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IBRAHIM SECK RACONTE...

Les meilleures histoires de l'humour cannibale

Éditions Mengès

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© 1979, Éditions Mengès ISBN 2-85620-055-9

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A V A N T C R O C S - P E A U

Si « le rire est le propre de l'homme », comment peut-on définir ce qui provoque ce rire ? Ce facteur reste inexplicable et peut jaillir à tout moment et en tout lieu. S'il peut naître dans l'inattendu, il est aussi dans bien des cas un fait qu'on provoque, soit avec beaucoup d'élaboration, soit avec spontanéité. Réflé- chi ou de primesaut, ce facteur qui provoque le rire peut être le domaine de quelques privilégiés qui le détiennent dès leur naissance — il est donc inné — ou alors qui l'acquièrent à force de travail — il est dans ce cas surfait et peut atteindre très vite l'usure. L'un et l'autre trouvent cependant un retentissement chez le même élément : le peuple. L'un et l'autre puisent aussi dans la même source leurs idées : le peuple. Il part donc du peuple et retombe sur le peuple. Si nous en faisons l'historique, nous partirons de la veillée, donc de la cellule familiale, l'élément fondamental du peuple. C'est en effet dans ces veillées que les contes ont pris naissance, mettant le plus souvent en scène des animaux. Ici aussi le facteur qui fait rire n'est pas absent : loin de là car, si l'animal est pris pour exemple, le rôle qu'il joue est le reflet de la conduite des hommes. Si la cellule familiale reste intacte, le conte, lui, a brisé le cercle pour se retrouver compa-

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gnon du troubadour. Celui-ci transgresse les lois de la veillée, il ne parle pas seulement d'animaux, il désigne l'homme. Nous sommes donc dans la rue, sur la place publique ; l'homme parle de l'homme, et l'homme vient voir l'homme qui parle de son sembla- ble : toujours le peuple ! qui couve dans ses entrailles ce qu'il a recueilli pour le laisser ensuite s'échapper, s'envoler et trouver refuge ailleurs. A travers les temps, à travers les âges, adviennent des transforma- tions et d'autres usages. Elément de culture pour éveiller, il devient élément d'ironie pour blesser. Ce facteur pour rire qui réchauffait les cœurs dans les chaumières, qui égayait le peuple tout en l'instruisant, devient aujourd'hui d'intolérables moqueries quel- quefois bien acerbes. L'homme n'a jamais su dompter la sagesse ! Une vie harmonieuse implique un esprit large, des propos salubres en accord avec le cœur. Suivent les sentiments qui se traduisent par une parfaite entente. Et c'est parce qu'il y a entente qu'il y a railleries, et elles ne blessent que les esprits mal faits.

Qui dans son jeune âge n'a pas été sujet à raille- ries : c'est d'abord dans la famille, ensuite à l'école, puis dans le quartier. Deux quartiers dans une même ville rivalisent en railleries. N'entend-on pas ceux qui habitent les capitales traiter les autres de provin- ciaux ? Ce qui est valable dans une nation l'est aussi d'une nation à une autre. Quelles que soient ces railleries, donc, elles ne portent atteinte ni à l'honora- bilité ni à l'intégrité de l'être, d'un groupe d'hommes ou d'une nation. L'insoumission à la plaisanterie dénote une faiblesse d'esprit, que dis-je, un com- plexe. L'être humain, frappé de cette maladie, mal- heureusement ne supporte personne et nul ne peut le supporter; il est d'un caractère irascible, et la moin- dre allusion le vexe et souvent il faut mettre des gants

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pour lui parler. La vie dans ce cas, avouez-le, devient suffocante.

Pour s'aimer, il faut se connaître, pour se connaître il faut se fréquenter; cette fréquentation ne doit souffrir d'aucune restriction. De cœur et d'esprit on s'accompagne, le physique ne suit que nos idées.

Les hommes qui réussissent à s'interpénétrer, s'ou- vrant leur cœur et leur âme, réussissent du coup à balayer des frontières et à élargir la compréhension entre humains ; ils établissent un ordre nouveau qu'est la culture universelle ou universalisée.

Formant cercle autour des mêmes idées, des mêmes principes, ils se railleront, ils riront, d'un rire franc et débonnaire, mais simplement pour rire ! Quoi qu'on puisse dire, rien que pour le rire, et pour ce rire qui est le propre de l'homme.

L'Europe étant restée longtemps présente en Afri- que, quelques variantes sont intervenues dans la civilisation de ce continent. Ces variantes n'ont rien brisé, mais elles ont modifié les conditions d'existence que les Africains ont su adapter à leur mode de vie. Bien sûr, la pénétration de ces deux peuples a fatalement occasionné la naissance d'un certain humour.

