Lebrun, Gérard - La Spéculation Travestie

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  • LA SPECULATION TRAVESTI E

    GRARD L E B RUN

    .:Four l'Allemagne, la crit ique de la religion est faite en substance

    K. M A RX . 1844 .

    L'affaiblissement e t l a suppression de l 'individu est "le dernier cho du christianisme" dans la morale, lisons-nous dans l'aphorisme n.O 132 d'Aurore . Bien que l'abdication de l'ego, remarque Nietzsche, ne figure pas dans la doctrine du christianisme primitif, elle devint ensuite une des caractristiques de la religion chrtienne . Et, de nos jours, positivisme, utilitarisme, socialisme, etc . vivent de cet hritage, et mme renchrissent sur la passion chrtienne du nivellement . Dieu est mort, mais les hommes sont rests gaux et semblables, comme ils l'taient sous son regard . Partis et sectes sont unanimes "exiger que l'ego se nie lui-mme" au bnfice d'une communaut harmonieuse, "jusqu' ce qu'il soit devenu quelque chose d'entierement diffrent et nouveau" .

    Si nous passons de l la critique anthropologique de Feuerbach dans l'Essence du Christianisme, nous trouvons exprime l'opinion diamtralement oppose . La religion chrtienne selon Feuerbach est avant tout coupable d'avoir t centre sur l'individu . D'ou son infriorit, qu'il rappelle souvent, par rapport au paganisme, religion d'une communaut, religion du "genre" :

    'Les Anciens sacrifiaient l'individu au genre ; les chrtiens sacrifient le genre l'individu . . . Les chrtiens se distinguent des paiens en ce qu'ils identifient immdiatement l'individu avec le genre, et que chez eux l'individu a la signification du genre, l 'individu pour lui-mme tant te nu pour l 'existence accomplie du genre" ( 1 )

    ( 1 ) Essence du Christianisme. trad. Osier ( Maspero ) . p . 291 , 293 .

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    Ce seul trait, en indiquant la diffrence d'inspiration des deux polmiques anti-chrtiennes, devrait nous mettre en dfiance envers les rubriques dangereusement vagues de "dmystification", de "pratique du soupon", qu'on applique la critique de la religion au 19 .0 Siecle dans son ensemble . Ces expressions recouvrent-elles les mmes stratgies? Et n'est-il pas lger d'associer simplement les noms de Feuerbach, Marx et Nietzsche? Les textes qu'on vient de citer branlent au moins notre confiance en l'ide paresseuse d'une union sacree des "dmystificateurs" . On rtorquera peut-tre qu'ils ne concernent, apres tout, qu'un point de fait tres secondaire et que l'opposition sur ce point de Feuerbach et de Nietzsche n'implique pas encore que ceux-ci n'aient pas t, objectivement, les ouvriers de la mme tche .

    Mais cette supposition est aventureuse . On s'en convaincra vite si l'on veut bien tenir compte des influences qui s 'exercerent sur Nietzsche et inflchirent sa critique religieuse - notamment celle de Max Stirner . Stirner, aujourd'hui, est surtout connu par les lourdes insultes dont il est gratifi dans "L'Idologie allemande". Et c 'est fcheux. Car il est visible que Marx, pour les besoins de sa polmique, escamote ce qui est un des objectifs primordiaux de Stirner dans l'Unique et sa proprit : dnoncer en Feuerbach un no-hglien ( 2 ) Dans cet axe de lecture, l 'oeuvre de Feuerbach apparait plutt comme une lai:cisation de la dogmatique chrtienne, et toute la critique qu'il entreprend de celle-ci porte faux . Ainsi, quel sens y a-t-il reprocher au christianisme d'avoir glorifi "l 'individu pour lui-mme" et de l 'avoir dtach au maximum de l'espece? C'est le mfait inverse, rpond Stirner, que commirent les chrtiens .

    "C'est une illusion (de croire que) le christianisme accordait une valeur infinie au Moi . . . Non, il n'attribue cette valeur qu' l'lwmme . Seul l'homme est immortel, et c'est seulement parce que Je suis homme que Je suis immortel . En fait, le christianisme a dO enseigner que personne ne disparait, de la mme maniere que le libralisme

    (2) Sur la question du rapport de Marx Stirner. nous renvoyons au tres clairant article de M . Henri Arvon : Une polmique inconnue, Marx et Stirner in Temps modernes, n.O 7 1 septembre 1 95 1 .

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    fait de tous des tres gaux en tant qu'hommes ; mais cette ternit et cette galit ne concernaient que l'homme en Moi, et non pas Moi" ( 3 )

    Le christianisme au service de "l'individu", si l 'on veut . . . Mais condition de prciser : de l 'individu humanis, identifi son tre gnrique, chantillon standard du "troupeau". C'est en ce point que Stirner annonce Nietzsche, et , sans doute, l'inspire en partie . C'est ce point aussi qu'il commence dmasquer en Feuerbach le hglien mal repenti ( 4 ) . D'ou vient en effet cet opprobre jet sur "l'individu pour lui-mme" par Feuerbach et les feuerbaehiens ( 5 ) ? Il remonte, au moins, aux erits anthropologiques de Kant : dtaeh du genre, l 'individu n'est plus que sujet "pathologique", egolste, rendu l'animalit . "L'individu partieulier est l 'individu ineomplet" : ee principe pdagogique ouvre galement la Phnomnologie, - et le theme est rpereut travers tout le systeme hglien, ou le salut et la "libration" de l'individu sont toujours au prix d'une oblitration de sa diffrenee, de sa transfiguration dans l'Universel (le divin ou l'Etat . . . ) . Rien de bien nouveau, donc, ehez Feuerbaeh . Bruno Bauer, apres Stirner, le constate : "Chez Feuerbaeh, l'individu doit se soumettre au genre et le servir . Chez Feuerbaeh, le genre est l 'absolu hglien" . Que Feuerbaeh fasse consister la noeivit du ehristianisme dans l'attaehement de eelui-ei "l'individu particulier" serait done une preuve supplmentaire de son hglianisme larv .

    On peut mme alIe r plus loin . Ce lieu anti-chrtien lui-mme, n'est-ee pas Hegel qui l'a fourni Feuerbaeh? Un bon indice s'en trouve dans la lettre de novembre 1828 qu'envoie Hegel le jeune Feeurbaeh, en mme temps que sa dissertation d'habilitation. Il est douteux, certes, que le

    (3) Stirner. L'Unique et sa proprit. trad . Gal lissaire et Saug ( L' Age d'Homme) . p . 225-226. - "Le christianisme, incapable de reconnaitre l ' individu comme unique, ne I'a conu que dpendant ; i l ne fut en fait qu'une thorie sociale, une doctrine de la vie en commun, aussi bien de l 'homme avec Dieu que des hommes entre eux. Aussi toute caractristique individuelle propre - intrt personnel , caprice, volont personnelle , particularit, amour-propre . . . - devait-elle tomber avec lui dans le plus profund discrdit" ( ibid. p. 22 1 ) .

    (4) C'est aussi l a trese que d fend Bruno Bauer dans son article des "N orddeutsche Blatter" de 1 844 : "Ludwig Feuerbach" , que prend part ie I' ldologie alle11lande .

