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UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES, UNIVERSITÉ D'EUROPE DIGITHÈQUE Université libre de Bruxelles ___________________________ TROUSSON Raymond, Thèmes et mythes. Questions de méthode, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 1981. ___________________________ Cette œuvre littéraire est soumise à la législation belge en matière de droit d’auteur. Elle a été publiée par les Editions de l’Université de Bruxelles http://www.editions-universite-bruxelles.be/ Les règles d’utilisation de la présente copie numérique de cette œuvre sont visibles sur la dernière page de ce document. L'ensemble des documents numérisés mis à disposition par les Archives & Bibliothèques de l'ULB sont accessibles à partir du site http://digitheque.ulb.ac.be/ Accessible à : http://digistore.bib.ulb.ac.be/2011/i2800407441_000_f.pdf

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U N I V E R S I T É L I B R E D E B R U X E L L E S , U N I V E R S I T É D ' E U R O P E

DIGITHÈQUE Université libre de Bruxelles

___________________________

TROUSSON Raymond, Thèmes et mythes. Questions de méthode, Bruxelles, Editions de l’Université de Bruxelles, 1981.

___________________________

Cette œuvre littéraire est soumise à la législation belge en matière de droit d’auteur.

Elle a été publiée par les

Editions de l’Université de Bruxelles http://www.editions-universite-bruxelles.be/

Les règles d’utilisation de la présente copie numérique de cette

œuvre sont visibles sur la dernière page de ce document. L'ensemble des documents numérisés mis à disposition par les

Archives & Bibliothèques de l'ULB sont accessibles à partir du site http://digitheque.ulb.ac.be/

Accessible à : http://digistore.bib.ulb.ac.be/2011/i2800407441_000_f.pdf

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Thèmes et mythes Questions de méthode

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Paru chez le même éditeur :

— Voyages aux Pays de Nulle Part. Histoire littéraire de la pen­sée utopique. Deuxième édition augmentée, 1979.

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Raymond Trous son

Thèmes et mythes Questions de méthode

Arguments et Documents Éditions de l'Université de Bruxelles

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Conformément aux statuts des Éditions de l'Université de Bruxel­les, le manuscrit de la présente étude a été soumis à un Comité de lecture qui en a recommandé la publication.

Ce Comité était composé de MM. J. BINGEN

R. MORTIER

J. WEISGERBER

I.S.B.N. 2-8004-0744-1 D/1981/0171/14

© 1981 by Éditions de l'Université de Bruxelles Parc Léopold, 1040 Bruxelles (Belgique)

Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays Imprimé en Belgique

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LES ÉTUDES DE THÈMES : HIER ET AUJOURD'HUI

Quand Benedetto Croce, dès 1904, saisissait le prétexte offert par le compte rendu d'un livre sur le thème de Sophonisbe « pour mettre en garde contre les dangers de ces travaux de comparaison, sujets de prédilection de la vieille critique et souvent décorés de l'appellation, quelque peu ambitieuse, d'études de littérature comparée»1, il exprimait, un des premiers, une opinion appelée, au fil des années, à se généraliser. Un quart de siècle après le savant italien, Paul Van Tieghem écrivait à propos des enquêtes thématologiques : « De pareilles études sont ou paraissent faciles et intéressantes, et nous comprendrons pourquoi l'on compte par centaines les dissertations de doctorat étrangères, les articles, où un motif, un thème est étudié méthodiquement dans deux, dans plusieurs, dans la totalité des formes qu'il a reçues, de manière à amuser l'esprit, à satisfaire la curiosité, mais sans grande utilité pour l'histoire de la littérature»2. Trente ans encore, et la troi­sième édition de la Littérature comparée de M.-F. Guyard ne leur réservait pas un meilleur accueil et, plus récemment, Etiemble concédait du bout de la plume, après beaucoup de réserves, que «l'étude d'un thème peut servir [...] l'intelligence de la littéra­ture »3 . La méfiance, malgré les années et malgré la multiplication des études de thématologie, loin de diminuer, n'avait fait que croî­tre.

Phénomène paradoxal, la répugnance grandissante pour la thé­matologie — mieux connue peut-être sous le nom de Stoff-geschichte, son appellation d'outre-Rhin —, n'a pas empêché les chercheurs de continuer à s'intéresser à l'histoire des thèmes, même quand ils se savaient condamnés d'avance à voir leurs

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8 THEMES ET MYTHES

enquêtes sur Sophonisbe ou Inès de Castro, sur Orphée ou Judas, considérées avec une défiance médiocrement flatteuse et pour eux-mêmes, et pour leurs sujets.

Un peu partout la thématologie était frappée d'exclusion : on la disait trop érudite ou superficielle, on lui reprochait des cadres trop étroits ou une ambition démesurée, on la bannissait de la lit­térature comparée et — pourquoi pas ? — de la littérature tout court. La conviction qui avait soutenu jadis la Zeitschrifî fur ver-gleichende Literaturgeschichte de Max Koch (1886-1910), ou la collection des Studien zur vergleichenden Literaturgeschichte (1901-1909), ou encore la série de seize volumes, publiée de 1929 à 1937 par Paul Merker, sur la Stoff- und Motivgeschichte der deutschen Literatur, avait succombé depuis longtemps sous les critiques, l'indifférence et le dédain.

Et pourtant la thématologie n'était pas morte, son vieux charme agissait toujours, que ce fût auprès de jeunes étudiants en quête d'un sujet de travail de fin d'études, ou de maîtres chevronnés comme Robert Vivier ou Charles Dédéyan. C'est, après tout, à la fois heureux et peu surprenant, car l'homme vit de ses mythes où il se retrouve et se poursuit.

Pourquoi éprouve-t-il le besoin d'inventorier sans cesse ces ancestrales légendes ? C'est qu'étudier leur histoire, se pencher sur le secret de leurs mutations infinies, c'est aussi apprendre à con­naître sa propre odyssée dans ce qu'elle a de plus élevé et souvent de plus tragique. Dans toute conscience éprise de justice il y a une Antigone, dans toute révolte un Prométhée, dans toute quête un Orphée ; nous frémissons devant Médée, rêvons devant Tristan, tremblons devant Oedipe. Ces héros sont en nous et nous sommes en eux ; ils vivent de notre vie, nous nous pensons sous leur enve­loppe. En tout homme sommeillent ou s'agitent un Oreste et un Faust, un Don Juan et un Saùl ; nos mythes et nos thèmes légen­daires sont notre polyvalence, ils sont les exposants de l'humanité, les formes idéales du destin tragique, de la condition humaine.

De là le paradoxe: condamner les livres sur Oedipe et le Cid,

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HIER ET AUJOURD'HUI 9

mais revenir aux héros comme aux pôles de notre être et de notre culture, parce qu'ils incarnent ce qu'il y a en l'homme d'éternel et d'indéfiniment transmissible, la mesure de son humanité, sa gran­deur et sa faiblesse, ses combats contre lui-même et les dieux.

Quand telle est la force vitale, quand telle est la puissance d'immortalité et d'évocation qui habitent les grands thèmes de la littérature européenne, l'indifférence ou l'hostilité témoignées aux études qui leur sont consacrées n'est-elle pas faite pour surpren­dre ? Les vieux mythes de notre civilisation ne contiennent-ils pas assez de richesses et de mystère pour tenter le chercheur le plus exi­geant et la multiplicité de leurs incarnations n'a-t-elle pas de quoi solliciter l'esprit le moins curieux ? Au cœur de ces antiques légen­des veillent quelques-uns des symboles primordiaux de la culture occidentale, quelques-uns des signes exaltants ou terribles de l'aventure humaine ; motif suffisant, peut-être, de se pencher sur eux.

Or le désintérêt trop répandu, l'anathème jeté par des savants aussi éminents que Paul Hazard4 ou Benedetto Croce condui­saient à penser que la thématologie recèle en réalité un attrait trompeur, un intérêt fallacieux qui, à l'épreuve, s'évanouit comme un mirage et l'on s'en convaincra mieux encore en déployant l'éventail des reproches élevés contre elle pendant plus d'un demi-siècle. Au mieux fournissait-elle au débutant un sujet <y inaugural Dissertation ; quant au maître assez généreux pour s'intéresser à une cause perdue, il y avait beaucoup de chances pour qu'il s'en tînt à commenter une fois de plus Don Juan et Faust, les deux seuls héros auxquels fussent unanimement recon­nues des lettres de noblesse.

Ainsi la critique avait-elle fait de la thématologie, pire qu'un genre maudit, un genre mort-né. Et cependant, ne peut-on deman­der s'il est bien raisonnable de prêter à un type d'études littéraires cette responsabilité insolite? La thématologie ferait-elle seule, comme l'homme, son salut ou sa damnation ? le mal est-il en elle ou lui vient-il du dehors ?

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10 THEMES ET MYTHES

En d'autres termes, la médiocrité de nombreux travaux était-elle inévitable dès qu'il s'agissait d'une étude de thème, ou bien les études de thèmes n'ont-elles souvent produit que des fruits secs faute de méthodes et de principes adéquats ? Il y a là matière à réflexion et peut-être à examen de conscience ! S'il nous tombe entre les mains une monographie étriquée et sans rayonnement, mal construite et mal pensée, songeons-nous à condamner, non pas cette monographie, mais la Monographie ? Nous ferons grief à l'auteur des insuffisances de son travail, nous nous en prendrons à son talent, à ses capacités, à sa méthode, à son information, à n'importe quoi enfin, sauf à ce type d'étude, béni et consacré de longue date, qu'est la monographie.

Ne convenait-il pas alors, en toute justice, de chercher à savoir si la thématologie n'avait pas souffert arbitrairement de l'absence d'une réflexion préalable sur sa nature, son objet et ses métho­des ? si les objections qui lui étaient faites ne relevaient pas, préci­sément, de méthodes défectueuses qu'il suffisait de changer, d'un défaut d'organisation interne auquel on pouvait remédier ? était-il chimérique, enfin, de craindre qu'elle n'eût eu parfois à essuyer les critiques de comparatistes qui n'étaient pas thématologues, ou que des thématologues qui n'étaient pas comparatistes n'eussent bafoué quelquefois des principes de base de la littérature compa­rée?

Nous nous étions risqué, voici une quinzaine d'années, à rom­pre une lance en faveur de cette Stoffgeschichte si discréditée, à prononcer pour elle un « plaidoyer » et même à lui consacrer un petit volume de méthodologie5. Aujourd'hui, un bref état des recherches permet de le constater, semblable défense et illustra­tion a bien perdu — qui ne s'en réjouira? — de son caractère aventureux.

Peu de disciplines, en effet, ont connu rétablissement aussi rapide et aussi spectaculaire, au point qu'il serait difficile de dres­ser une liste des travaux récents qui ont rendu à la thématologie «tout son lustre»6. Les thèmes les plus prestigieux, bénéficiant

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d'un perfectionnement des méthodes d'analyse, n'ont pas cessé de retenir l'attention. L'histoire de Faust, racontée déjà en six volu­mes par Ch. Dédéyan, a été éclairée, pour le vingtième siècle, par A. Dabezies ; Prométhée, depuis le XIXe siècle l'une des figures les plus glorieuses de la civilisation occidentale, a suscité les enquêtes de Ch. Kreutz pour le romantisme anglais, de L. Pré­mont pour la littérature française contemporaine, de J. Duchemin pour un survol de l'ensemble de son histoire. Orphée, étudié du Parnasse à la poésie contemporaine par E. Kushner, a eu les hon­neurs d'une journée du Congrès annuel de l'Association Interna­tionale des Etudes Françaises en 1969 et est présent tout au long du livre de B. Juden sur P«orphisme» dans le romantisme français7. Des ouvrages ou des articles substantiels ont été consa­crés à Hercule, à Job, à Phèdre, à Iphigénie8, tandis que, du côté des personnages historiques, on s'intéressait au rôle de Socrate ou de Jeanne d'Arc dans la littérature militante des Lumières, au des­tin de Napoléon au XIXe et au XXe siècles, à Robespierre dans l'histoire du théâtre, ou à la fortune de Lorenzaccio, de Jérôme Cardan à Musset9. Faut-il rappeler encore, dans une collection spécialisée, des travaux très neufs sur Electre, Antigone, Faust, Oedipe ou Don Juan 10 ?

Le renouveau s'est étendu à des personnages moins illustres, mais dont les avatars se sont révélés plus féconds qu'on ne suppo­sait : à Narcisse, étudié par L. Vinge, ou à Daphné, dont le succès européen est éclairé par Y.F.-A. Giraud n . Et même des silhouet­tes plus discrètes ont gagné le devant de la scène : M. Bélier s'est attaché au vieux couple de Philémon et Baucis et à la métaphore mythologique du Jupiter tonans comme représentation de la puis­sance en poésie, H. Anton aux interprétations successives du rapt de Proserpine et H. Dôrrie a écrit de belles pages sur Galatée et Pygmalion dans la littérature et dans l'art12.

Superficiel et incomplet, ce bilan n'en porte pas moins témoi­gnage d'une véritable renaissance de la thématologie, qui a retrouvé une vigueur neuve et peut-être aussi un aplomb qu'elle

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12 THÈMES ET MYTHES

n'eût osé montrer à l'époque, encore proche, de sa disgrâce. Qui se fût risqué alors à écrire que les études de thèmes « sont vraisem­blablement appelées à devenir Tune des branches les plus riches et les plus actives du comparatisme, tout autant que les études d'influence ou l'histoire des mouvements littéraires internatio­naux » 13 ? Appelées à devenir. La formule a son poids : pour la première fois depuis un demi-siècle, la Stoffgeschichte se décou­vre, non plus seulement un passé, mais un avenir.

Au renouvellement de la discipline a répondu, chez les histo­riens et les théoriciens du comparatisme, un revirement de l'atti­tude critique.

Ici encore, un coup d'oeil suffit. Dès 1967, Cl. Pichois et A.-M. Rousseau consacraient plusieurs pages favorables aux études de thèmes et concluaient : « Si nous définissons le thème comme le point de rencontre d'un esprit créateur et d'une matière littéraire ou simplement humaine, la thématologie reprend tous ses droits ». L'année suivante, S. Jeune lui faisait une place de choix dans la littérature générale, tout comme J. Brandt-Corstius ; H. Levin en discutait dans un important article et, peu après, U. Weisstein lui réservait un chapitre entier. Depuis, F. Jost ou H. Dyserinck se sont plus à reconnaître son importance 14. E. Frenzel, après avoir publié en 1966 une nouvelle étude théorique, procurait la qua­trième édition, considérablement augmentée, de son indispensable dictionnaire des thèmes et, la même année, un précieux recense­ment des «motifs » de la littérature mondiale 15.

Observons enfin que la thématologie a bénéficié d'une concep­tion assouplie du comparatisme, où la notion de comparaison ou de confluence s'est implantée à côté de celle d'influence et de rela­tion de fait. Dès lors que comparaisons et rapprochements obte­naient droit de cité et que la littérature comparée accueillait « tout thème ou motif qui permette de regrouper les œuvres sans consi­dération de nationalité, en allant de la causalité la plus immédiate aux affinités indirectes » 16, les études de thèmes pouvaient reven­diques une importance nouvelle.

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Dans la théorie comme dans la pratique, la Stoffgeschichte s'est donc vu reconnaître une dignité insoupçonnée. Non pas que, du jour au lendemain, toutes les réserves aient disparu, mais elles se sont atténuées, nuancées. Si Ton conseille encore la prudence devant des synthèses qui embrassent plusieurs siècles et bracon­nent aux frontières de diverses disciplines, ce n'est plus méfiance ou scepticisme systématiques, mais simple mise en garde contre les difficultés inhérentes à ce type de recherches. Le temps n'est plus où l'on pensait que l'histoire d'un thème se résume aune accumu­lation de fiches, à une collection de disparates.

C'est pourquoi il ne nous a pas paru inopportun de publier une nouvelle version du petit livre paru voici quinze ans. Si nous nous en tenons, pour les principes essentiels, à la doctrine élaborée jadis, nous avons essayé ici de compléter et de mettre à jour notre information, d'aborder les problèmes de définition et de termino­logie, de faire une place aux récentes méthodes d'analyse.

Notre objectif, cela va sans dire, demeure modeste. Ces pages devraient servir d'introduction à une discipline particulière, qui a ses règles et ses exigences, constituer un manuel procédant par suggestions et non par décrets.

Notre propos sera donc d'énoncer, non pas la charte de la thé-matologie, mais un certain nombre de conditions sans lesquelles elle n'est pas ce qu'elle peut être, quelques principes méthodologi­ques indispensables. Cet énoncé, nous ne le prétendons ni complet ni doué des vertus d'un catéchisme. Chaque thème impose à la théorie des nuances, des variantes ou des compléments, et cela pour la simple raison que chaque sujet porte en soi ses détermi­nants, sollicite la méthode qui lui convient seule parfaitement.

Nous souhaitons présenter ici des directives générales, des réflexions inspirées par la pratique des études de thèmes et en par­ticulier par celle que nous avons menée, il y a plusieurs années déjà, sur l'histoire européenne de Prométhée, l'une des figures les plus éblouissantes et les moins connues du panthéon mythologique 17. Nous ne reviendrons donc pas sur les considéra-

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14 THÈMES ET MYTHES

tions théoriques, historiques et philosophiques auxquelles s'est livrée Elisabeth Frenzel. On trouvera chez elle des indications pré­cieuses sur les instruments de travail, les travaux existants et l'his­toire de la thématologie l8. En ce qui nous concerne, nous en reste­rons à la pratique, à la méthode, nous efforçant de réfuter quel­ques objections traditionnelles, de signaler quelques voies possi­bles d'exploitation, quelques perspectives.

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UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË

L'essor des études de thèmes, il faut le reconnaître, s'est déployé parfois dans une certaine confusion des concepts et des définitions 19. La difficulté est rendue plus ardue par la nécessité de trouver des équivalents en plusieurs langues, et Ton découvre vite que Stoff, thème ou thème n'ont pas nécessairement le même sens pour tout le monde ; en outre, des termes couramment employés — motif, type, fable, mythe, légende, etc. — sont volontiers utilisés comme synonymes, usage peu propice à la pré­cision. Il suffit d'ailleurs de passer en revue quelques-unes des définitions existantes pour prendre conscience de la complexité de la question.

Lorsqu'il s'agit de retracer l'histoire d'un personnage, S. Jeune, par exemple, propose de parler de types de diverses catégories : légendaires et mythologiques (Prométhée, Orphée), bibliques (Moïse), des romans courtois (Tristan), littéraires (Don Juan), his­toriques (Alexandre, Jeanne d'Arc), sociaux et professionnels (le soldat, le laboureur, la prostituée). Les thèmes ou sujets (ren­voyant selon lui à l'allemand Stoffgeschichte) désigneront une matière moins précise: l'océan, la montagne, des sentiments (haine, amour), ou des idées (progrès, justice). Dans cette perspec­tive, pourquoi ne pas adjoindre le type «national » (l'Anglais, le Turc, l'Allemand), qui pourrait fort bien figurer, après tout, aux côtés du banquier et du magistrat ?

Le même genre de distinctions se retrouve sous la plume de Cl. Pichois et A.-M. Rousseau, mais avec une différence de vocabu­laire. Les types de S. Jeune deviennent ici des personnages littérai­res» tandis qu'aux types sociaux et professionnels viennent s'ajou­ter les types psychologiques (le fou, le misanthrope, l'avare). U.

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16 THÈMES ET MYTHES

Weisstein, pour sa part, parle de thèmes dans le cas des types indi­vidualisés et de motifs quand il s'agit d'une situation, en y joi­gnant les catégories des idées et des sentiments — l'ancienne Pro-blemgeschichte, rangée parmi les thèmes par S. Jeune.

Quant à la thématologie, que P. Van Tieghem suggérait en 1931 comme équivalent de Stoffgeschichte, il lui arrive d'être confon­due, dans la critique contemporaine, avec la thématique, où le thème devient «réseau organisé d'obsessions » selon R. Barthes, à moins qu'il ne soit, chez J.-P. Weber, «un événement ou une situation infantiles», ou, pour J.-P. Richard, «une constellation de mots, d'idées, de concepts», ou encore, pour G. Genot, «un élément verbal». Devant cette multiplicité de définitions, on est en droit de se demander si les rénovateurs des études de thèmes — pour bienvenus qu'ils soient — parlent bien toujours de la même réalité. Or F. de Saussure nous en avertit : « C'est une mauvaise méthode que de partir des mots pour définir les choses »20.

Comment s'étonner si même le terme traditionnel de Stoff­geschichte paraît aujourd'hui peu adéquat ? Aux yeux de M. Bél­ier, Stoff désigne la matière (ce que S. Jeune appelait sujet), alors que Thema lui semble concerner à la fois la matière et la forme expressive. Logiquement, Thema englobant Stoff, et M. Bélier souhaitant s'intéresser aux signifiants non moins qu'aux signifiés, il voudrait évincer Stoffgeschichte au profit de Thématologie, concept plus riche et plus complexe. Mais l'accord ne se fait pas davantage ici qu'ailleurs : la nouvelle appellation est contestée par J. Schulze et H. Levin n'y voit pas autre chose qu'«une approxi­mation pseudo-scientifique » et rejette un néologisme superflu2I.

Nulle part cependant la confusion n'est plus grande que dans l'emploi du terme mythe, lequel, perpétuellement soumis au trai­tement de Procuste, recouvre volontiers toutes les catégories énu-mérées ci-dessus. On parle du mythe d'Orphée, autrefois lié aux mystères, des mythes précolombiens affleurant dans les récits d'Asturias ou de Cortazar, du mythe du labyrinthe dans le roman contemporain, des mythes comme structures permanentes de

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UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË 17

l'imaginaire, du mythe de l'utopie — à moins que ce ne soit de l'utopie du mythe... Ici il est image ou métaphore, là métalangage ou synonyme de légende, texte, parole, récit, discours, etc.

Dans le domaine de l'histoire des religions, le mythe, enseigne Mircea Eliade, « raconte une histoire sacrée », qui « sert de modèle au comportement humain » ; il est selon Marie Delcourt « un essai d'explication d'une réalité sentie comme mystérieuse »22. II a donc une portée étiologique : servant d'interprétation à des phénomènes incompréhensibles, il émane d'une pensée préscientifique, et c'est dans ce sens que le conçoit encore G. Bachelard23. De leur côté, les psychologues se sont emparés du terme pour désigner une traduc­tion des pulsions inavouables refoulées par le surmoi. Dès 1904, dans sa Psychopathologie de la vie quotidienne, Freud l'entend ainsi, le mythe de Thésée dans le labyrinthe devenant représenta­tion de la naissance, celui de Narcisse le symbole d'un processus d'introversion névrotique24. A sa suite, D. de Rougemont et M. Sauvage le définissent comme une procédé symbolique de trans­gression des tabous25. Avec Charles Mauron, la focalisation des métaphores obsédantes aboutit à la construction d'un mythe per­sonnel — curieuse contradiction dans les termes, puisque la carac­téristique du mythe est de relever d'un consensus collectif. Du côté de la sociologie, il est pour G. Sorel l'expression des convictions d'une collectivité et R. Barthes s'en sert pour circonscrire un système de valeurs truquées. Et pourquoi ne pas l'accepter avec Etiemble comme synonyme d'image déformée pour découvrir, dans la conscience culturelle, un mythe de Rimbaud, ou encore au sens où le comparatisme parle de « mirage » ? Et l'on songera peut-être, avec R. Barthes, que la tragédie racinienne étudiée dans son espace scénique et les relations qu'elle instaure entre les personna­ges, consacre « le mythe de l'échec du mythe »26... On l'admettra sans peine, il serait peu raisonnable d'appliquer les mêmes métho­des d'analyse à des réalités si différentes.

Vaut-il mieux parler de mythes littéraires, comme le conseillait naguère Pierre Albouy dans un ouvrage remarquable27 ? Rejetant

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18 THEMES ET MYTHES

le thème, c'est-à-dire «l'ensemble des apparitions du personnage mythique dans le temps et l'espace littéraire envisagés » (p. 9), qui exigerait d'en relever jusqu'aux moindres allusions, P. Albouy veut s'en tenir au mythe littéraire, lequel implique «un récit, que l'auteur traite et modifie avec une grande liberté» (p. 9) et qui n'existe que si l'artiste a réussi à lui donner une signification nou­velle : « Quand une telle signification ne s'ajoute pas aux données de la tradition, il n'y a pas de mythe littéraire » (p. 9).

Sommes-nous sortis d'embarras ? D'abord, il n'est pas si sûr que tout mythe littéraire, en dépit de l'étymologie, implique un récit. Si le mythe de situation (Oedipe, Antigone) suppose un ensemble de données narratives, le mythe de héros (Prométhée) se rend vite indépendant d'un récit explicite, comme le montre P. Brunel28. Ensuite, refuser de tenir compte de «l'ensemble des apparitions du personnage mythique», c'est ignorer la continuité de la tradition profonde pour ne retenir que des œuvres élaborées et risquer de n'accepter pour mythe qu'une manifestation tardive du personnage. C'est ce qui conduit P. Albouy à observer: «La légende [— est-ce un synonyme de mythe ? —] de Narcisse tient peu de place dans notre littérature, avant l'extrême fin du XIXe

siècle » (p. 174), alors que L. Vinge a bien fait voir, au contraire, la permanence du thème des origines au début du XIXe siècle.

Ce n'est pas tout. « Même si le personnage mythique est dû à un créateur unique, écrit P. Albouy, il ne tourne au mythe que grâce à l'accueil étendu qui lui est fait par la postérité. Le mythe a tou­jours un aspect collectif» (p. 293). Sans doute, et telle est l'idée qu'en donnent Jung ou Lalande. Mais où est l'accueil collectif fait aux «mythes personnels » de Hugo (océan, étoiles, cosmos) ou de Michelet (le peuple) ? en quoi ont-ils engendré une tradition29 ? Tiré à hue et à dia, le mythe est tantôt dépôt laissé dans l'esprit de tous les hommes d'une époque donnée, tantôt expression d'une mentalité, d'une vision du monde individuelle ou encore, comme chez Nerval, une image du monde intérieur de l'écrivain. Et, une fois de plus, les signifiants se dissolvent, le mythe finissant par

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UNE TERMINOLOGIE AMBIGUË 19

embrasser toutes les catégories de l'imaginaire : il désigne Orphée ou Narcisse, mais aussi la littérature fantastique, le merveilleux, les contes de fées ou l'utopie30.

Enfin, l'appellation de mythe littéraire n'entretient-elle pas une confusion supplémentaire? A nos yeux s'instaure volontiers une sorte d'équivalence entre mythe et littérature, sans doute parce que la mythologie gréco-latine, notre source principale, nous a été transmise sous une forme particulièrement achevée, c'est-à-dire littéraire. Nous avons tendance à le perdre de vue, lorsque nous abordons Eschyle, Ovide ou Virgile, nous n'avons plus affaire à des mythes, mais à une littérature mythologique, cristallisée et codifiée par des artistes conscients sous un aspect très différent du matériau qui s'offre à l'ethnologue. Dans ces oeuvres, le mythe a déjà perdu sa fonction étiologique et religieuse, même si la struc­ture du mythe continue de se manifester sous la structure narra­tive. M. Eliade y a insisté, les mythes grecs classiques représentent le triomphe de l'œuvre littéraire sur la croyance et le choix d'une version exclusive des autres. Dans le cas d'Oedipe, par exemple, les versions archaïques ne contiennent aucune trace d'autopuni-tion et le fils de Laïos, qui ne songe nullement à se crever les yeux, finit son existence sur le trône de Thèbes. Sophocle, lui, trans­forme le mythe en tragédie, c'est-à-dire en un texte élaboré possé­dant son sens et sa finalité propres. Il y a dès lors un abîme entre l'étude des mythes et l'histoire contée par Sophocle, dont l'Oedipe est l'un de bien d'autres possibles, et dont l'art a consisté à trans­former une succession chronologique d'événements en destin et à attribuer au récit des étapes et une signification fixes. « Les tragé­dies, bien, entendu, ne sont pas des mythes», conclut J.-P. Vernant31.

Alors que R. Barthes assure que le mythe « ne se définit pas par l'objet de son message, mais par la façon dont il le profère », il est clair au contraire que l'importance originelle du mythe n'est pas littéraire : elle est dans les événements rapportés, dans le projet étiologique — pensons au mythe des âges ou à celui de Pandore

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20 THEMES ET MYTHES

chez Hésiode — et non dans la forme. Pour le mythologue, toutes les versions appartiennent au mythe et s'additionnent pour com­poser un tout en perpétuelle mouvance ; en littérature, le Faust de Goethe n'est pas une variante possible de celui de Marlowe, ni VAntigone d'Anouilh une version parmi d'autres du mythe d'Antigone.

A l'ouverture indéfinie du mythe, matière brute, s'oppose la clôture de l'œuvre littéraire, produit fini32. Pour le comparatiste, il n'y a pas de Prométhée, d'Antigone ou de Phèdre extérieurs à Eschyle, à Sophocle, à Euripide, c'est-à-dire hors des textes litté­raires. Le mythe cesse où commence la littérature, au point que J.-P. Vernant a pu montrer que la tragédie ne fait même son appari­tion, à la fin du VIe siècle, que lorsque le langage du mythe n'est plus réellement signifiant pour la Cité. Comme dit R. Caillois, «c'est précisément quand le mythe perd sa puissance morale de contrainte qu'il devient littérature »33. Nous avons donc à traiter de littérature, et non de mythes.

Le souci de définir des catégories claires ne relève pas, on s'en doute, d'une manie de la classification. Mais il est possible que l'existence de réalités différentes entraîne l'application de métho­des d'analyse différentes, nous aurons l'occasion d'y revenir. Pour notre part, nous choisirons de renoncer à l'emploi du terme mythe, décidément propice à toutes les confusions, pour conser­ver les notions de thème et de motif, quitte en préciser le contenu : ce sera l'objet du chapitre suivant.

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THÈMES OU MOTIFS?

Nous évoquions, dans les pages qui précèdent, la confusion entre thème et mythe ; est-elle moindre entre thème et motif ?

Une habitude commune à nombre de manuels bibliographiques consiste à ranger sous une rubrique unique des ouvrages fort dif­férents, consacrés tantôt à la fortune du type de l'homme d'affai­res dans le roman moderne, tantôt à la lune dans la poésie roman­tique, ou encore à la survivance, dans les lettres, de Cléopâtre ou de Samson. La pratique est générale, un coup d'œil suffit pour s'en convaincre. Déjà la bibliographie de L. Betz, dans un chapi­tre intitulé «Motifs, thèmes et types littéraires», agréait libérale­ment une étude sur le Juif errant à côté d'une autre sur les tradi­tions et légendes de la Belgique. Dans la Bibliography of Compa­rative Literature, les « Literary thèmes » englobent Orphée au temps du romantisme, le chat dans la littérature ou le féminisme dans VEnéide. Dans le recueil annuel des PMLA, le compartiment des « Thèmes and Types » mentionne côte à côte le thème de Faust et un article sur le suicide dans la littérature des Lumières. Même des bibliographies plus spécialisées avouent ce goût du pêle-mêle : la Stoff- und Motivgeschichte der deutschen Literatur de F.A. Schmitt confond volontiers dans le même intérêt des travaux sur la patrie, le tabac, l'adieu, le mesmérisme, et des enquêtes sur le thème de Saùl, d'Arminius ou de Daphné. De sorte qu'il se crée, entre les notions de thème et de motif, une manière d'équivalence tacitement acceptée, sinon reconnue, qui facilite sans doute quel­que peu la tâche essentielle et ingrate des bibliographes.

Toutefois ce rapprochement, relativement peu important dans un répertoire bibliographique où il s'agit de rassembler le plus grand nombre possible de données dans un minimum d'espace et

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22 THÈMES ET MYTHES

d'éviter l'émiettement de l'information, risque d'aboutir à une imprécision regrettable lorsqu'il est pratiqué à propos d'études particulières consacrées soit à un motif, soit à un thème. Ne s'expose-t-on pas ainsi à confondre deux éléments, parents certes mais distincts, et à appliquer parfois à l'un des méthodes et des conclusions qui ne conviennent qu'à l'autre?

A de nombreuses reprises déjà, la discussion a été ouverte sur la définition à donner de ces termes, sans qu'on ait pu cependant arriver à une précision satisfaisante34. En réalité, le débat portait souvent moins sur la nature des éléments à faire entrer dans cha­que catégorie, que sur les étiquettes à mettre sur les catégories elles-mêmes, querelle essentiellement verbale, qui consistait pour les uns à vouloir nommer thème ce que les autres nomment motif et vice-versa. Pour sortir de cette hésitation, peut-être suffira-t-il, au début de notre étude, d'assigner à chacun de ces termes un con­tenu suffisamment défini.

Qu'est-ce qu'un motif? Choisissons d'appeler ainsi une toile de fond, un concept large, désignant soit une certaine attitude — par exemple la révolte — soit une situation de base, impersonnelle, dont les acteurs n'ont pas encore été individualisés — par exemple les situations de l'homme entre deux femmes, de l'opposition entre deux frères, entre un père et un fils, de la femme abandon­née, etc. Nous avons affaire à des situations déjà délimitées dans leurs lignes essentielles, à des attitudes déjà définies, à des types même — par exemple le révolté ou le séducteur — mais qui restent à l'état de notions générales, de concepts. De là l'intérêt des motifs pour la psychanalyse, qui désigne le motif général par le thème particulier qui en est issu : motif de la rivalité père-fils : complexe d'Oedipe ; motif de l'amour incestueux père-fille : com­plexe d'Electre, etc. Ces archétypes correspondaient pour C.G. Jung à des démarches spontanées de l'esprit humain : c'est dire la distance qui les sépare du thème organisé dans la présentation littéraire35.

Qu'est-ce qu'un thème ? Convenons d'appeler ainsi l'expression

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THÈMES OU MOTIFS ? 23

particulière d'un motif, son individualisation ou, si l'on veut, le passage du général au particulier. On dira que le motif de la séduc­tion s'incarne, s'individualise et se concrétise dans le personnage de Don Juan ; le motif de la création artistique dans le thème de Pygmalion; le motif de l'opposition entre la conscience indivi­duelle et la raison d'Etat dans le thème d'Antigone ; le motif de Tintolérance religieuse et philosophique dans le thème de Socrate. Par un processus identique d'individualisation et de particularisa-tion, la situation caractéristique de l'opposition entre deux frères, qui est un motif, devient thème lorsqu'elle a pour protagonistes Prométhée et Epiméthée, ou Etéocle et Polynice, ou Abel et Caïn ; l'amour incestueux et la rivalité père-fils se cristallisent dans le thème d'Oedipe; le motif de la femme trahie et délaissée dans Médée. C'est dire qu'il y aura thème lorsqu'un motif, qui apparaît comme un concept, une vue de l'esprit, se fixe, se limite et se défi­nit dans un ou plusieurs personnages agissant dans une situation spécifique36, et lorsque ces personnages et cette situation auront donné naissance à une tradition littéraire.

Comme l'observait W. Kayser37, «le thème est toujours lié à certaines figures, il est plus ou moins fixé dans l'événement, l'espace et la durée» et ces multiples conditions sont indispensa­bles à le définir comme thème. Car certains motifs ne se décantent jamais jusqu'à devenir thèmes, s'arretant à un stade d'évolution que l'on pourrait nommer celui du type : ainsi le motif de l'avarice conduit au type de l'avare, que l'on peut trouver dans Plaute ou dans Molière, dans Balzac ou dans Ghelderode, mais qui n'a pas engendré de tradition littéraire fixée dans un personnage unique, Harpagon, Grandet ou l'Hiéronymus de Magie rouge étant demeurés des incarnations isolées: alors qu'il y eut un Amphitryon 38, il n'y a pas d'Harpagon 238. Pour recourir au langage mathématique, on pourrait dire que le thème apparaît, en quelque sorte, comme l'indice du motif.

L'importance de cette distinction entre le thème et le motif39, qui pourrait, à première vue, paraître relever d'une minutie assez

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24 THEMES ET MYTHES

gratuite, se révèle au contraire capitale face à deux critiques importantes, fréquemment adressées à la thematologie; Tune porte sur la raison d'être même de cette discipline, l'autre sur sa justification en tant que type d'études littéraires.

La première de ces critiques prétend que la thematologie a pour objet, non pas la littérature, mais « la matière de la littérature » ^ qu'elle ne saurait elle-même, par conséquent, être activité litté­raire, puisqu'elle est censée « considérer les types avant leur pro­motion littéraire »41, et qu'il convient dès lors de la ranger parmi les études folkloriques. La distinction thème-motif va nous per­mettre de constater que ce reproche est injustifié.

En effet, à s'en tenir aux définitions que nous essayions de don­ner tout à l'heure, ce n'est pas le thème, mais bien le motif qui constitue la « matière de la littérature ». Si l'on entreprend d'étu­dier, par exemple, la femme malheureuse dans la littérature, on part d'une idée générale, d'une situation indéfinie. Le point de départ, de toute évidence, n'a en soi rien de littéraire, pas plus que dans le cas où l'on s'attache à suivre la fortune de l'idée du bon­heur, ou du luxe, ou du progrès, ou de la révolte, pas plus que dans le cas où l'on entend esquisser l'histoire de la situation des frères ennemis, ou celle de la rivalité père-fils.

En outre, s'il est aisé de déterminer à partir de quelle oeuvre et à quel moment un thème prend naissance, il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit d'un motif. Abstrait, non incarné dans un person­nage, il relève de l'expérience humaine, non de la littérature.