C'est d'abord le soir, autour d'un feu de camp, où l'explorateur et ses porteurs se délassent des fatigues d'une longue marche diurne tout en goûtant les joies d'une veillée.

C'est ensuite dans les bars des grandes villes où le marin, véritable troubadour des océans, colporte avec nostalgie l'humour de son pays.

C'est enfin l'Africain qui, tout en découvrant l'Europe, lui a apporté une autre forme de vivre, une autre gaieté de cœur.

L'enseignement, lui aussi, a joué un rôle éminent dans cet échange culturel, et l'élite intellectuelle africaine s'est toujours efforcée de marier l'esprit de

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son pays à celui de l'Occident. Ce « néo-intellectua- lisme » n'est nullement bâtard, mais il est un propul- seur dynamique de la compréhension réciproque.

Ainsi des ponts sont établis, reliant deux pôles de civilisation, et le courant culturel passe aisément. Il n'est donc pas surprenant que dans l'humour en Europe le Noir soit visé ; comme il n'est pas étonnant qu'un Noir raille les Européens.

Cet humour, nous irons donc le chercher chez les Belges qui s'étaient établis au Congo, chez les Fran- çais qui possédaient quatorze territoires en Afrique, chez les Allemands qui ont séjourné brièvement au Cameroun, et quand nous parlons de l'Afrique du Sud, Dieu, les Anglais, les Irlandais, les Ecossais et les Hollandais sont proches !

Nul doute que l'accession à l'indépendance des pays d'Afrique a frappé l'esprit des humoristes. De droite ou de gauche un gouvernement sera toujours l'objet de quelques satires. Cet élément dans l'hu- mour est une source intarissable : le socio-politique étant le poumon même de la culture, l'esprit fertile aime à cultiver ce terrain. L'humour n'étant pas un domaine réservé, le politique s'en sert parfois pour convaincre le social. Mais gouvernants et gouvernés, jaunes ou rouges, blancs ou noirs, cette arme qu'on pourrait nommer H ne doit pas être une hache qui divise méchamment. H comme humour est une lettre forte qui désigne « homme ». L'homme et son sem- blable dans l'humour au service de ce qui est le propre de l'homme.

Ibrahim SECK

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Dans la vie actuelle, le chocolat est presque présent partout ; mis à part le goûter des enfants, on retrouve la tablette de chocolat dans la boîte à gants des voitures, dans les tiroirs des bureaux, dans les sacs des dames, etc.

Qui dit cérémonies pense généralement gâteaux et là aussi nous retrouvons le chocolat sous toutes ses formes et également sous toutes ses couleurs ! Mais savez-vous pourquoi le Noir ne mange que du choco- lat blanc ? Parce qu'il a peur de se bouffer le doigt !

Mon fils bien-aimé revint un jour de l'école dans un état inhabituel : il était en larmes et sanglotait de tout son être. Quand j'ai voulu m'approcher de lui pour le questionner, il s'est enfui pour trouver refuge dans sa chambre. Je le rejoignis aussitôt, le calmai, et quelque peu anxieux je lui dis :

— Ecoute ! Calme-toi et raconte-moi ce qui s'est passé à l'école !

C'est alors qu'il me répondit : — Papa, je ne veux plus retourner à l'école ! Surpris, et cherchant à le ménager, je lui demandai

simplement : — Ah ! Pourquoi ?

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Il me rétorqua avec beaucoup de détermination : — Ou alors il faudra m'opérer du nez ! Abasourdi par cette révélation je ne pus que lui

dire : — Tu sais, à ton âge, s'occuper de soins esthéti-

ques ! Et tu sais, ton nez, il est bien comme ça ! — Non ! me répondit-il. Parce qu'à l'école tous les

copains me disent : nez-gros.

Il y a quelques années éclata un événement politi- que entre le Congo belge et la Belgique, après l'accession à l'indépendance du premier. Il s'en est ensuivi une rupture diplomatique, le rappel des ambassadeurs respectifs et le retrait de tous les étudiants congolais des universités belges. Pourquoi tout cela ? Parce que simplement les Belges avaient l'habitude de traiter les Congolais de singes ! Fâcheux, non ?

Quelques années s'écoulèrent et les deux pays restaient chacun sur sa position. Mais nécessité aidant, Bruxelles écrivit au gouvernement congolais en le priant de bien vouloir oublier ces incidents, que les étudiants pouvaient réintégrer les universités avec la garantie qu'ils ne seraient plus traités de singes.