    ( 5 ) Stirner, en citant La Question jUI:ve ( p . 226) , range Marx parmi les f euerbachiens sectateurs de " I'authentique tre-gnrique" .

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    maltre ait beaucoup gout les theses ultra-hgliennes que dfend ici le disciple . Mais il est symptmatique que Feuerbach ne craigne pas, dans cette lettre tres respectueuse, de parler tres naturellement du christianisme comme de l'erreur la plus tenace qui barre encore le chemin la "ralisation" de la philosophie spculative .

    "Le christianisme ne peut tre conu comme la religion parfaite et absolue ; celle-ci ne peut tre que le royaume de la ralit de l'Ide et de la raison prsente dans l 'existence. Le christianisme n'est rien d'autre que la religion du Moi, de la personne en tant qu'elle est un seul esprit, et il n'est de ce fait que le contraire du monde antique . . . C'est pourquoi la raison n'est pas encore libre dans le christianisme" ( 6 )

    Feuerbach ne se souciait sans doute pas de scandaliser le "vnr ma'itre" . Il faut donc croire que l'ide de la suppression effective de la religion ne lui semblait pas contraire l'esprit de la philosophie spculative, telle qu'il l'entendait l'poque . La religion n'est-elle pas irrductiblement, de l 'aveu mme de Hegel, une figuration du divin la mesure d'un esprit fini? De la rconciliation de l'essence divine et du Soi, la conscience chrtienne n'a jamais que la reprsentation. "Son apaisement reste lui-mme affect de l 'opposition d'un au-del . Sa propre rconciliation entre comme quelque chose de lointain dans sa conscienee . . . " ( 7 ) La liaison entre Moi tini et religkJn chrtienne, e'est done ehez Hegel que Feuerbaeh la reneontre, - notamment dans les pages ou Hegel montre eomment le ehrtien d'Eglise, tout en proclamant tres haut son indignit, avoue par l mme que son "moi fini" demeure son point fixe : "Cette humilit se eontredit, elle est plutt orgueil, ear, si je pose le Vrai, e'est en l'exeluant hors de moi, de sorte que je suis dans l'en-de, en tant que celui-ci (dieser) , la seule instanee affirmative, - de sorte que je suis l'tant en-soi et pour-soi par rapport auquel tout Autre dispara'it . L'humilit vritable

    (6) Feuerbach Hegel . 22-Il-28 . in Hegel . Correspondance. I I I . t racl. Carrere ( GallimaTd) p. 2 1 1 -2 1 4, .

    ( 7 ) Phanomenologie (Glockner ) . n, S . 601 - trad . HYP'Polite . lI , p. 289. Sur la "reprsentation" comme seule forme sous laquelle la conscience religieuse peut viser la Rvlation, cf le paragraphe : "Rapport de la philosophie la rel igion" dans l 'Introduction des Leons sur I'Histoire de l.a Philosop}lie ( d . Suhrkamp . XVIII, 8 1 - 1 1 3 ) .

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    renonce plutt soi, ceci comme affirmatif" ( 8 ) . Repli sur son egolt, le chrtien est encore loin de cette humilit vraie .

    Rien d'tonnant donc si, em 1828, Feuerbach, en tant que hglien, tient pour incompatibles le "rgne" du christianisme et celui de la philosophie nouvelle. Rien d'etonnant si, ds cette date, la mort du christianisme signifie l'abolition du "Moi fini", - de ce que Hegel appelle parfois ironiquement "le pieux individu" ( 9 ) Feuerbach, ce moment-I, n'a conscience que de radicaliser l'analyse hglienne . Ne peut-on ds lors prsumer que, mme aprs avoir reconnu en Hegel le restaurateur de la thologie chrtienne, il se fasse du "christianisme" un concept qui reste marqu par son apprentissage hglien?

    * * *

    Toutefois, le rapport de Feuerbach Hegel sur ce point est loin d'tre aussi simple . Mme s'il a retenu des thmes de la philosophie hglienne de la religion, Feuerbach n'a jamais repris l'analyse du christianisme que fait Hegel . -Evitons toute quivoque . Par "analyse du christianisme" , j 'entends ici non pas la comprhension en dernire instance de ce que signifient les dogmes (il n'est que trop vident qu'il y a une diffrence entre la lecture spculative et la lecture anthropologique) , mais la comprhension de la faon dont le chrtien vit sa religion ou du sens littral qu'ont les Ecritures ou les Pres de l'Eglise . La prsentation de Feuerbach, ici, ne recoupe jamais celle de Hegel, tant dans les premiers crits (de Berne et de Francfort) que dans l'oeuvre de maturit . A vant de tirer les consquences de cela, je voudrais en donner rapidement quelques preuves .

    En quoi consiste, dans l'Essence du Christianisme, le dlire chrtien? A "unifier immdiatement" Dieu et cet homme-ci, - donner au divin, c'est--dire au genre (Gattung) la forme de l'individu . Ou encore profrer ces assertions fantastiques : le genre, c'est l'individu ; l'illimit, c'est le limit ( lO ) . . Autant le paganisme laissait entrevoir

    (8) Ph. der Religion. XV, 1 99 ( Gloclmer) . (9) " . . . I l est cla,j[ alors que le Moi ( ainsi que les innombrables choses qui en

    dpendent cesse d'tre considr comme quelque chose d'absolument fcrme, comme le principe gnral et dtermin du monde et de la reprsentation, que le Moi 'cesse d'tre ce qu'il tait jusqu'ici - bien plus, que le Moi expire" ( I ettre de Feuerbach Hegel. p . 2 1 3 ) .

    ( 1 0) Cf Essence Chr. p. 447, et la prsentatioll de M. Osier. p . 58-59 .

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    que "l'espce humaine" tait ce qu'adoraient les hommes sous le nom de "divin" , autant le christianisme nous dtourne de ce dchiffrement . Par l, il est la religion suprmement mystificatrice, car il y a bien pire que de forger des dieux : il y a la croyance "superbe" que Dieu et moi ne faisons qu'un.

    "Le chrtien, en tant qu'individu, n'est pas du mme coup individu, mais genre, tre universel , parce qu'il "possde la plnitude totale de sa perfection en Dieu", c'est--dire en lui-mme ( 1 1 ) .

    Or, ce n'est certes pas cette mgalomanie que le j eune Hegel trouvait au coeur du christianisme. Ce qu'il ne lui pardonnait pas, c'tait d'tre une religion du dchirement, l'inverse de la religion grecque qui savait unir en de "belles figures plastiques" la divinit des Olympiens et leur forme humaine . Le chrtien, tel que Hegel le reprsente Francfort , prouve sans doute le besoin d'une image de Dieu, mais en mme temps l'impossibilit de jamais figurer l'infini, de viser tout fait cet homme-ci (Jsus de Nazareth) comme Dieu ( 1 2 ) . - Chez Feuerbach, nous trouvons la these exactement inverse . Plus question d'une scission dans la conscience chrtienne entre Dieu et Jsus-Christ : le chrtien, au contraire, ne conoit Dieu que sous la fonne du Fils .

