IBN ‘ARABÎ

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IBN ‘ARABÎ Muḥyī l-dīn Abū ʿAbd Allāh Muḥammad b. ʿAlī b. Muḥammad b. al-ʿArabī al- Ḥātimī al-Ṭāʾī, appelé al-S̲h̲ayk̲h̲ al-akbar (560-638/1165-1240), fut un des plus grands Ṣūfis de l’Islam (on a l’habitude de le désigner à tort sous le nom d’Ibn ʿArabī, sans l’article, pour le distinguer d’Ibn al-ʿArabī, Abū Bakr [q.v.] et, en Turquie, on l’appelle souvent Muḥyī l-dīn ʿArabī); certaines sources (p. ex. al-Kutubī, Fawāt al-wafayāt, Caire 1951, II, 487) lui attribuent la kunya d’Abū Bakr, alors que lui-même, dans des notes autographes, se dénomme simplement Abū ʿAbd Allāh. Vie. Il naquit à Murcie le 27 ramaḍān 560/7 août 1165 (voir la note de Ṣadr al- dīn al-Ḳūnawī, reproduite par A. Ateş dans TV, n.s. I/1 (16) (1955), pl. xxv), dans une famille qui se disait issue de. Ḥātim al-Ṭāʾī [q.v.], et il y avait des Ṣūfis parmi ses proches parents; quand il atteignit l’âge de huit ans, son père s’établit à Séville où Ibn al-ʿArabī commença son instruction proprement dite; dès son adolescence, il aurait servi de kātīb à plusieurs gouverneurs (al-Maḳḳarī, Nafḥ al-ṭīb, I, 568). Très tôt, au cours d’une maladie, il eut une vision (Futūḥāt, IV, 552) qui ¶ changea sa vie et l’amena à considérer ses années antérieures comme une période de d̲j ̲ āhiliyya (Futūḥāt, I, 207); la sincérité de cette «conversion» frappa énormément un ami de son père, le philosophe Ibn Rus̲h̲d [q.v.] qui était alors ḳāḍī de Séville (Futūḥāt, I, 170). Bien qu’Ibn al-ʿArabī ait soutenu que sa maʿrifa lui fut communiquée sans intermédiaire, il cite dans ses ouvrages le nom de nombreux s̲h̲ ayk̲h̲ s qu’il servit et dont il rechercha la compagnie, notamment Abū Ḏj ̲ aʿfar al-ʿUraynī (Rūḥ al-ḳuds (n° 8 ci-après), fol. 41; Futūḥāt, III, 589, 596, etc.), Abū Yaʿḳūb al-Ḳaysī, disciple d’Abū Madyan [q.v.] (Rūḥ al- ḳuds, fol. 43), Ṣāliḥ al-ʿAdawī, expert dans la révélation de l’avenir, Abū l-Ḥad̲j ̲ d̲j ̲ ād̲j ̲ Yūsuf, etc. (Rūḥ al-ḳuds, fol. 46-73) et deux femmes, Fāṭima bint al-Mut̲h̲annā et S̲h̲ams Umm al-Fuḳarāʾ. Bien qu’il indique Abū Madyan (m. 588/1193) comme son s̲h̲ ayk̲h̲ , il ne fut jamais personnellement en rapport avec lui (Rūḥ al-ḳuds, fol. 66). Ibn al-ʿArabī passa une dizaine d’années dans diverses villes d’Espagne et d’Afrique du Nord avec ces maîtres, mais demeura attaché à Séville jusqu’en 590/1194; au cours de cette année — il avait alors 30 ans — il se rendit à Tunis pour rencontrer un certain ʿAbd al-ʿAzīz al-Mahdawī (Rūḥ al-ḳuds, fol. 33) et, l’année suivante, il gagna Fès où, en 594/1198, il écrivit son Kitāb al-Isrāʾ (n° 3 ci-après). En 595/1199, il se trouvait à Cordoue, où il assista aux funérailles d’Ibn Rus̲h̲d, puis à Alméria où il écrivit ses Mawāḳiʿ al- nud̲j ̲ ūm (n° 7 ci-après; Nafḥ al-ṭīb, I, 576); en 598/1202, il revint à Tunis puis, passant par Le Caire et Jérusalem, il entreprit le pèlerinage (Rūḥ al- ḳuds, fol. 63 v.); profondément ému par la vue de la Kaʿba qui, pour lui, représentait le point de contact entre les mondes de l’invisible (g ̲ h̲ayb) et du visible (s̲h̲ uhūd), il séjourna deux ans à la Mekke, accomplissant souvent

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Article de l'Encyclopédie de l'Islam

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IBN ‘ARABÎ

Muḥyī l-dīn Abū ʿAbd Allāh Muḥammad b. ʿAlī b. Muḥammad b. al-ʿArabī al-Ḥātimī al-Ṭāʾī, appelé al-S̲� h� ayk̲� h� al-ak̲bar (560-638/1165-1240), fut un des plus grands Ṣūfis de l’Islam (on a l’habitude de le désigner à tort sous le nom d’Ibn ʿArabī, sans l’article, pour le distinguer d’Ibn al-ʿArabī, Abū Bak̲r [q.v.] et, en Turquie, on l’appelle souvent Muḥyī l-dīn ʿArabī); certaines sources (p. ex. al-Kutubī, Fawāt al-wafayāt, Caire 1951, II, 487) lui attribuent la kunya d’Abū Bak̲r, alors que lui-même, dans des notes autographes, se dénomme simplement Abū ʿAbd Allāh.

Vie.

