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Droit pénal approfondi Exposé du 6 Mars 2007 Peut-on encore affirmer comme le Doyen Carbonnier que le complice et l’auteur principal sont « cousus dans le même sac »? Introduction L’ancien article 59 du Code pénal disposait : « Les complices d’un crime ou d’un délit seront punis de la même peine que les auteurs mêmes de ce crime ou de ce délit, sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement ». Cet article a été interprété comme constituant la consécration du système de la criminalité d’emprunt, ce qui a pu faire dire au Doyen Carbonnier que « le complice est cousu dans le même sac que l’auteur principal » 1 . La réforme du Code pénal intervenue en 1992 peut nous faire douter de la véracité de cette image aujourd’hui. Elle a en effet substitué à la précédente disposition un nouvel article 121-6 qui par sa rédaction paraît bouleverser les canons traditionnels du droit de la complicité : les complices étant désormais punis « comme auteurs », et non plus « comme les auteurs », il n’y aurait donc plus d’emprunt de pénalité 2 Le complice est « celui qui, par aide ou assistance, facilite la préparation ou la consommation d’une infraction, sans en réaliser lui-même les éléments constitutifs, ou encore provoque une infraction ou donne des instructions pour la commettre » 3 . Ainsi lorsque l’infraction a été commise à la suite d’une entente préalable, par des protagonistes qui sans l’accomplir personnellement, en ont favorisé la commission par l’auteur, il y a complicité 4 . Le complice, par l’acte qu’il a accompli, a donc participé plus ou moins intensément à la commission de l’infraction. Pour 1 Jean Carbonnier « Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du Code pénal », JCP 1952, I, 1034. 2 Desportes et Le Guenec « Présentation des dispositions du NCP », JCP 1992, I, 3615 3 Lexique Dalloz des termes juridiques 4 Philippe Slavage, Jurisclasseur pénal « Complicité » 1

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Droit pénal approfondiExposé du 6 Mars 2007

Peut-on encore affirmer comme le Doyen Carbonnier que le complice et l’auteur principal sont « cousus dans le même sac » ?

Introduction

L’ancien article 59 du Code pénal disposait : « Les complices d’un crime ou d’un délit seront punis de la même peine que les auteurs mêmes de ce crime ou de ce délit, sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement ». Cet article a été interprété comme constituant la consécration du système de la criminalité d’emprunt, ce qui a pu faire dire au Doyen Carbonnier que « le complice est cousu dans le même sac que l’auteur principal »1. La réforme du Code pénal intervenue en 1992 peut nous faire douter de la véracité de cette image aujourd’hui. Elle a en effet substitué à la précédente disposition un nouvel article 121-6 qui par sa rédaction paraît bouleverser les canons traditionnels du droit de la complicité : les complices étant désormais punis « comme auteurs », et non plus « comme les auteurs », il n’y aurait donc plus d’emprunt de pénalité2

Le complice est « celui qui, par aide ou assistance, facilite la préparation ou la consommation d’une infraction, sans en réaliser lui-même les éléments constitutifs, ou encore provoque une infraction ou donne des instructions pour la commettre »3. Ainsi lorsque l’infraction a été commise à la suite d’une entente préalable, par des protagonistes qui sans l’accomplir personnellement, en ont favorisé la commission par l’auteur, il y a complicité4.

Le complice, par l’acte qu’il a accompli, a donc participé plus ou moins intensément à la commission de l’infraction. Pour déterminer quelle pouvait être alors sa responsabilité, différentes théories ont été élaborées. Elle consiste à établir entre l’acte de l’auteur principal et celui du complice un lien plus ou moins fort.

La théorie de la criminalité d’emprunt (ou système de délit unique) part du constat selon lequel l’acte de complicité est dépourvu de criminalité propre. Il n’existe donc pas de complicité sans infraction principale. « Il ne prend un caractère pénal que par référence à l’infraction commise par l’auteur »5. Il est de ce fait nécessaire qu’il existe un acte principal punissable dont l’acte de complicité n’est que l’accessoire et dont il « emprunte » la criminalité. Le sort du complice est alors lié à celui de l’auteur et il est susceptible de tomber sous le coup des mêmes qualifications et d’encourir les mêmes peines.

Différentes critiques peuvent être formulées à l’encontre d’une telle théorie.La première d’entre elles a trait au fondement même de ce système.

1 Jean Carbonnier « Du sens de la répression applicable aux complices selon l’article 59 du Code pénal », JCP 1952, I, 1034.2 Desportes et Le Guenec « Présentation des dispositions du NCP », JCP 1992, I, 36153 Lexique Dalloz des termes juridiques4 Philippe Slavage, Jurisclasseur pénal « Complicité »5 Philippe Salvage, Jurisclasseur pénal « Complicité »

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En effet, la théorie de la criminalité d’emprunt dans son assertion la plus radicale, en niant l’existence d’une criminalité propre à l’acte de complicité, fait fi de toutes les particularités qu’un tel acte peut revêtir, tant en ce qui concerne le rôle causal du complice -qui serait donc équivalent à celui de l’auteur principal dans la réalisation de l’infraction-, que relativement à sa responsabilité pénale -qui serait identique à celle de ce dernier. Considérer que l’acte de complicité s’en tient à « emprunter » la criminalité de l’acte principal constitue alors une méconnaissance du rôle original tenu par le complice et des particularités de son acte, contrairement à la réalité criminologique. En effet l’expression « emprunt de criminalité » implique un transfert, une communication d’un caractère qui est la criminalité depuis l’action de l’auteur principal vers celle du complice.Selon cette théorie les actes du complice seraient intrinsèquement innocents, et seule son intention coupable leur communique la perversité de ceux de l’auteur principal. Or un acte n’est pas innocent ou coupable en lui-même, mais selon l’environnement au sein duquel il se développe, selon l’influence qu’il a sur l’agencement du monde extérieur. L’acte du complice et du criminel ne sont pas plus « criminels » l’un que l’autre, la différence tient seulement à ce que, dans la chaîne des causes, le geste de l’auteur est plus proche de la réalisation d’un évènement que la loi pénale interdit. S’il y avait vraiment une différence intrinsèque de criminalité entre l’action des deux agents, la jurisprudence et la loi ne pourraient pas, aussi facilement qu’elles le font, mêler complicité et coaction. Les actions sont donc criminelles non pas à raison de leur nature intrinsèque mais à cause des circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu de du préjudice qu’elles ont ou auraient pu déterminer.Il reste cependant que quelque chose « s’emprunte », se transmet d’une action vers l’autre : la qualification juridique. Ainsi, l’acte de l’auteur principal et celui du complice reçoivent une qualification commune (par exemple meurtre et complicité de meurtre) laquelle est fondée sur le comportement de l’auteur principal. Ce système mérite donc le nom « d’unité de qualification ».6

Pour remédier à une telle critique, a été élaboré le système dit de « l’emprunt relatif de criminalité » en vertu duquel le complice serait soumis aux mêmes qualifications pénales que l’auteur principal mais encourrait une peine atténuée par rapport à celui-ci. La moindre répression du complice dans ce cas est liée à sa moindre participation à la réalisation de l’infraction. Néanmoins, un tel système ne saurait être généralisé, car il omet les hypothèses, nombreuses, où le complice joue un rôle primordial voire déterminant dans la commission de l’infraction par l’auteur principal.