Après plusieurs refus, grincements de dents, réu- nions et promesses, le Congo se décida enfin à renvoyer ses étudiants en Belgique.

Ils débarquèrent alors à Bruxelles, chargés comme des mulets, se présentèrent au bureau d'inscription où ils furent accueillis avec beaucoup de courtoisie.

— Bonjour, Messieurs ! — Bonjour ! — C'est vous les étudiants congolais ? — Oui! — Vous venez vous inscrire ? — Oui !

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— Quelle branche ? — Vous voyez ! Ça recommence !

Deux fous sénégalais, Samba et Demba, se promè- nent à bicyclette ! Le temps est agréable et il fait bon pédaler sans se presser. Dans leur randonnée sans but fixe, nos deux fous empruntent chemins, sentiers, pistes, bref, toutes voies qui s'ouvrent devant eux.

Sans y prendre garde et tout en bavardant, ils s'engagent dans un chemin malaisé, un peu sablon- neux, et montant par surcroît. Déployant beaucoup d'efforts, ils parviennent au milieu de la côte ; tout d'un coup Samba s'arrête et commence à démonter sa bicyclette ; il met le guidon à la place de la selle et la selle à la place du guidon. Surpris par cette manœuvre, son compère Demba lui demande :

— Mais enfin, Samba, qu'est-ce que tu es en train de faire ?

Et Samba de lui répondre : — J'en ai marre, je redescends.

Dans un village de cannibales, après les sermons répétés et persuasifs du missionnaire, les sages se réunissent pour débattre d'une question. Après qua- rante-huit longues heures de discussions et de délibé- rations, une résolution fut signée : personne ne bouffe plus personne ! Le tam-tam retransmet le message et chacun avait non seulement l'obligation de se soumettre à cette décision, mais aussi le devoir de surveiller son prochain.

Durant trois mois, tout se passa très bien ; on pouvait même se promener la nuit sans crainte d'être un petit déjeuner. Mais voilà que la famine s'abattit sur le village, ce qui força le conseil des sages à modifier tant soit peu ses dispositions : on ne bouffe

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plus personne, sauf les morts... et les mourants. Et malgré les démarches hardies et réitérées du mission- naire, le conseil maintint sa décision. Dès lors tout le monde se portait comme un charme, nul ne souffrait plus de la plus petite migraine. La famine redoublait d'intensité et les préoccupations de chacun étaient l'état de santé de l'autre. La première question qu'on posait était : comment te sens-tu? Mais aussi on recevait toujours la même réponse : je me sens très bien !

Devant cette situation désespérée, un des canniba- les prend, lui, l'initiative d'aller battre la campagne pour lever quelques lièvres. Après tout, la viande des animaux fera bien l'affaire. Accompagné de son fils, et sa corde sur l'épaule, notre chasseur, après quatre heures de courses et de ruses, n'a pas le moindre petit moineau dans ses filets. Cependant, il ne se décou- rage pas pour autant et sa longue marche à travers la forêt le mène à une clairière ; et au beau milieu de cette clairière, un étang, et dans cet étang se trouve une fille divinement belle — genre Raquel Welch.

Sans hésiter, notre cannibale déploie sa corde et avec une adresse remarquable il neutralise la bai- gneuse. Les voilà donc partis tous les trois en direc- tion du village, et l'enfant cannibale tout heureux dansait autour de ce gibier à la beauté indescriptible.

— Alors papa ? demanda l'enfant, avec quoi on va la bouffer celle-là ? Avec du riz ou avec du manioc ? Le père réfléchit un instant et lui répond :

— Tu sais, mon enfant, il faudrait peut-être la laisser vivre un peu avec nous! Le temps qu'elle s'habitue... de l'engraisser... de la soigner...

Visiblement, le cannibale nourrissait d'autres ambi- tions à l'égard de cette perle rare. Au bout de ses réflexions et arguments, il se retourna vers son fils et lui demanda :

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— Dis donc ? Ta maman, elle n'a pas la migraine en ce moment ?

Dans ma classe, en Afrique, je faisais répéter à mes élèves la célèbre phrase rituelle que beaucoup d'Afri- cains ont apprise à l'école : Nos ancêtres les Gaulois habitaient la Gaule.

Arrive le tour de Toto. Oui, je dois vous préciser, cher lecteur, qu'en Afrique aussi nous avons des Toto ; car Toto est un élève universel ; on le retrouve dans tous les pays.