Il naquit à Murcie le 27 ramaḍān 560/7 août 1165 (voir la note de Ṣadr al-dīn al-Ḳūnawī, reproduite par A. Ateş dans TV, n.s. I/1 (16) (1955), pl. xxv), dans une famille qui se disait issue de. Ḥātim al-Ṭāʾī [q.v.], et il y avait des Ṣūfis parmi ses proches parents; quand il atteignit l’âge de huit ans, son père s’établit à S̲éville où Ibn al-ʿArabī commença son instruction proprement dite; dès son adolescence, il aurait servi de kātīb à plusieurs gouverneurs (al-Maḳḳarī, Nafḥ al-ṭīb, I, 568). Très tôt, au cours d’une maladie, il eut une vision (Futūḥāt, IV, 552) qui ¶ changea sa vie et l’amena à considérer ses années antérieures comme une période de d̲� j̲� āhiliyya (Futūḥāt, I, 207); la sincérité de cette «conversion» frappa énormément un ami de son père, le philosophe Ibn Rus� h� d [q.v.] qui était alors ḳāḍī de S̲éville (Futūḥāt, I, 170). Bien qu’Ibn al-ʿArabī ait soutenu que sa maʿrifa lui fut communiquée sans intermédiaire, il cite dans ses ouvrages le nom de nombreux s̲� h� ayk� h� s qu’il servit et dont il rechercha la compagnie, notamment Abū Ḏj̲� aʿfar al-ʿUraynī (Rūḥ al-ḳud̲s̲ (n° 8 ci-après), fol. 41; Futūḥāt, III, 589, 596, etc.), Abū Yaʿḳūb al-Ḳaysī, disciple d’Abū Madyan [q.v.] (Rūḥ al-ḳud̲s̲, fol. 43), Ṣāliḥ al-ʿAdawī, expert dans la révélation de l’avenir, Abū l-Ḥad� j̲� d� j̲� ād� j̲� Yūsuf, etc. (Rūḥ al-ḳud̲s̲, fol. 46-73) et deux femmes, Fāṭima bint al-Mut� h� annā et S̲� h� ams Umm al-Fuḳarāʾ. Bien qu’il indique Abū Madyan (m. 588/1193) comme son s̲� h� ayk� h� , il ne fut j̲amais personnellement en rapport avec lui (Rūḥ al-ḳud̲s̲, fol. 66).

Ibn al-ʿArabī passa une dizaine d’années dans diverses villes d’Espagne et d’Afrique du Nord avec ces maîtres, mais demeura attaché à S̲éville j̲usqu’en 590/1194; au cours de cette année — il avait alors 30 ans — il se rendit à Tunis pour rencontrer un certain ʿAbd al-ʿAzīz al-Mahdawī (Rūḥ al-ḳud̲s̲, fol. 33) et, l’année suivante, il gagna Fès où, en 594/1198, il écrivit son Kitāb al-Is̲rāʾ (n° 3 ci-après). En 595/1199, il se trouvait à Cordoue, où il assista aux funérailles d’Ibn Rus� h� d, puis à Alméria où il écrivit ses Mawāḳiʿ al-nud̲� j̲� ūm (n° 7 ci-après; Nafḥ al-ṭīb, I, 576); en 598/1202, il revint à Tunis puis, passant par Le Caire et Jérusalem, il entreprit le pèlerinage (Rūḥ al-ḳud̲s̲, fol. 63 v.); profondément ému par la vue de la Kaʿba qui, pour lui, représentait le point de contact entre les mondes de l’invisible (g̲� h� ayb) et du visible (s̲� h� uhūd̲), il séj̲ourna deux ans à la Mek̲k̲e, accomplissant souvent le ṭawāf, lisant, méditant et ayant des visions et des songes mystiques nombreux. C’est là qu’il écrivit son Tād̲� j̲� al-ras̲āʾil (n° 6) et son Rūḥ al-ḳud̲s̲ (n° 8) et qu’il commença, en 598/1202, ses grandes Futūḥāt makkiyya (n° 1); c’est là également qu’il adressa à ʿAyn al-S̲� h� ams Niẓām, fille d’un Ispahanais résidant à la Mek̲k̲e, les poèmes recueillis dans un d̲īwān intitulé Tard̲� j̲� umān al-as̲� h� wāḳ (n° 13).

En 600/1204, il rencontra à la Mek̲k̲e un certain nombre de pèlerins anatoliens de Ḳonya et de Malaṭya, conduits par le père de Ṣadr al-dīn al-Ḳūnawī, Mad� j̲� d al-dīn Isḥāḳ, qui vivait alors en S̲yrie et les accompagna dans leur voyage de retour, par Bag� h� dād et al-Mawṣil (où ils passèrent quelques mois), j̲usqu’à Malaṭya où ils arrivèrent avant d� h� ū l-ḳaʿda 601/j̲uin-j̲uillet 1205. Le sultan de Ḳonya, Kay-Ḵh� usraw Ier [q.v.], qui venait d’être rétabli sur son trône, invita Mad� j̲� d al-dīn à revenir chez lui (Ibn Bībī, facs. 91 sq.; tr. Duda, 41 sq.); celui-ci se fit accompagner par Ibn al-ʿArabī, et le sultan les combla tous deux de présents (Nafḥ al-ṭīb, I, 569; Futūḥāt, III, 126, 255). Dans les années suivantes, Ibn al-ʿArabī retourna à Jérusalem, au Caire et à la Mek̲k̲e mais, en 606/1209-10, il est de nouveau à Ḳonya où, cette même année, il écrit la Ris̲ālat al-anwār; en 608/1211-2, on le retrouve à Bag� h� dād, où il accompagnait peut-être Mad� j̲� d al-dīn, qui avait été envoyé à la cour califale pour annoncer l’accession au trône de Kay-Kāʾūs Ier; à ce nouveau souverain, Ibn al-ʿArabī adresse une lettre de conseils pratiques sur des questions religieuses (texte dans Futūḥāt, IV, 604 sq.). Au cours des années suivantes, il visita Alep (où il commença le S̲� h� arḥ (n° 14) de son Tard̲� j̲� umān al-as̲� h� wāḳ qu’il acheva à Ak̲saray en 612/1215) et S̲ivas (où il eut, en rêve, la prémonition ¶ de la reprise d’Antalya par Kay-Kāʾūs), mais à partir de 612/1216, il vécut surtout à Malaṭya et c’est là que naquit son fils S̲aʿd al-dīn Muḥammad en 618/1221. Il semble douteux qu’il ait épousé, comme certains le disent, la veuve de son vieil ami Mad� j̲� d al-dīn; du moins le fils de ce

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dernier, Ṣadr al-dīn (né en 606/1209-10) et Ibn al-ʿArabī ne parlent j̲amais l’un de l’autre comme beau-père et beau-fils.

