de production actuel prévoient. Outre la généralisation des contrats de partage de production et la disparition des contrats de concession, le projet de loi stipule que l'Etat devienne propriétaire de 30% de la production par l'intermédiaire de la Cohydro. Une agence nationale pétrolière serait aussi créée pour attribuer les blocs et s'occuper des questions environnementales. Cela évitera un conflit manifeste Enfin, 40% (pourcentage susceptible d’être diminué) des revenus pétroliers pourraient être rétrocédés aux provinces. 183 Le président Joseph Kabila a personnellement lancé le début des travaux en mai 2009. 184 http://fr.wikipedia.org/wiki/Moanda_(R%C3%A9publique_d%C3%A9mocratique_du_Congo).

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(MPCR), accusent notamment Perenco de ne pas tout le temps brancher la torchère, laissant

ainsi s’échapper du gaz associé185, mais aussi de déverser à grande échelle du brut dans

l’océan. Ces députés congolais se plaignent en outre des pollutions dans les villages de

Kinkazi, Mibale et Lyawenda. Vuemba s'insurge enfin du manque de coopération de la

compagnie avec les locaux, et l'accuse de faire de l'obstruction aux contrôles de l'Etat186.

Vuemba utilise la presse et interpelle régulièrement le gouvernement au parlement à

Kinshasa. Le député peut aussi facilement "surfer" sur une croyance répandue au sein des

populations locales qui est aussi perceptible également à Kinshasa (y compris au ministère

des hydrocarbures) que Perenco cache les véritables volumes de sa production187. Après de

multiples conversations avec des cadres congolais de Perenco, il semble fort improbable que

cette information soit exacte. En effet, les salariés locaux du groupe sont pour la plupart très

nationalistes. La société ne pourrait pas embrigader facilement les dizaines de personnes ayant

accès aux données afin de tromper l'Etat central. Ses salariés se ferraient un plaisir de

répercuter l'information aux autorités locales, trop contentes de mater une multinationale

(même si cette dernière est généreuse).

Pour les questions de pollution qui peuvent survenir de temps en temps, Mpaka a même voulu

lancer une procédure judiciaire contre Perenco à Paris. Le député congolais a rencontré le 31

mars 2010 le sénateur de Paris du parti des Verts Jean Desassard qui lui a recommandé de

contacter le directeur des affaires internationales du parti des Verts Patrick Farbiaz188. Aucune

plainte n’a cependant officiellement été déposée. Perenco se défend en privé189 et critique

Vuemba et son collègue. La société pétrolière soutient que la seule motivation recherchée par

Vuemba dans l'enclenchement de ce processus est de fédérer derrière lui la population locale

et d’accéder au plus vite à de plus hautes fonctions, comme celle de gouverneur de la province

du Bas-Congo.

185 Le torchage du gaz associé consiste à brûler les volumes de gaz extraits concomitamment au pétrole. Les champs pétroliers ont un volume de gaz plus ou moins important piégé dans le réservoir. Si la quantité de gaz ne justifie pas la création d’un réseau gazier alimentant des terminaux de liquéfaction ou des zones de consommation proches, le gaz est brulé. C’est le cas en RDC mais aussi en Angola, Nigeria (en partie), Gabon, Congo-Brazzaville, etc. Perenco a lancé des études depuis trois ans pour la récupération de ce gaz associé. La RDC pourrait bientôt autoriser la création d’une usine de traitement du gaz près de Muanda. 186 Selon le quotidien Congolais : La Prospérité, 4 mars 2010. 187 Entretien avec certains cadres du ministère des hydrocarbures de 2008 à 2012. 188 Africa Energy Intelligence, n°627, 28 avril 2010. 189 Entretien avec plusieurs cadres de la société en avril 2010.

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165

Pour se défendre au niveau local, Perenco n’a pas vraiment une politique de communication

très efficace. Depuis l'arrivée de la société, c'est la congolaise Yvonne Mbala190,

officiellement en charge des relations avec le Gouvernement et les administrations publiques

qui fait office de responsable communication du groupe et lien avec la presse. C'est seulement

au début 2010 que Perenco a consenti à recruter un responsable des relations publiques pour

ses activités au Congo. La société a cependant opérer un choix singulier. Ce nouveau

communiquant est en effet le propre fils du gouverneur de la province du Bas-Congo Simon

Mbatshi Batshia (en poste jusqu’en 2012), Blaise Mbatschi. En plus de cette désignation, pas

nécessairement motivée pour les qualités intrinsèques de Blaise Mbatschi pour la

communication et la connaissance du secteur pétrolier191, ce dernier ne peut apparemment pas

correctement mener à bien son travail, il n'a manifestement aucune latitude pour répondre aux

critiques des députés, populations et journalistes (plusieurs de nos tentatives se sont avérées

infructueuses). Perenco n'a très probablement pas eu le choix dans cette embauche, même si

évidemment elle s'en défend. Toutes les décisions de communiquer (ou plutôt de ne pas le

faire) viennent des sièges londonien et parisien de Perenco. Les dirigeants de la société

préfèrent le plus souvent ne pas démentir et laisser courir les rumeurs. Yvonne Mbala est donc

souvent contrainte de revenir au front face aux médias locaux.

Outre ses problèmes avec certains hommes politiques locaux, Perenco a également des

relations difficiles avec ses propres salariés congolais. Ayant obtenu de très bons résultats

financiers en 2010, les travailleurs du groupe ont demandé en janvier 2011 une hausse de leur

salaire à la direction. Le directeur général de Perenco RDC, Eric Iwochewitsch (parti en

2012), a refusé de répondre favorablement à l'ultimatum des salariés, qui expirait le 1er février

2011. Ces derniers réclamaient la hausse immédiate des revenus les plus bas192. Constatant

l'absence de dialogue, les ouvriers ont été jusqu'à stopper la production onshore dès la fin de

l'ultimatum le 1er février, puis celle de l'offshore le lendemain le 2 février. Perenco a donc

perdu quelque 5 000 barils le premier jour, et près de 15 000 le deuxième jour. C'est la

190 Yvonne Mbala travaillait déjà au service de Fina au début des années 1990 avant que Perenco rachète la totalité des actifs de la société belge. Diplômée en économie de l'Université de Bruxelles, madame Mbala est la fille de l'ancien ministre des mines du Congo Célestin Mbala Mbabu (gouvernement de 1977). Ce dernier qui a également été le président de l'Assemblée provinciale du Kasaï Oriental entre 1982 et 1989, a d'ailleurs été l'un des premiers à donner les permis d'exploration pétrolière dans la zone de Muanda. 191 Rencontré en avril 2010 à Kinshasa, Blaise Mbatschi semblait tétanisé devant les questions et très peu au fait des problèmes que la société traversait. Mbatschi a obtenu au début 2012 une « promotion », il est désormais à l’audit interne de Perenco. Il a aussi profité de son amitié avec le fils de l’ancien ministre de l’environnement José Endundo, Christian, pour le faire entrer à Perenco comme chef de projet. Le groupe franco-britannique a aussi fait le choix de remplacer Mbatschi à la communication par l’ex-rédacteur en chef de Digital Congo, organe de presse contrôlé par Janet Kabila (sœur du président). Africa Energy Intelligence, n°676, 30 mai 2012. 192 Africa Energy Intelligence, n°645, 9 février 2011.

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166

première fois depuis l'arrivée de la société dans le pays que la production est totalement mise

à l'arrêt, c'est également une démarche assez rare dans l'industrie pétrolière en Afrique. Seul le

Gabon pratique régulièrement ce type de méthode assez extrême de revendication193. La

détermination des salariés congolais a cependant été payante. Le directeur général de Perenco

RDC a concédé, le samedi 5 février, un mois de salaire de compensation représentant un peu

plus d'un million de dollars au total. Les salariés ont décidé de se partager la somme

équitablement, empochant 500 $ chacun. Le siège de Perenco a également accepté un

alignement des salaires des sous-traitants sur celui des salariés directs ainsi qu'une hausse de

25% de toutes les rémunérations. La société française donnant des gages de bonne volonté dès

le 3 février, la production a peu à peu repris.

La filiale congolaise de Perenco tourne en effet avec deux types de contrats. Un peu plus de

200 personnes travaillent directement pour le groupe et perçoivent des salaires plus élevés

(proches de ceux des autres travailleurs du groupe dans les autres filiales). Mais la plupart des

employés, soit plus de 2 000 personnes, ont des contrats de sous-traitants, et sont, à ce titre,

moins bien rémunérés. Ce sont surtout ces derniers qui ont mené le mouvement contre la

Perenco pour demander des revalorisations. Grâce à l'alignement des statuts et à la hausse des

salaires, le revenu mensuel le plus faible est ainsi passé de 170 à 425 $. Quant aux cadres avec

des primes d'ancienneté, leur salaire est passé de 2280 à 3250 $.

Ce dossier a été politiquement très sensible. Les élus locaux sont conscients que Perenco

représente une "pépite" pour la région mais aussi pour l'Etat central. En dehors du rôle

financier de la société dans les secteurs sociaux pour lesquels elle s'est engagée, elle est aussi

un important employeur de main d'œuvre occasionnelle, en plus des salariés pérennisés. C'est

donc le poumon de la ville de Muanda et même de la province du Bas-Congo, cette dernière

étant centrale pour Kinshasa du fait de ses infrastructures portuaires (port de Matadi qui

approvisionne en produits de consommation courante une grande partie de l'ouest du Congo).

Dans cet épisode de février 2011, c'est donc le ministre provincial du travail du Bas-Congo,

Modero Nsimba, qui a été chargé de renouer le dialogue entre les salariés et Perenco. Le

193 C'est le cas des salariés de Shell au Gabon qui ont mené une grève dure de douze jours en mars 2008, celle-ci a paralysé près de 60 000 bpj de production. C'est finalement le président gabonais Omar Bongo qui a du intervenir pour y mettre fin (Africa Energy Intelligence, n°579, 16 avril 2008). Un autre épisode similaire s'est déroulé en mars/avril 2011 où le principal syndicat du pétrole l'Organisation nationale des employés du pétrole (ONEP) a fait stopper la production pour réclamer davantage de Gabonais dans l'industrie pétrolière nationale. L'ONEP est très puissante car le Gabon a déjà le plus fort taux de nationaux dans l'industrie pétrolière soit plus de 5600 sur quelque 8000 personnes (Africa Energy intelligence, n°637, 13 octobre 2010 et n°650, 20 avril 2011).

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167

gouverneur Simon Mbatshi Batshia a préféré ne pas trop s'impliquer du fait de la position de

son fils Blaise Mbatshi. Ce dernier s'est d'ailleurs fait très discret pendant les événements.

Afin de bien comprendre le lien très fort entre l'Etat congolais et Perenco, le siège de la

société se situe à l'intérieur même de la base militaire de Muanda, Pour la sécurité de ses

installations, Perenco utilise la compagnie congolaise de sécurité privée Escokin. Si la plupart

des dirigeants des sociétés pétrolières étrangères se plaignent de l'Etat congolais dès qu'ils se

sentent en confiance, Perenco fait preuve d'une communication curieusement différente vis-à-

vis des autorités. Rencontré lors d'un long entretien à Kinshasa en avril 2008, l'un des

directeurs de Perenco RDC (de nationalité française) ne retrouve rien à dire au travail du

ministre en charge des hydrocarbures, à l'époque Lambert Mende Omalanga. Il nous déclare

même avoir de très bonnes relations avec l'Etat en général. Communication contrôlée, même

en privée ? Ou alors, résultat d'une réelle mansuétude des services de l'Etat, habituellement

coutumiers de créer de nombreuses "misères" administratives à toutes sociétés prospérant au

Congo, pour la poule aux œufs d'or du pétrole congolais ? Probablement un peu des deux.

Cependant, le ministère des finances sait ce qu'il doit à Perenco.

Outre la production dans la province du Bas-Congo, Perenco s'intéresse également à plusieurs

autres projets comme l'exploration proche du lac Tanganyika. Elle tente aussi de développer

depuis 2007 avec la société minière Forrest Group International, un autre projet de centrale

électrique au gaz194. En effet, malgré l'utilisation d'une partie du gaz associé au pétrole dans la

centrale électrique alimentant les installations de Perenco ainsi que la ville de Muanda, une

bonne partie est tout simplement brûlée.

194 Africa Energy Intelligence, n°632, 14 juin 2010.

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168

L'exploration au Bas-Congo

Hormis les blocs en production opérés par Perenco, cinq autres permis sont en exploration

dans la province du Bas-Congo (voir carte précédente), de loin la mieux radiographiée du

pays. La zone a d'abord été explorée par Fina depuis les années 1970 puis par Conoco au

début des années 1990. Ces dernières ont rapidement abandonné la partie. Kinshasa a ensuite

attribué en 1999 au groupe polonais Kings and Kings, un immense périmètre (plusieurs

dizaines de milliers de km²) sur ce bassin côtier jouxtant le Cabinda angolais. L'importance de

cette zone à explorer a été rendue possible grâce à l’entregent de l’un des associés de la

société, Marian Piaszczynski, qui n'était autre que l'ancien chargé d'affaires de l'ambassade de

Pologne à Kinshasa. Kings and Kings n'ayant rien fait sur ce permis, sa licence lui a été

retirée en septembre 2005 pour cause de non-respect du contrat. Ce périmètre à la grande

superficie, à nouveau propriété de l'Etat, a été ensuite divisé en cinq. Trois petites sociétés

acquièrent ces blocs entre 2005 et 2008.

-Energulf Resources

Le premier bloc issu de ce nouveau découpage est remporté en novembre 2005 par la société

américaine Energulf Resources. Ce périmètre baptisé Lotschi a une superficie de 575 km². Le

directeur général d'Energulf est l’américain Jeff Greenblum qui a travaillé auparavant au

Département de l’Energie et du Commerce sous la présidence de George Walker Bush.

Greenblum est secondé sur place par le directeur général de la filiale congolaise Energulf

RDC qui est depuis juin 2009 le géologue Albert Ongendangenda (personne dont on a déjà

parlé plus tôt). Malgré l'entregent de ce dernier qui a été conseiller à la présidence entre 2002

et 2009, le décret présidentiel de Joseph Kabila, indispensable pour commencer l'exploration

n’est signé qu'en mars 2008, soit deux ans et demi après avoir obtenu l'accord de principe.

Cela peut s'expliquer en partie car les années 2005 et 2006 font partie de la période de

transition (régime particulier de partage de pouvoir) pendant laquelle il a été très difficile pour

les investisseurs d'obtenir des marchés qui engagent le pays pour plusieurs années. De plus, à

la formation du premier gouvernement d'après élection, en février 2007, boucler les dossiers

signés par l'ancienne mandature n'a pas été (loin de là) la priorité du nouveau ministre des

hydrocarbures Lambert Mende Omalanga. Ce dernier a même tout fait pour ralentir un

processus qu'il n'avait pas initié et donc pas contrôlé. Enfin, circonstance aggravante, lors d'un

séjour au siège de la société au Texas en 2006, certains cadres du ministère des mines ont

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169

émis des doutes sur le sérieux d'Energulf, en particulier sur le volet financier. Cela a eu

comme effet, de considérablement ralentir le processus.

Energulf s'est intéressé à cette zone car Lotschi se situe à proximité du bloc de Cabinda South

(Angola) opéré par la société argentine Pluspetrol. Or plusieurs forages ont été effectués sur

ce dernier avec des résultats assez encourageants. Après avoir fait effectuer par la société

Geophysical Institute of Israel195 une campagne de sismique 2D entre juillet et septembre

2010, Energulf doit forer plusieurs puits fin 2012196. Les Américains contrôlant ce permis à

90% aux côtés de la société congolaise Cohydro (10%), ils vont probablement devoir trouver

d'autres investisseurs pour partager les frais de cette campagne de forage. Energulf n'a pas le

profil financier idoine pour lever suffisamment de fonds pour s'en sortir seul. Greenblum est

peut être qualifié d’"aventurier du pétrole". Outre le Congo-Kinshasa, il est aussi présent en

Namibie sur le bloc 1711. La raison de sa réussite au Congo est, outre son choix de directeur

de sa filiale congolaise, son conseiller spécial pour les affaires africaines. En effet, ce dernier

est Andimba Toivo Ya Toivo, ex-ministre namibien (entre 1990 et 1999) en charge des mines

et de l'énergie. Toivo a ensuite été ministre du travail et des services pénitenciers jusqu'en

2004. Sa casquette la plus intéressante pour Greenblum est peut être celle d'ancien secrétaire

général du parti qui s'est battu pour l'indépendance de la Namibie en 1990, la Swapo (West

Africa People's Organization). Toivo est un héros de la guerre d'indépendance contre les

colons sud-africains du régime d'apartheid. Il a passé 18 ans en prison à Rubben Island en

Afrique du Sud avec Nelson Mandela. Sachant que la Namibie a aidé militairement le Congo

pendant la deuxième guerre (1998-2003) face à l'Ouganda et le Rwanda, le passé de ce

Namibien a certainement pesé pour finalement faire plier Joseph Kabila et qu'il signe le

décret.

-Soco International

La britannique Soco International Plc est une des autres sociétés présentent sur la zone du

bassin côtier197. Soco obtient un contrat de partage de production pour le bloc de Nganzi du

ministre de l'énergie de l'époque en 2006 mais elle va avoir devoir attendre, tout comme

Energulf, le mois de mars 2008 pour son décret présidentiel. Cette société possède désormais

65% de Nganzi aux côtés des Japonais d’Inpex Corporation (par l’intermédiaire de leur filiale

195 Qui a également précédemment travaillé au Cabinda Angolais. 196 Selon le site internet de la firme américaine consulté en juin 2012, une plateforme de forage a déjà été réservée. 197 Soco est aussi présente sur le bloc 5 du graben Albertine, qui jouxte le lac Edouard et a aussi fait une demande pour des blocs dans la Cuvette centrale.

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170

Teikoku) et de Cohydro (15%). Soco a déjà effectué sur Nganzi une campagne sismique 2D

en 2008 et a foré un premier puits en juillet 2010 dans la petite localité de Kipholo. Soco

évoque des réserves qui pourraient atteindre quelque 500 millions de barils198 car ce permis

aurait des "thèmes géologiques" identiques au champ de M’Boundi199 dans l'onshore du

Congo-Brazzaville. Elle opère aussi dans l’offshore du Congo-Brazzaville sur les blocs de

Marine XI et Marine XIV et a également une participation minoritaire (17%) sur celui de

Cabinda North dans l’onshore angolais jouxtant Nganzi. La campagne de sismique sur

Cabinda North a été différée du fait des incidents survenus en mars 2010, pendant lesquels

des militants pour l’indépendance du Cabinda ont tué plusieurs joueurs de l’équipe togolaise

de football alors qu'il se rendait à la Coupe d’Afrique des Nations. Le président du Conseil

d'administration de Soco est le portugais Rui de Sousa200. En juin 2009, Soco a accueilli un

éminent administrateur en la personne d'Antonio Monteiro, un ancien ministre des affaires

étrangères du Portugal qui a également été ambassadeur du Portugal, en RDC et en Angola.

La filiale congolaise Soco Exploration & Production DRC sprl est dirigée par le français

Serge Lescaut201.

Malgré le puissant conseil d'administration de la société, elle n'a pas pu accélérer le processus

du décret présidentiel, lui faisant perdre deux ans. Soco est cependant la seule société présente

dans cette zone qui a pu obtenir un autre permis à l'est du pays. En juin 2010, le président

Joseph Kabila lui a accordé un décret présidentiel concernant le bloc 5 proche du lac Edouard.

-Surestream Petroleum

La dernière société présente sur la zone du bassin côtier a eu considérablement moins de

difficulté à obtenir ce qu'elle voulait grâce à des réseaux d'intermédiaires efficaces. La

compagnie franco-britannique Surestream créée en septembre 2004, possède désormais trois

des cinq blocs d’exploration de cette zone202. Surestream fait la demande pour ces blocs de

Yema, Metamba-Makanzi et Ndunda le 16 novembre 2005. Contrairement à Energulf et

198 Sources : 2009 Preliminary Results Presentation. www.socointernational.co.uk. 199 M’Boundi est actuellement un des plus gros champs du Congo-Brazzaville. Il est opéré par les italiens d’ENI et produit actuellement 40 000 bpj et pourrait bientôt doubler ce débit grâce à un nouveau procédé d’injection d’eau dans le réservoir. Source : Africa Energy Intelligence, n°626, 14 avril 2010. 200 Rui de Sousa préside le conseil d'administration de Soco depuis 1999, il est aussi administrateur de Quantic (basée à Monaco) qui contrôle à 70% GazpromBank, dirigée par le Libanais Samy Maroun. Quantic possède 30% de Soco. L'un des autres administrateurs de Soco est le français Olivier Barbaroux qui a notamment dirigé la Compagnie Générale des Eaux et le pôle énergie de BNP Paribas. 201 Serge Lescaut a notamment été dans les années 1990 au conseil d’administration du fonds d’investissement britannique Westmount Energy Ltd. 202 Surestream a également deux blocs dans la zone du lac Tanganyika au Burundi ainsi que deux blocs aux abords du lac Malawi dans le pays éponyme.

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171

Soco, elle n'aura pas à attendre longtemps pour obtenir son décret présidentiel puisque ce

dernier est signé dès le 2 février 2006. C'est la seule société pétrolière ayant conclu un accord

d'exploration avec le gouvernement de transition qui obtiendra l'aval du chef de l'Etat quasi-

immédiatement. Cette spécificité peut pourtant s'expliquer grâce à son réseau local et

international. Le conseil d’administration de Surestream est en effet dirigé par l’ancien

premier ministre sénégalais Moustapha Niasse203. Ce dernier a d'abord l’avantage d’avoir une

bonne connaissance du secteur pétrolier, il a créé sa propre société de trading pétrolier

(International Trading Oil Corporation). Mais surtout, il connait très bien la région de

l’Afrique des Grands Lacs où opère Surestream pour y avoir été de 1999 à 2004 (au plus fort

de la guerre) l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies Kofi Annan.

Auparavant il suivait également le dossier en tant que ministre des affaires étrangères du

Sénégal de 1993 à 1998. Niasse a été assez proche du président Joseph Kabila, ce dernier

l'aurait même considéré comme une sorte de conseiller à la mort de Laurent Désiré Kabila en

janvier 2001204. Il a aussi été l'un des invités du mariage de Kabila en juin 2006. Cette relation

semble ne plus être aussi forte depuis quelques années pour des différends. L'un des autres

administrateurs fondateurs de Surestream est le canadien Stéphane Rigny, vice-président de

MagIndustries205 et ancien responsable des projets pétroliers au sein de la Rand Merchant

Bank (Afrique du sud). Le directeur exécutif de la Surestream est l'homme d'affaires français

Pierre Achach, basé à Paris, ce dernier est principalement le financer du groupe. Son directeur

général est le géologue Christopher Pitman qui a l'immense et rare avantage dans cette

profession, d'avoir mené des études géologiques au Congo dans les années 70. Quant au

directeur général de la filiale congolaise de Surestream RDC Sarl, Baudouin Ebeli Popo (voir

ci-dessous).

203 Moustapha Niasse a été également plusieurs fois ministre sous Léopold Sédar Senghor. Niasse s’est présenté à l’avant dernière élection présidentielle du Sénégal en février 2007 où il a remporté 5,9% des suffrages face à Abdoulaye Wade. Il a récidivé en 2012 où il a obtenu 13% et s’est rallié dernière le futur président Macky Sall. 204 Conversations privées avec des cadres du secteur pétrolier. 205 MagEnergy, la filiale énergie de la multinationale canadienne MagIndustries a notamment eu des contrats de réhabilitation des générateurs du barrage d'Inga I et II, financé par la Banque mondiale. Le vice-président de MagIndustries, Stéphane Rigny, est très bien introduit dans les deux Congo où il travaille à la fin des années 1990, il a cependant quitté ses fonctions au conseil d'administration de Surestream en décembre 2010. Il a été remplacé par Ahmed Khelif, un ex directeur de l'exploration de la société nationale algérienne Sonatrach. Ce dernier est au conseil d'administration de nombreuses sociétés présentes en Afrique comme Niger Delta exploration and production Plc (Nigeria) ou Petrolin dont le PDG Samuel Dossou vend la quasi-totalité du brut gabonais qui revient à l'Etat.

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172

Baudouin Ebeli Popo est un ancien cadre de la Banque centrale congolaise et de l'Agence

national de renseignement (ANR). Ebeli Popo est donc parfaitement introduit et sait

parfaitement vers quelle personne se tourner pour obtenir un contrat. Il a dès le départ été l'un

des intermédiaires de Surestream, société pour laquelle il a contribué activement à obtenir le

décret présidentiel. Ebeli Popo est également actif dans de nombreux domaines où il joue le

rôle de facilitateur pour les investisseurs étrangers. Il a aussi des activités dans les médias au

Congo, il possède en effet la chaîne de télévision BRT-Africa, la station de radio BR-FM et le

magazine Business Times.

En 2008, Surestream a cédé 42% des blocs de Yema et Metamba-Makanzi à la filiale

exploration du trader pétrolier suisse Glencore (qui a également des participations minières en

RDC), la société nationale congolaise Cohydro a également des parts tout comme

International Business Oil Sprl, société personnelle de Baudouin Ebeli Popo. Surestream reste

cependant opérateur de ces deux périmètres avec 43%. Sur Ndunda, la société a cédé 55% de

ses parts à la major italienne ENI au mois d’août 2010206. Surestream conserve 30% du bloc

aux côtés de Cohydro (8%) et d’International Business Oil Sprl (7%). Une campagne de

sismique 2D a été effectuée en 2009 sur Ndunda. Pour les deux autres blocs, cette opération

s’est déroulée en 2008. Un forage a été effectué sur Yema à la fin 2010.

Les cinq blocs en exploration dans la zone de bassin côtier sont encore loin de pouvoir

prendre le relais des permis de Perenco. Les résultats des premiers forages de Soco et

Surestream n'ont pas encore montré de potentiel de découverte commerciale. Si les forages de

2010 ont uniquement donnés des indications sur le potentiel de ce bassin côtier, il nécessite

d’autres puits. En cas de découvertes commerciales avec ses nouveaux forages, la production

ne pourra pas débuter avant plusieurs années.

On le voit bien, dans l'ensemble, les compagnies pétrolières présentes sur ce bassin sont loin

d'être des majors. Elles tentent chacune de mettre en valeur des blocs en faisant quelques

menus travaux, en espérant intéresser un plus gros investisseur. Surestream a réussi à faire

venir ENI, mais comme on l'a vu avec l'affaire Isekemanga, cette stratégie est davantage pour

les Italiens un premier pas au Congo plutôt qu'un réel intérêt pour la zone du bassin côtier. La

société négocie depuis 2009 pour le bassin de la Cuvette centrale ainsi que d'autres plus à l'Est

du pays. L’intérêt ici est de voir de quelle personnes ces sociétés s’entourent afin d’obtenir ce

qu’elles ont besoin. Tout est une question de réseau.

206Sources :http://www.surestream-petroleum.com/node/169.

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173

Les impôts et obligations des sociétés en exploration

Toutes les sociétés pétrolières qui ont signé un contrat de partage de production avec l’Etat

congolais pour les blocs du Bas-Congo payent des impôts identiques. Elles doivent d'abord

s'acquitter chaque année de la taxe « superficiaire » qui représente 2 dollars par kilomètre

carré. Cette somme quasiment indolore pour les sociétés, elle peut représenter quelque 1000

dollars par an, devrait être considérablement réévaluée dans le prochain code des

hydrocarbures congolais, en discussion depuis 2008 au parlement et sénat congolais (en 2012,

il n’est toujours pas approuvé). Actuellement, le code sur lequel l'Etat se base date de 1981.

Ce dernier était de plus à l'époque calqué sur celui régissant les mines. Le potentiel du pays a

changé aussi en trente ans et il est plus que nécessaire que les compagnies s'acquittent de

taxes comparables avec ce qui se fait dans les Etats pétroliers voisins207. Plusieurs moutures

du nouveau code ont également circulé dans les services du ministère des hydrocarbures

depuis 2009 et une fois de plus, la philosophie minière prime. C'est une des raisons pour

lesquelles l'adoption de ce texte traine en longueur.

Les sociétés en exploration doivent aussi s’acquitter d’une taxe pour la formation des cadres

congolais, elle est de 150 000 dollars par contrat et par an. Elles sont contraintes également de

donner annuellement 100 000 dollars pour la constitution de la banque de données

géologiques et enfin 100 000 dollars pour la prospection de la Cuvette centrale (bassin situé

dans la forêt équatoriale entre les deux Congo et la République Centrafricaine). Les sociétés

doivent aussi financer des œuvres sociales (comme des hôpitaux ou des écoles etc…) pour

100 000 dollars. En résumé, les sociétés en exploration doivent s'acquitter d'à peu près 500

000 dollars par an de taxes diverses au trésor ainsi qu'en direction des communautés locales.

Pour la réalisation de projet avec les populations, les sociétés pétrolières constituent la plupart

du temps un comité de concertation avec les chefs de villages et autres membres de la société

civile (voir le cas de Perenco) et ces derniers se mettent d'accord avec les pétroliers sur

l'utilisation de l'argent. Si certains projets voient bien le jour, une partie d'entre eux sont

entravés suite à un gaspille des fonds et une interférence des chefs locaux et pouvoirs

provinciaux.

207 Une revue de toutes les législations et code pétroliers a été lancée en décembre 2010 par l'Association des pays producteurs de pétrole africains (APPA). Cette dernière dont le siège est à Brazzaville regroupe 14 des 16 producteurs de pétrole en Afrique depuis sa création en 1986. Les cabinets Gide Loyrette et Macleod Dixon sont chargés de mener cette revue qui devrait se terminer en 2012 (selon des conversations avec les avocats en charge du processus). Son but est d’éviter aux pays membres de trop grandes disparités entre les législations pétrolières. Cela aussi pourrait favoriser les meilleures pratiques. Malgré l'APPA, les pays pétroliers africains se parlent très peu, et ce même parfois entre deux Etats frontaliers (cas typique de la Mauritanie, Mali, Niger et Tchad). C'est principalement le Nigeria, l'Angola, le Gabon et la Guinée équatoriale qui financent cette revue.

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Ces sommes qui représentent une partie significative du budget de fonctionnement du

ministère des hydrocarbures, sont cependant très rarement utilisées pour leur but premier.

Plusieurs des sociétés pétrolières ont d'ailleurs monté en mai 2009 le Groupement des

explorateurs et producteurs pétroliers208 (GEPP) pour parler d’une seule et même voix à ce

sujet. Le GEPP comprend notamment toutes les sociétés dont on a déjà parlées: Perenco,

Soco, Energulf, Surestream. Le GEPP a notamment fait pression sur l'Etat pour que les

redevances soient effectivement employées pour leur but premier et non détournées. Le

syndicat est né à la suite d'une demande particulière du ministre des hydrocarbures René

Isekemanga Nkeka à la fin janvier 2009. Ce dernier voulait que les différentes redevances

soient effectuées sur un compte privé à la BIAC209 (Banque internationale pour l'Afrique au

Congo) et non plus directement au trésor Congolais. Si cette demande n'est pas illégale, le

contrôle de l'argent échappe au Trésor congolais.

Les contrats d’exploration au Congo sont valables cinq ans et sont renouvelables trois fois. A

la fin de chaque période d’exploration, soit une fois tous les cinq ans, la société s’engage à

rendre 50% de la superficie du permis à l’Etat. Le Congo est ensuite libre d'organiser un

nouvel appel d'offres pour réattribuer ces zones rendues. Cela n'a pas encore eu lieu depuis

l'attribution des nouveaux blocs depuis 2006 dans cette région du Bas-Congo.

1-4 L'exploration dans le bassin de la Cuvette centrale

Le bassin de la Cuvette Centrale210 est une zone très étendue : près de 800 000 km². En

République démocratique du Congo, le bassin commence au sud à la périphérie de la Ville-

Province de Kinshasa jusqu’au Nord de la Province Orientale en passant par l’Equateur, le

Bandundu, le Kasaï Oriental, le Kasaï Occidental et le Maniema avec une continuité

sédimentaire en République du Congo-Brazzaville, en République centrafricaine et même au

Soudan du Sud (voir carte 20 sur le découpage des blocs de la Cuvette centrale en RDC)

Au total, on estime la zone de sédiment potentiellement riche en pétrole à quelque 1,4 million

km². Ce bassin pétrolier est situé dans la zone de la forêt équatoriale et ce de fait, il fait l'objet

de beaucoup d'attention car avec l'Amazonie brésilienne, c'est l'un des deux poumons de la

planète.

208 Africa Energy Intelligence, n°605, 27 mai 2009. 209 Documents consultés par nos soins. 210 Ce terme de cuvette centrale représentait également autrefois le nom d'une des 22 provinces créées en 1962 par le premier président congolais Joseph Kasa-Vubu. Elle couvrait peu ou prou la province actuelle de l'Equateur qui a pour chef-lieu Mbandaka, fief de l'ancien ministre des hydrocarbures, René Isekemanga Nkeka.

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L'enjeu environnemental au Congo en général et dans la cuvette centrale en particulier

La République démocratique du Congo a une très forte proportion de son territoire occupée

par la forêt, soit 1,5 million de km² sur les 2,3 millions de superficie totale du pays.

Cependant entre 2000 et 2010, le phénomène de déforestation y a été un des plus rapides au

monde avec une destruction de l'ordre de 350 000 hectares chaque année211. Le bassin

géologique de la cuvette centrale, qui représente plus de 50% de la surface de la forêt

équatoriale, se trouve à ce titre au centre de l'attention des bailleurs de fonds bilatéraux et

multilatéraux. En effet, les thèmes de la lutte contre le réchauffement climatique et le

déboisement212 ont été au cœur de la conférence de Copenhague du 7 au 18 décembre 2009.

Moment clé dans la prise de conscience des pays industrialisés et en développement que la

question environnementale doit être traitée en profondeur et dans l'urgence. Copenhague a

permis d'obtenir un accord de principe sur l'importance à accorder aux mesures visant à

réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de la déforestation et de la dégradation

de la forêt en général. Cependant, aucun chiffre ni restriction particulière n'ont été mentionnés

lors de ce sommet, considéré comme très décevant par les participants écologistes et plusieurs

puissances comme la France.

Depuis lors, le gouvernement français a voulu jouer un rôle moteur pour pousser un

mécanisme de compensations financières en direction des pays pauvres; principalement

africains, en échange d'un arrêt ou d'une décélération du déboisement de la forêt équatoriale,

dans lequel le bassin de la cuvette centrale se situe. Ce procédé s'intitule REDD pour

Ressources pour le développement durable. A ce titre, le président français Nicolas Sarkozy a

commandé le 9 février 2010 un rapport sur ce thème au député Jacques Le Guen de l'Union

pour une majorité populaire (UMP) dont les conclusions, ont été rendues en octobre 2010. Ce

rapport a été lancé dans le sillage d'une conférence internationale sur la déforestation qui a

lieu à Paris le 10 mars 2010 avec notamment en invité de marque le président gabonais Ali

Bongo et comme co-président de séance Jean-Louis Borloo et le ministre de l'environnement

de la République démocratique du Congo José Endundo Bononge. Nicolas Sarkozy a tenté à

de nombreuses reprises de gagner en popularité auprès des décideurs de la région grâce à cette

initiative, il en a d'ailleurs longuement parlé devant le parlement et sénat congolais lors d'un

211 Radio Okapi (financée au Congo par l’ONU), 25 juillet 2011. 212 200 000 hectares de forêt équatoriale sont détruits chaque année. Majoritairement ces opérations se situent en Amazonie brésilienne.

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176

voyage en mars 2009 à Kinshasa. Nicolas Sarkozy a fait de Libreville au Gabon sa tête de

pont du projet lié aux problèmes d'environnement et de déforestation. Il y a fait installer une

station satellitaire d'observation de 9 millions d'euros213. Alors que c'est bien au Congo-

Kinshasa que les besoins seraient les plus importants, les relations "singulières" entre la

France et son ancienne colonie le Gabon ont donc à nouveau beaucoup joué en faveur de cette

dernière. Cela démontre bien que ce projet, très vigoureusement soutenu par le président

Français a bien davantage une vocation politique que réellement opérationnelle.

Le procédé REDD (ressources pour le développement durable) a été formellement adopté lors

de la conférence de Cancun du 29 novembre au 10 décembre 2010. Il devrait permettre

rapidement de mettre en place des financements pour les pays qui luttent au mieux contre la

déforestation. La RDC devrait être impliquée dans ce dispositif qui va cependant contre

l'intérêt des futurs pétroliers de la zone. Car cette exploration impliquera la création de routes

et de zones de forages qui immanquablement entrainera une importante déforestation. Les

moyens de circulation ainsi réalisés pourront aussi faciliter le travail des sociétés de bois qui

contribueront davantage à accélérer la déforestation.

La Banque mondiale devrait par contre débourser quelque 60 millions de dollars de don entre

2011 et 2013 pour lutter contre la déforestation en RDC par l'intermédiaire d'un programme

sobrement intitulé Programme d'investissement pour la forêt214. Cependant, les zones aidées

par ce programme au Congo ne seront pas principalement localisées dans la zone de la

Cuvette centrale mais davantage proches des grandes villes du pays comme Kinshasa, Mbuji

Mayi (province du Kasaï orientale). Seule la ville de Kisangani située dans la province

orientale (faisant partie de la Cuvette centrale) sera aidée par ce mécanisme Banque mondiale.

En effet, au Congo, c'est principalement à proximité des grandes villes que la déforestation

s'opère. Elle sert en priorité à chauffer les aliments et construire les habitations.

La République démocratique du Congo est un pays vaste, 2,3 millions km², avec une densité

de population faible (70 millions d'habitants). Or, l'incroyable difficulté de se mouvoir et de

vivre dans la forêt équatoriale dans ce pays a conduit à ce que la population dans cette zone y

soit très faible. La densité de population n'est donc pas un réel enjeu dans le cadre de futures

explorations pétrolières. L'absence quasi-totale d'infrastructures routières, dont les rares se

213 La lettre du Continent, n°583, 4 mars 2010. 214 Voir le document relatif à ce projet publié sur le site internet du ministère de l'environnement congolais. http://www.mecnt.cd/.

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sont dégradées petit à petit sous l'ère Mobutu, ainsi que l'Etat des ponts sur les multiples bras

du fleuve Congo a rendu la région de la Cuvette centrale, s'étendant sur plus de six provinces,

très difficilement praticable. Cette absence de moyen de communication et de transport peut

être analysée comme une "chance" pour la nature. En effet, en dehors des villes côtières du

fleuve comme Mbandaka ou sur les côtes de ses rivières, accessibles par bateau, le seul

moyen d'atteindre les zones plus septentrionales de la forêt reste l'avion. Ce manque cruel de

route représente bien la raison essentielle pour laquelle les sociétés pétrolières n'ont jamais été

très loin dans leur exploration. Par conséquent, ce n'est actuellement pas pour des questions

liées à l'environnement, comme les menaces liées à la déforestation ou les très nombreux

animaux sauvages (éléphants, antilopes etc...) de la cuvette centrale que les pétroliers sont

encore actuellement timides sur cette zone. La RDC, sous pression de la communauté

internationale a d'ailleurs adopté en 2005 un moratoire sur l'attribution de nouvelles

concessions forestières. Sur les quelque 156 licences déjà octroyés auparavant, seules 80 ont

été confirmées en 2011215. Cette baisse pourrait faire penser que le pays est résolument tourné

vers une gestion durable de ses forêts. Pas vraiment. Le problème reste toujours le même pour

les industriels, ils ne viennent pas en masse au Congo pour des difficultés liées à l'exportation

de leurs agrumes. Le fleuve Congo est ensablée par endroit et il est très difficile pour eux

d'atteindre le port de Matadi en barge (Bas-Congo) et encore moins d’aller au-delà. Si ces

problèmes logistiques étaient réglés, le même phénomène de pillage constaté dans les mines

au Kivu (Est) ou au Katanga (Sud) se produirait probablement pour le bois. L'absence d'Etat

serait alors exploitée par les investisseurs. Le problème rencontré par les industriels pour

l'acheminement des grumes par le fleuve Congo pourrait être pallié en principe dans le cas du

pétrole en cas de construction d'un oléoduc partant de la zone d'exploitation jusqu'au port de

Matadi. Mais d'ici là, il faudrait après des repérages par avion (Airmag) acheminer le matériel

de sismique puis celui de forage et aussi, trouver du pétrole. Or ce processus demande des

machines et camions qui ne peuvent pas toute voyager par avion (ou avec un surcoût très

important).

La question environnementale est encore très peu prise en compte à Kinshasa. En dépit de la

création d'un poste de ministre de l'environnement dès 1991 avec Tharcisse Loseke

Nembalemba dans le gouvernement d'Etienne Tshisekedi216, ce portefeuille n'a jamais

215 Nous ne minimisons pas ici l’importance des sociétés opérant sans licence avec le soutien d’élus locaux, voire même de ceux de Kinshasa. 216 Etienne Tshisekedi né en 1932, a été au début de sa carrière politique l’un des proches de Mobutu de l'indépendance en 1960 jusqu'en 1980. Il a occupé les fonctions de ministre de l'intérieur et il a rédigé (il est docteur en droit) les statuts du Mouvement populaire pour la révolution (Parti Unique du Maréchal). En 1980, il n'obtient pas le poste de chef l'Assemblée nationale et rentre dans l'opposition au président en créant son parti

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vraiment pesé au sein de l'administration congolaise. Il a d'ailleurs souvent été associé au

tourisme et attribué à des personnalités politiques de second rang. Les ministres des mines ou

celui des hydrocarbures ont toujours eu un poids plus important que celui de l'environnement

dans la prise de décision d'exploiter ou non une zone à l'écosystème fragile. Le ministre de

l'environnement et du tourisme nommée en octobre 2008 José Endundo Bononge est issu de

la région de l'Equateur qui est séparée du Congo-Brazzaville par le fleuve Congo. Cette

province englobe la Cuvette centrale. Alors qu'il est à ce poste donné souvent à des "seconds

couteaux" Endundo est considéré comme un ministre de poids au sein du gouvernement

congolais, il représente en effet une région clé pour Kabila, c'est l'ancien ministre des

hydrocarbures René Isekemnaga Nkeka qui était avant la personne clé du gouvernement pour

cette région de l'Equateur. Hors d’Endundo, l'autre ministre issu cette région qui pèse dans ce

gouvernement est Jeannine Mabunda qui est en charge du portefeuille (qui a trait à la gestion

des sociétés publiques du pays).

Alors qu'aucune exploration majeure n'a eu lieu depuis plus d'une décennie dans la Cuvette

centrale, il est possible, à l'aide de l'étude d'un exemple dans la région du Kivu, de présager du

poids du ministre de l'environnement face à son collègue des hydrocarbures217. Pour revenir à

la zone de la Cuvette centrale, si son exploration et exploitation va poser d'importants défis

logistiques, la question environnementale sera traitée en fonction de la force de l'Etat au

moment des découvertes. Si celui-ci est toujours aussi faible qu'aujourd'hui, l'exploitation

devrait commencer sans trop d'encombre pour les pétroliers, si l'Etat est plus fort, il négociera

des conditions plus draconiennes de respect de l'environnement et d'abandon des puits218,

mais il ne sera jamais question d'abandonner des potentielles réserves pétrolières, sources de

centaines de millions de dollars pour l'Etat. L'étude de l'exploration dans la zone du Kivu,

proche du Parc des Virunga est depuis 2010 un test important pour évaluer l'importance de

l'environnement face au secteur des matières premières219.

Union pour la Démocratie et le progrès social (UPDS). Mobutu est contraint de lui confier le poste de premier ministre en 1991, après que la communauté internationale ait imposé une certaine ouverture du régime. Il n'a jamais exercé une quelconque fonction officielle depuis le début de l'ère Kabila. Il a été candidat lors des élections présidentielles en novembre 2011. 217 Cet exemple sera développé dans la partie consacrée à la zone du Graben Albertine. 218 Lorsque la production de pétrole se termine, des budgets sont normalement prévus dès la signature du contrat d'exploitation pour remettre en état la zone impactée par l'exploitation. 219 L’Equateur est le premier pays à avoir essayé de faire payer la communauté internationale en échange d’un arrêt de l’exploitation d’une zone pétrolière se trouvant dans une zone protégée. Cela a été un échec car très peu d’argent a été récolté. Voir à ce sujet Le Monde Diplomatique, juin 2012.

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L'historique de l'exploration de la Cuvette centrale

La Cuvette centrale congolaise est d'une façon générale très sous explorée par les pétroliers,

seuls quatre forages y ont été effectués, dont un seul a mis à jour la présence de pétrole220. Et

pourtant, son intérêt géologique a été connu dès la période de colonisation par des ingénieurs

belges qui ont mené des travaux de recherche. Ils ont découvert des suintements et des

structures intéressantes mais en l'absence de forage, aucune donnée précise n'a pu être

analysée. Ensuite, dans les années 1970, les sociétés américaines Esso et Amoco ont fait des

études sismiques ainsi que deux forages qui se sont avérés décevants. Mais compte tenu du

gigantisme du bassin sédimentaire, ces forages n’ont pas grande valeur aujourd’hui. Ensuite,

la société japonaise Japan National Oil Corporation a également réalisé quelques petites

études géologiques dans la zone de Kisangani (province orientale au Nord) mais sans résultat

probant. Dans les années 1980, la Banque mondiale a financé pour six millions de dollars des

études effectuées par Petrozaïre (ancêtre de Cohydro) en particulier dans la province du

Bandundu. Plusieurs sites de suintements de brut léger avaient alors été mis en évidence dans

cette province à Bumu et Sia dans le territoire de Bagata, à Tolo et Bombayi dans celui de

Kutu, ainsi qu'à Ibangakole et Isoko dans celui d'Oshwe221. Mais cela n’avait pas permis de

cartographier la zone ni de la découper en blocs d’exploration. A la fin 2005, des cadres du

ministère des hydrocarbures congolais se sont rendus au musée Tervuren en Belgique222 pour

étudier toutes les données géologiques disponibles afin de préparer ce travail cartographique

qui permettrait d’offrir à de nouvelles sociétés l'opportunité d'explorer la zone.

Afin de préparer au mieux ce travail titanesque, du fait de la superficie et la difficulté d'accès

de la zone, plusieurs sociétés de géologues spécialisées dans la mise en valeur de bassin ont

été contactées par le ministère de l'énergie de transition. En juillet 2005, c'est la société

américaine Fusion Petroleum Technologies qui s'est montrée la plus intéressée223. Elle a

cependant très rapidement abandonné le contrat. Et pourtant, le projet était peu risqué pour le

Congo-Kinshasa car le programme de récolte des données et leur mise en valeur par Fusion

220 Document de la Compagnie minière du Congolaise SPRL préparé par le groupe brésilien HRT. Disponible à cette adresse : http://bamanisajean.unblog.fr/files/2009/02/comicocuvettecentrale.pdf. 221 Africa Energy Intelligence, n°541, 20 septembre 2006. 222 Le Musée de Tervuren situé à quelques kilomètres de Bruxelles, conserve un grand nombre d'archives sur la période coloniale belge (Congo, Rwanda, Burundi). Plusieurs chercheurs de différentes disciplines (géologie, histoire, géographes...) étudient cette région. Nous nous y sommes rendus en 2008 et avons pu constater sur les problèmes de frontière coloniale leur connaissance très précieuse. 223 Un contrat a tout de même été signé en juillet 2005 entre l'un des conseillers de la Cohydro, le nigérian Onyema K. Anazonwu et l'un des vice-président de l'époque, Abdoulaye Yérodia Ndombasi, accompagné du ministre de l'énergie en charge des hydrocarbures Pierre Muzyumba.

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180

aurait été financée en partie par les compagnies pétrolières intéressées par la Cuvette centrale,

en échange de quoi, ces sociétés auraient eu un accès privilégié aux blocs pétroliers dont le

découpage était prévu à l'époque en 2009.

Constatant l'échec de cette première tentative, une autre société a été contactée pour faire ce

travail de mise en valeur. C'est la brésilienne High Resolution Technology Petroleum (HRT)

qui remporte le 30 janvier 2008 un contrat avec le gouvernement congolais. HRT est à

l'époque une société de consultants en géologie, créée en 2004 par l’ex directeur des systèmes

pétroliers de la société pétrolière nationale brésilienne Petrobras224 Marcio Rocha Mello ainsi

que son ex-directeur exploration production Antonio Agostini. Le Congo-Kinshasa, fier de la

présence d'une équipe d'ingénieurs pétroliers parmi les plus qualifiés au monde, octroie à

HRT plusieurs étages du bâtiment de la société nationale Cohydro. Elle y créée même un

laboratoire afin d'étudier les échantillons d’hydrocarbures. A peine six mois plus tard, du 11

au 13 août 2008, un congrès pétrolier est organisé à Kinshasa en partenariat avec HRT pour

faire la promotion de la Cuvette centrale. La société brésilienne n'a pas eu le temps de faire de

nouveaux prélèvements mais elle a étudié la documentation disponible et a tentée de proposer

un découpage cohérent en 21 blocs. La carte qu'HRT dessine est utilisée jusqu'en 2011 par les

cadres du ministère pour faire la promotion de la Cuvette centrale. Le 9 février 2012, un arrêté

du ministre des hydrocarbures Celestin Mbuyu Kabango décide cependant de découper le

bassin en 35 blocs. Il aurait été décidé que les blocs ne devaient pas excéder 25 000 km². Pour

faire la promotion de ce bassin, les cadres du ministère présente dès 2012 la carte 20 ci-

dessous :

224 Petrobras est la plus grosse société d'Amérique Latine (au regard de son chiffre d'affaires) ainsi que l'une des 15 plus importantes sociétés pétrolières du monde. En 2011, elle a un capital de 237 milliards de dollars. En octobre 2010, elle a obtenu le record historique de levée de fonds en récoltant quelque 127 milliards de dollars auprès des investisseurs privés. Grâce à un budget conséquent en recherche-développement, la société est réputée comme étant l'une des meilleurs au monde dans l'exploration et la production en offshore profond et très profond. Petrobras produit déjà plus de 2 millions de barils par jour soit davantage que la major française Total (1,8). A partir de 2006, Petrobras va encore asseoir davantage son statut de super compagnie en faisant des découvertes considérables dans l'offshore brésilien dans le bassin de Santos. Un grand nombre de champs (Tupie, Guara, Jupiter...) de plusieurs milliards de barils de réserve chacun sont mis à jour. Petrobras appartient à 33% à l'Etat du Brésil mais ce dernier possède 55% des droits de vote, il a donc la capacité de mettre son veto à toute décision venant des actionnaires privés. L'année 2006 est également celle qui va couronner la stratégie de Petrobras de permettre au Brésil de devenir autosuffisant en pétrole.

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Carte n°20 : Blocs congolais de la Cuvette centrale

Source : Ministère congolais des Hydrocarbures.

Cependant dès le début 2009, HRT décide de lancer une activité d’exploration-production :

HRT Oil&Gas. Après avoir obtenu 21 blocs d’exploration au Brésil en juin 2009, elle devient

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en mai 2010 opératrice des blocs 2813A, 2814 B et 2814 A dans l'offshore namibien. Ce

choix stratégique s'explique car les côtes brésiliennes ont des similitudes géologiques avec

celles du golfe de Guinée (au sens large, de la Namibie jusqu'à la Mauritanie). En particulier

concernant les couches de sel, en dessous desquelles ont été découverts de très importants

champs aux larges des côtes brésiliennes. La Namibie a ce type de géologie très proche du

Brésil. Cette diversification de HRT ne profite cependant pas au Congo. La société

brésilienne part dès 2009, après un an de contrat, en faisant valoir (selon différentes versions

entendues au ministère des hydrocarbures) que la crise économique l’empêche de continuer

ses activités (ce qui sera démenti avec les acquisitions de blocs quelques mois après) ou alors

qu'elle a des différends avec son partenaire congolais, la Compagnie minière congolaise SA

(Comico). Le contrat qu'elle avait signé avec Kinshasa n'était que pour un an, donc elle n'a

pas eu à le casser, mais il est vrai qu'elle n'a pas souhaité le renouveler.

Depuis le départ d'HRT, le gouvernement congolais cherche à faire revenir la société

brésilienne afin de poursuivre le travail de mise en valeur du potentiel de ce bassin capital. Le

directeur de cabinet adjoint chargé des questions économiques du président congolais Joseph

Kabila, Henri Yav Mulang (voir ci-dessous), a envoyé à la fin du mois d'août 2010 une lettre

au directeur général d'HRT l’invitant à venir au Congo-Kinshasa.

Henri Yav Mulang (56 ans) est un des membres influents du cabinet du chef de l'Etat depuis

sa nomination comme directeur de cabinet adjoint le 30 janvier 2009. D'origine katangaise

(Lubumbashi) tout comme le président, il était depuis 2006, l'administrateur général délégué

de la puissante Fédération des entrepreneurs congolais (FEC). Yav a également été directeur

des études à la fédération des chambres de commerce des Etats d'Afrique centrale et conseiller

technique au Gatt (ex-organisation mondiale du Commerce) à Libreville puis Genève. Source

: Jeune Afrique, 12 mai 2010.

Le ministère des hydrocarbures souhaiterait que HRT, continue de recueillir des données

géologiques sur la Cuvette centrale. Kinshasa n'ayant pas les moyens de payer HRT, un

accord d'intéressement pourrait être envisagé : lorsque Kinshasa lancerait un appel d’offres

sur ce bassin, le groupe brésilien se verrait accorder un pourcentage des bonus de signature.

Le directeur général de la société brésilienne HRT, Marcio Mello, avait été annoncé le 28

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novembre à Kinshasa mais il n'est finalement pas venu225. Mello auquel nous avons pu parler

a semblé peu intéressé par la RDC, trop compliqué et avec des problèmes géographiques

(manque d’infrastructures) et politiques, trop importants.

Certaines sociétés pétrolières se sont intéressées à l'exploration de la Cuvette centrale en se

basant sur le découpage réalisé par HRT, mais n’ont pas persisté ou n’ont pas obtenu un

décret présidentiel. Joseph Kabila a également demandé dès 2008 à son ministre des

hydrocarbures Lambert Mende Omalanga de ne plus délivrer de contrat sur cette zone avant

d'avoir rehaussé substantiellement le montant du bonus de signature qui était toujours à

l'époque de 500 000 dollars par bloc226.

La société Comico a signé début 2008 un protocole d'accord pour explorer les blocs 1-2 et 3,

au nord-ouest du bassin, frontalier avec le Congo-Brazzaville (voir carte 20). Comico est une

société avec des intérêts congolais ainsi qu'étrangers. L'un de ces derniers est l'investisseur

portugais Idalecio Rodriguez de Oliveira (voir ci-dessous).

Idalecio Rodriguez de Oliveira, (58 ans) que nous avons pu interroger plusieurs fois depuis

mars 2011 a déjà réalisé plusieurs affaires pétrolières sur le continent. Au début 2005, il a

relancé l'exploration en Namibie en créant les sociétés Enigma puis plus tard Chariot Oil.

Enigma, qui est désormais la filiale de Chariot, opère aujourd'hui dix blocs dans l'offshore du

pays. Oliveira s'est depuis dégagé de ces deux groupes. L'homme d'affaires portugais possède

également Lusitania Group dont la filiale de droit béninois, Compagnie béninoise des

hydrocarbures SARL, opère le bloc 4 dans l'offshore béninois en partenariat avec le groupe

brésilien Petrobras depuis février 2011.

Cependant Comico, qui a également participé au découpage avec la collaboration d’HRT, n'a

jamais obtenu de décret présidentiel pour commencer à travailler. Soco désormais actif dans

la zone du bassin côtier ainsi que sur le bloc 5 (Graben Albertine, à l'Est du Congo) a

également cherché à obtenir les périmètres 7 et 8 en collaboration avec la société Dominion

(partenaire de Soco sur le bloc 5227), des négociations ont été menées mais sans résultat. Une

autre société, cette fois-ci sud-africaine, Divine Inspiration a signé un contrat en décembre

2007 pour opérer les blocs 8-21 et 23228. Cette société (dont on parlera plus tard sur les blocs

225 Africa Energy Intelligence, n°639, 10 novembre 2010. 226 Africa Energy Intelligence, n°583, 18 juin 2008. 227 Il existe des liens étroits entre Dominion et Soco : Roger Cagle, le Chairman de Dominion, est également l'Executive Vice-president de Soco. Dominion a également des intérêts en Ouganda et au Kenya. 228 Africa Energy Intelligence, n°641, 8 décembre 2010.

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proches du lac Albert), a des actionnaires congolais et sud-africains très influents. Au Congo,

l'un des leaders de la puissante famille du Bas-Congo Kisolokele, Alphonse229, est l'un de ses

directeurs. L'actionnaire majoritaire de Divine Inspiration, qui en est également la directrice

générale est la sud-africaine Andrea Brown. Celle-ci préside également le cabinet de conseil

Transcend, spécialisé dans le conseil en Black Economic Empowerment (BEE). Le BEE

permet d'accélérer la participation des populations noires (totalement écartées lors de

l'apartheid) au milieu des affaires en particulier concernant leur intégration dans les grands

groupes sud-africains. Andrea Brown a été directrice de l'unité BEE au sein du Department of

Trade and Industry sud-africain. Elle a notamment participé à la rédaction des chartes de cette

politique BEE pour les secteurs des finances, de la construction et de l'immobilier230. Les Sud-

africains ont de très puissants circuits d'influence au Congo-Kinshasa, Andrea Brown fait

partie des rares investisseurs étrangers qui parvient à voir le président congolais Joseph

Kabila. En effet, ce dernier ne reçoit pas facilement, la plupart des grands groupes ont recours

à des intermédiaires grassement rémunérés: cas de l'ancien président nigérian Olusegun

Obasango avec Chevron (que nous développerons dans la partie concernant l'Angola).

Enfin, à partir du début 2011, la société nationale italienne ENI a commencé à négocier avec

le gouvernement pour les blocs 15, 16 et 17 au sud de la Cuvette centrale. Le vice-président

exploration et convention de l'ENI, Luca Dragoneti, et l'un des géologues du groupe, David

Casini Ropa, se sont rendus à ce titre à Kinshasa début avril pour négocier pour ces blocs

ainsi que d'autres périmètres à l'Est ainsi que dans la zone du lac Tanganyika (sud-est)231.

Après l'échec d'août 2009 où le patron de l'ENI Paolo Scaroni, était reparti de Kinshasa sans

avoir signé contrat, portant notamment sur la Cuvette centrale, cela serait une assez belle

revanche pour le groupe italien. Cependant, comme ces négociations portent sur de nombreux

blocs et que l'Etat congolais ne veut pas être à nouveau humilié, peu de personne sont

impliqués, cette discussion est gérée directement entre le cabinet du ministre des

hydrocarbures et la présidence. En juillet 2012, ces contrats n’ont toujours pas été actés.

229 La famille Kisolokele est issue de la province du Bas-Congo, Alphonse Kisolokele (à qui nous avons pu parler à nombreuses reprises) est le petit-fils du fondateur de la religion des Kibamguistes, Simon Kimbangu. Le Kibanguisme né dans les années 1920 se base sur une interprétation rigoriste de la bible, ils critiquent aussi la sorcellerie et des pratiques occultes. Son fondateur a été plusieurs fois arrêté par les colons belges car il mettait en péril la domination de la religion catholique et protestante. Au Bas-Congo, les leaders des Kibanguistes ont un pouvoir politique certain car cette "religion" représente quelque 5 millions de fidèles. Au niveau national aussi, les leaders de ce courant chrétien occupent des postes de premier plan. Charles Kisolokele, le père d'Alphonse, a été ministre des entreprises publiques en 1960 puis du travail en 1961. Cette religion a essaimé au Congo-Brazzaville ainsi qu'en Angola. Elle est également connue dans les pays anglophones de la zone des grands lacs comme en Ouganda ou au Burundi. Les membres de la famille Kisolokele peuvent et savent user de leur nom pour faire des affaires. 230 Africa Energy Intelligence, n°573, 23 janvier 2008. 231 Discussions avec des cadres du ministère des hydrocarbures.

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Depuis 2011, la nouvelle stratégie congolaise vise à obtenir l'expertise technique de la major

brésilienne Petrobras sur l'exploration de la Cuvette centrale. Une délégation congolaise

menée par le ministre des hydrocarbures, Célestin Mbuyu Kabango, son directeur de cabinet,

Jean Muganza, et l’ex directeur de la société nationale Cohydro, Alex Mutombo ont ainsi été

reçu par le directeur général de Petrobras José Sergio Gabrielli à Rio de Janeiro le 20 juin

2011. La délégation congolaise espère à terme convaincre Petrobras de mener des

explorations dans la Cuvette centrale, réputée géologiquement proche de l'Amazonie, ou au

moins de l'aider à la mettre en valeur. La major brésilienne a en effet, en parallèle de

l'offshore profond, également développé une technologie spécialisée dans l'exploration

pétrolière des forêts tropicales. Petrobras a plusieurs blocs dans la forêt amazonienne où elle

produit quelques dizaines de milliers de barils232. Une délégation de Petrobras s'est rendue

durant l'été 2011 à Kinshasa pour étudier les conditions d'un possible partenariat. Si Petrobras

est déjà bien implantée en Afrique où elle est présente en Libye, Nigeria, Bénin, Angola,

Gabon, Namibie et Tanzanie, elle n'a jamais vraiment parié sur les périmètres onshore où elle

n'a encore aucun actif. En cas d'accord avec le Congo, cela serait donc une première sur le

continent pour l'exploration sur la terre ferme. Cela peut s'avérer une bonne stratégie pour le

Congo. Seule une société importante avec des financements suffisants et une capacité de

projection (avion et matériels technologiques) est capable de mettre en valeur cette zone de la

Cuvette centrale, si difficile d'accès.

Avant de donner massivement aux sociétés pétrolières des périmètres d'exploration, il faudrait

avoir des données techniques fiables sur lesquelles les sociétés peuvent se décider à investir

lourdement. La meilleure méthode serait probablement d'organiser un appel d'offres, ce qui

dans le secteur pétrolier congolais n'est pas du tout une habitude : les négociations de gré à

gré sont largement privilégiées. Les appels d'offre permettraient de sélectionner les sociétés

proposant le plus de travail d'exploration. Cela permettrait à ce bassin, si gigantesque, 800

000 km² rien qu'au Congo-Kinshasa, d'avoir un horizon de production plus rapide en cas de

découverte. Actuellement, les potentiels sont totalement inconnus car le ministère des

hydrocarbures a perdu son temps à négocier avec des sociétés au réseau politique dense mais

aux capacités techniques et financières, très en deçà de ce que requière un tel bassin.

232 Africa Energy Intelligence, n°655, 6 juillet 2011.

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La cuvette centrale, un bassin pétrolier partagé avec le Congo-Brazzaville

Outre les tentatives d'exploration au Congo-Kinshasa, comme on l'a vu, le bassin sédimentaire

de la cuvette intéresse aussi les sociétés au Congo-Brazzaville. Ce dernier qui a une culture

pétrolière ancienne, il produit depuis les années 1960233, a déjà attribué en 2006 un premier

bloc d'exploration dans sa partie de la Cuvette centrale à la société suisse Pilatus Energy. Ce

périmètre, appelé Ngoki, est situé dans la région natale du président congolais Denis Sassou

Nguesso234 dans la zone éponyme de la cuvette. Pilatus Energy a été pendant longtemps

conseillé par Loïc Le Floch-Prigent235, l'ex-Président directeur général d'Elf, condamné par la

justice française à plusieurs reprises, d’abord pour abus de bien sociaux en janvier 2003 (30

mois de prison fermes) ainsi que pour des emplois fictifs en mars 2007. C'est d'ailleurs lui qui

a directement négocié en 2006 avec le président Nguesso (avec lequel il s’entend toujours très

bien) pour ce bloc congolais.

Au terme d'une visite à Brazzaville du 15 au 17 juin 2011, le directeur de la compagnie

Pilatus Energy Congo, Abbas Ibrahim Yousef236, a obtenu du ministre congolais des

hydrocarbures, André-Raphaël Louembé, l'autorisation de prolonger son permis d'exploration

jusqu'au 11 octobre 2012. Ngoki fait d'ailleurs l'objet d'un différend avec Loïc Le Floch-

Prigent, ancien associé de Youssef au sein de Pilatus, qui en revendique la propriété.

233 La République du Congo ou Congo-Brazzaville produisait en 2010 quelque 292 000 bpj. Elle est donc derrière le Nigeria, l'Angola et le Soudan, le 4ème plus gros producteur d'Afrique sub-saharienne. Elle a ravi la place à la Guinée équatoriale qui ne produit plus que 274 000 bpj. 234 Le président du Congo-Brazzaville en exercice depuis 1997, Denis Sassou Nguesso, est né en 1943 dans le petit village d’Oyo dans la région de la cuvette près de la ville d’Edu. Rien ne peut se faire dans cette région sans son accord, il y a fait notamment construire un aéroport à Ollambo (quelque dizaines de kilomètres d’Oyo), inaugurée en 2007. Il a voulu créer une zone franche pour des entreprises spécialisées dans la biotechnologie et l’économie du savoir. Source : La Lettre du Continent, n°614, 23 juin 2011. 235 Loïc le Floch-Prigent continue malgré ses nombreuses condamnations liés à ses activités avec Elf, qu'il a dirigé entre 1989 et 1993, de conseiller plusieurs chefs d'Etat africains. C'est notamment le cas avec Idriss Déby Itno, le dirigeant tchadien. Ce dernier le consulte très régulièrement sur des contrats, des sociétés, des intermédiaires. Evidemment, Prigent a un lien particulier avec Denis Sassou Nguesso qu'il a considérablement soutenu pendant la guerre civil face à l'opposant Pascal Lissouba à qui Elf a sciemment refusé de prêter de l'argent. Pour les autres chefs d'Etat, nos conversations avec leurs conseillers ne nous ont pas permis de prouver des liens probants et réguliers avec Prigent. Cependant, la galaxie des ex-cadres d'Elf est toujours très active dans tous les pays du golfe de Guinée où ils continuent d'avoir un accès privilégié au sommet de l'Etat pour leurs affaires. Ils ont en effet des qualités techniques indéniables, ils ont été bien formés. Mais surtout, ils ont gardé un carnet d'adresses bien rempli et des méthodes de travail Elf : mélange de professionnalisme et de soif d’aventure. 236 Abbas Ibrahim Yousef est un homme d'affaires citoyen de l'émirat d'Abu Dhabi (Emirats Arabes Unis). Confiant dans le carnet d'adresses de son ami, Youssef a confié en 2006 à Prigent le soin de garnir un portefeuille de périmètres pétroliers pour la société Pilatus Energy. Outre le Congo-Brazzaville, l'ex PDG d'Elf a également réussi à obtenir un bloc au Mali (le 19 situé à l'extrême sud du pays) ainsi qu'un autre au Burkina Faso, il a également essayé sans succès de s'introduire en République de Guinée (Conakry).

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Seule une campagne sismique a été effectuée sur Ngoki. Pilatus joue davantage un rôle de

société spéculative aux visées financières plutôt qu'une compagnie pétrolière avec des

techniciens sur le terrain visant à produire au plus vite. Pilatus espère pouvoir jouer sur le

carnet d'adresses de ses administrateurs pour nouer des partenariats avec des sociétés

pétrolières qui veulent réellement travailler et qui opéreront réellement le périmètre en

finançant la part des travaux de Pilatus. Une société française SPTEC a été sélectionnée pour

cela en juin 2012237 mais cette dernière a cassé le contrat car Abbas Youssef n’arrivait pas à

payer ses contractants au Congo238. L'autre stratégie consiste aussi à attendre à ce que d'autres

sociétés obtiennent des périmètres à proximité de Ngoki qu'elles explorent et mettent en

valeur, Pilatus pourraient alors en cas de découverte se désengager en faisant une plus-value

intéressante. C'est donc uniquement par la proximité de Prigent puis de Youssef que la société

basée en Suisse obtient depuis 2006 le renouvellement de son permis congolais.

Cependant, comme pour la totalité des bassins sédimentaires au Congo, le bassin de la cuvette

est partagé entre plusieurs souverainetés. Il se trouve en effet des deux côtés du fleuve Congo

séparant les deux pays. La délimitation peut poser un certain nombre de problème car en cas

de découverte, il est très probable que certains champs pétroliers soient localisés de part et

d'autre du fleuve. Même si aucun des deux pays n'a réellement commencé de travaux

significatifs, les probables débuts de l'exploration dans la Cuvette centrale au Congo-Kinshasa

poussent déjà Brazzaville à prendre certaines dispositions. L'Assemblée nationale du Congo-

Brazzaville a adopté fin avril 2011 une loi autorisant la ratification d'un protocole d'accord de

coopération sur l'exploitation et la production des réserves communes d'hydrocarbures situées

dans la zone frontalière avec le Congo-Kinshasa. Des négociations bilatérales sont donc

prévues même si le ministère des hydrocarbures à Kinshasa n'a pas été associé à cette

discussion239. Le Congo Brazzaville veut à tout prix éviter une situation de fait où les

découvertes seraient exploitées par Kinshasa. L'Angola pompe déjà dans les eaux territoriales

congolaises (Kinshasa). De plus, des tensions sont toujours vives entre l'Angola et le Congo-

Brazzaville sur les frontières maritimes, dont nous parlerons en détail plus tard. Ceci conduit

donc les acteurs régionaux à prendre des précautions, et d’éviter une situation de fait

accompli. Même si cela peut sembler prématuré, les deux Congo vont peut-être devoir en

passer par la création d'une zone de développement conjoint (ZDC). Cette dernière viserait à

237 Africa Energy Intelligence, n°680, 25 juillet 2012. 238 Africa Energy Intelligence, n°681, 29 août 2012. 239 Il est tout à fait probable que cela soit le ministère de l'intérieur qui soit dans un premier temps associé à Kinshasa et non celui des hydrocarbures.

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délimiter un périmètre dans lequel les revenus issus du pétrole seraient partagés entre les deux

Etats. Cette solution choisie avant l'exploration évite en théorie, tout conflit en cas de

découverte. Plusieurs cas africains d'exploration concertée ont déjà été développés dans la

première partie.

Les deux Congo ont une relation assez difficile mêlée de suspicion, officiellement, le Congo-

Brazzaville s'est abstenu d'intervenir de quelque façon que ce soit pendant la guerre chez son

voisin car il était lui aussi en pleine guerre civile. Mais de nombreux gradés de l'armée de

Mobutu se sont réfugiés à Brazzaville à l'arrivée des forces de Laurent Désiré Kabila en mai

1997. Il est très facile de se rendre à Brazzaville depuis Kinshasa, il suffit de prendre un bac

sur le fleuve. Il est possible donc de passer sans que les autorités du Congo-Brazzaville ne

soient vraiment prévenues. Cependant, ces personnes n'ont jamais été renvoyées à Kinshasa et

continuent à vivre paisiblement dans le pays voisin240. De plus, dans les premiers mois de

présidence de Laurent Kabila en 1997, le président à Brazzaville, Pascal Lissouba a reçu de

l'aide logistique et des renseignements de la part de Kinshasa241. Les forces de Lissouba se

battaient contre celles de Sassou Nguesso, le président revenu au pouvoir depuis 1999.

2 L’histoire tourmentée des blocs congolais du rift est-africain

Outre les blocs situés à l'ouest de la République démocratique du Congo opérés par Perenco

ainsi que les explorations au point mort dans la Cuvette centrale (régions ouest et centre), le

pays possède d'autres bassins aux potentiels considérables. Ceux-ci sont localisés dans la

partie Est du pays sur la zone du grand rift est-africain où sont situés tous les lacs partagés

entre le Congo et ses voisins. Plusieurs lacs sont intéressants d'un point de vue géologique,

c'est le cas du lac Edouard, du lac Kivu (pour le méthane) ainsi que du lac Tanganyika, voir

carte ci-dessous :

240 Evidemment, la réciproque fonctionne également. Kinshasa abrite des opposants à Denis Sassou Nguesso. 241 La Lettre du continent, n°289, 18

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Carte n°21 : Les quatre lacs congolais partagés avec présence d’hydrocarbures

Source : Google Earth.

Cependant, depuis une décennie, c'est dans le lac Albert (carte ci-dessus), situé au Nord Est

du Congo dans la province Orientale et dans la région de l'Ituri que les explorations ont été les

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190

plus intenses. Les blocs entourant le lac Albert côté Congo ont fait l'objet de beaucoup

d'attention car les découvertes de l'autre côté du lac, en Ouganda, sont déjà estimées, après

une quarantaine de forages, à 2,5 milliards de barils, soit à peu près le même volume constaté

actuellement au Congo-Brazzaville. Avant de travailler sur la gestion du secteur pétrolier de

l'Ouganda, intéressant comme effet miroir avec le Congo, il est bon d'étudier comment le

ministère et la présidence congolaise ont traité l'exploration de cette zone si particulière du lac

Albert. Il sera aussi question dans cette sous partie des problèmes de gestion commune entre

le Congo et l'Ouganda.

2-1 La véritable « saga » des blocs du lac Albert, côté congolais

L'exploration du lac Albert côté Congo n'a jamais vraiment été poussée. Quelques travaux ont

été effectués par les sociétés américaines Chevron et Conoco dans les années 1970 puis une

nouvelle tentative de Petrozaïre dans les années 1980 grâce à des fonds de la Banque

mondiale pour redynamiser le bassin du rift côté congolais (lac Albert). En juillet 1991, la

société belge Petrofina est l'une des premières à signer un accord d'exploration en bonne et

due forme avec le Zaïre de Mobutu sur le lac Albert et Edouard. Cette exploration portait à

l'époque sur 20 000 km2. L'accord faisait suite à celui signé en mars 1991 avec l'Ouganda où

Petrofina s'engageait à dépenser quelque 60 millions de dollars. Cependant, dès 1992,

Petrofina arrête son exploration des deux côtés du lac du fait des pillages et émeutes au Zaïre.

Comme tout le matériel, y compris pour l'Ouganda, devait transiter par le fleuve Congo puis

ensuite par camion, la société n'a pas jugé que la situation lui permettait de travailler

convenablement242. A l'arrivée de Laurent Désiré Kabila au pouvoir en 1997, hors quelques

sondages et travaux de surface (sismiques menées par Petrofina), il y a très peu de données

géologiques sur lesquelles les sociétés pétrolières peuvent se baser.

