i150 Lebas

4
Scène d’essaimage chez la Fourmi du liège, Crematogaster scutellaris Par Claude Lebas. Les clichés sont de l’auteur Élevons des fourmis Fiche technique d’élevage Insectes 19 n°150 - 2008 (3) L’essaimage ou vol nuptial 12 juin. Il a plu hier soir et, en ce début d’après midi, il fait chaud, lourd. Sans qu’on sache d’où elles viennent, de nombreuses « four- mis volantes » sortent de terre ou viennent se coller au mur de la maison. Elles grouillent sur le trot- toir en une masse noire, toutes ex- citées. Les ouvrières sont très ac- tives et les fourmis ailées (mâles et femelles) vont bientôt prendre leur envol. Qui en grimpant à une herbe, qui en arrivant sur le mu- ret, les autres par un décollage lourd. C’est le vol nuptial, l’essaimage, le rituel qui précède l’accouplement des sexués. Une fois celui-ci accompli avec un ou plusieurs partenaires, au sol ou Nous commencerons par inviter très respectueusement une reine à la maison. Sans heurter sa famille. Nous l’installerons dans un tube où elle fondera sa fourmilière ; bientôt nous ouvrirons à ce petit monde un ter- ritoire de chasse pourvu des ressources qui siéent à leur espèce. Tout au long, nous nous permettrons, sans les déranger, de les observer… Cette « princesse » Lasius piliferus n’a pas encore quitté le nid Trucs pour trouver une reine : r Celles qui marchent sur le trottoir ou sur un chemin. Le noir – pour la chaleur resti- tuée – et le blanc – pour l’attirance de cette zone découverte en milieux distants des habitations – en font des zones favorables aux rassemblements pour les vols nuptiaux. r Celles qui sont attirées par la lumière que l’on trouve au pied des lampadaires la nuit. r Les opportunistes cachées sous de petites pierres collées au sol. Si elle n’a pas eu le temps de creuser, il sera encore temps de la récupérer. Selon les espèces, certaines demeureront dans leur support de prédilec- tion : le bois (arbres morts, branches au sol, galles). en l’air, la future reine, fécondée, va se couper les ailes. Elle y parvient en les pliant, en s’aidant de ses mandibules ou de ses pattes : un point de rupture proche du thorax lui permet de se débarrasser de ses deux paires d’ailes, l’une après l’autre, sans traumatisme. Lui resteront des moignons, souvenir de sa vie ailée. Il lui faut maintenant chercher un nid, un lieu pour fonder, avec quelques ouvrières, ce qui devien- dra une colonie. Le mâle se reconnaît à sa petite tête portant de gros ocelles. Inapte à se nourrir, il ne vit pas plus de 15 jours et meurt une fois son devoir accompli. Épuisé, il restera collé à un mur, une vitre, avec ses cama- rades.

description

FOURMIS

Transcript of i150 Lebas

Page 1: i150 Lebas

Scène d’essaimage chez la Fourmi du liège,Crematogaster scutellarisPar Claude Lebas. Les clichés sont de l’auteur

Élevons des fourmis

Fic

he tec

hn

iq

ue d

’élev

ag

e

I n s e c t e s 1 9 n ° 1 5 0 - 2 0 0 8 ( 3 )

� L’essaimage ou vol nuptial

12 juin. Il a plu hier soir et, en cedébut d’après midi, il fait chaud,lourd. Sans qu’on sache d’où ellesviennent, de nombreuses « four-mis volantes » sortent de terre ouviennent se coller au mur de lamaison. Elles grouillent sur le trot-toir en une masse noire, toutes ex-citées. Les ouvrières sont très ac-tives et les fourmis ailées (mâles etfemelles) vont bientôt prendreleur envol. Qui en grimpant à uneherbe, qui en arrivant sur le mu-ret, les autres par un décollagelourd. C’est le vol nuptial, l’essaimage, lerituel qui précède l’accouplementdes sexués. Une fois celui-ci accompli avec unou plusieurs partenaires, au sol ou

Nous commencerons par inviter très respectueusement une reine à lamaison. Sans heurter sa famille. Nous l’installerons dans un tube où ellefondera sa fourmilière ; bientôt nous ouvrirons à ce petit monde un ter-ritoire de chasse pourvu des ressources qui siéent à leur espèce. Tout aulong, nous nous permettrons, sans les déranger, de les observer…

Cette « princesse » Lasius piliferus n’a pasencore quitté le nid

Trucs pour trouver une reine :r Celles qui marchent sur le trottoir ou surun chemin. Le noir – pour la chaleur resti-tuée – et le blanc – pour l’attirance de cettezone découverte en milieux distants deshabitations – en font des zones favorablesaux rassemblements pour les vols nuptiaux.r Celles qui sont attirées par la lumièreque l’on trouve au pied des lampadaires lanuit.r Les opportunistes cachées sous depetites pierres collées au sol. Si elle n’a paseu le temps de creuser, il sera encore tempsde la récupérer. Selon les espèces, certainesdemeureront dans leur support de prédilec-tion : le bois (arbres morts, branches ausol, galles).