    'Il est superficiel de dire que le christianisme n'est pas la religion d'un Dieu personnel, mais de trois personnalits . . . Seul le Christ est la personnalit plastique . . . Seul le Christ est le Dieu personnel. Il est le Dieu vritable et rel des chrtiens, ce qui ne peut tre assez souvent rpt' ( 13 ) .

    Si la conciliation du divin et du phnomene est le voeu de toute conscience religieuse, le christianisme est donc, "dans cette mesure" , "la religion absolue, parfaite" . . . S 'il en est ainsi , il pourrait sembler que Feuerbach reprenne en

    ( 1 1 ) ( 1 2 )

    ( 1 3 )

    Ibid . , p . 29 1 . "AuS'si est-il d if ficile de maintenir le ct religieux de J sus ressuscit, l'Amour ayant pris forme en sa beaut ; car c'est seulement dans une apothose qu'i l est devenu Dieu, sa divinit est une dif ica1ion de quelque chose qt.:: est galement donn com me ralit ; i l avait vcu comme individu humain, tait mort sur la croix et avait t ensevel i . Cette souillure de l'humanit est quelque chose de bien di ffrent de la forme qui est approprie au d ieu . . . L'obj ectivit non divine, dont on exige aussi l'adoration, ne devient jamais du divin, ma'lgr tout l'c1at dont elle rayonne" ( G eist des Christentlttlls. Suhrkamp . I, S . 409, 4 1 2 ) . Ess. Christ . , p . 285-286 .

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    gros son compte la comprhension du christianisme qui est celle du Hegel d'Ina et de Berlin, mme si c 'est pour porte r une apprciation toute diffrente . Certes, Hegel, dans la Philosophie de la Religion, est loin de prsenter le christianisme comme une formation dlirante, mais il comprend l'Incarnation comme l'union russie de l'individu limit et du genre . C'est pourquoi le christianisme l'emporte alors pour lui de beaucoup sur l 'anthropomorphisme grec qui ne faisait que dguiser les dieux en hommes : moins timide, il ose laisser se dployer le divin "jusqu' l'extrme pointe de la ralit immdiate" ( 1 4 ) , - jusqu' cet homme-ci . Pour la premire fois, crit-il, "Dieu est sujet et, en tant que subjectivit apparaissante, il n'est qu'un individu unique, exclusif" ( l 5 ) . Sommes-nous cette fois sur le terrain de Feuerbach, qui n'aurait fait , ds lors, que critiquer ce que louait Hegel dans l'Incarnation?

    Tant s'en faut . A y mieux regarder, on s 'aperoit qu'il ne s'agit pas, ici et l, de la mme Incarnation ni de la mme religion . Quand Feuerbach parle du christianisme, il entend toujours et partout retrouver l'attitude de la conscience religieuse "finie" (pour parler le langage hglien) . Il ne spare jamais le sens des dogmes et l'idologie qui pourrait le dforme r . Or cette distinction, chez Hegel, est capitale . Sans elle, on ne comprendrait pas son revirement par rapport au christianisme . Certes, bien des traits attestent l'attachement du chrtien "l'tre-fini" , mais sa pratique, malgr l'apparence, est une abjuration de l'gozsme. Et c'est sa pratique qu'il faut le juger, non au dphasage qui lui interdit de penser pleinement ce qu'il vit . Ainsi, il est trop facile de railler dans la mentalit chrtienne une "libert l 'gard des biens terrestres" qui ne va pas jusqu' en abandonner la jouissance . Le christianisme, il est vrai, n'est pas une religion du sacrifice matriel ; mais ce n'est pas "l'abandon d'une possession immdiate ou d'une existence naturelle" , observe Hegel, qui

    ( 1 4) Cf Vor/esul1gcn u.eber die Gesch . der Ph i/o. Suh rkamp. XIX, 500 sq . ( 1 ,5 ) PII. der Gcschichte. X I , 4 1 7 ( Glockner ) - trad. Gibe l in , p. 25 1 .

    " ( Chez les no-platonic iem ) l 'Espr i t n'est pas Espr i t individueI ; ce manque est combl par le christ ianisme. L l 'Esprit est comme Esprit exi stant. prsent. immdiat dans l e monde ; i l est connu comme homme dans l e prsent immdiat , et tout individu possede pou r soi une valeur in f in ie et une part ic ipation cet Esprit . qui es t n dans l e coeur de tout homme . C'est ic i que l ' inc1 ividu comme tel est l ibre. alors qu'en Orient un seul tait l i bre, et que/ques uns seulement chez les Grecs et les Romains . Dans Ic christianisme, au contra i re, tout individu est la f in de la grce de Dieu, et moi comme tel suis d'une valeu r infinie" ( Vorlesungen . . . XIX, 507 ) .

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    engage le plus la conscience religieuse ( 16 ) , - ce n'est pas la cession d'une rcolte ou d'un troupeau . Moins dispendieux, mais plus dcisif est le sacrifice symbolique par lequel je soumets Dieu mon existence entiere . . .

    Compte tenu de cela, que signifie encore, pour Hegel, l'attachement du chrtien au fini? Mme si le chrtien se pense nalvement comme une subjectivit subsistante face au Seigneur, il ne se comporte pas comme un possesseur indpendant face un Maitre plus puissant, mais de mme race . Mme s'il pense encore en "egolste" , il pressent pourtant - mieux qu'en toute autre religion - que la vie terrestre n'est que l'incessante ngativisation de "l'tre" dont la crditent palens et insenss; il ne vit le fini que pour se convaincre de sa nullit de tout instant . Bref, c'est la pratique nantisante du christianisme qu'il faut prendre en considration, non son idologie "finitiste", - et l'interprtation hglienne, alors, nous interdit de prendre pour une victoire de la subjectivit finie ce qui est au contraire la perptuelle suppression de celle-ci, - l'avnement de la "subjectivit infinie" . Chaque fois qu'il confesse que Dieu est son Soi vrai, le chrtien meurt en tant qu'individu naturel ( 17 ) ; il annule sa singularit finie bien plus radicalement que par l 'ascese ou le sacrifice . A partir de telles prmisses, il serait absurde de voir dans l'Incarnation une dification de l'individu, et Hegel ne manque pas de s'lever contre cette interprtation . Dans l'Incarnation, rpete-t-il, l 'important n'est pas l'haeccit de Jsus en elle-mme, la prsence de cet individu-ci en ce lieu-ci . C'est pour l'avoir cru que le catholicisme laissa ses fideles adorer les reliques et vivre dans la nostalgie du Ceci historique et terrestre, comme si la finitude n'avait pas t "seulement la forme" de

    ( 1 6) Analyse du sacri f ice dans PI!. Religion. XV, 244. - Au contrai re, sur l ' incompltude et l'hypocr is ie du sacri fice, c f Systemfrag11lent ( 1 800) in in Friil!e S ehr. Suhrkamp. l, S . 424-425 .

