Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

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El Watan SUPPLÉMENT GRATUIT - 27 DÉCEMBRE 2008 numéro spécial houari boumediène Le règne de tous les pouvoirs Le règne de tous les pouvoirs 1965 - 1978

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Supplément du journal El Watan, sorti spécialement au 30e anniversaire de la mort du président algérien Houari Boumediene.

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El WatanSUPPLÉMENT GRATUIT - 27 DÉCEMBRE 2008

numérospéc ial

houari boumediène

Le règne de tous les pouvoirs

Le règne de tous les pouvoirs1 9 6 5 - 1 9 7 8

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Par Boukhalfa Amazit

Les quelques Algériens qui possé-daient un poste de télévisionavaient impatiemment attendu le20H le jour durant, pour mettre

enfin un visage sur la voix métallique quilisait sur les ondes, d'un ton monocorde, lecommuniqué militaire n° 1. Ils se deman-daient qui était donc ce putschiste qui tenaitun discours si martial que la radio avait seri-né la journée entière du 19 juin 1965. Cethomme au visage émacié, le regard fixe etperçant était presque inconnu des Algériensqui vivaient leurs premières pénuries etdécouvraient le sucre de canne de Cubadans les «magasins pilotes socialistes»,ancêtres lointains des «souks el fellah». Bien sûr, on avait déjà vu cette silhouetteinquiétante du vice-Président, dans l'ombrede l'inflammable président Ahmed BenBella. Ils étaient même arrivés ensemble deTlemcen, presque la main dans la main, lorsde l'été pourri de 1962. On les croyaitcomme larrons en foire, une photo trèscélèbre depuis, prise au stade du 20 Août àAlger, les représentait complices et hilareset donnait cette impression qu'ils étaient lesmeilleurs alliés du monde. Mais ne voilà-t-il pas que la marmite se ren-versait sur le couscoussier, comme àl'époque des janissaires, et que le tout nou-veau locataire du 20H traitait la politique dudéjà ancien Président de tous les noms.«Intrigues tramées dans l'ombre», «calculssordides», «narcissisme politique», «amourmorbide du pouvoir», bref, rien ne fut épar-gné au Président élu deux ans à peine aupa-ravant à 99% des suffrages, plus quelquescasernes, qui cumulait une dizaine de porte-feuilles de ministres, sauf… celui de laDéfense. Le communiqué de la junte, quideviendra très vite la «Proclamation duConseil de la révolution», aussi vitementérigé par totémisme en texte fondateur luiaussi, nous faisait découvrir que «le-déjà-prédécesseur», qui allait croupir une quin-zaine d'années dans les oubliettes (auChâteau Holden sur la route Douéra -Boufarik) était «un tyran» et un dangereuxdéviationniste. Le mystérieux quarteron,était composé de 13 officiers de l'ANP, 11colonels ou commandants de l'ALN et de 2civils. Tout ce petit train volaient au secoursdu pauvre peuple, dont on disait, il n'y avaitpas très longtemps, qu'il était Le Seul Héros,en le rassurant : «Ton silence n'est paslâcheté», lui ont-ils dit. Les hommes qui,aujourd'hui, ont décidé de répondre à tonappel angoissé [(tiens, tiens), persuadés encela de traduire ton vœu le plus cher, ont prissur eux de te faire recouvrer ta «liberté usur-pée et ta dignité bafouée» et beaucoupd'autres boniments du même registre. Lesannées qui suivront sont seules juges detoutes leurs promesses, lesquelles n'enga-geaient que leurs auteurs et évidemmenttous ceux qui voulaient bien y croire, (ilsseront malgré tout nombreux). Des auteursqui nous donnaient du «tu" en veux, envoilà». Mais, à moins d'être frappé d'amné-sie, les flamboiements de la démocratien'ont pas embrasé le ciel de l'Algérie, le 20juin 1965 ni tous les jours d'après,d'ailleurs…Quant à l'homme du 19 juin, qui coloniserales tréteaux treize ans durant (1965-1978),s'il n'occupait pas le proscénium de la guer-re de Libération nationale, il n'en était paspour autant un absent comme ses détrac-teurs seraient tentés de le soutenir ou de lefaire croire. Il est encore adolescent et fré-quente la medersa El Kittaniya quand il«milite anonymement au sein du PPA -MTLD», nous dit Paul Balta dans un livreque son épouse et lui ont consacré au cham-pion du Tiers-mondisme des années 1970. Iln'est pas dit qu'il y a adhéré ou qu'il se soitengagé dans le militantisme politique à cette

époque. Mais, afin d'éviter la conscriptiondans l'armée française, il quitte assez tôt lepays pour la Tunisie où il poursuivra soncycle d'études à la Zitouna avant qu'on ne lesignale au Caire, plus précisément à ElAzhar en 1951, c'est-à-dire loin de ladébâcle de l'Organisation spéciale et desdéchirements naissants entre «centralistes etmessalistes» au sein du principal courant dumouvement d'émancipation nationale. Houari Boumediène est au Caire quandGamal Abdenasser et les «Officiers libres»renversent et exilent le roi Farouk, un khédi-ve noceur amateur des belles stars du fabu-leux cinéma égyptien des années 1940 et1950. Le jeune Boukharouba prend toute lamesure de l'événement, qui aura sur lui uneinfluence considérable. C'est égalementdans la capitale égyptienne qu'il s'éveille aupanarabisme nassérien. Houari Boumedièneest le produit de la culture politique arabedes années 1950 mâtiné de fanonisme. PaulBalta, ancien correspondant du quotidienfrançais Le Monde à Alger (1973-1978),écrit : «Quand éclate l'insurrection arméedu 1er novembre 1954, il interrompt sesétudes et prend contact avec le vieux chef deguerre du Rif, qui dirige alors le bureau duMaghreb arabe, Abd El-Krim, qui a organi-sé une préparation militaire accélérée pourles jeunes Maghrébins, l'oriente vers uncentre de Hélouân ou d'Inchass près duCaire, où il subit un entraînement.»

SOUS LA FÉRULE DE BOUSSOUFAprès l'épisode du yacht de la princesse deJordanie «gracieusement offert», selon lesuns et «audacieusement piraté», selond'autres, il est en Oranie où il se met à la dis-position de Larbi Ben M'hidi, lequel le placesous les ordres de Abdelhafidh Boussouf. Ildeviendra très vite son lieutenant principal.Le chef déteindra sur le subordonné, mais lesecond avait en plus du premier un certainnombre de qualités qui feront que le disciplefinira par surclasser le maître.Houari Boumediene n'a pas été un chef deguerre, il n'a pas conduit ses hommes aucombat et lui en tête. Il n'a pas échafaudé de plans de campagnesdécisives. Il n'a pas tendu d'embuscades àl'ennemi, tapis dans un fourré, allongé dansla boue, le nez planté dans le sol, le stress àmille volts, le doigt tremblant sur la gâchet-te de son arme. Boumediène n'a pas été unhomme de la poudre. Son corps ne portaitpas de blessures, sinon celle qui lui aurait étéinfligée lors de la tentative de putsch du 26avril 1968 à la sortie du Palais du gouverne-ment. Boumediène a commencé à servir au sein del'ALN en Wilaya V et à la différence ducolonel Lotfi son successeur, et tout commeAbdelhafidh Boussouf son prédécesseur,qui avait remplacé Larbi Ben M'hidi, ilavaient établi son poste de commandementau-delà de la frontière algéro-marocaine. Sans être l'ombre de quiconque, plutôthomme de contre-jour, il a assimilé toutesles techniques du judoka politique. Commeces sportifs de haut niveau qui savent avecun rare talent maîtriser et canaliser leur éner-gie, il a, avec habileté tiré avantage de l'im-péritie, des défaillances et de l'incompéten-ce de ses concurrents ou de ses adversaires.Servi par une intelligence vive et une dispo-nibilité permanente, il a porté jusqu'au raffi-nement la stratégie de la guêpe : provoquer,aiguillonner, disparaître sans laisser d'autretrace qu'une ardente douleur. Tout ce squelette de prédateur politique étaitenrobé dans une esprit d'apparence conci-liant et des rondeurs langagières populistesqui contrastaient avec son physique have etanguleux. Mais d'apparence seulement.Certains témoignages pas toujours vérifiés,il est vrai, lui attribuent des actes d'une vio-lence remarquable lors de son passage enWilaya V. Les historiens, particulièrement

les Français, le présentent souvent comme«un client» de Boussouf. Mais si ce dernierse singularisait au sein de la direction poli-tique par son esprit plutôt inquisiteur et«barbouzard», Boumediène était prévoyantet se fiait à une connaissance aigue deshommes et de leurs réactions. Chef du COM-Ouest, (Comité d'organisa-tion militaire pour la zone Ouest), il s'ingé-niera à réunir autour de lui des jeunes qu'ilformera à l'exercice non de la guerre, maisdu pouvoir. Comparé à lui, son homologuedu COM-Est, Mohammedi Saïd, anciencolonel de la Wilaya III très proche de KrimBelkacem, apparaissait comme un bulldozerdans une galerie de cristal. Face à la puissance des «Trois B»(Belkacem, Ben Tobbal et Boussouf) quifiniront par le coopter dans le cadre duComité interministériel de guerre (CIG)pour lui confier l'état-major général (EMG),il déploiera des trésors de stratégie pourendormir leur confiance et réagir aumoment opportun pour les neutraliser. A en croire Ferhat Abbas, qui rapporte cespropos dans son livre Autopsie d'une guerreFrantz Fanon parlant des Trois B, lui auraitconfié un jour : «Un colonel leur réglera unpar un leur compte. C'est le colonelBoumediène. Pour celui-ci, le goût du pou-voir et du commandement relève de lapathologie.» A la réunion du CNRA auCaire, en août 1957, il entrera commemembre du conseil à la faveur de l'élargisse-ment de cette structure qui passait de 17membres titulaires à 34. Mais c'est incontes-tablement son rôle lors de la réunion des 10colonels dite «Réunion des 100 jours» à laveille de la réunion du CNRA (décembre1959-janvier 1960), qui verra la création del'EMG que Boumediène, qui se veut l'incar-nation de la rigueur et de la pureté révolu-tionnaires, donnera la pleine mesure de sestalents d'homme d'appareil (voir El Watandu 27 janvier 2008 pp.22-23). Dès lors qu'ila pris place aux leviers de commande del'armée et profitant de la rivalité entre lesTrois B, assisté des commandants Azzedine(militaire), Kaïd Ahmed (politique), AliMendjeli (Renseignements et liaisons), ils'appliquera à mettre sur pied une arméemoderne, d'une trentaine de milliersd'hommes, entraînée, disciplinée, bien équi-pée, en vue de … la prise du pouvoir. Il réalisera en très peu de temps ce que KrimBelkacem n'a pas pu faire quelques annéesauparavant. Mettant à profit l'expérience etles connaissances de ceux qu'on désignaitsous le nom de DAF (déserteurs de l'arméefrançaise), qui avaient répondu à l'appel duFLN lancé par le congrès de la Soummam etsans cesse amplifié depuis, Boumediène vacréer une armée de pouvoir, qu'il qualifiaitlui-même de militants politiques en armes.Une institution à laquelle il inculquera unecertaine idée de l'armée populaire et unedoctrine qui tient à la fois de celle de laYougoslavie de Tito et de la Turquie kéma-liste. En 1962, il s'opposera violemment, adossé àcette armée des frontières, au GPRA quin'avait pour lui que sa légitimité et la légali-té des institutions que s'était donné laRévolution algérienne. Force est revenue àla force. La légitimité attendra… B.A.

Sources :- Houari Boumediène. Du sang à la Sueur.Ministère de l'Information et de la Culture. Alger1979.- Discours du président Houari Boumediène. T1.Ministère de l'Information et de la Culture. Alger.1970.- Paul Balta et Claudine Rulleau. La Stratégie deBoumediène. Sindbad. Paris-1973. - Ferhat Abbas. Autopsie d'une Guerre. Garnier.Paris - 1980.- Gilbert Meynier. Histoire intérieure du FLN 1954-1962. Arthème Fayard. Paris 2002.- Meynier - Harbi. Le FLN Documents etHistoire.1954 - 1962. Casbah Ed. Alger. 2004.

UN PRÉDATEUR POLITIQUE 1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS

☛ «Tout pouvoir humain est un composé de patience et de temps. Les gens puissants veulentet veillent.» (Honoré de Balzac)

1932 (23 août) : naissance de HouariBoumediène (de son vrai nom MohamedBoukherouba), à Aïn Hassaïnia, dans une famille depaysans pauvres, originaire de la Petite Kabylie.

1957-1958 : avec le grade de commandant,Boumediène devient l'adjoint de A. Boussouf lorsquece dernier succède à Larbi Ben M'hidi à la tête de laWilaya V, puis en prendra les rênes après que Boussoufsoit entré au Comité de coordination et d'exécution(CCE), qui deviendra le GPRA en septembre 1958.

1958-1960 : Houari Boumediène prend d'abord ladirection du COM Ouest (Oujda), puis la tête de l'état-major général (EMG), instance créée par le CNRA deTripoli 1 en janvier 1960 ; ceci lui permettra de dirigerde façon coordonnée toutes les troupes de l'ALNstationnées aux frontières.

1962 (juillet) : Boumediène entre à Alger, à latête de ses troupes, et installe Ben Bella au pouvoiraprès avoir réduit l'opposition des Wilayas III et IV etneutralisé le groupe de Tizi Ouzou (composéessentiellement de K. Belkacem, H. Aït Ahmed et M.Boudiaf).

1963 (15 septembre) : élection de AhmedBen Bella à la magistrature suprême qui devient lepremier président de la République algérienneindépendante.

1965 (19 juin) : Ahmed Ben Bella est renversépar un coup d'Etat («sursaut révolutionnaire») conduitpar Boumediène et ses alliés du Groupe d'Oujda et del'EMG. Un Conseil de la révolution, élargi quasiimmédiatement à certains colonels de l'ALN, est créé,dont Boumediène devient le président.

1967 (14 décembre) : tentative de coup d'Etatfomentée par le chef d'état-major de l'ANP, le colonel T.Zbiri à laquelle s'associe, de façon ambiguë, le chef dela 1re Région militaire, le colonel Saïd Abid qui trouverala mort dans des conditions mystérieuses.

1971 (24 février) : nationalisation des intérêtspétroliers étrangers.

1971 (novembre) : promulgation del'ordonnance portant Gestion socialiste desentreprises et de l'ordonnance portant Révolutionagraire.

1976 (22 novembre) : promulgation de laConstitution, adoptée par voie référendaire le 19novembre.

1976 (10 décembre) : élection de HouariBoumediène à la magistrature suprême.

1977 (avril) : remaniement profond desstructures du Gouvernement par lequel Boumediènerevient sur le modèle de développement économique(cruel désaveu infligé à B. Abdesslam) et qui constituele prélude à une véritable rupture avec le systèmeprécédent.

1978 (août) : de retour de Khartoum où il vientd'assister au 15e sommet de l'OUA, Boumediène tombegravement malade. Des semaines durant, les médecinsalgériens et soviétiques se montrent incapables deprocéder à un diagnostic précis de son état.

1978 (novembre) : Boumediène tombe dans uncoma dépassé. Appelé à son chevet, le professeurWaldenström confirme que le chef de l'Etat esteffectivement atteint d'une leucémie lymphoïdechronique et que son état est désespéré.

1978 (27 décembre) : décès du présidentBoumediène après 40 jours de coma. Son successeurqui n'a eu de cesse de prétendre avoir été désigné parBoumediène sur son lit de mort pour lui succéder, etceci au mépris de tous les témoignages historiques,devait en réalité prendre sa retraite, à l'occasion du IVe

Congrès du FLN.

LES DATES CLÉS DE LA VIE DE BOUMEDIÈNE

El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 2

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1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - 27 décembre 2008 - 3

S O M M A I R EEditoUn prédateur politique P.2

PAR BOUKHALFA AMAZIT

Un itinéraire nuancé P.4PAR AMINE LOTFI

19 juin 1965 : le pouvoirmilitaire se dévoile P.5

PAR NADJIA BOUARICHA

Revisiter la mémoirede Houari Boumediène

P.6-7

PAR ALI MABROUKINE

L’enfance d’un chef P. 8PAR A. BOUMAZA

L’expression d’unpouvoir sans partage

P.9PAR NADJIA BOUARICHA

Les assassinatspolitiques en mode de

gouvernance P. 10

PAR HASSAN MOALI

Les hommes du Président : lesfidèles et les autres

P.11

PAR MOHAND AZIRI

Le colonel Boumediène et legroupe d’Oujda P. 12

PAR NADJIA BOUARICHA

Le soutien «Dhalima ammadhlouma» de Boumediène P. 25

PAR RABAH BELDJENNA

Le mythe et la réalité P. 26

PAR M. AÏT OUARABI

Quand Boumediène confisque le balon P. 27

PAR OMAR KHAROUM

Les dernier jours de Boumediène P. 28-29

PAR SAMY OUSI-ALI

Ce qu’ils en pensent P. 32

PAR SAÏD RABIA

Boumediène est-il définitivement mort ?