Donc Toto se lève, sous les regards de tous ses camarades ; il croise poliment ses bras, ramone trois fois sa gorge, produisant ainsi un bruit qui soulève une légère hilarité dans la classe.

Puis doucement il commence : — Nos... nos ancêtres... nos ancêtres les... nos

ancêtres les Gaulois... nos... Enfin, excédé, je lui dis : — Ben voyons, Toto ! Qu'y a-t-il de difficile dans

cette phrase ? Nos ancêtres les Gaulois habitaient la Gaule !

Alors se grattant la tête Toto me rétorqua : — Vous savez, Monsieur, ce qui me gêne là-

dedans ce n'est pas tellement la couleur ! Ça, ça passe encore ! Ce qui me gêne réellement, ce sont les cornes !

La mobilisation des masses est un des problèmes clés pour les gouvernements africains. Pour avoir toute la population sous leur coupe, les leaders créent toute sorte de mouvements, jusqu'aux comités de quartiers. Lors d'une réunion d'un comité le président de séance prend la parole et, avec beaucoup de conviction, s'adresse ainsi au public :

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— Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs ! Depuis que nous avons acquiert l'indépendance...

Instantanément le secrétaire général le tire par le pan du boubou et lui dit tout bas :

— Acquis ! Le président le regarde un peu de travers, surpris,

mais continue malgré tout son discours : — Depuis que nous avons acquiert l'indépen-

dance... Le secrétaire général a la même réaction, mais cette

fois-ci avec beaucoup d'insistance : — Acquis, acquis, acquis ! Emporté, le président lui répond alors violem-

ment : — A qui? A qui? A qui? Enfin ! A lui, à toi, à

moi !

Un cannibale pénètre dans une brasserie, s'installe confortablement et consulte la carte. Tout à coup ses yeux s'ouvrent, sa bouche aussi, et sa figure s'illumine de joie. Se frottant les mains, il appelle vite le garçon et commande un croque-monsieur.

A la surprise générale, il poussa des hurlements lorsque le serveur lui apporta sa commande. Furieux, il traita le patron de tous les noms :

— Monsieur, vous êtes un voleur, un assassin et vous abusez vos clients...

Voyant que rien ne pouvait le calmer, le directeur de l'établissement appela la police ; et lorsque les agents se sont présentés c'est dans le même emporte- ment que le cannibale dit au brigadier en parlant du directeur :

— Monsieur ! Arrêtez cet homme ! C'est un trom- peur, un malhonnête !

— Qu'y a-t-il ? lui demanda le brigadier.

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pour leur déjeuner. Lorsqu'ils arrivent près de l'épave, ils sont surpris d'entendre une voix mélo- dieuse chantant une musique inconnue.

Après quelques minutes de recherches, ils décou- vrent une charmante jeune femme nue, sous une cascade, et qui prend sa douche après le tragique accident dont elle est l'unique survivante. Le petit garçon trépigne :

— Dis, papa, on la mange quand ? — Jamais, répond son père, on la ramène à la

maison et on bouffera ta mère !

Des cannibales capturent un missionnaire et le mettent à cuire tout en dansant autour de la grosse marmite. Tout à coup, un des fêtards se détache du cercle, soulève le couvercle de la marmite, et adminis- tre quatre paires de gifles au missionnaire. Il referme la marmite et regagne le cercle des danseurs. Un instant après, le même cannibale revient et recom- mence la même opération, et ceci trois fois de suite. A la fin, le chef l'appelle et lui dit :

— Soyons quand même charitables ! Le cuire, d'accord, mais pourquoi le gifler ?

Et l'autre lui rétorque : — Mais chef, il bouffe tout le riz !

Deux cannibales poursuivent un missionnaire dans la forêt. Evidemment le missionnaire ne s'en laisse pas conter et prend ses jambes à son cou. Au bout de deux heures de poursuite, un des cannibales s'arrête et déclare :

— Mais à quelle heure il va nous faire bouffer celui-là ?

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Un Noir traverse une pluie diluvienne. Il est mouillé jusqu'aux os. Il pénètre dans un café, le garçon se présente :

— Vous désirez, Monsieur ? Et le Noir de répondre : — Donnez-moi un blanc sec !

Un cannibale qui souffrait très souvent de maux de tête va voir son docteur. Celui-ci l'ausculte et lui dit :

— Mon cher, vous bouffez trop d'intellectuels !

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C O N T E S , L É G E N D E S E T M Y T H E S D ' A F R I Q U E

Peut-être vous demanderez-vous pourquoi ces récits fabuleux en dernier chapitre? Ce n'est nulle- ment du remplissage gratuit. Quand vous en prendrez connaissance, vous comprendrez que ces récits font corps avec les autres chapitres du livre. Ils visent simplement à dévoiler un autre aspect de la culture négro-africaine.

