Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

download Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

of 13

Transcript of Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    1/13

    I

    P S Y C ~ L Y S E ET

    Pf.ULOSOPf.UE

    La psychanalyse de Freud, qui fut d abord une mthode

    parti-

    culire pour soigner certains nvross, a pris depuis

    1891

    une exten

    sion et un dveloppement qui en font comme une rvolution dans

    le domaine de l anthropologie et des sciences humaines, rvolution

    qui atteint mme peut-tre la philosophie tout entire. On parle

    d une psythllllll/yse

    existentielle

    il semble qu il y ait

    des

    ressemblances

    entre la dmarche psychanalytique et

    l

    na{ylifJ 6 exi.rtenliale de

    Heidegger. Tenter de mettre en lumire l originalit et le sens de

    cette psychanalyse, pour expliciter son influence dans la psychanalyse

    existentielle et l analytique existentiale, tel est le thme propre de

    cette confrence.

    I. - LA

    PSYCHANALYSE

    DE

    FREUD

    Rien n est plus attachant que la lecture des uvres de Freud.

    On a le sentiment d une dcouverte perptuelle, d un travail en pro

    fondeur qui ne cesse jamais de mettre en question ses propres rsul-

    Manuscrit non situ, non dat. Probablement de 19H

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    2/13

    374

    FIGURES DE

    L

    PENSE PHILOSOPHIQUE

    tats pour ouvrir de nouvelles perspectives, une recherche intrpide

    que jalonnent des uvres matresses, depuis les

    ElriJes

    sur I'I Jsflrie,

    en collaboration avec Breuer, jusqu' la dcouverte d un au-del

    du principe

    du plaisir en passant

    par la

    Srience

    Jes Rves, la Trtlllm-

    JeRtung, qui est de 1900 (1). C'est ainsi que la psychanalyse qui a

    commenc par tre un traitement cathartique se dlivrer d'une

    motion ancienne (abraction) remontant des symptmes de l'hyst

    rie aux vnements qui taient l'origine de ces symptmes), a pour

    suivi

    ses

    dcouvertes par une exploration de l'inconscient humain,

    se traduisant presque directement dans nos rves, comme dans les

    symptmes des nvroses, par une tude des rsistances que le moi

    oppose

    cette exploration, puis

    du

    transfert l'aide duquel un

    sujet revit son pass, le rpte sur la personne de son mdecin, sans

    en avoir

    un

    souvenir effectif.

    Ce

    n'est pas tout; au moment mme

    o le systme freudien allait se fermer, Freud dcouvre avec l ins-

    tinct Je ort intimement li l'instinct vital qu'tait: la libido, une

    perspective absolument nouvelle. La psychanalyse freudienne telle

    qu'elle apparat dans l'tude concrte du

    cas

    de Dora, de l'homme

    aux loups,

    du

    petit Hans,

    du

    procureur Schreiber, se montre une

    mthode concrte et fconde qui est plus la dcouverte d'une probl

    matique

    qu n systme achev. Cependant, si

    la

    lecture des uvres

    de Freud nous donne cette impression, elle n'est pas aussi sans

    nous causer une surprise et une dception.

    n y

    a un contraste vident

    entre le langage positiviste de Freud la topologie du moi, du a,

    du surmoi par exemple) (z), et le caractre de la recherche et de la

    dcouverte. Pour apprcier la signication philosophique de l'uvre

    (1) es Lofisdlt

    n l l r n b ~ ~ ~ ~ g ~ n de

    HussERL sont

    de

    1899. Double effort

    de

    l'homme pour ressaisir ses sigoifications et se ress isir lui-meme d ns ses signi-

    fications.

    (z) La conception mergtique de Freud (mergie libre, nergie lie).

    e

    langage le plus objectif possible pour une dcouverte

    si

    surprenante,

    si

    boule

    versante d ns ses c dres objectifa-subject:i .