Par Mustapha Benfodil

Trente ans auront passé ce samedi depuis le décès du président Houari Boumediène, un certain 27décembre 1978. A la rédaction d'El Watan, et par-delà l'élégance des chiffres ronds et le convention-nel des commémorations, il nous a semblé utile de méditer ce trentenaire. D'où cette édition spécialequi se propose d'évoquer l'homme et son œuvre et de disséquer le règne d'un président dont on se plaîtà dire qu'il était la personnification de l'Etat au point d’incarner le pouvoir personnel, le pouvoir abso-

lu, pour dire les choses sans fioriture. Oui, plus que de le démystifier, il s'agit d'analyser avec lucidité ce que fut le«moment Boumediène» et son legs. Si, en effet, l'approche biographique de l'homme Boumediène est pertinente à plusd'un titre, elle nous offre aussi, il faut bien le dire, le prétexte de penser, interroger, remettre en question, le systèmeBoumediène et le boumediénisme.Dans l'affect des Algériens, le président Houari Boumediène est l'archétype d'un «âge d'or» mythique comme nos com-patriotes savent s'en inventer pour éluder un présent difficile et peu glorieux. Immanquablement, on se complaît à regar-der dans le rétroviseur en convoquant les réminiscences d'une Algérie des années 1970 respectée et prospère et figuranten bonne place dans le concert des nations. Une Algérie lyrique, juste et égalitaire, qui n'existe sans doute que dans notreinconscient chimérique. Si les survivants de cette Algérie romantique n'auront de cesse d'encenser le «temps deBoumediène», l'artisan incontesté de leurs gloires passées, songent-ils, sorte de père protecteur et bienveillant ayantl'Algérie au cœur, les opposants à sa politique de fer ne sauraient omettre de pardonner à l'homme fort du clan d'Oujdases dérives totalitaires, son goût de l'intrigue et sa conception régalienne de l'Etat, qui le poussera à s'adjuger, par le glai-ve et le sang, le monopole de l'autorité et l'exercice solitaire du pouvoir. Que de cadavres jalonnent, en effet, le parcoursde l'ancien chef de l'Etat-major général avant et après l'indépendance dans sa course au «koursi», avant d'instaurer unordre spartiate et sans partage, qui sera sa marque de fabrique et son style de gouvernance durant treize ans de règne.Trente ans après sa disparition, quid de l'héritage de Boumediène ?L'Algérie de 2008, l’Algérie des kamikazes et des harraga, de la Maruti et du Hammer, de «tag âla men tag», n'asans doute plus rien - ou si peu - à voir avec l'Algérie des années 1970. Finis le paradigme de l'industrie industria-lisante, les villages socialistes, la «thawra ziraîya» (Révolution agraire) et autres mots-clés du dictionnaire deBoumediène. Un fait troublant, pourtant : cette pure (et entêtante) survivance du passé que représente le ministredes AE de l’époque et actuel président. Au yeux de nombreux observateurs, M. Bouteflika est revenu dans le bur-nous de Boumediène, vêtu des oripeaux de son auguste mentor, lui qui n'a pas manqué de jouer sur la fibre affec-tive et la résonance avec cette mémoire-là pour s'attirer la sympathie des «masses populaires» nostalgiques d'ElHouari et orphelines d'un «père de la nation», dont elles se croyaient inconsolables. Mais par-delà le folkloredu burnous, on retiendra surtout les séquelles du boumediénisme et la logique des colonels (des généraux,dirions-nous aujourd'hui), une malédiction qui nous poursuit depuis l'assassinat de Abane et le renversementdu GPRA, avant de conduire fatalement au pronunciamiento du 19 juin 1965. L'épigone du Zaïm nesemble pas être près de rompre avec cette longue tradition d'intrigues et de coups tordus, lui qui prendgoût au pouvoir jusqu'à l’ivresse, jusqu'à la démence, dans la pure lignée des présidents-dictateurs. Bref,nous ne nous sommes guère affranchis de l'emprise du pouvoir personnel et, à ce titre, Boumedièneest loin d'être «définitivement» mort. Le chemin reste encore long, très long, faut-il craindre, avantque l'on en finisse avec les démons de la Guerre de Libération et les fantômes de l'été 62.Depuis le 27 décembre 1978, les supputations sont allées bon train quant à l'étrange maladie quiemporta Boumediène à l'âge de 46 ans. C'est une maladie rare, nous dit-on, mais, à bien y voir,la maladie qui eut raison de lui est, somme toute, si commune en nos contrées : c'est la mala-die du pouvoir. Et toute cette agitation autour d'un troisième mandat au profit deAbdelaziz Bouteflika participe de cette même pathologie, dont semble souffrir lerégime algérien comme d'une tare congénitale. Mais le pouvoir comme la mala-die, aimerions-nous croire, ne sont pas une fatalité. Puisse cette édition contri-buer à esquisser une autopsie juste des événements pour conjurer le sortet exorciser le passé. Et puisse l'Algérie guérir un jour de la malédic-tion du pouvoir et du joug de ses dirigeants...

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Par Amine Lotfi

Cette période charnière avait étémarquée par la radicalisationd’un mouvement de décolonisa-tion qui, sur le continent africain,

avait déja abouti à l’indépendance denombre de pays sans pour autant les sous-traire à l’influence de l’ancienne puissancedominante. L’Algérie, qui avait arraché sapropre indépendance au prix d’une longueguerre de libération, avait fait d’entrée lechoix stratégique d’aider à l’émancipationdes peuples africains encore asservis. Et ils’en trouvait encore beaucoup dans cesannées soixante-dix où les foyers de tensionétaient à vif en Palestine occupée et au Viet-Nam qui était en guerre avec la plus grandepuissance économique, industrielle et mili-taire du moment, les Etats-Unis d’Amérique.Alger, devenue «la Mecque des révolution-naires», était alors la capitale qui offrait auxopprimés l’alternative d’une expression etd’une action qui n’était possible nulle partailleurs dans le monde à un tel niveau desolidarité. Cette démarche, pour ne pas direcette philosophie, était fortement légitiméepar le fait que l’Algérie n’était subordonnéeni à l’URSS ni aux USA, mais qu’aucontraire, l’Algérie s’appuyait dans un telengagement sur un non-alignement dontHouari Boumediène avait pu s’imposercomme l’une des grandes figures embléma-tiques. C’est aussi au sein de cet espace queHouari Boumediène a forgé son imaged’homme d’Etat d’abord reconnu par despairs de la stature de Nehru, Nasser, Tito,Chou En Lai ou Fidel Castro qui étaient sesainés dans le combat politique.C’est une dimension essentielle de l’évolu-tion de cette personnalité qui martelait lecrédo selon lequel la politique étrangère del’Algérie était le reflet de sa politique inté-rieure. Houari Boumediène, après le 19 juin1965 et le renversement du président Ben

Bella, avait mis un certain temps avant des’affirmer sur la scène internationale commeun interlocuteur crédible au regard de capi-tales qui ne voyaient en lui que l’artisan d’unpronunciamento. Sa conception du pouvoirtranchait de façon visible avec les démons-trations du discours populiste qui avaitcaractérisé les courtes années Ben Bella. En1965, les vieux contentieux nés de la guerrede Libération, et notamment les querelles deleadership, ne pouvaient être vidés que dansla violence de l’histoire en train de se faire.La séquence du 19 juin 1965 aura été à cetégard une variante des luttes d’influencerémanentes dès la première émergence dumouvement national et Houari Boumedièneavait été dans une large mesure l’héritier deMessali Hadj et de sa conception de Zaïm, lechef omipotent devant lequel tous les autress’effacent. Houari Boumediène s’est appro-prié cette aura du Zaïm omniscient presquenaturellement parce que dans le contexte decette époque, ce n’étaient pas les arbitragesdémocratiques qui faisaient la part deschoses. Le procédé peut paraitre injustifiablemais ils ont imprégné profondément et dura-blement une société politique algériennearticulée autour de la figure du chef suprê-me. Houari Boumediène aura été dans un telemploi dès le 19 juin 1965. Investi despleins pouvoirs, il se trouvait à la tête d’unpays certes indépendant mais encore fragileen raison des dégâts terribles provoqués par132 ans de colonialisme.Houari Boumediène, dont le nationalismeétait manifeste, s’était érigé en tuteur, ausens protecteur du mot, d’un peuple mis àmal par un taux d’analphabétismeeffroyable, mais dont la détermination avaitété assez forte pour faire rempart à l’occu-pant français. Houari Boumediène était venuau pouvoir avec cette vision d’une justicesociale qu’il s’attachera à affiner dans unedémarche plus globale avec l’institutionnali-sation du trytique révolution agraire, indus-trielle et culturelle. Il avait aussi la volonté

de reconfigurer économiquement le pays à lafaveur d’une politique d’équilibre régionalqui atténuerait les disparités entre pôlesdévelloppés et démunis. Des projets gran-dioses comme le barrage vert ou le péri-mètre de l’Attouta ne devaient pas seule-ment, dans l’énoncé de leur mise en oeuvre,préserver le pays des dangers de la désertifi-cation, mais lui assurer une large part d’au-to-suffisance alimentaire. La philosophieéconomique résidait alors dans le choix de laplanifacation et dans le recours aux plansquadriennaux.De même que la médecine gratuite devaitmettre une politique de soins au service detous les Algériens. Au-delà de leur dimen-sion romantique, de telles entreprises seheurtaient à l’épreuve du terrain. Ainsi lescitoyens, tous statuts sociaux confondus,allaient faire leurs emplettes dans les mêmesGaleries algériennes et dans les Souk ElFellh, magasins d’Etat où riches et pauvrespayaient leurs produits -quand il n’étaientpas sous pénurie- au même prix. Idem pourla médecine de proximité qui bénéficiait àtoutes les classes indistinctement du revenudes uns et des autres. La question ne pouvaitque se poser par ailleurs de savoir si la déci-sion d’octroyer des salaires aux travailleursde la terre était une option judicieuse.

PENSÉE UNIQUE ET GRANDS CHANTIERSDès lors que les paysans étaient assurésd’une ressource constante, pourquoi iraient-ils déployer des efforts surhumains au travailde la terre et des champs? Dans son essence,l’idée était généreuse mais elle se heurtaitaux dysfonctionnements du terrain. La justi-ce sociale ne profitait pas dans tous les cas àceux auxquels elle était destinée.L’agriculture, bien que valorisée par le projetdes mille villages socialistes, ne donnait pasle rendement escompté, au moment où lesproduits de large consommation, importéspour la plupart, étaient sous tension. Lemonopole de l’Etat, dans une logique diri-

giste, s’étendait jusqu’aux oeufs. Le quoti-dien des Algériens n’était pas brillant endépit de la volonté avérée du pouvoir definancer la paix sociale. A telle enseigne quele mot de grève était proscrit du vocabulaire.C’est à ce niveau que se sont exercés lesravages de la pensée unique et de son corol-laire repressif. Houari Boumediène, qui avaitlancé une série de grands chantiers, dont lanormalisation avec les pays voisins à traversla sécurisation des frontières et l’établisse-ment de rapports de bon voisinage, qui avaitatteint à une réelle stature internationaleconfortée par ses célèbres discours à l’ONUet au sommet de Lahore, n’avait pas puaboutir à des équilibres comparables eninterne. La nationalisation des hydrocar-bures, décision éminemment politique,aurait par exemple dû aider à asseoir uneactivité industrielle plus induite et moinsdirectement liée aux rendements exclusifs dela sidérurgie.Dans sa vision d’homme d’Etat, HouariBoumediène envisageait que l’Algérie puis-se être, dans le cadre du Maghreb, l’égale dela Belgique dans le cadre de l’Europe alorsnaissante. Une vision qui ne pouvait pasaller sans la prise en compte des attentes descitoyens dont nul ne peut faire le bonheurcontre leur gré. C’est en cela que le regardsur l’action de Houari Boumediène ne peutêtre que nuancé tant il est vrai que la part deréussite au plan international, qui est incon-testable, n’a pas eu son pendant au plannational où les libertés, les droits politiques,n’ont pas constitué des priorités que lais-saient espérer, enfin, les grands débats sur lacharte nationale qui laissaient entrevoir chezHouari Boumediène une évolution significa-tive. Il n’avait pas eu le temps de capitaliser cetteposture politique en élargissant au droitd’expression la sphère des conquêtes démo-cratiques. C’est à l’aune de ces nuances queson itinéraire, certainement inachevé, peutêtre apprécié. A. L.

UN ITINÉRAIRE NUANCÉ1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS

El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 4

☛Trente ans après sa disparition, Houari Boumediène incarne un contexte historique, celui des années soixante-dix endehors duquel son action ne peut pas être expliquée.

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Page 5: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

RÉCIT D’UN PRONUNCIAMENTOAPPELÉ “REDRESSEMENT RÉVOLUTIONNAIRE”

19 JUIN 1965 : LE POUVOIRMILITAIRE SE DÉVOILE

Boumediène et son grou-pe de putschistes ontbaptisé ce jour “Leredressement révolu-tionnaire”. Le pronun-

ciamiento de Boumediène avait pourobjectif affiché de mettre un terme“aux intrigues et à l'affrontement destendances et des clans”, et de dénon-cer “le narcissisme politique”, “lesocialisme publicitaire” de Ben Bella,comme souligné dans son communi-qué-programme annoncé par la radiole 19 juin. Mais l'ouvrage cachait bienplus qu'un geste de sursaut patriotiqueémanant du ministre de la Défense.La raison du clan l'avait emporté surla raison d'Etat déjà en ce fameux été1962, et le coup de force de 1965 n'afait que confirmer la volonté de l'ar-mée d'avoir la manivelle du pouvoiren main.

BEN BELLA : HISSÉ PARLES BLINDÉS, DÉCHU PARLES BLINDÉSA peine sortie du joug colonial,l'Algérie est passée d'un Césarisme àun autre, fardée de slogans aussiambigus que dénués d'assise populai-re. Le jeu se passait en haut lieu et lepeuple exhiba un silence indifférentface à ce changement qui n'en n'étaitpas réellement un. La raison qui a lié Ben Bella à l'état-

major général de l'ALN et le grouped'Oujda en 1962, est la même raisonqui a justifié le coup d'Etat de 1965,c'est-à-dire le pouvoir. Après s'êtreassuré mainmise sur l'appareil del'Etat, et comptant sur son aura et sesamitiés trop affichées avec GamelAbdelnasser, Ben Bella se complai-sait dans son rôle de chef et il comp-tait le rester encore longtemps. Leclan d'Oujda sur lequel il s'est appuyépour accéder au pouvoir commençaità devenir une source de gêne pour sonambition de tout contrôler dans lesaffaires de l'Etat. Il s'en prit alors à sesministres du groupe d'Oujda, en lesdestituant de leurs postes. Il pousseMedeghri à quitter son poste de

ministre de l'Intérieur, ainsi que KaïdAhmed à renoncer au ministère duTourisme. Prochaine cible de BenBella, Cherif Belkacem, qu'il limoge-ra de son rang de ministre del'Orientation regroupant sous son ailel'Information, l'Education nationale etla Jeunesse. Ben Bella qui était prési-dent de la République, chef de gou-vernement, et secrétaire général duFLN, élargit ses prérogatives endécembre 1964 en s'appropriant lesportefeuilles de l'Intérieur, del'Information et des Finances. Le 28mai 1965, Ahmed Ben Bella s'attaqueà l'autre membre du clan d'Oujda,Abdelaziz Bouteflika, à qui il ôta leportefeuille des Affaires étrangères à

la veille de la Conférence Afro-asia-tique qui devait se tenir à Alger finjuin de la même année. Bouteflikaalerta Boumediène. Ce dernier quiétait ministre de la Défense et vice-président de la République accuse, àson tour, la nomination à son insu deTahar Zbiri comme chef de l'état-major. Sentant la menace de BenBella s'agrandir et se confirmer,Boumediène décide de passer à l'ac-tion. Il convoque ses compagnons dugroupe d'Oujda ainsi que ceux dugroupe de Constantine qui étaientTahar Zbiri, Saïd Abid, Ahmed Draïa,Salah Soufi et Abdelaziz Zerdani. Leconsensus pour le renversement deBen Bella est atteint. Au-delà de lamenace sur le groupe d'Oujda, ce quece dernier craignait, c'était le rappro-chement opéré entre Ben Bella et leFront des forces socialistes (FFS) àtravers l'accord signé le 16 juin 1965.Hocine Aït Ahmed est arrêté le 17octobre 1964 suite au mouvementinsurrectionnel initié en 1963 enKabylie contre le pouvoir de BenBella. Le procès d'Aït Ahmed sedéroule du 7 au 10 avril 1965, il estcondamné à mort, puis gracié le 12,mais demeure en prison. Boumediènevoit dans la signature du communiquécommun Ben Bella-Aït Ahmed, unepossible alliance de Ben Bella avec lesKabyles au détriment de son clan.Ceci précipita le passage à l'acte.