On ne sait ni pourquoi ni quand Ibn al-ʿArabī quitta définitivement l’Anatolie pour s’installer à Damas où on note sa présence en 627/1230 pour la première fois; il y éprouva probablement un certain malaise du fait qu’il était en butte aux critiques des Orthodoxes, mais il trouva des protecteurs parmi les ḳāḍīs membres de la famille des Banū Zak̲ī (Ibn Kat� h� īr, al-Bid̲āya wa-l-nihāya, Caire s.d., XIII, 156) et parmi les Ayyūbides. Il mena une vie calme de lecture et d’enseignement, composa, à la suite d’un songe qu’il eut en 627/1229, l’ouvrage qui eut le plus d’influence, les Fuṣūṣ al-ḥikam (n° 2 ci-après. et, à partir de 630/1233, revit et compléta ses Futūḥāt. La tradition (Nafḥ al-ṭīb, I, 581, d’après al-Yāfiʿī [q.v.]) qui voudrait que, vers la fin de sa vie, Ibn al-ʿArabi ait interdit la lecture de ses ouvrages, est démentie par le fait qu’il s’est fait relire et qu’il a approuvé, vingt j̲ours seulement avant sa mort (A. Ateş, dans Bell., XVI/61 (1952), 87), le texte de son Kitāb al-As̲fār (n° 10), et que son disciple Ṣadr al-dīn, qui l’assistait dans ses derniers j̲ours, a passé sa vie à enseigner et commenter les ouvrages de son maître. Ibn al-ʿArabī mourut le 28 rabīʿ II 638/16 novembre 1240 dans la maison du ḳāḍī Muḥyī l-dīn Ibn al-Zak̲ī et fut inhumé dans la turba de cette famille, sur les pentes du mont Ḳāsiyūn.

Ibn al-ʿArabī se maria plusieurs fois et eut probablement beaucoup d’enfants, mais on n’en connaît que deux: S̲aʿd al-dīn Muḥammad (né en 618/1221 à Malaṭya, m. 656/1258 à Damas), qui était poète (al-Kutubī, Fawāt, II, 325 qui indique, cependant, 686 comme étant la date de sa mort; Nafḥ al-ṭīb, I, 572; Brock̲elmann, I, 583) et ʿImād al-dīn Abū ʿAbd Allāh, mort en 667/1269 à Damas (Nafḥ al-ṭīb, loc. cit.).

Le sultan ottoman S̲elīm Ier, alors qu’il se trouvait à Damas après sa campagne d’Égypte (923-4/1517-8), ordonna la réfection de la turba où Ibn al-ʿArabī était enterré et la construction, à proximité, d’une mosquée et d’une takkiyya (H. Laoust, Les̲ g̲ouverneurs̲ d̲e Damas̲…, Damas 1952,148-50; cf. Ferīdūn, Muns̲� h� aʾāt1, I, 404, 441, 444; S̲aʿd al-dīn, II, 379); à cette occasion, une fatwā à la louange d’Ibn al-ʿArabī fut délivrée par Kemāl-Pas� h� a-zāde [q.v.] (texte dans S̲� h� ad̲� h� arāt, V, 195).

Oeuvre.

Ibn al-ʿArabī fut certainement le plus fécond des auteurs ṣūfis; bien que Brock̲elmann (I, 571-82, S̲ I, 791-802) ne cite pas moins de 239 ouvrages (peut-être avec quelques répétitions d’ouvrages sous des titres différents), il n’a pas eu l’occasion d’utiliser pleinement les abondantes ressources des bibliothèques d’Istanbul et d’Anatolie qui n’ont pas encore complètement été fouillées. Ibn al-ʿArabī ne savait pas lui-même combien de livres il avait écrit; sur la demande de ses amis, il essaya d’en dresser un catalogue dont trois versions (discordantes) existent encore: — 1. Fihris̲t (Konya, ms. Yusuf Ağa 4989, 378-89, au suj̲et duquel voir A. Ateṣ, dans TV, n.s. I/1 (16) (1955), 155-6), rédigé par Ṣadr al-dīn avant 627/1230, et incomplet; — 2. un ms. de 1337/1918-9 (copié sur un exemplaire de 639/1241-2) est la source du Fihris̲t muʾallafāt Muḥyī l-d̲īn b. al-ʿArabī de Kurk̲īs ʿAwwād, dans MMIA, XXIX (1954), 344-59, 527-36, XXX (1955), 51-60, 268-80, ¶ 395-410; celui-ci énumère 248 ouvrages, dont certains sont donnés comme inachevés; — 3. l’id̲� j̲� āza qu’Ibn al-ʿArabī donna à l’Ayyūbide G̲� h� āzī b. al-Malik̲ al-ʿĀdil en 632/1234 (voir Ahlwardt, Verzeichnis̲s̲..., IV, 77, n° 2992/4) fait état de 289 ouvrages. [Le répertoire général d’Osman Yahia (voir Bibl.) ne compte pas moins de 846 numéros]. En définitive, il est à peu près certain qu’Ibn al-ʿArabī est l’auteur d’environ 400 ouvrages dont certains, comme il le dit lui-même (K. ʿAwwād, op. cit., XXIX, 355, 527, 534), furent abandonnés à d’autres, certains mis en circulation et d’autres conservés par lui en attendant que Dieu lui ordonnât de les rendre publics. De nombreux livres d’Ibn al-ʿArabī, écrits par lui-même ou faisant partie de sa bibliothèque, échurent à Ṣadr al-dīn al-Ḳūnawī qui les légua en waḳf à la bibliothèque qu’il fonda à Ḳonya; malgré des négligences, il en existe encore beaucoup dans la bibliothèque Yusuf Ağa à Konya et dans d’autres bibliothèques turques. Dans le texte qui suit, on mettra l’accent sur ces manuscrits et sur d’autres d’une importance exceptionnelle.