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    3/13

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    4/13

    76

    FIGURES DE L PENSEE PHILOSOPHIQUE

    Notons d'abord cette mthode d'exploration, cette exgse

    qui

    prend la totalit de l'homme, ce (jll il i t

    GDIIJ imm111t

    aussi bien que

    ce qu il dit inconsciemment, les symptmes, les rves, les actes man

    qus, les actes symptomatiques,

    fin

    de reconstituer l'histoire de cet

    homme,

    le

    sens actuel de sa vie t de son existence (t}.

    Notons ensuite que cette exploration n'est possible que parce

    qu'elle met en jeu tlnix inflri(}IIflllf J, l'analyste et l'analys, parce

    qu'elle implique ce dialogue humain, cette communication univer

    selle dans laquelle

    le

    sens

    peut

    apparaitte comme tel. Car le sens

    tait bien l, dj vcu dans une histoire, mais il n'tait pas exprim

    comme tel. C'est pourquoi ce sens peut apparaitte l'analyste sans

    tre

    encore proprement conscient

    che

    l'analys

    (2.).

    Mais

    l

    faut que ce sens vcu, sans tre explicitement conscient,

    dominant ce

    moi

    sans tre domin par

    lui

    (3), soit proprement

    reconnu par le moi lui-mme.

    Il

    ne suffit pas que le psychanalyste

    sache, l faut encore que le psychanalys se reconnaisse dans cette

    image qu on lui prsente, qu on lui offre de lui-mme. Cette reconnais

    sance est essentielle pour la gurison. A la fin d'une analyse, on

    entend

    le

    patient dire :

    Il

    me semble maintenant l'avoir toujours

    su . C'est par l que se trouve rsolu le problme de l'analyse.

    (1)

    Dans

    une des p r m i ~ psychanalyses de Freud, celle de Dora, inter

    p r ~ t o n de la toux et de l'aphonie. Complaisance somatique. Mais quel est le

    lien entre le symptme

    (ou

    l'image du tave)

    et

    le sens,

    la

    signification

    ?

    Husserl distingue l illliitt et

    la

    ngnifttalion, ce

    qu on

    atteint par une sorte

    d'induction positive et p r vise de signification.

    La

    psychanalyse

    a

    confondu

    l'ac:complissement

    des

    significations

    avec:

    l'in

    duction des indices.

    (2) Celui qui a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre constate que

    les mortels

    ne

    peuvent cacher aucun secret. Celui

    dont

    les lvres se taisent bavarde

    avec: le

    bout

    des doigts. n se trahit p r

    tous

    les pores. C'est pourquoi la tl.c:he de

    rendre conscientes les parties les plus dissimules de l'Ame est par .itement

    ralisable.

    ~ )

    Transcendant

    au

    moi, comme un sens

    qui

    s'impose

    dans le

    processus

    primaire du rave.

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    5/13

    FREU

    377

    Il

    ne s'agit pas de

    la tonftuion thrititnnt

    (bien que la confession

    ait souvent jou le rle de la psychanaly e); car

    d une part

    l

    faut pn

    trer

    dans ce qui dpasse les intentions conscientes

    et

    le langage

    explicite, de

    l

    l'immense problme de l'exploration de la psychana

    lyse, la

    T r a ~ ~ m J t N i t m g

    et

    d'autre part le mdecin

    n a

    pas

    donner de

    conseil, se faire

    un

    ducateur, mais mettre ce moi

    en

    position

    de conduire lui-mme sa propre vie.

    Le mdecin doit toujours se

    montrer tolrant l'gard des faiblesses de son patient et se contenter

    de lui redonner certaines possibilits de travailler

    et

    de jouir de la

    vie mme s'il s'agit d un sujet mdiocrement dou. L'orgueil du

    catif est aussi

    peu

    souhaitable que l'orgueil thrapeutique

    (1).