Au contraire, qui étudie le thème, c'est-à-dire l'expression par­ticulière et limitée d'un motif, part nécessairement d'un fait litté­raire: l'œuvre qui a donné naissance à la tradition, œuvre pre­mière qui a dégagé d'un motif général, qui a sculpté dans la roche difforme du concept, la situation et les personnages appelés, doré­navant, à constituer le thème. Qui écrit une Antigone ou un Faust se réfère à un passé culturel, il a pour prédécesseurs identifiables tous ceux qui ont traité le même sujet et qui forment, depuis l'œuvre éponyme jusqu'à lui, une chaîne ininterrompue dont il

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THÈMES OU MOTIFS ? 25

connaît au moins quelques maillons. Qui s'attarde à un motif — l'amitié ou l'avarice ou le tyrannicide — puise en lui-même bien plus que dans la tradition littéraire. Pour composer un Oreste, il faut connaître Eschyle, Sophocle, Euripide, Crébillon, Leconte de Lisle, Dumas, Sartre ou Hauptmann; mais l'auteur d'un drame de la vengeance n'est pas tributaire direct des tragiques grecs, des Edda, de Shakespeare, Marston ou Mérimée.

Autrement dit, « dès le moment où nous les prenons, nos fables sont déjà littérature et non plus mythes »42. Aussi bien n'est-il pas indifférent de suivre l'évolution du motif des frères ennemis ou celle des couples Etéocle-Polynice, Abel-Caïn, Prométhée-Epiméthée : dans le premier cas, il s'agit d'une idée générale qu'illustreront parfaitement, entre autres, le roman Zwischen Himmel und Erde d'Otto Ludwig ou la tragédie de Grillparzer, Ein Bruderzwist im Hause Habsburg; dans le second, d'une situa­tion et d'événements bien précis : tous les frères ennemis ne sont pas Caïn et Abel, qui représentent, si l'on ose dire, une certaine façon d'être frères ennemis. De même, on notera la différence entre le thème d'Oedipe, centré sur des composantes invariables, et le motif, infiniment plus général, de l'opposition père-fils qui connut une si belle vogue en Allemagne au début du siècle, chez W. Hasenclever, A. Bronnen, F. von Unruh ou F. Werfel43. Le motif des amours contrariés, pour citer un dernier exemple, embrassera à la fois le thème de Tristan et Yseult et celui de Roméo et Juliette : il sera, encore une fois, une idée générale extra-littéraire, mais dont les « fixations », de toute évidence, relè­vent immédiatement de la littérature.

Bref, le motif, élément non littéraire, mais délimitant quelques situations et attitudes fondamentales, est matière de la littérature : « Si je m'empare, écrivait E. Sauer, du motif qui repose derrière le thème, je ne puis plus écrire de l'histoire littéraire, mais une his­toire de l'humanité »44. Le thème, cristallisation et particularisa-tion d'un motif, est d'emblée objet littéraire, parce qu'il n'existe qu'à partir du moment où le motif s'est exprimé dans une œuvre,

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26 THÈMES ET MYTHES

devenue le point de départ d'une série plus ou moins importante d'autres œuvres, le point de départ d'une tradition littéraire.

La seconde critique volontiers dirigée contre notre discipline, consiste à contester purement et simplement le bien-fondé de toute enquête thématologique en alléguant que suivre à travers les litté­ratures l'évolution d'un seul personnage ou d'une seule situation revient à séparer ce personnage ou cette situation d'autres qui leur sont en tous points parallèles et traduisent la même idée. Cette position était défendue, par exemple, par Paul Van Tieghem : «Comme le Satan de Carducci, écrivait-il, comme le Caïn de Leconte de Lisle, le Prométhee de Shelley incarne la révolte de l'esprit humain contre une religion qui l'opprime. Le même symbole, au fond, sous trois noms. Ce qui prouve en passant que la vraie thématologie se guide plutôt par les affinités intimes des idées que par l'identité extérieure du sujet»45. Sur ce point, long­temps l'opinion n'a guère varié — on la retrouve telle quelle sous la plume de M.-F. Guyard — et la thématologie se voit donc accu­sée de procéder à une dissociation arbitraire de l'unité apparente de plusieurs thèmes. Bref, au lieu de diviser, il faut unir, car, conclut-on, «mieux vaudrait en somme étudier le donjuanisme que Don Juan, découvrir sous des masques divers, Faust, Man-fred ou Caïn, la même révolte et la même affirmation de l'indi­vidu »46.

On le voit, cette théorie des thèmes apparentés revient à faire bon marché de l'individualité des thèmes littéraires pour s'atta­cher à la généralité du motif non littéraire ! On en viendra, dans cette optique, à grouper des personnages qui n'ont entre eux aucun rapport intime, sinon d'être des émanations d'un lointain motif, d'une vague attitude de base : si, dans une étude consacrée au thème de Don Juan, l'on inclut tel héros de Crébillon fils ou de Restif de la Bretonne, le Lovelace de Richardson, le Valmont de Laclos, le Bel-Ami de Maupassant, le Costals de Montherlant et l'Ornifle d'Anouilh, on réduit le personnage à n'être plus l'expres­sion que du motif général du séducteur. Car, la séduction mise à

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THÈMES OU MOTIFS ? 27

part, quels sont les caractères communs de ces personnages ? Ou bien Don Juan n'est-il que le séducteur ?

Certes, on ne saurait le nier, un même motif est parfois la source unique où s'abreuvent plusieurs thèmes *, un lointain tronc commun aux multiples branches : ainsi, le motif de la femme délaissée, qui nourrit le thème de Médée, étaye encore ceux de Didon, Ariane, Bérénice ; le motif du libérateur de la patrie se fixe dans le thème d'Arminius, mais aussi dans ceux de Masa-niello, Guillaume Tell ou Napoléon. Pour une conscience et une culture contemporaines, la révolte, motif aux cent facettes, est l'arc qui sous-tend des thèmes nombreux : Prométhée, Caïn, Man-fred, Hercule, Faust, Don Juan, Oreste, Antigone, Niobé, etc. Si cet apparentement ne peut, au premier abord, manquer de s'imposer à nous, il appelle du moins quelques considérations qui montreront peut-être le danger qu'il y a, dans une perspective plus large, à rassembler sans nuances plusieurs thèmes dans une signifi­cation unique.

En premier lieu, les thèmes ne peuvent s'apparenter — disons acquérir une signification commune — qu'à certaines époques, ce qui veut dire en réalité qu'un motif qui ne leur est pas nécessaire­ment commun leur devient commun, et cela en fonction des cou­rants d'idées du temps. Le Sturm und Drang, par exemple, et le romantisme, furent des époques littéraires où domina l'esprit de révolte. Aussi voit-on cette révolte, pendant le Sturm und Drang, portée à la fois par le Prométhée de Goethe, le Dios de Klinger ou la Niobé de « Maler » Mùller ; au romantisme, elle emplit l'âme de Prométhée, de Faust, de Caïn, de Manfred, de Satan et même du Christ ! Autrement dit, l'attitude intellectuelle du siècle, fondée

* Dans ce sens, si le nombre des thèmes peut varier à l'infini, celui des motifs est beaucoup plus limité et G. Polti prétendait même le ramener aux Trente-six situa­tions dramatiques (2e éd., Paris, Mercure de France, 1912) dans une analyse en vérité assez artificielle, mais suggestive. Par exemple, le motif de la vengeance comprend, entre autres sous-motifs, celui de la situation où le héros venge son père sur sa mère, sous-motif qui inspire Eschyle, Sophocle, Euripide, tous les Orestes et tous les Hamlets.

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sur un credo de révolte, cherche à s'exprimer dans une forme litté­raire et, pour arriver à ses fins, transforme des thèmes existant antérieurement (Prométhée, Caïn, Satan, Jésus) ou en crée (Man-fred, Mazeppa), rassemblant sous un étendard unique des soldats de différentes armées ; la signification commune que l'on impose aux thèmes est le résultat d'une distorsion de leur signification antérieure sous la pression d'une certaine idéologie.

Il y a donc, dans ce cas, action des forces historiques et l'on a tort de négliger le fait que cette action est particulière à chaque époque. Où trouvera-t-on un Christ révolté contre son Père, un Caïn et un Satan réhabilités, symboles d'une exigence de justice en face d'une divinité criminelle, sinon au romantisme? Prométhée est, depuis le début du XIXe siècle, le héros de la révolte ; il Test resté pour nous. Mais songe-t-on qu'il incarne, au XVIe siècle, le savant hanté par le problème de la connaissance ou, encore, dans la poésie, l'amant tourmenté par une maîtresse cruelle? qu'il est rarement, au siècle des Lumières, le signe du progrès, bien plutôt celui de la décadence? que, s'il s'apparente à Satan aux yeux du romantique, jamais cette identification n'apparaît au cours des deux millénaires qui précèdent ? Dès lors, Prométhée, Satan, Caïn et le Christ, apparentés au romantisme, qu'avaient-ils de commun pour l'homme du Moyen Age ou de la Renaissance? Concluons donc que les affinités présumées sont occasionnelles et non essen­tielles : elles dépendent des temps et non de la nature intime des thèmes, elles ne peuvent exister qu'à des moments donnés.

N'hésitons pas à aller plus loin. A la même époque, chez des écrivains de la même famille spirituelle et avec un motif général commun, les thèmes continuent à se différencier subtilement. Voyons par exemple Manfred, la saisissante création de Byron, si volontiers comparé à Prométhée. Sans doute, les Alpes peuvent faire un Caucase, la volonté de Manfred est inébranlable, son invocation aux éléments rappelle celle de Prométhée... Oui, mais où est Prométhée dans ce personnage méprisant, orgueilleux, qui se veut surhumain et préoccupé seulement de lui-même, aussi peu

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THÈMES OU MOTIFS? 29

philanthrope que possible? Révolté peut-être, mais pour son compte personnel ! Et Caïn ? Une conscience anxieuse, qui s'inter­roge sur le mal et la légitimité d'une divinité arbitraire, qui veut détruire, mais ne construit rien. Et Faust, fidèle à sa nature démo-nique, évoluant par-delà le bien et le mal, attentif seulement à absorber en lui l'univers, ou Satan enfin, devenu certes auxiliaire des hommes, mais par «hybris » et ambition ! A les considérer de plus près, ces thèmes sont-ils l'expression de la même révolte? Révolte soit, mais pas la même: hissés sur un pavois commun, ils gardent des attitudes propres, des révoltés «spécialisées ».

L'apparentement, déjà fonction de l'évolution des idées, ne sera donc jamais que relatif. Ajoutons encore qu'il variera selon les écrivains. Le titanisme du jeune Goethe, qui est motif, transpa­raît, c'est entendu, à la fois dans son Prométhée, son Mahomet et son Faust47 ; mais s'agit-il bien chaque fois de la même nuance du titanisme, de la même direction de la révolte? Le croire serait négliger le poids énorme de la tradition littéraire qui alourdit le thème et l'empêche de jamais se confondre complètement avec un autre, fût-ce dans le même auteur : tout au plus les routes se croisent-elles quelquefois, non pas en raison d'un appel de la nature profonde de ces thèmes arbitrairement séparés, mais en rai­son des pressions extérieures qui peuvent un instant infléchir la courbe de leur évolution.

Que déduire de tout cela, sinon que, dans la mesure où le thème modifie sa valeur et sa signification au gré des siècles et des écri­vains, on ne saurait parler de donjuanisme ou de prométhéisme que dans des circonstances et des cadres bien précis ? Avant d'étu­dier, non pas même le donjuanisme mais les donjuanismes, entre­prenons donc de définir d'abord Don Juan *. Ne l'oublions pas

* C'est-à-dire les incarnations de Don Juan, puisque son symbole évolue selon les auteurs. Dans De l'amour, Stendhal disait que Don Juan «réduit l'amour à n'être qu'une affaire ordinaire»; pour Théophile Gautier, il représentait au con­traire «l'aspiration à l'idéal»; G. Mara— non le disait symbole de l'homme dépourvu de véritable virilité, tandis qu'Ortega y Gasset en faisait la personnifica­tion de cette même virilité. Où serait après cela l'unité juanesque?

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enfin, un seul thème peut, à la même époque — et parfois chez le même auteur — être porteur de plusieurs symboles : au roman­tisme, Prométhée, pour nous en tenir à cet exemple, représente l'artiste de génie pour Balzac, Byron, Hugo, mais il est aussi le précurseur païen du Christ chez Quinet, Pasquet, Grenier, ou le fondateur d'un ordre humain révolté contre l'ordre divin selon Byron encore, H. Coleridge, Des Essarts, L. Ménard, Defonte-nay... On le voit, la polyvalence du thème ne s'affirme pas seule­ment verticalement dans le temps, mais aussi horizontalement. Où y a-t-il encore apparentement dans cette complexité que peut seule révéler une enquête particulière et approfondie? Et comme le voilà loin et peu accusé, le motif commun !

Disons-le: parler de thèmes apparentés n'est acceptable que dans une faible mesure, à déterminer avec prudence. Prétendre pousser les choses plus avant pour fondre à tout prix plusieurs thè­mes dans le creuset d'un motif unique, c'est soutenir que tous les tableaux qui ont un fond bleu ont aussi le même sujet.

Au total, la distinction à établir entre les notions de thème et de motif apparaît de première importance, non seulement en soi, sur le plan de la terminologie littéraire, mais aussi parce qu'elle déter­minera des différences sensibles sur le plan méthodologique. Dans cette brève étude, nous souhaitons nous en tenir aux principes qui, selon nous, doivent gouverner la stricte thématologie. Il s'agira, dans les pages qui suivent, non de motifs, mais de thèmes stricto sensu. Nos considérations ne s'appliqueront donc nullement à des études sur l'usage et le rôle, par exemple, des nuages, de la lune ou des montagnes dans la poésie, ni à des études sur certains types lit­téraires non individualisés, comme le soldat, le bon prêtre ou l'avare dans le roman ou la comédie.

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POUR ET CONTRE LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS

Le curieux qui s'aventure à feuilleter une étude de thème a sou­vent l'impression de parcourir les pages d'un catalogue, de voir s'épuiser sous ses doigts une fastidieuse énumération de titres, de noms et de dates. L'enquête sur la « fortune » du thème s'est bor­née à un relevé du plus grand nombre possible d'oeuvres et, pour peu que l'auteur se révèle un esprit précis, il nous aura gratifiés de courbes de pourcentages et de graphiques, négligeant qu'une étude de « fortune » est surtout une tentative de capter un écho en profondeur.

Nous avons été longtemps accoutumés à ce qu'un travail de ce genre consiste généralement en une succession de résumés suivis de quelques lignes de commentaire. Un lecteur moyen qui con­naissait, au départ, les Iphigénie d'Euripide, de Racine et de Goe­the, sait maintenant — pour combien de temps? — qu'il y eut aussi celles de Rucellai, Rotrou, La Grange Chancel, J.—E. Schlegel, Fayart, G. Hauptmann ; avec un petit effort supplémen­taire de mémoire, il retiendra aussi quelques opéras, ceux de Scar-latti, Traetta, Gluck, de vingt autres encore s'il est vraiment appli­qué.

La lecture achevée, de quoi donc s'est accru son bagage intellec­tuel? D'un arbre généalogique où l'unité familiale se fragmente en d'innombrables collatéraux, et voilà une tête bien faite en passe de n'être plus qu'une tête bien pleine, un savoir ordonné sur le point de tourner au bric-à-brac de l'antiquaire peu soigneux. Mais qu'a-t-il appris sur les éléments constitutifs du thème, sur les rai­sons et les modalités de son éternelle résurgence, sur ce fil millé­naire tendu d'oeuvre en œuvre depuis Homère ? Rien, avouons-le, ou peu de chose, et il referme le livre avec la conviction que la thé-

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32 THÈMES ET MYTHES

matologie ne répond guère qu'à une curiosité gratuite, que tout cela est passe-temps d'érudit et de bibliographe. Reprochera-t-on sa sévérité à ce lecteur soucieux d'humanisme, quand telle fut l'impression de savants aussi avertis que B. Croce ou M.-F. Guyard, concluant que ces études sont «trop arides et condam­nées à l'érudition pure » et qu'elles n'exigent « pour être menées à bien que des dénombrements entiers, étoffés par un commentaire plus ou moins lâche »48 ?

Convenons-en de bonne grâce : cette critique fut souvent fondée et il faut bien le reconnaître, nombre de travaux de thématologie s'arrêtent, en fait, là où ils devraient commencer. Il en est, du reste, plusieurs catégories.

Commençons cependant par rendre justice aux dictionnaires, aux répertoires organisés qui, s'avouant pour ce qu'ils sont, ne prêtent le flanc à aucun reproche : la Bibliography of Greek myth in Englishpoetry de Helen H. Law, la Stoff- undMotivgeschichte der deutschen Literaîur de F. A. Schmitt ou les Stoffe der Weltlite-ratur de E. Frenzel, pour ne citer que ces ouvrages, sont, comme tout dictionnaire, de la plus grande utilité : ils épargnent bien des tâtonnements préliminaires, donnent une vue superficielle du suc­cès d'un thème et même un premier recensement des études qui lui ont déjà été consacrées. Ce sont là des points de départ, des tra­vaux indispensables et méritoires, mais auxquels on ne peut demander de dépasser leur objectif: ils classent, dénombrent, ambitionnent — autant que possible — l'exhaustivité, mais ne prétendent pas offrir une réflexion sur la matière rassemblée.

Ces caractères, louables et hautement satisfaisants dans un dic­tionnaire, deviennent insuffisants lorsqu'il s'agit de retracer l'his­toire d'un thème. W. Kayser l'observait très justement, un tel recensement « n'a rien fait pour les conceptions artistiques et très peu pour l'histoire littéraire. Le véritable travail devrait commen­cer maintenant »49. Or il y a sans conteste plusieurs types de tra­vaux qui ne sauraient être représentatifs de l'exercice bien compris de la thématologie. Quels sont-ils ?

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LES DÉNOMBREMENTS ENTIERS 33

Certains auteurs ont cru pouvoir réaliser une ambition excessive en s'aventurant à brosser la fresque immense de révolution de plusieurs thèmes à travers toutes les littératures occidentales, victi­mes d'un «encyclopédisme » qui devait les conduire à un simple survol. Le meilleur exemple de ce genre est sans doute le livre de C. Heinemann : Die tragischen Gestalten der Griechen in der Weltliteratur (Leipzig, 1920). En trois cents pages, quinze thèmes voient retracée leur odyssée millénaire, évoquées leurs transfor­mations les plus profondes et les plus complexes. En conséquence, VIphigénie d'Euripide a droit à une page, celle de Racine à trente lignes, autant que celle de Le Blanc du Roullet ou de Guimond de La Touche, un peu moins que celle de Christoph Friedrich von Derschau, un peu plus que celle de Goethe ! Toute l'histoire du mythe de Prométhée tient en vingt-huit pages, Oedipe est dépêché en onze, Hercule en dix, Antigone expédiée en neuf...

Bref, on dépasse à peine la notice sèche et décharnée du diction­naire; l'ordre chronologique seul relie des œuvres que rien, sauf leur titre, ne semble apparenter ; on ne trouve aucune considéra­tion sur les idées, sur le contexte historique et littéraire dans lequel s'inscrivent les auteurs, sur les sources et les influences éventuel­les, aucun jugement de valeur. Une ambition démesurée a abouti à la nomenclature, à l'énumération condamnée par M.-F. Guyard ; un thème, cela va de soi, est à lui seul d'une telle richesse et d'une telle complexité qu'il nécessite une étude particulière.

Aussi d'autres auteurs, conscients de ne pouvoir venir à bout de plusieurs thèmes, se sont-ils limités à un seul. Sage restriction, mais dont la portée est malheureusement faible, car ils ont cru souvent avoir assez d'un simple article, reprenant, somme toute, mais à propos d'un thème unique, la méthode de C. Heinemann. Admettons-le à leur décharge, ils n'ont pas prétendu mener une enquête exhaustive, mais seulement poser des jalons, préparer le terrain, ouvrir quelques perspectives. On est cependant amené à douter de l'efficacité de leur travail quand on voit vingt-cinq siè­cles prométhéens condensés en quatre pages ou l'histoire d'un

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thème poétique aussi riche que celui de Pandore esquissée en dix50. On cède ici à la satisfaction d'évoquer quelques grands noms, mais on n'explique pas ; on schématise, on vole de sommet en sommet et, parfois, un remords d'exhaustivité — combien rela­tive d'ailleurs — fait compléter l'énumération commentée d'une énumération tout court : on ajoute une liste des auteurs que Ton n'a pas traités. Encore une fois, nous n'avons affaire qu'à des esquisses, à des travaux préliminaires : rien n'a encore été fait pour une véritable thématologie.

D'aucuns enfin ont cru devoir se limiter à la fois dans le sujet, dans le temps et dans l'espace en se consacrant à l'examen d'un seul thème chez un seul auteur51, ou à une seule époque52 ou encore dans une seule littérature53. L'ambition, certes, est à pré­sent ramenée à des proportions plus raisonnables, mais on ne sau­rait se faire d'illusions sur le résultat obtenu: l'étude demeure incomplète, elle détache le thème de ses tenants et aboutissants en pratiquant une césure arbitraire dans son histoire, elle risque de proposer pour original ce qui est en réalité l'expression d'une lon­gue tradition, de prendre le particulier pour le général et, même si elle fait place à une réflexion plus poussée sur la signification d'un thème à une époque ou dans un auteur, elle s'expose à des généra­lisations abusives, à des erreurs de perspective, à des déductions erronées.

Bref, ces trois types d'enquêtes, indépendamment du talent des auteurs, révèlent par leurs faiblesses et leurs insuffisances que l'étude satisfaisante d'un thème ne peut s'entreprendre, ni dans une conception démesurée, ni dans un cadre trop étroit : dans les deux cas, on n'atteint qu'à des dénombrements qui n'ont pas même le mérite d'être entiers, à un survol, au culte superstitieux d'un ordre chronologique, en fait, seule armature du travail.

Cela acquis, quelles seront alors les conditions indispensables au dépassement de la nomenclature plus ou moins étoffée, de l'énumération superficielle ?

A la base — pourquoi le contester ? — la thématologie exigera

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LES DENOMBREMENTS ENTIERS 35

un dénombrement précis, préalable d'ailleurs à toute enquête litté­raire. Elle partira donc de la consultation des dictionnaires de thè­mes et ceux-ci se trouveront rapidement dépassés par les résultats du recensement personnel, facilité à son tour par de nombreux instruments de travail. Qu'on songe aux sources importantes de renseignements offertes par des catalogues comme, par exemple, la Bibliothèque du théâtre françois de La Vallière, les Recherches sur les théâtres de France de Godard de Beauchamps, VHistoire du théâtre françois des frères Parfaict, le Deutsche Titelbuch de F. Schneider, la Bibliographical list of plays in the French language de C D . Brenner, et bien d'autres, anglais, espagnols, italiens ; par les répertoires de traductions — M. Delcourt, R. Sturel, A. Chas-sang, M. Horn-Monval, C.H. Conley, H.B. Latrop, J.F. Degen, J.M. de Cossio, etc. — et d'adaptations innombrables. Voilà qui permettra d'élargir le champ de l'enquête bien plus qu'on ne l'eût imaginé à première vue. Et qu'on ne soutienne pas que ce dépouil­lement de catalogues et de répertoires est la caractéristique de l'érudition stérile qu'entraîne l'exercice de la thématologie. Ou bien prétendra-t-on que pour étudier Spinoza et la pensée fran­çaise avant la Révolution, ou L'Idée du bonheur au XVIIIe siècle, ou encore Diderot en Allemagne, il ait fallu à Paul Vernière, Robert Mauzi et Roland Mortier moins de fouilles et de fiches qu'il n'en faut pour se pencher sur le sort de Sophonisbe ou de Marie Stuart? Le tout sera de ne pas s'en tenir aux dénombre­ments, première étape du travail.

A cette préoccupation fondamentale d'une information aussi étendue que possible s'ajoutera tout naturellement celle d'une ordonnance chronologique des textes, nécessaire même à l'inté­rieur de l'œuvre d'un seul auteur, car elle permet de suivre les éta­pes de l'évolution du thème, de déceler les possibilités d'influen­ces. Encore une fois, ce n'est pas un trait spécifique de la thémato­logie : quand A. Py se penche sur la conception des mythes grecs dans la poésie de Victor Hugo, quand l'abbé C. Grillet s'informe des emplois de la Bible par ce même poète54, il n'est pas moins

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intéressant de déterminer, sur ces points et grâce à la stricte obser­vance de la chronologie interne de l'œuvre, le cheminement de la pensée, de la philosophie et de l'art de l'auteur.

En somme, la thématologie ne prétendra pas renier les dénom­brements minutieux, pas plus que le respect de la chronologie, deux éléments qui sont la base, la charpente osseuse du corps autonome que deviendra le travail achevé. Toutefois, ils ne seront jamais des fins, comme on l'a cru trop souvent, mais seulement des moyens. La succession des œuvres reconnue, le devoir d'exhaustivité accompli, alors débute la véritable tâche du cher­cheur qui a entrepris de retracer l'aventure séculaire d'un thème.

Car il va s'agir maintenant de dégager et de préciser les signifi­cations multiples du thème, d'isoler ses éléments constitutifs, de définir les grandes voies dans lesquelles il s'engage, de mettre à nu les fils conducteurs, de procéder, à l'intérieur de la complexité et de l'enchevêtrement des motifs, à une répartition thématique interne * qui seule donnera au travail sa réelle unité et permettra de respecter cet élément essentiel du thème : sa polyvalence.

De quels éléments, par exemple, est fait le thème de Pandore ? Dès le premier examen, on y distingue les motifs de la punition des hommes par les dieux, de la corruption de la société primitive, de l'apparition de l'art et de la beauté dans la conscience humaine, de la femme fatale, de l'origine légendaire du mal physique et moral. Tout cela est présent déjà, à l'état embryonnaire, chez Hésiode, et chacun de ces éléments est appelé à fonder une tradition littéraire dont une Pandore sera le centre : le premier est capital chez Hésiode, le deuxième chez Lesage ou Houdar de La Motte, le troi­sième chez Goethe, le quatrième chez Colardeau, Voltaire, Par-nell, le cinquième chez Voltaire encore ou Wieland, etc. Aussi s'aperçoit-on que l'unité apparente que recouvre le nom de Pan-

* Ce serait plutôt une répartition « motivique », si l'on ose dire. Quand on voit, par exemple, Prométhée exprimer concurremment la révolte, l'aspiration au savoir, le génie, la souffrance amoureuse, etc., il s'agit de saisir la multiplicité des motifs recouverts par l'unité du thème.

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dore dissimule en réalité une diversité de significations qui est fonction de l'adaptation des éléments constitutifs du thème aux transformations des idées et des mœurs. Comment et quand cha­cun de ces éléments s'est développé, chez qui et pourquoi, voilà les questions qu'il importe de se poser. C'est dire que suivre, dans toutes ses sinuosités, l'évolution du thème de Pandore, permettra de voir de quelle manière et dans quelle mesure un thème littéraire s'imprègne de l'idéologie des époques traversées, comment il la restitue et ce qu'il a représenté dans les phases successives de la civilisation.

On est donc loin de se satisfaire d'une nomenclature, fût-elle complète, de cette carcasse étique qui peut seule résulter du dénombrement mécanique. S'en tenir à cela reviendrait à condam­ner la thématologie à être une discipline sans âme55.

Qu'apporterait en effet à l'histoire de la littérature et à l'histoire des idées, de constater que l'Orphée de Rilke vient après celui de Boèce et celui de Cocteau après celui du Politien? que le Saùl d'Alfieri précède celui du prince de Ligne et le Narcisse de Calde-ron celui de Valéry, s'il ne s'agissait de découvrir le pourquoi et le comment des différences et des similitudes ? Savoir que, dans le thème de Don Juan, Grabbe vient après Molière et Montherlant après Ghelderode, permet tout au plus les classiques et banales réflexions sur l'éternité et l'indestructibilité des grands mythes de la civilisation occidentale, traditionnelles tirades qui n'expliquent rien. On demeurera ignorant des raisons profondes de la palingé-nésie du thème, si l'on ne cherche à l'analyser, à le réduire à ses composantes.

En résumé, toute étude composée d'une juxtaposition d'oeuvres, toute étude qui n'est qu'un assemblage de monogra­phies sans relief, sans arrière-plan et sans lien, qui groupe des tex­tes sur la seule parenté artificielle de leurs titres sans chercher à découvrir les réalités multiples qu'ils recouvrent, ne saurait être admise comme une enquête thématologique bien comprise ni bien menée.

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38 THEMES ET MYTHES

Respecter l'ordre chronologique, entasser des documents, accu­muler des dates et des noms, c'est le rôle d'un dictionnaire ; tracer des pistes dans la jungle des interprétations et des transformations d'un thème dans le cadre de l'histoire des idées, c'est l'affaire de la thématologie. Constater la différence entre le Prométhée créateur, au sens le plus matériel, de l'espèce humaine, tel qu'il apparaît chez Philémon et Ménandre, puis chez les Pères de l'Eglise, et le Prométhée poète de génie qui se révèle au jeune Goethe, ne suffit pas : il faudra retrouver par quels cheminements obscurs s'est effectuée cette sublimation du symbole, en déceler les étapes de Boccace à Marc-Jérôme Vida, de Chapman à Shaftesbury et à Herder. Une date, un résumé, un commentaire de trois lignes des nombreuses Phèdre des lettres européennes ont pour nous moins d'intérêt que la compréhension de l'attention donnée au thème par Racine ou par Gide.

Comment et quand, sinon toujours pourquoi, doivent être les questions constamment présentes à l'esprit de quiconque tient à dépasser l'énumération stérile. Quand H. Le Maître, confronté avec le thème de Psyché, souligne qu'il lui a paru intéressant «de rechercher quelle attitude avaient adoptée en France des artistes presque tous chrétiens, en face d'un thème païen si proche de leurs idées religieuses »56, soyons assurés qu'il se propose au moins un des buts qui font de la thématologie autre chose que l'établisse­ment d'une nomenclature. N'était-ce pas aller, voici trois quarts de siècle, bien au-delà des dénombrements entiers, que d'évoquer, comme le faisait Charles Ricci, le problème de Sophonisbe :

Pourquoi la faiblesse générale de ces tragédies ? Telle est la question que nous nous proposons de résoudre. Sans doute, chaque auteur est responsa­ble des défauts de son œuvre. Mais lorsqu'il s'agit de Corneille, de Vol­taire, d'Alfieri, il serait téméraire de faire retomber sur leur maladresse seule la médiocrité de leur Sophonisbe. Il se peut qu'il y ait des raisons d'ordre plus général, tenant à l'essence même du sujet 57.

A-t-il réussi à donner une réponse satisfaisante ? Peut-être, mais c'est une autre affaire. L'important est avant tout que le critique

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se soit interrogé sur la nature profonde du thème, qu'il en ait tiré une réflexion : à ce prix il peut y avoir une philosophie de la thé­matologie comme il y a une philosophie de l'histoire. Dans une telle optique, dénombrement et chronologie ne seront plus à la thématologie que ce que sont à la musique la portée et la clé de sol: les assises indispensables, mais modestes, de la symphonie.

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LA CONTINUITÉ DE LA TRADITION HISTORIQUE

Tracer des avenues, séparer les éléments constitutifs du thème, donc ses signifiants, suivre leur évolution, chercher le quand et le comment, parfois le pourquoi de leurs transformations, c'est, nous l'avons dit, insuffisant dans une époque ou un auteur sous peine de gauchissement des perspectives ; de plus, la chronologie peut n'avoir à jouer un rôle, dans le problème des sources et des influences, que dans un registre quelquefois fort étendu. Dès lors, l'idéal de l'étude thématologique ne serait-il pas l'enquête conti­nue dans le temps ?

Aussitôt triomphe l'opposition. «Trop souvent les rattache­ments de la Stoffgeschichte, écrivait F. Baldensperger, ignorant les intermédiaires oraux et indéterminés, satisfaisaient mal les esprits historiques, c'est-à-dire soucieux de séries continues : d'où le peu de sécurité offerte par tant d'Ahasvérus, de Griselidis ou de Sept Dormants, le seul Don Juan offrant à peu près, dans sa car­rière littéraire, la continuité souhaitable » 5 \ A ces esprits « histo­riques », la thématologie apparaissait comme un quartier de ban­lieue inachevé : comment prétendre en effet suivre des avenues, là où il n'y a que chemins mal tracés débouchant soudain sur un ter­rain vague ou un reste de forêt, bien heureux quand le sentier ne finit pas en cul-de-sac ?

Voyez le cas d'Hercule, précisent-ils, et l'historique en sera bientôt fait. D'Euripide on passe à Sénèque, puis on saute à Vil-lena (1417), à Cinzio (1557) ; de là à Rotrou (1632), à Marmontel (1761), à Wedekind (1917), à Dùrrenmatt (1954). Quelle tradition littéraire offre-t-il? quelle continuité? quelle unité? Le thème est

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42 THÈMES ET MYTHES

brisé, tronçonné, épars. Choisira-t-on Orphée? Après les hymnes orphiques, après Ovide, passons sans transition au Sir Orfeo du Moyen Age anglais (1330), à Henrysons (XVe siècle), à Poliziano (1480), à Calderon (1663), à Rilke (1905), à Cocteau (1926), à Anouilh (1941). Même atomisation, même pulvérisation que pour Hercule, même si l'on en vient, en désespoir de cause, à ajouter à ces œuvres les poèmes de Ronsard, Spenser, Milton, Quevedo, Pope, Novalis, Hôlderlin, Goethe, Disparate, poussière de textes sans tradition !

Reconnaissons-le : l'objection, cette fois, semble sérieuse, capi­tale, puisqu'elle dénonce l'impossibilité d'esquisser des séries con­tinues, de véritables traditions littéraires, qu'elle ruine l'espoir d'aboutir à une synthèse valable, la chimère d'une survivance réelle et constante, donc la possibilité de mettre à nu cette épine dorsale du thème dont nous évoquions l'existence à propos des dénombrements entiers.

Objection donc, et de poids. Mais ne peut-elle être écartée ? Ou plutôt, n'est-elle pas, une fois encore, née de l'examen critique de travaux existants, de l'absence de méthodes appropriées? d'une indispensable réflexion préalable sur la nature de la matère trai­tée ? Nous essaierons de montrer qu'elle fut trop souvent justifiée par la négligence d'une distinction capitale, faite cependant depuis longtemps à propos des mythes par les psychanalystes et les histo­riens des religions.

Toutes les grandes figures de la mythologie, de la Bible, des tra­ditions nationales et même de l'histoire ont atteint par leur for­tune et leur portée significative, la valeur de mythes de notre cul­ture, mythes littéraires ou philosophiques, s'entend, depuis belle lurette dépouillés de leur contenu religieux. S'ils furent à l'origine « le produit de la réaction de l'homme primitif devant la vie »59, ou l'exposé d'une «situation dramatique dont le caractère essen­tiel est de considérer dans un monde spécifique certaines cristalli­sations de virtualités psychologiques 60, ils ont aujourd'hui perdu cette valeur primordiale de projections, pourrait-on dire, des don-

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LA TRADITION HISTORIQUE 43

nées immédiates de la conscience pour devenir les évocations caractéristiques des problèmes de notre culture et de notre civilisa­tion. Denis de Rougemont le rappelait à propos du thème de Tris­tan, «on pourrait dire d'une manière générale qu'un mythe est une histoire, une fable symbolique, simple et frappante, résumant un nombre infini de situations plus ou moins analogues. Le mythe permet de saisir d'un coup d'oeil certains types de relations cons­tantes, et de les dégager du fouillis des apparences quotidiennes»61. Parfois issus de lointains mythes religieux, les thèmes ont engendré une tradition littéraire et culturelle, dont le traitement fait l'objet de notre étude. Enfin, on peut considérer que les thèmes sont demeurés la représentation symbolique d'une situation humaine exemplaire, d'un cas particulier haussé à la por­tée universelle.

Le héros est, si l'on en croit R. Caillois62, celui qui donne à la situation une issue — fût-elle négative ou absurde, comme dans le cas d'Oedipe, où la situation absorbe le héros. Selon les cas, la situation ou le héros sera le centre du problème. L'histoire d'Oedipe, par exemple, appartient évidemment au groupe des thè­mes de situation, parce qu'elle ne saurait avoir d'existence indé­pendante d'un certain contexte : pour illustrer ce drame, il faut un ensemble de faits, des comparses traditionnels. Qui pense à Oedipe songe à Laïos et à Jocaste ; pas d'Oedipe sans sphinx, sans patricide, sans oracle, sans la malédiction des Labdacides : il se définit comme Oedipe par rapport à un ensemble en soi immuable sur le plan des circonstances. En d'autres termes, ce n'est pas la personnalité individuelle du héros qui fait la situation ce qu'elle est, c'est une situation donnée qui, d'un homme ordinaire, fait un Oedipe. Ce serait donc une erreur de suivre le personnage partout où il apparaît sans qu'il soit placé dans sa situation spécifique. Que serait un Faust sans pacte, un Oreste sans vengeance? La signification du thème est conditionnée par un nœud de données caractérisantes, le personnage n'existe, dans sa portée symboli­que, que par cet ensemble dont il est, comme en mathématiques,

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une fonction. On en dirait autant d'Antigone, de Pandore, de Psyché, de Médée *.