La production d’Ibn al-ʿArabī ne s’est pas cantonnée dans le domaine du taṣawwuf, mais ses ouvrages dans d’autres domaines ne semblent pas avoir été conservés; parmi ces derniers on peut citer un abrégé du Ṣaḥīḥ de Muslim et un Kitāb Miftāḥ al-s̲aʿād̲a, recueil des traditions rassemblées par Muslim et al-Buk̲� h� ārī; un abrégé d’al-Muḥallā d’Ibn Ḥazm semble avoir été connu de Ḥād� j̲� d� j̲� ī Ḵh� alīfa (Kas̲� h� f al-ẓunūn, II, 1617).

Parmi ses ouvrages de Ṣūfisme, les plus importants sont:

1.

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al-Futūḥāt al-Makkiyya fī as̲rār al-mālikiyya wa-l-mulkiyya (Brock̲elmann2, n° 10); le texte autographe de la deuxième recension, en 37 volumes datés de 633 à 637/1235-9, est conservé à Istanbul, mss. Türk̲-Islâm Eserleri Müzesi 1845-81; plusieurs éditions imprimées 1269, 1294, 1329. L’ouvrage a été commencé à la Mek̲k̲e en 598/1201 et achevé, d’après une tradition, en 629/1231. Il comporte six faṣls subdivisés en 560 bābs et expose dans son intégralité la doctrinie ṣūfie de l’auteur; un commentaire sur les passages difficiles de l’ouvrage a été écrit par ʿAbd al-Karīm al-Ḏj̲� īnī (m. 832/1428; Brock̲elmann, S̲ II, 283), et il en existe des abrégés par (ʿAbd al-Wahhāb) al-S̲� h� aʿrānī (m. 973/1565 [q.v.]): Lawāḳiḥ al-anwār …(Caire 1311), al-Kibrīt al-aḥmar…(Caire 1277), al-Yawāḳīt wa-l-d̲� j̲� awāhir…(Caire 1277, 1305, 1321).

2.

Fuṣūṣ al-ḥikam wa-k� h� uṣūs̲ al-kilam (Brock̲elmann2, n° 11), manuscrit écrit par Ṣadr al-dīn en 630/1232-3, lu à l’auteur et corrigé par lui, conservé à Istanbul, ms. Türk̲-Islâm Eserleri Müzesi 1933. Ce sommaire des enseignements de 28 prophètes d’Adam à Muḥammad, dicté à Damas, au cours d’un songe, par le Prophète à l’auteur, a souvent été imprimé: Caire 1252, Istanbul 1897, Caire 1304, 1309, 1321, 1329, etc.…; trad. anglaise abrégée: S̲ahib Khaj̲a Khan, Wis̲d̲om of the Prophets̲…, Madras 1929; tr. française partielle: T. Burck̲hardt, La s̲ag̲es̲s̲e d̲es̲ Prophètes̲, Paris 1955; tr. turque dans la série Şark̲-Islâm Klasik̲leri (n° 27) par Nûrî G̲enç Osman, Istanbul 1952. Brock̲elmann énumère j̲usqu’à 35 commentaires, dont les plus importants sont: a) Miftāḥ al-Fuṣūṣ d’Ibn al-ʿArabī lui-même; b) al-Fukūk fī mus̲tanad̲āt Ḥikam al-Fuṣūṣ de Ṣadr al-dīn (voir Osman Ergin, dans Şarkiyat Mecmuas̲i, II (1957), 75); les commentaires c) de ʿAfīf al-dīn al-Tilamsānī (m. 690/1291; Brock̲elmann, I, 300) et d) de ʿAbd al-Razzaḳ al-Kās� h� ānī (m. 736/1335; Brock̲elmann, S̲ II, 280); e) le Maṭlaʿ k� h� uṣūṣ al-kilam de Dāwūd al-Ḳayṣarī (m. 751/1350; Brock̲elmann, ¶ II, 299); f) le Naḳd̲ al-nuṣūṣ de Ḏj̲� āmī [q.v.], etc.

3.

Kitāb al-Is̲rā ilā maḳām al-as̲rā (Brock̲elmann2, n° 15); le ms. Veliyüddin (Istanbul, Bibliothèque publique Bayezid) 1628, portant la date de 633/1235-6, fut lu à l’auteur; imprimé à Ḥaydarābād en 1367/1948. Il s’agit d’un court ouvrage écrit en prose rimée (s̲ad̲� j̲� ʿ) à Fès en 594/1198; il décrit le «miʿrād̲� j̲� » d’Ibn al-ʿArabī depuis le monde de l’existence (kawn) j̲usqu’à la station (mawḳif) en présence de Dieu; commentaires par: a) son disciple Ismāʿīl b. S̲awdak̲īn al-Nūrī (m. 646/1248; Brock̲elmann, I, 582); b) S̲itt al-ʿAd� j̲� am bint al-Nafīs, et c) Zayn al-ʿĀbidīn al-Munāwī.

4.

Muḥāḍarāt al-abrār wa-mus̲āmarāt al-ak� h� yār (Brock̲elmann2, n° 128). Le ms. Istanbul, Topk̲apisarayi, Ahmed III 2145, est daté de 711/1311-2; imprimé au Caire 1282 (lith.), 1305, 1324. Ce recueil d’anecdotes en deux volumes contient quelques additions apocryphes mais on est sûr de l’auteur pour l’essentiel de l’ouvrage.