En juin 2002, en pleine crise avec les voisins ougandais et rwandais, la compagnie canadienne

Heritage Oil & Gas243 signe un accord de recherche sur un bloc géant (31 000 km²) à

l'extrême est du Congo. Ce bloc, d'une superficie équivalente à celle de la Belgique, s'étend le

242 Africa Energy Intelligence, n°231, 7 juin 1993. 243 Heritage est une petite société pétrolière canadienne qui s'est fait une spécialité de travailler dans les zones difficiles comme au Kurdistan irakien ou au Pakistan (ou en Libye depuis 2011 et la révolution). Elle a été créée en 2006 par un ex-mercenaire chevronné Tony Buckingham. Ce dernier a été actif au sein de la société de sécurité privée sud-africaine Executive Outcomes qui a travaillé pour le gouvernement sud-africain sous l'apartheid, pour les forces spéciales angolaises durant la guerre civile contre l'opposant Jonas Savimbi, et également en Sierra Leone pour sécuriser les mines de diamants. Cette société permettait à des gouvernements qui avaient les moyens de payer de rester en place par tous les moyens. Elle a aidé aussi des sociétés privées comme en Angola, où la société pétrolière Range avait des problèmes pour travailler dans la zone de Soyo que l'UNITA de Savimbi contrôlait. Executive Outcomes a été dissoute en 1998.

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191

long de la frontière entre l'Ouganda et le Congo-K depuis la ville de Rutshuru, au sud du Lac

Edouard, jusqu'à Mahagi, à la pointe nord du Lac Albert. Afin de convaincre les cadres

congolais de signer un contrat de partage de production (qui permet plus de visibilité qu'un

simple contrat de recherche), Heritage les invite durant l'automne 2002 à visiter l'avancée de

leur exploration en Ouganda244. Cependant, la société canadienne n'obtient pas ce qu’elle

souhaite à Kinshasa. Et elle n’est pas la seule dans cette situation.

L'étude précise des décisions et revirements du pouvoir congolais sur les blocs du lac Albert

permet de comprendre le manque de stratégie pétrolière du pays. Les ministres naviguent à

vue, font des coups, mais ne répondent pas vraiment à un cap donné par le chef de l'Etat (en

tout cas jusqu'en 2012). Si comme on l'a souligné lors de notre étude de la gouvernance du

secteur congolais, l'absence de décision ou la prise de mauvaises décisions sont inhérentes à

un processus politique en cours depuis 1997 dans lequel le pouvoir est affaiblit,

conséquemment à l'ingérence étrangère (des belligérants d'une part: Ouganda et Rwanda) et

des alliés de l'autre (Angola, Zimbabwe, Namibie, Tchad), ce phénomène ne peut plus se

comprendre à la fin de la période de transition lorsque Joseph Kabila est élu président face à

Jean-Pierre Bemba en 2006.

La véritable saga sur les permis du lac Albert commence à quelques mois de la fin de la

transition en 2006. Les quatre ministres en charge des hydrocarbures depuis février 2006, à

savoir Salomon Banamuhere Baliene et son vice-ministre Nicolas Badingaka (pendant la

période de transition), puis après l'élection présidentielle de Joseph Kabila en 2006 : Lambert

Mende Omalanga (voir ci-dessous), René Isekemanga et enfin Celestin Mbuyu Kabango (voir

ci-dessous) ont en effet donné les mêmes blocs à trois consortiums composés de sociétés

différentes.

Lambert Mende Omalanga a été ministre des hydrocarbures de 2007 à 2008, puis ministre

de l’information de 2008 jusqu’à l’écriture de ce passage en 2012 (on lui a rajouté

l’attribution des relations avec le parlement en 2012). Après plusieurs années d’asile politique

sous l'ère Mobutu à Bruxelles où il a obtenu un diplôme en droit et en criminologie,

Omalanga commence sa carrière d’homme politique dans les années 1990 comme député

d’opposition au pouvoir de Mobutu. Mende est ensuite une première fois ministre de la

Communication dans le gouvernement d’Etienne Tshisekedi. Après un court passage comme

ministre des transports en 1997, il passe à la rébellion contre le président Laurent Désiré

244 Africa Energy Intelligence, n°443, 10 juin 2002.

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192

Kabila au sein du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma) en tant que chef

du département information (1998-2000). Omalanga qui est originaire du Kasaï Oriental est

un poids lourd des gouvernements depuis 2007. Il a su monnayer son soutien au chef de l'Etat

qui a toujours préféré l'avoir dans son camp que contre lui. Très bon orateur, il a une forte

capacité de convaincre ses interlocuteurs (nos conversations avec lui l'attestent), il arrive

même à surprendre le président alors que les deux hommes ne viennent pas du tout du même

camp. Sa nomination à l'information récompense cette capacité de conviction. Omalanga est

aussi connu comme écrivain. Il a notamment rédigé un ouvrage publié en 2008 aux éditions

de l'Harmattan, Dans l'œil du cyclone, Congo-Kinshasa: les années rebelles 1997-2003

revisitées. Il y parle de ses transhumances politiques pendant les différentes crises politiques,

on y découvre un redoutable stratège politique.

Célestin Mbuyu Kabango est nommé le 19 février 2010 comme ministre des hydrocarbures.

Natif de la région du Katanga, tout comme le président Joseph Kabila (du côté de son père), il

est réputé proche de ce dernier (au moins jusqu’à l’élection présidentielle de 2011). Mbuyu a

notamment été président de la puissante communauté des Katangais installés à Kinshasa.

Preuve de la confiance spéciale du chef de l'Etat, Mbuyu n’est pas flanqué d’un vice-ministre

aux hydrocarbures contrairement à son prédécesseur René Isekemanga. Mbuyu connaît bien

les arcanes de l'administration, ayant gravi tous les échelons jusqu'au poste de secrétaire

général à l'économie nationale dans les années 90 (l'une des plus hauts-grades de la fonction

publique). Il a également exercé les fonctions d'administrateur de la société nationale minière

: la Gécamines. Avant d'être nommé ministre de l'intérieur en octobre 2008, poste qu'il

occupait avant d'être ministre des hydrocarbures, il exerçait la fonction de vice-ministre du

budget depuis 2007. Passer de l'intérieur aux hydrocarbures peut apparaître comme une

rétrogradation dans la hiérarchie gouvernementale, cependant cette nomination doit être

comprise comme une récompense financière et économique. Le ministre des hydrocarbures

rencontrent et négocient en permanence avec des investisseurs. La conclusion d'accords peut

être un moyen d'enrichissement rapide. Mbuyu est diplômé en chimie.

L'accord d’exploration de Heritage signé le 2 juin 2002, n’est pas suffisant pour commencer

les travaux, il permet juste de mettre par écrit un intérêt mutuel pour poursuivre les

négociations menant théoriquement à un accord définitif. A l’époque pourtant, l’un des

directeurs d’Heritage Bryan Westwood (certainement peu au fait des pratiques au Congo)

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193

déclare être certain d’obtenir son contrat de partage de production dans les six mois245. Et

pourtant, dès le mois d'août 2004, le ministère de l'énergie ouvre un appel à manifestation

d'intérêt pour les blocs 1 et 2 (lac Albert) ainsi que les blocs plus au sud (3 et 4) aux abords du

lac Edouard. Heritage semble donc ne pas avoir les faveurs du ministre de l'énergie en charge

du secteur cette année-là : Jean-Pierre Kalema Losona (qui était pourtant déjà avant le début

de la transition, le vice-ministre de l'énergie). Ce dernier vient de remporter la tutelle sur les

hydrocarbures face à son collègue des mines et veut marquer son territoire en choisissant lui-

même la compagnie à qui ces blocs si stratégiques seront confiés. De plus, le fait que Heritage

soit déjà en Ouganda pose un problème. Nous sommes au début de la transition de partage du

pouvoir et à la fin de la guerre officielle avec l'Ouganda et le Rwanda (même si elle

poursuivra sous d’autres formes). La méfiance avec le voisin ougandais n'a absolument pas

disparu, en particulier parmi les ministres venant du camp de Kabila, comme Kalema Losona.

Le fait qu'Héritage y soit actif pose donc un problème de confiance.

Le 21 juillet 2006, soit quatre ans après le contrat de recherche de 2002, la situation se

décoince enfin et un contrat est bel et bien signé. C’est une association entre les Irlandais de

Tullow Oil246 et Heritage (tous deux présents en Ouganda de l’autre côté du lac à cette

époque) qui va parvenir à "arracher" un accord de partage de production sur les blocs 1 et 2

qui bordent le lac Albert. La superficie de la zone d’exploration que représentent ces blocs 1

et 2 a été divisée par cinq en comparaison avec le premier accord de 2002. Heritage a 39,4%

des blocs, aux côtés de Tullow (48,4%) qui devient l’opérateur (celui qui travaille

concrètement sur le terrain) et la compagnie nationale Cohydro (12%).C'est le vice-ministre

de l'énergie de l'époque Nicolas Georges Badingaka qui signe lui-même ce contrat247. Le fait

que ce soit (uniquement) un vice-ministre est important pour la suite de cet accord. Il est aussi

contresigné par le ministre en titre des finances Marco Banguli. Cependant, le moment choisi

pour cette signature est porteur de lourde suspicion. En effet, cet accord est validé par

245 La lettre de l’Océan Indien, n°1003, 6 juillet 2002. 246 Tullow Oil est une société basée à Londres et Dublin toujours dirigée par son fondateur d'origine irlandaise Aidan Heavey. La société a été créée en 1985 spécialement pour travailler sur le continent africain. Après avoir mené ses premières explorations au Sénégal à partir de 1986, Tullow a peu à peu diversifié son portefeuille et a désormais des activités dans quinze pays africains et pèse près de 18 milliards de dollars à la bourse de Londres. Elle a également pu prospérer en rachetant deux acteurs essentiels en Afrique : Energy Africa en 2004 puis Hardman Resources en 2007. Outre l'Ouganda, c'est également elle qui a découvert le pétrole au Ghana, pays producteur depuis le 15 décembre 2010. Les importantes découvertes dans ces deux pays l'ont propulsé parmi les junior les plus dynamiques et prospères opérant sur le continent. Elle emploie en 2010 quelque 935 personnes et est présente dans sept pays en dehors du continent Africain. 247 Le contrat est disponible grâce à un blog d'un député de la province Orientale (Nord) très impliqué dans la question pétrolière, Jean Bamanisa, à cette adresse : http://bamanisajean.unblog.fr/files/2010/05/frenchtullowheritagepsaannexesjuly2006.pdf. Bamanisa a été battu en 2012 aux élections législatives, probablement que son activisme lui a été fatal.

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Badingaka à quelques jours à peine du premier tour des élections présidentielles (neuf jours

exactement). Légalement, quelle valeur peut avoir un tel document ? A l'approche d'élections

présidentielles, les ministres en exercice sont tout au plus chargés d'expédier les affaires

courantes. Ils ne sont en aucune façon autorisés, à priori, à signer des contrats qui engagent

l'Etat pour plusieurs années. Ces contrats seront d’ailleurs contestés dès le lendemain des

élections par la nouvelle équipe. De plus, le vice-ministre Badingaka, membre d'un petit parti

d'opposition, sait que ces jours comme ministre sont comptés et qu'il y a fort peu de chance

d’obtenir un poste dans l'équipe suivante alors que le premier tour qui a lieu le 30 juillet 2006

donne Kabila favori (il a en effet obtenu 44% au premier tour). Il est fort plausible que le

vice-ministre ait voulu faire un coup avec Heritage et Tullow, en échange d'avantages

financiers. Badingaka connait bien le dossier pétrolier du lac Albert car il est issu de la

province Orientale où sont situés ces périmètres. Il leur a peut-être promis de faire du

lobbying après son passage au ministère auprès des acteurs locaux comme le gouverneur ou

les futurs députés provinciaux.

Si on se place du point de vue des deux sociétés pétrolières, on peut comprendre leur

satisfaction de remporter ces blocs 1 et 2, après de si longues années de palabres avec les

différentes ministres. Cependant, elles font preuve d'une certaine naïveté en espérant que leur

contrat sera un jour validé par le futur chef de l'Etat qui sortira des urnes du deuxième tour

prévu quelques semaines après, soit le 29 octobre 2006.

Cette longue période entre les premières négociations et l’accord définitif s’explique en partie,

comme pour les autres zones, par l’absence de légitimité du président Kabila pendant les

années de transition entre l'accord de Sun City où le pouvoir est formellement partagé en avril

2002 et l’élection présidentielle de la fin 2006. Cependant, cela tombe au pire moment pour

les pétroliers.

Un contrat sans décret présidentiel

Si Tullow et Heritage ont bien signé un accord avec le vice-ministre de l’énergie Nicolas

Badingaka en 2006, ces sociétés ne peuvent pas commencer l’exploration sans obtenir le

décret présidentiel signé par le chef de l’Etat nouvellement élu Joseph Kabila. Or ce décret ne

viendra jamais car il sera donné en 2010 à d’autres sociétés. En dehors de la fragilité juridique

du contrat Heritage/Tullow de 2006, utilisé ad nauseam par le nouveau ministre des

hydrocarbures Lambert Mende Omalanga, la société va également payer ses relations avec les

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ministres des hydrocarbures successifs et celles pour le moins tendues entre le Congo et

l’Ouganda, pays dans lequel ils opèrent de l'autre côté du lac Albert. Cet épisode de vide

juridique complet va démontrer une nouvelle fois, l'absence totale de cap en matière de

politique pétrolière au sommet de l'Etat. En effet, rares sont les Etats où un ministre signe un

contrat avec un investisseur qui ne soit pas ensuite validé par l'autorité suprême. Cela

démontre bien la période d'exception, de vide politique, que vit le Congo depuis le début des

années 1990.

Lambert Mende Omalanaga, le ministre des hydrocarbures du gouvernement d'Antoine

Gizenga (nommé en février 2007), est évidemment en pointe pour s’opposer à la validation du

contrat signé par Tullow et Heritage Oil. L'un de ces premiers angles d'attaque est que le

bonus de signature248 n’a pas été entièrement payé. Tullow et Heritage ont en effet réglé

250 000 dollars par bloc, le gouvernement en demande désormais deux fois plus. Du fait des

nombreuses découvertes pétrolières de l'autre côté du lac en Ouganda depuis 2006, Omalanga

sait que son propos peut porter auprès du président et des nouveaux parlementaires. Que des

bonus s'accroissent dans le temps, cela n'est pas vraiment problématique, en particulier

lorsqu'une zone pétrolière prend de la valeur. Cependant, lorsqu'un montant est accepté par un

représentant de l'Etat en juillet 2006, cela peut paraitre un peu "curieux" de demander deux

fois plus, six mois après l'accord. Mende continue à formuler des arguments pour anéantir le

contrat, il précise que ce dernier n’est pas valable car il a été signé par un vice-ministre alors

que le droit congolais impose une signature par le ministre en titre249. Malgré de nombreuses

discussions avec des parlementaires congolais, il nous est toujours impossible d'affirmer ou

d'infirmer que cette donnée juridique est véridique. Par absence de témoignage public et privé

de la part de Badingaka (décédé en 2010) et de son supérieur hiérarchique de l'époque

Salomon Banamuhere Baliene, il est difficile de trancher l'argument d’Omalanga. Cependant,

il semble bien que dans le droit congolais, en cas d'absence du territoire d'un ministre en titre,

son adjoint, a le droit de signature sur les contrats. Mais Badingaka était un ministre en sursis

car en période préélectorale.

248 Lorsqu'une société obtient un permis pétrolier ou minier, il est de rigueur qu'elle paye une somme à l'Etat dont le montant fait soit l'objet d'une négociation entre les deux parties, soit ce montant est décidé par les parlementaires quel que soit le périmètre. Il est dans ce cas forfaitaire. En Angola, ce bonus a déjà atteint 1 milliard de dollars. 249 Benjamin Augé, Border conflicts tied with hydrocarbons in the great lakes region of Africa, in Governance of Oil in Africa : an unfinished Business, Institut Français des Relations Internationales, avril 2009, p. 175.

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En dehors des problèmes juridiques et légaux, les relations entre le ministre congolais et le

vice-président en charge des affaires africaines de Tullow Oil Tim O’Hanlon250 deviennent

très vite exécrables. Lors d’une audience avec le président Joseph Kabila en 2007, le ministre

disqualifie les contrats de Tullow et Heritage en rendant les deux sociétés responsables des

affrontements ethniques en Ituri depuis 2003251. Cet argument est aussi soutenu par certains

auteurs comme le chercheur canadien Alain Deneault252 ou le journaliste allemand Dominic

Johnson253. Or, l’affrontement, exacerbé depuis les années 2002/2003, entre les deux ethnies

rivales Hema et Lendu a bien davantage été instrumentalisé par les commerçants locaux et par

les milices (soutenues à l’époque par l’Ouganda) qui ratissent l’Ituri (zone entourant le lac

Albert) pour contrôler les circuits d’exportation illégaux de minerais254. Il est vrai que

Heritage Oil ne se cache pas de mettre en avant lors des négociations avec les Etats pétroliers,

l'image d'une compagnie capable de travailler dans les zones difficiles du fait du passé de

certains de ses cadres ayant travaillés dans des compagnies de sécurité privée ou ayant fait

partie de l’armée. Cependant l’intérêt que ses dirigeants auraient d’aggraver des tensions

ethniques en Ituri paraît nul. Les zones de conflit violent et meurtrier comme c’est le cas en

Ituri en 2002/2003, ne sont quasiment jamais propices aux compagnies pétrolières (delta du

Niger, Irak). Cela est encore plus vrai dans des situations d’exploration, en particulier en

onshore comme en Ituri. Heritage est donc punie par sa communication « musclée » suivant

les accords d'exploration de principe de juin 2002.

Après avoir entrepris des dizaines de voyages à Kinshasa entre 2006 et 2007, Tim O’Hanlon

n'arrive pas à convaincre de la légalité de son contrat. Alors qu'il est totalement récusé comme

négociateur par la partie congolaise, la direction de Tullow garde O'Hanlon comme seul

250 Tim O'Hanlon est vice-président en charge des affaires africaines de Tullow Oil depuis les années 1990. Il a commencé sa carrière avec Tullow au Sénégal en 1986, d'où sa bonne maîtrise du français, essentielle pour travailler au Congo. Il gère tous les projets africains du groupe et est donc au fait des problèmes entre l'Ouganda où la société est implantée depuis 2004 et la RDC. Son franc parlé, voire son arrogance, a considérablement agacé Lambert Mende avec lequel le contact n'est jamais passé. Lors de discussions privées avec Mende et O’Hanlon, il nous a paru évident que le problème relationnel entre les deux hommes serait difficilement surmontable. Cela a entraîné en partie l'imbroglio juridique et l'attente, jamais récompensée, pour Tullow d’obtenir un décret présidentiel pour les blocs du lac Albert congolais. 251 Conversations avec des cadres de Tullow, propos confirmés en privé par Lambert Mende Omalanga (avril 2008). 252 C’est dans son livre Noir Canada sorti en 2008 que le canadien Alain Deneault développe l’idée que Heritage Oil est en partie responsable des violences en Ituri. Son argumentaire est basé sur le passé du fondateur d’Heritage Oil : Tony Buckingham. Buckingham est un vétéran de l’armée de l’air britannique. Il a notamment travaillé pour le gouvernement angolais contre l’UNITA durant la guerre civile (1975-2002). Il a eu une longue carrière de mercenaire en Sierra Leone et en Namibie. Avant de fonder Heritage en 1992, il va diriger la société Ranger Oil qui obtiendra des périmètres d’exploration en Angola, en Namibie et en Côte d’Ivoire. 253 Dominic Johnson, Shifting Sands, Goma Institute, 2003. 254 Voir International Crisis Group, Congo, quatre priorités pour une paix durable en Ituri, rapport Afrique n°140, 13 mai 2008.

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interlocuteur255. Et pourtant, les congolais disent en privée qu'une nouvelle discussion est

possible avec une personne neutre comme le patron de Tullow Aidan Heavey. La stratégie du

groupe qui a notamment consisté à convaincre certains députés de l’Ituri de l’absence de

pertinence des arguments du ministre des hydrocarbures n'a pas fonctionné. Des députés, des

sénateurs ainsi que des ministres comme Omalanga lui-même, se sont d’ailleurs rendus à

plusieurs reprises aux frais de la société pétrolière irlandaise pour jauger de l’avancée des

travaux du côté ougandais du lac Albert. Cependant, peine perdue, Mende considère que le

contrat avec Tullow et Heritage est caduc, constatant qu'elle n'a pas payé le bonus de

signature de 500 000 dollars par bloc, il reprend le bloc 1 dès le 17 octobre 2007. Tullow

conteste évidemment cette procédure qu’elle considère comme illégale.

Le nouveau consortium de Lambert Mende : Divine Inspiration Group

Afin de faire plier Tullow pour qu'elle paye officiellement et officieusement davantage,

Lambert Mende Omalanga sait précisément que la société est capable financièrement et

techniquement d'explorer l'Ituri (zone complètement enclavée), le ministre congolais fait venir

un autre consortium. Dès le début 2007 (soit bien avant l'annulation du contrat de Tullow256),

le ministre des hydrocarbures commence à négocier avec des Sud-Africains intéressés pour

explorer le bloc 1. Lambert Mende qui voulait son propre consortium a donc pu lui-même

choisir ses membres (ou du moins on lui a soufflé). Le nouveau consortium signe un contrat

de partage de production dès le 15 janvier 2008. Il est mené par une société Sud-Africaine

inconnue appelée Divine Inspiration Group dont la directrice est la puissante femme d'affaires

Andrea Brown (dont on a déjà parlé), pionnière du Black Economic Empowerment. En

dehors de Divine Inspiration (51%), le consortium est composé du groupe franco-espagnol H-

Oil (37%). Du côté congolais, outre la société nationale Cohydro (7%), d’autres petites

sociétés congolaises sont associées au contrat comme Congo Petroleum and Gas SPRL (3%)

et Sud Oil SPRL (2%). Ce qui est sensé crédibiliser cet attelage de compagnies inconnues,

repose principalement sur la présence de la société nationale sud-africaine PetroSA, mise en

avant par les membres du consortium comme caution technique du projet. Pour justifier ce

partenariat avec PetroSA, une simple lettre signée par le directeur régional Afrique de

l'Ouest/Est de PetroSA Bradley Cerff est glissée à la fin du contrat signé avec Lambert Mende 255 Tullow Oil a également embauché plusieurs personnes qui travaillaient en permanence pour la société à Kinshasa. Le principal contact et lobbyiste de Tullow sur place est Japhet Muhindo Kabauka qui est un homme d'affaires originaire du Nord-Kivu. La deuxième personne est l’angolais Lusitano Vaz Saraiva, que nous avons pu rencontrer. 256 Cela est attesté par le directeur régional Afrique de l'Est de PetroSA, partenaire technique du nouveau consortium, Bradley Cerff dit dans un document officiel adressé au ministre Lambert Mende avoir été approché par le groupe Sud-Africain Divine Inspiration dès le mois d'avril 2007.

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en janvier 2008. Cerff indique sobrement, qu'après avoir été consulté en avril 2007 par des

privés sud-africains et avoir effectué un voyage à Kinshasa en novembre pour se rendre

compte des potentiels des blocs à l'est du pays, il accepte un partenariat technique avec Divine

Inspiration Group. Bradley Cerff mentionne aussi d'autres sociétés sud-africaines comme

Sacoil qui va négocier également en 2007 pour un contrat sur le bloc 3, situé entre le lac

Albert et Edouard257. PetroSA ne met donc pas d'argent dans l'exploration, elle accepte juste

de donner son avis si Divine le lui demande.

Le fait que cette lettre ne soit pas paraphée par le directeur général de PetroSA est tout de

même un peu suspect. Certains cadres de PetroSA nient d'ailleurs l’existence d’un tel

partenariat258. L'étude du parcours professionnel de Bradley Cerff est à cet égard intéressante.

Ce dernier qui a seulement 34 ans en 2007, est nommé en mai 2011 au poste de vice-président

de Sacoil en charge de la partie commerciale de la société259. Cette nomination est-elle

intervenue en échange de service rendu en 2007 sur le consortium Divine Inspiration ? Cela

est fort probable. En tous les cas, sans l'appui de cette lettre de PetroSA, la crédibilité du

projet aurait été fortement écornée.

En effet, Divine Inspiration qui serait l’opérateur officiel du bloc 1 a seulement été créée le 2

août 2007260 sous l'impulsion d'Andrea Brown (dont on a déjà décrit le parcours) en probable

concertation avec certains congolais bien placés. Quant à la société H-Oil, elle est dirigée par

l'homme d'affaires Franco-espagnol Jacques Hachuel et son fils Alvaro. Jacques Hachuel a

notamment travaillé pour la société de trading Marc Rich & Co devenu depuis le milieu des

années 1990, le groupe Glencore basé en Suisse, l'un des plus grands traders pétroliers

indépendants du monde. L'un des intermédiaires de la société au Congo est un ancien

compagnon de maquis de Laurent Désiré Kabila, Dihur Godefoid Tchamlesso, qui a été

nommé à la fin des années 1990, ambassadeur en Angola261. H-Oil Group, la société mère a

notamment des participations dans les mines mais son site internet ne fonctionne plus depuis

plusieurs années, comme si H-Oil n'avait plus d'activité. Les responsables de la branche

construction du groupe avaient été tentés par investir en Ouganda. La fille du fondateur de H-

Oil, Laetitia Hachuel était dans une délégation patronale française (MEDEF) qui s'était rendue

257 SacOil (pour South Africa Congo Oil) obtiendra son décret présidentiel pour le bloc 3 le 18 juin 2010 et sera publié au journal officiel le 22 juin 2010. 258 Conversations avec des cadres de PetroSA, octobre 2008. 259 http://www.sacoilholdings.com/a/board.php. 260 Africa Energy Intelligence, n°572, 9 janvier 2008. 261 Africa Energy Intelligence, °573, 23 janvier 2008.

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à Kampala en décembre 2009262. Depuis plus rien. Quant aux sociétés congolaises privées,

cela sera difficile de remonter jusqu'à leur véritable propriétaire malgré le fait que nous ayons

pu avoir accès au contrat. Le pouvoir de signature de Congo Petroleum and Gas SPRL a été

donné à l'avocat congolais Muaka Khonde qui est libellé comme directeur général dans le

contrat. Ce dernier protège très certainement d'autres intérêts bien plus puissants, il a juste agi

comme prête nom. Concernant Sud Oil SPRL, elle est officiellement dirigée par Pascal

Kinduelo Lumbu qui n'est autre que le directeur d'une grande banque de la place Kinoise: la

Banque Internationale de Crédit SAR. Il est également depuis 2010, le président du conseil

d'administration de la BGFI Bank RdCongo263. Lumbu connait bien l'Afrique du Sud pour

avoir été aussi le président de la fédération des entreprises du Congo (FEC) et à ce titre avoir

effectué de nombreux voyages à Johannesburg afin de dynamiser les échanges entre les deux

nations. Lumbu est réputé proche de Kabila et d’avoir une grande influence sur lui dans les

affaires.

L’absence d’expérience pétrolière de Divine Inspiration témoigne de l’inexistence de

sélection par la compétence alors que les blocs du rift ouest-africain requièrent de

l’expérience et de lourds moyens. Cependant, pas davantage que Tullow et Heritage, le

contrat de Divine Inspiration sur le bloc 1 n’obtient le précieux décret présidentiel. Lambert

Mende Omalanga ne réussit même pas à ce que le contrat soit examiné lors du Conseil des

ministres. Inscrit à deux reprises par le ministre des hydrocarbures à l’ordre du jour, le sujet a

toujours été écarté par la présidence et la primature264. Du fait d'un processus de sélection

opaque (pas d'appel d'offres) et de son empressement à faire valider un contrat aux multiples

inconnues, Mende sera même sanctionné par le chef de l’Etat à l’été 2008. Dans un courrier

du président Kabila, ce dernier lui interdit à partir de cette date d’engager le Congo dans

quelque négociation que ce soit265. Le contrat de Divine Inspiration semble bien avoir été

signé par le ministre pour faire pression sur Tullow afin qu’elle s’acquitte de plus importants

bonus de signature et d’autres compensations financières266. L’une des principales

262 Africa Energy Intelligence, n°617, 2 décembre 2009. 263 BGFI Bank est une des plus grosses banques privés de la communauté des Etats d'Afrique centrale (CEMAC), principalement implantée dans les pays francophones. 264 Africa Energy Intelligence, 21 mai 2008. 265 Africa Energy Intelligence, n°593, 26 novembre 2008. 266 Le consortium mené par Divine Inspiration a versé 2,5 millions dollars de bonus de signature pour le bloc 1. Sources : entretien avec des cadres du ministère des hydrocarbures en avril 2009. Selon un télégramme diplomatique américain de l'ambassade de Kampala daté du 13 mars 2008 et mis en ligne par le site Wikileaks, Lambert Mende dont le nom n'est pas explicitement cité mais qui est facilement identifiable de par la fonction et la date de la citation, aurait reçu 5 millions de dollars de commissions pour valider cet accord. L'un des cadres de Tullow en Ouganda raconte à l'ambassade américaine que le ministre aurait demandé à Tullow d'enchérir pour

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préoccupations du ministre a aussi été que d’autres sociétés pétrolières plus petites (et plus

proches du pouvoir et de ses intérêts) rentrent sur le bloc 1, ce à quoi Tullow était plutôt

opposé267. Lors de nos entretiens avec Tim O'Hanlon de Tullow, ce dernier a toujours déclaré

qu'il s'opposait fermement à se faire "tordre" le bras par le ministère, pour accepter l'arrivée

sur le bloc de petites sociétés proches du pouvoir, en particulier si Tullow doit les porter,

c'est-à-dire payer leur part des travaux d'exploration.

L'attribution des blocs du Graben Albertine à des inconnus.

La nomination le 27 octobre 2008 de René Isekemanga Nkeka au poste de ministre des

hydrocarbures représente un espoir pour les pétroliers comme Tullow Oil qui espère revenir à

la table des négociations pour récupérer le bloc 1. Les relations étaient en effet si

personnalisés et si mauvaises entre Omalanga et O'Hanlon, qu'aucune solution n’était plus

envisageable. Dès le 6 novembre de la même année, le nouveau ministre se rend en Ituri pour

discuter du pétrole avec les députés et la société civile locale. Accompagné de plusieurs autres

ministres dont Lambert Mende Omalanga, qui s’occupe depuis le remaniement du portefeuille

de la communication, Isekemanga affirme que les dossiers concernant l'exploration pétrolière

de la région trouveront rapidement une issue. En mars 2009, lors d’un déplacement à

Brazzaville, Isekemanga va même jusqu'à déclarer que Tullow et Heritage pourraient

recouvrer leurs droits sur les blocs 1 et 2 en échange d’une hausse du bonus et d’une

ouverture à d’autres partenaires268. Tim O’hanlon, le vice-président de Tullow en charge des

affaires africaines, s’exprime pour la première fois favorablement pour un partenariat à quatre

compagnies dans un journal irlandais269. Il utilise cette carte en pensant qu'en acceptant toutes

les demandes du ministre, Isekemanga n'aura plus aucun moyen de dire que Tullow ne

consent pas à des efforts. Finalement, aucun développement sur le Graben Albertine (rift Est-

africain) notable n’est enregistré durant le mandat d’Isekemanga qui se termine

précipitamment en février 2010. Le ministre s'est d'ailleurs plutôt intéressé à la Cuvette

centrale, là où est situé son fief (Mbandaka dans la province de l'Equateur), pour laquelle il a

négocié à l'été 2009 avec ses amis italiens d'ENI.

obtenir le bloc. Tullow aurait refusé en proposant 5 millions de dollars d'investissement en infrastructure et projets de santé. Sans succès. 267 Discussions avec des cadres de Tullow en octobre 2008 et novembre 2009. 268 Africa Energy Intelligence, n°602, 8 avril 2009. 269 Irish Independant, 1 avril 2009.

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Isekemanga a reçu ce ministère prestigieux car il représentait un poids lourd dans la zone de

l’Equateur270 et qu’il était proche du clan Mobutu (notamment de François-Joseph Mobutu

Nzanga, ministre d’Etat à l’agriculture et fils de Mobutu Sese Seko). Mais il a très vite déçu

en négociant des contrats pour lui, dans son coin. Dès le milieu de l'année 2009 et l'affaire

d'ENI sur la Cuvette centrale, il connaît d’ailleurs le même sort que son prédécesseur :

interdiction d’engager l’Etat dans quelque contrat que ce soit. Les pétroliers, en particulier

Tullow, déchantent vite et sont persuadés dix mois avant le limogeage d’Isekemanga que le

dossier des blocs du lac Albert ne sera pas solutionné sous son autorité au ministère des

hydrocarbures. Le secteur végète jusqu’à l’arrivée aux hydrocarbures de Célestin Mbuyu

Kabango, nommé ministre le 19 février 2010.

Célestin Mbuyu Kabango, jusqu'alors ministre de l'intérieur, n’a pas du tout le même profil

que ses prédécesseurs. Il n’a pas été nommé car il représentait une puissance politique

dangereuse ou une région "rebelle" pour la majorité présidentielle. Mbuyu est un proche du

président, il est tout comme lui Katangais. Il a clairement eu de la part de la présidence une

feuille de route plus ouverte que ces deux prédécesseurs avec la capacité, cette fois-ci,

d'engager l'Etat et donc de conclure au plus vite des contrats. Et ces derniers ne tardent en

effet pas à être paraphés. Cependant, le ministre prend ses fonctions dans un contexte

difficile. Il doit préparer au plus vite le sommet Cape IV organisé à Kinshasa par

l’Association des pays producteurs de pétrole africains (APPA271) du 23 au 27 mars 2010.

Cela lui donne moins d'un mois pour finaliser tout le processus. Durant trois jours, quatorze

pays producteurs africains (y compris les plus importants : Nigeria, Libye, Angola, Soudan,

Guinée équatoriale) se réunissent à Kinshasa dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. La

capitale congolaise se trouve au centre de l'attention de toutes les grandes puissances

économique du continent (l'Afrique du Sud est également membre de l'APPA). Si ce sommet

est important diplomatiquement, au moins à l'échelle du continent, il l'est aussi pour des

raisons économiques qui dépassent la seule l'Afrique : de nombreuses sociétés internationales

270 Au deuxième tour des élections présidentielles du 29 octobre 2006, Joseph Kabila a obtenu 69 563 voix face à son rival Jean-Pierre Bemba qui a totalisé 2 372 326 dans la région de l'Equateur. Même si l'Equateur est la province natale de Bemba, ce résultat montre le très faible niveau de popularité de Kabila dans cette région assez peuplée. Des doutes ont d'ailleurs été émis en 2006 sur la validité des scores de Bemba, très voire trop élevés. Cependant, le cas opposé a également été constaté dans les régions acquises à Kabila comme les Kivu, le Maniema et le Katanga. 271 L’APPA a été créé en 1987. Son siège est basé à Brazzaville. Il regroupe par ordre de production : le Nigeria, l’Angola, l’Algérie, la Libye, Egypte, le Soudan, la Guinée équatoriale, la République du Congo, le Gabon, le Tchad, le Cameroun, la Cote d’Ivoire, la RDC, l’Afrique du Sud, la Mauritanie, le Bénin. Cette organisation a comme principale vocation de partager les expériences de chacun afin d'harmoniser les pratiques. Malheureusement, elle ne remplit pas très bien son rôle car les Etats producteurs sont très jaloux de leur prérogative. Contrairement à l'OPEP où les ministres africains (Nigeria, Angola, Algérie, Libye) se rendent régulièrement, les réunions de l'APPA attirent davantage les cadres des ministères.

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exposent leur activité grâce à des dizaines de stands. Ces groupes viennent aussi pour vendre

leur savoir-faire et surtout pour rencontrer le nouveau ministre des hydrocarbures272. Le

président congolais, conscient de l'enjeu a d'ailleurs financé l'événement sur les deniers

propres de la présidence. Cela a évité des pesanteurs administratives avec la primature273 et le

ministère des finances.

Mais, une fois de plus, si l'on se place au niveau des symboles et des représentations, la

manifestation du Cape IV a été l’occasion de réaliser combien le pétrole est loin d’être devenu

une priorité pour le pouvoir. La présence du chef de l’Etat était annoncée pour l’ouverture.

Finalement les participants venant de tous les pays du continent n’ont eu droit qu’au vice

premier ministre en charge des Postes Téléphones et Télécommunications, Simon Bulupiy

Galati pour ouvrir le sommet. Cela a fait sourire plusieurs participants historiques de ces

réunions, Cape IV est en effet le quatrième événement de ce type. En 2003, à Cape I en Libye,

le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi avait ouvert les débats, à Cape II à Alger le président

Abdelaziz Bouteflika s'était également déplacé. Enfin, à Cotonou en 2007, c’est le Premier

ministre qui avait ouvert les débats. En RDC, seul un vice-premier ministre est venu. Le

symbole est fort. Plusieurs témoignages de très haut niveau, glanés lors de l'événement où

nous étions, attestent que des raisons de sécurité ont empêché Joseph Kabila de venir.

Cependant, les participants qui n'ont pas du tout été prévenus de cette cause, retiendront

uniquement son absence. Il n'est pas impossible que la sécurité ait joué, les fouilles étaient

inexistantes à l'entrée et la présence policière assez lâche. Le déroulement des trois jours s'est

pourtant passé sans accroc. Quant aux sociétés pétrolières qui ont droit à la parole à la tribune,

elles n'ont bien évidemment jamais critiqué la gestion congolaise des affaires pétrolières.

Elles ont déjà conscience d'être privilégiées d'avoir obtenu des blocs d'exploration. Tullow Oil

à qui les organisateurs n'ont pas donné la parole obtient d’ailleurs un très mauvais

emplacement pour son stand.

272 Ce genre de manifestation est l'occasion rêvée pour les pétroliers qui abhorrent venir à Kinshasa (ville où il est très difficile de travailler du fait de mauvaises infrastructures et où le sentiment d'insécurité est assez fort en particulier du fait de l'omniprésence des militaires et policiers) de voir les autorités mais aussi de recruter leur futurs représentants sur place. Ces derniers permettront de suivre les dossiers, de repérer les opportunités et de comprendre quelles sont les nouveaux cadres influents autour du ministre arrivant. Comprendre les cercles de pouvoir demande une importante gymnastique à tous les services de renseignement occidentaux, tout comme aux investisseurs à Kinshasa. 273 N'ayant eu aucun contrôle sur l'événement, le premier ministre Adolphe Muzito va d'ailleurs poser des problèmes administratifs à la mesure de son déplaisir d'avoir été écarté.

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Le sommet Cape IV terminé, le ministre des hydrocarbures congolais ne met pas deux mois

avant de signer un nouvel accord sur le lac Albert qui sera, celui-ci, immédiatement

sanctionné par un décret présidentiel.

Caprikat et Foxwhelp, les protégés du pouvoir

Après quatre années sans décision de la part du chef de l’Etat sur le lac Albert, les blocs 1 et 2

sont finalement attribués à deux sociétés inconnues enregistrées aux Iles Vierges britanniques:

Caprikat et Foxwhelp. Cette décision est connue le 22 juin 2010 lors de la parution du Journal

Officiel. Leurs noms ont été pour la première fois divulgués lors du Conseil des ministres du

2 juin 2010. Le 18 juin, le chef de l’Etat a signé avec grand empressement (au regard de

l'histoire passée avec Tullow et Divine Inspiration) le décret présidentiel, publié seulement

quatre jours plus tard274. Comme convenu dans le contrat de partage de production signé le 5

mai 2011, Caprikat et Foxwhelp s'acquittent alors d'un bonus de signature de 3 millions $ par

bloc soit considérablement davantage que pour Tullow en 2006 (mais cela reste cependant

très raisonnable compte tenu des découvertes déjà effectuées du côté ougandais). Les bonus

ont été payés par l’avocat congolais Palankoy Lakwas Medard275 à la Banque centrale du

Congo276 et à la Rawbank de Kinshasa.

Pour éviter tous les doutes et les critiques qui ont été portés sur les contrats précédents, de

nombreux signataires de haut rang sont conviés. Outre le ministre des hydrocarbures Célestin

Mbuyu Kabango, pas moins de trois autres ministres de poids le paraphe. C'est le cas de la

ministre du portefeuille Jeannine Mabunda Liongo277, du ministre du budget (dont le nom et

la qualité sont rajoutés au stylo sur le contrat) Jean Baptiste Ntahwa Kuderwa ainsi que le

ministre des finances Matata Ponyo Mapon (nommé Premier ministre en avril 2012).

Cependant, ces ministres ne sont pas n'importe qui pour le président Joseph Kabila. Ils sont

parmi les fidèles du chef de l'Etat qui leur fait confiance pour ne pas en parler aux médias

avant le conseil des ministres du 2 juin. Sur les quatre ministres, seul celui du budget n'est pas

274 Deux autres sociétés obtiennent leur décret présidentiel le même jour. Il s’agit des Sud-Africains de Sacoil qui rentrent sur le bloc 3 situé entre le lac Albert et le lac Edouard ainsi que le consortium mené par Dominion et Soco qui obtiennent le bloc 5 (lac Edouard). Ces blocs ne feront pas l’objet d’un long développement car leur potentiel est considéré comme moins important, aucune lutte particulière n’a été nécessaire pour les obtenir. 275 Palankoy Lakwas Médard est notamment l’avocat de l’homme d’affaire israélien Dan Gertler très proche de la présidence ainsi que du trader pétrolier Glencore (également présent dans l’exploration sur le bassin côtier). 276 Le chèque a été émis par la Banque internationale de crédit (BIC) contrôlée depuis décembre 2008 par les hommes d’affaires israéliens Dan Gertler et Benny Steinmetz. 277 Jeannine Mabunda Liongo est ministre du portefeuille depuis le premier gouvernement Gizenga en février 2007. C'est quasiment la seule ministre à avoir conservé son poste pendant toute la durée du mandat de Joseph Kabila. Le portefeuille est essentiel, il a la tutelle sur les entreprises publiques congolaises, il se charge des participations dans des sociétés mixtes ainsi que les investissements congolais dans des projets (tel que le pétrole). La ministre vient de l'Equateur, zone où Kabila pèse très peu électoralement comme on l'a déjà vu.

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membre du parti présidentiel, le PPRD. Jean Baptiste Ntahwa Kuderwa vient du parti du

premier ministre, le Parti Lumumbiste Unifié (Palu). La présence de ce dernier permet aussi

d'éviter toute critique venant du parti Palu, principal allié de Kabila dans l'Alliance de la

majorité présidentielle (AMP).

Caprikat et Foxwhelp ont été fondées uniquement pour l'exploration au Congo. Leur acte de

fondation est daté du 24 mars 2010278. Si l'on ne sait pas qui sont exactement les actionnaires

du groupe, les personnes publiques qui se disent proches de ses sociétés ont une grande

importance. L'un des administrateurs de Caprikat est Khulubuse Zuma279, neveu du président

sud-africain Jacob Zuma. Il s’est rendu à plusieurs reprises à Kinshasa en 2009 et 2010 pour

notamment travailler sur le dossier avec certains cadres de la présidence280. C'est Khulubuze

Zuma lui-même qui signe le contrat avec les ministres congolais au ministère des

hydrocarbures. Quant à Foxwhelp, c’est l’avocat sud-africain Michael Andrew Thomas

Hulley qui signe le contrat281. Hulley n'est pas non plus un inconnu, il est notamment célèbre

en Afrique du Sud pour avoir été l’avocat personnel de Jacob Zuma lors des accusations de

corruption et trafic d'influence qui l'écarte de la Vice-présidence du pays en 2005 (sous la

présidence de Thabo Mbeki). L'avocat et le président ont donc des liens très forts, il est très

difficile d'imaginer que l'affaire congolaise ait pu être menée sans en informer le président

Jacob Zuma qui a été élu en mai 2009. L’administrateur officiel des deux sociétés est quant à

lui l’avocat suisse Marc Bonnant282.

Comme aucune des deux sociétés n'a de passé pétrolier, Caprikat et Foxwhelp travaillent sur

leurs deux blocs avec la société de conseil Medea Development SA dirigé par l’italien

Giuseppe Ciccarelli (voir ci-dessous).

Giuseppe Ciccarelli a notamment été le directeur des opérations internationales de SNAM,

société détenue à 50% par la major italienne ENI. SNAM dispose actuellement d’un quasi-

monopole sur l'importation de gaz naturel liquéfié (GNL) en Italie. Avec Medea, Ciccarelli 278 Selon les documents officiels des Iles Vierges britanniques que nous avons pu consulter. 279 Khulubuse Zuma est également actionnaire de la société Aurora Empowerment Systems dirigée par le petit fils de Nelson Mandela, Zondwa Gadhafi Mandela. Aurora va rencontrer de lourds problèmes judiciaires en Afrique du Sud début 2011 car les salariés de ses mines d'or de Pamodzi représentant 1200 personnes vont porter plainte contre les dirigeants de la société. Ses derniers réclament des arriérés de salaire (plus d'un an). Ils accusent aussi les dirigeants d'Aurora d'avoir sciemment coulé cette dernière en retirant massivement des capitaux. 280 Outre l’implication du conseiller de Kabila, Augustin Katumba, le directeur de cabinet du président et ex-ministre des hydrocarbures Gustave Beya Siku aurait joué un rôle clé dans cet accord. 281 Africa Confidential, volume 51, numéro 14, 9 juillet 2010. 282 Africa Confidential, op. cit. Marc Bonnant est un avocat très célèbre du cabinet Bonnant Warluzel & associés basé à Genève. Bonnant qui plaide depuis les années 1970 a notamment défendu le romancier Paul-Loup Sulitzer dans l’affaire des ventes d’armes à l’Angola.

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propose du conseil dans les secteurs du pétrole/gaz ainsi que des mines. Alors que la société

existe depuis 1992, son site internet n'est toujours pas mis à jour, aucune activité n'est

répertoriée.

Si des intérêts sud-africains ont une nouvelle fois (après Divine Inspiration) la part belle dans

ces contrats, il y a plusieurs explications. D'abord, la présidence congolaise pousse et

avantage au maximum les investisseurs sud-africains qui veulent faire des affaires dans le

pays. Cela s'explique d'abord historiquement en partie par le soutien que Laurent Désiré

Kabilha a toujours reçu de la part de Nelson Mandela pendant les négociations pour le départ

de Mobutu. L'Afrique du Sud post-Apartheid a en effet toujours abhorré le régime Mobutiste.

Kinshasa a également besoin du soutien indéfectible de l'Afrique du Sud au sein de la

Southern African Development Community (SADC) ainsi qu'à l'ONU pour obtenir des aides

financières, des soutiens de processus politique et surtout, à terme, le retrait des forces de la

Mission des Nations Unies en République Démocratique du Congo (MONUC). En plus des

raisons stratégiques et géopolitiques, certains conseillers à la présidence, comme Augustin

Katumba Mwake, connaissent bien l'Afrique-du Sud pour y avoir travaillé et font des affaires

avec les Sud-Africains. Ce genre de contrat n'est jamais totalement désintéressé.

Une fois de plus, très peu de personnes ont été mises au courant de la négociation du contrat

donné à Caprikat et Foxwhelp. Mais cette fois-ci, cela a pris de nouvelles proportions. Même

le collège des hydrocarbures de la présidence n’a pas été mis dans la boucle de décision283. Le

directeur de cabinet du président Kabila Gustave Beya Seku284, aurait été la cheville ouvrière

de cette accord. Ce dernier a été nommé en février 2010 à ce poste après avoir été ministre

délégué aux hydrocarbures. Une promotion qui a été obtenue après avoir géré, comme il

fallait, le secteur pétrolier pendant l'ère de René Isekemanga. C'est-à-dire, sans

communication aucune et en réglant rapidement des problèmes épineux avec l'Angola et

Chevron (dont on parlera plus tard). Beya est le seul au cabinet présidentiel à comprendre

parfaitement le secteur pétrolier. Augustin Katumba est très influent mais il est davantage

familier avec le secteur minier, du fait de ses précédentes fonctions comme gouverneur du

Katanga. L’autre personne clé du dossier Caprikat et Foxwhelp à la présidence est l'israélien

Dan Gertler dont on déjà parlé précédemment pour avoir prêté de l'argent pour l'achat d'armes

lors de la présidence de Laurent Désiré Kabila. S’il dément toute implication, le nom de Dan 283 Entretiens avec des cadres du ministère des hydrocarbures, juin-juillet 2010. 284Gustave Beya Seku a l’avantage d’être Katangais tout comme le président Kabila. Avant d’être au poste de vice-ministre des hydrocarbures, Beya était expert pour le Congo auprès de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. Il a été avocat au barreau de Kinshasa pendant trente ans après avoir obtenu son doctorat en droit à l’Université de Bruxelles.

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Gertler fondateur de la société Dan Gertler International (DGI) revient souvent concernant

Caprikat et Foxwhelp. L’homme d’affaires a un accès direct au président. Il semble qu'après

s'être emparé du marché du diamant et d'être aussi présent dans le cuivre et l'or, il se soit enfin

intéressé au secteur pétrolier. Le dernier ministre des hydrocarbures nommé en avril 2012,

Atama Crispin Tabe a avoué lors d’une interview au Financial Times du 25 juin 2012 que

Dan Gertler est personnellement impliqué dans Caprikat et Foxwhelp, s’il s’est rétracté le

lendemain, l’information est bien passée285.

Si les dossiers Tullow/Heritage ainsi que Divine Inspiration ont été traités au ministère de

l'énergie puis des hydrocarbures, celui de Caprikat et Foxwhelp a clairement été pensé et

ficelé à la présidence. Cela s'explique également par le nouvel intérêt stratégique du secteur

d'hydrocarbures. On voit bien avec Gertler que la représentation du pétrole évolue dans la

stratégie des investisseurs étrangers (ou prédateurs financiers, spéculateurs) présents au

Congo. Autrefois, les mines étaient leur unique cible. Désormais le pétrole doit également

rentrer dans l'équation de leur exploitation des matières premières de la nation congolaise en

partenariat avec le pouvoir central ou du moins ses plus hauts représentants. En effet, du côté

ougandais du lac Albert, les découvertes en 2010 sont déjà de l'ordre de 1 milliard de barils

(en 2012, on parle de 2,5 milliards). Or, pour beaucoup de géologues rencontrés, les plus

grandes opportunités sont plutôt du côté du Congo sur ce bassin du Graben Albertine. Il faut

compter sur le pétrole et c'est pourquoi ce nouveau dossier a été traité entre les conseillers de

Kabila (pas forcément d'ailleurs en consultant le chef286), et les Sud-Africains. De plus, les

découvertes ougandaises vont de pair avec la hausse du cours du pétrole depuis 2003. Le

nombre toujours plus important de sociétés pétrolières venant à Kinshasa pour obtenir des

blocs pétroliers fait réfléchir les conseillers à la présidence et au ministère, où l’on comprend

bien désormais que le nouvel « eldorado » se trouve dans les hydrocarbures.

Les autorités congolaises accompagnent Caprikat et Foxwhelp

Le pouvoir congolais fait tout pour que ces sociétés, venues littéralement de nulle part, soient

bien accueillies sur le terrain. C'est ainsi qu'à un niveau local, une bonne partie de la

nomenklatura congolaise se mobilise pour soutenir Caprikat et Foxwhelp. Le 21 juillet 2010,

soit un mois à peine après l'attribution des deux permis, le ministre des hydrocarbures

Célestin Mbuyu Kabango, le vice-premier ministre en charge des télécommunications Simon

285 Financial Times, 25 juin 2012. 286 Plusieurs cadres pétroliers d'habitude bien informés nous ont affirmé que le président s'était mis en colère contre ses conseillers pour avoir été trompé sur le dossier Caprikat et Foxwhelp. Il n'a pas pu suivre avec suffisamment de minutie le processus pour voir qu'en fait, cela profitait à certains de ses conseillers et leurs amis.

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Bulupiy Galati, ainsi que le gouverneur de la Province Orientale (dont la région de l'Ituri fait

partie), Médard Autsai Asenga (voir ci-dessous), se rendent à Bunia (principal centre urbain

de l'Ituri) avec le Sud-Africain Khulubuse Zuma, principale figure publique de Caprikat. Une

réunion est organisée en catastrophe pour expliquer à la population (triée sur le volet) les

futures retombées positives des activités de ces sociétés pour la région. La rencontre ne donne

cependant lieu à aucun débat, le gouverneur et le ministre ayant juste publiquement soutenu

les sociétés en promettant "monts et merveilles". Durant la soirée, un dîner est gracieusement

offert à Bunia par les pétroliers.

Médard Autsai (né en 1942), avant d'être élu gouverneur de la province orientale en 2007,

était le vice-gouverneur en charge de l'économie et de l'administration. Durant la période

Mobutu Sese Seko, enseignant puis directeur d'école, il a commencé en politique comme étant

animateur politique dès 1980 (personne chargée de relayer les idées du parti de Mobutu et de

préparer ses venues fréquentes dans la région) puis député en 1982. Dès que Laurent Désiré

Kabila est arrivé au pouvoir en 1997, il l'a suivi en adhérant à son parti l'Alliance des forces

démocratiques du Congo (AFDL) puis il a adhéré au parti pour la reconstruction et la

démocratie (PPRD) de Joseph Kabila dès sa création en 2002. Il n'a donc jamais été un

opposant mais plutôt un homme politique assez légitimiste. Originaire de l'Ituri, il a délaissé

le poste de gouverneur pour se présenter aux élections législatives de fin 2011 où il a été élu.

Sources : discussions avec plusieurs députés de l'Ituri membre du PPRD.

Cependant, le gouverneur de la Province Orientale, chargé du dossier par la présidence, a pu

constater l'opposition de la quasi-totalité des députés nationaux d'Ituri (ils sont au nombre de

28), ainsi que de la société civile287. Il a donc de nouveau tenté de mobiliser, le 2 août, les élus

locaux en faveur des deux sociétés pétrolières, enregistrées aux îles Vierges britanniques.

Autsai a réuni dans sa villa les douze chefs de quartier de Bunia, ainsi qu'une cinquantaine de

notables locaux. Il leur a promis que Caprikat et Foxwhelp allaient apporter prospérité et

développement: construction de la route entre Komanda et Bunia, ainsi que celle entre Kaseni

et Bunia, réhabilitation du barrage de Budana et construction d'un réseau d'adduction d'eau à

Bunia. Cependant, ce que ne précise pas le gouverneur, c'est que ces chantiers d’une valeur de

plusieurs centaines de millions de dollars, ont pour certains été déjà attribués à des

287 Discussions avec plusieurs députes de l'Ituri ainsi que des membres de la société civile juste après l'événement. Leur connaissance du secteur pétrolier n'est pas très précise, ce qui arrange le pouvoir, mais ils ont le sentiment que ces deux nouvelles sociétés n'ont pas du tout les moyens financiers et techniques de ce qu'elles promettent contrairement à Tullow qui pouvait mettre en avant ses avancées de l'autre côté du lac Albert pour prouver de sa bonne foi. Les habitants de l'Ituri vont assez fréquemment de l'autre côté de la frontière ougandaise et sont donc parfaitement au courant de ce qui s'y passe. Y compris sans avoir accès aux journaux.

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compagnies chinoises dans le cadre des contrats "minerais contre infrastructures288" signé en

2007. Autsai a menacé lors de sa venue (il vit et travaille à Kisangani : à plusieurs centaines

de kilomètres à l'ouest de Bunia) plusieurs chefs d'organisations civiles d'Ituri et certains

députés locaux s’ils continuaient de s’opposer au projet289. Plusieurs responsables locaux ont

soigneusement évité de se rendre à Bunia pendant quelque temps car ils étaient considérés

comme des meneurs de l'opposition à l'arrivée Caprikat et Foxwhelp.

En coulisse, le dossier de Caprikat et Foxwhelp est suivi par plusieurs personnes proches du

pouvoir qui effectuent toujours les déplacements à Bunia lors des réunions d'information.

C'est d'abord le cas du député national de la province du Bas-Congo, Antoine Ghonda

Mangalibi, très proche de Joseph Kabila. Il était ambassadeur itinérant attaché à la présidence

jusqu'en 2006, pendant la période de transition entre 2003 et 2004, il a même été ministre des

affaires étrangères290. S'il n'a plus officiellement le titre d'ambassadeur itinérant, il en garde

les prérogatives. Ghonda a notamment fait partie de la délégation de Joseph Kabila lors de son

séjour en Ituri, les 17 et 18 septembre 2010. Le président congolais s'était déplacé pour

assurer à la population que le barrage de Budana, qui approvisionne la ville de Bunia, serait

réhabilité grâce au financement de Caprikat et Foxwhelp. Cette opération de communication

visait principalement à obtenir le soutien de la population de l'Ituri en vue de l'élection de

novembre 2011. La délégation des deux sociétés lors du voyage en Ituri était aussi composée

de Ngyukulu Malufua291, qui est officieusement représentant de la filiale congolaise de

288 Ces contrats signés au deuxième semestre 2007 entre l'Etat congolais et l'Etat chinois prévoyaient qu'en échange de la construction d'infrastructures (route, ponts, centrales électriques etc...) pour un montant total de plusieurs milliards (on l'estime à 8,5 milliards de dollars), l'Etat chinois pourrait importer pour l'équivalent de cette même somme des minerais divers (principalement cuivre) afin de "nourrir" l'économie chinoise. Le FMI et la Banque mondiale ont manifesté dès 2008 leur mécontentement par rapport à cet accord en soulignant le manque de transparence sur la compensation réelle en minerai ainsi que le procédé, endetterait davantage le Congo et que donc, cela serait en contradiction avec le travail de désendettement réalisé avec les bailleurs de fonds traditionnels. Pour davantage de précisions, voir: Thierry Vircoulon « La Chine, nouvel acteur de la reconstruction congolaise », Afrique contemporaine 3/2008 (n° 227), p. 107-118. 289 Recueil de témoignages directs de certains d’entre eux. 290 Selon un article de Monique Mas, publié sur le site de RFI le 18 août 2004, Antoine Ghonda a été limogé de son portefeuille du ministre des affaires étrangères en 2004 sous pression du président ougandais Yoweri Museveni qui a lui-même fait pression sur le vice-président congolais de l'époque, Jean-Pierre Bemba. Ce dernier, dirigeant du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) était financé par le pouvoir ougandais pendant la guerre. Ghonda, à l'époque membre du MLC depuis 2000 (pour lequel il a été responsable de relations extérieures pendant les années de guerre), est ainsi passé dans le camp de Kabila qui en a fait l'un de ses deux ambassadeurs itinérants en 2005. S'il est élu en 2006 au parlement, Kabila continue de lui confier des missions assez spéciales, requérant une totale confiance et discrétion. 291 Ngyukulu Malufua est un ancien directeur de la Cohydro (société nationale) Il a travaillé pour plusieurs sociétés comme Forrest Group (Mines) ainsi que Perenco pour la récupération du gaz des puits dans le Bas-Congo. Quatre témoignages le désignent comme étant la personne en charge des sociétés au quotidien, cependant, joint par téléphone, ce dernier le nie avec véhémence.

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Caprikat, ainsi que de Giuseppe Ciccarelli, ex-ENI, qui s'occupe de la partie technique de

l'exploration292.

A l'occasion d'une nouvelle visite du vice-premier ministre en charge des télécommunications,

Simon Bulupiy Galati, ainsi que du gouverneur de la Province Orientale, Médard Autsai, à

Bunia à la fin janvier 2011, accompagnant les représentants de Caprikat et Foxwhelp, des

petits cadeaux ont été apportés : la police locale a ainsi reçu cinq jeeps de marque Nissan ainsi

qu'une vingtaine de motos293. Auparavant, seule Divine Inspiration, pensant avoir rapidement

son décret présidentiel, avait financé des projets sociaux dans la région. Le groupe avait

acheté une quinzaine de jeeps utilisées par l'armée et la police, ainsi que plusieurs bateaux

rapides pour naviguer sur le lac Albert294. Ces deux exemples montrent que les sociétés

pétrolières dans l'Ituri ont tendance à favoriser les forces de sécurité au détriment des

populations. Aucune d'entre elles n'a eu l'idée de construire quelques écoles ou dispensaires

médicaux. Elles ont probablement songé qu'elles auraient été l'objet de harcèlement des forces

de sécurité, très mal équipées.

Tullow et Divine demandent des comptes au pouvoir

Cet accord avec les nouvelles sociétés inconnues a fait réagir Tullow, tout comme Divine

Inspiration, qui considèrent toutes deux que ce nouveau contrat donné à Caprikat et Foxwhelp

est illégal. Cependant, les deux sociétés flouées ont choisi des voies différentes en fonction de

leur relation avec le pouvoir congolais. La société anglo-irlandaise a d'emblée lancé une

procédure d’arbitrage internationale295, son vice-président Tim O’Hanlon répète que son

contrat signé en 2006 avec Heritage est toujours valide. Tullow a d'abord lancé dès le mois de

juin, une procédure devant l'Eastern Caribbean Supreme Court qui a compétence sur la zone

des îles vierges britanniques (où sont enregistrées Caprikat et Foxwhelp). Si la cour a dans un

premier temps donné raison à Tullow le 21 septembre 2010, en obligeant Caprikat et

Foxwhelp de stoper immédiatement toute exploration des blocs 1 et 2 sur le lac Albert, la

société irlandaise n'a pas pu faire reconduire cette procédure devant ce même tribunal au

début novembre. Tullow a également lancé en juin 2010 une procédure d'arbitrage contre

Caprikat et Foxwhelp devant la Chambre de commerce international de Paris. Cette démarche

pouvant durer plusieurs années, les Irlandais ont décidé de passer par la cour des îles Vierges

pour stopper l'exploration en attendant les résultats de l’arbitrage à Paris. Cependant, la

292 Africa Energy Intelligence, n°636, 29 août 2010. 293 Africa Energy Intelligence, n°646, 23 février 2011. 294 Selon l'un des chefs de la police de l'Ituri inerrogé par nos soins. 295 Tullow Oil plc, 2010 half year results, p. 8.

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société ne voyant aucune issue juridique a baissé les bras en 2011. Dans son rapport de

résultats annuels 2010 publiés sur son site internet le 9 mars 2011, elle déclare abandonner,

avec regret, toute poursuite296.

Si elle ne l’a pas fait savoir publiquement, la présidente de Divine Inspiration, Andrea Brown,

considère également que ce nouvel accord est illégal, d’autant plus que la société a payé plus

de quatre millions de dollars de bonus pour le bloc 1. Brown s'est rendue à plusieurs reprises

dans les bureaux des ministres à Kinshasa en novembre 2010 afin de se faire rembourser

l'argent décaissé deux ans plus tôt. Elle est parvenue à s'entretenir avec le premier ministre

Adolphe Muzito à qui elle a fait part de sa demande de remboursement de la totalité de la

somme à laquelle elle a rajouté 1,2 million de dollars d'intérêts et de taxes diverses297. Le

trésor congolais est évidemment opposé à ce genre de remboursement (le budget de l'Etat était

en 2010 de l’ordre de 5 milliards de dollars, 8 milliards en 2012). Divine Inspiration (dont le

nom a été remplacé en 2010 par Dig Oil) a donc proposé aux fonctionnaires du ministère des

hydrocarbures d'ouvrir une ligne de crédit correspondant à cette somme pour les travaux

futurs dans le pays notamment concernant la Cuvette centrale. Divine espère ainsi que les

négociations de décembre 2007 pour opérer les blocs 8, 22 et 23 de ce bassin, aboutiront

rapidement. Par une lettre datée du 26 juillet 2011, adressée au ministre des hydrocarbures

Célestin Mbuyu Kabango et à celui des finances Matata Ponyo (futur premier ministre de

2012), le premier ministre Adolphe Muzito demande à ces derniers de créer cette ligne de

crédit298. Il règle donc partiellement le problème.

Le ministre des hydrocarbures congolais Célestin Mbuyu Kabango avait promis dès

l'attribution à Caprikat et Foxwhelp, que le trésor rembourserait dans les plus brefs délais la

totalité des bonus aux sociétés qui n’ont finalement pas obtenu les périmètres 1 et 2. Si Divine

a bien joué du fait d'une bonne relation avec le pouvoir, Tullow attendait toujours un

dédommagement lors de l’écriture de ces lignes.

En dehors des problèmes liés aux sociétés pétrolières qui se trouvent lésées, cette affaire a

laissé des traces auprès de la communauté internationale. L’attribution des blocs à Caprikat et

Foxwhelp arrive à un mauvais moment. C’est le 30 juin 2010 que devaient se prononcer les

bailleurs de fonds, Banque mondiale et Fonds monétaire international (FMI), sur le point

d’achèvement du Congo qui octroie le statut de « Pays pauvre très endetté ». Ce dernier

296 Tullow Oil plc 2010 Annual Report and Accounts, p. 57. 297 Conversation avec des cadres du ministère des hydrocarbures, décembre 2010. 298 Discussion avec l'un des conseillers de Divine Inspiration (août 2011).

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permet aux Etats de demander une annulation d’une partie significative de leur dette en

échange de la poursuite de réformes économiques drastiques. Les bailleurs de fonds

considèrent bien le 30 juin que la RDC a atteint ce point d’achèvement : 12,3 milliards de

dollars ont été effacés. Cependant cela n’a pas été sans heurt. La Suisse et le Canada ont

milité pour que ce statut ne soit pas accordé au Congo. Le 30 juin, ils se sont abstenus de

voter299. Si la Suisse considère que la RDC n’a pas donné suffisamment de gage de sa volonté

à améliorer le fonctionnement de son économie, le Canada lui reproche entre autre l’éviction

d’Heritage du lac Albert. Le cas d’Heritage se rajoute à celui de la société minière canadienne

First Quantum, éjectée à l’été 2009 de l’énorme projet d’exploitation de cuivre et de cobalt de

Kingamyambo Musonoi (plus de 750 millions de dollars investis) au Katanga. Kinshasa a

accordé en janvier 2010 ce projet à Highwind Properties Ltd, immatriculé tout comme

Caprikat et Foxwhelp aux Iles Vierges britanniques300. Le Premier ministre canadien Stephen

Harper avait déjà attiré l’attention de ses pairs sur ce sujet lors du sommet du G8 de Huntville

le 28 juin 2010.

2-2 Les défis géographiques de l'exploration pétrolière dans la zone du Graben

Albertine

Outre l'attribution du bloc 1 et 2 à Caprikat et Foxwhelp le 18 juin 2010, le président

congolais Joseph Kabila a également paraphé le décret concernant deux blocs plus au sud,

longeant la frontière ougandaise et rwandaise. C'est le cas du bloc 3 qui a été au consortium

sud-africain Association South Africa Congo Oil Pty301 ainsi que le bloc 5, opéré depuis 2010

par les sociétés Soco et Dominion302 (voir carte n° ci-dessous).

299 Financial Times, 2 juillet 2010. 300 Africa Mining Intelligence, n°230, 7 juillet 2010. 301 Association South Africa Congo Oil Pty est une joint-venture entre la société sud-africaine South Africa Congo Oil (50%) et les anciens de Divine inspiration (50%) dirigée par Andrea Brown. A elles deux, les sociétés sud-africaines ont 85% du bloc 3 aux côtés de la Cohydro congolaise (15%). Voir ordonnance 10/043 du Journal officiel paru le 22 juin. Outre le bloc 3, South Africa Congo Oil (Sacoil) est également présente au Nigeria sur un bloc onshore et a également une usine en Afrique du Sud qui fabrique du manganèse. 302 Dominion est une société britannique qui est active des deux côtés du lac Edouard (RDC et Ouganda). Elle a obtenu le bloc 4B en Ouganda le 27 juillet 2007. Dominion et Soco sont proches car le président du conseil d'administration de Dominion Roger Cagle, n'est autre que le directeur adjoint de Soco.

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Cartes n°22: Blocs 1 et 2 du graben Albertine

Source : Tullow Oil

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Carte n°23 : Blocs 3 et 5 du graben Albertine.

Source : International Crisis Group.

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Ces 4 blocs déjà attribués (les blocs 1 et 2 sont visible sur la carte 21), un cinquième, le 4,

devrait être attribués plus tard, font partie du même bassin sédimentaire qu'on appelle le

Graben Albertine qui représente une partie du Rift Est-africain. Le graben est un terme venant

de l'allemand désignant une sorte de fossé entre les différentes couches de roche qui est

favorable au piégeage du pétrole. On en trouve dans de nombreuses zones en Afrique comme

au Niger ou au Mali.

Si Soco et Dominion, qui ont obtenu le bloc 5, peuvent mener seuls leur exploration du fait de

leur capacité financière, au moins dans un premier temps, toutes les autres sociétés doivent

recourir à des partenaires. En effet, la zone est totalement enclavée comme le montre la carte

ci-dessous où les blocs de 1 à 5 sont situés autour des lacs Albert et Edouard.

Carte n°24 : Enclavement de la zone d’exploration du rift est-africain

Source : Google Earth

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Il est nécessaire de transporter de très lourdes machines depuis l'Ouganda comme des

plateformes de forage, pour toute cette zone. Les matériels d'exploration ne peuvent pas venir

du Congo, ils devront donc passer par l'Ouganda ou bien par le Rwanda. Soulignons ici que la

région pétrolière qui va de l'Ituri (province Orientale) au Nord Kivu est en moyenne à plus de

2000 kilomètres de Kinshasa et aucune infrastructure routière ni fluviale ne permet de

transporter ce matériel depuis le principal port de Matadi (province du Bas-Congo). De plus,

aucune des sociétés, en particulier Caprikat et Foxwhelp n'ont les compétences techniques et

les moyens pour mener ses explorations dans une zone difficile. Cela est d'autant plus vrai que

tous les périmètres ont une partie offshore (dans les lacs) où les défis technologiques sont

nombreux et les coûts de forage, multipliés. Des partenariats vont très probablement devoir se

nouer pour travailler (en échange d’importants bonus d’entrée) avec des sociétés pétrolières

connues et reconnues pour leurs compétences. D'une certaine façon, après avoir attribué des

blocs difficiles techniquement mais avec d'énormes potentiels à de petites sociétés, l'Etat

Congolais va devoir faire venir des compagnies qui ont les moyens de travailler. Le président

Joseph Kabila l'a d'ailleurs souligné lors du discours annuel de l'état de la nation devant les

deux chambres (Assemblée nationale et Sénat) le 10 décembre 2010 : il est temps pour le

Congo d'accueillir les grandes sociétés pétrolières303.

Sacoil a été la première à commencer pendant l'été 2010 les discussions avec un partenaire de

poids : la major française Total304. Cette dernière a pris 65% du bloc et est devenu opérateur.

Un premier document émanant du ministère des hydrocarbures a été signé le 11 février 2011

pour accepter le nouveau tandem. Le consortium a également attendu aussi que le ministère

des hydrocarbures signe l'arrêté concernant les coordonnées exactes du permis avant de

travailler effectivement sur le bloc305. Ce même calendrier doit d'ailleurs s'appliquer pour

chacun des opérateurs. Cette procédure a cependant pris du retard car un an après l'attribution,

aucune société n'a obtenu d'arrêté de la part ministère des hydrocarbures. Total regardait les

opportunités dans cette zone du Congo depuis plus de deux ans. La société savait en effet

qu'elle serait choisie par la société irlandaise Tullow pour rentrer en Ouganda dès la fin 2009.

Elle voulait ainsi tenter de réaliser ce que Tullow n'avait pas réussi : être présente des deux

côtés de la frontière.

303 Africa Energy Intelligence, n°650, 20 avril 2010. 304 Total est également rentré en 2011 de l'autre côté du lac en Ouganda. 305 Après avoir obtenu un décret présidentiel pour un permis d'exploration, des cadres du ministère des hydrocarbures sont invités par la société à délimiter précisément sur le terrain la zone d'exploration. Cela arrive souvent qu'au Congo, les blocs se chevauchent, c'est le moment de corriger ce type d'erreur. Pour les blocs 1 et 2 de Caprikat et Foxwhelp, les coordonnées contenues dans le contrat de partage de production allait jusqu'à 7 kilomètres à l'intérieur du territoire ougandais, il a donc fallu régler ce problème.

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Quant à Caprikat et Foxwhelp, l'opacité qui règne sur les actionnaires étrangers et

personnalités congolaises n'entrainent pas la confiance des investisseurs. Ces sociétés

inconnues du milieu pétrolier font clairement peur aux sociétés établies qui sont cotées en

bourse, dans lesquels le conseil d'administration préfère traiter avec de petites sociétés qui

sont transparentes. Or, ce profil de sociétés établies, type major, représente la plupart de celles

qui auraient les moyens de développer de telle région avec des défis géographiques et

techniques comme ceux du graben albertine. Cependant, un acteur au moins échappe à ces

"dictatures" des bourses et conseils d'administration : les compagnies étatiques asiatiques et

en particulier celles venant de Chine. Dès le mois de mai 2011, un cadre de la société China

National Offshore Oil Corporation (CNOOC) a rencontré le ministre des hydrocarbures

congolais Célestin Mbuyu Kabango306 et probablement d'autres Congolais proches de la

présidence. Son entrée ferait sens car la CNOOC est depuis 2011, de l'autre côté du lac Albert

en Ouganda. Les Italiens de l'ENI qui ont négocié pour obtenir le seul bloc disponible à la mi

2011, le 4307, a aussi candidaté pour faire affaire avec Caprikat et Foxwhelp. ENI a l'avantage

de déjà disposer de puissants réseaux au Congo dans lequel elle explore le périmètre de

Ndunda sur le bassin côtier depuis 2010. ENI a un profil plus « aventurière » que ses

homologues européennes mais elle est pénalisée par le problème de l'opacité des deux

sociétés.