    ( 1 7 ) C'est cette appropria1 ion par le sujet de la vrit substantiel le qui se ral ise dans le lutherianisme. "Ains i , aj oute Hegel , l 'Esprit subject i f devient l ivre dans la vrit, il n ie sa particula,,-il et revient soi-mme en sa vrit" ( PI!. Geseh. X I, 524 - trad. p . 3 1 9) . - C'est le moment Ott " Ie contenu de l a vr i t n 'est plus dtenu exclusivement par une caste" , ott la barriere s'abolit entre prtres et laiques Sur la sign i f ication de cette "Aufklarung" protestante, cf Stimer . Un ique et sa proprit . p . 1 54-5 : " ( Ie luthrianisme) cherche i l l trodu i re I'esprit pn loules choses,

    reconnaitre l ' esprit saint comme leur essence, sanetifian t a.insi l' en semble du temporel . . . R ien d'tonnant ce qUe ce soit le luthrien Hegel - il expl ique quelque part qu' i l "veut rester luthrien" - qui ait russi cette pntration total e du concept en toutes choses . . . " .

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    la Rvlation ( 1 8 ) . La venue du Christ, pour un luthrien, doit signifier tout autre chose : que le divin ( l'Universel) s'atteste en subissant et en surmontant l'preuve de la singularit absolue . L'admirable en l 'Incarnation est que Dieu ne se soit pas perdu dans ce moment de l 'unicit et qu'il ait fait se nier pour sa plus grande gloire jusqu' la figue maudite de l'individualit ( 1 9 ) . Entendue de la sorte, l'Incarnation hrtienne n'est nullement cette union magique et dlirante du fini et de l 'infini que dcrira Feuerbach. Elle ne glorifie ni ne rhabilite le fini : elle l 'exorcise .

    'L'existence sensible ou se trouve l'Esprit n'est qu'un moment passager. Le Christ est mort ; c'est mort seulement qu'il est lev au Ciel, assis la droite de Dieu, c'est ainsi seulement qu'il est Esprit . Il dit lui-mme : Quand je ne serai plus avec vous, l'Esprit vous conduira en toute vrit" . Ce n'est qu' la Pentecte que les aptres furent remplis de l'Esprit saint . . . Si le Christ ne doit tre qu'un individu excellent, mme sans pch et seulement cela, on nie la reprsentation de l 'Ide spculative, de la vrit absolue" ( 20 )

    Cette thse d'une neutralisation de la finitude dans le christianisme, il est frappant que Feuerbach n'en tienne pas compte, mme pour la rfuter . A quo i bon? Il est entendu que le chrtien est avant tout celui qui ne renonce qu'en paroles une particularit qu'il se garde bien de sacrifier, et que sa religion consiste "identifier immdiatement l'tre particulier avec l'essence gnrale" . Il est entendu que le christianisme est une divinisation de l'individu fini . Ds lors, les textes de Hegel relatifs la "mort spirituelle" du chrtien ne mritent pas qu'on s'y arrte . Il va de soi encore que la "subjectivit infinie" chrtienne, telle que l'entend Hegel, est une expression dpourvue de sens . La "subjectivit" ne peut dsigner que la centration sur soi du "pieux

    ( 1 8) PIl. Religion. XV, 209-2 1 0 - PIl. Gesch. XI, 409, 480 - t rad. p . 247. 292 . ( 1 9) La doctrine hglienne semble tre le eommentaire de ee texte de LlIther,

    eit par Fellerbaeh ( in Essence Chr. p. 282) : "La meil lellre part de la rsllrrection est dj arrive ; le Christ, chef de la ehrtient, est pass par la mort et ressuseit d'entre les morts . De plus, la partie exeellente de moi-mme, mon me, est p::tsse aussi par la mort, et est avec le Christ dans l'tre c/este. En quoi done peut me llll ire le tombeau , h mort ? " .

    (20) Ph. Geseh. XI, 4 1 7 - trad . p . 25 1 .

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    individu", judai:que, puis chrtien ( 2 1 ) , - et l'expression de "subjectivit infinie" est seulement caractristique du procd frauduleux qui consiste proclamer l 'union magique, chrtienne, du fini et de l'infini . - C'est l, bien sur, un contresens et sur la philosophie hglienne de la religion et sur la dialectique . Mais, pour Feuerbach, la dialectique n'est rien d'autre que cette fusion aberrante des incompatibles . Et cela mrite quelque rflexion .

    Il est certain qu'on n'a pas de mal entendre ainsi les propositions dialectiques : il suffit de les lire en maintenant la consistance et la fixit que l'Entendement donne chaque terme . A ce compte, le persiflage est facile : Hegel en convenait le premie r . Par l'opration du Saint-Esprit dialectique, dira-t-on, le fini est l'infini, le vivant singulier est le genre, le citoyen dans l'Etat est l'Universel . . . - Il me semble notable qu'aujourd'hui encore, cette lecture feuerbachienne, quand mme sommaire, puisse tre reprise sans l 'ombre d'une rserve . Ainsi M . Osier, dans sa prsentation de L'Essence du Christianisme, l'accepte, semble-t-il, sans nuances . Hegel, l'en croire, affirmerait l'identit des contradictoires de la mme faon que le prtre catholique affirme que le pain est chair et que le vin est sang ( 2 2 ) . Enfin vint Feuerbach qui eut "beau jeu de rtorquer" que "ce n'est pas la dialectique hglienne, mais le temps qui peut unir dans un mme tre les contraires et les contradictoires' . . . lei, l'on s'tonne un peu : Feuerbach n'eut-il pas vraiment trop beau jeu, et suffisait-il de ce truisme pour faire s'effondrer la Logique de Hegel? Qu'on n'aille pas croire que je prenne la dfense de Hegel . Je me demande seulement si une critique de Hegel est efficace , qui commence par l'interprter en termes d'Entendement, c'est--dire contre son expresse volont . Je ne soutiens nullement que le hglianisme ne soit pas une pense essentiellement chrtienne, mais je doute que la dialectique soit une transposition du dlire religieux, un savoir immdiat peine camoufl par du jargon . Pourquoi ne pas prendre plutt Hegel la lettre? Que la dialectique soit le discours de la mort au monde, que le christianisme ait t le systeme par excellence de la rpression universaliste, n'y aurait-il pas l des chefs d'accusation assez graves pour Feuerbach et ses pigones? Il se peut que non . . .

    (2 1 ) SUf l 'goisme j udo-chrtien, c f Essence Chr. p . 465-466, - e t les pertinentes remarques de M. Giannotti in Origines de la Dialectique du Travail, p. 60.

    (22) Cf la prsentat ion de M . Osier. p. 55-6 .

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    Quoi qu'il en soit, on ne saurait trop admirer la constance que met Feuerbach faire dire Hegel le contraire de ce qu'il disait ou, si l'on prfre, dgager son "impens" .