L'Afrique et ses mystères, l'Afrique et ses tradi- tions, l'Afrique et sa philosophie.

Beaucoup de personnes ont cherché à pénétrer l'âme africaine. Aujourd'hui c'est un Africain qui vient vous ouvrir un peu de son âme. Mieux se connaître, mieux se comprendre, mieux s'aimer : ce sont les seuls soucis qui m'ont poussé à lever un coin du voile qui cache parfois le visage mystérieux de l'Afrique. L'édifice que nous voulons bâtir est univer- sel, c'est un carrefour de civilisations qui verra l'être humain grandir davantage. Est-ce utopique, ou chi- mérique? Le combat de l'homme pour l'homme ne doit pas s'arrêter à de simples questions, mais des faits authentiques doivent animer ce combat.

La part que j'apporte à ce combat est certes infime, mais nous ferons un grand pas si vous ouvrez votre cœur pour mieux la sentir.

Connaissez bien un peuple pour mieux le fréquen-

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ter, vous finirez par vous confondre avec lui : dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es.

La civilisation d'un peuple peut se définir par les moyens et les conditions d'existence de ce peuple.

La culture devient un élément essentiel de cette civilisation : elle y devient moteur, creuset, s'y confond et « constitue alors la somme globale des moyens choisis par ce peuple pour s'adapter à ses conditions d'existence ».

Cette culture se forge dans les traditions, éléments essentiels de la philosophie africaine ; elle se nourrit aussi de contes, légendes, mythes, qui définissent l'âme africaine.

Mais si les contes sont sujets de divertissement, ils constituent aussi des récits moraux.

La légende a toujours été et demeure la source intarissable du griot : récits épisodiques d'une bataille ou d'un fait historique qui immortalise ; personnage fabuleux qui surgit parfois du néant pour graver à jamais son nom dans la mémoire des hommes.

Quand au mythe, il subjugue l'âme, la saigne pour la baigner dans sa présence spirituelle, vitale. L'Afri- cain vit avec l'esprit, par l'esprit qui, même jusqu'au- dessus de la tombe, ne nous quitte pas.

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S É N É G A L

LE SERPENT DE COUCHES

Jeune mariée à la tête en tresses ornées de bijoux d'or;

Jeune mariée à la tête voilée du voile blanc de la nuit nuptiale ;

Nuit nuptiale! Nuit de la honte et de l'honneur; Jeune épouse à la tête lourde de conseils ; Jeune épouse aux mouvements tantôt lents, tantôt

fébriles ; Ton pas foule le sol et cadence parfois le rythme du

tam-tam ; tam-tam qui déchire la nuit; nuit envoûtante et mystérieuse qui seule pénètre ton secret de la virginité.

Le village s'est donné rendez-vous ! Parents et amis, jeunes et vieux, drapés dans de somptueux costumes, forment le cortège nuptial qui conduit Awa à la demeure conjugale.

Celle qui tient la tête marche à pas comptés : ses lèvres laissent échapper des prières ; sa pensée erre dans la nuit et va déloger l'esprit bienfaisant. Guide de milliers d'épouses, mère Fama symbolise la fécon- dité conjugale.

Dans la cour de la maison du mari, tout est paré

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pour accueillir les hôtes; le cortège, malgré son nombre, se discipline, s'installe sur les nattes et à même le sol ; seules mère Fama et Awa se tiennent debout devant la case nuptiale ; avant d'en franchir le seuil, mère Fama récite une prière et pénètre à l'intérieur avec sa protégée.

Douce clarté d'une lampe à pétrole ; clarté qui fait frémir la jeune épouse. Le lit nuptial se pare de blanc ; blancheur immaculée qui rivalise avec le voile blanc de la mariée ; blancheur d'espoir qui fait rejaillir le rouge écarlate du sang pur de la vierge.

Mère Fama s'immobilise : ses ferventes prières chassent l'esprit du mal :

Mame Coumba Lambaye Khouloly bire Caye wotou sama m'botou

Mame Coumba Lambaye est le nom attribué au dieu de la mère ; son pouvoir n'a pas de limites et son fief est le Cap-Vert (Sénégal). Ici, mère Fama l'évo- que et désire qu'elle lui apparaisse en serpent, d'où le nom qu'elle lui donne, Khoulole (couleuvre), donc un serpent bienfaiteur qui veillera sur la famille d'Awa.