«NE PERDONS PAS DE TEMPS,TU ES ARRÊTÉ PAR LE CONSEILDE LA RÉVOLUTION»C'est le chef d'état-major fraîchementdésigné par Ben Bella, Tahar Zbiri,qui mit à exécution l'ordre de destitu-tion du premier président de laRépublique, accompagné d'AhmedDraïa, directeur de la Sûreté et choisiaussi par Ben Bella pour commandersa garde prétorienne des compagniesnationales de sécurité, et de Saïd Abid,commandant la 1re Région Militairedu Grand-Alger. “Ecoute, ne perdonspas de temps, habille-toi. Tu es arrêtépar le Conseil de la Révolution.” C'estcette petite phrase sortie de la bouche

de Zbiri qui signa la fin du règne deBen Bella. Le même Zbiri qui tenta uncoup d'Etat en 1967 contreBoumediène l'accusant d'avoir adoptéles mêmes travers de gouvernance deBen Bella. C'était le 19 juin à 1h30 dumatin, la nuit se préparait à céder à unlendemain incertain. Ben Bella estsorti du lit par le cri de sa servante. Ils'attendait à tout sauf à un coup d'Etat,il avait tout prévu pour s'en prémunir.Lorsque Zbiri lui intime l'ordre des'habiller, Ben Bella tente de faireappel à leur amitié passée : “Je t'aitoujours fait confiance”, lui dit-il.Tahar Zbiri réplique sèchement :“Dépêche-toi, la comédie est termi-née.” Ben Bella regarde tour à tour sonchef d'état-major et son chef de lasécurité, en se demandant où il a bienpu faillir. Des tirs se font entendre à quelquesencablures de la villa Joly.L'installation de la police judicaire àHydra est attaquée, une compagnie dela Garde nationale faisait de la résis-tance. Zbiri se presse d'embarquer sonprisonnier qui lui dit : “je suis prêt”.En quelques minutes, Ben Bella n'estplus Président. Le convoi prend sadirection vers une caserne à ElHarrach, Tahar Zbiri, lui, se dirigevers le ministère de la Défense pourinformer Boumediène que “la missionest accomplie”. Boumediène estentouré de ses fidèles, Medeghri,Bouteflika et Chérif Belkacem. A 3hdu matin, Boumediène décide de pré-venir tout le monde : Bachir Boumazaet Ali Mahsas, Omar Oussedik, leCommandant Azzedine, MohandOuelhadj, Ferhat Abbas, Khider,Boussouf et Boudiaf. Le nouveauConseil de la Révolution en appelleaux ralliements, à commencer par lesambassadeurs en exercice. Outre BenBella, la “mission” comportait aussil'arrestation de ses proches. Ainsi, leministre de la Santé, M. Nekkache, estarrêté après avoir reçu trois ballesdans la poitrine. L'autre fidèle de BenBella, Hadj Ben Allah, est mis auxarrêts, ainsi que le directeur de la poli-ce judiciaire Hamadache et enfin leministre des Affaires arabes et ancienchef de cabinet de Ben Bella,Abdelahram Chérif. Les mêmes blin-dés qui ont porté Ben Bella à la tête dupouvoir, viennent de l'emporter en pri-son. Ces mêmes blindés ont envahi lacapitale. Les Algérois pensaient qu'ils'agissait du tournage du film LaBataille d'Alger, de Gillo Pontecorvo.A 12h05, la radio fait l'annonce du“redressement révolutionnaire” et lacréation du Conseil de la Révolution.Boumediène apparaît à la télévisionpour jeter l'invective sur Ben Bella etpromettre d'en finir avec le pouvoirpersonnel et la privatisation de l'Etat.Treize années durant, Boumediène seconfondra à son tour avec l'Etat.

N. B.

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 5

■La matinée du 19 juin 1965 aurait pu être annonciatrice d'un jour parmi tant d'autres sous le ciel bleu et clair d'Alger.Mais l'histoire a voulu marquer cette journée comme celle ayant vu déchoir un pouvoir personnel à l'arrière-fondmilitaire au profit d'un pouvoir franchement militaire. Houari Boumediene vient d'accéder à la plus haute fonction del'Etat en opérant un coup d'Etat nocturne contre ce même Ahmed Ben Bella qu'il aida à s'emparer du pouvoir trois ansauparavant.

“ Quelle que soit l'importance de sa mission, nul ne peutprétendre incarner, seul à la fois, l'Algérie, la Révolutionet le Socialisme. Quelle que soit la forme que peutprendre la confusion des pouvoirs, elle ne peut permettrede disposer du pays et des affaires publiques dont on a lacharge comme d'une propriété personnelle et privée. Unemauvaise gestion du patrimoine national, la dilapidationdes deniers publics, l'instabilité, la démagogie,l'anarchie, le mensonge et l'improvisation se sontimposés comme procédés de gouvernement. Par lamenace, le chantage, le viol des libertés individuelles etl'incertitude du lendemain, l'on s'est proposé de réduireles uns à la docilité, les autres à la peur, au silence et à larésignation. Le pouvoir personnel aujourd'hui consacré,

toutes les institutions nationales et régionales du parti etde l'Etat se trouvent à la merci d'un seul homme quiconfère les responsabilités à sa guise, fait et défait selonune tactique malsaine et improvisée les organismesdirigeants, impose les options et les hommes selonl'humeur du moment, les caprices et le bon plaisir…lamystification, l'aventurisme et le charlatanisme politiqueainsi démasqués, Ben Bella, en subissant le sort réservépar l'histoire à tous les despotes, aura compris que nuln'a le droit d'humilier la nation, de prendre la générositéde notre peuple pour de l'inconscience, ni d'usurperd'une façon indécente la caution politique de ses hôtesillustres pour faire avaliser son inqualifiable forfait et sahaute trahison.”

EXTRAIT DU DISCOURS DU PUTSCH

Boumediène accède au pouvoir avec le mêmeprocédé qui avait hissé Ben Bella en 1962

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Par Nadjia Bouaricha

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Par Ali Mabroukine

L'ÉVEIL À LA CONSCIENCE NATIONALE1. Né le 23 août 1932 à Aïn Hasseinia, près deGuelma, mais originaire de la petite Kabylie,issu d'une famille de paysans pauvres, HB (deson vrai nom Mohammed Boukherouba) nefait partie ni des historiques (ceux qui ontdéclenché l'insurrection armée du 1er

Novembre 1954) ni du PPA/MTLD qui avaitpensé et élaboré le projet nationaliste deconquête de l'indépendance. Mais les événe-ments de Mai 1945, (il n'avait alors que 13ans), qui marquèrent de façon tragique la loca-lité où il est né, avaient ancré en lui l'espritd'une résistance au colonialisme qui ne pouvaitemprunter que la voie des armes. C'est de cettepériode que naquit son engagement à la foissentimental et intellectuel pour l'indépendancede l'Algérie.

2. Son initiation au combat révolutionnairecomme adulte, il l'accomplit au Caire dans desconditions matérielles très précaires. Tout ennouant des liens avec les membres de la délé-gation extérieure (Ahmed Ben Bella,Mohamed Khider), il poursuit des études supé-rieures à l'université d'El Ezhar et reçoit uneformation militaire approfondie afin de se pré-parer à encadrer les djounoud qui ont rejoint lemaquis à partir du 1er Novembre 1954. Sousl'autorité de Larbi Ben M'hidi puis deAbdelhafid Boussouf, dont il sera l'adjoint à latête de la Wilaya V, à partir de 1957, HB faitmontre d'une aptitude au commandement, d'unsens de l'organisation et d'une proximité avecses hommes qui lui valent d'être désigné,d'abord, en 1959, à la tête du commandementouest (localisé à Oujda) puis, à partir de jan-vier 1960, comme chef de l'état-major général(EMG).

3. A la différence de la plupart des chefs poli-tico-militaires algériens (responsables duGPRA, membres de CNRA, chefs des wilayasde l'intérieur), HB était le seul à incarner unevision de l'Etat algérien post-indépendance. Ilétait le seul sur qui la logique des clans n'avaitpas de prise, alors qu'elle était dominante ausein du GPRA et particulièrement aiguiséeentre les trois membres du Comité interminis-tériel de la guerre (A. Boussouf, K. Belkacem,L. Bentobbal, tous trois candidats à l'exercicedu pouvoir suprême dans l'Algérie indépen-dante). HB avait réfléchi, depuis le Caire, àl'organisation d'un Etat algérien viable, dotéd'institutions stables et pérennes et capables desatisfaire les aspirations des Algériens à la jus-tice sociale, à l'éducation et au bien-être. De cepoint de vue, il n'y a aucune différence entre laconception jacobine et unificatrice de l'Etatconçue par Abane au Congrès de la Soummamet celle que HB s'efforcera d'expérimenterentre 1965 et 1978.

4. La crise de l'été 1962, qui met aux prises lesdifférentes factions du FLN /ALN, ambition-nant la prise du pouvoir, la conforte dans saconviction que les élites politiques sont endécalage profond avec les populations algé-riennes auxquelles déjà tant de sacrifices ontété exigés. HB contribue à l'installation deAhmed Ben Bella (ci-après ABB) au pouvoircontre les prétentions du groupe de TiziOuzou, constitué, entre autres, de Hocine AïtAhmed, Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf.

5. De 1962 à 1965, Ahmed Ben Bella aura lescoudées franches pour appliquer les recom-mandations de Tripoli (1962) et celles de lacharte d'Alger (1964). Personnage fantasque,imprévisible, autoritaire, dépourvu de vision,ABB multiplia les décisions arbitraires, mit

entre parenthèses la Constitution de septembre1963, un mois seulement après sa promulga-tion et légiféra par voie d'ordonnances 20 moisdurant. Son socialisme qui s'inspirait d'unesorte de stalinisme oriental désorganisa lasociété, sa politique d'arabisation, qui fut déjàle premier prodrome de la clochardisation del'enseignement et sa conception du fonctionne-ment de l'Etat, conduisait tout droit l'Algérievers le mur.

LE VRAI RÉTABLISSEMENT DE L'ÉTATLE 19 JUIN 1965

6. HB ne pouvait accepter le fait accompli.Selon certains témoignages, il n'était pas favo-rable au renversement de ABB dès 1965. Maisc'est l'affaire Bouteflika, autrement dit le limo-geage programmé du ministre des Affairesétrangères de l'époque, la veille de la tenue dela 2e Conférence afro-asiatique qui précipitales événements. Il fallait destituer ABB pourredonner à l'Algérie ses chances de se déve-lopper et à l'appareil d'Etat de se construireenfin.

7. Entre 1965 et 1977, HB s'efforce de mettreen application les principes contenus dans lestextes fondamentaux de la Révolution.L'option socialiste y figurait en bonne place, simême son modus operandi demeurait ambigu.La nationalisation des moyens de production etd'échanges, la récupération des richesses natu-relles, la création de grandes entreprisespubliques, la construction d'infrastructuressocioculturelles en grand nombre, l'accès àl'enseignement pour toutes les catégories de lapopulation sont parmi les principaux moyensque se donne HB pour affronter les défis dudéveloppement.

8. A partir de 1966-1967, un modèle de déve-

loppement de type industrialiste se met enplace à base d'installation d'usines clés enmain et produits en main. En 1971, c'est larévolution agraire qui est décrétée avec l'ob-jectif de transformer durablement et profondé-ment les campagnes et la condition du fellah,tout en visant, à terme, l'autosatisfaction ali-mentaire du pays et la modernisation de l'agri-culture grâce aux progrès réalisés dans l'indus-trie. La nationalisation des intérêts pétroliers,en février 1971, parachève l'indépendance del'Algérie dotant l'Etat des instruments decontrôle de la production des richesses dusous-sol et lui conférant la capacité d'en affec-ter le produit à la satisfaction des besoinssociaux.

UNE POLITIQUE ÉTRANGÈRE AVANT-GARDISTE DANS TOUS LES DOMAINES9. Sur le plan international, l'Algérie ne pou-vait qu'opter, au lendemain de son indépen-dance, pour le non-alignement. Certes, sonchoix en faveur du socialisme l'amenait àentretenir des relations privilégiés avecMoscou et les capitales des pays de l'Europede l'Est, en plus de la Chine, du Vietnam et dela Corée du Nord. La coopération technique etéconomique a été également intense avec sespays. Mais pour l'intérêt de l'Algérie, HB n'en-tendait pas se couper des Etats occidentauxavec lesquels de très denses projets culturels,économiques et scientifiques ont été mis enœuvre, dès lors que ces Etats reconnaissaientla pleine souveraineté de l'Algérie et respec-taient les options qu'elle avait arrêtées pourson développement. La cause palestinienne, le principe de l'autodé-termination des peuples, la construction duMaghreb et l'élaboration d'un nouvel ordreéconomique international constituaient lesprincipaux défis que HB ambitionnait de rele-

ver. S'agissant de la cause palestinienne,jamais, à la différence des autres chefs d'Etatarabes, HB n' a pas cherché à instrumentaliserla cause palestinienne, nonobstant son fortengagement au cours de la 2e et de la 3e guerresisraélo-arabe (1967 puis 1973) aux côtés del'Egypte et de la Syrie. Il est vrai qu'à partir de1976-1977, il se lasse des atermoiements etmême des palinodies de Y. Arafat qu'il tenaitpour un grand chef de guerre, mais il est pourun stratège politique assez insaisissable. Leprincipe de l'autodétermination des peuplesconstituait pour HB la clé de voûte des rela-tions internationales. Il s'était beaucoup impli-qué pour que la Mauritanie restât indépendan-te du Maroc. Il ne se résignait pas à l'idée que le Saharaoccidental (naguère possession espagnole) pûtdevenir marocain. Et les assurances que luiprodigua le roi Hassan II en 1975 quant à lapossibilité pour l'Algérie d'obtenir un débou-ché sur l'Atlantique, en contrepartie de sareconnaissance du fait marocain sur le SO,n’atténuait pas ses inquiétudes à propos desrevendications marocaines sur la région deTindouf, qui auraient pu, à leur tour, être leprélude à de nouvelles exigences territorialesfondées sur la configuration des frontièresalgéro-marocaines avant le début de la coloni-sation française. Quant à la construction duMaghreb, elle constituait pour HB un objectifà long terme, à condition pour ses respon-sables d'y associer les masses populaires dansle cadre d'un projet global de société auquel,aux yeux de HB, le roi Hassan II était totale-ment hostile et les présidents Bourguiba etOuld Dadah plus que réservés. Cette vision que HB nourrissait du développe-ment de la région était inséparable de saconception des relations économiques interna-tionales. ●●●

REPÈRES

☛ Il y a trente ans, le 27 décembre 1978, disparaissait Houari Boumediène (ci-après HB). C'est à la faveur du coup d'Etat du 19 juin 1965, qui met fin à trois années de pouvoir exercé par Ahmed Ben

REVISITER LA MÉMOIRE

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●●● Le dialogue Nord-Sud, lancé par le présidentfrançais, Valéry Giscard d'Estaing, en 1974,n'était pour lui qu'un ersatz à une stratégie derecomposition des relations entre Etats déve-loppés et Etats en développement, laquellesupposait l'instauration d'une nouvelle divi-sion internationale du travail, la réappropria-tion de leurs richesses par les EVD, la démo-cratisation des institutions internationales(ONU, Banque mondiale, FMI, etc.). Le dis-cours qu'il prononça, lors de la session spécia-le de l'Assemblée générale des Nations uniessur les matières premières d'avril 1974, étaitun modèle du genre. Il est permis de sedemander 35 ans après si HB n'a pas été l'ins-pirateur posthume du courant alter-mondialis-te actuel qui dénonce aujourd'hui les excès dusystème capitaliste et les dérives de la finan-ciarisation de l'économie internationale.

UN PRÉSIDENT CIRCONVENU PARSON ENTOURAGE 10. Fin 1976, quelques semaines avant l'élec-tion que devait faire de lui le 2e président de laRépublique algérienne élu, HB reçoit un rap-port ultra-secret commis par quelques expertsà l'honnêteté insoupçonnable qu'il avait lui-même commandé. C'était l'époque où HBcommençait d'entretenir une méfiance àl'égard de certaines personnalités sur les-quelles il s'était appuyé pour évincer ABB. Iln'ajoutait pas foi dans les déclarations de sonministre de l'Industrie et de l'Energie, BelaïdAbdeslam, qu'il accusera plus tard de l'avoircirconvenu sur les vertus supposées des usinesclés en main et produites en main qui n'ontguère permis l'industrialisation du pays. Il nesupportait plus les impérities et l'impuissancede son ministre de l'Agriculture, MohamedTaïbi Larbi, devant les dévoiements répétés dela lettre autant que de l'esprit de la révolutionagraire. Il n'accordait que du bout des doigtssa confiance au ministre de l'Intérieur, AhmedBenahmed Abdelghani. Quant au ministre de la Construction, le colo-nel Abdelmadjid Aouchiche, il avait juré saperte, tant les trafics auxquels se livrait cedernier et les malversations dont il s'étaitrendu coupable insultaient par trop à l'austéri-

té que HB avait imposé à l'ensemble desAlgériens. S'agissant de l'arabisation, elleconstituait indéniablement un échec cuisant etla segmentation des élites qu'elle portait engerme une menace pour la cohésion culturellede la société. Last but not least, certains sec-teurs de la Sécurité militaire commençaient àlui échapper. Le commandant de la 2e Régionmilitaire, qui lui succédera en 1979 à la tête del'Etat, lui donne du souci et il tente vainementde le faire surveiller par le colonel A.Guenaïzia qui deviendra beaucoup plus tard lechef de l'état-major de l'ANP et est aujour-d'hui ministre délégué à la Défense.

