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la spéculation

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LORRAIN CRUSE

la spéculation Préface de Hubert Beuve-Méry

Civilisation et prospective

MAME

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PRINTED IN FRANCE. Tous droits de reproduction, de traduction ou d'adaptation réservés pour tous pays. © MAISON MAME, 1970.

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PRÉFACE

« Nous sommes tous des assassins... » Parmi ceux qui manifestent ainsi leur réprobation de crimes qui vont se multipliant dans le monde, combien accepteraient d'être traités simplement de « spécu- lateurs » ? Pourtant, si, compte tenu de l'ambiguïté du mot spécula- tion, on exclut ce qui peut être aussi la démarche de l'esprit la plus haute et la plus désintéressée, comment, au sens courant du terme, n'être pas peu ou prou spéculateur ? Planter ou bâtir, collectionner autographes, timbres ou papillons peut toujours comporter une part de spéculation, fût-ce à l'insu de celui qui s'y livre. A plus forte raison, en va-t-il de même pour les opérations financières les moins contestées. Une assurance sur la vie, un achat contre rente viagère, qu'est-ce donc sinon une spéculation (défensive) sur la mort de l'as- suré, ou (offensive) sur celle du vendeur ? Les placements à la caisse d'épargne, si chaleureusement recommandés par le chef de l'État lui-même, relèvent eux aussi de la spéculation..., généralement mal- heureuse. Faut-il pleurer, faut-il en rire quand M. Giscard d'Estaing explique à une épargnante distraite que les cent francs oubliés depuis 1936 à la Caisse d'Épargne lui valent d'être aujourd'hui en possession de deux francs trente-neuf (deux cent trente-neuf francs anciens) soit, à intérêts composés, une plus-value de cent quarante- six pour cent. Fort honnêtement, le ministre reconnaît qu'entre-temps « l'érosion monétaire a joué », mais laisse à l'intéressée le soin de comparer ce qu'elle pouvait se procurer pour cent francs en 1936, et actuellement pour deux francs trente-neuf.

Il est vrai qu'il existe encore bien d'autres moyens de faire valoir ou d'entamer ses économies, de la Loterie nationale et du Pari mutuel à toutes sortes de combinaisons, qu'une publicité intensive et alléchante contribue largement à populariser. La « démocratisation » de la spéculation est un fait sociologique qui valait certes d'être signalé. On peut regretter que Lorrain Cruse n'y ait pas consacré de

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plus longs développements où sa compétence, plaisamment teintée d'humour noir, eût pu se donner libre cours. Sans doute le banquier était-il tenu à certaines réserves. On le louera, en tout cas, de s'être moins attaché aux effets et aux innombrables modalités de la spécu- lation qu'à ses causes, et notamment l'une des plus redoutables : l'ins- tabilité monétaire. Comme l'appât du gain, la spéculation est de tous temps et de tous pays, mais son champ d'action se rétrécit sin- gulièrement dès lors que les fluctuations plus ou moins brutales de la monnaie ne la rendent pas tentante, inéluctable, voire légitime. Ce qu'il est convenu d'appeler, en France, « la belle époque », ne l'était certes pas pour tout le monde, mais chacun savait à peu près à quoi s'en tenir sur le pouvoir d'achat du franc, dit de Germinal. A l'inverse, l'inflation galopante et les dévaluations en cascade ne pouvaient guère, en dépit des adjurations officielles, favoriser l'esprit d'épargne. Les nouvelles générations n'ont pas tardé à comprendre que, pour ne pas être dupe, mieux valait encore se hâter de vivre et manger son blé en herbe plutôt que de miser sur de lointaines et trop précaires récoltes. A la collectivité, à l'État devenu Providence d'assurer, bien ou mal, le reste.

La dévalorisation est en effet la sanction de l'inflation sans que les pays à monnaie forte, devenue monnaie-refuge, aient lieu nécessai- rement de s'en féliciter. Impuissants à trouver des remèdes, les experts cherchent au moins des palliatifs. Si la fixité théorique des parités monétaires expose à de brusques ruptures, sous la pression de spéculations effrénées, pourquoi ne pas assouplir le système en conve- nant à l'avance de la proportion et des délais de variations possibles ? Une flexibilité modérée des changes, agissant comme une espèce de « crémaillère à crans glissants », aurait selon ses promoteurs qui semblent avoir convaincu Lorrain Cruse, l'avantage d'empêcher des bonds par trop désordonnés et de permettre, grâce à des oscillations calculées, le maintien d'un certain équilibre. Ainsi des banquettes savamment disposées fractionnent l'avalanche et des filets souples retiennent sur l'air d'atterissage l'avion emballé.