Mame Coumba Lambaye a ses caprices ! Même avec les initiés, il aime se faire prier, supplier, avant d'apparaître ; mais mère Fama, instruite de la science des djinns (diables), sait comment écourter l'attente. Elle demande un bol de lait, le place au milieu du lit et se replonge dans ses invocations.

Le toit de chaume se fend et laisse apparaître une tête luisante comme pour humer l'odeur du lait ; une longue langue détecte et se délecte déjà suavement de l'offrande. Sûre de son présent, elle se laisse glisser le long du mur pour venir s'enrouler d'abord autour du bol comme pour bénir le liquide et se détendre ensuite de tout son long comme pour dire sa satisfac-

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tion : satisfaction que partage mère Fama ; Awa aura dorénavant la sublime protection de celle qu'on nomme aussi Maître de maison. Sans elle, pas de vie conjugale possible.

Doucement mère Fama enlève le voile de sa protégée qui se crispe à la vue du serpent.

— N'aie peur, ma fille ! Ce serpent n'est pas comme les autres : en réalité il a le pouvoir d'apparaî- tre sous d'autres formes ; mais celle-ci te fera moins peur. Dans les jours à venir, dès que tu le verras, donne-lui ce qu'il te demande : du lait, rançon de sa divine protection. Il ne t'apparaîtra que le ven- dredi. Qu'il veille sur tes couches.

Le temps passe. Awa est enceinte de huit mois. Un jour, couchée sur son lit, elle sent une chose bizarre lui parcourir le dos : elle se lève brusquement et remarque le luisant serpent qui partageait le lit avec elle ; elle veut crier, mais se souvient des conseils de mère Fama : « Dans les jours à venir, dès que tu le verras, donne-lui ce qu'il te demande : du lait, rançon de sa divine protection. »

Sans plus tarder, Awa va chercher du lait, place le bol sur le lit et se retire : elle ne veut brouiller ce festin par sa présence.

— Nous sommes vendredi, se dit-elle : il m'a rendu visite.

Arrivée à terme, Awa accouche sans grand mal : un superbe garçon qui a reçu les premiers soins de mère Fama, l'accoucheuse sans égale dont les conseils aux accouchées sont plus spirituels que médicaux.

Awa les écoute avec sagesse. C'est ainsi qu'au huitième jour de son accouchement, Awa surprend dans le lit de son bébé l'énorme masse noire du serpent, enroulé sur lui-même, ne laissant que sa tête qui dépasse, posée sur le ventre de l'enfant. Awa tressaille !

« Dès que tu le vois dans tes couches, avait dit mère

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Fama, donne-lui ce qu'il te demande : du lait, rançon de sa divine protection. »

Awa se précipite, apporte le lait et s'en va comme d'habitude.

Dehors, elle se mordille les lèvres, les doigts, se montre nerveuse. Elle a beau dire « Nous sommes vendredi, il nous rend visite », l'image de la tête du serpent sur le ventre de son enfant ne la rassure guère.

Le cri de l'enfant la fait sursauter ; elle pénètre dans la chambre : le bol est vide, le serpent a disparu. Elle saisit vivement son enfant, l'ausculte : pas de bles- sure. Elle comprend alors que seule la faim a réveillé le bébé.

L'âge critique existe chez tous les enfants. Ils sont souvent malades : des maux que les mères trouvent difficilement ; l'enfant pleure, ne fait plus ses nuits et refuse quelquefois le sein maternel. L'enfant d'Awa n'a pas échappé à cette période d'énigme. Ce qui le différencie des autres enfants, c'est qu'il ne pleure pas : on l'entend pousser quelques petits gémisse- ments plaintifs. On l'emmène chez mère Fama qui l'ausculte, prescrit des médicaments de sa préparation et des conseils en prédiction d'une visite certaine de Mame Coumba Lambaye.

A la grande surprise d'Awa, le serpent apparaît un vendredi ! L'enfant avait passé une nuit bien agitée. Est-ce calmant cette longue langue qui lèche le front, le visage, le corps de l'enfant ? Mère Fama avait dit juste. Awa se précipite, apporte du lait, et doucement asperge le corps de l'enfant du liquide que le serpent lèche suavement. Après cet acte de salut, Awa pose le bol près de l'enfant et disparaît ; elle ne revient auprès du malade que lorsque l'enfant l'appelle pour lui réclamer à manger, car il a faim.

Le serpent avait disparu ! Miraculeusement l'enfant

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reprend vie. Awa lance un grand soupir : son enfant vient d'être sauvé.