5.

Ḳalām al-ʿAbād̲ila (Brock̲elmann2, n° 126); ms. daté de 641/1243-4: Konya, Yusuf Ağa 4859/2; même date: Istanbul, Aya S̲ofya 4817/1; ms. daté de 663/1264-5: Istanbul, Köprülü 713/3 (copié sur l’autographe); recueil de «dires» attribués à de nombreux personnages (imaginaires) appelés «ʿAbd Allāh».

6.

Tād̲� j̲� al-ras̲āʾil wa-minhād̲� j̲� al-was̲āʾil (Brock̲elmann2, n° 54). Ms. daté de 613/1216-7 et 616/1219-20, «entendu» par l’auteur: Istanbul, Veliyüddin 1759/1; de 764/1362-3: Istanbul, Aya S̲ofya 4875, fol. 130-46; imprimé au Caire en 1328. Ensemble de huit lettres relatant ses entretiens spirituels avec la Kaʿba, alors qu’il était à la Mek̲k̲e en 600/1203-4.

7.

Mawāḳiʿ al-nud̲� j̲� ūm wa-maṭāliʿ aḥillat al-as̲rār wa-l-ʿulūm (Brock̲elmann2, n° 18); composé en 595/1199 à Alméria; imprimé au Caire en 1325.

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8.

Ris̲ālat Rūḥ al-ḳud̲s̲ fī munāṣaḥat al-nafs̲ (Brock̲elmann2, n° 56); ms. copié en rabīʿ I 600/fin de 1203, mois de sa composition: Bibliothèque de l’Université d’Istanbul A 79; lith. Caire 1281. Lettre écrite de la Mek̲k̲e à son ami de Tunis ʿAbd al-ʿAzīz al-Mahdawī, contenant des critiques sur les préoccupations mondaines de Ṣūfis rencontrés et de nombreux renseignements sur les s̲� h� ayk� h� s connus en Espagne (ce dernier chapitre a été étudié et trad. en espagnol par M. Asín Palacios, Vid̲as̲ d̲e s̲antones̲ en And̲alucía, Madrid 1933).

9.

al-Tanazzulāt al-mawṣiliyya fī as̲rār al-ṭahārāt wa-l-ṣalawāt wa-l-ayyām al-aṣliyya (Brock̲elmann2, n° 100); ms. autographe daté de 620/1223-4: Istanbul, Şeyh Murad (S̲üleymaniye) 162; ms. lu à l’auteur par Ṣadr al-dīn: Konya, Yusuf Ağa 4861; ms. également lu à l’auteur: Istanbul, Murad Molla 1256; ms. du ch. 4 daté de 602/1205-6: Konya, Yusuf Aga 4868, fol. 46 sqq.; ouvrage en 55 chapitres, composé à al-Mawṣil sur la signification «interne» des obligations religieuses.

10.

Kitāb al-As̲fār (non cité dans Brock̲elmann); ms. lu à l’auteur, daté de 638/1240: Konya, Yusuf Ağa 4859, fol. 4-38. S̲ur les trois «voyages» vers, dans et à partir de Dieu.

11.

al-Is̲fār ʿan natāʾid̲� j̲� al-as̲fār (Brock̲elmann, S̲ I, n° 152); imprimé à Ḥaydarābād en 1367/1948; peut-être identique au précédent.

12.

Dīwān (Brock̲elmann2, n° 130); mss écrits du vivant de l’auteur: Konya, Yusuf Ağa 5501, 5502; imprimé à Būlāḳ en 1271; lith. Bombay s.d.

13.

Tard̲� j̲� umān al-as̲� h� wāḳ et 14) commentaire de ce dernier: Fatḥ (Kas̲� h� f) al-d̲� h� ak� h� āʾir wa-l-aʿlāḳ ʿan wad̲� j̲� h Tard̲� j̲� umān al-as̲� h� wāḳ (Brock̲elmann2, no 129); tr. anglaise du texte et d’une partie du commentaire: ¶ R. A. Nicholson, The Tarj̲umán al-As̲hwáq, a collection of mys̲tical od̲es̲, Londres (Or. Trans. Fund, n.s. XX) 1911; commentaire imprimé: Beyrouth 1312. Le texte existant contient 61 poèmes d’amour précédés de deux préfaces tout à fait contradictoires: selon la première, les pièces ont été écrites pour l’amour de Niẓām bint Mak̲īn al-dīn et, selon l’autre, elles doivent être interprétées dans un sens allégorique; dans la conclusion du commentaire, il est dit qu’il a été écrit parce que les poèmes avaient provoqué des commérages en S̲yrie; la vérité pourrait être que ces poèmes forment deux groupes: les uns écrits en 598/1201-2 pour Niẓām, avec la première préface, et les autres lorsque Ibn al-ʿArabī avait près de 50 ans, c’est-à-dire vers 610/1213 (cf. le poème 32), avec la seconde préface; les deux groupes furent réunis lorsque le s̲� h� arḥ fut entrepris.

15.

S̲� h� arḥ Ḵh� alʿ al-naʿlayn (Brock̲elmann2, n° 103a); ms. de la bibliothèque de Ṣadr al-dīn, daté de 640/1242-3: Konya, Yusuf Ağa 4989, 110-338. Commentaire par Ibn Ḳasī [q.v.].

16.

Kitāb Ḥilyat al-abd̲āl (Brock̲elmann2, n° 28); ms. daté de 602/1205-6: Konya, Yusuf Ağa 4868/4; imprimé à Ḥaydarābād, 1948; tr. turque Enwer, Istanbul 1326.

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17.