Que vaut la méthode ? « Grammatici certant ». Elle mérite en tout cas d'être approfondie, même s'il faut bien admettre que de solides barrages peuvent céder à de trop violentes poussées. Ce sont là des problèmes techniques et la meilleure technique n'est jamais qu'un instrument au service d'une politique. Pourquoi l'érosion monétaire apparaît-elle comme une constante de la vie des États ? Jusqu'à quel point l'inflation est-elle la condition du plein emploi et un fac-

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teur nécessaire de développement ? L'institution d'une monnaie européenne soustraite à l'empire du dollar comme à celui du rouble serait-elle un véritable gage de stabilité ? L'épargne étant drainée à l'Ouest par des procédures sophistiquées, plus radicales à l'Est, à quel moment le processus d'équitable socialisation risque-t-il de se retourner contre ses propres fins et de devenir pour tous plus oppres- sif, plus « aliénant » que libérateur ? En d'autres termes, comment donner à des sociétés de type libéral, où le plus fort impose trop aisé- ment sa loi, et à celles qui se réclament d'un marxisme souvent plus tyrannique qu'efficace, ce fameux « visage humain » qu'ont cru entrevoir les Tchécoslovaques, le cours d'un bref printemps ? Nombre d'auteurs, et non des moindres, ont déjà posé ces questions et tenté d'y répondre avec plus ou moins de bonheur. Le champ cependant reste largement ouvert. On aimerait que, dans un prochain livre, Lorrain Cruse ne se borne plus à des allusions et n'hésite pas à s'y engager. Il y a là pour lui, matière à amples, et pour ses lecteurs sans nul doute, à captivantes... spéculations.

Hubert BEUVE-MÉRY

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INTRODUCTION

Le spéculateur est vil, comme l'économiste est dis- tingué, et le professeur éminent. L'O.R.T.F., montant une émission consacrée le 12 décembre 1968 à la crise du Franc, avait cherché un « spéculateur » pour donner la réplique à des financiers. Il fut trouvé, mais rappela plusieurs fois qu'il se voulait « opérateur », tellement « spéculateur » évoque le clou du pilori ou la corde du gibet.

Et pourtant ce mot a aussi une signification noble. Spéculation implique déjà moins de réprobation que spéculateur, et spéculatif peut être approbateur. Une définition partielle du Larousse traduit ainsi spéculatif : « Qui a pour but l'aspect théorique des choses sans avoir égard à la pratique. » Et, plus loin : « Philosophie spé- culative : la métaphysique générale. » Voilà un spécu- lateur réhabilité, qui devient philosophe et rêveur. Enfin, cette précision : « Spéculation : toute construction désin- téressée qui n'a d'autre objet que de connaître. » Là se trouve le hiatus. Le spéculateur au sens courant, a l'intention de connaître, de prévoir, mais il est fonda- mentalement intéressé.

Entre les deux interprétations s'insinue Pascal qui avait inventé, pour mieux connaître, une machine à calculer, la « Pascaline », mais avait fait un pari spécula-

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tif sur l'existence de Dieu. Cette « Pascaline » ou son petit-fils l'ordinateur, ne permet pas de savoir si Pascal a gagné son pari.

Cette porte métaphysique entrouverte doit être aussi- tôt refermée. Il sera ici question du spéculateur inté- ressé, et non du désintéressement spéculatif. Il fallait au moins mentionner cette ambivalence, ne serait-ce que pour assortir de nuances un jugement souvent som- maire.

Il est en effet difficile de qualifier globalement la spéculation, pour trois raisons. Le même acte, dit spé- culatif, peut résulter de motivations fondamentalement différentes. Sa nocivité peut dépendre non pas de sa nature, mais de sa répétition. Enfin, la part de jeu qu'il recèle est plus ou moins accentuée suivant la finesse des prévisions qui le provoquent.

Si sa monnaie nationale est faible, un importateur se procurera, dès confirmation d'une commande, la mon- naie avec laquelle il devra la payer. Au même moment, un détenteur de liquidités peut acheter une devise étran- gère pour tirer le bénéfice d'une dévaluation éventuelle de la sienne. Les deux vont donc vendre la monnaie na- tionale en accentuant sa vulnérabilité, et se trouveront réunis sous le même vocable de spéculateurs. Pourtant ces deux opérations, mécaniquement identiques, res- sortissent l'une à la légitime défense, l'autre à la recherche offensive d'un gain.

Mais, même la recherche d'un gain monétaire n'est pas condamnable. Elle ne le devient moralement que lorsque sa généralisation met en péril la monnaie, donc la collectivité. Et ainsi se pose la question d'une fron-

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tière entre le civisme et l'incivisme suivant non pas l'analyse d'un acte, mais sa répétition. Certains sont tentés de juger inciviques les vacanciers qui, sans obli- gation, abordent à la même heure l'autoroute du Sud, un dimanche de « grosse rentrée ». « C'est l'échelle qui crée le phénomène » a dit Charles Guyë. Ce point méri- tera d'être développé et met en cause le législateur, né de la vie en société, préposé à son organisation, et qui peut transformer l'incivisme en délit.