Dans le cas d'un thème de héros, le protagoniste dépasse la situation, la fait contingente ou la crée : qui dit Prométhée pense liberté, génie, progrès, connaissance, révolte. Sa polyvalence et son autonomie le mettent à l'abri d'une « fixation » et lui assurent, non seulement une complète indépendance, mais surtout un sens symbolique résumé dans le héros, quelles que soient son action et les circonstances dans lesquelles la fantaisie du poète choisira de le faire évoluer. Ainsi encore d'Hercule ou d'Orphée. Des nuances, cela va de soi, interviendront parfois dans cette distinction. On pourrait, par exemple, objecter que le héros n'est jamais, originel­lement, étranger à une situation donnée; on ajoutera même que tout héros tend à se détacher de la situation avec le temps, au fur et à mesure qu'il s'installe plus profond dans la conscience cultu­relle, surtout quand la psychologie s'en mêle, et à se faire valoir comme caractère ou même comme incarnation-type d'une «idée». Ce phénomène d'abstraction se décèle donc aussi quel­quefois, mais de manière beaucoup moins nette, dans les thèmes de situation, et la distinction n'est pas toujours aussi évidente qu'entre Antigone et Prométhée. Faust, par exemple, peut être à la limite des deux genres, et il est souvent menacé de se dégrader en héros du nationalisme ou du progrès. J. Rousset a bien observé que Don Juan, au cours de son évolution historique, a tendance à se transformer en thème de héros, c'est-à-dire à s'émanciper des invariants qui constituaient la situation initiale. Phénomène inté­ressant car, on s'en doute, la signification du thème se modifie en

* Il convient de noter ici que les thèmes construits sur des personnages histori­ques sont presque toujours des thèmes de situation parce que les auteurs disposent à leur égard de moins de liberté encore qu'en face des thèmes légendaires, en raison de la pression des réalités historiques qui s'exerce sur le temps (on ne peut placer Waterloo au XXe siècle), l'espace (on ne peut envoyer Cromwell en Amérique), la vraisemblance (on ne peut faire de Napoléon un lâche ou d'Alexandre un imbécile), la vérité des faits (on ne peut faire Marie Stuart reine d'Angleterre).

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même temps que sa structure. Selon les cas, il conviendra de déter­miner ce qui constitue l'intérêt dominant de l'œuvre en question.

Quelles conséquences peut-on tirer de cette distinction? D'abord, on conviendra que, de par leur nature, les thèmes de situation exigent, pour trouver leur entière signification, de voir recréée leur situation caractéristique, ce qui ne peut se faire que dans une oeuvre de quelque étendue, souvent théâtrale. Ensuite, il apparaîtra que le thème de héros, infiniment plus indépendant, peut trouver une expression tout à fait satisfaisante, dans une œuvre bien sûr, mais aussi — et même le plus souvent — dans une simple phrase, une allusion, voire en quelques mots, parce qu'il est une sorte de symbole « condensé » dont le contenu répond à une idée donnée d'avance. Il faut une pièce à Corneille ou Anouilh pour donner une valeur significative au thème de Médée ; Théophile de Viau fait-il de Prométhée «le premier athée», ou Shaftesbury, désignant le poète sous les traits du Titan, le nomme-t-il «a second Maker, a just Prometheus under Jove», le thème s'inscrit aussitôt dans un contexte de pensée qu'il suffit à circons­crire et à exprimer. Enfin, puisque, de toute évidence, le thème de héros sera beaucoup plus souvent évoqué que le thème de situa­tion — qui, répétons-le, a besoin d'espace pour s'exprimer — il y aura nécessairement entre eux une nette différence sur le plan de la continuité de la tradition historique et cette tradition elle-même sera d'une autre nature.

Poursuivons le raisonnement. Une fois admis le principe d'une différence essentielle entre les thèmes, prétendre leur appliquer une méthode de travail unique revient à vouloir découvrir la pana­cée. Il y aura donc deux méthodes ; quelles sont-elles ?

Commençons par les thèmes de héros. Très tôt séparés d'un contexte fixe, d'un cadre défini, ils acquièrent spontanément une redoutable polyvalence, une multiplicité de significations qui, nous l'avons dit, peuvent se condenser dans une expression très limitée: c'est le cas, par exemple, pour les interprétations du thème d'Orphée par les Pères, ou pour la vogue du thème de Pro-

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méthée à la Renaissance, où les œuvres qui lui sont consacrées sont rarissimes, mais où les allusions, tant chez les penseurs que chez les poètes, sont extrêmement nombreuses et révélatrices des courants de pensée de l'époque. Dès lors, il serait absurde de s'en tenir aux œuvres, aux sommets : ce serait chercher à des thèmes de héros des cadres dont la nécessité ne s'impose que pour les thèmes de situation *. Du reste, même à propos de ces œuvres, on obser­verait une liberté d'affabulation bien plus grande que dans le cas d'un thème de situation : centrées sur le mythe prométhéen, les trames d'Eschyle, de Calderon, de Goethe, de Shelley, de Bourges n'ont cependant aucune ressemblance, alors que les circonstances, les personnages, le contexte général sont beaucoup plus uniformes pour Antigone, Sophonisbe, Médée, Salomé, Marie Stuart, etc.

Souple, protéiforme, polyvalent, indépendant des cadres narra­tifs, le thème de héros est susceptible, par la multiplication quasi illimitée de ses manifestations, de s'intégrer aux caractéristiques de la pensée, des mœurs et du goût d'un siècle, d'apparaître nanti de toutes les significations, voire les plus contradictoires **, s'adaptant à toutes les nuances de l'état présent des idées, en épousant toutes les variations : la Sîoffgeschichte se révèle simul­tanément Geistesgeschichte.

Le thème héroïque pouvant trouver son entière valeur expres­sive en peu de place, il s'ensuit que, dans de nombreux cas, l'importance du thème dépend moins de la qualité esthétique que de la portée idéologique. Comme on s'attache à l'étude des écri-

* Quand M.-F. Guyard (op. cit., pp. 56-57) assure que « bien des tirades creuses sur la littérature prométhéenne cesseraient sans doute d'encombrer nos esprits le jour où nous pourrions suivre, guidés par Shelley, Goethe ou Gide, les transforma­tions de ce thème prestigieux », il néglige la distinction héros-situation : une étude qui ne passerait que par ces sommets ne révélerait pas grand-chose.

** Au XVIIIe siècle, par exemple, le thème de Prométhée évoque en même temps la corruption des mœurs contemporaines (Lesage), la fondation criminelle de la société civile (Rousseau), le péché originel et la décadence (Lefranc de Pompi-gnan, Brumoy, Tobler, Servandoni), le progrès (Voltaire, Wieland), le poète créa­teur (Shaftesbury, Chénier, Young), etc.

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vains «obscurs » des Lumières, à cette foule de minores dépour­vus, sans doute, de l'éclat et de la perfection des gloires du pan­théon littéraire mais qui, à leur place et à leur mesure, constituent la toile de fond à laquelle le siècle doit sa couleur et ses nuances véritables ; comme à côté de Diderot, il faut tenir compte du mar­quis d'Argens et de Saint-Foix à côté de Voltaire, il importera, dans l'étude d'un thème de héros, de s'intéresser aussi aux œuvres secondaires, aux poèmes, aux allusions, même minimes en appa­rence, mais dont l'ensemble restitue un climat, une atmosphère, définit la réaction générale et complexe de l'époque en face du thème. Travail ingrat : combien de volumes lus ou parcourus pour rien ! Mais aussi quelle moisson finit par récompenser le chercheur patient et minutieux ! Quelle satisfaction de voir peu à peu se des­siner la silhouette précise du thème ! Certes, cinq ou six vers de Shakespeare sur Orphée, de Ronsard sur Hercule, de Jean de Meung sur Pygmalion ou de Hugo sur le Christ, c'est peu de chose. Mais lorsqu'on s'est astreint à réunir sur un tel thème, à telle époque, les quelques lignes que lui ont consacrées dix, vingt, cinquante, cent auteurs, Ton voit se profiler alors le visage authentique du thème, se définir chacun de ses traits, s'éclairer la moindre de ses expressions. Chaque citation, chaque allusion est un caillou distinct qui a sa place dans la mosaïque idéale à laquelle doit s'efforcer l'enquête thématologique. L. Vinge ou Y.F.-A. Giraud ont bien fait voir, à propos de Narcisse et de Daphné, tout l'intérêt de cette méthode.

On s'empressera sans doute d'observer que l'exhaustivité est impossible: quelque minutieuse qu'ait été l'enquête, quelque systématique qu'ait été le dépouillement, quelque durée enfin qu'ait exigée le travail, on peut être sûr, surtout dans le cas d'un thème de héros, d'avoir laissé échapper nombre de passages, d'allusions, de citations. Comment s'en étonner ? Peut-on espérer — et même d'ailleurs s'il ne s'agissait que d'une seule époque et d'une seule littérature —, peut-on espérer n'oublier aucun auteur de deuxième ou de troisième zone, aucune œuvre morte depuis des

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siècles mais où brille par hasard, au creux d'une page sans intérêt, telle référence à Daphné, à Didon, à Phaéton ?

En fait, semblable exhaustivité est une chimère, même dans d'autres types de travaux, et, sur le plan de la thématologie, elle n'aurait qu'un intérêt très relatif. Il s'agit avant tout d'étendre suffisamment les recherches pour pouvoir déployer un éventail de significations assez riche pour n'être dépourvu d'aucune nuance d'interprétation. Ce résultat une fois atteint, le recensement n'a plus pour objet que d'établir dans quelle mesure une interpréta­tion est originale ou commune à un moment donné (et d'éviter de prendre pour original ce qui est commun !), mais il n'apportera plus rien de neuf. En somme, l'exigence d'exhaustivité doit être sévère, elle ne doit pas être intraitable.

Veut-on un exemple ? Dans notre propre travail sur le thème de Prométhée, nous utilisons, pour le seul XVIIIe siècle, le témoi­gnage de cent vingt-cinq auteurs ; nous pourrions aujourd 'hui y ajouter, toujours pour cette seule période, celui d'une soixantaine d'autres, de William Whitehead à Madame Roland et de Cartaud de la Villate à Louis-Sébastien Mercier. Mais il est significatif qu'aucun de ces témoignages, qui tous pourraient confirmer, compléter et enrichir ceux que nous citions déjà, ne puisse modi­fier quoi que ce soit à nos conclusions sur l'ensemble du siècle. C'est dire que l'exhaustivité dans la récolte des textes, d'ailleurs irréalisable, ne possède pas non plus de vertu spécifique. Au-delà d'un certain seuil, les dénombrements perdent leur sens s'ils ne contribuent pas à élargir la gamme des significations.

Devant une étude ainsi menée, n'y aurait-il pas mauvaise grâce à dénoncer la prétendue discontinuité de la tradition historique ? Un travail superficiel qui, au mépris de la nature profonde du thème, s'en tiendrait aux œuvres, ferait place peut-être à trente Hercules ; gageons qu'un examen conduit selon les critères du thème de héros révélerait plusieurs centaines d'expressions unies et cohérentes63. Prétendra-t-on rendre compte de la valeur réelle du thème prométhéen au XVIIe siècle en ne retenant que la pièce

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du grand Calderon et celle de l'obscur André Catulle ? Non : on y ajoutera les témoignages de Corneille, La Fontaine, Racine, Von-del, Dryden, Bracciolini, Gracian, Grimmelshausen, Milton, Ben-serade, Hobbes, de cinquante autres encore. Alors l'histoire du thème offrira une continuité profonde, alors l'enquête révélera une image ni déformée ni tronquée, alors il y aura richesse et tra­dition, pourvu, naturellement, que cette poussière d'allusions soit ordonnée et chacune d'elles mise à sa place dans le contexte de l'histoire des idées.

Avec le thème de situation, le problème change d'aspect. Il ne s'agit plus maintenant de glaner le plus grand nombre possible d'allusions, puisque le personnage étudié ne se définit comme symbolique et représentatif que dans la situation caractérisante, laquelle exige un développement, un exposé d'une certaine ampleur. Fixés dans un contexte légendaire ou historique aux composantes plus ou moins rigides, les thèmes de situation y per­dent en polyvalence et en fréquence d'apparition : il peut se passer longtemps avant qu'un auteur reprenne le schéma compliqué de Phèdre ou d'Oreste. C'est donc à propos des thèmes de situation seulement qu'on sera en droit de parler d'hiatus dans la continuité de la tradition littéraire, encore que des recherches minutieuses et approfondies les révèlent souvent moins larges et moins fréquents qu on ne pense .

En général, le thème de situation n'apparaîtra pas dans un poème, dont l'action n'est ni assez complexe, ni assez rapide, ni davantage dans un roman, dont la structure narrative est trop lente ; ses apparitions les plus nombreuses se feront donc au théâ­tre. Il faut cependant se défier d'en faire une règle ou une cons­tante : « Les thèmes et les motifs, écrit E. Frenzel65 ont certaines caractéristiques qui les inféodent à tel ou tel genre littéraire. [...] Il est donc parfaitement possible de suivre l'histoire d'un thème ou d'un motif uniquement à l'intérieur d'un genre, dès lors qu'un rapport étroit entre le thème et le genre peut être établi». C'est aller un peu loin : VAnîigone et VOrphée de Ballanche sont des

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épopées en prose, Jeanne d'Arc fait le sujet de poèmes chez Chris­tine de Pisan ou Coleridge, d'un roman espagnol anonyme du XVIe siècle, d'épopées chez Chapelain ou Voltaire. Don Juan passe du théâtre, où il est né, à l'opéra, à la nouvelle, au roman, au poème. L'utilisation du thème de situation au théâtre est très fréquente, mais elle n'est pas une loi.

Du moins un fait demeure-t-il établi : le thème de situation, au contraire du thème de héros, nécessite une exposition d'une cer­taine étendue. Dès lors, puisque son intérêt dépasse son contenu idéologique et sa signification, il exigera toujours l'étude d'élé­ments qui n'intéressent qu'occasionnellement le thème de héros. En raison de sa nature particulière, il suggérera un examen sur le plan esthétique: construction des œuvres, conception et utilisa­tion des motifs principaux, modifications apportées aux caractè­res des personnages, exploitation plus ou moins poussée d'élé­ments tragiques, comiques ou romanesques, moyens d'expres­sion, etc. Aux réflexions sur les transformations de la signification du thème doivent maintenant s'unir des considérations propre­ment esthétiques. Quant aux éventuels hiatus dans la continuité de la tradition, il importera, non de les accepter tels quels, mais d'en déterminer les raisons par l'étude des préférences d'auteurs, d'époques et de nations, étude complexe sur laquelle nous revien­drons. A ce prix, les défaillances passagères du thème pourront être parfois aussi révélatrices que ses triomphes.

Enfin, la littérature comparée s'est aussi attachée, ces dernières années, à « la parenté entre les diverses manifestations de la sensi­bilité, de la pensée et du goût »66. Ne serait-il pas fructueux d'étu­dier les expressions simultanées de la littérature et des autres arts : décloisonnement, pluri-disciplinarité et, dit U. Weisstein, wech-selseitige Erhellung des Kiïnste61. Une thématologie conçue comme discipline de synthèse se devait de tirer parti de ces ouver­tures. Un travail sur l'histoire de Didon et Enée s'enrichira par un recensement comparatif des œuvres picturales qui, à travers les siècles, ont représenté la séparation douloureuse du couple68.

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Y.F.-A. Giraud y insiste avec raison, il est sans doute arbitraire de dissocier des domaines de l'activité créatrice qui se complètent et parfois s'expliquent l'un par l'autre : l'histoire littéraire de Faust s'adjoindra celle des poèmes symphoniques (Berlioz ou Gounod), des peintures et des lithographies (Ary Scheffer ou Delacroix) ou même — pourquoi pas? — des bandes dessinées. Le cinéma n'est pas oublié : A. Dabezies, P. Brunel ou J. Tulard lui ont fait place dans leurs livres sur Faust, Electre et Napoléon.

Certains travaux ont donc débordé du domaine de la littérature pour s'intéresser aux concordances et similitudes entre les lettres et les arts. H. Anton, dans son histoire du rapt de Proserpine, le montre fréquemment exploité par les graveurs et les sculpteurs, si bien que des œuvres plastiques inspirent des poèmes du Tasse, de Milton, de Gide. L'analyse de l'interaction des arts, non seule­ment élimine les cloisons artificielles et associe les divers domaines de l'activité artistiques, mais souligne encore la continuité et la complexité de la tradition. A son tour, H. Dôrrie a suivi Galatée, puis Pygmalion, dans leurs expressions musicales et dans les arts plastiques depuis les fresques de Rome et de Pompéi.

Quelques thèmes, bien sûr, se prêteront mieux que d'autres à ces études comparatives. Par exemple celui de Daphné, qui trouve sa représentation idéale dans l'union des paroles et de la musique, de l'image et du mouvement : d'où son succès à l'âge baroque.

Les avis semblent cependant partagés sur ces questions. Selon Y.F.-A. Giraud, «étudier un thème n'a de sens que si l'on s'efforce de rendre compte en même temps de sa diffusion dans les arts figuratifs, dans l'histoire de la musique, dans la vie sociale et dans les ouvrages littéraires»69. En revanche, L. Vinge ne croit guère à cette interdépendance. Alors que le thème de Narcisse est à son apogée dans la poésie baroque et en même temps dans la pein­ture, elle considère que les œuvres littéraires peuvent servir l'inter­prétation de la peinture, alors que l'inverse est improbable70.

Quoi qu'il en soit, il paraît difficile de nier l'intérêt d'une enquête globale: l'histoire du thème ne peut qu'y gagner en

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richesse et en signification. Nous ne suivrons cependant pas Y.F.-A. Giraud lorsqu'il affirme qu'une étude de thème n 'a de sens que si elle englobe toutes les formes possibles d'expression. Certes, pareille extension est toujours souhaitable, mais elle n'est indis­pensable que pour les thèmes — comme celui de Daphné — qui se prêtent moins à l'abstraction qu'à la représentation, à l'interpré­tation (qui sollicite davantage l'écriture) qu'à la figuration.

Dans cette optique d'une enquête complexe et rigoureuse, l'argument de la discontinuité de la tradition est loin, nous semble-t-il, de représenter une objection aussi sérieuse qu'on pou­vait le croire au premier abord. Insistons une fois de plus sur ce point : ce sont les méthodes trop souvent appliquées à la thémato-logie, et non la thématologie elle-même, qui méritent condamna­tion. La distinction entre thèmes de héros et thèmes de situation n'est peut-être pas moins importante que la distinction entre thè­mes et motifs : elle seule permet de choisir et de mettre au point la méthodologie qui convient à chaque cas particulier, d'éclairer chaque thème de la lumière qui dissipera les ombres... et les malentendus.

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THÉMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI

Procéder à des dénombrements aussi complets que possible afin d'offrir à la réflexion un large éventail de significations et d'éta­blir la continuité de la tradition littéraire, voilà qui rassure au moins les « esprits historiques ». Il n'en va peut-être pas de même pour les esprits soucieux avant tout de jugements de valeur. Bene-detto Croce, décidément adversaire irréductible des études théma-tologiques, le déclarait sans ambages :

Ces recherches sont de pure érudition et ne se prêtent jamais à un traite­ment organique. Elles ne nous conduisent jamais, par elles-mêmes, à com­prendre une œuvre littéraire, elles ne nous font jamais pénétrer dans le vif de la création artistique. Leur sujet n'est pas la genèse esthétique de l'œuvre littéraire, mais ou bien l'histoire externe de l'œuvre déjà formée (vicissitudes, traductions, imitations, etc.), ou bien un fragment de la matière qui a contribué à la former (tradition littéraire). Les livres qui s'en tiennent strictement à cet ordre de recherches, prennent nécessairement l'aspect d'un catalogue ou d'une bibliographie 71.

A faire se succéder œuvres célèbres et secondaires, textes fameux et allusions obscures, n'est-on pas sur le point de négliger l'œuvre en soi, ne court-on pas le risque d'aboutir à un regrettable nivellement des valeurs? On a été jusqu'à dire que la Stoffges-chichte, s'intéressant davantage au contenu qu'à la forme, «ne porte pas de jugements de valeur, parce que tout doit lui paraître d'importance égale»72; dès lors, chaque œuvre n'est plus qu'un maillon d'une longue chaîne et perd son individualité73. Aussi F. Baldensperger condamnait-il définitivement la thématologie sur la conviction que « moins soucieuse par nature de mettre en valeur et de définir la singularité d'une création que de remonter à des for­mes simples, cette variété de la littérature comparée était sans doute vouée à quelque défaveur alors que s'affirmaient de nou­veau, dans l'esthétique, les droits de l'individualité expressive »74.

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54 THEMES ET MYTHES

Sur ce point encore, le reproche fut souvent fondé, concédons-le, et les partisans de l'œuvre en soi ont beau jeu de défendre leur point de vue en soulignant la complète absence de considérations esthétiques dans des ouvrages comme ceux de C. Heinemann. Mais une question se pose toujours : s'agit-il d'une faiblesse inhé­rente au genre — autrement dit, la thématologie n'est-elle pas sus­ceptible de se concilier avec l'appréciation esthétique; ou bien s'agit-il de faiblesses et de lacunes méthodologiques, de maladres­ses dans la manière d'aborder le genre? Car on ne peut songer, c'est évident, à défendre la réduction des individualités à un com­mun dénominateur, à prêter une importance égale à six mots de Théophile de Viau et à une œuvre de Shelley ou de Goethe.

D'autre part, que la thématologie présente une œuvre comme un maillon d'une chaîne, personne ne le niera; c'est cependant une autre affaire de soutenir que cette perspective historique empêche de porter un jugement de valeur. Certes, étudier séparé­ment chaque Judas ou chaque Orphée en s'attardant à faire appa­raître les étapes de la création littéraire reviendrait à composer une juxtaposition d'études indépendantes, négation de la thématolo­gie. Il convient aussi d'éviter de tomber dans l'erreur de faire d'une œuvre un phénomène frappé de « splendide isolement » ; cet insularisme littéraire ne saurait se concevoir que comme une vue de l'esprit, dénuée de toute réalité, car l'étude d'une œuvre en soi ne suffit pas à l'expliquer, ni même à la comprendre75.

Imaginons une monographie qui ne situerait pas l'œuvre de Hugo dans le contexte intellectuel et politique du romantisme et ne chercherait pas à savoir ce qu'elle doit à son siècle et au précé­dent. Nous satisfait-elle? Une œuvre fait toujours partie d'une chaîne, elle se détache toujours sur un arrière-plan et plus particu­lièrement peut-être lorsqu'elle traite un thème doté de sa tradition propre dans laquelle l'auteur a choisi de s'inscrire.

Dans l'appréciation d'une œuvre consacrée à un thème, il y aura lieu cependant de mettre en évidence deux types d'originalité, deux affirmations de l'individualité expressive. La première est

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celle qui s'attache à tout grand écrivain imprimant sa marque à ce qui sort de sa plume : s'étonnera-t-on que la Marie Stuart de Schil­ler éclipse, au moins esthétiquement, celle d'un Pixerécourt? La seconde est celle qui dégage le caractère spécifique d'une œuvre dans le cadre de l'histoire du thème, qui fait qu'une Iphigénie est infiniment supérieure à une autre, non seulement en tant qu'oeuvre en soi, mais aussi en tant qu'Iphigénie. Ainsi, dans l'enquête thématologique, l'individualité expressive doit-elle être soulignée à la fois sur le plan général, où un Oreste est une œuvre, et sur le plan particulier du thème, où cette œuvre est un Oreste.

Peut-être même est-il indispensable d'aller plus loin et de soute­nir que l'examen des modalités d'utilisation d'un thème permet de mettre mieux en évidence la part d'originalité créatrice de chaque auteur, précisément parce que le thème constitue un fil conduc­teur, un point de référence, un premier terme idéal de comparai­son, permettant de mesurer la puissance d'intervention de l'auteur sur la tradition qui avait cours jusqu'à lui. Dans ce sens, on a pu dire que « la prestation individuelle du poète en face de la force de la tradition apparaît d'abord dans le choix du thème et ensuite dans son traitement particulier par la modification, l'élection et le nouvel agencement des motifs»76. On n'appréciera vraiment la profonde originalité de Flaubert ou de Mallarmé confrontés avec le thème d'Hérodiade que si l'on a quelque idée de ce qu'était le thème dans la littérature antérieure, chez Pellico, Gellert ou Heine : dans cette mesure, le thème sera comme la pierre de touche de leur talent.

Il ne saurait donc être question, dans l'exercice de la thématolo­gie, de tout niveler, d'imposer aux œuvres et aux auteurs un com­mun dénominateur. Les monographies peuvent trouver leur place dans l'économie du plan général et, nous l'avons vu, elles s'impo­sent dans le cas des thèmes de situation ; tout est ici question de dosage, de proportions et de mise en œuvre. Bien loin de niveler les individualités expressives, la thématologie, quand ce ne serait que par la simple comparaison, aura constamment pour mission

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de les mettre en évidence. Considérant les multiples traitements d'un thème, un commentateur observait : « L'on reste étonné de la marque personnelle, imprimée sur ces traitements, par de fortes individualités. C'est cela qu'il faudrait pouvoir dégager»77. Cer­tes, et nul ne doutera qu'il importe de montrer comment le Faust de Goethe est supérieur à celui de Klinger ou de « Maler » Millier ; comment le Judas de L. Andréiev se distingue de celui de Claudel ; comment la Marie Stuart de Schiller est plus belle que celle d'Alfieri. On ne saurait admettre que le dédain des valeurs esthéti­ques soit la commune caractéristique des amateurs de thématolo-tie, et R. Derche le montrait bien en manifestant, à propos de Quatre mythes poétiques, son intention de « faire ressortir com­ment, à diverses époques et chez des peuples différents, ou, au contraire, dans un même milieu littéraire, l'interprétation d'un thème identique révélait la nature particulière du génie de chaque poète»78.

Enfin, s'il convient sans doute d'éviter que la thématologie néglige les considérations d'ordre esthétique, il ne convient pas moins peut-être d'éviter toute vassalité à l'égard d'une critique strictement formaliste qui, envisageant l'œuvre comme un univers fermé et répondant à une ontologie propre, n'entend l'aborder que par la stylistique et le jugement de valeur, après l'avoir coupée de ses tenants et aboutissants.

Il paraît difficile de le contester, la critique et l'histoire littérai­res ont eu souvent tendance à ramener l'étude de l'œuvre à l'étude du contexte biographique, des sources et des influences, et il n'est pas douteux, R. Wellek79 l'a souligné, que cet examen «extrinsè­que » ne suffit pas à en rendre compte. On ne niera pas davantage une propension exagérée, dénoncée par Rudolf Unger, à voir dans la littérature en général, et dans l'œuvre littéraire en particulier, le simple véhicule des idées. Quand H. Ulrici80 condensait la portée du Marchand de Venise dans la formule Summum jus summa injuria, on doit bien le reconnaître, il aboutissait tout simplement à supprimer l'œuvre d'art. Réduire le Mignonne allons voir ou le

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THÉMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI 57

Quand vous serez bien vieille à la sèche devise du Carpe diem, c'est respecter le sens, mais ignorer la poésie.

Mais convenons aussi que l'autre extrême n'est pas plus souhai­table. Quand J. Scherer81 assure qu'«il n'est pas indispensable de comprendre exactement le sens d'une phrase pour étudier la forme de cette phrase», sans doute a-t-il raison; sous réserve qu'une phrase qui ne signifie rien, fût-ce seulement dans l'esprit de celui qui la lit, n'est plus rien qu'un vide sonore. Ou bien un art acé­phale serait-il préférable à une pensée amorphe ? On aimerait rap­peler ici ce mot du roi dans Hamlet : « Words without thoughts never to heaven go ». La poésie, dit-on encore, ne gagne pas à être philosophique, et Ton a même envie d'ajouter : au contraire, quand on songe à des poètes comme Houdar de La Motte ou J.B. Rousseau. Mais c'est moins vrai déjà si l'on pense à Scève ou Vigny et, quoi qu'il en soit, B. Croce allait peut-être un peu loin en soutenant qu'une poésie d'idées se dégrade en tant que poésie82

et T.S. Eliot forçait singulièrement la note à prétendre que «nei-ther Shakespeare nor Dante did any real thinking »83.

Il est heureusement assez d'esprits raisonnables pour montrer qu'« il ne peut y avoir de conflit entre la forme et le contenu [...] car aucun des deux n'a d'existence sans l'autre et l'abstraction les tue tous les deux »84.

Parmi les premiers, Elisabeth Frenzel a insisté sur la possibilité d'un examen des formes85. A sa suite — et l'innovation est heu­reuse — des chercheurs ont entrepris de réagir contre les dichoto­mies arbitraires et de montrer que la Stoffgeschichte n'excluait ni les jugements de valeur ni l'étude des formes, elles-mêmes révéla­trices de l'évolution du goût. Au lieu de voir dans le poète ou le dramaturge un simple agent de transmission, on en vient à analy­ser les moyens par lesquels il a modifié la tradition. Dès lors s'impose l'étude minutieuse de l'œuvre dans toutes ses composan­tes, pour mettre en lumière le processus créateur.

Ainsi, tout en précisant que l'histoire de Faust au XXe siècle s'articule sur les temps forts de l'Histoire et que le thème renvoie

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58 THÈMES ET MYTHES

aux idéologies fondamentales d'un demi-siècle, A. Dabezies prend soin de rappeler la nécessité d'une analyse littéraire des œuvres : «Il arrivera que, dans notre appréciation, la valeur littéraire prime la signification historique ; la construction parfaite du Doc­teur Faustus ou de Mon Faust mérite bien autant d'attention que leur actualité »86. C'est restituer leur légitime importance à des critères esthétiques trop souvent négligés, sans doute, par l'ancienne thématologie. De son côté, M. Bélier, à propos de Phi-lémon et Baucis, s'attache à faire voir comment le thème s'adapte aux formes les plus variées, de l'idylle à la satire, et comment la Stoffgeschichte peut à l'occasion se muer en une histoire des mutations des formes et des styles par le biais d'un topos révéla­teur. «A côté de l'histoire du thème et de l'histoire des idées doit figurer l'histoire des formes. [...] A la polysémie du thème [...] s'adjoint son polymorphisme»87. Sans doute est-ce un moyen d'émanciper la thématologie de la tutelle positiviste et de la libérer de la poigne exclusive de la Geistesgeschichte.

De tels travaux l'ont démontré, il n'est nullement nécessaire de se résigner à un choix appauvrissant, soit compter les vertèbres d'un squelette, soit œuvrer à même la chair littéraire. L'étude des variations de la forme peut s'unir à celle des variations du contenu pour constituer une thématologie plus complète et plus riche.

On prendra garde toutefois que l'analyse interne des grandes œuvres ne conduise pas à ne passer que par les sommets : rempla­cer la continuité du thème lui-même par la contiguïté d'analyses sérielles serait nier le propos fondamental de la discipline. Car, plus qu'une succession de monographies, une suite de critiques closes où les œuvres s'échelonnent comme des monades, la théma­tologie suggère la possibilité d'une histoire institutionnelle d'un fait littéraire où, dans une vue globale, les écrivains apparaîtraient comme participant à l'existence continue d'un thème qui les dépasse individuellement, qui vit dans une sorte de conscience col­lective en perpétuel devenir, dont ils ne sont que les interprètes pri­vilégiés.

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THEMATOLOGIE ET ŒUVRE EN SOI 59

Un thème le montre mieux encore que n'importe quel autre objet littéraire, il s'agit, non d'accentuer les différences entre le fond et la forme, entre le fond et le contexte idéologique et histori­que, mais de rapprocher ces prétendues antinomies, de chercher comment la forme porte le sens, ou comment le sens commande la forme, comment le fond et la forme relèvent d'un cadre général et comment ils s'en distinguent. De toute manière, qu'elle soit ou non un maillon d'une chaîne thématique, une œuvre n'est pas une entité métaphysique, immanente et transcendante, explicable en elle-même et par elle-même, confinée dans l'égoïste et aveugle interdépendance de son « fond » et de sa « forme ».

« L'œuvre en soi, n'hésitait pas à déclarer B. Munteano, me fait l'effet d'un mythe, d'une utopie »88 ; et certes il y a un lien entre l'œuvre et son contexte littéraire et historique, ou alors il faut admettre le postulat d'une création ex nihilo, hérésie qui peut seule justifier le principe d'une monadologie littéraire qui refuse­rait à l'œuvre toute fenêtre sur le dehors.

Tous les efforts pour atteindre, en thematologie, aux conditions premières de la littérature, doivent se déployer dans l'histoire, et non en dehors d'elle. Rétrécir la tradition au sens le plus noble du terme, c'est s'appauvrir et se mutiler, Sainte-Beuve nous l'ensei­gnait déjà. Quels que soient la séduction et l'intérêt réel des autres approches, la Stoffgeschichte reste avant tout une discipline de synthèse, qui a sa légitimité à côté, et non contre l'analyse imma­nente.

Bref, convenons-en de bonne grâce, la signification n'est pas tout, mais le jugement de valeur esthétique non plus: il y a là affaire d'équilibre et de proportions, d'adaptation de l'auteur au thème abordé. Il importera autant de veiller à situer l'œuvre dans son temps et son décor et d'en faire apparaître les structures cons­titutives que de l'apprécier comme une simple étape dans l'odyssée du thème ; la thematologie ne doit relever ni d'un cloisonnement arbitraire des disciplines, ni des préférences individuelles : il faut qu'elle soit fusion, union et, par là, unité.

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SYNCHRONIE, DIACHRONIE ? LE THÈME ET LA STRUCTURE

L'exigence d'une analyse plus rigoureuse des œuvres s'est trou­vée renforcée, ces dernières années, par les résultats des recherches menées dans le domaine de la linguistique et de l'ethnologie. La thématologie a donc cru pouvoir emprunter au structuralisme cer­taines méthodes, dans le but de cerner avec davantage de précision la portée originelle du thème et de permettre une nouvelle appro­che des œuvres individuelles.

Préalable à l'examen diachronique s'imposerait le démontage du « scénario » du thème, ramené à ses éléments constants : Vessence du thème, saisi dans sa formulation première, précéde­rait son existence historique. Pour Don Juan, le schéma originel comporte l'Invité de pierre, le groupe féminin, le héros; pour le thème de l'Eden, c'est le contrat et sa rupture ; pour Faust, l'aspi­ration et le pacte, etc. Selon Didier Anzieu,

le mythe est un récit composé par un enchaînement de phrases fondamenta­les distinctes ; ces « mythèmes » ou éléments mythiques de base sont com­muns à plusieurs mythes, un mythe particulier se caractérise par le choix des mythèmes et par la façon de les organiser 89.

Le thème se verra donc décomposé en la série des «grands moments» qui le constituent, laissant ainsi apparaître les «paquets de relations » qui en déterminent l'« harmonie », comme dans une sorte de partition orchestrale. Les épigones seront à leur tour rassemblés, moins selon la stricte suite chronologique, que selon la manière dont ils auront traité, modifié, développé chacun des éléments constitutifs. Dès lors, l'étude de thème n'est plus seu­lement l'analyse d'une série continue dans une perspective diach­ronique, mais l'examen des modulations des relations entre les mythèmes. A l'interprétation du signifié d'un thème se substitue

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(au moins momentanément) l'étude de son organisation ration­nelle, et la succession des faits cède la place à l'exploration d'un faisceau de relations synchroniques. C'est, comme dit A.J. Grei-mas, définir « le statut structurel du mythe en tant que narration » et délimiter les « syntagmes » du récit90. A la linéarité historique succède une vision kaléidoscopique du thème. Ainsi, dans l'étude de la Matrone d'Ephèse selon F. Rastier91, les versions de Pétrone, de Marie de France, du Novellino, de Brantôme ou de La Fontaine sont considérées dans la mesure où elles transforment le schéma initial des cinq relations mises au jour, sans qu'il soit tenu compte de l'évolution des mœurs, de la morale ou du goût.

L'histoire d'un thème devient donc «cette incessante recons­truction à l'aide des mêmes matériaux» que Cl. Lévi-Strauss nomme « bricolage » et que M. Merleau-Ponty appelle, en linguis­tique. l'« arrangement » des éléments en fonction d'une «inten­tion significative»92. L'isolement d'un nœud de relations synchroniques met en évidence une structure permanente à laquelle la manipulation du bricolage conférera une valeur heuris­tique.

L'intérêt n'est pas niable, d'une telle méthode qui autorise la compréhension en profondeur du thème et de son fonctionne­ment, tout comme l'analyse poussée des œuvres individuelles. On peut toutefois se demander — et des spécialistes de l'antiquité y attirent notre attention93 — si un mode de lecture qui convient au décodage des mythes s'applique avec autant de pertinence aux tex­tes littéraires. En effet, l'analyse d'un mythe consiste à démanteler le récit pour en isoler les éléments premiers, à leur tour confrontés avec ceux des autres versions du mythe, toutes mises sur le même plan. Le récit de départ, loin d'être un tout fermé, s'ouvre sans cesse à tous les autres récits possibles à partir des mêmes données, dans un agencement organique où nulle combinaison n'est privilé­giée. Cl. Lévi-Strauss l'a bien montré : « Il n'existe pas de version vraie dont toutes les autres seraient des copies ou des échos défor­més. Toutes les versions appartiennent au mythe. [...] Un mythe

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LE THEME ET LA STRUCTURE 63

se compose de l'ensemble de ses variantes» . Au contraire, l'œuvre littéraire est homogène et autarcique, elle est fixation d'une version qui, précisément, exclut les autres. On ne saurait donc soutenir, comme C. Astier, et quelle que soit par ailleurs sa perfection, que la tragédie est le mythe.

Après ses avantages, on voit les inconvénients de la méthode structurale.

