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I. Découvrir la conscience certaine de soi : le cogito. René Descartes, le philosophe français par excellence, est un passage obligé sur la question du sujet et de la conscience, tant il a marqué cette question. Il ne l’a pas seulement marquée chez les philosophes, mais tout aussi bien la pensée populaire, puisque tout le monde, aujourd’hui connaît la célèbre formule du cogito cartésien : « Je pense, donc je suis ». Tout le monde la connaît, mais tout le monde ne sait pas véritablement ce qu’elle signifie. On va étudier les deux premières Méditations métaphysiques de Descartes. C’est le texte sur lequel vous pourrez être interrogés à l’oral si vous choisissez de prendre la philosophie à l’oral du second groupe. On l’étudie ici dans le cours sur le sujet et la conscience, mais c’est très utile pour bien d’autres notions : autrui, la perception, l’existence, la vérité, la démonstration, etc. Attention à ne pas se mettre d’oeillères. Avant, quelques repères sur l’homme Descartes. Contemporain de Galilée et de Pascal, il se situe entre les deux. Il est philosophe, certes, mais aussi physicien et mathématicien. En tant que physicien, il s’est intéressé à la réfraction de la lumière, quand elle se propage dans un milieu, par exemple de l’eau. Cela l’a amené aussi à travailler sur la structure de l’oeil pour comprendre comment la lumière se propage dans les muqueuses de l’oeil et comment se forment des images. En tant que mathématicien, il est l’inventeur de la géométrie analytique qui réunit algèbre et géométrie, puisqu’il montre qu’on peut noter les choses de la géométrie par l’algèbre. Ex : y=ax+b est l’équation cartésienne d’une droite, x 2 donnera une courbe exponentielle, etc. On va donc faire une lecture suivie d’un texte archi-célèbre de Descartes, les Méditations métaphysiques, qui est son plus grand texte. Il faut d’abord comprendre ce titre. Méditation : une pensée solitaire, puisqu’il va s’agir de découvrir la conscience de soi en excluant tout le reste. La méditation implique (1) la solitude, cela n’est donc pas comme le dialogue, qu’on trouve chez Platon. La méditation signifie aussi (2) que c’est une expérience à réaliser, un exercice de pensée. Descartes, dans ce texte, réalise une expérience que le lecteur devra réaliser pour lui-même. C’est ici un sujet, un Je, qui va réaliser cette expérience pour finalement se découvrir lui-même. C’est pourquoi Descartes écrit ce texte à la première personne du singulier, c’est à noter dans toutes les explications de texte sur cet auteur : c’est ici un je qui médite et qui va se trouver dans le cogito. C’est une originalité à noter, car vous savez qu’en philosophie habituellement, on ne s’exprime jamais à la première personne, car on prétend ne pas exposer quelque chose de subjectif. Comparez par exemples avec les textes de Kant, vous verrez tout de suite la différence. Méditation, cela veut dire aussi (3) que ce n’est pas un texte qui va exposer des vérités qu’il aurait découvert avant d’écrire le texte. Une méditation n’est pas un exposé, c’est un exercice de pensée par lequel l’auteur va découvrir des vérités. Son texte n’est pas un compte-rendu écrit après qu’il ait pensé, c’est une expérience de pensée qu’il réalise par son texte et la lecture implique pour le lecteur de réaliser la même expérience que celle de Descartes. En lisant ce texte, on voit Descartes en train de découvrir des vérités, mais du même coup on n’expose pas des vérités au lecteur, on fait en sorte que le lecteur découvre lui- même les vérités en suivant la démarche de Descartes. Chacun doit pour lui-même faire l’expérience de pensée que fait Descartes pour découvrir ces vérités. C’est donc pleinement

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I. Découvrir la conscience certaine de soi : le cogito. René Descartes, le philosophe français par excellence, est un passage obligé sur la question du sujet et de la conscience, tant il a marqué cette question. Il ne l’a pas seulement marquée chez les philosophes, mais tout aussi bien la pensée populaire, puisque tout le monde, aujourd’hui connaît la célèbre formule du cogito cartésien : « Je pense, donc je suis ». Tout le monde la connaît, mais tout le monde ne sait pas véritablement ce qu’elle signifie. On va étudier les deux premières Méditations métaphysiques de Descartes. C’est le texte sur lequel vous pourrez être interrogés à l’oral si vous choisissez de prendre la philosophie à l’oral du second groupe. On l’étudie ici dans le cours sur le sujet et la conscience, mais c’est très utile pour bien d’autres notions : autrui, la perception, l’existence, la vérité, la démonstration, etc. Attention à ne pas se mettre d’œillères. Avant, quelques repères sur l’homme Descartes. Contemporain de Galilée et de Pascal, il se situe entre les deux. Il est philosophe, certes, mais aussi physicien et mathématicien. En tant que physicien, il s’est intéressé à la réfraction de la lumière, quand elle se propage dans un milieu, par exemple de l’eau. Cela l’a amené aussi à travailler sur la structure de l’œil pour comprendre comment la lumière se propage dans les muqueuses de l’œil et comment se forment des images. En tant que mathématicien, il est l’inventeur de la géométrie analytique qui réunit algèbre et géométrie, puisqu’il montre qu’on peut noter les choses de la géométrie par l’algèbre. Ex : y=ax+b est l’équation cartésienne d’une droite, x2 donnera une courbe exponentielle, etc. On va donc faire une lecture suivie d’un texte archi-célèbre de Descartes, les Méditations métaphysiques, qui est son plus grand texte. Il faut d’abord comprendre ce titre. Méditation : une pensée solitaire, puisqu’il va s’agir de découvrir la conscience de soi en excluant tout le reste. La méditation implique (1) la solitude, cela n’est donc pas comme le dialogue, qu’on trouve chez Platon. La méditation signifie aussi (2) que c’est une expérience à réaliser, un exercice de pensée. Descartes, dans ce texte, réalise une expérience que le lecteur devra réaliser pour lui-même. C’est ici un sujet, un Je, qui va réaliser cette expérience pour finalement se découvrir lui-même. C’est pourquoi Descartes écrit ce texte à la première personne du singulier, c’est à noter dans toutes les explications de texte sur cet auteur : c’est ici un je qui médite et qui va se trouver dans le cogito. C’est une originalité à noter, car vous savez qu’en philosophie habituellement, on ne s’exprime jamais à la première personne, car on prétend ne pas exposer quelque chose de subjectif. Comparez par exemples avec les textes de Kant, vous verrez tout de suite la différence. Méditation, cela veut dire aussi (3) que ce n’est pas un texte qui va exposer des vérités qu’il aurait découvert avant d’écrire le texte. Une méditation n’est pas un exposé, c’est un exercice de pensée par lequel l’auteur va découvrir des vérités. Son texte n’est pas un compte-rendu écrit après qu’il ait pensé, c’est une expérience de pensée qu’il réalise par son texte et la lecture implique pour le lecteur de réaliser la même expérience que celle de Descartes. En lisant ce texte, on voit Descartes en train de découvrir des vérités, mais du même coup on n’expose pas des vérités au lecteur, on fait en sorte que le lecteur découvre lui-même les vérités en suivant la démarche de Descartes. Chacun doit pour lui-même faire l’expérience de pensée que fait Descartes pour découvrir ces vérités. C’est donc pleinement

une méditation au sens (définition) d’un exercice spirituel solitaire, une démarche introspective où l’on fait retour sur soi-même, sur notre esprit. Métaphysique : ca veut dire, au-delà de la physique. Meta en grec est un préfixe qui veut dire au-delà, comme trans en latin. Ca veut dire penser quelque chose qui n’est plus une réalité physique, donc plus une réalité matérielle, un corps, et cette réalité métaphysique, c’est celle de la conscience, qu’on va appeler le cogito, le « je pense », ou ce que Descartes va appeler une chose qui pense. Un questionnement métaphysique porte sur ce qui n’appartient pas à la réalité physique : la pensée, donc, mais aussi Dieu, qui fait l’objet de la 3ème méditation et dont il prétend démontrer l’existence, c’est la fameuse preuve ontologique qu’on avait étudiée dans le cours sur la religion. Métaphysique, ce mot n’apparait que dans la traduction en français. A l’origine, le texte est paru en latin et indique prima philosophia. Philosophie première donc. On l’a traduit par métaphysique, car celle-ci désigne la philosophie première pour Descartes, c’est-à-dire celle qui porte sur les fondements de toutes nos connaissances, les premières vérités, les plus certaines. Il donne une image devenue célèbre, celle de l’arbre de la connaissance, dans les Principes de la philosophie de 1644 : les sciences sont le tronc et les branches c’est la technique, donc les applications de la science, mais les racines sont la métaphysique ou philosophie première, qui fonde les sciences. On va commencer par la première méditation et on va voir qu’elle est entièrement négative, elle va tout exclure sans rien trouver de positif à connaître.