    Ce

    sens primaire qui

    appart

    dans les symptmes, dans

    la

    manire

    d'tre au monde

    d un

    individu, aussi bien que dans les rves, est ant

    rieur

    la

    logique ordinaire et rflexive du moi. A cet gard l'tude

    ou

    l'interprtation des rves qui nous conduit jusqu' l'exgse des

    penses primitives,

    la tondtnration

    et

    au

    Jiplactmtnt

    sont

    un

    des monu

    ments de Freud, jusque

    et

    y compris ce que la logique de la veille

    apporte de dformation secondaire aux premires laborations des

    rves .z).

    On

    voit

    quel problme se pose au philosophe (3) quand Freud

    localise

    et

    dissocie si compltement {du moins dans l'expos des

    rsultats) l'inconscient et le conscient, le a et le moi - avec le

    (I)

    La

    tiche

    d6finic pu Freud, c'est d'aidCI le moi qui succombe dans sa

    lutte contre ces dewi ennemis-allis : le a et le surmoi. Dans

    un te rtc

    fondamental,

    Freud ~ : Si tent que puisse tre l'analyste de devenir l'ducateur, le modle

    et l'idal de ses patienta, quelque envie qu il ait de les faonnCI son image, l

    lui faut sc mppelCI que tel n est pas le but

    qu il

    cherche atteindre dans l'analyse

    et mme

    qu il

    f.llit sa tiche en se laissant allCI ce penchant.

    (a) Si profonde que soit la TratiiiiMIIItlllg avec la distinction du proccsaus

    primaire (les mthodes mmes de l'inconscient - envahir ce territoire ennemi

    sans

    en

    tenir compte) ct du processus secondaire (tenir un peu compte de l'ennemi),

    elle

    n est

    pas suffisante pour cette signification totale, spatiale et temporelle de

    l'existence qu'est l'expression primaire.

    (3) Problme de la langue fondamentale, comme disait Schrcibcr.

    .J.

    RYPPOT ITE

    J

    13

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    6/13

    378

    FIGUR S

    DE L PENSE

    PHILOSOPHIQU

    surmoi qui reprsente l intriorisation des ducations originaires.

    Ce problme c est celui de la conscience

    ou

    de l inconscience de

    soi.

    e

    moi ne s ignore pas autant

    qu on

    pourrait le croire, l se

    mconnatt. Mais cette mconnaissance est encore une connaissance,

    et c est ainsi

    qu on

    peut s expliquer

    la

    reconnaissance finale de soi

    dans l image propose par le psychanalyste. {Exemple de la projec

    tion cathartique: je le hais parce qu il me hait le mal n est pas en

    moi,

    l

    est

    en

    lui. Alceste dnonant

    la

    socit. Voir le

    mal

    hors de

    soi parce qu il est en soi.) Mais la dcouverte de Freud n a cess

    de s approfondir dans l tude des cas concrets,

    et

    des rapports de

    l analyste

    et

    de l analys.

    Au

    dbut l semblait que redonner

    l analys

    une conscience intellectuelle, une explication de ses troubles pouvait

    suffire. Lors des tout premiers dbuts de la psychanalyse, nous avions,

    l est vrai, en considrant les choses d un point de vue intellectuel,

    attribu une grande valeur

    faire connatre au patient ce qu il avait

    oubli [ ],le succs escompt ne se produit pas, le souvenir intellec

    tuel ne suffit pas.

    Il

    faut vraiment aussi vaincre les rsistanes

    {x .

    C est une remarque capitale. L obstacle la gurison, c est la

    rsistance

    du

    moi, contrepartie

    du

    refoulement,

    et

    cette rsistance

    n est pas vaincue

    par un

    souvenir. Cette rsistance se manifeste dans

    le transfert par lequel le malade reporte

    sur

    son mdecin ou sur

    son

    entourage les sentiments vcus jadis {z .

    a rptition

    devient l objet

    d une analyse propre, une rptition qui n est pas elle-mme encore

    un

    souvenir. Ds lors des questions plus profondes se posent. Quelle

    dfrence entre le transfert

    et

    l amour ?

    Tout

    amour n est-il pas

    lui-mme un transfert ?