L'autre défi de l'exploration dans la zone du graben, cause majeure de la recherche de

partenariat avec de grosses sociétés expérimentées, est la difficulté d'accès, géographique

particulière, et la diversité de la faune et flore locale. En effet, contrairement à la partie

ougandaise du lac Albert, la façade congolaise est principalement entourée de falaises (voir

carte ci-dessous). Assez peu de villages sont installés sur le pourtour par absence quasi-totale

d'accès direct au lac Albert. Au sud du lac, dans la zone des montagnes bleues (parfois

appelées Monts Bleus), il y a aussi beaucoup de falaises. Côté Congo, les sociétés pétrolières

vont être contraintes de réaliser des forages dans des conditions de pur offshore alors qu'en

306 Africa Energy Intelligence, n°654, 22 juin 2011. 307 ENI n'a pas candidaté directement pour le bloc 4 mais elle est passée par une société véhicule, sorte de faux nez, appelé International Business Oil Due (IBOS II). Cette société dirigée par le directeur de Surestream RDC, Baudouin Ebeli Popo, s'engage à négocier directement les blocs puis à revendre une partie à ENI (une lettre de son PDG Paolo Scaroni reconnait officiellement la société), IBOS II reversera l'argent amassé à l'association Objectif Congo créée par le Saint-Siège (Vatican) pour financer des œuvres de charité au nom de la religion catholique. En d'autres termes, grâce à l'entregent de certains congolais, déjà fortunés, l'Eglise obtient des fonds pour reconstruire le pays notamment en termes d'école et de dispensaires. L'église catholique était très puissante dans l'éducation et la santé pendant la période coloniale puis ses moyens ont diminué alors que l'Etat congolais devenait de plus en plus déliquescent. La plupart des hauts fonctionnaires et ministres congolais formés sous la période Mobutu sont passés par des écoles chrétiennes avant de partir pour l'étranger (France ou Belgique) pour les plus chanceux d'entre eux.

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Ouganda, elles peuvent mener des forages dirigés qui partent de la terre ferme308. S'il y a bien

des zones de plages avec des villages comme Mahagi Port (à peine plus d'un millier

d'habitants), où l'exploration va être beaucoup plus facile, cela est sans commune mesure en

termes de kilomètres avec l'Ouganda où les plages représentent la plus grande partie du

pourtour. Les villages de pêcheurs y sont par exemple beaucoup plus nombreux côté

ougandais 309. La prise de vue sur la carte ci-dessous montre bien que du côté ouest du lac:

côté Congo, la couleur verte représente une végétation dense sur une chaine de montagnes

quasi continue, quant au versant est de l’Ouganda, la couleur du sable et de la terre est visible

à de nombreux endroits démontrant la présence de terrains au même niveau que la mer, où les

pétroliers pourront opérés plus facilement.

308.Les forages dirigés sont donc moins chers que ceux sur les mers ou lac profond comme celui du Tanganyika au sud du graben Albertine où la profondeur atteint 1433 mètres d'eau. Le lac Albert n'est pas très profond car son point bas atteint seulement 51 mètres. 309 Appréciations à partir d'un séjour sur les berges du lac Albert côté Ougandais et d'un vol en petit avion au dessus du lac (juin 2008).

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Carte n°25: Falaises et plages autour du lac Albert

Source : Google earth

Pour le lac Edouard concerné par les blocs 4 et 5, l'exploration posera moins de problème côté

congolais que sur le lac Albert, il y a davantage de zones de plages et la profondeur du lac

n'excède jamais 147 mètres.

Si le problème des animaux protégés et la forêt va certainement se poser bientôt pour les blocs

plus au nord (1 et 2) du fait de la présence de la zone forestière de Aruwimi310, la présence du

310 Cette forêt qui fait partie de la forêt équatoriale est protégé au titre du patrimoine de l'UNESCO. Elle renferme une population assez importante d'Okapis.

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219

bloc 5 dans la réserve naturelle, et protégée, du Parc des Virunga311 a déjà fait l'objet d'une

importante mobilisation nationale et internationale.

Carte n°26 : Parc des Virunga dans le bloc d'exploration 5 opéré par Soco et Dominion

Source : Dominion Oil

Dans cette dernière carte, comme la légende le montre, on voit que le bloc pétrolier comprend

une très grande partie du Parc de Virunga même s’il évite la partie où il y a la présence de

grands gorilles situés au Sud du parc, coté congolais et rwandais.

311 Le parc des Virunga s'étend sur 790 000 hectares, il est officiellement considéré comme patrimoine protégé de l'Unesco depuis 1979. Ancêtre du parc national Albert créé en 1925 (premier d'Afrique), les Virunga a été baptisé ainsi dès l'indépendance en 1960 lorsqu'il a été partagé en deux, laissant la partie est du parc Albert au Rwanda. Il possède une grande variété d'animaux (notamment hippopotames et les derniers grands gorilles des montagnes du monde) ainsi que quelques éléphants, beaucoup ont disparu depuis les années 1980 où les braconnages ont beaucoup sévi. Son relief va de 700 à plus de 5000 mètres. Fermé pour des questions de sécurité une première fois au début des années 1990 pendant les troubles au Rwanda pré-génocide du fait de l'afflux de réfugiés. Il a fermé à nouveau de 2007 à mai 2009 (présence des anciens Hutu génocidaires du Rwanda : Force Démocratique de Libération du Rwanda FDLR). Il a ensuite rouvert pour accueillir une clientèle assez fortunée mais encore assez peu nombreuse.

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En effet, dès l'attribution des permis en juin 2010, le ministre congolais de l'environnement

José Endundo Bonange a été mis à rude épreuve lorsque Soco Oil a obtenu son décret

présidentiel pour explorer ce bloc, à cheval entre la province du Nord-Kivu et celle de la

province Orientale. Dès le mois d'août 2010, une équipe de Soco accompagnée de cadres du

ministère des hydrocarbures se rend à Rutshuru (Nord-Kivu) afin de borner du Sud au Nord

leur bloc. Les premières critiques ne tardent pas, en particulier de la part de certaines ONG.

Le responsable de l'Observatoire volcanologique de Goma, Kacho Karume, met en doute les

futures études d'impact environnemental car c'est Soco elle-même qui doit la réaliser312. Le

ministre de l'environnement, José Endundo va d'ailleurs rejeter dès le 25 novembre les

conclusions de cette étude d'impact environnemental présentées par le pétrolier. Pour ce faire,

le ministre s'est appuyé sur un rapport de l'Institut congolais pour la conservation de la

nature313 (ICCN), qui rappelle l'interdiction de l'exploitation pétrolière dans les parcs

nationaux du pays. Le ministère juge aussi "très insuffisantes" les mesures de sécurité

proposées par les pétroliers pour surveiller leur stock de dynamite dans une région en proie

aux attaques de groupes armés314.

L'Unesco a également été particulièrement actif dans la dénonciation de cet accord pétrolier.

Il a plusieurs fois mis en garde le Congo concernant l'exploration pétrolière dans le parc des

Virunga. Une lettre de la directrice de l'organisation, Irina Bokova a été envoyé le 6 août 2010

au président Joseph Kabila. Constatant que le Congo ne bougeait pas suffisamment, malgré le

rejet de l'étude d'impact du 25 novembre, Irina Bokova a elle-même fait le déplacement à

Kinshasa à la mi-janvier 2011 où elle a pu s'entretenir avec le premier ministre Adolphe

312 Agence d'informations chinoise, Xinhua, 23 août 2010. 313 ICCN est un organisme d'Etat en charge de la protection de l'environnement. Il est dirigé depuis 2008 par une figure de la politique congolaise, Yves Mobando Yogo. Ce dernier a été de 2004 à 2007 le gouverneur de la province de l'Equateur. A ce titre, il connait bien le ministre de l'environnement José Endundo, qui vient aussi de cette région. Ils ont donc pu, organiser de concert la stratégie pour faire plier Soco. 314 La zone du Kivu est la plus instable avec un grand nombre de groupes armés (voir carte d’International Crisis Group sur les blocs pétroliers congolais 3 et 5). Le plus connu est le FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), constitué d'ex-soldats des Forces Armées Rwandaises (FAR) de l'époque de l'ancien président Juvénal Habyarimana. Ils ont été les principaux exécutants du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Les FDLR sont considérés comme la principale source de l’insécurité à l’est de la RDC. Mais il y a aussi des groupes dissidents mais dont les membres ont la même histoire : c'est le cas des RUD (Forces du Rassemblement pour l’Unité et la Démocratie), et les FOCA (Forces Combattantes Abacunguzi). Il y a deux groupes armés ougandais qui opèrent aussi plus au Nord dans la région de l'Ituri: les ADF-NALU (Allied Defense Forces/National Alliance for the Liberation of Uganda) basés dans le Mont Ruwenzori et la LRA (Lord Resistance Army), groupe créé en 1986 qui bouge entre le Soudan, la RDC et la République centrafricaine. S’agissant des groupes armés congolais (soutenus par le Rwanda), le plus connu est le CNDP (Conseil National pour la Défense du Peuple) qui a signé sa réintégration dans l'armée congolaise en 2009 lors de la capture de son chef Laurent Nkunda. Le numéro 2 de Nkunda, Bosco Ntaganda qui est recherché par la Cours Pénal Internationale, a réouvert en 2012 les hostilités contre Kinsahsa en créant un nouveau front de rebellion, le M23.

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Muzito315. L'Unesco a également été suivi par la Banque mondiale qui a envoyé un courrier

au même premier ministre le 30 novembre 2011 pour lui intimer de revoir sa position sur

l'exploration dans la réserves des Virunga. Dans ce courrier, les menaces étaient à peine

voilées, elle prie Adolphe Muzito de "confirmer l'engagement de la RDC à préserver

l'intégrité du Parc national des Virunga afin de nous permettre de poursuivre nos

financements dans le domaine de la conservation de la nature et du développement durable

des forêts en RDC316". En d'autres termes, si l'exploration se poursuit, les budgets d'aide

seront coupés. L'Union européenne, l'un des principaux bailleurs des fonds des programmes

de conservation au Congo, est également sur la même ligne que l'Unesco et que la Banque

mondiale317. Le Belge Emmanuel de Merode, nommé en août 2008 à la tête du parc par les

autorités congolaises est également un important soutien des institutions internationales. Or ce

dernier dispose d'un vaste réseau de lobbying : issu de la grande noblesse belge (il a le titre de

prince), il est également l'époux de Louise de Merode, la fille de Richard Leakey, le célèbre

paléoanthropologue kenyan blanc, qui fut également chef de la fonction publique à Nairobi à

la fin des années 2000. Louis Leakey, le grand-père de Louise de Merode, est le premier à

avoir mis en place un programme de protection des gorilles de montagne318.

Cependant, Soco ne désarme pas et met en place sa riposte. Le groupe britannique a organisé

à Goma (capitale de la province du Nord-Kivu), le 27 janvier 2011, une rencontre avec les

organisations de la société civile du Kivu, sous le patronage du gouverneur Julien Paluku

Kahongya. But de l'opération : mettre en avant les bénéfices de l'exploration pétrolière pour la

province. Pourtant prévenu par le ministre de l'environnement de sa nonchalance concernant

la protection des explosifs liée aux problèmes sécuritaires de la zone, un ingénieur sud-

africain d'une entreprise contractée par Soco est kidnappé le 14 février avec plusieurs soldats

congolais par un groupe armé de la région. Ils seront relâchés seulement deux jours plus

tard319. A l'avenir, il va falloir négocier avec les différents groupes armés de la région, en

particulier ceux soutenus par le Rwanda. Mais également, les ennemis du président actuel de

ce pays Paul Kagamé, qui ont été actifs pendant le génocide de 1994.

Dans un courrier adressé le 14 mars 2011 à un collectif d'ONG internationales (dont le WWF,

la Wildlife Conservation Society et l’African Wildlife Foundation), le ministre de 315 Quotidien Congolais La prospérité, 24 janvier 2011. 316 La Libre Belgique, 20 novembre 2010, Marie France Cros. 317 Africa Energy Intelligence, n°641, 8 décembre 2010 318 Africa Energy Intelligence, n°645, 9 février 2011. 319 Agence France Presse, 17 février 2011.

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l’environnement congolais, annonce la suspension des activités d’exploration de Soco Oil

dans le parc des Virunga. Le ministre précise dans son courrier avoir "rejeté les

recommandations d’une étude d’impact réalisée par Soco Oil, car elle était prématurée, trop

sommaire et non conforme aux standards qu’on pouvait en attendre320". José Endundo

Bononge a également annoncé que, grâce à l’appui des partenaires économiques et financiers

du Congo (dont l’Unesco et l’Union européenne), ses services pourraient conduire une

"évaluation stratégique environnementale" préliminaire à l’étude d’impact, qui couvrirait non

seulement le parc national des Virunga mais aussi "l’ensemble de l’aire géographique

transfrontalière affectée par l’attribution de blocs". A la vue de la carte du bloc 5 (voir carte

24), plus d’1/3 de la surface est située dans le parc des Virunga, cela va être très difficile pour

la compagnie d'accepter d'exclure entièrement cette zone.

Le cabinet Safege SA (filiale de Veolia Environnement), est recruté fin août 2011 sur

financement de la Commission européenne pour mener une étude environnementale sur

l’exploration et l’exploitation pétrolière dans les cinq blocs du Graben Albertine (Est du

Congo). Les quatre consultants (chef de mission, économiste, biologiste et ingénieur pétrolier)

doivent soumettre leur rapport à un Comité interministériel consultatif, placé sous la

responsabilité du ministre de l’environnement. Safege doit vérifier si l'exploitation pétrolière

peut se faire en conformité avec le droit national et international. Les consultants doivent

s’intéresser aussi à l’impact environnemental sur des aires protégées hors du parc des

Virunga, comme le domaine de chasse de Rutshuru, dans le bloc 5 de Soco et Dominion. La

mission doit trouver un compromis difficile. "L’exploitation des ressources naturelles non

renouvelables est interdite par la loi congolaise et ne peut être envisagée que par un

renoncement aux engagements internationaux contractés par l’Etat congolais", relève la

Commission, qui indique néanmoins que l’étude va examiner s’il est possible d’aménager les

limites du parc. Les experts doivent aussi étudier les alternatives, notamment le système de

compensations carbone envisagé par l’Equateur, qui a prévu de créer un fonds alimenté

pendant dix ans par la communauté internationale et géré par le PNUD à hauteur de la moitié

de ce qu’aurait rapporté l’exploitation pétrolière321. Cette dernière possibilité parait assez peu

envisageable. Cette nouvelle étude est un gage donné par l'Etat congolais aux bailleurs de

fonds. Cependant, clairement, le pays ne peut pas se permettre de ne pas exploiter la zone.

320 Africa Energy Intelligence, n°648, 23 mars 2011. 321 Africa Energy Intelligence, n°658, 7 septembre 2011.

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En effet, et malgré le volontarisme de Endundo, le ministère congolais des hydrocarbures

devrait ainsi prédominer dans la décision. Ce dernier portefeuille pèse davantage pour le chef

de l'Etat car il rapporte de l'argent au trésor et également sous forme de commissions.

Interrogés longuement pendant cette affaire d'exploitation pétrolière dans le parc des Virunga,

l’un des cadres du ministère des hydrocarbures résume la situation de façon rationnelle et

terre à terre : "Si les occidentaux veulent que l'on préserve les zones protégées, il faut

compenser financièrement le Congo pour le manque à gagner en conséquence de la non

exploitation pétrolière". Avec un budget national de l'ordre de 7 milliards de dollars en 2011,

il est évidemment très compliqué de faire passer l'exploitation de richesses naturelles pour un

crime aux yeux des congolais (et ce même si le produit de l'exploitation est mal dépensé

localement et nationalement). En résumant à grand trait, l'idée d'arrêter l'exploration pour des

questions d'environnement est communément perçue au sein du ministère des hydrocarbures,

comme une pensée "bourgeoise d'occidental".

Toujours dans la problématique environnementale, il faut souligner que le Congo-Kinshasa

n'est pas dans la même situation que certains pays comme le Kenya ou la Tanzanie où le

tourisme lié à la faune et la flore est au centre du développement économique. Le Congo

n'accueille quasiment pas de tourisme, pour des raisons évidentes d'insécurité (à l'est en

particulier), de manques de logistiques (sur la plus grande partie du territoire) et d'incessantes

contrariétés avec les fonctionnaires non payés qui maillent le territoire ou ex-fonctionnaires

qui en gardent les prérogatives (absolument partout). Il n'y a donc pas de crainte immédiate

quant à la destruction de régions protégées. Quelques déboisements ou pollutions n'auront en

effet pas de répercussions immédiates sur l'économie du pays. Les ONG rappellent

l'augmentation du tourisme dans les parcs naturels comme les Virunga notamment, mais cela

reste encore un phénomène très minime. S'il reviendra in fine au président Joseph Kabila de

trancher entre l'exploration pétrolière ou le mécontentement des ONG appuyé par les bailleurs

de fonds, il est fort à parier que l'option choisie dépendra beaucoup des contreparties

financières de la communauté internationale. En cas de non réactivité de cette dernière en

matière de dons (l'offre de la Banque mondiale ne peut être qu'une première étape),

l'exploration et l'exploitation suivra sans nul doute son cours normal. La stratégie des bailleurs

a cependant pris une tournure de menace, si le Congo exploite cette zone protégée, les budgets

sectoriels d'aide déjà votée pourraient être suspendus. Il est très possible que cette décision

d'octroyer une partie du Parc des Virunga soit prise après les prochaines élections.

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3 Le pétrole du graben Albertine, une stratégie ougandaise différente pour

une même zone

Le profil de l'Ouganda est très différent du Congo voisin. L’une des principales raisons tient

au fait que l'Ouganda jouit d'une certaine stabilité depuis la prise de fonction du président

Yoweri Museveni en 1986. Le pouvoir est en plus très clairement soutenu militairement par

les Américains et les Britanniques, en numéraire et en formation, ce qui fait de Museveni, un

des hommes forts de la région, avec Meles Zenawi en Ethiopie et Paul Kagamé au Rwanda322.

En échange de cette aide, l'Ouganda s'est engagé à être et rester le principal pourvoyeur de

soldats de l'une des missions les plus périlleuses dans le cadre du maintien de la paix, la

Mission de l'Union africaine en Somalie (AMISOM323). Après le fiasco du passage des

Américains en Somalie entre 1992 et 1994 où 18 soldats sont morts dans les rues de

Mogadiscio, la prise de relais de l'Ouganda à la tête d'une mission de l'Union africaine est un

soulagement pour les Américains qui ont vécu l’épisode somalien comme une humiliation324.

C'est donc l'une des raisons importantes du soutien américain quasi indéfectible au président

ougandais Yoweri Museveni.

De plus, les bailleurs de fonds on été, au moins jusqu'à 2006, très favorables au président

ougandais pour avoir mené des réformes libérales lors des plans d'ajustement structurel à

partir de la fin des années 1980. L'Ouganda a d'ailleurs été le premier Etat à obtenir le statut

de Pays Pauvre très endetté en 1998. Ce dernier lui ouvrant la voie à une importante

annulation de dette de 700 millions de dollars325. Il a également atteint le point d'achèvement

de l'initiative des pays pauvres très endettés en 2000, permettant à nouveau d'accélérer

322 Ce dernier voit cependant progressivement sa relation privilégiée avec les Etats-Unis se détériorer du fait de sa méthode assez autocratique de diriger son pays. L'un des symboles de cette détérioration est peut être l'adoption de la loi américaine Dodd-Franck officiellement entrée en vigueur le 1er avril 2011. Cette loi impose aux importateurs de minerais de prouver à la Securities Exchange Commission (SEC) l’origine non conflictuelle des minerais. Or, le Rwanda qui profite illégalement des minerais de son voisin congolais est durement pénalisé, mais aussi le Congo : au Nord-Kivu, une baisse des deux tiers des recettes tirées de la production (actuellement interrompue) de la cassitérite, du coltan, du wolfram et de l'or a été ressentie à la fin 2011. Sources: Africa Mining Intelligence, n°251, 1 juin 2011. 323 La participation massive de l'Ouganda à l'AMISOM a un prix : les Shebab somaliens n'hésitent pas à perpétrer des attentats meurtriés à Kampala. L’un des plus meurtiriés a eu lieu le 11 juillet 2010 dans des cafés et boîtes de nuit de la capitale ougandaise, bilan : 76 personnes. Il a été revendiqué par les Shebab. 324 Les deux missions américaines Operation provide relief et Operation restore Hope, ont fait l'objet d'un film hollywoodien Black Hawk Down (La chute du faucon noir) qui a eu beaucoup de succès lors de sa sortie en 2001. La mort de 18 soldats américains tombés avec les hélicoptères, vécus comme une tragédie et une impuissance de la puissance américaine, ont changé la stratégie d'intervention extérieure des Etats-Unis qui se sont beaucoup appuyés sur des casques bleus ensuite (hors de l'Irak et Afghanistan). Cet événement a également modifié les tactiques de guerre, les boys sont désormais moins exposés (utilisations des drones au maximum). 325 Selon le site internet de la Banque mondiale : http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/COUNTRIES/AFRICAEXT/UGANDAEXTN/0,,contentMDK:20225952~menuPK:473833~pagePK:141137~piPK:217854~theSitePK:374864,00.html

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l'annulation de dette. Deux milliards de dollars ont à nouveau été effacés de l'ardoise que le

pays doit aux bailleurs de fonds multilatéraux tels que le FMI ou la Banque mondiale ou bien

les bilatéraux que sont les Etats (Club de Paris). En comparaison, le Congo n'a atteint le point

d'achèvement qu'en 2010, soit dix ans plus tard.

Le territoire ougandais n'est pas entièrement pacifié, cependant contrairement au Congo, les

principales menaces ont été au moins écartées. C'est le cas de la principale d'entre elles, The

Lord Resistence Army (LRA)326, qui sévit depuis 1987, et dont l'un des buts est de renverser

Museveni du pouvoir pour exercer un régime théocratique. La LRA prend appui sur le Holy

Spirit Movement développé par Alice Auna Lakwena, mouvement mystique venant des

régions du nord de l'Ouganda, principalement issu du groupe ethnique Acholi. Ce mouvement

devient très dangereux pour Museveni à partir de 1988 lorsque Joseph Koni, neveu de

Lakwena, prend la tête du mouvement en le renommant LRA. Kony dont le but est

l'application stricte des dix commandements est beaucoup plus violent que Lakwena. Il

commet massacres, viols, tortures dans le nord de l'Ouganda durant les années 90 et début

2000. Il généralise notamment le rapt de jeunes qui deviennent enfants soldats et vivent tout le

temps de leur capture (certains s’échappent) dans la forêt. Kony est aidé à partir de 1994 dans

cette entreprise par le Soudan d'Omar El Béchir qui lui demande, en échange d'armements et

de logistiques, d'intervenir au Soudan du Sud (à l’époque territoire sans autonomie réelle au

grand dam de ses leaders, voir partie III) animiste et chrétien pour le déstabiliser327. Cette

décision conduit immédiatement au soutien de Museveni au combat de Sudan People's

Liberation Army du leader rebelle John Garang (mort en 2005 dans un accident d'hélicoptère

prêté par le président Museveni). Malgré l'arrêt progressif de l'aide de Béchir à la LRA,

l'armée ougandaise n'a jamais réussi à capturer Joseph Kony qui se joue des frontières et

bougent avec sa petite armée de quelques centaines de soldats, entre le nord de la République

démocratique du Congo, le sud de la République Centrafricaine et le désormais Etat du

Soudan du Sud. S'étant aliéné la population acholi, base arrière de son mouvement anti

Museveni, Kony a donc quitté le Nord de l'Ouganda. Il n'est donc plus une menace immédiate

pour le pouvoir ougandais. Cependant, des expéditions de l'armée ougandaise, y compris en

territoire congolais, ont lieu depuis 2009. Du 22 au 25 juillet, l'armée ougandaise Uganda

People's Defense Force (UPDF) ainsi que l'armée congolaise (Force armée de la République

démocratique du Congo) ont ainsi agi au nord de la ville congolaise de Kisangani (province

326 Sandrine Perrot, Who's the Bull in the Kraal ? , Cahiers d'études africaines 1/2010 (n° 197), p. 153-179. 327 Leslie Piquemal, La guerre au nord de l'Ouganda, une "solution militaire" sans issue ?, Afrique Contemporaine, n°209, 2004/1.

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orientale) et tué plusieurs membres de la LRA mais sans arriver à tuer son chef. Cet épisode a

d'ailleurs montré un certain réchauffement des relations entre les deux pays ennemis328.

L'écartement par Museveni de la menace LRA est peu à peu récompensé dans les urnes par

les populations du nord de l'Ouganda, traditionnellement hostiles au président (qui vient du

sud), pour avoir permis une certaine stabilité. Entre les élections de 2006 et celles de février

2011, le président a considérablement accru ses votes dans les régions touchées par la LRA.

Les districts où la LRA a été active concernant principalement: Gulu, Kitgum, Pader, Apac,

Lira, Katakwi, Kumi et Soroti (voir cartte ci-dessous). En 2006, le président a obtenu en

moyenne dans ces sept districts 16,2% des voix329, ces pourcentages ont été quasiment

doublés en 2011. Museveni a compris dès les années 1990, qu'il était important de faire

émerger au sein du pouvoir central des élites du Nord afin d'obtenir un meilleur soutien de son

pouvoir et de rassembler. Ainsi sur 229 ministres que Museveni a nommés depuis 1986, 43

viennent du Nord330. Cependant, il reste que le Nord dont la ville principale est Gulu est

considérablement sous développée du fait des actions de la LRA.

328 Cela a cependant créé des remous au sein de la majorité présidentielle à Kinshasa où le président du parlement et ex-directeur de campagne de Joseph Kabila, Vital Kamerhe, s'est publiquement opposé à cette autorisation donnée aux forces ougandaises d'agir sur le territoire congolais. Vital Kamerhe a du démissionner et est depuis lors dans l'opposition à Kabila. Il s’est même présenté aux élections présidentielles en 2011. 329 Chiffres par district disponibles à cette adresse:http://en.wikipedia.org/wiki/Ugandan_general_election,_2006. 330 Michael Mubangizi, dans l'hebdomadaire Ougandais The Observer, 29 mai 2011.

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Carte n°27 : Anciennes et nouvelles zones d'activité de l'Armée de résistance du Seigneur en

Ouganda.

Source : Wikipedia.

L'une des autres menaces pour le pouvoir est localisée dans la région de Karamoja, à l'extrême

nord-est de l'Ouganda.

La région de Karamoja est une des plus pauvres du pays, elle a même été confrontée à une

période de famine à la fin des années 1970 du fait de la sécheresse. Le gouvernement central

ougandais est confronté dans cette zone à des conflits armés très fréquents entre les

propriétaires de bétails impliquant l’armée et la police ougandaise. La prolifération d’armes

de guerre est liée à la proximité des conflits régionaux comme celui de la Somalie. Plusieurs

campagnes de désarmement ont eu lieu mais sans pouvoir éradiquer complètement le

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phénomène de violence. Alors qu'elle n'est pas issue de cette région, c'est la propre femme du

président ougandais, Janet Musèlent qui est ministre en charge de cette région depuis 2009.

Elle est d'ailleurs passée du rang de secrétaire d'Etat en 2009 à ministre plénipotentiaire en

mai 2011. Cependant, ces problèmes sont loin de nuire directement au pouvoir du président.

C'est un conflit très local et au nombre de victimes très bas. Il n'en reste pas moins qu'il

constitue jusqu'alors un échec de la politique du président.

Enfin, avant d'aborder la question pétrolière, il semble nécessaire de rappeler que les deux

guerres du Congo (1996-1997 et 1998-2003) dont on a longuement parlées, ont tout de même

eu une incidence sur le territoire ougandais. Plusieurs milliers de réfugiés congolais sont

venus sur le territoire ougandais. Le plus grand camp de réfugié ougandais se situe à Nakivale

dans le district d'Isingiro, frontalier avec le Rwanda. Créé dans les années 1960 afin

d'accueillir les réfugiés Tutsis chassés par le pouvoir Hutu au Rwanda, Nakivale s'est peuplé

de « populations » plus diverses lorsqu'une partie de ces Tutsis sont rentrés chez eux avec

l'arrivée au pouvoir de Paul Kagamé en 1994. Certains rwandais hutu les ont remplacés, tout

comme des congolais fuyant les pillages dès les années 1990 puis les combats à partir de 1998

avec la deuxième guerre du Congo. Ce camp a pu atteindre jusqu'à 60 000 réfugiés.

Cependant, ces guerres du Congo ont aussi été un important facteur d'enrichissement pour un

certain nombre de gradés et d'hommes d'affaires ougandais qui ont mis en place des réseaux

pour vendre les minerais (en particulier or et diamant) issu de la province orientale

congolaise. S'il y a bien eu des reflux de réfugiés congolais (venant de la province orientale

mais aussi des deux provinces du Kivu) sur le territoire ougandais à la fin des années 1990,

une bonne partie d'entre eux ont soit décidé de rentrer dans leur pays d'origine, soit ils se sont

peu à peu insérés dans la société ougandaise331.

Alors que les deux principales menaces territoriales (LRA et Karamoja) ainsi que les

membres de l’Allied Defense Forces/National Alliance for the Liberation of Uganda ADF-

Nalu -dont on a déjà parlé et qui sont principalement actifs au Congo désormais332- sont loin

de Kampala et semblent être en grande partie contrôlées par le gouvernement, le président

Museveni s’est aussi renforcé politiquement, en usant parfois de la force et du clientélisme.

Les scores du National Resistence Movement (NRM), le parti du président sont en constante 331 Multiples discussions avec des réfugiés congolais à Kampala sur une relativement longue période entre 2008 et 2011. Si cette méthode ne peut faire office d'enquête sociologique, cela peut donner une idée en retraçant leur parcours et leur demandant des nouvelles de la communauté congolaise qui se côtoie beaucoup dans la capitale ougandaise. 332 International Crisis Group, “Black gold in Congo: Threat to stability or development opportunity?”, Africa Report 188, juillet 2012.

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hausse depuis les élections de 2001. Pour les premières élections organisées sous sa

présidence, en 1996, il a obtenu 75,5%, mais il n'y avait aucune structuration de partis

d'opposition. En 2001 où il était en compétition contre son ancien médecin personnel Kezza

Besigye, Museveni remporte les élections avec 68,3% des suffrages. L’année 2006 est une

élection importante car Museveni ne gagne "qu’" avec 59% contre Besigye. Cette dernière

élection a d'ailleurs été très disputée et fortement contestée par le challenger de Museveni.

Après une forte réorganisation du parti NRM et une stratégie de reconquête et de contrôle des

zones peu enclines au président comme dans le Nord, les élections de février 2011 reviennent

à des scores d'antan, Museveni est élu dès le premier tour avec 68,3%. L'élection de 2006 a

été très mal vécue par le président qui a senti que trop de liberté et de démocratie (la liberté de

parole et de faire campagne n'a jamais été aussi ouverte qu'en 2006) peut à terme le mettre en

danger. Il a donc mis en place une politique de reprise en main des districts rebelles grâce à

des intimidations et des débauchages généralisés de cadres des partis d'opposition qui

comptaient dans leur zone. Cela s'est évidemment accompagné d'argent, en particulier dans

les zones clés comme dans l'ouest pétrolier333.

L'arrivée du pétrole est une donnée importante pour un pays qui a toujours été très dépendant

de l'aide étrangère pour son budget. Pour la seule année fiscale 2011, près d'un milliard de

dollars (soit 1681 milliards de shillings) viennent de l'aide étrangère sur un budget total de 3

milliards de dollars (soit 8,374 milliards de shillings)334. Cela fait qu'un tiers du budget vient

de l'extérieur. Ce ratio est d'ailleurs en progrès car il a atteint jusqu'à 50% au milieu des

années 2000. Le début de la production vers 2016/2017 devrait donc faciliter une nouvelle

indépendance de l'économie ougandaise. Encore faut-il utiliser à bon escient la future manne

pétrolière. La description des années d'exploration et de découvertes peuvent déjà nous

donner des indices à ce sujet.

333 Nombreuses discussions avec des maires et députés de la région ouest, en particulier avec celui d’Hoïma, Francis Atugonza. 334 Discours du ministre des finances Maria Kiwanuka devant l'assemblée, Daily Monitor du 8 juin 2011 : http://www.monitor.co.ug/News/National/-/688334/1177096/-/item/20/-/f7rsy1z/-/index.html.

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230

Carte n°28 : Blocs pétroliers en exploration en Ouganda

Source : Tullow Oil

3-1 Une histoire pétrolière récente

Jusqu'à la toute fin des années 1990, le côté ougandais du lac Albert (bassin du graben

Albertine335) n'a pas forcément été plus gâté par les pétroliers que le Congo voisin. Les

premières explorations datent de 1938, elles sont réalisées par le groupe sud-africain African

European Investment Company336, mais très vite ce dernier abandonne après un forage

décevant (Waki-1 près de Butiaba). La société était de plus gênée par l'enclavement du bassin

dans une période économique de prix du pétrole encore très bas. La deuxième guerre

mondiale achève le projet. Si des négociations sont menées avec le groupe anglo-néerlandais

Shell en 1988, elles n'aboutissent pas, par manque de données disponibles337. Il faut ensuite

335 Plusieurs autres bassins ont été délimités grâce à des études aériennes et sismiques dans les années 1980 : Lake Kyoga Basin, Hoima Basin, Lake Wamala Basin et Moroto-Kadam Basin. Cependant, comme seuls ceux du lac Albert et du lac Edouard font l'objet d'exploration actuellement, nous ne nous attarderons pas sur les autres. 336 Reuben Kashambuzi, The Story of Petroleum exploration in Uganda (1984-2008), 2010. 337 Selon l'ouvrage de Reuben Kashambuzi, les cadres du ministère de l'énergie se posent à l'époque la question de savoir comment récolter des données sur les bassins sédimentaires du pays sans signer de contrat d'exploration avec des sociétés étrangères? Ils vont peu à peu être contraints de se lancer eux-mêmes dans la

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attendre les essais infructueux de Petrofina en 1991 pour que les premières sismiques soient

menées, mais la société part dès 1992 du fait des troubles au Congo (émeutes, pillages) où elle

a signé le même type de contrat. Cependant, et contrairement au Congo qui s'est peu à peu

enfoncé dans le chaos durant les dernières années de Mobutu, l'Ouganda a pu assez

rapidement rebondir. Dès février 1995, une surface de 8 500 km2 correspondant au bloc 2

(voir carte 26 ci-dessus), soit environ le tiers de la zone proche du Lac Albert fait l'objet d'un

accord d'exploration avec la société Uganda General Works and Engineering Co Ltd

(UGWEC) formée avec des fonds américains338 et ougandais (Etat). Des dépenses

d'exploration de 10 millions $ sont prévues dans la période initiale de quatre ans. En cas

d'exploitation, on parle déjà l'époque d'un contrat de 25 ans339.Cependant, dès 1995, UGWEC

s'avère incapable de dégager suffisamment de fonds pour le forage d’un premier puits

d'exploration. Sa recherche d'un partenaire trainant en longueur, le gouvernement à Kampala

lui donne jusqu'en février 1996 pour trouver des fonds et réaliser sa part du contrat. La licence

est annulée dès le mois de mars 1996340.

Le ministère des ressources naturelles en charge du secteur à l'époque341, n'a pas attendu très

longtemps pour qu'une autre société, cette fois-ci bien plus sérieuse ne vienne en Ouganda. La

canadienne Heritage Oil se met à négocier avec le gouvernement dès 1996 et signe le 15

décembre 1997 avec le ministre des ressources naturelles Gerald Sendaula (voir portrait ci-

dessous) pour explorer un bloc de 4800 km² sur les rives sud du lac Albert (actuel bloc 3, voir

carte 26).

Gérald Sendaula né en 1943, est un pilier du parti du président ougandais Yoweri Museveni,

(National Resistence Movement) arrivé au pouvoir en 1986. Sendaula a été ministre sans

discontinuité de 1991 à 2006. Commençant par le portefeuille du Commerce et l'industrie en

1991, il prend celui des ressources naturelles et de l'environnement après les élections

récolte de telles données. Les sociétés pétrolières sont frileuses à l'époque du premier contre choc pétrolier de 1986 où le cours du brut est de l'ordre de 10 dollars le baril (à comparer avec les 34 à 40 durant le deuxième choc pétrolier issu de la révolution iranienne de 1979). 338 Les Américains font partie de la société californienne International Resources Development Group. Cette dernière, totalement inconnue du monde pétrolier, ne va d'ailleurs pas s'avérer suffisamment fortunée pour poursuivre l'exploration. 339 Africa Energy Intelligence, n°253, 15 juin 1994. 340 Africa Energy Intelligence, n°296, 1er mai 1996. 341 La tutelle sur le secteur pétrolier va être exercée jusqu'à la fin des années 1990 par le titulaire du portefeuille des ressources naturelles. Puis à partir de 2001, c'est l'énergie qui se charge principalement des explorations pétrolières avec quelques interférences de temps en temps. Un département exploration/production est créé à la fin des années 1990 et directement rattaché à l'énergie.

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présidentielles de 1996 où il est l'un des 40 cadres pilotant la campagne de Museveni. Ensuite

de 1998 à 2006, il sera le ministre des finances du pays. Preuve de l’importance de son rôle, il

continue au même poste après les élections présidentielles de 2001. Il est depuis le président

du conseil d'administration de la banque ougandaise: Tropical Bank ainsi que le président de

l’Uganda Revenue Authority qui gère les impôts. Sendaula est un grand propriétaire terrien, il

produit du café dans son district natal de Masaka (au sud-ouest de Kampala).

Cette zone sud appelée le bassin de Semliki (du nom de la rivière éponyme qui se jette dans le

Lac Albert) est déjà considérée à l'époque par l'équipe ougandaise en charge du pétrole,

comme la plus prospective342 (cela sera prouvée plus tard avec le découverte du champ de

Kingfisher par Tullow). Le directeur général de Heritage Bryan Westwood (dont on a déjà

parlé au Congo), propose même quelque 200 millions de dollars d'investissement sur

plusieurs années. Le montant est tellement élevé pour le pays, peu habitué à tant d'intérêt,

qu'il en est presque suspect343. Dès le mois de décembre, Heritage est rejoint par la petite

compagnie australienne Hardman Resources qui prend un périmètre de 4675 km² au nord du

lac Albert (équivalent du bloc 2 aujourd'hui). Cette dernière est déjà présente en Mauritanie

où elle a pris pied en octobre 1996 dans l'offshore. En septembre 2001, Heritage fait entrer à

hauteur de 50 % la société sud-africaine Energy Africa sur le bloc 3 afin de partager les frais

du premier forage.

Après avoir quitté l'Ouganda en 1999, les Australiens de Hardman Resources reviennent le 8

octobre 2001 grâce à la signature d'un accord pour prendre 50% du même bloc 2 aux côtés du

partenaire sud-africain d'Heritage, Energy Africa344. Au mois d'avril 2003, Heritage met

finalement à jour les premières traces de pétrole et gaz (bloc 3) de l'histoire de l'Ouganda,

situé au sud du Lac Albert. Voyant ses efforts récompensés, Heritage obtient en 2004 le bloc

1 (au Nord du lac) aux côtés d’Energy Africa qui vient d'être racheté quelques mois plus tôt

par Tullow Oil. Grâce au forage de Waraga-1, cette dernière met à jour de nouvelles

découvertes le 13 mars 2006 sur le bloc 2 qu'elle opère avec Hardman. A la fin de l'année,

c'est d'autres succès sur le bloc 3A qui viennent confirmer le potentiel de la zone qui, après les

rachats de Energy Africa en 2004 puis de Hardman Resources en septembre 2006 par Tullow,

n'est plus exploré que par cette dernière (50% du bloc 1 et 3A et 100% du 2) et Heritage (qui a

342 Kashambuzi, Ibid, p. 6. 343 Conversation avec des cadres ougandais du ministère de l'énergie qui étaient déjà en charge à l'époque des faits. 344 Africa Energy Intelligence, n°425, 17 octobre 2001.

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233

50% du bloc 1 et 3A). La concentration des efforts d'exploration entre les mains de seulement

deux acteurs favorise une conduite rapide, voire très rapide, des travaux d'exploration.

Après avoir effectué de multiples découvertes en commun, plus d'une trentaine de puits sont

forés entre 2006 et 2009 (soit plus d'un milliard de barils de réserves), Heritage décide que le

moment est venu de se séparer de ses actifs ougandais345. A l'été 2009, elle propose ses

participations sur les blocs 1 (50%) et 3A (50%) à plusieurs sociétés. Le président de la

société italienne ENI Paolo Scaroni profite de son voyage calamiteux au Congo (d'où il est

reparti bredouille, voir début de cette partie sur le Congo) pour s'arrêter en Ouganda le 13

août. Il y rencontre le président Yoweri Museveni et lui fait passer le message que sa société

voudrait investir au plus vite dans son pays. La société commence à faire jouer ses réseaux à

Kampala et le 23 novembre 2009, une offre de 1,45 milliard de dollars est officiellement

acceptée par Heritage pour le rachat de ses actifs par la firme italienne. Cependant, Heritage

qui a déjà signé un accord de principe avec les italiens, est gênée par son partenaire Tullow.

Réagissant à cette annonce de cession, Brian Glover, qui dirige les opérations de Tullow Oil

en Ouganda346, contre-attaque immédiatement en déclarant publiquement que sa société

dispose, d’un droit de premier refus347, ce qui est tout à fait véridique du point de vue

strictement légal. Si la société anglo-irlandaise n'a au départ aucun apriori vis-à-vis d'ENI, elle

ne veut pas se faire imposer un partenaire qui risquerait de lui "voler" la conduite futur du

projet. Et ce d'autant plus qu'ENI n'est pas une petite société, elle a une très importante

capacité financière et possède une longue expérience de gestion de projets de grandes

tailles348. Mais Tullow estime qu'ayant fourni les efforts initiaux dans une région à laquelle

personne ne croyait cinq ans plus tôt, elle doit pouvoir négocier elle-même les conditions d'un

partenariat et ainsi continuer à garder l'ascendant sur la conduite des opérations.

Les deux sociétés se livrent donc à un combat sans merci pour prendre le contrôle des parts

d'Heritage. Le PDG d'ENI, dans un entretien au quotidien italien La Repubblica daté du 25

345 En plus d'une confortable plus value pour ses actionnaires dont certain comme Tony Buckingham vont d'ailleurs considérablement s'enrichir grâce à l'opération, Heritage veut surtout utiliser cet argent pour financer ces projets de développement pétrolier au Kurdistan Irakien où les potentiels sont très importants. 346 La filiale ougandaise de Tullow est présidée depuis 2007 par Elly Karuhenga. Ce dernier que nous avons pu rencontrer, est un avocat aux réseaux très puissants, il a été député du district de Nyabushozi. Depuis 2010, il est également le président de l'Uganda Chamber of Mines & Petroleum qu'il a lui-même créé. Karuhanga est l'un des membres du Rotary club le plus prestigieux de Kampala. 347 Cette disposition légale prévoit qu'en cas de cession d'actif sur un bloc pétrolier, les autres actionnaires restant sur le périmètre (s'il y en a) sont privilégiés dans le cas d'une vente. Ils doivent cependant pour cela s'alignent sur la meilleure offre extérieure proposée par des sociétés non partenaires. 348 Hors d'Afrique, ENI est l'une des majors impliquées dans le développement du champ géant de Kashagan au Kazakhstan (20 milliards de barils). Ce dernier découvert en 2000 ne devrait pas produire avant 2013/2014. Les défis climatiques, géopolitiques et techniques sont légion.

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234

janvier 2010, donne un aperçu des investissements promis en Ouganda au cas où les parts

d'Heritage lui reviendraient. Scaroni promet de dépenser pas moins de 13 milliards de dollars

pour une raffinerie, une centrale électrique, un oléoduc allant du lac Albert jusqu'à Dar es-

Salaam en Tanzanie, ainsi que pour la réhabilitation d'une ligne de chemin de fer entre

Kampala et Mombasa (Kenya). Le responsable Afrique de Tullow Oil, Tim O'Hanlon,

s'entretient le même jour, le 25 janvier, avec le président Yoweri Museveni à Entebbe. Tullow

a de quoi être inquiet, le ministre ougandais de l'énergie, Hilary Onek, a déclaré publiquement

mi-janvier que l'Ouganda soutenait ENI pour l'achat des participations d'Heritage, et ce afin

d'éviter une situation de monopole de Tullow. En effet, en cas de reprise par Tullow des actifs

de son partenaire, la société aurait 100% sur les trois blocs entourant le lac Albert.

Lors de cette rencontre avec le chef de l'Etat ougandais le 25 janvier 2010, O'Hanlon tente de

démontrer qu'il n'y aurait aucun monopole en cas d'achat des parts d'Heritage par Tullow. En

effet, le groupe irlandais a initié dès la fin du premier semestre 2009 (soit quasiment au même

moment qu'Heritage) un processus pour trouver des partenaires afin de développer ses blocs

dans le pays. Au départ, ce processus avait pour but premier de partager les coûts, car les

découvertes s'accumulant, la taille de la société devient un handicap. Elle ne peut pas lever

suffisamment d'argent pour ce type de projet. Mais, dans le cas du rachat des parts de

Heritage, cette stratégie est devenue un atout pour démontrer le souhait d'éviter tout

monopole. Ironie de l'histoire, la major italienne a d'ailleurs fait partie des sociétés avec

lesquels Tullow a négocié en 2009 pour lui vendre une partie de ses actifs dans les blocs 1 et

3A, ainsi que dans le bloc 2, qui borde aussi le lac Albert et que Tullow opère. L’accord du 23

novembre entre l’ENI et Heritage prive donc Tullow d’un acheteur potentiel.

Les candidats privilégiés par le groupe anglo-irlandais sont connus dès le mois de janvier

2010 : la major française Total et China National Offshore Oil Corp. (CNOOC). Le PDG de

CNOOC Fu Chengyu se trouve d'ailleurs aux côtés de Tim O'Hanlon lors de la rencontre du

25 janvier avec le président Museveni349. Le chef des opérations de Tullow en Ouganda, Paul

McDade, annonce par ailleurs opportunément le 27 janvier que les champs ougandais

commenceraient à produire 1 000 b/j à la fin de l'année. La production passera à 10 000 b/j en

2011, puis atteindra 150 000 en 2015350.

349 Fu Chengyu va d'une certaine façon servir la stratégie de Tullow qui est d'éviter au maximum d'être perçue comme une société qui fait tout pour être en situation monopolistique. 350 Ceci s'est avéré être démenti car en 2011, il n'y a toujours aucune production pétrolière en Ouganda.

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235

Il faut cependant attendre le 26 juillet 2010 pour que le gouvernement ougandais donne enfin

un accord de principe pour le rachat pour 1,45 milliard de dollars des actifs d’Heritage par

Tullow. Cette dernière possède alors 100% des blocs 1, 2 et 3A. Cependant la rudesse de la

bataille entre les deux sociétés a laissé des traces : dans un télégramme de l'ambassade

américaine de Kampala qui a fuité grâce à Wikileaks en 2010, Tim O’Hanlon aurait indiqué à

l’ambassadeur américain que deux ministres ougandais auraient appuyé (contre d'importantes

rétributions financières) la candidature du groupe italien. Il a accusé nommément le ministre

de l'énergie, Hilary Onek (sur lequel nous reviendrons plus tard), et celui de la sécurité,

Amama Mbabazi (également à l'époque secrétaire général du National Resistance Movement,

le parti du président Yoweri Museveni) d'être derrière le lobbying en faveur d'ENI. Mbabazi

est un proche du président, il a d'ailleurs été nommé premier ministre le 24 mai 2011. Si

O'Hanlon a démenti avoir tenu de tel propos lors de la mise en ligne du télégramme, il est très

vraisemblable (selon nos multiples conversations avec l'intéressé et compte tenu de son

caractère) qui l'ait tout de même prononcé ces accusations.

Le 29 mars 2011, Tullow qui possède désormais 100% des trois blocs du lac Albert, vend à

son tour (non sans mal comme on le verra plus tard) pour 2,9 milliards de dollars 33% des

trois blocs 1-2 et 3A à Total ainsi que 33% à CNOOC. Chacune des trois sociétés opérera un

des trois blocs. Tullow a choisi ces deux sociétés car elles sont complémentaires. La société

irlandaise est non intégrée, elle n’est active qu’en exploration-production, elle a donc besoin

de partenaires ayant des compétences pour produire mais aussi pour construire des oléoducs

(indispensables pour exporter le brut) et une raffinerie en Ouganda (exigence du président

ougandais Yoweri Museveni). CNOOC et Total sont capables de construire ou au moins

d'encadrer de tels travaux.

En parallèle à ces trois blocs, deux autres blocs vont être attribués à de petites sociétés.

D'abord le bloc 5 au nord du lac Albert, uniquement onshore, que prendra la compagnie

britannique Neptune Petroleum en janvier 2006. Cette dernière sera rachetée la même année

par Tower Resources351. Le permis de Tower Resources est renouvelé en mars 2010 sur un

périmètre réduit352.

351 Tower Resources est dirigé par Peter Kingston, également administrateur indépendant de Soco (présent en RDC sur le bloc 5). Tower est financièrement soutenue depuis 2008 par le fonds australien Global Petroleum qui pourrait prendre à terme 25% du bloc 5. Le président de Global Petroleum, Mark Savage, est également au conseil d'administration de Tower. 352 A chacune des périodes d'exploration -en Ouganda elles sont de deux ans chacune et renouvelables trois fois- la superficie du permis est réduite de 50%. Les zones ainsi rendues vont à l'Etat qui a tout loisir de les redonner à de nouvelles sociétés. C'est cependant la société opératrice qui décide des parties du bloc qu'elle redonne à l'Etat.

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Celui entourant le lac Edouard (4B) est donné en juillet 2007 à Dominion Petroleum qui est

devenue en 2010 actionnaire d'un autre permis de l'autre côté de la frontière sur le bloc 5

congolais (avec Soco). Dominion a été assisté dans sa démarche qui a duré quasiment un an,

par l'ancien ministre de l'énergie Richard Kaijuka (1998/1999) qui est d'ailleurs devenu

brièvement le directeur général de sa filiale ougandaise dès 2007. La société a effectué un seul

forage en 2010 qui s'est avéré décevant, cependant il lui a permis de mieux comprendre la

géologie. Dominion compte beaucoup sur l'acquisition de son bloc congolais pour mieux

comprendre cette zone.

D'une exploration embryonnaire à la fin des années 1990 avec de très petites sociétés qui ont

rapidement abandonnées, l'Ouganda se retrouve après une décennie d'exploration, avec des

majors pour mener à bien un projet pétrolier considérable. Le but: produire quelque 250 000

bpj d'ici à 2016/2017. Cependant, depuis 2007, aucun nouveau permis n'a été attribué, faute

d'une législation suffisamment précise. Le secrétaire d'Etat ougandais à l'énergie, Simon

D'Ujanga, avait pourtant annoncé en 2007 que les attributions de permis d'exploration ne

seraient gelées que pendant un an353.

Cinq ans après cette annonce, il n'y a toujours pas eu de nouveau bloc offert. Pas moins de 82

pétroliers ont déposé des offres auprès du ministère de l'énergie, pour opérer les zones

récemment rendues par Tullow Oil sur les blocs 1, 2, et 3A sur le lac Albert. Parmi les

candidats figurent notamment les Russes de Lukoil354, la compagnie privée Cairn India, la

société nationale indienne ONGC, ainsi que CNPC, Caprikat et Foxwhelp (déjà opérateurs

des blocs 1 et 2 du côté congolais du Graben Albertine). ExxonMobil a également discuté

avec le ministère ougandais de l'énergie mais n'a pas déposé d'offre formelle.

3-2 La gouvernance du secteur pétrolier en Ouganda

Le secteur pétrolier en Ouganda est administré par le ministère de l'énergie qui a aussi la

tutelle sur les questions d'électricité. Trois personnes sont la plupart du temps en charge du

secteur, un ministre titulaire, un secrétaire d'Etat à l'énergie et un autre préposé au secteur

minier. Ce dernier est également amené à intervenir sur le pétrole mais il est sous la tutelle du

ministre de l'énergie. Contrairement à ce qui se fait au Congo depuis la fin des années 1990

353 Africa Energy Intelligence, n°567, 24 octobre 2007. 354 Le pétrolier russe part avec un avantage car les relations entre l'Ouganda et la Russie sont au plus haut. La Russie a ainsi livré en juillet 2011 à Kampala deux des six chasseurs Sukhoï 30 Mk2 commandés en août 2010. Le président Museveni a convaincu en juin les parlementaires de voter une partie du paiement de ces avions, qui serviront à protéger la zone pétrolière. De plus, Moscou avait, dès le départ, proposé à l'Ouganda des facilités de paiement si Lukoil obtenait des périmètres d'exploration. Africa Energy Intelligence, n°658, 7 septembre 2011.

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avec Jean-Victor Mpoyo puis de façon régulière depuis l'élection de Joseph Kabila en 2006, le

président Yoweri Museveni n'a jamais fait le choix de nommer un ministre qui serait

uniquement en charge du pétrole et des hydrocarbures. A quelques exceptions près, le poste

n'a pas vraiment été donné à des pontes de son parti, National Resistance Movement (NRM).

Les ministres en charge de l'énergie se sont donc principalement attelés durant leur mandat

aux problèmes liés à la pauvreté de l'offre électrique dans le pays. L'énergie est cependant un

poste très difficile car très exposé, il fait donc figure de test pour le président ougandais, afin

d'éventuellement faire grimper les impétrants à de fonctions plus "stratégiques". Les

mécontentements de la population liés à l'irrégularité de la fourniture de courant ou alors à la

pénurie de carburant sont légion. En effet, la totalité de l'essence consommée en Ouganda

vient du Kenya, soit du port de Mombasa depuis les pays du golfe soit directement de la

raffinerie de la ville portuaire kenyane. L'absence de portefeuille dédié au pétrole pouvait

s'expliquer jusqu'à récemment, car le pays n'a jamais produit et donc il n'y avait pas lieu de

créer un poste spécifique, contrairement au Congo qui produit depuis les années 1970.

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Tableau 4 : Ministres en charge du secteur du pétrole depuis la fin des années 1990

Ministres en charge du

secteur pétrolier

Vice-ministre Durée de la fonction du

ministre en titre

Fonction suivante

Gérald Sendaula 1996/1998 Ministre des finances

de 1998 à 2006.

Richard Kaijuka 1998/avril 1999 Cadre à la Banque

mondiale (écarté pour

corruption)

Hajjat Syda Bbumba Francis Babu (jusqu'en

2001) puis Daudi

Migereko jusqu'en

2005

1999/2006 Ministre affaires

sociales et emploi puis

finances

Daudi Migereko Michael Kafabusa

Werikhe (2005/2006)

puis Simon D'Ujanga

2005/2009 Responsable des

députés de la majorité

à l'Assemblée (écarté

pour corruption)

Hilary Onek Simon D'Ujanga 2009/2011 Ministre de l'intérieur

Irene Muloni Simon D'Ujanga Mai 2011/- En poste

L'analyse du tableau 4 ci-dessus montre qu'il y a eu, contrairement au Congo, assez peu de

ministre en charge de ce portefeuille. Six titulaires seulement de 1996 à 2011, ce qui peut

nous amener à formuler plusieurs conclusions. D'abord que ce ministère est souvent donné à

des hommes de dossier membre du NRM ou même parfois des ingénieurs, assez peu à des

hommes ou femmes355 très politisés. Ensuite que l'exposition du poste n'a jamais vraiment

discrédité les titulaires car ils poursuivront après leur passage à l'énergie une carrière politique

à de hautes fonctions. Seul Richard Kaijuka, soupçonné d'avoir accepté de l'argent en échange

d'un appui concernant le projet de barrage de Bujagali (situé à l'est du pays proche de la ville

de Jinja), a été écarté du pouvoir à Kampala mais replacé tout de même à un poste à

responsabilité au sein de la Banque mondiale. Il faut cependant diviser en deux la période

choisie pour le tableau ci-dessus. Il y a d'abord les premières années d'exploration à la fin des

années 1990 qui n'ont pas véritablement conduit à la dépense de gros montants. Ensuite,

Heritage Oil rentre à partir de 2003 dans la période des forages où les moyens vont petit à

petit considérablement augmenter. C'est seulement à partir de cette époque que le ministère de

355 Syda Bumba est la ministre qui a gardé le poste de l'énergie le plus longtemps entre 1999 et 2006.

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l'énergie dirigé par Hajjat Syda Bbumba (voir profil ci-dessous) et son Vice-ministre Daudi

Migereko (profil également ci-dessous) va commencer de traiter de façon spéciale la question

pétrolière, secteur qui occupait auparavant moins d'une dizaine de personnes.

Hajjat Syda Bbumba est née en 1952 dans le district de Nakasese (sud-est de Kampala) au

sein d'une famille musulmane (communauté importante et parfois en conflit avec Museveni).

Elle est comptable de formation. Dès 1996, elle fait partie de la commission électorale puis

est élue députée pour la première fois la même année. De 1996 à 1999, elle est chargée de la

surveillance économique (economic monitoring) à la présidence. C'est après cette expérience

que Bbumba deviendra pour la première fois ministre, en charge de l'énergie et des ressources

naturelles jusqu'aux élections de 2006. Sous le feu des critiques répétées concernant

l'approvisionnement électrique, elle est nommée au ministère du genre, affaires sociales du

travail. En février 2009, elle part aux finances jusqu'à son retour depuis mai 2011 au genre,

affaires sociales et travail. Membre active du NRM, Bbumba doit toute sa carrière au

président Yoweri Museveni qui lui a fait confiance depuis 1999 sans discontinuité. Le chef de

l’Etat a eu à utiliser les liens privilégiés de sa ministre avec la communauté musulmane, et en

particulier avec l'Uganda Muslim Supreme Council pour éviter des problèmes avec les

importants donateurs venant du golfe: La Lettre de l'Océan Indien, n°1288, 26 juin 2010.

Daudi Migereko est né en 1965 dans le district de Jinja (à 100 kilomètres à l'est de Kampala).

Diplômé de Makerere, la meilleure université du pays basée à Kampala, il va travailler dans

une société privée de 1986 à 2001, avant d'être élu pour la première fois député national du

parti présidentiel en 2001. Dès son élection, il est immédiatement propulsé comme secrétaire

d'Etat à l'énergie, poste qu'il conservera jusqu'en 2006 où il sera nommé ministre en titre.

Entre 2009 et 2011, il sera nommé chief whip (responsable du groupe National Resistence

Movement, fonction qui vise à s'assurer que les membres du groupe votent bien

conformément à la consigne de vote) à l'Assemblée nationale avant de revenir comme

ministre du logement et du foncier en mai 2011.

Lorsque Daudi Migereko devient ministre de l'énergie en 2006, le pays est déjà dans une autre

époque : Tullow a racheté Energy Africa en 2004 puis Hardman Resources en 2006. On sait à

ce moment-là que l'Ouganda deviendra une nouvelle province pétrolière africaine de premier

plan. Migrereko et son adjoint Simon D'Ujanga (profil ci-dessous) que nous avons tout deux

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rencontrés en 2008 ainsi qu’en 2011, sont donc les personnes qui ont accompagné les succès

des dizaines de forages positifs.

Simon D'Ujanga né en 1953 dans le district de Zombo (au nord de l'Ouganda) est ingénieur

électricien de formation. Dès 1994, il devient directeur général adjoint de l'Uganda Electricity

Board (organe étatique de pilotage du secteur de l'énergie) puis directeur général jusqu'en

1999. En 2001, il décide de se lancer en politique et se fait élire député du district de Nebbi

(nord-Est du pays, zone faisant partie des explorations pétrolières). En juin 2006, il devient

secrétaire d'Etat à l'énergie, poste auquel il est conforté en mai 2011. D'Ujanga n'a pas eu le

soutien du National Resistence Movement pour se présenter aux élections législatives de

2011. Il est donc l'un des rares ministres qui ne soit pas également député. Loi non écrite, les

ministres doivent normalement être élu local. Avant les élections de 2011, le président a

promis à D'Ujanga qu'il garderait son portefeuille. Cela l'a dissuadé de passer à l'opposition

ou de se présenter en tant qu'indépendant.

Hilary Onek est né en 1948 dans le district de Lamwo dans le Nord du pays. Ingénieur

diplômé en URSS, il a également une formation en commerce de Harvard et de Makarere.

Spécialiste des barrages, il a participé à la construction de plusieurs ouvrages à travers le

monde avant de rentrer en Ouganda en 1980. Il incorpore la société nationale d'eau National

Water Sewarage Corp, qu'il quitte en 1998 alors qu'il occupe le poste de directeur général. Il

rentre au national Resistance Movement en 2000 et fait campagne avec succès pour Museveni

dans sa région d'origine (traditionnellement très hostile au NRM). Il est élu dès 2001 comme

député avant de prendre le portefeuille de l'agriculture en 2006 jusqu'en 2009, puis de

l'énergie de 2009 à 2011. Il est depuis mai 2011, ministre de l'intérieur.

Migereko qui a du connaître un différend avec le chef de l'Etat, est cependant remplacé par

Hilary Onek (portrait ci-dessus) en 2009. Ce dernier va notamment régler avec

l'insubmersible D'Ujanga les multiples problèmes de taxes liées à la vente des actifs de

Heritage à Tullow en 2010, puis ceux de cette dernière à Total et CNOOC en 2011 (que nous

développerons plus tard). Outre les ministres, un cadre du ministère en particulier est

incontournable dans la gestion du pétrole depuis plus de vingt ans : le secrétaire général du

ministère Fred Kabagambe-Kaliisa.

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241

Fred Kabanga Kaliisa est né à Hoïma (région pétrolière actuelle) en 1954, après un diplôme

obtenu en géologie à l'Université de Makerere à Kampala, il rentre au ministère où il se

spécialise dans les questions minières. Durant sa carrière, il sera envoyé en Australie ainsi

qu'à Aberdeen en Ecosse pour se spécialiser dans l'exploration pétrolière. Il va être le

principal inspirateur des projets de lois régissant le secteur : The Mining Act, The Petroleum

Act, and The National Oil and Gas Policy, 2008, ainsi que la dernière loi en débat depuis

2010, toujours pas votée en 2012. Il est la mémoire du ministère, administration qu'il a

intégrée il y a trente-cinq ans et dans laquelle il a été associé à toutes les négociations. En cas

de nécessité de court-circuiter un ministre, c'est lui qui fait le lien avec la présidence.

Kaliisa est sans doute la personne la plus influente dans le secteur car il n'a pas d'affiliation

politique mais a tout de même réussi à nouer des liens très forts avec les personnes qui

comptent à la présidence et au parlement pour faire avancer les projets. Contrairement à tous

les ministres de l'énergie successifs depuis 1996, il a l'immense avantage d'être originaire du

district de Hoïma, futur "nœud" pétrolier de la région du lac Albert qui est aussi la commune

qui devrait accueillir la future raffinerie. Il a de ce fait de bonne relation avec les pouvoirs non

officiels sur place, comme les dirigeants du royaume de Bunyoro356 dont il a reçu la plus

haute distinction, celle de Mujwarakondo (équivalent de Lord). Le deuxième cadre

incontournable du ministère était Reuben Kashaambuzi357. Ce dernier a été le directeur de

l'Exploration & production department basé à Entebbe de la fin des années 1990 à 2009.

Depuis lors, il a pris sa retraite mais a été officiellement embauché comme conseiller

technique auprès du ministre de l'énergie jusqu’en avril 2012. Il suit avec Kaliisa le secteur

pour le président pour lequel ils peuvent être amenés à rapporter directement. Quant au

successeur de Kashambuzi à Entebbe, Ernest Rubondo358, plus jeune que les deux autres

hommes clé, il a tout de même suivi le secteur depuis les années 1980 où il était géologue

principal du département avant de devenir le directeur adjoint à Entebbe.

Comme on l'a vu dans l’organigramme, un autre poste est associé au contrôle du secteur

pétrolier, celui de secrétaire d'Etat aux ressources minérales. Le titulaire du poste depuis 2009,

356 Le royaume de Bunyoro est un des cinq royaumes ougandais (les autres étant Buganda, Toro, Anchole, Busoga), il a été créé au 16ème siècle. Tous les royaumes ont été interdits par Idi Amin Dada dans les années 1970 avant d'être réinstaurés comme un pouvoir culturel par Yoweri Museveni en 1994. 357 Reuben Kashambuzi que nous avons interrogé régulièrement depuis 2008 est parmi les rares ougandais a avoir obtenu des formations de haut niveau en géologie pétrolière dans les années 1970. Il est géologue de la London University, il a également suivi un cursus en géophysique de l'University of British Columbia (États-Unis). Il a dirigé depuis les années 1980 le Department of Geological Surveys and Mines ougandais avant de prendre la tête du nouveau Petroleum Exploration and Production Department créé en 1991. 358 Ernest Rubondo a la particularité d'avoir été en partie formé en Chine au Changchun College of Geology.

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renouvelé dans ses fonctions en mai 2011 est Peter Lokeris. Ce dernier est député depuis 1996

du district de Chekwii, situé à l'extrême ouest du pays, frontalier avec le Kenya. Il a été à ce

titre l'un des conseillers spéciaux du président Museveni pour la région en conflit de

Karamoja. Il doit, comme pour tous les ministres, sa carrière au chef de l'Etat. Ce poste de

secrétaire d'Etat aux ressources minérales comprend donc la promotion du secteur minier

(principalement) et également parfois celui secteur pétrolier. Lokeris a participé à plusieurs

reprises à des discussions avec les pétroliers. Le 23 février 2010, il a même effectué un

voyage au Nigeria comme envoyé spécial du chef de l'Etat pendant lequel il a demandé au

président par intérim nigérian Goodluck Jonathan, l'aide de son pays dans le secteur pétrolier

ougandais359. En juin 2010, c'est le conseiller spécial du président nigérian, Emmanuel

Egbogah qui s'est rendu à Kampala pour signer un accord de principe avec Lokeris. Cet

accord prévoyait l'entraide du Nigeria pour les questions de sécurité et de gestion des

communautés locales habitants dans les zones pétrolières360. Le ministre des mines semblent

donc être parmi les ministres, l'homme de confiance du chef, de part ses précédentes fonctions

à la présidence.

C'est donc principalement sur la période commençant à partir de 2006 que nous allons nous

concentrer en étudiant particulièrement la gestion pétrolière des hommes clé dont on a évoqué

le nom et le parcours. Nous montrerons aussi l'importance des personnalités ougandaises

davantage dans l'ombre mais qui ont compté dans le développement de l'industrie pétrolière

du pays.

Avant de passer à la gestion effective du secteur pétrolier dans ce pays, il est souhaitable de

mener une réflexion sur le rôle en général des ministres en Ouganda. Au Congo, comme on l'a

vu, le poids d'un ministre dépend beaucoup de sa relation avec le président Joseph Kabila361.

Les ministres Lambert Mende et René Isekemanga n'ont pas pu faire avancer les dossiers car

il n'avait aucun moyen d'obtenir l'aval du "chef". En Ouganda, au poste de l'énergie en tous

les cas, les ministres et secrétaire d'Etat ont tous été sélectionnés pour services rendus au parti

présidentiel. Le poste de ministre est comme une récompense pour un député qui a su

accroître l'emprise du NRM dans sa circonscription362. Il y a de plus un savant dosage

359 Africa Energy Intelligence, n°623, 2 mars 2010. 360 Africa Energy Intelligence, n°630, 16 juin 2006. 361 Le président congolais dirige depuis 2006 avec une coalition. Il doit donner des portefeuilles à des hommes politiques n'étant pas membres de son parti : le PPRD. Les ministres ont un rôle particulier s'ils font parti du clan des Katangais. Cela n'est pas le cas pour Museveni qui ne distribue des postes qu'au membre du NRM. Il les choisi plutôt selon leur mérite pendant les élections et leur fidélité au parti. 362 L'Ouganda a depuis longtemps adopté un type de gouvernement pléthorique avec un ministre et un secrétaire d'Etat pour quasiment chaque portefeuille. Comme le président doit récompenser beaucoup de députés du NRM,

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géopolitique pour essayer de ne pas trop défavoriser une région plutôt qu'une autre363.

Cependant, cette petite victoire de devenir ministre, ne donne en rien au titulaire du

portefeuille un poids suffisant pour faire avancer ses idées. Plus le dossier est stratégique,

c'est-à-dire possiblement apporteur de devises, plus la présidence va prendre l'ascendant sur le

ministre (cela ressemble en somme à la logique congolaise et à celles de certains autres pays

africains). C'est exactement comme cela que d'un portefeuille de l'énergie, assez technique,

car principalement focalisé sur les questions électriques, absolument pas rentable pour le

président, ce dernier intervenant encore au début des années 2000 assez peu dans les affaires

du titulaire de la charge, on est passé depuis 2006 à un portefeuille plus exposé, plus

stratégique et donc au moins partiellement confisqué par la présidence.

Une gestion du secteur pétrolier facilitée par la Norvège.

Alors que le Congo produit du pétrole depuis les années 1970, son avance dans la formation

des cadres dans le secteur face à l'Ouganda a été très vite rattrapée. Et pourtant, l'Ouganda n'a

jamais produit une seule goutte de pétrole. Elle a cependant appliquée dès le départ un modèle

très différent de son voisin.

A l'intérieur de l'organisation du ministère de l'énergie, une petite unité dédiée au pétrole a été

créée en 1985 au sein du Geological Survey and Mines Department (qui s'occupait de la mise

en valeur des minerais ainsi que du pétrole). Cette unité a été en partie montée grâce à des

financements de la Banque mondiale. Il faut attendre 1991 pour la création d'un département

dédié à l'exploration et la production pétrolière. Le Petroleum Exploration and Production

Department (PEPD) aura ses bureaux à Entebbe contrairement au ministère de l'énergie situé

au centre de Kampala. Ce département est composé de 90 fonctionnaires en 2011364 dont plus

de la moitié sont des cadres de haut niveau (formés à l'étranger). Nous avons pu discuter avec

certains d'entre eux à partir de 2008 lors de notre visite dans leur bureau au bord du lac

Victoria. Ces fonctionnaires suivent les explorations des sociétés pétrolières, négocient avec

il nomme un grand nombre de ministres. Le dernier d'entre eux, annoncé le 27 mai 2011, comprenait quelque 74 membres, 29 ministres plénipotentiaires et 45 secrétaires d'Etat. 363 Cette affirmation est historiquement à nuancer. Sous les multiples gouvernements de Milton Obote entre 1962 et 1971 puis entre 1980 et 1985, l'équilibre entre les différentes régions concernant les nominations ministérielles était assez bien respecté (Est =23 ministres, Ouest=23 ministres, Nord=21 ministres et centre=15). Cependant, sous le régime de Idi Amin Dada de 1971 à 1979, il y a eut un très nette accroissement des ministres venant du nord, la région natale de Dada (Est=11, Ouest=5, Centre=10 et Nord=23). Enfin, Museveni qui vient du Sud du pays (comprise officiellement dans la région ouest), est revenu depuis 1986, à un dosage assez équilibré mais qui fait tout de même la part belle à sa région (Est=51, Ouest=70, Nord=43 et Centre=65). Sources : The Observer, Michael Mubangizi, 29 mai 2011. 364 Selon la responsable de la communication du dit-département Gloria Sébikara. Ce poste a d'ailleurs été nouvellement créé en 2011, preuve que ce secteur suscite de plus en plus d'intérêt.

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elles pour la mise en place des projets ainsi que sauvegardent et classent les données des

explorations365. Cette dernière fonction est cruciale, elle permet de faire la promotion

d'éventuels nouveaux permis lors de prochains appels d'offres. Dans l'ensemble, ces cadres

sont très aguerris dans leur domaine car ils ont reçu des formations en Norvège, Grande-

Bretagne, Etats-Unis. L'un de nos interlocuteurs, l'actuel commissioner (responsable) du

département, Ernest Rubondo, nous disait que des débats avaient même lieu avec les

compagnies pétrolières pour déterminer la place exacte de positionnement des forages366. Cela

reste cependant à relativiser et tient probablement de la fanfaronnade.

S'il a le mérite d'exister, les premières années de fonctionnement du Petroleum Exploration

and Production Department seront financièrement très difficiles. Le budget dédié à

l'exploration pétrolière passe de 3,3 millions de shillings en 1987 à 3,6 milliards en 2008

(1.280.000 dollars) soit un accroissement par 1000 (un peu moins si l'on prend en compte

l'inflation qui est assez forte en Ouganda). Cela a permis de former au moins un cadre par an à

l'étranger à partir des années 1990. Les conséquences des budgets "rachitiques" des années

1980 se mesurent concrètement sur le terrain : manque de véhicules (un seul land rover

disponible ainsi que des budgets essence misérable), manque d'équipements de mesure (GPS,

équipement de gravimétrie, seulement 2 ordinateurs en 1991 pour tout le service) et de budget

de fonctionnement pour les voyages de terrain proches du lac Albert. De plus, ces zones

d'exploration étaient difficiles d'accès, car aucune route n'était goudronnée à l'époque et les

reliefs (bien que peu nombreux) compliquaient encore davantage le travail. Du fait de

l'obsolescence des cartes disponibles, il était très compliqué de se repérer précisément, la

plupart des villages n'étaient pas répertoriés. Il a donc fallu effectuer un vrai travail de

cartographie dans des conditions particulières voire dangereuses367.

Si la plupart des cadres formés dans les années 1980 comme Fred Kabagambe-Kaliisa, l'actuel

secrétaire général du ministère de l'énergie, Reuben Kashambuzi (ancien directeur du PEPD)

et Ernest Rubondo (actuel directeur du PEPD) l'ont été grâce à des financements de la Banque

mondiale, la formation des cadres ougandais du secteur a été accélérée grâce à la coopération

norvégienne. Dès les premières découvertes, la Norvège s'est engagée à aider le pays à mettre

en place un environnement propice à la bonne gestion de ce secteur. Après des problèmes 365 Benjamin Augé, Hydrocarbons tied with border conflicts in the great lakes region of Africa, Governance of Oil in Africa, Unfinished Business, Institut Français des Relations Internationales, La documentation Française, Paris, mai 2009, p. 165-193. 366 Entretien réalisé à Entebbe en mai 2008. 367 Reuben Kashambuzi raconte dans son ouvrage que lors des travaux de terrain, à plusieurs reprises les équipes du ministère ont été chargés par les animaux sauvages comme les buffles. Certains fonctionnaires n'ont rien trouvé de mieux que de monter au cactus pour éviter de se faire prendre de front par les bêtes (p. 36).