1. Doute et certitude. Quel est le problème de Descartes dans cette œuvre ? Il est donné dès le § 1. C’est le problème classique pour tout scientifique et philosophe : comment atteindre la vérité ? Descartes est scientifique, mais il se demande comment faire pour atteindre une connaissance dont on soit certain qu’elle est vraie. Pourquoi une telle exigence de certitude ? Pourquoi vouloir que nos connaissances soient non seulement vraies, mais surtout certaines ? Parce qu’il a fait souvent l’expérience que ce qu’il a cru vrai s’est en fait révélé être faux. C’est l’expérience de l’erreur : on s’est trompé. On retrouve ici la distinction croire/savoir, opinion/connaissance. On a pensé avoir un savoir, une connaissance, mais en réalité ca s’est révélé faux. Donc c’était une simple croyance. On a cru que c’était vrai, mais ca ne l’était pas. Cela peut-être des connaissances scientifiques qui lui ont été apprises par l’école, dans l’enseignement. A l’époque de Descartes, c’est la révolution scientifique, on remet en cause tout le savoir hérité des grecs, tout particulièrement d’Aristote et de sa physique. Voilà ce qu’il vise par cette « quantité d’opinions tenues pour véritables ». Mais il précise aussi « dès mes premières années ». Cela renvoie donc à l’enfance. L’enfant apprend énormément de choses par expérience, par ses parents, par son éducations, son milieu, sa culture, qui deviennent des préjugés qu’il ne met plus en question. Elles ne sont pas le produit d’une démonstration, donc ces opinions sont douteuses.

Comment savoir si on a affaire à un savoir, une connaissance ? Il faut qu’on sache que c’est vrai, pas qu’on se contente de croire que c’est vrai. Il faut donc qu’on soit certain de cette connaissance pour que ce soit une connaissance. Pour Descartes, une connaissance certaine, c’est au fond un pléonasme. Sans la certitude, on n’a qu’une simple croyance. Repartons de l’expérience qu’il décrit : il s’est trompé. Ce qu’il a cru vrai était en fait faux. C’est un problème, cette expérience, parce que qu’est ce qui nous dit que ce qu’on tient pour vrai aujourd’hui, nos connaissances, elles ne vont pas se révéler demain être des erreurs ? Cela m’est arrivé de nombreuses fois, cela peut donc m’arriver de nouveau. Il faudrait donc qu’on soit certain de la vérité, qu’on soit certain qu’on n’est pas dans l’erreur, sinon ce sont de simples croyances. Comment faire alors pour trouver des connaissances certaines ? Il va falloir trouver une méthode pour atteindre la certitude absolue dans nos sciences. Constant et ferme, ce qui ne peut pas se révéler à l’avenir être faux. On peut d’abord se demander ce que cela veut dire incertain : si c’est incertain, ca veut dire qu’on doute, c’est douteux. Je ne suis pas certain que c’est vrai, ca veut dire que je doute de la vérité. « Fort douteux et incertain », écrit Descartes. Du coup, qu’est-ce que c’est, être certain ? C’est ne plus pouvoir douter ! Le certain, c’est l’indubitable. Cela, puisqu’on ne peut en douter, le certain, c’est ce qui ne pourra jamais se révéler faux. Donc, c’est une connaissance qui est vraie une fois pour toute, elle ne pourra pas changer. C’est pour cela que Descartes appelle cela le « ferme et constant ». « fort douteux et incertain » s’oppose à « ferme et constant ». On veut se débarrasser du premier pour obtenir le second. Il faut donc faire le tri entre ce qui est douteux et ce qui est indubitable, écarter tout ce qui est douteux pour obtenir des connaissances indubitables. Comment faire ce tri, comment savoir si quelque chose est douteux ou indubitable ? Douteux : ce dont je peux douter. Indubitable : ce dont je ne peux pas douter. Comment faire pour savoir si on peut faire quelque chose ? Il faut essayer. Pour savoir si on peut en douter, eh bien il n’y a qu’une seule méthode possible : il faut essayer d’en douter. Si on arrive à en douter c’est douteux, si on n’y arrive pas, alors c’est indubitable. La méthode, pour atteindre la certitude, ca va donc consister à voir si on peut douter. Si oui, alors ce n’est pas certain. Si on ne peut absolument pas douter, alors c’est certain. On va essayer de trouver toutes les raisons qu’on peut avoir de douter de nos connaissances. C’est ce que Descartes appelle ici « détruire toutes nos anciennes opinions ». Le doute, ici, devient une méthode qu’on utilise volontairement, et plus seulement un état passif, subi, qui nous atteint malgré nous. Ce doute va faire plus que douter, car il va nier tout ce qui est douteux. Descartes met en place une méthode qui consiste à dire que dès qu’on trouvera une seule raison de douter, on rejettera cette croyance comme si elle était fausse. C’est ce qu’on appelle la méthode du doute hyperbolique. Le mot est utilisé une seule fois par Descartes, mais c’est traditionnel chez les commentateurs de qualifier ce doute par ce mot.

Hyperbolique veut dire exagéré. Ca ne renvoie pas à l’hyperbole en mathématiques mais à la figure de style de l’hyperbole en littérature : c’est une image exagérée de quelque chose. Exagéré par ce que 1. c’est totalement artificiel , on se force à douter là où normalement on ne doute pas. Exagéré aussi du même coup parce que c’est un doute délibéré, choisi, actif, on fait exprès de douter, alors que le doute naturel est subi, on ne choisit pas de douter, c’est passif.

2. Mais exagéré aussi parce qu’on va dire que s’il y a la moindre raison de douter d’une vérité, alors elle est fausse. C’est une exagération parce qu’en fait ce n’est pas parce que c’est douteux que c’est faux. Si c’est douteux, alors justement on n’est pas certain que c’est faux, on ne sait pas vraiment si c’est vrai ou faux. Rien n’autorise à dire de quelque chose de douteux qu’il est faux, puisque précisément on doute. Mais là, artificiellement, pour les besoins de notre méthode de pensée, on rejette comme faux tout ce qui est douteux. C’est exagéré parce que cela va au-delà de ce qu’on a droit de dire quand quelque chose est douteux. Le but, c’est de faire place nette pour que ne reste que ce dont on ne peut absolument pas douter, l’indubitable, le certain. Normalement, du douteux, c’est V ou F, et du certain, c’est V. Pour les besoins de la recherche, le doute hyperbolique consiste à dire que si c’est douteux, donc V ou F, on dit que c’est F. Rien ne justifie logiquement ce passage, c’est une décision méthodologique, mais en droit, ce n’est pas parce que c’est douteux que c’est faux : serais-je encore en vie demain, c’est douteux, cela ne me permet pas de conclure que je ne serais pas en vie demain !

Il faut préciser le rapport de cette méthode avec le scepticisme. Le scepticisme désigne une doctrine que l’on doit au philosophie grec Pyrrhon au 4ème siècle avant JC qui affirme que nous devons douter de tout et suspendre notre jugement sur tous les points. Cette doctrine, on la retrouve dans les Essais de Montaigne, qui parvient à la même conclusion, l’impossibilité pour l’homme de connaitre la vérité. En apparence, Descartes reprend ce projet. Attention au contre-sens : Descartes n’est pas sceptique, bien au contraire. Pour les sceptiques, le doute est un terme, une fin, leur but est de douter sans cesse, il n’y a rien ensuite car on ne trouve aucune certitude indubitable. Avec Descartes, au contraire, le doute est un simple moyen qui va être dépassé car on va grâce à lui trouver des vérités indubitables. Il s’agit maintenant de mettre en œuvre cette méthode, mais avant cela se pose un problème : la faisabilité du projet. D’abord, des conditions à remplir : « mon esprit est libre de tout soin ». Il faut s’arracher à la préoccupation quotidienne, à nos affaires, et nous isoler (la solitude fait partie de la méditation). Il faut que notre esprit soit le plus libre possible de tout ce qui viendrait l’empêcher de se concentrer sur cette tâche. Descartes insiste sur la liberté : l’esprit et délivré, il s’applique avec liberté. Cela veut bien dire, comme on l’a vu, que la démarche du doute est une décision, parfaitement libre. Ce n’est rien ni personne dans le monde qui nous l’impose. La méditation qu’on nous propose est donc un exercice de liberté. Le sujet pensant y faire l’épreuve de sa liberté à l’égard du monde en s’isolant. Le sujet pensant va se découvrir comme souverain à l’égard de tout ce qui n’est pas lui : il peut décider de s’en détacher quand il le veut. Une fois les bonnes dispositions acquises, se pose un autre problème de faisabilité. En effet, des connaissances, on en a des milliers, et même on ne peut pas les énumérer toutes. On ne peut pas toutes les passer en revue. Du coup, étudier une par une si elles sont

douteuses ou pas, cela prendrait un temps presque infini, donc personne ne pourrait réussir à le faire avant de mourir. Il faut donc faire plus simple pour que la méthode fonctionne : se demander d’où nous viennent nos connaissances, où on a apprit cela, et si on a une seule raison de douter, alors on rejettera toutes ces connaissances d’un coup. Toutes les connaissances qui nous viendrons de cette source, quand bien même elles seraient en nombreux presque infini, seraient d’un coup éliminées comme douteuses si on n’a une bonne raison de douter de la fiabilité de cette source. On peut alors rendre possible le passage en revue de toutes nos connaissances, mais on ne le fait pas une par une. La métaphore c’est celle de la maison : si on veut la détruire, pas la peine de retirer une à une chaque brique, ce qui prendrait très longtemps, surtout si la maison est grande, il suffit de saper les fondements et elle s’effondrera toute seule. C’est bien selon ce principe que l’on détruit les immeubles. C’est très long à construire, mais c’est détruit en quelque secondes. Pour nos connaissances, c’est la même chose : trouvons quels sont leurs fondements, d’où on les tire, et essayons de voir si on peut en douter. Si oui, on le rejette comme faux et toutes les connaissances qui nous viennent de ce fondement s’effondrent avec, comme les étages d’un édifice s’effondrent avec les fondations.