    L ana{1s

    ne se so imt

    pas

    Je sa rvolte

    et

    e son insoknce

    l gard

    (1)

    En

    quoi consistent les dsistances, les dkouvertes des Rsistanccs? Pour

    quoi tout le monde n est-il pas

    misonnable

    ? Approfondir la notion de Rsistance,

    c est approfondir l interruption

    de la

    communication, les

    difticults du

    libralisme

    dans

    l histoire.

    O

    sont les rsistllnces ?

    (z) Cas

    du

    procureur

    Scbi.ber.

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    7/13

    FREUD

    H9

    Je l

    ~ ~ l o r i t

    parentale

    mais

    il

    rpite

    e ~ l l e onJuile

    fJIIGIIllll ( 1 .

    Il

    ne se

    souvient pas de s'tre senti au cours de. ses investigations infantiles

    d'ordre sexuel dsespr

    et

    dconcert, priv d'appui, mais il apporte

    des ides

    et

    des rves confus, se plaint de ne russir

    en

    rien.

    L'amour qui devient manifeste dans le transfert ne mrite-t-il

    pas d'tre considr comme un amour vritable ?

    Il

    est exact que cet tat amoureux n'est que

    la

    rdition de faits

    anciens, une rptition des ractions infantiles, mais c'est l le propre

    mme de tout amour et l n en existe pas qui n'ait son prototype

    dans l'enfance.

    L'approfondissement de cette notion de rptition devait conduire

    Freud cette notion d'instinct de

    mort

    par

    quoi nous pouvons rpter

    mme des tats pnibles, traumatisme

    et

    retour dans les rves, checs

    successifs dans une vie. et instinct de mort qui habite aussi bien le

    vivant que nous sommes que l'instinct de vie se mle avec lui (l'agressi

    vit de l'amour), mais peut aussi s'en dissocier jusqu' habiter des ma

    lades qui refusent absolument de gurir

    et

    s'enfoncent dans la mort (.z).

    Retenons dj dans cette description schmatique de la psycha

    nalyse le mouvement de la Jmarhe

    fremlielllle qui est une dmarche

    historique de signifiant signifi,

    d exgse-

    et

    cet

    approfondisse

    ment du dsir humain

    (3)

    qui dans son ambivalence est Eros aussi

    bien que Mort.

    (x) Le ttansfert qui est une rptition sans conscience propre du pass comme

    tel

    est un

    gnn

    moyen d'action pour le m lccln. mais aussi

    une gnndc

    manifcs..

    tation e

    rsistance.

    (.z)

    omment

    s'explique

    c:cttc

    nouvcllc dcouverte

    e

    Freud, cc bouleverse

    ment

    e

    la

    psycbanalysc ?

    Lcctorc

    diflicilc de

    AIHII

    d prin pl tltt

    p/4isir

    Rcpr6scntation nergtique

    ct

    :onomiquc. Retrouver

    l ~ u i l i b r e perdu

    par

    les teosions trop fortes. Mais des manifestations tlllnges (nvroses ttaumatiqucs

    ou e

    guerre

    - j e u des cn nts (disparition) -raves pnibles avec angoisse

    - checs successifs

    d une

    vic - rptition obsdante - l 'atthancc de

    ls

    mort

    par ses propres voies).

    (3) Le rve n est plus uniquement la ralisation

    d un

    d fr refoul.

    O

    nous

    conduit-il

    ?

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    8/13

    Bo

    FIGURES

    DB L

    PBNS S E PHILOSOPHIQUE

    Il.

    -

    L PSYCHANALYSE EXISTENTIELLE

    Freud, avons-nous dit, se sert d un langage positiviste qui est

    inadquat

    sa propre dmarche. Il recherche un rapport entre des

    symptmes, des rves, des vnements de la vie psychique et des

    sens cachs qui sont la source des vnements.

    Par exemple, le

    vol maladroit opr par

    un

    obsd sexuel n'est pas seulement vol

    maladroit. Il nous renvoie autre chose que lui-mme, ds le moment

    o

    nous le considrons avec les psychanalystes comme phnomne

    d'autopunition.