    J'en prends un exemple . La conscience religieuse, dit Feuerbach, spare toujours nouveau l'homme et Dieu pour en faire des existences indpendantes . C'est justement cette opposition d'Entendement, insurmontable pour le chrtien, que la spculation hglienne prtend abolir et dont le mouvement dialectique dnonce la vanit . L'tonnant est que Feuerbach ne mentionne mme pas cet objectif de Hegel, et ajoute tout de go :

    "La spculation hglienne identifie prsent ces deux cts, mais de telle sorte pourtant que subsiste fondamentalement la vieille contradiction - elle est donc le dveloppement consquent, l'accomplissement d'une vrit religieuse . Dans sa haine contre Hegel, la foule rudite a t assez aveugle pour ne pas reconna'itre que sa doctrine ne contredit pas, du moins sous ce rapport, la religion - elle ne la contredit que de la manire dont en gnral la pense cultive et consquente contredit l'imagination inculte et inconsquente qui pourtant nonce la mme chose" ( 2 3 )

    La Philosophie de la Religion nonant "la mme chose" que la conscience malheureuse? Devant des affirmations aussi cavalires, faut-il parler de rcusation de la dialectique ou d'impermabilit la dialectique? Certes, on n'ira pas souponner Feuerbach de mal conna'itre Hegel . On prouve seulement, devant cette dsinvolture, la mme surprise qu' la lecture de certaines polmiques d'Aristote ou Platon est critiqu comme s'il n'avait jamais crit le Parmnide. Il est difficile de dire pourquoi un philosophe prend le droit de simplifier l'excs et le risque de para'itre malhonnte, ou quel enjeu est assez puissant pour lui imposer une lecture dformante . Dans le cas de Feuerbach, on l 'entrevera peut-tre tout l 'heure . - La tactique, en tout cas, est claire. Tout ce que le dialecticien dcrit comme suppression idale du fini, on l'entendra comme conservation sournoise du fini ; quand le dialecticien prtend laisser se dire l 'auto-supresion de la chose, c'est qu'il transfigue celle-ci pour la maintenir en place telle qu'elle est dans le fini . La pense spculative prend ainsi l 'allure d'un monument d'hypocrisie .

    (23 ) Essence Chr. p . 38 1 .

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    Veut-on voir cette mthode l 'oeuvre? La critique de la philosophie de l'Etat par le j eune Marx en est un bon exemple . Comment prendre Hegel au srieux lorsqu'il nous reprsente l 'entre dans I 'Etat comme l'une des formes de cette "mort" (trs symbolique) de l'individu? L'anti-dialectieien a vite fait de dceler la supercherie : en ralit, "I'Etat moderne" hglien est la sauvegarde de la proprit prive et de "l'individu libre" qu'elle a cr . . . Hegel, d'ailleurs, est bien prs de l 'avouer lorsqu'il oppose "1'Etat moderne" la Cit substantielle antique dont la Rpublique de Platon fut la dernire image ( 24 ) . Platon entendait dtruire tous les "germes' de la particularit (famille, proprit, libre choix de la profession) . Le principe politique moderne, constate Hegel, est bien diffrent . C 'est que le christianisme a duqu la modernit ; il a appris aux eits s'accommoder de la subjectivit. Grce lui, nous savons que "le dveloppement indpendant de la particularit" n'est plus forcment, comme le pensaient les Aneiens, le dbut de la corruption et du dclin des eits . Nous savons que le maintien d'une sphre de la vie prive est non seulement compatible avec l 'intgration de l 'individu dans l'Etat, mais peut mme constitue r le meilleur ciment de celui-ci . - Revenons sur terre, rpond le feuerbachien : loin que l'Etat politique moderne soit un mode d'intgration nouveau de l'individu, il est en realit la forme que se donne une socit pathologique, "fonde sur des intrts particuliers qui ne sont pas sociaux"; en ralit, l 'Etat moderne ne peut tre qu'un instrument d'oppression au service d'intrts dtermins . Et la sophistique hglienne, une fois de plus, a pour seul effet (sinon pour seul objectif) de sauvegarder et de normaliser la finitude, - en l 'occurrence, cette coalition d'golsmes qu'est la soeit civile . rei comme partout, la "suppression" dialectique de l'individuel dans son indpendance masque peine la consolidation de cette indpendance . - Abstraitement (selon la lettre de Hegel) , le Christ en tant qu'individu se supprime dans le divin; en ralit, la subjectivit finie demeure pour Hegel le rceptacle du divin . Abstraitement, la socit civile trouve sa vritjsuppression dans I'Etat ; en ralit, I'Etat est le prte-nom des lecteurs censitaires . Telle est la rgle du grand jeu de la "dmystification" : abstraitement, l 'individuel se transfigure dans le genre ; soyez attentif, et vous verrez qu'en ralit, le "genre" n'tait que le masque de l'individuel, - et la spculation un "empirisme

    (24) Cf Ph. des Rechts. & 1 85 .

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    spculatif" ( 2 5 ) Qu'on remplace "individueI" ou "finitude" par "amour de soi", et l'on comprendra pourquoi La Rochefoucauld est l'un des patrons de cette dmystification o

    * * *

    Feuerbach n'a donc pas le mme concept du christianisme que Hegel . Dification du fini, annulation du fini . o o Tout semblerait mme en place pour un parallle trs scolaire . Car ce diffrend sur la signification d'une religion n'est qu'un point de fait, juste bon veiller une curiosit rudite . Plus intressant est le parti-pris de Feuerbach qui le porte lire Hegel comme si celui-ci avait en ralit repris et sauvegard du christianisme cela mme qu' la lettre il ,en rejette . Prenons un dernier exemple . A suivre Feuerbach, la conception que se fait Hegel de l 'Incarnation ne doit pas nous abuser : que le divin (l 'essence humaine) ait pu se raliser en cet homme-ci, Hegel, en ralit, l 'admet au mme titre que les catholiques . Sur ce point, spculation ,et "reprsentation" religieuse sont d'accord o Il faut qu'elles ]e soient .

    " . . . Est-il donc seulement possible que l'espce se ralise de faon absolue dans un seul individu, l 'art dans un seul artiste, la philosophie dans un seul philosophe o o o Sans doute, l 'esprit, la conscience sont "l'espce existant comme espce" ; mais l'individu, l'organe de l 'esprit, la tte, aussi universelle soit-elle, sont toujours marqus, pointu ou camus, mince ou massif, long ou court, droit ou courbe, d'un nez dtermin . o o Rien ne se ralise sans se raliser comme un tre dtermin . L'espce dans sa plnitude s'incarnant dans un individu unique serait un miracle absolu . . . " ( 26 )

    Ce "miracle absolu", Hegel ne se vante nullement de le raliser . Il n'est que de se reporter aux textes : l 'Incarnation n'a de sens que par le Golgotha, et la vie de cet homme-ci

    (25)

    26)

    Feuerbach. Manifestes Philosophiqueso trad . de M . Althusser ( PUF) o p . 28 . Ibid. p. 1 4- 1 5 . - Dans cette page, Feuerbach parle du Messie comme du

    "Dalai Lama spculati f " . L' image, coup sur, vient de Hegel ( cf Ph. Gescho XI, 4 1 7 - trad. p . 45 1 , et Pho Religion . XVI, 3 1 1 ) . Mais il est remarquable que Hegel opposei au contraire, la singularit unique du Christ aux lamas qui sont les exempla.ires multi pIes d'un Dieu qui demeure substance .

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    tait seulement ncessaire pour que Dieu s'accomplit jusqu'en cet extrme ngatif qu'est l 'existence d'un mortel . Mais Feuerbach, nous le savons, ne veut pas entendre ce langage. Hegel accepte que l'infini s'unisse du dtermin, il consent cette absurdit : Feuerbach ne sort pas de l .