11. La trop forte croissance démographique,le manque cruel de logements sociaux, lespénuries alimentaires et d'eau potable récur-rentes, l'embourgeoisement de certaines élitesdirigeantes le contraignent à changerd'équipes et aussi de politique. Lorsqu'en avril1977 il met fin à trois citadelles jusqu'alorsimprenables, celle de B. Abdeslam àl'Industrie et l'Energie, celle de A. Draïa à laSûreté nationale et celle de A. Bencherif à laGendarmerie, il retrouve un peu de marge demanœuvre. En même temps, il abjure la poli-tique d'arabisation instaurée avec force déma-gogie par le Premier ministre en charge dusecteur, le Dr Ahmed Taleb Ibrahimi et pour-suivie à son corps défendant par son succes-seur A. Benmahmoud. Il décide d'instaurer unnumerus clausus a minima à l'entrée de l'uni-versité pour prévenir sa clochardisation enconfiant cette délicate charge au sage et irré-prochable A. Rahal. Enfin, à la différence dece que soutiennent certains spécialistes auto-proclamés de l'histoire contemporaine del'Algérie, HB s'apprêtait à enclencher un pro-cessus vertueux de démocratisation du régi-me, tout en le contrôlant certes, restaurer l'en-semble des libertés individuelles et collectiveset in fine faire participer le secteur privénational au redémarrage de l'économie, àcondition que celui-ci s'engage à créer desemplois et des richesses et investisse dans leszones à fort taux de chômage en contrepartied'une prise en charge par l'Etat des infrastruc-tures de base. HB s'était donné dix ans pourredresser la situation du pays, grâce notam-ment à l'élargissement de la base sociale du

pouvoir. Sur la scène politique arabe, alorsqu'il avait pu retourner à sa cause le roi Fayçalqui le paya de sa vie en 1975, le président HBest à nouveau seul à partir de 1977 lorsquel'Egypte décide de conclure une paix séparéeavec Israël. Il prend la tête d'une croisadecontre la trahison arabe en constituant avec laSyrie, la Libye, le Yémen du Sud et l'OLP un«front de refus» dans le dessein de s'ériger ennouveau directeur de conscience du mondearabe. Mais il ne peut entraîner ni le Maroc nila Tunisie et s'aliène rapidement les Etats duGolfe, le Liban et la Jordanie dont il ne cessed'instruire le procès, les accusant de faire lejeu de l'impérialisme US et de cautionnerl'abandon des Palestiniens en acceptant defacto l'expansionnisme hébreu. Dans certains de ses discours à diffusion res-treinte qui seront par la suite divulgués à soninsu auprès de chancelleries étrangères enAlgérie, il voue aux gémonies quasiment tousles dirigeants arabes, s'en prend avec violenceet dérision aux monarchies du Golfe, aux-quelles il dénie même la qualité d'Etats. Illaisse éclater son chagrin à propos de la trahi-son de «Ould Daddah» dont l'ingratitude,alors que la Mauritanie vivait quasiment auxcrochets de l'Algérie, lui semblait inaccep-table. Il assez rapidement «ostracisé» par sespairs arabes et même africains qui vitupèrentcontre son «arrogance» et son «outrecuidan-ce» au regard des moyens limités, selon eux,dont dispose l'Algérie pour prétendre s'impo-ser comme puissance régionale et prendre laplace de l'Egypte.

12. Il devient l'homme à abattre. Il est lâchépar tout le monde. Sa solitude est d'autant plusimpressionnante que la population algérienneressent en cette fatidique année 1978 le plusfort sentiment de frustration qu'elle n'a jamaiséprouvé depuis l'indépendance.

UN PRÉSIDENT AMER PUIS TRAHI 13. L'accumulation de tant d'épreuves dedéception est suffisante pour provoquer unegrave maladie. Selon le diagnostic médicalentériné par les autorités officielles, HB seraitdécédé des suites d'une leucémie lymphoïdechronique d'un type particulier, plus connuesous le nom de maladie de Waldenström. Le Pr

Waldenström a lui-même confirmé ce dia-gnostic avant que le Pr Montsallier (hôpitalCochin) ne vienne, à son tour, le réitérer.Selon le Pr Jean Bernard, un des plus grandshématologues de son époque, les chefs d'Etatsont plus exposés que la moyenne de la popu-lation aux leucémies. La très forte pressionnerveuse et psychologique qu'ils subissent auquotidien, la lourdeur de leur charge de tra-vail, le poids des responsabilités et la solitudede la fonction s'unissent pour altérer lescentres de régulation des globules blancs, cequi déclenche leur prolifération qui se répanddans le sang. A priori, HB est peut-être décé-dé de cette maladie. Deux ans avant sa mort,mais particulièrement à partir de 1977, il necessait de rencontrer des obstacles sur sonchemin et de subir contrariété sur contrariétésans pouvoir cependant identifier les facteursde blocage malgré l'omniscience supposée dela Sécurité militaire, dont il ne contrôle plus,il est vrai, que quelques secteurs.

14. Il est rare cependant que la maladie deWaldenström, qui est réputée frapper dessujets plus âgés (HB n'avait pas encore 47 ansle jour de sa mort), évolue de façon aussi rapi-de et aussi foudroyante, alors qu'il s'agit fon-damentalement d'une pathologie très lente-ment progressive. A cet égard, personne ne comprend que desmédecins spécialistes algériens et soviétiquesaient pu confondre la symptomatologie d'uncancer de la vessie avec celle d'une leucémielymphoïde chronique en raison du seul faitque le patient présentait une hématurie. Laprésence, aux côtés de HB, du Dr AhmedTaleb, qui avait préparé jadis l'agrégationd'hématologie, n'a strictement servi à rien. Onne peut dès lors exclure l'hypothèse qu'il a étéempoisonné au cours d'un de ses déplace-ments à l'étranger, probablement en terrearabe. Certains services de sécurité disposenten effet des techniques permettant de subver-tir un empoisonnement en pathologie connueet identifiée. Déjà, alors qu'il était conscient,HB présentait certains symptômes fugaces(paralysie partielle du visage, inappétence,diarrhées) qui cadraient davantage avec le scé-nario de l'empoisonnement qu'avec une patho-logie maligne répertoriée. Le poison a pu êtreinoculé en juillet 1978, au cours du 15e som-met de l'OUA qui s'était tenu à Khartoum. Desurcroît, le lent et pathétique processus dedésagrégation physique de HB, sitôt qu'il futentré dans un coma dépassé, conforte cettehypothèse. Si tel était le cas, HB aura payé, auprix fort, sa vision du conflit israélo-arabequ'il considérait comme un problème de déco-lonisation et aussi sa détermination à rendregorge aux clans et aux factions internes que savolonté de changement effarouchait au plushaut point.

15. Reste aux Algériens à cultiver le souvenirde cet homme exceptionnel qui n'était certespas infaillible, le reconnaissant lui-même,lorsqu'il disait qu'il n'y avait que ceux quin'entreprenaient pas qui ne se trompaientjamais. Son ambition était d'élever l'Algérieau rang de nation développée (le Japon del'Afrique) avec une dose sans doute excessivede volontarisme. Il restera probablement dansl'histoire celui qui aura cherché inlassable-ment à restituer aux Algériens et auxAlgériennes une dignité et une fierté dont 130ans de colonialisme les avaient dépouillés.L'Etat qu'il a construit et dont il s'apprêtait àrenforcer la cohésion et la stabilité n'était niextérieur par rapport à son champ social ni,comme continuent de le soutenir avec frivoli-té certains historiens, un Etat militaro-bureau-cratique. Il s'agissait d'un Etat au service despopulations et des forces de progrès. A. M.

DE HOUARI BOUMEDIÈNE

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BIOGRAPHIQUES

Bella, que le colonel HB prend en main les destinées de l'Algérie, et ce, jusqu'à sa mort, après une maladie restée mystérieuse à ce jour.

Boumediène misait beaucoup sur le rôlede la diplomatie algérienne

La nature du régime qu’il instaura le poussait à se méfier de tout le monde

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UNE ENFANCE FAITE DE PRIVATIONS

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 8

Par A. Boumaza

Il est né le 23 août 1932 dans lamechta de Beni Addi, à 15 km à l'estde Guelma, à quelques encabluresde la route menant à Constantine, enface du lieudit El Batouma, en face

aussi du Djebel Debagh, non loin du villageMedjez Amar, de Aïn Hassaïnia (ex-Clauzel,qui porte aujourd'hui le nom de Houari Bou-mediène, car il y est inscrit sur l'état civil). A4 ans, il fréquentait déjà l'école coranique, le«djemaâ», dans la tribu des Khrarba ; à 6ans, c'était l'école française à Guelma, soit en1938, dans une classe ouverte en 1936 pourles enfants indigènes à l'école d'Alembert(aujourd'hui CEM Mohamed Abdou). Son père l'avait emmené à Guelma chezAbdelkader Bensmaïn, un ami à lui qui tra-vaillait comme secrétaire chez le notaire«Bouracine», à la rue du Fondouk (aujour-d'hui, rue Malika Bouzit). Brahim, qui était un petit propriétaire terrien,(propriétaire, c'est trop dire, il avait trois ouquatre hectares), devait, comme c'étaitl'usage à cette époque, aider de temps entemps la famille qui accueillait son fils, enlui ramenant du douar des pots de beurre, deslégumes, etc. Une sorte de pension indirecte, en somme.Deux ans après, Brahim fut, à la demande deAbdelkader Bensmaïn, obligé de reprendreson fils, qui sera placé chez un vieil hommesurnommé Lekbaïli, de son vrai nom Ba-Messaoud, un tailleur qui confectionnait spé-cialement des burnous, (on peut comprendrepourquoi il avait une prédilection pour cevêtement), et qui habitait dans la grande mai-son située à la rue Mohamed Debabi (ex-Mogador). Une chambre, la deuxième en entrant, de 14m2 environ, où vivaient 8 personnes, Moha-med y compris, et qui faisait off ice dechambre à coucher, de cuisine, etc., car lecouturier avait 4 filles et un garçon, Moha-med. Après une année ou une année etdemie, selon notre interlocuteur Ali Bouh-zila, oncle maternel du défunt Houari Bou-

mediène, de six ans son aîné, on dira à Bra-him qu'il fallait l'emmener chez une autrefamille. Qu'à cela ne tienne, les amis de Dieusont nombreux, ce sera chez KherchicheL'hocine, dans la même rue, près de la portede Skikda, dans la grande maison dite de«l'Allemani». Puis, un bout de temps après, il fut casé chezun cheminot, Rabah Bendoghmane. Moha-med vivra donc dans la Cité des indigènes ou«Boumarché arabe», appelée ainsi pour ladifférencier avec l'autre cité des villas somp-tueuses «Boumarché francisse», qui setrouve à quelques centaines de mètres enface. Le fils de son hôte, Saci Bendoghmane,sera son copain et ami, voire un frère. En 1946, il quittera la cité, l'école et la ville.Il aura donc fréquenté l'école françaisedurant huit ans, soit de 1938 à 1946. Il nefaut pas oublier de mentionner une chose,nous dit-on, c'est qu'en 1941-42, l'école

d'Alembert s'est transformée en

hôpital militaire jusqu'en 1946, ce qui feradisperser les élèves dans des classes aména-gées à travers la ville, dans des caves, deshangars, etc. Des choses horribles, ce petitrouquin en a vues lors du carnage du 8 Mai45, il en sera marqué à jamais, affecté pour lerestant de sa vie. Certains avancent mêmequ'il était parmi les manifestants, nous diraAli Bouhzila. D'ailleurs, ajoute-t-il, il futmême blessé au genou, mais il ne l'a dit àpersonne, bien que ses parents étaient au fait; il ne disait d'ailleurs jamais rien à personne.A le voir en ce temps-là, on pourrait dire quec'était un enfant tranquille, timide ; il n'avaitpas le rire facile, il ne jouait pas avec lesenfants, il évitait la polémique et les discus-

sions byzantines, il ne se bagarrait pas. C'est

tout perclus de nationalisme qu'il partit en1949 à Constantine, à la medersa El Ketta-nia. Du haut de ses 82 ans, mais toujours bonpied bon œil, Ali Bouhzila poursuit : «Unvieux taleb, proche parent de Mohamed, ElHadj Tayeb Benamar Boukharouba, qui étaitallé en pèlerinage à pied avec un groupe degens, lui racontait souvent ses péripéties, etlui les enregistrait. Finalement, le voyantintéressé par le voyage, El Hadj Tayeb luidonnera un carnet dans lequel était consignétout l'itinéraire menant à La Mecque. Moha-med, qui était admis pour le service militairepar le conseil de révision, en profitera pourpartir en 1951 à El Azhar, au Caire en pas-sant par la Tunisie…» A. B.

Par Karim Dadci

Slimane Benabada, instituteur de fran-çais à la retraite, camarade de classe,assis sur le même banc que le défuntMohamed Boukharouba, à l'écoled'Alembert à Guelma entre 1940 et

1945, a écrit un récit intitulé La jeunesse d'unHéros édité par Dar El Fadjr en 2006. Il en parle comme suit : «Nous étions (MohamedBoukharouba et moi), en classe primaire et,dans le primaire, il y avait des classes dites fran-çaises et des classes indigènes. Les classes fran-çaises étaient réservées aux fils de colons et auxenfants des notables, des riches commerçants,fonctionnaires... Nous étions dans une classe deCP2 (cours préparatoire) avec M. Ségala qui aumilieu de l'année fut appelé au service militaireet fut remplacé par M. Leroy qui continuait ànous faire classe jusqu'au mois de juin. Notresalle de classe était au rez-de-chaussée à l'écoled'Alembert, actuellement CEM MohamedAbdou.» La situation était telle, raconte-t-il, que «lamajeure partie des Algériens ne mangeaient pasà leur faim». «Un grand nombre de nos cama-

rades de classe marchaient pieds nus et leursvêtements étaient rapiécés. Mohamed portaitune djellaba de laine de couleur marron, tisséepar sa mère au douar. Elle lui allait bien. Sonvisage était ovale, un rougeaud, il était bien por-tant. Comme il était plus grand de taille quenous, le jour où le photographe venait commechaque année pour faire des photos collectivesde chaque classe, le maître le mettait en arrière-plan.»Et de poursuivre : «Je ne l'avais jamais entenduse plaindre du froid, de la faim ou de la fatigue.Il avait une fierté et une dignité remarquablesmalgré son jeune âge et je me souviens, commesi cela datait d'hier, qu'il n'avait jamais mis lespieds à la cantine scolaire faite pour les nécessi-teux et les élèves qui n'habitaient pas la ville. Audébut de chaque année scolaire, on enregistraitles noms des élèves, dont les parents sontpauvres et les élèves qui habitaient loin de laville. Mohamed n'avait jamais levé le doigt pourse faire inscrire et pourtant ses parents et samaison étaient à Beni Addi… Son père luiapportait de quoi se nourrir (blé, huile...) de laparcelle de terre qu'il avait à Beni Addi. C'étaiten période de guerre…» K. D.

☛Il s'appelle Mohamed Boukharouba, son père Brahim Ben Abdallah et sa mère Touness Bouhzila Bent Mohamed.

☛Mohamed Boukharouba, l'écolier qu'il fut, mérite amplement une halte. Un camarade de classe en parle

SLIMANE BENABADA EN PARLE

L’ÉCOLIER…

• Vue de la maison où grandit le petit Mohamed Boukharouba à l’est de Guelma• Boumediène au Caire en 1954

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L’école où Boumediene a fait ses premières classes

LA RIGUEUR DU RELIEF A FORGÉ SON CARACTÈRE

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■ «Notre Algérie va échouer entre les mains des colonels, autant dire analphabètes. J'ai observé chez le plus grand nombred'entre eux une tendance aux méthodes fascistes. Ils rêvent tous d'être des sultans au pouvoir absolu. Derrière leurs querelles,j'aperçois un grave danger à l’encontre de l'Algérie indépendante. Ils n'ont aucune notion de la Démocratie, de la Liberté, del'Egalité entre citoyens. Ils conserveront du commandement qu'ils exercent le goût du pouvoir et de l'autoritarisme. Quedeviendra l'Algérie entre leurs mains ? "(1).