    Il

    renvoie au complexe premier dont le malade

    essaie de se justifier en se punissant.

    Mais le langage de Freud suppose une vritable coupure entre le

    signifiant (cette motion, ce symptme, ce vol maladroit)

    et

    le

    signifi (le dsir refoul, cet vnement de "enfance). a conscience

    serait coupe radicalement de son sens.

    a

    psychanalyse est pour

    tant une exploration omprbensitll

    qu on

    ne peut absolument pas

    assimiler une

    tllllsaDt

    pl JsifJII' Un fait de conscience n'est pas

    une chose par rapport

    son sens.

    n

    ne peut pas dire

    non

    plus que

    le moi vit son motion

    ou

    son symptme en le comprenant du

    dedans. a psychanalyse nous introduit donc

    dans

    cette mconnais

    sance dont nous disions qu'elle tait pourtant - en tant que

    mconnaissance - une forme de connaissance. Sartre parle d'une

    mauvaise foi congnitale et le mot mauvaise foi ne parat pas non

    plus parfaitement convenir

    pour

    exprimer tout le poids de cette

    rsistance s'entendre soi-mme.

    a

    lecture, l'exgse d un contexte

    psychologique impliquent une sorte d'oubli fondamental- et mme

    d'oubli de l'oubli - qu'il faut pouvoir remonter. Mais l'oubli

    n'est pas

    la

    disparition pure et simple.

    Disons donc que la psychanalyse nous a ouvert une dimension

    nouvelle dans l'exploration

    concrte des existences humaines; il

    s'agit de dchiffrer les symboles d'une conscience, les nigmes qui

    sont des nigmes pour ceux mmes qui les vivent.

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    9/13

    FREU

    Je prendrai des exemples : celui o Freud nous parle

    du

    dvelop

    pement de la tragdie d dipe comare d une psychanalyse (t);

    celui o il tudie un souvenir d'enfance de Lonard de Vinci.

    On se souvient du

    point

    de dpart de l'analyse freudienne, ce

    souvenir d'enfance concemant le vautour :

    Je

    semble avoir t

    destin

    m'occuper tout particulirement

    du

    vautour. Le vautour

    est le symbole d une vierge mre (les vautours seraient fconds

    par le vent), or il y a dans ainfl All118 dans La Vierge

    et

    /

    Enj1111t

    ce manteau de la Vierge qui dessine un vautour et s'achve contre

    le visage de l'Enfant.

    Lonard tait

    le fils

    naturel d un riche notaire qui pousa l'anne

    mme de sa naissance une noble dame,

    et

    reprit Lonard

    pour

    l'adopter l ige de s ans. Pendant quatre ans, Lonard vcut seul

    avec sa mre, sans pre; il connut

    un

    premier

    et

    unique amour :

    celui de sa mre, mais il

    fut ensuite arrach cet amour, au seul

    amour fondamental de sa vie.

    Que fit-il de ce dtachement, de ce dracinement, et comment

    la libert de Vinci, libert intellectuelle suprme, est-elle en rapport

    avec cette premire exprience de l'enfance?

    Nul

    doute

    qu il

    n y

    ait

    un prolongement de cette histoire dans le dveloppement ultrieur

    de Lonard. Son histoire l a marqu - et le symbole du vautour

    en est l'exemple caractristique; mais elle ne l a marqu que d'une

    faon ambigu. D'autres dveloppements eussent t possibles. e

    lien qui existe entre cette vie et cette histoire d'enfance n'est pas

    un lien semblable une causalit naturelle. Merleau-Ponty a raison

    d crire:

    a

    psychanalyse nous a appris

    percevoir d un moment

    l'autre

    d une

    vie des checs, des allusions, des reprises,

    un

    enchat-

    (1) Cf. la Sti11111 Ms

    Bbls

    O

    ~ u v r i r o n s n o u s ette

    piste difficile d un

    crime ancien ?