2. La connaissance sensible. § 2. Commençons : quel est le fondement le plus évident de nos connaissances ? Comment j’obtiens des connaissances sur le monde qui m’entoure actuellement ? On l’avait vu dans le cours sur la vérité : on utilise cet accès au monde qu’est notre expérience du monde, c’est-à-dire nos sens. Cela désigne nos cinq sens, mais prioritairement la vue et l’ouïe. Or, est-ce qu’on n’a aucune raison de douter des informations que nous fournissent nos sens ? Est-ce qu’elles sont certaines ? Non. Descartes renvoie à une expérience que nous avons tous fait. « j'ai quelquefois éprouvé que ces sens étaient trompeurs » > cela renvoie au fait que nos sens ne sont pas toujours fiables. L’idée renvoie à une perte de crédibilité : celui qui nous a menti une fois, on ne peut plus savoir s’il ne nous ment pas toujours, on n’a pas de critère pour savoir s’il ment ou pas. C’est la même chose pour les sens. Descartes aborde ici le problème de la perception, notion au programme. Descartes ne développe pas ici, cela lui semble évident. Expliquons. D’abord, (1) il y a des myopes et des malentendants, donc nos sens fonctionnent mal des fois. On pourrait répondre que la plupart du temps, nos sens fonctionnent bien, donc que ce n’est pas une raison assez forte de douter. Mais (2) même lorsque nos sens fonctionnent bien, ils nous trompent : ils nous font voir les choses autrement qu’elles ne sont. Ce sont des illusions d’optiques : ex : mettre un bâton dans l’eau, vous le verrez tordu alors qu’il est droit, secouez un crayon et vous le verrez se tordre comme s’il était mou. Il y a aussi les trompe-l’œil : de loin, on croit qu’il y a un homme à un balcon, et en fait c’est une façade peinte. Dans ces deux cas, nos sens déforment la réalité alors qu’ils ne sont pas malades, ils fonctionnent normalement : ce sont les illusions perceptives.

Mais si les sens déforment les choses réelles, au moins ces choses existent, il n’y a pas rien. Les sens nous trompent sur la nature des objets, leur essence, ce qu’ils sont, mais ils ne nous trompent pas sur leur existence, le fait qu’ils sont. Cela, on ne pourrait pas en douter. Peut-être qu’il y a une façade peinte au lieu d’un homme à son balcon, mais au moins il y a quelque chose qui est là, qui existe devant moi. Le bâton apparaît tordu dans l’eau, mais au moins je suis certain qu’il y a un bâton. Mais (3) on peut aller encore plus loin dans le doute : ils peuvent nous faire voir des choses qui n’existent pas du tout. On a parfois des hallucinations pures et simples : on voit un oasis dans un désert. Là, nos sens nous font croire qu’il existe des choses qui en fait n’existent pas. Du coup, qu’est-ce qui me dit qu’actuellement, je ne suis pas en train d’avoir des hallucinations, et que tout ce que je vois et entend n’est pas complètement faux ? Rien ne me prouve le contraire, donc je peux légitimement douter de ce que me montrent mes sens. Donc, si c’est douteux, alors, conformément à la méthode de doute hyperbolique, on doit rejeter comme faux tout ce que montrent nos sens. § 3 Descartes va se faire une objection à lui-même : « les sens nous trompent quelquefois, touchant les choses peu sensibles et fort éloignées ». Oui, les sens nous trompent, mais seulement à distance et pour les choses peu sensibles, c’est-à-dire s’il y a peu de lumière, et si on veut savoir si c’est vrai ou pas, on s’approche ou bien on éclaire : quand on s’approche du trompe-l’œil, on se rend compte que ce n’est pas une vraie personne mais un mur peint, quand on éclaire ce qui est dans l’obscurité, on voit qu’on s’était trompé. On s’approche de l’oasis dans le désert et on se rend compte que c’était un mirage. Qu’est-ce qui m’apprend la vérité, ici ? Qu’est-ce qui m’apprend que je me suis trompé ? Ce sont bien mes sens. Donc en définitive, même quand je me rends compte que mes sens m’ont trompé, je le sais pas mes sens, donc je ne doute plus de mes sens. A proximité, ce que nous apprennent nos sens n’est pas douteux. Et il suffit de varier les sens, par exemple de prendre en main le bâton pour se rendre compte qu’il n’est pas brisé. Et puis Descartes dit qu’il y aurait quelque chose de fou à douter de ce que m’apprennent mes sens sur ce qui m’entoure à proximité, comme mon corps par exemple : je serais comme ces fous qui se prennent pour des empereurs, si je me mettais à douter que j’ai un corps. Ca parait fou de douter des informations que nous apprennent nos sens : je suis ici, j’ai un corps, j’ai deux mains, deux jambes, etc. Les fous se trompent, ils sont dans l’hallucination, de sorte que me mettre à douter de ce que m’apprennent mes sens, ce serait tomber comme eux dans une hallucination, une délire, donc s’écarter de la vérité alors que c’est la vérité certaine qu’on cherche. L’existence de notre corps semble donc un fait certain, une vérité indubitable.

3. L’argument du rêve. § 4. Et pourtant, il va falloir en douter, même si cela paraît fou : on peut douter de l’existence de notre corps et même de l’existence d’un monde hors de nous. Ce n’est pas parce que c’est proche à mes yeux et bien éclairé que je suis certain de connaitre la vérité. Même à proximité et en utilisant tous les sens pour comparer, cela peut être une illusion, sans que nous soyons fous pour autant.

L’argument, c’est celui du rêve : il nous arrive à tous de rêver, et dans le rêve, tout est faux : on imagine des événements qui n’existent pas. Les choses sont vues de près, on les touche, et pourtant elles n’existent pas parce qu’on est dans un rêve. De ce point de vue, quand nous rêvons, nous sommes bien comme ces fous qui croient voir des choses qui n’existent pas. Nous aussi, en rêve, nous pouvons nous prendre pour des rois, exactement comme le fou. Comme lui, nous nous trompons sur notre corps quand nous rêvons : on se trompe sur le lieu, sur l’habillement, ou sur sa nature, car on peut rêver qu’on a un corps de verre, comme le fou. Du coup, qu’est-ce qui me dit que je ne suis pas actuellement en train de rêver que je suis dans cette classe en train de vous faire cours ? Là, c’est une bonne raison de douter de ce tout ce que je vois, entends, sens. Simplement, on a envie de dire qu’on est capable de distinguer le rêve et la vie éveillée, donc je sais très bien qu’en ce moment, je ne suis pas en train de rêver. Mais comment est-ce que je le sais ? Je le crois, certes, mais cela ne veut pas dire que je le sais. (cf. repère croire/savoir) En fait, quand je rêve, je ne me dis pas « je rêve », je crois dur comme ferme à mon rêve et donc je crois que je ne rêve pas. En ce moment, je crois aussi que je ne rêve pas, mais peut-être que je suis en train de faire un rêve. Le fait qu’il me semble que je veille, cela peut très bien être une illusion et on a tous déjà été trompé à ce sujet en dormant. Ce n’est pas parce que je pense que je ne rêve pas que c’est vrai, puisque dans nos rêves, on pense qu’on ne rêve pas. Quand je rêve, je crois que je ne rêve pas. Quand je ne rêve pas, je crois que je ne rêve pas. Quelle différence, alors ? Bien sûr, je crois en ce moment que je ne rêve pas, mais c’est ce que nous faisons chaque nuit en rêvant, donc c’est peut-être ce que je fais une fois de plus : je rêve que je ne rêve pas, donc je rêve. Qu’est-ce qui différencie ma vie éveillée du rêve ? Il faudrait trouver un critère pour les distinguer, mais ce que montre Descartes, c’est qu’aucun critère ne fonctionne. On a envie de dire par exemple que le critère est qu’on s’est réveillé ce matin, donc on est éveillé, pas dans un rêve. Sauf qu’il arrive parfois qu’on rêve qu’on se réveille. Les rêves peuvent s’emboiter, on peut faire un rêve dans un rêve, et on rêve qu’on se réveille d’un rêve. Donc le fait de s’être levé ce matin ne prouve rien. Je suis peut être en train de rêver que je me suis réveillé ce matin. Il y a un poète chinois, Tchouang Tchéou, qui a écrit un poème sur son rêve. Il s’est endormit dans un jardin, et il a rêvé qu’il était un papillon qui volait dans ce jardin. Ensuite, il s’est réveillé et il s’est posé la question suivante : est-ce que je suis Tchouang Tchéou qui a rêvé qu’il est un papillon, ou bien est-ce que je suis un papillon qui est en train de rêver qu’il est Tchouang Tchéou ? On n’a pas de critère pour décider où est le rêve, où est la réalité. Un critère qu’on donne parfois est qu’il faut se pincer car on ne ressent pas de douleur dans un rêve. Mais qu’est-ce qui met permet de dire que dans un rêve, on ne peut pas éprouver de douleur et que dans la réalité, oui ? Peut-être que je suis en train de rêver que j’ai trouvé ce critère, mais qu’il n’est pas réel. En fait, on n’a aucune moyen de distinguer le rêve et la vie éveillée, car dès que je trouve un critère, si ca se trouve, je suis en train de rêver ce critère : je rêve que j’ai trouvé le