Filles du Sénégal, quand dans vos couches, au- dessus de vos couches, vous apercevez une couleuvre, elle peut être de la famille de Mame Coumba Lambaye ; n'ayez pas peur, donnez-lui ce qu'elle vous demande : du lait, rançon de sa protection divine car elle est serpent de couches.

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G U I N É E

Ce conte guinéen suscita la célèbre chanson « Malissadio », connue de tous les Africains.

Cependant, bien que de la Guinée, ce conte n'est pas connu de tous les Guinéens ; seuls les Malinkés, habitants de la Haute Guinée (Kankan, Siguiri, Dabola et Gouroussa), en possèdent la connaissance originelle.

Il faut noter que Maling veut dire « hippopotame » et Sadio « le vénéré ». Malissadio voudra donc signi- fier « hippopotame vénéré ».

L 'histoire se passe aux temps où les bêtes parlaient. S ur les bords d'un paisible et géant fleuve coulait la

prospérité. A l'abri de toute stérilité, les villages riverains louaient la fertilité de leur terre et glori- fiaient leur protecteur qui divinement les faisait vivre dans la félicité.

Ce dieu bienfaiteur était Maling, le vénérable hippopotame qui vivait dans le fleuve.

Bien qu'appartenant à une famille qui depuis les ascendances effrayait les hommes, Maling possédait le génie de la sagesse et en faisait profiter tous ceux qui l'approchaient. Les filles pouvaient laver leur linge, se baigner au fleuve, s'y promener en pirogue,

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elles bénéficiaient toujours de la surveillance de Maling : on raconte qu'un jour il en sauva une de la noyade par sa gueule béante.

Par un après-midi de grosse chaleur vint au bord de l'eau une femme qui, de l'onde, voulut remplir sa jarre ; doucement Maling s'approcha, la salua et lui dit :

— Brave femme ! Ton dévouement sans limites mérite une récompense inestimable. Ton mari vou- drait te témoigner sa reconnaissance mais les moyens lui manquent ! Je sais que tu es enceinte et que tu auras une fille ; je voudrais avec elle lier une amitié. Si tu acceptes, tu seras libérée de ces travaux de servage et tous les hommes sur cette terre vivront comme des rois.

La femme fut surprise des révélations de Maling, mais pas outre mesure, car nul n'ignorait le pouvoir de prédiction fatale qu'il possédait.

— J'accepte, lui répondit-elle ; mais à une condi- tion : qu'il ne soit jamais question de mariage entre toi et ma fille.

Maling acquiesça et la femme s'en alla. Le temps passa et la femme mit au monde une

superbe fille ; on lui fit ses premières toilettes avec les eaux du fleuve, comme il en était d'ailleurs d'usage pour tout bébé né dans la contrée. La fille grandit avec précocité. Elle avait la beauté d'une nuit de pleine lune : ses dents poussaient serrées, son rire était clair et sa chevelure longue et soyeuse lui balayait les hanches. Elle attirait nombre de jeunes hommes et fut l'objet de multiples disputes. Sa mère n'oublia pas sa promesse et, un matin, la mena par la main jusqu'au bord du fleuve d'où, les voyant venir, l'hippopotame s'éclaboussait de joie.

En Afrique, il est d'usage, au moment des grands événements, de partager la cola. Nos deux amis en firent autant : la maman cassa la noix de cola en deux,

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chacun en croqua sa part. Ce don rituel symbolise une amitié durable.

La fille retint les conseils de sa mère : elle allait souvent rendre visite à son ami, s'habitua à ses jeux et devint l'ombre de Maling.

Malheureusement, le village voyait cette amitié d'un mauvais œil. Les commères débitaient d'acerbes réflexions ; d'un commun accord, les filles du village fuyaient l'indexée ; on eût dit qu'elle portait la peste sur elle. Sous l'arbre à palabre, aucun sujet ne pouvait être d'actualité. Les amis du père lui reprochèrent d'avoir vendu sa fille à un animal. L'animal? L'homme a déjà oublié les bienfaits de cet animal. Qu'importe, après tout, ce n'est qu'un hippopotame.

Pour laver sa honte et sauver sa famille, le père fiança la fille de force à un vaillant chasseur. Mais elle ne fut point découragée et multiplia ses journées de baignade avec Maling.

Le fiancé alla alors trouver une sorcière qui habitait une forêt voisine et était fort instruite de la magie ; elle avait, disait-on, vendu son âme au diable pour ne plus vivre qu'avec lui. Lorsque le jeune homme lui relata la situation, elle lui remit une balle magique infaillible à toute cible visée.