    Prtons attention cette trange critique . On en pntrerait mal le sens si l 'on s'en tenait l'image traditionnelle et tres simplifie qu'on se donne souvent de Feuerbach, apologiste de l'immdiat et du sensible, pourfendeur de l'abstraction . Ce n'est pas seuZement cela qui est en question, lorsque Feuerbach s'attaque au christianisme et Hegel en tant que chrtien . Ce n'est pas de cela qu'il s'agit exactement . Il y a deux points distingue r dans la polmique : Hegel est 1 .0) un penseur abstrait, 2.) dans la ligne de l'idologie chrtienne .

    En tant que penseur abstrait, Hegel "prend presque toutes les choses dans un sens ou on ne les reconnait plus" ; i l utilise leur nom "sans pourtant conserver la valeu r du concept qui est li ce nom" ( 2 7 ) . Rien de plus juste : les mots sujet, Concept, etc . n'ont plus rien de commum (le lecteur de Hegel en est assez averti) avec leur signification populaire, "reprsentative" . Cette mutation de sens, pense Feuerbach, est indissociable de l'alination propre toute thologie ; c 'est en tant que thologien que Hegel, systmatiquement, dpossede l'homme et le monde de leur essence . "La philosophie de Hegel a fait de la pense, de l'tre subjectif, mais pens sans le sujet, et donc reprsent comme un tre distinct de lui, l 'tre divin et absolu ( 2 8 ) C'est ce theme-I qu'on a surtout retenu de la critique de Feuerbach . C'est un autre qui doit nous intresser ici .

    Si Hegel est chrtien, c'est plus prcisment parce qu'il transfere (ou est cens transfrer) dans le Dieu abstrait la divinit du Moi, - parce que son Dieu est tel que la conscience singuliere rencontre en lui sa propre divinit. C'est la raison pour laquelle il est au plus lo in de percer le secret anthropologique de la religion . Sans doute, l'anthropologie est inscrite l'encre sympathique dans la "vraie thologie" hglienne : c'est le theme du chapitre de l'Essence consacr "la doctrine spculative de Dieu" . Sans doute il suffirait d'une tres lgere inflexion pour que le texte de Hegel avoue

    (27) Manifestes . p. 1 63 . (28) Ibid . , p . 1 6 1 .

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    la vrit du christianisme : on peut y apprendre que "c'est seulement dans l'homme que se ralise, se manifeste l'essence divine en tant que telle" ( 2 9 ) . A ce point, il en faudrait donc trs peu pour reconnaitre que "la conscience humaine est conscience divine" . "pourquoi alors, s'crie Feuerbach, aliner l'homme sa propre conscience, et en faire la conscience de soi d'un tre spar de lui, d'un objet?" . Oui, pourquoi? Sinon parce que Hegel reste enferm dans la vieille opposition thologique : divinjhumain, essence infiniejMoi fini et qu'il est donc incapable de dsigner "l 'unit vritable, autarcique des essences divine et humaine" ( 30 ) . Voil en quoi Hegel est au plus loin d'entrevoir ce qu'il fait pourtant deviner son lecteur . Lui aussi spare en secret le fini et l'infini ; son tour, il donne au Moi singulier assez de consistance pour devoir s'interdire de verser la "divinit" au compte de l'tre humain . - Feuerbach dcouvre en somme que Hegel est encore tributaire de cette "pense finie" ou "pense d'Entendement" qu'il avait dpiste travers la tradition . En retournant contre Hegel lui-mme l'accusation de "finitisme", sa critique est ainsi ultra-hglienne .

    Qu'en est-il alors de Feuerbach penseur de la finitude? Entendons-nous . Il est vrai que l'anthropologie rend au fini ce que l'abstractioh en avait dtach : l 'homme est la vrit de Dieu, le fini est la vrit de l'infini ( 3 1 ) Mais on aurait tort de croire que, par l, la notion abstraite d"'infini" est purement et simplement annule . S'il en tait ainsi, pourquoi Feuerbach tirerait-il gloire d'unifier une bonne fois, sans risque de flure, les essences divine et humaine? Bien sOr, le mot divin est alors mettre entre guillemets, mais il reste qu'il serait absurde de parler d'unit et d'unification si le divin (religieux) n'avait jamais t qu'une sublimation fantastique . Cela, d'ailleurs, Feuerbach se dfend de l'avoir suggr :

    "Si mon livre ne comportait que la seconde partie, on aurait sans doute absolument raison de lui reprocher une tendance exclusivement ngative, et de voir dans la proposition : la religion est nant et non-sens, son conte nu essentiel . Mais je ne dis nullement (et pourtant comme ceIe m'eOt arrang) : Dieu est nant, la Trinit est nant, la

    ( 29) Essence Chr. , 1> . 379 . ( 30) Ibid . , 1> . 382 . ( 3 1 ) Manifestes. p. I I I .

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    parole de Dieu est nant, etc . Je montre seulement qu'ils ne sont pas ce qu'ils sont dans l'illusion de la thologie . . . " ( 3 2 )

    L"'tre infini" est donc plus qu'un "ens imaginarium" que ferait s'effacer le dmystificateur, mesure qu'il retrouve, ' sous les dtermination abstraites, les dterminations finies dont provenaient celles-ci . Aussi ne suffit-il pas de retracer la gense des proprits divines partir du fini, de reparcourir le chemin de "l'abstraction" : il faut aussi dvoiler le sens vritable qu'avait l'infinit de Dieu . Il ne suffit pas de dtronr Dieu en tant que personnage fabuleux : il faut aussi dterminer en quel sens nous devons prendre sa "toute-suffisance" , sa "toute-puissance", sa "suprme bont" . . . "11 est infini au sens ou le genre est infini, n'est pas limit un lieu, un temps, un individu, une espce . . . il est au-dessus des hommes au mme sens ou la couleur est au-dessus des couleurs, l'humanit au-dessus des hommes . . . il est l 'tre parfait au sens ou le genre l'est par rapport aux individus . . . " ( 3 3 ) Autre chose est donc de prouver que le contenu du divin n'tait en tous points que la vrit du tini, autre chose de pntrer sa signification et de comprendre quelle est la vritable infinit, la vritable illimitation .

    La suggestion de Stirner d'ou l'on tait parti prend alors toute sa porte : Feuerbach ne serait-il pas avant tout l'hritier de Hegel? En analysant le jugement que l'un et l 'autre portent sur le christianisme, en tablissant que le christianisme vu par Feuerbach n'a rien de commun ave c le christianisme vu par Hegel, il pouvait sembler qu'on invalidait cette hypothse . Naus voyons maintenant qu'il n'en tait rien . C'est qu'il n'y avait pas d'opposition proprement parler dans cette trame de Marivaux que l'on peut rsumer ainsi : la preuve, pour Feuerbach, de l'allgeance de Hegel au christianisme est qu'il comprend le christianisme de la manire dont le Hegel historique assurait qu'il ne fallait pas le compreendre . Une telle "opposition" ne recouvre-t-elle pas plutt une complicit dans les prsupposs? Si je condamne dans le christianisme une glorification de l'individu, si vous le clbrez pour avoir t la religion de la dsindividualisation, notre querelle hermneutique n'est-elle pas l'indice que nos prsupposs philosophiques sont les mmes? que ma critique et votre apologie s 'inspirent du mme idal . . . Ds

    (32) Essence Ch,.. p. 1 07 . (33) lbid . , p . 446-447 .