moyen de distinguer le rêve de la vie éveillée, et donc je rêve que je ne rêve pas. Donc, je rêve. Que je rêve que je rêve ou que je rêve que je ne rêve pas, dans les deux cas je rêve. Pour trouver un critère pour les différencier, il faudrait qu’on ait d’un côté le rêve, et de l’autre la réalité. On les comparerait, on trouverait des différences, et on pourrait dire ca y est, on a un critère. Mais précisément, on n’a jamais le rêve d’un côté, la réalité de l’autre ! Pour cela, il faudrait être certain que le rêve en est un et la réalité est la réalité. Il faudrait déjà posséder un critère pour pouvoir trouver un critère. Ou alors, déjà savoir sans posséder de critère, mais ce ne serait pas la peine d’en chercher un. Voilà qui nous fait douter de tout ce que nous montrent nos sens : on n’a pas de certitude, donc selon notre méthode de doute hyperbolique, on doit les rejeter comme faux. Voici notre situation : nous sommes en train de dormir, tout ce que nous sentons est faux : ce corps, ce monde autour de moi, ce sont des illusions, rien de tout cela n’existe. Les autres hommes n’existent pas, le monde n’existe pas, mon corps n’existe pas. Toute ma vie jusqu’à aujourd’hui n’a été qu’un long rêve trompeur, totalement faux. C’est un grand vertige qui nous saisit : rien n’existe, tout est faux, tout ce en quoi j’ai cru n’était qu’illusion. Je me réveille de la vie qui n’était qu’un songe. § 5 Simplement, Descartes se fait une nouvelle objection, qu’on a envie de faire si vous vous souvenez des limites de l’imagination qu’on avait étudiées dans le cours sur l’art. L’imagination compose un rêve, mais elle le fait à partir de quel matériau ? Elle ne crée pas les éléments, elle les trouve dans la réalité, des éléments simples, et va les recombiner dans un autre ordre pour produire quelque chose qui n’est pas réel. Cf. la sirène > composée d’une femme et d’un poisson. Un satyre : mi homme mi bouc. Un homme qui a des cornes comme le bouc, et surtout des pattes et des pieds de boucs. C’est une divinité mythologique chez les grecs, ils suivent Dionysos, le dieu du vin et de l’ivresse en général. Des choses imaginaires, fausses, comme une sirène, ce n’est que la composition de choses réelles dans un autre ordre, comme un poisson et une femme. Et on l’avait vu, on ne peut pas imaginer de nouvelles couleurs. (cf Lovecraft, La couleur tombée du ciel). L’imagination procède à la manière d’un peintre : « tableaux », « peintures ». C’est que le peintre fait preuve d’imagination, exactement comme le rêveur en fait preuve. On peut donc faire une parallèle entre la peinture et le rêve : ce dernier n’est qu’un ensemble de peintures qui nous sont présentées. L’imaginaire, ce sont des choses complexes, mais les éléments simples qui les composent sont biens réels. On peut dire la même chose ici : admettons que je sois en train de rêver et que tout ce que je vois dans cette salle soit imaginaire, ce doit être composé à partir d’éléments simples qui sont réels.

Quels sont ces éléments ? Si on dit que ce sont des têtes, des bras, des jambes, alors on peut encore dire que ce sont des éléments imaginaires, car ils sont composés d’éléments plus simples ! Sirène peut être décomposé en femme et poisson, mais peut-être qu’eux aussi ce

sont des combinaisons de mon imaginations. On peut dire cela tant qu’on parle du complexe, du composé. Mais on va revenir en définitive à des éléments simples, indécomposables. Comme l’imagination ne fait que composer, elle ne peut les créer. Donc, ces éléments sont réels. Là, on va atteindre les composants les plus simples de la réalité qui résistent à l’argument du rêve : le simple, l’indécomposable, les éléments ultimes du réel. La démarche de Descartes ici, c’est d’aller du complexe au simple, du composé à l’élémentaire. Seul le composé est faux et illusoire, le simple ne peut être que vrai, donc indubitable. L’idée est que peut-être nous rêvons, mais ce rêve renvoie à la réalité. Et si nous sommes dans un rêve lui-même dans un rêve, on peut remonter ainsi longtemps, mais pas à l’infini, on devra arriver à la réalité à partir de laquelle notre imagination à composé le rêve. On peut dire : je rêve, donc il y a de la réalité, il n’y a pas que le rêve, c’est impossible. Si je rêve, alors le monde existe hors de moi, mon rêve ne fait que le déformer.

4. Le Dieu trompeur et le malin génie. § 6 et § 7 Il faut trouver les éléments les plus simples dont toutes les choses sont composées : « la figure des choses étendues, leur quantité ou grandeur, et leur nombre ; comme aussi le lieu où elles sont, le temps qui mesure leur durée, et autres semblables » C’est l’espace, les figures spatiales, les nombres et le temps. On voit que pour toute chose qui apparait en rêve, c’est du complexe qui peut se réduire à cela : une chose étendue (res extensa). On ne peut pas imaginer une chose qui n’ait pas une figure, une quantité, une grandeur, un nombre, un lieu qu’elle occupe, un temps qu’elle occupe aussi, etc. Les deux se ramènent en fait à l’espace et au temps, qui sont le cadre de la réalité dont il semble bien que nous ne puissions pas douter. On ne peut pas imaginer qu’il n’y ait pas d’espace ou pas de temps. Que ce que je vois sois un rêve ou la réalité, l’espace et le temps demeurent comme quelque chose simple dont il est impossible de se débarrasser. C’est le constituant ultime de la réalité donc il semble bien qu’on ne puisse douter : on ne peut douter de l’espace et du temps. Du coup, quelles sont les connaissances qui sont indubitables, parce qu’elles étudieraient ces éléments simples ? Qu’est-ce qui étudie cela ? On l’avait vu dans le cours sur la vérité : ce sont les mathématiques sous forme d’arithmétique pour les nombres et de géométrie pour les figures. Descartes donc fait la liste des sciences qu’on doit rejeter comme entièrement fausses, puisqu’elles portent sur des choses composées, et celle qu’on doit accepter, parce qu’elles portent sur le simple. On voit qu’il faut rejeter les sciences empiriques, et qu’on doit simplement garder les mathématiques car c’est une science formelle qui porte sur les éléments simples donc il a fait la liste. Toutes les sciences empiriques tombent avec l’argument du rêve : quand un scientifique fait une expérimentation, comme Galilée et ses plans inclinés, peut-être qu’il rêve que la chute libre des corps s’accélèrent uniformément, mais que cela n’a rien de réel. Pour toutes ces sciences là, qu’on soit en train de rêver ou pas, cela change tout. A l’inverse, là, avec les mathématiques, on aurait atteint ce dont on est certain, ce dont on ne peut plus douter : toutes les vérités des mathématiques, car qu’on soit en train de rêver ou pas n’a aucune importance. Ces sont des vérités qui résistent à l’argument du rêve.