13 ANS D’UNE VAINE QUÊTE DE LÉGITIMITÉ

L’EXPRESSIOND’UN POUVOIR SANS PARTAGE

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Par Nadjia Bouaricha

Cette réflexion prémonitoire ducolonel Lotf i peut aisémentdécrire ce que l'Algérie post-indépendance a subi commegestion autoritaire et modèle

de gouvernance similaires au pouvoir absoluet sans partage. Si depuis l'indépendance, lepouvoir a incarné l'image du père fouettardqui est là, menaçant et matant toute désobéis-sance, Boumediène a été le reflet même dece pouvoir autocratique. Il a incarné plus,que tout autre président de l'Algérie indépen-dante, l'expression vivante du pouvoir mili-taire appliquant la politique de la main de fer.Mohamed Brahim Boukharouba, ce f ilsd'Héliopolis, va marquer son passage à la têtede la République algérienne en instaurant lesfondements d'un régime basé sur la supréma-tie du militaire sur le politique. Un régime entotale contradiction avec les recommanda-tions du congrès de la Soummam, qui plaçala logique du clan et de la force commemoyen de maintien du pouvoir. Le coupd'Etat de 1965 a été le premier pas engagé deBoumediène pour sortir de l'ombre de la“légitimité historique” personnifiée par BenBella. Au-delà du coup de force que cet acteavait constitué, il s'agissait sur le plan per-sonnel pour Boumediène d'une éclosion, ledébut d'une nouvelle ère pour ce fils de pay-san qui avait toujours évolué dans les cou-lisses du pouvoir personnel de Ben Bella. Ilentendait bien profiter de cette opportunitéqu'il s'est offert pour se mettre au-devantd'une scène dont il serait seul à diriger lesactes. Ce fut donc la fin du "pouvoir person-nel institutionnalisé" et le début "du pouvoirmilitaire personnalisé". S'appuyant sur lapolice politique, Boumediène réprime toutevelléité d'opposition, Mohamed Khider etKrim Belkacem sont assassinés, et MohamedBoudiaf et Hocine Aït Ahmed organisent desmouvements d'opposition en exil. "Le prési-dent du Conseil de la révolution, ministre dela Défense, chef de gouvernement,Boumediène, s'était imposé comme chefd'Etat et cumulait de ce fait, comme son pré-décesseur, tous les postes importants de déci-sion. A ce titre, il se confondait avec l'Etat, leparti – tout comme Ben Bella –- mais avaiten plus de ce dernier, et pour lui seul, l'ar-mée”, note Abdelkader Yafsah dans son livreLa question du pouvoir en Algérie. La cumu-lation de tous les pouvoirs, a conforté l'imageauprès de son entourage et du peuple d'unchef d'Etat puissant et redouté. Le personna-ge d'homme austère et secret a permis defabriquer le mythe Boumediène, cet hommequi avait l'œil sur tout et contrôlait tout grâceà la “bienveillance" de la sécurité militaire.L'Etat-armée sous Boumediène a marqué saprimauté sur le parti FLN et mit en place lesmécanismes de cette prépotence à travers unmode de gestion baptisé boumediénisme.

EMBRIGADEMENTBoumediène voulait être "l'autorité, le pou-voir, et le régime". Eprouvés par un Ben Bellapersonnifiant l'homme-Etat, les masses nepouvaient contester ce prolongement de laconcentration des pouvoirs entre les mainsd'une seule personne. Boumediène usa detous les moyens pour construire cette imagede chef. “Les moyens d'information, sans

exception, les officines publiques, les mos-quées jouent, à cet effet, un rôle considérable.Ils créent un phénomène de polarisation sys-tématique sur l'activité du chef de l'Etat. Touty est apporté, le moindre geste applaudi,encensé, chanté et glorifié", écrit encoreAbdelkader Yafsah. La sacralisation du chef aété l'aboutissement d'un processus de légiti-mation d'un règne qui aura servi à planter ledécor d'un système politique qui est la néga-tion même du partage. On assiste alors à l'en-cadrement de la vie politique, sociale et éco-nomique sous le même chapiteau appelé“pouvoir révolutionnaire". Ce pouvoir seratraduit selon la volonté du Conseil de la révo-lution sous la présidence de Boumediène, àtravers une première étape de “décentralisa-tion" administrative. Ainsi se firent jour lacharte communale de 196, puis la charte de lawilaya en 1969 qui conféraient des rôles d'au-tonomisation de la gestion des structureslocales. Toutefois, dans la pratique, lesassemblées locales n'avaient point de poidsdevant l'autorité du maire et du wali. Le pou-voir local reproduit les mêmes pratiques dupouvoir central et il avait pour rôle d'asseoirla légitimité institutionnelle devant apporterla contradiction à la Constitution décriée de1963, faisant croire au citoyen qu'il participeà la vie politique et sociale. Au lieu d'être lesocle de la vie démocratique, le pouvoir locala été l'appendice dont se servait le CR pourmobiliser les masses et les mener à applaudirses décisions. Il en était de même pour lesorganisations dites de masses commel'UGTA, l'UNFA, l'UNPA et l'UNJA. Uneordonnance datée du 12 février 1971 estd'ailleurs venue donner aux permanents duFLN et des organisations annexes un statutcomparable à celui des fonctionnaires, en pré-cisant les avantages dont ils peuvent êtrebénéficiaires en échange de leur soutieninconditionnel à la politique du pouvoir. Ces

organisations fabriquent de l'unanimisme àcoups de slogans creux et de phraséologievisant à anéantir toute autre pensée contraireà la volonté du régime. La gestion socialistedes entreprises a été l'autre versant de cettepolitique du tout contrôle et où parti, syndi-cat, et administration constituaient un seul etmême bloc d'allégeance au pouvoir en place.Entre ces mouvements d'encadrement et laphobie instaurée de l'espionnite, le régime nepouvait espérer meilleur contrôle et embriga-dement de la société.

LE CR FAIT SA RÉVOLUTION Après le putsch de 1965, Boumediène prometde donner un coup de pied dans la fourmiliè-re pour en finir avec "l'immobilisme" instau-ré par Ben Bella. Il lance alors en grandepompe ses révolutions industrielle, agraire etculturelle. Le deuxième président de laRépublique algérienne, qui était toujours enquête de légitimation, misait sur ces trois axespour mener à bout sa politique de développe-ment. C'est en 1971 que l'orientation socialis-te a trouvé son chemin dans la politique éco-nomique du pays. Les nationalisations desrichesses naturelles, la révolution agraire,l'industrie industrialisante, la planification del'économie étaient les maîtres mots de la poli-tique de développement à la Boumediène.Leur mise en œuvre connut toutefois unéchec, puisqu'elle a été victime de la bureau-cratie et des passe-droits. Au socialismevendu au peuple, faisait face un capitalismed'Etat et l'apparition d'une bourgeoisie privéequi fleurissait dans l'ombre des nationalisa-tions. La contradiction des discours deBoumediène venait de l'antre même du pou-voir. La culture n'a pas échappé à la visioncentraliste que prônait le Boumediénisme. La"révolution culturelle" a quant à elle été baséesur l'instauration d'un monolithisme culturelniant la diversité de l'identité algérienne.

L'arabisation selon les préceptes du baathis-me n'a pas été sans conséquences sur cetteunion du peuple tant clamée dans les discoursde l'époque. L'identité berbère a été niée parles adeptes du panarabisme, poussant l'affrontjusqu'à dire que le berbère est une inventionfrançaise et accuser leurs contradicteurs de"réactionnaires et de contre révolutionnaires".Encore une fois, le pouvoir cherchait un autremode de légitimation en ne faisant qu'un de“l'Islam et l'arabité" la politique culturelle del'Algérie indépendante n'a fait que suivre lalogique de la politique culturelle française enAlgérie. L'une se propose d'arabiser, l'autre defranciser. Toutes les deux se proposent l'assi-milation du peuple… L'Algérie bascula de"nos ancêtres les Gaulois" à "nos ancêtres lesArabes", écrit A.Yafsah. Le boumediénismeportait en lui les germes de son déclin, puis-qu'il valsait entre socialisme débridé et capi-talisme d'Etat face à une population de plusen plus lasse d'attendre la réalisation des pro-messes du chef du Conseil de la révolution.Sous ses airs d'une union nationale placéesous l'étendard de Boumediène, se cachaientdes divisions qui ont même eu raison du toutpuissant clan d'Oujda. Boumediène continue,jusqu'à la dernière année de son pouvoir, àtenter de donner une légitimité au coup deforce dont il usa pour défoncer les portes del'histoire de l'Algérie indépendante. Mais aulieu de divorcer avec la force, il en fit unmode de gouvernance. NN.. BB.

Références :1- Rapportée par F. Abbas in Autopsied'une guerre.2- Abdelkader Yafsah : La question dupouvoir en Algérie.3- Benjamin Stora : Histoire de l'Algériedepuis l'indépendance.4- Benjamin Stora : Algérie, histoirecontemporaine 1830-1988.

AA llaa ttêêttee ddee llaa RRééppuubblliiqquuee aallggéérriieennnnee,, BBoouummeeddiièènnee aa iinnssttaauurréélleess ffoonnddeemmeennttss ddee llaa ssuupprréémmaattiiee dduu mmiilliittaaiirree ssuurr llee ppoolliittiiqquuee

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■ Houari Boumediène, un nom dont la seule prononciation fait frémir de peur beaucoup d'Algériens. Le deuxièmeprésident de l'Algérie indépendante n’a pas ménagé des dizaines d’opposants à son régime.

LES ASSASSINATS POLITIQUES EN MODEDE GOUVERNANCE

DE KHIDER À... MEDEGHRI

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS

Par Hassan Moali

Tout au long de son long règne de 13 années,Boumediène a fait gicler le sang de tous ceux qui luicontestaient sa mainmise sur l'Algérie. Qu'ils soientdes héros de l'indépendance, des cadres du jeune Etat

algérien, des berbéristes, des militants politiques ou desacteurs associatifs, l'omnipotent Président les a fait exécuterou «suicider» sans état d'âme par son bras armé : la puissanteSécurité Militaire. Et à tout seigneur tout «honneur», ce futson «ami» Ahmed Ben Bella qui fit connaissance avec la«méthode» Boumediène juste après l'avoir renversé le 19 juin1965. Un coup d'Etat qui ne fut pas aussi blanc que cela dansla mesure où près de 40 personnes, qui avaient osé manifesterà Annaba, furent froidement canardées. Quant à Ben Bella, ilsera la première victime politique et psychologique du systè-me Boumediène. Séquestré durant 14 années sans jugement,le Premier président ne sera même pas autorisé à assister àl'enterrement de sa vieille mère. Commence alors la longuesérie noire des années Boumediène durant laquelle la liquida-tion physique tenait lieu de pratique politique. Première cible :Mohamed Khider. Ce dirigeant de la révolution, qui s'étaitpourtant allié à Ben Bella à la prise du pouvoir en 62, est tuéle 4 janvier 1967 à Madrid, où il s'était exilé en 1963. Sonpéché ? Avoir dénoncé le coup d'Etat du 19 juin 1965 et lepouvoir autocratique de Boumediène. Hocine Aït Ahmeddésigne Youssef Dakhmouche comme étant l'exécutant du for-fait. Le 14 décembre 1967, le coup d'Etat avorté du colonelZbiri contre le pouvoir de Boumediène est réprimé dans lesang. Des Mig pilotés par des soviétiques bombardent les blindés deTahar Zbiri, faisant près d'un millier de morts, dont de trèsnombreux civils, notamment à El Affroun, selon plusieurstémoignages.

ACCIDENTS DOMESTIQUES, SUICIDES…Le 16 décembre 1967, le colonel Saïd Abid, évoqué récem-ment par l'ex-président Chadli, est déclaré «suicidé» dans sonquartier général de Blida. En janvier 1968, le régime deBoumediène «innove» dans son entreprise criminelle en inau-

gurant les «disparitions». C'est ainsi que le colonel Abbèsmeurt mystérieusement sur la route Cherchell-Alger. Personnene saura s'il a été enlevé chemin faisant ou s'il a été tout sim-plement «accidenté». Mais avec le meurtre de cet hommesoupçonné d'avoir soutenu le putsh de Zbiri, il était clair quel'heure des règlements de comptes avec les opposants poli-tiques a sonné. Le 7 avril 1969, la Cour dite «révolutionnaire»d'Oran (tribunal d'exception) condamne à mort par contumaceune icône de la révolution, Krim Belkacem. Le «Lion des dje-bels» et négociateur en chef des accords d'Evian, que laFrance coloniale n'a pu tuer, est étranglé dans sa chambre àl'hôtel Intercontinental de Francfort (Allemagne). Des tueurs àgage de la sinistre Police politique de Boumediène ont exécu-té la sale besogne le 18 octobre 1970. Là aussi, Hocine AïtAhmed, l'un des rares opposants de Boumediène encore envie, désigne un coupable : le commandant H'mida AïtMesbah, chef du service opérationnel de la SM (actuelleDRSA). Quatre ans plus tard, Boumediène se débarrasse de l'un desplus brillants cadres de l'Algérie indépendante, AhmedMedeghri. Ce ministre de l'Intérieur auteur des premiersdécoupages territoriaux de l'après-indépendance et fondateurde l'Ecole nationale d'administration, a été liquidé par un«décès accidentel» chez lui, à El Biar, selon la formule tragi-comique de l'agence APS. Avec Boumediène, on peut en effetêtre victime d'un accident, y compris chez soi…Mais en réalité, Ahmed Medeghri, dont la mort hante encoreses bourreaux à ce jour, a payé son opposition à la premièrecharte nationale des années 1970, lui préférant une constitu-tion démocratique. Hocine Aït Ahmed rapporte, en effet, danssa nouvelle préface pour la réédition de son livre L'AffaireMecili la teneur d'une discussion qu'il a eue avec ClaudeJulien, l'ancien directeur du Monde Diplomatique. Il raconteque quelques jours avant sa disparition tragique le 10décembre 1974, Ahmed Medeghri l’avait appelé pour annulerun rendez-vous déjà convenu entre les deux hommes à Alger.

CRIME DE «LÈSE-BOUMEDIÈNE»Motif ? Selon Aït Ahmed, le ministre Medeghri aurait préciséà son interlocuteur au bout du fil qu'il se sentait «vraiment

menacé». Et avec Boumediène, la menace était systématique-ment suivie de l'acte. Ce crime politique n'est bien sûr jamaisassumé, tout comme les autres assassinats d'opposants. Seul lenom de cet illustre personnage, trônant sur le fronton de l'hô-pital de Aïn Témouchent, rafraîchit un peu la mémoire. Lemeurtre de Medeghri est le dernier de la longue liste noire desvictimes très connues de Boumediène. Mais ce n'est pas fini.Il a juste changé de mode opératoire pour corriger ses adver-saires. Ferhat Abbas, Benyoucef Benkhedda, Hocine Lahouelet Mohamed Kheireddine, les dernières brebis galeuses rési-duelles de la Révolution, l'ont vérifié à leurs dépens. Ils ontété placés en résidence surveillée et leurs biens confisquéspour avoir osé un crime de «lèse-Boumediène» en publiant unmanifeste dénonçant son pouvoir personnel.Que retenir donc de Boumediène sinon qu'il avait la gâchetteparticulièrement facile pour éliminer physiquement tous ceuxqui bougent dans le sens opposé au sien. L'histoire retiendraque le président Houari Boumediène a érigé l'assassinat poli-tique en mode de gouvernance dans la pure tradition du chefdu clan de Oujda qu'il fut. H. M

AAhhmmeedd MMeeddeegghhrrii ssee ssuuiicciiddee llee 1100 ddéécceemmbbrree 11997744 àà AAllggeerr

KKrriimm BBeellkkaacceemm aassssaassssiinnéé llee 1188 ooccttoobbrree 11997700 àà FFrraannccffoorrtt

MMoohhaammeedd KKhhiiddeerr aassssaassssiinnéé llee 44 jjaannvviieerr 11996677 àà MMaaddrriidd

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Par Mohand aziri

Kasdi Merbah, patron de la Sécuritémilitaire (1962 -1979)De son vrai nom Abdallah Khalef, il est né le16 avril 1938 à Béni Yenni (Tizi-Ouzou).Militant nationaliste, il rejoint l'ALN en 1956 en Wilaya V (Oranie).Il y navigue dans le sillage de fortes personna-lités : Abdelhafid Boussouf, père des servicesde renseignements et du contre-espionnage duFLN et Houari Boumediene, sorte de maré-chal de l'ALN. Affecté au Ministère de l'Ar-mement et des Lisons Générales (MALG)dirigé par Boussouf, il fait partie de la jeunegarde surnommée " Boussouf Boys ". Ilappartient également à la première promotionde cadres militaires formés à Moscou, appelée" Tapis rouge ". Chef du service de renseigne-ment du MALG auprès de l'état-major généralen février 1960, il participe en tant qu'expertmilitaire au négociations de Rousses. Il serange dès l'éclatement de la crise de l'été 62dans le camp de Boumediene. Patron incon-testé de la " S.M " de 1962 à 1979, proche etfidèle collaborateur de Boumediène, il parti-cipe activement au coup d'Etat de juin 1965.Au moment de l'agonie de Boumediene, ilétait responsable de tous les services de sécu-rité, ce qui explique son rôle déterminant dansle processus de transition. En janvier 1979, ilapporte son soutien au colonel Chadli quil'emporte sur ses principaux concurrents. Ilabandonne ses fonctions à la tête de la " S.M", pour devenir le 5 mai 1979, SG du minis-tère de la Défense jusqu'au remaniement gou-vernemental de juillet 1980, où il a été " mis àla touche ". Il est successivement vice ministrede la Défense, ministre de l'industrie lourde(janvier 1982), ministre de l'agriculture et de lapêche (janvier 1984), ministre de la santé(février 1988), Chef du gouvernement (denovembre 1988 au 9 septembre 1989). Il créeen 1990 le parti MAJD. Véritable pilier durégime, il sera assassiné le 21 août 1993.