Kitāb Tād̲� j̲� al-tarād̲� j̲� im fī is̲� h� ārāt al-ʿilm wa-laṭāʾif al-fahm (Brock̲elmann2, n° 65); ms. daté de 602/1205-6: Konya, Yusuf Aǧa 4868/5; de 649/1251-2: Istanbul, Aya S̲ofya 4817/3.

18.

Kitāb al-S̲� h� awāhid̲ (Brock̲elmann2, n° 29); ms. daté de 602/1205-6: Konya, Yusuf Ağa 4868/6; de 649/1251-2: Istanbul, Aya S̲ofya 4817/2.

19.

Kitāb Is̲� h� ārāt al-Ḳurʾān fī ʿālam al-ins̲ān (Brock̲elmann2, n° 48); ms. écrit durant la vie de l’auteur: Konya, Yusuf Ağa 4989/1.

Pour d’autres détails sur les manuscrits de Konya et Manisa, voir A. Ateş, Konya kütüphanelerind̲e bulunan bazi mühim yazmalar, d̲ans̲ Belleten, XVI/61 (1952), 49-130; le même, Anad̲olu kütüphanelerind̲en…, d̲ans̲ TV, n.s. I/1 (16) (1955), 150-7; le même, al-Mak� h� ṭūṭāt al-ʿarabiyya fī maktabāt al-Anāḍūl, dans RIMA, IV (1958), 25 sqq.

Parmi les apocryphes attribués à Ibn al-ʿArabī, on peut mentionner: Tafs̲īr al-s̲� h� ayk� h� al-akbar (Brock̲elmann2, n° 3), al-S̲� h� ad̲� j̲� ara al-nuʿmāniyya fī l-d̲awla al-ʿut� h� māniyya (Brock̲elmann2, n° 124) et un ouvrage populaire sur l’interprétation des songes (Taʿbīrnāma-i Muḥyī l-d̲īn ʿArabī terd̲� j̲� ümes̲i, Istanbul 1309, etc.; très récemment Rüya tâbirleri, Istanbul 1955).

Pensée.

La plupart de ses ouvrages étant touj̲ours à l’état de manuscrits, il n’est pas encore possible de donner un aspect complet des idées d’Ibn al-ʿArabī; le résumé qui suit ne repose donc que sur une petite partie de ses écrits et notamment sur al-Futūḥāt al-makkiyya.

Mais avant d’examiner ses idées mystiques, il est nécessaire de considérer sa conception épistémologique. Comme presque tous les Ṣūfis musulmans, Ibn al-ʿArabī tient la raison humaine pour gravement limitée; dans l’introduction des Futūḥāt (I, 33 sqq. et cf. III, 505), il divise les branches de la connaissance (ʿilm) en trois catégories: a) celle qui est acquise par le truchement de la raison (ʿaḳl), b) celle qui est obtenue à travers des «états» (ḥāl) et obtenue par perception du goût, de la couleur, etc., c) celle des mystères qui est celle que l’âme «souffle» (nafat� h� a) dans le cœur (rūʿ) et qui est en partie semblable — bien que supérieure — à la connaissance procurée par le ʿaḳl et le ḥāl, et en partie la connaissance provenant de «communications» (ak� h� bār), c’est-à-dire des révélations de prophètes. Cette «connaissance», provenant de Dieu, avec ou sans la médiation ¶ d’un ange, et acquise uniquement au prix d’un entraînement mystique profond, est la maʿrifa; les branches véritables de la connaissance sont les maʿārif, et celui qui s’en rend maître connaît toute chose.

Les maʿārif, et particulièrement celles qui ont trait à la «voie» de Dieu, ne sauraient être acquises par la raison ou par le ḳiyās̲ [q.v.] qui en est l’instrument le plus efficace, car « chaque j̲our [Allāh] est pris par une œuvre» (Ḳurʾān, LX, 29). La véracité d’une affirmation dépend de sa source; les prophètes connurent des vérités par le moyen de l’inspiration (ilḳāʾ): celles-ci doivent être reçues avec foi et ne peuvent être l’obj̲et de discussions. Ibn al-ʿArabī réclamait une autorité semblable en faveur de ses propres enseignements, étant donné que le walī [q.v.] est modelé sur le prophète dont il est l’héritier, mais il est loin de revendiquer le don de prophétie (nubuwwa) pour lui-même (Futūḥāt, III, 505).

Les maʿārif d’Ibn al-ʿArabī, auxquelles il attribuait une origine uniquement divine, avaient en fait d’autres sources; une des principales était le Ḳurʾān, dont il avait cru pouvoir prendre la liberté d’interpréter les versets, les mots ou les lettres initiales de diverses sourates d’une manière qui n’avait aucun rapport avec le contexte; il étudia également les œuvres de mystiques tels que Ḏj̲� unayd, Bāyazīd al-Bisṭāmī, al-Ḥallād� j̲� et al-Ḳus� h� ayrī [q.vv.]. Il subit aussi l’influence du néo-platonisme musulman (ses relations avec Ibn Rus� h� d ont été indiquées plus haut), et il admit que la vérité se trouve dans les affirmations de philosophes tels qu’al-G̲� h� azālī et al-

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S̲uhrawardī [q.vv.]. En fait, la compréhension des écrits d’Ibn al-ʿArabī est rendue extrêmement difficile par le fait qu’il emploie comme équivalents interchangeables des termes ayant des sens différents pris à des sources aussi diverses que celles qu’on vient de citer.