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    lors, rien de suprenant si le hglianisme est en fin de compte dplac plutt que "renvers" et si l'infini thologicospculatif ne fait, tres exactement, que changer de site .

    'Le mystere de la plnitude inpuisable des dterminations divines n'est done rien d'autre que le mystere de l'essence humaine, en tant qu'elle est infiniment varie, infiniment dterminable mais aussi, pour cette raison prcisment en tant qu'tre sensible. C'est seulement dans la sensibilit, dans l'espace et le temps, qu' a sa place un tre infini, rellement infini, riche en dterminations" ( 3 4 )

    Ou est ici le "renversement"? Il s'agit plutt de l'inversion d'un transfert :

    "La tche de la vraie philosophie est de reconnaltre non pas le fini dans l'infini, mais au contraire le non-fini, l 'infini dans le fini ; en d'autres termes non pas de transposer le fini dans l'infini, mais de transposer l 'infini das le fini" (35)

    * * *

    Ainsi, l'infini aura nom genre humain et non plus Esprit. Mais qu'apporte de nouveau ce changement dans la nomenclature? Les acteurs seuls ont chang, et non les rles . Et n'est-se pas encore trop dire? Il semble qu'il y ait eu parfois sim pIe modification dans la distribution plutt que distribution nouvelle . L'infinit du "Geist" a fait place celle de l'espece . Mais dj pour Hegel la puissance de l 'espece tait une image naturelle de l'incompltude de l 'individu par rapport l'universel . Le "naturalisme" consiste-t-il donc prendre cette image pour vrit derniere? - On peut aussi bien s'interroger sur l'originalit de la these "humaniste" . L'individu humain, affirme Feuerbach, est le seul tre vivre relativement son espece et objectiver son genre . L dessus, consultons le lexique hglien : nous verrons que le "Geist" n'est rien d'autre que l 'objectivation du genre.

    "Cette diffrence (de la subjectivit singuliere et du genre) est un processus qui a le rsultat suivant : le genre vient lui-mme en tant qu'uni-

    (34) Ibid . , p . 1 40-- 1 4 1 . (35 ) Manifestes. p . 1 1 1 .

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    verseI, et la singularit immdiate est nie . Cette disparition, c'est la mort de l 'individu . La nature organique finit l ou, la mort de l'individu, le genre vient lui-mme et devient ainsi son propre objet, - ce qui est le surgissement de l'Esprit" ( 3G ) .

    Laissons une dernire fois parler les textes . - Quelle est, chez Feuerbach, la fonction du "genre humain" entendu comme infini rel? Montrer la fragilit des limitations individuelles, faire clater systmatiquement leurs bornes (ce dont se souviendra Marx dans son analyse de la spcificit du capitalisme) .

    "Ma vie est lie un temps limit, celle de l'humanit non . L'histoire de l'humanit n'est pas autre chose que la victoire continuelle remporte sur les limites qui une poque dtermine taient tenues pour les limites de l'humanit, et pour cette raison, pour des limites absolues, indpassables. Mais l 'avenir dvoile toujours que les prtendues limites du genre n'taient que celles des individus" ( 37 )

    Quel est le rle du "Geist" hglien? Etre le principe de transgression de toute limitation ( 3 8 ) L encore, renversement ou dplacement? Cette question, on peut d'ailleurs se la poser ds les premires pages de l 'Essence, lorsque Feuerbach, dfinissant la religion comme la conscience de l'infinit de l'essence humaine, ne fait que reprendre et commenter le mot de Hegel : "Connaitre sa limite, c 'est connaitre son illimitation" . Dbut inattendu, on l'avouera, pour un livre dont on nous assure encore qu'il contient "la destruction

    (36) System deI' Philosophie, & 367, Zusatz , IX, S . 668 (Glockner ) . ( 3 7 ) Essence Chr. P . 292 .

    .

    ( 36) "La forme de I 'Esprit est essentie llement celle de l 'tre-ni du fin. En lui, le fini a seulement la s ign i f i cation cl'ull tre-supprim et l 10n cl 'un tant. La qualit propre cle I 'Esprit , c'est plutt la- vritable inf in i t, c'est cl i re cette inf in i t que, au l i eu cle s'opposer un i latralement ou f in i , clt icnt le f in i e n elle t itre de moment . I ! est clonc va1n cle clire qu' i l y a des "esprits f inis " . L' Esprit en tant que tel n'est pas fini : i l a la f in i tuclc en lui, mais sculement comme quelque chose qui cloit trc supprim ct qui cst supprim" ( System. & 386 Zusatz. X, 43 ) . - Cf i n Revue Int. Philo . n. o 1 0 1 l'art iclc de M . M i chel Henry : L a critilJue d e l a religion et l e concept de genre, Ol! I 'auteur conclut. prcuves I 'appui , que I 'anthropologie de Feuerbach cst "une plc rpl iquc de l'ontologie hgl iennc " : " I 'anthropologic . . . n'accomlll it rien, ni la moinclre mutation conccptuelle, ni le moinclrc changement dans le contenu des concepts qu'elle empruntc" .

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    totale" des prsupposs hgliens ( 39 ) . - Certes, il y a le tmoignage d'Engels sur la rupture que marqua le livre de Feuerbach, le coup de tonnerre qu'il fut pour sa gnration : "L'enchantement tait rompu; le "systeme" (de Hegel) tait bris et jet au rancart" . Document intressant pour l 'historien des ides, mais these que rend intenable le moindre examen des homologies thmatiques . Que Feuerbach ait libr ses disciples de la dialectique, nul doute ; du hglianisme, c'est une autre affaire . Pour jeter le hglianisme au rancart, il ne suffit tout de mme pas de faire de la dialectique une varit de dlire , de 1"'Aufhebung" une imitation du miracle et de Hegel un incorrigible "idaliste" . Chaque fois que vous entendez parler doctement de "l'idalisme hglien", soyez sur que le critique (ou le rabcheur) n'a pas song que bien des valuations hgliennes pourraient encore loger en son discours : l'expression "idalisme hglien" - c'est ainsi - est devenue le sur indice de cette gayante ingnuit . De ces valuations, je ne ferai pas ici le compte . Citons-en deux, seulement . Que le genre soit la destination de l'individu, que l'universel s'atteste dans l 'effacement des limitations, voil des convictions tenaces qui survivent au "renversement" - et, qui sait? se faufilent travers les "coupures" . - L'avertissement de Stirner est donc prendre au srieux : il se pourrait que l"'anthropologie" , spculation travestie , soit, par ce biais, "la derniere mtamorphose de la religion chrtienne" . Contre cette assertion, Feuerbach s'insurge. Mais que vaut sa dfense?

    Stirner, dit-il , pense que je sacrifie le "moi individueI et rel" une abstraction : I'Homme . Etrange reproche, vraiment, un livre qui est la premiere divinisation de l'individu humain .