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avec le régime de Milton Obote368 dans les années 80, la Norvège recommence a prêter de

l'argent à l'Ouganda dès 1994369. Elle aide le secteur énergétique en particulier dès 1995370. Ce

pays a donc une longue tradition de coopération avec l'Ouganda. La Norwegian Agency for

development Cooperation (NORAD) commence son projet de soutien au secteur pétrolier

Ougandais à partir du 29 décembre 2005 avec l'Oil for development initiative. Cette dernière

dure trois ans et soutient le ministère de l'énergie et des mines ainsi que son département

exploration/production pour améliorer leur compréhension du secteur par le biais de

formation continue ou de consultation ponctuelle. Elle lui apporte aussi un soutien au niveau

légal pour mettre en place les structures de gestion (société nationale, organe de régulation...),

pour rédiger les contrats aux normes internationales, ainsi qu'une législation sur les questions

environnementales. Pour financer ce programme, NORAD propose un don de 3,276,100 de

dollars371. Cela permet notamment de payer des consultants de l'association norvégienne

Petrad372 durant trois ans. Le 9 juillet 2009, une nouvelle phase commence avec la signature

d'un contrat de coopération avec l'ambassade norvégien. Cette fois-ci, c'est un don de 8

millions d'euros destiné au secteur pétrolier qui s'étale jusqu'en 2014 (la somme ne sera pas

décaissée en une fois mais uniquement sur demande justifiée pour chaque projet réclamée par

l'Ouganda). Cette nouvelle étape est plus large que la première car elle prend davantage en

compte l'aspect environnemental en associant notamment la National Environnment

Managment Authority (NEMA373).

Ce programme fait parti d'une stratégie encore plus large de NORAD signé mi août 2009.

L'organisation a en effet consenti à un don total à l'Etat Ougandais de 37 millions de dollars

pour lutter contre la pauvreté. Sur cette enveloppe, 10,7 millions de dollars sont uniquement

destinés au secteur pétrolier pour améliorer sa gouvernance374. La Norvège accepte aussi de

368 Milton Oboté a rythmé la vie politique ougandaise depuis l'indépendance. Il a été d'abord président de l'Ouganda de 1966 à 1971, année du coup d'Etat orchestré par son chef d'Etat major Idi Ami Dada. Ce dernier est chassé du pouvoir en 1979 et Milton Oboté redevient président à la faveur d'élections peu transparentes, il est écarte en 1985 par un pouvoir de transition, lui-même renversé en 1986 par la rébellion de Yoweri Museveni. 369 La lettre de l'Océan Indien, n0658, 11 février 1995. 370 Site de l'ambassade de Norvège en Ouganda : http://www.norway.go.ug/Embassy/Development/Energy-and-Petroleum-Sector/Oil-for-Development-in-Uganda/ 371 Arntzen de Besche pour NORAD, Mid-term review of the project 0329, disponible à cette adresse : http://www.norad.no/en/Thematic+areas/Energy/Oil+for+Development/Where+we+are/Uganda. 372 PETRAD est une association à but non lucratif créée en 1989 qui regroupe tous les experts pétroliers du pays qui souhaitent donner de leur temps pour des formations et de consultations ponctuelles. Pour payer ses consultants (quasiment tous norvégiens), PETRAD ne fonctionne que grâce aux fonds de NORAD. C'est donc un organisme étatique de coopération uniquement destiné à la formation dans le domaine du pétrole. PETRAD organise notamment chaque année plusieurs sessions de formation de huit semaines en Norvège. 373 Cette dernière supervise tous les projets économiques qui ont un impact sur l'environnement. Nous avons pu discuter avec son directeur, Henry Ayamanya, à de nombreuses reprises (il a été remplacé en juillet 2011). La NEMA ne semble pas avoir beaucoup de poids pour faire valoir son point de vue face au ministère de l'énergie. 374 Africa Energy Intelligence, n°610, 26 août 2009.

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financer les études sur la construction d'une future raffinerie. L'appel d'offres pour

sélectionner un cabinet de consultants est lancé le 17 août. L'étude, d'une durée de six mois à

compter d'octobre, avait à analyser la situation actuelle du marché régional des produits

pétroliers, mis en valeur les bénéfices d'une nouvelle raffinerie en Ouganda, ainsi que trouver

une localisation idéale et les différentes options pour le transport du brut et des produits

pétroliers.

La Norvège est sans aucun doute le partenaire qui s'est le plus impliqué dans le secteur

pétrolier en Ouganda depuis les premières découvertes commerciales. La coopération est

désintéressée si on se fie aux documents norvégiens, le choix de faire des dons et non des

prêts est également une stratégie clairement affichée. Cependant, cette coopération, capitale

pour l'Ouganda, favorise d'une façon ou d'une autre les intérêts norvégiens lorsqu'ils sont en

compétition avec d'autres. Si aucune société pétrolière norvégienne, la plus importante étant

Statoil, n'a pas de contrat dans le pays, le pays est par contre très présent dans le secteur

électrique. Les Norvégiens de Jacobsen Eleckro opèrent depuis le 5 novembre 2009 une

centrale de 50 MW qui a été construite à Namanve (à l’est de Kampala). La même société

devrait construire une autre centrale de 53 MW pour le compte de Tullow afin d'alimenter les

équipements pour la production du lac Albert375. Elle serait basée à Hoïma et produira d'ici

2013/14, avec une possibilité d'atteindre 100 MW lors d'une deuxième phase. C'est également

la Norvège qui s'occuperait des aspects environnementaux de ce chantier. La branche

ougandaise du cabinet norvégien Norplan est en effet chargée des études d'impact

environnemental. De même, plusieurs sociétés norvégiennes ont été contractées pour la

conception et la construction du barrage géant de Bujagali (250 MW) : cas de Veidekke et

Skanska International Civil Engineering.

Hors de la Norvège, très peu d'organismes de coopérations bilatérales se sont intéressées au

développement du secteur pétrolier en Ouganda. On peut quand même en citer deux autres.

D'abord l'Inde par l'intermédiaire de sa société nationale Oil & Gas National Commission

(ONGC) qui a organisé nombre de séminaires pour les cadres ougandais. Ces derniers ont été

en partie pris en charge par ONGC mais également par l'Etat ougandais376. Les Indiens sont

très présents dans le commerce en Ouganda. Beaucoup de magasins de produits d'importation

sont tenus par des citoyens d'origine indienne. Une grande communauté est présente dans le

pays depuis plusieurs générations: ils ont été amenés par le colon britannique pour notamment

375 Africa Energy Intelligence, n°581, 21 mai 2008. 376 Reuben Kashambuzi, Ibid, p 55.

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construire les chemins de fer. Les Indiens ont d’ailleurs historiquement fait office de bouc

émissaire du fait de leur réussite économique après l'indépendance en 1962. Une partie d'entre

eux (quelque 20 000) ont été expulsés sous l’ancien président ougandais Amin Dada dès 1972

après avoir donné un ultimatum de 90 jours. Ils seraient encore quelque 10 000 aujourd'hui

dans le pays. ONGC n'a pas obtenu de marché en échange mais il n'est pas impossible qu'elle

rentre un jour dans l'exploration pétrolière. La société est depuis la fin des années 1990 très

active au Soudan du Sud voisin aux côtés des chinois de China Petroleum Corporation

(CNPC). Par contre, comme on le verra dans la troisième partie, la société privée indienne

Essar a déjà un pied en Ouganda.

La GTZ allemande (renommé GIZ depuis 2011) a également financé pendant plusieurs

années un consultant énergie377 (pétrole et électricité), hébergé dans les locaux même du

ministère de l'énergie. Concernant les bailleurs de fonds traditionnels multilatéraux, ils se sont

assez peu impliqués. La Banque mondiale n'a plus eu depuis les années 1990 de budget

spécifique, quant au Fonds monétaire international, s'il a bien parrainé avec NORAD, une

conférence sur les taxes pétrolières qui s'est tenu du 29 juin au 1er juillet 2010 à Kampala, il

n'a pas davantage un programme de soutien spécifique. L'aide au secteur pétrolier ougandais

est donc monopolisé depuis quelques années par les Norvégiens, avec le plein accord des

autres bailleurs qui seraient bien moins compétents dans un domaine très technique, la

Norvège produit du pétrole depuis 1971. Les autres préteurs ont bien assez d'autres secteurs à

accompagner dans le pays.

Une succession de textes a régi le secteur depuis les années 1980. C'est d'abord le Petroleum

exploration & Production Act (1983) puis un autre sur les pratiques dans l'exploration en 1993

qui sont votés. Ils sont complétés en 2000 par le Petroleum Act puis le Petroleum Supply Act.

Depuis 2010, une nouvelle loi est en débat au parlement. Plusieurs versions ont été amendées

durant la session parlementaire 2010/2011, sans vote. Depuis le début de la décennie 2000,

deux textes de principe, sensés montrer la vision du gouvernement pour ce secteur, ont été

rédigés par les services du ministère de l'énergie, toujours accompagné par les Norvégiens de

NORAD. D'abord l'Energy Policy qui est publié en 2002. Ce dernier n'est pas spécifique au

pétrole mais à tous les secteurs dont le ministère de l'énergie à la charge. Seules quelques

pages sont consacrées à l'exploration où seules des généralités sont mentionnées. La plus

importante partie du rapport concerne l'électricité (hydraulique, renouvelable et centrale

377 Nous avons pu rencontrer Philippe Simonis plusieurs fois en 2008 puis nous avons garder le contact par des conversations téléphoniques ensuite.

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thermique), le pétrole n'est traité que comme un sous-secteur378. En 2008 enfin, un texte de 56

pages est entièrement dédié à la question de l'exploration et la production du pétrole :

National Oil and Gas Policy for Uganda. L'introduction rappelle bien le contexte, la

découverte de plusieurs champs conséquents depuis 2006 a conduit le ministère à rédiger ce

rapport avec ses partenaires. Le rapport rappelle que 300 millions de barils de réserve ont déjà

été mises en valeur grâce à plusieurs champs (en 2011, Tullow parle de plus d'un milliard de

réserves certaines et 2,5 milliards probables). C'est la première fois qu'est mentionnée la

nécessité de créer une société pétrolière nationale.

La nouvelle loi discutée depuis 2010 au parlement prévoit (selon un premier jet que nous

avons pu nous procurer) la création d'un nouvel organe de régulation (Petroleum authority Of

Uganda) qui serait notamment chargé de délivrer les permis et de contrôler le travail des

compagnies. Cette autorité de régulation aurait un conseil d'administration, un directeur

exécutif et aurait le pouvoir de nommer des comités pour régler des points techniques. La

future autorité de régulation hébergerait aussi une commission (article 117) dont la tâche sera

de déterminer le prix des produits pétroliers vendus sur le territoire ougandais. Si le projet de

loi mentionne bien la création d'une société nationale, un seul article lui est consacré (article

42). Cette dernière pourra notamment prendre des participations dans les périmètres

d'exploration. Alors que la loi n'était toujours pas adoptée, le projet de budget 2010-2011,

avait déjà prévu 1,4 million $ pour la création de l'autorité de régulation et de la société

nationale (sachant qu’aucun de ces deux organes n’ont été créé, on peut se demander où

l’argent est passé). L'Ouganda impose aussi d'associer les sociétés nationales : l’article 128

oblige en effet les pétroliers étrangers à travailler avec les sociétés locales si elles s’alignent

sur les prix et la qualité des prestations de leurs concurrents étrangers. Cependant un point que

devra corriger la version finale est la fiscalité, le projet de loi reste vague et ne chiffre ni le

niveau des royalties, ni celui des taxes. Ces paramètres seront déterminés lors des

négociations avec les opérateurs379.

Si cette nouvelle loi n'est toujours pas votée, deux ans après les premières discussions au

parlement, ce n'est pas par manque de soutien dans l'hémicycle, le National Resistence

Movement (NRM) du président Yoweri Museveni contrôlait 60% des députés dans la

378 Energy Policy 2002, http://www.rea.or.ug/userfiles/EnergyPolicy%5B1%5D.pdf. 379 The Draft petroleum Bill, avril 2010.

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législature 2006/2011380. C'est davantage pour discuter avec les sociétés des taxes et

conditions ainsi que pour mettre au point la clé de répartition des revenus pétroliers entre

l'Etat, les régions, les districts de production, et le royaume de Bunyoro. Seulement, même ces

raisons sont un peu minces, surtout que les députés de la nouvelle Assemblée ont énormément

poussé pour que la loi leur arrive entre les mains (voir partie sur le pouvoir du parlement).

Le contrôle présidentiel du secteur pétrolier

Grâce à une sélection plutôt efficace des sociétés qui travaillent sur la partie du graben

albertine qu'il contrôle, l'Ouganda contrairement au Congo, n'a pas bridé les chances de son

exploration pétrolière. Les pétroliers ont tous foré à temps et respecté les travaux mentionnés

dans leur contrat. Seul point noir, Tower Resources est finalement parti du bloc 5 en 2012381,

voir carte 26 pour la localisation des permis. Comme on l'a vu aussi, les fonctionnaires en

charge du secteur sont peu nombreux mais bien "armés" pour négocier avec les sociétés

pétrolières. Cependant, peu à peu, la présidence semble prendre le contrôle du secteur

directement, sans concéder de véritables contre-pouvoirs. Historiquement, le rôle des

ministres de l'énergie n'a jamais vraiment été entravé par la présidence. Cela a clairement

changé suite aux importantes découvertes pétrolières depuis 2006. Yoweri Museveni a bien

compris l'importance de cette matière première et donc son intérêt à la protéger.

Avant d'étudier le rôle réel que peut jouer le parlement dans le secteur, revenons un moment

sur celui du ministre de l'énergie. Selon le projet de loi de 2010 régissant le secteur, qui

devrait passer devant l'Assemblée nationale en 2012 (elle était déjà prévue pour 2011), tous

les pouvoirs concernant la gestion du pétrole sont attribués au ministre de l'énergie. Il a ainsi

la haute main sur le département d'exploration/production d'Entebbe, sur la nouvelle société

pétrolière nationale ainsi que sur la nouvelle autorité de régulation qui délivrerait notamment

les blocs aux sociétés pétrolières. Cependant, l'un des problèmes est le choix crucial des

ministres par le président. En effet, depuis 2006, que cela soit Daudi Migereko avec son Vice-

ministre Simon D'Ujanga, Hilary Onek depuis 2009 ou bien la ministre nommée en mai 2011,

Irene Muloni, ils sont tous des spécialistes des questions électriques ou alors des politiciens

qui ont réussi dans leur région à fédérer la population derrière Museveni. Aucun n'a une

expérience de géologue ayant eu précédemment un rapport avec le pétrole, sujet sensiblement

différent de celui de l'électricité. Cette absence de ministre technicien du pétrole n'est pas non

380 Ce pourcentage s'est encore accru aux élections du 18 février 2011. Sur 375 parlementaires, 263 ont été élus sous les couleurs du NRM, ce qui porte à 70%, le pourcentage de la formation du président dans l'hémicycle ougandais. 381 Africa Energy Intelligence, n°678, 27 juin 2012.

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plus contrebalancée par l'expérience du secrétaire d'Etat aux ressources naturelles, Peter

Lokeris, comptable de formation.

Et pourtant, Museveni avait fait entendre à certains de ses conseillers avant les élections de

2011 qu'il serait souhaitable de créer un poste de ministre du pétrole, dissocié de celui de

l'énergie (qui serait dédié uniquement aux questions électriques). Dans les conciliabules avant

les nominations, certains noms avaient même été mentionnés pour occuper cette nouvelle

fonction, comme par exemple celui d'Amelia Kyambadde382, qui a été la secrétaire

particulière du président Yoweri Museveni pendant presque deux décennies. Kyambadde

avait donc l'avantage de jouir de la totale confiance du chef de l'Etat. Elle avait également été

trésorière du NRM. Mais finalement, le président a préféré ne pas créer de poste chargé du

pétrole.

Officiellement, c'est donc la nouvelle ministre de l'énergie et des ressources minérales, Irène

Muloni, qui est en charge du pétrole depuis le 27 mai 2011. Dans les faits, la présidence l'a

choisie pour conserver la haute-main sur ce secteur-clé383. Ingénieure électrique de formation,

Muloni384 a davantage un profil de technicienne tout comme son prédécesseur. Elle a dirigé la

société nationale de distribution : Uganda Electricity Distribution Co. Ltd de 2001 à 2005.

C'est une fois de plus, le tout puissant secrétaire général du ministère, Fred Kabagambe

Kaliisa, qui a plaidé pour que le futur ministre soit un technicien. Il avait de mauvaises

relations avec l'ancien titulaire, Hilary Onek, jugé trop politique. Muloni qui n'a aucune

connaissance dans le pétrole, va donc s'occuper principalement de l'électricité et Kaliisa et la

présidence continueront de suivre les questions pétrolières385. Le secrétaire d'Etat aux

382 Amelia Kyambadde a finalement été nommée ministre du commerce en mai 2011. Elle a démissionné de son poste au côté du président pour se présenter en février 2011 aux élections législatives dans le district de Mpigi (centre). Kyambadde a été notamment évoqué pour le poste de ministre du pétrole et du gaz dans le quotidien privée Daily Monitor. Plusieurs sources personnelles nous avaient également parlé de la création du poste. 383 Nos échanges téléphoniques avec Irene Muloni montrent sa crainte à parler sur le secteur pétrolier. Elle n’a pas accepté de nous rencontrer lors de notre dernier passage à Kampala en novembre 2011. Cela n’a rien à voir avec la difficulté de son emploi du temps mais bien avec la sensibilité autour du secteur pétrolier actuellement. 384 Irene Muloni, née en 1960, a commencé à s'intéresser aux affaires publiques au milieu des années 1990 et a été candidate sans succès pour le National Resistance Movement (NRM) à plusieurs reprises aux élections législatives dans l'Est du pays (elle est issue du district de Bulambuli) avant d'être finalement élue en 2011. Muloni était jusqu'à peu administratrice de la banque locale Finance Trust. 385 Contrairement au Congo voisin, le secteur minier n'est pas très développé en Ouganda. Il n'y a donc pas beaucoup de géologues capables de comprendre le secteur pétrolier pour éventuellement prendre le portefeuille du pétrole. Les géologues rentrés en politique sont d'autant plus rares. Les mines ont été très importantes en Ouganda jusque dans les années 1970 où 30% des devises du pays provenait de la vente de minerais. Cependant l'industrie s'est écroulée à l'arrivée du pouvoir militaire d'Idi Amin Dada en 1971. La Banque mondiale, la Banque africaine de développement et le Nordic Development Fund ont réalisé en 2009 un recensement géophysique aéroporté de haute résolution sur l'ensemble du territoire afin de faire la promotion du secteur auprès des investisseurs (Africa Mining Intelligence, n°200, 1er avril 2009). Le pays est potentiellement riche en or (quelques mines déjà en production), tantalite, cuivre et cobalt. On parle aussi fréquemment de l'uranium.

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251

ressources naturelles Peter Lokeris, sous la tutelle de Muloni, est également trop proche du

président, après avoir été son conseiller pour Karamoja, pour le gêner dans la gestion

pétrolière.

Le rôle des ministres comme porte-voix du président face aux pétroliers.

Une affaire assez particulière a montré la volonté du président d'utiliser ses ministres pour

mettre au pas les compagnies pétrolières. Alors que Tullow Oil l'emporte sur ENI pour

racheter les parts d'Heritage sur les blocs 1 et 3A, grâce à un accord de principe

(memorandum of understanding) avec le gouvernement intervenu le 26 juillet 2010, un

nouvel imprévu va faire durer le suspense pendant l'année 2010. Le ministre de l'énergie

Hilary Onek, qui va être le porte voix du président (et en sera gracieusement récompensé)

demande, pour que cet accord soit définitivement conclu, que Heritage paie 404 millions de

dollars de taxe. La société refuse et lance une procédure d'arbitrage à Londres contre l'Etat

ougandais. Cependant, cette affaire rejaillit sur Tullow, ainsi bloqué et ne pouvant jouir

comme il l'entend des participations qu'il vient juste d'acheter pour 1,5 milliard de dollars.

Pour faire pression sur Tullow, Hilary Onek ne renouvelle pas la licence sur le bloc 3A dont

la période initiale d'exploration était arrivée à échéance le 7 septembre 2010. S'en suit une

longue bataille entre Tullow, Heritage et l'Etat qui dure jusqu'en mars 2011. Tullow décide

alors le 15 mars 2011 de payer quelque 455 millions de dollars au gouvernement,

correspondant à une partie de l'argent que Héritage doit à l'Etat (314,7 millions de dollars)

ainsi que 141 millions de dollars correspondant à une partie des taxes liées à la vente à Total

et CNOOC386. Tullow est forcé de se substituer à Heritage car non seulement elle a perdu

depuis le bloc 3A mais en plus, elle n'a aucune possibilité de faire rentrer ses deux partenaires

Total387 et CNOOC sur les trois blocs qu'elle possède depuis juillet 2010. Tullow se retourne

dès le mois d'avril vers Heritage pour se faire rembourser cette somme. Après ce long

imbroglio juridico-politique qui risque de se poursuivre encore longtemps, Tullow doit

toujours payer au gouvernement plus de 300 millions de dollars pour finaliser la vente de ses

parts à Total et CNOOC.

Cet épisode témoigne de plusieurs modifications dans le comportement de l'Etat ougandais.

D'abord contrairement aux années précédentes, où les sociétés Energy Africa et Hardman 386 Afin d'obtenir son accord de rachat en juillet, Tullow avait convaincu Heritage en juillet 2010 de donner quelque 121 millions de dollars à l'Etat et de mettre sur un compte bloqué le reste (soit 283 millions de dollars) en attendant le verdict de la procédure d'arbitrage. 387 Le président directeur général de Total, Christophe de Margerie s'est d'ailleurs rendu à Kampala le 25 juin 2010 pour rencontrer le président Yoweri Museveni afin de tenter d'accélérer le processus de règlement fiscal empêchant son groupe de rentrer dans le pays. Africa Energy Intelligence, n°631, 30 juin 2010.

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Resources ont vendu leur part à Tullow, sans donner quoique ce soit au gouvernement, le

climat est totalement différent, le président veut montrer qu'il est bien au commande du

secteur. Ces taxes, même si parfaitement compréhensibles du point de vue des Ougandais

(pays pauvre en développement), sont totalement illégales, c'est à dire qu'elles n'ont pas fait

préalablement l'objet d'une loi. Le ministère de l'énergie considère qu'en l’absence de bonus

de signature pour les contrats initiaux (contrairement au Congo voisin), il se doit de récupérer

une partie de la plus value d'une telle opération. Néanmoins, ce genre d'action fragilise

énormément la parole de l'Etat et la sécurité des contrats. Cependant, vu l'énormité des

réserves, les pétroliers se doivent de plier, sans attendre le résultat des arbitrages

internationaux qui peuvent prendre plusieurs années. La deuxième réflexion qu’impose cet

épisode, c'est sa préparation par le pouvoir. Etant donné la fragilité juridique de la demande

ougandaise, la présidence met très clairement l’axe sur la lutte contre les riches

multinationales face aux pauvres ougandais. Cet épisode a été orchestré comme une question

de souveraineté: si la compagnie veut partir et faire des plus values, elle doit en faire profiter

le pays. En 2010, Yoweri Museveni est à quelques mois des élections présidentielles de

février 2011. Il doit montrer qu'il est bien en charge du pétrole et qu'il peut lutter contre les

puissants lobbies pétroliers. Dans le même temps, en février 2010, le rapport Uganda's

contrats-A bad deal made worse de l'ONG britannique Platform condamne les contrats

pétroliers signés par Tullow et Heritage. Selon elle, ils sont beaucoup trop favorables aux

compagnies, au détriment évidemment, de l'Etat388. Cette argumentation est fortement

contrebalancée par le fait que le Fonds Monétaire international a demandé en 2008 au

ministre de l'énergie, à l'époque Daudi Migereko, de renégocier les contrats pétroliers du fait

qu'ils étaient trop favorables à l'Etat389. Ce rapport de Platform a un grand écho auprès des

médias ougandais car à l'époque, les contrats ne sont pas librement disponibles, ce qui laisse

penser que le pouvoir ou les compagnies pétrolières cachent quelque chose. La concomitance

du problème de taxe et celui de l'attaque de l'ONG affaiblissent considérablement la position

des compagnies qui ne peuvent uniquement se défendre en arguant de l'illégalité du procédé.

Elles vont donc céder sur les deux tableaux, la publication des contrats en 2011 et surtout le

paiement d'une partie des taxes.

388 Voir rapport de l''organisation non gouvernementale britannique Platform http://www.carbonweb.org/showitem.asp?article=375&parent=39. 389 Entretiens en mai et juin 2008 avec le ministre de l'énergie Daudi Migereko ainsi que le président du comittee on natural resources du parlement ougandais Emmanuel Dumbo. Ces deux personnes ont eu accès à la lettre du FMI qui faisait part d'une certaine crainte que les contrats ougandais, trop favorables à l'Etat, fasse fuir les pétroliers.

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Le président ougandais a laissé monter au front son ministre de l'énergie Hilary Onek qui a

orchestré toute la partie publique. Onek a du s'en expliquer à de nombreuses reprises devant le

parlement. Comme il a accusé directement Tullow d'avoir essayé de le corrompre pour obtenir

l'accord de l'Etat concernant l'achat des parts d'Heritage390, il ne va pas pouvoir conserver son

poste malgré sa gestion du dossier (jugée relativement bonne en haut lieu). Les compagnies

comme le secrétaire général du ministère de l'énergie Fred Kabagambe Kaliisa veulent traiter

avec un autre ministre, moins politisé. Onek obtient cependant une promotion dans la

hiérarchie gouvernementale en étant nommé ministre de l'intérieur le 27 mai 2011.

Quel rôle joue l'Assemblée nationale dans le pétrole ?

L'institution sensée élaborer le cadre légal dans lequel l'exploration et la production du pétrole

vont se réaliser est en théorie l'Assemblée nationale. Or, les conversations menées avec

plusieurs députés dont le responsable du comité en charge des ressources naturelles (comittee

on natural resources) en 2008, Emmanuel Dumbo, montrent bien combien cette enceinte est

encore loin de pouvoir appréhender convenablement le secteur pétrolier. De plus, durant nos

entretiens avec monsieur Dumbo, ce dernier a martelé l'idée d'un sentiment de frustration

d'être régulièrement tenu à l'écart par le ministère et la présidence des éléments de

compréhension nécessaires à la bonne marche de son comité. Et pourtant, Dumbo est un

membre du parti présidentiel NRM. Il se battait à l'époque pour que les contrats soient rendus

publics. Or, ils ne l'ont finalement été qu'en 2011. Ce comité n'a donc pas vraiment les

moyens de peser dans l'écriture de la législation pétrolière.

Dans la nouvelle législature qui a débuté après les élections présidentielles et législatives du

28 février 2011, le Comittee on natural resources dont les membres ont été nommés en

mai/juin 2011, a été organisé de telle façon, que les contestations possibles sur le sujet clé du

pétrole soient évitées. D'abord sur ses trente membres, dix-neuf viennent du NRM, ses

présidents et vice-président en font également partie391. Le nouveau président du comité

Michael Kafabusa Werikhe, connait assez bien le secteur pour avoir été brièvement secrétaire

d'Etat à l'énergie entre 2005 et 2006 (voir tableau 4), il a ensuite été secrétaire d'Etat au

logement jusqu'en 2011. Il sait, comme tout ministre en Ouganda, qu'il doit sa carrière au

président. En cas de bonne gestion de ce comité, il peut espérer revenir rapidement au

gouvernement au cours de la législature. Quant à son adjoint, Eddie Kwizera, député de 1996

390 Daily Monitor, 6 avril 2011. 391 On peut évidemment relativiser en disant que les membres du NRM ne correspondent qu'à 63% des membres du comité alors que 70% des députés élus sont du NRM. Seulement, ne pas nommer un membre de l'opposition comme vice-président est symbolique.

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à 2001, il a ensuite été nommé conseillé particulier du président Museveni jusqu'en 2010. Il a

notamment été l'un des principaux négociateurs ougandais pour les problèmes de voisinage

avec le Congo voisin. Kwizera réélu député en 2011 est originaire de l'extrême sud de

l'Ouganda, plus précisément du district de Bufumbira, frontalier avec le Congo. Il bénéficie

donc de la totale confiance du président pour codiriger ce comité, il fait évidemment

"remonter" tous les débats qui peuvent s'y dérouler. Kwizera peut d'ailleurs contribuer aux

discussions liées aux questions frontalières sur le lac Albert avec le Congo où le pétrole est la

principale donnée. La troisième personnalité du comité, qui est déterminante pour le

président, est le général David Tinyefunza. Il est l'un des plus hauts gradés de l'armée

ougandaise392 (Uganda People's defense Force). Seulement, ce militaire de carrière qui est

également avocat n'est pas n'importe qui. Depuis 1993, Tinyefunza a occupé des postes de

conseiller auprès du président. D'abord en charge des questions de paix et de sécurité jusqu'en

1997, il est propulsé depuis 2005 coordinateur des services de renseignement, prenant ses

ordres directement du président Museveni, également chef des armées. S'il était dans la

législature précédente membre du comité Legal and Parliamentary affairs, son passage aux

ressources naturelles est loin d'être fortuit. Avec ce trio, aucune chance que le comité puisse

être un contre poids éventuel au gouvernement et au ministre de l'énergie en particulier.

L'une des autres spécificités du comité est que très peu de membres sont issus des régions

pétrolières de l'ouest et du sud. Ils ne sont que six dans ce cas. Sur trente participants,

seulement trois ont été élus dans des districts proches du lac Albert. C'est le cas de Julius

Bigirwa Junjura (district de Buhaguzi) et de Stephen Adyeeri Mukitale Biraahwa (district de

Buliisa) et Andi Drito Martin (district de Madi-Okollo) situé au nord du lac Albert, proche des

explorations de Tower Resources. Cependant, aucun de ces trois députés viennent des rangs

de l'opposition. Quant aux explorations de Dominion sur le lac Edouard, il n'y a que trois

membres élus de cette région: Yokasi Bihande Bwambale (district de Bukonjo), membre du

FDC393, Benjamin Cadet (district de Bunyaruguru) député Indépendant et Jim Muhwezi

Katugugu (district de Rujumbura) du NRM.

La seule possibilité de contrebalancement du président pourrait cependant venir de Béatrice

Atim Anywar, l'une des membres de ce comité. Elle a été choisie en juin comme responsable

392 David Tinyefunza n'est pas élu mais il représente l'armée à l'Assemblée nationale depuis 1986, année d'arrivée au pouvoir du président Museveni. Sources : www.parliament.go.ug ainsi que sa notice Wikipédia : http://en.wikipedia.org/wiki/David_Tinyefunza. L’armée ougandaise a un nombre de poste au parlement déterminée par la constitution, tout comme d’autres catégories de la population comme les jeunes et les femmes. 393 Forum Democratic Change. C'est le principal parti d'opposition. Il est dirigé par l'ancien médecin personnel de Museveni, Kizza Bessigye

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des questions énergétiques et pétrolières au shadow cabinet de l'opposition (elle doit ainsi

suivre ce sujet pour répondre et questionner le ministre correspondant au gouvernement).

Anywar est membre du principal parti d'opposition Forum for Democratic Change (FDC).

Elle était déjà membre du Shadow cabinet dans la précédente mandature où elle s'occupait des

questions d'environnement394. Femme à fort caractère, elle risque d'être tout de même un peu

seule pour peser dans les décisions du gouvernement.

Si l'on se fie aux discussions avec les députés, même de la majorité, et que l'on y ajoute

l'étude de la composition du dit-comité, il y a assez peu de chance que le parlement ait les

moyens de faire son travail de contre pouvoir au gouvernement et à la présidence.

Les nouveaux parlementaires tentent de prendre la main.

Les députés ont peut être ouvert une nouvelle page dans leur quête d'influence sur l'exécutif

les 10 et 11 octobre 2011. Lors de ces journées, un débat sur les questions pétrolières a été

imposé par une majorité des parlementaires, qu'ils viennent du NRM ou de l'opposition

(principalement du FDC). Ces deux journées ont été le résultat d'un vote le 20 septembre de

plus d'un tiers des députés pour imposer un débat sur ce thème. Afin de faire pression sur le

gouvernement et principalement le président, l'un des députés Gérald Karuhanga

(indépendant) a accusé trois ministres sous l'ex mandature (Sam Kutesa aux affaires

étrangères, Hilary Onek à l'énergie et Amama Mbabazi à la sécurité) qui s'est achevé avec la

réélection de Museveni en février 2011, d'avoir accepté d'importantes sommes d'argent de la

part de Tullow Oil. Cela dans le but de faciliter l'agrément pour l'arrivée de Total et CNOOC.

Ces accusations sont quasiment un prétexte (voir une sorte de chantage) des parlementaires

pour obliger l'Etat à traiter avec eux. Dans une résolution adoptée le 11 octobre 2011 après les

débats (voir annexe), les députés veulent des avancées sur plusieurs points concrets :

• un moratoire sur tous les contrats en cours de négociation tant que la loi pétrolière

n'est pas votée.

• que cette même loi soit présentée au parlement dans les 30 jours

394 Béatrice Anywar a beaucoup fait parler d'elle lors de campagnes contre l'exploitation de la forêt Mabira (au nord du pays), que le gouvernement voulait transformer en champs de cannes à sucre. Elle a réussi à faire reculer le projet. Nous avons eu l'occasion de lui parler dès sa nomination.

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• que tous les accords passés entre les pétroliers et le ministère de l'énergie soient rendus

publiques, tout comme tous les contrats

• qu'un compte soit créé sous sept jours pour accueillir tous les revenus pétroliers et que

le parlement puisse jouer son rôle de contrôle

• que les dépenses liées aux revenus pétroliers soient publiques sous sept jours

• que l'Ouganda rejoigne l'Initiative de Transparence des industries extractives (ITIE)

qui permet de comparer les revenus reçus par les Etats et ceux que les compagnies ont

effectivement payés.

• qu'aucun nouveau contrat ne soit attribué avec une clause de confidentialité

• qu'un comité ad-hoc soit créé pour enquêter sur les affaires de corruption visant les

trois ministres

• la démission des trois ministres suspectés de corruption en attendant qu'ils soient

blanchis ou inculpés.

Ces différentes demandes, très précises et accompagnées d'ultimatums, sont une première sur

ce sujet pétrolier en Ouganda (et probablement même sur tous les sujets confondus, hors des

habituels discussions sur le budget). Le président Museveni, très mécontent de cette reprise en

main du secteur convoque une conférence de presse dès le mercredi 12 octobre où il défend

ses ministres et tance les parlementaires. Sam Kutesa démissionne pour une autre affaire (liée

à l'organisation Commonwealth Heads of Government Meeting organisée à Kampala en

2007), cependant, les autres restent en place, n'étant pas désavoués par le seul chef qui compte

à leur yeux: Yoweri Museveni. Cet événement a tout de même marqué une rupture car

l'avertissement a été clair : il sera difficile ou en tout cas plus difficile de faire sans le

parlement dans le domaine pétrolier. Ce dernier devenant à brève échéance le principal

secteur économique du pays en termes de revenus pour l'Etat ougandais, les parlementaires

veulent reprendre la main.

Le président convoque d’ailleurs dès la fin octobre les députés NRM lors d'une "retraite" dans

la commune de Kyankwanzi au centre du pays395. Objectif affiché, répondre aux

préoccupations des parlementaires en faisant venir des spécialistes étatiques de chacun des

395 Cette commune abrite le National Leadership Institute Kyankwanzi qui forme les hauts cadres de l'armée ainsi que certains hauts fonctionnaires travaillant dans la sécurité.

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domaines concernés par le pétrole. Des fonctionnaires de la Central Bank of Uganda, du

Petroleum Exploration and Production Department (PEPD), Ministry of finance et enfin de la

Tax Revenue Authority sont venus édifier les parlementaires sur leurs préoccupations donnant

lieu au débat. Le président lui-même a publiquement discuté avec certains meneurs du 10 et

11 octobre comme Theodore Ssekikubo (à qui nous avons longuement parlé), Wilfred

Niwagaba et Muhammad Nserek. Afin de les déstabiliser, il les a accusés d'avoir mené un fort

lobbying sur leurs collègues afin qu'ils ne se rendent pas à Kyankwanzi, ce qu'ils ont

démenti396. La figure du président a été abimé par ces échanges car les députés comme

Ssekikubo n'ont pas hésité à lui répondre et d'une certaine façon à se mettre à son niveau. La

représentation du chef intouchable a été écornée par ses débats, surtout qu'il n'a pas convaincu

tout le monde pour qu'ils renoncent à leur résolution votée quelques jours plus tôt à

l'assemblée.

La sécurisation politique et militaire de la zone pétrolière

En dehors du contrôle du parlement et du gouvernement, le président Museveni a

méthodiquement mis la main sur les zones pétrolières. Cela aussi bien du point de vue

politique que sécuritaire. Afin d'éviter toute violence entre paysans et sociétés pétrolières, et

tout problème de sécurité en général, l'armée a déployé à partir de 2008 dans la zone

pétrolière, entre 7000 et 10 000 soldats commandés par le propre fils du président ougandais,

Muhoozi Kainerugaba397. Lieutenant-colonel dans l'armée ougandaise, Kainerugaba dirige les

forces spéciales depuis 2008 dont l'une des tâches est de protéger le président ainsi que les

strategic assets (comme le pétrole). Le nombre de soldats des forces spéciales ne peut être

qu'estimé, leur nombre n'est pas publique. Avant 2008, des milliers de soldats étaient déjà en

poste dans la région mais leur nombre est impossible à déterminer398. Afin de maximiser le

nombre de ses bataillons, l'armée ougandaise instrumentalise beaucoup dans cette zone

pétrolière la prétendue dangerosité du mouvement des Allied Democratic Forces-Nalu. Ce

dernier, créé en 1995 dans les montagnes du Ruwenzori (nord du lac Albert) est composé de

Congolais et d'Ougandais, pour la plupart des chrétiens convertis à l'Islam. Leur mouvement

396 The Observer, Emma Muthaizibwa, 24 octobre 2011. 397 Selon un article du Wall Street Journal, Ugandan Presidential Guards To Help Boost Security In Oil Region, June 6th 2010, repris par le rapport de l'ONG Global Witness Donor engagement in Uganda’s oil and gas sector: an agenda for action, publié en octobre 2010. Kainerugaba est né en 1974 et à intégré l'armée en 1999. Après un an de perfectionnement à l'école militaire Sandhurst en Grande Bretagne en 2000, il a intégré l'école militaire égyptienne. Il a été nommé second lieutenant en 2000, major en 2001 puis commandant de la garde présidentielle et chef des forces spéciales en 2008. Il a été élevé au rang de colonel de l'UPDF depuis le 28 septembre 2011. 398 Conversation avec les attachés de défense de l'ambassade de France et des Etats-Unis en mai 2008.

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qui a perpétré des meurtres et enlèvement dans l'ouest du pays a été quasiment décimé par

l'armée ougandaise en 2004. Cette dernière craint également que l'Armée de résistance du

Seigneur ne revienne dans cette région.

Il est très difficile pour un chercheur d'aller dans la région pétrolière par la route, un permis

spécial du ministère de la recherche ou du ministère de l'énergie (que nous avons pu obtenir

en 2008) est nécessaire. Cette région ouest est donc très protégée, certaines zones, notamment

celles où des explorations ont lieu sont totalement bouclées. Il y a donc un contrôle total de

cette zone, y compris pour les journalistes ougandais du journal de l'Etat, New Vision.

Le fils du président ougandais n'est pas le seul membre de la famille à être impliqué dans la

sécurisation des zones pétrolières. Le demi-frère de Museveni, Salim Saleh, a déjà été cité

dans des rapports de l'ONU comme ayant des relations privilégiées avec la société de sécurité

privée Saracen399. Cette compagnie protégeait notamment les champs pétroliers d'Heritage,

qui a quitté le pays en 2010. Tullow est quant à elle protégée par la société privée anglo-

danoise G4S, en plus de la société Saracen Uganda.

En dehors du simple contrôle sécuritaire de la zone, le président Museveni a voulu renforcer

le contrôle politique des districts proches du lac Albert afin d'éviter toute opposition. Pour le

parti présidentiel, le National Resistance Movement (NRM), il a d'abord fallu à tout prix

reprendre la ville d'Hoïma, futur carrefour pétrolier de l'Ouest, contrôlé par l'opposition

depuis 2006. Hoïma est de plus la capitale du district éponyme est aussi l'une des plus grandes

villes de cette région avec quelque 100 000 habitants (voir carte ci-dessous) :

399 Global Witness, Ibid.

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Carte n°29: Ville d’Hoïma, futur carrefour pétrolier.

Source : Google Earth.

Le maire sortant d’Hoïma, Francis Atugonza (membre du Forum for Democratic Change), a

donc été largement battu, lors des dernières élections municipales début mars 2011, par la

candidate NRM, Mary Grace Mugasa. Préoccupé par la popularité d'Atugonza, le beau-fils du

président, Odrek Rwabogo, l'aurait approché le 5 janvier pour lui proposer une importante

somme d'argent (630 000 $) en échange de son ralliement au NRM, sans succès400. De plus, le

gouvernement s'est acharné judiciairement contre Atugonza qui a passé plusieurs séjours en

prison depuis 2008 pour avoir bénéficié de commission en vendant des terrains appartenant à

la commune. Il a opportunément été blanchi juste après les élections municipales, en juin

2011.

Hoïma est essentiel pour le pouvoir car le brut des trois blocs (1-2 et 3A) y transitera avant

d'être exporté vers l'océan Indien par un futur oléoduc. De plus, une raffinerie de 20 000 b/j

sera également installée dans le district d'Hoïma, exactement à Kabaale.

400 Plusieurs conversations privées avec Francis Atugonza.

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260

Le royaume de Bunyoro cerné

Le contrôle politique de la région passe aussi par la nomination d'un ministre en charge de la

région circonscrite par le royaume Bunyoro, où se trouve la quasi-totalité des découvertes

pétrolières (voir carte ci-dessous) :

Carte n°30: Bunyoro et les autres royaumes de l’Ouganda

Source: Wikipedia

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261

Le président décide pour la première fois de nommer un ministre en charge de cette région en

mai 2011. Problème pour les autorités du royaume de Bunyoro : le ministre nouvellement

nommé, Saleh Kamba, est originaire du sud-est, du district de Kibuku, soit très loin du

royaume. Comptable de formation, il a travaillé jusqu'en 2005 au sein de l'armée ougandaise

comme auditeur avec le grade final de Sergent. Kamba a été élu député de Kibuku sous les

couleurs du parti au pouvoir (NRM) en 2006, puis officiellement réélu en 2011. Il est un

ardent défenseur du président Yoweri Museveni, à ce titre il a activement participé à la

réélection de ce dernier à la tête du pays. Le numéro un de l'administration du royaume

traditionnel de Bunyoro avec le rang de Premier ministre, Yabeezi Kiiza, a publiquement fait

état de sa désapprobation quant au choix du ministre401. Selon lui, une personne qui ne vient

pas de Bunyoro ne peut pas défendre convenablement les intérêts de ses habitants, en

particulier concernant la part des revenus pétroliers qui devrait revenir à la région.

Le royaume a espéré que le Parlement, qui a contesté le 1er juin 2011 la nomination de Kamba

pour avoir "enjolivé" ses diplômes universitaires, empêchera sa validation. Et il a finalement

eu gain de cause en dehors du Parlement. Kamba a été déchu le 5 août 2011 de son poste de

parlementaire par la Haute Cour de Mbale pour avoir triché lors des élections et usé de

corruption et d'intimidation lors des échéances électorales402. C'est une plainte de sa principale

rivale, Jennifer Kacha Namuyangu403 qui a abouti dans ce sens. Le président pourrait nommer

quelqu'un d'autre mais le mal est fait pour la population de Bunyoro, pour qui, Museveni a

commis une faute politique. Du fait de l'utilisation des postes politiques par le président en

remerciement de service rendu, il est tout à fait probable que le poste reste vacant pendant

longtemps. En tout cas, le temps que Museveni retrouve une autre personnalité qui s'est battue

pour lui dans sa région d'origine. Il a suffisamment d'indicateurs dans la région pour ne pas

être obligé de nommer un ministre en charge. L'un de ses meilleurs relais sur place est

Godfrey Mwijakubi. Ce dernier est historiquement un membre du parti d'opposition Forum

for Democratic Change (FDC) pour lequel il a même été le responsable du district de Masindi

(nord d'Hoïma, voir carte 27). Cependant après une visite du président Yoweri Museveni à

Hoïma durant la campagne présidentielle de 2006, Mwijakubi est devenu subitement membre

401 The Daily Monitor, 31 mai 2011. 402 New Vision, 5 août 2011. 403 Jennifer Kacha Namuyangu née en 1968 est rentrée en politique en 2001 comme député de la circonscription de Paliisa (Sud) sous les couleurs du parti présidentiel NRM. Elle est nommée la même année secrétaire d'Etat à l'industrie et aux technologies. Réélue en 2006, Namuyangu prend le portefeuille de l'eau. Cependant, pour les élections législatives de février 2011, elle n'obtient pas le soutien du NRM et se présente donc en indépendante, sans se soucier du NRM qui choisit Saleh Kamba. Ce dernier est élu avec à peine un millier de voix d'écart mais sera invalidé dès le mois d'août.

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262

du NRM. Interrogé sur cette défection, l'un des dirigeants du FDC, Francis Atugonza raconte

que ce passage au NRM s'est fait en échange d'argent et de véhicules. Depuis quelques

années, Kyaligonza est également le conseil du président Museveni pour les affaires de

Bunyoro. Cependant, si son titre peut paraître assez prestigieux, il ne fait office que

d'indicateur au même titre que bien d'autres personnes.

Il est cependant légitime de se poser la question du poids réel du royaume de Bunyoro dans la

politique nationale et même régionale. Interdit de 1967 à 1993 comme tous les autres

royaumes du pays, Bunyoro n'a jamais eu le poids politique et la puissance foncière qu'exerce

celui de Buganda (zone de Kampala que le colon britannique a conquis en premier à la fin du

19ème siècle). Cependant, en 1993 lors de la nouvelle légitimation des Royaumes par Yoweri

Museveni, l'idée de ce dernier était davantage de les contrôler et d'en faire une sorte de

d'acteur culturel à sa solde. C'était également pour contenter les citoyens pour qui, pour une

partie d'entre eux en tout cas, un sentiment de grand respect est éprouvé pour leur famille

royale. Cela n'est d'ailleurs pas uniquement valable dans les zones rurales.

Cependant, depuis 2007, le roi de Bunyoro et ses ministres font clairement de la politique, en

particulier lorsqu'il s'agit du pétrole découvert dans leur sol. Ils réclament régulièrement 30%

des revenus de la manne pétrolière404. De plus, Museveni est très préoccupé par la proximité

entre le roi de Bunyoro Solomon Gafabusa Iguru et l'ancien dirigeant libyen Mouammar

Kadhafi (au pouvoir jusqu'au mois d'août 2011). Iguru s’est en effet rendu à quatre reprises à

Tripoli durant la seule année 2009. La Libye finance déjà plusieurs projets d’hôpitaux et

d‘écoles à Bunyoro. Sachant que Museveni et Kadhafi ont eu par le passé des divergences405,

le roi a pu utiliser sa relation avec le "guide" libyen pour demander des gages de Kampala

quant à la clé de répartition future des revenus pétroliers. Lors des frappes aériennes de

l'OTAN contre les troupes de Mouammar Kadhafi qui ont commencé après le vote de la

résolution 1973 à l'ONU en mars 2011, le roi de Bunyoro a publiquement fait part de sa vive

opposition. Le journal de l'Etat New Vision daté du 11 juin 2011, reproduit les paroles du roi

404 Africa Energy Intelligence, n°587, 3 septembre 2008. 405 Au début des années 1980, Kadhafi a distribué armes et argent à Museveni pour l’aider à prendre le pouvoir des mains de Milton Obote. Les deux hommes sont restés proches durant une vingtaine d’année, mais depuis 2008, les relations se sont tendues. Lors d’une visite officielle de Kadhafi en mars 2008 à Kampala pour l’inauguration d’une mosquée, ses gardes du corps ont provoqué ceux du président ougandais. Lors de ce même séjour, Kadhafi s’est rendu dans le royaume de Bunyoro sans en avertir son hôte. Enfin il n’a pas assisté à la cérémonie en mémoire des combattants de la National Resistance Army (parti de Museveni) tombés lors d'une bataille décisive pour l’arrivée du président ougandais en 1986. Sources : La Lettre de l’Océan Indien, n°1235, 29 mars 2008. Cette brouille a été encore plus manifeste lorsque Kadhafi est devenu le président de l’Union africaine (UA) au début 2009. Museveni visiblement peu confiant dans l’action de son homologue libyen est allé jusqu’à proposer une direction collégiale à la tête de l’UA durant son mandat qui s’est achevé début 2010.

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263

de Bunyoro lors d'un de ses discours dans la cathédrale de Hoïma. Iguru appelle les pays

africains à lutter contre les envahisseurs occidentaux qui n'en veulent qu'au pétrole libyen.

La deuxième mouture du projet de loi discutée à l'été 2010, laisse 15% des revenus pétroliers

au gouvernement régional et local contre 85% au pouvoir central. Le royaume n'aurait donc à

priori droit à rien. Il y a assez peu de chance que Bunyoro fasse partie de la version finale de

la loi pétrolière car le royaume n'est pas considéré comme un échelon de la décentralisation

contrairement aux régions et districts. La question de la dangerosité de cet acteur est

cependant à prendre en compte dans l'avenir. Actuellement Bunyoro est faible car désargenté,

peu organisé et divisé. Cependant, il pourrait à moyen ou long terme devenir un acteur tout

choisi pour exprimer la frustration de la population locale, en cas de trop grande centralisation

de la manne pétrolière par les instances désignées du pouvoir ou alors de pollutions multiples

liées à cette nouvelle industrie. Bunyoro pourrait profiter d'une façon ou d'une autre de

l'enrichissement de la zone, en particulier grâce à la vente de terrains. Le royaume pourrait

donc théoriquement exercer une capacité de nuisance qu'il n'avait pas auparavant (davantage

de communication pour critiquer et affaiblir systématiquement le pouvoir central ou même

l'utilisation d'armes). Ce scénario conduit donc l'armée à quadriller totalement la région pour

montrer qu'il n'y a qu'un acteur en charge: le pouvoir central à Kampala.

Les problèmes fonciers et environnementaux liés au pétrole

Les conflits fonciers entre paysans et sociétés pétrolières pourraient considérablement

augmenter avec le début de la production pétrolière aux abords du lac Albert entre 2014 et

2017. De 1997 à 2006, il n'y a pas eu réellement de problèmes car les sismiques et les

quelques forages secs n'ont pas fait l'objet d'une utilisation permanente des terrains. Au bout

de quelques semaines de travail, les sociétés pétrolières partent avec l'obligation de

dédommager les propriétaires de la terre ou de remettre en état la zone concernée. Les

compensations aux paysans ne posaient donc pas de grands problèmes à l'époque. Cependant,

l'accélération de l'exploration depuis 2006 avec les premières découvertes, a eu des effets sur

les relations entre paysans et sociétés pétrolières car le prix des terrains a fortement augmenté.

La région ouest, proche du lac Albert, est très agricole, on y cultive beaucoup de maïs, patates

douces, manioc, haricots et on y élève aussi des bêtes (caprins et ovins). Il y a donc des

cultures à compenser.

Le pétrole a également encouragé les disputes intra-familiales pour la propriété de la terre. Et

ce, même si le petit lopin de terre familial n'a fait l'objet d'aucune exploration. Les chefs de

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264

famille s'arrogent par exemple des terres à des orphelins ou à des veuves sous prétexte qu'ils

ne sont pas à même de les mettre en valeur. Les conflits entre les pasteurs qui bougent et

viennent parfois de loin pour la clémence du climat dans cette région Ouest et l'ethnie

Bugungu, majoritaire chez les paysans locaux se multiplient également. Les membres de

l'armée, très nombreux dans cette région sont aussi accusés de s'arroger des terrains sans avoir

payer quoique ce soit à leur propriétaire. La première affaire de ce type a été enregistrée en

2006 dans le village de Kyanga-Rwensororo (district de Masindi) où un soldat de la garde

présidentiel a brûlé 40 maisons expliquant qu'il avait payé les propriétaires pour partir (ce qui

était évidemment faux). Il n'y a pas un mois sans que les journaux locaux ne fassent état de

conflit de ce type406. La lenteur de la justice locale entraine malheureusement des actions

directes des paysans qui combattent (au sens premier du terme) ceux qui veulent s'arroger les

droits sur leur terre. L'un des policiers responsables de cette région, Zurah Ganyana, estime

lors d'un entretien avec le quotidien Daily Monitor en août 2011 qu'une dizaine de plaintes

sont déposées chaque mois dans chacun des districts de Bunyoro. Il ne précise pas cependant

si ce nombre comprend aussi les districts qui ne font pas l'objet d'exploration pétrolière, mais

cela donne une idée de l'importance du problème.

L'une des raisons majeures qui empêche que les compensations soient réellement efficaces et

acceptées est que sur les treize districts concernés par l'exploration, les sommes proposées par

les sociétés pétrolières aux paysans, dont la terre a été utilisée pour un forage ou une

sismique, ne sont pas harmonisées407. Les dédommagements sont déterminés par chacun des

districts, sans aucune cohérence. De plus, les paysans tentent de maximiser la valeur de leur

terrain. Afin de traiter ces multiples problèmes, l'administration du royaume de Bunyoro a

créé en 2006 un poste de ministre du pétrole, du foncier et des ressources naturelles, confié à

Georges Kyaligonza408. Cependant, ce dernier n'a pas les moyens de bien travailler et n'a pas

une grande connaissance du secteur pétrolier. Le roi, bien conscient qu'il fallait aller plus loin,

a également créé en juin 2011, une commission en charge de régler les problèmes fonciers et

de réguler la hausse des prix des terrains409.

Et en effet, ce dernier élément est également capital. Les prix des terrains s'envolent

littéralement. A Hoïma, carrefour pétrolier où sera implantée la raffinerie, une parcelle de 50

sur 100 mètres coûte désormais 10 000 dollars. Pour une région jusqu'alors très pauvre, cela 406 Daily Monitor, Bunyoro Grapples With Land Disputes, 6 août 2011. Article non signé. 407 Conversations avec des habitants de la région d'Hoïma en juin 2011. 408 Georges Kyaligonza est également un homme d'affaires prospère, il a une société de construction de routes. Discussions privées menées en août 2011. Il est depuis mars 2012, le vice-premier ministre du royaume. 409 Africa Energy Intelligence, n°654, 22 juin 2011

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265

représente une somme très importante. En moyenne, avant les explorations, les terrains

proches du lac Albert coutaient entre 180 et 350 dollars l'acre (soit l'équivalent de 40 ares ou

0,4 hectare). En 2011, soit cinq ans après les premières explorations, ces prix ont été

multipliés par dix, pour atteindre 3500 dollars l'acre. Cette flambée des prix a conduit le

président Yoweri Museveni à signer un décret en août 2009, interdisant l'acquisition de terrain

dans les zones pétrolières410. Cette dernière précision est assez floue car ces zones peuvent

être variables, les explorations ne sont pas tout le temps localisées au même endroit dans les

13 districts. Cela a cependant un peu calmé le royaume de Bunyoro. La présidence semble

pourtant vouloir éviter que ces problèmes de terre soient trop mis en valeur. L'un des

parlementaires du NRM Stephen Adyeeri Biraahwa Mukitale avait voulu former une

commission durant l'été 2011 et il en a été empêché411.

Si aucune affaire de pollution des sols ou du lac conséquemment à l'exploration pétrolière n'a

encore vraiment été médiatisée dans les districts concernés (et pour cause nous n'en sommes

qu'à la phase d'exploration), l'instrumentalisation du pétrole comme facteur potentiel de

destruction est très souvent utilisée par les habitants. Comme on l'a déjà vu, les paysans sont

les premiers à essayer de maximiser leur dédommagement en cas d'utilisation de leur terre.

Les pétroliers sont aussi confrontés à des demandes d'exploitants agricoles qui possèdent des

parcelles (seulement) proches d'une zone d'exploration. Ce n'est pas la seule profession qui

tente de faire payer les pétroliers. Les pêcheurs se plaignent aussi régulièrement de la rareté

de leur pêche et de la taille de plus en plus petite des poissons piégés dans les filets. En effet,

depuis plusieurs années, les tonnages de poissons diminuent dans le lac Albert. Cela est

principalement la cause de la surpêche. Les districts d'Hoïma, Masinde et Buliisa essayent de

faire respecter les règles concernant la taille des filets qui ne doivent pas dépasser une certaine

ampleur, de même pour les « bébés » qui doivent être relâchés, mais sans résultat. Selon les

fonctionnaires en charge de la pêche dans ces districts, plus de sept usines de transformation

de poissons ont fermé ces dernières années par manque de stock412. Or, si aucun lien ne peut

être fait avec l'industrie pétrolière, la production n'a toujours pas commencé et le phénomène

est largement antérieur à l'exploration, certains pécheurs l'accusent déjà d'être responsable de

cette hécatombe.

Comme au Congo avec le Parc des Virunga, dont une partie a été donnée à Soco et Dominion

ainsi que Total et Sacoil pour exploration, l'Ouganda a plusieurs parcs dans les zones

410 Daily Monitor, 6 août 2011, article non signé. 411 Daily Monitor, 11 octobre 2011. 412 Daily Monitor, 9 août 2011.

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d'exploration. C'est le cas du Murchison Falls National Park qui se situe dans le district de

Masindi (voir carte ci-dessous) ainsi que sur celui d'Amuru. Ce parc qui accueille quelques

milliers de touristes chaque année abrite quantités de Buffalo, éléphants, lions, léopards ainsi

que quelques rhinocéros. Il est adjacent à deux plus petites réserves, celles de Bugungu et de

Karuma. Dès 2007 et les premiers forages dans le parc, un rapport sur les conséquences de

l'exploration est commandé par la National Environnment Managing Authority à l'ancien

ministre du tourisme et du commerce entre 2000 et 2005, Edward Rugumayo. Cependant, ce

dernier n'aura aucun effet. Non seulement, aucun organisme étatique n'arrête les pétroliers,

pas même pour des réserves protégées (comme au Congo). Le président veut à tout prix que

les explorations aillent au plus vite. De plus, Rugumayo n'est pas vraiment en cours auprès de

Museveni après avoir refusé un poste d'Ambassadeur à Paris en 2005413. Or, après plusieurs

dizaines de puits, des découvertes importantes pétrolières (400 millions de barils) ont été

mises à jour au début 2009 dans le parc, par la firme canadienne Heritage qui opérait à

l'époque le bloc 1, le plus au Nord. Les champs de Buffalo-Giraffe seront donc parmi les

premiers à être mis en exploitation. Cependant, s'il est difficile de se prononcer sur les

problèmes environnementaux lors de la phase de production, il est déjà possible de voir une

importante recrudescence du braconnage depuis le début de l'exploration. Plusieurs antilopes

de type particulièrement rare reedbuck ont été retrouvées mortes en novembre 2009. Plusieurs

Ougandais contractées par Tullow ont été arrêtées pour cela. L'Ugand Wildlife Authority a

écrit au ministère de l'énergie pour tenter de juguler ce problème en interdisant aux salariés

l'accès des choses protégées durant la nuit. Cela n'a au aucun effet. En 2007, 537 pièges à

animaux ont été découverts dans le parc, en 2008 ce chiffre a grimpé à 1357, puis en 2009 à

1225414.

413 The Observer, 30 mars 2009, Ssemujju Ibrahim Nganda. 414 Selon l'hebdomadaire ougandais The Independant, 26 janvier 2010, Oil Exploration Blamed for Increased Poaching in Parks.

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Carte n°31: Parc de Murchison dans la zone pétrolifère.

Source : Site du Parc de Murchison/ Tullow Oil.

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268

Conclusion de la partie II

La République Démocratique du Congo a un potentiel pétrolier gigantesque avec ces

multiples bassins que l’on a décrit, mais elle n'a toujours pas trouvé les moyens de le mettre

en valeur. Cela est soit la résultante d’une absence de décision du président (Cuvette centrale)

soit la conséquence de choix aléatoires voire très mauvais des compagnies (Caprikat et

Foxwhelp sur le lac Albert). Le pays doit aussi lutter contre une géographie difficile pour les

opérateurs pétroliers avec le bassin de la Cuvette centrale, très compliqué d'accès du fait de la

densité de la forêt équatoriale et de l'absence quasi-totale d'infrastructures routières et de

ponts pour franchir les multiples bras du fleuve Congo dans ces provinces septentrionales. Le

choix par la présidence de sociétés pétrolières inconnues, probablement très proches du

pouvoir, après de multiples années de tergiversations de la part des ministres successifs est

symptomatique d'une volonté d'accaparement des ressources mais en dépit du bon sens : plus

les compagnies sont faibles techniquement, plus le moment de mise en développement des

ressources sera tardif. Cela s'explique aisément car les petites sociétés doivent trouver des

partenaires pour développer des zones complexes et que ce processus rallonge encore un peu

plus la période d'attente avant l'éventuelle production. Cependant, le dépositaire du pouvoir,

dans les cas de processus long comme celui de l'exploration pétrolière ne voit pas forcément

d'intérêt immédiat car très peu d'argent circule dans les années précédant la phase de

production. Il est plus intéressant de vendre des blocs à des amis comme cadeau en échange

d'argent et de services immédiats, qui revendent eux-mêmes à des prix plus élevés leur

concession plus tard.

Alors que le Congo est producteur depuis les années 1970, il n'a toujours pas ce qu'on pourrait

appeler une culture pétrolière. Les fonctionnaires comme les habitants rencontrés durant les

séjours dans le pays se représentent leur pays comme étant un grand producteur de minerais,

le fameux scandale géologique. Cela s'explique par la présence de métaux sur la quasi-totalité

du territoire : cuivre au Katanga, coltan au Kivu, or dans la province orientale et diamants aux

deux Kasaï etc...Cette acception d'un secteur pétrolier vu comme mineur est très prégnante et

elle entraîne des mauvais choix et surtout un désintérêt de l'Etat pour les hydrocarbures.

Toujours la même idée du long terme que les sociétés pétrolière ont du mal à faire

comprendre, à quoi bon s'intéresser à une production qui viendra dans une décennie pour une

partie de la classe politique dont le premier des objectifs est l’enrichissement rapide afin

d’être à l’abri du besoin ? Le secteur pétrolier congolais reflète le "court-termisme" de la

gestion des affaires publiques, que l’on qualifierait aujourd'hui de mauvaise gouvernance.

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269

Lorsque l'on compare cette gestion pétrolière avec celle de l'Ouganda, on voit une toute autre

stratégie, consistant à sortir le pétrole au plus vite, avec évidemment des accidents de parcours

pour le président Museveni (affaiblissement maximal du pouvoir du parlement et

instrumentalisation du secteur pour obtenir l’assentiment populaire). Si l'Ouganda va vite,

c'est qu'il n'est pas dans une économie de rente comme l'est le Congo depuis l'indépendance

avec les minerais. Hors du café, thé, et de quelques fruits, le pays produit peu de matière

première et a toujours été dépendant de l'aide étrangère pour payer ses fonctionnaires (on

pourrait, il est vrai, considérer cela comme une rente avec ses méfaits). La perspective

d'obtenir d'importants revenus pour gagner en autonomie et indépendance financières a

rapidement séduit Yoweri Museveni qui a tout fait pour accélérer le processus, en le gênant le

moins possible jusqu'en 2010 où il s'est arcbouté sur le paiement de taxes sur les plus values

effectuées par les sociétés. Les fonctionnaires sont en général assez compétents dans le

secteur pétrolier ougandais, ce alors qu'ils n'ont jamais produit une goutte de brut auparavant.

Une fois de plus, il est important de comparer ce tableau avec celui du Congo où les

fonctionnaires bien formés existent mais sont très peu nombreux et sont sous exploités, les

vraies décisions comme la signature de contrats d'exploration, se prennent entièrement par des

conseillers du président. Si in fine, le président Museveni prend les décisions, les capacités

des fonctionnaires sont beaucoup plus sollicitées qu'au Congo voisin.

Cette partie dont l’un des buts était d'expliquer comment s'organise le secteur pétrolier au

Congo et quelle était son importance nationale, démontre une très grande faiblesse de l'idée

d’Etat nation. La situation n'est pas simple : la sécurité est loin d'être optimale en particulier

dans les Kivus, les administrations ont connu des décennies de délaissement depuis au moins

la fin des années 1980 de Mobutu (voire déjà dans les années 1970 avec la zairisation de

l’économie). Ces constations expliquent en partie une nécessité de reconstruire l'imaginaire

d'un Etat puissant (d'une superficie continentale), contrôlant son territoire et à même de payer

ses fonctionnaires décemment.

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Partie III : Nouvelle géopolitique pétrolière de l’Afrique de

l’Est et litiges frontaliers entre le Congo et ses voisins

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La quasi-totalité des bassins pétroliers congolais sont partagés avec les pays voisins. Cela

pourrait ne pas poser un problème en soi, mais dans cette région qui a connu de longues

périodes de guerre avec des alliances diverses contre ou au côté du Congo, cela entraîne

parfois des conflits, plus ou moins violents. Ceux-ci dépendent en grande partie des relations

que Kinshasa a pu construire ces deux dernières décennies avec les différents Etats qui

l’entourent. Avec l’Ouganda et le Rwanda (les deux ennemis durant la guerre), les relations

sont bien évidemment d’une toute autre nature que celles que le Congo entretient avec

l’Angola qui l’a aidé à lutter contre ces mêmes belligérants durant les années de conflit

1998/2003. Cependant, la bienveillance du régime du président angolais José Eduardo Dos

Santos envers le président congolais Joseph Kabila n’est pas dénuée de contreparties. Ces

dernières sont dans le cas d’espèce, très lourdes, voire comme on le verra quasi-

confiscatoires. Les conditions imposées au maintien au pouvoir de Kabila coûtent chers au

peuple congolais. Quant à l’Ouganda, si les premières découvertes ont abouti à de franches

tensions avec Kinshasa sur le lac Albert, les relations ont évolué depuis lors. La méfiance

avec le Rwanda reste et devrait rester très importante pour longtemps dans le cadre de

l’exploitation du méthane du lac Kivu, cela n’est pas du tout le cas pour les explorations

balbutiantes dans le lac Tanganyika avec les voisins tanzaniens, burundais et probablement un

jour zambiens. Ce qui semble une fois de plus l’emporter chez tous les voisins du Congo,

c’est l’application d’une stratégie qui consiste à l’empêcher ou au moins de ne pas l’aider à

redevenir (ou devenir c’est selon) une puissance régionale. Outre la nécessité d’empêcher le

Congo d’exploiter ses ressources pétrolières (elle y parvient même seule avec ses choix

hasardeux de compagnies d’exploration) en s’en emparant à sa place afin de dynamiser des

économies nationales qui ont eu à subir aussi des catastrophes (Armée de Résistance du

Seigneur, génocide rwandais, guerre civile en Angola), il y a bien cet objectif final : empêcher

le Congo de se redresser trop vite voire de se redresser tout court.

Cette troisième partie se propose d’articuler le lien entre la présence d’hydrocarbures dans

l’Afrique des Grands Lacs avec l’Afrique de l’Est. Du fait de son enclavement

géographique415, la quasi-totalité de l’exportation du pétrole ou du gaz de l’Afrique des

Grands lacs (hors de l’Angola) devra nécessairement passer par l’Afrique de l’Est où une

nouvelle géopolitique des hydrocarbures est également en train de se structurer autour de trois

piliers : le Soudan du Sud (où le pétrolier est produit depuis 1999), l’Ouganda (où le pétrole

415 L’enclavement en géographie a plusieurs définitions, la plus claire est selon nous celle donnée par le « Dictionnaire de le géographie » de Pierre Georges et Fernand Verger paru originellement en 1970. Les auteurs donnent comme définition de l’enclavement une « absence d’accès au marché dans un espace donné ».

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est déjà découvert) et la zone Mozambique/Tanzanie (où de très importantes quantités de gaz

ont été mises à jour depuis 2010). Par géopolitique des hydrocarbures, je pense aux

découvertes pétrolières et gazières récentes qui vont créer de nouveaux rapports de force entre

Etats. A ces piliers s’ajoute le rôle important du Kenya comme hub d’exportation et peut être

futur producteur. Le point commun de tous ces futurs producteurs d’Afrique des Grands Lacs

et d’Afrique de l’Est est cet enclavement de leur territoire. Longtemps cantonnées dans le

golfe de Guinée (voir cartes de la première partie) et au Maghreb, les découvertes de pétrole

et de gaz sur le continent se rééquilibrent peu à peu avec des gisements de taille significative

en Afrique de l’Est (au sens large en allant du Soudan du Sud au Mozambique). Seulement, à

contrario des pays producteurs bordant le golfe de Guinée -comme le Nigeria, le Ghana, le

Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale-, les deux Congo et l’Angola, la plupart des zones

où des gisements ont été découverts sont enclavées. Cela impose comme pour les pays sahélo-

sahariens (cas du Tchad et bientôt du Niger) de construire des oléoducs afin d’acheminer les

hydrocarbures jusqu’aux ports d’exportation les plus proches. Ces nouvelles infrastructures

sont loin d’être aisées à réaliser, non pas pour des raisons techniques, les oléoducs par très

basses températures comme au Kazakhstan ou entre la Russie et la Chine sont autrement plus

difficiles à construire et à maintenir en état, mais bien pour des raisons politiques: relation

avec les Etats côtiers voisins et aussi géopolitiques avec les conflits potentiels le long de ces

ouvrages d’exportation. Or, des conflits en Afrique de l’Est, il n’en manque pas : présence des

Shebab en Somalie, tensions et conflits armées entre le Soudan et Soudan du Sud (Heglig en

avril 2012), l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) ainsi que les divers mouvements et

milices qui apparaissent puis disparaissent en RDC (après réincorporation dans l’armée

nationale) à proximité de la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda etc…Ces conflits de

diverses natures peuvent modifier la stratégie des pétroliers concernant les projets

d’exportation. En tout cas, ils rentrent en compte dans le tracé qui sera choisi pour les

oléoducs d’exportation.

Cette partie se propose d’abord d’étudier l’exploitation des bassins partagés entre le Congo et

ses voisins et des problèmes de frontières y afférant. Cette situation est d’une certaine

manière, une autre forme d’enclavement car elle implique l’impossibilité pour la République

démocratique du Congo d’exploiter seule ses ressources et donc d’avoir obligatoirement

recours à la discussion et à la négociation avec ses voisins. Pour le Congo, ce n’est pas

uniquement l’absence d’accès à un marché dont le pays souffre, mais bien l’absence d’accès

direct à la ressource, du fait de son partage obligatoire. Nous étudierons chaque cas en

commençant par les plus problématiques : le lac Albert entre le Congo et l’Ouganda,

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l’embouchure du fleuve Congo entre le Congo et l’Angola. Puis nous poursuivrons par les

conditions de l’exploitation du méthane du lac Kivu entre le Congo et le Rwanda et enfin

l’exploration pétrolière dans et autour du lac Tanganyika entre le Congo, le Burundi, la

Tanzanie et la Zambie. Cette troisième et dernière partie a également pour but d’analyser la

conséquence de l’enclavement des réserves pétrolières de cette zone étendue Grands

Lacs/Afrique de l’Est. Le premier cas d’enclavement: les découvertes pétrolières en Ouganda

depuis 2006, est d’ailleurs voué à être lié avec le deuxième, le Soudan du Sud indépendant

depuis 2011. Mais ces deux zones où la présence d’hydrocarbures est démontrée n’ont pas le

même type d’enclavement. L’Ouganda a toujours connu depuis le début de la colonisation

britannique à la fin du 19ème siècle un enclavement total de son territoire, sans aucun accès à

la mer. Il s’est ainsi organisé pour ses importations et ses exportations hors de la région

(principalement café) en passant très largement par le Kenya (autre colonie britannique). Son

commerce et son développement dépend donc en grande partie de sa relation avec ce dernier.

Il le paye d’ailleurs régulièrement avec des pénuries de certains produits comme l’essence.

L’autre bouleversement pétrolier récent d’Afrique de l’Est est la partition du Soudan en deux

Etats le 9 juillet 2011, avec la création d’un nouvel Etat africain enclavé: le Soudan du Sud.

Le Soudan (Khartoum) étant toujours bordé par la Mer Rouge et le port de Port Soudan, il n’a

pas ce problème alors que le Soudan du Sud est frontalier avec la République démocratique

du Congo, l’Ouganda et le Kenya au Sud, l’Ethiopie à l’est, la République centrafricaine à

l’ouest et enfin le Soudan au Nord. Il n’a donc aucun accès à la mer et doit négocier avec l’un

de ces voisins pour importer (essence, nourriture, ciment etc…) et exporter des produits

(principalement du pétrole). Le Soudan du Sud se retrouve enfermé dans ses nouvelles

frontières et est obligé de s’entendre avec ses voisins. Les découvertes ougandaises et la

partition du Soudan sont à rapprocher car la production pétrolière de ces deux Etats, depuis

1999 au Soudan/Soudan du Sud et à partir de 2016/2017 en Ouganda pourrait éventuellement

être exportée par les mêmes infrastructures dans un futur plus ou moins lointain. Le dernier

événement que nous traiterons dans cette partie est le gigantesque volume de gaz découvert à

la frontière du Mozambique et de la Tanzanie depuis 2010. Ces pays sont confrontés à une

autre forme d’enclavement : l’impossibilité de consommer leurs réserves sur place, ni de les

vendre dans la région, par absence de marché suffisant, y compris en Afrique du Sud

(économie africaine la plus importante). L’enclavement est ici l’absence d’accès direct à

marché dans un espace donné [Pierre George, 1996]. Il faut donc liquéfier le gaz puis

l’exporter vers les marchés asiatiques. Si le Mozambique est le seul -avec des ressources en

hydrocarbures- à pouvoir bénéficier dans la région d’une façade maritime lui permettant

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d’éviter d’interminable discussions et conflits avec ses voisins pour exporter ses ressources, il

doit sécuriser son marché, dans une période où l’abondance de gaz à destination des marchés

asiatiques (Qatar, Iran, Australie) peut causer à terme une surproduction dangereuse. Ce

problème se pose avec d’autant plus d’acuité que la Tanzanie voisine a fait de très

substantielles découvertes gazières également depuis 2010.