Ibn al-ʿArabī croyait que Dieu est une Existence exempte de tous attributs; il employait à cet égard des expressions telles que ʿamāʾ muṭlaḳ, g̲� h� ayb al-g̲� h� uyūb, suggérant presque ainsi que Dieu est inconnaissable. L’émanation (ṣud̲ūr) d’autres êtres (mawd̲� j̲� ūd̲āt) de cet Être est expliquée de façon extrêmement confuse (voir, par ex., S̲� h� ifāʾ al-s̲āʾil d’Ibn Ḵh� aldūn, éd. M. Tāwīt al-Ṭand� j̲� ī, Ank̲ara (Ank̲. Ün. II. Fak̲. Yay. XXII) 1957), mais concorde, dans ses éléments essentiels, avec la position néo-platonicienne, et donc bāṭinite (résumé dans İA, art. Muhyi-d-dîn Arabî, 549a-551a). L’homme accomplit diverses étapes qui sont conçues comme une série de voyages (as̲fār), dont trois en particulier: 1) à partir de Dieu, al-s̲afar ʿan Allāh, par lequel un homme ayant traversé les divers mondes (ʿawālim), est né dans le monde terrestre et est ainsi entraîné loin de Dieu; 2) vers Dieu, al-s̲afar ilā Allāh, par lequel, et avec l’assistance d’un guide, il accomplit le voyage spirituel dans le but d’atteindre «la station de j̲onction (avec l’Intellect Universel) après la séparation» (maḳām al-d̲� j̲� amʿ baʿd̲ al-tafriḳa), 3) en Dieu, al-s̲afar fī llāh; les deux premiers voyages ont une fin, mais le troisième n’en a pas: c’est le baḳāʾ bi-llāh. Le voyageur (s̲ālik) qui fait le troisième voyage accomplit ceux des préceptes de la s̲� h� arīʿa qui sont farḍ; extérieurement, il vit avec ses semblables, mais, à l’intérieur, il habite avec Dieu. Il n’est pas donné à chacun d’aller au delà du premier voyage, et seuls ceux qui ont un don spécial (k� h� awāṣṣ) peuvent parvenir à la vision de Dieu; d’ailleurs, en ce qui concerne ces derniers, cela dépend de certaines conditions (s̲� h� urūṭ) dont certaines sont remplies par le voyageur (s̲ālik, murīd̲) lui-même, et ¶ d’autres fournies par le s̲� h� ayk� h� . Même le Prophète a eu un s̲� h� ayk� h� , G̲abriel; les s̲� h� ayk� h� s remplissent la fonction que les prophètes accomplirent de leur temps, sauf qu’ils n’instaurent pas une nouvelle s̲� h� arīʿa.

La conception d’Ibn al-ʿArabī sur le «voyageur» est exposée plus spécialement dans sa Tuḥfat al-s̲afara ilā haḍrat al-barara (Istanbul 1300; tr. turque M. S̲ālim, Istanbul 1303) et sa Ḥilyat al-abd̲āl (tr. turque Enwer, Istanbul 1306); les conditions que celui-ci doit remplir sont au nombre de quatre: 1) le silence (s̲amṭ), 2) l’éloignement des hommes (ʿuzla), 3) la faim (d̲� j̲� ū ʿ) et 4) la veille (s̲ahar); leur observance avec une intention sincère (ik� h� lāṣ) éveillera en son cœur un amour (maḥabba) qui croîtra j̲usqu’à devenir une passion (ʿis̲� h� ḳ) tout à fait étrangère aux désirs égoïstes (s̲� h� ahwa) et c’est cette passion, en particulier, qui mène l’homme à Dieu. Dans son voyage, le s̲ālik rencontre uneséried’«états» (aḥwāl), dont certains sont continus et donc appelés «lieux de repos» (maḳām, manzil), d̲ans̲ chacun des-quels il apprend diverses maʿārif. Lorsque le cœur est entièrement purifié, le voile (ḥid̲� j̲� āb) de ces «autres» choses qui cachent Dieu (mā s̲iwā Allāh) est retiré, toutes choses, passées, présentes et futures sont connues, Dieu accorde la manifestation (tad̲� j̲� allī) de Lui-même, et finalement l’union avec Lui (waṣl) est accomplie.

Influence.

G̲râce à la protection de soutiens influents, Ibn al-ʿArabī ne fut mis en danger qu’une seule fois dans sa vie pour ses opinions, et ce fut en Égypte (al-Maḳḳarī, Nafḥ al-ṭīb, I, 580). Ni lui, sa vie durant, ni ses disciples après sa mort ne fondèrent une ṭarīḳa; les deux plus grands instruments qui contribuèrent à répandre ses enseignements furent les ouvrages de son disciple Ṣadr al-dīn al-Ḳūnawī [q.v.] et le conventicule de ce dernier à Ḳonya qui réunit les savants ṣūfis venus en Anatolie et fuyant pour la plupart devant les Mongols. Le plus important parmi ceux-ci fut le poète ʿIrāḳī (m. 686/1287 [q.v.]), auteur des Lamaʿāt; cette paraphrase abrégée des Fuṣūṣ en persan répandit l’enseignement d’Ibn al-ʿArabī j̲usque dans l’Iran oriental (de sorte que les Lawāʾiḥ de Ḏj̲� āmī en sont une imitation). Parmi les autres, on peut citer al-Muʾayyad b. Maḥmūd al-Ḏj̲� anadī (Brock̲elmann, I, 588) et S̲aʿd al-dīn al-Farg� h� ānī (Brock̲elmann, S̲ I, 812; voir également A. Ateş, dans TM, VII-VIII/2 (1945), 112 sqq.).