Ahmed Draia, membre du Conseil dela révolution (1965-1979), directeurde la Sûreté nationale (1965-1979)Né le 10 mai 1929 à Souk Ahras. Officier de laBase de l'Est, il est arrêté en 1958 pour com-plot contre le GPRA et envoyé à la frontièremalienne en 1960. Il dirigera en 1963 les com-pagnies nationales de sécurité et désigné le 1juin 1965 à la tête de la DGSN qu'il ne quitte-ra pas jusqu'à la mort de Boumediene, date desa nomination à la tête du ministère des trans-port, puis ambassadeur au Portugal de 1980jusqu'à sa mort en février 1988.

Ahmed Bencherif, commandant de laGendarmerie nationale et membredu Conseil de la révolution (1962-1978),Né en avril 1927 à Djelfa, Ahmed Bencherifest un militaire de carrière dans l'armée fran-çaise. En juillet 1957, il déserte le 1 er régi-ment des artilleurs algériens pour rejoindrel'ALN (wilaya VI) avec une partie de sa com-pagnie. Membre du CNRA en janvier 1960, ilest nommé à la tête de la wilaya IV en juilletde la même année. Capturé en 1960, il estremis en liberté en avril 1962 et rejoint l'Etat-major général de Boumediene. En septembre1962, l'Exécutif provisoire le place à la tête dela gendarmerie. Il sera maintenu à ce poste jus-qu'à avril 1977, date à laquelle il sera nomméministre de l'Environnement, de laBonification des terres et de l'Hydraulique.Une mise à l'écart déguisée. Membre duConseil de la Révolution, il fait partie de ceuxqui ont géré l'Algérie de 1965 à 1978 et dugroupe restreint des huit titulaires restant sur26 qui ont assumé la direction des affaires dupays durant la maladie de Boumediène. A lamort de celui-ci, il s'opposera résolument à la

candidature de Abdelaziz Bouteflika. Il estécarté du pouvoir à partir de février 1979,exclu du Comité central, puis accusé par laCour des comptes de détournements de fonds.Il ne revient en politique, au Comité central duFLN, qu'en 1989.

Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères (1963-1979),membre du Conseil de la révolution(1965-1978)Issu d'une famille originaire de Tlemcen, il estné le 2 mars 1937 à Oujda (Maroc) où sesparents tenaient un bain maure. Il rejointl'ALN à la frontière algéro-marocaine en 1956en wilaya V (…). En 1960, le commandant SiAbdelkader est chargé d'ouvrir le front malien.Proche collaborateur de Boumediene, il effec-tue en 1961, une mission de prospection pourle compte de ce dernier auprès des leaders duFLN détenus à Aulnoy en vue de s'assurer leuralliance dans la course au pouvoir à l'approchede l'indépendance. C'est donc Bouteflika quijette des ponts entre Ben Bella et Boumedienepour s'opposer au GPRA. Député de Tlemcenà l'Assemblée constituante, il est nomméministre de la jeunesse, des sports et du touris-me en septembre 1962. Après l'assassinat deMohamed Khemisti, il assurera pendant quatremois l'intérim au ministère des affaires étran-gères. Il sera confirmé à ce poste en septembre1963 et le gardera 16 ans de suite. Faisant par-tie du cercle restreint des intimes deBoumediene, Bouteflika est à l'origine directedu processus ayant achoppé du coup d'Etatcontre le président Ben Bella. En voulant lelimoger, Ben Bella a en effet précipité sapropre chute le 19 juin 1965. Durant toute lapériode où il dirige les AE, son nom sera asso-cié à l'intense activité de la diplomatie algé-rienne. Ne partageant pas tous les choix politi-co-économiques de Boumediene, il plaide, àl'intérieur des instances dirigeantes, pour uneplus grande souplesse du système. Ce qui luivaudra d'être présenté comme l'homme del'Occident, un " libéral ". Candidat malheureuxà la succession, il est éjecté, graduellement, ducercle du pouvoir. Il est évincé du gouverne-ment et du BP le 2 juillet 1981. Sa disgrâce estconfirmée en 1983. La Cour des comptes lecondamne a rembourser 6 milliards de cen-times. Il lui est reproché des irrégularités dansla gestion d'une " régie occulte " ouverte, aunom de son ministère, dans une banque àGenève. Deux ans plus tard, il est disculpé parla Cour d'Alger. En avril 1999, il deviendra leseptième président de la République algérien-ne démocratique et populaire.

Cherif Belkacem, membre du Conseilde la révolution (1965-1975)Né le 10 juillet 1930 à Ain Beida, militant del'UGEMA et du FLN au Maroc, il rejointl'ALN et devient commandant de la zone I deTlemcen jusqu'à la fin 1959, date a laquelle ilrejoint le P.C de la wilaya V, à la frontière algé-ro-marocaine où va se constituer le fameux "groupe de Oujda ". Député de Tlemcen àl'Assemblée constituante (septembre), le com-pagnon de jeunesse de Boumediene devientministre de l'Orientation nationale dans le gou-vernement Ben Bella, Partisan du coup d'Etatde juin 1965, il est chargé du départementInformation en plus de celui de l'Orientationnationale. Membre du Conseil de laRévolution, " coordonnateur du secrétariat duParti " (juillet 1965 - décembre 1967), il estnommé en mars 1968 ministre d'Etat chargédes Finances et du Plan. C'est sous autoritéqu'est élaboré le premier plan quadriennal1970-1973, qui lance l'industrialisation del'Algérie. Il quitte ce ministère en mars 1970pour présider le Conseil national économiqueet social. Après la mise à l'écart de KaidAhmed en décembre 1972, premier maillon du" groupe d'Oujda " à céder, c'est à CherifBelkacem que Boumediene confie la mission

de reprendre en main le FLN. Ministre d'Etatsans portefeuille, il apparaît alors comme le "numéro deux " du régime. Il anime lesCommissions nationales de la Révolutionagraire et de la Gestion socialiste des entre-prises, mais son étoile ne cesse de décliner. En1975, des rumeurs insistantes attribuent àl'épouse de Chérif Belkacem la publicationd'un livre à scandales intitulé Les Folles Nuitsd'Alger. Boumediene en profite pour évincerson compagnon du Conseil de la Révolution,puis pour supprimer son ministère d'Etat enjuillet 1975. Jugé indésirable, il quitte subrep-ticement le pays pour s'installer en Europe. Ilréapparaît au lendemain des événementsd'Octobre et signe le " Manifeste des 18 " et seprésente aux élections présidentielles de 1999.

Kaïd Ahmed, membre du Conseil de la révolution (1965-1972),responsable du FLN (1968-1972)Né le 17 mai à Tiaret. Militant de l'UDEMA deFerhat Abbas et secrétaire général du partidans sa ville natale, en 1951, Kaid Ahmed estélu conseiller municipale et adjoint au mairede Tiaret. Membre du Comité central del'UDEMA, il rejoint le maquis fin 1955. Il estd'abord Commissaire politique et capitaine dela zone VIII de la wilaya V, puis devient adjointdu colonel Boumediène. Nommé au CNRA en1959, le commandant Slimane (nom de guerre)assurera par la suite le secrétariat pour l'Ouestde l'état-major général de l'ALN (…) il partici-pe à la première conférence d'Evian, devientcommandant de la Base Ouest-Oujda. 2ludéputé de Tiaret(septembre 1962), nomméministre du Tourisme, il démissionne et rejointson siège à l'Assemblée (juillet 1964). C'est luiqui annoncera à la radio la destitution de BenBella et promu ministre des Finances et duPlan (juillet 1965). Nommé responsable duParti (mars 1968), il quittera les affairespubliques suite à de profondes divergencesavec Boumediene notamment sur les grandesorientations politico-économiques. KaidAhmed meurt en exil au Maroc le 5 mars 1978.

Ahmed Medgheri, ministre del'Intérieur (1963) (1965-1975),membre du Conseil de la révolutionNé le 23 juillet 1934 à Oran, Ahmed Medgheria grandi à Saida. Il obtient le baccalauréat "série mathématiques élémentaires) en 1953mais dut interrompre ses études universitairesà Grenoble suite à des difficultés matérielles.Medgheri retourne au pays et se fait instituteurMilitant à l'UDEMA, il rejoint l'ALN en juillet1957 à la wilaya V où il devient l'un des plusproches adjoint de Boumediene. Il contribueraà rédiger le volet militaire des Accordsd'Evian, à l'indépendance, il deviendra premierwali de Tlemcen, puis ministre de l'intérieurPour marquer son désaccord avec Ben Bella, ildémissionne en 1964. Il reprend son posteaprès le coup d'Etat et y restera jusqu'à sa morttragique (" accident " par balle chez lui)le 10décembre 1974.

Belaïd Abdeslam, ministre del’Industrie et de l'Energie (1965-1977)Issu d'une famille aisée originaire de GrandeKabylie, Belaid Abdeslam est né en 1928 à AinKebira (Sétif). Militant du P.P.A, président del'UGEMA (1951-1953), membre du Comitécentral du PPA/MTLD, tendance centraliste,Belaid Abdeslam rejoint le FLN en mai 1955.en 1958, il est appelé auprès du ministre de laculture du GPRA, Tewfik El Madani, puis deAbdelhamid Mehri aux Affaires sociales. Aulendemain du cessez le feu, il est chargé par leFLN des questions économiques à l'Exécutifprovisoire. Après l'indépendance, il sera écartédes responsabilités, jusqu'à sa désignation pourconduire la délégation algérienne dans lesnégociations pétrolières avec la France. Ildevient le premier président de Sonatrach

(1964-1966), et l'inamovible ministre de l'in-dustrie et de l'énergie de Boumediene (1965-1977), puis des Industries légères (1977-1979). Il a la haute main sur toute la politiqueset projets industriels. En 1982, BelaidAbdeslam est accusé de " corruption ". Il seravite innocenté. Il sera écarté du pouvoir peuaprès l'élection de Chadli. Il revient en poli-tique en 1988 en signant le " manifeste des 18". Il est nommé chef du gouvernement juillet1992 jusqu'à août 1993.

Mohamed Salah Yahiaoui, membredu Conseil de la révolution (1965-1979) et coordinateur du Parti (1977-1979) Né à Barika (Batna), Mohamed Salah Yahiaouiest instituteur avant de rejoindre le maquis en1956, où il devient membre de l'état-majorgénéral dirigé par Boumediène. Membre duConseil de la Révolution lors du coup d'Etat dejuin 1965, le colonel Yahiaoui est placé à la têtede l'Ecole interarmes de Cherchell1968 à1977. En novembre 1977, il est chargé parBoumediene de reprendre en main le Parti.Candidat potentiel à la succession, il est écartépar l'armée au profit de Chadli Bendjedid.

Ahmed Taleb El Ibrahimi, ministre de l'Education nationale (1965-1970), ministre de l'Information etde la Culture (1970-1977), ministreconseiller auprès du président de la République (1977-1980).Né le 5 janvier 1932 à Sétif, fit ses études pri-maires à Tlemcen où son père Cheikh BachirIbrahimi s'était installé en 1933 comme res-ponsable de l'association des oulémas algé-riens pour l'Ouest du pays. En 1949, il entre-prend des études à la Faculté de Médecined'Alger, puis de Paris. Il milite d'abord au seinde l'Udema. Elu président de l'Union généraledes étudiants musulmans (UGEMA) en juillet1955, il développe un discours arabo-isla-mique. En mars 1956, il accède au Comitéfédéral de la Fédération de France du FLN, ilest fait prisonnier en février 1975 et détenu à laprison de Fresnes puis à la Santé jusqu'à sep-tembre 1961. Remis en liberté (provisoire) ilquitte la France pour la Tunisie et rejoint leGPRA. A l'indépendance, il est mis à l'écartpar Ben Bella, soupçonneux à l'égard des oulé-mas. Docteur en médecine, proche de l'opposi-tion de (1963-1965), Taleb Ibrahimi est arrêtéen juin 1964 car soupçonné d'être en contactavec la " contre-révolution ", le CNDR deMoussa Hassani, mais bénéficie d'un non lieuet libéré en janvier 1964. Après un court séjour au Moyen-Orient, ilrentre au bercail pour pratiquer au servicehématologie de l'hôpital Mustapha. Le 10juillet, il est appelé par Boumediène pour êtreson ministre de l'Education nationale. Moinsd'un an après son département publie un plandécennal d'enseignement axé sur trois points :" démocratisation, arabisation, orientationscientifique et technique ". Confronté à lacontestation estudiantine, il décide la fermetu-re de l'Université d'Alger le 7 février 1968 pen-dant trois semaines. En juillet 1970, il devientministre de l'Information et de la Culture jus-qu'au 27 avril 1977, date à laquelle il devientministre conseiller auprès du présidentBoumediène, poste qu'il gardera dans le pre-mier gouvernement de Chadli. Il est quelquetemps après président de la Cour des comptes.

Source :D'après Achour Cheurfi, La classe politique

algérienne de 1900 à nos jours, Dictionnaire bio-graphique, Casbah Editions, Alger, 2001 M. A.

El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 11

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS

LES HOMMES DU PRÉSIDENT

LES FIDÈLES ET LES AUTRES

Page 12: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS

Par Nadjia Bouaricha

C 'est ce noyau d'Algériens nés au Maroc, qui compteà son actif deux putschs, qui a permis à Boume-diène de parvenir à ce destin de chef d'Etat de l'Al-gérie indépendante. Houari Boumediène était chefde la Wilaya 5 et installa son QG dans la ville

marocaine frontalière avec l'ouest du pays, Oujda. Tout commeBoussouf pour le MALG, Boumediène recruta des alliés parmi cesAlgériens du Maroc pour l'état-major général de l'ALN. Le premiers'en servit pour porter le premier coup de l'armée contre les poli-tiques en assassinant Abane Ramdane, et le second y trouva un appuipour porter le deuxième coup de force de l'armée contre le FLN ens'attaquant au Gouvernement Provisoire de la République Algérienne(GPRA). Le groupe d'Oujda est entré de la sorte par effraction dansl'histoire de l'Algérie et il signera, avec Boumediène à sa tête, l'actede naissance du régime algérien.

CES ALGÉRIENS DU MAROC NOMMÉS WASTILes membres du groupe ou clan d'Oujda sont désignés comme ceuxqui sont nés ou ayant vécu au Maroc avant 1962. Les "wasti", en réfé-rence à la position géographique de l'Algérie au centre du Maghreb,ou encore "deuxième francis, français de seconde catégorie", commeaimaient à les qualifier les Marocains, sont des Algériens qui sont nésau Maroc avant le déclenchement de la guerre de libération. Après lasoumission de l'Emir Abdelkader en 1848, puis la défaite des soulè-vements des Ouled Sidi Echeikh puis de Bouamama, une commu-nauté algérienne s'est installée dans le pays voisin de l'Ouest. Uneautre communauté enrôlée quant à elle dans l'armée française pourimposer le protectorat au Maroc y a aussi trouvé asile. Une troisièmemigration d'Algériens a quant à elle rejoint le Maroc, après 1954 parfuite des représailles de l'armée française. Le clan d'Oujda s'est bâtitoutefois sur la première communauté d'Algériens au Maroc, qui étaitune communauté de petite bourgeoisie francophone composée soit depropriétaires terriens ou d'auxiliaires de l'administration marocaine.Cette dernière communauté trouva sa place dans les rangs de l'armée,de la sécurité militaire et du FLN. Le colonel Bencherif estime lenombre d'Algériens rentrés du Maroc en 1962 à pas moins de 10000hommes. Le travail commencé par le MALG de Boussouf au milieudes années 1950 a connu une suite avec Boumediène qui introduisitla logique des clans pour accéder au pouvoir. Entouré d'AhmedMedeghri, Kaid Ahmed, Cherif Belkacem, Abedlaziz Bouteflika,Boumediène créa le groupe d'Oujda. Les "malgaches" de Boussouf sefondèrent dans ce qui est devenu plus tard le clan d'Oujda. Le régio-nalisme s'est érigé en règle d'appartenance à ce clan. "MohamedBoukharouba s'affubla d'un nom de guerre qu'il emprunta au saintlégendaire Boumediène, très connu dans l'Oranie, et du prénom deHouari, très répandu dans cette même région… dans le régionalismequi sévissait dans l'armée des frontières, être à la fois, saint et oranais,c'était avoir toutes les chances avec soi"(1).Le groupe d'Oujda, sous les commandes de Boumediène et toute l'ar-mée des frontières, attendait la fin de la guerre de libération qui avaitéprouvé les moudjahidines de l'intérieur du pays dans la lutte contrel'armée coloniale pour pouvoir entrer en jeu. Laissant les politiquesse charger des négociations d'Evian, et après la sortie des cinq histo-riques de prison, l'état-major général sous Boumediène trouve lemoment propice pour actionner le coup d'Etat contre le GPRA. Pourdonner du poids à ce coup de force, il fallait une couverture politiquevia un des historiques. Seul Ben Bella, animé aussi par l'amour dupouvoir, accepta l'offre de l'EMG. En légalistes, Aït Ahmed etBoudiaf refusèrent de cautionner le putsch. "L'armée de Boumedièneavait un double atout considérable : sa force et son unité favoriséespar un long travail d'endoctrinement. Mais elle n'avait que peu derépondants dans la société algérienne et son leadership était rejeté parplusieurs wilayas. Il fallait à Boumediène de bien faire jouer le pres-tige de Ben Bella pour s'implanter politiquement "(2). Afin de donner du crédit aux putschistes, un autre groupe baptisé