La seconde critique encourue par le système de l’emprunt de criminalité tient aux applications malheureuses auxquelles il peut donner lieu.Tout d’abord, l’emprunt de criminalité laisse impunies certaines « provocations dangereuses et immorales »7. En effet, dès lors que l’acte principal ne constitue pas un comportement punissable, le complice ne risque pas d’engager sa responsabilité pénale quand bien même il aurait provoqué, aidé ou assisté une personne à commettre un acte gravement préjudiciable pour elle-même. Ce fut le cas pour l’aide ou la provocation au suicide jusqu’en 1987, date à laquelle une loi est venue ériger en délit autonome un tel comportement8. Le nouveau code pénal de 1994 a ainsi institué différents délits venant incriminer des actes choquants mais dépourvus de tout caractère délictueux. Ainsi en est-il de la provocation de mineurs à la

6 J-H Robert « Imputation et complicité », JCP 1975, I, 27207 Desportes et Le Gunehec « Le nouveau droit pénal », Tome I8 La loi du 31 décembre 1987 est intervenue à la suite de la parution du livre « Suicide mode d’emploi » qui détaillait les différentes façons de mettre fin à ses jours.

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consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques (Art. 227-19 C.Pén.), et de la provocation de mineurs à la mendicité (Art. 227-20 C.Pén.). En outre, le système de l’emprunt de criminalité garantit l’impunité du complice qui a provoqué à une infraction ni commise ni tentée. En effet, dans le célèbre arrêt Lacour9, la chambre criminelle a confirmé l’impunité d’un individu qui avait remis une somme d’argent à un homme de main pour qu’il tue sa femme, celui-ci ayant empoché l’argent sans commettre le forfait. Ainsi, malgré la dangerosité du comportement du mari, celui-ci a bénéficié du revirement de l’homme soudoyé alors qu’il y était totalement étranger. Le projet de Code pénal déposé par le gouvernement en 1986 a tenté de pallier cette impunité choquante en prévoyant d’incriminer la provocation non suivie d’effet, proposition qui n’a finalement pas été retenue lors des votes parlementaires.Enfin, un tel système conduit à faire subir au complice certaines causes d’aggravations encourues par l’auteur principal, auxquelles il peut sembler étranger. A l’inverse, il peut échapper à d’autres circonstances aggravantes qui auraient été retenues contre lui s’il était un coauteur. Pour reprendre un exemple traditionnel, c’est ainsi que, selon ce système, le complice du meurtre de son père n’encourt pas la peine de parricide, faute pour l’auteur principal de n’avoir aucun lien de parenté avec la victime (sous l’empire de l’ancien code pénal, la jurisprudence avait néanmoins remédier à de tels inconvénients en élaborant la théorie de la complicité corespective).

La théorie du délit distinct (ou système de la pluralité d’infraction) fait de chaque participant l’auteur d’une infraction autonome. Ainsi la responsabilité de chacun d’eux est envisagée sans référence à celle des autres, par rapport à leur comportement respectif et aux actes qu’ils ont individuellement accomplis.

Cette théorie n’échappe pas non plus à la critique, en ce qu’elle revient à nier l’existence même de la complicité en rejetant toute relation entre les protagonistes. Ce faisant elle refuse la réalité criminologique de la complicité, qui consiste en une activité criminelle collective.

Une variante a donc été élaborée en vue d’échapper à de telles critiques. Elle consiste à considérer que la complicité est un délit distinct, qui dépend néanmoins de l’infraction principale en ce que l’acte du complice ne peut exister sans elle. Ainsi, quand bien même acte principal et acte de complicité sont dépendants, ce dernier ne procède pas pour autant à un « emprunt de criminalité ». Le complice se rend coupable d’un délit autonome apte à encadrer toute autre sorte de délit, et encourt de ce fait légitimement les mêmes peines que l’auteur principal. C’est en réalité cette analyse que développe le Doyen Carbonnier.

Enfin, une autre théorie vise à faire de la complicité une cause d’aggravation de l’infraction principale, car les infractions commises collectivement seraient les plus efficaces et seraient le fait des délinquants les plus dangereux.

Le droit français a dû réaliser un choix parmi les différents systèmes proposés. La solution admise sous l’empire de l’ancien Code pénal semble cependant avoir été abandonnée avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal en 1994.

Le Code pénal de 1810 avait consacré la théorie de la criminalité d’emprunt dans son absolu. Ce choix résultait de l’ancien Art. 59, dont deux règles découlaient. D’une part, le complice ne pouvait être sanctionné qu’en présence d’un fait principal punissable, à savoir 9 Crim. 25 octobre 1962, JCP, 1963, II, 12985

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une infraction consommée, ou une tentative punissable. D’autre part, il encourait une sanction identique à celle applicable à l’auteur principal. Ainsi, l’ancien Code pénal avait adopté le système de l’emprunt absolu de criminalité ainsi que son corollaire tenant à l’emprunt de pénalité.L’Art. 59 pouvait cependant donner lieu à trois interprétations possibles : appliquer au complice la même peine que celle prononcée contre l’auteur (mais ce serait contraire au principe d’individualisation de la sanction), punir le complice de la peine qu’il aurait encourue s’il avait été auteur (mais ce serait contraire à la formulation du texte), ou soumettre le complice à la même peine que celle encourue par l’auteur. C’est cette troisième solution qui a été retenue : il y avait identité des peines encourues par l’auteur et le complice, et non identité des peines effectivement appliquées. Le complice « empruntait » donc la pénalité applicable à cet auteur. Parfois cependant le complice pouvait subir une peine différente, en raison d’exceptions légales. Il faut noter que la référence à la peine encourue par l’auteur principal signifiait que le complice encourait, le cas échéant, une peine aggravée ou diminuée par certaines circonstances particulières, à l’exception toutefois des circonstances purement personnelles à l’auteur principal, telle que la récidive.Le Doyen Carbonnier s’est néanmoins soulevé contre cette interprétation de l’Art. 59. Il n’y voyait pas la consécration du système de la criminalité d’emprunt mais considérait que l’on pouvait seulement en déduire un emprunt de la pénalité de l’auteur principal par le complice. Selon lui en effet, pour admettre la criminalité d’emprunt, il faut la démontrer rationnellement, or :