    " Unique, as-tu lu entierement l 'Essence du Christianisme? C'est impossible ; car quel est jus-

    (39) Cf la prsenta1 ion de M . Osier . p . 59 . - Ce qu'on peut se permettre de reprocher M . Osier, c'est de conclure la destruction du hgl ianisme, sans avoir ouvert le dos'S ier clu rappont Hegel - Feuerbach et eu reprenant son compte l ' ide feuerbachi enne ele la d ialectique, qui renel eles lors t rop faei le la critique de Hegel. - Il est vrai que M . Os ier est marxiste, et, pour lui, le 'probleme n'est pas l. Etant ent endu que Feuerbach nous a l ibrs de " l ' incantation " hgl ienne et qu'il naus a permi s de "penSd tout court" , l ' intrt est de comprendre pourquoi "ce priviJ.ge n'tait pas rserv Feuerbach " . Pour naus, n 0115 clemandons [Ju'on n 'a i l le pas si vi te et [Ju'on n'vite pas la question pralable : et s i Feuerbach ne naus avait dlivrs d'aucune incantation ?

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    tement le theme, le coeur de ce livre? Uniquement et purement la suppression de la scission en un moi essentiel et un moi inessentiel - la divinisation, c'est--dire la position, la reconnaissance de l'homme total, de l'homme de la tte aux pieds . La divinit de l'individu n'est-elle pas exprimee en toutes lettres dans la conclusion comme le mystere rsolu de la religion?" ( 4 0 )

    En ces lignes, Feuerbach souligne le mot individuo Mais c 'est le mot divinit qui retient l'attention de Stirner : cet "individu" divinis me dsigne-t-il encore, moi? le sens du mot n'est-il pas mystifi, la maniere hglienne? - A partir de l, chacun des adversaires va renvoyer l'autre l'accusation de crypto-christianisme . Certes, dit Fuerbach, j e parle de l'individu, je ne parle mme que de lui, mais non de "cet individu-ci" , - ce qui serait "retomber dans le point de vue de la religion" ( 4 1 ) , l 'exemple de Stirner, qui ne fait que transposer en son Uni que le Dieu du monothisme . Qu'il y ait divinisation de l 'espece humaine, et non de l'individu, atteste au contraire que l'mancipation du christianisme est complete .

    "Ce point de vue, tu ne peux le supprimer qu'en transportant cet individu incomparable des nues thres de son golsme surnaturel dans l 'intuition sensible profane, qui fera ressortir, certes, sa particularit individuelle, mais du mme coup aussi, d'une faon incontestable et indniable, son identit et sa communaut avec les autres individus . Ne donne pas moins que son dO l'individu singulier, mais aussi ne lui donne pas plus . C'est ainsi seulement que tu pourras te librer des chalnes du christianisme" ( 4 2 ) .

    On ne peut mieux confirmer Stirner dans son opinion : cette priorit donne l'individu gnrique prouve justement que "l'mancipation complete" est une complete transposition, et que l 'anthropologie reprend simplement son compte l 'asservissement de droit de l 'individu l'universel . Feuerbach aura beau rtorquer que Stirner, en prenant pour principe "le moi fini" , montre qu'il mconnalt ce que signifiait

    (40) Manifestes. p. 224 . (4 1 ) Ibid. p . 226 . (42) Ibid . p . 227 .

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    en ralit "l'essence divine" ou plutt qu'il l 'interprete encore chrtiennement . Mais Stirner se dfend de rien interprter . Comme toute forme du sacr , "l 'essence divine" est simplement dtruire : quelle ncessit d'en restituer le vrai sens? En lui faisant l 'honneur d'un dchiffrement, on ne fait que "contraindre le Dieu cleste nous rejoindre ave c armes et bagages" . . . Ajoutons qu'on vite la vraie, a seule question subversive, celle que formulera Nietzsche en prsentant le Retour ternel (dans les textes que les diteurs ont placs la fin de la Volont de Puissance) : quelles conditions puis-je tre assur de ne plus penser l 'infinit thologique, sous quelque forme que ce soit? quand puis-je tre assur de n'avoir pas rebaptis le divin? Comme le dit Stirner : "Que je prenne l'espce ou l'humanit comme modele idal, ou Dieu et le Christ, comment voir l une diffrence essentielle? . . . Nos athes sont des gens pieux' ( 43 ) . N'est-il pas pieux, en effet, l e langage dont use Feuerbach pour blmer la superbe de l 'Unique? "Nous nous sentons limits et imparfaits . . . Ou donc nous dlivrer de ce sentiment de limitation, sinon dans la pense de l 'espece illimite . . . ?" ( 4 4 ) . - Comment oublier mon imperfection? Comment faire de mon ngatif un mauvais rve? Le fait mme de pose r sans fard ces questions pieuses montre combien la religion est le texte "princeps" de l' "anthropologie" aussi bien que de la spculation . - Non, dans l 'Allemagne des annes 1840, la critique de la religion n'tait nullement "faite en substance" . Et encore moins entame la critique des prsupposs de Hegel . - lci commencerait l 'histoire de la vritable idologie allemande : celle que circonscrit Stirner, - le reste tant querelle de sectes .

    Substitution du "genre humain" l'infini thologique, neutralisation de l 'individu par l 'universel : ces seuls traits feraient dj de l'Essence du Christianisme un lieu de formation remarquable de ce que Nietzsche dtestera et dnoncera sous le nom d"'ides modernes", - entendons : produits de remplacement du christianisme . Car c'est bien de cela qu'il s 'agit (et depuis la lettre de 1828 Hegel) : remplacer la religion. D 'ou vient donc l 'urgence de cette tche? Feuerbach n'en fait pas mystere, - et ses phrases sont saisissantes, tant elles justifient l 'analyse de Nietzsche .

    (43 ) Stirner. Un.iqlle . p . 232, 234 . (44) Manifestes. p . 230 .

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    "Si l'on ne remplace pas la divinit par l 'espce, on laisse dans l'individu un vide qui, ncessairement, se comblera de nouveau par la reprsentation d'un Dieu, essence personnifie de l'espce . Seule l'espce est capable la fois de supprimer et de remplacer la divinit et la religion" ( 4 5 )

    On le voit : l'Essence du Christianisme n'est pas ddie aux "nihilistes forts" . Dieu ou l'espce, la limite, il importe peu, pourvu qu'on vite la condition la plus intolrable : "le vide", - le plus intolrable aussi des supplices : un besoin d'idal dont on sait qu'il ne sera jamais satisfait . Ce que Nietzsche appellera "nihilisme", et dont le livre de Feuerbach est l'antidote, le retardateur . Et c'tait peut-tre un mrite suffisant pour s'attirer la reconnaissance des contemporains .

    "C'est alors que parut l 'Essence du Christianisme de Feuerbach . D'un seul coup, il rduisit en poussire la contradiction en replaant sans dtours le matrialisme sur le trne . . . Il faut avoir prouv soi-mme l'action libratrice de ce livre pour s'en faire une ide . L'enthousiasme fut gnral ; nous fumes tous momentanment des "feuerbachiens" . On peut voir, en lisant la Sainte Famille, avec quel enthousiasme Marx salua la nouvelle faon de voir et quel point - malgr toutes ses rserves critiques - il fut influenc par elle" (Engels ) .

    (45) Ibid . , idem .

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