Admettons que je sois en train de rêver, 2 et 3 feront toujours cinq et un carré aura quatre côté. Vous pouvez faire l’expérience en vous-même : vous ne pourrez jamais rêver quelque chose comme un carré à cinq côté, ou bien un triangle dont les angles ne seraient pas égaux à deux angles droits, ou encore un objet rêvé plus un objet rêvé, ca ferait toujours deux objets rêvé, jamais trois. Que le mathématicien rêve ne change rien. On voit que la vérité des mathématiques ne dépend pas de l’existence du monde : « sans se mettre beaucoup en peine si elles sont dans la nature ou si elles n’y sont pas ». Même si aucun monde n’existait et qu’on soit seulement en train de rêver, ca ne changeraient rien aux mathématiques : c’est normal, ils ne parlent pas du monde, ils parlent seulement d’objets idéaux qui n’existent pas, comme des nombres ou des figures, on l’a vu dans le cours sur vérité et démonstration. Ce sont des vérités qui n’ont pas le même statut. Les vérités empiriques, celles qui viennent de l’expérience de nos sens, sont toutes douteuses à cause de l’argument du rêve. Les vérités des mathématiques sont des vérités rationnelles, c’est-à-dire qui viennent uniquement de notre raison. Donc, que le monde existe ou pas, cela ne change rien, car ce sont des idées innées, elle ne viennent pas des sens. Est-ce qu’on doit d’arrêter là ? Est-ce qu’on a trouvé la connaissance certaine dont on ne peut pas douter ? Conformément à la méthode du doute hyperbolique, il faut exagérer, aller le plus loin possible dans le doute en cherchant toutes les raison possibles de douter. Le rêve ne suffit pas, il va donc falloir en trouver une autre. On peut aller encore plus loin dans notre doute hyperbolique, et c’est ce qu’il fait dans toute la fin de la première méditation, dans les §§ 8 à 10. On va créer de toute pièce une hypothèse pour réussir à douter des vérités rationnelles et plus seulement des vérités des sens : celle du Dieu trompeur d’abord (§ 8), puis du malin génie (§ 10). § 8. Descartes part de Dieu. Si j’examine toutes les opinions qui me restent, après que j’ai éliminées les opinions qui viennent des sens, il y a, à côté des mathématiques, une opinion selon laquelle il y a un Dieu. En effet, Descartes était croyant et au 17ème siècle, c’est une opinion qui allait de soi. On peut être tenté de répondre que ce n’est pas parce qu’il a cette opinion que Dieu existe, ou que nous, on n’a pas cette opinion. Peut-être, mais en fait cela ne change rien. Il n’est pas en train de dire que Dieu existe, ça il n’en sait rien. Il dit seulement qu’il a l’opinion que Dieu existe, et il faut examiner cette opinion. Cette opinion, c’est qu’il existe un certain Dieu, qui peut tout, donc est omnipotent, et par qui nous avons été créés : « il y a longtemps que j’ai dans mon esprit une certaine opinion qu’il y a un Dieu qui peut tout, et par qui j’ai été fait et créé tel que je suis ». Descartes dit bien « une certain opinion », donc c’est douteux, il le sait bien. Il ne s’agit pas de dire que cette opinion est vraie, est certaine, mais de montrer que cette opinion, puisqu’elle peut être vraie, va me permettre de douter des vérités rationnelles comme celles des mathématiques. En effet, si celui qui m’a créé peut tout faire, qu’est-ce qui me dit qu’il ne m’a pas créé de telle façon que je me trompe en permanence ? Si Dieu peut tout, alors il peut faire cela, il peut faire en sorte que je me trompe même quand je fais des mathématiques, même quand j’ajoute 2 et 3 ou bien quand je compte le nombre de côté d’un carré : « que sais-je s’il n’a

point fait que je me trompe aussi toutes les fois que je fais l’addition de deux et de trois, ou que je nombre les côtés d’un carré ». Rien ne s’oppose à cela. Est-ce que je peux en toute certitude savoir que ce n’est pas le cas ? Non. Donc, on a une bonne raison de douter de notre capacité à atteindre la vérité. Du coup, toutes les vérités rationnelles, comme les mathématiques, deviennent douteuses, car peut-être que Dieu m’a fait tel que je me trompe sans cesse. Je ne peux pas prouver que c’est le cas, mais comme je ne peux prouver que ce n’est pas le cas, alors on doute. Evidemment, c’est un doute exagéré, hyperbolique, mais d’après notre méthode, même les vérités rationnelles sont douteuses, et on doit donc les rejeter comme fausses. Même les éléments simples qu’on a dégagés seraient faux : « aucune figure, aucune grandeur, aucun lieu ». Si on peut le penser, alors faisons-le et disons que nous avons été créés par un Dieu trompeur. Mais, et c’est la suite du § 8, Descartes va se faire une objection à lui-même. Il a l’opinion que son auteur est un Dieu tout-puissant. Mais dans cette opinion, on trouve aussi l’idée qu’il est souverainement bon. En effet, par Dieu, on entend un être parfait. Parfait, donc il peut tout faire. Mais parfait, donc parfaitement bon. Or, s’il est parfaitement bon, comment serait-il possible qu’il cherche à me tromper ? Il y a là une contradiction : un être souverainement bon ne peut pas être trompeur. Donc cette hypothèse pour remettre en cause les vérités rationnelles tomberait. Descartes va en fait lever l’objection. Ce n’est pas parce que Dieu est souverainement bon que c’est incompatible avec le fait que je me trompe sans cesse quand j’ajoute deux et trois. Il faut alors distinguer le fait que Dieu me trompe, activement, et l’erreur viendrait de lui, ou que Dieu permette que je me trompe, passivement, et l’erreur viendrait de nous. Le premier cas est incompatible avec la bonté de Dieu, mais pas le second. Est-ce qu’il est possible que Dieu cherche à me tromper, non, cela répugne à sa bonté. Mais est-ce qu’il est possible que Dieu permette que je me trompe et que l’erreur vienne de moi, oui, car on a tous fait l’expérience qu’on s’est déjà trompé, on est même parti de cette expérience dans le § 1. Donc, le fait qu’on se trompe est compatible avec la bonté de Dieu. De fait, on voit que Dieu permet que je me trompe quelque fois, puisqu’on sait que cela nous est arrivé. Mais alors, si le fait qu’on se trompe quelque fois n’est pas incompatible avec la bonté de Dieu, alors rien ne m’empêche de penser que je me trompe toujours, cela n’est pas incompatible avec sa bonté. Donc, on peut faire cette hypothèse, et même les vérités rationnelles deviennent douteuses. Mais Descartes va accepter de montrer ce qui se passe s’il n’y a pas de Dieu. En effet, plutôt que de douter des mathématiques, on pourrait préférer douter de l’existence de Dieu pour lever le doute hyperbolique. Après tout, l’existence de Dieu aussi est douteuse, donc on peut lui appliquer le doute hyperbolique et considérer qu’elle est fausse.

Soit, voyons ce qui se passe si on préfère nier qu’il y ait un Dieu tout-puissant qui m’ait créé : « supposons en leur faveur que tout ce qui est dit ici d’un Dieu soit une fable ». L’idée est que cela revient au même. Si un Dieu parfait m’a créé, il se peut très bien que je me trompe toujours, même dans les mathématiques. Alors si Dieu n’existe pas, ce qui m’a créé sera encore moins parfait que Dieu, donc il est encore plus probable que je puisse me tromper toujours quand j’ajoute deux et trois. Cela revient donc au même : je dois douter de tout, même des vérités rationnelles de mathématiques. > cf. fin du § 8. Je dois abandonner toutes mes opinions et les récuser comme intégralement fausses. Mais, § 9, il va falloir maintenir cette résolution de ne plus croire à toutes ses anciennes opinions. Or, ce n’est pas facile, car notre esprit a des mauvaises habitudes, qui le font spontanément retomber dans les anciennes opinions qu’on a rejetées comme fausses. On risque d’oublier les raisons qu’on a eu de les rejeter, et de revenir au point de départ, de sorte que tout le trajet fait au long de cette première méditation serait à recommencer. Il faut donc faire des résultats de cette première méditation une acquisition définitive. C’est ce que veut dit l’appel au souvenir : « il faut encore que je prenne soin de m’en souvenir ». Une résolution doit ici contrecarrer l’habitude , « le long et familier usage ». Pourquoi notre esprit n’arrive-t-il pas à maintenir le doute hyperbolique, et retombe sans cesse au point de départ, donc (1) dans une confiance dans nos sens (vérités empiriques) et (2) dans notre capacité à bien juger des vérités rationnelles comme les mathématiques (vérités rationnelles) ? C’est une question de probabilité . C’est là une notion que nous n’avons pas abordée dans la méditation, parce que le probable ne nous intéressait pas : ce que l’on recherche, c’est du certain, de l’indubitable. Le probable doit être rejeté comme faux d’après le doute hyperbolique. Le probable intervient ici comme une nouvelle catégorie au sein du douteux. Les trois catégories : Le certain, indubitable. Le douteux, qu’on va considérer comme faux par artifice. Le faux de manière certaine. En fait, au sein du douteux, on peut distinguer : le probable, l’improbable. C’est ce qui permet d’expliquer pourquoi on a tendance à croire même quand c’est douteux. Le douteux qui est improbable, spontanément on n’y croit pas, même si ce n’est pas impossible : par exemple « demain, je serais mort ». Par contre, le douteux qui est probable, on va y croire spontanément, même si ce n’est pas certain, même s’il n’est pas impossible que ce soit faux. Par exemple, « demain, je serais vivant ». De cette catégorie relève les vérités sensibles comme le fait que j’ai un corps, que je suis présent dans cette salle, qu’un monde existe, mais aussi les vérités rationnelles comme 2 et 3 font 5. Ces véritables probables, « on a beaucoup plus de raison de les croire que de les nier ». Ce qui signifie qu’à l’inverse, l’improbable, c’est ce qu’on a beaucoup plus de raison de nier que croire. En fait, pour l’action, on a besoin d’avoir confiance en nos sens, sinon on ne pourrait pas vivre. L’action se contente du probable, elle n’a pas besoin de certitude. Si on attendait d’être certain pour agir, on n’agirait jamais (comme pour l’induction, cf. vérité et démonstration).