1 Les litiges frontaliers entre le Congo et l'Ouganda sur le lac Albert

La très grande tension entre les Congolais et Ougandais sur la gestion des ressources

pétrolières du lac Albert au milieu des années 2000 a été pourtant précédée de gestes de bonne

volonté de part et d'autre. En effet, à la mi 1995, un accord de principe est paraphé entre les

administrations zaïroise et ougandaise en charge de l'énergie. Ce document prévoit l'échange

de données techniques sur l'exploration autour du Lac Albert par l'intermédiaire de la création

de commissions mixtes "géologie, géophysique et géochimie416". Cependant, cet accord

survient la dernière année du pouvoir de Mobutu, il est donc mort-né. De plus, il faut

relativiser sa portée, il est très facile d'échanger des données lorsqu'aucune découverte n'a

encore été effectuée. D'échanges, il n'y en a donc pas vraiment et cet accord fait long feu.

L'"opportunité" des tensions est tout à fait différente lorsque des nappes pétrolières sont mises

à jour. Ces Etats sont susceptibles de rentrer en effet dans le cas de découverte pétrolière, dans

une stratégie géopolitique de rivalité de pouvoir pour le contrôle d'un territoire (le gisement

pétrolier) selon la géopolitique d'Yves Lacoste417. Ils désirent s'approprier ce qui peut

rapidement les enrichir. Pourtant, depuis les indépendances (1960 pour le Congo et 1962 pour

l'Ouganda), les problèmes de frontière dans cette zone du lac Albert n'ont jamais conduit à de

grandes tensions. Seule la pêcherie était en jeu avant "l'ère pétrolière" et les stocks étaient

suffisamment importants (cela est cependant en train de changer comme on l'a vu) pour éviter

tout problème d'embarcations qui passeraient de l'autre côté d'une prétendue démarcation

entre Etats. Or, en 2007, les découvertes effectuées par Heritage et Tullow Oil du côté

ougandais démontrent selon le ministre ougandais de l'énergie Daudi Migereko que la

production peut atteindre 60 000 bpj418. Ce chiffre est considérablement revu à la hausse à

mesure des découvertes. Cependant déjà à l'époque, ce volume fait rêver et attire la convoitise

car il est largement suffisant pour assouvir les besoins en produits pétroliers de l'Ouganda.

Ces derniers représentant un véritable enjeu car des pénuries d’essence sont de plus en plus

fréquentes chaque année. Elles sont principalement entrainées par les problèmes 416 Africa Energy Intelligence, n°279, 19 juin 1995. 417 Développée principalement dans la revue de géographie et de géopolitique Hérodote depuis 1976. 418 Wikileaks, Kampala Embassy, 7 août 2007.

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d'acheminement depuis le port de Mombasa au Kenya d’où provient la quasi-totalité des

besoins.

L’équation entre l’Ouganda et le Congo se complique du fait d’une définition très dangereuse

des frontières sur le lac Albert. Un traité de 1915 signé entre les colons anglais et belges

stipule ainsi que le lit de l’une des sources du lac au sud, la rivière Semliki, déterminera la

frontière entre les deux Etats. Le danger de ce type de définition est que la frontière est et

restera mouvante car les lits de rivières bougent continuellement. C’est le cas avec la Semliki

qui s’est déplacée vers l’ouest depuis la signature du traité et s’est ainsi enfoncée dans les

terres congolaises419. En théorie, l’Ouganda devrait donc gagner du territoire par rapport à la

carte dessinée à l’époque coloniale. Les motifs politiques agrégés aux motifs géopolitiques

sont donc réunis pour conduire à une exploration conflictuelle.

1-1 La tuerie d'août 2007 et le lancement d'un processus de concertation.

Le 3 août 2007, trois bateaux des forces armées de la République Démocratique du Congo

(FARDC) tue Carl Nefdt : un ingénieur britannique qui travaille pour la compagnie

canadienne Heritage. Ce cadre se trouvait sur une embarcation sismique sur le lac Albert. Cet

incident n’est pas le premier de l’année420, mais il fait prendre conscience aux deux Etats

qu’une collaboration pétrolière est non plus souhaitable mais indispensable. Plusieurs gradés

ougandais interrogés par l'ambassade américaine (Wikileaks) ainsi que des membres de la

Monusco (ONU) à Kampala que nous avons pu questionner font le même constat : les

relations entre les deux Etats n'étaient pas spécialement tendues à ce moment-là (elles

n'étaient pas bonnes pour autant mais rien n'indiquait une dégradation). Cet événement a donc

été une grande surprise pour l'Ouganda. Et pour cause, aucun ordre n'a été donné de Kinshasa.

Cet incident est très probablement survenu suite à une décision prise par un commandement

local de l'armée congolaise qui n'en a nullement référé à sa tutelle. Cela démontre une fois de

plus l'état très dégradé de l'Armée au Congo421. L'une des raisons évoquées de cette action est

moins un problème de souveraineté que le non-paiement des salaires des soldats de la région

419 Benjamin Augé, IFRI, ibid. 420 Quatre soldats ougandais ont été interceptés le 29 juillet 2007 sur le lac Albert près de l'île de Rukwanzi par l’armée congolaise. Ils seront incarcérés à Bunia (Ituri) jusqu’au 6 août. Voir Crisis Group, Four priorities for sustainable peace in Ituri, mai 2008. Voir également Wikileaks, Kampala Embassy, 7 août 2007. 421 Sébastien Melmot, « Candide au Congo, l'échec annoncé du secteur de la sécurité », focus stratégique n°9, IFRI, septembre 2008.

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de l'Ituri. Cette raison, tout à fait plausible, est d'ailleurs également mentionnée par des gradés

ougandais qui se sont confiés à l'ambassade américaine à Kampala peu après les faits422.

Dès le 11 août 2007, le président Kabila téléphone à son homologue ougandais pour s'excuser

de cet incident. Il promet d'envoyer au plus vite son ministre des affaires étrangères Antipas

Mbusa Nyamwisi afin de donner des explications plus détaillés sur ce qui s'est passé. Ne

voyant toujours rien venir, c'est finalement le ministre des affaires étrangères ougandais Sam

Kutesa (voir portrait ci-dessous) qui se rend à Kinshasa.

Sam Kutesa né en 1949 est ministre des affaires étrangères depuis 2005. Il a été reconfirmé à

ce poste le 27 mai 2011. Il fait partie des rares ministres ougandais qui a une réelle autonomie

et peut influencer les décisions du président. Lors de son mariage le 16 août en 2008 avec

Edith Gasana (une ex responsable du PNUD au Bénin), Yoweri Museveni était d'ailleurs

présent avec son épouse Janet. Dès sa première élection en 2001 comme député du district de

Sembabule, Sam Kutesa est nommé secrétaire d'Etat aux investissements. Il est avocat de

formation, avant de rentrer en politique, il a d'ailleurs exercé dans un cabinet privé entre 1973

et 2001.

L'un des télégrammes de Wikileaks sur cette rencontre est intéressant à étudier. En effet,

l'officiel ougandais confie aux diplomates américains que Kabila est tout à fait d'accord de

discuter directement avec son homologue, il ajoute même que cela ne le dérangerait pas qu'un

sommet bilatéral se déroule en Ouganda (où il a passé une partie de sa jeunesse ainsi qu'à Dar

Es Salaam) comme le propose le ministre Kutesa. Cependant, le président congolais, par

l'intermédiaire de son ministre des affaires étrangères, ajoute que vis-à-vis de sa population, il

doit toujours agiter le sentiment anti-ougandais423 et qu'il préfère donc un terrain de rencontre

plus neutre. Joseph Kabila ne peut donc pas encore se permettre de se rapprocher de façon

trop visible de son ex-ennemi. La population a à l'époque besoin d'être confrontée à la

représentation d'un Ouganda symbolisant l'ennemi et l'envahisseur (tout comme le Rwanda).

Kabila peut ainsi en jouer à des fins électorales ou en tous cas, éviter que ses adversaires

politiques utilisent une proximité affichée avec l'Ouganda contre lui. Les Congolais ont

tellement souffert des différentes invasions des armées étrangères, quelles qu’elles soient,

qu'ils ne sont pas en capacité d'oublier et de pardonner si facilement.

422 Wikileaks, Kampala Embassy, 11 septembre 2007. 423 La formule en anglais "but had to continue to beat an "anti-Uganda drum" for domestic purposes" est sans équivoque. Elle montre combien il est encore difficile de se montrer trop proche des pays qui ont envahi le Congo entre 1998 et 2003 comme l'Ouganda et le Rwanda. Et ce alors que le président congolais souhaiterait personnellement une normalisation plus rapide.

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Ce terrain neutre de négociation sera bien vite trouvé. Le président tanzanien Jakaya Kikwete

accepte rapidement d'accueillir le sommet entre les deux chefs d'Etat à Arusha (nord du pays)

près du volcan de Ngurdoto. Outre l'importance de démarquer et de sécuriser la frontière sur

le lac Albert ainsi que de la préciser au niveau terrestre (au nord et au sud du lac), plusieurs

autres thèmes sont à l'ordre du jour : le partage des ressources (pétrolières), la relance de la

commission mixte permanente entre les deux pays (créée avant la guerre pour discuter des

sujets économique et de sécurité mais arrêtée depuis la chute de Mobutu en 1997), et enfin le

rétablissement des relations diplomatiques en ouvrant de nouveau des ambassades de part et

d'autre424. En d'autre terme, la tuerie d'août a permis une discussion sur le pétrole mais

également un rapprochement diplomatique beaucoup plus large. Après près de dix ans de

suspicions mutuelles, suite au début de la deuxième guerre du Congo en 1998, tout contact

officiel a dû passer par des voies spéciales et non par des voies diplomatiques classiques. C'est

souvent dans l'adversité que des interlocuteurs en froid sont obligés de se reparler car la

population, déjà traumatisée par de longues années de guerre, y voit un intérêt immédiat :

éviter une reprise des violences.

Après plusieurs jours de discussions, assez détenues et cordiales entre les deux présidents qui

s'apprécient425, l'accord connu sous le nom de Ngurdoto est paraphé le 8 septembre 2007 (voir

en Annexe). L'Ouganda qui a besoin d'une sécurité maximale dans la région pour que le

pétrole coule au plus vite a vivement pressé la partie congolaise afin que le sommet ait lieu au

plus vite.

Si les deux Etats réaffirment dans cet accord l’intangibilité des frontières issues de la

colonisation, ils reconnaissent bien que le texte du 3 février 1915 signé entre la Belgique et la

Grande Bretagne est insuffisamment précis pour déterminer la frontière sur le lac Albert. La

principale avancée de l’accord de Ngurdoto est la mise en place d’une commission mixte

chargée de déterminer la frontière sur le lac (border authority). L’une des priorités de cette

commission est de régler le cas de la presqu'île de Rukwanzi426. Cette dernière (voir carte 32

424 En décembre 2005, la cour internationale de justice de Haye a condamné l'Ouganda à dédommager le Congo pour avoir envahi son territoire en 1998 et avoir pillé les matières premières de la province orientale. Cette somme n'a jamais été déboursée et a encore davantage tendue les relations entre les deux Etats. Source : http://www.congovision.com/nouvelles/ouganda_rdc.html. 425 Contrairement à leurs entourages qui tendent souvent de caricaturer la partie adverse pour que le statu quo perdure et le chaos continu pour permettre certains commerces frontaliers illégaux. 426 Cette île est surtout habitée par des pêcheurs congolais, entre 500 et 1000 selon les périodes. Il n’y a pas de maisons en dur mais plutôt des cases en bois pour que les pêcheurs puissent s’abriter et stocker leur marchandises avant de le revendre dans les villes, notamment à Kasenyi.

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ci-dessous) se situe au sud du lac et n’existait pas lors de la période coloniale427. Rukwanzi est

supposée se situer à proximité d’une vaste nappe pétrolière. La présence de géologues comme

Nefdt dans la zone a renforcé des fantasmes côté congolais où plusieurs cadres rencontrés

estiment que l’île serait située au-dessus de réserves pétrolières.

427 Conversation avec le chercheur Johan Lavreau du Musée royal de l’Afrique centrale de Tervuren, juillet 2008.

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Carte n°32: Ile de Rukwanzi disputée entre le Congo et l’Ouganda

Source : New Vision.

Du fait de l’absence de forage direct dans la zone428 il est toujours difficile de savoir si

Rukwanzi est proche d’une nappe pétrolière. Le champ de Kingfisher, l’une des plus

importantes découvertes jusqu’à maintenant, pourrait cependant être situé à proximité. Afin

428 Conscient du problème géopolitique entre les deux Etats, Tullow et Heritage n’ont quasiment pas foré dans le lac (seuls quelques forages dirigés horizontaux ont été effectués depuis la terre ferme). Les forages ont été principalement menés en onshore, sur les berges du lac Albert.

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de calmer les deux parties, un administrateur par pays doit être envoyé sur l'île selon l'accord

de Ngurdoto ainsi qu'un nombre identique de policiers de part et d'autre. A Ngurdoto, il est

également acté que les ministres chargés des hydrocarbures devront se rencontrer dès

novembre 2007 pour élaborer un nouvel accord d’unitisation429. Ce dernier remplacerait celui

signé le 23 juin 1990 qui ne convient plus aux enjeux actuels du lac Albert430.

Plusieurs réunions de la commission technique mixte se sont bien tenues après l'accord de

Ngurdoto. Deux rencontres ont eu lieu en 2007, la première à Bunia et la deuxième à Entebbe

du 12 au 15 décembre 2007. A cette occasion, près de 70 Congolais, politiciens et cadres des

ministères de l’intérieur et des hydrocarbures se sont rendus en Ouganda. Les Congolais ont

notamment visité les installations pétrolières sur le lac Albert431. Le 28 janvier 2008, les deux

parties déterminent de nouvelles règles sur l’exploration pétrolière dans le lac Albert. Les

ministres des hydrocarbures congolais Lambert Mende Omalanga et son homologue à

l'énergie Daudi Migereko (Ouganda) se mettent d’accord sur une interdiction pour les sociétés

de s’approcher à moins de quatre kilomètres de la frontière maritime432. Cela ne fait que

repousser un peu plus le problème. Une autre réunion de la commission mixte s'est déroulée

en juin 2008 à Kinshasa. Cependant, en 2012 la délimitation des frontières précises n'est

toujours pas actée.

Comme nous l’avons vu, Ngurdoto ne règle pas tous les problèmes bilatéraux. Le 26

septembre 2007, soit quelques jours à peine après l'accord, des soldats ougandais font feu sur

un ferry congolais transportant des civils entre Rukwanzi et Kasenyi (situé sur la rive

ougandaise du lac). Il y aura six morts côté congolais, la majorité d’entre eux étant des

pêcheurs de Rukwanzi433. La cause de cet incident : les membres de l'UPDF (force armée

ougandaise) ont apparemment demandé aux deux soldats congolais à bord de désarmer, ce

qu'ils n'ont pas fait. La tension est donc encore extrême entre les deux camps. L'Ouganda qui

429 L'unitisation est un terme pétrolier. Il implique un processus de partage des ressources entre plusieurs compagnies ou Etats. Ce type de reglèment s'impose lorsque la nappe pétrolière dépasse les limites d'un bloc pour un pétrolier ou dépasse les frontières pour les pays. Dans ce cas, on détermine à qui appartient quoi en s’engageant dans un processus d'unitisation. 430 Benjamin Augé, op. cit, IFRI. 431 Benjamin Augé, op. cit, p 177. 432 Le ministre des hydrocarbures congolais Lambert Mende et son collègue de l’énergie ougandais Daudi Migereko amendent également le 28 janvier 2008 un accord signé en 1990 sur la gestion des gisements transfrontaliers. Selon Mende qui s’exprimait à l’Assemblée nationale le 13 juin 2008 sur les hydrocarbures « un gisement même localisé totalement dans un des deux pays mais difficile d’accès à partir de celui-ci pouvait être considéré comme commun. Aujourd’hui, seuls les gisements transfrontaliers sont reconnus communs et feront l’objet d’une procédure spécifique d’unitisation impliquant des opérateurs désignés par chacun des deux Gouvernements ». Texte lu par le ministre et publié dans le quotidien congolais La Prospérité, le 16 juin 2008. Disponible à l’adresse : http://africatime.com/rdc/nouvelle.asp?no_nouvelle=407340&no_categorie=. 433 Selon l’hebdomadaire ougandais The Independant, 24 juin 2012.

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n'a toujours pas confiance en la partie congolaise (et vice versa) en particulier dans son armée,

doublé d'une crainte (probablement exagérée) d'actions de la Lord Resistance Army contre les

sociétés pétrolières, demande l'aide directe des Etats-Unis. Le 4 mars 2008, l'amiral américain

Greene ainsi que l'ambassadeur américain en Ouganda Steven A Browning se rendent ainsi à

Hoïma (l’une des plus grandes villes à proximité du lac Albert) avec des hauts gradés

ougandais afin de mettre en place une stratégie pour sécuriser la zone. Certains cadres de

Tullow sont aussi présents lors de ces réunions pour s’exprimer sur les points de faiblesse434.

L'un des brigadiers représentant l'UPDF informe les Américains que l'Ouganda n'a aucune

stratégie de protection des lacs, seuls huit bateaux sont mobilisés pour la protection de la

totalité du lac Albert (5270 km²). De plus, les militaires chargés de cette protection sont

insuffisamment formés. En d'autre terme, si l'état de l'armée congolaise laisse à désirer par

son manque de moyen et son manque d'homogénéité (du fait de l'intégration des différentes

milices), l'armée ougandaise ne semble pas davantage équipée pour la protection de ses eaux

territoriales. Toujours au cours de cette réunion, le représentant de Tullow, John Morlay,

déclare que sa société n'a pas vocation à payer des formations militaires à l'armée ougandaise

mais il propose d’aménager des accès routiers au lac435. Nous apprenons dans un télégramme

américain du 24 décembre 2008 que le ministère américain de la défense prévoit pour 2009 un

budget de formation de 150 000 dollars pour répondre aux demandes ougandaises sur le lac.

Afin de renforcer ce dispositif, le président américain Barack Obama signe en mai 2009 le

Lord's Resistance Army Disarmament and Northern Uganda Recovery Act qui vise à stopper

la LRA et son leader Joseph Kony. Le texte est accepté en mars 2010 par le Sénat et par la

chambre des représentants en mai. Le 24 novembre 2010, le président américain demande

davantage d'argent pour lutter contre la LRA au Congrès. Enfin, le 14 octobre 2011, une

nouvelle étape est franchie, Barack Obama décide d'envoyer (toujours en se basant sur l'act de

2009) une centaine de conseillers militaires afin d’aider l'Ouganda à lutter contre la LRA dans

cette région Nord et Nord-Ouest ainsi qu'au Congo, République Centrafricaine et Soudan du

Sud436. Si ces conseillers vont surtout être déployés en dehors de l'Ouganda, le moment de

leur déploiement coïncide avec l'approche de la mise en production des ressources pétrolières.

Leur base est d’ailleurs proche de l’aéroport d’Entebbe en Ouganda. Ce déploiement suit

aussi l'indépendance du Soudan du Sud le 9 juillet 2011, dans laquelle les Etats-Unis ont été

434 Wikileaks, Kampala Embassy, 13 mars 2008. 435 Il poursuit en disant qu'il investit déjà 250 000 dollars dans des infrastructures : 3 écoles primaires, une maternité, un centre de collecte de miel, ainsi que le salaire de certains professeurs, La société a également financé la construction d'un centre d'urgence à Kaiso pour secourir les pécheurs 436 www.cnn.com, 14 octobre 2011.

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très impliqués437. Le programme américain contre la LRA s’inscrit donc en appui de ce que

l’armée américaine fait déjà dans cette région. Cela participe en tout cas à la sécurisation de la

zone pétrolière.

Afin d'accélérer le processus de réconciliation entre l’Ouganda et le Congo, un nouveau

sommet est organisé entre les deux présidents le 11 mai 2008 à Dar Es Salaam. A partir de

cette date, la presqu'île de Rukwanzi est officiellement administrée de façon conjointe438. Les

militaires des deux côtés frôlent parfois les combats pour défendre « leur » île. Rukwanzi est,

selon Kampala à l’Ouganda ; selon Kinshasa, puisque des centaines de pêcheurs congolais y

séjournent en permanence depuis longtemps, l’île est devenue congolaise. Les archives

cartographiques belges, détenues par le musée Tervuren près de Bruxelles, ne donnent pas

davantage d’informations sur la souveraineté de cette île nouvelle. Pour les spécialistes,

l’acharnement des deux parties à détenir les droits sur cette terre, proviendrait peut-être du fait

qu’on pourrait y positionner des instruments de forage. Cela rendrait l'exploration moins

onéreuse qu'en offshore complet. Dans le compte rendu de la réunion de Dar Es Salaam, les

deux présidents expriment aussi leur volonté d'échanger au plus vite des ambassadeurs dans

leurs capitales respectives. Comme la démarcation n'a pas encore pu avoir lieu sur le lac

Albert, les deux présidents acceptent de respecter une zone de 4 kilomètres de part et d'autre

de la frontière (décidées en janvier par leur ministre respectif de l'énergie) dans lesquelles

aucune exploration ne sera menée.

Cependant, une fois encore, le problème de frontière reste entier. La principale difficulté est

que la séparation déterminée dans le texte de 1915 par le lit de la rivière Semliki a bougé: il

s'est déporté de plusieurs centaines de mètres vers l’ouest réduisant la part du Congo sur les

eaux du lac. En cas de forage au centre du lac, les deux parties vont devoir se mettre d’accord

précisément sur une délimitation pérenne qui ne se base pas sur des éléments naturels en

mouvement comme le lit d’une rivière. L’une des solutions à envisager serait la création

d’une zone de développement conjoint (ZIC ou ZDC) comme celle de la façade océanique

entre le Nigeria et Sao Tomé et Principe (Partie I). Celle-ci pourrait englober toute la zone

frontalière sur quelques kilomètres de largeur sur toute la longueur du lac. Les sociétés

437 Pierre Péan, Carnages, les guerres secrètes en Afrique, Fayard, 2010. 438 Pour les cadres chargés de ce problème au ministère des affaires étrangères ougandais, l’île de Rukwanzi appartient à l’Ouganda depuis la colonisation. Peu à peu des pêcheurs congolais s’y sont installés sans autorisation. Cela a permis à Kinshasa d’affirmer que l’île lui appartient du fait du peu de résistance ougandaise. L’accord de Dar Es Salaam prévoit que les autorités locales militaires et civiles proches du lac Albert doivent en référer au commandement militaire et politique à Kinshasa et à Kampala avant de prendre une quelconque initiative.

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exploitantes reverseraient (pourcentage à déterminer) à chacun des deux Etats leurs parts des

revenus tirés du pétrole produit dans la ZIC.

Cependant, si la frontière n’est pas déterminée, la relation entre les deux pays a

considérablement évolué. L’Ouganda n’a plus les mêmes intérêts que dans le passé à une

instabilité de l’Ituri. Museveni souhaite que la production pétrolière puisse commencer au

plus vite et que l’Ouganda devienne le carrefour pétrolier du lac Albert. La production

congolaise du lac et de ses environs pourra uniquement être exportée par le territoire

ougandais. Tullow et ses nouveaux associés, Total et CNOOC prévoient de construire un

oléoduc qui relierait le lac Albert jusqu’au port de Mombasa au Kenya. La production

atteindra à terme quelque 200 000 à 250 000 bpj et ne pourra pas être totalement (loin de là)

consommée localement439. Nous développerons ce point à la fin de cette partie.

La relation entre le Congo et l’Ouganda évolue lentement après la mort de l’ingénieur

britannique. Il faut attendre finalement le 3 mars 2009, lors d’une nouvelle entrevue à Kasese

(RDC), pour que Museveni et Kabila décident après une décennie de rupture, de reprendre les

relations diplomatiques. Une nouvelle étape symbolique est franchie lorsque pour les

festivités du cinquantenaire de l’indépendance de la RDC le 30 juin 2010, le président

Museveni est présent à la tribune officielle. Hors des questions pétrolières, la principale raison

de ces retrouvailles est que Kampala veut que la RDC se mobilise contre l’Armée de

Résistance du Seigneur qui échappe à l’Uganda People Defense Force (UPDF) en se jouant

des frontières entre la RDC, la République Centrafricaine et le Soudan du Sud. Plusieurs

missions conjointes entre l’armée ougandaise et congolaise ont d’ailleurs eu lieu en 2009 pour

chasser la LRA et arrêter son chef Joseph Kony440.

Cependant malgré ces avancées notables, un climat de méfiance latente subsiste tout de même

entre les deux Etats. Il est alimenté par une suspicion permanente sur Tullow et Heritage

(lorsque la société était encore dans le pays). La presse congolaise se fait l’écho du point de

vue de certains responsables de la politique pétrolière en RDC incriminant les compagnies qui

pomperaient le brut congolais à partir des rives ougandaises. Techniquement, cette opération

439 Une petite raffinerie devrait être construite rapidement pour traiter le brut nécessaire à la consommation locale. Cela pourrait notamment remplacer le fuel lourd jusqu’alors importé. De grandes quantités de fuel lourd sont actuellement utilisées dans les cimenteries comme celle de Hima Cement Ltd (filiale de Lafarge en Ouganda) qui a négocié avec Tullow pour son approvisionnement. Plusieurs centrales électriques comme celles opérées par Jacobsen Elektro AS et Aggreko (à elles deux elles produisent 120 MW) fonctionnent aussi au fuel lourd. Elles en importent actuellement pour plus de 40 millions de dollars par an. Sources : Africa Energy Intelligence, n°628, 19 mai 2010. 440 Voir International Crisis Group, rapport Afrique n°157, L’Armée de Résistance du Seigneur, une stratégie régionale pour sortir de l’impasse, 28 avril 2010.

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est faisable en utilisant des forages dirigés, mais cela serait sans aucun doute un casus belli

pour les autorités congolaises. En l’occurrence, le pétrole ne coule pas encore en Ouganda,

donc aucun fondement crédible n’étaye ces rumeurs qui rendent les négociations lourdes de

sous-entendus. Les poids du passé et de la guerre sont toujours bien présents. Outre les

relations personnelles difficiles entre certains cadres au sein des compagnies et les

décisionnaires congolais, il y a le fait que Tullow et Heritage (qui espéraient encore jusqu'en

2010 obtenir les blocs 1 et 2 en Ituri) représentent les compagnies de l’Ouganda. Lors des

négociations de Ngurdoto en septembre 2007, Tim O'Hanlon, le directeur Afrique de Tullow

était d'ailleurs présent comme conseil à la partie ougandaise. Cela a été très mal ressenti par

les Congolais. Ces compagnies ont, du fait de leur rôle de pionnières beaucoup influencé le

gouvernement ougandais dans sa politique pétrolière. Cette image de « proche de Kampala »

leur a causé des torts irrémédiables à Kinshasa. Le manque de clarté sur le rôle des acteurs

pétroliers a clairement complexifié la relation bilatérale Ouganda/RDC qui reposait déjà sur

des préjugés très négatifs.

2 Le litige frontalier entre la République démocratique du Congo et

l'Angola

Si la relation entre le Congo et son voisin ougandais est complexe, l’analyse de celle avec

l'Angola l'est probablement encore davantage du fait du nombre très réduit de sources et de

témoignages écrits sur lequel se reposer. Aucun des deux acteurs ne donne réellement

d’indices pour analyser convenablement l'évolution de cette relation si fondamentale dans la

région. Au niveau des représentations, il est très difficile pour un ministre ou pour un

représentant de l'Etat congolais de dire qu'il se sent proche de l'Angola. Les Congolais se

méfient tout autant de l'Ouganda que de l'Angola qui est devenue une puissance continentale

(3ème économie du continent après l’Afrique du Sud et le Nigeria) du fait de ses revenus

pétroliers (voir partie I). Cette relation est d'autant plus intéressante à analyser que l'Angola,

dès la présidence de Laurent Désiré Kabila, a aidé à combattre et a repoussé dans leur pays

respectif les armées ougandaises et rwandaises. L’Angola pourrait donc être considéré comme

le sauveur de la RDC, mais cela n’est pas le cas : pour la population, les très fréquentes

expulsions de Congolais d'Angola depuis 2003 (suivis toujours de mesures identiques de la

part du gouvernement congolais) compliquent les relations441. Et ce alors que c'est très

441 Ce phénomène a commencé dès la fin 2003 avec un premier objectif : expulser les creuseurs congolais très présents dans les provinces du Nord de l'Angola, très riches en diamants. Les Angolais, principalement militaires, ont voulu à partir de ces années contrôler ce "business", l'un des plus rémunérateurs du pays après celui du pétrole. Le deuxième objectif est apparu plus tard, vers 2009, avec l'expulsion très massive de Congolais

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285

souvent les mêmes familles qui habitent des deux côtés de la frontalière, dans les provinces du

Bas-Congo, Bandundu et du Kasaï Occidental d'un côté et celles de Cabinda, Zaïre, Uige,

Malange et Luanda Norte de l'autre.

Depuis l'aide de l’armée de l'Angola en 1998 pour repousser les « envahisseurs » rwandais et

ougandais, le fil directeur de la relation Angola/Congo doit s’appréhender comme une

sujétion de plus en plus importante. Cet état de fait s'est accéléré davantage avec la fin de la

guerre civile en Angola à la mort de Jonas Savimbi en 2002, le pays a commencé à accumuler

d'immenses réserves en devises et a pu user de cette force dans ses relations avec les élites

congolaises.

Le plus grand enjeu pétrolier de la RDC qui n'est pas réglé depuis les années 1990 se joue sur

sa façade océanique. Si le pays ne produit actuellement que 27 à 28 000 bpj, c’est en partie

parce que sa zone économique exclusive est (anormalement) très réduite. L'étude d'une carte

de la côte maritime de la RDC qui s’étend sur 37 kilomètres, permet de rapidement remarquer

que les eaux territoriales congolaises représentent uniquement un petit triangle équivalent à

une centaine de kilomètres carré à peine. La carte la plus précise (et la plus à jour) est

d’ailleurs celle de la société nationale angolaise Sonangol442 (ci-dessous).

(plusieurs dizaines de milliers selon l'ONU) pour témoigner du mécontentement angolais face aux revendications de son voisin sur les blocs pétroliers à l'embouchure du fleuve Congo. On compte plusieurs centaines de milliers de Congolais expulsés du territoire angolais, souvent après été battus ou violés pour les femmes (voir par exemple ce témoignage recueilli par BBC en octobre 2011 :http://www.bbc.co.uk/afrique/region/2011/10/111014_angolaviolences.shtml). Sources : Agence France presse, 27 octobre 2009. Luanda se « venge » des demandes congolaises à l’ONU sur les blocs pétroliers dans les eaux maritimes. Le Congo réplique à son tour après le mois d’août 2009 en renvoyant des Angolais chez eux. Le 13 octobre 2009, un moratoire sur les expulsions est signé entre les deux Etats. Sources : New York Times, 14 octobre 2009. Cependant, le moratoire n'a pas été respecté, des Congolais ont de nouveau été expulsés depuis le mois de janvier 2010. 442 Disponible sur le site internet de la société : www.sonangol.co.ao.

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286

Carte n°33 : Zone économique exclusive de la RDC, étouffée par les blocs angolais.

Source : Sonangol/Benjamin Augé

Sur cette carte, les blocs angolais cernent complètement les eaux territoriales congolaises

(dans le rectangle courge sur la carte) déterminées en 1974 du temps de Mobutu Sese Seko443.

Les blocs ainsi attribués par l'Angola empêchent même le Congo d'avoir un accès à la haute

mer ce qui est illégal du point de vue du droit international444. Selon l'alinéa 6 de l'article 7 de

la convention de Montego Bay: "La méthode des lignes de base droites ne peut être appliquée

par un Etat de manière telle que la mer territoriale d'un autre Etat se trouve coupée de la

haute mer ou d'une zone économique exclusive". Comme on le verra, un « couloir central »

sera accepté en 2003 entre les deux parties, ce qui permettra cet accès à la haute mer pour le

Congo. Celui-ci est très limité et fait partie de la stratégie de négociation d’endormissement

de l’Angola. Or, aujourd’hui l’Angola produit 1,85 millions de bpj445 en grande partie dans

cette zone contestée.

443 Historiquement, c’est le 15 février 1885 qu’a été signé le traité qui donne au Portugal l’enclave de Cabinda qui va de Landana à Molembo avec les eaux territoriales correspondantes. Cependant, aucune coordonnée précise délimitant les eaux maritimes n’a jamais figuré dans une loi, y compris après l’indépendance de l’Angola en 1975. Les frontières terrestres issues de la colonisation ont été réaffirmées et considérées comme intangibles lors de la première conférence de l’organisation de l’Union africaine le 21 juillet 1964 au Caire. C’est par une loi très floue datant de 1974 que le Congo détermine ses frontières maritimes. 444 Selon la convention de Montego Bay de 1982 qui régit jusqu'à maintenant le droit de la mer. 445 Les chiffres sont issus du BP Statisctical Review of World Energy 2011. La production pétrolière en Angola est passée de 745 000 bpj en 1999 à 1,78 en 2009. Cela est le résultat de deux phénomènes interdépendants. D’abord l’arrêt de la guerre civile en 2002 avec la mort de Jonas Savimbi revêt un signal pour les compagnies pétrolières qui décident donc d’augmenter considérablement leurs investissements. Grâce à ce surcroit de moyens, les majors pétrolières, en particulier Chevron, Exxon, Total et BP vont faire de multiples découvertes

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287

2-1 Des blocs angolais contestés par le Congo

La RDC demande depuis le mois de juin 2003 formellement et de façon plus informelle

depuis plus bien plus longtemps446, une partie de la production des blocs producteurs en eau

profonde dans la zone de Cabinda ainsi qu’au nord de la zone économique exclusive de

l’Angola continentale (terme n'englobant pas l’enclave de Cabinda). La RDC n’a eu aucun

moyen de négocier avant 2003 pour cause de guerre interne. L’Etat était au plus faible à la fin

des années 1990 et la période de transition de Laurent Désiré Kabila de 1997 et 2001 a été

brutalement stoppée par l’assassinat de ce dernier. Le nouveau président, Joseph Kabila n’a

pas non plus été en position de demander, dans ses premières années de pouvoir, une

renégociation des frontières maritimes avec son voisin. Les questions sécuritaires dominaient

à l’époque, en particulier dans la province Orientale et dans les Kivus. De plus, l’Angola a

aidé militairement le Congo pendant cette deuxième guerre du Congo (1998-2003) contre le

Rwanda et l’Ouganda et ses multiples milices. Il était donc à l’époque difficile de demander

quoique ce soit au voisin angolais. La dernière raison pour laquelle ce problème de frontières

maritimes n’a pas éclaté avant 2003 est que la production pétrolière dans les blocs litigieux a

commencé très tard. Elle s’est échelonnée entre 2000 et 2004.

Même s’ils sont conscients de leur supériorité économique, politique et militaire, les Angolais

comprennent447 qu’ils ne peuvent pas proposer un perpétuel statu quo aux Congolais. Une

stratégie de "pseudo-négociation" se met alors en place, dans le but premier est de faire croire

à l'ouverture d'une nouvelle phase alors que les Angolais n'ont aucune envie d'avancer dans

les discussions. La stratégie, qui dure encore aujourd'hui (en 2012) est de gagner du temps

alors que le pétrole coule toujours dans les zones litigieuses en faveur de l'Angola. Dès le

début, les négociateurs angolais ont comme mot d'ordre de ne jamais lâcher une zone

dans l’offshore profond. C’est notamment le cas des blocs 14 et 15, 31 qui sont litigieux avec Kinshasa. Cette exploration dans les eaux profondes angolaises résulte également des progrès techniques importants depuis les années 1990. 446 Les années Mobutu ont déjà connu quelques négociations informelles, peu poussées du fait de l’absence de production à l’époque dans les zones litigieuses. Cependant, l’arrivée au pouvoir de Laurent Désiré Kabila en 1997 met momentanément fin à tout processus de discussion. En effet, le ministre d’Etat chargé de l’économie puis du pétrole en 1999, Pierre-Victor Mpoyo est très proche des Angolais. Il a notamment été l’un des dirigeants de la branche angolaise de la société pétrolière Elf dans les années 1990. Il a également favorisé la venue de la Sonangol dans la distribution d’hydrocarbures au Congo. Mpoyo va être l’un des artisans du soutien de l’Angola à Laurent Désiré Kabila contre le régime Mobutiste (1996-1997), soutien qui ne se démentira pas après 1997. Mpoyo considère que cette aide politique et financière de Luanda conditionne une certaine retenue sur le dossier des blocs pétroliers en offshore. Laurent Désiré Kabila en sera assez rapidement convaincu. Mpoyo est aussi l’un des hommes politiques qui a milité pour que Joseph Kabila gouverne à la suite de la mort de son père en 2001. Il va cependant rapidement s’écarter du nouveau président suite à des désaccords politiques et des problèmes de santé. Sources : Africa Energy Intelligence, n°464, 4 juin 2003. 447 Entretiens avec des avocats portugais de la Sonangol.

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288

productrice ou en voie de l'être. En mai 2003, les premiers rounds de discussions entre les

deux Etats commencent à Luanda. Les blocs litigieux sont le 1 (opéré par Tullow depuis

2006), le 14 (opéré par Chevron448 depuis 1995), le 15449 (opéré par Exxon-Mobil depuis

1994) et dans une moindre mesure le 31450 (opéré par BP depuis 1999). Voir carte ci-dessous :

448 Chevron opère en Angola par l’intermédiaire de sa filiale qu’elle contrôle à 100% : Cabinda Gulf Oil. 449 A l’intérieur du bloc 15, un nouveau périmètre a été octroyé depuis 2006, il s’agit du bloc 15/06 situé dans la partie est de la zone. A chaque fin de période d’exploration, les sociétés ont en effet l’obligation de rendre une partie de leur bloc (la plupart du temps équivalent à 25% de la surface totale explorée). C’est la raison de la création de ce périmètre à l’intérieur d’un bloc déjà existant. Sept forages ont déjà mis à jour de très importantes découvertes mais le bloc 15/06 ne produira que vers 2014. Il est opéré par l’italien ENI avec 35% des parts. Sources : www.eni.com. 450 Le bloc 31 opéré par BP est le seul disputé par le Congo à être situé dans les eaux très profondes soit à peu près à 2000 mètres sous le niveau de l’eau.

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Carte n°34 : Blocs pétroliers litigieux entre la RDC et l'Angola

Sources : Total et Benjamin Augé

Notons que les blocs 1 et 31 ne sont pas encore producteurs. Le 31 devrait être produire en

2013, avec un débit de 200 000 bpj, cela va complexifier davantage le problème. Lors de ces

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290

négociations de Luanda, le Congo réclame 200 000 bpj à son voisin alors que seul le bloc 14

produit depuis janvier 2000 quelque 100 000 bpj grâce notamment au champ de Kuito ;

suivront ensuite les champs de Benguela Belize–Lobito Tomboco, Tombua et Landana. Du

côté angolais, c’est le vice-président de la Sonangol, Syanga Abilio451, qui dirige de 2003 à

2008 les négociations avec les Congolais. Côté congolais, les interlocuteurs vont souvent

changer, donnant davantage de facilité à la partie adverse pour faire durer le processus, géré

principalement par des cadres du Ministère de l’intérieur et des hydrocarbures, ainsi que les

ministres des affaires étrangères et parfois même le Premier Ministre.

2-2 Nouvelles manœuvres dilatoires: la création d'une zone de développement

conjoint

En août 2003, un premier memorandum of undestanding (accord de principe) sur les

frontières est signé à Luanda entre les deux Etats. Cet accord met en place des comités

techniques mixtes pour faire des propositions en vue de régler définitivement le différend. Il

met officiellement la question des frontières au centre des relations bilatérales. Une nouvelle

zone spéciale d’exploration parfois connue sous le nom de zone d’intérêt commun (ZIC452)

est créée en principe entre les deux Etats dès 2004. Selon le texte en discussion, elle

comprend des périmètres au nord du bloc 1, au sud du bloc 14, au nord du bloc 15 et 31453.

Cependant l’Angola, dont les négociations sont toujours dirigées par Syanga Abilio, souligne

bien qu’aucun champ en production ou en développement ne fera partie de la ZIC. Cette

dernière est approuvée en principe dès septembre 2004 par le gouvernement angolais454. Il

faut cependant attendre 2007 pour que le Sénat congolais donne à son tour son accord à un

texte définitif signé le 30 juillet 2007 par le ministre des hydrocarbures congolais Lambert

Mende Omalanga et son homologue angolais Desiderio Verissimo e Costa. Ce délai est à

451 Syanga Abilio est depuis 2008 le vice-ministre angolais de l’environnement. L’un des avantages de ce haut cadre est qu’il parle parfaitement le français, indispensable pour négocier avec les Congolais. Abilio a obtenu un diplôme d’ingénieur en géologie en Algérie. Il est entré à la Sonangol en 1982 après avoir travaillé pour Total. A la Sonangol, il a exercé plusieurs postes de direction comme responsable de la commission allouant les concessions dans les bassins de Soyo et Cabinda. En 1993, il est nommé directeur de l’exploration-production du la société nationale avant de rentrer à son conseil d’administration comme vice-président (1999-2008). Sources :http://www.mstelcom.co.ao/wps/portal/!ut/p/c1/04_SB8K8xLLM9MSSzPy8xBz9CP0os3gDd2N_AzefUEMXA38Pi0BjI1NjQwMwAMpHAuUtjJ19DI0NXByB8t6mhsaWRgZQefy6w0H24dePTd4lyBBVHgdwNND388jPTdUvyI0wyAxIVwQAQmRDKw!!/dl2/d1/L0lDUmlTUSEhL3dHa0FKRnNBL1lCUlp3QSEhL2VuX1VT/. 452 Une autre Zone d’intérêt commun a été créée en juin 2003 entre la République du Congo (Brazzaville) et l’Angola. Elle concerne la partie sud du permis congolais de Haute Mer ainsi que la partie nord du bloc 14 au Cabinda angolais. Les revenus de cette zone seront partagés à égalité entre Brazzaville et Luanda. La découverte de Lianzi en 2004 par Chevron devrait être mise en production dès 2015 selon le groupe pétrolier américain. Sources : www.tendersinfo.com, 31 décembre 2009. 453 International Oil Daily, 4 septembre 2004. 454 Africa Energy Intelligence, n°494, 22 septembre 2004.

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291

imputer en grande partie au contexte politique du Congo qui se trouve de juillet 2003 (début

de l’application de l’accord de Sun City en avril 2002) à décembre 2006 (élection de Joseph

Kabila) dans une transition politique difficile avec la formule 1+4, soit le président Joseph

Kabila et quatre vice-présidents. Le chef de l’Etat congolais n’a pas encore la légitimité pour

traiter des dossiers lourds qui engagent le pays sur le long terme. En Angola, le contexte est

bien différent, depuis 2002 et la mort de Jonas Savimbi de l’UNITA455, le président José

Eduardo Dos Santos peut prendre les décisions en toute indépendance. Il n'est pas à exclure

que le retard de la mise en place de cette ZIC soit également imputable à certains cadres

congolais, opposés à un procédé qui vise une nouvelle fois à repousser la discussion sur les

réels problèmes: la détermination des frontières latérales et par ricochet immédiat, le partage

des blocs producteurs.

Le dossier des frontières maritimes est relancé après l’élection de Joseph Kabila comme

président plénipotentiaire (c'est-à-dire sans vice-président) à la fin 2006. Après la signature de

la création de la ZIC par le Parlement congolais le 22 septembre 2007, c’est le Sénat qui se

prononce favorablement le 2 octobre de la même année456. Cependant, si la loi instaurant la

ZIC est bien votée, sa superficie et ses coordonnées exactes restent floues selon certains

parlementaires nationaux comme Gilbert Kiakwama (démocrate-chrétien du Bas-Congo). En

effet, le texte définitif ne donne aucune indication plus précise que : nord ou sud des blocs 1,

14, 15 et 31457. Pour convaincre les députés de signer le texte, le ministre congolais des

hydrocarbures Lambert Mende Omalanga promet devant l’Assemblée nationale que cette ZIC

pourrait faire tripler la production du pays à long terme.

Lors des discussions sur la ZIC, s’engage également le débat sur l’absence d’accès à la haute

mer, qui est comme on l’a vu avec Montego Bay illégal du point de vue du droit international.

L’Angola propose dès 2003 à son voisin congolais, la création d’un couloir maritime (de

quelques kilomètres à peine) qui permettrait à Kinshasa d’explorer l’offshore profond458. Le

12 mars 2008, le président Kabila signe le décret présidentiel nº 08/022 qui attribue le premier

contrat de partage de production dans le couloir maritime à la société Nessergy ltd. Cette

dernière, basée à Londres, est totalement inconnue du milieu pétrolier. Son directeur général

Congo est l’homme d’affaires français Gad Cohen. Cohen est assez discret, il a servi

455 União Nacional para a Independência Total de Angola. 456 Africa Energy Intelligence, n°566, 10 octobre 2007. 457 Le texte peut être téléchargé avec les remarques de certains sénateurs à cette adresse : http://www.congoone.net/PDF/MendeContratPetrole.pdf. 458 Africa Energy Intelligence, n°466, 2 juillet 2003,

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d’intermédiaire politique dans la guerre civile congolaise459 (Brazzaville) et a été membre

actif d’un comité d’hommes d’affaires promouvant l’amitié franco-ivoirienne par

l’intermédiaire de sa société Conseil International460. Nessergy n’a pour le moment pas

commencé le moindre travail d’exploration dans la ZIC. En octobre 2008, Nessergy s’est

associé avec le Gertner Group dirigé par les frères Moshe et Mandy Gertner. Gertner Group a

pris 49% du bloc461. Pour le moment, l’investissement des deux sociétés tient plus d’une

logique spéculative que d’un réel intérêt pour conduire des recherches afin de développer le

bloc. Sachant que ce bloc est en offshore, les moyens à consacrer à son exploration sont très

importants. Les travaux sont cependant aussi bloqués par le différend frontalier qui perdure

aujourd'hui. Le bloc de Nessergy a cependant été renouvelé le 9 avril 2012 alors que le

gouvernement en place n’était chargé que des affaires courantes avant la formation d’un

gouvernement de plein exercice462.

Le problème de la ZIC a ressurgi en 2011 dans les négociations bilatérales sur la question

pétrolière. Dans les multiples voyages de septembre/octobre à Luanda, les officiels congolais,

en particulier Gustave Beya Seku, le directeur de cabinet du président, Michel Ngoi Kahese,

le conseiller hydrocarbures à la présidence, et le ministre de la coopération internationale

Raymond Tshibanda, le sujet ZIC a été remis sur la table des négociations463. Cependant, à

quelques semaines des élections présidentielles de novembre, cette stratégie peut être

davantage comprise comme une tentative d’obtenir des « cadeaux » plutôt que de tenter de

réellement faire avancer les choses. Ces trois personnalités ne savaient pas à quel poste ils

officieraient après ce scrutin, voire même s'ils auraient un poste.

459 La Lettre du continent, n°339, 28 octobre 1999. 460 La Lettre du continent, n°442, 19 février 2004. 461 Africa Energy Intelligence, n°594, 10 décembre 2008. 462 Africa Energy Intelligence, n°674, 2 mai 2012. 463 Conversation avec Michel Ngoie Kahese, octobre 2011.

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293

2-3 Le plateau continental, un débat international cachant un problème

bilatéral

Cependant, la nouvelle ZIC, décidée en 2007, ne règle en aucune façon le problème des

frontières maritimes liées aux hydrocarbures464 entre le Congo et l’Angola. Plusieurs

négociateurs congolais465 expliquent que les Angolais, et en particulier Syanga Abilio, ont,

dès les premières réunions en 2003, mis de côté la question ultrasensible des frontières liées à

l’extension du plateau continental. En effet, chaque Etat a la possibilité d’étendre son plateau

continental. L’Etat doit ainsi prouver que les structures géologiques de sa zone économique

exclusive qui s’arrête aux 200 miles marins, se prolongent jusqu’aux 350 miles marins466,

limites maximales du plateau continental. Entre les 200 et 350 miles, l’Etat doit partager les

revenus de l’exploitation des ressources minérales avec l’Autorité internationale des fonds

marins, plus connu sous son appellation anglo-saxonne International Seabed Authority. Basée

à Kingston en Jamaïque, elle représente l’ONU pour la gestion des fonds marins. C’est la

Commission on the limits of continental shelf composée de 21 experts en géologie,

géophysique et hydrographie qui est chargée de statuer sur les limites de ce plateau

continental467. La commission ne se réunit que deux fois par an à New York.

Pour Luanda, la ZIC permettait initialement de clore le sujet des frontières maritimes en

donnant une nouvelle zone à la RDC où aucune découverte n’a encore été mise à jour. Cela ne

menaçait donc en rien la production qui croît régulièrement grâce aux nouveaux gisements.

En 2010, la production sur le bloc 14 (Chevron) est de 197 000 bpj et celle du bloc 15

(Exxon-Mobil) atteint quasiment 700 000 bpj. BP ne produit pas encore sur le périmètre 31,

tout comme Tullow sur le bloc 1468. Avec la mise en développement des champs de Tombua

et Landana, Chevron a accru la production du bloc 14 de 100 000 bpj supplémentaires en

2011. Exxon-Mobil vise quant à lui les 800 000 bpj sur le bloc 15 d’ici 2013. Les réserves de

464 Les frontières terrestres entre l’Angola et le Congo posent aussi problème en particulier au sud des provinces du Bas-Congo et du Bandundu où les bornes de délimitation sont régulièrement déplacées ou volées. En cas de brouille entre les deux Etats, des travailleurs frontaliers sont expulsés. La plupart des Congolais qui travaillent dans la zone frontalière sur le territoire angolais (province de Luanda Norte) sont comme on l'a vu des petits creuseurs à la recherche de diamant. L’enclave angolaise de Cabinda a aussi expulsé des milliers de Congolais. 465 Notamment l’un des conseillers du ministère des hydrocarbures sous Lambert Mende Omalanga. 466 Toutes ces données ont été codifiées dans la Convention des nations unies sur le droit de la mer signé en 1982 à Montego Bay (Jamaïque). C’est l’article 76 qui définit le plateau continental. Le Congo a ratifié cette convention en septembre 1988. 467 Voir sur cette question de délimitation du plateau continental : Nuno Marques Antunes, Fernando Mai Pimentel, Reflecting on the legal interace of article of the LOSC, tentative thoughts on practical implementation, 3nd Ablos International Conference à Monaco, 28-30 octobre 2003. 468 Le bloc 31 a cependant déjà mis à jour de grandes découvertes avec les champs de Plutão, Saturno, Vênus et Marte dont la production commencera dès 2011. Quant à Tullow sur le bloc 1, si aucune mise en développement n’est encore programmée, les champs de Pitanguiera, Bananeira et Sapesapeiro ont déjà été mis à jour.

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294

ces deux blocs sont considérables, plusieurs milliards de barils chacun pour le 14 et le bloc

15.

Le dossier ultra-sensible du plateau continental que les Angolais pensaient enterrer grâce à la

ZIC, devient pour la première fois un sujet public au mois de mars 2009. Le ministre des

hydrocarbures congolais, René Isekemanga Nkeka, déclare à l’agence Reuters lors d’une

visite à Brazzaville que l’Angola occupe « de fait le territoire du Congo » et que « certains

blocs producteurs pourraient revenir au Congo »469. Le ministre des hydrocarbures a par la

suite démenti ses propos à la Radio Okapi, sa sortie médiatique n'ayant certainement pas eu

l’aval préalable du chef de l’Etat congolais. Kabila lui en a par la suite tenu rigueur (il ne l'a

pas reçu une seule fois en tête à tête durant sa charge de ministre). C'est la première fois

qu'une déclaration aussi forte et médiatisée sur ce litige pétrolier avec l'Angola. Pour réparer

« l’affront » fait à son grand voisin, Kabila envoie à Luanda son premier ministre Adolphe

Muzito le 21 juin 2009 pour s’entretenir avec le président angolais. Isekemanga n’est pas du

voyage. Officiellement il a raté son avion mais en réalité l’Angola ne veut plus traiter avec

lui. Cette visite n’a cependant pas réussi à calmer l’Angola. Et pour cause, le Congo a donné,

début juin 2009, comme plusieurs dizaines d'autres pays dans le monde, son dossier à la

commission de l’ONU chargée de statuer sur la question de l’extension des plateaux

continentaux.

Kinshasa saisit ainsi l’opportunité de la discussion mondiale sur les plateaux continentaux

pour affronter de façon détournée son voisin sur les frontières latérales. Le Congo reproche à

l’Angola de produire depuis près de quinze ans dans ses eaux territoriales. Elle se saisit ainsi

du débat international pour ne pas donner l’impression d’attaquer frontalement l’Angola sur

un sujet ultra-sensible. Car le problème ne se situe pas au-delà des 200 miles marins mais bien

dans la zone économique exclusive du Congo. Celle-ci se résumant actuellement au petit

triangle de quelques centaines de kilomètres carré délimité par les blocs 0 et 14 au sud de

Cabinda et 1, 2, 15 et 31 au nord de l’Angola continentale (province de Zaïre).

Pour rédiger le rapport sur l’extension du plateau continental de juin 2009, une commission

nationale congolaise est créée le 6 avril 2009 par un arrêté interministériel. Ses membres sont

désignés par un autre arrêté daté quelques semaines plus tard. Cette commission chargée de la

rédaction du rapport pour la commission onusienne sur le plateau continental470 est dirigée par

469 Africa Energy Intelligence, n°602, 8 avril 2009. 470 Rapport disponible sur le site de l’ONU : http://www.un.org/Depts/los/clcs_new/submissions_files/preliminary/cod2009informationpreliminaire1.pdf.

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le porte-parole du président Mobutu entre 1992 à 1997, le professeur de sociologie Célestin

Lumuna Kabuya. Un choix honorifique, permettant le contrôle direct de la présidence,

Lumuna étant un vieux monsieur, simplement heureux d’obtenir une charge. Parmi les trente-

cinq membres, certains d’entre eux sont connus, comme l’administrateur principal de

l’Agence nationale du renseignement (ANR) en charge de la sécurité intérieure Kalev

Mutond, présenté dans le document comme « politologue ». Deux citoyens Camerounais font

également partie de la commission en tant qu’experts, Jean Folack et Louis Foyang qui ont

notamment travaillé sur le différend entre leur pays et le Nigeria sur la péninsule de Bakassi

(voir partie I). Le rapport congolais réaffirme clairement en page 9 de son document rédigé

pour l’ONU ce qu’avait déjà énoncé Isekemanga en mars: « la zone du plateau continentale

concernée par la présente information fait l’objet par l’Angola d’une occupation de fait, pays

voisin au nord et au sud. ». Le Congo considère que son plateau continental représente 6614

kilomètres carrés soit plus de cinquante fois la zone économique exclusive actuelle. Le 13

avril 2009, toujours pour montrer l’importance de ce dossier, le ministre congolais de

l’intérieur Célestin Mbuyu Kabango (et futur ministre des hydrocarbures), défend devant les

sénateurs un projet de loi pour redéfinir les frontières maritimes, loi effectivement votée le 7

mai 2009. Les frontières signées le 19 juillet 1974 ne vont en effet pas au-delà des 12 miles

marins471.

Le problème pétrolier entre le Congo et l’Angola tient à une méthode différente pour

délimiter les frontières maritimes. L’Angola a depuis plusieurs années sécurisé juridiquement

son dossier par l’intermédiaire de cabinets d’avocats portugais472. Quant au Congo, il n’a pas

eu recours à des aides de haut niveau hormis celles des Camerounais473. L’Angola détermine

la zone économique maritime du Congo en traçant une droite qui part du sud de Cabinda

incliné à 45° et une autre (quasi horizontale) partant du centre du fleuve Congo à son

embouchure du fleuve Congo. Ces deux lignes se rejoignent donc logiquement en mer en

formant ce fameux triangle qui est actuellement la ZEE (zone économique exclusive)

congolaise. Le Congo dans son rapport prend les mêmes points de base mais trace des lignes

qui sont parallèles (l'inclinaison de la limite nord fait toute la différence) et qui coupent les

blocs précités : 14, 15, 1 et 31. Voir carte ci-dessous :

471 Africa Energy Intelligence, n°600, 11 mars 2009. 472L’avocat Miguel Galvão Teles du cabinet Morais Leitão, Galvão Teles, Soares da Silva & Associados a notamment eu à travailler sur la position angolaise de la frontière maritime avec le Congo. Sources : Africa Energy Intelligence, n°617, 2 février 2009. 473 Entretiens avec des cadres du ministère des hydrocarbures et des conseillers du collège des hydrocarbures à la Présidence de la République (avril 2010).

Page 296: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

296

Carte n°35 : Prétention territoriale maritime de la RDC

Source: Information préliminaire à la commission des limites du plateau continental.

Les deux méthodes font l’objet de débats et sont disputés entre scientifiques. Les quelques

kilomètres de côte maritime congolaise (en droit international, le Congo est sur ce sujet

considéré comme défavorisé) comparée à l’Angola (plus de 2000 kilomètres soit 50 fois plus)

plaide en faveur du tracé de Kinshasa. Les juges tiennent compte de cette donnée dans un

verdict sur des frontières maritimes.

Le 13 novembre 2009, le président angolais José Eduardo Dos Santos désigne officiellement

la ministre de la justice Guilhermina Prata pour diriger la commission chargée de déterminer

les frontières maritimes. Cette commission est composée du ministre des affaires étrangères,

de celui de l’intérieur, du pétrole, du transport, de la pêche, des mines, de l’urbanisme. Cette

commission inclue aussi deux des personnes les plus puissantes dans l’appareil étatique

angolais : le chef de la maison militaire du Président, Manuel Helder Vieira Dias, ainsi que le

président du conseil d'administration de la société nationale Sonangol Manuel Vicente (futur

ministre de la coordination économique et probable vice-président). Quelques mois plus tard,

Page 297: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

297

en décembre 2009, la 9ème commission mixte Congo-Angola est de nouveau été un rendez-

vous manqué, aucune décision n'a été prise sur ce sujet.

Le 19 février 2010 c’est l’ex ministre de l’intérieur Célestin Mbuyu Kabango (portrait ci-

dessous) qui arrive à la tête du Ministère des hydrocarbures.

Célestin Mbuyu Kabango est originaire de la province cuprifère du Katanga tout comme le

président Joseph Kabila. Il a été le président de plusieurs associations de Katangais de

Kinshasa pendant plusieurs années (très puissantes corporations politico-économique). Avant

d’être ministre de l’intérieur, il a été vice-ministre du budget de 2007 à 2008. Il a auparavant

eu une carrière de fonctionnaire couronnée par le poste de Secrétaire général à l’économie.

Mbuyu a aussi été l’un des administrateurs de la société nationale minière Gécamines. Il est

notamment licencié en chimie de l’université de Kinshasa (Unikin). Du fait de sa proximité

avec le président, il est probablement le ministre qui a eu le plus de latitude aux

hydrocarbures. Cependant, son passage à ce poste ministérielle a été suffisamment décevant

pour qu’il n’obtienne aucun portefeuille lors du gouvernement de Matata Ponyo en avril 2012.

Si les différends frontaliers sont toujours gérés au ministère de l’intérieur474, le nouveau

ministre des hydrocarbures a comme avantage la connaissance du problème (qui est assez

technique en plus d’être politique) du fait de ses précédentes fonctions. Mbuyu a déjà eu à

négocier avec ses homologues angolais sur ce sujet en tant que ministre de l’intérieur475. Il

n’est donc pas exclu que Kabila ait placé Mbuyu à ce poste pour travailler sur ce différend

précis476. Il est en effet peu fréquent dans le protocole de passer de ministre de l’intérieur

(ministère régalien proposé à des poids lourds politiques) à celui des hydrocarbures (ministère

plutôt technique). Il est l’un des rares Congolais a très bien connaître le problème de

frontières avec l’Angola et à avoir dirigé plusieurs délégations à Luanda. Il a de plus une

oreille attentive de Kabila contrairement à René Isekemanga qui a toujours eu beaucoup de

difficulté pour avoir accès au Président.

474 Selon un des ministres du gouvernement Muzito avec lequel nous avons pu discuter, le ministre de l’intérieur Adolphe Lumanu Mulenda Bwenda N’sefu doit préparer les prochaines élections et ne considère par les frontières maritimes comme un dossier prioritaire. 475 Entretien avec le ministre, avril 2009. 476 Il est aussi à noter que le poste des hydrocarbures au Congo est très bien placé pour s’enrichir du fait de la multitude des contrats, tout comme pour celui des mines. C’est donc aussi une position de reconnaissance du point de vue du président.

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298

Après plusieurs visites de Mbuyu à Luanda pour essayer de relancer le processus de

négociation, très difficile sous Isekemanga, la situation semble se tendre à nouveau. Le 20

septembre 2010, les présidents congolais Joseph Kabila et angolais José Eduardo dos Santos

se rencontrent pendant une heure et quarante minutes sans qu'aucun ministre ni conseiller ne

soient présents. Si les sujets bilatéraux ne manquaient pas, une grande partie de la

conversation a été consacrée à la question des frontières maritimes477. Kabila, qui cherche à se

faire réélire un an plus tard, a besoin du soutien de son homologue angolais. Or, depuis le

dépôt du document préliminaire à l’ONU sur l'extension du plateau continental, les relations

entre les deux pays se sont dégradées. Les deux présidents décident de créer une nouvelle

commission mixte sur le litige de frontière maritime au début 2011. Celle-ci sera placée

directement sous leur supervision. Cette décision a été imposée par la partie angolaise qui

considère que la commission déjà en place dirigée par le professeur Lumuna Kabuya est

incontrôlable. Quel meilleur moyen pour enterrer un dossier que de créer une commission

sous la tutelle directe des présidents ? Le 13 décembre 2010, le premier ministre congolais

Adolphe Muzito répond à la question orale du sénateur Raphaël Siluvangi Lumba sur

l'avancée des négociations avec l’Angola sur la frontière maritime478. Le premier ministre

indique que ces pourparlers sont toujours d’actualité. Kinshasa va commencer par renégocier

les termes de l'accord de la Zone d'intérêt commun puis une discussion est prévue avec les

sociétés auxquelles l'Angola a accordé un permis dans la zone du couloir maritime.

L'année 2011 n'a pourtant pas été marquée par des avancées notables. Les délégations

congolaises ont défilé à partir du mois d'août jusqu'à la fin octobre à Luanda pour discuter de

la question des frontières maritimes. Nous avons pu en dénombrer trois uniquement sur ce

sujet, mais il y en probablement eu davantage. Elles ont pour la plupart été présidée par le

directeur de cabinet du président congolais Gustave Beya Siku qui s'est révélée être l'une des

personnes clé du dossier pétrolier durant la fin de ce mandat de Kabila (nous élaborerons

davantage le rôle de Beya à la sous partie suivante). La stratégie de la partie congolaise dans

ces discussions, auparavant très floue, semble se structurer quelque peu. Les discussions sur

les frontières maritimes sont confiées à des experts au ministère de l'intérieur, la zone d'intérêt

commune est pilotée par la présidence, et celles concernant le plateau continental par le

ministère des hydrocarbures et la primature. Ce cloisonnement des sujets, pourtant tous

éminemment liés, va continuer à avantager la partie angolaise, qui ne souhaite qu'une chose :

477 Selon des discussions privées avec des membres de l’Agence Nationale de Renseignement (ANR), chargés de la sécurité de Joseph Kabila, octobre 2010. 478 Africa Energy Intelligence, n°642, 22 décembre 2010.

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299

profiter le plus longtemps possible des barils dans les zones maritimes disputées par Kinshasa.

Cette organisation, qui ressemble davantage à une formidable désorganisation va donc encore

faciliter le travail de l’Angola qui a d'ailleurs tout fait pour en arriver là.

Les deux parties savent qu'une décision rapide de la Commission onusienne sur l’extension du

plateau continental est à exclure479. Elle ne peut pas statuer avant plusieurs années car les

vingt et un experts ont à traiter un grand nombre de dossiers et les décisions sont prises

collégialement. Cela représente un avantage considérable pour l'Angola qui continue à

pomper le brut. Dans le document préliminaire du Congo sur le plateau continental, les

experts sont d'ailleurs tout à fait conscients de ce problème. Le chronogramme qu'ils décident

de suivre en témoigne : il prévoit le dépôt du rapport final à l'ONU en juillet 2014480. Cela

implique un début d'examen par les experts onusiens plusieurs mois voire plusieurs années

après la date du dépôt. Durant toutes ces années de tergiversations juridiques, l'Angola a tout

le loisir de produire une ressource finie et épuisable dont elle sera la seule à apprécier la

grande valeur marchande (qui croîtra) au détriment du Congo.

Afin d'éviter ce scénario, le Congo peut décider, après avoir épuisé toutes les négociations

bilatérales de s’en remettre par exemple à la Cour Permanente d’arbitrage de La Haye aux

Pays Bas. Cette procédure d’arbitrage international serait fort mal prise par Luanda qui lors

des réunions bilatérales menace tout à fait clairement d’utiliser la force pour déstabiliser le

pouvoir congolais si cette étape est franchie. Les Angolais sont venus pour « aider » le Congo

au début des années 2000481, ils peuvent y revenir pour y déstabiliser le pouvoir de Kabila482.

C’est d’autant plus facile que les cinq chantiers du quinquennat n’ont pas suffisamment

avancé et que les élections présidentielles de 2011 approchaient à l'époque. L’armée angolaise

n’irait certainement pas elle-même à Kinshasa, mais la crainte est que des milices congolaises,

comme lors de la deuxième guerre du Congo à l’Est (1998-2003)483, puissent être encouragées

et financées cette fois-ci par l’Angola.

La deuxième solution de règlement consiste en un accord entre les Présidents congolais et

angolais parrainé par une figure politique régionale ou internationale. Joseph Kabila y est

479 La commission ne statue d'ailleurs jamais dans des cas conflictuels qui sont traités directement par les tribunaux d'arbitrage compétents. 480Information préliminaire à la commission des limites du plateau continental, p. 12 481 L’armée angolaise a aussi aidé le président Joseph Kabila à lutter contre les forces armées de Jean-Pierre Bemba lors des élections présidentielles de 2006. 482 Entretien avec un conseiller du ministère des hydrocarbures à l’issue de négociation avec les angolais, juin 2008. 483 Celles-ci n’ont jamais vraiment disparues comme on a pu le voir depuis le début 2012 avec le M23 ou avec leur prédécesseur du CNDP de Laurent Nkunda.

Page 300: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

300

apparemment favorable484. Seulement, plus les années passent, plus le problème des arriérés

va compliquer la résolution du différend. Les Congolais ne peuvent pas se contenter non plus

de périmètres non producteurs. Mais dans le même temps, le Parlement angolais donne un

signal opposé en préparant depuis 2010 une loi pour déterminer de façon pérenne et définitive

les frontières maritimes du pays. Au Congo comme en Angola, aucune délimitation des

frontières maritimes ne sont codifiées avec des coordonnées précises dans une loi. Seules les

coordonnées des blocs pétroliers font l’objet de lois. C’est donc par l’intermédiaire de ces

blocs pétroliers que l’Angola a déterminé de fait ses frontières maritimes. Une sorte de

sujétion est perceptible de la part de Kabila vis-à-vis de son homologue angolais. Si c'est sous

sa présidence que les choses ont évolué et que les négociations ont véritablement débuté, il

n’y a aucune avancée notable. Les Angolais discutent, et acceptent de discuter, des années s'il

le faut, tant qu'ils ne donnent rien.

La solution d’une zone de développement conjoint (ou Joint Development Zone en anglais)

comprenant les parties litigieuses, sud des blocs 14 et nord des blocs 1, 15 et 31 pourrait être

privilégiée. Seulement, celles déjà créées en Afrique comme entre le Sénégal et la Guinée

Bissau en 1993 ou celle entre le Nigeria et Sao Tomé et Principe en 2001 n’étaient pas (et ne

sont toujours pas) des zones en production. Le sujet est tout à fait différent avec deux Etats

qui se disputent des zones en production. L’Angola serait alors contraint d’accepter de faire

baisser ses recettes pétrolières. Difficile à envisager.

2-4 Les ambassades américaines mettent à jour la teneur exacte du conflit

La divulgation en septembre 2011 par Wikileaks de la totalité des télégrammes diplomatiques

américains des ambassades de Kinshasa et de Luanda donnent de nouvelles précisions

intéressantes sur le problème pétrolier entre les deux Etats. Certains commentaires méritent

d'être retranscrits. Les premières mentions du litige pétrolier dans les eaux maritimes entre les

deux pays datent de 2009. Par exemple, dans un télégramme du 21 décembre 2009, l'analyste

américain de l'ambassade de Kinshasa écrit :

The DRC's inflammatory ministerial

statements (reftel) accusing Angola of stealing its rightful

resources do not seem to be lighting any fires here in

Luanda. Angolan officials have been and will contin ue to

participate in diplomatic missions aimed at resolvi ng the

484 Entretiens avec des dirigeants de l’Agence nationale du Renseignement, mars 2010.

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301

issue, but most likely with the full intention of d ragging it

out as long as possible. Angola knows it has nothi ng to gain

from a speedy resolution, and GRA officials appear confident

that Angola's upper hand in the bilateral relations hip will

win the day. For now, time is on Angola's side and we expect Angola to

make the most of it

"Le commentaire explosif du ministre congolais (il est ici fait référence à René Isekemanga

lors de son séjour à Brazzaville) accusant l'Angola de voler les ressources de son pays ne

semble pas inquiéter outre mesure à Luanda. Les fonctionnaires angolais ont et continueront

à participer aux missions diplomatiques visant à résoudre le problème, mais avec la ferme

intention de les faire durer le plus longtemps possible. L'Angola sait parfaitement qu'elle n'a

rien à gagner d'une résolution rapide du problème, les fonctionnaires angolais sont confiants

dans le fait que leur pays qui a l'ascendant diplomatique sur son voisin gagnera la partie.

Aujourd'hui, le temps est du côté de l'Angola et nous pensons que celui-ci en tirera

parfaitement partie".

Dans le même télégramme, l'ambassade américaine s'intéresse également à la résolution

technique du différend maritime (n'oublions pas que Exxon et Chevron ont des participations

en jeu) et consulte des spécialistes notamment des juristes et avocats. En résumé, voilà le

commentaire du compte rendu:

Countries can demarcate their borders normally one of two ways: either by drawing parallel

lines out to sea or by following the natural contours that their borders follow inland. The ICJ,

he said, typically draws parallel borders, and then take into consideration what is fair

and equitable.

"Les Etats peuvent démarquer leurs frontières maritimes de deux façons, soit en dessinant

deux droites parallèles depuis la côte, soit en suivant le contour de la frontière terrestre, (ce

qui donnera deux droites non parallèles et qui peuvent se rejoindre en mer). La cour

international de justice, opte la plupart du temps pour les droites parallèles, et ensuite prend

en considération d'autres éléments pour rendre la situation juste et équitable".

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302

Le télégramme précise également que la société nationale angolaise Sonangol a rassuré

Chevron sur le fait qu'elle n'avait rien à craindre du Congo.

Un autre télégramme du 23 décembre 2009 fait suite à une rencontre à Luanda entre une

délégation congolaise présidée par le ministre de la coopération régionale Raymond

Tshibanda qui s'est entretenu avec son homologue Asssuncao dos Anjos du 15 au 17

décembre. L'ambassade américaine de Luanda commente la rencontre ainsi:

the Angolan interest is likely best served by havin g the joint maritime

boundary issue languish in an interminable round of commission meetings,

and we suspect this is the tack the GRA will take.

"L'intérêt angolais sera préservé aux mieux en favorisant des consultations et réunions

interminables sur la question des frontières maritimes, nous supposons que c'est la stratégie

que va suivre le gouvernement angolais.".

L'ambassade américaine à Kinshasa a également émis des télégrammes intéressants sur ce

problème de frontière. Dans un premier télégramme du 13 mars 2007, elle parle de la question

des expulsions massives de Congolais liées aux zones diamantifères de la province de Luanda

Norte, prémices aux plus grandes expulsions liées cette fois-ci au pétrole.

Après une visite d'une délégation congolaise à Luanda du 24 au 31 juillet 2007 pour la 8ème

commission bilatérale ainsi que d'une rencontre entre Kabila et Dos Santos le 30 et 31 juillet,

certains accords sont paraphés. Voici les commentaires de l'ambassade dès le 30 juillet 2007

sur cette visite.

The delegations also agreed to a 50/50 share of pro duction and revenues

from any new oil wells developed in an offshore Zon e of Common Interest

extending from the 15 km coastal zone in a 10 km st rip to the 375 km (200-

mile) limit . Wells currently being exploited by Angola in the zone will not

be affected by the arrangement. Mbusa expressed satisfaction, noting that

existing agreements provided no economic benefits to Congo. Reporters

quoted Petroleum Minister Lambert Mende estimating that results would take

at least a year to achieve, and Mbusa enthusiastica lly predicting OPEC

membership "in the near future ."

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303

"Les délégations se sont aussi mises d'accord pour partager de façon égale : 50/50, la

production et les revenus de tout nouveau puits développé dans une nouvelle zone d'intérêt

commun à 15 kilomètres des côtes congolaises et s'étendant sur une bande 10 kilomètres

jusqu'au 200 miles (limite de la zone économique exclusive). Les puits actuellement exploités

par l'Angola dans la zone ne seront pas affectés par ce nouvel accord. Mbusa (le ministre

congolais des affaires étrangères) a exprimé sa satisfaction, notant que les accords actuels

n'octroyaient cependant aucun revenu pour le Congo. Le ministre des hydrocarbures Lambert

Mende a estimé que les résultats (des recherches pétrolières) prendraient un an avant d'être

connues, et Mbusa a prédit dans un élan d'enthousiasme que le Congo pourrait rapidement

devenir membre de l'OPEP".