“groupe de Tlemcen”, en opposition au groupe de Tizi Ouzou quiétait sous la coupe de Krim Belkacem, fut créé et mit au point la nais-sance du Bureau politique, un instrument politique pour le dénigre-ment du GPRA. Le groupe de Tlemcen regroupant Ben Bella, Khider,Mohammedi, Ferhat Abbas, Ahmed Boumendjel et Ahmed Francis aformé un duo avec le groupe d'Oujda pour mettre au pas les com-mandements des wilayas historiques notamment la III et la IV. BenBella était tout désigné pour devenir le premier président de l'Algérieindépendante sous la bénédiction de l'EMG de l'ALN qui marcha surAlger pour accéder au "trône". La Zone autonome d'Alger sous YacefSaâdi ouvrit grandes les portes de la capitale à la coalitionBoumediène-Ben Bella au prix de plusieurs morts du fait d'affronte-ments avec les troupes de la Wilaya IV qui étaient ralliées au GPRA.Le cri "sept ans ça suffit" des populations a fini par mettre fin auxhostilités. L'armée des frontières réussit son coup et pénétra d'un piedferme dans ce qui est devenu le pouvoir algérien, sur des centaines decadavres. Dans la nuit du 28 au 29 septembre, Ben Bella, candidat

unique, fut élu par l'Assemblée, chef d'un gouvernement de 19 porte-feuilles. Boumediène qui s’adjugea l'important poste de ministre dela Défense, proposa 4 postes : deux pour ses compagnons de l'arméedes frontières d'Oujda, à savoir Bouteflika et Medeghri et deux autrespour l'armée des frontières de l'Est, à savoir Moussa Hassani et ledocteur Nekkache. Le putsch servit l'armée qui, depuis l'indépendan-ce, a joué la carte de l'unité face aux divisions politiques. "Le cland'Oujda s'était ouvert au recrutement intensif de "soldats" venus desrangs de l'ALN, tout comme les "marsiens" de tout bord avaient prisd'assaut les administrations, étaient avant tous des éléments opportu-nistes sans aucune conviction politique ou idéologique. Ils étaientrecrutés non pas pour faire la guerre mais pour construire le nouvelEtat "(3). Avec les recrues du MALG de Boussouf devenu Sécuritémilitaire, et à leur tête Kasdi Merbah, et les tacticiens politiques deson groupe d'Oujda, Boumediène n'avait plus qu'à laisser mijoter sonaccession à la tête de l'Etat.

LA FIN D'UNE COLLÉGIALITÉ Dans le deuxième gouvernement de Ben Bella, Cherif Belkacem etKaïd Ahmed sont nommés ministres et Boumediène fut nommé 1er

vice-président de la République. En sus de leurs responsabilités gou-vernementales, respectivement la Défense nationale, l'Intérieur et lesAffaires étrangères, Boumediène, Medeghri et Bouteflika firent leurentrée au Bureau politique. A l'heure où Kaïd Ahmed et CherifBelkacem étaient désignés respectivement, ministres du Tourisme etde l'Orientation nationale et membres du Comité central. Sentant son pouvoir personnel menacé par les ambitions grandis-santes du clan d'Oujda, Ben Bella œuvra à la mise à l'écart de sesanciens compagnons de la course au pouvoir. "Président de laRépublique, chef du gouvernement, secrétaire général du FLN, il s'at-tribue les portefeuilles de l'Intérieur, des Finances, de l'Information".Après Kaïd Ahmed, Medeghri, puis Belkacem Chérif, le tour duministre des Affaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika, arriva pour sevoir retirer son poste. Le groupe d'Oujda se réfère à son chef, HouariBoumediène afin de mettre un terme aux attaques de Ben Bella. Lecoup d'Etat du 19 Juin 1965 a été la réponse de celui qui devint ledeuxième président de l'Algérie. Mais la logique du clan ne durerapas face à la logique de l'intérêt personnel. La fin de l'union du grou-pe d'Oujda sous Boumediène ne tardera pas à se manifester. En plei-ne campagne des nationalisations, le divorce de Boumediène d'avecses anciens compagnons d'Oujda ne tarde pas à être prononcé. "Lesraisons ne manquaient pas : choc des caractères, rivalités incontrô-lables, apparition de nouveaux cadres politiques, radicalisation desréformes, domination écrasante de Boumediène et bien d'autres enco-re ont fini par entamer le pacte de fer qui liait les membres du grou-pe d'Oujda"(4). L'histoire n'a pas encore tout dit sur cette dislocationdu groupe d'Oujda, mais des supputations sont émises. La révolutionagraire avait entamé la relation privilégiée des membres du grouped'Oujda avec leur mentor. "Pour l'opinion publique algérienne, ni

Bouteflika, ni Cherif Belkacem, ni Medeghri ne faisaient figure desocialistes. Boumediène, porté par le consensus populaire et voulantsuivre le processus de la mise en application de la révolution agraire,a rogné les prérogatives du ministre de l'Intérieur Medeghri. Sur leconflit du Sahara occidental, il semblerait que la solution deBouteflika ne procédait pas de la même démarche de Boumediène.Quant à Cherif Belkacem, on ne sait pas si sa disgrâce lui est venuede sa santé fragile ou bien de la soi-disant publication par sa femmeétrangère d'un livre intitulé "Les folles nuits d'Alger" dans lequel plu-sieurs personnalités auraient été mises en cause. Toutefois, ce qui estcertain est que cette affaire du livre dont tout le monde parlait maisque personne ne pouvait exhiber relevait de l'intox à l'encontre d'unhomme qu'on voulait éloigner du pouvoir", note Abdelkader Yafsah.Pour sa part, Khalfa Mameri confirme la désapprobation par lesmembres du clan d'Oujda de la révolution agraire et évoque la crisede l'été 1974. Kaïd Ahmed, propriétaire terrien et de Haras, a été lepremier à être éliminé par Boumediène en 1972 en lui ôtant son postede ministre. "Trois faits sont bien établis. Un grave incident entre Medeghriministre de l'Intérieur et Mahroug ministre des Finances. Celui-cicherche sur ordre de Boumediène à rapatrier les reliquats de créditque les ambassades viraient habituellement sur un compte bancairesuisse. S'est-il senti personnellement visé ou non, Bouteflika auraplus tard quelques démêlées avec la Cour des comptes. Medeghri quisemble faire équipe avec Bouteflika pour éliminer Cherif Belkacems'en mêle. Il convoque manu militari Mahroug, et l'aurait menacé d'unpistolet et d'un dossier intime compromettant "(4). Le deuxième faitcité oppose Medeghri au ministre de la Culture, Taleb El Ibrahimi unreportage télévisé sur une villa somptueuse qui appartiendrait à lamère de Medeghri. A-t-on voulu salir ce dernier, le discréditer, ledéstabiliser au moment où le populisme battait son plein en Algérie ?Une chose est sûre : le journaliste est tabassé et Taleb couvert de motspeu aimables". Le troisième fait concerne la réunion de deux membres du cland'Oujda à Annaba "ces deux membres séjournent à Annaba avecDraïa, directeur général de la Sûreté nationale. Qu'avaient-ils à y faire? Quel était le rôle du chef de la Sûreté nationale ? Etait-il informa-teur de Boumediène ou jouait-il pour son compte ? De ces question-nements sont parties des supputations sur une tentative de déstabili-sation de Boumediène". Le "suicide" de Medeghri en 1974 signera lafin du groupe d'Oujda. "Après l'exil extérieur de Kaïd Ahmed, inté-rieur de Chérif Belkacem et la mort de Medeghri, il ne restait plusque Bouteflika et Boumediène". N. B.

Références :1- 3. Abdelkader Yafsah. La question du pouvoir en Algérie.2-Gilbert Meynier. Histoire intérieure du FLN 1954-1962.4- Khalfa Mameri. Les Constitutions algériennes.

■ Evoquer Boumediène revient aussi à parler de son entourage. Il est impensable de se rappeler Houari Boumediène sans mentionner le cland'Oujda, ce groupe de personnes dont il a été le mentor et le chef et sur lequel il s'est appuyé pour asseoir son pouvoir.

Le groupe d’Oujda signera, avec Boumediène à sa tête, l’acte de naissance du régime algérien

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El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 12

CEUX PAR QUI TOUT ARRIVA

LE COLONEL BOUMEDIÈNE ET LE GROUPE D'OUJDA

Page 13: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

Par Nadir Idir

Dans son discours auxcadres de la nation, le chefde l'Etat, HouariBoumediène, a annoncé

une série de mesures tendant à ins-taurer un «système socialiste» touten prévoyant une nouvelleConstitution, des élections présiden-tielles et législatives. Des discussionsdevaient intervenir, mais des événe-ments ont en retardé la tenue. Lacrise avec le Maroc et l'initiativetapageuse du quarteron Abbas-Benkhedda-Kheirddine-Lahouel ontfait que les «débats publics» prévusn'ont été lancés que quelques moisplus tard. Le ministre de l'Industriede l'époque, B. Abdessalem, relèveraque la rédaction de la charte futconfiée au début à un comité res-treint qui «s'est trouvé un temps enplein sommeil». «Le défoulementnational», dont a parlé AbdelkaderYefsah dans son livre sur le proces-sus de légitimation du pouvoir mili-taire, n'a pu avoir lieu. Mais pourquoiun tel texte dans un contexte aussitrouble ? Yefsah parlera de «la der-nière étape du processus de légitima-tion entamé par le régime qui nes'appuyait auparavant que sur la légi-timité révolutionnaire», KhalfaMameri, politologue, et plusieursfois ambassadeur, s'étonnera pour sapart du retard pris par Boumediènepour adopter une nouvelleConstitution, alors que celle de 1963a été gelée bien avant son accessionau pouvoir. Eludant la question de la chartenationale, primordiale pour com-prendre le texte constitutionnel,Mameri reléve dans son dernier livreconsacré aux Constituions algé-riennes, édité chez Thala, que l'hom-me fort du moment qui a déposé BenBella pouvait bien garder le gouver-nement et la Constitution de 1963 eten changer, s'il le faut, quelquesaspects. Mameri parlera des facteursqui ont décidé l'«homme au carou-bier» à adopter «sa» Constitution etpar extension, peut-on ajouter, lacharte nationale : le conflit avec leMaroc, mais surtout l'éclatement pré-visible depuis l'adoption de la révolu-tion agraire, du clan de Oujda. De ceclan d'ailleurs, il ne restait que lechef, les trois autres membres qui leconstituait étaient écartés ou bien neprenaient pas part, du fait des dépla-cements à l'extérieur, à la prise dedécision. Ainsi, Medeghri, KaïdAhmed, et plus tard Cherif Belkacemont été «écartés», tandis que le «frin-guant» ministre des Affaires étran-gères, comme le rappelleAbdessalem dans ses entretiens avecAli El Kenz et M. Benoune, se tenaità l'écart. Tout en adoptant cette pos-ture, Bouteflika ne voyait pas l'utilitéd'un tel texte décidé à la hâte et sup-posé élargir les prérogatives du raïs.«Une blague, du bla-bla», aurait ditle ministre des AE de Boumediène,qui aurait voulu, poursuitAbdessalem, «arriver à faire uneConstitution et réduire les pouvoirs

de Boumediène». Un comité impro-visé de rédacteurs a été installé aulendemain du discours du 19 juin1975. Des personnalités choisiesexpressément par Boumediène y ontpris part. En plus du «papier» sur lemodèle économique de l'Algérie,conf ié à B. Abdessalem,Boumediène fera écrire celui tou-chant aux options politiques parM.S. Benyahia, alors que la partietraitant de la politique culturelle estconfiée à M. Lacheref et R. Malek.Une nouvelle donne s'est toutefoismanifestée, une fois lancés, en mai1976, les débats pour l'«enrichisse-ment» de la charte nationale : les dis-cussions publiques étaient d'une«franchise» peu commune dans unerépublique qui ne s'y est pas habi-tuée. Mais la censure off icielleveillait toujours au grain puisqueplusieurs passages furent coupés lorsdes retransmissions à la télévisionnationale.

LE RÉGIME SOURD À LAREVENDICATION BERBÈRELes théoriciens du régime, regroupésplus tard dans une commission, ont-ils pris en compte les propositionsfaites ? Rien n'est moins sûr lorsquel'on sait que les «propositions» desétudiants berbérophones de la facultéd'Alger, qui ont participé aux débatsconsignés dans des procès-verbaux,n’ont été prises en compte que par-tiellement. Le régime n'a daignéajouter la composante berbère dupeuple algérien que pour mieux l'es-camoter. Du pur saupoudrage desti-né, relève Abdessalem, à plaire àune partie de la population.L'initiateur de cette option n'est autre

que Taleb Ibrahimi, le promoteurzélé de la politique d'arabisation tousazimuts de l'Algérie, poursuit encoreAbdessalem qui n'est pas toujoursdoux avec son collègue du gouverne-ment. La charte nationale est enfinapprouvée le 27 juin 1976 par réfé-rendum et la Constitution le 27novembre. Des élections s'en sontsuivies et Boumediène, unique candi-dat en lice, est élu, comme il fallaits'y attendre, en décembre, par99,38% des votants. La charte a donné le coup d'envoi àune chasse aux «anciens» du régimequi défendaient des idées qui ne plai-saient plus. Le promoteur de la poli-tique économique, de l'industrialisa-tion, quelque peu lésé après cettepériode, essaiera, a posteriori, debattre en brèche les accusations quilui sont portées sur le fait d'avoir«fait virer l'Algérie au rouge», touten ne manquant pas d'affirmer quecette charte était «le summum de lapolitique de gauche deBoumediène». Mais ce qui feraréagir le plus les détracteurs deBoumediène de l'époque sont lesoptions politiques et identitairesmentionnées dans la charte promul-guée le 5 juillet 1976. Les critiquessur le texte n'ont d'ailleurs pas man-qué, lors des discussions publiquesmais surtout après. Donnant le pre-mier l'estocade, le président du FFS,en exil, a averti, début juin 1976, surles dérives que permettra l'adoptiondu texte. «Rien ni personne n'aempêché Boumediène de donner unebase légitime à son pouvoir, tout luicommandait de faire singulièrement,le fait qu'il ait renversé l'homme quilui a confié à lui et à ses amis les res-

ponsabilités les plus importantes,qu'il ait mis en vacance laConstitution alors en vigueur», affir-mera dans une déclaration AïtAhmed, qui assure que le président«détient la totalité de la puissancepublique, concentre tous les pouvoirsen vertu d'un attribut intrinsèque à sapersonne». Et de citer les méfaits dece régime : «Sans aucun titre, ilséquestre Ben Bella qui attend d'êtrejugé ou même inculpé depuis plusd'une décennie, il met "en résidence"deux autres présidents, Abbas et BenKhadda, pour délit d'opinion etemprisonne pour délit culturel desdizaines de jeunes de Kabylie», assu-re-t-il. L'opposant indiquera avec unverbe bien senti que «seul un proces-sus de démocratisation pourraenrayer le processus de déréalisationet de violence».

LE MYTHE D’UN PEUPLEHOMOGÈNEAvec l'adoption du texte, tout espoirde changement est aboli. Un disciplede Hocine Aït Ahmed reviendra à lacharge plusieurs années plus tard.Djamel Zenati parlera dans unecontribution sur «le mythe du peuplealgérien homogène, sans particularis-me». Pour lui, tous les textes fonda-mentaux de la République algérienneassument une volonté d'uniformisa-tion et laissent à l'état de tabou touteréférence aux peuples, aux langues etaux cultures berbères. Le monisme àcaractère jacobin, doublé d'une réfé-rence à l'Islam, va être conforté, sou-tient-il, par la charte nationale de1976. «Pour Abdelkader Yafsah, lacharte était un appel au soutien poli-tique du régime en ce sens qu'elle

visait sa légitimation.» Le pouvoirrévolutionnaire, poursuit-il, recher-chait sa consécration juridique par lebiais d'une approbation,populaire/alibi. «Rien de plus. Dansune Algérie, un système politiquemilitarisé, le juriste Madjid Bencheikparlera pour sa part de cette volontédu régime de l'époque d'édifier unEtat «sérieux, stable et fort» capablede se débarrasser de «l'anarchie quicaractérise les premières années del'indépendance.» Mais le politologuen'y croit pas trop : «Il ne suffit pas devouloir un Etat fort pour le construireet des institutions crédibles pour obte-nir l'adhésion réelle des populations.Ce qui intrigue le plus les constitu-tionnalistes, c'est le fait de bousculerce que l'école normativiste appelle lesacro-saint principe de la pyramidedes normes.» La Constitution, adop-tée le 27 décembre 1976, devant êtrela loi d'où découlent toutes les autres,est biaisée. Le système n'en a pas tenucompte et, avec le soutien de quelquesjuristes du sérail, concoctera destextes sans grande rigueur juridique.L'énoncé de l'article 6 de laConstitution est pour le moins éton-nant : «La charte nationale est la sour-ce fondamentale de la politique de lanation et des lois de l'Etat. Elle est lasource de référence idéologique etpolitique pour les institutions du partiet de l'Etat à tous les niveaux.» Nes'en tenant pas à un juridisme long-temps dénoncé, les concepteurs n'ontvoulu qu'une chose : renforcer lespouvoirs de Boumediène et lui per-mettre de se débarrasser de ses adver-saires, avant même le congrès du FLNprévu pour décembre de l'année 1978ou début 1979. N. I.