II y a d'abord le risque de faire de l'étude du thème une juxtapo­sition d'oeuvres closes, car, exigeant du thème la structure d'un discours, le procédé s'en tient forcément aux textes élaborés, com­plets, et ignore les simples références et allusions. Applicable sans doute à ce que nous avons défini comme thème de situation, il l'est beaucoup moins au thème de héros, plus indépendant à l'égard d'une quelconque structure narrative.

Ensuite, à partir de quoi construire ce schéma? Est-ce à partir de l'ensemble des variantes du mythe à ses origines ? C'est accu­muler des données dont on aura bien du mal à décider lesquelles seront déterminantes pour l'évolution ultérieure. Est-ce à partir d'une oeuvre, celle de Sophocle pour Oedipe, celle d'Eschyle pour Prométhée ? Ce sera constituer un archétype sur la base de l'idéale et théorique perfection duquel on jugera les versions postérieures.

Ainsi, dans son excellent Mythe d'Oedipe, Colette Astier, après une minutieuse analyse des trois axes fondamentaux (la royauté, l'oracle, la famille), conclut que la tragédie de Sophocle repré­sente un exemple achevé de cristallisation littéraire du mythe. « La tragédie, dit-elle, a donné sa voix au mythe, le mythe lui a donné sa force» (p. 42). Mais est-il légitime, nous en avons parlé plus haut, d'identifier mythe et tragédie? Chez Mme Astier, la perfec­tion sophocléenne conditionne la suite de l'analyse, car cette tra­gédie révèle une si parfaite adéquation entre le mythe et sa formu­lation, qu'elle devait en quelque sorte paralyser les épigones. L'auteur parle donc de « mort de la tragédie » pour des œuvres qui, dès Sénèque, sont «entachées d'insignifiance» (p. 95) et ne sont que « dégradation, abâtardissement de la tragédie, refus du

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tragique» (p. 99). Après Sophocle pullulent «grimaces, distor­sions » (p. 145) et il faut attendre Les Gommes de Robbe-Grillet pour découvrir une œuvre de rupture où l'invention formelle va de pair avec la recréation de l'Oedipe, premier texte véritablement autonome qui refuse à la fois le roman, la tragédie et Sophocle.

Si ferme et si riche que soit cette étude, la meilleure et la plus complète sur le sujet, elle nous paraît procéder d'une conception quelque peu platonicienne de l'histoire du mythe.

Quand C. Astier condamne l'Oedipe de Voltaire, «noble, calme et grand, comme un Auguste rasséréné» et trouve dans l'œuvre un «refus de la tragédie» (p. 93), on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a plutôt, de la part du critique, un refus de la perspective historique : ce qu'écarte Voltaire, ce n'est pas la tragé­die, mais la tragédie grecque, et cela surprend peu quand on sait à quel point le XVIIIe siècle français rejette la fatalité au nom du «système des passions» et d'une intériorisation toute racinienne de l'action95. Dès lors, l'important n'est pas d'affirmer qu'Oedipe devient un prétexte à véhiculer telles idées, mais de chercher à con­naître les motifs de ces transformations. Après le christianisme, le jansénisme et les discussions sur le libre arbitre, le tragique de YOedipe voltairien pouvait être différent de celui de Sophocle, sans en constituer pour autant la dégradation. Ou dira-t-on que Les mouches de Sartre, dont la philosophie est aux antipodes de la pensée grecque, représente la décadence de YOrestie ? De même, si Corneille ou Voltaire, ou Ducis se sont bien gardés de mettre l'accent sur l'union incestueuse, ce n'est pas que « les dramaturges ne sentaient pas à quel point la tragédie s'enracinait dans cette union» (p. 96) ou qu'ils esquivaient ce qu'on pourrait appeler la minute de vérité du thème, mais qu'ils étaient retenus par un code de la décence interdisant de s'appesantir sur ce point. C'est pour la même raison, et non par incompréhension, que, chez Voltaire ou Crébillon, Oreste tue Clytemnestre par erreur. A partir d'un tragique absolu réalisé par Sophocle, on se ferme à l'assimilation d'un autre tragique, fonction des mœurs et de l'évolution

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philosophique : la richesse d'Oedipe est précisément dans cette malléabilié qui a permis à tant d'écrivains d'en modifier la portée. Car Sophocle n'est pas plus détenteur de la seule interprétation possible d'Oedipe qu'Eschyle ne détient la seule vérité surPromé-thée. Dès lors, parler de la pièce de Platen comme « du terme de la décadence progressive de la façon [dont Oedipe] est traité depuis Sophocle» (p. 113) n'a, littéralement, pas de sens, même s/il est devenu « prétexte à rire » ; pourquoi le sarcastique Prométhée gidien serait-il décadent par rapport à Eschyle ? Mme Astier néglige peut-être trop qu'à partir du mythe cristallisé par Sophocle se dégage un thème littéraire dont les seules chances de survie sont dans ces mutations dénoncées comme des abâtardissements. Ce thème consacré par la tradition, l'art consistait justement à l'investir, au moyen de modifications de détails, de nouvelles significations en accord avec d'autres conceptions du tragique : Corneille, Houdar de La Motte ou Voltaire, dans des œuvres, cer­tes, littérairement moins parfaites que celle de Sophocle, n'ont fait que lui appliquer cette perspective kaléidoscopique.

Un autre exemple sera fourni par le remarquable ouvrage con­sacré par Jean Rousset au Mythe de Don Juan, où il propose, lui aussi, «une méthode structurale». Selon ce critique, les unités constitutives du thème ou invariants sont au nombre de trois : le Mort, le groupe féminin, le héros. Refusons ce « dispositif trian­gulaire minimal » et le mythe juanesque s'effondre, en dépit de sa plasticité ; car

... il y a un revers à cette plasticité, à cette action de longue durée sur l'ima­gination collective : c'est l'usure et la dégradation, un donjuan ! Le donjua­nisme ! Voilà le déchet, le produit banalisé d'une dégénérescence ; que reste-t-il du prototype, du pécheur, du libertin et de ses affrontements avec le Ciel dans le petit-maître du XVIIIe siècle, dans l'homme à femmes de la fin du XIXe? La substance mythique s'est évaporée, l'identité première s'est effacée sous l'effet d'une dislocation : l'ensemble initial et constitutif s'est désagrégé ; en accaparant l'intérêt pour lui seul, le héros s'est détaché du scénario global, il a perdu le contact avec l'Invité de pierre et le dénoue­ment surnaturel. Mort du mythe — preuve aussi que le mythe a réussi, trop bien réussi (p. 8).

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A l'origine, en effet, ce thème n'est pas celui du jouisseur, mais celui de l'offenseur de Dieu, du pécheur qui repousse toujours — et trop longtemps — le moment du repentir. C'est pourquoi il apparaît en quelque manière, observe finement Jean Rousset, comme «un sermon sur la grâce». En somme, le thème a la dimension du sacré et l'aventure de Don Juan, la grandeur de celle des héros mythiques. Devenu le séducteur, l'homme à bonnes for­tunes, il se banalise, se détruit ; à partir du moment où le héros l'emporte sur la situation, la grandeur s'abolit. Donc, conclut Jean Rousset, «je souhaite éviter, dans la mesure du possible, de construire mon Don Juan en personnage. [...] Don Juan sera traité, pour l'essentiel, comme énergie dans un réseau de forces qui se réalise par action et réaction, comme fonction dans un ensemble, comme nœud de relations» (p. 12).

Soit. Dans quelle mesure cependant peut-on légitimement par­ler de la dégradation d'un thème à partir du moment où celui-ci dévie de sa portée initiale ? Evolution, mutation, métamorphose ne sont pas décadence. Tristan et Yseult exprime une problémati­que médiévale, courtoise et chrétienne ; quand Platen, en 1826, lit dans le thème la contemplation de la beauté entraînant dans le ver­tige de la mort, dira-t-on qu'il le dégrade ou qu'il l'interprète ? Tirso de Molina a créé son Don Juan dans un contexte espagnol et catholique au XVIIe siècle ; pourquoi celui de Milosz ou de Max Frisch serait-il le même, pourquoi serait-il tenu au respect d'un quelconque schéma initial ?

Ne l'oublions pas, le thème refuse la contrainte des invariants. De quel droit interdira-t-on aux créateurs de glisser de la situation au héros, du nœud de relations au personnage, sous prétexte de respecter une structure, un archétype? Nous n'avons pas à rame­ner le thème dans le droit chemin comme on prendrait par la main un enfant indiscipliné; l'historien n'a pas à canaliser le fleuve, mais à le suivre de la source à l'estuaire dans ses repentirs, ses caprices et ses méandres.

La vraie question nous paraît bien plutôt de chercher à savoir

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pour quelles raisons l'accent, au fil du temps, s'est déplacé. Don Juan, devenu prédateur ou symbole sexuel, conserve le droit de vivre, même sans Dieu, d'être ici nostalgie de l'inaccessible absolu, là rêve ou cauchemar d'une certaine condition féminine. Rappelons-nous d'ailleurs que le motif de la séduction coexiste, dès l'origine, avec celui du défi.

Ici se révèlent les périls et les limites du formalisme manipula-toire, tenté de figer le thème dans un modèle. Don Juan, écrit encore J. Rousset, «tombe en poussière si son aventure ne s'achève par le combat nocturne avec l'apparition, ou tout autre équivalent fantastique » (p. 179). Non : ce qui tombe en poussière, c'est Don Juan selon Tirso, Molière ou Mozart. L'obsédé de Montherlant est un avatar de Don Juan, parfaitement légitime, non un dégénéré, non un ange tombé qui se souviendrait mal des cieux. Stirb und werde : voilà l'essence du thème.

L'analyse structurale, fructueuse lorsqu'il s'agit du mythe origi­nel ou de sa première cristallisation littéraire, se révèle donc à nos yeux moins pertinente dans l'étude du thème, c'est-à-dire lorsque la diachronie reprend ses droits96. L'étude d'un thème suppose en effet un jeu perpétuel de comparaisons ; mais il s'agit de compa­raisons dans l'histoire et non en dehors d'elle, non par référence à un quelconque paradigme suspendu dans l'intemporel. Si la Stoff-geschichte ne saurait aujourd'hui, sans risque d'appauvrissement, se refuser à l'intelligence de l'œuvre en tant que telle, dès lors qu'elle entend dépasser l'analyse de l'organisation initiale des constituants d'un thème pour s'intéresser à son devenir, à ses modifications successives, elles-mêmes fonctions de facteurs divers, il lui faut se définir, essentiellement, comme discipline his­torique. Car le thème ne trouve sa dimension que dans l'histoire, où s'enracinent ses incarnations, et dans cette palingénésie qui constitue son être même. Il existe à la fois dans chaque œuvre qui l'exprime et en dehors d'elle, dans une tradition culturelle dont tout auteur est tributaire et dans laquelle il puise pour la modifier et la transmettre à son tour. Toutes les versions appartiennent au

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68 THEMES ET MYTHES

mythe, observe Cl. Lévi-Strauss, indiquant par là qu'il n'existe pas de version primitive originale, seule authentique, dont les autres ne seraient que des contrefaçons ou des copies infidèles. De même, toutes les versions appartiennent au thème. Les œuvres peuvent différer en valeur littéraire, mais elles ne peuvent être jugées que par rapport à une série de facteurs variables selon les temps, les esthétiques et les axes de pensée, non par référence à un intangible archétype.

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LA RECHERCHE DES SOURCES ET DES INFLUENCES

Considérer l'œuvre comme une unité artistique, porter sur elle et sur chacune de ses parties un jugement de valeur, détailler l'expressivité des formes et des structures n'est pas, on l'a vu, radicalement incompatible avec l'enquête thématologique, sur­tout lorsqu'elle est appliquée à un thème de situation qui, mieux que de tolérer cette approche esthétique, la sollicite.

Toutefois, nous avons dit aussi qu'on ne saurait admettre l'œuvre existant par elle-même, conçue exnihiio, indépendante de tout contexte et de toute tradition. En même temps qu'une expres­sion propre à G.B. Shaw, la Jeanne d'Arc du dramaturge irlan­dais est aussi un maillon d'une chaîne qui passe par Shakespeare, Chapelain, Voltaire, Quincey, Soumet, Michelet, Péguy, France. Souvent tel détail imaginé par un auteur s'intègre à la tradition ultérieure : il importe de savoir à qui il est dû, quand il a pris nais­sance, comment et à qui il a été transmis.

Or certains comparatistes, et parmi eux Paul Hazard, estiment que la thématologie fait rarement place aux questions de sources et d'influences et que, du reste, la succession des œuvres bâties sur un même thème n'implique pas qu'il y ait eu influence : entre deux Caïn, entre deux Oreste, il n'y a le plus souvent que parallélisme, non contact ni influence. On déciderait donc d'exclure, a priori, la thématologie des cadres de la littérature comparée, dans la mesure où elle ne s'occupe que de juxtapositions et de comparaisons.

Que penser de cette nouvelle condamnation ?

Il est certain que les premières manifestations de la thématolo­gie sont issues de la recherche de critères de valeur : comparer plu­sieurs œuvres construites sur un thème permettait d'aligner Goe-

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70 THEMES ET MYTHES

the avec Euripide, Kleist avec Molière et Plaute, Shaw avec Byron, jeu séduisant, sans danger mais aussi sans véritable profit. C'est du souci de dresser de nouvelles échelles de valeur que procè­dent les comparaisons auxquelles se livrent Lessing entre Voltaire et le théâtre anglais, A.W. Schlegel entre la Phèdre de Racine et celle d'Euripide ou, plus tôt, Voltaire entre son propre Oedipe et ceux de Sophocle et de Corneille, ou encore Racine entre son Andromaque et celle d'Euripide.

Convenons qu'en effet il ne s'agit pas là de littérature compa­rée, mais tout simplement de comparaison littéraire97, exercice assez rhétorique et aussi ancien que la littérature elle-même. De telles comparaisons ne s'attachent, en réalité, qu'à la mise en œuvre de sujets identiques ; on compare une tragédie à une autre, non pas même dans l'esprit et la signification du thème traité, mais dans la manière dont il est abordé et exploité : Voltaire a plus ou moins de pathétique que Sophocle, ces personnages sont plus nobles ou plus vraisemblables, il respecte mieux les unités, etc. En somme, c'est une comparaison purement esthétique, qui demeure extérieure au thème, qui juxtapose les éléments communs pour en déduire le plus ou le moins de ceci ou de cela.

Observons néanmoins qu'elle n'est pas dépourvue de tout inté­rêt — ne permet-elle pas de dégager l'apport individuel, en parti­culier dans le traitement du thème de situation ? —, même pour la littérature comparée, où Etiemble invite à nous souvenir qu'à côté de littérature, il y a comparée, et il serait certes aussi abusif qu'appauvrissant de définir cette discipline comme «un cas parti­culier de la critique d'influence »98. Mais nous ne saurions admet­tre davantage, avec E. Frenzel, que la simple comparaison consti­tue en tout cas «l'épine dorsale de la thematologie»99, car, au moins pour les thèmes de héros, où l'expression est parfois réduite à quelques mots, donc à la stricte portée significative, la compa­raison, qui implique le jugement de valeur, ne trouverait pas l'occasion de s'exercer.

Bref, en dépit de son intérêt éventuel, la comparaison, exercice

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SOURCES ET INFLUENCES 71

scolaire, ne peut être considérée comme suffisant à justifier l'étude d'un thème et la question des sources et influences doit se poser à tout chercheur soucieux de dépasser la juxtaposition d'élé­ments disparates. Du reste, un thème, ignorant les limites du temps et de l'espace, transmis de génération en génération, se trouve particulièrement bien placé pour être le lieu des influences les plus diverses.

Les sources ne seront cependant pas toujours du même ordre, selon qu'il s'agira d'un thème de héros ou de situation: dans le premier cas, elles seront volontiers moins larges et moins impro-tantes que dans le second, mais en général plus nombreuses et plus variées.

De quel côté se tournera-t-on à propos d'un thème de héros ? Il y aura intérêt, parfois, à exploiter des possibilités souvent ignorées ou négligées; H. Peyre observait très bien: «Grammaires, dic­tionnaires, morceaux choisis grecs et latins, manuels d'archéolo­gie, tels sont [...] quelques-uns des livres où nous devrions cher­cher plus avidement à compléter notre connaissance des écrivains, des artistes et souvent même des penseurs et des hommes d'Etat du passé. Nous y ajouterions deux groupes d'ouvrages [...] dont l'influence sur les modernes a dû être très forte : manuels ou dic­tionnaires de mythologie gréco-romaine et pages et pensées mora­les tirées des auteurs anciens » 10°.

Il s'agira de lire les préfaces de traducteurs, par exemple, pour les Grecs, du P. Brumoy, de Lefranc de Pompignan, de Roche-fort, de Dupuis, etc., car il leur est arrivé de suggérer des interpré­tations et des idées appelées, par hasard, à une prodigieuse for­tune. Edgar Quinet a lancé dans la critique le postulat, parfaite­ment faux, d'une assimilation de Prométhée au Christ par les Pères de l'Eglise ; il en avait trouvé l'idée dans la préface de Tho­mas Stanley (XVIe siècle) à une édition d'Eschyle. Petites causes, grands effets et naissance d'une tradition qui a traversé tout le XIXe siècle et se perpétue, toujours vivace, dans les lettres con­temporaines.

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72 THEMES ET MYTHES

Pour étudier la fortune des personnages de la mythologie — probablement les plus célèbres et les plus utilisés — il conviendra de fouiller les manuels, bien oubliés aujourd'hui, des mythogra-phes et les grands dictionnaires érudits, de Bayle à Y Encyclopédie, des Estienne aux compilations de l'abbé de Feller. Sait-on tou­jours ce que les poètes et même les penseurs de la Renaissance doi­vent aux volumes de Calepinus, de Coelius Rhodiginus, de Tho­mas Cooper, de Ravisius Textor, d'Alessandro Sardi, de Vige-nère, sans parler des Estienne ou des emblèmes de Reusner, Whit-ney ou Alciat ? Dans son admirable Survivance des dieux anti­ques, Jean Seznec a bien montré que les hommes de la Renais­sance n'avaient pas toujours une information de première main. Quant aux grands mythographes — consentons à négliger ici la foule des minores — tels Cornes, Cartari et Gyraldi, leurs manuels se sont répandus à travers l'Europe entière, distillant ainsi l'influence de la Genealogia deorum de Boccace, elle-même inspi­rée des Pères et des écrivains de la basse époque. Dira-t-on tout ce que l'univers mythologique de Goethe doit au manuel de Hederich et au Panthéon myihicon du jésuite Francisco Pomey ? ce que les pièces mythologiques de Calderon empruntent à Baltasar de Vic­toria et à Juan Perez de Moya et ceux-ci aux mythographes ita­liens ? ce que Ronsard prend à Cornes, Spencer à Cooper, Ben Jonson à Charles Estienne, Du Bartas à Cartari? Il y a là un réseau infiniment complexe de sources savantes assimilées par les auteurs et retransmises parfois à travers plusieurs siècles.

Les exemples n'en manquent pas. C'est l'interprétation bocca-cienne du mythe de Prométhée qui irrigue toute la Renaissance et qu'on retrouve, adaptée à leurs préoccupations personnelles, chez Ficin, Bouelles, Erasme, Ronsard et bien plus tard encore. Dans la suite, les études des Vossius, Heinsius, Huet, Kircher, Desmarets de Saint-Sorlin pour le XVIIe siècle, de Banier, Chompré, Boulan­ger, Lavaur ou Feijôo pour le XVIIIe, livrent aux poètes des inter­prétations qui, de révhémérisme à l'exégèse allégorique en pas­sant par l'assimilation aux personnages de la Bible, constituent

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SOURCES ET INFLUENCES 73

une toile de fond, un climat dont témoignent œuvres et allusions littéraires. Le rôle sous-jacent de l'érudition, que B. Munteano a souvent souligné pour la rhétorique, n'est pas moins important quand il s'agit de la mythologie ou de la Bible.

A côté de ces sources savantes, il ne manquera pas de sources littéraires, souvent nombreuses et complexes. Que l'on songe aux textes invoqués pour la genèse de la Pandora de Goethe, à l'influence probable de Ballanche sur Hugo dans la compréhen­sion du thème d'Orphée, à la fortune surprenante du Prométhée de Shaftesbury, ce «second Maker, a just Prometheus under Jove », dont l'idée initiale vient de Chapman et chemine de l'un à l'autre chez Herder, Goethe ou A.W. Schlegel, à l'influence de la Pandore de Lesage sur celles de Wieland ou de Kotzebue... N'y a-t-il pas là assez de problèmes de sources et d'influences pour satis­faire le comparatiste le plus exigeant ?

Devant un thème de situation, nécessairement exprimé dans un contexte plus large et un cadre plus rigide, on aura affaire à des sources souvent moins subtiles et moins multiples, volontiers purement littéraires, mais aussi importantes ; il suffit de quelques exemples pour s'en convaincre.

Quand H. Le Maître se consacre à la survivance du thème de Psyché101, n'a-t-il pas aussi pour objectif de montrer un aspect de l'influence de Fulgence au Moyen Age, de celle d'Apulée au XVIe

siècle ? Qui ne voit qu'étudier l'histoire de l'enlèvement d'Europe, comme Ta fait A. Lombard 102, ce n'est pas seulement juxtaposer et comparer des œuvres, mais aussi contribuer à préciser les modalités de l'influence d'Ovide au Moyen Age chez Jean de Gar-lande, Bersuire, Chrétien Legouais de Sainte-More ; à la Renais­sance chez Dolce ou Ronsard ; au XVIIe siècle chez Du Ryer ou Benserade. Pour ne rien dire de celle d'Horace sur Lebrun-Pindare et J.B. Rousseau, de celle de Moschus sur J.-A. de Baïf et Chénier !

Voilà pour les sources ; mais les influences, à l'intérieur de l'his­toire d'un thème, ne sont pas moins évidentes. Devant le succès

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74 THEMES ET MYTHES

européen du personnage d'Inès de Castro, ne convient-il pas de définir ce que Camoens doit à Resende, Ferreira au Cancioneiro, ce que la fortune des Lusiades apporte aux interprétations du XVIIe siècle, ce que Ferreira offre à Guevara, celui-ci à Houdar de La Motte et ce dernier au XVIIIe siècle entier et même au XIXe, jusqu'au jeune Hugo 103 ? Enfin, la véritable thématologie pourra-t-elle se borner à énumérer des Antigone, ou bien s'assignera-t-elle la tâche de préciser l'apport de Stace à Garnier, Rotrou, Alfieri ; la dette d'Alamanni à Rucellai et de celui-ci à Sophocle, Euripide, Sénèque ; les emprunts de Reboul à Sophocle, à Alfieri, à Rotrou ; les additions de Saint-Roman à Euripide, Aristophane, Hygin...

Ces quelques illustrations permettent, croyons-nous, de con­clure qu'une thématologie bien comprise ne saurait être ramenée à la simple comparaison, au jeu assez gratuit des appréciations indi­viduelles et des jugements de valeur changeants et toujours sus­ceptibles d'appel. La comparaison peut certes être enrichissante, mais elle ne peut être considérée comme l'essentiel d'une discipline qui, contrairement à la conviction de certains comparatistes, ne se conçoit pas sans une constante recherche des sources et des influences, recherche qui, unie à la comparaison et à l'apprécia­tion des valeurs esthétiques, doit contribuer à mieux faire ressortir l'originalité des grandes individualités en permettant d'évaluer de plus près l'importance du fonds commun et la puissance d'inter­vention de chaque auteur sur le thème. Bannir la thématologie de la littérature comparée sous prétexte qu'elle ne s'occupe pas des influences littéraires, c'est appliquer les faiblesses et les insuffisan­ces de quelques travaux superficiels et mal conduits à l'ensemble d'une discipline qui gagne à voir ses méthodes et des principes définis dans une optique plus large et un esprit plus conscient de ce qu'elle peut révéler.

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TRADITION ET CRÉATION

La liberté du créateur, dans ce qu'elle a communément de plus apparent, est sans doute celle du choix d'un sujet et du traitement de celui-ciltM. On l'a assez dit, il a le droit de prendre son bien là où il le trouve et de le manier à sa guise, soit qu'il le tire de son propre fonds, comme Rousseau qui, pour la Nouvelle Héloïse, n'entendait peupler sa solitude que « d'êtres selon son cœur », soit qu'il l'emprunte à la réalité extérieure pour la transformer à son gré. Ainsi Stendhal lit un article de la Gazette des Tribunaux, et c'est Le Rouge et le Noir; ainsi Flaubert, informé d'un fait-divers de province, écrit Madame Bovary. Ces supports fragiles, ces pré­textes, ces points de départ renforcent encore l'impression d'indé­pendance ; l'écrivain, devant sa « matière première », se remémore volontiers ces vers de La Fontaine :

Un bloc de marbre était si beau Qu'un statuaire en fit l'emplette. Qu'en fera, dit-il, mon ciseau? Sera-t-il Dieu, table ou cuvette?

Ses personnages une fois imaginés, l'auteur devient leur maître, sans restrictions. D'où que lui vienne son inspiration initiale, il n'en garde pas tels quels les éléments ; il ajoute ou retranche, choi­sit, élague, modifie, transpose, bref joue au despote, à Dieu le Père, il s'érige en fatalité. En somme, le créateur dépend tout au plus de lui-même.

Mais en va-t-il de même lorsque le sujet choisi a déjà une exis­tence propre, parfois séculaire, lorsque, au fil du temps, des dizai­nes de créateurs lui ont déjà donné forme ? En vérité, le simple fait de poser la question sous-entend que la réponse, probablement, sera négative. Voyons cependant d'un peu plus près ce que devient

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76 THÈMES ET MYTHES

la liberté du créateur lorsqu'il aborde un thème consacré par une longue tradition; en d'autres termes, cherchons à préciser où il conviendra de fixer les bornes de son indépendance en face de Don Juan, de Faust, de Prométhée.

Le problème se pose, cette fois, dans des conditions fort diffé­rentes. D'avance, la liberté de l'auteur est entravée, limitée. Alors que le choix du sujet est habituellement le point de départ de son autonomie créatrice, ce choix marque maintenant l'instant initial de sa servitude. D'emblée le thème lui impose ses composantes, les éléments constitutifs qui lui sont propres et sans lesquels il cesse d'être.

Thème — est-il besoin de le dire ? — ne désigne pas seulement des thèmes issus de la mythologie ou de la Bible, mais aussi ceux fournis par l'histoire et donnant matière à la littérature. Particu­lièrement contraignants seront même ces thèmes historiques, où l'histoire, la réalité remplacent ou renforcent la tradition pure­ment littéraire. Faire d'Antigone une fille craintive ou de Médée une épouse complaisante, c'est dénaturer une légende, une his­toire inventée. Mais fera-t-on de Cromwell un colon américain ou de Waterloo une victoire française ? La rigidité des cadres imposés à l'auteur est ici plus grande encore que pour les thèmes d'origine littéraire. En somme, le seul choix d'un personnage, d'un nom, d'un fait empruntés au domaine de l'histoire entraîne automati­quement le créateur à renoncer à l'infini des possibilités qui est le propre des sujets d'imagination pure.

Cette contrainte existe lors même que le thème, sans relever directement de l'histoire, doit plutôt son existence à la coutume, à l'usage. Songeons aux conventions qui régissent la peinture de cer­tains types nationaux répandus dans les lettres à telle ou telle épo­que. Un auteur était-il vraiment libre de camper un Italien qui ne fût pas vindicatif, un Espagnol qui ne fût pas jaloux, un Anglais qui ne fût pas flegmatique ? Et que dire du Français inconstant, frivole et volage tel qu'il apparaît dans Le Français à Londres de Boissy, en 1727, tel qu'il hante tout le XVIIIe siècle pour aboutir à

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TRADITION ET CRÉATION 77

cette tête folle qu'est le comte d'Erfeuil dans la Corinne de Mme de Staël, ou encore tel qu'il se dégrade dans le Riccaut de la Marli-nière décrit par Lessing? Parce qu'il est une fois pour toutes entendu que tous les Ecossais sont avares et que toutes les Françai­ses sont rousses, l'auteur se voit tenu de respecter une convention, fausse peut-être en soi, mais qui seule, aux yeux du lecteur, peut conférer au type sa vérité.

Contraint, dans le cas des thèmes historiques, par la réalité, par une vérité consignée dans tous les manuels, en quelque sorte par une vérité officielle, et tenu, dans le cas des types nationaux, par un fiction à laquelle l'usage, le consensus omnium ont donné valeur de réalité, l'auteur sera-t-il plus indépendant lorsque le thème ne relève que d'une tradition exclusivement littéraire ?

Prenons par exemple le cas d'Antigone. Le premier obstacle auquel se heurte la volonté d'émancipation du créateur est celui de la situation : que devient le thème d'Antigone si l'on supprime la guerre fratricide entre Etéocle et Polynice, ou l'obligation morale de l'ensevelissement du frère défunt ? Deuxième obstacle : les per­sonnages. Antigone cesse d'être Antigone si l'on escamote ses comparses, Créon, Ismène, Hémon. Troisième obstacle: la signi­fication. Qui consentirait à retrouver une Antigone là où son opposition fondamentale avec ce que représente Créon aurait dis­paru?

Bref, Antigone ne saurait avoir d'existence indépendante d'un certain contexte. La situation crée même Antigone à tel point que, pour nous, par un processus inverse, le seul fait d'appeler une héroïne Antigone implique obligatoirement cette situation. On en dirait autant d'Oedipe, de Pandore, de Psyché, de Médée...Et croirions-nous à un Adam dispensé du péché originel? à un Amphitryon que n'accompagneraient ni Jupiter ni Alcmène ?

Ceci est valable pour les thèmes où la situation a une impor­tance déterminante. N'en sera-t-il pas autrement pour les thèmes de héros, où la situation est contingente, où le personnage peut évoluer dans n'importe quelle situation? Ainsi pour Hercule,

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78 THÈMES ET MYTHES

pour Ulysse, pour Prométhée. Ne nous y trompons pas : ces thè­mes ne sont pas grevés d'une moins lourde hypothèque. Simple­ment, l'accent se déplace de la situation à la personne. Alors que, la situation traditionnelle une fois acceptée, l'auteur était libre de faire Antigone douce ou emportée, sentimentale ou romaine, reli­gieuse ou simplement morale, il peut, en face d'Hercule ou de Prométhée, varier les situations, non les caractéristiques du héros. Ou bien accepterons-nous un Prométhée indifférent ou un Her­cule qui pactise avec le vice ?

Bref, qu'il s'agisse d'une figure de l'histoire ou d'un type légen­daire, l'auteur est enchaîné par le sujet même. Il lui faut en outre compter avec un public prévenu, prêt à la comparaison avec une sorte d'archétype culturel : écrit-on aujourd'hui un Faust sans redouter l'ombre de Goethe, un Prométhée sans s'inquiéter d'Eschyle ? Il lui faut respecter la tradition qui pèse sur lui comme un poids dont il lui est impossible de se décharger sous peine de trahir ses propres intentions. Le grand critique anglais Samuel Johnson avait observé dès la fin du XVIIIe siècle le dilemme offert à tout créateur : « Nous avons été de trop longue date familiarisés avec les héros poétiques pour attendre aucun plaisir de leur retour à la vie. Les montrer tels qu'ils ont déjà été, c'est écœurer par la répétition ; leur donner de nouvelles qualités ou de nouvelles aven­tures, c'est choquer en violant des notions reçues»105.

Le créateur se trouve donc limité dans le traitement du thème choisi, c'est-à-dire sur le plan même où s'exerçait en général sa plus grande liberté. Reste-t-il libre au moins de choisir sa servi­tude ? Ce n'est pas sûr, car il arrive que le choix même de son sujet lui soit comme imposé. Non seulement on pourrait dire que l'auteur ne choisit tel ou tel thème qu'en fonction de certaines affinités plus ou moins indépendantes de sa volonté, sous l'impul­sion d'une sorte de déterminisme intérieur, mais peut-être se voit-il encore parfois contraint par des pressions extérieures à lui et qu'il subit sans en avoir toujours conscience.

Certains thèmes, en effet, sont le reflet, dès l'origine, de conflits

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TRADITION ET CRÉATION 79

politiques ou sociaux. Dès lors, on peut se demander s'ils ne se rencontrent pas plus volontiers aux époques où se pose, dans la réalité vécue et éprouvée par un auteur, le problème dont ils peu­vent constituer, en quelque sorte, l'archétype, la représentation idéale. Nous reviendrons plus loin sur cette question, à propos d'Antigone et de Socrate.

Bref, les thèmes sont bien autre chose que de simples sujets mal­léables et transformables à merci. Non seulement il n'est pas per­mis à l'auteur de les traiter en toute liberté, mais même il est sou­vent invinciblement attirés vers eux, bien plus qu'il ne les choisit ; ils recèlent une puissance d'appel qui les impose à sa conscience, si bien qu'en définitive il y a déterminisme, magnétisme ou, mieux, tropisme de l'acte créateur, limité à la fois dans son orientation et dans son exécution.

Dans son exécution en effet, car, même pour la forme, le créa­teur se voit, devant le thème, asservi à des obligations qui déri­vent, non de sa liberté de choix, mais de la nature du thème, nous y avons insisté plus haut.

Ce qui précède nous le montre : le créateur confronté avec le thème éprouve beaucoup plus de servitude que d'indépendance. Nécessairement entravé dans le traitement du sujet par la préexis­tence des personnages et des situations, il l'est encore dans le choix de la forme littéraire qu'il prétend donner à son oeuvre, il l'est enfin, au moins dans certains cas, dans le choix même d'un sujet qui lui est presque imposé par la force d'une tradition. Nous y reviendrons à propos des préférences d'auteurs, d'époques et de nations.

On sait toutefois que la tendance spontanée de l'auteur est de se rebiffer, de récuser cette tradition qui compte pour rien ses droits imprescriptibles de créateur.

Un exemple d'une telle volonté d'indépendance nous est pro­posé par Montherlant auteur d'un Don Juan i06. Rien de plus clair ici que l'intention de l'auteur qui, dans ses notes, dit de sa pièce : «Je l'avais écrite en réaction contre l'abondante littérature qui a

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80 THEMES ET MYTHES

voulu faire de Don Juan un personnage complexe, un mythe ». En un mot, Montherlant souhaite libérer Don Juan de la gangue où Ta enfermé une ridicule tradition universitaire, fondée par les «cuistres» qui ont compliqué à plaisir l'image du séducteur banal. Dans ma pièce au contraire, assure-t-il, Don Juan «est un personnage simple ; il n'a pas d'envergure, je l'ai voulu ainsi ».

Mais la lecture nous déçoit bientôt : ce Don Juan si neuf n'est, si Ton peut dire, qu'un Don Juan comme les autres. Il ne manque ni le meurtre du Commandeur ni l'épisode de la statue. Comme ses modèles, Don Juan ne poursuit pas les femmes, mais la Femme ; chacun de ses mensonges est une vérité de l'instant où il le profère, car Don Juan ne ment jamais, au sens vulgaire ; la séduction n'est pas chez lui un jeu mais un besoin, une manière d'être ; il éprouve cette perpétuelle angoisse, cette insatisfaction qui le pousse en avant, vers d'autres conquêtes. En outre, il n'est pas libre : il est l'homme du Destin, celui qui sait que rien ne peut lui arriver que son heure n'ait sonné ; et sa révolte contre Dieu, contre la société fait encore partie des composantes traditionnelles. Il est bien, comme l'avoue paradoxalement Montherlant lui-même, «l'homme qui sans cesse risque le pire, et qui a choisi cela».

Rien d'étonnant dans cet échec d'une tentative de «banalisa­tion ». L'auteur qui accepte de représenter les situations classiques où évolue le héros et surtout qui adopte le nom de Don Juan, se trouve automatiquement engagé dans le thème. Il y a si peu de doute à cela que ceux qui ont voulu créer un Don Juan qui ne fût pas Don Juan ont très bien senti qu'il fallait changer ce nom pour ceux de Lovelace, Valmont, Bel-Ami ou Ornifle, qui sont des séducteurs, qui sont même des donjuans, mais ne sont pas Don Juan. Montherlant a confondu Casanova et Don Juan : l'un est ce séducteur vulgaire, interchangeable, qu'il voulait représenter, l'autre incarne une des impatiences de l'âme ; l'un est le favori des chroniques scandaleuses, l'autre la projection dans l'héroïque d'une angoisse tout humaine, projection à laquelle on ne saurait recourir sans accepter en même temps et le thème et le symbole.

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TRADITION ET CREATION 81

Si même la volonté consciente du créateur se démembre par­fois devant la structure infrangible du thème, on mesure quelle peut être la puissance d'une tradition qui, siècle après siècle, s'est consolidée de son propre élan et à laquelle chaque auteur a payé tribut. En fait, le thème rayonne, éblouit ceux qui l'approchent ; de lui, du nom qui le résume, émane une sorte de fluide.

Dans certains cas, son magnétisme est aisément observable. Il arrive que la situation, les personnages, la signification — au moins élémentaire — d'un thème soient si connus, que la tradition qui le soutient soit si puissante qu'elle influence même des œuvres qui, au départ, n'avaient rien de commun avec le thème. Un bon exemple du genre est peut-être un roman de Franz Hellens : L'homme de soixante ans,

L'histoire en soi est banale. Félicien Meurant, professeur à la Sorbonne, découvre, à soixante ans, la vanité de sa vie d'étude. Attiré par Angélique, jeune servante fraîche et naïve qui est pour lui le rappel des valeurs vitales, il quitte son épouse, abandonne sa chaire à l'Université pour mener une vie simple, proche des joies de la nature.