Avec le recul, nous savons que cette zone d'intérêt commun et le couloir maritime ont été

proposés par l'Angola dans un seul but : repousser une discussion sur les frontières latérales

qui auraient immanquablement touchées des blocs déjà mis en production. La partie

congolaise s'est donc sentie gagnante mais en réalité elle a plutôt perdu. En 2011,

l'exploration dans cette ZIC n'a pas commencé car il n'y a pas d'accord sur les coordonnées

ainsi que sur la méthode de sélection des sociétés par les deux parties. Enfin, le commentaire

de Mbusa sur l'OPEP démontre l'incroyable méconnaissance des congolais, même de haut

niveau485, de l'industrie pétrolière. Afin de devenir membre de l'organisation des pays

pétroliers de Vienne, un débit quotidien d'au moins 300/400 000 est demandé avec de plus

une certitude sur une production de long terme. Il faudrait donc que le Congo multiplie par 15

sa production. Les Angolais ont donc été très habiles: faire croire à la partie adverse qu'il

lâchait quelque chose. Or, ils n'ont rien lâché sur l'essentiel, aucun bloc producteur n'a été mis

en discussion durant la commission.

Lors de cette 8ème commission bilatérale, les deux parties se sont par contre mises d'accord sur

l'aide de la Belgique et du Portugal pour déterminer les 2400 km de frontière terrestre qu'ils

ont en commun. Cela n'a eu aucun résultat486.

Dans un télégramme du 21 juillet 2008, l'ambassade précise que plus de 60 000 Congolais ont

été expulsés d'Angola en seulement six mois. Les relations se tendent peu à peu, sur une

année on estime à 100 000 le nombre de congolais forcés à quitter le territoire angolais. Le 21 485 Antipas Mbusa n’a pas fait de longues études, c’est un rebelle de l’Est de la RCD qui a rejoint le président Joseph Kabila avant de le quitter en septembre 2011 pour se lancer comme candidat à l’élection présidentielle de 2011. Il a donc monnayé son entrée au gouvernement en 2007 en échange de l’arrêt officiel de sa lutte contre le président. 486 Conversation avec Johan Lavreau, l'un des chercheurs du musée tervuren de l'Afrique centrale près de Bruxelles en juillet 2008.

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304

octobre 2009, l'ambassade américaine livre des informations intéressantes : entre juillet et

septembre 2009, plus de 65 000 Congolais ont été expulsés d'Angola dont 42 000 veulent

revenir vivre là où ils se trouvaient avant d'être chassées. Dans le même communiqué, le

chargé d'affaires américain émet une hypothèse qui semble assez pertinente.

Many have speculated that Angola is unhappy

with DRC attempts to have the maritime boundaries r edrawn,

which would apparently involve a significant transf er of off-shore oil

fields to the DRC

"Beaucoup estiment que l'Angola est mécontent des tentatives de la RDC de redessiner les

frontières maritimes, qui impliqueraient un important transfert de champs pétroliers offshore

au Congo".

Le 4 décembre 2009, un télégramme est uniquement consacré à ce problème de frontière entre

les deux Etats. Il reproduit en grande partie une lettre transmise le 2 décembre 2009 aux

grandes chancelleries signé par le ministère congolais des affaires étrangères. En voici des

extraits:

the real problem that hits a sensitive nerve in the Republic of Angola is

the fact that the DRC legitimately exercised its ri ght, as recognized for

all coastal states by the Montego Bay Convention, b y submitting its

preliminary request for a hearing to the Commission on Borders of the

Continental Shelf .

Rightfully indeed, and regardless of the degree to which the

request is well-founded, the DRC,s maritime territory shall

be reconsidered which, obviously will not be without

consequences for the Republic of Angola, which until the

present time has been exploiting exclusively for its own

profit, all resources found in the Continental Shelf

including, particularly, oil.

Le vrai problème qui touche la corde sensible de l'Angola est le fait que la RDC use de son

droit légitime, reconnu pour tous les Etats côtiers par la convention de Montego Bay, de

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305

soumettre une requête préliminaire en vue d'une audience à la commission des frontières du

plateau continental de l'ONU. En mettant de côté le problème du bien-fondé d'une telle

démarche, le territoire maritime du Congo doit être revu, ce qui évidemment ne sera pas sans

conséquence pour l'Angola, qui jusqu'à maintenant a pu jouir des ressources congolaises du

plateau continental congolais, en particulier du pétrole.

Dans un ultime télégramme du 9 décembre 2009, le ministre congolais des affaires étrangères

demandent l'aide direct des Etats-Unis.

Foreign Minister Thambwe asked SA Wolpe for USG

arbitration of the ongoing maritime boundary disput e between

the DRC and Angola. The countries contest Block 15 , a sea

area encompassing four major Exxon oil wells repute d to

account for up to 30 per cent of Angola's annual oi l

production with estimated reserves of 4 billion bar rels.

Thambwe said the DRC prefers arbitration to pursuin g either

an UNCLOS or ICJ ruling (Note: Ambassador Garvelin k

responded that he was still awaiting instructions f rom Washington.

Le ministre congolais des affaires étrangères Thambwe a demandé à Howard Wolpe

(l'envoyé spécial des Etats-Unis pour la région des grands lacs, mort en novembre 2011)

l'aide des Etats-Unis pour un arbitrage concernant les différends sur les frontières maritimes

entre l'Angola et son pays. Les deux Etats se contestent la souveraineté sur le bloc 15, sur

lequel quatre des puits produisent 30% de la production annuelle angolaise représentant des

réserves de quatre milliards de barils. La RDC aimerait régler le problème au tribunal

international de la mer (basé à Hambourg) ou à la Cour internationale de justice (La Haye).

L'ambassadeur Garvelink (l'ambassadeur américain de l'époque) a répondu au ministre qu'il

attendait les instructions de Washington avant d'agir.

Dans le même télégramme diplomatique du 15 décembre 2009, un commentaire de

l'ambassade américaine sur la relation de certaine haute personnalité congolaise avec l'Angola

est éclairant. Ce commentaire fait suite à la démission d’Augustin Katumba Mwanke (le

principal conseiller de Kabila) comme président de l'Alliance pour la majorité présidentielle

(AMP) qui a en charge de représenter tous les partis qui soutiennent le président congolais.

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306

Comment: Other sources, privately and in the press ,

have speculated that Katumba was "Angola's man" in Kinshasa.

This counter viewpoint suggests Katumba's removal w as an

intentional move by Kabila to reduce Luanda's influ ence in

Kinshasa.

D'autres sources, privées ainsi que dans la presse, ont émis l'hypothèse que Katumba était

"l'homme de l'Angola" à Kinshasa. Ce point de vue suggère que le retrait de Katumba (de

l'AMP) était un geste pour réduire l'influence de Luanda à Kinshasa.

Depuis son retrait, l'influence de l'Angola dans la politique congolaise n'a absolument pas

diminué. Joseph Kabila a du se faire adouber auprès de José Eduardo Dos Santos en donnant

des gages sur la question pétrolière. En d'autres termes, cette question qui concerne le partage

de 800 000 b/j (ce qui est considérable), ne sera probablement jamais réglée. Le pouvoir de

nuisance de Luanda est très important, et les menaces, y compris lors des négociations de

techniciens pétroliers n'ont pas été voilées. La raison de la longévité de Kabila au pouvoir et

même de sa réélection en 2011 est en partie liée à l'accord tacite de l'Angola. Pour en revenir

à Katumba, si celui-ci a bien quitté la direction de l'AMP, cela n'a en rien diminué sa présence

aux côtés du chef de l'Etat et son pouvoir d'affluence dans les décisions politiques et

économiques (cas du choix de Caprikat et Foxwhelp en juin 2010). Jusqu’à sa mort en février

2012 lors d’un accident d’avion au Kivu, il a gardé la main sur la plupart des dossiers

stratégiques. Précisons également que l'un des ministres les plus proches de l'Angola a gardé

son poste durant tout le mandat (2007-2011). Olivier Kamitatu, ministre du plan, est un poids

lourd du gouvernement et un très bon représentant de la politique menée à Kinshasa vis-à-vis

des bailleurs de fonds. Il a, il est vrai, quitté le gouvernement en 2012 où il n’a pas été

reconduit dans le gouvernement de Matata Ponyo.

2-5 La négociation du gazoduc de Chevron avec le Congo

Sur certains sujets, c'est l'Angola qui a cependant eu besoin de l'indulgence de son voisin.

C'est le cas notamment sur le gazoduc entre Cabinda et Soyo. Ce projet qui est mené par la

major américaine Chevron et sa filiale Cabinda Gulf Oil vise à transporter dès 2013 le gaz

associé extrait des champs 0, 14 dans les eaux cabindaises vers l'usine de liquéfaction Angola

LNG à Soyo (dans la province angolaise de Zaïre). Approuvée par l’Etat angolais en

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307

décembre 2007, l’usine fonctionne depuis l’été 2012 grâce aux champs de la zone maritime de

l’Angola continentale situés dans les blocs 15, 17 et 18. Cependant, ce projet techniquement

réalisable sans problème, se transforme bien vite en un enjeu géopolitique car le gaz des blocs

0 et 14 doit nécessairement passer par les eaux territoriales congolaises (peu profondes) pour

éviter d’énormes surcoûts d’installation de réseaux sous-marins dans les très grandes

profondeurs. Il faut donc convaincre le Congo pour qu'il accepte cet ouvrage dans ses (petites)

eaux maritimes.

Les négociations pour obtenir l’assentiment des autorités congolaises sur ce projet ont

commencé dès 2007, soit immédiatement la validation par les autorités angolaises du dossier

de Chevron. Les Congolais, conscient de l'importance stratégique de ce gazoduc pour leur

voisin, ont voulu conditionner, et c'est bien logique, leur accord à des avancées sur les blocs

offshore litigieux (principalement 14, 15, 31). L'ironie de l'histoire est qu'une bonne partie du

gaz qui sera transformé à Soyo viendra de ces mêmes blocs litigieux. Les Angolais et en

particulier Syanga Abilio (à l'époque vice-président de la Sonangol) ont, comme on l’a décrit

plus tôt, écarté les questions des frontières pour uniquement parler des projets concrets. Or,

les discussions bilatérales n’ont pas avancé en 2008 du fait du problème de frontière.

En 2009, les choses semblent bouger. Un accord de principe pour le passage du gazoduc sur

le territoire congolais est même obtenu lors d’un conseil des ministres d'août 2009, mais

aucune négociation sur le droit de passage (en terme pécuniaire) et le bonus de signature ne

suit. Les directeurs régionaux de Chevron tentent alors de rencontrer Joseph Kabila mais sans

succès487. Constatant ce blocage qui risquait déjà à l'époque de retarder l’approvisionnement

de l’usine de Soyo, Chevron fait appel à la société de lobbying d'Andrew Young488,

GoodWorks International, qui fait elle-même appel à la médiation de l’ancien président

nigérian Olusegun Obasanjo (1976/1979, 1999/2007). Ce dernier, médiateurs de l’ONU pour

la région des grands lacs depuis 2008, doit justement se rendre à Kinshasa en décembre 2009

487 Contrairement à nombre de chefs d'Etat africains, Joseph Kabila est très difficile à rencontrer en audience privé. Comme il voyage assez peu lors de sommets internationaux, il est donc très difficile pour une société privée de l'influencer afin de finaliser un dossier ou de lancer un projet. D’un tempérament très réservé, il aime laisser ses proches apporter les affaires, et non les traiter lui-même. 488 Andrew Young, noir américain, est un personnage important dans l'histoire des relations entre les Etats-Unis et le Nigeria. Ambassadeur de Washington à l'ONU entre 1977 et 1979, il va renforcer l'influence du Nigeria sur le continent africain en le mettant au centre de toutes les discussions (Afrique du Sud d'apartheid, cubains en Angola, indépendance de la Namibie et de la Rhodésie...). Young va nouer des liens très forts avec le président de l'époque Olusegun Obasanjo qui va lui être reconnaissant d'avoir contribué au nouveau rôle du Nigeria en Afrique et même sur la scène internationale. Source : Daniel Bach, Le Nigeria, un pouvoir en puissance, Karthala, 1989, p. 57. Cette amitié continue à durer. Après son mandat à l'ONU, Young est élu comme maire d'Atlanta de 1982 à 1990 puis il se retire de la vie publique après un échec électoral en Georgie et fonde en 1996 sa société de conseil en risque politique GoodWorks International, surtout active en Afrique et aux Caraïbes.

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308

pour discuter des questions de sécurité relatives aux provinces des Kivu. Obasanjo profite de

sa visite pour introduire dans la plus grande discrétion489 le responsable de Chevron Angola

Alan Kleier auprès du président Kabila490. Kleier saisit alors l’occasion qui lui est offerte pour

présenter le projet du gazoduc Cabinda/Soyo au président congolais. Obasanjo insiste ensuite

auprès de Kabila pour qu’une personne du cabinet présidentiel soit désignée pour suivre le

dossier. C'est une jeune femme d’origine du Kivu, Manya Riche, qui a notamment supervisé

au nom de la présidence les négociations avec le Conseil national pour la défense du peuple

(CNDP) de l’ex-chef rebelle Laurent Nkunda, qui est désigné pour ce dossier Chevron. Riche

a ensuite directement travaillé sur ce sujet avec le vice-ministre des hydrocarbures Gustave

Beya Seku491 court-circuitant totalement le ministre en titre de l'époque: René Isekemanga.

Depuis la nomination de Beya comme directeur de cabinet du président Kabila en février

2010, ce sont des cadres du ministère des hydrocarbures comme le responsable des nouveaux

projets Joseph Pili Pili Mawezi492 qui ont négocié avec Chevron. L’un des rounds de

négociation du 22 au 25 juin 2010 a vu s’affronter des propositions assez éloignées. Chevron

représenté par Jim Wisner et conseillé par le cabinet d'avocat Herbert Smith a proposé 14

millions de dollars de bonus de signature alors que l’Etat congolais en réclamait 300

millions493. Après plusieurs visites et discussions, un accord a finalement été conclu au début

mois du mois d’août. Le nouveau ministre des hydrocarbures congolais Celestin Mbuyu

Kabango a accepté un bonus de 39,7 millions de dollars494. Quant au droit de passage, il a été

finalement déterminé à 2,25 dollars les 1000 mètres cube par la partie congolaise et accepté

par Chevron. Le ministère des hydrocarbures s'est s’appuyé dans sa négociation sur les

contrats existants du même type, comme celui qui a cours en Ukraine avec le gaz venant de

Russie. Kiev est payé 2,5 dollars les 1000 mètres cube par 100 kilomètres par la société

étatique Gazprom. Au Congo, ce droit de passage devrait rapporter 4 à 5 millions de dollars à

l’Etat, la distance parcourue dans ses eaux territoriales n’excède en effet pas 25 kilomètres.

Si Chevron est bien le maître d’œuvre de la construction du projet, le gazoduc est cependant

exploité par Sonangol. Dès le début des négociations et tout au long du processus, l’Angola a

489 Aucune information sur Chevron et Olusegun Obasango n’est sortie dans la presse congolaise ni étrangère. Nos sources sont directement des cadres de la société américaine Chevron rencontrés en avril 2010 à Kinshasa. 490 Discussions avec les cadres du ministère des hydrocarbures ainsi que des cadres de Chevron. 491 Gustave Beya Seku est depuis le mois de février 2010 le directeur de Cabinet du président Kabila. C’est notamment grâce à ce dossier Chevron qu’il a obtenu cette promotion. Beya a aussi l’avantage d’être Katangais tout comme le président Kabila. 492 Avec lequel nous avons eu de nombreuses conversations. 493 Africa Energy Intelligence, n°631, 6 juin 2010. 494 Entretien avec un responsable du ministère des hydrocarbures, août 2010.

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été absente, afin d'éviter toute confrontation d’Etat à Etat : les relations étant suffisamment

tendues par les blocs litigieux. La Sonangol a donc délégué le processus de négociation à

Chevron. Cette absence de la société nationale angolaise a été l’un des arguments du Congo

pour négocier un meilleur bonus de signature. En effet, en droit, l’absence d’une des parties

prenantes d’un contrat peut conduire à des litiges. Du fait des enjeux et du soutien du projet

de Kabila, une décision finale a été prise en 2010. En cas de modification des frontières

maritimes, des amendements seraient ajoutés au contrat495. La pression de l'Angola a donc à

nouveau fonctionné. Qu'a réussi à obtenir en échange le président Kabila et les négociateurs ?

Cela reste difficile à dire. Très peu de gens ont été associés de près aux négociations. Une fois

de plus, les intérêts du Congo sont passés derrière des intérêts particuliers de certains

dirigeants congolais. Le président Kabila ne s’est pas saisi de cette formidable opportunité

pour faire fléchir son homologue angolais sur les frontières maritimes. C'est une occasion

manquée mais probablement totalement assumée de la part du chef de l’Etat congolais.

La constante dans les négociations avec l'Angola reste que Joseph Kabila ne doit son pouvoir

qu'au soutien de Dos Santos. Ce dernier sait d'ailleurs trouver les arguments pour lui faire

comprendre en cas de besoin. La réélection, très contestée par les Américains et Européens,

de Joseph Kabila comme président en novembre/décembre 2011 a été par contre

copieusement applaudie à Luanda. José Dos Santos a été avec Yoweri Museveni et Paul

Kagamé (Rwanda), parmi les premiers à féliciter Kabila, sans attendre les résultats définitifs

de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Le ministre délégué angolais

aux affaires extérieures Manuel Domingos Augusto était dès le 13 décembre 2011 à Kinshasa

pour témoigner officiellement de la satisfaction de son président à l'égard du processus et de

la victoire de Kabila496. Le président de la CENI, Daniel Ngoy Mulunda-Nyanga497 était de

toute façon si proche de Kabila, que l'annonce des résultats, intervenue quelques jours plus tôt

était sans réel enjeu. Cela démontre, si besoin en était, la grande satisfaction de Luanda face à

la politique menée à Kinshasa et les décisions prises. Le reste, commentaires de certains

ministres ou brouilles passagères ne sont que gesticulations.

3 Les autres bassins sédimentaires partagés entre le Congo et ses voisins.

495 Cet aspect a été formellement discuté entre les deux parties. 496 MediaCongo.net, 13 décembre 2011. 497 Outre qu'il est Katangais, Daniel Ngoy connait Joseph Kabila depuis la fin des années 1990 lorsque Joseph était encore dans l'armée au service de son père. En tant que pasteur, Daniel Ngoy a beaucoup œuvré au processus de paix aux côtés de Desmond Tutu et Nelson Mandela (médiateur pendant la deuxième guerre du Congo).

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310

Outre les bassins partagés avec l'Angola et l'Ouganda, le Congo possède d’autres bassins

géologiques qu'il doit gérer en commun avec d'autres pays voisins à l'est. Dans le

prolongement sud du lac Albert, les lacs Edouard, Kivu et Tanganyika ont tous la même

particularité: ils sont partagés entre plusieurs souverainetés. Les explorations dans le lac

Albert ont déjà longuement été abordées dans cette partie. L’exploration sur le lac Edouard et

balbutiante et pour le moment décevante. La société britannique Dominion qui explore côté

ougandais le bloc 4B depuis 2007 a entrepris son premier forage Ngaji-1 au cours du mois de

juin/juillet 2010. Ce dernier s’est avéré décevant498. Quant au côté congolais, le bloc 5 autour

du lac Edouard a été validé par le président Kabila à la fin du mois de juin 2010. Dominion

qui travaille aux côtés de SOCO qui en est l’opérateur499 devra forer deux puits dans les cinq

ans. Nous n’en parlerons pas davantage du fait de l’absence d’avancement, sachant de plus

que les acteurs étatiques sont les mêmes que ceux du lac Albert. Deux autres lacs plus au sud

sont particulièrement intéressants à étudier: le lac Kivu que le Congo partage avec l'ennemi

d'hier (et d’aujourd’hui), le Rwanda, et le Tanganyika avec le Burundi, la Tanzanie et la

Zambie.

3-1 Le méthane du lac Kivu

La gestion des immenses ressources contenues dans les eaux du lac Kivu, partagé entre la

RDC et le Rwanda pourrait donner des indices sur l'évolution des relations entre les deux

ennemis officiels d'hier (et officieux d’aujourd’hui), contraints d'agir de concert pour un

projet énergétique essentiel. Cependant, ce que révèlent les projets que nous allons décrire

succinctement, c'est une situation assez proche de celle analysée entre le Congo et l'Ouganda

sur le lac Albert : dynamisme rwandais et absence cruelle de volonté politique congolaise. Le

Rwanda ignorant quasi totalement la partie congolaise pour avancer à son rythme dans ses

propres projets.

Depuis 1935, les experts belges ont identifié la présence d’une très importante quantité de

méthane (gaz) dans les eaux du lac Kivu. Il faut cependant attendre 1963 pour qu’une équipe

d’ingénieurs de l’Union Chimique Belge monte le premier projet d’extraction du méthane du

lac qui a servi jusqu’en 2005 à approvisionner une brasserie au Rwanda500. Outre la présence

498 Communiqué de presse du 21 juillet 2010 de Dominion Petroleum. 499 Soco qui est présent sur le bassin côtier, sur le lac Edouard et qui veut également rentrer dans la Cuvette Centrale a vendu sa filiale Thaïlandaise pour 105 millions de dollars à Salamander Energy : http://www.socointernational.co.uk/?entityType=NewsArticle&id=174&d=. Cette décision a été confirmée lors d’un conseil d’administration du 6 septembre 2010. Cette opération lui permet notamment de financer ses investissements congolais. 500 Benjamin Augé, op. cit. p. 17.

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de méthane, le lac Kivu a une autre particularité : il est susceptible de produire des irruptions

limniques, en d’autres termes, une explosion gazeuse liée à une saturation en gaz carbonique

dans l’eau. Il n’y a que trois lacs en Afrique avec cette caractéristique. Les deux autres sont

situés au Cameroun: Nyos et de Monoun. Le lac Nyos a déjà connu une irruption limnique en

1986 au cours de laquelle 1700 personnes ont perdu la vie. Le lac Kivu est susceptible d'être

encore plus dangereux, il est situé à proximité de villes importantes comme les

agglomérations contiguës de Goma au Congo et Gisenyi au Rwanda (voir carte 33 pour les

villes autour du lac Kivu). Les deux villes, au total de près d’1 million d’habitants se

touchent.

Les réserves de méthane contenues dans le lac Kivu sont très importantes ; selon le physicien

français Michel Halbwachs que nous avons interrogé à de nombreuses reprises depuis 2008,

près de 65 Gm cubes peuvent y être extraits. Cela permettrait théoriquement à une centrale

électrique de 160 MW de fonctionner pendant une centaine d’années. Alors que le Rwanda ne

consomme que 87 MW501, l'utilisation optimale du méthane ferait ipso facto du Rwanda un

pays exportateur d’énergie. D'autres experts comme Philip Morkel qui fait partie des

spécialistes qui ont travaillé sur le lac Kivu, font état de 800 MW pendant 100 ans502. Les

prévisions semblent donc faire encore l'objet de querelles d'experts, mais les ordres de

grandeur sont quoiqu'il arrive très importants.

Cependant, une fois de plus, les frontières sur le lac sont assez floues. Il n’y a pourtant jamais

eu véritables tensions à ce sujet entre la RDC et le Rwanda. Dès 1975 une convention est

signée à Bukavu (Sud-Kivu) balisant l’exploration du lac. Il est stipulé que l’exploitation du

méthane devra se faire de façon conjointe. Ces conclusions sont réaffirmées lors d’un sommet

bilatéral à Gisenyi du 26 au 28 mars 2007 où des experts internationaux sont également

invités. Ils martèlent aussi l’importance de trouver au plus vite des méthodes de dégazage du

lac pour éviter une explosion limnique. L’autre raison de l’exploration pacifique du lac est

que le méthane ne forme pas de poche comme pour le pétrole ou le gaz conventionnel. Le

méthane se trouve concentré dans l’eau, plus particulièrement dans les grandes profondeurs (à

son point bas, la profondeur d’eau atteint 485 mètres). Il n’y a donc pas de risque qu’un

gisement se trouve des deux côtés de la frontière comme dans le cas du lac Albert pour le

pétrole. De plus, il y a du méthane en abondance, aucun intérêt actuellement de s’approcher

501 Puissance consommée selon l'ex ministre rwandais de l'énergie Albert Butaré, conversation privée de janvier 2012. 502 http://editions-sources-du-nil.over-blog.com/article-35037500.html.

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312

de la ligne de démarcation coloniale. Cette dernière n'étant d'ailleurs pas située là où les

profondeurs sont les plus intéressantes pour les industriels.

Lors de la réunion du 26 au 28 mars 2007, les experts présents mettent en place un

programme de recherche sur le long terme financé en partie par la Banque mondiale. Ce

groupe intitulé Expert working group on Lake Kivu Gas Extraction503 va rendre le 17 juin

2009 un rapport Managment of Prescription for the development of Laka Kivu Gas Resources

où quantité d'informations techniques mais aussi géographiques, du fait du partage de la

ressources, vont être données. Ils proposent même un découpage en onze concessions : six en

RDC et cinq au Rwanda (carte ci-dessous) qui n'a pas vraiment été appliqué par les deux

parties. La logique du groupe d'experts se base sur le fait que toutes les concessions devraient

avoir au moins une partie de leur superficie comprenant des profondeurs marines suffisantes

pour extraire du méthane en quantité économique. L'une des autres recommandations de ce

groupe d'experts était la mise en place d'une Bilateral Regulatory Authority qui permette aux

deux Etats de gérer au mieux les ressources du lac Kivu et qui prenne en charge les projets

communs.

503 Ce groupe a été encadré par John Boyle, consultant environnemental pour la zone Afrique de la Banque mondiale. Les membres du comité, qui travaillent tous comme consultants dans le secteur privé venaient d'Allemagne Klaus Tietze, du Danemark Finn Hirslund, Afrique du Sud Philip Morkel et deux suisses Alfred Wüest et Martin Schimd. Aucun fonctionnaire des ministères des deux pays concernés ont été véritablement associés à l'écriture du rapport. D'où l'aspect très technique qui s'en dégage.

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Carte n°36: Proposition de découpage en concessions sur le lac Kivu entre le Congo et le

Rwanda

Sources : Groupe d’experts Banque mondiale, Benjamin Augé

Réunis une nouvelle fois en février 2011 à Gisenyi au Rwanda, les membres du groupe

d'experts se sont bornés à faire de nouvelles présentations. Aucune des mesures contenues

dans le rapport n'a été mise en œuvre par les deux partis.

Au début 2012, seul le Rwanda a lancé des projets concrets. Cela s'explique en partie car

l'utilisation des richesses du lac Kivu est loin d'être une priorité pour le gouvernement

congolais qui siège à 1500 km de la grande ville de Goma. Pour le secteur électrique,

Kinshasa se préoccupe plus volontiers de la réhabilitation d’Inga I et II ainsi que du projet

d’Inga III sur le fleuve Congo504. Malgré le manque chronique d’électricité des villes de

504 Les barrages d'Inga sur le fleuve Congo sont la principale source d'énergie de Kinshasa mais ils permettent également à la région cuprifère du Katanga de faire fonctionner une partie de son industrie. Inga 1 et 2 sont dans un tel état de délabrement que leur production effective est d'à peine 800 MW au lieu des quelque 2000 MW installés. Africa Energy Intelligence, n°665, 14 décembre 2011. Dans la région du Kivu, Kinshasa et Kigali partagent également deux barrages sur la rivière Ruzizi. Un troisième de 145 MW est à l'étude depuis 2010.

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314

Goma ou Bukavu au sud du lac Kivu (et sur la totalité du territoire) qui ont

démographiquement explosées depuis les années 1990 suite aux conflits dans la région, le

Congo exporte de l’électricité à ses voisins zambiens, angolais, et même sud-africains. Le

Rwanda peine aussi en matière d’électricité mais il avance, sa croissance rapide depuis le

début des années 2000505 impose de trouver des solutions énergétiques. Le pays avait dans les

années 1990 l'un des taux d’électrification parmi les plus faibles au monde avec 5% des

foyers reliés. En 2011, ce taux approche les 14% et les objectifs du gouvernement sont

d'atteindre 50% d'ici à 2017506. Ce ratio est très optimiste, cependant la gestion actuelle du

Rwanda par le président Paul Kagamé, mêlant autoritarisme et aides multiples de la Grande

Bretagne, des Etats-Unis et des grands bailleurs de fonds multilatéraux, démontre que

l'objectif n'est pas une simple fantaisie.

Pour en revenir à l'exploitation du méthane du lac Kivu, plusieurs projets ont récemment été

lancés au Rwanda. Le groupe écossais Danes a conclu un premier accord avec Kigali en avril

2005 qui prévoyait la production de 34 MW, électricité qui aurait été vendue à la société

nationale Electrogaz. Dès le mois de mai 2006, Danes obtient des promesses de financement

de la Banque mondiale (15 millions de dollars) et de la Société financière internationale507

pour un montant équivalent. Cependant, un an après, en avril 2007, le ministre de l’énergie

rwandais Albert Butaré rompt l’accord entre Danes et l’Etat. Selon Butaré, Danes n’a pas

rempli son contrat en dépensant beaucoup d’argent de préparation sans aucun résultat sur le

terrain. La société chargée du projet : Kibuye Power One (KP One) passe alors sous le giron

de l'Etat et produit dès novembre 2008 entre 1 et 2 MW, soit beaucoup moins que le cahier

des charges qui mentionnait 5 MW. L'Etat revend ensuite le projet aux israéliens d'Israel

Africa Energy Ltd à la fin 2011508. Un deuxième projet géré techniquement par la société du

français Michel Halbwachs (Data Environnement) travaille depuis 2002 sur un procédé pour

extraire le méthane. Ce projet qui devait produire depuis 2008 a été ralenti par plusieurs

problèmes techniques, il pourrait produire à terme quelque 5 MW. Il est financé par le

505 Selon le FMI, le taux de croissance réel du pays oscille depuis 2004 entre 5 et 11%. 506 Selon une présentation de l'ex ministre rwandais de l'énergie Albert Butaré lors d'un forum à Rome Solution forum on Agribusiness, renewable energy & food security, 7 décembre 2011. 507 La Société financière internationale est la branche de la Banque mondiale qui prête au secteur privé. 508 Le Rwanda de Paul Kagamé et Israël ont une relation très particulière basée sur « une communauté de destin » avec le génocide que les Tutsi de Kagamé d'une part et les juifs pendant la deuxième guerre mondiale d'autre part ont eu à subir. Ces représentations favorisent les affaires des Israéliens au Rwanda qui sont actifs dans les systèmes de sécurité, de renseignement et de télécommunication. Pour comprendre cette relation toute particulière qu'assez peu d'auteurs ont couverte, voir l'ouvrage de Pierre Péan, Carnages, les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique, Fayard, 2010.

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Rwanda Investment Group (RIG) des hommes d’affaires rwandais Tribert Rujugiro509, Said

Sekoko Hatari et Charles Mporanyi510.

Enfin, le dernier projet de méthane est celui des américains de ContourGlobal511 sur la

concession de Kibuye (sur la partie septentrionale du lac). C'est la première société qui vise à

construire des installations d'ampleur industrielle et non expérimentale comme les projets

précédemment cités. Après avoir mené des études sur le potentiel du lac dès la fin 2007,

ContourGlobal signe en mars 2009 avec le gouvernement rwandais un accord pour un projet

de 100 MW (estimé à 325 millions de dollars). Cela représente davantage que la

consommation actuelle du Rwanda. ContourGlobal espère pouvoir faire fonctionner une

première tranche de 25 MW dès la fin 2012 puis monter en puissance graduellement jusqu'en

2014512. Preuve de la confiance des investisseurs dans ce projet, KivuWatt (nom officiel

donné par ContourGlobal à sa société locale) a déjà obtenu des prêts pour un total de 142

millions de dollars de la part de plusieurs bailleurs : Emerging Africa Infrastructure Fund,

Netherlands Development Finance Company (FMO), la Banque africaine de développement,

et la Société belge d’Investissement pour les Pays en Développement. Le pouvoir rwandais

est très ferme sur les délais et sur la mise en place de la centrale électrique. ContourGlobal qui

avait d'abord parié sur la mise en production d'une première tranche début 2011 repousse en

janvier 2011513 une première fois son délai à la fin de l'année. Cependant, dès le mois de mars,

la nouvelle secrétaire d'Etat en charge de l'énergie Coletha Uwineza Ruhamya prévient que le

contrat des américains est en train d'être révisé et que d'autres propositions sont en cours

d'examen514. Ces entretiens distillés à la presse locale ont pour but de mettre la pression sur

ContourGlobal. Le Rwanda a besoin d'énergie immédiate, le recours à des centrales d'urgence

au fuel lourd/diesel pour l'équivalent de 10 MW est très couteux et grève son budget.

ContourGlobal n'arrivant pas davantage à tenir les délais de mise en service à la fin 2011 a

accepté que sa centrale fonctionne d'abord au fuel lourd avant de passer au méthane. Cela

509 Tribert Rujugiro est un homme d’affaires rwandais, réputé avoir été très proche du président Paul Kagamé jusqu'en 2009 où il est tombé en disgrâce. Il a dirigé le Rwanda Investment Group (proche du Front Patriotique Rwandais, parti de Kagamé) jusqu'en janvier 2009. Rujugiro a des investissements dans la production de tabac. 510 Charles Mporanyi est un homme d'affaires qui dirigent depuis les années 1980 la Société rwandaise d'assurance (Soras Group) à Kigali. Il a également créé dans les années 1980 l'Imprimerie de Kigali. Mporanyi a pris la suite de Tribert Rujugiro à la tête du RIG en janvier 2009. 511 ContourGlobal est dirigé par Joseph Brandt qui est l’ex vice-président exécutif de la société multinationale AES (notamment présente au Cameroun et au Nigeria). ContourGlobal est également actif au Togo où il a construit une centrale de 100 MW à Lomé. Cette centrale fonctionne depuis 2010. 512 Entretien privé, avril 2010. 513 The New Times, quotidien gouvernemental du Rwanda, 5 janvier 2011. 514 The New Times, 8 février 2011.

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pourrait lui éviter de payer de très lourdes pénalités à l'Etat515. En août 2011, la barge qui va

supporter l'usine de pompage a été mise en eau et la société finlandaise Wärtsïla a été

contractée pour les turbines. La réussite du projet, à plus ou moins grande échéance, va faire

baisser la facture au Rwanda qui passera de 21 cents de dollar actuellement à près de 15516.

Au début 2012, aucune compagnie n’avait officiellement obtenu de concessions côté

congolais. Au mieux, elles obtiennent des protocoles d'accord qui n'engagent en rien l'Etat

congolais mais permets à certains cadres du ministère et ministres successifs en charge du

dossier (énergie et hydrocarbures) d'empocher une rétribution. Ces concessions qui devraient

être au nombre de quatre, ne sont pas encore précisément délimitées au Congo. Plusieurs

sociétés sont cependant sur les rangs et mènent un lobbying acharné auprès des ministres des

hydrocarbures. C'est d'abord le cas de la Société des gaz et des hydrocarbures du Kivu de l'ex

directeur de la Société congolaise des Postes, Téléphones et Télécommunications Jean-Pierre

Muongo. Ce dernier a été envoyé en prison en septembre 2011 pour une présomption de

détournement de fonds517. Il y a aussi Lake Kivu Energy Corporation du Sud-Africain John

Herselman518. L’entreprise Bantu Investment Holdings, présidée par Malemolla David

Makhura, est aussi sur les rangs. Makhura est secrétaire provincial de l’ANC dans la province

sud-africaine de Gauteng. Bantu a pour PDG le Congolais Claude Ibalanky, ancien cadre

d’IBM et d'Hewlett-Packard. Enfin, Catic Power, filiale de la China Africa Trade & Industry

Development Corp., a présenté un projet de centrale de 200 MW au ministre congolais de

l’énergie, Gilbert Tshiongo, au premier trimestre 2011. Pour le moment, aucun de ces dossiers

n'a encore formellement abouti. Le ministère de l'énergie et des hydrocarbures s'intéressent de

très loin au potentiel du lac Kivu. De plus, les sociétés candidates n'ont aucune capacité

technique. Or, s'il faudra bien de l'argent pour sortir le méthane du lac, la maîtrise d'un savoir-

faire est essentiel dans ce cas précis. Le Rwanda a mis des années avant de maitriser, et

encore pas complètement, le procédé d'extraction et de séparation de l'eau du méthane.

Aucune des firmes qui ont candidaté au Congo n'a de compétences spécifiques dans le

méthane, elles devront donc nouer des alliances. Certaines de celles qui ont approché le

ministère sont presque fantaisistes. Une fois de plus au Congo, des sociétés essayent de faire

des coups et non de vrais développements industriels. Le ministère devra faire des choix et

éviter au final de se retrouver dans le cas du lac Albert avec des contrats octroyés à des 515 Africa Energy Intelligence, n°649, 6 avril 2011. 516 Conversation avec Albert Butaré, ex-ministre rwandais de l'énergie. 517 Selon le quotidien kinois La prospérité, 5 septembre 2011. 518 John Herselman est l'un des directeurs de la société congolaise de construction Techno-Build. Herselman a été l'un des directeurs de la firme sud-africaine d'ingénierie Bateman, rachetée en 2002 par le diamantaire israélien Benny Steinmetz.

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proches des dirigeants au pouvoir, mais sans réelle capacité technique et financière. Cela

promettrait une nouvelle décennie perdue pour ce méthane, susceptible de résoudre le

problème énergétique de toute une région en forte croissance démographique.

La coopération bilatérale Congo/Rwanda sur le méthane

Les deux Etats ont relancé leur coopération sur le lac Kivu en 2009. Au début du mois de juin

2009, le président du Conseil d’Administration de la Société nationale d’électricité du Congo

(SNEL) Eugène Serufuli Ngayabaseka signe avec le ministre rwandais de l’énergie Albert

Butaré à Kigali un accord prévoyant la construction d’un projet commun de 200 MW grâce au

méthane du lac Kivu519. Serufuli connait bien le Rwanda pour avoir été de 2000 à 2007 le

gouverneur de la province du Nord-Kivu dont Goma est la capitale. Ce projet est également

discuté entre les présidents Joseph Kabila et Paul Kagamé lors d’une rencontre le 6 août 2009

à proximité de Goma. Les ministres de l’énergie Albert Butaré (Rwanda), Laurent Muzangisa

(Congo-K) et Samuel Ndayiragije (venant du Burundi, en qualité d’observateur) se

rencontrent à leur tour les 15 et 16 août 2009 à Rubavu au Rwanda pour créer un comité de

pilotage mixte chargé de rendre un rapport de préfaisabilité au mois d’avril 2010520. La

Communauté économique des pays des Grands Lacs521 (CEPGL), et notamment son

département Energie des Grands Lacs (EGL) sont étroitement associés à ce projet. Le comité

mixte Rwanda/RDC comprend cinq experts par pays. Il s’est réuni à plusieurs reprises en

2009 et 2010. La réunion du 9 juillet 2010 à Kigali a acté l’étape du recrutement d’un cabinet

d’experts qui doit mener des études de faisabilité, des études environnementales et proposer la

localisation des barges d’extraction. L’Union européenne ainsi que l’Agence Française de

développement étaient aussi présentes lors de cette réunion et ont proposé leur concours pour

le financement des travaux. Lors d'une nouvelle réunion le 25 avril 2011 au Grand Hôtel de

Kinshasa, plusieurs experts internationaux accompagnés de l'ambassadeur du Rwanda au

Congo et des fonctionnaires congolais discutent du projet. Une fois de plus, le constat à faire

après la réunion est que la coopération n'avance pas.

On est donc assez loin d'un quelconque début de réalisation bilatérale sur le méthane. De plus,

certains fonctionnaires rwandais impliqués dans ce processus (que nous avons interrogés)

envisagent la coopération avec leur voisin congolais avec des représentations très négatives.

519 Xinhua News Agency, 12 juin 2009. 520 Africa Energy Intelligence, n°610, 26 août 2009. 521 Organisme régional regroupant la RDC, le Rwanda et le Burundi relancé en 2004 par la Belgique et en particulier le Commissaire Européen au développement de l’époque : Louis Michel. La CEPLG est également chargé de la gestion du futur barrage de Ruzizi III.

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318

Ils considèrent que les Congolais sont incapables de s'organiser, incapables de proposer des

projets concrets et réalisables. Leur jugement est très dur, même si en partie justifiée, après

examen des faits. Les tentatives de coopération entre les deux ressemblent davantage à de la

communication afin de plaire aux bailleurs de fonds. Les réunions sont souvent repoussées,

les deux parties sont assez rarement représentées à un très haut niveau. De plus, le projet

phare de construire 200 MW de capacité est surdimensionné. Cela serait-il l'addition de tous

les projets privés autour du lac ou un nouveau projet ? Mystère. Les Rwandais signent des

contrats, mettent la pression sur les sociétés privées qu’ils contractent. Ils n'attendent pas leur

voisin qui s'enferre dans l'indécision et la négociation de contrats avec des sociétés incapables

de mettre en place un réel projet d'extraction. Cependant, on ne peut pas dire ici que le

Rwanda utilise ce secteur pour déstabiliser encore un peu plus son voisin. Il le laisse juste

tourner en rond tout seul.

Les relations entre le Congo et le Rwanda sont très complexes. Elles ont connu plusieurs

phases. Comme une partie des génocidaires hutus Interahamwe se sont réfugiés dans l'est du

Congo dès 1994 sans jamais en être expulsés (le Zaïre des dernières années Mobutu n'en avait

d'ailleurs pas les moyens), le pouvoir de Paul Kagamé a utilisé cet argument pour contrôler

militairement la zone des Kivu dès la première guerre de 1996/97 où s'installe Laurent Désiré

Kabila au pouvoir. Le soutien du Rwanda à ce dernier s'achève avec le lancement de la

deuxième guerre du Congo en 1998, résultat de l'éviction des cadres militaires rwandais

travaillant aux côtés du nouveau chef d'Etat congolais, y compris le chef d’Etat-major de

l’armée congolaise James Kaberebe (de nationalité rwandaise et actuel ministre de la défense

dans son pays.

Dès les années 2000, certains Interahamwe522 ainsi que les ex-forces pro Hutu forment dans

l'est du Congo les "Forces démocratiques de libération du Rwanda" (FDLR). Leur objectif est

la chute du gouvernement à Kigali dirigé par les Tutsi de Kagamé. Cela donne davantage

encore de raisons au président rwandais d'agir au Congo. Les FDLR gênent Kigali, non

seulement car ils veulent changer le pouvoir, mais aussi car ils mettent peu à peu la main sur

des zones minières523. Le Rwanda crée plusieurs mouvements de déstabilisation dans les

Kivu, afin de gêner politiquement Joseph Kabila afin qu’il agisse contre les FDLR. Ces

mouvements permettent également faire prospérer l'économie rwandaise grâce au contrôle de

522 Milices hutus créés en 1992 par le parti de l’ancien président rwandais Juvénal Habyarimana. Ces dernières sont responsables de la plupart des tueries durant le génocide rwandais de 1994. 523 Voir Pierre Jacquemot « Ressources minérales, armes et violences dans les Kivus (RDC) », Hérodote 3/2009 (n° 134), p. 38-62.

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319

réseau de trafic de minerais (voir rapports de l’ONU sur ce sujet). Le plus célèbre de ces

mouvements est le Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de l'ex militaire

congolais Laurent Nkunda. De 2006 à 2009, ce mouvement implanté au Nord Kivu va défier

les militaires congolais en contrôlant totalement (y compris par la levée d'impôt) le territoire

de Masisi et Rutshuru. Grâce à quelque 8000 hommes524, il va complètement déposséder de

souveraineté le Congo dans cette zone. Déviant peu à peu vers une critique menaçante du

pouvoir de Joseph Kabila qui pourrait à terme poser problème au niveau national, Kabila

passe un accord avec Paul Kagamé pour arrêter Laurent Nkunda. Chose faite le 22 janvier

2009. En échange de cela, les Rwandan defence forces (DRF) ont pu, avec l'accord de

Kinshasa, pourchasser les FDLR sur le territoire congolais525. Cette décision est un tournant

dans la relation bilatérale des deux voisins. Depuis lors, les marques de rapprochement ont été

de plus en plus fréquentes et appuyées. Paul Kagamé nomme dès le mois de mai 2009 un

nouvel ambassadeur de poids à Kinshasa526. Ce dernier, Amandin Rugira était jusqu'alors le

Secrétaire général du ministre des affaires étrangères. Par la suite, Norbert Nkulu Kilombo

Mitumba est nommé à Kigali en novembre 2009527. Si les relations ne sont pas aussi cordiales

qu'entre Kabila et Yoweri Museveni, qui comme on l'a vu, s'apprécient en privé mais doivent

se contrôler en public, on a pu croire aussi que les relations entre les deux chefs d'Etat se

normalisaient. Et ce d'autant plus que Paul Kagamé n'est pas aussi soutenu qu'avant par les

Etats-Unis. Le Rwanda est par contre directement pénalisé économiquement avec l'entrée en

vigueur en avril 2011 de la loi Dodd-Frank qui impose aux importateurs de minerais de

prouver à la Securities Exchange Commission (SEC) que l’origine des minerais ne vient pas

d’une zone en conflit et que les circuits d’achat sont légaux Or, le Rwanda qui profite

illégalement des minerais de son voisin congolais est durement touché. Cet arrêt du soutien

américain au pillage des minerais congolais par le Rwanda ne peut que détendre les relations

afin qu’elles soient davantage équilibrées. Cette analyse peut rapidement devenir caduque.

Depuis le mois d’avril 2012, le mouvement M23 formée d’ex combattants du CNDP, et

524 "Renewed Crisis in North Kivu", Human Rights Watch, 22 octobre 2007. 525 Pierre Jacquemot, Ibid. 526 Les relations diplomatiques officielles ont été gelées entre 1998 et 2004. Entre temps, Kigali a envoyé l'homme d'affaires Antoine Juru Munyakazi pour déminer la situation conflictuelle. C'est donc le deuxième ambassadeur rwandais nommé à Kinshasa depuis plus d'une dizaine d'années. 527 Norbert Nkulu Kilombo Mitumba, avocat de formation est un très proche de Kabila. Il a été nommé en 2007 ministre d’État auprès le président de la République. Membre du Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie (PPRD), il a travaillé dans le Cabinet du Chef de l’Etat en tant que Conseiller Principal au Collège Juridique et Administratif avant d’être nommé Directeur de Cabinet Adjoint du président. Il est originaire du territoire de Malemba-Nkulu dans la Province du Katanga, tout comme Joseph Kabila. Ce dernier a une confiance totale en lui. A la mort du principal conseiller du président Augustin Katumba en février 2012, Kilombo va reprendre une partie des attributions de ce dernier en tant que conseiller politique de l'ombre avec un autre confrère Maître Jean Mbuyu (katangais également).

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320

soutenue par le Rwanda selon l’ONU, déstabilise une nouvelle fois le Nord-Kivu. Cela

entraîne d’ailleurs la baisse des aides militaires américaines ainsi que le gel d’une partie de

l’aide au développement venant des Pays-Bas ainsi que des débats en Belgique528. Ces

montants sont, il est vrai, très modestes, 150 000 dollars pour les Etats-Unis et 5 millions

d’Euros pour les Pays-Bas, mais c’est un signe que certaine barrière ont été franchies. Le M23

est notamment formée d’anciens cadres du CNDP dont certains comme Bosto Ntaganda sont

recherchés par la Cour pénale internationale.

3-2 Le bassin du lac Tanganyika

Le lac Tanganyika est une nouvelle frontière de l’exploration pétrolière au Congo. Les lacs

situés plus au nord sont tous partagés entre deux souverainetés mais le lac Tanganyika est,

quant à lui, partagé entre quatre pays. : RDC, Burundi, Tanzanie et Zambie (voir carte ci-

dessous). Avant le regain d'intérêt pour ce bassin au milieu des années 2000, très peu

d'informations ont été récoltées par les géologues pétroliers sur la zone. Juste quelques

travaux universitaires menés par les équipes américaines en 1984 sont disponibles pour les

compagnies pétrolières. Jamais aucun forage n'a été effectué sur les rives, ni dans le lac en lui-

même.

528 RFI, 28 juillet 2012.

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321

Carte n°37: Lac Tanganyika partagé en quatre

Source : Surestream Petroleum.

Cette carte ci-dessus montre bien une autre particularité du lac Tanganyika comparé aux

autres lacs plus au nord : sa profondeur. En effet, la hauteur d'eau commence entre 250 et 400

mètres aux extrémités nord et sud du lac mais de nombreuses zones sont au-delà de 1250

mètres avec un maximum de 1430 mètres (le deuxième plus profond après le lac Baïkal en

Russie). Cette caractéristique va immanquablement entraîner un coût élevé pour l'exploration

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322

des blocs attribués au Congo ainsi qu'en Tanzanie où les profondeurs d'eau sont les plus

importantes. Une donnée supplémentaire et très couteuses, l’enclavement, le lac Tanganyika

est à plus de 1200 kilomètres du premier port (Dar es Salaam). En définitive, seuls des majors

ou des sociétés fortunées et expérimentées vont pouvoir mener des forages. Cela constitue

donc une situation de forage en condition identique à celle du deep offshore avec en plus un

contexte d'enclavement, ce qui est assez unique. Le cas du lac Tanganyika est unique à un

autre titre: il est le plus long de la surface du globe (677 kilomètres). Analysons désormais où

en est l'exploration et quelle est la politique pétrolière des différents Etats sur leur partie de

souveraineté du lac Tanganyika.

Seuls deux des quatre pays bordant le lac ont attribué début 2012 des permis d’exploration : la

Tanzanie et le Burundi. La Tanzanie a découpé sa superficie du lac Tanganyika en deux

blocs : Tanganyika North et Tanganyika South. Le bloc de Tanganyika South (5400 km²) a

été remporté en juillet 2010 par la firme australienne Beach Energy529 et sa filiale tanzanienne

Beach Petroleum Tanzania. Le permis était aussi disputé par Surestream qui a une stratégie de

présence tout autour du lac comme nous allons le comprendre. Concernant North Tanganyika,

un appel d'offres a été lancé en juin 2011 dont la major française Total est sortie vainqueur

remportant le permis en août 2011530. Comme on l'a vu, Total s'est considérablement renforcé

en Afrique de l'Est avec son entrée en RDC (bloc 3), Ouganda (1, 2, 3A) ainsi sa nouvelle

présence dans l'offshore kenyan. Ces nouveaux développements s'accélèrent avec l'acquisition

de blocs dans des zones difficiles et encore assez peu connues comme le lac Tanganyika. Si

Total est capable d’effectuer les travaux jusqu'au forage, il semble assez probable que Beach

Petroleum devra céder une partie de son permis à d'autres sociétés avec davantage de

ressources financières. Un seul forage dans le lac pourrait atteindre quelque 160 millions de

dollars.

Quant au Burundi où quatre blocs ont été découpés, le ministère des mines a délivré en

novembre 2008 le bloc D et en novembre 2009 le bloc B à Surestream. Cette dernière a mené

une sismique en 2D en 2011531. Dès 2008 la société canadienne Terra Seis (spécialisée dans

les campagnes sismiques) tente de négocier pour le bloc A (seul bloc qui entoure le lac mais

sans comprendre de périmètre sur le lac) et la société sud-africaine Samroc (l’un des

actionnaires de Sacoil qui explore le bloc 3 au sud du lac Albert avec Total) prend langue 529 Beach Energy est une petite société australienne qui a produit une moyenne de 18 000 b/j en 2011. Elle est présente en Australie (d’où provient la grande majorité de sa production), Papouasie Nouvelle-Guinée, Etats-Unis, Egypte, Espagne, Albanie. 530 Africa Energy Intelligence, n°658, 27 août 2011, 531 Entretien individuel avec des responsables de la société.

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323

avec le Burundi pour le bloc C. Cependant ces blocs sont attribués lors du conseil des

ministres du 11 mai 2011 à d'autres sociétés532. Le permis onshore A, qui empiète sur les

provinces de Bubanza, de Bujumbura et de Cibitoke revient aux nigérians d’A-Z Petroleum

Products Ltd du groupe Chicason. Ce dernier, dirigé par Chief Chika Okafor533, est actif au

Nigeria dans la distribution de produits pétroliers, le trading mais aussi l'importation de

nourriture et la construction. Il n'a cependant aucune expérience dans l'exploration pétrolière.

Le second contrat sur le bloc C (principalement offshore) dans la région de Rumonge au sud

de Bujumbura est accordé à la société Minergy R.E. Ltd. Enregistrée aux îles Vierges

britanniques, Minergy est principalement active dans le diamant au Brésil et n'a pas davantage

d'expérience dans le pétrole. En définitive, hors de Surestream qui a déjà une certaine

expérience du fait de ses blocs dans l'ouest de la RDC, les deux autres sociétés vont avoir

beaucoup de mal à entreprendre les travaux nécessaires sans aide extérieure. La sélection

burundaise des opérateurs ressemble à celle effectuée par le Congo voisin. Il y a un problème

évident de cohérence de choisir des compagnies sans compétence particulière dans un bassin

très compliqué.

Avant d'en arriver au Congo, il est nécessaire d'évacuer la Zambie de la démonstration. Ce

pays n’a pas l’intention d’attribuer de bloc dans l’immédiat sur le lac Tanganyika dont elle ne

possède de toute façon, qu’une petite portion au sud (considérée souvent comme la moins

prospective en terme de concentration de méthane). La Zambie a lancé son premier appel

d’offres pétroliers de son histoire à la fin 2009 mais les blocs proposés sont très loin de cette

zone. La plupart sont proches de la frontière avec l’Angola ou au sud du pays. La Zambie est

un très important pays cuprifère (au nord) et le pétrole est encore loin de mobiliser les

fonctionnaires et hommes politiques zambiens. Actuellement, au ministère des mines, seul un

agent de l'Etat s'occupe à plein temps de ce secteur534.

Le cas congolais est une fois de plus complexe. En 2008, le ministère congolais des

hydrocarbures accepte en principe le découpage de sa partie du lac Tanganyika. Avec l’aide

de Surestream, dix blocs de cette zone où aucune exploration d’ampleur n’a jamais eu lieu

sont définis. Cependant il faut attendre le décret 017 du 31 octobre 2011 du ministre des

hydrocarbures Célestin Mbuyu Kabango, pour qu'un découpage, non pas en 10 mais en 11

532 http://www.burundi-gov.bi/Communique-de-presse-du-conseil,1815. 533 Chief Chika Okafor a également dirigé la Nigeria-South African Chamber of Commerce ainsi que l'Independant Petroleum Marketers Association of Nigeria qui représentent les importateurs d'essence au Nigeria (association très puissante). 534 Nombreuses conversations privées avec ce fonctionnaire, Kennedy Liyungu.

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324

permis soit finalement officialisé535. Cette première étape ne veut pas dire que le ministère va

annoncer rapidement un appel d'offres. Depuis 2011, les fonctionnaires du ministère des

hydrocarbures nous disent qu'ils privilégient une période d'études indépendantes (gravimétrie,

aéromagnétique) par des sociétés spécialisées qui vendront ensuite les résultats obtenus aux

sociétés pétrolières intéressées par la zone. Cela permettrait, selon les Congolais, de mieux

évaluer le potentiel du Tanganyika et proposer des contrats et le niveau des bonus éventuels

en fonction du potentiel. Les premières attributions se feront donc probablement après ses

travaux.

Et pourtant, nombreuses sont les sociétés pétrolières qui ont témoigné de leur intérêt pour

cette zone. Il y a d'abord Surestream qui veut depuis longtemps deux permis. Présent déjà au

Burundi, le directeur général et géologue de la société Christopher Pitman pense que la zone

est très prolifique et qu'il faut se placer le plus tôt possible avant que les majors n'arrivent et

cadenassent le lac Tanganyika. La société Bayfield Energy, créée en 2008, a également

envoyé son directeur exploration-production Stefano Santoni au sommet Cape IV de Kinshasa

(23-27 mars 2010) pour rencontrer le ministre congolais des hydrocarbures Célestin Mbuyu

Kabango. Santoni a proposé que sa société prenne deux blocs sur le Tanganyika. Bayfield

produit actuellement à Trinidad et Tobago et explore plusieurs blocs gaziers dans l’offshore

de l’Afrique du Sud536. Les dirigeants de cette société sont connus dans le milieu pétrolier car

ils dirigeaient la société Burren Energy, rachetée en 2007 par la major italienne ENI, et

possédaient des parts dans le champ congolais (Brazzaville) de M’Boundi (40 000 b/j). La

société française Perenco, qui produit la totalité du pétrole congolais, a aussi témoigné de son

intérêt à venir explorer le lac Tanganyika. Enfin, une délégation de la société nationale

brésilienne Petrobras, a séjourné au Congo en août/septembre 2011537 concernant les

potentiels d'exploration. Les conditions d'offshore profond du lac Tanganyika, sont une

spécialité de Petrobras, considérée comme une des majors les plus efficaces à des grandes

profondeurs marines. Aucun contrat n'a cependant été signé, et pour cause, le gouvernement

veut une fois de plus attendre (mais peut-être pour une bonne raison cette fois-ci) pour mieux

cerner le potentiel de ces permis.

535 Africa Energy Intelligence, n°644, 30 novembre 2011. 536 Africa Energy Intelligence, n°626, 14 avril 2010. 537 Africa Energy Intelligence, n°658, 7 septembre 2011.

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325

La coopération entre les Etats sur le lac Tanganyika

Le lac ne pose actuellement pas de problème majeur entre voisins car l’exploration y est

encore balbutiante (contrairement au Lac Albert). Deux des quatre pays ont même déjà fait

quelques pas timides vers une coopération pétrolière. Le Congo et la Tanzanie ont en effet

signé le 10 mai 2008 un accord pour explorer le lac en commun538. Cet accord, assez flou,

signé par Lambert Mende Omalanga et son homologue tanzanien William Ngeleja prévoit un

projet commun d'exploration en prenant en compte les questions environnementales. Depuis

lors, plus rien. La RDC et la Tanzanie ont toujours été plutôt proches : l'ex président tanzanien

Benjamin Mkapa a depuis 1999 cherché à être l’un des médiateurs du conflit congolais tout

comme son homologue zambien Frederick Chiluba. Alors que les explorations n'ont pas

réellement commencé, les relations sont déjà bonnes. Cela ne préjuge pourtant pas d'une

entente cordiale en cas de découvertes au milieu du lac, requérant un partage de certains

gisements. Dans ce cas, les frontières définies entre Britanniques et Belges avant

l'indépendance de ces Etats ne manqueraient probablement pas d'être contestés (comme dans

la plupart des cas où d'importantes ressources sont mises à jour). Mais le règlement de cette

question ne viendra pas se surajouter à une relation déjà conflictuelle et heurtée comme c'est

le cas entre la RDC et l'Ouganda ou entre la RDC et le Rwanda. Les représentations que

projettent les cadres congolais du secteur pétrolier sur leurs collègues tanzaniens et zambiens

ne sont pas façonnées par la même charge émotionnelle négative dont peut encore souffrir les

cadres rwandais et ougandais. Il n'y a pas la même notion « d'ennemis » qui a depuis les

années 1990 envenimée les relations entre les uns et les autres.

Quant au Burundi, s'il a été accusé d'abriter des opposants au régime de Laurent Désiré puis

Joseph Kabila, ses relations avec le Congo ne sont pas aussi mauvaises que celles avec le

Rwanda. Cependant, de 1993 à 2009, il n'y a pas eu d'ambassadeur congolais à Bujumbura.

Seuls des chargés d'affaires géraient l'ambassade pendant cette longue période539. Il faudra

attendre la nomination de Salomon Banamuhere Babiene, dont on a parlé dans la IIème partie

pour son rôle de ministre de l'énergie entre 2005 et 2008, pour qu'un ambassadeur

plénipotentiaire résidant au Burundi reprenne la main. Banamuhere est tout de même un poids

lourd du régime Kabila, il a participé à la création du PPRD (parti au pouvoir). C'est un geste

fort dans la relation bilatérale avec le Burundi de mettre une personne si proche du président

congolais. La guerre n'a pas été ouverte entre la RDC et le Burundi, la plaie n'est donc pas

538 BBC monitoring Africa, 11 mai 2008. 539 Rapport de stage de Milat Mashaka à l'Ambassade de Bujumbura. Université de Goma, 2009.

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vive. De plus, le Burundi n'a pas beaucoup de moyen pour nuire à son grand voisin. Devenue

depuis une quinzaine d'années, l'un des pays les plus pauvres au monde, ses fonctionnaires, en

tout cas dans le secteur pétrolier, sont parmi les plus mal formés du continent, ils ont très peu

de moyen. Le pays n'est toujours pas sorti des rébellions internes et n'a pas pris le chemin de

son voisin rwandais concernant la difficulté majeure pour son avenir : le contrôle des

naissances. Ces deux pays ont une superficie assez similaire, 26 000 km² pour le Rwanda et

27000 km² pour le Burundi. Sur leur territoire exigüe, le Burundi concentre 10 millions

d'habitants et le Rwanda 11 millions, soit une densité de plus de 300 habitant par km². Le

Rwanda a réussi par une politique volontariste à baisser le taux de natalité de 7 à 5 enfants par

femme (officiellement tout au moins). Le Burundi est toujours à plus de 6540. Cela constitue

une bombe à retardement pour le partage de la terre. Le génocide au Rwanda (dans le même

temps dizaines de milliers de Hutus et Tutsis étaient tués au Burundi), est en partie lié au

problème du partage de la terre541.

Les multiples suintements laissent à penser que le lac Tanganyika pourrait devenir une

importante province pétrolière. Il n’y a cependant pour le moment aucune estimation

concernant les quantités, tant que les forages ne sont pas lancés. Si des blocs sont donnés en

2012/13 côté congolais, il faudrait attendre de nombreuses années avant une possible mise en

développement. L'enclavement du lac impliquera la construction d'un nouvel oléoduc en

direction de Dar Es Salaam qui deviendra le hub pétrolier, tout comme Mombasa ou Lamu au

Kenya avec le pétrole ougandais et congolais sur lac Albert.

540 CIA World Factbook, 2011. 541 Pour les problèmes de terre dans l’Afrique des Grands Lacs, voir Roland Pourtier « L'Afrique centrale dans la tourmente », Hérodote 4/2003 (N°111), p. 11-39; René Lemarchand. “The dynamics of violence in Central Africa”. Philadelphia : University of Pennsylvania Press, 2009 ou Gérard Prunier « The Rwanda Crisis: History of a Genocide”, New York, Columbia University Press, 1995.

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4 Afrique de l’Est: une nouvelle géopolitique pétrolière et gazière

régionale

Après avoir étudié les bassins pétroliers et gaziers frontaliers entre le Congo et ses voisins, il

est nécessaire de se pencher sur les perspectives des découvertes ougandaises et de celles

futures au Congo à l’est de son territoire en matière d’exportation. Pour rejoindre le marché

international, il va falloir nécessairement passer par les pays d’Afrique de l’Est où une

nouvelle géopolitique des hydrocarbures est également en train de se mettre en place avec de

nouveaux acteurs et des pays comme le Soudan du Sud dont l’indépendance change

considérablement les enjeux pétroliers de la région. C’est à partir de ce dernier cas que nous

souhaitons commencer cette sous partie sur la nouvelle géopolitique pétrolière de l’Afrique de

l’est car si le pays produit depuis 1999, son indépendance en 2011 est susceptible de

complètement modifier sa stratégie.

Afin de parler du Soudan et des conséquences régionales de l’explosion du pays en deux

entités nationales, il est nécessaire de faire un point sur son histoire pétrolière et comment

cette dernière a été gérée de 1999 à 2011. La relation entre la partie nord vis-à-vis du sud est

également à expliciter afin de comprendre comment la séparation de 2011 a pu survenir et

comment les grandes difficultés subsistent entre les deux entités soudanaises indépendantes.

Nous poursuivrons notre propos en faisant entrer l’Ouganda dans cette géopolitique régionale

du pétrole, le Soudan du Sud du fait de ses relations tendues avec Khartoum envisage de sortir

son brut par le Kenya en utilisant les mêmes oléoducs que ceux qui viendront depuis

l’Ouganda. Il faudra également expliciter les problèmes liés au passage par le territoire

ougandais. En cas de découvertes sur le côté congolais du lac Albert, le brut passerait très

probablement par le Kenya, cela fait un pays de plus à inclure dans notre réflexion. Le rôle du

Kenya dans la géopolitique pétrolière régionale doit être également regardé de près, prend-il

la mesure en termes d’infrastructures et d’engagement politique de sa future position

stratégique en tant que hub pétrolier ? Le Kenya a, début 2012, également découvert du brut

dans son sous-sol pour la première fois de son histoire. Que cela change-t-il ? Enfin, nous

verrons les problèmes que posent les découvertes au Mozambique (pays considéré comme

faisant partie de l’Afrique de l’Est dans son acception large). Son poids économique dans les

dix prochaines années va être plus que doublé grâce à son gaz, son charbon et ses potentiels

en hydroélectricité. Mais son enclavement en termes d’absence d’accès à un marché local

suffisant, rend également, comme pour tous les pays de la région, sa stratégie de

développement pétrolier éminemment risquée. Pour des pays qui n’ont pas de culture et de

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328

passé pétrolier, y compris le Soudan du Sud car toutes les décisions ont été prises à Khartoum,

les prochaines années vont être décisives pour leur développement.

Cette troisième partie se veut prospective mais elle se base cependant sur des faits avérés et

objectifs, la présence et non pas l’hypothétique présence d’hydrocarbures dans une zone en

conflit et enclavée. Tout comme ce que l’on a déjà écrit sur le « couple » RDC/Ouganda, il est

nécessaire de voir dans quelle mesure l’obligation de traiter un sujet ensemble, celui du

transport du pétrole, peut rapprocher des Etats en mauvais terme ou au contraire, rendre

encore plus difficile leur relation.

4-1 L'enjeu pétrolier dans un Soudan éclaté

Si la guerre entre le Congo et ses voisins ougandais et rwandais a été très dure entre 1998 et

2003, la guerre civile au Soudan a eu bien davantage de temps de s’installer et de créer des

relations teintées de très grande méfiance après l’indépendance de 2011 (voir la frise

historique du Soudan en annexe). Après plus de 22 ans de guerre civile, les Sud-Soudanais

(autour de 9 millions) se sont ainsi massivement prononcés (99%) pour l'indépendance de leur

pays lors d’un référendum organisé le 9 janvier 2011. Cette quasi-unanimité s’explique

aisément au regard de l’histoire pour le moins tourmentée du pays depuis son indépendance

en 1956 de la Grande-Bretagne. L’indépendance du Soudan du Sud semblait tellement

inscrite dans un processus historique que certains chercheurs français spécialistes de ce pays

comme Marc Lavergne ont écrit sur le thème de l’Indépendance annoncée542. En effet,

certaines puissances extérieures comme les Etats-Unis et Israël ont tout fait pour que le

processus commencé par l’autonomie manquée du Sud en 1972, soit vouée à devenir

inéluctablement une indépendance en bonne et due forme. Cette indépendance obtenue en

2011 a permis d’affaiblir un pays arabe, qui a imposé une pratique très rigoriste et extrême de

la région musulmane à certaine période de son histoire politique, et qui a de plus vécu une

deuxième jeunesse économique grâce au pétrole. Cette dernière donnée étant vécue par

certains Etats hostiles au Soudan, comme un accroissement du danger que représente le

régime à Khartoum, du fait de la nouvelle manne dont l’Etat a pu jouir à partir de 1999.

Si la production pétrolière a commencé plus de vingt ans après les premières découvertes de

Chevron dans les années 1970, c’est bien sûr du fait de la guerre civile mais pas uniquement.

Le gouvernement du président Omar el Béchir arrivé au pouvoir en 1989, loin d’essayer de

542 Marc Lavergne, « Le régime de Khartoum bouscule par la sécession du sud, Chronique d’une indépendance annoncée », Le Monde diplomatique, février 2011.

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329

calmer la relation conflictuelle de ses prédécesseurs avec le Sud, émet un nouveau code pénal

en 1991 où l’application stricte de la sharia est imposée. Si la sharia n’est théoriquement pas

applicable au Sud, Omar el Béchir décide tout de même de former les juges du Sud au droit

musulman. Cela dégrade considérablement la relation avec les leaders sudistes comme John

Garang, fondateur en 1983 du South People’s Liberation Army (SPLA), mouvement de loin

le plus organisé contre le pouvoir d’Omal el Béchir. Si la relation se tend au plan national

entre nord et sud (schématiquement) pour les raisons qu’on a exposé, elle devient rapidement

très critique au niveau international. Béchir soutient publiquement l’invasion de Saddam

Hussein au Koweït en 1990/1991. De plus, Khartoum devient peu à peu un sanctuaire pour

terroristes, il accueille Oussama Ben Laden de 1992 à 1997, le palestinien Sabri Al Banna

(Abu Nidal) fondateur du très meurtrier Fatah/conseil révolutionnaire, ainsi que le

vénézuélien Ilitch Ramirez Sanchez dit « Carlos » de 1991 à 1994. L’administration

américaine de Bill Clinton qui arrive au pouvoir en 1992, met dès 1993 le Soudan sur la liste

des pays soutenant le terrorisme et les premières sanctions économiques tombent en 1997543.

La relation s’envenime encore davantage avec les attentats contre les ambassades américaines

de Nairobi et Dar Es Salaam en août 1998 perpétrée par Al Qaeda, le mouvement créé

quelques années plus tôt par Oussama Ben Laden. L’un des principes des sanctions

économiques américaines mises en place en 1997 puis complétées ensuite est qu’aucune

société américaine ne peut investir au Soudan et que toute société étrangère qui veut y investir

ne pourra avoir de présence aux Etats-Unis sous peine de sanction. Les sanctions américaines

conduisent ainsi à réduire le nombre des sociétés susceptibles juridiquement de se permettre

de développer les réserves pétrolières soudanaises. La plupart des compagnies occidentales

ayant quitté le pays dès le début de la deuxième guerre civile (sauf Total qui a seulement gelé

son bloc B) ce sont les Chinois, aidés des Malaisiens et des Indiens qui se chargent du

développement du secteur pétrolier du Soudan à partir de la signature du premier contrat en

1996. La Chine, qui a des besoins énergétiques grandissants, inassouvis par ses réserves

nationales depuis 1993544, permet donc au pétrole de couler dès 1999 grâce à des

infrastructures que l’on décrira plus tard.

Un événement important va cependant profondément modifier la relation, très tendue entre le

Soudan et les Etats-Unis. Omar El Béchir opère à partir des attentats du 11 septembre 2001 de

New York et Washington, un revirement de stratégie en ouvrant un dialogue sur le terrorisme

543 Site du département d’Etat sur le Soudan : http://sudan.usembassy.gov/ussudan_relations.html. 544 Thierry Sanjuan, « Dictionnaire de la Chine contemporaine », Armand Colin, Paris, 2006.

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330

avec le gouvernement américain545. Le pouvoir à Khartoum considère (au même titre que

Mouammar Kadhafi en Libye et que Pervez Musharraf au Pakistan) qu’après le lancement

d’opérations militaires de grandes ampleurs en Afghanistan et en Irak dans le but d’éradiquer

les « ennemis » de l’Amérique, il peut très bien être le prochain sur la liste des pays où les

Américains sont susceptibles de débarquer afin d’y renverser un régime qui a longtemps

soutenu le terrorisme. L’arrivée du républicain George Walker Bush à la Maison Blanche en

2000 est encore un facteur aggravant pour la relation avec le Soudan. Bush étant protestant

très pratiquant (born again), et très à l’écoute des lobbys évangélistes, il utilise la situation

post 11 septembre 2001 de faiblesse de Béchir, pour pousser un autre dossier : l’autonomie

puis l’indépendance du Soudan du Sud546. Sous pression des américains, le conseiller chargé

des questions de paix d’Omar el, Béchir Ghazi Salahuddin Atabani, et le vice-président du

principal mouvement de rébellion du sud, le SPLM (branche politique du mouvement : South

People’s Liberation Army) Salva Kiir signent dès juillet 2002 les premières bases d’un accord

de paix au Kenya. Le texte est connu sous le nom de Machokos Protocol. Les discussions

s’enchainent et montent d’un cran avec l’entrée en scène du vice-président du Soudan Ali

Osmane Taha qui mène des pourparlers avec le président du SPLM John Garang dès le mois

de septembre 2003, toujours au Kenya. Ces dernières se poursuivent par intermittence

jusqu’en janvier 2005 et aboutissent à la signature du Comprehensive Peace Agreement

(CPA). Ce CPA prévoit une importante autonomie pour le Soudan du Sud durant une période

de transition, la création d’un poste de vice-président pour le leader du SPLM et

l’organisation d’un référendum pour l’autodétermination des habitants des peuples sud-

soudanais. Le volet pétrole du CPA est également capital, il prévoit que sur les champs situés

au sud (qui sont de loin les plus productifs), 50% des revenus allant à l’Etat soudanais

reviendront désormais à Djouba (capitale du Sud-Soudan). En d’autre terme, des milliards de

dollars tombent dans les caisses du pouvoir SPLM entre 2005 et le référendum du 9 janvier

2011 qui conduit à l’indépendance du Soudan du Sud en juillet de la même année. La mort de

John Garang, quelques jours après la signature du CPA dans un accident d’hélicoptère,

affaiblit la position des « historiques » du mouvement de lutte contre Khartoum. Garang ainsi

qu’un certain nombre de cadre du régime SPLM comme le futur ministre du pétrole Lual

Deng547 (2010/2011) sont en effet contre l’indépendance du Soudan du Sud car ils pensent

que ce nouvel Etat ne pourrait survivre économiquement. Garang est davantage favorable à 545 Toujours selon le site du Département d’Etat américain. 546 Sur le rôle de l’administration américaine et des lobbys religieux dans l’indépendance du Soudan du Sud, le livre le plus documenté reste celui de Pierre Péan, « Carnages, les guerres secrètes en Afrique », Fayard, publié en 2010. 547 Interrogés directement sur ce sujet.

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une reconnaissance des droits de tous les peuples marginalisés au sein d’un Etat unitaire et

laïc548. Cependant, de 2005 à 2011, les cadres du SPLM, plus jeunes que les leaders

historiques font largement la promotion de l’indépendance, devenue la seule voie acceptable.

Une partie d’entre eux se sont incroyablement enrichies pendant la transition et ils pensent

que l’indépendance sera vectrice d’encore plus d’opportunités d’enrichissement. Ils n’ont de

toute façon pas grande difficulté à convaincre: quoi de plus facile après 50 ans de guerre

civile plus ou moins interrompue, de mobiliser les habitants, dont la plupart ont perdu des

proches, de s’engager derrière l’indépendance. Comme on pouvait s’y attendre, le 9 janvier

2011, les habitants réservent un plébiscite au oui, le Soudan du Sud devient le 54ème Etat

africain. Le début des problèmes commencent.