Le mysticisme d’Ibn al-ʿArabī fut largement enseigné au Yémen, particulièrement à Zabīd où il souleva beaucoup d’hostilité; quelques fuḳahāʾ et ḳāḍīs demandèrent l’opinion de divers docteurs, et des fatwās déclarant que ses idées étaient une bid̲ʿa et que chaque mot des Fuṣūṣ était un kufr, furent émises, entre autres, par Ibn Taymiyya [q.v.], Taḳī al-dīn al-S̲ubk̲ī (m. 745/1344; Brock̲elmann, II, 106) et Badr al-dīn Ibn Ḏj̲� amāʿa (m. 767/1366; Brock̲elmann, II, 86). Ibn Ḵh� aldūn [q.v.], dans son S̲� h� ifāʾ al-s̲āʾil ci-dessus mentionné, examine la pensée mystique d’Ibn al-ʿArabī et la trouve dénuée de sens et hérétique. Il eut cependant de nombreux adeptes, ainsi qu’il ressort de la rédaction d’ouvrages de polémique tels que le Kas̲� h� f al-g̲� h� iṭāʾ d’Ibn al-Ahdal (m. 855/1451; Brock̲elmann, S̲ II, 239) et le Tanbīh al-g̲� h� abī ʿalā takfīr Ibn al-ʿArabī d’Ibrāhīm al-Biḳāʿī (m. 885/1480; Brock̲elmann, II, 179); ce n’est que plus tard qu’il trouva des défenseurs dans le Tanzīh al-g̲� h� abī d’al-S̲uyūṭī [q.v.], le Kitāb al-Rad̲d̲ fī munkir al-s̲� h� ayk� h� al-akbar de ʿAbd Allāh b. Maymūn al-Idrīsī (m. 917/1511; Brock̲elmann, II, 152) et surtout dans la fatwā donnée par Kemāl-Pas� h� a-zāde [q.v.] lorsque le sultan ottoman

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S̲elīm Ier donna l’ordre ¶ de restaurer sa turba (voir s̲upra, 730b). Par la suite, deux grands ouvrages furent écrits pour sa défense: al-Ḳawl al-mubīn fī l-rad̲d̲ ʿan Muḥyī l-d̲īn, d’al-S̲� h� aʿrānī (m. 973/1565 [q.v.], Brock̲elmann, II, 442) et al-Rad̲d̲ al-matīn…, de ʿAbd al-G̲� h� anī [q.v.].

Les enseignements d’Ibn al-ʿArabī furent répandus en Perse et en Inde surtout par Ḏj̲� āmī [q.v.] avec ses Lawāʾiḥ, un S̲� h� arḥ al-Fuṣūṣ en arabe et un S̲� h� arḥ Naḳs̲� h� al-Fuṣūṣ en persan; mais là aussi ses doctrines furent attaquées, notamment par al-Taftazānī [q.v.] dans al-Rad̲d̲ wa-l-taṣnīʿ ʿalā Kitāb al-Fuṣūṣ.

Les idées d’Ibn al-ʿArabī eurent leur influence la plus profonde en Anatolie grâce à l’action des disciples de Ṣadr al-dīn, si bien que ses ouvrages devinrent des classiques dans les mad̲ras̲as ottomanes et que des commentaires furent écrits par Dāwūd al-Ḳayṣarī (m. 751/1350; Brock̲elmann, II, 299), Ḳuṭb al-dīn al-Izniḳī [q.v.] et Yaziyd� j̲� iy-zāde Meḥmed [voir Yaziyd� j̲� iy-og� h� lu]; néanmoins, malgré la fatwā de Kemāl-Pas� h� a-zāde, al-Ḥalabī (m. à Istanbul en 956/1549 [q.v.]) écrivit une réfutation des Fuṣūṣ (Niʿmat al-d̲� h� arīʿa fī nuṣrat al-s̲� h� arīʿa), et un ouvrage semblable fut composé par ʿAlī al-Ḳārī (m. 1014/1605; Brock̲elmann, II, 519). A partir de ce moment, cependant, les écrits hostiles cessent, et l’on se trouve en présence d’un courant continu de commentaires et de traductions des œuvres d’Ibn al-ʿArabī et surtout des Fuṣūṣ. S̲eul Ḏj̲� alāl al-dīn Rūmī exerça une influence comparable en Anatolie, mais les deux grands commentateurs du Mat� h� nawī, Ismāʿīl Anḳarāwī (m. 1041/1631-2 [q.v.]) et Ṣariy ʿAbd Allāh (m. 1071/1661 [q.v.]), interprétèrent l’ensemble de ce texte à la lumière de la doctrine d’Ibn al-ʿArabī, et non à celle des enseignements de Ḏj̲� alāl al-dīn (voir A. Ates, Mes̲nevî’nin ons̲ekiz beytinin mânas̲i, dans Fuad̲ Köprülü armağani, Istanbul 1953. 37-50) et, à partir du VIII/’XIVe siècle, cette doctrine moniste (waḥd̲at al-wud̲� j̲� ūd̲ [q.v.]) devint le dogme principal du Ṣūfisme anatolien et de la philosophie exprimée dans la littérature de d̲īwān.

Ibn al-ʿArabī peut également avoir exercé une certaine influence sur l’Europe médiévale et notamment sur le missionnaire catalan Ramón Lull (vers 1235-1315; voir Carra de Vaux, Pens̲eurs̲, IV, 223 sqq.); on a même suggéré que la description qu’il fit de son is̲rāʾ influença Dante (voir M. Asín Palacios, Is̲lam and̲ the Divine Comed̲y, tr. angl. H. S̲underland, Londres 1926, introduction et 42-52 [sur cette question voir en outre Miʿrād� j̲� ]).

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Cet article est un abrégé de la contribution d’Ahmed Ates à l’İA (fasc. 85, pp. 533-55), s.v. Muhyi-d̲-Dîn Arabî, où sont données de plus amples références.

(A. Ateş)

Citation

"Ibn al-ʿArabī." Encyclopédie de l’Islam. Comité de redaction: P. Bearman, Th. Bianquis, C.E. Bosworth, E. van Donzel, H.A.R. G̲ibb (Volume I: 1-320), W.P. Heinrichs, J.H. Kramers, G̲. Lecomte, E. Lévi-Provençal, B. Lewis, V.L. Ménage, Ch. Pellat, J. S̲chacht. Brill Online, 2013. Reference. S̲CD PARIS̲ III S̲ORBONNE NOUVELLE. 16 June 2013 <http://referencework̲s.brillonline.com/entries/encyclopedie-de-l-islam/ibn-al-arabi-COM_0316>