A première vue, on ne décèle, surtout dans un résumé aussi schématique, guère de traces du premier Faust de Goethe, d'autant plus que Franz Hellens déclare : « L'homme de soixante ans est le livre où j 'ai mis le plus secret, mais aussi le plus vrai de ma biographie réelle ». Pourtant, dès qu'on s'attache au détaill07, les similitudes apparaissent, tant dans la trame que dans la signifi­cation et les personnages. Meurant, c'est Faust, un Faust bour­geois, simplifié, débarrassé de ses angoisses métaphysiques, et qui n'a conservé que la hantise d'une vie gâchée pour une science livresque, la nostalgie d'une existence plus vraie ; Angélique, c'est Gretchen, pure, neuve, la tentation de l'amour véritable. Il ne manque pas même un Wagner, dans la personne de Fenouille, l'élève de Meurant, toujours passionné de livres qu'il dévore sans trop les comprendre ; il ne manque pas même Méphisto, sous les traits du diabolique Hébrard, l'ami de Meurant. Des scènes de

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82 THEMES ET MYTHES

Faust figurent, transposées, dans le roman : Meurant découvre la chambrette d'Angélique comme Faust celle de Gretchen ; la jeune fille s'extasie devant son savoir; même la scène du pacte est reprise, entre Meurant et Hébrard, et même la scène de l'Auer-bachs Keller devenue une taverne-restaurant. Et ne manquent pas non plus les considérations sur la nature, sur le désir de vivre, sur l'éternelle insatisfaction, ni les similitudes dans les propos, les dia­logues.

Et cependant, L'homme de soixante ans n'est pas exactement une adaptation et Hellens insiste avec raison sur la présence d'élé­ments autobiographiques, et ce n'est pas non plus une imitation inavouée : Hellens ne se cachait nullement d'avoir fait, dans les Mémoires d'Elseneur, une transposition d'Hamiet. En réalité, il est bel et bien parti de son expérience personnelle.

Toutefois, en décrivant une situation classique — celle de l'homme qui, à soixante ans, fait le bilan de sa vie et le trouve déficitaire — Hellens a rencontré des données « faustiennes », cel­les d'un Faust simplifié, ramené à ses composantes les plus popu­laires : Gounod plutôt que Goethe. Certes, les réminiscences litté­raires sont présentes, mais commandées par le thème, par le poids d'une tradition qui fait du thème faustien un élément culturel inté­gré à nos structures mentales, à notre vision du monde et de la vie. Comme le remarque A. Dabezies, il est significatif que le roman­cier n'ait pas trouvé mieux, pour retracer son itinéraire vers la vie authentique, que le schéma dramatique de Faust.

Le créateur ne saurait donc oublier le respect que lui impose le thème et, à travers lui, la tradition littéraire collective ; c'est que, si l'homme crée des œuvres, il ne tarde pas à devenir le produit des oeuvres qu'il a créées. Pour reprendre les termes de T.S. Eliot, « il y a donc, en dehors de l'artiste, quelque chose dont il est vassal»108.

Ne le perdons pas de vue, celui qui intitule un drame Antigone mais bouleverse les éléments constitutifs traditionnellement agréés, provoque à la lecture un indéfinissable malaise : le lecteur

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TRADITION ET CREATION 83

souffre de l'hétérogénéité de la tragédie et du contenu symbolique auquel son titre la fait prétendre. Ceci est vrai des thèmes où la situation importe davantage que le héros. Inversement, certains thèmes sont soutenus, non par la situation, qui peut varier, mais par le héros : c'est alors celui-ci qui porte tout le poids symboli­que. On peut aujourd'hui nommer un héros Faust, Don Juan ou Prométhée, même si aucune des circonstances classiques n'appa­raît dans l'œuvre ; il suffit de leur nom pour que nous les imagi­nons tels qu'ils doivent être par référence immédiate à l'archétype culturel que nous portons en nous.

N'y a-t-il donc, à aucun degré, indépendance du créateur? Disons qu'elle existe au moins pour celui qui fonde la tradition lit­téraire, qui cristallise les éléments du thème. Ainsi d'Eschyle pour Prométhée, de Plaute pour Amphitryon, de Sophocle pour Anti-gone. Encore pourrait-on dire que Sophocle lui-même n'a pu faire vraiment ce qu'il voulait, puisque les légendes de l'Oedipodie fai­saient déjà partie d'un héritage traditionnel ; au moins est-il arrivé assez tôt pour fixer, sous une forme définitive, qui allait prendre désormais l'autorité d'une tradition, les récits épars de la Théogo­nie.

Ce fondateur n'est pas nécessairement celui qui a traité le thème le premier : c'est Eschyle, et non Hésiode, qui crée littérairement Prométhée, comme, avant Goethe, il n'y a pas, à proprement par­ler, d'impérieuse tradition faustienne ; mais ils sont ceux qui ont donné à ces thèmes leur forme la plus fameuse, qui ont inséré Pro­méthée et Faust dans le patrimoine culturel universel.

Dès lors, s'il ne choisit vraiment ni son sujet, ni le cadre où le traiter, il reste à l'auteur la manière, la forme, la nuance qui feront de son œuvre une œuvre neuve. Jean Rousset a bien mon­tré, à propos de Don Juan, l'intérêt des «métamorphoses latéra­les », c'est-à-dire des glissements d'un genre à l'autre, qui impli­quent l'adaptation du thème à un autre système formel. En pas­sant du drame écrit à la commedia dell'arte et du théâtre à l'opéra, comment le thème est-il modifié par les contraintes et les libertés

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de la mise en musique ? On constate ainsi que le seul système des arias favorise l'amplification des rôles féminins, leurs confessions chantées les soustrayant au quasi anonymat dans lequel les confi­nait la personnalité envahissante de leur séducteur : pendant quel­ques instants au moins, les figures féminines viennent au premier plan et l'économie du drame s'en trouve modifiée.

Si souvent présent au théâtre, Don Juan l'est très peu dans le roman. Pourquoi? C'est bien, remarque à son tour H.G. Tan, parce qu'«un changement de genre amène une modification dans le traitement du thème »109. Au théâtre, l'essentiel est dans l'action, dont doivent se dégager, se déduire les traits juanesques ; la vie du héros y est une addition d'épisodes menant à la punition finale. La nouvelle est proche encore de cette manière, assurant davantage, comme chez Mérimée, la juxtaposition des scènes que la transition de l'une à l'autre. Au contraire, le roman développe le sujet, explique le personnage dans son devenir, impose un réa­lisme de l'espace et du temps, instaure des relations complexes entre les actants et s'accommode mal du schématisme initial du thème.

On pourrait dire ainsi que la réussite dans le traitement d'un thème constitue la pierre de touche d'un talent, dans la mesure où, inféodé à une tradition, limité dans son expansion créatrice et sou­mis d'avance à un public automatiquement porté à la comparai­son, l'auteur parvient à triompher de ces difficultés et à donner au thème une orientation nouvelle.

Triomphe rare, et d'autant plus éclatant, car, plus qu'un héri­tage, c'est une hérédité qu'il lui a fallu combattre. Mais si, au cours des siècles, de tous les auteurs qui se sont attaqués à des thè­mes, ne survivent dans notre mémoire que les noms de Racine, de Goethe, de Shelley et de quelques autres du même rang, n'est-ce pas la preuve que, pour le génie, plus grande est la servitude, plus tentante est l'indépendance ?

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LES LIMITES TEMPORELLES ET GÉOGRAPHIQUES DE L'ENQUÊTE

Qu'il s'agisse de procéder à des dénombrements ou de respecter la continuité véritable de la tradition littéraire, de situer les indivi­dualités expressives dans leur contexte ou de s'informer des sour­ces et des influences éventuelles, il faudra toujours en venir à fixer, dans l'espace et le temps, les limites de l'enquête thématolo-gique. Or un thème, à la différence de certains types de sujets, ne porte pas en soi les modalités de cette limitation. Quand Roland Mortier entreprend de suivre la fortune de Diderot en Allemagne, il sait que la connaissance de son auteur ne saurait guère remon­ter, outre-Rhin, en deçà de 1750, et il sait aussi que le travail de Rosenkranz marque, vers le milieu du XIXe siècle, le début des études sérieuses et scientifiques où Diderot n'est plus le prétexte de polémiques hargneuses, n'excite plus les passions partisanes. En outre, l'Allemagne n'offrant pas, au XVIIIe siècle, de physiono­mie politique bien définie, l'étude s'étendra naturellement aux régions de langue allemande, l'élément linguistique circonscrivant ici l'extension du travail dans l'espace. Dans ce cas, le sujet com­porte ses propres limites et il définit lui-même le champ de l'action. Il va sans dire que les cadres d'une étude de thème sont loin d'être aussi évidents : la délimitation de ces cadres est donc une question à trancher.

Commençons par l'extension dans le temps. Quoique l'étude particulière d'une œuvre ne soit nullement à exclure d'une théma-tologie bien comprise, on sait que le caractère premier d'un ouvrage construit sur un thème littéraire est de s'inscrire, à sa date, dans une certaine tradition, une lignée : en même temps que l'expression personnelle d'un artiste, il est aussi un maillon de

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cette longue chaîne qui part de la première formulation écrite du thème no . Dans ce sens, Anouilh confronté avec Antigone est le lointain héritier de Sophocle, Giraudoux père d'Amphitryon est fils de Plaute. Selon le thème traité, la tradition plongera plus ou moins profond dans le temps : Médée a vingt-cinq siècles, Jésus vingt, Ahasvérus sept, Faust quatre, Mazeppa deux...

En dépit de ce caractère essentiellement historique du thème, il ne manque pas de travaux qui ont voulu se borner à l'étude d'une époque donnée : Ariane au XVIIIe siècle, Orphée dans les lettres contemporaines, Ahasvérus au romantisme, etc. Ces limitations volontaires se justifient en général de plusieurs manières. Il y a d'abord parfois une raison pratique : l'auteur n'a pas le temps de s'attaquer à une période plus étendue ; de là le grand nombre de sujets ainsi traités pour un doctorat d'Université, une thèse com­plémentaire ou une inaugural Dissertation. En outre, il arguera du fait qu'il est plus à l'aise, plus sûr de ses connaissances dans telle époque restreinte i n et qu'il faut se défier des ambitions démesu­rées. Enfin, il précisera volontiers que le thème abordé a surtout connu un moment de gloire et qu'il était peu de chose, ou rien, avant ce moment privilégié ; on a affirmé vingt fois comme tom­bant sous le sens que Prométhée ne fait sa véritable apparition sur la scène littéraire et dans la pensée qu'après 1789. Dès lors, pour­quoi l'étudier avant cette date, qui a du reste le double avantage d'offrir un point de départ précis et une valeur symbolique incon­testable, la Marseillaise étant, comme chacun sait, d'inspiration évidemment « prométhéenne » * !

Voilà donc trois raisons non négligeables de limiter dans le

* D'aucuns ajouteront encore que l'étude d'une seule période permet de mettre en relief l'influence prépondérante, à tel moment donné, d'une œuvre particulière, celle, par exemple, du Faust de Goethe ou du Don Giovanni de Mozart. Observons cependant qu'une enquête plus étendue n'exclut nullement cette mise en évidence, laquelle, au surplus, si on lui donne trop d'importance, relève davantage des cadres d'un Goethe en France ou d'un Mozart en Angleterre, que du propos d'une étude de thème.

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temps l'étude d'un thème, trois raisons hautement raisonnables et qui méritent d'être prises en considération par quiconque se pro­pose de s'occuper de thematologie. Une question, cependant, se pose : ces conditions conviennent certes à l'auteur ; fort bien. Mais conviennent-elles au thème ? En d'autres termes, à se limiter ainsi, ne se condamne-t-on pas à fausser son étude au départ, à prati­quer une thematologie falsifiée? Quels sont alors les arguments militant en faveur d'une enquête plus étendue, depuis les origines littéraires du thème ?

Les époques successives sont des prismes déformants sous les­quels le thème subit des modifications profondes. L'état des idées, du goût et des mœurs influence directement son évolution, condi­tionne sa signification : on n'a pas vu, cela va de soi, Orphée dans l'antiquité comme au XVIIIe siècle, Judas au Moyen Age comme aujourd'hui ou Caïn au XVIIe siècle comme au romantisme. Des transformations, ou mieux : des transmutations se sont donc opé­rées, dont il peut être intéressant de suivre les modalités en déter­minant comment les siècles antérieurs au nôtre ont conçu le thème, de quel message ils l'ont chargé. Comme l'observait Robert Vivier, «les motifs poétiques sont des voyageurs camé­léons qui changent selon le paysage. Si l'on continue à les recon­naître dans les sites nouveaux où les engage le pas du temps, c'est parce que leur structure narrative subsiste, mais la spéculation qui s'exerce sur eux fait varier leur signification, leur couleur morale, leur rôle expressif»112. Suivrait-on ces variations en pratiquant dans leur histoire une coupe arbitraire ? Le rusé Ulysse d'Homère devient chez Dante ou John Gower un esprit tourmenté par la soif de connaître, chez Calderon un homme qui succompe au péché, puis en triomphe, chez G. Hauptmann une illustration du conflit père-fils. Quatre étapes entre cent, quatre Ulysses : quand, com­ment, pourquoi est-on passé de l'un à l'autre ? Une étude limitée à une seule époque peut définir une conception d'Ulysse, non l'expliquer, non montrer comment elle est née, elle ne peindra jamais qu'un visage de l'éternel voyageur.

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La perspective historique s'imposera encore dans la mesure où Ton sera soucieux de traiter d'aussi près que possible la question des sources et des influences, de tracer les grands courants tradi­tionnels qui irriguent le thème et peuvent disparaître parfois, comme un cours d'eau sous la terre, pour resurgir, inattendus, dix générations plus tard. Depuis le romantisme, Eschyle fournit la trame de base du thème prométhéen, mais la Ate/d'Elémir Bour­ges est construite sur l'argument, délaissé depuis la Renaissance, fourni par Apollonius de Rhodes et Valerius Flaccus.

En outre, une étude à partir des origines permettra de le mon­trer, un thème, dans la plupart des cas, a toujours été vivant et présent à la conscience européenne et les affirmations téméraires sur sa disparition complète à certaines époques sont, le plus sou­vent, des affirmations gratuites. Que n'a-t-on dit de Prométhée, dont nous écrivions plus haut qu'il était aussi prestigieux que mal connu! En 1878, Oscar Mann assurait qu'«après qu'au Moyen Age [sic] l'écrivain espagnol Calderon eut traité le mythe dans un drame, [...] le mythe disparut jusqu'à la fin du XVIIIe siècle» m ; trente ans après, M. Tresch écrivait avec emphase: «Pendant l'époque troublée du Moyen Age, la grande voix du vieux rebelle se tait. Il n'y a pas de place pour lui » 1H. Certes, depuis le roman­tisme, Prométhée a acquis, dans le registre de la révolte, une for­tune exceptionnelle ; mais il n'en est pas moins faux de prétendre qu'il n'était rien avant, ou qu'il a disparu entre Eschyle et Goethe. Tout simplement, il fut autre chose que ce qu'il est pour nous et jamais il n'a disparu de la pensée européenne, fût-ce au Moyen Age, nous avons essayé de le montrer.

En fait, on a souvent parlé très à la légère de la disparition des thèmes, surtout quand il s'agit de thèmes de héros, dont la diffu­sion est aussi large que subtile. Il est certain, par exemple, que c'est bien au siècle de Lumières que Pygmalion prend place dans le débat philosophique du matérialisme et il a, sur ce point particu­lier, suscité des travaux 1I5. Mais cette utilisation justifie-t-elle qu'on ne cherche pas à savoir ce qu'il fut dans les siècles précé-

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dents? La vogue d'une interprétation fait ignorer ou négliger l'emploi du thème par Arnobe, Eusèbe, Prudence, Ravisius Tex-tor, le Roman de la Rose (où il est longuement développé), le Roman de Perceforest, John Gower, Jean Molinet, Dante, Char­les Estienne, Thomas Nashe, Boccace, La Fontaine, Benserade, Dryden et cent autres encore ! Que représenta-t-il pour ces auteurs ? pour ces époques ? Telles sont les questions judicieuse­ment posées par H. Dôrrie ou A. Dinter. Plus de prudence et de circonspection unies à une enquête historique auraient évité à E. Kushner, qui analyse le thème d'Orphée dans la littérature fran­çaise et contemporaine» de parler de « l'éclipsé médiévale » du per­sonnage et de ne citer, en note, qu'un lai de Marie de France l16. Sans vouloir déprécier son livre, du reste fort beau, permettons-nous de lui citer pêle-mêle quelques noms parmi d'innombrables autres: Eusèbe, Arnobe, saint Augustin, Tertullien, Fulgence, Lactance, Vincent de Beauvais, Baudri de Bourgueil, Dante, Boc­cace, Villon, Jean de Meung, Jean Molinet, Christine de Pisan, Guillaume de Machaut... Cette brève énumération donne une idée de ce qui resterait de l'« éclipse » après un examen approfondi "7. La thématologie ainsi comprise a ceci de commun avec l'enquête judiciaire, que pour elle la vérité doit être toujours un résultat, jamais une hypothèse.

Conséquence de cette étude approfondie et diachronique, on évitera la possibilité de prendre pour original et neuf le résultat et l'expression tardive d'une longue tradition. Oscar Walzel a jadis consacré un important travail l l8 à montrer combien Goethe, fai­sant de Prométhée le symbole du poète créateur, innovait vigou­reusement. A l'appui de ses dires, il dressait une liste impression­nante de ceux qui, sur le même motif, n'utilisaient pas, au XVIIIe

siècle, le thème prométhéen. Mais outre que le savant allemand ignorait bon nombre de témoignages, au XVIIIe siècle même, il ignorait tout à fait la lignée historique du Prométhée poète de génie, partie, au XIVe siècle, du Florentin Filippo Villani pour arriver à Goethe en passant par Chapman, Akenside, Young,

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Shaftesbury, Herder. Ce n'est qu'en parcourant toutes les étapes d'un thème que Ton peut arriver à avoir de son évolution une vision complète et de son emploi par chaque auteur une évaluation exacte.

Rappelons enfin que seule une étude entreprise dans une pers­pective historique permettra de dénoncer l'existence, à propos de certains thèmes, de véritables «mythes », comparables à ceux mis en évidence pour Rimbaud par Etiemble. On verra ainsi, par exemple, que Prométhée, en dépit de l'opinion courante, n'incarna guère, au XVIIIe siècle, l'esprit des Lumières, mais bien plutôt celui de leurs adversaires, que le héros de progrès qu'il est chez Voltaire ou Wieland fut largement éclipsé par le symbole de la faute originelle, sur le plan historique chez Rousseau, sur le plan religieux chez Brumoy, Lefranc de Pompignan, Servandoni ou Tobler ; on découvrira enfin que Pandore, quoi qu'on en ait dit119, n'a jamais passé pour une préfiguration païenne du Sau­veur...

Brisons là. L'utilité, pour ne pas dire la nécessité de l'étude à partir des origines littéraires nous paraît évidente ; encore une fois, avant de contester l'intérêt de la thématologie, ne convient-il pas d'examiner si l'on en a toujours bien exploité toutes les res­sources ? Suivre, siècle après siècle, l'odyssée extraordinaire d'un thème, c'est se donner la possibilité d'en découvrir enfin la richesse et la complexité, d'en isoler les ramifications innombra­bles, de dépister la naissance et le développement des traditions contemporaines ; c'est respecter, enfin, le caractère dynamique et évolutif qui est l'essence même du thème.

A cette préoccupation de l'extension dans le temps s'unira celle, tout aussi fondamentale, d'une extension dans l'espace, qui a ren­contré autrefois, elle aussi, nombre d'objections. D'aucuns ont soutenu que l'étude d'un thème devait servir à faire ressortir les caractéristiques d'un peuple à l'exclusion de celles du voisin: aussi, écrivait E. Sauer, « il faut que la thématologie se dissocie de la littérature comparée, car, en réalité, il n'y a pas grand-chose à

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gagner à incorporer l'étranger dans les cas où il ne s'agit pas de la situation particulière où un thème a manifestement subi, sous une influence étrangère, une transformation décisive. [...] La théma-tologie sera donc, au premier chef, exploitée exclusivement sur le plan national» 12°. Ce qui instaure, à propos des littératures, un nouvel insularisme ! En outre, on ne pouvait manquer d'ajouter, comme Sauer, que la schwere Uebersichtlichkeit qu'imposent les études de thèmes les rendent d'un exercice difficile, puisqu'il faut, en principe, pouvoir dominer, non seulement plusieurs époques littéraires, mais aussi plusieurs langues et littératures. Notons en passant que c'est là une exigence que la littérature comparée a depuis longtemps acceptée.

Ces objections, comme celles qu'on formulait à l'enquête histo­rique, ne manquent pas de poids et ont de quoi faire réfléchir celui qui envisage de s'engager dans le domaine thématologique. Mais, ici aussi, ajoutons que ces difficultés, susceptibles de refroidir l'enthousiasme d'un auteur insuffisammant préparé, ne signifient pas que l'intérêt même de la discipline permette de les esquiver.

Les grands thèmes littéraires font partie d'un patrimoine euro­péen dont la première vertu est sans doute d'ignorer les frontières nationales m. Les situations et les personnages issus de la Bible et de la mythologie gréco-latine revêtent, d'emblée, ce caractère international. Répandus depuis des siècles dans la culture euro­péenne, certains ont pu parfois s'adapter plus étroitement à la nature d'un peuple, mais tous continuent à faire partie d'un héri­tage commun. Ce n'est pas moins vrai, même, des thèmes nés de traditions nationales mais doués d'une universalité suffisante pour accéder à l'audience européenne : qu'on songe à Don Juan, à Faust, à Roméo et Juliette, à Tristan et Yseult ; et ce sera vrai encore des personnages historiques dont l'histoire ou la légende ont fait des symboles : Marie Stuart, Napoléon, Christophe Colomb, Mahomet122. Soutiendra-t-on que ces thèmes n'appar­tiennent pas à tout le monde même si, à l'origine, ils étaient alle­mands, anglais, français, italiens ou espanols ? C'est peut-être au

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niveau des thèmes que se fait le mieux sentir la fraternité ou du moins le cousinage intellectuel des peuples.

Dès lors, tiendrons-nous pour légitime de confiner l'étude criti­que dans un nationalisme littéraire auquel échappe, par nature, le sujet qu'elle traite ? Peut-on songer à se consacrer à l'Orphée alle­mand ou au Caïn anglais en ignorant délibérément ce qu'ils doi­vent aux autres nations ou ce qu'ils leur apportent ? L'étude d'un thème doit dépasser ce particularisme au profit d'une enquête généralisée qui s'orchestrera sur un régime largement européen car, une fois le principe admis, il n'y a aucune raison, sinon celles que pourrait se trouver l'auteur, de s'en tenir à deux ou trois littératures 123. Répétons-le, une insuffisante connaissance des lan­gues et des littératures étrangères sont des motifs parfaitement honorables d'abstention 124 ; ce ne sont jamais des raisons valables pour «truquer» la thématologie et fausser d'avance les résultats de l'examen.

L'enquête à l'échelle européenne * donnera seule une idée vrai­ment complète de la fortune d'un thème : l'Europe littéraire est une scène assez vaste pour que le thème y soit toujours présent, trouve toujours sa place, et il est sans doute superflu d'insister sur ce que l'extension dans l'espace unie à l'extension dans le temps, peut faire gagner au relevé des sources et des influences, puisque les grands courants littéraires, essentiellement internationaux, se complètent et se recoupent au-delà des frontières. Don Juan naît en Espagne, passe en Italie, puis en France, en Allemagne, en Angleterre: que d'influences possibles, souvent doubles ou tri­ples, quelle diffusion complexe ! Seule une telle conception aura assez d'ampleur, déploiera un assez large éventail pour rendre compte de toutes les nuances et de toutes les significations du

* On pourra joindre à l'Europe des pays qui furent autrefois ses « dérivés cultu­rels », héritiers au second degré, par culture importée, comme l'Amérique du Nord et du Sud, et qui constituent aujourd'hui l'ensemble culturel du monde occidental, les thèmes pouvant d'ailleurs y subir parfois des transformations intéressantes sous l'apport d'éléments autochtones.

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thème, pour assurer enfin la continuité véritable de la tradition historique, et faire apparaître, loin des cloisonnements artificiels, les éventuelles préférences d'époques et de nations.

Dans cette optique, la thématologie ne pourra que répondre au voeu formulé par Etiemble à l'endroit de la littérature comparée : que celle-ci étudie «non seulement les relations entre les différen­tes littératures de l'époque moderne et contemporaine, mais, dans son ensemble, l'histoire de ces relations, dût-elle remonter au passé le plus ancien» ,25. C'est inviter à combiner judicieusement comparatisme horizontal et comparatisme vertical. Il y a cepen­dant une restriction à apporter au point de vue d'Etiemble quand il suggère d'étendre les enquêtes comparatistes à l'Asie et à l'Orient, que ces littératures aient ou non des rapports de fait. De toute évidence, dans le cas de la thématologie, il convient de s'en tenir aux blocs de culture commune, car on ne voit grère ce qu'apporteraient au thème de Saùl ou de Pygmalion des enquêtes dans les lettres marathes ou finno-ougriennes et suivre Orphée et Oedipe en Russie ou en Norvège ne serait sans doute guère plus rentable que d'étudier en France le sort d'un protagoniste des byli-nes russes ou d'un héros des poèmes eddiques norvégiens. Seul le motif — matière, nous l'avons vu, extra-littéraire, —justifie cette perspective. En ce qui concerne les thèmes, les relations de fait et l'unité culturelle sont des conditions indispensables *.

* En ce qui concerne les thèmes et non en ce qui concerne les motifs : la jalousie et l'avarice relèvent, non d'une unité culturelle, mais d'une unité psychologique nécessairement plus large. Si l'on étudie le motif de la conquête du feu, il va de soi qu'il faudra citer avec le Prométhée grec, le Loki de la mythologie germanique ou l'Agramanyus des Iraniens qui représentent des développements parallèles, au moins jusqu'à un certain niveau d'expression littéraire, mais sans aucun rapport que la référence à un archétype psychologique identique. On en dirait autant du rôle de la femme dans le motif de la faute originelle qui peut relever, selon C.G. Jung, d'une démarche générale, propre à l'esprit humain; ici aussi, le motif est commun, mais les traditions littéraires des héroïnes de la Thrymskrida, du Mahâb-hârata ou du Bhâgavata-Purana ne sauraient trouver place dans une étude consa­crée au thème de Pandore né des Travaux d'Hésiode.

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94 THÈMES ET MYTHES

Pour nous résumer, la double extension dans le temps et dans l'espace nous paraît indissociable d'une thématologie véritable, c'est-à-dire qui ne se soucie ni d'amputation ni de gauchissement ; cette manière de traiter le thème lui est nécessaire, elle correspond aux exigences de sa nature intime et permet seule d'établir la conti­nuité authentique de la tradition littéraire. Concédons enfin que ces conditions font de la thématologie une discipline d'accès peu aisé, mais ce sont là des caractères propres à la littérature compa­rée en général, non des écueils particuliers aux études de thèmes. Au moins la Stoffgeschichte est-elle assurée ainsi de répondre à cette «vocation encyclopédique » qu'Etiemble réclamait du com-paratiste.

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PRÉFÉRENCES D'AUTEURS, D'ÉPOQUES, DE NATIONS

L'extension dans l'espace et le temps, en même temps qu'elle permet d'éclairer certaines questions, n'est pas cependant sans en soulever d'autres. A suivre un thème dans son évolution histori­que, à écrire son histoire au cœur de plusieurs nations, à le voir utilisé par des auteurs très différents, quelques points d'interroga­tion supplémentaires apparaissent. Comment se fait-il que Hugo fasse si souvent appel au thème d'Orphée et Balzac si rarement ? que le thème d'Ariane connaisse un si franc succès au XVIIIe siè­cle et en recueille si peu au romantisme ? qu'il se trouve tant de Saùls en Allemagne et quelques-uns à peine en Italie ? Ces faits constatés, on en vient naturellement à se demander s'il n'existe pas, à l'égard des thèmes, des préférences plus ou moins nettes, et surtout plus ou moins définissables, d'auteurs, d'époques, de nations, préoccupation importante mais qu'il convient de traiter avec prudence.

Nous avons évoqué déjà les préférences individuelles: le seul choix, par un auteur, d'un thème à l'exclusion des autres, est une première manifestation de son individualité, laquelle s'exprimera ensuite dans sa manière de le traiter, dans les modifications qu'il apportera à la forme comme au fond. L'élection d'un thème déterminé, observe E. Frenzel, «s'explique souvent par une affi­nité profonde »126. Cette affinité peut procéder, le plus souvent, d'une sympathie inconsciente et spontanée *, parfois aussi d'une attirance motivée, très consciente au contraire et de longue date. Byron notait à propos de la tragédie d'Eschyle: «The Prome-

* Dans ce cas, on parlerait, plutôt que d'une préférence, qui implique un choix, d'une sorte de « tropisme ».

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theus, if not exactly in my plan, has always been so much in my head, that I can easily conceive its influence over ail or any thing that I hâve written » ; Goethe, de son côté, confessait : « Der mythologische Punkt, wo Prometheus auftritt, [war] mir immer gegenwàrtig und zur belebten Fixidee geworden ».

Dans un cas comme dans l'autre, l'attirance existe et il s'agit maintenant de l'expliquer, d'en étudier aussi clairement que possi­ble les raisons. Quelles sont les préoccupations de l'auteur, ses idées philosophiques, religieuses, morales, politiques, dans quel contexte sentimental, humain, vit-il au moment où il s'attaque au thème ? Qu'est-ce qui attirait Rousseau vers Pygmalion ? la quête intime de Y aller ego; Quinet vers Ahasvérus ? ses idées sur le pro-videntialisme historique ; Alfieri vers Saùl ? sa haine de la tyran­nie. Bref, chacun s'est tourné vers le thème qui illustrait le mieux ses tendances profondes, quoique nous ne donnions ici de cette attirance qu'une explication fort schématique et qui peut être beaucoup plus complexe : VAntigone de Ballanche condense l'aspiration à la rédemption par l'expiation, l'allusion aux cir­constances historiques et la passion pour Juliette Récamier. Si Rousseau est fasciné par la figure du Christ, ce n'est pas seule­ment parce qu'elle l'entraîne, comme les «philosophes», dans une discussion sur la foi et les miracles, mais parce qu'elle prend pour lui une signification existentielle, parce qu'il s'éprouve lui-même comme un moderne messie qui, à travers épreuves et souf­frances, a découvert sa voie. C'est bien ainsi, du reste, que l'ont salué nombre de ses contemporains127. Déceler les motifs de l'emploi d'un thème est donc important, puisque ce seul choix jette une certaine lumière sur l'auteur et l'individualise par rap­port aux autres dans la mesure où tel thème, qui convient à un poète, ne convient pas à un autre.

Déterminer comment les composantes d'un thème ont pu repré­senter pour un écrivain une sorte de pôle magnétique permet donc parfois de mieux comprendre, et l'écrivain et son oeuvre. On ne saurait cependant tirer de la notion de préférence des conséquen-

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ces trop lointaines. «L'œuvre, écrit E. Kushner, serait la rencon­tre de la pensée intime du poète avec le mythe le plus propre à l'exprimer de la manière la plus vivante, rencontre qui, pour être causée par les mobiles inconscients, ne serait toutefois pas for­tuite. [...] A certains mythes correspondront certaines tendances inconscientes, et le choix d'un certain mythe serait comme un signe d'affinitqé entre certains écrivains » 128. En d'autres termes, le fait qu'ils se soient intéressés à un même thème devrait créer entre deux ou plusieurs auteurs une sorte de parenté spirituelle, théorie qui autorise surtout des considérations assez creuses sur la permanence et l'inaltérabilité de la nature humaine, mais qui a le tort de faire du thème la lampe fixe autour de laquelle volètent les papillons. Si cette parenté existe, dans quelles conditions existe-t-elle et comment la définir ?

Est-on fondé, par exemple, à supposer des affinités profondes et secrètes entre Ghelderode et Montherlant parce qu'ils ont tous deux écrit un Don Juanl et Faust rapproche-t-il le moins du monde Ghelderode encore et Valéry, ou Klinger et Thomas Mann? Séduisante illusion! Dès lors, peut-on considérer cette prétendue parenté spirituelle comme un leurre ?

La réponse est simple : elle ne pourrait exister que si la significa­tion du thème était une constante invariable, toujours identique à elle-même, ce qui, soit dit entre parenthèses, signifierait, à brève échéance, la mort du thème incapable de renouvellement —, c'est-à-dire si le thème était dépourvu de cette polyvalence que nous lui avons reconnue tout à l'heure. Si Cari Sternheim et Nikos Kazant-zakis, bien que tous deux auteurs d'un Judas, n'ont pas pour autant de parenté intellectuelle, c'est tout simplement parce qu'ils n'ont pas traité le même Judas, que leurs différences individuelles et les cinquante ans qui les séparent les ont fait charger le thème d'un autre sens, d'une autre portée. Il serait pour le moins incon­sidéré d'imaginer que Boèce et Rilke, Poliziano et Cocteau ont demandé la même chose au thème d'Orphée et qu'ainsi le fils de Calliope les fasse «parents. Croit-on qu'il y ait quelque chose

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de commun entre Lefranc de Pompignan et Louis Ménard parce qu'ils ont fait tous deux un Promethéel entre Voltaire et Sartre à cause du thème d'Oreste ?

Vouloir étendre la cohérence interne du thème à un rapport d'unité entre les auteurs, c'est prétendre créer une unité parfaite­ment artificielle. La distance qui sépare les auteurs fait que leurs raisons de s'exprimer dans un thème peuvent être très différentes, voire contradictoires. Bref, les motifs des préférences individuel­les doivent être cherchés dans les individus et le contexte personnel et historique qui leur est propre, et non sur la base d'une filiation automatique et mythique que leur conférerait, de l'extérieur, le thème ; ce sera, au surplus, une manière de respecter leur indivi­dualité.

Concluons donc qu'on ne saurait être trop prudent quand il s'agit de circonscrire des «familles d'esprits» dont la prétendue filiation s'étalerait sur plusieurs siècles. Mais si la parenté préfé­rentielle ne peut s'établir verticalement dans le temps, ne pourra-t­on l'établir dans une coupe horizontale! Si l'utilisation d'un thème par un poète du XVIe siècle et un autre du XIXe ne prouve rien quant à leur parenté et à leurs affinités, en est-il de même quand il s'agit de deux poètes du XVIe siècle, ou de deux poètes du XIXe?

Les chances, c'est indéniable, sont beaucoup plus grandes dans la seconde hypothèse. Chaque époque se fait une mythologie par­ticulière, propre à exprimer ses préoccupations, à refléter ses aspi­rations et ses inquiétudes ; le thème, toujours protéiforme et sus­ceptible de renouvellement, prend plus ou moins d'importance selon que sa structure interne s'adapte plus ou moins bien aux exi­gences de la pensée nouvelle 129. On peut penser que des auteurs contemporains, se trouvant «situés» sur une toile de fond com­mune et acceptant une communauté des évidences, utilisent le thème avec des intentions identiques et offrent donc, à un moment donné, une certaine parenté que l'usage du thème permet précisé­ment de définir.

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Avant de poursuivre, une dernière réserve cependant. Admettre que l'utilisation d'un thème par des écrivains contemporains crée la possibilité d'une parenté spirituelle et idéologique, est une hypothèse de travail qu'on ne peut accepter sans nuances. En effet, il ne faut pas l'oublier, un thème peut représenter, à la même époque, des pensées très différentes, opposées même ; alors que, dans la seconde moitié du XIXe siècle, des écrivains ralliés au scientisme font de Prométhée le champion de la révolte métaphy­sique, d'autres n'hésitent pas à faire du Titan le symbole de la sou­mission du pécheur repentant. Un classement thématique s'impose donc encore à l'intérieur de chaque période historique et littéraire où l'on relèvera, non pas une famille d'esprits rassemblée autour d'un thème, mais des familles d'esprits groupées chacune autour d'une des acceptions du thème.

Comme il est toutefois possible de réunir sur l'une des interpré­tations du thème une relative unanimité, on pourra enregistrer, à certaines époques, d'évidentes préférences.

Y.F.-A. Giraud a bien montré la prédilection pour le thème de Daphné à l'époque baroque, qui trouve en lui une illustration capitale de son esthétique du mouvement, de la fuite et de la méta­morphose, elle-même expression d'un monde en instabilité. M. Bélier, de son côté, a fait voir que le goût de l'idylle, symptomati-que d'une nostalgie de paradis perdu dans une civilisation éprou­vée comme décevante, se traduisait par une utilisation accrue du thème de Philémon et Baucis. De même, on pouvait s'attendre à voir Jeanne d'Arc passionner historiens et penseurs au XVIIIe siè­cle, de la France à l'Espagne, de l'Allemagne à l'Angleterre. Le personnage, historique mais tôt déformé par les interprétations partisanes et l'hagiographie, mettait en question le caractère sacré de la monarchie, l'unité du royaume, la conception providentia-liste de l'histoire. Ici héroïne et messie national, là hystérique ou imposteur, son cas a retenu une centaine d'auteurs — historiens, philosophes, poètes ou dramaturges 13°.