Aujourd’hui, si les médias généralistes parlent fréquemment de la question pétrolière

lorsqu'ils évoquent le Soudan, le chercheur peut éprouver des difficultés lorsqu'il souhaite

dépasser les connaissances da base qui peuvent se résumer ainsi : "les réserves pétrolières sont

au sud et les infrastructures au nord". Si cette idée n'est pas complètement fausse, elle est très

incomplète car comme nous allons le voir, une partie non négligeable des réserves se trouvent

bien au nord. Si pour le nord, le pétrole n’est pas le seul secteur économique (les produits

agricoles et l’élevage549 y sont puissants et jusqu’à 1999, ils représentaient les principales

exportations), pour le Gouvernement du Soudan du Sud (GoSS), la donne est différente.

Depuis les accords de paix (Comprehensive Peace Agreement) de 2005 entre Omar el Béchir

et John Garang, la quasi-totalité de son budget est basé sur les revenus pétroliers. Tous les

organismes, type bailleurs de fonds (Banque mondiale ou FMI) ou Etats préteurs utilisent, par

commodité, le pourcentage de 98% pour mesurer l’importance du pétrole dans le budget du

Soudan du Sud.

Notre réflexion et nos analyses dans cette sous partie bénéficient de fréquentes conversations

et correspondances avec de nombreux fonctionnaires du nord Soudan, à la société nationale

Sudapet, au ministère du pétrole, y compris Lual Deng l’ancien ministre en charge du secteur

depuis les élections législatives et présidentielles du 11 avril 2010 jusqu’à l’indépendance de

juillet 2011. Au Sud, l’ex ministre de l'énergie Garang Diing Akuong (2010/2011) qui couvre

le secteur du pétrole et de l'électricité nous a aussi beaucoup aidé à comprendre les enjeux.

Enfin, nous avons eu la chance de correspondre avec le secrétaire général de National

548 Marc Lavergne, « Les conflits soudanais, ou l’échec d’un projet d’Etat-nation unitaire et laïc », dans Les Conflits dans le Monde, 2011 549 Voir les travaux de Géraldine Pinauld sur les réseaux de vente de bétail entre l’Afrique de l’est et la péninsule arabique.

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Petroleum Commission (NPC) Haithman Babikir. Cet organisme a eu pour tâche, depuis les

accords de paix de 2005 jusqu’à l’indépendance du Sud, de s'accorder sur les décisions

pétrolières qui concernent les deux entités. Il était dirigé par le président Omar el Béchir ainsi

que son vice-président Salva Kiir (jusqu'en juillet 2011), également président du Soudan du

Sud. Enfin, les rapports de l'ONG américaine Global Witness et les conversations avec ses

chercheurs sur le Soudan ont permis d'appréhender la question essentielle de la validité des

chiffres de production.

Les zones de production et les multiples problèmes frontaliers

Avant de parler des problèmes d’enclavement pour le pétrole du Soudan. Il semble nécessaire

de faire un point sur la localisation des champs pétroliers et des problèmes géopolitiques que

cela entraîne. Seuls sept blocs produisent du pétrole (autour de 450/500 000 barils par jour

depuis 1999) au Soudan. Ils sont tous opérés par des consortiums de compagnies. La plupart

sont conduits par le tandem composé de la société étatique chinoise China National Petoleum

Corporation (CNPC), son homologue malaisienne Petronas et Indian Oil and Natural Gas

Corporation (ONGC). En plus du contrôle de la plupart des consortiums, la domination de la

Chine s'exerce aussi car elle achète les ¾ des cargaisons soudanaises.

A l’indépendance, quelque 350 000 bpj sont produits uniquement sur le territoire du Sud-

Soudan. Cependant, plusieurs périmètres sont situés de part et d’autre de la frontière entre

nord et sud ou dans des zones de litige frontalier comme Abyei. Seul le bloc 6 se trouve

entièrement au Nord, entre les Etats du Sud Darfour et du Sud Kordofan (voir carte ci-

dessous).

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Carte n°38: Blocs pétroliers et projets d’exportation du brut du Soudan du Sud

Sources : Site de la Sudapet, conversation avec Lual Deng.

Le bloc 6 est opéré par le consortium Petro Energy composé de CNPC (95%) et Petronas

(5%) et produit aux alentours de 60/70 000 bpj. Les blocs 5A (25 000 b/j), 1 (50 000 b/j) et 3

(100 000 b/j) sont les seuls à être entièrement au sud, sans contestation des deux parties. Les

autres périmètres font ainsi l'objet de négociations depuis août 2010.

Si la production des blocs 3 et 7 (270 000 bpj), ne pose actuellement pas de problème (elle est

entièrement située au sud), la partie nord du bloc 7 se trouve en revanche au nord. Pour le

moment cette zone située au nord ne renferme pas de champ producteur, mais des découvertes

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y ont été ont réalisées. Il est à envisager la séparation du bloc en deux puis de partager les

éventuels champs des deux côtés de la frontière. Cela ne pose en théorie pas de difficulté, ce

procédé dit "d'unitisation" s'opère très couramment entre deux pays550 ou entre deux sociétés

qui opèrent deux blocs distincts, avec un gisement qui se situe sur deux périmètres.

Cependant, le cas soudanais est un peu particulier car il implique la délimitation de blocs

producteurs et non uniquement des périmètres en exploration. Les blocs 3 et 7 sont opérés par

Petrodar Operating Company composé principalement de CNPC (41%) et Petronas (40%).

Les périmètres 1-2 et 4 (132 000 bpj combinés) dans le bassin de Muglad sont les premiers à

avoir été mis en production en juin 1999. Ils sont opérés par Greater Nile Petroleum

Operating Company (GNPOC) composé de CNPC (40%), Petronas (30%), ONGC (25%) et

Sudapet (5%). Si le bloc 1 appartient bien au Sud, le bloc 4 pose problème car il se situe dans

la région disputé d'Abyei dont la souveraineté n'est pas encore complètement tranchée. Le

bloc 4 est déterminant car il produit plus de 50 000 bpj à lui seul. Or, Khartoum, dans ses

calculs prend déjà en compte ce bloc comme lui appartenant. De même, certaine zone du bloc

2 pourrait a fait l'objet de négociation.

Le sort de la région d’Abyei gisant actuellement dans les Etats du Sud Kordofan et du Bahr el

Ghazal devait être théoriquement scellé lors des discussions entre les deux parties sensées

prendre fin à la proclamation de l'indépendance du Sud-Soudan le 9 juillet 2011. Un

référendum à Abyei était prévu le même jour que le référendum pour l'autodétermination du

Soudan du Sud le 9 janvier, mais il a été annulé. Abyei est le théâtre de nombreuses luttes

ethniques depuis le début de la deuxième guerre civile, en 1983, entre populations Dinka, qui

contrôlent en grande partie la Sudan People's Liberation Army / Movement SPLA/SPLM et

militent pour un rattachement de cette enclave au Sud-Soudan, et les Misseeria qui se sont

battus aux côtés de Khartoum. Abyei n’est pas la seule zone où des conflits sont ouverts entre

le Nord et le Sud pour obtenir la souveraineté. Il y a aussi l’Etat du South Kordofan et celui de

Blue Nile, tous deux abritant des réserves pétrolières.551 Ces deux Etats devaient également

tenir des référendums populaires le 9 janvier 2011 afin de déterminer s’ils veulent rester avec

le Nord ou s’ils préfèrent être sous souveraineté de Djouba. Tout comme Abyei, et pour les

mêmes raisons, la peur de Khartoum de perdre les dernières zones pétrolières qu’il possède, le

conduit à annuler et reporter ces votes. Ces deux Etats restent donc sous domination de

Khartoum. La défense de ces zones stratégiques conduit à des conflits armées. C’est

550 Plusieurs exemples de gestion commune de champ et bassin entre deux Etats existent déjà sur le continent africain (voir partie I). 551 Voir Benjamin Augé, « Le pétrole dans un Soudan éclaté », Politique africaine, 2011.

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notamment le cas de la zone pétrolière d’Heglig (bloc 4) au South Kordofan où les deux

armées s’opposent entre mars et avril 2012. Si c’est bien l’armée du Soudan du Sud qui a

envahi la zone pour faire pression sur le nord au sujet des négociations pétrolières, c’est bien

l’aviation soudanaise qui a causé le plus grands nombre de morts.

Ces conflits le long de la frontière sont également la conséquence de la mésentente profonde

entre Khartoum et Djouba sur le prix à payer par le Sud pour l’utilisation des deux oléoducs

d’exportation allant vert Port Soudan. En effet, la totalité de la production soudanaise est

exportée par ces deux oléoducs, l’un transportant le pétrole des blocs 3 et 7 (principalement

sous contrôle de Djouba) et l’autre allant des permis 1 (sous domination de Djouba), 2 et 4

(partagé entre Djouba et Khartoum). Djouba n’a pas d’autre choix que de passer par ces

oléoducs et négocie ainsi depuis août 2010 un prix de transit avec son voisin du Nord.

L’impossibilité de se mettre d’accord après les multiples médiations de Thabo Mbeki (ancien

président sud-africain) et Meles Zenawi (Premier ministre éthiopien) n’y ont rien changé. En

effet, si Djouba propose 1 dollar par baril, Khartoum considère lui que ce prix doit incorporer

une partie de la perte financière suite à l’indépendance du Soudan du Sud, il propose donc 31

dollars ! Par comparaison, le Tchad donne moins d’un dollar par baril au Cameroun pour

l’exportation de son brut par son territoire. Cette impasse ainsi que les fréquentes accusations

du principal négociateur du Soudan du Sud, le secrétaire général du SPLM Pagan Amum, sur

le vol de cargaisons par le Nord (sans paiement au Sud) a conduit à la baisse de la production

pétrolière au Soudan du Sud à partir de janvier 2012 puis à son arrêt progressive les mois

suivants. Un accord de principe a été conclu en août 2012, après que l’ONU a imposé un

ultimatum, au-delà duquel des sanctions auraient été appliquées. Un prix moyen de 9,48

dollars par baril aurait été accepté par les deux partis, ainsi qu’un paiement de 3 milliards de

dollars par le Soudan du Sud552. Seulement, lors des rounds de négociation sur les territoires

disputés prévus pour septembre 2012 lors de l’écriture de ces lignes, cela ne va pas forcément

être facile. De même, sur la reprise de l’exportation par Port Soudan, le responsable des

négociations Pagan Amum, et également secrétaire général du SPLM, prévient le 3 août553

que le Soudan du Sud va poursuivre ses projets d’indépendance (comprendre en passant par le

Kenya). L’accord d’août 2012 est donc provisoire.

552 Financial Times, 4 août 2012. 553 Financial Times, ibid.

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Les espoirs dans l'exploration pour le Nord

L’extrême nervosité du Soudan concernant les territoires pétroliers frontaliers ainsi que ses

demandes sur le niveau exorbitant du droit de passage sont compréhensibles. En effet, du jour

au lendemain, Khartoum a été obligé d’accepter la perte sèche de quelque 350 000 b/j soit les

¾ des revenus pétroliers du pays. Contrairement au cas angolais qui opère dans une relative

tranquillité près d’1 million de barils par jour dans les eaux territoriales du Congo, la pression

américaine a été forte pour que la partition de la souveraineté du Soudan et donc des revenus

s’opèrent. Il est vrai que l’indépendance du Soudan du Sud n’a pas de conséquence pour les

compagnies pétrolières américaines, seuls les Chinois, Indiens et Malaisiens sont en première

ligne. C’est peut être l’une des différences majeures avec le cas Congo/Angola,

précédemment développé.

Pour le Nord, découvrir de nouveaux gisements est donc devenu vital suite à la baisse

considérable de ses revenus à partir de juillet 2011554. Khartoum est de plus rentré dans une

crise économique sévère avec une inflation galopante, des rationnements d’essence de fait

avec des pénuries d’essence, l’arrêt progressif des subventions sur certains produits comme

l’essence dès décembre 2011555 mais aussi sur le sucre etc…556. Une dévaluation de sa

monnaie de 30% en mai 2012 est un signe que le ministère des finances tente tout pour

sauvegarder une économie en danger557. Le gouvernement essaie de mettre en place des

mesures afin de regagner des marges de manœuvre budgétaire. Selon la mission économique

de France à Khartoum, les revenus de l’Etat du Soudan ont baissé de 23% entre 2011 et 2012,

alors qu’entre 2010 et 2011, ils avaient déjà sensiblement baissé. L’une des mesures phare,

hors de l’arrêt des subventions sur certains produits, est la hausse de la taxe sur la valeur

ajoutée qui est passée de 15 à 17% au début 2012. Depuis l’indépendance de juillet 2011, la

balance des paiements de Khartoum s’est totalement déséquilibrée. Autrefois excédentaire

grâce au pétrole, celle-ci est fortement déficitaire sur un an: 3,2 milliards de dollars

d’exportation quand les importations atteignent 6,6 milliards de dollars, soit plus du double.

554 Selon les accords de Paix du Comprehensive Peace Agreement (CPC) entre le nord et le sud en 2005, le chapitre 3 sur le partage de la richesse stipule que les revenus pétroliers issus des champs au Sud seront partagés à égalité entre les deux parties. La Standard Bank estime dans Southern Sudan : future potentiel shines a torch on current shortcomings, publié sur son site le 12 mai 2010 que le nord a gagné 13 milliards de dollars depuis 2005 et le sud 8 milliards. Khartoum a des revenus supérieurs du fait notamment des champs qu'il ne partage pas avec le Sud, ainsi que de ses raffineries. 555 Africa Energy Intelligence, n°645, 9 février 2012. 556 Multiples discussions avec les responsables de la mission économique française à Khartoum. 557 http://www.iol.co.za/news/africa/sudan-s-bashir-unveils-austerity-plan-1.1321877#.T-GoThfr36c.

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Le territoire soudanais était avant l’indépendance du Soudan du Sud, le plus grand d'Afrique

avec 2,5 millions de km². Or, une très faible partie de cette superficie a été explorée par les

pétroliers, au Nord comme au Sud. Les recherches de Chevron dans les années 1970, n'ont

couvert que les zones frontalières actuelles entre nord et sud. Les sociétés chinoises, arrivées

en 1996, ont décidé de mettre en production les zones les plus faciles où des gisements

avaient déjà été découverts. CNPC a donc mené très peu d’exploration dans des zones

« vierges » en données géologiques disponibles.

Devant l'inéluctabilité d'un Sud indépendant, Khartoum a essayé, mais bien trop tardivement,

d'accélérer le travail des pétroliers présents au Nord ainsi de diversifier au maximum les zones

d'exploration. La société nationale soudanaise Sudapet a même mobilisé à cet effet des engins

de forage supplémentaires en 2010558. Un nouvel appel d’offres a été lancé début 2012 par le

ministre du pétrole Awad Al Jaz afin de proposer six nouveaux permis d’exploration dont une

partie ont déjà été explorés puis rendus (8, 10, 12 B, 14, 15 et 18), voir carte 35. Cependant,

les sociétés qui se sont présentées puis celles qui ont remporté les permis début juillet 2012

ont des capacités limitées voire inexistantes. En effet, pour la première fois depuis les années

1990, aucune des sociétés étatiques chinoises n’a candidaté à cet appel d’offres organisé par

Khartoum. Même constat pour les Indiens d’ONGC et les Malaisiens de Petronas. Ces

sociétés sont conscientes qu’elles n’auraient plus eu aucune chance de se rapprocher de

Djouba en cas de volonté affichée d’accroitre leurs travaux au nord. Les grands gagnants de

ce round sont les Brésiliens de Petra Energia, qui s’étaient rendus à Khartoum en mai 2012,

leur filiale STR Projects, a remporté les blocs 9, 11 et 18 ainsi que le bloc C situé à proximité

de la zone contestée d’Abyei. Petra Energia est une petite société dont les seuls actifs

pétroliers sont dans l’onshore du Brésil. Son directeur général, Otacilio Lang s’active depuis

le début 2012 pour rentrer au Niger et au Tchad voisin. La société basée à Hong-Kong

PetroTrans, et son partenaire, le magnat de l’immobilier et président de Polytech Assets

Holding, Wai Sheun, ont remporté les blocs 15 et 8. Leur nouvelle joint-venture s’appelle

Forever Investments. PetroTrans dispose de 15% et Sheun contrôle le reste559. Le dirigeant de

PetroTrans, John Shaw Tong Shin, n’est pas un inconnu : il a déjà réussi à s’emparer en 2011

des permis de l’Ogaden éthiopien opérés auparavant par Petronas. L’une des surprises

émanant des services du ministre du pétrole Awad Al Jaz vient de l’arrivée au Soudan

558 Conversation avec un ex-directeur de la Sudapet, avril 2010. 559 Africa Energy Intelligence, n°679, 11 juillet 2012.

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d’International Petroleum560 de Frank Timis, qui prend le bloc 10 (proche de Khartoum).

Avec ses permis obtenus au Niger courant juillet 2012, International Petroleum fait une entrée

en fanfare dans la région saharienne. Le bloc 14, opéré précédemment par PetroSA (société

nationale sud-africaine), est désormais développé par Statesman Resources, une junior encore

inconnue basée au Canada. Son PDG, Dougal Ferguson, est actif depuis le début des années

1990 dans des sociétés australiennes parapétrolières et des compagnies dédiées à

l’exploration, comme Adelphi Energy ou Neon Energy. Il a aussi été le responsable de

l’exploration dans la société privée chinoise Brightoil Petroleum, tout comme un autre

directeur de la société, Greg Channon.

Aucune de ces sociétés n’a les capacités de produire seules le brut au nord et c’est inquiétant

pour la pérennité du secteur pétrolier. Aucune major n’a voulu prendre le risque de

s’approcher de Khartoum, soit par peur de s’éloigner de Djouba, soit alors par peur de tomber

sous le coup des sanctions américaines. On voit qu’après l’indépendance du Soudan du Sud,

Khartoum est toujours pénalisé par les sanctions car les investisseurs qui prennent le risque de

s’y implanter sont de tailles moyennes voire petites et les sociétés de grandes tailles que le

pays avait réussies à attirer dans les années 1990 ne sont plus aux côtés du président El Béchir

car elles veulent se rapprocher du Soudan du Sud où la richesse pétrolière est beaucoup plus

importante.

Il y a urgence pour le nord de relancer l’exploration d’un secteur qui a pris du retard et où la

production baisse régulièrement du fait de la maturité des champs (cas similaire au sud mais

dans une moindre mesure). Le ministère du pétrole à Khartoum a accordé avant

l’indépendance des licences sur la mer Rouge, au Darfour, dans le grand nord, dans les

régions proches d'Abyei, principalement à des consortiums dominés encore par des sociétés

d'Etat, souvent asiatiques mais aussi à des petites sociétés africaines. Les résultats ont été dans

l’ensemble assez décevants.

Sur la mer Rouge, trois blocs avait été découpés et attribués: 13, 15 et 16. Le 16, le plus au

nord, est disputé avec l'Egypte, il n'y a donc quasiment jamais eu d'exploration. Le 15 où se

situe la ville portuaire de Port-Soudan est opéré par Red Sea Operating Corporation (CPOC)

composé notamment de CNPC (35%), Petronas (35%) et Sudapet (15%). Deux forages ont 560 International Petroleum est probablement la société pétrolière la plus sérieuse qui soit rentrée en 2012 au Soudan. Son patron, Frank Timis, est un homme d’affaires d’origine roumaine vivant en Australie qui a réussi en l’espace de 5 ans à obtenir des permis pétroliers au Sénégal, Liberia, Niger, Gambie, Sierra Leone, Côte d’Ivoire. Timis est également actif dans les mines en Afrique, notamment en Sierra Leone avec sa société African Minerals. L’homme d’affaires a eu de nombreux démêlés avec la justice notamment en Grande-Bretagne pour avoir fait de fausses déclarations au marché financier.

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été effectués dans ce périmètre en offshore (les premiers de l'histoire pétrolière du Soudan)

entre février et décembre 2010, mais ils ont été décevants. Ce permis a d’ailleurs fait partie de

l’appel d’offres de 2012. Le bloc 13 également opéré par CNPC se situe dans une zone avec

des profondeurs d'eau beaucoup plus importantes. La société chinoise menace depuis 2010 le

ministère du pétrole de se retirer si elle n'obtient pas de meilleures conditions fiscales pour

poursuivre l'exploration. La mer Rouge est pour l'instant peu encourageante, mais les zones

effectivement explorées sont encore très réduites. L’Arabie Saoudite s’y intéresse, des

explorations devraient commencer dans ses eaux territoriales dès 2012.

Dans le Northern State, frontalier avec l'Egypte, le bloc 14 (283 000 km²) a été opéré par la

société nationale Sudapet depuis le départ de la société d'Etat sud-africaine PetroSA en 2009.

Seuls quelques travaux de sismique et de surface ont été effectués. PetroSA, dont c'était la

seule participation dans le pays, est parti à la suite de pressions des Etats-Unis. En effet, le

financement par des banques américaines de l’extension de sa raffinerie de gaz à Mossel Bay

en Afrique du Sud était conditionné au départ du Soudan561. Ce dernier a été très mal reçu à

Khartoum car PetroSA représentait un symbole fort de la coopération entre l'Afrique du Sud

et le Soudan. Ce permis, très difficile, est comme on l’a vu désormais entre les mains de

Statesman Resources.

Dans la région du Darfour (ouest), le seul bloc actuellement en exploration est le 12A dans

l'Etat du Nord Darfour. Le 12B qui était proposé dans l’appel d’offres de 2011/2012 n’a pas

trouvé preneur. Le 12A est opéré par le consortium Great Sahara Petroleum Operating

Company (GSPOC) aux intérêts très "dispersés" à l'image de tous les consortiums opérant

dans le pays. Comme on l’a vu, les sanctions américaines depuis 1997, font que seules des

sociétés n'ayant jamais à traiter avec les Etats-Unis viennent au Soudan, cela est encore plus le

cas au Darfour (pour lequel Omar el Béchir est accusé de crime contre l’humanité par la Cour

pénale internationale de La Haye). GSPOC est en effet composé de Saoudiens (AlQhtani),

Yéménites (Ansan), Soudanais (Sudapet et Hi-Tech), Jordaniens (Dinder), enfin d'un fonds

partagé entre la Libya Oil Holding Limited (fonds de l'Etat libyen) et Petrolin dirigée par

Samuel Dossou. Dossou est un homme d'affaires béninois qui a fait sa fortune en obtenant un

quasi-monopole sur la vente des cargaisons de pétrole gabonais562. Le bloc 12A a fait l'objet

en 2009/2010 d'une campagne de sismique 2D conduisant l'ONG Global Witness à publier, le

3 juin 2010, un communiqué pour réclamer la transparence de l'exploration pétrolière dans

561 Selon le responsable de l’époque du bloc 14 pour PetroSA. Citoyen soudanais ne souhaitant pas être cité du fait de ses activités actuelles dans son pays. 562 Multiples articles sur ce sujet dans Africa Energy intelligence et La Lettre du Continent.

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340

cette zone en conflit. Un premier forage y a été effectué en février 2012 mais GSPOC n’a pas

communiqué sur les résultats. Si des gisements sont mis à jour, Khartoum devra négocier avec

les autorités locales pour leur proposer une part des revenus. La guerre au Darfour a causé la

mort de milliers de personnes, l’arrivée du pétrole dans cette région serait probablement le

début de lutte pour son indépendance563.

Dans les Etats de Khartoum, Al Jazira, White Nile et North Kordofan se trouvent les blocs 9

et 11 autrefois opérés par le groupe pakistanais Zaver Petroleum Group. Trois forages ont été

effectués depuis 2005 mais sans aucune découverte. Zaver a cherché depuis lors des

partenaires, sans succès. Cette zone semble être peu stratégique pour l'avenir. Ils seront

désormais pris en charge par les Brésiliens de Petra Energia. Dans la même région, le bloc 8 a

été opéré par Petronas mais il a été rendu et fait l’objet de promotion depuis 2012 où il a été

attribué à Forever Investments. Trois forages secs ont été effectués depuis 2005. Les

Malaisiens s'y sont longtemps obstinés car en 1983, Chevron avait mis à jour un intéressant

gisement.

Les espoirs de découvertes pour le Nord-Soudan se portent enfin sur le bloc 17 qui se trouve

au nord de la région disputé d'Abyei. Ce périmètre, opéré par le consortium Star Oil composé

du yéménite Ansan (85%) et Sudapet (15%) a lancé sa première campagne de forage en 2011.

Star Oil est dirigé au Soudan par l'ex directeur de la Sudapet Yousif Mohamed Ahmed. Une

fois de plus, la société compte sur des découvertes (Abu Gabra et Sharif) déjà réalisées par

Chevron au début des années 1980.

Pour résumer, les espoirs du Soudan d’accroitre sa production (comprise 100 à 120 000 b/j en

2012) sont assez minces à court terme. La première raison est qu’aucune découverte

significative n’a été faite depuis une décennie. L’autre raison est qu’aucune société

occidentale, possédant encore actuellement les meilleures technologies, n’a exploré le pays

depuis quasiment trois décennies. Et du fait des sanctions américaines qui s’appliquent

toujours sur le Soudan, malgré l’indépendance du Sud, aucune major ou sociétés importantes

ne va se risquer dans ce pays. La grande majorité des petites compagnies présentes lors des

promotions des permis proposés au début 2012 venaient d’Asie et d’Amérique Latine. Or, les

moyens à mettre en œuvre pour découvrir le pétrole au Soudan sont très importants, il ne

563 Le Darfur Peace Agreement ou Doha Agreement, signé en juillet 2011 dans la capitale Qatari envisage la création d’un poste de vice-président du Soudan qui serait occupé par un Darfuri. Cet accord stipule également la création d’une autorité Darfur Regional Authority qui aurait un certains nombres de prérogatives sur la région au détriment de Khartoum.

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341

suffit plus de mettre en développement des champs déjà découverts par les majors

américaines dans les années 1970.

Les espoirs pétroliers pour le Soudan du Sud.

Hors de ses blocs producteurs, 1-2-4 et 3-7 dont certaines zones font l'objet de contestation, et

le 5A, l'exploration du Sud-Soudan est très réduite. Le bloc 5B qui jouxte le 5A dans la région

de l'Upper Nile a été tellement décevant que l'un des partenaires, le suédois Lundin

Petroleum, est parti du pays en 2009. Dans son rapport annuel de 2008 publié le 15 avril

2009, Lundin Petroleum a reconnu que les trois puits d'exploration forés au cours de l'année

2008 sur ce bloc 5B se sont tous avérés secs564. Lundin était la seule société occidentale à

avoir des participations dans un bloc pétrolier au Soudan et à y travailler (contrairement à

Total). Depuis 2010, le 5B est opéré par la société moldave Ascom.

Le bloc le plus intéressant de par sa superficie et les sociétés qui devraient bientôt y travailler

est le périmètre B qui s'étend sur 120 000 km² (1/5 du territoire Français). Ce bloc est opéré

depuis 1980 par Total. La major française (32,5%) est en partenariat avec les Koweïtis de

Kufpec (25%), Sudapet (10%) et la Nilepet (société nationale du Soudan du Sud). Dès le

début de la guerre civile en 1983, la société a arrêté toute exploration. Elle a utilisé la

disposition de "force majeure" qui permet de stopper des travaux en cas d'insécurité ou de

catastrophe naturelle. Khartoum a depuis accepté chaque année de renouveler ses droits. Le

principal partenaire de Total, l'américain Marathon Oil, est parti en 2007 suite aux sanctions

américaines.

A la suite de cette défection, Total propose au printemps 2008 un nouveau partenaire.

Cependant ce dernier, le fonds émirati Mubadala, est rejeté par le gouvernement du Sud-

Soudan qui veut éviter les investisseurs arabes. Depuis 2010 et l'approche du référendum, de

nouvelles discussions ont débuté entre Total et les autorités du Soudan du Sud. Le ministre de

l'énergie du Sud Garang Diing Akuong a été invité en novembre 2010 au siège de la major à

la Défense près de Paris pour discuter des projets à venir565. Total voudrait reprendre ses

activités depuis l'indépendance officielle du Soudan du Sud en juillet 2011 mais pas à

n’importe quel prix. La société a tenté de convaincre le ministre d'accepter le groupe national

Qatar Petroleum pour reprendre les parts de Marathon. Cependant, le ministre des affaires

étrangères de Djouba Nhial Deng Nhial, nous a confirmé en mars 2012 que cela n’était plus à

564 Rapport annuel 2008 disponible à l'adresse suivante : http://www.lundin-petroleum.com. Passage sur le Soudan p. 2 et 3. 565 Africa Energy Intelligence, n°641, 8 décembre 2010.

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342

l’ordre du jour. Et pourtant, à la suite de plusieurs conversations privées avec Garang Diing

en décembre 2010 et février 2011, il s’était avéré que le gouvernement du Soudan du Sud

n’était plus opposé à un investisseur venant du Golfe.

Plusieurs blocs pourraient être attribués au Soudan du Sud en 2012/2013, une carte avec de

nouveaux périmètres devrait être rapidement disponible. Un regain d'intérêt de compagnies

occidentales est à prévoir en cas de levée des sanctions américaines. La secrétaire d'Etat

Hillary Clinton s'y était engagée en cas de bonne tenue du référendum d'autodétermination de

janvier 2011. Cela a été le cas aux vues des satisfécits émanant des diplomaties américaines et

européennes. Cependant, ces sanctions américaines seront difficiles à lever car ceci nécessite

l'aval du Congrès. Or, les lobbies américains religieux chrétiens sont opposés à tout

relâchement de la diplomatie face au Soudan. Cependant, selon l’ex ministre de l'énergie

Garang Diing Akuong, le Sud-Soudan en tant que nouvel Etat, n’est plus tenu par les

sanctions américaines.

La mainmise d'Omar el Béchir et ses proches sur le secteur pétrolier

Afin de montrer combien le ressentiment a pu aisément grandir entre les deux entités

géopolitiques soudanaises pendant la période de transition et mener au résultat inéluctable du

9 janvier 2011, il est nécessaire de se pencher sur la gestion très personnelle et confiscatoire

de l’entourage du président Omar El Béchir du secteur pétrolier. Une personnalité politique

soudanaise est très importante dans cette gestion car elle a façonné toute la politique pétrolière

du Soudan depuis les années 1990. C'est le ministre du pétrole Awad Ahmed Al Jaz, revenu à

ce poste en décembre 2011 qui est le principal responsable de l’architecture du secteur.

Awd Ahmed Al Jaz est un maillon clé du régime d'Omar el Béchir et de son parti, le

National Congress Party (NCP). Quelques mois après l'arrivée de Béchir à la tête de l’État

soudanais, en 1989, Al Jazz devient ministre du commerce. Il a occupé depuis divers postes

ministériels sans discontinuité. En 1994, il prend la tête du ministère de l'énergie et des mines

qui coiffe notamment le secteur du pétrole. Il le quitte pour le ministère des finances en 2007

puis de l’industrie en 2011 avant de revenir la même année au pétrole. Al-Jazz a eu donc

treize ans pour concevoir et mettre en place un secteur pétrolier très étroitement contrôlé par

le président Omar el Béchir566.

566 Selon plusieurs discussions avec des cadres du ministère du pétrole ainsi que de la société nationale Sudapet.

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343

Le président soudanais et Al-Jaz se sont assurés de leur totale mainmise sur le secteur

pétrolier en créant dès 1999 des structures dirigées par des militaires qui leur étaient acquis.

Longtemps piloté par le général Abdel Haffez, le Petroleum Security Department (PSD) est

chargé au sein du très puissant National Intelligence and Security Services (NISS), dirigé par

le général Mohamed Atta al-Moula, de gérer les affaires pétrolières. Al Jaz a rencontré chaque

semaine durant ses années au ministère du pétrole, les patrons de la NISS et du PSD pour

faire le point sur les activités du secteur567. Son successeur au ministère du pétrole en 2007,

Al-Zuber Ahmed Al-Hassan, n'a pas modifié cette organisation. En revanche, le portefeuille

du pétrole du gouvernement de transition est revenu à une personnalité du SPLM en échange

de la prise par le NCP de Béchir du ministère des affaires étrangères. Le ministre du pétrole

nommé en 2010 et qui a gardé son poste jusqu’en juillet 2011, Lual Deng, par ailleurs

membre du SPLM568, a eu certainement moins de poids sur le secteur car il a été "marqué" par

son secrétaire d'Etat Ali Ahmed Osmane, membre du NCP de Béchir.

Cependant, ces divers changements au ministère du pétrole n'ont pas amoindri le poids

concret du NISS. Lorsqu'une société pétrolière lance une campagne sismique ou de forage,

des unités commandos du NISS encadrent les activités sur le terrain. Les pétroliers doivent

alors nourrir, loger et rémunérer ces détachements.

Quelques sociétés proches du pouvoir ont aussi exercé un important contrôle sur le secteur, au

moins jusqu’à 2005 mais probablement encore pendant la transition entre les deux Soudan.

Pour la main-d’œuvre, c’est la compagnie d'Etat Petroneed dirigée par le général Salah Al-

Tayeb, membre du NISS, qui a sélectionné les salariés de la société nationale Sudapet au sein

des différents consortiums. Grâce à nos nombreuses discussions privées avec d'anciens

salariés en janvier 2010, on peut conclure que les rémunérations proposées par Sudapet sont

jusqu'à deux fois plus élevées que celles des sociétés privées. Seulement, pour y travailler, il

est obligatoire d'être membre du parti au pouvoir (NCP). Dans le domaine parapétrolier,

Samasu International Co569 est incontournable. Basée à Londres et dirigée par Idris Taha, un

proche d’Al-Jaz, elle est associée aux principales opérations de fourniture de matériels :

plateforme de forage, générateur électrique, fluides. La proximité de la société avec le pouvoir

rassure les groupes occidentaux qui travaillent avec elle. La famille présidentielle est aussi

567 Discussion avec un ex-dirigeant de Sudapet. 568 Après les dernières élections présidentielles de 2010, le portefeuille du pétrole a été donné à un membre du SPLM en échange du poste de ministre des affaires étrangères pour le NCP. Lual Deng a la particularité d'avoir toujours milité au sein du SPLM contre la séparation du Sud-Soudan, préférant une autonomie du Sud dans un Soudan uni. 569 Africa Energy Intelligence, n°619, 6 janvier 2010.

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344

directement présente dans le secteur via Hi-Tech Petroleum Group qui est liée à Ali Hassan

Ahmed el-Béchir, le frère du chef de l’Etat. Disposant de participations dans les blocs 8, 12A,

C et 15, HTPG a été largement soutenue par l’Etat soudanais. Son ex-responsable Salah

Hassan Wahbi est devenu, au début 2008, le patron de Sudapet.

Cette mainmise des services de sécurité et du parti du président Béchir a été

immanquablement bousculée par l'indépendance du Sud. De même, les sociétés pétrolières et

parapétrolières proches du pouvoir ont désormais probablement des difficultés à garder leur

marché avec les nouvelles autorités du Soudan du Sud. Outre le fait que ces sociétés sont

marquées du sceau des obligés d’Omar El Béchir, elles ont bien du mal à travailler dans un

environnement concurrentiel sans privilège venant du pouvoir. Elles risquent de ne pas

pouvoir s’étendre et de devoir rester cantonnées au Nord. Au Sud, la question est de savoir si

elles vont être remplacées par des acteurs internationaux ou si les sudistes vont chercher à

mettre en place un contrôle similaire.

A cette grande confiscation du secteur pétrolier par les proches du régime de Khartoum,

s’ajoute une grande méfiance des sudistes concernant les chiffres de production durant la

période de transition (2005-2011). L'ONG Global Witness a par l’intermédiaire d’un rapport

Fuelling Mistrust: The need for transparency in Sudan's oil industry publié en 2009, mis en

évidence une importante différence de chiffres de production entre les données venant des

compagnies et ceux communiqués par le ministère du pétrole à Khartoum. Selon ce rapport,

pour l'année 2007, Global Witness constate des différences allant de 9% pour les blocs du

consortium Greater Nile Petroleum Operating Co à 14% pour ceux du Petrodar Operating Co.

La différence atteint même 26% pour Petro Energy en 2005. Lors d'un séminaire organisé le

18 août 2010 à Khartoum avec la participation des sociétés pétrolières, Global Witness et des

services de l'Etat, le ministre du pétrole Lual Deng a affirmé que ces différences étaient dues à

un changement de pression entre la sortie de puits (là où les sociétés pétrolières mesurent le

débit) et le terminal pétrolier de Port Soudan (là où l'Etat fait ses calculs). Argument peu

convaincant. Le ministre a aussi promis le lancement d'un audit du secteur pour les années

2005 à 2009. Cette étude ne devrait cependant pas être lancée avant juillet. C'est le National

Petroleum Council (NPC) où les grandes décisions pétrolières se prennent entre le président

soudanais, Omar el Béchir, et son homologue du Sud, Salva Kiir qui était théoriquement en

charge de cet audit. Cependant, le NPC a été dessaisi mi-février 2011 de tous les dossiers au

profit des commissions de négociations bilatérales créées pour régler les affaires entre les

deux futurs Etats. Si Khartoum prend le parti de la transparence, un audit pourrait contraindre

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345

le nord à payer de très lourds arriérés en cas de mensonge manifeste sur la production durant

les années étudiées. Cela pourrait démontrer que Khartoum a sciemment sous-évalué les

chiffres de production pour redistribuer des revenus plus faibles au Sud. Cependant, si cet

audit est très important pour solder le passé et repartir sur des bases saines, il ne règle pas les

questions d'avenir. Or, à la mi-2012, toujours aucun audit n’avait été officiellement lancé. La

situation pétrolière et politique entre les deux blocs à cette date est suffisamment complexe et

explosive pour éviter de revenir chercher des motifs supplémentaires de litige dans le passé.

Les nombreux enjeux pétroliers non réglés depuis l'indépendance du Sud.

Si la relation a été historiquement très difficile entre les nordistes et sudistes, l’indépendance

n’a pas tout réglée, loin de là. Les dossiers (en particulier celui du pétrole) sur lesquels les

deux acteurs devaient travailler durant les six mois séparant le vote des sud-soudanais le 9

janvier jusqu’au 9 juillet, période de transition prévue par les accords de 2005, a été

insuffisante car elle n’a pas fait avancer la discussion. Si certaines négociations comme celles

sur le partage de la dette ont pu un peu progressé lors de certaines réunions, elles ont été

immédiatement contrebalancées par celles sur le pétrole. Un accord sur ce dernier point

conditionne en effet le partage du fardeau de la dette. Le problème est que le secteur pétrolier,

contrairement aux autres dossiers qui peuvent trouver une solution sur le plus long terme,

impose un règlement rapide du fait de l’enclavement du Soudan du Sud. La grande différence

des positions des deux acteurs, notamment sur le niveau des royalties demandé par Khartoum,

bloque totalement la situation depuis le début 2012 et a conduit à l’arrêt progressif de la

production. Ce pays vit depuis le début 2012 uniquement sur ses réserves en devises (très

réduites) et les aides internationales. Les 700 millions d'euros promis par l'Union européenne

à Djouba en janvier 2012 arrive donc opportunément570, cependant non seulement ils ne

suffiront pas, mais en plus ils ne devraient pas être décaissés en une seule fois. L’Australie a

également donné quelque 29 millions de dollars, en espérant que cela aide les sociétés

australiennes à obtenir des contrats miniers et pétroliers. La visite de l’ancien vice-premier

ministre Tim Fischer le 15 juin dans la capitale du Soudan du Sud témoigne de l’intérêt de

son pays pour le Soudan du Sud571.

Outre le problème des zones particulières et contestées comme Abyei, il faut traiter de

l'utilisation des infrastructures. Les deux oléoducs qui relient les blocs 1-2-4 et 5A ainsi que

des blocs 3 et 7 à Port Soudan sur la Mer Rouge ont tous les deux un statut particulier.

570 Africa Energy intelligence, n°668, 1er février 2012. 571 Africa Energy Intelligence, n°678, 26 juin 2012.

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346

L'oléoduc qui transporte le pétrole dit « Nile Blend » : blocs 1-2-4 et 5A appartient à l'Etat

(l'autre actionnaire étant CNPC). Il est entièrement contrôlé par Khartoum depuis 2012572.

Pour ce qui est de l'oléoduc venant des blocs 3 et 7, le Nord le contrôlera théoriquement

totalement à partir de 2015. Il aurait fallu déterminer comment les deux entités se

partageraient ces infrastructures, indispensables pour l'exportation du brut, ainsi que pour

l'approvisionnement des raffineries. Au ministère du pétrole à Khartoum, il ne fait cependant

aucun doute que les deux oléoducs appartiennent totalement au Nord. Selon des cadres du

ministère de l'énergie à Djouba interrogés en mars 2011, cela est nettement moins évident.

Cependant, c’est bien Khartoum qui contrôle l’accès à la mer. L’arrêt de l’exportation du brut

venant du Sud au début 2012 montre que la solution du pire a été privilégiée. Non seulement

le Sud n’a plus aucun revenu mais le nord perd toute possibilité de taxes provenant de ce

brut573.

Pour ce qui est des trois raffineries, toutes situées au Nord-Soudan, aucun motif de conflit de

propriété du fait de leur localisation. La plus grande transforme 100 000 bpj grâce à un accord

passé avec la CNPC à la fin 2010. Cela pose tout de même le problème de

l’approvisionnement du Soudan du Sud. Auparavant, c’est le Nord qui approvisionnait le Sud.

Dorénavant, l’essence vient principalement du Kenya et de l’Ethiopie.

Au début 2011, lorsque l’optimisme était toujours de mise sur l’issue des pourparlers à Addis-

Abeba entre deux futures entités soudanaises, l'une des grandes interrogations portait sur le

degré d'autonomie économique que le Sud souhaitait acquérir à long terme. L'utilisation des

oléoducs vers Port-Soudan semblait alors incontournable, tout comme l'achat du pétrole

raffiné venant des raffineries du nord. Le cas d’un conflit ouvert ou simple mésentente avec

Khartoum, pouvait laisser augurer d’une politique d'autonomisation graduelle mais pas

davantage. Plusieurs sociétés s’étaient déjà présentées pour aider à cette stratégie. Le groupe

japonais Toyota Tsusho Corp a fait le premier pas en proposant dès mars 2010 aux autorités

du Sud de construire un nouvel oléoduc visant à exporter le brut non plus par Port Soudan

mais par Lamu au Kenya574 (voir carte précédente).

572 La propriété de l’oléoduc fait cependant l’objet d’une procédure d’arbitration internationale. Le gouvernement en réclame la propriété mais les sociétés pétrolières réclament la totalité de leur remboursement. 573 Nous ne pouvons pas présager de la réussite de réussite de l’accord d’août 2012 dont nous avons parlé plus haut. Si le brut reprend sa route vers Port Soudan dans le courant 2012, le Soudan du Sud va obtenir à nouveau des revenus et le Nord devrait pouvoir juguler la crise économique. Cela est susceptible de soulager les deux Etats, mais rien n’empêche d’autres arrêts de la production au Sud, suite à de nouveaux conflits avec Khartoum. 574 Africa Energy Intelligence, 31 mars 2010, n°625.

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347

Cette proposition a une certaine logique car le Japon est le deuxième plus important acheteur

de brut soudanais, cependant, elle semblait à l’époque peu réaliste dans un futur proche. Cette

offre japonaise est arrivée alors que la plupart des spécialistes de la région (y compris les

Norvégiens qui ont aidé au processus de négociation à Addis-Abeba), pensaient que les deux

acteurs étaient contraints de gérer en commun le pétrole. Le calcul (y compris venant de

ministre du Soudan du Sud interrogés par nos soins) étaient qu’en cas d'importantes

découvertes au Sud comme par exemple sur le bloc B de Total, la construction d'un nouvel

oléoduc pour rejoindre celui des blocs 1-2-4, soit entre 200 et 600 kilomètres selon la

localisation exacte du gisement serait posée. Djouba pouvait dans ce cas décider en accord

avec la société pétrolière française de construire un nouvel ouvrage vers le Kenya qui

favoriserait l'indépendance économique et géopolitique du Sud. Cette stratégie aurait été

encore plus crédible si le débit des nouveaux champs découverts ne pouvait pas être

entièrement transporté par les oléoducs existants et qu'un nouvel oléoduc devenait une

nécessité. L'ouvrage partant du bloc 1 qui est le plus au Sud, vers Port Soudan fait 1600

kilomètres, or depuis la partie septentrionale du bloc B de Total jusqu’à Lamu, il n'y a « que »

1400 kilomètres, et vers Mombasa (tracé aussi envisagé) il y a 1600 kilomètres. Il n'y aurait

donc, en cas de découvertes importantes au Sud, nécessitant la construction de nouvelles

infrastructures, aucun intérêt pour Djouba de passer par le Nord. Si d'aventure d'autres blocs

"sudistes" regorgent de nouvelles découvertes, cela ne ferait que renforcer encore un peu plus

le projet.

Seulement, cette méthode de penser l’exportation du brut, consistant à dire « en cas de

nouvelle découvertes au Sud du Soudan du Sud, un nouvel oléoduc sera construit » a fait long

feu. Au fur et à mesure que les négociations s’enlisaient à Addis-Abeba, d’autres sociétés ont

parlé de cet oléoduc, sans préciser que cela serait conditionné par de nouvelles découvertes au

Sud. En d’autre terme, elles proposent leur concours pour un oléoduc qui transporterait le brut

auparavant exporté par Port Soudan. C’est le cas de Total dont le directeur général,

Christophe de Margerie, a déclaré le 7 décembre 2011 lors du World Petroleum Congress à

Doha au Qatar que la construction d’un oléoduc allant de l’Ouganda vers le Kenya pourrait

aussi rejoindre le Soudan du Sud575 (là où la major est également active). Une autre major,

l’anglo-néerlandaise Shell a fait le même type de proposition mais cette fois-ci en voulant

passer par l’Ethiopie en janvier 2012576. Ces propositions ne sont sans doute pas dénués

d’arrière-pensées et ne coûtent pas chers aux sociétés qui les formulent. Total veut reprendre

575 http://www.reuters.com/article/2011/12/07/total-idUSL5E7N72YY20111207. 576 http://mg.co.za/article/2012-01-04-shell-sizes-up-south-sudan-for-oil-opportunities.

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son travail sur le bloc B au plus vite et a besoin pour cela du soutien du Soudan du Sud.

Soutenir son projet d’oléoduc fait certainement partie d’une stratégie globale de « séduction ».

Quant à Shell, qui n’est pas au Soudan du Sud, il regarde les opportunités dans le pays et se

dit que soutenir ce projet un peu « hasardeux économiquement » n’est pas cher payé en cas

d’obtention de permis lors d’appel d’offres futurs577.

Cependant, ce que les observateurs -banquiers d’affaires et compagnies pétrolières

notamment- pensaient encore en 2011 de l’oléoduc entre le Soudan du Sud et le Kenya, c’est-

à-dire un projet chimérique car coûteux, inutile (l’oléoduc existe déjà) et surtout

géopolitiquement dangereux a dû évoluer dès le début 2012. Le durcissement des

négociations entre les deux parties et les accusations de la fin janvier du secrétaire général du

SPLM Pagan Amum sur le vol de cargaison de brut Sud-Soudanais par Khartoum et l’arrêt

progressif de la production au Soudan du Sud à partir de cette date a changé la donne578. Les

Sud-Soudanais ont choisi la politique du pire n’acceptant pas d’être selon eux floués par le

régime du président Omar el Béchir. Cette décision d’arrêter progressivement la production

pétrolière jusqu’au mois d’avril/juin 2012 où elle s’est quasiment arrêtée, fait bouger le seul

acteur véritablement influent dans le conflit : la Chine.

Le rôle de la Chine dans le conflit pétrolier entre les deux Soudan.

Le président Sud-Soudanais se rend pour la première fois en Chine en 2007 alors qu’il est

encore également vice-président du Soudan. Il parvient à faire comprendre la nécessité pour

Pékin de s’investir davantage dans l’économie du Soudan du Sud, ce qui passe par l’ouverture

dès septembre 2008 d’un consulat à Djouba avec quelques salariés.579 Cependant, dans la

grande tradition de non-ingérence de sa politique étrangère, la Chine a officiellement une

attitude neutre jusqu’en 2011. Elle a investi des milliards au Soudan du Nord depuis le milieu

des années 1990580 et elle ne veut pas mécontenter le président soudanais Omar el Béchir qui

lui a ouvert en grand le sous-sol de son pays dès 1996. Au milieu de l’année 2011, constatant

l’inefficacité de sa politique de non-ingérence dont elle pourrait être la grande perdante en cas

d’arrêt de la production, la Chine décide de s’impliquer timidement dans le conflit. Son

ministre des affaires étrangères Yang Jiechi se rend à Khartoum puis à Djouba les 8 et 9 août

577 D’une certaine manière, ces sociétés font exactement le même calcul que Gazprom ou Repsol qui ont proposé la construction de Trans Saharan Gas Pipeline entre le Nigeria et l’Algérie (voir partie I). Si ces sociétés ne croient pas beaucoup à sa faisabilité, elles veulent des permis au Nigeria et savent que cela plaît au pouvoir à Abuja de faire des déclarations en faveur du TSGP. 578 Selon le quotidien kenyan The Nation, 20 janvier 2012. 579 International Crisis Group, China’s new courtship in South Sudan, Africa Report N°186 – 6 avril 2012. 580 Voir à ce sujet le rapport d’International Crisis Group, op. cit.

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2011. Jiechi s’entretient avec le président sud-soudanais Salva Kiir ainsi qu'avec Omar el-

Béchir, et fait valoir que la Chine n'a pas pris position et qu'elle soutient les deux pays afin

d’être considérée comme impartiale. Si cette stratégie de dialogue est appréciée par toutes les

parties, Salva Kiir fait directement pression sur Jiechi afin que la société pétrolière chinoise

CNPC qui a ouvert depuis longtemps un petit bureau de liaison à Djouba le transforme en

siège opérationnel du groupe, aux dépends de celui de Khartoum581. En d’autres termes, il

faut des engagements et des actions concrètes, même si cela doit fâcher le voisin du nord.

Cinq mois plus tard alors que la situation s’est encore envenimée, un des diplomates chinois

les plus chevronnés, Liu Guijin, se rend le 7 décembre à Djouba et le lendemain à Khartoum

pour tenter à nouveau de renouer le dialogue entre les deux Etats sur le dossier pétrolier. Il

rencontre le ministre sud-soudanais de l'énergie, Stephen Dhieu Dau. Guijin connaît bien les

problèmes soudanais, il a été nommé en mai 2007 représentant spécial en charge du Darfour.

Il a également une longue carrière sur le continent: il a été auparavant ambassadeur en

Afrique du Sud et au Zimbabwe, ainsi que diplomate en Ethiopie et Kenya. Ces visites de plus

en plus régulières de hauts diplomates chinois montrent que la non-ingérence est désormais

impossible et que le feu brûle. Seulement, la relative bienveillance de Djouba se transforme

peu à peu en franche hostilité vis-à-vis des intérêts chinois et ce afin d’obliger Pékin de

s’impliquer davantage. Le 22 février 2012, les autorités du Soudan du Sud donnent 72 heures

au directeur général du consortium Petrodar Operating Co., Liu Yingcai, pour quitter le

territoire national582. Petrodar, qui est mené par CNPC et Petronas, opère plusieurs permis qui

sont situés des deux côtés de la frontière entre les Soudan. Ces blocs, le 3 et le 7, produisent à

eux deux 230 000 b/j. Petrodar est également en charge de l'oléoduc transportant le pétrole

depuis ces deux permis jusqu'à Port-Soudan. Liu fait ainsi les frais du peu d'enthousiasme de

sa société (et par extension de la Chine vu que CNPC est à capitaux 100% étatiques) pour la

construction d'un nouvel oléoduc passant par le Kenya afin d'éviter de dépendre de Port-

Soudan.

Le président Salva Kiir se rend une nouvelle fois à Pékin en avril 2012 où il rencontre son

homologue chinois. La Chine joue d’emblée la séduction en offrant 8 milliards de dollars

d’investissements en infrastructures sur deux ans583. Ce prêt pourrait théoriquement être

remboursé en échange de brut. Cependant, en absence de production de brut, il pourrait être

repoussé. La question de la construction de l’oléoduc est discutée directement avec les

581 Africa Energy Intelligence, n°657, 24 août 2011. 582 Africa Energy Intelligence, n°670, 29 février 2012. 583 Tenders Info, 8 mai 2012.

Page 350: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

350

autorités chinoises à Pékin qui semblent plus compréhensives mais qui ne s’engagent

toutefois sur aucun accord. CNPC se refuse d’ailleurs de prendre part à sa construction ou à

être associé d’une manière ou d’une autre au projet584.

Si la Chine ménage toujours son allié historique soudanais, le Japon quant à lui continue de

faire le forcing sur cet oléoduc. Il va réitérer sa proposition de 2010 en juin 2012. Le directeur

général de Toyota Tsusho Corporation Yoichiro Iwasaki se rend le 12 juin à Djouba afin de

relancer le projet d’oléoduc entre le Soudan du Sud et le Kenya. Cependant, Iwasaki met cette

fois-ci toutes les chances de son côté : lors de sa rencontre avec le vice-président sud-

soudanais Riek Machar, il précise que les études de faisabilité sont déjà réalisées et la

question du financement n’en est pas vraiment une car Toyota serait prêt à sécuriser les fonds

sous forme de prêt. Une inconnue de taille demeure cependant : sur quoi garantir un tel prêt

(on parle d’un investissement d’au moins 2 milliards $) alors même que la production

pétrolière est arrêtée et que les concessions sont encore la propriété de la CNPC (Chine),

ONGC (Inde) et Petronas (Malaisie) ? La lutte sourde entre le Japon et la Chine sur ce sujet

d’oléoduc au Soudan du Sud est assez clair.

Pas un mais des projets d’oléoducs

Hors du tracé allant vers le Kenya, le Soudan du Sud a dès la période de transition envisagé

divers scénarii alternatifs. Le ministre du pétrole Lual Deng (membre du SPLM) nous a

confirmé en privé585, que des études avaient été entreprises pour évaluer l'opportunité de

nouveaux ouvrages allant des zones en cours d'exploration vers d’autres pays. Deux tracés ont

été étudiés. Première possibilité : le brut sud-soudanais passerait par le Tchad pour rejoindre

l'oléoduc déjà existant de Doba/Kribi afin d’être exporté par le Cameroun (voir carte de la

partie I, reprise ci-dessous)

584 International Oil Daily, 4 mai 2012. 585 Correspondance datant de janvier 2011.

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351

Source : conversations avec cadres des ministères nigérien et tchadien du pétrole.

Deuxième parcours alternatif : le ministère a testé la faisabilité d’un ouvrage partant de Melut

ou Malakal dans l'Etat de l'Upper Nile puis traverserait l'Ethiopie pour rejoindre Djibouti. Il y

a donc trois parcours différents possibles. Cependant, les deux derniers comportent des défis

sécuritaires très importants. Celui passant par le Tchad et le Cameroun traverserait l’est du

Page 352: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

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Tchad, zone de départ de la quasi-totalité des rebellions contre le président tchadien Idriss

Déby depuis une dizaine d’années. Ces groupes auraient avec cet ouvrage stratégique, une

cible privilégiée pour considérablement affaiblir le chef de l’Etat à N’Djamena. Et ce d’autant

plus qu’une partie de ses groupes sont financés par le Soudan d’Omar El Béchir, ce dernier

étant évidemment opposé à une autonomisation du Soudan du Sud par des oléoducs

alternatifs. Cela semble donc exclu sur le moyen terme, en tout cas, tant qu’aucune solution

définitive ne vient régler le conflit interne au Tchad. Pour ce qui est de l’Ethiopie, le contrôle

strict du territoire par l’armée semble rassurant mais sur les marges du territoire comme en

pays Afar (nord-est), certains mouvements (Afar Revolutionary Democratic Union Front) en

butte au gouvernement central pourraient trouver avec cet oléoduc un moyen en or pour

« s’exprimer ». Or, si cet oléoduc passe par l’Ethiopie puis Djibouti, il devrait passer par la

région Afar.

L'enjeu d'un nouvel oléoduc doit absolument être envisagé au niveau régional. Si le Soudan

du Sud regarde vers le sud, les conséquences de son changement de statut, pays enclavé

depuis juillet 2011, doivent être mises en perspective avec les découvertes ougandaises et

kenyanes. En effet, les importantes découvertes de pétrole dans l'ouest ougandais depuis 2006

modifient en profondeur la géopolitique du pétrole de l'Afrique de l'Est. Les trois blocs

bordant le lac Albert, sont estimés par Tullow Oil entre 1 et 2,5 milliards de barils (niveau de

celles de la République du Congo). Pour exporter ce brut ougandais, pays enclavé et lui-même

peu consommateur, il est indispensable de construire un oléoduc qui irait soit vers Lamu ou

Mombasa au Kenya soit vers Dar Es Salaam en Tanzanie. La décision de s'autonomiser des

infrastructures du Nord-Soudan par les autorités du Gouvernement du Soudan du Sud prend

en compte l'oléoduc ougandais. Un ouvrage partant du Soudan du Sud pour rejoindre celui de

l'Ouganda, ferait ainsi gagner plusieurs centaines de kilomètres de "tuyaux" et rendrait

beaucoup plus rentable l'ouvrage pour les deux parties. Cela est d'autant plus plausible, en

plus de la prise en compte de la relation explosive entre Djouba et Khartoum, que Total est

entré officiellement en avril 2012 (et officieusement dès décembre 2010) sur les blocs

ougandais de Tullow. La major est donc déjà active dans les deux pays en cas de construction

d'un réseau d'oléoduc est-africain.

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353

4-2 Les conséquences régionales des découvertes pétrolières ougandaises.

L’Ouganda a deux choix dans l’utilisation de son pétrole, soit le transformer sur place, soit

l’exporter. Evidemment, l’un n’empêche pas l’autre. La transformation du brut du lac Albert

par l’intermédiaire d’une raffinerie dans le district de Hoïma (voir carte 27) ne fait plus de

doute. Le processus de sécurisation de la parcelle est réglé depuis 2011, la raffinerie devrait

être située dans le sous comté de Buseruka, à 37 kilomètres de la ville d’Hoïma. Outre que

relativement peu d’habitants vivent dans cette zone, le choix s’est porté sur Buseruka car un

mini barrage hydroélectrique (9 MW) sera mis en fonctionnement en 2012586. Il pourra ainsi

permettre à la raffinerie d’être alimentée en électricité. Seulement, tout n’est pas réglé pour

autant. Les 29 000 hectares nécessaires au complexe587, aux habitations pour les salariés, au

petit aéroport et aux industries pétrochimiques vont entrainer le déplacement de près de

40 000 personnes environ588. Des négociations étaient en cours au début 2012 pour savoir

comment dédommager les habitants, comment et où les reloger.

Seulement si la construction d’une raffinerie semble acquise à la mi-2012, sa taille fait encore

débat. Les sociétés pétrolières sont favorables à la construction d’une petite structure

permettant d’approvisionner le pays avec une capacité compris entre 20 et 30 000 barils par

jour. Cela permettrait à l’Ouganda de devenir indépendant du Kenya qui approvisionne la

quasi-totalité du pays en essence. Si un oléoduc existe déjà entre le port kenyan de Mombasa

(d’où provient l’essence) et la ville à l’ouest du pays Eldoret, l’essence doit ensuite emprunter

la route avant d’arriver en Ouganda (voir ci-dessous). La route est longue et parfois mauvaise

pour les camions avant de rejoindre le principal centre de consommation ougandais qu’est

Kampala.

586 http://ugandaradionetwork.com/a/story.php?s=39576. 587 Selon le consultant suisse Foster Wheeler, qui a été mandaté par le gouvernement ougandais pour étudier le projet et le marché en 2010. 588 The New Vision, 27 mars 2012.

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Carte n°39: Oléoduc kenyan et projet d’extension vers l’Ouganda

Source: Kenya Pipeline Company. Ltd.

Les pénuries d’essence sont très fréquentes en Ouganda du fait des obstacles qu’ont à

surmonter les camions afin d’arriver à temps pour livrer les produits pétroliers. La distance

entre Eldoret (où l’oléoduc s’achève) et Kampala est de près de 400 kilomètres soit une bonne

journée de route. Or le président ougandais Yoweri Museveni ne cesse de répéter depuis les

découvertes dans l’ouest en 2006 que le pétrole doit conduire au contrôle des

approvisionnements du pays. Cela s’explique en partie par la colère des taxis amplifiée par

celles des usagers (automobiles et motos) en période de pénurie. Ces dernières peuvent

Page 355: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

355

s’avérer très dangereuses pour le régime589. Il ne faut pas non plus sous-estimer le coût très

important du trajet depuis le port de Mombasa qui rend le prix du litre inabordable pour grand

nombre d’Ougandais.

Seulement, dès le début des découvertes considérées comme commerciales par les sociétés

pétrolières, le président Yoweri Museveni n’a pas voulu en rester là. Il a souhaité construire

une raffinerie avec un objectif plus ambitieux, non seulement l’approvisionnement de son

pays mais aussi celui de toute la région d’Afrique de l’Est. Pour renforcer son point de vue, il

a plaidé sa cause auprès de l’organisme économique régional : East African Community

(EAC). Une étude réalisée par l’EAC en 2007, soit un an seulement après les premières

découvertes, avait d’ailleurs démontré que la région (Kenya, Tanzanie, Ouganda, Rwanda,

Burundi et l’est du Congo-k) consommait quelque 150 000 b/j avec une croissance de l’ordre

de 5%. Or la seule raffinerie de la région est celle de Mombasa (Kenya) dont l’état est

vieillissant et la production tout à fait insuffisante, même pour le seul Kenya. Cette situation

renforce dès 2009 le nouveau ministre ougandais de l’énergie Hilary Onek qui s’exprime ainsi

lors de la conférence de l’EAC à Mombasa au sujet de la raffinerie ougandaise :

“Our objective is to process the oil. We don't want to export it... Our aim is to get an

economic return, to get jobs (and) investment. We don't want anything raw to get out590 ».

Notre objectif est de transformer localement le pétrole. Nous ne voulons pas l’exporter. Notre

but est d’avoir un retour économique direct, de créer des emplois localement et d’attirer des

investissements. Nous nous voulons exporter rien de brut.

Ce point de vue de 2009 reflète totalement celui du président Yoweri Museveni. Ce dernier

confie d’ailleurs l’étude de faisabilité de ce projet au consultant suisse Foster Wheeler qui lui

remet son rapport en octobre 2010 appuyant très largement les options de son commanditaire.

Foster Wheeler défend la construction d'une raffinerie à Hoïma, dans l'ouest du pays, plutôt

qu’un pipeline de 1 500 km destiné à exporter le futur pétrole brut via Mombasa. Le rapport

de Foster Wheeler estime à un milliard de dollars le coût d’une raffinerie d’une capacité de

transformation de 150 000 barils de brut par jour, et à 2 milliards de dollars si cette capacité

est portée à 350 000 barils. Foster Wheeler évalue à 1,7 milliard de dollars le coût d'un

pipeline, option qui engendrerait selon lui la nécessité d'installer plusieurs stations le long du

pipeline afin de retirer la paraffine contenue dans le pétrole brut et qui se solidifie à

589 Daily Monitor, 20 octobre 2011, 13 septembre 2005. Le problème des pénuries en Ouganda du fait de problème au Kenya est ancien, on en trouve la trace déjà en 1983 dans le New York Times du 2 janvier. 590 “New Oil Policy Set for Uganda; Government Intent on Construction of Refinery”, Global Insight, IHS, 8 avril 2009.

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température ambiante591. Le gouvernement s’appuie sur ce rapport pour négocier avec les

pétroliers pour s’engager derrière un projet qui alimenterait non pas le pays comme il était

prévu au début des découvertes, mais bien la région entière. Seulement ce rapport sous-estime

considérablement le coût d’une raffinerie. Actuellement, une usine de 150 000 b/j coûte

probablement entre 3 et 6 milliards de dollars et non 1 milliard comme l’écrit Foster

Wheeler592.

Cependant, l’hypothèse d’une structure régionale doit prendre en compte deux facteurs

essentiels sur lesquels le gouvernement ougandais ne peut pas passer outre : le financement du

projet (qui va financer un tel ouvrage, le trésor ougandais en est totalement incapable) et le

marché disponible (y-a-il une certitude que les 150 000 b/j seront bien consommés dans la

région et seront-ils compétitifs ?).

La raffinerie d’Hoïma, quelle taille et pour quel marché ?

On voit bien que peu à peu, la quantité de pétrole découvert dans l’ouest ougandais a été

perçue par le président Museveni comme un moyen de pression face aux pétroliers. Tout doit

être raffiné sur place et rien ne doit être exporté. Seulement qu’en est-il de la réalité du

marché du raffinage en Afrique de l’Est et plus largement à l’échelle africaine? La raffinerie

de Mombasa transforme actuellement 32 000 b/j soit 1,6 million de tonne/an593. Cela ne

représente même pas la moitié de la consommation du Kenya estimée à 78 000 b/j avec une

croissance très rapide. La consommation de la deuxième économie régionale, la Tanzanie est

de 38 000 b/j, quant à l’Ouganda, son économie requiert actuellement 14 000 b/j ; enfin, le

Burundi (3 000 b/j) et le Rwanda (6 000 b/j) complètent le tableau régional594. On arrive déjà

à 139 000 b/j, si l’on compte le Soudan du Sud ainsi que l’Est de la République démocratique

du Congo, on atteint facilement les 150 000 b/j d’essence, de diesel et de fuel consommés

dans la région. En ce sens, l’étude de l’East African Community est vérifiée par les faits. Il y

a donc en théorie un marché pour plus de 100 000 b/j si on soustrait les capacités actuelles de

591 La Lettre de l’Océan Indien, n°1297, 20 novembre 2010. 592 Les chinois ont construit deux structures au Niger et au Tchad de 20 000 b/j chacune (voir partie 1). Le coût par unité était proche d’1 milliard de dollars alors que la capacité est 8 fois moins importantes que celle que préconise Foster Wheeler. 593 East Africa Business Week, 9 juillet 2012. 594 Les chiffres sur la consommation pétrolière des pays africains sont très difficiles à obtenir et à vérifier, seul le « CIA Factbook » donne des ordres de grandeurs sur son site internet, il faut ensuite joindre chaque ministère pour avoir une idée de la pertinence de ces chiffres. Pour la RDC, les chiffres officiels n’ont pas exemple aucune crédibilité, sa consommation étant estimée à moins de 20 000 b/j pour 70 millions d’habitants. Une bonne partie des cargaisons d’essence arrivent par contrebande d’Angola, de Zambie ou par l’est du pays.

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357

la raffinerie de Mombasa avec en plus en ligne de mire la croissance importante de la

consommation de cette région.

Seulement plusieurs éléments très importants sont à prendre en compte dans cette équation

régionale. Premièrement, le marché du raffinage est en plein bouleversement depuis une

dizaine d’années. L’association des raffineurs africains (ARA) dont le siège est à Abidjan

s’inquiète constamment pour la survie des raffineries africaines. Celles-ci sont très peu

rentables car elles ont une taille relativement limitée (en dehors de l’Afrique du Nord et de

l’Afrique du Sud), aucune d’entre elles n’atteint les 100 000 b/j transformés. Elles ont aussi

des frais de structure très élevés du fait d’un manque d’entretien régulier. Cela fait que

plusieurs d’entre elles fonctionnent loin de leur capacité initiale (Sénégal, Gabon, Nigeria,

Ghana, Zambie, la SIR en Côte d’Ivoire faisant exception). Ces faits entrainent l’importation

de plus en plus importante de produits pétroliers dans les pays où il y a déjà une raffinerie

(comme au Kenya) car le prix modique du baril transformé dans les structures du golfe

Persique rendent non rentable l’essence transformée localement. Par exemple, la raffinerie de

Mina Al-Ahmadi Refinery au Koweït produit 470 000 b/j, l’Arabie Saoudite possède six

raffineries de plus de 400 000 b/j. En définitive, les raffineries du Golfe, très excédentaires

par rapport à la consommation locale exportent énormément sur la côte est-africaine et

empêchent toute usine de transformation de grande importante de s’y implanter. De ce fait, la

tendance pour les raffineries africaines, assez anciennes, est de les transformer en cuve de

stockage pour accueillir l’essence importée. C’est le cas de l’usine de Ndola en Zambie

approvisionnée par un oléoduc partant de Dar es Salaam. Elle ne transforme plus de brut

depuis quelques années595.

Au delà la menace des produits venant du golfe et dont le prix risque d’être de plus en plus

compétitif (ces pays sont de gros producteurs de brut et ne sont pas soumis aux mêmes aléas

des cours internationaux du brut), il y a la menace à court terme des raffineries indiennes. Ce

pays asiatique qui produit très peu de pétrole (800 000 b/j) par rapport à sa consommation (3

millions b/j) s’est donné comme objectif de devenir un hub mondial du raffinage. Un exemple

avec la société privée Reliance qui a inauguré en 1998 à Jamnagar (dans l’Etat du Gujarat) la

plus grande raffinerie du monde : 668 000 b/j. Dix ans plus tard, l’extension de l’usine lui

permet de transformer 1,24 million b/j. A court terme, ces structures ultra rentables pourraient

venir concurrencer celles situées en Afrique, le coût du transport étant totalement amorti par

le gain de compétitivité obtenu grâce à la taille des usines indiennes.

595 Discussions avec des cadres de l’ARA.

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358

L’autre crainte quant à la construction d’une raffinerie de taille régionale à Hoïma, repose sur

son environnement immédiat : quel devenir peut avoir la raffinerie de Mombasa ? Cette

dernière appartient depuis 2009 pour 50% à la société privée indienne Essar596 (le reste étant

détenu par l’Etat kenyan). Essar opère de nombreuses raffineries en Inde, notamment celle de

Gujarat (405 000 b/j). Or le projet des Indiens lors de leur arrivée au Kenya était d’accroitre la

capacité actuelle de Mombasa de 1,6 million de tonne par an (32 000b/j) à 4 millions de

tonnes par an (80 000 b/j) afin de répondre à la consommation du pays. Essar a été lente à

réellement débloquer les fonds pour que ce projet se réalise car elle a eu peur que l’Ouganda

développe un projet concurrent de son côté. Le directeur général d’Essar Prashant Ruia a

rencontré le 8 septembre 2010 le président Ougandais Yoweri Museveni avec le ministre des

affaires étrangères Moses Wetangula afin d’éviter la construction de deux projets

concurrents597. Constatant la lenteur de décision des ougandais où le projet de raffinerie

d’Hoïma est encore loin de voir le jour, Essar et le gouvernement kenyan ont annoncé en

juillet 2012 qu’ils allaient améliorer la raffinerie de Mombasa et accroitre sa capacité grâce à

un financement de 250 millions de dollars de la banque sud-africaine Standard Chartered598.

Cette décision empêche l’Ouganda de lancer un projet régional car le marché kenyan sera, si

ce projet est exécuté, alimenté à terme par Mombasa.

A toutes ces difficultés liées aux capacités excédentaires du golfe, de l’Inde et à l’amélioration

de l’usine de Mombasa, le projet d’Hoïma doit aussi faire face à une crise du crédit. Aucun

projet de raffinerie n’a pu être financé en Afrique depuis une vingtaine d’années. Seules les

deux petites structures au Niger et au Tchad (20 000 b/j chacune) construites et financées par

la Chine ont pu voir le jour car elles représentaient des conditions pour l’accès aux ressources

pétrolières de ces pays (voir partie I). L’exemple le plus parlant de ce problème du crédit en

Afrique est celui de l’Angola et la raffinerie de Lobito. Ce projet de 200 000 b/j est en

discussion depuis les années 1990599 mais il n’a jamais trouvé les financements nécessaires

alors que le pays produit quelque 1,8 million de b/j. Il n’a donc aucun problème pour se

procurer le brut, ni pour garantir les prêts nécessaires à la construction grâce à sa manne

pétrolière. L’Angola qui possède uniquement une petite centrale à Luanda, est donc contraint

d’importer une partie de sa consommation d’essence (cas identique au Nigeria). Avec la crise

financière de 2008, le financement de raffinerie en Afrique est devenu encore plus délicat. Le

ministère de l’énergie à Kampala est donc peu à peu en train de réaliser que si les compagnies

596 Africa Energy Intelligence, n°602, 8 avril 2009. 597 Africa Energy Intelligence, n°635, 15 septembre 2010. 598 East African Business Week, 9 juillet 2012. 599 La Lettre du Continent, °293, 13 novembre 1997.

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359

sur son sol, en l’occurrence Total, CNOOC et Tullow Oil, ne veulent pas financer une

structure de dimension régionale, celle-ci ne verra jamais le jour. Or, c’est bien cela qui

empêche Kampala de rêver à son projet régional: les pétroliers ne veulent pas financer une

grande structure car ils n’y croient pas et il est beaucoup plus rentable pour eux d’exporter la

plus grande partie du pétrole par un oléoduc. Cela s’explique par le fait que le pétrole exporté

est vendu en fonction des cours (avec une décote plus au moins grande selon la qualité du

brut) alors que celui vendu à une raffinerie peut être soumis à des contrats de long terme

beaucoup plus contraignants et moins rémunérateurs, en particulier dans une période où le

brut est structurellement assez élevé. S’il est très probable que les sociétés pétrolières en

Ouganda participent au financement de la raffinerie d’Hoïma, non seulement ils ne le feront

pas seuls, l’Etat devrait prendre une part significative du risque du crédit, mais en plus ils ne

s’engageront jamais derrière un projet de dimension régionale. Notons que certains sous-

traitants de CNOOC sont d’ailleurs intéressés pour construire l’ouvrage600.

Les découvertes pétrolières depuis 2006 ont pu un moment donné changer le statut de

l’Ouganda, jusqu’alors à la remorque du Kenya au niveau économique et même politique, en

particulier au sein de l’East Africa Community (AEC). Cependant, le levier de ce

changement, l’approvisionnement en essence de la totalité de la sous-région, semble très

compromis comme on l’a vu. Le Kenya qui a de plus découvert du pétrole début 2012, les

quantités sont encore inconnues du fait du manque de recul lors de l’écriture de ces lignes,

risque de rester encore pour longtemps le poumon économique de l’Afrique de l’Est.