en l’air, la future reine, fécondée,va se couper les ailes. Elle y parvient en les pliant, ens’aidant de ses mandibules ou deses pattes : un point de ruptureproche du thorax lui permet de sedébarrasser de ses deux pairesd’ailes, l’une après l’autre, sanstraumatisme. Lui resteront desmoignons, souvenir de sa vie ailée.Il lui faut maintenant chercher unnid, un lieu pour fonder, avecquelques ouvrières, ce qui devien-dra une colonie.Le mâle se reconnaît à sa petitetête portant de gros ocelles. Inapteà se nourrir, il ne vit pas plus de 15jours et meurt une fois son devoiraccompli. Épuisé, il restera collé àun mur, une vitre, avec ses cama-rades.

Page 2: i150 Lebas

Mâle (à gauche) et femelle de M. barbaruslors d’un essaimage

Reine errante de Lasius alenius

Messor structor : cette future reine vient toutjuste de se débarrasser de ses ailes

Fic

he tec

hn

iq

ue d

’élev

ag

e

I n s e c t e s 2 0 n ° 1 5 0 - 2 0 0 8 ( 3 )

On s’adressera pour ce faire auxforums dédiés 1.Le premier nid sera réalisé dans untube à essai (qui peut être donnéen pharmacie). Du tuyau transpa-rent (type aquariophilie ou jardi-nage) fait tout aussi bien l'affaire(voir réalisation page suivante)..Selon l'espèce, la ponte peut sur-venir quelques heures (cas desLasius sp, Pheidole pallidula,Tetramorium sp...), ou plusieursmois après l'essaimage (plus rare,cas des Messor, par exemple).La diapause hivernale est obliga-toire, la reine ne déclenchant sesfonctions ovariennes qu’après unepériode de froid suivie d’une re-montée en température progres-sive. La ponte s'effectue alors enjanvier ou février. Un passage aufrais entre 10°C et 14°C sur une pé-riode de 4 à 6 semaines suffit. Ungarage, une cave ou, au pire, unbas de réfrigérateur conviennent. Durant cette période, aucune ali-mentation ne sera apportée.

� Premières naissances

Lorsque la reine aura pondu, elleprendra les œufs fécondés, engrappe, entre ses mandibules. Ilsécloront au bout de quelquesjours. Les larves, en forme de vir-gule et au corps segmenté, serontléchées et nourries par trophal-laxie : la reine leur régurgite lecontenu de son jabot social.Selon les conditions d’élevage etl’espèce choisie, le développementlarvaire durera plus ou moins long-temps – au moins trente jours.

Femelles de la Fourmi noire des jardins, Lasiusniger sortant du nid lors d’un essaimage

Lors de l’essaimage les brins d’herbe serviront d’aire d’envol aux individus de la fourmi mois-sonneuse, Messor barbarus

� Élire une reine

Pour créer un élevage de fourmis,il faut trouver une reine. Pour cela,il est inutile de piller un nid : enle-ver la reine d'une fourmilière,c'est condamner la colonie entièreà une disparition pure et simple.Comment procéder ? Pour trouverune future reine – ou gyne – il suf-fit de récupérer un individu sansailes, au gastre démesurémentgros. Une femelle ailée risque derester princesse : elle n’a probable-ment pas été fécondée. En effet,qu’une reine ait coupé ses ailes as-sure à 90% qu’elle soit fécondée.Cependant il arrive parfois qu’unegyne attende une semaine, voirene les coupe jamais à moinsqu’une de ses filles ne lui porteaide ultérieurement.

� Accueillir la reine

Une reine, dont la longévité est deplusieurs années, peut vivre sansmanger pendant plusieurs mois.Elle restera seule, sans l’aided’aucune d’ouvrière.En attendant le retour à la maison,on la placera dans une petite boîteou un tube avec quelques brinsd’herbe pour apporter l’humiditénécessaire par forte chaleur.La reine n’aura pas besoin de s’ali-menter jusqu’à l’émergence de sesfilles, la première génération d’ou-vrières, qui surviendra au bout d’unà plusieurs mois, selon l’espèce. À ce stade, il est judicieux de pro-céder à son identification : toutesles espèces n’ont pas le mêmemode de développement (fonda-tion dépendante, indépendante). 1 En particulier : www.acideformik.com/

Page 3: i150 Lebas

Vestiges alaires après l’arrachage chez unereine

Mâle et gyne de Lasius niger, une espèce idéale pour débuter

Fic

he tec

hn

iq

ue d

’élev

ag

e

I n s e c t e s 2 1 n ° 1 5 0 - 2 0 0 8 ( 3 )

L’alternance de deux périodesdiurne et nocturne de douzeheures, l’une à 25°C et l’autre à20°C ou moins, constitue desconditions optimales au développe-ment. L’élévation de la températureest fournie par une source de cha-leur (lampe de bureau, nappe à cha-leur), contrôlée car tout excès peutêtre fatal. Les chocs thermiques en-traînent une condensation préjudi-ciable dans le tube. Durant cettephase, la reine s’occupera essentiel-lement d’alimenter sa progénitureet de la nettoyer.