- les explications psychologiques (sans avoir personnellement commis le délit le complice a voulu que celui-ci soit commis, donc par sa volonté il l’a fait sien) n’ont pas été reprises par la jurisprudence

- l’explication matérialiste (le délit étant le produit d’une réunion de conditions, chacune d’elles est la cause du tout puisque sans elle rien n’aurait eu lieu, donc l’entière criminalité du fait est imputable à chaque participant) aboutirait à la responsabilité de tout homme complice de tout le mal qui survient dans l’univers

- l’explication par la fiction juridique (pas d’autre justification que celle de l’utilité pratique) est erronée car une criminalité ne peut être fictive, c’est quelque chose de « charnel, d’anthropologique »

Il estimait donc que la complicité pouvait constituer un délit distinct accessoire conditionné à l’exigence d’une action principale délictueuse. Le déclenchement de la répression de ce délit serait donc subordonné à la constatation de la criminalité d’un autre acte.

Règles de la complicité avant 1994   : Existence d’un fait principal punissable consistant en un crime ou un délit (sauf cas où

la loi prévoyait expressément la répression de la complicité de contravention), donc non prescrit, commis ou tenté, et pas de fait justificatif pour l’acte principal.

Participation consciente et volontaire à une infraction déterminée. L’acte de complicité devait consister en un acte positif consommé, antérieur ou

concomitant à l’infraction principale. Cas de complicité limitativement énumérés à l’Art. 60 CPén :

- Provocation par certains moyens eux-mêmes énumérés- Instructions- Fourniture de moyens- Aide ou assistance- Certains cas de recel

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Prise en compte des circonstances aggravantes subies par l’auteur principal pour déterminer la peine applicable au complice (sauf circonstances personnelles à l’auteur).

En outre, seule la complicité de crime ou délit était punissable, à l’exception toutefois des cas où la loi prévoyait expressément la répression de la complicité de contravention. L’agent secondaire devait s’être associé en connaissance de cause à l’infraction principale, et l’acte de complicité devait consister en un acte positif antérieur ou concomitant à l’infraction principale. Les cas de complicité étaient limitativement énumérés à l’Art. 60 CPén (provocation par certains moyens eux-mêmes énumérés, instructions, fourniture de moyens, aide ou assistance, et certains cas de recel). Pour déterminer la peine applicable au complice, il s’agissait de se référer à la peine légalement applicable à l’auteur principal. Le juge prenait donc en compte les mêmes circonstances aggravantes, à l’exception des circonstances aggravantes personnelles à l’auteur principal.

Depuis l’entrée en vigueur du Nouveau Code pénal en 1994, l’Art. 59 a été remplacé par l’Art. 121-6 qui dispose que « sera puni comme auteur le complice de l’infraction au sens de l’Art. 121-7 ».Ainsi, le complice n’est désormais plus puni « comme l’auteur » mais « comme auteur ». La suppression de l’article « l’ » a été gouverné par le souci d’adapter les règles de la complicité au principe inédit de responsabilité pénale des personnes morales et d’assurer une cohérence de la matière en cas de complicité entre une personne physique et une personne morale. Cette nouvelle règle marque donc l’abandon de la pénalité d’emprunt, au profit d’un « principe d’assimilation du complice à un auteur »10. Il ne semble pas cependant que le législateur ait eu la volonté des conséquences bien plus importantes qu’induit une telle modification.Le NCP a procédé à quelques modifications substantielles.

Règles de la complicité modifiées par le NCP   : Introduction d’une exception générale à l’impunité de la complicité de contravention,

en cas de complicité par provocation ou par instructions. Ajouts de quelques contraventions pour lesquelles la participation par aide ou

assistance est exceptionnellement réprimée.

Il a ainsi introduit une exception générale à l’impunité de la complicité de contravention en cas de complicité par provocation ou par instructions. Il a en outre ajouté quelques contraventions pour lesquelles la participation par aide ou assistance est exceptionnellement réprimée.

Pour le reste, il n’y a pas eu de véritables changements. Cependant certaines règles qui ne se voulaient pas des règles de fond, ont eu des répercussions insoupçonnées sur le régime de la responsabilité du complice. Tel fut le cas de la nouvelle rédaction de l’Art. 121-6 qui en punissant le complice non plus « comme l’auteur » mais « comme auteur » a bouleversé la théorie même de la complicité retenue par le droit français jusque là.

Il semble donc que le nouveau code pénal a maintenu le système de l’emprunt de criminalité tout en lui ôtant son caractère absolu (I). Face aux inconvénients que peut présenter un tel système, des atténuations ont paru nécessaires tant au législateur lui-même, qu’aux juges, dans un souci de répression plus accrue du complice (II).

10 Desportes et Le Gunehec « Le nouveau droit pénal », Tome I

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I / Le sort de la théorie du délit unique et de ses corollaires sous l’empire du nouveau Code pénal

On peut considérer que complice et auteur principal restent « cousus dans le même sac » en ce que l’acte du complice ne revêt toujours pas de criminalité propre et qu’il est toujours analysé par référence à un fait principal, qui doit être punissable pour permettre la répression du complice (A). Néanmoins cette « couture » si stricte avec le Code pénal de 1810 tend à s’effilocher depuis la réforme de 1994 puisque pénalité du complice et de l’auteur principal sont désormais autonomes (B).