L’exportation du brut ougandais

La faiblesse de l’hypothèse d’une raffinerie régionale, fortement compromise en Ouganda

pour les raisons déjà évoquées plus haut, nous conduit à privilégier une exportation massive

du brut du lac Albert. Les pétroliers tablent désormais sur un début d’exportation entre 2016

et 2017 avec des productions pilotes quelques mois avant601. Le débit ougandais pourrait être

compris entre 200 et 250 000 b/j soit assez proche de pays comme le Gabon ou la République

du Congo. Depuis les découvertes, plusieurs scenarii ont émergé pour exporter ce brut piégé

dans un pays totalement enclavé. Les dirigeants de Tullow Oil parlent dès 2009 de trois ports

sur la côte Est du continent : Dar es Salaam en Tanzanie ainsi que Lamu et Mombasa au

Kenya. Il n’y a aucun intérêt à passer par le Kenya puis par l’Ethiopie et Djibouti car il serait

alors nécessaire d’obtenir l’accord de trois pays (et accessoirement leur verser à tous des

600 Africa Energy Intelligence, n°671, 14 mars 2012. 601 Conversation avec des cadres de Total à Kampala, octobre 2011.

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royalties) ainsi que traverser la région éthiopienne de l’Ogaden, toujours en butte au pouvoir

d’Addis-Abeba. Le passage par le Soudan du Sud est également à exclure du fait des

problèmes que l’on a décrit entre Djouba et Khartoum. Le passage par l’ouest est également

compromis, la partie Est de la République démocratique du Congo est loin d’être pacifiée

(notamment du fait du mouvement du M23 en activité depuis le début 2012), de plus la côte

atlantique est très lointaine. Du côté de Kinshasa, le ministère des hydrocarbures n’envisage

pas sérieusement d’exporter le brut de l’Ituri par son propre territoire, il n’y a pas d’autres

issues que de rejoindre l’oléoduc qui partira de l’Ouganda pour rejoindre la côte sur l’océan

Indien602. Il n’y a donc bien que les solutions kenyanes ou tanzanienne qui semblent encore

résister à l’analyse. La Tanzanie, pays relativement pacifié (hors de problèmes institutionnels

avec Zanzibar603) avec lequel l’Ouganda a de bonnes relations n’a cependant jamais vraiment

été au cœur de la stratégie de négociation sur ce projet. Le projet couterait probablement plus

cher que ceux via le Kenya (Hoïma/Dar es Salaam sont à 1670 kilomètres), de plus, ce trajet

ne permettrait pas de contourner les chaines de montagnes du rift est-africain au Kenya. Ce

tracé par la Tanzanie aurait même davantage de relief du fait du passage dans la zone nord-est

du pays (à proximité du lac Manyara, du Kilimandjaro et de la région de Tanga) qui est le

prolongement du grand rift est-africain du Kenya. En 2012, on n’évoque plus vraiment

l’utilisation du territoire tanzanien pour exporter le pétrole ougandais. Les pétroliers se

retrouvent désormais devant deux choix : Lamu au nord du Kenya ou Mombasa su Sud de ce

même pays.

4-3 Le Kenya comme nouveau hub pétrolier

Les deux projets kenyans pour l’exportation du brut ougandais (et peut être sud-soudanais et

congolais) sont très différents. D’abord Lamu, qui se trouve sur la carte 41 est actuellement

un port très petit. Lamu, archipel de petites îles (dont les plus grandes sont Lamu, Manda et

Pate) est davantage connu par les touristes occidentaux qui apprécient ses eaux bleues, son

calme et la nature peu domestiquée. Ce tableau a été d’ailleurs quelque peu écorné par

602 Le rapport d’International Crisis Group « L’or noir au Congo : risque d’instabilité ou opportunités de développement» sorti en juillet 2012 et auquel nous avons participé, fait référence au fait que le gouvernement congolais « envisage de construire un oléoduc de plus de 6 500 kilomètres reliant l’Est du pays à la côte Atlantique » dans un document « Hydrocarbures du cœur de l’Afrique à l’Atlantique », de la Chambre de commerce Italie Afrique Centrale, 13 décembre 2010. Cependant, ce type de projet très onéreux et dangereux n’a aucune chance de voir le jour. Aucun cadre du ministère des hydrocarbures à Kinshasa ne trouvent sérieuse cette hypothèse. 603 L’archipel de Zanzibar demande notamment un nouveau partage des compétences avec l’union de la Tanzanie. Notamment sur les questions liées à l’exploration pétrolière, Zanzibar ne veut plus avoir à faire aux autorités de Dodoma/Dar es Salaam, cela bloque d’ailleurs depuis près de dix ans toute exploration pétrolière dans la zone. Source : Conversations privées avec le ministre des hydrocarbures de Zanzibar Mansoor Y Himid, députés tanzaniens et cadres de l’organisme de régulation de l’énergie en Tanzanie, l’UWERA, juin 2012.

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361

l’enlèvement puis la mort de la touriste française, Marie Dedieu, le 1er octobre 2011. Cette

dernière avait une petite maison à Lamu et elle s’est fait kidnapper par les Shebab somaliens.

La frontière avec la Somalie n’est en effet qu’à quelques dizaines de kilomètres au nord de cet

archipel. Le Kenya a en tête depuis 1975 la création du Lamu Port and Lamu Southern Sudan-

Ethiopia Transport Corridor (LAPSSET), projet qui viserait à construire un port en eau

profonde, une ligne de chemin de fer qui partirait de la capitale du Soudan du Sud (qui

passerait aussi par Addis-Abeba), une raffinerie, un oléoduc et des aéroports. En d’autres

termes un projet gigantesque estimé à plus de 20 milliards de dollars, qui trente ans après son

esquisse est toujours dans les cartons. Actuellement, Lamu n’a pas de port en eaux profondes

afin d’accueillir les gros tankers qui viendraient réceptionner le brut ou amener des produits

pétroliers. C’est donc un projet entier à construire avec des travaux gigantesques à réaliser

avec trois enjeux majeurs à surmonter: le terrorisme venant de la Somalie (loin d’être

éradiqué), les défis environnementaux du fait d’une zone naturelle avec de nombreuses

espèces d’animaux protégés604 et enfin le tourisme, secteur parmi les plus importants pour

l’économie kenyane (même si cette zone abrite davantage un tourisme de voyageurs fortunés

en nombre relativement limité).

Ce projet semble cependant avancer plus rapidement depuis l’indépendance du Soudan du

Sud car ce pays est totalement dépendant des produits venant de l’Ethiopie, du Kenya et de

l’Ouganda pour sa survie depuis que la relation avec Khartoum est à nouveau très difficile. Le

Kenya a lancé symboliquement les travaux de construction du LAPSSET début 2012 avec

comme premier objectif la construction du port en eau profonde (18 mètres de tirant d’eau).

Une inauguration des travaux a même réuni le 2 mars 2012 à Lamu le président kenyan Mwai

Kibaki, le premier ministre Ethiopien Meles Zenawi et le président sud-soudanais Salva

Kiir 605. Plusieurs bailleurs de fonds comme la Banque africaine de développement (BAD) se

sont déclarés intéressés pour le financement de ce projet606, le conseil d’administration de

cette organisation a prévue de statuer sur le LAPSSET à la fin de l’année 2012607.

Cependant, le gouvernement kenyan n’a pas suffisamment de moyens pour gérer ce projet

seul, tant que les bailleurs ne se sont pas décidés. A chaque visite d’un chef d’Etat au Kenya,

le président Mwai Kibaki, en fonction depuis 2002, ne cesse de vanter les avantages d’investir

dans le projet de Lamu. Cela a été par exemple le cas avec le premier-ministre sud-coréen

604 La zone est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO. 605 Sudan Tribune, 8 mai 2012. 606 Mena Report, 25 avril 2012. 607 http://www.afdb.org/fr/projects-and-operations/project-portfolio/project/p-z1-d00-019/.

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362

Kim Hwang-sik en visite le 9 juillet 2012 à Nairobi. Ces initiatives font suite à de nombreuses

désillusions et déconvenues. Le Qatar s’était par exemple engagé lors d’un séjour à Doha de

Kibaki en décembre 2008 à prêter quelque 3,5 milliard de dollars en échange de terre arable

au Kenya608. Mais cela a tourné court609. C’est ensuite la Chine qui a repris en main le projet

après la visite du ministre des affaires étrangères chinois Yang Jiechi en janvier 2010610. Le

ministre s’est dit intéressé et a promis qu’il demanderait aux sociétés d’Etat chinoises de

nouer des partenariats avec des sociétés locales kenyanes afin de faire avancer le projet.

Cependant, à la mi-2012, le projet est toujours au point mort. La Chine qui en théorie aurait

tout à gagner à construire ce port (qui n’est que la phase 1 du projet LAPSSET) afin de sortir

le pétrole que ses sociétés produisaient jusqu’en février 2012 au Soudan du Sud est hésitante.

Elle craint que cela soit mal interprété à Khartoum et que cela lui nuise dans un pays où elle

contrôle une bonne partie de l’économie notamment dans la construction et où elle a investi

d’importants montants depuis le milieu des années 1990611. Ce projet kenyan ne pourra pas

voir le jour tant que les organismes type Banque mondiale, Banque africaine de

développement ou Union européenne (par l’intermédiaire de la Banque européenne

d’investissement) ne seront pas directement impliqués. Même la Chine ne peut pas financer

un tel projet seule. Il n’est pas à exclure que tous ces pays et organisations attendent les

élections présidentielles kenyanes du début 2013 avant de se décider franchement. Les

dernières élections de décembre 2007 avaient en effet causé la mort de plus de 1000

personnes suite à des conflits ethniques liés à des fraudes612. Depuis lors, les investissements

étrangers au Kenya ont considérablement ralenti avant de reprendre timidement en fin de

mandat de Mwai Kibaki.

L’option d’un oléoduc Lac Albert/Mombasa

Les pétroliers Tullow/CNOOC et Total dont l’intérêt est de sortir le pétrole au plus vite

devraient privilégier le projet d’exportation le plus faisable et le plus sûr. Or, si l’hypothèse de

Lamu peut paraitre séduisante, ce projet est long (1490 kilomètres) et va devoir se confronter

à des problèmes de reliefs importants, le trajet présente enfin l’énorme désavantage de

nécessiter la construction d’un oléoduc ainsi que d’un port en eau profonde avant d’être

608 Xinhua, 1 décembre 2008. 609 Agence France Presse, 6 janvier 2010. 610 Ibid. 611 International Crisis Group, “China’s new courtship in Sudan”, Africa report, n°186, 4 avril 2012. 612 Pour plus de détails, voir le briefing d’International Crisis Group de février 2008 : http://www.crisisgroup.org/fr/regions/afrique/corne-de-lafrique/kenya/137%20Kenya%20in%20Crisis.aspx. Ou alors Jean-Christophe Servant, Affrontements très politiques au Kenya, Le Monde diplomatique, février 2008.

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363

opérationnel. Cela semble au regard de ce qui est connu des financements du LAPPSET, un

pari très risqué alors que les réserves sont déjà là et attendent juste d’être sorties de terre.

L’autre option, celle de Mombasa, possède une qualité essentielle que le tracé vers Lamu

n’a pas: le port en eau profonde est déjà construit et fonctionne relativement bien. Cela lève

une importante inconnue. S’il faut probablement prévoir la construction d’un terminal spécial

à Mombasa, les tankers peuvent accoster depuis longtemps dans la ville côtière pour livrer la

raffinerie en brut ou remplir les cuves de stockage en produits pétroliers. Ces derniers

repartant directement dans la sous-région comme on l’a vu. Une autre des qualités de ce tracé

est le nombre de kilomètres qui séparent Hoïma et Mombasa soit 1308. C’est donc le chemin

le plus court et celui qui possède déjà une partie des infrastructures nécessaires.

En effet, les produits pétroliers arrivant à Mombasa partent vers Nairobi puis Eldoret par

l’intermédiaire du réseau d’oléoduc déjà existant (carte n°40). L’Ouganda et le Kenya se sont

mis d’accord en 1993 pour prolonger cet oléoduc vers Kampala (soit 320 kilomètres) afin

d’éviter ce problème de transport par camion qui entraîne les pénuries d’essence613. Ce

processus a connu une première avancée en 1997 lorsque la Banque européenne

d’investissement (BEI) a financé une étude de faisabilité faite par le cabinet Penspen pour

250 000 euros614. Penspen conclut à l’époque que le projet est faisable pour 100 millions

d’euros. Cet oléoduc est également prévu pour être étendu vers le Rwanda et Burundi. En

2001, le gouvernement kenyan organise un appel d’offres pour une étude de faisabilité plus

poussée de 8 millions de dollars, financés entièrement par la société étatique Kenya Pipeline

Corporation (KPC) qui gère le réseau. Le cabinet britannique Nexen ltd qui la réalise en 2002

considère que cela serait très rentable pour des pays comme l’Ouganda, l’Est de la RDC et le

Rwanda et que les conséquences pour l’environnement seront très réduites615.

Il faut cependant attendre 2004 pour qu’un appel d’offres soit finalement organisé pour la

construction d’un tel ouvrage entre Eldoret et Namanve (banlieue de Kampala). Les

compagnies apparemment convaincues du potentiel économique que le rapport de Nexen

souligne sont nombreuses (22) et diverses : Asie, Afrique, Europe, Etats-Unis. C’est

finalement les Libyens de Tamoil qui remportent en janvier 2007 le contrat en proposant 71,5

millions de dollars alors que les candidats les plus proches : China Pipeline Construction

Company et le consortium Misa/Shell, ont respectivement proposé 125 millions de dollars et

613 Africa Energy Intelligence, n°263, 23 novembre 1994. 614 Africa Energy Intelligence, n°380, 10 novembre 1999. 615 La Lettre de l’Océan Indien, n°1007, 31 août 2002.

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364

135 millions de dollars616. En plus de la proposition, pour le moins très basse de Tamoil, cette

dernière a aussi l’immense avantage d’avoir un puissant représentant sur place: Habib

Kagimu617.

Cependant, les découvertes pétrolières en Ouganda à partir de 2006 changent la donne du

projet initial. Prévoyant que la production de pétrole en Ouganda allait rendre l'oléoduc inutile

au bout de six ans, Tamoil propose aux autorités kenyanes et ougandaises en mai 2009 de

construire un ouvrage à double sens. Dans un premier temps, l’ouvrage transporterait de

l’essence du Kenya vers l'Ouganda puis, dès que la production ougandaise serait suffisante,

les produits pétroliers (ou le brut) iraient dans l'autre sens. Ce type d’oléoduc (appelé dual

carriage) passe cependant de 71 millions de dollars à 320 millions de dollars618.

Le projet de Tamoil n’a cependant pas avancé pour plusieurs raisons. D’abord, il a été ressenti

par les Etats concernés comme trop coûteux: le Kenya et l’Ouganda ont fait d’ailleurs

pression sur la société libyenne pour qu’elle revoit le prix à la baisse. De plus, l’accroissement

des découvertes ougandaises a rendu peu à peu les ougandais très réservé sur le projet. Décidé

avant que l’Ouganda mette à jour toutes ses réserves, ce projet a évolué considérablement

depuis 2007. Si Tamoil a décidé de proposer l’idée de l’oléoduc à double sens, cela a rendu le

projet complexe et d’une autre nature et donc d’une certaine manière Tamoil a remporté un

projet qui n’est plus du tout nécessaire quelques années plus tard. Enfin, Tamoil qui appartient

au fonds d’investissement d’Etat libyen Libyan African Investment Portfolio (LAIP) a fait

partie du régime de Mouammar Kadhafi qui est tombé en 2011. Les gouvernements bien

contents de se débarrasser de ce contrat, l’ont donc annulé dès le milieu 2011 arguant que la

société Tamoil ne pouvait désormais plus honorer ses engagements du fait de la chute du

régime. La Lettre de l'Océan Indien daté du 30 août 2011 interroge le secrétaire général du

ministère kenyan de l'énergie, Patrick Nyoike, qui s’exprime ainsi :"les gouvernements du

Kenya et d'Ouganda estiment qu'étant donné la situation en Libye, Tamoil ne peut plus

réaliser ce travail". La chute du régime libyen arrange bien les affaires des deux Etats qui

devraient organiser en 2012/2013 un nouvel appel d’offres pour un projet très différent: relier

Hoïma à Mombasa en passant par Kampala (comme le tracé en vert sur la carte ci-dessous le

montre). Il devrait alors dupliquer le tracé Eldoret/Mombasa car l’oléoduc est beaucoup trop 616 La Lettre de l’Océan Indien, n°1191, 29 juillet 2007. 617 Kagimu préside l’Uganda Muslim Supreme Council et représente les intérêts libyens en Ouganda via la Southern Investments Company. Kagimu représente également plusieurs autres firmes étrangères à Kampala dont la libyenne House of Dawda, l'égyptienne African Investments Promotion Company et l'américaine RSI Vertex. Enfin, Kagimu est assez proche du président Yoweri Museveni et a entrepris pour lui en février 2006 une mission spéciale auprès de l'Algérie. Source : La Lettre de l’Océan Indien, ibid. 618 Africa Energy Intelligence, n°611, 9 septembre 2009.

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365

petit pour les quantités que devrait envoyer l’Ouganda puis le Congo-K et peut être le Soudan

du Sud. Cet oléoduc devrait principalement envoyer du brut pour l’exportation sauf si

l’Ouganda obtient la construction d’une raffinerie de dimension régionale (scénario peu

probable comme on l’a vu). Dans ce dernier cas, l’Ouganda pourrait aussi utiliser l’oléoduc

pour envoyer des produits pétroliers. L’existence d’un oléoduc sur les 2/3 du tracé va déjà

considérablement faciliter le travail des pétroliers sur les questions de compensation pour les

terres, d’études géomorphologiques, reliefs etc…Les coûts seront beaucoup plus bas.

Evidemment, le tronçon Hoïma/Eldoret part quant à lui de zéro.

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366

Carte n°41: Projets d’oléoducs entre l’Ouganda et le Kenya.

Sources: Africa Oil, Benjamin Augé

Cet oléoduc partant d’Hoïma, passant par Kampala puis Eldoret pour arriver à Mombasa est

conforté par les récentes découvertes au Kenya. La société Tullow Oil et Africa Oil ont en

effet mis à jour en mars 2012 une colonne de pétrole d’une vingtaine de mètres dans la zone

nord du Kenya, à proximité du lac Turkana. Ce premier forage Ngamia-1 dans le bloc 10 BB

(voir carte ci-dessus) se situe dans Turkana Rift Valley qui a les mêmes propriétés que les rift

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du lac Albert en Ouganda. Il est donc probable que cette première découverte de l’histoire du

pays soit confirmée par bien d’autres et rentabilisent encore davantage l’oléoduc venant

d’Ouganda qui passerait à proximité de la zone de la découverte. Cette nouvelle géopolitique

pétrolière de l’Afrique de l’est pourrait également voir une prolongation en Ethiopie où

Tullow et Africa Oil ont également des permis dans la région d’Omo (Sud du pays).

Géologiquement, le sud de l’Ethiopie se rapproche du Kenya.

4-4 Les découvertes gazières au Mozambique, quelles perspectives ?

Nous avions pris le parti dans la première partie de peu parler du Mozambique et de ses

découvertes du fait d’un manque évident de recul. Il semble cependant important de ne pas

négliger son cas dans la réflexion sur l’enclavement que nous avons choisi d’entreprendre

dans cette dernière sous-partie sur l’Afrique de l’Est. Avec seulement deux concessions

pétrolières offshores opérées par Anadarko (Etats-Unis) et ENI (Italie), le Mozambique a déjà

découvert l’équivalent de la moitié (en volume) des réserves de gaz du Nigeria (voir carte

n°42). En d’autres termes, entre 2010 et 2012, le potentiel du Mozambique est de l’ordre de

80 trillion de pieds cubes alors que celui du Nigeria est de l’ordre de 185 trillions de pieds

cubes, prenant en compte que l’exploration dans ce dernier pays a commencé dans les années

1950. Producteur depuis 2004 avec les petits champs onshore de Pande et Temane, le

Mozambique exporte déjà la quasi-totalité de sa production vers son grand voisin sud-

africain. Mais il est désormais confronté à une autre équation beaucoup plus difficile à

résoudre et qui, en cas d’échec, est susceptible de plonger le pays dans une grave crise

économique. Que faire de ses énormes réserves qui ne peuvent pas être utilisées localement ?

Le ministre de l’énergie mozambicain Salvador Namburete avec lequel nous avons pu

discuter619, semble être submergé par des projets de grande envergure. Cela s’explique

facilement, car en dehors des immenses réserves gazières du pays, le Mozambique a lancé

plusieurs projets géants de barrages hydroélectriques dans la région de Tete (au nord-est) sur

le fleuve Zambèze (notamment le barrage de Mphanda Nkuwe et de Cahora Bassa Norte, voir

suivante). A cela s’ajoute, plusieurs projets (géants eux-aussi) de centrales au charbon,

minerai dont le pays a des réserves immenses, exploitées principalement par les brésiliens de

Vale (Moatize) et les Australiens de Riversdale (mines de Benga et de Zambeze), rachetée en

2011 par Rio Tinto. Tous ces projets hydroélectriques ainsi que miniers en vue

d’approvisionner des centrales thermiques (voir carte suivante), revêtent eux-aussi un autre

619 Lors de l’Africa Energy Forum de Bâles en juin 2010. Lors de ces mêmes sommets en 2011 et 2012, le ministre Salvador Namburete a également tenté d’attirer l’attention des investisseurs et consultants afin d’aider son pays à transformer les ressources en développement.

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368

type d’enclavement: ils sont tous concentrés dans la province de Tete, à l’extrême nord-ouest

du pays, à quelque 1500 kilomètres du centre économique du pays qu’est Maputo. Or, les

lignes de transmissions déjà existantes sont insuffisantes.

L’équation de l’enclavement des ressources naturelles est donc consubstantielle à leur

localisation sur le territoire mozambicain (loin des centres de consommation) ainsi qu’à

l’importance de ces matières premières, impossibles à être entièrement ou partiellement

consommées sur le territoire national, ni même dans la région lorsque l’on parle du gaz.

L’enclavement des ressources dans la province de Tete impliquent la construction de lignes

de transmission pour les projets hydroélectrique et charbonnier afin de les relier tout d’abord à

Maputo puis à l’Afrique du Sud, principal marché de la région. Ce projet sur lequel travaille

depuis 2010 le gouvernement s’appelle « Cesul » ou dorsale électrique. Il consiste en deux

lignes, une première à courant alternatif (950 millions de dollars), qui comprendrait plusieurs

postes de conversion visant à distribuer du courant dans les provinces de Manica, Sofala,

Inhambane et Gaza ; la seconde, à courant continu (850 millions de dollars), relierait

directement Tete à Maputo620. Elle serait ensuite prolongée jusqu’à l’Afrique du Sud. Ce seul

projet couterait près de deux milliards de dollars, montant que le pays ne peut pas se

permettre. Ces projets pourront aussi accroitre la capacité vendue aux pays comme le

Zimbabwe (entre 100 et 180 MW) ou le Malawi qui compte acheter entre 100 et 300 MW

lorsque l’interconnexion sera construite621.

Pour le gaz, la géographie de la région de Cabo Delgado (nord-est, voir carte ci-dessous) et

principalement la ville portuaire de Pemba seront profondément changées dans les dix

prochaines années.

620 Africa Energy Intelligence, n°679, 11 juillet 2012. 621 http://allafrica.com/stories/201205140136.html.

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369

Carte n°42: Découvertes gazières au Mozambique/Tanzanie et projets de centrales

électriques.

Sources: ENI, Anadarko, Statoil, BG Group.

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370

L’impossibilité de consommer la totalité du gaz localement, ni nationalement, ni même dans

la région (les projets de Tete seront suffisants pour cela) devrait permettre une exportation

massive de ce gaz. Cela impliquerait la construction de plusieurs trains de liquéfaction dans le

port de Pemba et de construire un port en eau profonde dans la région (prévu depuis

longtemps mais jamais lancé, faute de fonds). Le Mozambique doit donc construire des

infrastructures très coûteuses, que les sociétés pétrolières comme ENI, Anadarko et bien

d’autres qui viendront dans les prochaines années, se feront une joie de financer, tellement le

retour sur investissement va être important. Cet enclavement, d’une ressource trop importante

pour une zone (l’Afrique de l’Est et du Sud) impose donc l’exportation vers des marchés

extérieurs au continent africain. Pour le cas du Mozambique, c’est l’Asie qui sera le principal

débouché avec quatre destinations par ordre d’importance : la Chine, le Japon, l’Inde et la

Corée du Sud. Si la Chine produit d’importantes quantités de gaz et de pétrole (102,5 millions

de tonnes par an et 4 millions de b/j), elle doit tout de même importer plus de la moitié de ses

besoins pétroliers et une partie toujours plus importante de gaz : en 2011 près de 30 millions

de tonnes622. Quant au Japon, le Mozambique pourra aussi devenir un client significatif, le fait

que Mitsui possède 20% des parts du permis d’Anadarko où une grande partie des

découvertes s’est faite, est à cet égard un signe important. Le Japon qui est dépourvu

d’hydrocarbures, réfléchit sur son mix énergétique depuis la catastrophe nucléaire de

Fukushima en mars 2011. Son parc nucléaire devrait être réduit dans les prochaines décennies

entraînant un accroissement de ses importations de pétrole et de gaz. De même pour l’Inde

dont la production gazière ne couvre pas sa consommation, (un déficit de 15 millions de

tonnes en 2011), ses sociétés ont su voir dans le Mozambique un important fournisseur futur.

Les compagnies indiennes Bharat Petroleum et Videocon ont ainsi pris chacun 10% du permis

d’Anadarko en 2008. Enfin le cas de la Corée du Sud est à comparer avec celui du Japon.

N’ayant aucune ressource pétrolière et gazière, le pays doit tout importer, soit 46,6 millions

de tonnes pour 2011: un important consommateur à satisfaire.

Le bémol de ce tableau idyllique pour le gaz mozambicain vient de certains autres Etats dont

le potentiel en gaz va être disponible plus tôt et avec lequel il sera difficile d’être compétitif.

C’est notamment le cas de l’Australie dont de nombreux champs ont récemment été mis en

exploitation. Déjà exportateur de la moitié de sa production (soit un peu moins de 20 millions

de tonnes par an), le pays a développé de nouveaux champs dont la commercialisation a été

très rapide. C’est le cas de Pluto et Xena (5 trillions de pieds cubes) qui a commencé à

622 BP Statistical Review of World Energy 2012.

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371

produire en avril 2012 ou l’accroissement de la production du North West Shelf dont le débit

est passé de 2,5 millions de tonnes en 1989 à 4,4 en 2008. On peut citer aussi Gorgon

d’Exxon-Mobil (40 trillion de pieds cubes). Le savoir-faire, la main d’œuvre qualifiée et les

infrastructures disponibles en Australie rendent le coût de production du gaz liquéfié moindre

qu’en Afrique. Outre l’Australie, le Qatar (3ème réserve gazière du monde après la Russie et

l’Iran) a vu sa production exploser en dix ans, passant de 24,3 millions de tonnes par an en

2001 à 132,2 en 2011. Sachant que sa consommation est très faible, 23 millions de tonnes en

2011, sa capacité d’exportation est considérable. Il y a peu de chance que ce pays, devenu le

plus riche par habitant en 2011, s’efface facilement devant les nouveaux venus. Enfin, il faut

compter sur l’Iran, même si tous ces projets de liquéfaction (South Pars notamment) ont des

difficultés financières et techniques du fait des sanctions internationales. S’il y aura toujours

besoin de nouvelles réserves gazières du fait des besoins en forte croissance, il n’est en

revanche pas impossible qu’il y ait des phases de surproduction dans les dix prochaines

années dans cette zone. Cela en particulier avec l’arrivée massive de gaz de schiste aux Etats-

Unis, type d’hydrocarbures non conventionnels dont la Chine ainsi que d’autres grands

consommateurs asiatiques pourraient également avoir en grande quantité dans leur sous-sol.

Enfin pour terminer sur ce problème de marché disponible, si les réserves gazières

mozambicaines seront en compétition avec d’autres mastodontes énergétiques de la zone de

l’océan indien, elles seront aussi en compétition avec d’autres réserves africaines.

D’importantes découvertes gazières ont été réalisées au sud de l’offshore tanzanien depuis

2010 par BG Group (ses blocs 1, 3 et 4 atteignent déjà 7 trillions de pieds cubes) et Statoil (le

bloc 2 recèle déjà 9 TCF). Au milieu de l’année 2012, la stratégie de la Tanzanie et du

Mozambique n’est pas clair. Y’aura-t-il deux projets de liquéfaction concurrents ou au

contraire les deux gouvernements vont-ils se mettent d’accord, réalisant la proximité des

découvertes, afin de réaliser des économies d’échelle et viser une meilleure compétitivité en

construisant un seul projet avec plusieurs trains ? Deux projets concurrents serait très mauvais

pour la stabilité des prix car cela les tirerait probablement vers le bas dans une période où –

dans une dizaine d’années- il y aura probablement une (trop grande) abondance de gaz.

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Schéma n°1 : Les relations entre les Congo et ses voisins

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373

Conclusion de la partie III

L'étude des différents cas de bassins partagés entre la République Démocratique du Congo et

ses voisins montre combien l'histoire passée peut agir comme un obstacle à l'exploration

pétrolière (Angola), conduire parfois à des rapprochements (Ouganda après le meurtre de

l'ingénieur sur le lac Albert), se faire dans un profond désintérêt de l'autre voire un certain

mépris (Rwanda) ou enfin dans un certain climat plutôt serein (Tanzanie). A la différence de

l'Angola à l'embouchure du fleuve Congo, en litige avec la RDC, les lacs allant du Nord au

Sud de la RDC sont encore loin de produire. Le lac Albert, qui est le plus avancé, ne devrait

pas obtenir un débit régulier avant 2016/2017. Quant aux autres : le lac Edouard reste

incertain, le lac Kivu produit déjà du méthane côté Rwanda mais est encore très loin de tout

projet concret côté RDC, et enfin le Tanganyika : les potentiels y sont très intéressants mais

aucun des pays frontaliers ne les ont encore véritablement mis en valeur.

Si les cas de méfiance avec l’Ouganda et le Rwanda sont quasiment logiques, celui de

l'Angola est bien plus problématique. Alors que la reprise d'une partie des blocs congolais,

actuellement opérés par des sociétés mandatés par la Sonangol angolaise, pourrait doubler

voire tripler les revenus de l'Etat congolais, le processus est totalement grippé par des

négociations sans fin, dont les protagonistes congolais (y compris le président Joseph Kabila)

sont copieusement "achetés" par le président José Eduardo Dos Santos. La sujétion du Congo

à l'Angola est totale. Son armée a permis à la famille Kabila de garder le pouvoir depuis 1997

grâce à son implication contre les armées rwandaise et ougandaise. Cela montre que sur

beaucoup de points, le Congo est toujours loin d'avoir recouvré une réelle souveraineté. En

dehors du pétrole, cette souveraineté limitée peut s'observer également dans les mines où les

militaires des pays ayant aidés le Congo ont des intérêts. Ce sentiment de souveraineté non

retrouvée est également perceptible, sans être acceptée par Joseph Kabila, dans l'influence de

l'Ouganda et du Rwanda sur l’est du Congo. Si l'Ouganda a fait un effort, sous la pression

américaine et voyant la nécessité de faciliter l'exportation du futur pétrole congolais sur son

territoire, le Rwanda reste toujours très négativement influent dans la zone des Kivu (voir le

mouvement du M23 depuis 2012623). Une souveraineté réelle sur le territoire et sur le

processus de décision va prendre du temps dans une zone post-conflit et parfois encore, en

conflit.

623 Rapport du Groupe d’Experts de l’ONU sur le Congo-Kinshasa, 2012.

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374

En dehors des problèmes entre le Congo et ses voisins sur les hydrocarbures, l’Afrique des

Grands Lacs (et le Congo en particulier) n’est pas une île et a besoin de travailler avec les

voisins pour envisager toutes nouvelles exportations vers le marché asiatique. Ce dernier est

seul à pouvoir absorber le pétrole de cette zone, sachant que ces hydrocarbures ne pourront

pas être évacués par l’Océan atlantique. Le Congo dont les problèmes sont déjà nombreux, est

alors contraint de se confronter à la toute nouvelle géopolitique pétrolière d’Afrique de l’Est.

Celle-ci n’est pas non plus simple avec la situation particulièrement conflictuelle que l’on a

analysé entre le Soudan et le Soudan du Sud. Ce dernier envisage de faire transiter son brut

par le Kenya mais est-ce vraiment rentable ? Lors de l’écriture de ces lignes, les négociateurs

des deux parties semblent de nouveau optimistes à la suite de l’entrevue cordiale des

présidents Omar el Béchir et Salva Kiir à Addis-Abeba en juillet de la même année,

conduisant à un accord début août sur les droits de passage du pétrole sud-soudanais par le

nord. Mais cela n’est pas forcément fait pour durer comme le secrétaire général du SPLM

Pagan Amum se plaît à le dire. Combien de déceptions ont jalonné les discussions depuis

deux ans avant d’en arriver à l’arrêt de la production du début 2012 ? Cette tentation de

s’autonomiser depuis 2011 pour le Soudan du Sud devrait perdurer, même après l’accord avec

Khartoum sur le prix du transit pétrolier. La haine entre les dirigeants des deux Etats est très

forte et la guerre civile est encore dans tous les esprits. La raison de l’absence de lancement

du projet d’oléoduc depuis le Soudan du Sud vers le Kenya est principalement liée à des

motifs financiers (aucune banque ne veut se lancer du fait d’un retour sur investissement très

incertain) et d’infrastructures (le port de Lamu n’existe pas). Ces motifs vont probablement

encore pour longtemps forcer les deux Soudan à se parler pour trouver une solution pérenne.

Pour l’Ouganda, il faut rapidement se mettre d’accord avec son voisin kenyan afin d’exporter

son brut. En cas de longues tergiversations avec les pétroliers sur la taille de la raffinerie ou

sur le volume à exporter ou éventuellement le choix du tracé, les revenus du pétrole se feront

davantage attendre. L’Ouganda doit aussi faire en sorte que le Kenya trouve son compte dans

cette opération, cela passe par le paiement de royalties significatives et de bonnes relations de

long terme. Le pétrole congolais et peut être soudanais passeront aussi par le Kenya, ce pays

est donc voué à devenir incontournable. Il doit lui aussi faire attention à l’arrivée d’une

nouvelle manne qu’il doit gérer de manière durable, d’autant plus qu’il commence lui aussi à

faire des découvertes. Les bailleurs de fonds ont une opinion plus nuancée sur sa stabilité

depuis les élections meurtrières de 2008.

En ce qui concerne l’enclavement des réserves d’Afrique de l’Est et des Grands Lacs, doublée

d’une absence de proximité avec un marché de consommation, le pétrole ougandais ou plus

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375

tard le pétrole kenyan et congolais ne devraient pas avoir de problème pour l’exportation car

le marché mondial, en particulier asiatique, sera toujours en demande. Les pays du golfe,

préfèrent lorsque cela est possible, produire moins afin de garder les prix suffisamment élevés

pour lancer de nouveaux projets, de plus en plus coûteux. De plus, les capacités excédentaires

des pays du golfe Persique ne sont pas extensibles. Mise à part l’Arabie Saoudite dont les

capacités sont estimées aux alentours de 12/13 millions de barils par jour (sur une production

entre 9 et 10 millions b/j en 2011), les autres producteurs comme le Koweït, les Emirats et le

Qatar sont quasiment à leur maximum alors que la demande continue à s’accroitre rapidement

en Asie et baisse très légèrement en Europe et aux Etats-Unis. Le seul pays dont les capacités

devraient croître très rapidement est l’Irak (deuxième plus importantes réserves pétrolières du

monde après l’Arabie Saoudite). Depuis la fin de la deuxième guerre du golfe (officiellement

en mai 2003), plusieurs champs géants ont été attribués à des majors occidentales et

asiatiques. En 2011, le pays produisait 2,7 millions b/j, et consommait 700 000 b/j. Les

prévisions font état d’une possibilité d’atteindre facilement les 6 voire 8 millions de b/j dans

les dix prochaines années. Pour les pétroliers africains, il devrait y avoir de toute façon de la

place, le rattrapage des économies asiatiques comme celles de la Chine et de l’Inde avec le

passage à la voiture pour le plus grand nombre va requérir de grandes quantités de nouveaux

barils sur le marché.

Pour le gaz, la donne est tout à fait différente, le développement du gaz de schiste en Chine et

la croissance rapide de la production des pays du Golfe et de l’Australie peut poser des

problèmes sur le marché asiatique pour les cargaisons venant du Mozambique et de Tanzanie.

Ce genre de compétition ne devrait être que conjoncturelle mais cela peut causer de lourds

problèmes économiques aux investisseurs gaziers ainsi qu’aux Etats producteurs africains si

le marché est déprimé pour quelques années. Il est difficile de prévoir avec certitude mais ce

cas de figure est une éventualité à prendre en compte.

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376

Conclusion

Le thème de la conflictualité de l’exploration et l’exploitation du pétrole pour lequel j’espère

avoir apporté quelques éléments de réponse dans cette thèse, est loin d’être épuisé. Les cas

d’études seront certainement voués à s’accroître dans le futur, tellement l’exploration

pétrolière et les compagnies de ce secteur font office d’ingéniosité et de progrès technique,

permettant de découvrir de nouvelles ressources dans des endroits auparavant sans le moindre

intérêt. De plus, les cours du baril sont sur le long terme voués à s’apprécier du fait de la

croissance de la consommation dans les pays asiatiques, dans les pays producteurs ainsi qu’en

Afrique, avec un nombre de voitures encore très faibles par rapport à la population. Cette

donnée de long terme encourage les pétroliers à prendre beaucoup plus de risques

qu’auparavant et donc d’aller dans des zones de conflit. La diversité des acteurs pétroliers,

majors occidentales, asiatiques, juniors, sociétés d’Etat africaines et étrangères pousse à cet

activité intensive pour se répartir les permis d’exploration dans le monde entier et en

particulier en Afrique où les zones encore peu connues restent nombreuses. Si certaines

compagnies occidentales ne veulent pas travailler dans des zones de conflit, d’autres comme

la CNPC chinoise, l’ONGC indienne ou Petronas (Malaisie) prennent ce risque comme on l’a

vu avec leurs travaux au Soudan alors que ce pays était en pleine guerre civile au milieu des

années 1990. Le profil de plus en plus divers des sociétés et les besoins croissants d’énergie

incitent ces compagnies à chercher le pétrole là où il se trouve quel que soit les risques

encourus pour leurs salariés ou la difficulté d’opérer avec un régime autoritaire voire violent.

Cependant, les cas où l’exploration puis l’exploitation pétrolière se font dans une situation

déjà conflictuelle ne sont pas encore si fréquents. Or, c’est bien cette situation-là qui m’a

intéressé. Déterminer quel est le rôle du pétrole lorsqu’il vient se superposer à une situation

déjà conflictuelle alors que cette matière première déstabilise des pays auparavant plutôt

stables.

A l’échelle africaine, certains conflits présents et passés (Nigeria, République du Congo,

Angola), ont été entretenus par la présence du pétrole. C’est-à-dire que cette matière première

est devenue l’enjeu d’un conflit entre des acteurs pour l’appropriation de ses revenus à des

fins d’enrichissements ou afin de financer l’effort de guerre entre factions, ethnies, partis

politiques. Mais le pétrole n’est pas venu se greffer sur une situation déjà de tension

particulière. La présence de pétrole dans une zone frontalière comme on l’a vu dans la

première partie entraîne très souvent des luttes, pas forcément armées, entre pays qui étaient

auparavant en très bon terme. La façon de résoudre les conflits frontaliers liés au pétrole sont

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également un marqueur important de la puissance des acteurs. On a pu voir le rééquilibrage de

la diplomatie équatoguinéene face à celle du Gabon sur Mbanié. Le contrôle du pétrole ou de

la présence de pétrole supposé dans ces zones de litiges est capital et tout est mis en œuvre

pour s’en emparer. L’utilisation des données géologiques ou des traités coloniaux (pour les

cas africains) ne sont qu’une petite partie de la stratégie des Etats pour prouver qu’ils sont

souverains et contrôlent ces zones litigieuses. Pour Mbanié, tout était entendu dans les années

1970, le Gabon contrôlait l’ilot. Cependant, la nouvelle puissance pétrolière équato-guinéenne

a changé la donne et les négociations ont été relancées. Les frontières sont donc un puissant

facteur de différend, cela l’a été dans le passé, et cela devrait l’être encore davantage avec les

bassins partagés, très nombreux en Afrique.

Le Soudan du Sud est un des pays où un conflit préexistant a été aggravé par le pétrole. Le

début de l’exploitation pétrolière en 1999 s’est inscrit dans un contexte de guerre civile de

près de quarante ans entre deux peuples, deux territoires, deux histoires différentes et

divergentes. L’exploitation du pétrole par le régime de Khartoum véhiculant déjà à l’époque

de sa découverte dans les années 1970 des représentations très négatives pour les sudistes qui

s’imaginaient dépossédés de leur ressource. L’imminence de son exploitation a probablement

été l’une des causes de la reprise de la guerre civile en 1983. Cette dernière ayant fait partir

précipitamment des sociétés américaines comme Chevron.

L’antériorité de ce cas soudanais, d’une production pétrolière aggravant un conflit préexistant,

devrait faire réfléchir dans le cas du Congo et plus largement dans celui de l’Afrique des

Grands Lacs et de l’Est. Le Soudan s’est en effet séparé en deux entités géopolitiques après

six ans d’exploitation pétrolière. Il est difficile de déterminer avec certitude dans quelle

mesure le pétrole a accéléré le processus de désintégration et d’atomisation du territoire

national, mais cette matière première a participé à ce morcellement même si le processus de

désintégration au Soudan a été principalement accéléré pour des motifs internes, en particulier

d’instrumentalisation de la religion (en l’occurrence l’islam) à des fins d’oppression.

Cependant, le pouvoir d’Omar el Béchir, grâce à l’argent du pétrole, s’est mieux armé et est

devenu plus violent et plus sûr de lui, y compris pour l’imposition de la sharia sur les

territoires du sud dont la population est dans sa grande majorité non musulmane. Le facteur

pétrolier s’est ainsi ajouté aux autres facteurs plus anciens comme la religion, la liberté de

culte, les violences interconfessionnelles perpétrées par le régime de Khartoum depuis les

années 1950 et l’indépendance. L’exploitation pétrolière a également favorisé la division pour

des motifs externes. En effet, grâce aux revenus pétroliers le pouvoir soudanais est devenu

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trop puissant aux yeux de certains pays étrangers. Cette nouvelle situation s’est en effet

avérée difficilement acceptable pour des pays comme les Etats-Unis et Israël qui ont, à croire

certains auteurs, tout fait pour encourager un processus d’indépendance du sud624. Les

événements du 11 septembre 2001 et l’implication des Etats-Unis dans des théâtres

d’opération extérieurs, a été pour Omar el Béchir un motif suffisamment menaçant pour le

contraindre à négocier un processus de paix avec le sud amenant à son indépendance. C’est

donc bien la conjonction de facteurs internes et les interventions extérieures de certains Etats,

capables de mobiliser de nombreux pays à l’ONU ou dans d’autres enceintes internationales,

qui ont accéléré le processus de désintégration territoriale où le pays a perdu le contrôle des ¾

de ses réserves en brut. La division du Soudan en deux Etats le 1er juillet 2011 est donc bien à

lier à l’exploitation pétrolière même s’il n’est pas le seul élément explicatif, en s’agrégeant

aux facteurs conflictuels préalables, il a contribué à son aboutissement.

Ce cas soudanais est évidemment à méditer pour la République démocratique du Congo, qui

vit depuis les années 1990 dans un cycle de crises permanentes, fait de conflits à ses marges

orchestrés et entretenus par les pays frontaliers ainsi que par une gouvernance interne plus que

déficiente et dangereuse. L’exploration pétrolière se fait dans un contexte politique,

sécuritaire et économique extrêmement dégradé. Dans le cas congolais, comme dans celui de

l’Ouganda, qui n’est pourtant plus réellement dans une situation de conflit (l’Armée de

résistance du seigneur n’est plus sur son territoire), le fonctionnement de l’Etat, de plus en

plus présidentialisé, entraîne une gouvernance pétrolière médiocre. L’une des conséquences

de l’exploration pétrolière dans un contexte conflictuel et où l’absence de culture d’Etat a

disparu depuis longtemps, est une présidentialisation du processus de décision. En d’autres

termes, seul le président et quelques-uns de ses conseillers ou proches (parfois sans rôle

officiels), s’emparent des secteurs rémunérateurs. Les organismes sensés s’occuper du pétrole

dans ces pays sont peu à peu mis de côté à mesure que l’intérêt des sociétés pétrolières

grandit. Le ministère du pétrole, de l’énergie ou des mines devient alors peu à peu une

coquille vide où les cadres formés sont relégués à préparer parfois certains contrats, sans

qu’on ne leur demande jamais leur avis sur l’intérêt des dossiers que la présidence a décidés

de faire instruire. Si j’ai pu constater ce fonctionnement dans l’Afrique des Grands Lacs, cela

est tout aussi vrai dans les pays sahariens comme au Niger et au Tchad où le pétrole est

devenu, depuis le début de la production, un sujet prioritaire, et donc a été accaparé par le

président. Dans une bonne partie de ces cas sahariens ou d’Afrique des Grands Lacs, même le

624 Pierre Péan, « Carnage, les guerres secrètes en Afrique », Fayard, 2010.

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379

ministre a un rôle symbolique voire honorifique. Cette gouvernance que j’ai pu constater dans

une bonne partie des pays africains est considérablement exacerbée lorsque les Etats sont

encore en conflit (Grands Lacs) ou alors lorsqu’ils sont dans un régime politique instable (cas

du Niger où un coup d’Etat a changé le régime en 2010) ou autoritaire avec de nombreuses

tentatives de coup d’Etat (Tchad). Cette description, même si je n’ai pas pu la constater sur

d’autres continents est probablement de même nature pour des pays sortant d’un conflit ou

étant encore en situation de conflit.

Le cas du Ghana, pays ayant réussi à bâtir un régime démocratique avec des alternances

réussies est intéressant à étudier. Même avec cette décennie où les deux principaux partis se

sont partagé le pouvoir, le secteur du pétrole a entraîné une telle méfiance, que le National

Democratic Congress arrivé aux affaires en 2009 a recommencé le processus d’étude et les

consultations avant de prendre une quelconque décision dans ce secteur. Tous les projets de

loi ou de grands travaux liés au secteur ont donc pris un retard considérable. De plus, les

procès contre l’ancien président et sa gestion pétrolière n’ont pas tardé. Cet exemple montre

bien que dans un processus stable avec des contre-pouvoirs forts, la gestion du secteur

pétrolier entraîne immanquablement des tensions et conflits qui ne se règlent pas par les

armes mais par les parlements et parfois les tribunaux. Une matière première qui représente

tant de richesse potentielle, même si elle n’a pas encore été découverte, ne peut que

contraindre les régimes en charge d’Etats en conflits préalables à davantage de conflit interne

et externe. L’exploitation du pétrole a rarement contribué à une stabilisation de zones

préalablement en conflit car elle donne des moyens aux dirigeants pour administrer comme ils

l’entendent leur territoire et ses richesses de sorte qu’ils n’ont plus besoin de réclamer d’aides

financières que ce soit aux autres institutions de l’Etat ou à l’étranger comme au FMI ou à la

Banque mondiale. Le cas du Tchad est à ce titre parlant.

L’Afrique conservera sa spécificité d’un continent aux frontières mal définies porteuses de

bien des conflits pétroliers, l’étude de certains d’entre eux dans l’Afrique des Grands Lacs a

permis de montrer que leurs manifestations prennent des formes différentes : conflit ouvert

armé, interétatiques, conflit armé entre milices et armée gouvernementale, mais aussi conflit

masqué ou assumé quand l’un des deux protagonistes est dans la dépendance politique de

l’autre qui lui assure son maintien au pouvoir, ce qu’illustre le cas de la RDC et de l’Angola.

Car un conflit existe bien entre la RDC et l’Angola, mais sa non résolution est pleinement

assumée par le président congolais. Ici, il n’y a pas d’armée, pas de milice, pas de violence

(tout le pillage se passe en mer).

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Cette thèse a tenté de questionner le concept d’une exploitation pétrolière facilitant,

encourageant ou aggravant des situations de conflits préexistants. Si la réponse est à nuancer,

il semble évident que dans des cas aussi conflictuels au préalable que celui de l’Afrique des

Grands lacs et de l’Est, cette industrie pétrolière si puissante et aux représentations si fortes et

profondément ancrées dans l’esprit des décideurs (enrichissement rapide) peut avoir des

conséquences très négatives. Or, la mise en exploration puis en exploitation de gisements

pétroliers en zones en conflit est susceptible de se multiplier. Il est du devoir des différents

acteurs, décideurs politiques nationaux et étrangers, compagnies pétrolières, communauté

internationale etc… de prendre leurs responsabilités pour accompagner un processus qui déjà

dans des zones calmes représente un véritable bouleversement.

Les besoins en hydrocarbures et les cours élevés de cette matière première poussent les

sociétés pétrolières à l’aventurisme à tout prix, pour le plus grand bonheur des dirigeants

locaux. Pour le bonheur, les populations locales peuvent attendre.

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• Trefon T, Van Hoyweghen S, et Stefaan Smis., 2002? “ State Failure in the Congo:

Perceptions & Realities”, Review of African Political Economy, Vol. 29, No. 93/94,

Taylor & Francis, Ltd, pp. 379-388.

• Vircoulon T., 2008, « La Chine, nouvel acteur de la reconstruction congolaise »,

Afrique contemporaine 3/2008 (n°227), p. 107-118.

Page 386: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

386

• Vircoulon T., 2005, « L'Ituri ou la guerre au pluriel », Afrique contemporaine 3/2005

(n°215), p. 129-146.

Rapports

• Arntzen de Besche pour NORAD, Mid-term review of the project 0329, The capacity

building program for strengthening the State Petroleum administration of the upstream

sector in Uganda:

http://www.norad.no/en/Thematic+areas/Energy/Oil+for+Development/Where+we+ar

e/Uganda.

• BP Statisctical Review of World Energy, 2010, 2011 et 2012.

• Collier P et Hoeffler A., 2002, “Greed and Grievance in Civil War”, Banque

mondiale, Development research Group.

• Friends of the Earth., 2001, Broken Promises: The Chad Cameroon Oil and Pipeline

Project: Profits at any Cost?, New York.

• Global Witness., 2010, Donor engagement in Uganda’s oil and gas sector: an agenda

for action, Londres.

• Global Witness., 2009, Fuelling Mistrust: The need for transparency in Sudan's oil

industry, Londres, 2009.

• Global Witness., 2005, La paix sous tension, dangereux et illicite commerce de la

cassitérite à l’est de la RDC, Londres, 2005.

• Global Witness., 1999, A crude Awekening: the Role of the Oil and Banking in

Angola’s Privated War, Londres.

• International Crisis Group., 2012, China’s new courtship un South Sudan, Africa

Report N°186..

• International Crisis Group., 2012, Black Gold in Congo, Threat to stability or

Development opportunities, Africa Report N°188.

• Johnson Dominic., 2003, Shiftins sands, oil exploration in the rfit valley and the

Congo conflict”, Pole Institute, Goma.

• Médecins sans frontières., 2007, Angola: systematic rapes and violence against

expelled Congolese migrants. The women testify.

Page 387: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

387

• Nations-unies (ONU)., 2010, « Rapport du Projet Mapping concernant les violations

les plus graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises

entre mars 1993 et juin 2003 sur le territoire de la République démocratique du

Congo », New York.

• Nations-Unies (ONU)., 2000, Rapport du groupe d’experts chargé d’étudier les

violations des sanctions imposées par le Conseil de Sécurité à l’União Nacional para

a Independência Total de Angola (UNITA), S/2000/203 version française, New York.

• Programme des Nations-unies pour l’environnement (PNUE)., 2011, « Environmental

assessement of Ogoniland », Nairobi.

• Ugandan Ministry of Energy and Mineral development., 2002, Energy Policy for

Uganda 2002: http://www.rea.or.ug/userfiles/EnergyPolicy%5B1%5D.pdf.

• Vines A, Wong L, Weimer M et Campos I., 2009, “Thirst for African Oil: Asian

National Oil Companies in Nigeria and Angola”, Chatham House.

Publications spécialisées

• Africa Energy Intelligence (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les

questions énergétiques en Afrique avec un angle politique, sur abonnement)

• Africa Confidential (publication bi-mensuelle basée à Cambridge sur l’actualité

politique en Afrique, sur abonnement)

• Africa Mining Intelligence (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les

questions minières en Afrique, sur abonnement)

• African Energy (publication bi-mensuelle basée à Londres sur les questions

énergétiques en Afrique avec un angle très exhaustif sur les projets en cours,

sur abonnement)

• La Lettre de l’océan indien (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les

questions politiques et économiques dans les pays bordant l’océan indien, sur

abonnement)

• La Lettre du continent (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les questions

politiques et économiques dans l’Afrique francophone, sur abonnement)

Page 388: Idalecio Rodriguez de Oliveira  - Petrobras - Lusitania Grupo  - Chariot  Oil  Africa

388

• Le Pétrole et le gaz arabes (publication bi-mensuelle basée à Paris sur les

questions économiques du pétrole dans les pays arabes du golfe et du

Maghreb)

Site internet

• Site internet du député congolais d'opposition, Jean Bamanisa. Ce dernier était

parmi les plus en pointe dans le secteur pétrolier. On peut trouver la plupart

des contrats signés par les sociétés pétrolières étrangères sur sont site :

http://bamanisajean.unblog.fr/files/2010/05/frenchtullowheritagepsaannexesjul

y2006.pdf.

Personnes interrogées :

Seule une partie des personnes interrogées ont leur nom ci-dessous. L’anonymat ayant été

davantage la règle que l’exception.

En ou sur la République démocratique du Congo :

• Atama Crispin , ministre des hydrocarbures depuis avril 2012.

• Ebeli Popo Baudouin, directeur général de Surestream Congo Sarl. • Fouchardière Benoît (de la), ex-directeur général de Perenco RDC.

• Kabango Célestin Mbuyu, ministre des hydrocarbures entre février 2010 et avril 2012.

• Kabuya Célestin Lumuna, président de la commission congolaise sur le plateau continental.

• Kalangay Willy Albert , conseiller politique de l’ex président de l’Assemblée nationale du Congo Vital Kamerhe.

• Kanku Christian , secrétaire général du ministère des hydrocarbures depuis 2010.

• Lavreau Johan, chef de département géologie et minéralogie à Tervuren, musée royal de l’Afrique centrale (Bruxelles).

• Lukongo William Djunga , secrétaire général du ministère des hydrocarbures (RDC) entre 2008 et 2010.

• Mende Lambert Omalanga, ex-ministre des hydrocarbures (2007-2008) et ministre de la communication et porte parole du gouvernement en RDC depuis 2008.

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389

• Moto Dieudonné Mumba, directeur de cabinet du ministre des hydrocarbures depuis février 2010/fin 2010.

• Mubiayi Clément Nkashama, conseiller principal au collège des hydrocarbures, des mines et de l’énergie à la présidence de la République démocratique du Congo.

• Muganza Jean, conseillé juridique du ministre des hydrocarbures (2006-2008) puis directeur de cabinet du ministre entre 2010 et 2012.

• Mutond Kalev, administrateur général de l’agence nationale de renseignement en charge de la sécurité intérieur.

• Ngoy Michel, conseiller pétrole au collège des hydrocarbures à la présidence. • Ongendangenda Albert, directeur général d’Energulf Congo Sarl. • Pipi Pili Joseph, directeur des projets pétroliers au ministère des

hydrocarbures. • Saraiva Lusitano Vaz, lobbyiste de Tullow Oil en RDC.

• Uweka Pierrot Ukaba, député national de la province de l’Ituri de l’Alliance pour la Majorité Présidentielle (AMP).

• Vuemba Jean-Claude, député national de la province du Bas-Congo du Mouvement du peuple congolais pour la République (MPCR).

• Vika Noël, directeur de cabinet du ministre de l’énergie (2009-2012).

En ou sur l’Ouganda :

• Asianut Alaso Alice, députée du Forum for Democratic Change (principal parti d’opposition en Ouganda).

• Atugonza Francis, ancien maire de la commune de Hoïma, futur hub pétrolier de l’ouest ougandais.

• D’Ujanga Simon, secrétaire d’Etat ougandais à l’énergie depuis 2006. • Delaeter Arnaud, mission économique française à Kampala (2008-2010).

• Heavey Aidan, président directeur général de Tullow Oil. • Imaka Isaac, journaliste au quotidien Daily Monitor. • Kabanga Fred, géologue principal de département exploration-production du

ministère de l’énergie en Ouganda. • Kagamba Julius, cadre au ministère ougandais des affaires étrangères,

responsable en 2007 des problèmes de frontières avec la RDC.

• Karuhanga Elly, président de Tullow Uganda, avocat et ancien député • Kashambuzi Reuben, ancien chef du département en charge de l’exploration-

production au ministère de l’énergie. • Kulayigye Felix, Colonel et porte parole de l’Armée ougandaise. • Kuster-Menager Aline, Ambassadeur de France en Ouganda.

• Matovu Bukenda, directeur de l’adminsitration au ministère ougandais de l’énergie.

• Mbanga Jeff, journaliste à l’hebdomadaire ougandais The Observer.

• Migereko Daudi, ministre ougandais de l’énergie (2006-2009).

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390

• Mugume James, secrétaire général du ministère ougandais des affaires étrangères.

• Muloni Irene , ministre ougandais de l’énergie depuis 2011.

• Mwenda Andrew, directeur de la publication The Independant, ancien du quotidien Daily Monitor.

• O’Hanlon Tim , vice-président du Tullow Oil en charge des affaires africaines.

• Rubondo Ernst, actuel chef du département exploration-production au ministère de l’énergie en Ouganda. Ce département spécial est situé à Entebbe.

• Serugo James, fondateur du quotidien Daily Monitor. • Ssekikubo Theodore, député depuis 2001 du parti présidentiel (National

resistance movement).

Sur les autres pays :

• Abdallah Nassir, deputé du parti au pouvoir (Chama cha Mapinduzi) : Tanzanie.

• Abu‐‐‐‐elbashar Omar B, ancien cadre du ministère du pétrole : Soudan.

• Akuong Diing Garang, ministre de l’énergie du 2009/2011 : Soudan du Sud.

• Asaga Moses, parlementaire spécialiste des questions énergétiques et ministre du travail : Ghana.

• Azazi Andrew, Général d’Armée et conseiller sécurité du président Goodluck Jonathan (2010/2012) : Nigeria.

• Babikir Haithem , secrétaire général de la National Petroleum Commission (organisme qui a géré les affaires pétrolières pendant la transition -2005/2011): Soudan/Soudan du Sud.

• Bol Elizabeth, vice-ministre de l’énergie depuis 2011 : Soudan du Sud.

• Boukar Michel, secrétaire général du ministère du pétrole (2011/2012) : Tchad.

• Bujulu Gabriel , ingénieur à la Tanzania Petroleum Development Corp: Tanzanie.

• Butaré Albert , ancien vice-ministre de l’énergie 2005-2009: Rwanda.

• Deng Lual, ministre du pétrole (2010-2011): Soudan. • Ford Christopher, directeur général de Songas. Organisme qui vend le gaz

des champs de Songo Songo: Tanzanie.

• Galma Abakar, ex directeur adjoint de la raffinerie de Djermaya et nouveau secrétaire général du ministère du pétrole: Tchad.

• Gaya Mahaman Laouan, secrétaire général du ministère du pétrole (depuis 2011): Niger.

• Hacen Mohamed El Moctar, ministre du pétrole (2008-2009): Mauritanie. • Heya Martin , responsable du pétrole au ministère de l’énergie : Kenya.

• Himid Mansoor, ministre de l’énergie puis des ressources naturelles. 2010-2012 : Zanzibar.

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391

• Kuku Kingsley, conseiller spécial du président nigérian Goodluck Jonathan en charge du delta du Niger et du processus d’amnistie (depuis 2010) : Nigeria.

• Masebu Haruna, directeur général de l’autorité tanzanienne de régulation de l’énergie (UWERA) : Tanzanie.

• Mbodji Ibrahima , directeur général de la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen) : Sénégal.

• Mulunga Immanuel, directeur du pétrole au ministère des mines et de l’énergie : Namibie.

• Oumer Fall Ould Mohamed, directeur de la publication hebdomadaire La Tribune : Mauritanie.

• Prazeres Luis, directeur général de la National Petroleum Agency : Sao Tomé et Principe.

• Tekrour Ahmed Salem, directeur des hydrocarbures au ministère du pétrole : Mauritanie.

• Teny Angelina, ancienne ministre de l’énergie du Soudan du Sud et membre de la délégation en charge de la négociation sur les dossiers post-indépendance avec le Soudan : Soudan du Sud.

• Thuo Peter, responsable de l’exploration pétrolière à la National Oil Corp of Kenya. : Kenya.

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Annexes

Annexe 1 : La declaration de Kaiama, texte fondateur du mouvement de revendication

Ijaw dans le delta du Niger.

THE KAIAMA DECLARATION

BEING COMMUNIQUE ISSUED AT THE END OF THE ALL IJAW YOUTHS

CONFERENCE

WHICH HELD IN THE TOWN OF KAIAMA THIS 11TH DAY OF DECEMBER 1998.

INTRODUCTION

We, Ijaw youths drawn from over five hundred communities from over 40 clans that make up

the Ijaw nation and representing 25 representative organizations met, today, in Kaiama to

deliberate on the best way to ensure the continuous survival of the indigenous peoples of the

Ijaw ethnic nationality of the Niger Delta within the Nigerian state. After exhaustive

deliberations, the Conference observed:

a. That it was through British colonisation that the IJAW NATION was forcibly put under the

Nigerian State

b. That but for the economic interests of the imperialists, the Ijaw ethnic nationality would

have evolved as a distinct and separate sovereign nation, enjoying undiluted political,

economic, social, and cultural AUTONOMY.

c. That the division of the Southern Protectorate into East and West in 1939 by the British

marked the beginning of the balkanisation of a hitherto territorially contiguous and culturally

homogeneous Ijaw people into political and administrative units, much to our disadvantage.

This trend is continuing in the balkanisation of the Ijaws into six states-Ondo, Edo, Delta,

Bayelsa, Rivers and Akwa Ibom States, mostly as minorities who suffer socio-political,

economic, cultural and psychological deprivations.

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d. That the quality of life of Ijaw people is deteriorating as a result of utter neglect,

suppression and marginalisation visited on Ijaws by the alliance of the Nigerian state and

transnational oil companies.

e. That the political crisis in Nigeria is mainly about the struggle for the control of oil mineral

resources which account for over 80% of GDP, 95 %of national budget and 90% of foreign

exchange earnings. From which, 65%, 75% and 70% respectively are derived from within the

Ijaw nation. Despite these huge contributions, our reward from the Nigerian State remains

avoidable deaths resulting from ecological devastation and military repression.

f. That the unabating damage done to our fragile natural environment and to the health of our

people is due in the main to uncontrolled exploration and exploitation of crude oil and natural

gas which has led to numerous oil spillages, uncontrolled gas flaring, the opening up of our

forests to loggers, indiscriminate canalisation, flooding, land subsidence, coastal erosion,

earth tremors etc. Oil and gas are exhaustible resources and the complete lack of concern for

ecological rehabilitation, in the light of the Oloibiri experience, is a signal of impending doom

for the peoples of Ijawland.

g. That the degradation of the environment of Ijawland by transnational oil companies and the

Nigerian State arise mainly because Ijaw people have been robbed of their natural rights to

ownership and control of their land and resources through the instrumentality of undemocratic

Nigerian State legislations such as the Land Use Decree of 1978, the Petroleum Decrees of

1969 and 1991, the Lands (Title Vesting etc.) Decree No. 52 of 1993 (Osborne Land Decree),

the National Inland Waterways Authority Decree No. 13 of 1997 etc.

h. That the principle of Derivation in Revenue Allocation has been consciously and

systematically obliterated by successive regimes of the Nigerian state. We note the drastic

reduction of the Derivation Principle from 100% (1953), 50% (1960), 45% (1970), 20%

(1975) 2% (1982), 1.5% (1984) to 3% (1992 to date),and a rumored 13% in Abacha's 1995

undemocratic and unimplemented Constitution.

i. That the violence in Ijawland and other parts of the Niger Delta area, sometimes

manifesting in intra and inter ethnic conflicts are sponsored by the State and transnational oil

companies to keep the communities of the Niger Delta area divided, weak and distracted from

the causes of their problems.

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j. That the recent revelations of the looting of national treasury by the Abacha junta is only a

reflection of an existing and continuing trend of stealing by public office holders in the

Nigerian state. We remember the over 12 billion dollars Gulf war windfall, which was looted

by Babangida and his cohorts We note that over 70% of the billions of dollars being looted by

military rulers and their civilian collaborators is derived from our ecologically devastated

Ijawland.

Based on the foregoing, we, the youths of Ijawland hereby make the following resolutions to

be known as the Kaiama Declaration:

1. All land and natural resources (including mineral resources) within the Ijaw territory

belong to Ijaw communities and are the basis of our survival.

2. We cease to recognise all undemocratic decrees that rob our peoples/communities of the

right to ownership and control of our lives and resources, which were enacted without our

participation and consent. These include the Land Use Decree and The Petroleum Decree etc.

3. We demand the immediate withdrawal from Ijawland of all military forces of occupation

and repression by the Nigerian State. Any oil company that employs the services of the armed

forces of the Nigerian State to "protect" its operations will be viewed as an enemy of the Ijaw

people. Family members of military personnel stationed in Ijawland should appeal to their

people to leave the Ijaw area alone.

4. Ijaw youths in all the communities in all Ijaw clans in the Niger Delta will take steps to

implement these resolutions beginning from the 30th of December, 1998, as a step towards

reclaiming the control of our lives. We, therefore, demand that all oil companies stop all

exploration and exploitation activities in the Ijaw area. We are tired of gas flaring; oil

spillages, blowouts and being labelled saboteurs and terrorists. It is a case of preparing the

noose for our hanging. We reject this labelling. Hence, we advice all oil companies staff and

contractors to withdraw from Ijaw territories by the 30th December, 1998 pending the

resolution of the issue of resource ownership and control in the Ijaw area of the Niger Delta

5. Ijaw youths and Peoples will promote the principle of peaceful coexistence between all

Ijaw communities and with our immediate neighbours, despite the provocative and divisive

actions of the Nigerian State, transnational oil companies and their contractors. We offer a

hand of friendship and comradeship to our neighbors: the Itsekiri, Ilaje, Urhobo, Isoko, Edo,

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Ibibio, Ogoni, Ekpeye, Ikwerre etc. We affirm our commitment to joint struggle with the

other ethnic nationalities in the Niger delta area for self-determination.

6. We express our solidarity with all peoples organisations and ethnic nationalities in Nigeria

and elsewhere who are struggling for self-determination and justice. In particular we note the

struggle of the Oodua peoples Congress (OPC), the Movement for the Survival of Ogoni

People (Mosop), Egi Women's Movement etc.

7. We extend our hand of solidarity to the Nigerian oil workers (NUPENG and

PENGASSAN) and expect that they will see this struggle for freedom as a struggle for

humanity

8. We reject the present transition to civil rule programme of the Abubakar regime, as it is

not preceded by restructuring of the Nigerian federation. The way forward is a Sovereign

National Conference of equally represented ethnic nationalities to discuss the nature of a

democratic federation of Nigerian ethic nationalities. Conference noted the violence and

killings that characterized the last local government elections in most parts of the Niger

Delta. Conference pointed out that these electoral conflicts are a manifestation of the

undemocratic and unjust nature of the military transition programme. Conference affirmed

therefore, that the military are incapable of enthroning true democracy in Nigeria.

9. We call on all Ijaws to remain true to their Ijawness and to work for the total liberation of

our people. You have no other true home but that which is in Ijawland.

10. We agreed to remain within Nigeria but to demand and work for Self Government and

resource control for the Ijaw people. Conference approved that the best way for Nigeria is a

federation of ethnic nationalities. The federation should be run on the basis equality and

social justice.

Finally, Ijaw youths resolve to set up the Ijaw Youth Council (IYC) to coordinate the struggle

of Ijaw peoples for self-determination and justice.

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Annexe 2 : Résolution du parlement ougandais du 10 Octobre 2011 mettant en difficulté

le gouvernement sur la question pétrolière.

REPUBLIC OF UGANDA

THE PARLIAMENT OF UGANDA

RESOLUTION OF PARLIAMENT IN RESPECT OF REGULARIZATION OF THE OIL SECTOR AND OTHER MATTERS INCIDENTAL THERETO

(Moved under Rule 43 of the Procedure of Parliament)

WHEREAS under Article 95 (5) of the Constitution of the Republic of Uganda the Speaker of Parliament is mandatorily obliged to summon Parliament when one third of the Members of Parliament request him or her to do so.

AND WHEREAS on the 20th day of September, 2011 one third of Members of Parliament requested the Speaker in writing to summon Parliament to deliberate on matters related on the oil sector.

AND WHEREAS in spite of the existence of the Oil Policy, Government has not presented to Parliament Bills for enactment into law to address various crucial aspects of the oil sector and to put into effect the Oil Policy and in particular.

i. Revenue collection and management

ii. Participation of Ugandans and their empowerment in as far as benefiting from the oil industry is concerned.

iii. Social, environmental and economic aspects related to the sector and how they will be regulated together with other incidental matters related thereto

AND WHEREAS since 2004 or thereabout Government has executed Production Sharing Agreements with various Companies relating to Oil Exploration and Production particularly Heritage Oil and Gas Ltd, Tullow (U) Limited interalia and the Production Sharing Agreements so signed remain largely unknown to the people of Uganda and a big number of their representatives in Parliament.

AWARE that the terms of the Production Sharing Agreements so signed have a direct bearing on revenue to be collected, retained and applied by Government for the 2

benefit of Ugandans continue to be in force and applicable to revenues in spite of the absence of enabling laws

AWARE that the secretive nature of Government transactions in the oil sector may in future not augur well for the country in its quest for wholesome development.

IN RECOGNITION of the Importance of Parliament to make laws for the peace, order, development and good governance of Uganda.

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AND AWARE that laws in the oil sector are a sine quo non for proper utilization of the oil wealth for the country’s economic development.

NOW, THEREFORE, be it RESOLVED by Parliament as follows:

1. A moratorium on executing oil contracts and /or transactions be put on the Executive arm of Government until the necessary laws have been passed by Parliament to put into effect the Oil and Gas Policy.

2. That Government comes up with the necessary laws and tables the same in Parliament within 30 days from the date of this Resolution.

3. That Government produces to Parliament all agreements it has executed with all companies in the oil industry including the Memorandum of Understanding executed with Uganda Revenue Authority and Tullow (U) Limited in March 2011 in Uganda and that it takes note of the decision of the High Court of Uganda Civil Appeal No 14 of 2011 (Commercial Court Division) between Heritage Oil and Gas Limited (Appellant) versus Uganda Revenue Authority (Respondent) to the effect that there shall be no arbitration on any tax dispute more so outside Uganda.

4. That Government reviews all Production Sharing Agreements already executed for purposes of harmonizing them with the law and the decision of Court and in particular the principles that:-

i. Tax disputes are outside the arena of arbitration as they are Statutory and non contractual.

ii. Discards clauses such as the one under clause 33.2 of the Production Sharing Agreement between Heritage Oil and Gas Limited and Government of Uganda signed in 2004 which states thus

“If following the effective date, there is any change, or series of changes, in the laws or regulations of Uganda which materially reduces the economic benefits derived or to be derived by Licensee hereunder, Licensee may notify the Government accordingly and thereafter the Parties shall meet to negotiate in good faith and agree upon the necessary modifications to this agreement to restore Licensee to substantially the same 3 overall economic position as prevailed hereunder prior to such change (s). In the event that the Parties are unable to agree that Licensee’s economic benefits have been materially affected and /or unable to agree on the modifications required to restore to Licensee the same economic positions as prevailed prior to such change within ninety (90) days of the receipt of the notice referred to hereinabove, then either Party may refer the matter for determination pursuant to paragraph 26.1 ”

This is because such clauses oust unconstitutionally the powers of Parliament to make laws for the development of Uganda and put the profit making motive of companies superior to the interest of Ugandans.

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5. An account of all revenues so far received by Government from the oil industry be made to Parliament within 7 day showing how much has been received, from who, for which areas (blocks) and where it is kept and in particular the following revenues

a) Licence fees

b) Signatures bonuses

c) Taxes

d) Royalties

e) State participation

f) Penalty for late payments

6. Government Accounts for expenditures (if any) made from Oil revenues within seven(7) days, and a moratorium be put on Government to stop any further expenditure on oil revenue without the laws on revenue collection and management being first put in place, and further that Government produces up to date financial report(s) and upstream investment costs.

7. Government, as a matter of transparency, joins the Extractive Industries Transparency Initiative and a report to that effect confirming such entry be made to Parliament.

8. Subject to Article 41 of the Constitution, Government shall desist from executing any contract in the oil industry with a provision/clause for confidentiality.

9. That;

a) Parliament sets up an Ad hoc Committee to investigate claims and allegations of bribery in the oil sector, and report back to Parliament within three months.

b) Members to be named on the Ad hoc Committee observe high moral standards while considering the above assignment.

c) Government Ministers namely Hon. Amama Mbabazi, Hon. Sam Kutesa and Hon. Hillary Onek who were named during the debate step aside from their Offices with immediate effect, pending investigations and report by the Ad hoc Committee to Parliament.

10. Government withholds the consent to the transaction between Tullow Oil (U) Limited and Total and CNOOC, until the necessary laws are put in place.

I certify that this Resolution was passed by Parliament on the 11th day of October 2011.

…………………………………………………………….

A.M Tandekwire

CLERK TO PARLIAMENT

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Annexe n°3 : Principaux évènements au Soudan, d’une independence à l’autre

Source: Politique africaine

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