Neutre au plan moral est l'individu qui voit multi- pliée par mille la valeur d'achat d'un tableau acquis par son ancêtre, celui qui revend le mètre carré urbain au prix qu'a valu l'hectare rural, celui qui a trouvé des pièces d'or dans son lointain héritage au lieu de fonds russes. En principe, et bien que cette appréciation puisse être nuancée, personne ne subit la perte correspondant au profit ainsi réalisé par quelques-uns. Les bénéfices spectaculaires nés de ces opérations suscitent plutôt l'en- vie que la critique. Mais comment juger les gains excep- tionnels, dus à la patience calculée, mais souvent aussi à la négligence, voire à l'ignorance, des générations inter- médiaires ?

Une réprobation diffuse les entoure. Ils supposent au départ une fortune acquise. Et l'aphorisme suivant lequel l'argent va à l'argent agace ceux qui n'en ont guère. Ces valorisations, d'autre part, ne sanctionnent aucun tra- vail. La propriété c'est le vol, dirait un disciple de Proudhon, même s'il n'y a pas de volé. Au Moyen Age, qui vit naître les ordres mendiants, étaient mal jugés ceux qui, pouvant s'en dispenser, travaillaient. Puis, est venue une hiérarchie dans la nature des travaux, avec une défaveur pour ce qui devait devenir le secteur tertiaire. « Le commerce considéré en lui-même a un

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certain caractère honteux », disait saint Thomas d'Aquin. A l'époque où, sans autre distinction, est prôné : « à travail égal, salaire égal », un salaire sans travail est sus- pect.

Pourtant, les bénéficiaires d'une spéculation pure, qui invoquaient naguère la chance ou le flair, se justifient aujourd'hui au nom du savoir et du calcul. Et il est vrai que la prévision, dépassant Nostradamus et la boule de cristal, devient science. Elle a un nom rue de Rivoli : « Direction de la Prévision. » La statistique, les sondages d'opinion, les lois économiques veulent gouverner l'aléa- toire. Le physicien lui-même quantifie en « coefficient d'étrangeté » le comportement inexplicable des parti- cules incomplètement maîtrisées. Nos analystes finan- ciers prévoient le cours des valeurs mobilières. L'éro- sion monétaire devient l'un des paramètres des faiseurs de formule. Les marchands de tableaux arrêtent la cote des impressionnistes.

Le hasard est systématisé par les assureurs à travers la loi des grands nombres, et le joueur de casino tente lui-même de l'asservir en inventant des martingales.

Restent pourtant d'autres victimes, ou bénéficiaires, de l'imprévisible, les spéculateurs malgré eux. Ceux dont le métier est de stocker du cuivre ou du cobalt, dont le cours dépendra d'une grève ou d'une guerre. Ceux qui sèment un grain dont la moisson dépendra d'une sécheresse ou d'une gelée. Ceux qui récoltent un raisin dont le vin sera ou non, celui d'une grande année.

Mais, même ces spéculateurs involontaires peuvent, dans une certaine mesure, prévoir, corriger, et se couvrir.

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Notre propos est de survoler les principales catégories d'actes spéculatifs, en ayant à l'esprit le critère parfois subjectif, de moralité, le critère plus objectif d'effi- cacité, et en essayant d'analyser ce que peuvent avoir de nocif, de bénéfique, ou de neutre, de tels agissements vis-à-vis de la collectivité.

Nous voudrions conclure que le domaine de la spé- culation individuelle va en se rétrécissant du fait d'une meilleure information, du progrès scientifique, de l'élar- gissement des marchés, d'une adéquation de la loi et de ses gendarmes. Et ainsi, sans nier l'éventualité d'une amélioration de la morale individuelle, sera-t-il pos- sible de ne pas trop compter sur elle, pour faire dispa- raître ou absoudre la majorité des spéculateurs de papa.

Par contre, se développe une spéculation en tant que phénomène collectif, résultant de mouvements de masse dont chaque composant n'a pas conscience d'être un élément moteur. La spéculation s'est, en quelque sorte, démocratisée. Elle s'est au moins collectivisée dans la mesure où des concentrations de capitaux entre les mains de quelques géants dissocient la propriété des fonds, de leur gestion.

La question sera donc abordée sous ces deux princi- paux aspects : celui de l'acte individuel, que le spécula- teur soit systématique, occasionnel ou involontaire. Puis sous l'aspect collectif de la spéculation, qui met en cause l'État, chargé de la prévenir ou de la corriger, mais parfois coupable de l'avoir provoquée.

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le spéculateur

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IMPRIMÉ EN FRANCE. 3622 — 1970 — Tours, Imprimerie Marne. Dépôt légal : 1 trimestre 1970.

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