Plus spectaculaire encore, peut-être, est le succès, au siècle des

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Lumières, du thème de Socrate mourant : dans la mort de l'inno­cent, victime de la tyrannie et de l'intolérance religieuse, les «phi­losophes » reconnaissent leur destin 13i. Pour Voltaire, Socrate est avant tout un sujet mobilisateur de la résistance à l'obscuran­tisme, sans qu'il admire réellement un héroïsme provocant, auquel il préfère une action plus subtile et plus efficace. Diderot, au contraire, s'exalte au souvenir du maître de Platon, rêve par­fois de conformer sa destinée à la sienne, ramené cependant loin du martyre par un certain prosaïsme et l'amour de la vie. Rous­seau enfin, après avoir sacrifié au professeur de morale, au saint laïc, rejette le modèle proposé par ses anciens amis pour se tourner vers Jésus, figure à ses yeux plus haute et plus noble à laquelle il s'identifie. Le sort de Socrate n'a pas passionné que les trois «grands » : c'est tout le siècle, de Grimm à Mercier, de Fréron à La Harpe, qui en fait le symbole d'un combat. Socrate, au XVIIIe

siècle, a subi la loi qui gouverne les thèmes : polyvalent, il peut au besoin représenter des aspirations diverses et même contradictoi­res. Il sera donc le reflet des idées, de la morale, des scrupules, du tempérament de chacun. L'obsession de Socrate, pour des auteurs comme Diderot ou Rousseau, c'est, bien sûr, la conséquence d'une attitude philosophique, d'une prise de position, le prétexte d'un débat parfois violent entre une pensée neuve et hardie et les structures existantes qui prétendent étouffer son cri ; mais c'est aussi le signe d'une authentique souffrance morale qui atteint l'homme au-delà du philosophe, qui met l'individu en face de lui-même, qui affronte la vie et les principes, le tempérament et les idées, le cœur et l'esprit. C'est pourquoi Socrate est Tune des plus intéressantes figures que pouvaient magnifier les Lumières ; il est aussi la preuve que ce siècle iconoclaste et ennemi des idoles, a eu sa mythologie et un sens, tout nouveau, du sacré.

Assurément, pour de telles utilisations, « les temps et les auteurs doivent être mûrs » l32 : ce qui pouvait n'être, au siècle précédent, qu'un tableau pathétique, reflète ici l'actualité, la réalité d'une idéologie militante. Les exemples de ce genre ne manquent pas :

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nous avons eu déjà l'occasion d'attirer l'attention sur l'impor­tance et l'opportunité de la légende de Pygmalion dans la philoso­phie matérialiste des Lumières, ou de Prométhée sur le fond de révolte métaphysique qui caractérise le romantisme.

Il ressort donc de ces observations que, de même qu'un thème pouvait apparaître adéquat pour un auteur et inadéquat pour un autre, il peut également convenir mieux à telle époque qu'à telle autre. Ce sera la tâche de la thématologie d'essayer d'isoler et de définir les éléments qui déterminent et expliquent cette fortune particulière, qui font qu'un thème est spécialement élu par une époque, par une certaine pensée: l'objectif est d'importance et révèle, une fois encore, combien la Stoffgeschichte est inséparable de la Geistesgeschichte. Rappelons seulement ce que nous disions plus haut à propos des prétendues disparitions de thèmes : le suc­cès exceptionnel d'un personnage ou d'une situation à une époque donnée n'autorise pas à conclure à son inexistence ou à son insi­gnifiance avant ce moment priviléié. Certes, le Pygmalion maté­rialiste de Boureau-Deslandes n'eût pu convenir au XVIe siècle, ni à une conscience religieuse ni à un esprit-néo-platonicien, mais l'inexistence à la Renaissance, de cette signification spécifique, ne permet pas le moins du monde d'affirmer l'éclipsé du thème, poï-kilotherme de nature.

Ainsi donc, les raisons des éventuelles préférences d'époques devront être recherchées, cela va sans dire, avec autant de précau­tion et de réalisme que celles qui peuvent décider des préférences d'auteurs. Ecrire quelques phrases bien tournées sur l'impossibi­lité d'un Prométhée révolté au Moyen Age en se contentant de parler, en termes généraux, d'incompatibilité d'esprits, est insuffi­sant et risque de conduire au verbalisme. La récession — d'ailleurs relative — du thème devra trouver son explication dans l'étude du contexte philosophique et religieux, dans le cadre de la lutte géné­ralisée contre la mythologie et les survivances du paganisme ; elle s'expliquera aussi par la vaste diffusion d'Ovide et de Virgile, les autorités au Moyen Age en matière de mythologie, et qui, précisé-

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ment, accordent fort peu de place au thème propéthéen, d'où des apparitions peu fréquentes dans les œuvres érudites et apologéti­ques qui recourent au témoignage d'auteurs moins connus, mais plus explicites sur Promethée, que les poètes des Métamorphoses et de VEnéide,

Restons donc sur cette conclusion qu'il existe des préférences d'époques comme des préférences d'auteurs, parce qu'un thème peut, par son affabulation, en venir à représenter mieux telles dominantes que d'autres. C'est en tout cas un problème que Ton ne peut, dans une thématologie digne de ce nom, éviter d'abor­der : si l'on cherche à savoir pourquoi Racine rompit momentané­ment avec le théâtre après Phèdre et définitivement après Athalie, serait-il moins intéressant de se demander ce qui, d'un siècle à l'autre, explique la fortune ou la décadence d'un thème?

Sur ce plan, une question en amène une autre : après avoir réflé­chi sur les motifs de l'adhésion d'un auteur ou d'une époque à un thème, on en vient vite à s'enquérir des éventuelles préférences nationales, des sujets de prédilection de tel peuple en particulier. Affaire délicate : la notion de Volksgeist, comme celle de Zeit-geist, exige d'être maniée avec précaution.

Sans doute certains thèmes issus des traditions nationales et se rapportant à un fait de l'histoire d'un peuple demeurent-ils assez volontiers la propriété de ce peuple. Le thème d'Arminius, à part ses apparitions chez Scudéry, Campistron ou Pindemonte, a été traité exclusivement par des Allemands : ainsi encore, pour l'Ita­lie, du personnage d'Ezzelino da Romano. Il s'agit le plus sou­vent, dans de tels cas, de personnages de l'histoire ou du folklore nationaux, dont la valeur exemplaire est insuffisante pour attein­dre à l'universalité, comme les thèmes de Napoléon ou de Faust ; les raisons d'un intérêt particulier se conçoivent dès lors sans diffi­culté.

En revanche, il est plus délicat de trouver pourquoi tel thème universellement célèbre a trouvé moins d'écho dans un pays que dans un autre. Antigone, par exemple, a eu très peu de succès en

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Angleterre, moins encore en Espagne: faut-il en conclure que le problème de l'opposition entre la conscience individuelle et la rai­son d'Etat ne s'est jamais posé dans ces pays? et pourquoi? ou bien le «tempérament» anglais est-il spécifiquement insensible à une situation tragique qui a au contraire beaucoup intéressé les Français et les Allemands ? inutile de dire que nous ne trouverons pas la réponse ici.

Il faudra aussi veiller à ne pas prendre pour une inadéquation aux caractères nationaux un phénomène de diffusion tardive ou empêchée. Les sujets mythologiques rencontrèrent une opposition plus forte en Espagne ou au Portugal qu'en France en raison d'une attitude religieuse plus rigide, d'une influence plus nette de l'Eglise. Les différences ne doivent pas être seulement constatées, mais, autant que possible, expliquées avec réalisme, car s'en tenir aux généralités sur les caractères et tempéraments nationaux n'apporte aucune certitude et revient à justifier des faits par des éléments vagues et impondérables 133.

De toute manière, et quelle que soit la difficulté de trouver une réponse toujours satisfaisante à ces questions de préférences d'auteurs, d'époques et de nations, la thématologie, pour remplir son rôle et se légitimer, a le devoir de les poser, car ces problèmes, qui dépassent de loin le ressort du dictionnaire et de la nomencla­ture, représentent une part essentielle du véritable travail. Sur ces derniers points plus encore que sur les autres, il faudra de la pru­dence et du doigté, une approche patiente et un examen minu­tieux, une méfiance quasi instinctive des généralités et des explica­tions vagues qui apaisent trompeusement l'inquiétude sans satis­faire le raisonnement. Fondus et unis dans une discipline souple et exigeante, les différents points de vue évoqués jusqu'ici restituent à la thématologie son intérêt et sa portée.

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LE THÈME ET LE CONTEXTE HISTORIQUE

Nous venons de le voir, il est possible de parler de préférences d'époques dans le cas où les préoccupations dominantes d'une certaine période parviennent à s'inscrire dans les cadres d'un thème qui devient l'expression symbolique, idéale, de ces préoccu­pations. Ce sont bien sûr les mouvements d'idées qui feront le plus souvent appel à ce pouvoir représentatif : on imagine sans peine la place et le sens que peuvent prendre, par exemple, le thème de Prométhée, pour exprimer les théories du progrès ou du scien­tisme, celui d'Orphée dans la recherche néo-platonicienne de la connaissance.

Ces positions « intellectuelles » ne sont cependant pas les seules que puisse, éventuellement, révéler l'utilisation d'un thème. Quel que soit son génie, l'auteur vit dans son milieu, subit, plus peut-être que les autres, la pression des forces historiques, le poids des circonstances ; les guerres, les conflits religieux, politiques, sociaux de son temps composent une ambiance, l'atmosphère qu'il respire. La littérature, on l'a dit, peut être aussi l'expression de la société. L'importance du contexte historique est aujourd'hui reconnue, encore qu'on ait pu dire il n'y a guère que l'histoire lit­téraire «s'en tient encore trop souvent à la seule étude des hom­mes et des oeuvres — biographie spirituelle et commentaire textuel — considérant le contexte collectif comme une sorte de décor, d'ornement abandonné aux curiosités de l'historiographie politi-

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que » . Si personne ne songe à isoler Jacques Vingtras, les Thibault ou

les Hommes de bonne volonté du climat historique particulier que

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106 THÈMES ET MYTHES

connurent Jules Vallès, Roger Martin du Gard et Jules Romains, ou encore les œuvres de l'expressionnisme allemand du conflit de générations qui en est une des caractéristiques, il semble, à l'égard des thèmes, que l'on ait fait moins souvent qu'il n'eût fallu le rap­prochement nécessaire. Or certains offrent, par leur affabulation et leur contenu originel, des possibilités exceptionnelles d'adapta­tion aux circonstances : qu'on songe à Saùl et à la question du pouvoir et des prêtres, et l'on imaginera aussitôt ce qui pouvait attirer vers le monarque hébreu des hommes comme Voltaire ou Alfieri ; à propos de Sophonisbe, un critique suggérait avec raison que l'on tentât «d'expliquer le traitement du thème par le con­texte politique et social » l35. Aussi spontanément qu'il se baigne dans les courants d'idées des siècles traversés, le thème se charge des composantes historiques ]36. Une des préoccupations consta­tantes de la thématologie consistera donc à examiner dans quelle mesure le thème est « engagé », dans quelle mesure la préférence que lui marque une époque n'est pas due à son aptitude à exprimer les contingences politiques et sociales.

Certes., nous ne prétendons pas que tous les thèmes sont au même degré susceptibles d'être l'expression des circonstances his­toriques. Peut-être n'est-il pas impossible de faire du thème de Tristan ou de celui d'Hérodiade des thèmes à résonance politique ; du moins n'y parviendra-t-on qu'au prix d'une singulière distor­sion de leurs éléments constitutifs. En revanche, on concevra aisé­ment le potentiel d'« engagement » dans l'actualité que recèlent les figures de Marie Stuart, Napoléon, Saùl, Savonarole ou Cola di Rienzo. Il existe en tout cas, à propos de chaque thème, une possi­bilité de cet ordre et la thématologie a le devoir de veiller à l'exploiter.

Certains thèmes lui offriront d'ailleurs un terrain particulière­ment riche : ce sont ceux qui sont le reflet, dès l'origine, de cer­tains conflits politiques ou sociaux. Dès lors, on peut se demander si de tels thèmes ne se rencontrent pas plus volontiers aux époques où se pose, dans la réalité vécue et directement éprouvée par un

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THÈME ET CONTEXTE HISTORIQUE 107

auteur, le problème dont ils peuvent constituer, en quelque sorte, l'archétype, la représentation idéale. Nous ne saurions nous livrer ici à une analyse de ce genre, qui nécessite une étude précise des circonstances historiques où sont apparues chacune des expres­sions d'un thème: ce serait procéder à l'un de ces survols dont nous dénoncions tout à l'heure l'indigence. Arrêtons-nous cepen­dant un instant à l'exemple du thème d'Antigone, sans doute l'un des plus caractéristiques 137.

Le thème d'Antigone émerge pour la première fois de la confu­sion des grands récits épiques et des traditions orales en 441 avant J.-C. dans la tragédie de Sophocle, fondée sur le conflit entre l'exigence morale et religieuse et les contraintes de la raison d'Etat. Substituant aux oiseuses discussions des sophistes sur les limites de la légitimité du pouvoir, la mise en action ou la mise en scène des conséquences de l'autoritarisme, Sophocle donnait une leçon.

Dans quel contexte ? La prospérité atteinte par Athènes pen­dant les quinze années où Périclès tient les rênes du pouvoir et la structure démocratique de la cité ne doivent pas faire perdre de vue l'impérialisme très réel dans lequel elle s'engageait: l'exten­sion de sa puissance politique et militaire, le «colonialisme» des clérouquies, l'exploitation des cités prétendument alliées, en réa­lité sujettes, laissent entrevoir à quels excès un pouvoir abusif pourrait conduire 138. On a voulu soutenir139 que Sophocle n'avait pas mis en scène une conscience en conflit avec le gouvernement, mais seulement le choc de deux caractères outranciers et intolé­rants qui se précipitent eux-mêmes dans le désastre. Vraie sur le plan de la psychologie, cette interprétation n'en rétrécit pas moins singulièrement l'optique, en substituant un conflit de personnes à un affrontement de principes.

En fait, Antigone apparaît, non comme une tragédie religieuse, en dépit de la référence aux lois sacrées, mais comme une tragédie morale et politique. On a d'ailleurs pu montrer que, dans la tragé­die, le politique et le religieux s'interpénétraient étroitement. Vers

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108 THEMES ET MYTHES

440, comme l'a souligné J.-P. Vernant 14°, à une religion centrée sur le foyer domestique et le culte des morts, commence à s'oppo­ser une religion publique, une religion de la «polis», où «les dieux tutélaires de la cité tendent finalement à se confondre avec les valeurs suprêmes de l'Etat ». Antigone sort d'une réflexion sur cette confrontation de deux théologies antagonistes, Tune reli­gieuse, l'autre civile141. Sophocle — à la différence de Platon, quelques décennies plus tard — se refuse encore à consacrer ï'hypostase de la cité ; donnant au culte des morts la préséance sur les exigences civiles, sa tragédie était la preuve par l'exemple qu'il n'y a pas de limites à un pouvoir dont on a fait dépositaire un homme qui n'en est pas digne: c'était, en même temps qu'un appel à la sagesse et à la réflexion sur le plan de la philosophie politique, une mise en garde contre une situation de fait dans laquelle Athènes l'impérialiste risquait de s'engager.

Le thème d'Antigone prend donc, dès sa première formulation littéraire, une signification fondamentalement politique, dans le sens d'une méditation sur les bornes du pouvoir, sur le droit à la contestation, méditation immédiatement inspirée par le contexte historique où évoluait Sophocle. Reste à voir dans quelle mesure cette liaison entre le thème et l'histoire peut se présenter comme une constante.

En France, la première Antigone originale est celle de Robert Garnier (1580), qui insiste particulièrement sur le conflit fraticide entre Etéocle et Polynice. D'emblée se font entendre les échos de la situation historique contemporaine. Les troubles civils et reli­gieux — la Saint-Barthélémy a eu lieu huit ans plus tôt — qui transparaissent dans les tragédies « romaines » comme Porcie et Cornélie, se retrouvent ici en pleine lumière. Pour ce dramaturge royaliste et catholique, Polynice représente les protestants qui ten­tent de s'imposer au roi, au pouvoir centralisé et légitime, et son Antigone, dans son climat de crise dynastique, reflète la rivalité entre Henri III et le duc d'AJençon lors de la succession de Charles IX 142. Comme le signalait R. Lebègue, « ce qui est au premier plan

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des Tragiques d'Aubigné, sert de toile de fond aux oeuvres du dra­maturge catholique »143. L'héroïne de Garnier propose une cité où la loi politique se confondrait avec la loi naturelle, celle-ci n'étant que l'image de la loi divine144.

Une soixantaine d'années plus tard, VAntigone de Rotrou (1637) situe à nouveau l'action dans un contexte où l'autorité est mise en cause. Créon représente non seulement le pouvoir absolu, mais aussi le risque de voir servir ce pouvoir à des menées person­nelles où l'intérêt de l'Etat sert de prétexte aux ambitions d'un homme 145. A travers la révolte d'Antigone, Rotrou rappelle que l'exaltation du pouvoir absolu entraîne la négation de l'individu et la subordination des valeurs morales aux nécessités de l'organisa­tion politique et sociale. Faut-il rappeler que nous sommes à l'époque où se prépare l'affermissement définitif de la monarchie, où Richelieu concentre ses efforts sur une impitoyable centralisa­tion du pouvoir, une « statolâtrie » inspirée de Machiavel, dont Antigone conteste la légitimité ? Chez Rotrou comme chez Gar­nier, le conflit Antigone-Créon est l'occasion d'une méditation sur l'histoire et les événements contemporains 14\

Le XVIIIe siècle ne s'intéressa guère au thème, sinon dans les médiocres tragédies «romanesques » de A. Duhamel (1737) ou de Doigny du Ponceau (1787) et dans une série d'opéras. Mais lors­que parut, en 1814, le long poème en prose de P.-S. Ballanche, intitulé Antigone, les contemporains n'eurent guère de peine à y découvrir nombre d'allusions aux récentes années de crise. L'œuvre était d'ailleurs dédiée à la duchesse d'Angoulême, fille du roi martyr, en qui, la même année, le panégyrique de Louis de Saint-Hugues saluait «la nouvelle Antigone». Sans sacrifier la part de projection autobiographique ni les considérations philoso­phiques et religieuses, on observera que Ballanche n'hésitait pas devant un parallèle explicite entre la France et l'ancienne Thèbes, entre Oedipe et Bonaparte, «nouveau roi de l'énigme», et dési­gnait à son tour la duchesse d'Angoulême comme «PAntigone française».

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Un peu plus tard, c'est un ancien émigré, le comte de Saint-Roman, qui se propose de retracer, dans son Antigone (1823), « quelques-unes des scènes de douleur et de perversité que le mal­heur des temps vient tous les jours offrir à ses yeux ». Sans équivo­que, Créon, pour ce légitimiste, c'est la Révolution, la Terreur, Robespierre, l'Usurpateur enfin, tandis qu'Antigone incarne l'ordre ancien et le droit divin persécutés par la folie révolution­naire.

Le XXe siècle, que ce soit dans des œuvres obscures ou célèbres, n'échappe pas à l'engagement et à la politisation suggérés par le thème. L'Antigone (1922) de Louis Perroy est une protestation contre la guerre menée par un despote inhumain : sous couleur de lutter pour la grandeur et l'indépendance de Thèbes, Créon a combattu par orgueil et désir de conquête, et la fille d'Oedipe con­teste un pouvoir meurtrier et injuste, destructeur des peuples, tan­dis que Perroy dédie sa pièce « à tous ceux qui sont morts pour la France, 1914-1918». Quelques années plus tard, VAntigone d'Armand Abel, créée le 20 février 1938 par le Jeune Théâtre de l'Université Libre de Bruxelles à la loge maçonnique Prométhée, se situe dans le contexte de la guerre civile espagnole et de la menace nazie. Une fois de plus, c'est un appel à la réflexion sur les circonstances, où Antigone défend les valeurs humaines et mora­les en face d'un Etat destructeur de l'individu. En 1941, au début d'une période fort sombre, c'est à Antigone que songe Léon Chancerel pour œuvrer à la « respiritualisation du pays » en fai­sant de l'héroïne le défenseur des valeurs religieuses et patrioti­ques que prétendait restaurer le régime de Vichy. Faut-il rappeler enfin comment fut accueillie Y Antigone d'Anouilh (1944), les uns voyant dans le personnage le symbole de la Résistance française, les autres reprochant à l'auteur de témoigner à travers Créon sa sympathie par la Realpolitik de Vichy et de prendre la défense de Pétain et Laval ? Une fois de plus, la résurgence du thème s'expli­quait par des circonstances historiques et politiques dont il appa­raissait, en quelque sorte, comme l'archétype.

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Ce qui est vrai pour la France ne l'est pas moins ailleurs. En Ita­lie, VAntigone de Luigi Alamanni, composée entre 1520 et 1527, porte la trace des querelles intestines de Florence, tandis que Créon devient une image des Médicis, responsables de l'exil du poète qui a conspiré contre eux. Celle d'Alfieri (1783) témoigne du désir d'unité et d'originalité nationales et de la haine de la domi­nation autrichienne qui animent la péninsule dans la seconde moi­tié du XVIIIe siècle l47.

Quant à l'Allemagne, elle a multiplié elle aussi les œuvres enga­gées et militantes. La tragédie de Martin Opitz (1629) est explicite­ment composée pour convaincre les Prussiens de leur bonheur de vivre sous un bon gouvernement, en leur présentant, par anti­thèse, le tableau des guerres civiles et des conflits qui pourraient déchirer le pays 148. A l'occasion, le thème pourra servir l'illustra­tion, et non la condamnation, de la raison d'Etat. En 1877, la médiocre Antigone de Eugen Reichel se situe dans la ligne offi­cielle de l'époque bismarckienne et célèbre les exigences du pou­voir et de l'ordre, en déplorant l'insurrection d'Antigone, anar­chiste irréfléchie qui met la nation en péril. Joué en 1915, le drame du pan-germaniste H.S. Chamberlain {Der Tod der Antigone) renforce sous Guillaume II la leçon proposée par Reichel en mon­trant que toute morale individuelle doit être subordonnée à l'entité de l'Etat souverain et en faisant du devoir d'obéissance un impératif catégorique : aussi son Antigone se suicide-t-elle, con­vaincue d'avoir frayé la voie aux pires désordres. A un moment où, en dépit des victoires allemandes, l'échec de la Marne en sep­tembre 1914 et le blocus naval de l'Angleterre ont contraint le Reich à s'organiser en économie de guerre et déclenché les premiè­res protestations du mécontentement général, l'oeuvre était un rappel direct du respect de Tordre et de l'autorité établie, de la nécessaire soumission au pouvoir. Deux ans plus tard, au con­traire, W. Hasenclever fera entendre la voix de l'opposition. Son Antigone (1917) évoque un peuple naturellement bon et généreux, mais aveuglé par les mauvais maîtres et asservi à un Etat totali-

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taire et conquérant. Antigone, image de la fraction saine de la nation, se dresse contre un Créon-Guillaume II, à l'instant où les succès militaires de Ludendorff ne suffisent plus à museler l'opi­nion. Dans cette œuvre aux accents apocalyptiques, Hasenclever a livré une allégorie transparente. A ses yeux, Thèbes, c'est l'Alle­magne ; les souffrances des Thébains sont celles des Allemands ; les cris de «Nieder die Reichen ! » sont l'écho de ceux qui com­mençaient à se faire entendre au sein d'un prolétariat misérable et écrasé par l'industrialisation ; la libération du peuple thébain pré­figure celle que l'auteur souhaitait pour son pays. En 1931, l'Autrichien Max Mell évoque les souvenirs de la guerre et exprime à travers le thème (Die Sieben gegen Theberi) ses inquiétu­des devant l'effervescence politique en Allemagne. A son tour, B. Brecht ressuscite Antigone (Antigone-Modell 1948) dans les ruines de Berlin en avril 1945 et utilise le thème pour rappeler les crimes du IIIe Reich et la faillite du totalitarisme. Une nouvelle de R. Hochhut (Die Berliner Antigone» 1963) reprend des données iden­tiques, tandis que la pièce de K. Hubalek (Die Siunde der Anti­gone, 1962) représente dans la résistance de la fille d'Oedipe, la révolte individuelle contre un pouvoir policier.

Sans même parler de l'époque où, dans le cadre de l'affaire Dreyfus, l'état-major français avait aux yeux de la gauche les traits de Créon, on n'aurait aucune peine, au XXe siècle, à multi­plier les exemples de l'utilisation du thème dans l'actualité histori­que et politique la plus immédiate. En 1959, VAntigone créole de Félix Morisseau-Leroy condamnait l'héroïne pour justifier le régime haïtien, tandis qu'en 1967 le Living Théâtre s'emparait de la pièce de Brecht pour en tirer un bréviaire de la désobéissance civile et de la contestation. En Tchécoslovaquie enfin, les Anti­gone de Peter Karvas (1962) et de Milan Uhde (1967) trouvent dans le thème, ici l'occasion de célébrer la lutte communiste con­tre le fascisme, là celle de dénoncer l'ingérence de l'U.R.S.S. l49.

Ce survol historique, pour bref et schématique qu'il soit, devrait cependant inviter à méditer sur les raisons profondes de

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cette actualisation régulière du thème d'Antigone et à en chercher une explication.

Les œuvres évoquées ci-dessus ont toutes reflété, plus ou moins littéralement, un aspect du contexte historique dans lequel elles ont vu le jour 15°. Ne pas voir là un fait troublant, ce serait aussi faire la part trop belle aux hasards et aux coïncidences. Mais com­ment rendre compte de cet enracinement tenace du thème dans le terreau de l'événement, de cette sorte de symbiose entre le devenir d'Antigone et les accidents de l'histoire ?

Dans un livre récent, Simone Fraisse a habilement défini les grandes étapes de l'évolution du thème, mettant en lumière les problèmes de sources et d'influences et multipliant avec justesse et brio les analyses littéraires. Sans contester la pertinence de son tra­vail ni la subtilité de son analyse, nous souhaiterions nous interro­ger brièvement sur quelques-unes de ses conclusions.

Il conviendrait, selon ce critique, de distinguer une évolution dans la conception même que nous nous faisons d'Antigone. « Le couple dont la tradition a d'abord retenu l'image, écrit S. Fraisse, c'est Antigone guidant les pas de son père aveugle. [...] Jusqu'au XIXe siècle, on dira une ' Antigone ' pour incarner la piété filiale » 151. L'assertion n'est exacte que dans une certaine mesure. On observera qu'il s'agit là d'un trait du personnage, non d'une caractéristique de la situation exploitée par Sophocle dans son Antigone, où Oedipe n'apparaît même pas. Fille aimante, Anti­gone l'est dans VOedipe à Colone de Sophocle, dans les Thébaïde de Stace et de Racine ou VOedipe chez Admète de Ducis, toutes œuvres dont est absent le conflit avec Créon et l'on notera même que, dans Oedipe à Colone, Ismène n'est pas moins dévouée ni moins aimante que sa sœur. Or qui pense à Antigone pense à Créon ; pas d'Antigone sans Créon, sans la lutte fratricide d'Etéo-cle et Polynice : elle se définit comme Antigone par rapport à un nœud immuable de relations. En d'autres termes, la continuité du thème et les motifs de sa résurgence doivent s'étudier en fonction de la situation conflictuelle définie par Sophocle, non dans la

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perspective d'un personnage qui, extrait de la situation qui le fonde comme symbole, est devenu ailleurs un simple comparse.

En second lieu, selon S. Fraisse, la succession des Antigone «constitue une histoire de la sensibilité française. [...] En France, Antigone a toujours eu raison contre Créon. [...] Quand par hasard un écrivain, Barrés ou Anouilh, a pris la défense de Créon, il n'a pas été suivi. [...] C'est que l'insurrection de la conscience individuelle, que [le thème] symbolise si parfaitement, est, depuis près de deux siècles, un trait de notre tempérament national » 152. En somme, le thème d'Antigone serait particulièrement accordé au génie frondeur et contestataire des Français. Semblable expli­cation peut s'avérer convaincante lorsqu'il s'agit de thèmes issus des traditions nationales et se rapportant à un fait de l'histoire d'un peuple : Arminius, on l'a vu, n'a guère été traité que par des Allemands. Elle nous paraît déjà moins pertinente pour Guil­laume Tell ou Lorenzaccio, et moins encore quand le personnage a accédé, comme Antigone, à l'universalité. Antigone n'est pas moins fréquente en Allemagne qu'en France et, Reichel et Cham­berlain mis à part, Créon n'a pas eu plus de partisans sur les bords du Rhin que sur les bords de la Loire. Ce n'est donc pas non plus le tempérament national qui nous fournira l'explication des retours d'Antigone.

Enfin, conclut S. Fraisse, le thème est particulièrement accordé aux «situations conflictuelles de notre temps», qui l'a violem­ment politisé. «Aujourd'hui, écrit-elle, pas de mythe d'Antigone sans un édit à violer, sans une transgression. La scène des lois qui illustre et résume l'affrontement fondamental est capitale dans l'économie de la pièce » 153. Ainsi, à l'explication par le Volksgeist succède l'explication par le Zeitgeist : le retour d'Antigone au XXe

siècle se justifie par la tendance caractéristique de notre époque à la politisation 154. Il est vrai. Mais ne convient-il pas d'observer aussi que la « transgression » est le nœud même du drame depuis Sophocle et que la politisation du thème nous est apparue à plu­sieurs reprises depuis l'antiquité? En réalité, le XXe siècle a seule-

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ment marqué sa prédilection pour un thème qui, d'avance, répon­dait à ses préoccupations ; ce n'est pas le XXe siècle qui a politisé Antigone, mais Antigone qui a trouvé dans le XXe siècle son ter­rain d'élection.

h'Antigone de Sophocle définissait déjà les termes d'un conflit moral et politique inséré dans l'histoire. Quand ce thème, perçu comme l'inéluctable opposition entre la conscience individuelle et l'autorité, aurait-il plus de chances de s'imposer à l'artiste créa­teur que lorsque se ranime, comme chez Garnier ou Rotrou, le débat sur la légitimité et les limites du pouvoir ? Expression, dès l'origine, d'un certain conflit de nature politique — au sens large du terme — le thème d'Antigone fonctionne, sur le plan de la conscience culturelle, comme une manière d'archétype. Chaque fois que se développe, dans la réalité historique, une situation d'affrontement entre une minorité opprimée et un pouvoir oppresseur, peut surgir une Antigone. Il ne n'agit nullement, on s'en doute, de réhabiliter la vieille théorie mécaniste du «reflet», ni de restaurer la polémique de Plékhanov, partisan de la littéra­ture «miroir de la vie sociale», contre G. Lanson, défenseur de l'individualité littéraire. Transmis par la tradition, inséparable de la culture occidentale, le thème s'impose à la conscience pour tra­duire idéalement une situation donnée et un conflit qui prend valeur de paradigme. Aussi bien, la force de cette tradition est telle que, quand bien même un auteur tenterait d'en secouer le joug, ses lecteurs en demeureraient prisonniers: alors que Jean Anouilh avait prétendu prêter à son Antigone une dimension purement existentielle, c'est le public qui s'empressa de la situer dans une perspective politique et historique.

On voit enfin comment semblables considérations ramèneraient au problème, traité plus haut, de la liberté du créateur. N'est-il pas, dans le cas d'Antigone, invinciblement attiré vers un thème qui s'impose à lui bien plus qu'il ne le choisit, parce qu'il recèle une irrésistible puissance d'appel? Sans doute serait-il erroné de parler, à propos de tous les thèmes, d'une dépendance aussi

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étroite à l'égard du contexte historique. Mais, parce que sa signifi­cation profonde est conditionnée, non par un personnage, mais par une situation, le thème d'Antigone, un des moins malléables qui soient, constitue sans doute un exemple privilégié de ce que la perspective historique et diachronique peut apporter à la thémato-logie.

« You can't make tragédies without social instability », écrivait Huxley dans Brave New World. L'exemple des tragédies de Racine invite à nuancer cette affirmation; l'exemple du thème d'Antigone invite à en tenir compte. En d'autres termes, il ne sau­rait être question de parler d'une dépendance inévitable, mais seu­lement de veiller à ce qu'une des modalités de compréhension du thème ne soit pas ignorée. Sans que ce soit une règle, il est fré­quent qu'un thème se comprenne mieux, une fois replacé dans son contexte historio-sociologique, qui permet d'en déterminer la fonction. Ce type d'analyse n'explique pas la beauté, c'est entendu. Mais il n'est pas question de le substituer à l'étude esthé­tique, seulement de la compléter et d'éviter des contresens.

L'étude des circonstances politiques et sociales doit contribuer, au même titre que l'étude des sources et des influences, à faire de la thématologie une discipline étrangère à tout cloisonnement, à toute limitation, à inscrire le thème dans des cadres souples et complexes. Découvrir comment et pourquoi un thème a, pendant des siècles, hanté la conscience humaine, ce qu'il a exprimé, chez chaque artiste et à chaque époque, de profondément pensé ou de douloureusement vécu, c'est le rôle d'une thématologie consciente de sa place et de son rôle véritables.

En effet, toute œuvre consacrée à un thème apparaît, plus encore qu'une autre, comme le point géométrique d'un nombre élevé de facteurs de tous ordres. Situer le thème au lieu de rencon­tre de ces facteurs, ce n'est pas inféoder le processus créateur à un déterminisme simpliste, mais seulement l'éclairer au cœur des conditions dans lesquelles il a pris naissance. Comme l'observait A. Dabezies, «on ne peut donner un tableau de Faust au XXe siè-

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cle sans une incessante référence à la chronologie et aux événe­ments les plus importants de l'histoire contemporaine » 155. Il sera bon, pour n'importe quel thème, de se souvenir de ce rapport.

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EN GUISE DE CONCLUSION

Nombre de travaux, au cours des dix dernières années, ont fait la preuve de la richesse de la thématologie, défriché des terres nou­velles, expérimenté d'autres méthodes. C'est dire que les études de thèmes n'ont plus guère besoin aujourd'hui d'un plaidoyer, et H. Dyserinck n'hésite pas à leur reconnaître « une fonction impor­tante dans le programme de développement du compara­tisme»156. La diversité des recherches, la multiplication des dis­cussions terminologiques et méthodologiques, l'utilisation de nouveaux modes d'analyse confirment cette assertion.

Nous aurons donc moins que jamais la prétention d'offrir les observations qui précèdent comme un bréviaire ou un catéchisme par questions et réponses susceptibles, à la manière d'une encyclo­pédie ménagère, de proposer une solution à tous les problèmes. Mieux que quiconque peut-être, nous soupçonnons ce qu'elles ont d'incomplet, de schématique, de trop général ou parfois de trop particulier. Aussi bien d'ailleurs est-ce, après tout, préférable ainsi. Qu'importe que ce soit par l'accord ou le refus que nos réflexions contribuent à entretenir le renouveau d'intérêt pour la thématologie ? Suggérant des principes méthodologiques, non des recettes infaillibles, nous ne saurions que nous réjouir de la discus­sion et même de la contradiction : pour discuter, pour contredire, il faut connaître, opposer une réflexion à une autre ; la thématolo­gie ne peut qu'y gagner.

L'avenir apportera peut-être la solution de certains problèmes embarrassants. Sans doute la terminologie finira-t-elle par se pré­ciser et des définitions plus rigoureuses prendront-elles droit de cité? Bien des contestations oiseuses cesseraient le jour où, à

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chaque mot, correspondrait un contenu aussi délimité que possi­ble. Mais ne nous berçons pas de la rassurante illusion qu'un dic­tionnaire tranchera la question. En matière d'études littéraires, les frontières sont mouvantes, les lignes de démarcation indécises. Qu'au moins chacun prenne soin de cerner de près son propos et de ne pas s'abandonner aux facilités d'une trompeuse synonymie.

Pour venir à bout des difficultés des recherches préalables, pour procéder à de vastes dénombrements, la thématologie devrait aussi, à première vue, s'assurer les bénéfices du travail collectif. Dix chercheurs recueilleront bien plus d'allusions à Prométhée ou à Orphée qu'un investigateur solitaire: à l'un le Moyen Age, à l'autre le XVIIIe siècle, à celui-ci la France, à celui-là l'Allemagne... Cela va sans dire, mais le travail en groupe s'arrête à la collecte des textes et, nous l'avons vu, l'exhaustivité ne doit pas devenir un... mythe. La synthèse, elle, exige une vision d'ensemble, suppose une unité de conception qui assure la conti­nuité de l'explication l57.

Toutes les questions soulevées ici, cela va de soi, ne se poseront sans doute pas toujours en même temps pour tous les thèmes : on peut fort bien concevoir, par exemple, que la mise en rapport avec l'actualité n'apprenne rien, ou encore que l'étude des sources et des influences se révèle quelquefois moins enrichissante et moins complexe que dans les cas évoqués. Nous croyons cependant que l'on gagnera à respecter sans restriction quelques-uns des princi­pes énoncés qui constituent la base indispensable d'un travail satisfaisant : ainsi du dépassement de la nomenclature et de la sim­ple comparaison littéraire, ainsi encore de la nécessité d'une exten­sion de l'enquête dans l'espace et le temps. Tous les thèmes, du reste, ne sont pas appelés non plus à fournir la matière d'études également riches ; habent suafata libelli: les thèmes aussi, qui ont leurs parents pauvres. Nous sommes persuadé néanmoins que, en dépit de la diversité des cas, il y aura toujours intérêt à essayer sur un thème les propositions de recherche définies dans ces pages, parce qu'elles forment un ensemble, un tout organique où chaque

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EN GUISE DE CONCLUSION 121

élément s'enchaîne au précédent et dépend de lui : c'est par des dénombrements minutieux qu'on parviendra à établir la conti­nuité réelle de la tradition littéraire ; les apports individuels ressor-tiront d'autant mieux que sera faite la part des sources et des influences, lesquelles, à leur tour, ne révéleront leur richesse et leur multiplicité que dans une large extension dans le temps et l'espace qui, restituant à l'enquête thématologique sa dimension propre, permettra de mieux définir et expliquer les préférences d'époques et de nations. Ainsi l'étude d'un thème apparaît-elle comme une mosaïque compliquée, où chaque pierre a sa place et sa signification.