A l'heure où nul ne bouge, à l'heure où les bêtes repues se reposent et ruminent paisiblement, à l'heure où seul le chant de la cigale perce le silence des journées d'été accablantes de chaleur, c'est à cette heure que retentit un coup de feu du côté du fleuve.

La fille frissonna, un pressentiment la fit bondir. Au bord du fleuve, Maling avait été surpris dans son sommeil ; la balle magique l'avait éventré : le sang par expulsion jaillissait d'une ouverture béante. Les lar- mes n'apaisèrent point les douleurs de la fille ; on dit qu'elle se jeta dans le fleuve pour ne point reparaître.

La nature porta le deuil : le ciel se chargea de gros nuages si noirs que la nuit succéda brutalement au

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jour ; une tempête d'une violence inouïe se leva ; la pluie fit rage, les arbres se déracinèrent, le fleuve se gonfla démesurément et emporta tout sur son pas- sage. Ame n'y survécut, sauf une perdrix qui chanta la première : Malissadio.

Elle chantait, cette perdrix :

« Je l'avais bien prévu : Cette amitié devait finir ainsi. Avoir confiance en l'homme, C'est se fier à une rivière qui déborde. »

Aujourd'hui, on raconte que la perdrix n'accorde jamais sa confiance à l'homme ; elle préfère mourir de faim que de se laisser domestiquer.

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L A L É G E N D E D E G H A N A

En 1914, Bonnet de Mézières découvrit l'emplace- ment exact de Ghana : il occupait le Soudan central, le Soudan septentrional et la Mauritanie.

Empire fabuleux, Ghana offre les mêmes données que le problème de l'Atlantide. Entouré par une muraille invisible qui le protègeait contre l'envahis- seur, ce vaste territoire connut la civilisation nègre la plus brillante : depuis le temps médiéval jusqu'au XVIII siècle il s'y perpétua une civilisation authenti- quement africaine dont fut couronnée Tombouctou, surnommée « la Mystérieuse ».

L'empire était prospère : des champs de coton s'étendaient à perte de vue, semblables à des flocons de neige que le soleil ne pouvait liquéfier et qui craquaient de blancheur. La culture vivrière rivalisait avec la culture industrielle : on semait la graine pour récolter la poignée. L'or n'y manquait pas : le métal précieux enfoui dans le sol semblait se multiplier par les pluies ; aussi parlait-on de pluies d'or dans Ghana.

Toutes ces richesses, Ghana les devait au serpent de Ouagadougou. Ouagadougou est le berceau de la population d'Afrique noire ; c'est de cette ville que se fonda le vaste empire dont Ghana était la capitale.

A Ouagadougou, donc, vivait dans un puits un énorme serpent noir du nom de Bida qui faisait

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prospérer la région, contre une rançon annuelle. Chaque tribu devait, tour à tour, à l'approche de la date fatidique, élire la plus belle fille des siens pour la lui offrir.

Ce sacrifice, bien que douloureux, était scrupuleu- sement respecté : nul clan, nulle tribu ne devait, ne pouvait et n'osait s'insurger contre cette dîme humaine.

A Ouagadougou vivait une belle fille du nom de Sira ; sa beauté était chantée par tous les griots, et les Ardos — guerriers peulhs — se battaient pour elle ; mais l'amour et la sagesse de Sira élirent Amadou, jeune homme d'une belle famille, dont le courage égalait sa conduite irréprochable. Il ne comptait pas beaucoup d'amis et avait reçu le surnom de « taci- turne ».

Leurs fiançailles célébrées, Amadou et Sira fai- saient prévisions de leur future vie conjugale ; sou- vent, la nuit, dans la cour des parents de Sira, les deux amoureux contemplaient le firmament, se laissaient bercer par leurs pensées et ne recueillaient dans leur communion d'amoureux que le témoignage de la lune. Loin d'eux toute pensée maléfique. Pourtant, le malheur frappa à leur porte : Sira fut désignée comme offrande et devait être avalée par le serpent.

A l'annonce de cette nouvelle, Amadou perdit la tête ; il ne pouvait plus dormir, mille pensées l'assail- laient. Seul dans le bonheur comme dans le malheur, il pactisait avec le sort : son amour ne céda pas à l'infortune prévisible, son courage l'excitait. C'est alors qu'il sortit son sabre et l'aiguisa toute la nuit. Le griot dit que le sabre était si tranchant qu'il coupait le vent.

Au crépuscule du jour fatal, l'occident était d'un pourpre cynique. Les quelques nuages qui parcou- raient le ciel étaient couleur de deuil. Le soleil semblait emporter avec lui la joie de l'homme ; la nuit