A / Le maintien du système de la criminalité d’emprunt

La criminalité d’emprunt signifie qu’on ne peut condamner le complice que s’il existe un fait principal punissable. Le maintien de la règle de l’emprunt de criminalité ne fait pas de doute. La repression de la complicité suppose donc toujours l’existance d’une infraction principale11. En effet, même si l’Art. 121-6 CPén n’exige pas expressément l’existence d’un fait principal punissable, certains indices permettent néanmoins de déduire que la réforme du Code pénal a préservé cette condition nécessaire à la répression du complice. L’Art. 121-6 parle de « complice de l’infraction ». Il impose donc, préalablement à la répression du complice, qu’une infraction soit effectivement constituée. De la même façon, l’Art. 121-7 évoque « le complice d’un crime ou d’un délit » concernant la complicité par aide ou assistance, et « la personne qui aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre » pour la complicité par provocation et instructions. Cela signifie que seule compte l’existence d’un fait principal punissable : peu importe, donc, qu’il y ait ou non un auteur principal effectivement puni ou même simplement punissable. Dès lors que la cause d’impunité est personnelle à l’auteur, elle n’efface pas le caractère délictueux de l’acte. Trois conséquences en découlent alors :

Tout d’abord, un acte principal non constitutif d’une infraction ne permet aucune répression du complice. Ce cas correspond à différentes hypothèses :

i. Le fait principal ne correspond à aucune qualification pénale (ex. : un suicide). ii. L’acte principal n’est pas punissable (ex. : le premier terme d’une infraction

d’habitude).iii. L’auteur principal s’est arrêté au stade des actes préparatoires ou s’est

volontairement désisté (la tentative de complicité n’est pas punissable)iv. L’acte du complice se rattache non pas à l’infraction principale mais à un autre

acte de complicité. La complicité de complicité n’est pas non plus punissable. Cependant des nuances doivent être apportées à cette solution traditionnelle. En effet, dans un premier temps la jurisprudence interprétait de façon stricte l’Art. 60 al.3 de l’ancien Code pénal qui évoquait « ceux qui auront […] aidé ou assisté l’auteur ou les auteurs de l’action », pour refuser d’admettre la complicité de complicité quand bien même il s’agissait d’une participation en connaissance de l’entreprise criminelle12. Mais l’arrêt rendu par la chambre criminelle le 10 octobre 198813 a pu faire douter de cette solution. Ces doutes furent confirmés par la suite14 et il a semblé, à compter de ces arrêts, que la Cour de cassation retînt la complicité de complicité. Celle-ci serait donc punissable dès lors que l’agent, quel que soit son numéro de maillon, est conscient de sa participation à une chaîne criminelle.

11 Desportes et Le Guenec « Présentation des dispositions du NCP », JCP 1992, I, 361512 Crim. 17 novembre 1944, Gaz.Pal. 1945, I, 43 ; Crim. 29 novembre 1946, Gaz. Pal. 1947, I, 25.13 Crim 10 octobre 1988, Gaz. Pal. 1989, I, 189.14 Crim. 30 mai 1989, Bull. Crim. n° 222 ; Crim. 15 décembre 2004, Bull. crim. n° 322.

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v. Il y a prescription de l’infraction principale.vi. L’infraction est couverte par une amnistie à caractère réel.

La complicité est toujours un délit intentionnel. Donc on en déduit l’impunité de l’auxiliaire qui a ignoré à quoi servirait le service rendu à l’auteur principal, même si l’auteur principal est poursuivi pour un délit non intentionnel.Par contre lorsqu’un concours a été fourni pour une infraction et sert à une autre on distingue, il faut distinguer selon que l’auteur principal a commis ou non une infraction du même type que celle prévue par l’auxiliaire. Ainsi si l’erreur dont est victime le complice porte sur l’intérêt protégé auquel l’auteur principal porte atteinte, le complice est exonéré. Au contraire, il succombe à la poursuite si son erreur concerne l’agissement de l’auteur principal.

Ensuite, tout acte punissable rend possible la répression du complice, que l’auteur soit, ou non, punissable. En effet une cause d’impunité personnelle à l’auteur principal n’affecte pas le caractère délictueux de l’acte lui-même. Ainsi lorsqu’on ne peut poursuivre l’auteur principal en raison d’une impossibilité matérielle (parce qu’il est décédé, en fuite ou inconnu), ou d’une raison juridique strictement personnelle à celui-ci, le complice reste quant à lui punissable.

Enfin une question se pose quant aux causes assurant l’impunité à l’auteur principal : quid, en ce cas, du complice ?Sous l’empire de l’ancienne législation (Art. 380 de l’ancien Code pénal), l’immunité familiale était au nombre des causes qui commandaient l’impunité du complice, qu’il s’agisse du complice non parent de la victime, d’un auteur quant à lui parent, ou du complice parent d’un auteur non parent.Depuis la réforme de 1994, certains auteurs dont Stéphanie Fournier, considèrent désormais que l’immunité familiale prévue par l’Art. 311-12 du nouveau Code pénal, n’affecte pas l’acte commis mais constitue une cause d’impunité personnelle à celui qui a une relation de parenté ou un rapport de mariage avec la victime. En effet l’immunité familiale ne supprime pas le caractère illicite de l’acte : elle constitue un obstacle aux poursuites15. Elle ne toucherait pas l’acte et le sort du complice serait alors le même que celui d’un coauteur. La règle de la criminalité d’emprunt ne permettrait donc plus de faire échapper à la répression le complice non parent de la victime, parce qu’il emprunterait sa criminalité à un fait principal non punissable puisque couvert par l’immunité familiale. En revanche, le complice parent de la victime, d’un auteur non parent, serait quant à lui couvert par l’immunité familiale.Qu’en est-il des faits justificatifs ?Les articles 64, 327 et 328 du Code pénal de 1810 disposaient qu’en présence d’un fait justificatif,  « il n’y a ni crime ni délit ». Ils affectaient donc l’acte pour lui ôter son caractère délictueux. Désormais, les articles 122-1 et suivants considèrent qu’en cas de faits justificatifs, la personne « n’est pas pénalement responsable ». Aujourd’hui l’acte demeure donc pénalement qualifiable et c’est la personne qui n’est pas punissable. Le complice ne peut donc plus bénéficier des faits justificatifs du comportement de l’auteur principal.

Le nouveau Code pénal a donc maintenu la solution antérieure qui consistait à subordonner la répression du complice à l’existence d’un fait principal punissable, en vertu du principe de criminalité d’emprunt. Il a en revanche distendu le lien unissant le complice à l’auteur en ce qui concerne la pénalité qui leur est applicable.

15 Pierre Mousseron « Les immunités familiales », RSC 1998, P. 291

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B / L’abandon de la pénalité d’emprunt

L’Art. 121-6, en prévoyant que le complice sera puni « comme auteur », marque la fin du système de l’emprunt de pénalité. En effet, il ne s’agit plus, désormais, de se référer à la peine encourue par l’auteur, mais à celle encourue par le complice, s’il avait été auteur. Ainsi, on écarte le risque de faire encourir au complice une peine qui par nature ne pourrait lui être appliquée (ex. : lorsque l’auteur principal est une personne morale). Mais en vertu de l’adage specialia generalibus derogant, lorsque les textes prévoient une peine distincte pour le complice, il s’agit de lui appliquer cette peine spéciale, contrairement aux règles générales16.