Mais, est-ce qu’il s’agit d’agir ici ? Non : « il n’est pas maintenant question d’agir, mais seulement de méditer et de connaître ». Cf. repère théorique/pratique. La vie pratique, quotidienne, se contente du probable. La vie théorique, celle de la méditation qui cherche le vrai ne peut s’en contenter, elle veut le certain. Il va donc falloir faire en sorte d’arrêter de penser ces vérités comme probables, s’en désaccoutumer. Arrêter de penser qu’elles sont sans doute vraies, puisque probables, pour éviter de retomber dedans. Il faut se désaccoutumer de leur déférer et de prendre confiance en elles. Mais on n’y arrivera pas tant qu’on les considère telles qu’elles sont, à savoir infiniment probables. Alors comment faire ? Il va falloir, pour se désaccoutumer, se tromper soi-même, feindre : « je me trompe moi-même et si je feins pour quelques temps que toutes ces opinions sont entièrement fausses ». Cela veut dire qu’on va se convaincre de quelque chose de totalement faux, se tromper soi-même, mais ça sera utile, ça nous permettra de considérer ces opinions probables comme entièrement fausses et briser l’habitude qui nous fait y croire dans un but pratique. On va inventer de toute pièce une fiction, une fiction utile, quelque chose de totalement faux, donc, mais cela a une fonction méthodologique : On va penser qu’il existe un esprit mauvais qui fait en sorte qu’à chaque fois que je juge quelque chose, je me trompe. C’est le malin génie. Malin, ici, signifie rusé, mais surtout mauvais, celui qui fait le mal. Avec le malin génie, non seulement je me trompe, mais il me trompe, contrairement à Dieu. L’hypothèse du malin génie radicalise celle du Dieu trompeur. C’est le § 10. « Je supposerais donc… » Le verbe supposer est important à noter : cela prouve bien que c’est une fiction, une construction totalement artificielle. On suppose un mauvais génie qui nous trompe en permanence, qui ne fait rien d’autre que cela. Tout ce qui nous vient des sens vient en réalité de lui, ce sont ses tromperies pour nous faire croire que des choses existent. Il arrive à me tromper à chaque fois que je nombre les côté du carré ou bien que j’ajoute 2 et 3. Le malin génie fait que je ne peux plus croire en rien, absolument tout est douteux. Là, on est délivré de la tendance spontanée à croire au probable, car même le probable vient du malin génie, donc est trompeur. On a franchi ici un pas de plus, car grâce à cette fiction du malin génie, les opinions qui étaient probables cessent de l’être, on a assuré qu’elles sont entièrement fausses, car elles proviennent du malin génie, et donc on ne nous y reprendra plus, on ne cède plus à l’habitude qui consiste à se contenter du probable, on rejette tout comme faux. Voilà ce qu’ajoute cette hypothèse du malin génie : l’usage, l’habitude, le probable, ont perdu leur force sur mon esprit. Du coup, à chaque fois que je manipule des nombres, je suis trompé par le génie. Rien ne nous empêche de faire cette supposition qu’un malin génie nous trompe à chaque fois qu’on juge en mathématiques. Ca nous est déjà arrivé de nous tromper en faisant des calculs. Si on peut faire cette hypothèse, alors faisons là : on peut douter de la vérité des mathématiques, et donc, conformément à notre méthode de doute hyperbolique, on va dire que les mathématiques sont entièrement fausses. Problème : il semble qu’on ait rejeté comme faux absolument tout notre savoir : toutes les sciences sont fausses, tout ce que je vois est faux, le monde n’existe pas, rien n’existe.

Il semble qu’on n’ait rien trouvé de certain. Que faire alors ? A-t-on trouvé une vérité certaine ? Il semble que non, le bilan est totalement négatif. Descartes ajoute : « il n’est pas en mon pouvoir de parvenir à la connaissance d’aucune vérité, tout le moins il est en ma puissance de suspendre mon jugement ». C’est une allusion à la thèse du scepticisme selon laquelle on doit toujours suspendre son jugement : en apparence, il semble bien que le scepticisme ait gagné. Pour échapper aux ruses du malin génie, il faut suspendre son jugement. A ce stade oui, il sera vaincu dans la seconde méditation. Le § 11 met fin à la première méditation et marque un temps de pause. En effet, la méditation est un effort, elle demande un effort pénible et laborieux, car cela va contre les habitudes de notre esprit. Or, il y a une paresse de l’esprit. Elle était présente dès le § 1 quand il disait qu’il avait sans cesse différé ce projet de remettre en doute toutes ses opinions. La méditation est un exercice spirituel fatiguant, éprouvant car inquiétant, angoissant : « j’appréhende », « de peur », « difficultés », « ténèbres ». Du coup, la fatigue, la paresse de l’esprit nous pousse à nous interrompre et à revenir à la vie ordinaire, c’est-à-dire la vie quotidienne : sortir de la solitude, retrouver les autres hommes, revenir dans nos anciennes opinions. Nous retrouvons notre corps, et le monde sensible. Mais pourquoi cette paresse ? Descartes, pour le faire comprendre, fait un parallèle ave un esclave qui dort. C’est manifestement une allusion à l’allégorie de la caverne chez Platon, qui montre que l’on aime le faux, on préfère rester dans le confort de l’opinion. Un esclave rêve qu’il est un homme libre : du coup, il craint de se réveiller, il ne veut pas voir la vérité en face. Ses illusions de liberté lui sont agréables, il va y céder facilement. C’est la même chose pour nous. Ce que nous révèle la première méditation, c’est que nous avons été esclaves d’opinions douteuses, et que notre savoir n’en était pas un. C’est là une vérité désagréable, donc on préfère continuer à se faire croire que nos sens disent la vérité et qu’on ne se trompe pas quand on fait des mathématiques, c’est plus confortable. La méditation cartésienne nous a appris que toute notre vie n’est qu’un songe, elle nous a réveillés de la vie, mais nous préférons nous rendormir et faire de beaux songes. On préfère dormir et on appréhende de se réveiller de cet assoupissement dans la vie ordinaire.

5. La certitude du cogito : la conscience de notre existence. Après cette méditation, purement négative, on n’a trouvé aucune vérité indubitable. Il semble que la démarche de Descartes soit un échec. L’enjeu de la deuxième médiation, cela va être de passer au versant positif de l’enquête, et de trouver enfin cette première vérité indubitable qu’on cherche. Les deux premiers paragraphes reprennent le cours de la méditation. Ils la remettent en route : on se réveille à nouveau de la vie ordinaire. On notera le « que je fis hier ». Cela montre que la méditation est l’exercice spirituel réalisé un jour précis par quelqu’un, ce n’est pas une abstraction. Ces deux paragraphes expriment le désespoir de celui qui constate que les sceptiques pourraient bien avoir raison, et que sa démarche semble bien être un échec : on n’a rien trouvé de certain. Il prend la résolution de continuer malgré tout et rappelle la méthode du doute hyperbolique.

L’allusion à Archimède : c’est une allusion au levier. Quand on a un point ferme, on peut, par levier, soulever et déplacer tout le reste. De la même façon, on n’aura besoin que d’une seule vérité indubitable pour fonder toutes les autres. Archimède est un mathématicien grec du troisième siècle avant JC, il avait prétendu pouvoir soulever la terre si on lui donne un levier et un point fixe. Le § 2 reprend le bilan de la 1ère méditation. Le § 3, c’est le plus important, car c’est ici qu’il trouve cette vérité première. Ce qui est indubitable, il est en fait sous nos yeux, on n’a qu’à se pencher pour le saisir, si on peut dire : il est là depuis le début de la première méditation ! Depuis le début, qui est-ce qui doute de tout ? C’est moi ! Donc, puisque tout a été rejeté, il faut maintenant appliquer ce doute à moi-même qui doute. Dans le paragraphe trois, il en vient à appliquer le doute hyperbolique à lui-même, mais cela arrive très progressivement. 1ère phrase : il affirme qu’après avoir tout révoqué en doute, il faudrait chercher « quelque autre chose différente ». Cela veut dire que comme on a rejeté comme faux tout le monde matériel, ce qui sera indubitable sera d’une autre nature, ce sera une chose métaphysique, qui ne relève pas du monde matériel. Quelle sera cette autre chose, alors ? Il va les examiner une par une, par un jeu de questions et de réponse avant d’arriver à la solution que sera le cogito. 2ème phrase : il fait une première tentative. On a des doutes, depuis la première méditation. Ce sont des pensées. Mais d’où nous viennent ces pensées ? Est-ce qu’il n’y a pas un Dieu ou une autre puissance, qui me met ces pensées dans l’esprit ? Mes pensées pourraient alors témoigner du fait qu’une réalité métaphysique existe, comme un Dieu ou autre chose. 3ème phrase : échec de cette première tentative. Le fait que j’ai des pensées ne prouve rien, car en fait je peux les produire de moi-même. Donc, on n’a pas réussi à trouver une autre chose qui serait certaine. Les pensées en moi ne témoignent en rien que quelque chose existe hors de moi. 4ème phrase : deuxième tentative. Si c’est moi qui produit ces pensées douteuses, alors est-ce que la présence de ces pensées en moi ne prouve pas que moi j’existe, de manière certaine ? Alors, la vérité indubitable, ce serait que moi j’existe. 5ème phrase : objection à cette seconde tentative. J’ai nié que j’ai un corps. Il semble bien que je sois une réalité du monde physique, que je sois un corps, dans un certain lieu. Donc si je n’ai pas de corps, s’il n’y a pas de monde, alors je n’existe pas du tout. Mes pensées ne prouvent pas que j’existe. 6ème phrase : réponse à l’objection. Si on dit que je suis un corps, ou que je ne peux pas exister sans un corps, alors oui, on ne peut pas être certain que j’existe. Mais est-ce que cela va de soi que je ne suis rien sans mon corps ? Il laisse la question ouverte pour le moment, en tout cas c’est un problème.