Nous croyons donc ces principes essentiels. Répétons-le cepen­dant, il y a plus important que de les respecter et de les suivre, sur­tout aveuglément : nous souhaitons plutôt, aujourd'hui comme il y a quinze ans, qu'ils fassent naître en l'amateur de thématologie une réflexion personnelle sur la matière qu'il traite, qu'ils lui ser­vent à ébaucher, en quelque sorte, une philosophie de sa discipline qui le conduira à dépasser l'enquête myope au profit d'une con­ception humaniste soucieuse de n'établir la matérialité des fais que pour dégager d'eux la leçon supérieure et continue dont ils sont l'expression fragmentaire et occasionnelle. Ce souci, qui est celui de la monographie intelligente, doit l'être plus encore d'un type de travail qui requiert constamment la synthèse et la vue d'ensemble. Que la thématologie ait déjà cessé d'être considérée comme juste digne de « fournir des dissertations inaugurales à des candidats au doctorat qui ne sont bons qu'à amasser des fiches » I58, que peut-on souhaiter de mieux, et pour elle-même et pour les études litté­raires en général ?

Bref, ces quelques principes observés — et peut-être d'autres encore que nous n'avons pas su découvrir — la thématologie se définira, non comme une discipline auxiliaire ou secondaire, non comme un amusement de l'esprit ou une collation de disparates arbitrairement réunies, mais comme un genre en soi, qui s'inscrit évidemment dans les cadres de la littérature comparée, mais con-

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tient cependant ses exigences particulières et peut prétendre à l'autonomie.

Peut-être verra-t-on mieux alors combien elle est richesse et complexité puisque, essentiellement humaniste, elle exclut le cloi­sonnement stérile entre les époques littéraires et entre les littératu­res, entre la littérature et les autres arts. Peut-être même pourra-t-elle constituer un excellent terrain de rencontre et favoriser un oecuménisme des disciplines, trop souvent schismatiques.

Le thème est un fil conducteur, éternel à travers la durée, qui se charge, au long des siècles, de tout le butin artistique et philoso­phique amassé, sur sa route illimitée, par l'aventurier humain ; c'est pourquoi il préserve et restitue à travers ses innombrables transmutations, quelques constantes, quelques préoccupations fondamentales, en un mot quelque chose de l'essentiel de la nature humaine.

De là peut-être la possibilité d'une question passionnante, mais qui dépasse le cadre de cet essai : pourquoi les mêmes thèmes reviennent-ils de génération en génération ? Jadis l'imitation était un principe d'art, et l'on écrivait une Iphigénie d'après Euripide, un Agamemnon d'après Eschyle. Mais aujourd'hui, on n'« imite » plus et pourtant Amphitryon survit, comme Oreste, comme Elec­tre, comme Ulysse. Et cela sous-entend sans doute toute une théo­rie de la création littéraire, et même toute une théorie des archéty­pes mentaux ou existentiels. L'étude d'un thème, de ses emplois, de ses acceptions, pourrait aider à l'édifier.

On s'accorde volontiers à penser que la thématologie constitue un secteur déjà bien exploré du comparatisme 159 et quelques cen­taines de dissertations et d'articles semblent confirmer cette opi­nion. On peut douter cependant de l'efficacité de certaines de ces études anciennes, non seulement à cause du réel discrédit que tel­les d'entre elles, trop ambitieuses ou trop pauvres, ont contribué à jeter sur la discipline, mais aussi parce que rares sont celles qui ont donné au sujet traité une ampleur suffisante, un approfondisse­ment assez minutieux. Certes, Don Juan et Faust continuent, mal-

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EN GUISE DE CONCLUSION 123

gré les beaux travaux de Gendarme de Bévotte, L. Weinstein, Ch. Dédéyan, A. Dabezies ou J. Rousset, à tenter les chercheurs : ils rassurent par l'abondance des chefs-d'œuvre qu'ils ont suscités. Mais il était temps, précisément, non pas peut-être de renoncer une fois pour toutes à ces cobayes classiques de la thématologie, mais au moins de se souvenir que nombre de thèmes attendent encore une étude exhaustive, que de vastes domaines sont tou­jours inexplorés ou laissés en friche après les premiers coups de pioche.

D'aucuns ont assurément connu un certain succès : conflits tra­giques saisissants, comme ceux d'Agamemnon, d'Oreste, de Médée, d'Inès de Castro, de Sophonisbe ; lieux poétiques éternels, qu'évoquent Amour et Psyché, Icare, Tristan. Mais il s'agit trop souvent de dissertations qui n'ont pas même connu les honneurs de la publication, ou d'enquêtes fragmentaires limitées à quelques auteurs, à une ou deux littératures, à telle époque donnée, ou encore d'explorations audacieusement menées in der Weltliteratur et qui ne sont, en fait, que des survols et des nomenclatures. Plu­sieurs d'entre elles sont à compléter, à préciser, à élargir ou, tout simplement, à refaire.

D'autres thèmes offrent un champ d'exploitation presque vierge, oubliés ou dédaignés d'un panthéon innombrables qui pro­mettent cependant de passionnantes recherches. Que l'on songe aux grands héros de la Bible : à Adam et Eve au Moyen Age, puis de Hans Sachs à Lipiner, de Lope de Vega à Strindberg, d'Imre Madach à W. Whitman 160; à Samson de S. Brant à H. Bernstein, de Milton à Wedekind, de Pallavicini à Vondel161 ; à Saùl, du Mis-tère du viel Testament à Gide, de Des Masures à Gutzkow, de Byron à Lamartine 162. Que l'on songe, aussi, à Judas, David, Job, Jésus...163.

Pour les figures de la mythologie gréco-romaine, on attend tou­jours les enquêtes définitives sur Endymion, Hélène 164, Iphigénie. Et que dire d'Hercule, animé par Euripide, Sophocle, Sénèque, les Pères, Villena, Cinzio, Rotrou, Marmontel, Klinger, Schiller,

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124 THÈMES ET MYTHES

Goethe et cent autres 1 6 5 ! Quand saurons-nous l'histoire d'Orphée, la plus riche peut-être qui soit, la plus vaste aussi et la plus complexe, qui a suscité des dizaines d'œuvres, des centaines de poèmes, des milliers d'allusions 166? Quand pourrons-nous sui­vre enfin les tribulations d'Ulysse, l'éternel voyageur, dans sa quête millénaire 167 ? Et faisons bon marché encore des géants de l'histoire dont on ignore la véritable fortune littéraire euro­péenne: Jeanne d'Arc, Robespierre, Spartacus, Savonarole, Colomb ou Philippe II, toujours vivants, toujours encensés ou combattus ; et négligeons encore les Hamlet, les Francesca da Rimini, les Eulenspiegel et tant d'autres dont l'odyssée se tisse depuis des siècles et qui ont porté quelques-unes des hautes pen­sées, quelques-uns des espoirs, quelques-unes des souffrances de l'humanité. Tous attendent ces études détaillées, attentives, que nous avons essayé de définir et de décrire dans les pages qui précèdent168.

Au prix de cet effort continu pour respecter et mettre en lumière la richesse et la polyvalence du thème, la thématologie pourra se révéler une discipline nécessaire et jeune, cousine de l'histoire des idées comme elle est fille de l'histoire littéraire. Elle apparaîtra également comme un exercice difficile, aussi éloignée de la pous­siéreuse érudition que de la portée des débutants, une tâche sou­vent exigeante et ardue, ingrate quelquefois, toujours exaltante et neuve, révélatrice de la vie secrète et forte des hautes figures dont nous avons, siècle après siècle, fait nos doubles glorieux.

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NOTES

(1) «. . . per mettere in guardia contro i pericoli di questi lavori di confronto, prediletti dalla vecchia critica e che ora vengono decorati sovente col titolo, alquanto ambizioso, di studi di letteratura comparata». B. Croce, compte rendu de : Charles Ricci, Sophonisbe dans la tragédie classique italienne et française (Torino, G.B. Paravia, 1904), La Critica, II, 1904, p. 486.

(2) P. VAN TIEGHEM, La littérature comparée, Paris, A. Colin, 1931, pp. 87-88.

(3) ETIEMBLE, Comparaison n'est pas raison. La crise de la littérature compa­rée, Paris, Gallimard, 1963 («Les Essais», CIX), p. 80.

(4) Il voyait dans les études thématologiques un jeu qui peut aboutir « à des rap­prochements curieux, à des différences amusantes » (« Les récents travaux en litté­rature comparée», Revue Universitaire, XXIII, 1914, p. 220).

(5) «Plaidoyer pour la Stoffgeschichte», Revue de littérature comparée, XXXVIII,n° 1, 1964, pp. 101-114; Un problème de littérature comparée : les étu­des de thèmes. Essai de méthodologie, Paris, Lettres Modernes, 1965.

(6) A.-M. ROUSSEAU, «Vingt ans de littérature comparée en France», L'Infor­mation littéraire, nov.-déc. 1969, p. 201. Voir aussi : R. TROUSSON, «Les thèmes», dans : Problèmes et méthodes de l'histoire littéraire, Paris, A. Colin, 1974, pp. 28-35 (Actes du Colloque de la Société d'Histoire Littéraire de la France, 18 novembre 1972).

(7) A. DABEZIES, Visages de Faust au XXe siècle. Littérature, idéologie et mythes, Paris, P.U.F., 1967 ; Ch. KREUTZ, DOS Prometheussymbol in der Dich-tung der Englischen Romantik, Gôttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1963 ; L. PRÉMONT, Le mythe de Prométhée dans la littérature française contemporaine, Québec, Presses de l'Université Laval, 1964 ; J. DUCHEMIN, Prométhée, Paris, Bel­les Lettres, 1974; «Le mythe d'Orphée au XIXe et au XXe siècles». Cahiers de l'Association Internationale des Etudes Françaises, 22, 1970, pp. 137-248; B. JUDEN, Traditions orphiques et tendances mystiques dans le romantisme français, Paris, Klincksieck, 1971.

(8) H.J. TSCHIEDEL, Phaedra und Hippolytus. Variationen eines tragischen Konfîikîes, Diss. Erlangen, 1969; R.R. HEITNER, «The Iphigenia in Tauris thème in the drama of the XVIIIth century», Comparative Literature, 1964, pp. 289-305 ; A. HAUSEN, Hiob in der franzosischen Literatur, Bern-Frankfurt/M., Lang, 1972; M.R. JUNG, Hercule dans la littérature française du XVIe siècle, Genève, Droz, 1966.

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126 THEMES ET MYTHES

(9) R. TROUSSON, Socrate devant Voltaire, Diderot et Rousseau. La conscience en face du mythe, Paris, Lettres Modernes, 1967 ; J. VERCRUYSSE, « Jeanne d'Arc au siècle des Lumières », Studies on Voltaire and the Eighteenth century, XC, 1972, pp. 1659-1729 ; M. DESCOTES, La légende de Napoléon et les écrivains fran­çais du XIXesiècle, Paris, Lettres Modernes, 1967 ; J. TULARD, Le mythe de Napo­léon, Paris, A. Colin, 1971 ; G.P. KNAPP, «Robespierre. Prolegomena zu einer Stoffgeschichte der Franzôsischen Révolution», dans: Elemente der Literatur. Beitrâge zur Stoff-, Motiv- und Themenforschung. Elisabeth Erenzel zum 65. Geburtstag, Stuttgart, Krôner, 1980, 2 vol., t. I, pp. 129-154; H.G. BROMFIELD, De Lorenzino de Médicis à Lorenzaccio. Etude d'un thème historique, Paris, Didier, 1972.

(10) P. BRUNEL, Le mythe d'Electre, Paris, A. Colin, 1971 ; A. DABEZIES, Le mythe de Faust. Ibid., 1972; S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone. Ibid., 1974; C. ASTIER, Le mythe d'Oedipe. Ibid., 1974; J. ROUSSET, Le mythe de Don Juan. Ibid., 1978.

(11) L. VINGE, The Narcissus thème in Western European Literature up to the early I9th century, Lund, Gleerups, 1967 ; Y.F.-A. GIRAUD, La fable de Daphné, Genève, Droz, 1969.

(12) M. BELLER, Philemon und Baucis in der europàischen Literatur, Heidel-berg, C. Winter, 1967 ; ÏD., Jupiter tonans. Studien zur Darstellung der Macht in der Poésie. Ibid., 1979; H. ANTON, Der Raub der Proserpina. Ibid., 1967; H. DORRIE, Die schone Galatea, Mùnchen, Francke Verlag, 1968; ID. , Pygmalion, Westdeutscher Verlag Opladen, 1974. Voir aussi A. DINTER, Der Pygmalion-Stoff in der europàischen Literatur. Rezeptionsgeschichte einer Ovid-Fabel, Heidelberg, C. Winter, 1979.

(13) Y.F.-A. GIRAUD, op. cit., p. 7.

(14) Cl. PiCHOiset A.-M. ROUSSEAU, La littérature comparée, Paris, 1967, pp. 145-154; S. JEUNE, Littérature générale et littérature comparée, Paris, Lettres Modernes, 1968, pp. 61-71 ; J. BRANDT-CORSTIUS, Introduction to the comparative study of literature, New York, Random House, 1968, pp. 115-127 ; U. WEISSTEIN, Einfuhrung in die vergleichende Literaturwissenschaft, Stuttgart, 1968, pp. 163-183 ; H. LEVIN, «Thematics and criticism », dans : Essays in literary theory, inter­prétation and history, New Haven and London, 1968, pp. 125-145 ; F. JOST, Intro­duction to comparative literature, New York, The Bobbs-Merril Company, 1974, pp. 175-187 ; H. DYSERINCK, Comparatistik. Fine Einfuhrung, Bonn, Bouvier Ver­lag, H. Grundmann, 1977, pp. 102-112.

(15) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte, Berlin, E. Schmidt Verlag, 1966 ; Stoffe der Weltliteratur, 4. Auflag. Stuttgart, Krôner, 1976 ; Motive der Weltlite-ratur. Ibid., 1976.

(16) Cl. PiCHOiset A.-M. ROUSSEAU, op. cit., p. 153.

(17) Le thème de Prométhée dans la littérature européenne, Genève, Droz, 1964, 2 vol. (2e édition augmentée, 1976).

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NOTES 127

(18) Cf. « Stoff- und Motivgeschichte », dans : Deutsche Philologie itn Aufriss, Berlin, E. Schmidt Verlag, 1957-1960, 2 vol., t. I, pp. 281-332. Avec quelques remaniements, ce texte a paru sous le titre : Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, Stuttgart, J.B. Metzlersche Verlagsbuchhandlung, 1963 (4e éd. 1978).

(19) Elle est signalée par E. FRENZEL {Stoff- und Motivgeschichte, p. 11), M. BELLER («Von der Stoffgeschichte zur Thematologie », Arcadia, V, 1970, pp. 1-38), A.J. BISANZ (« Zwischen Stoffgeschichte und Thematologie », Arcadia, VIII, 1973, pp. 148-166).

(20) F. DE SAUSSURE, Cours de linguistique générale, Ed. crit. Wiesbaden, 1968, p. 42.

(21) M. BELLER {Von der Stoffgeschichte zur Thematologie, p. 36): «Da ' Stoff ' auf die Materialbeziehung beschrânkt bleibt, ' Thema ' dagegen sowohl die Stoffbehandhing umfassen als auch ' Materie ' nàher bestimmen kann, ergibt das allgemeine sprachliche Verstàndnis unserer Begriffe : ' Stoff ' ist nicht gleich 'Thema' , aber 'Thema' schliesst 'S to f f mit ein». Aussi: J. SCHULZE, «Ges-chichte oder Systematik ? », Arcadia, X, 1975, pp. 76-82; H. LEVIN, op. cit., p. 128.

(22) M. ELIADE, Mythes, rêves et mystères, Paris, 1957, p. 18; Aspects du mythe, Paris, 1962, p. 15; M. DELCOURT, Oedipe ou la légende du conquérant, Paris, 1944, p. 223.

(23) Cf. H.J. ROSE, Oxford classical dictionary, Oxford, 1970: «a pre-scientific and imaginative attempt to explain some phenomenon, real or supposed, which excites the curiosity of the myth-maker ».

(24) K.K.RUTHWEN, Myth, London, 1976, p. 18.

(25) D. DE ROUGEMONT, L'amour et l'Occident (Paris, 1939, p. 4) : « Le mythe paraît lorsqu'il serait dangereux ou impossible d'avouer clairement un certain nombre de faits sociaux ou religieux, ou de relations affectives » ; M. SAUVAGE, Le cas Don Juan (Paris, 1953, p. 183) : « Pour qu'il y ait mythe, il faut une croyance qui ne puisse s'affirmer ouvertement ».

(26) R. BARTHES, Sur Racine, Paris, 1963, p. 68. On pourrait en ajouter: «Le mythe est un récit allégorique, qui fait partie d'un système à la fois religieux et poé­tique» (H. MORIER, Dictionnaire de poétique et de rhétorique, Paris, 1961, p. 265) ; ou bien : « exposition d'une idée ou d'une doctrine sous une forme volontai­rement poétique et quasi religieuse, où l'imagination se donne carrière et mêle ses fantaisies aux vérités sous-jacentes » (LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, 7e éd., Paris, 1956), etc.

(27) Mythes et mythologies dans la littérature française, Paris, 1969.

(28) « Le mythe peut fort bien être présent en dehors de tout récit : il est là, sur le vase grec qui représente Ulysse tenté par la voix des Sirènes, dans une image qui tout au plus fait référence à un récit » (P. BRUNEL, « Le mythe et la structure du texte», Revue des Langues Vivantes, XLIII, 1977, p. 519). Du reste, P. Albouy est

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128 THÈMES ET MYTHES

conduit à le reconnaître lui-même : « Si le mythe est toujours un récit, il peut, chez les modernes, l'être seulement par allusion; ainsi le mythe de Narcisse, dès le Moyen Age, va réduisant le récit pour laisser la plus grande place à la situation de l'éphèbe se mirant et languissant » (« Quelques gloses sur la notion de mythe litté­raire», dans: Mythographies, Paris, 1976, p . 267). En fait, au cours de l'évolu­tion, il y a presque toujours tendance à déplacer l'accent de la situation au héros.

(29) A. DABEZIES ( Visages de Faust au XXesiècle, p. 23) observe très justement : «Que le poète accepte de vivre intensément l'aventure intérieure définie par un schéma donné, cela ne le mène pas encore à formuler un mythe, mais simplement une symbolique qui lui reste personnelle ».

(30) C'est aboutir à une regrettable confusion ; le mythe est une référence collec­tive, il est étiologique pour un groupe, alors que l'utopie est un essai de solution individuelle à une situation donnée. Cf. R. TROUSSON, Voyages aux Pays de Nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, 2e éd., Bruxelles, 1979.

(31) J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, Mythe et tragédie dans la Grèce ancienne, Paris, 1973, p. 7. Cf. aussi A. DABEZIES, «Mythes romantiques et mythes d'aujourd'hui. Quelques exemples », Revue des Langues Vivantes, XLIII, 1977, pp. 463-467.

(32) Cf. K.K. RUTHWEN, op. cit., p. 58.

(33) R. CAILLOIS, Le mythe et l'homme, Paris, 1958, p. 181.

(34) Rappelons, entre autres tentatives, celles de A. CHRISTENSEN (Motif et thème. Plan d'un dictionnaire des motifs de contes populaires, de légendes et de fables, Helsinki, Academia Scientiarum Fennica, 1925), P. MERKER («Stoff», « Stoffgeschichte », in : Reallexikon der deutschen Literaturgeschichte, Berlin, W. de Gruyter, 1928-1929, 4 vol., t. III, p. 307), J. PETERSEN (Die Wissenschaft von der Dichtung, Berlin, Jûnker und Dùnnhaupt, 1944, pp. 110-112), W. KAYSER (Dos sprachliche Kunstwerk, 7. AufL, Bern und Mùnchen, Francke Verlag, 1961, pp. 59-60). E. Frenzel a fait l'historique de ces discussions (cf. Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, pp. 21-32).

(35) J.-P. Vernant a très justement attiré l'attention sur les risques d'interpréta­tion psychanalytique de la tragédie grecque. Pour Freud, dans Die Traumdeutung (1900), Oedipe-Roi n'est pas une tragédie de la fatalité, mais la représentation du désir parricide et incestueux de notre enfance, que nous nous efforcions d'oublier. En fait, la théorie freudienne, élaborée à partir de cas cliniques modernes, cherche sa confirmation dans un texte d'une autre époque et situé dans un tout autre con­texte. L'induction de Freud suppose évident ce qu'il eût fallu préalablement démontrer (J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 78).

(36) Cf. E. SAUER, « Die Verwertung stoffgeschichtlicher Methoden in der Lite-raturforschung», Euphorion, XXIX, 1928, p. 225. P. Merker (op. cit., p. 307) résume très bien cette conception en rappelant que «E. Sauer [...] vertreten hat, die beiden Begriffe Motiv und Stoff im literarwissenschathchen Gebrauche dahin

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NOTES 129

abzugrenzen, dass Motiv die allgemeinere thematische Vorstellung umfasst, wàh-rend das Wort 'S to f f die besondere Anwendungs- und Auspràgungsart darstellt ». Dans le même sens, mais à propos de la musique, Littré note que le motif est « la phrase du chant qui domine dans tout le morceau », et que le thème est «un motif suffisamment caractérisé, qui peut servir de sujet [...} pour des variations».

(37) W. KAYSER, op. cit., p. 56 (« Der Stoff ist immer an bestimmten Figuren gebunden, ist vorgangsmàssig und zeitlich und ràumlich mehr oder weniger fixiert»). Comme le dit très bien M. Wehrli (AUgemeine Literaturwissenschaft, Bern, A. Francke, 1951, p. 104), Faust est motif dans la mesure où il donne lieu à un pacte diabolique, thème si on le considère comme l'histoire du seul docteur Faust (« Faust ist als Geschichte eines Teufelpaktes ein Motiv, als Geschichte vom Doktor Faustus ein Stoff»).

(38) De même encore, le motif médecine a fourni de nombreux types de méde­cins, de Diafoirus à Knock, sans se cristalliser cependant en un thème unique ; il n'y a pas non plus de tradition littéraire « fixée » qui unisse le Monsieur Fleurant de Molière, le Monsieur Homais de Flaubert et l'apothicaire bavard de Hermann und Dorothea. Comme le notait H. GOUHIER (Le théâtre et l'existence, Paris, Aubier, 1952, p. 141) : « Le type se définit non par l'absence d'individualité mais par la disparition de la personnalité engagée dans une histoire ».

(39) Il va de soi que la distinction n'est pas toujours aussi facile à établir et que, dans certains cas, on peut passer de l'un à l'autre. Comme le note E. FRENZEL (Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, pp. 42-43), thème et motif peuvent se pré­senter parfois comme des stades distincts de développement d'un organisme com­plexe, mais unique. (« Die Begriffe ' Stoffe ' , ' Motiv ' und ' Symbol ' stehen als ter-minologische Bereiche zwar sachlich scheidbar nebeneinander, sind aber nicht nebeneinander existierende Phànomene verschiedener Herkunft, sondern eher unterschiedliche Entwicklungstadien oder Spielarten eines komplizierten Organis-mus »).

(40) P. VAN TIEGHEM, op. cit., p. 88 ; cf. aussi R. WELLEK et A. WARREN,

Theory of titerature, London, Cape, 1955, p. 39; R. WELLEK, Concepts ofcriti-cism, New Haven, Yale University Press, 1963, p. 57 ; W. KAYSER, op. cit., p. 58.

(41) M.-F. GUYARD, La littérature comparée, 3e éd., Paris, P.U.F., 1961, p. 49.

(42) R. VIVIER, Frères du ciel. Quelques aventures poétiques d'Icare et de Phaé-ton, Bruxelles, La Renaissance du Livre, 1962, p. 8; cf. aussi H.H.H. REMAK, «Comparative literature, its définition and function», in: Comparative Litera-ture: method and perspective, Edited by N.P. Stallknecht and H. Frenz, Southern Illinois University Press, 1961, p. 8.

(43) Aussi K.T. Wais était-il très conscient d'étudier un motif et non un thème en suivant l'opposition père-fils dans la littérature, puisque, de Walter von der Vogelweide à M. Barrés, de Lope de Vega à Emile Augier, de Hans Sachs à H.

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130 THÈMES ET MYTHES

Bordeaux en passant par Grabbe, Klinger, Immermann, Wildenbruch ou Delgado, aucun de ces auteurs n'a créé une situation caractéristique appelée à fonder une tradition, «une lignée littéraire» (cf. K.T. WAIS, DOS Vater-Sohn Motiv in der Dichtung bis 1880, Berlin und Leipzig, W. de Gruyter, 1931 ; 1880-1930, Berlin und Leipzig, W. de Gruyter, 1931).

(44) E. SAUER, op. cit., p. 223 («Nehme ich das hinter dem Stoffe liegende Motiv, dann kann ich nicht mehr Literaturgeschichte, dann muss ich Menschheits-geschichte schreiben »). Cf. aussi E. FRENZEL, Stoffe der Weltliteratur, p. v.

(45) P. VANTIEGHEM, op. cit., p. 96.

(46) M.-F. GUYARD, op. cit., p. 53.

(47) E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symboiforschung, p. 57.

(48) M.-F. GUYARD, op. cit., p . 21.

(49) W. KAYSER, op. cit., p. 58 (« Tatsàchlich ist damit nichts fur die kùnstleri-sche Auffassung und noch sehr wenig fur die literarhistorische getan. Die eigentli-che Arbeît mùsste jetzt beginnen »).

(50) Cf. J. KEUNEN, «Prometheus in de letteren», Kultuurleven, maart-april 1946, pp. 203-206 ; H. ROUSSEAU, « Les métamorphoses de Pandore », Revue des Sciences Humaines, O U , 1961, pp. 323-333. Cf. encore, par exemple, G. STORZ, « Jeanne d'Arc in der europàischen Dichtung », Jahrbuch der deutschen Schiller-gesellschaft, 1962, pp. 107-148.

(51) Cf. nos propres articles sur «Le mythe de Prométhée et de Pandore chez Ronsard» (Bulletin de l'Association Guliaume Budé, 1961, n° 3, pp. 351-359), «Ronsard et la légende d'Hercule» (Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, XXIV, 1962, pp. 77-87), «Quelques aspects du mythe de Prométhée dans l'œuvre poétique de Victor Hugo » (Bulletin de l'Association Guillaume Budé, 1963, n° 1, pp. 86-98).

(52) Cf. L. CELLIER, «Le romantisme et le mythe d'Orphée», Cahiers de l'Association Internationale des Etudes Françaises, n° 10, 1958, pp. 138-157; A. BUCK, « Ueber einige Deutungen des Prometheus-Mythos in der Renaissance », in : Romanica. Festschrift fur G. Rohlfs, Halle, 1958, pp. 86-96; «Der Orpheus-Mythos in der italienischen Renaissance », Krefeld, 1961 (« Schriften und Vortràge des Petrarca-Instituts Kôln» 15), etc.

(53) Cf. A. BUCHNER, Judas Ischariot in der deutschen Dichtung vom Mittelal-ter zur Gegenwart, Freiburg, 1920 ; M.L. DE BRADI, Jeanne d'Arc dans la littéra­ture anglaise, Paris, 1921 ; J.D. FITZGERALD, «La historia de Judit y Holofernes en la literatura espanola», Hispania, 14, 1931 ; W. NEWTON, Le thème de Phè­dre et d'Hippolyte dans la littérature française, Diss. Paris, 1939; P. NEWMAN-GORDON, Hélène de Sparte. La fortune du mythe en France, Paris, 1968, etc.

(54) C. GRILLET, La Bible dans Victor Hugo, Lyon, E. Vitte, 1910; A. PY, Les mythes grecs dans la poésie de Victor Hugo, Genève, Droz, 1963.

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NOTES 131

(55) Et pas seulement la thématologie. J. Starobinski le rappelait à propos des études littéraires en général : « Le positivisme de la fiche [...] est loin de satisfaire aux exigences mêmes de la science positive ; seul un positivisme à la petite semaine, sans vigueur et sans fécondité, se croit dispensé de réfléchir sur sa méthode et sur ses fins » (« Les directions nouvelles de la recherche critique », Cahiers de l'Asso­ciation Internationale des Etudes Françaises, n° 16, 1964, p. 124).

(56) H. LE MAÎTRE, Essai sur le mythe de Psyché dans la littérature française, Paris, Boivin, 1946, p. 4.

(57) Ch. RICCI, op. cit., p. 5.

(58) F. BALDENSPERGER, « Littérature comparée : le mot et la chose », Revue de Littérature Comparée, I, 1921, p. 23. Même opinion sur la discontinuité de la tra­dition chez R. Wellek et A. Warren (op. cit., p. 272). « L'histoire d'un thème sera nécessairement composée de morceaux discontinus », disait déjà P. VANTIEGHEM («La notion de littérature comparée», Revue du Mois, I, 1906, p. 280).

(59) H. BROCHER, Le mythe du héros et la mentalité primitive, Paris, 1932, p. 31.

(60) R. CAILLOIS, Le mythe et l'homme, p. 27.

(61) D . DE ROUGEMONT, Op. cit., p . 5.

(62) Op. cit., pp. 27-28.

(63) On s'en convaincra en lisant des études consacrées pourtant à la seule période médiévale, comme celle, remarquable, de P. SAGE, Hercule et le Christia­nisme (Publications de la Fac. des Lettres de l'Univ. de Strasbourg. Série : « Art et Littérature» 19, Paris, 1955) ou celle de F.PFISTER, «Herakles und Christus» (Archiv fur Religionswissenschaft, Bd. XXXIV, Heft 1/2, pp. 49-60).

(64) Un exemple, qui certes est loin d'être unique : sur le thème d'Antigone, E. FRENZEL (Stoffe der Weltliteratur, pp. 45-47) signale quinze œuvres. Un recense­ment plus poussé (cf. S. Fraisse) en révèle une bonne cinquantaine.

(65) «Stoffe und Motive haben gewisse Charakteristiken, die sie dieser oder jener literarischen Gattung zuordnen. (...) Daher ist es durchaus môglich, die Ge-schichte eines Stoffes oder eines Motives nur innerhalb einer Gattung zu verfolgen, sobald ein innerer Zusammenhang zwischen Stoff und Gattung festgestellt werden kann» («Stoff- und Motivgeschichte», p. 310; cf. aussi Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 81).

(66) S. JEUNE, op. cit., p. 24.

(67) Cf. U. WEISSTEIN, op. cit., pp. 184-197.

(68) Ce complément fait cependant défaut au livre très fouillé de E. LEUBE, For-tuna in Karthago. Die Aeneas-Dido-Mythe Vergils in den romanischen Literaturen vom 14. bis zum 16. Jahrhundert, Heidelberg, 1969.

(69) Y.F.-A. GIRAUD, op. cit., p. 7.

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132 THÈMES ET MYTHES

(70) L. VINGE, op. cit., p. 48 : « In my opinion the literary material may possibly contribute to the interprétation of the workd of art, but the opposite is hardly pos­sible. The history of art, however, can contribute indirectly to the history of lite­rary thèmes in so far as new material is derived from literature for illuminating a picture ».

(71) «Queste ricerche sono di mera erudizione, e non si prestano mai ad una trattazione organica. Esse non ci conducono mai, da sole, a comprendere un'opera letteraria, non ci fanno penetrare mai nel vivo délia creazione artistica. Il loro subietto non è la genesi estetica dell'opera letteraria ; ma o la storia esterna dell'opéra già formata (vicende, traduzioni, imitazioni, etc.), o un frammento del vario materiale che ha contribuito a formarla (tradizione letteraria). I libri, che si tengono strettamente in quest'ordine di ricerche, prendono, di nécessita, la forma del catalogo o délia bibliografia » (B. CROCE, « La ' letteratura comparata ' », La Critica, I, 1903, p. 78).

(72) «Sie [die Stoffgeschichte] hat kein Werturteil, weil îhr ailes gleichwichtig sein muss». — E. SAUER, op. cit., p. 224. Cf. aussi J. STAROBINSKI, op. cit., p. 138: «si l'on veut suivre dans le détail l'expansion d'un thème, [...] rien n'oblige à octroyer aux grands auteurs et aux œuvres réussies une situation privilégiée : les minores et les minuscules auront également droit à toute notre considération ».

(73) W. KAYSER, op. cit., p. 59; cf. aussi R. WELLEK, «The crisis of compara­tive literature », Proceedings of the second Congress of the International Compa­rative Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1959, 2 vol., t. I, p. 152.

(74) Op. cit., p. 23.

(75) «C'est la priver en quelque sorte de sa troisième dimension, écrivait H. Roddier, que de l'étudier hors de tout contexte sociologique. On a peut-être trop oublié qu'à travers la multiplicité des formes littéraires s'exprime l'âme de tout un peuple, ou même d'un groupe de peuples. N'étudier que la forme en soi, c'est le plus souvent ne considérer que les qualité du violon sans se soucier du violoniste. Si l'histoire de l'art apporte des révélations essentielles sur l'évolution de l'humanité, que dire de l'histoire des littératures ? » (« De l'emploi de la méthode génétique en littérature comparée », Proceedings of the second Congress of the International Comparative Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1959, 2 vol., t. I, p. 123.

(76) « Die individuelle Leistung des Dichters gegenùber der Macht der Tradition zeigt sich bereits in der Wahl des Stoffes und danach in dessen besonderer Gestal-tung durch Aenderung, Auslese und neue Verknùpfung der Motive » (E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 51).

(77) F. D E BACKER, «Littérature comparée: questions de méthode», Bulletin de l'Académie Royale de Belgique, Classe des Lettres, 5e série, t. XLV, 1959, p. 209.

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NOTES 133

(78) R. DERCHE, Quatre mythes poétiques (Oedipe - Narcisse - Psyché -Lorelei), Paris, Sedes, 1962, pp. 6-7. Un même souci animait le travail de H. Grâce Zagona, dont le seul titre fait apparaître l'importance, pour ce thème particulier, de la for­mulation esthétique : The legend ofSalome and the principle of Art fort Art's sake (Genève, Droz, 1960). Aussi insistait-elle sur le rôle de «révélateur» du thème: « Never does the artist's manner émerge so clearly as when his treatment of a tradi-tional subject is closely studied. For this reason the comparison of diverse treat-ments of a single thème can be most significant and illuminating. Few literary pro­jetas offer such excellent opportunity to follow the processes of artistic minds and few bring one so near to that unattainable idéal of perceiving the form of a work in its relationship to the subject matter» (p. 11).

(79) Concepts of criticism, pp. 256 et 285.

(80) Ueber Shakespeares dramatische Kunst, 1839. Cité par R. WELLEK et A. WARREN, op. cit., p. 107.

(81) L'expression littéraire dans l'œuvre de Mallarmé, Paris, 1947, p. 10.

(82) Cf. Goethe, 2a éd. Bari, Laterza, 1921, p. 116: «Una poesia, quando diventa superiore a questo modo, cioè superiore a se stessa, discende di grado corne poesia, e sarebbe da dire piuttosto, 'poesia inferiore' ».

(83) Selected Essays, New York, 1932, pp. 115-116.

(84) H. OSBORNE, Aesthetics and criticism, London, Routledge and Kegan Paul, 1955, p. 285. Cf. aussi P. DELBOUILLE, Poésie et Sonorités: la critique con­temporaine devant le pouvoir suggestif des sons, Paris, P.U.F., 1961 («Bibliothè­que de la Fac. de Philosophie et Lettres de l'Univ. de Liège » CLXIII), p. 228 : « Si la valeur suggestive des sonorités existe, elle est nécessairement secondaire, sou­mise au sens ; elle ne peut exister sans lui et l'on ne peut pas oublier que l'essentiel de l'œuvre, le noyau d'où partent et où reviennent tous les effets, reste toujours le sens et ses suggestions ».

(85) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte (Berlin, 1966, pp. 152-153) : « Die Stoff- und Motivgeschichte kann sowohl literar-historische als auch literarpsycho-logische und poetoiogische Ergebnisse zeitigen. Das Idéal wàre, dass in einer Arbeit auf aile drei zugesteuert wiirde, obwohl einem von ihnen der Vorrang einge-ràumt wird. Auch sollten neben den grôsseren stoffgeschichtlichen Zusammenhàn-gen die Einheit des Kunstwerks und das Antlitz des Dichters noch sichtbar bleiben, die Langsschnitt-Technik also mit der Querschnitt-Technik und dem personalmo-nographischen Aspekt kombiniert werden ». A.J. BISANZ (op. cit., p. 158) va dans le même sens : « So kann das Literaturhistorische, oder das Geistesgeschichtliche, oder das Poetoiogische niemals durch einer der beiden anderen ersetzt, sondern nur komplementiert werden».

(86) Visages de Faust au XXe siècle, p. 24.

(87) M. BELLER, Von der Stoffgeschichte zur Thematologie, p. 37.

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134 THEMES ET MYTHES

(88) B. MUNTEANO, « Situation de la littérature comparée. Sa portée humaine et sa légitimité », Proceedings of the second Congress of International Comparative Literature Association, University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1959, 2 vol., t. I, p. 130.

(89) D. ANZIEU, «Freud et la mythologie», Incidences de la psychanalyse, I, 1970, p. 124.

(90) A.J. GREIMAS, «Eléments pour une théorie de l'interprétation du récit mythique», Communications, VIII, 1966, p. 29.

(91) F. RASTIER, «La morale de l'histoire. Notes sur la Matrone d'Ephèse», Latomus, XXX, 1971, pp. 1025-1056.