Face à la distension du lien unissant le complice et l’auteur principal, différentes questions se posent.

1°) A quelle qualification faut-il se référer pour déterminer la peine applicable au complice   ?

Au vu de la lettre de l’Art. 121-6 CPén, il ne semble pas que soit exigée une qualification identique pour l’acte de l’auteur principal et l’acte de complicité. En effet, le texte ne comporte pas d’obstacle de principe à ce que le complice encourt une peine attachée à une qualification différente de celle applicable à l’acte de l’auteur principal. Prenons l’exemple d’un homme qui apercevant son ennemi juré derrière un fourré, décide un chasseur à tirer sur lui en lui faisant croire qu’il s’agit d’un animal. Le chasseur auteur principal encourrait la peine de l’homicide involontaire, tandis que le complice pourrait se voir condamner pour meurtre. C’est toujours l’acte de l’auteur principal qui sert donc de référence pour déterminer la peine applicable au complice, mais l’acte de complicité ne lui emprunte ni la qualification, ni la peine.

Cette référence à l’infraction principale pour déterminer la peine encourue par le complice peut néanmoins poser problème. Peut-on punir comme auteur, la personne complice d’une infraction qu’elle ne pouvait juridiquement pas commettre elle-même en tant qu’auteur principal, parce que cette infraction suppose chez l’auteur une qualité particulière que ne revêt pas le complice? Ainsi en est-il de certaines infractions qui ne peuvent être commises que par un fonctionnaire, telles que la concussion17 (Art. 432-10) ou la prise illégale d’intérêts18 (Art. 432-12 et 432-13). Est-ce à dire que le complice non dépositaire de l’autorité publique ou chargé d’une mission de service public, ne peut être poursuivi ?Or certains auteurs étaient contre : d’une part si la qualité personnelle constitue une circonstance aggravante, la personne revêtue de cette qualité méconnaît en plus de l’atteinte à un intérêt protégé un devoir supplémentaire attaché à son état, l’auxiliaire étranger à ces devoirs ne mérite pas le surcroît de sévérité encouru par l’auteur principal ; d’autre part, si la 16 Exemple : aggravation des peines du délit de banqueroute dans le cas où la personne punissable est le dirigeant d’une société de bourse : un tel dirigeant encourt l’aggravation même s’il est complice d’une personne n’ayant pas cette qualité (Art. 199 de la loi du 25 janvier 1985 modifié par la loi du 16 décembre 1992).17 La concussion est le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, soit de recevoir, exiger, ou ordonner de percevoir à titre de droits et contributions, impôts ou taxes publiques, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû, soit d’accorder une exonération ou franchise de ces droits en violation de la loi.18 La prise illégale d’intérêts, autrefois dénommée ingérence, est le fait pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou investie d’un mandat électif public ou chargée d’une mission de service public, de prendre ou de conserver un intérêt quelconque dans une activité sur laquelle elle dispose, du fait de sa fonction d’un pouvoir personnel ou partagé de surveillance ou de décision, ou qu’elle a la charge de gérer ou de payer. Exemple : les fonctionnaires quittant leurs fonctions ne peuvent prendre un intérêt pendant un délai de cinq ans dans une entreprise avec laquelle ils ont eu un lien durant celles-ci.

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qualité visée par la loi pénale est nécessaire à la réalisation de l’infraction, l’intérêt protégé est placé sous la seule sauvegarde des personnes revêtues de cette qualité, les autres citoyens n’ayant pas à s’en soucier. Certains auteurs se refusent à une telle impunité et considèrent qu’en réprimant le complice comme auteur, le législateur a nécessairement supposé que le complice pourrait être, au moins d’un point de vue théorique, l’auteur de l’infraction considérée. Ils se portent donc en faveur de l’ancienne jurisprudence de la Cour de cassation qui avait déclaré ne faire aucune exception au caractère général de la complicité : « la circonstance que la qualité personnelle de l’auteur de l’infraction est un élément constitutif et nécessaire de celle-ci n’exclut en rien la complicité des tiers »19. De la même façon, la Cour de cassation a récemment admis que « sont applicables au complice les circonstances aggravantes liées à la qualité de l’auteur principal », et a fait subir au complice d’un faux en écriture authentique commis par un notaire, l’aggravation tenant à la qualité d’agent chargé d’une mission de service public agissant dans le cadre de ses fonctions encourue par l’auteur principal20, alors que ce complice ne revêtait pas personnellement cette qualité.

2°) Quelles sont les causes d’impunité, d’exemption, de diminution et d’aggravation de peine susceptibles de se communiquer au complice   ?

Sous l’empire de l’ancien code pénal, on distinguait différentes circonstances. Les circonstances réelles (ou objectives) touchaient la criminalité de l’acte, quelle que soit la personnalité de celui qui l’avait commis. Ses effets s’étendaient donc aux complices. Les circonstances personnelles (ou subjectives) venaient intensifier ou amoindrir la culpabilité de celui qui avait agi. Elles s’appréciaient donc distinctement en la personne de l’auteur et du complice. Les circonstances mixtes tenaient à la fois à la personne et à l’acte, si bien que présentes chez l’auteur elles se répercutaient sur le complice, tandis que présentes chez le complice, elles n’avaient d’incidence ni sur l’auteur ni sur le complice.

Les circonstances réelles et personnelles n’ont subi aucun changement avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal. Ainsi les circonstances objectives, tenant à l’acte principal se répercutent toujours sur le complice, et celui-ci pourra voir sa peine aggravée par des circonstances qui lui sont personnelles et qui ne concernent pas l’auteur principal. En revanche les circonstances liées à la personne de l’auteur principal n’aggravent pas la peine encourue par le complice. La bande organisée constitue une circonstance réelle, ou objective, tout comme l’aggravation tenant au résultat de l’infraction (ex. : ITT inférieure ou supérieure à 8 jours) ou celle tenant à la personne de la victime (ex. : mineur de 15 ans, particulière vulnérabilité, qualité de magistrat etc.). Mais une circonstance réelle peut aussi entraîner une exemption de peine ; c’est le cas de la démence ou des faits justificatifs qui supprimaient le caractère illicite de l’acte principal. Il semble néanmoins que les faits justificatifs soient devenus des circonstances personnelles à l’auteur, depuis que les nouveaux Art. 122-1 et suivants disposent qu’en présence de tels faits la personne « n’est pas pénalement responsable ».Les circonstances personnelles peuvent donner lieu à une diminution ou une exemption de peine, comme l’état de minorité de l’auteur ou l’existence d’un trouble au moment de l’acte ayant affecté le discernement. Elles peuvent également, comme la récidive, faire encourir une peine aggravée.