7ème phrase : Reprise de l’objection : puisqu’il n’y a aucun corps, aucun monde, aucun esprit dans ce monde, alors il semble bien que je n’existe pas. Par cette démarche, je me suis persuadé que je n’existe pas. C’est en fait un rappel de l’argument du rêve. 8ème phrase : réponse à l’objection. Si je me suis persuadé que je n’existe pas, comment dire que je n’existe pas ? Comment ce qui n’existe pas pourrait-il se persuader de quoi que ce soit ? Se persuader de quelque chose, c’est penser quelque chose, mais comment penser si on n’existe pas ? Si j’ai pensé quelque chose, c’est donc que j’étais. Il semble que Descartes ait trouvé ce point fixe indubitable, c’est lui-même qui pense (mon existence résiste à l’argument du rêve). 9ème phrase : après avoir repris l’argument du rêve et l’avoir écarté, il reste la fiction du malin génie. Donc nouvelle objection. Ce malin génie fait tout pour me tromper en permanence, il me donne sans cesse des illusions, même quand je fais des choses très simples comme ajouter deux et trois. Donc, quand je dis que j’existe puisque j’ai pensé quelque chose, et bien c’est un fois de plus lui qui me trompe. Donc, penser que j’existe, c’est faux, c’est une illusion. 10ème phrase : réponse à l’objection. Quand bien même le malin génie me trompe, cela prouve justement que j’existe. S’il me trompe, alors je suis. Car pour qu’il me trompe, il faut bien que j’existe. Comment pourrait-on tromper quelque chose qui n’existe pas ? Plus il me trompe, plus il témoigne en faveur de mon existence. Il a beau être très puissant, ce malin génie, on a trouvé quelque chose qui résiste à sa puissance, sur laquelle il ne peut rien : « il ne saura jamais faire que je ne sois rien tant que je penserai être quelque chose ». Et le malin génie, est-ce qu’il ne peut pas faire ici ce qu’il fait quand je juge en mathématique ? Il ferait que je me trompe quand je dis que j’existe puisque je pense. Admettons qu’il me trompe ici aussi : s’il me trompe, c’est donc que j’existe : comment est-ce qu’on pourrait tromper quelque chose qui n’existe pas ? C’est impossible. S’il me trompe, alors j’existe. Voilà quelque chose qui résiste au malin génie, là il ne peut rien faire. La seule vérité qui résiste à l’argument du malin génie, c’est mon existence. 11ème phrase : conclusion du paragraphe : « il faut conclure ». On a enfin trouvé cette vérité première, on peut la formuler comme suis : « je suis, j’existe ». Est-ce que je peux douter de mon existence ? Si je doute de mon existence, cela veut dire que je pense que je n’existe pas. Mais si je pense cela, je pense. Comment est-ce que je pourrais penser si je n’existais pas ? Pour penser, il faut bien exister. Penser, c’est être. Donc, si je doute de mon existence, ca prouve bien que j’existe et donc que je n’ai pas à en douter. On voit donc que ca n’a pas de sens de douter de notre existence, puisque si j’en doute, alors j’existe et donc je n’en doute pas. Quand je pense que j’existe, alors j’existe, forcément. C’est cela cette vérité indubitable, absolument certaine, qu’on cherche depuis le début. Il y a deux manières de la formuler. 1ère façon, dans les Méditations Métaphysiques (1641) : « cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit. »

Si je pense que j’existe, alors j’existe. Pourquoi ? Parce que pour penser, il faut exister. Si je n’existais pas, je ne pourrais pas penser. Ce serait absurde de dire ou de penser « je n’existe pas ». C’est ce qu’en logique on appelle une contradiction performative. To perform, c’est accomplir. Ca veut dire que c’est une proposition qui contredit le fait même de l’accomplir . Ex : j’étais sur un bateau qui a fait naufrage, il n’y a aucun survivant. > le fait de prononcer cette phrase prouve que c’est faux, moi j’ai survécu ! Ici, c’est pareil ! Je n’existe pas ne peut qu’être faux, donc j’existe est forcément vrai quand je le pense ou quand je le dis, sinon je ne pourrais pas le penser ou le dire. Une vérité qui est vraie du fait même que je la pense ou la prononce, donc du fait que je l’accomplis, c’est ce qu’on appelle une vérité performative. Le cogito est une telle vérité. On notera que Descartes ne dit pas que cette proposition est nécessairement vraie, sinon cela voudrait dire que je ne peux pas ne pas exister, donc que je suis immortel, comme Dieu. Ce serait absurde. Il dit qu’il qu’elle est nécessairement vraie toutes les fois que je la prononce ou la conçois en mon esprit. Cela veut dire qu’elle est nécessairement vraie toutes les fois que je l’accomplis. C’est donc bien une vérité performative : le fait même de la prononcer ou la penser prouve qu’elle est vraie, la rend nécessaire. Mais dès que j’arrête de la penser ou de la prononcer, elle n’est plus nécessairement vraie. L’autre formulation, c’est celle qu’on trouve dans le Discours de la méthode, œuvre de 1637, alors que les Méditations métaphysiques datent de 1641 : « Je pense, donc je suis » > Cogito ergo sum. Si je doute de tout, alors je pense, et si je pense, alors je suis. Voilà de quoi je ne peux pas douter : de mon existence. C’est la formule la plus connue (cf. l’extrait du Discours donné). Pourtant, si Descartes y renonce pour préférer en 1641 « je suis, j’existe », il doit y avoir une raison. En effet, ce qui ne va pas avec « je pense, donc je suis », c’est le « donc ». Ce « donc » fait penser à la conclusion d’un raisonnement, comme dans les syllogismes qu’on avait étudié. Mais si « je suis » est la conclusion, alors il faut qu’il y ait des prémisses. Cela donnerait : Tout ce qui pense est Or je pense Donc je suis. Mais si c’est vraiment cela la vérité du cogito, alors ce ne serait pas du tout la vérité première trouvée par la méthode du doute hyperbolique ! La vérité première serait « tout ce qui pense est ». Or, comment est-ce que je puis savoir une telle chose ? Par expérience ? Mais l’argument du rêve a remis en doute les données de l’expérience de nos sens. Du coup, la prémisse étant douteuse, la conclusion aussi, donc le cogito serait douteux. Alors, comment comprendre le cogito si cette vérité n’est pas le résultat d’un raisonnement ? Il faut nous souvenir de la différence étudiée dans le cours sur la vérité entre intuitif et discursive. Le texte des Règles pour la direction de l’esprit, de Descartes, distinguait bien l’intuition et la déduction . Le problème de ce « donc » est qu’il évoque une vérité discursive alors que c’est une vérité intuitive . Dans le cogito, il n’y a aucun raisonnement, il y a une intuition : je vois que

j’existe du fait même que je le pense. J’intuitionne une vérité, de manière immédiate, quand je pense « je suis, j’existe ». Mon esprit voit immédiatement que je suis quand je pense que je suis. Si cela se voit, c’est donc une vérité intuitive, ce qu’on appelle une évidence, du latin video, je vois. Une évidence, c’est aussi ce que Descartes appelle une idée claire et distincte. C’est une idée tellement évidente qu’elle ne laisse place à aucune possibilité de douter, elle est indubitable, autrement dit elle est certaine. Il faut donc bien retenir que l’existence ne se déduit pas, elle s’intuitionne. Et c’est en voyant le lien entre penser et être en moi que je peux dire par extension que « tout ce qui pense est ». Cette dernière vérité est dérivée, elle ne fonde pas le cogito. On trouve ici la conscience de soi : j’ai conscience de moi-même, cela veut dire que je me pense comme existant. C’est cela le cogito, c’est la conscience de soi, car quand je pense « cogito », je pense quoi ? Je pense le je, ma pensée est réfléchie sur elle-même. Et on découvre qu’on ne peut douter d’elle : la conscience que j’ai de mon existence est certaine, elle ne peut pas me tromper. Ce que découvre Descartes à travers les Méditations Métaphysiques, c’est la conscience. Il n’utilise pas ce mot, car à l’époque conscience a un sens moral, c’est la conscience qui est bonne ou mauvaise, mais c’est bien du phénomène de la conscience de soi qu’il s’agit. Cette vérité certaine, elle était là dès le début de la première méditation, au fond. Un sujet conscient, un je, a douté de tout, a exclu toute chose, mais finit par se ressaisir lui-même comme ce qui ne peut être révoqué en doute. C’est celui qui doute qui est l’indubitable.