(92) Cl. LÉVI-STRAUSS, La pensée sauvage, Paris, 1962, p. 31 ; M. MERLEAU-PONTY, «Sur la phénoménologie du langage», dans: Eloge de la philosophie, Paris, 1963, p. 97. Pour un exemple de ce type d'analyse, voir K. STIERLE, « Mythos als Bricolage und zwei Endstufen des Prometheusmythos », dans : Ter-ror und Spiel. Problème des Mythenrezeption. Hrsg. von M. Fuhrmann, Mûn-chen, 1971, pp. 455-472. Ou encore D. BEYERLE, «Die feindlichen Brùder von Aeschylus bis Alfieri» (I), dans: Aufsàtze zur Themen- und Motivgeschichte. Festschrift fur H. Petriconi, Hamburg, 1965, pp. 9-42; (II) Romanistisches Jahr-buch, XVI, 1965, pp. 77-93.

(93) J.-P. VERNANTet P. VIDAL-NAQUET, op. cit., pp. 7-8.

(94) CI. LÉVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Paris, 1958, p. 242.

(95) Voir R. TROUSSON, « Le théâtre tragique grec au siècle des Lumières », Stu-dies on Voltaire and the Eighteenth century, CLV, 1976, pp. 2113-2136.

(96) Cf. P. BRUNEL, Le mythe d'Electre, p. 45: «La diachronie reprend ses droits à partir du moment où l'on s'intéresse à la destinée littéraire du mythe ».

(97) «S'occuper de littérature comparée, écrivait P. Hazard, ce n'est pas se livrer au petit jeu des comparaisons », Civilisation Française, sept. 1919, p. 346.

(98) G. RUDLER, Les techniques de la critique et de l'histoire littéraire, Oxford, Impr. de l'Université, 1923, p. 160.

(99) « Das Riickgrat der Stoff- und Motivforschung » {Stoff-, Motiv- und Symbol-forschung, p. 3).

(100) H. PEYRE, L'influence des littératures antiques sur la littérature française moderne: état des travaux, Yale University Press, 1939, p. 10.

(101) H. LE MAÎTRE, Essai sur le mythe de Psyché dans la littérature française, Paris, Boivin, 1946.

(102) A. LOMBARD, Un mythe dans la poésie et dans l'art. L'enlèvement d'Europe, Neuchâtel, La Baconnière, 1946.

(103) Cf. S. CORNIL, Inès de Castro. Contribution à l'étude du développement du thème dans les littératures romanes, Bruxelles, 1952 (« Mémoires de l'Académie

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NOTES 135

Royale de Belgique, Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques », t. XLVII, fasc. 2).

(104) Nous avons abordé cette question dans : «Servitude du créateur en face du mythe», Cahiers de l'Association Internationale des Etudes Françaises, 20, 1968, pp. 85-98.

(105) «We hâve been too early acquainted with the poetical heroes to expect any pleasure from their revival ; to show them as they already hâve been shown, is to disgust by répétition ; to give them new qualities or new adventures, is to offend by violating received notions ». — S. JOHNSON, Lives of the Engtish poets, Nicho-las Rowe, Ed. by G.B. Hill, Oxford, 1935, t. II, p. 68.

(106) Nous avons étudié cette question de manière détaillée dans : «Monther­lant et la légende de Don Juan », Le Flambeau, 1962, 3-6, pp. 201-210.

(107) Voir R. TROUSSON, « Franz Hellens et Goethe ou l'attraction du mythe », Revue des Langues Vivantes, XXIX, 1963, pp. 499-509.

(108) T.S. ELIOT, « La fonction de la critique», dans : Essais choisis. Trad. par H. Fluchère, Paris, 1950, p. 39.

(109) H.G. TAN, La matière de Don Juan et les genres littéraires, p. 113.

(110) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 44.

(111) Encore ne l'avoue-t-il pas toujours. A propos d'Oedipe, on s'est référé pendant près d'un siècle à l'étude de L. CONSTANS, La légende d'Oedipe étudiée dans l'antiquité, au moyen-âge et dans les temps modernes (Paris, Maisonneuve, 1881) dont le titre alléchant promet beaucoup plus qu'il ne tient, un coup d'ceil à la table des matières suffit pour s'en convaincre : Antiquité, pp. 3-92 ; Moyen Age, pp. 93-372 ; Renaissance et temps modernes, pp. 373-388 ! Il s'agit en fait d'une étude approfondie du Roman de Thèbes.

(112) R. VIVIER, op. cit., p. 7.

(113) «Nachdem im Mittelalter der spanische Dichter Canderon den Mythus in einem Drama behandelt [...] hatte, ruhte der Mythus bis zum Ende des 18. Jahr-hunderts » (O. MANN, Der Prometheus-Mythus in der modernen Dichtung, Pro-gramm der Oberschule Frankfurt a.O., 1878, Nr 84, p. 7).

(114) M. TRESCH, Prométhée et sa race, Satan, Cai'n et Faust dans la poésie. Ecole industrielle et commerciale de Luxembourg. Programme publié à la clôture de l'année scolaire 1908-1909, p. 49.

(115) Cf. les articles de W. BUSKE, « Pygmaliondichtungen des 18. Jahrhun-derts », Germanisch-romanische Monatsschrift, VII, 1915-1919, pp. 345-354 ; J.L. CARR, « Pygmalion and the Philosophes. The animated statue in Eighteenth Cen-tury France», Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, XXIII, 1960, pp. 239-255.

(116) E. KUSHNER, Le mythe d'Orphée dans la littérature française contempo­raine, Paris, Nizet, 1962, p. 67.

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136 THEMES ET MYTHES

(117) Un simple coup d'œil à l'ouvrage si utile de L.-F. FLUTRE, Table des noms propres avec toutes leurs variantes dans les romans du Moyen Age écrits en fran­çais ou en provençal (Poitiers, Centre d'études supérieures de civilisation médié­vale, 1962) permettrait encore de relever des citations, parfois très intéressantes, d'Orphée dans les romans de VEscouffe, de la Violette, d'Enéas, de Flamenca, de Dolopathos, de Floire et Blanche/leur, etc.

(118) O. WALZEL, Das Prometheussymbol von Shaftesbury zu Goethe, 2. Aufl. Munchen, Hueber, 1932.

(119) H. ROUSSEAU, op. cit., p. 334.

(120) « Wie von der Motivgeschichte, so muss sich die Stoffgeschichte auch von der vergleichen Literaturgeschichte loslôsen, denn es wird in der Tat durch die Hereinziehung des Auslandes nicht allzuviel gewonnen, falls es sich nicht gerade um den besonderen Fall handelt, dass eine Stoffgestaltung nachweislich unter aus-landischem Einfluss eine entscheidene Aenderung erfàhrt. [...] Stoffgeschichte sollte daher in erster Linie nur auf nationaler Grundlage betrieben werden» (E. SAUER, op. cit., p. 223). A ce point de vue étroit, on est heureux d'opposer celui, infiniment plus réaliste, d'Etiemble : « La première des tâches qui s'imposent donc aux comparatistes, désormais, c'est de renoncer à toute variété de chauvinisme et de provincialisme, de reconnaître enfin que la civilisation des hommes, où les valeurs s'échangent depuis des millénaires, ne peut être comprise, goûtée, sans référence constante à ces échanges, dont la complexité interdit à qui que ce soit d'ordonner notre discipline par rapport à une langue ou un pays, entre tous privilé­giés» (pp. cit., p. 15).

(121) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 44.

(122) On se fera une idée du potentiel d'universalité des thèmes nationaux en parcourant, par exemple, le bel article de C. CLAVERIA, « Les mythes et les thèmes espagnols dans la littérature universelle », Cahiers d'Histoire Mondiale, VI, 1961 pp. 969-989.

(123) Cela dit sans vouloir restaurer la distinction de P. Van Tieghem entre litté­rature comparée et littérature générale (cf. « La synthèse en histoire littéraire : litté­rature comparée et littérature générale», Revue de Synthèse Historique, XXI, 1921).

(124) Sur ce point, Etiemble est plus sévère et plus exigeant : « Tout se tient dans l'histoire des littératures, et celui-là n'en comprendra jamais une seule, j'entends comprendre, qui n'aura pas un peu mieux que des lumières sur un assez grand nombre d'autres» (op. cit., p. 29).

(125) Op. cit., p. 21. (126) «Die Wahl des Stoffes und seine Wiederbelebung durch einen Dichter

làsst sich hàufig durch innere Verwandtschaft und durch eine verwandte geistige oder gefùhlsmàssige Situation erklàren » (Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 53).

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NOTES 137

(127) Voir R. TROUSSON, «Le Christ dans la pensée de Jean-Jacques Rousseau», Problèmes d'Histoire du Christianisme, 7, 1976-1977, pp. 31-56.

(128) E. KUSHNER, op. cit., p. 18.

(129) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, pp. 67 et 69; J. PETERSEN, « Nationale oder vergleichende Literaturgeschichte ? », Deutsche Vier-teljahrsschrift fiir Literatunvissenschaft und Geistesgeschichte, 1928, Heft 1, p . 51.

(130) Voir J. VERCRUYSSE, « Jeanne d'Arc au siècle des Lumières », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, XC, 1972, pp. 1659-1729.

(131) Voir R. TROUSSON, Socrate devant Voltaire, Diderot et Rousseau. La conscience en face du mythe, Paris, Lettres Modernes, 1967.

(132) E. FRENZEL, Stoff- und Motivgeschichte, p. 306.

(133) C'est à cela qu'aboutissent les considérations de E. FRENZEL {Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 65) sur les «caractéristiques» des goûts natio­naux : dans le traitement d'un thème, les Italiens introduiront la passion, les Fran­çais la jalousie, les Espagnols des substitutions et des déguisements, les Anglais des tirades politiques, les Allemands de la morale ou de la philosophie.

(134) R. ESCARPIT, Sociologie de la littérature, Paris, P.U.F., 1958, p. 6.

(135) M. DÉCAUDIN, compte rendu de A. J. AXELRAD, Le thème de Sophonisbe dans les principales tragédies de la littérature occidentale (Lille, Bibliothèque Uni­versitaire, 1956), Revue des Sciences Humaines, LXXXI, 1957, pp. 231-232.

(136) Cf. E. FRENZEL, Stoff-, Motiv- und Symbolforschung, p. 70.

(137) Il s'agira ici, non d'un historique du thème, impossible à tracer en quel­ques lignes ou même en quelques pages, mais d'une simple réflexion sur la nature du thème d'Antigone, sur sa faculté d'adaptation aux circonstances. Nous avons déjà esquissé ailleurs une courbe schématique de son évolution (« Le thème et l'his­toire : le cas d'Antigone », Revue des Langues Vivantes, XLIII, 1977, pp. 452-462) et consacré quelques études à des expressions isolées du thème en rapport avec le contexte historique (cf. «U Antigone de Bertolt Brecht et l'engagement», Le Flambeau, 1960, 5-6, pp. 361-369; «UAntigone de Pierre-Simon Ballanche», Synthèses, 1960, 167, pp. 96-104 ; « La philosophie du pouvoir dans VAntigone de Sophocle », Revue des Etudes Grecques, LXXVII, 1964, pp. 23-33). Le travail de C. MOLINARI (Storia di Antigone da Sofocle al Living Théâtre, Bari, De Donato, 1977) étudie la succession chronologique des œuvres, mais sans examen du con­texte historique.

(138) On ne saurait d'ailleurs négliger qu'il existait une opposition à Périclès, née du mécontentement de sa politique impérialiste et même de la lourde fiscalité imposée par ses grands travaux d'urbanisme. Cf. J.B. BURY, A history ofGreece, London, 1963, p. 365; B. VICKERS, Towards Greek tragedy, Bristol, 1973, pp. 526-546.

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138 THÈMES ET MYTHES

(139) W.R. AGARD, «Antigone 904-920», Classical Philology, 1937, pp. 263-265.

(140) J.-P. VERNANT et P. VIDAL-NAQUET, op. cit., p. 34.

(141) On se souvient que Hegel, dans ses Principes de la philosophie du droit et dans ses Leçons d'esthétique, avait déjà vu dans la tragédie un conflit de deux droits légitimes qui devraient coexister pour que fût réalisée l'harmonie.

(142) Cf. M.-M. MOUFLARD, Robert Garnier. La Ferté-Bernard, 1961-1964, 3 vol., t. II, p. 137; G. JONDORF, Robert Garnier and the thèmes of poiitical tragedy in the Sixteenth century, Cambridge, 1969, pp. 104-105.

(143) R. LEBÈGUE, La tragédie française de la Renaissance, Bruxelles, 1944, p. 43; cf. aussi V.-L. SAULNIER, La littérature française de la Renaissance, Paris, 1942, p. 92.

(144) J. MOREL, « Le personnage d'Antigone, de Garnier à Racine », Actes du VIP Congrès de l'Association Guillaume Budé, Paris, 1964, p. 104.

(145) J. VAN BAELEN, Rotrou. Le héros tragique et la révolte, Paris, 1965, p. 62.

(146) Cf. K. HEISIG, «Antigone im Draina der romanischen Vôlker», Die Neueren Sprachen, 1963, pp. 160-169; J. MOREL, Jean Rotrou dramaturge de l'ambiguïté, Paris, 1968, pp. 101-102.

(147) Cf. M. BARATTO, « Tyrannie et liberté dans les tragédies d'Alfieri », dans : Le théâtre tragique, Publ. par le C.N.R.S., Paris, 1962, p. 302.

(148) J. DEGEN, Literatur der deutschen Uebersetzungen der Griechen, Erlan-gen, 1801, 3 vol., t. I, p. 419.

V

(149) Voir M. KAÇ «Der Antigone-Mythos auf der tschechischen Bûhne der Gegenwart », dans : Terror und Spiel, pp. 435-454.

(150) On ne tient pas compte ici des traductions ou adaptations (Meurice et Vac-querie, Hofmannsthal, Cocteau, etc.) qui rendent hommage aux qualités esthéti­ques de la tragédie de Sophocle, non au contenu idéologique du thème.

(151) S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone, Paris, 1974, p. 15.

(152) S. FRAISSE, « Le thème d'Antigone dans la pensée française au XIXe et au XXe siècles », Bulletin de l'Association Guillaume Budé, 1966, p. 287.

(153) S. FRAISSE, Le mythe d'Antigone, p. 82.

(154) C'est aussi l'opinion de M. Kac(op. cit., pp. 452-453).

(155) A. DABEZIES, Visages de Faust au XXe siècle, p. 5.

(156) H. DYSERINCK, Komparatistik. Eine Einfuhrung, Bonn, Bouvier Verlag Herbert Grundmann, 1977, p . 103.

(157) On s'en convaincra en lisant le beau travail intitulé : L'empereur Julien. De l'histoire à la légende (331-1715). Etudes rassemblées par R. Braun et J. Richer. Paris, Les Belles Lettres, 1978. Quelle que soit sa qualité, il manque à cette recher­che collective une véritable conception d'ensemble.

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NOTES 139

(158) P. VAN TIEGHEM, La littérature comparée, p. 92.

(159) P. VAN TIEGHEM, ibid., p. 99; M.-F. GUYARD, op. cit., p. 57.

(160) Sur ce beau sujet, on ne retiendra guère que: J.E. PARISH, Pre-Miltonic représentations of Adam as a Christian, Rice Institute Pamphlet, 40, 1953; G. MIKSCH, Der Adam-und-Eva-Stoff in der deutschen Literatur, Diss. Wien, 1954; R.W.B. LEWIS, The American Adam, Chicago, 1955.

(161) Citons : K. GERLACH, Der Simsonstoff im deutschen Drama, Heidelberg, 1929; W. TISSOT, Simson und Herkules in den Gestaltungen des Barock. Diss. Greifswald, 1932. Trop rapide: W. KIRKCONNEL, Thaï invincible Samson. The thème of Samson Agonisies in World literature, Toronto, 1964.

(162) L. HIRSCHBERG, « Saul-Tragôdien », Allgemeine Zeitung des Judentums, 74, 110; M. A. THIEL, La figure de Saùl et sa représentation dans la littérature dra­matique française, Diss. Amsterdam, H.J. Paris, 1926.

(163) Pour Job, il faudrait élargir le travail de A. Hausen (Hiob in der franzô-sischen Literatur, Bern-Frankfurt/M., H. und P. Lang, 1972) ; pour Jésus, le beau Christ romantique de F. Bowman (Genève, Droz, 1973) devrait être précédé d'une étude qui partirait, au moins, du libertinage du premier tiers du XVIIe siècle.

(164) Le livre de P. NEWMAN-GORDON (Hélène de Sparte. La fortune du mythe en France, Paris, Nouvelles Editions Debresse, 1968) ne répond pas aux exigences d'une étude de thème.

(165) Sur la fortune d'Hercule, il n'y a, sauf pour l'antiquité et la Renaissance, rien d'important à signaler.

(166) Outre les travaux déjà cité, tous partiels, notons encore: J. WIEL, Orpheus in der englischen Literatur, Wien, W. Braumuller, 1913 ; P. CABANAS, El mito de Orfeo en la literatura espanola, Madrid, Consejo Superior de Investigacio-nes cientificas, 1948.

(167) Seule étude de quelque étendue : W.B. STANFORD, The Ulysses thème. A study in the adaptability of a traditional hero (Oxford, Blackwell, 1954). Pour un bref survol du théâtre allemand 1904-1925, citons: R.B. MATZIG, Odysseus. Studie zu antiken Stoffen in der modernen Literatur, besonders im Drama, Diss. St Gallen, Pflugverlag Thaï, 1949.

(168) Signalons encore, paru trop tard pour être utilisé ici, le dernier livre de E. FRENZEL, Vom Inhalt der Literatur. Stoff-, Motiv-, Thema, Basel-Wien, 1980.

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INDEX

A bel 23, 25 Adam 77, 123 Ahasvérus 41, 86, 96 Akenside (M.) 89 Alamanni (L.) 74, 111 Abouy (P.) 17,18, 127 Alciat (A.) 72 Alexandre 15, 44 Alfieri (V.) 38, 56, 74, 96, 106, 111 Amphitryon 23, 83, 86, 122 Andréiev (L.) 56 Andromaque 70 Anouilh (J.) 20, 26, 42, 45, 86, 110,

114, 115 Anligone 8, 11, 18, 20, 23, 24, 27, 33,

44, 46, 49, 74, 76, 77, 78, 79, 82, 83, 86, 96, 102, 107, 108, 109, 110, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 131

Anton (H.) I l , 51, 126 Anzieu (D.) 51, 134 Apollonius de Rhodes 88 Apulée 73 Ariane 27, 86, 95 Aristophane 74 Arminius 21, 27, 102, 114 Arnobe 89 Astier (C.) 63, 64, 65, 126 Augustin 89

Bachelard (G.) 17 Baïf (J.A. de) 73 Baldensperger (F.) 41, 53, 131 Ballanche (P.S.) 49, 73, 96, 109 Balzac (H. de) 23, 30, 95 Banier (A.) 72 Barthes (R.) 16, 17, 19, 127

Baucis 11, 58, 99 Baudri de Bourgueil 89 Bayle (P.) 72 Bélier (M.) 11, 16, 58, 99, 126, 127,

133 Benserade (L.) 49, 73, 89 Bérénice 27 Berlioz (V.) 51 Bersuire (P.) 73 Betz (L.P.) 21 Bisanz (A.J.) 127, 133 Boccace (J.) 38, 72, 89 Boèce 37, 97 Bouelles (Ch.) 72 Boulanger (N.A.) 72 Bourges (E.) 46, 88 Bracciolini (F.) 49 Brandt-Corstius (J.) 12, 126 Bronnen (A.) 25 Brumoy (P.) 46, 71, 90 Brunel (P.) 18, 51, 126, 127, 134 Byron (G.G.) 28, 30, 70, 95, 123

Caillois (R.) 20, 43, 128, 131 Cain 23, 25, 26, 27, 28, 29, 69, 87, 92 Calderon (P.) 37, 42, 46, 49, 72, 87,

88 Camoens (L.) 74 Campistron (J.) 102 Cardan (J.) 11 Carducci (J.) 26 Cartari (V.) 72 Cartaud de la Villate 48 Catulle (A.) 49 Chapelain 50, 69 Chapman (G.) 38, 73, 89

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INDEX 141

Chassang (A.) 35 Chénier (A.) 46, 73 Chompré (N.) 72 Christine de Pisan 50, 89 Cinzio(G.)41, 123 Claudel (P.) 56 Cléopâtre 21 Clytemnestre 64 Cocteau (J.) 37, 42, 97 Colardeau 36 Coleridge (S.T.) 50 Colomb 91, 124 Cornes (N.) 72 Conley (C.H.) 35 Cooper (Th.) 72 Corneille (P.) 38, 45, 49, 64, 65, 70 Cortazar (J.) 16 Cossio (J.M. de) 35 Crébillon 25, 26, 64 Croce (B.) 7, 9, 32, 53, 57, 125, 132,

133 Cromwell 44, 76

Dabezies (A.) 11, 51, 58, 82, 116, 123, 125, 126, 128, 138

Dante 57, 87, 89 Daphné 11, 21, 47, 48, 51, 52 Dédéyan(Ch.) 8, 11, 123 Degen (J.F.) 35, 138 Delcourt (M.) 17, 35 Derche (R.) 56, 133 Desmarets de Saint-Sorlin 72 Diderot (D.) 47, 85, 100 Didon 27, 48, 50 Dinter (A.) 89, 126 Dolce (L.) 73 Don Juan 8, 9, 11, 15, 23, 26, 27, 29,

37, 41, 44, 50, 61, 65, 66, 67, 76, 78, 80, 83, 84, 86, 91, 92, 97, 122

Dôrrie(H.) 11, 51, 89, 126 Dryden (J.) 49, 89 Duchemin(J.) 11, 125 Ducis (J.F.) 64, 113 Duhamel (P.) 109 Dumas (A.) 25 Dùrrenmatt (F.) 41 Du Ryer (P.) 73 Dyserinck (H.) 12, 119, 126, 138

Electre 11, 22, 51, 122 Eliade (M.) 17, 19, 127 Eliot (T.S.) 57, 82, 135 Enée 50 Epiméthée 23, 25 Erasme 72 Eschyle 19, 20, 25, 27, 46, 63, 65, 71,

78, 83, 88, 95, 122 Estienne (R.) 72, 89 Etéode23, 25, 77, 108, 113 Etiemble (R.) 7, 17, 70, 90, 93, 94,

125, 136 Euripide 20, 25, 27, 31, 33, 41, 70,

74, 122, 123 Eusèbe 89

Faust 8, 9, 11, 21, 24, 26, 27, 29, 43, 44, 51, 56, 57, 61, 76, 78, 81, 82, 83, 86, 91, 97, 102, 116, 122

Feijoo (B.G.) 72 Feller (F.X.) 72 Ficin (M.) 72 Flaubert (G.) 55, 75 Fraisse(S.) 113, 114, 126, 138 France (A.) 69 Frenzel (E.) 12, 14, 32, 49, 57, 70,

95, 126, 127, 128, 130, 131, 132, 133, 135, 136, 137, 139

Freud (S.) 17, 128 Frisch (M.) 66 Fulgence 73, 89

Galatée 11, 51 Garlande (J. de) 73 Garnier (R.) 74, 108, 109, 115 Gautier (Th.) 29 Gendarme de Bévotte (G.) 123 Genot (G.) 16 Ghelderode (M. de) 23, 37, 97 Gide (A.) 38, 46, 51, 123 Giraud (Y.F.-A.) 11, 47, 51, 52, 99,

126, 131 Giraudoux (J.) 86 Goethe (J.W.) 20, 27, 29, 31, 33, 36,

38, 42, 46, 54, 56, 69, 72, 73, 78, 81, 83, 84, 86, 88, 89, 96, 124

Gounod (Ch.) 51, 82 Gower (J.) 87, 89

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142 INDEX

Grabbe (CD.) 37 Gracian (B.) 49 Greimas (A.J.) 62, 134 Grillparzer (F.) 25 Grimmelshausen 49 Grisélidis 41 Guillaume de Machaut 89 Guillaume Tell 21, 114 Guyard (M.F.) 7, 26, 32, 33, 46, 129,

130, 139 Gyraldi (L.G.) 72

Hamlet 27, 57, 82, 124 Hasenclever (W.) 25, 111 Hauptmann (G.) 25, 31, 87 Hausen (A.) 125 Hazard (P.) 9, 69 Hederich (B.) 72 Heine (H.) 55 Heinemann (C.) 33, 54 Heinsius (D.) 72 Heitner (R.R.) 125 Hellens (F.) 81, 82 Hé mon 11 Hercule 11, 27, 33, 41, 44, 47, 48, 77,

78, 123 Herder (J.G.) 38, 73, 90 Hérodiade 55, 106 Hésiode 20, 36, 83, 93 Hobbes (J.) 49 Hôlderlin (F.) 42 Homère 31, 87 Horace 73 Horn-Monval (M.) 35 Huet (D.) 72 Hugo (V.) 18, 30, 35, 47, 54, 73, 74,

95, 130 Hygin 74

Inès de Castro 8, 74, 123 Iphigénie 11, 31, 33, 55, 122, 123

Jean de Meung 47, 89 Jeanne d'Arc 11, 15, 50, 69, 99, 124 Jésus 27, 28, 30, 47, 71, 86, 96, 123 Jeune (S.) 12, 15, 16, 126, 131 JobU, 123 Johnson (S.) 78

Jonson (B.) 72 Jost (F.) 12, 126 Judas 8, 54, 56, 87, 97, 123 Juden (B.) 11, 125 Jung (C.G.) 18, 22, 93 Jung (M.R.) 125

Kayser (W.) 23, 32, 129, 130, 132 Kazantzakis (N.) 97 Kircher (A.) 72 Kleist (F. von) 70 Klinger (F.M. von) 27, 56, 97, 123 Koch (M.) 8 Kotzebue (A.) 73 Kreutz(Ch.) 11, 125 Kushner(E.) 11, 89, 97, 135

Lactance 89 La Fontaine (J. de) 49, 62, 75, 89 La Motte (H. de) 36, 57, 65, 74 Latrop (H.B.) 35 Lavaur (G. de) 72 Law (H.H.) 32 Leconte de Lisle 25, 26 Lefranc de Pompignan 46, 71, 90, 98 Le Maître (H.) 38, 73, 131, 134 Lesage (A.R.) 36, 46, 73 Lessing (G.E.) 70, 77 Levin (H.) 12, 16, 126, 127 Lévi-Strauss (Cl.) 62, 68, 134 Lombard (A.) 73, 134 Ludwig (O.) 25

Mahomet 29, 91 Mallarmé (S.) 55 Manjred26, 27, 28 Mann (O.) 88, 135 Mann (Th.) 97 Maranon (G.) 29 Marie de France 62, 89 Marie Stuart 35, 44, 46, 55, 56, 91,

106 Marmontel (J.F.) 41, 123 Masaniello 27 Mauron(Ch.) 17 Mauzi (R.) 35 Mazeppa 28, 86 Médée 8, 23, 27, 44, 45, 46, 76, 77,

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INDEX 143

86, 123 Ménandre 38 Ménard (L.) 98 Mercier (L.S.) 48, 100 Mérimée (P.) 25, 84 Merker (P.) 8, 128 Merleau-Ponty (M.) 62 Michelet (J.) 18, 69 Milton (J.)42, 49, 51, 123 Moïse 15 Molière 23, 37, 67, 70 Molinet (J.) 89 Montherlant (H. de) 26, 37, 67, 78,

80, 97 Mortier (R.) 35, 85 Moschus 73 Mozart (W.A.) 67, 86 Munteano (B.) 59, 73, 134 Musset (A. de) 11

Napoléon 11, 27, 44, 51, 91, 102, 106, 109

Narcisse 11, 17, 18, 19, 37, 47, 51, 128

Nashe (Th.) 89 Niobé 27 Novalis 42 Oedipe 8, 11, 18, 19, 22, 23, 25, 33,

43, 63, 64, 65, 70, 77, 93, 109, 113, 135

Oreste 8, 25, 27, 43, 49, 55, 64, 69, 122, 123

Orphée 8, 11, 15, 16, 19, 21, 37, 42, 44, 45, 47, 49, 54, 73, 86, 87, 89, 91, 93, 95, 97, 105, 120, 124

Ovide 19, 42, 73, 101

Pandore 19, 34, 36, 37, 44, 77, 90, 93

Parnell (Th.) 36 Péguy (Ch.) 69 Pellico (S.) 55 Perez de Moya (J.) 72 Pétrone 62 Peyre(H.)71, 134 Phaéton 48 Phèdre 11, 20, 38, 49, 70, 102 Philémon 11, 38, 58

Pichois (CI.) 12, 15, 126 Pindemonte (I.) 102 Pixerécourt (G. de) 55 Platon 100, 108 Plaute 23, 70, 83, 86 Poliziano (A.) 37, 42, 97 Polti (G.) 27 Polynice23, 25, 77, 108, 113 Pomey (F.) 72 Pope (A.) 42 Prémont (L.) 11, 125 Prométhée 8, 11, 13, 15, 18, 20, 23,

25, 27, 28, 29, 30, 33, 36, 38, 44, 45, 46, 48, 63, 65, 71, 73, 76, 78, 83, 86, 88, 89, 90, 93, 96, 99, 101, 105, 120

Proserpine 11,51 Psyché 38, 44, 73, 77, 123 Py (A.) 35, 130 Pygmalion 11, 23, 47, 51, 88, 93, 96,

101

Quevedo (F.) 42 Quincey (Th. de) 69 Quinet (E.) 30, 71,96

Racine (J.) 31, 33, 38, 49, 70, 84, 102, 113, 116

Rastier (F.) 62, 134 Ravisius Textor 72, 89 Restif de la Bretonne 26 Reusner (N.) 72 Ricci (Ch.) 38, 125, 131 Richard (J.P.) 16 Richardson (S.) 26 Rilke (R.M.) 37, 42, 97 Robbe-Grillet (A.) 64 Roman de Perceforest 89 Roman de la Rose 89 Roméo 25, 91 Ronsard (P. de) 42, 47, 72, 73, 130 Rotrou (J. de) 41, 74, 109, 115, 123 Rougemont (D. de) 17, 43, 127, 131 Rousseau (A.M.) 12, 15, 125, 126 Rousseau (J.B.) 57, 73 Rousseau (J.J.) 46, 75, 90, 96, 100 Roussel (J.) 44, 65, 66, 67, 83, 123,

126

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144 INDEX

Ruccellai (G.) 74 Ruthwen (K.K.) 120, 128

Salomé 46 Samson 21, 123 Sardi (A.) 72 Sartre (J.P.) 64 Satan 26, 27, 28, 29 Saw/8, 21, 93, 95, 106, 123 Sauer (E.) 25, 90, 91, 128, 130, 132 Saussure (F.de) 16 Sauvage (M.) 17, 127 Savonarole 106, 124 Scève (M.) 57 Schérer(J.) 57 Schiller (F.) 55, 56, 123 Schlegel (A.W.) 70, 73 Schmitt(F.A.)21, 32 Schulze (J.) 16, 127 Scudéry (G.) 102 Sénèque41, 63, 74, 123 Servandoni (J.N.) 46, 90 Seznec (J.) 72 Shaftesbury 38, 45, 46, 73, 90 Shakespeare (W.) 25, 47 Shaw (G.B.) 69, 70 Shelley (P.B.) 26, 46, 54, 84 Socrate 11, 23, 79, 100 Sophocle 19, 20, 25, 27, 63, 64, 65,

70, 74, 83, 107, 108, 113, 115, 123 Sophonisbe 7, 8, 35, 38, 46, 106, 123 Sorel (G.) 17 Soumet (A.) 69 Spenser (E.) 42 Stace74, 113 Staël (G. de) 77 Stanley (Th.) 71 Starobinski (J.) 131, 132 Stendhal 29, 75 Sternheim (C.) 97 Sturel (R.) 35

Tan(H.G.) 84, 135 Tasso(T.)51 Tertullien 89 Thésée 17 Tirso de Molina 66, 67 Tobler (Ch.) 46, 90

Tresch (M.) 88 Tschiedel (H.J.) 125 Tristan 8, 15, 25, 43, 66, 91, 106, 123 Trousson (R.) 13, 48, 125, 126, 128,

130, 134, 135, 137 Tulard(J.) 51, 126

Ulrici (H.) 56 Ulysse 78, 87, 122, 124 Unger (R.) 56 Unruh (F. von) 25

Valerius Flaccus 88 Valéry (P.) 37, 97 Van Tieghem (P.) 7, 16, 26, 125, 129,

130, 136, 139 Vercruysse (J.) 126, 137 Vernant (J.P.) 19, 20, 107, 128, 134,

138 Vernière (P.) 35 Viau (Th. de) 45, 54 Victoria (B. de) 72 Vida (M.J.) 38 Vigenère (B. de) 72 Vigny (A. de) 57 Villani (F.) 89 Villena(E.)41, 123 Villon (F.) 89 Vincent de Beauvais 89 Vinge (L.) 11, 18, 47, 51, 126, 132 Virgile 19, 101 Vivier (R.) 8, 87, 129, 135 Voltaire 36, 38, 46, 47, 50, 64, 65, 70,

90, 100, 106 Vondel 49, 123 Vossius (G.J.) 72

Walzel (O.) 89, 136 Weber (J.P.) 16 Wedekind (F.) 41, 123 Weinstein (L.) 123 Weisstein (U.) 12, 16, 50, 126, 131 Wellek (R.) 56, 129, 132, 133 Werfel (F.) 25 Wieland (Ch.M.) 36, 46, 73, 90

Young (E.) 46, 89 Yseult 25, 66, 91

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TABLE DES MATIÈRES

Les études de thèmes : hier et aujourd'hui 7 Une terminologie ambiguë 15 Thèmes ou motifs ? 21 Pour et contre les dénombrements entiers 31 La continuité de la tradition historique 41 Thématologie et œuvre en soi 53 Synchronie, diachronie ? Le thème et la structure 61 La recherche des sources et des influences 69 Tradition et création 75 Les limites temporelles et géographiques de l'enquête 85 Préférences d'auteurs, d'époques, de nations 95 Le thème et le contexte historique 105 En guise de conclusion 119 Notes 125 Index 140

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L'auteur

Raymond Trousson, professeur à l'Université Libre de Bruxelles, et membre de l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises, s'est particulièrement intéressé au XVIII* siècle. Divers articles ont étudié la survivance de la culture antique dans les lettres modernes (Diderot, Rousseau, Montesquieu, Claudel, etc.). un livre a analysé la signification du mythe de Socrate dans la littérature militante des Lumières [Socrate devant Voltaire, Diderot et Rousseau, 1967). Il a consacré de nombreuses études à l'influence de Rousseau, en Allemagne ou sur Grétry, Sand, Michelet, Balzac, Maurras, ou à la fortune des Confessions au XIXe siècle ; un ouvrage (Rousseau et sa fortune littéraire, 1971, 2* éd. 1977) a esquissé une étude d'ensemble, de 1750 à nos jours. Il a publié des textes de Fougeret de Monbron (Le Cosmopolite, 1970) et de L.S. Mercier {L'an 2440, 1971). Auteur d'une histoire internationale de l'utopie (Voyages aux Pays de Nulle part. Histoire littéraire de la pensée utopique, 1975, 2 éd. 1979), il a également publié, dans le cadre d'une Bibliothèque des utopies, des textes de Gabriel de Foigny, L.S. Mercier, Tiphaigne de la Roche, Tyssot de Patot, Denis Veiras. Dans le domaine de la littérature comparée, Raymond Trousson a encore retracé l'histoire européenne du mythe de Prométhée (Le frième cfe Prométhée dans la littérature européenne, 1964, 2e éd. 1976) et consacré un livre aux problèmes théoriques des études de thèmes (Un pro­blème de littérature comparée: les études de thèmes, 1965).

Le sujet

Les études de thèmes — aussi appelées Stoffgeschichte ou thématologie — constituent aujourd'hui l'un des secteurs les plus actifs de la recherche en littérature comparée. La présente étude se propose d'offrir une métholologie de ce type de travaux, particulièrement complexes et qui relèvent à la fois de l'analyse des mythes, de l'histoire des idées et de l'histoire littéraire. Elle s'efforce de faire le point sur l'état actuel des travaux et d'éclairer diverses questions fondamentales : distinction entre mythe, thème, type, motif ; thèmes de situation et de héros ; synchronie et diachronie ; structuralisme ; histoire et critique * immanente » ; tradition et création ; extension temporelle et géogra­phique de l'enquête ; le thème et le déterminisme historique, etc. Esquissant une méthodologie, ce travail souhaite susciter une réflexion et non imposer un point de vue. Situées au carrefour de plusieurs disciplines, les études de thèmes apparaissent ici comme une recherche de synthèse, excluant le cloisonnement stérile entre les époques littéraires et entre les littératures, entre la littérature et les autres arts.

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Règles d’utilisation de copies numériques d‘œuvres littéraires publiées par les Editions de l’Université de Bruxelles

et mises à disposition par les Archives & Bibliothèques de l’ULB L’usage des copies numériques d’œuvres littéraires, ci-après dénommées « copies numériques », publiées par les Editions de l’Université de Bruxelles, ci-après dénommées EUB, et mises à disposition par les Archives & Bibliothèques de l’ULB, implique un certain nombre de règles de bonne conduite, précisées ici. Celles-ci sont reproduites sur la dernière page de chaque copie numérique publiée par les

EUB et mises en ligne par les Archives & Bibliothèques. Elles s’articulent selon les trois axes : protection, utilisation et reproduction.

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Reproduction

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