19 Crim. 13 mars 1936, Bull. n°3320 Crim. 7 septembre 2005, AJ Pénal 2005, p.413

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Quid toutefois des circonstances mixtes ? Certains auteurs considèrent que leur intérêt a disparu aujourd’hui en raison, selon eux, d’un abandon de la criminalité d’emprunt21. L’acte du complice aurait donc sa propre criminalité et lui-même sa propre culpabilité. Selon la doctrine majoritaire, les circonstances mixtes doivent exclusivement s’apprécier dans la personne du complice, puisqu’il est désormais « puni comme auteur ». Il n’y aurait donc plus d’utilité, si ce n’est une utilité purement didactique, à distinguer les circonstances mixtes des circonstances personnelles. D’autres auteurs préconisent cependant d’appliquer au complice ces circonstances, tant lorsqu’elles sont présentes en sa personne que lorsque les conditions en sont réunies dans la personne de l’auteur. En effet, les circonstances mixtes tiennent à la fois à l’acte et à la personne. En ce qu’elles tiennent à l’acte, elles doivent s’appliquer au complice, puni comme auteur, même lorsqu’elles proviennent de l’auteur principal. En ce qu’elles tiennent à la personne, elles doivent s’appliquer au complice qui en réunit les conditions en sa personne.Traditionnellement, les circonstances mixtes sont toutes les circonstances qui ont trait aux mobiles, à l’habitude et à la préméditation. Certains auteurs, cependant, considèrent la préméditation comme une circonstance personnelle22. Le classement de certaines autres circonstances fait quant à lui difficulté. Si dans un premier temps on peut être tenté de considérer la qualité de l’agent comme une circonstance personnelle (ex. : personne dépositaire de l’autorité publique), il faut admettre qu’elle constitue plutôt une circonstance mixte. En effet, ce qui fait encourir l’aggravation de la peine à l’agent n’est pas tant cette qualité que le fait que la circonstance a été commise par une telle personne « agissant dans l’exercice de ses fonctions » ou « à l’occasion de ses fonctions ». Elle tient donc à la personne et à l’acte, dont elle constitue une modalité de réalisation. La circonstance d’une relation particulière unissant l’agent à la victime pose également problème. Certains auteurs proposent de rechercher la raison de l’aggravation pour déterminer sa nature. L’atteinte à la vie, quand il s’agit de la vie d’un père, est-elle aggravée parce que l’agent est davantage punissable que s’il s’agissait d’un tiers, ou parce que l’acte est en outre objectivement plus grave ? On pourrait plutôt pencher pour la première solution et opter pour la nature de circonstance personnelle.

En abandonnant la règle de la pénalité d’emprunt, le législateur s’est ainsi départi d’une des principales critiques attachées au système absolu du délit unique. En effet, la substitution de l’Art. 121-6 à l’ancien Art. 59 a permis une meilleure individualisation de la peine applicable au complice en ne lui faisant plus subir des circonstances aggravantes auxquelles il était étranger. Ce faisant, il n’est pas parvenu pour autant à rompre avec l’ensemble des critiques traditionnelles attachées à la théorie de l’emprunt de criminalité ; c’est pourquoi la question du maintien des atténuations élaborées sous l’empire de l’ancien Code pénal demeure, afin de permettre une répression du complice même lorsque celui-ci y échappe en vertu des règles générales de la complicité.

II / Les palliatifs légaux et jurisprudentiels des inconvénients tenant au système de l’emprunt de criminalité

On a pu constater que l’emprunt de criminalité encourait de graves critiques lorsqu’il était appliqué de manière absolue. Le législateur, bien avant 1992, les avait déjà entendues et avait recouru à la technique juridique pour combler les lacunes, en termes de répression, du droit de la complicité. Le nouveau Code pénal a largement repris ces solutions et les a étendues en

21 Levasseur, Chavanne, Montreuil, Bouloc, Matsopoulos « Droit pénal général » (Sirey)22 Merle et Vitu « Traité de droit criminel. Droit pénal général » (Ed. Cujas, 7ème Ed.)

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multipliant les exceptions aux règles générales de la complicité et de la criminalité d’emprunt (A). Sous l’ancien Code pénal, il y avait des comportements tenant à des actes de complicité que la jurisprudence répugnait à laisser impunis. Ceci l’a amenée à élaborer différentes théories permettant de contourner l’emprunt de pénalité, qui visaient à punir un complice qui n’était pas punissable au simple vu des textes. Depuis l’abandon d’un tel système qu’en est il de ces innovations jurisprudentielles para legem (voire contra legem) ? (B)

A / Les atténuations légales à l’emprunt de criminalité

Par le biais de différentes techniques juridiques, le législateur est venu distendre, voire rompre le lien unissant l’acte du complice à celui de l’auteur principal. Pour ce faire, il a prêté à l’acte de complicité une criminalité propre, ce qui se matérialise par la création de délits autonomes consistant en des actes de complicité incriminés en tant que tels. Une illustration de ce phénomène doit retenir plus particulièrement l’attention en ce qu’elle renonce totalement à l’emprunt de criminalité : l’incrimination de la provocation non suivie d’effet permet de condamner certains complices de certaines infractions en l’absence même de fait principal. Ce lien est en outre devenu plus ténu quant à la pénalité car l’acte de complicité peut venir aggraver la peine encourue pour la commission de certaines infractions.

1°) La complicité délit autonome ou circonstance aggravante

a. Circonstance aggravante La complicité est constitutive d’une circonstance aggravante de certaines infractions.Ainsi en est-il de la complicité de vol (Art. 311-4), de viol (Art. 222-24 6°) ou d’agressions sexuelles (Art. 222-28 4° et 222-30 4°). Les peines encourues pour de telles infractions sont en effet aggravées lorsqu’elles sont commises en réunion.Rq sur la complicité de viol autrefois impossible qd complice = femme

b. La technique du délit distinct Cette technique, fréquemment usitée, consiste à ériger des actes de complicité en délits autonomes. Elle revêt divers intérêts.