6. La certitude du cogito : la conscience de notre essence. Maintenant qu’on sait avec certitude qu’on existe, qu’est-ce qu’on peut savoir de plus ? Savoir que je suis, ce n’est pas encore savoir ce que je suis. Nous avons connaissance de notre existence, pas de notre essence. Est-ce qu’on ne peut pas aussi savoir avec certitude ce que l’on est, c’est-à-dire notre essence ? Oui, d’après Descartes. Cela fait l’objet des §§ 4 à 7. Pour cela, la méthode va consister à reprendre une par une les anciennes opinions à notre sujet. Qu’est-ce que j’ai cru être ? On va voir que la plupart sont fausses. > il va appliquer la méthode du doute hyperbolique à ces opinions sur soi-même pour ne conserver de notre essence que ce qui est indubitable. Il part de l’opinion selon laquelle je suis un animal raisonnable. Cela vient d’Aristote : zoon logon echon. Mais il écarte tout de suite cette définition, car il faut ensuite se demander ce qu’est un animal, donc quelque chose qui est un corps, alors qu’on a révoqué en doute le corps. L’opinion suivante est que j’avais un corps. Et puis en plus de ce corps j’avais une âme, qui agissait dans le corps ou par le corps : je marchais, je sentais, je pensais, etc. Il donne une définition du corps : il a une figure, il occupe un lieu, il rempli un espace, et il est senti par les sens. On reconnait là les notions simples et les sens, donc tout ce qui est douteux.

Donc, si je suis quelque chose de certain, cela ne peut pas être le corps. C’est ce qu’il montre dans le § 5. Il repart de la fiction du malin génie pour voir si les connaissances que j’ai de moi comme corps ou bien âme peuvent lui résister. Apparemment non, tout ce que l’on vient de dire peut bien être une tromperie du malin génie. Le corps est donc exclu, s’il y a une certitude de mon essence, elle portera sur l’âme : « Passons donc aux attributs de l’âme ». L’âme me permet de marcher, de me nourrir. Cela signifie que l’âme est ce qui agit à l’intérieur de mon corps, c’est un principe vital. On la pense alors comme un souffle vital, un vent subtil qui parcourt le corps. C’est une définition de l’âme qui est donnée par Aristote dans son traité sur l’âme et qui est reprise par saint Thomas. L’âme serait le principe organisateur du corps. Mais puisqu’on a rejeté le corps, cette définition de l’âme doit aussi être rejetée comme douteuse. On a dit aussi que l’âme est ce qui pense. C’est là que l’on va trouver la certitude recherchée sur notre essence. Je sais avec certitude que je suis, dans le cogito, mais uniquement parce que je pense : la proposition « je suis » est nécessairement vraie seulement pour autant que je la pense. Donc, si c’est parce que je pense que j’existe, que je sais que j’existe, je sais en toute certitude que je pense, donc que je suis une chose qui pense. Mon essence, ma nature, est de penser, c’est-à-dire d’être une conscience, ce que Descartes appelle une chose qui pense (res cogitans). « Je suis, j’existe, cela est certain ; mais combien de temps ? autant de temps que je pense ; car peut-être même qu’il se pourrait faire, si je cessais totalement de penser, que je cesserais en même temps tout à fait d’être ». Je sais que j’existe parce que je le pense, j’accomplis cette vérité. Mais dès que je cesse de le penser, ce n’est plus une certitude, puisque je cesse de l’accomplir. La vérité du je suis est liée à ma pensée. Et si je ne pense plus, rien ne me dit que j’existe. Du coup, il semble bien qu’exister, pour moi, cela consiste à penser. On ne peut pas douter de notre pensée. Si on doute du fait qu’on pense, alors on pense qu’on ne pense pas, donc on pense. « Je ne pense pas » est une contradiction performative, et « je pense » est une vérité performative. Est-ce qu’on ne peut pas essayer d’arrêter de penser ? Essayer de ne plus penser ? Mais si on fait cette tentative, alors on va penser qu’on ne pense plus, ce qui est encore une manière de penser. Sartre montre ce que donne cette tentative dans un cours extrait de la Nausée, clairement inspiré de Descartes : Ma pensée c’est moi, donc je ne peux pas m’en débarrasser : je suis une chose qui pense, donc, une conscience. Non seulement j’ai conscience avec certitude d’exister, mais j’ai conscience avec certitude de ce que je suis, à savoir une conscience : on voit donc que la conscience de soi est ce qu’il y a de plus certain au monde ! Aucune connaissance ne peut être plus évidente et plus certaine que la conscience que l’on a de soi, il n’y a pas d’erreur possible quand je pense exister ou quand je pense penser, c’est certain.

Le § 6 n’est pas très important : il consiste à exclure l’imagination. Elle ne peut pas nous apprendre ce que nous sommes. Il faut se fier à notre entendement seul. L’imagination nous présente des images, donc elle relève de ce qu’on a exclu par l’argument du rêve. Le § 7 est essentiel. Il repart de ce que l’on a découvert en toute certitude être : une chose qui pense. Il faut maintenant approfondir et préciser ce que c’est qu’une chose qui pense. Qu’est-ce que c’est que cette pensée ? Descartes l’écrit : « Qu'est-ce qu'une chose qui pense ? C'est une chose qui doute, qui entend, conçoit, qui affirme, qui nie, qui veut, qui ne veut pas, qui imagine aussi, et qui sent. » On retrouve ici ce qu’on avait vu à propos de la conscience : elle est un flux de représentations de plusieurs types, comme des perceptions, des souvenirs, etc. Descartes fait ici une sorte d’inventaire de ces pensées qui sont dans ma conscience : des doutes, des actes de conceptions (concepts), affirmer/nier, c'est-à-dire des jugements, des volontés, de l’imagination, ou le fait de sentir, c’est-à-dire de percevoir. Il fait ici l’inventaire de tous les types de pensées que nous avons dans notre conscience. La définition essentielle de ce qu’est une pensée est donnée dans une autre œuvre, je vous la donne aussi : « Par le nom de pensée, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle sorte que nous en sommes immédiatement conscients » C’est la définition qu’il en donne dans les Principes de la philosophie. Œuvre de 1644 (voir l’extrait). La pensée, c’est la conscience.

7. La certitude du cogito : la conscience des pensées particulières. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la certitude de la conscience de soi vaut pour toutes ces pensées : toutes ces pensées conscientes sont certaines. Si je suis certain de penser, alors chacune de mes pensées est certaine elle aussi, aucune n’est douteuse : « n’y a-t-il rien de tout cela qui ne soit aussi véritable qu’il est certain que je suis et que j’existe, quand même je dormirais toujours, et que celui qui m’a donné l’être se servirait de toute son industrie pour m’abuser ». Cela veut dire que chacune de mes pensées est certaine, et résiste à la fois à l’argument du rêve et à la fiction du malin génie. Par exemple : nous avons en nous des actes d’imaginations. Nous imaginons, c’est-à-dire que nous formons librement des images dans notre esprit. Est-ce qu’il est douteux que j’imagine, quand j’imagine, ou bien est-ce une certitude ? Que je sois en train de rêver ou pas n’y change rien, je suis en train d’imaginer quelque chose. De même, peut-être qu’en imaginant quelque chose, ce que j’imagine est faux, et c’est le malin génie qui est en train de me tromper, mais il est certain que j’imagine. Donc de même qu’il est certain que je pense, il est certain que j’imagine. Descartes passe ensuite à cette représentation mentale, cette pensée, qu’on appelle la perception. Quand je sens, puis-je douter que je sens ? « Je vois de la lumière, j’entends du bruit, je sens de la chaleur ». Est-ce douteux ? Si je vois de la lumière, peut-être suis en train de rêver, peut-être que cette lumière n’existe pas et n’est qu’une tromperie qui vient du malin génie. La lumière n’est donc nullement certaine, mais le fait que moi je vois de la lumière,

ça c’est certain, je ne peux pas en douter. : « il est très certain qu’il me semble que je vois de la lumière ». On voit donc que toutes les sortes de pensées, toutes les représentations mentales qui sont dans ma conscience sont toutes aussi certaines que la conscience elle-même. Quand je perçois le monde qui m’entoure, on peut douter du fait qu’il existe un monde, comme on l’a fait, mais quand je perçois, je ne peux pas douter du fait que je perçois. Ca, c’est certain et je ne peux pas me tromper. Actuellement, je vous entends et vous vois. Peut-être que ca ne correspond à rien de réel et que vous n’exister pas, mais je ne peux pas douter du fait que je suis en train de vous voir et de vous entendre. C’est certain, il n’y a pas de possibilité d’en douter car c’est dans ma conscience. On voit donc que tout ce dont j’ai conscience en moi, toutes mes représentations, sont certaines, absolument indubitables. J’ai conscience que je perçois /des êtres humains dans une salle de cours. Toujours vrai /vrai ou faux. Ce qui est dans ma conscience est toujours vrai, alors que ce qui est extérieur est douteux. Avec la conscience, on a dégagé une sphère de certitude absolue. Les §§ 8 à 13 consistent à montrer que l’âme, donc la conscience, est connue avec bien plus de certitude que les corps, contrairement à ce qu’on croit normalement.