    La pm

    dit

    Freud, n'est autre chose qu'une rvlation progressive ct t t ~

    adroitement mesure - comparable une psychanalyse - du fait qu'dipe

    lui-m mc est le meurtrier de Laios, mais aussi le fils de la victime

    et

    de Jocaste.

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    10/13

    382

    FIGURES

    DE

    L

    PENSE

    PI LOSOPI QUE

    nement que nous ne songerions pas mettre en doute si Freud en

    avait fait correctement la thorie (il faudrait parler d une moti

    vation

    et non

    d un dterminisme naturel).

    i

    l objet de la psychanalyse est de dcrire cet change entre

    l avenir

    et

    le pass,

    et

    de montrer comment chaque vie rve sur des

    nigmes dont le sens

    final

    n est d avance inscrit nulle part, on

    n a

    pas exiger d elle la rigueur inductive. La rverie hermneutique

    du psychanalyste, qui multiplie les communications de nous nous

    mme prend

    la

    sexualit pour symbole de l existence, et l existence

    pour symbole de

    la

    sexualit, cherche le sens de l avenir dans le

    pass et le sens du pass dans l avenir, est mieux qu une induction

    rigoureuse adapte au mouvement circulaire de notre vie qui oppose

    son avenir son pass et son pass son avenir,

    et o

    tout symbolise

    tout. a psychanalyse ne rend pas impossible la libert, elle nous

    apprend la concevoir concrtement comme une reprise cratrice

    de nous-mme aprs coup, toujours fidle nous-mme.

    ais

    quel est ce nous-mme, surtout si

    l on

    dpasse l tude des

    cas individuels pour atteindre l homme ? Sartre reproche Freud

    de partir de tendances empiriques,

    d un

    donn empirique - en

    par

    ticulier

    la

    sexualit. Mais Sartre y substitue une libert radicale

    par

    quoi nous faisons nous-mme notre tre-au-monde.

    Entre

    cet empirisme

    et

    cette libert radicale, faut-il choisir ou

    faut-il reposer le problme d une autre faon ? Faut-il tendre

    la

    dmarche de

    la

    psychanalyse

    la

    philosophie,

    la

    mtaphysique

    elle-mme? C est l une faon de prsenter l analytique existentiale

    de Heidegger, telle qu elle se montre dans l analytique du Darein

    dans

    Sein

    tmt

    Zeit

    L ANALYTIQUE EXISTBNTIALE

    ET

    LA PSYCHANALYSE

    Pour Freud, la sexualit est une manire d tre au monde- et il

    est bien vrai qu elle se prte admirablement traduire les gots et

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    11/13

    FREUD

    les dgots et les formes fondamentales des individualits - puis

    l'instinct de mort, le transfert et la -rptition. Freud a cherch

    dans le a, au-del de

    la

    conscience (considre comme superficielle)

    une explication empirique de l'homme. Qu'est-ce que l'homme?

    (question mme que posait Kant).

    On

    a

    pu

    mme utiliser les inter

    prtations des rves de Freud pour remonter aux mythes et aux

    formes originaires de la vie humaine (Jung)

    (1).

    Mais ne faut-il pas aller plus loin et reconrutre que l'anthro

    pologie (tude des primitifs, sociologie, psychologie, psychanalyse

    empirique) est elle-mme toujours insatisfaisante ? a sexualit est

    nigme, l'instinct de mort est une question, non une rponse, non

    une explication. La question :

    quest-ce que

    l homme?,

    est-elle

    encore une question anthropologique ? Sartre lui-mme crit que

    si toute personne est bien surgissement concret au monde et ne

    vit qu'une situation unique, la sienne, cette manire d'tre exprime

    concrtement et dans le monde, dans

    la

    situation unique qui investit

    la

    personne, une structure abstraite et signifiante qui est le dsir

    d'tre en gnral.

    Mais qu'est-ce que le dsir d'tre, qu'est-ce que

    l tre?