Elle permet en premier lieu de réprimer des comportements sans fait principal punissable et ainsi éluder la règle de la criminalité d’emprunt :

- Répression de la provocation à des agissements non incriminés par la loiEx. : Provocation au suicide (Art. 223-13)

- Répression de la provocation à un acte ni commis ni tenté : incrimination des actes préparatoiresEx. : Association de malfaiteursEx. : Groupes ou ententes établies sans qu’elles soient qualifiées d’associations de malfaiteurs : en vue de la préparation d’un crime contre l’humanité (Art.212-1), en vue de commettre des atteintes aux systèmes de traitement automatisé des données (Art.323-4)

- Répression de la provocation non suivie d’effetEx. : Provocation non publique à la discrimination, la haine ou la violence (Art. R. 625-7)Ex. : Provocation à la trahison ou l’espionnage non suivie d’effet (Art. 411-11)

Elle vise en outre à faire encourir au complice une peine distincte de celle encourue par l’auteur principal et ainsi écarter la règle de la pénalité d’emprunt :

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Cela permet notamment d’appliquer au complice des peines plus élevées que celles de l’auteur principal. Par exemple, la provocation directe à un attroupement armé, lorsqu’elle est suivie d’effet, est punie de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende (Art.431-6), alors que le fait de participer à un attroupement en étant porteur d’une arme est puni de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende (Art.431-5).

Enfin, elle tend à faire échapper l’acte du complice aux règles relatives à l’acte de complicité lui-même :

- Répression d’un acte de provocation non circonstancié (donc non punissable) exemple ?

- Répression d’un acte de participation postérieur à l’acte principal (donc non punissable)Ex. : Recel de chose volée (Art. 321-1 à 321-5) Rq : Il s’agit d’un délit qui ne peut être cumulé avec le délit de vol mais qui est en revanche cumulable avec la complicité de vol (Crim. 18 novembre 1965).Ex. : Aide à l’évasion ou à la fuite de détenus (Art. 434-32 à 434-35)Ex. : Entraves à l’exercice de la justice (Art. 434-8 à 434-23)Ex. : Recel de malfaiteurs ayant commis un crime (Art. 434-6)Ex. : Recel de cadavres (Art. 434-7)Ex. : Recel d’épaves maritimes (Art.3, L. 24 novembre 1961)

Un exemple idouane de la transformation d’actes de complicité en délits autonomes peut être trouvé dans l’incrimination de la provocation non suivie d’effet.

2°) Le cas particulier de l’incrimination de la provocation non suivie d’effet   :

L’ancien Code pénal exigeait l’existence d’un fait principal punissable conformément au principe de la criminalité d’emprunt. De nombreux auteurs s’étaient élevés contre cette position dès les années cinquante. Ils faisaient valoir le fait qu’il était nécessaire, conformément à des impératifs de justice, de punir les « cerveaux » d’entreprises criminelles, quand bien même les hommes de main avaient finalement renoncé à commettre le forfait. L’arrêt Lacour avait d’ailleurs mis en exergue le caractère choquant d’une telle impunité en relaxant le mari qui avait soudoyé un homme de main pour qu’il tue sa femme, assassinat auquel ce dernier avait finalement renoncé.

Aussi, dès 1978, le projet de réforme du Code pénal avait-il prévu une disposition incriminant de façon générale la provocation non suivie d’effet. L’Art. 121-6 du projet final du nouveau Code pénal soumis au vote parlementaire disposait que : « Est instigateur la personne qui, par don, promesse, ruse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir :1° sciemment fait commettre par un tiers les faits incriminés, 2° provoque directement un tiers à commettre un crime, lors même qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de l’instigateur, la provocation n’est pas suivie d’effet.L’instigateur de l’infraction est passible des mêmes peines que l’auteur de l’infraction. »Il visait donc à repenser le droit de la responsabilité pénale autour de trois personnes : l’auteur, le complice et l’instigateur, en réprimant la complicité d’un acte non punissable puisque ni commis, ni tenté.

Si un tel projet était le fruit d’un consensus doctrinal et gouvernemental, les parlementaires se sont avérés, quant à eux, fort opposés à la répression générale de la provocation non suivie

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d’effet. Les sénateurs comme les députés ont rejeté cette disposition au motif que « les risques étaient plus grands que les avantages »23. A compléter avec le cours Ils craignaient en effet des poursuites abusives. Ce projet fut donc abandonné et la complicité par instigation ou provocation fut soumise aux règles classiques de la complicité. Le complice pouvait donc désormais aider, assister, provoquer ou donner des instructions en vue de la commission d’un fait principal punissable.

Malgré les réticences parlementaires, cependant, la loi Perben II du 9 mars 2004 a introduit un nouvel Art. 221-5-1 incriminant le mandat criminel. Ainsi, ce que le législateur a refusé lors de la réforme du Code pénal, il l’a accepté quelques années après en prévoyant circonstances la répression de la provocation non suivie d’effet à un meurtre ou un empoisonnement. Il est vrai néanmoins qu’à la différence du projet de 1986, la loi Perben II n’a pas procédé à une incrimination générale de la provocation à un crime, non suivie d’effet, mais s’en est tenu au mandat criminel de meurtre ou d’empoisonnement, infractions traditionnellement jugées odieuses. Toutefois il faut noter que l’on a vu fleurir depuis dans le code pénal, des textes réprimant de façon autonome tel ou tel type de provocation, particulièrement les provocations à des délits sexuels ou les provocations de mineurs à commettre des infractions ; on peut donc imaginer à terme la généralisation de la répression de la provocation non suivie d’effet contrairement au souhait initial du législateur.

Ainsi, par l’élaboration de délits ou de circonstances aggravantes distinctes, le législateur tend à désolidariser le sort du complice de celui de l’auteur lorsqu’il lui semble que l’impunité du complice, en certaines circonstances, peut s’avérer choquante. Cette activité législative est néanmoins assez récente si bien que sous l’ancien Code pénal, la jurisprudence avait dû pallier elle-même ces carences. Désormais que sont devenues rares les situations d’impunité du complice, la question reste de savoir ce qu’il est advenu de ces théories jurisprudentielles séculaires, et si elles revêtent encore un intérêt.

B / Le sort des atténuations à la criminalité d’emprunt élaborées par la jurisprudence sous l’empire de l’ancien code pénal

La jurisprudence avait principalement élaboré deux théories que l’on pourrait considérer comme des mécanismes spéculaires, puisque l’une comme l’autre visaient, et visent peut-être toujours à certains égards, à assimiler le sort du complice et du coauteur afin de couvrir tous les schémas infractionnels.

La théorie de la complicité corespective permettait de considérer les coauteurs comme des complices : « le coauteur d’un crime aide nécessairement l’autre coupable dans les faits qui consomment l’action et devient nécessairement son complice »24. Une telle construction permettait de soumettre chaque coauteur à l’emprunt de pénalité : dès lors que l’un d’eux encourait une cause d’aggravation, il la transmettait à tous les autres, au titre de la complicité et de l’emprunt de pénalité.Quid de cette théorie depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal ? Il ne semble pas qu’elle revête depuis lors un intérêt : dans la mesure où a été abandonnée la règle de la pénalité d’emprunt, le complice est désormais puni comme auteur ; il n’y a donc plus lieu de considérer les coauteurs comme complices.