À la nymphose, les Formicinés vonttisser un cocon incorporant les dé-bris alentours, les Myrmicinées etles Dolichoderinés resteront nues.Quelques jours avant l’émergence,la nymphe va devenir grise, puisnoire, émettant des phéromones.Alertée, la reine va alors la tapoterde ses antennes. Voici bientôt la pre-mière ouvrière sur ses six pattes.Tout de suite, elle s’affaire à relayerla reine dans les soins apportés auxlarves sœurs. Désormais, la reine seconsacrera à la ponte, jusqu’à la finde sa vie. � Du calme !

Un élevage a besoin de calme. Untube qui tombe, des vibrations… etla reine de manger ses œufs.

� Un premier nid

On fait déboucher le tube sur unrécipient non couvert : c’est l’airede chasse, où les ouvrières fourra-geront (elles sortiront du nid à larecherche de la nourriture). Coquines, les fourmis profitent dela moindre possibilité d’évasion.Pour les confiner, on appliquera del’huile de paraffine (à acheter enpharmacie) sur le bord des boîtes.C’est un anti-évasion fiable, si l’ap-plication est bien faite. Éviter les ex-cès qui englueraient les ouvrières.Du talc (inodore) fait également l’af-faire : les ouvrières détecteront cettepoussière avec leurs antennes ets’écarteront de cet élément incom-patible avec la communication an-tennaire. Il s’applique avec du cotonen tamponnant et en retirant les ex-cédents – qui peuvent s’avérer dan-

gereux pour les fourmis – avantl’installation de la fondation. Quelle nourriture leur fournir ?Toutes n’ont pas le même régimealimentaire. Il est donc essentielde connaître le genre auquel ap-partient la fourmi en élevage ou, àdéfaut, proposer un choix de nour-riture.Aux fourmis granivores (Messor sp)qui n’assimilent pas le sucre, ondonnera des graines à oiseaux, dela salade, du gazon… écrasés puisentiers.Aux autres, la nourriture carnéeconviendra : par exemple, un petitmorceau de tête de mouche, quel'on dépose à l'entrée du tube,après avoir enlevé furtivement lebouchon de coton. Des insectesd’élevages parallèles coupés : téné-brions, grillons, drosophiles,blattes. Ou encore du jambonblanc, de l’œuf cuit… Sont appro-priés, comme aliments liquides, del'eau miellée, du lait concentré su-cré ou toutes préparations riches

Page 4: i150 Lebas

Fondation : gyne et premières ouvrières de Messor barbarus

Fic

he tec

hn

iq

ue d

’élev

ag

e

I n s e c t e s 2 2 n ° 1 5 0 - 2 0 0 8 ( 3 )

L’auteur

Claude Lebas est membre del’OPIE Languedoc-Roussillon et del’Association française de myrmé-cologie.Courriel : [email protected]

en sucre ; pour éviter les noyades,on en imprégnera un petit mor-ceau de coton. Pour ne pas salir letube, le liquide sera déposé sur unsupport (papier d'aluminium...) àl'entrée du tube. La distribution nesera effectuée qu’une fois par se-maine. Ce qui n’est pas consommésera retiré avant dégradation.

� Un plus grand nid

La reine a maintenant une ving-taine d’ouvrières : il est temps deleur préparer un nid conséquentet durable et donc, de préférence…en dur. On évitera la terre : lesfourmis s’y cacheraient, l’humiditéserait difficile à maîtriser, algues,champignons et autres acariens sedévelopperaient. Le choix ira versle plâtre (classique, mais peu du-rable) ou le béton cellulaire, stable,facile à creuser, préférable.Ce sujet sera traité ultérieurementdans Insectes. En attendant, la réa-

1 : tube cristal en jardinerie d’une longueur de10 cm

Premières larves chez Lasius niger

Premier nid : l’aire de nourrissage est une simple boîte dans laquelle débouche le tube. Plus simple,déposer le tube sur le fond de la boîte (à droite).

2 : bouchon avec colle de pistolet à chaud oucolle silicone

3 : verser de l’eau sur 3 cm

7 : montage final

8 : équivalent avec un tube à essai

4, 5 et 6 : prendre du coton et le rouler enboule. Il doit en forçant entrer dans le tube lisation de ces premières étapes

fondatrices vous apportera déjà denombreuses satisfactions ! r

Dessin Yan Galez