    Pourtant

    la

    dmarche psychanalytique, que nous voulons bien

    distinguer des rsultats de la psychanalyse (de la psychanalyse telle

    quelle a

    fini par

    s pratiquer et se dvelopper en Amrique par

    exemple : il sagit de rendre tous les gens normaux), est une dmarche

    qui ouvre des perspectives

    pour

    exploration de cette existence

    que nous sommes. D y a l des analogies avec la dmarche de l'ana

    lyse existentiale chez Heidegger (l'oubli et

    la

    comprhension pron

    tologique de l'Etre. Nous vivons dans une comprhension de l'Etre

    sans laquelle aucun tant ne nous serait accessible, et pourtant

    cette comprhension de

    l Ette

    nous chappe, nous fuyons devant

    (1)

    BINSWANGER, LI,.;,,

    / .xirll l l lf.

    e rve met au jour la libert la plus

    originaire de l'homme.

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    12/13

    384 FIGURES

    E LA PENSE

    PHILOSOPHIQUE

    elle, prfrant l inauthenticit des relations quotidiennes

    la

    compr

    hension explicite de l tre,

    la

    saisie de notre existence comme telle, de

    notre rapport mme l Etre). Pourquoi cette fuite, cet oubli, ce refou

    lement ? Et comment d autre part vivons-nous dans une mconnais

    sance de

    l Ette

    et de la vrit qui sont pourtant la racine mme de

    notre tre-au-monde? n n est pas jusqu

    la

    mtaphysique qui ne

    recouvre progressivement

    un

    originaire qui toujours se drobe.

    Il

    y a donc des analogies entre l analytique existentiale et la

    psychanalyse. L une et l autre partent de la vie quotidienne, d un

    concret

    et d un

    oubli qu il faut remonter, d un oubli qui s oublie

    lui-mme; l une et l autre se dfinissent parune exgse, une

    ARsletpng.

    La

    diffrence est sans doute aussi fondamentale que l analogie.

    La psychanalyse s enlise dans une base anthropologique, elle part

    de faits empiriques toujours contestables. Jusqu o faut-il

    remonter?

    Qu est-ce que l originaire?

    e qui fait l originalit de Heidegger, c est d avoir dfini le

    Dasein l tre que nous sommes par la comprhension de l Etre, par

    la question de l Etre, c est d avoir donn une signification concrte

    cette question abstraite en apparence,

    en

    1 laborant -

    et

    ayant

    ainsi dfini l homme par ce qui n est pas empirique, mais par la

    question mme de la mtaphysique, d avoir fait l exgse de cette

    mtaphysique dans son histoire, dans son originaire, dans son sens,

    et dans ses phnomnes de rptition ( , un peu comme Freud

    prsente l histoire d une individualit dans ses rves et

    ses

    symptmes.

    Je ne voulais qu indiquer cette analogie, pour orienter vers une

    dmarche philosophique aussi concrte que peut l tre

    la

    psycha

    nalyse, aussi transcendantale que peut l tre l analytique kantienne.

    (1) a otion de logos et

    la

    rptition. a rptition n est plual inertie, maa

    /1

    pas

    1ntr 1

    qui est un tllj

    a

    rptition est une rptition de l originaire qui n est

    pourtant

    que par

    cette

    rptition mme.

    L homme dpte

    la mesure de

    la

    rvlation primitive.

    Mais cette rvlation

    n est

    elle-tname que par

    la

    rptition. D o l histoire.

  • 8/11/2019 Hyppolite - Psychanalyse Et Philosophie (1955)

    13/13

    piMTh

    lrtJir p i l o s o p i q t ~ ~ s

    COLLECTION FONDE P R JE N HYPPOLITE

    FIGURES

    DE

    L PENSE

    PHILOSOPHIQUE

    CRITS DB

    JEAN HYPPOLITB

    1931-1968)

    TOME PR MI R

    PRESSES UNIVERSIT IRES

    DE

    FR NCE

    108

    BOULEVARD SAINT-GERMAIN

    PAlUS