23 Rapport Rudloff, Sénat, séance du 9 mai 198924 Crim. 15 juin 1860, S., 1861, I, 398.

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Elle conserve toutefois une certaine utilité lorsque l’on souhaite condamner des auteurs pour violences volontaires mais que l’on ne sait pas qui a effectivement porté les coups. La théorie de la complicité corespective permet d’appliquer à chaque coauteur la peine la plus grave tenant au résultat de l’infraction, comme si chacun d’eux l’avait lui-même commise.

Selon la théorie de la coactivité corespective, « celui qui assiste l’auteur dans les faits de consommation coopère nécessairement à la perpétration de l’infraction en qualité de coauteur »25. Cette interprétation est jugée, par la doctrine26, contraire tant à la lettre qu’à l’esprit de l’ancien Art. 60 comme de l’Art. 121-7. Cette dernière considère de plus qu’une telle théorie est éminemment contestable en ce qu’elle porte atteinte au principe de légalité.Quel était l’intérêt pratique de ce tempérament jurisprudentiel à l’emprunt de pénalité ? Auparavant, la circonstance aggravante de réunion ne pouvait être retenue qu’en présence de coauteurs. Cette construction jurisprudentielle permettait donc au juge de faire subir aux complices l’aggravation de la peine attachée à cette circonstance. Le nouveau Code pénal définit aujourd’hui la réunion comme la commission d’une infraction « par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice » (voir par exemple pour le viol l’Art. 222-24 6°), si bien que la coactivité corespective n’a aucune portée pratique sur ce point.Cette théorie revêtait également un intérêt pour la répression du complice d’une contravention lorsque cette complicité n’était pas expressément prévue par le règlement. Cet intérêt demeure seulement aujourd’hui concernant la complicité par aide ou assistance à la commission d’une contravention, puisque la répression de la provocation à une contravention est qant à elle toujours possible (Art. 121-7 al.2).Cette manipulation juridique permettait aussi de passer outre l’immunité familiale de l’auteur principal et de condamner le complice, lors même qu’il n’existait pas de fait principal punissable. Son utilité dépend aujourd’hui de la conception de l’immunité familiale que l’on retient. Si l’on considère, comme sous l’empire de l’ancien Code pénal, que l’immunité familiale de l’auteur principal affecte l’acte principal lui-même, la théorie de la coactivité corespective conserve son intérêt. Si l’on estime au contraire que l’Art. 311-12 du Code pénal de 1994 a fait de l’immunité familiale une particularité personnelle à celui qui est lié à la victime par un lien de parenté, la théorie perd tout sens, puisque le complice non parent d’un auteur parent, sera considéré le cas échéant comme un coauteur et n’échappera pas à la condamnation.

En droit pénal des affaires, un vieux courant jurisprudentiel tend à voir comme auteur principal de l’infraction celui qui ordonne (le commettant) à son préposé, lui-même qualifié de complice, même si c’est lui qui a directement et volontairement réalisé la situation infractionnelle (CCass 28 mars 1996). Mais si l’on suit à la lettre l’article 121-7 du CP, les instigateurs ne sont que des complices, et non comme des auteurs principaux comme l’affirme la jurisprudence précitée et la tradition doctrinale. Il y a donc incertitude du critère de distinction entre l’action principale et la complicité, incertitude que la CCass évite de trancher dans les arrêts du 12 septembre 2001 et du 8 janvier 2002.

Conclusion :La distinction entre l’auteur et le complice revêt-elle toujours un intérêt, depuis l’abandon de l’emprunt de pénalité ?Quel peut désormais être l’intérêt à distinguer la figure d’auteur et de complice ? En effet, il n’existe plus a priori de différence entre eux quant à la pénalité, sinon théorique, dès lors que le complice est « puni comme auteur ». Néanmoins le complice qui a aidé ou assisté l’auteur 25 Crim. 24 août 1827, B., n° 224.26 Voir par exemple desportes et Le Gunehec « Le nouveau droit pénal », Tome I.

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principal pour la commission d’une contravention n’est pas, en principe, punissable. En outre, la répression du complice reste subordonnée à l’existence d’un fait principal punissable. Cependant, tout comme un coauteur, le complice du meurtre du père de l’auteur principal est puni de la peine de meurtre simple ; inversement, le complice du meurtre de son père par un tiers encourt les aggravations prévues pour un tel crime. Et toujours à l’instar d’un coauteur, il n’est pas couvert par les immunités familiales, à moins d’avoir lui-même un lien particulier avec la victime. Cette distinction ne tient-elle pas encore, relativement aux circonstances aggravantes réelles et mixtes ? En effet, en présence de telles circonstances, le complice « emprunte » l’acte de l’auteur principal, tandis que le coauteur n’est puni que pour l’acte qu’il a lui-même accompli. Néanmoins, la chambre criminelle veille à appliquer également au coauteur de telles circonstances dans la mesure où elles sont présentes dans l’acte de l’un des participants à l’infraction27. Il peut toutefois apparaître important d’opérer encore une telle distinction dans la mesure où tout type de complicité ne peut pas être réprimé : il est nécessaire que la complicité soit punissable. Or cette condition ne peut être validée qu’au regard des règles propres à la complicité.

Cette distinction avait déjà été mise à mal par les théories jurisprudentielles de la complicité corespective et de la coactivité corespective qui permettaient de condamner des personnes dont les actes devaient en principe échapper à toute répression. Sous réserve du maintien de ces pratiques prétoriennes dans certaines hypothèses, la confusion des notions de complice et de coauteur est souvent sans portée pratique et n’appelle pas la censure de la Cour de cassation. En effet, en application de la théorie de la peine justifiée, elle constate souvent que « la peine prononcée pouvait l’être que la personne soit qualifiée de coauteur ou de complice »28. L’erreur de qualification n’est donc pas un motif de cassation en ce cas, ce qui paraît d’autant plus justifié depuis que le nouveau Code pénal a disposé que le complice « est puni comme auteur ».

27 Crim. 12 mars 1968, Bull. crim. n°83 : la Cour de cassation a appliqué au coauteur d’un vol la circonstance aggravante de port d’arme alors qu’il n’en portait pas lui-même.28 Crim. 7 mars 1972, B., n° 84

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