ADOPTION DE LA CHARTE NATIONALE EN JUIN 1976

ENFIN LA «LÉGITIMITÉCONSTITUTIONNELLE» !

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 13

■C'est à l'occasion du dixième anniversaire du coup d'Etat militaire de juin 1965 que fut annoncé le projet d’élaboration d'une charte nationale.

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Page 14: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

CORRESPONDANT DU JOURNAL LE MONDE À ALGER

DE LIBÉRALISER LE RÉGIME»

Propos recueillis par Nadir Iddir

Comment s’est déroulée votre premièrerencontre avec le président HouariBoumediène ? Les appréhensions quevous ne manquiez pas d’avoir ont-ellesdisparu depuis ?Correspondant du journal Le Monde auMaghreb, de la Libye à la Mauritanie, rési-dant en Algérie de 1973 à 1978, j’ai rencon-tré Houari Boumediène avant la IVe

Conférence des chefs d’État des pays nonalignés (Alger, 5-9 septembre 1973). Ce pre-mier contact, déterminant pour la suite denos relations, nous éclaire sur sa personnali-té. Je venais de publier La politique arabe dela France et des articles sur l’enseignementde l’arabe. Ils étaient sur son bureau. Après un tour d’horizon, en français, aucours duquel il m’avait interrogé sur mesentretiens avec De Gaulle, Pompidou etNasser, je lui avais dit : «Monsieur lePrésident, je crois que vous accordez vosinterviews officielles en arabe.» Il avaitapprouvé d’un signe de la tête. «Cela ne medérange pas. Toutefois, au Collège SaintMarc, à Alexandrie, mes professeurs égyp-tiens m’ont enseigné un arabe classique, unpeu archaïque.» Il a poursuivi : «Hélas,hélas ! Et cela n’a pas changé !» D’uneextrême courtoisie, il avait eu un geste d’ex-cuse pour m’avoir interrompu et m’a invité àpoursuivre. Je lui ai alors expliqué quej’avais acquis seul mon vocabulaire écono-mique et politique et demandé de me parlerplus lentement en abordant ces thèmes. En grand seigneur, il a répondu : «MonsieurBalta, vous avez beaucoup fait dans vosécrits pour la culture des Arabes et leurdignité. Nous avons commencé en français,nous continuerons donc en français !» Et ilen fut ainsi pendant quelque cinquanteheures d’entretiens en tête-à-tête qu’il m’aaccordés en cinq ans et qui furent d’unegrande liberté de ton.Si j’avais des appréhensions avant l’entre-tien, elles se sont vite dissipées lorsqu’il m’adit : «Vous appartenez au monde arabe parvotre mère. C’est important, car chez nousla mère compte plus. Vous expliquez lemonde arabe de l’intérieur. C’est pourquoij’ai souhaité vous voir nommé correspon-dant à Alger. Voilà, maintenant, vous êtesdes nôtres.»

On disait que l’homme discret ne menaitpas la grande vie. D’où lui est venu cetrait de caractère qui le distingue des pré-sidents qui ont accédé à la magistraturesuprême depuis l’Indépendance du pays ?Discret mais eff icace, timide mais f ier,réservé mais volontaire, autoritaire maishumain, généreux mais exigeant, prudentdans l’audace, voilà comment m’est apparuBoumediène. Pourquoi ? Né dans une famil-le de paysans pauvres, de père arabophone etde mère berbérophone, il estimait qu’ilincarnait les deux grandes ethnies del’Algérie. En outre, il a passé son enfanceparmi les fellahs dont il a conservé la rusti-cité dans sa vie personnelle. Une fois au pouvoir, il considérait que l’ar-gent de l’État appartenait à la nation et nedevait pas être dilapidé. Par exemple,contrairement à plusieurs chefs d’Étatarabes, il ne s’est pas fait construire un oumême plusieurs palais luxueux en Algérie ouà l’étranger. De même, pour ses déplace-

ments à Alger et dans les wilayas voisines, ildisposait de voitures confortables, sans plus.À ses yeux, avoir des autos de luxe du genreRolls Royce ou Mercedes, c’était du gas-pillage. Il m’avait raconté qu’un émir duGolfe lui avait offert une de ces voitures deluxe qu’il a aussitôt fait mettre dans un gara-ge. Après sa mort, on l’y a retrouvée rouilléeet pratiquement inutilisable.Je signale aussi qu’à la suite de son mariageavec Anissa El-Mensali, jeune avocate auBarreau d’Alger, début 1973, période oùl’Algérie reçoit de nombreux chefs d’État ets’aff irme sur la scène internationale, onremarque plus de recherche dans le choix deses costumes, il change souvent de cravate etremplace son traditionnel burnous marronassez rugueux par un superbe burnous noiren poil de chameau, dont deux oasis saha-riennes ont la spécificité.La meilleure preuve de son intégrité : à samort, il n’y avait que 6000 dinars sur soncompte CCP et c’était le seul qu’il avait.Homme intègre, Boumediène a certes ferméles yeux sur les abus (détournements defonds ou de terres agricoles, abus de pou-voir, etc.) commis par des chefs militaires.Interrogé sur ce point, il m’avait répondu :«J’aurais voulu m’en séparer, mais je n’aipas trouvé des gestionnaires aussi capablespour les remplacer.» Il a néanmoins veillé àlimiter au maximum le phénomène de la cor-ruption. C’est sous Chadli Bendjedid qu’elleprendra une forme quasi institutionnelle.

La liberté de ton et l’ouverture d’espritqu’il avait en privé avec ses interlocu-teurs, surtout étrangers, necontrastent–elles pas avec l’ambiancegénérale des libertés personnelles et col-lectives? Des opposants au régime enplace ont été contraints à l’exil, alors qued’autres furent malmenés pour «menéessubversives». Comment expliquer cecontraste ?Certes, on peut citer plusieurs exemples.Ainsi jugeait-il sévèrement les responsablesdu FLN qui avaient profité de leur positionpour s’adjuger des biens ou de l’argent. Onpeut citer aussi le cas de Kaid Ahmed, quil’avait rejoint en 1965 et qu’il avait nommémembre du Conseil de la Révolution et

ministre des Finances. En 1969, il deviendranuméro deux du système et sera nommé auposte de responsable de l’appareil du FLN.En désaccord avec Boumediène au sujet del’application de la Révolution agraire, ildémissionne en 1974 et s’exile en France,puis en Libye et, enfin, au Maroc. Toutefois, des cas comme celui-ci sont peunombreux en comparaison avec la plupartdes pays arabes où les chefs d’État sontimpitoyables avec les opposants.Je rappelle que Boumediène avait troiscercles de collaborateurs : 1- le noyau dur,très proche de lui, 2- ceux de la présidence,choisis en fonction de leurs compétences etde leur disponibilité, 3- ceux auxquels ildéléguait ses pouvoirs. J’ai pu constater quand j’allais à la présiden-ce ou lorsque je couvrais un de ses voyagesdans le pays, qu’il avait un rapport de cour-toisie avec ses collaborateurs, qu’il s’agissedes ministres, de ses conseillers et aussi deses secrétaires, de ses chauffeurs et de sesgardes du corps. Néanmoins, il était aussi très ferme et exi-geant, comme il l’était avec lui-même. Jesouligne qu’il l’était aussi, sauf en de raresexceptions, avec ses interlocuteurs étrangers. Le président Boumediène comptait fairede «grandes choses» et surprendre sesproches collaborateurs en engageant desréformes... Malheureusement la maladiel’a pris de court. Qu’en est-il exactement ?Ses réflexions, au cours de notre dernierentretien, m’avaient donné à penser qu’ilenvisageait de libéraliser le régime. LeMonde ayant décidé de m’envoyer en Irancouvrir la Révolution islamique de l’ayatol-lah Khomeyni, j’ai rencontré Boumediène àla f in août 1978 pour l’en informer et luifaire mes adieux. Il m’a dit être consterné et a insisté pour queje reste : «Vous avez vécu la mise en placedes institutions, il faut aller jusqu’au bout. Ilva y avoir des changements importants.J’envisage, pour la f in de l’année ou ledébut de 1979, un grand congrès du parti.Nous devons dresser le bilan, passer enrevue ce qui est positif mais surtout exami-ner les raisons de nos échecs, rectifier noserreurs et définir les nouvelles options.Témoin de notre expérience, vous êtes lemieux placé pour juger ces évolutions.» Je lui ai alors posé ces questions :«Envisagez-vous d’ouvrir la porte au multi-partisme ?» «Allez-vous accorder plus deplace au secteur privé ?» «Pensez-vous libé-raliser la presse et faciliter l’organisationdu mouvement associatif ?» La façon dont ilavait souri allait dans le sens d’une approba-tion. Il avait conclu : «Vous êtes le premier àqui j’en parle. Je ne peux être plus explicitepour le moment. Faites-moi confiance, vousne serez pas déçu !» Par la suite, AhmedTaleb Ibrahimi m’avait dit que le Présidentl’avait informé de cet échange et confirmésa volonté de changement. Le Monde avaitmaintenu mon rappel et Boumediène, mortle 28 décembre, n’a pu mettre en oeuvre sesréformes.

Boumediène s’était entouré d’hommes quilui sont restés f idèles jusqu’à la f in.Comment s’est fait son choix ? Ces hommesse sont-ils imposés à lui au gré des ren-contres et des crises qu’a connues le FLNdurant la guerre de Libération ? Cette gardeprétorienne pouvait-elle lui échapper ?

Dès les années 1950, Boumediène se méfiaitdes hommes politiques. Il reprochait ànombre d’entre eux de s’être embourgeoisésdans les capitales arabes et autres et de selivrer à des intrigues pour satisfaire leursambitions personnelles. En outre, le FLNdont il reconnaissait le rôle déterminant dansla mobilisation contre la colonisation luiapparaissait comme un mouvement déchiréentre tendances divergentes. Voyant loin, ils’appliqua alors à faire de l’ALN une forceorganisée et disciplinée, garante une foisl’Indépendance acquise de l’unité nationaleet territoriale au nom de l’idéal révolution-naire. Dès lors, l’armée est devenue sa véri-table famille.Parmi les collaborateurs qui étaient les plusproches de lui et qui étaient souvent sesconf idents, je citerai ceux que j’ai bienconnus. Ahmed Taleb Ibrahimi, médecin deformation, ministre de l’Information et de laCulture, à mon arrivée. C’est un hommed’une très grande culture arabe et française.Abdelaziz Bouteflika, qui a eu le privilèged’être à l’échelle internationale le benjaminpuis le doyen des ministres des Affairesétrangères (1963-1979) et le président del’Assemblée générale de l’ONU en 1974, luiaussi m’avait souvent reçu en tête-à-tête etfait des confidences qui m’avaient beaucoupaidé dans mon travail. Il y avait aussi le Dr

Mahieddine Amimour, chargé des relationsavec la presse à la présidence.Anissa Boumediène m’avait expliqué queBoumediène respectait le principe de la col-légialité. Exemple : lorsqu’un ministre pro-posait un projet ou une directive en contra-diction avec son point de vue, il lui disait :«J’accepte. Si ça marche, c’est toi qui enbénéficieras. Si ça ne marche pas, c’est lePrésident qui en assumera la responsabili-té.»De toute façon, sa garde prétorienne n’avaitaucune raison de lui échapper.

Pourquoi Boumediène est-il resté plus dedix ans après sa prise du pouvoir avant dese résoudre à initier des textes valant«code de gouvernance» (Charte etConstitution de 1976), alors qu’il s’esttoujours efforcé de donner de lui-mêmel’image de quelqu’un qui incarnait l’Etat,qui avait «cette passion d’Etat» dont vous-même vous aviez parlé ?Effectivement, Boumediène avait la «passionde l’État» et n’a cessé de le prouver. Il vou-lait tout d’abord édifier l’État centralisé quel’Algérie n’avait pas eu dans le passé,contrairement au Maroc et à la Tunisie et il aréussi. Il était également très f ier d’avoirinstitué les Assemblées populaires commu-nales (APC) en 1967, puis les Assembléespopulaires de wilaya (APW) en 1969. Aucours d’un entretien début 1975, il m’avaitdit : «Pour ce qui est de la démocratie, mesprédécesseurs ont fait les choses à l’enversen commençant par l’Assemblée nationale,c’est comme s’ils avaient placé la pyramidesur la pointe. Moi, j’ai commencé par labase.»Je lui avais alors fait observer que APC etAPW auraient bientôt dix ans. Dès lors, nefallait-il pas envisager la mise en placed’une Assemblée nationale ? Il m’avaitrépondu : «Je crois que nous ne sommes pasmûrs.» Je lui ai demandé : «Qui, nous ?» Et

PAUL BALTA, ANCIEN

«BOUMEDIÈNE ENVISAGEAIT

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■Véritable homme frontière comme on n’en trouve plus de nos jours, Paul Balta a séjourné à Alger durant les années 1970. Sous-chef du ser-vice Proche-Orient au journal Le Monde, il a été correspondant au Maghreb, avec résidence à Alger de 1973 à 1978. Dans l’entretien qu’il nousa accordé, ce passeur entre les cultures et amoureux de la Méditerranée reviendra sur le parcours de l’homme fort d’Alger qu’il a connu etdont il a apprécié les qualités, indéniables, soutient-il. D'ailleurs, le journaliste ne s’est jamais départi de la sympathie qu’il a pour le présidentalgérien. L’écrivain le fait toujours savoir dans ses entretiens avec les mêmes mots, toujours bien sentis. Paul Balta a écrit, entre autresouvrages, La Stratégie Boumediène, Sindbad, 1979 ; La Vision nassérienne, Sindbad, 1982 ; ou encore L’Algérie, éditions Milan, Toulouse, 2000.

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il m’a répondu : «Le peuple algérien.» Je n’ai pas hésité à exprimer mon étonne-ment, en soulignant que ce peuple avaitdonné la preuve de sa maturité politique aucours des huit ans de la guerre de Libération,mais aussi depuis l’Indépendance et, surtout,depuis son accession au pouvoir en accep-tant bien des sacrif ices pour favoriser ledéveloppement à marche forcée.Il fronça les sourcils et prit le temps de laréflexion avant de s’exclamer : «Non, nousne sommes pas mûrs. En effet, contrairementaux APC et aux APW, l’Assemblée nationalesera une vitrine intérieure et extérieure. Jene voudrais pas qu’elle soit la vitrine de nosdivisions et de nos régionalismes.»Néanmoins, réflexion faite, il ne tardera pasà mettre en œuvre une série de réformes :l’adoption en 1976 de la Charte nationale,puis celle de la Constitution et l’élection duprésident de la République au suffrage uni-versel. En 1977, l’Assemblée nationale seraenfin mise en place afin que «la légitimitérévolutionnaire soit couronnée par la légiti-mité constitutionnelle».

Les relations avec la France de De Gaulleet par la suite de Giscard et avec d’autrespays étaient empreintes d’une certaineconstance. La diplomatie, soutient-on tou-jours, n’a jamais connu autant de prestigeque durant son règne. A quoi attribuez-vous cela ? Peut-être aux relations qu’au-raient tissées, pendant la guerre, lesréseaux du FLN…Le général de Gaulle voulait préserver l’ave-nir de la coopération malgré les passionssuscitées par le conflit au Sud et au Nord. Ilm’avait dit, en 1967, avoir de la considéra-tion pour Boumediène qui venait d’accéderau pouvoir. D’ailleurs, vers la fin de la guer-re, un de ses collaborateurs avait établi etcommenté une liste des chefs de l’ALN.

Devant «Boumediène», il avait écrit :«Obscur colonel qui ne semble pas voué àun grand avenir.». Le général avait ajouté :«Je pense exactement le contraire.» L’homme du 18 juin 1940 avait compris lesmotivations de celui qui est devenu l’hommedu 19 juin 1965. Les deux communiquaientà travers leurs ambassadeurs. En 1967, invitépar De Gaulle à Paris pour une visite de tra-vail, Boumediène avait décliné l’offre, car ilsouhaitait une visite d’État avec cortège surles Champs-Élysées et dépôt d’une gerbe defleurs à l’Arc de Triomphe. Mais un tel céré-monial était prématuré, compte tenu desblessures non encore cicatrisées. GeorgesPompidou (1969-1974) renouvela l’invita-tion, mais la nationalisation des hydrocar-bures (février 1971) entraîna l’ajournementdu projet. Finalement, c’est Gaiscardd’Estaing qui proposera de faire la visited’État en Algérie, en 1975. Dans son dis-cours d’accueil officiel, Boumediène avaitaff irmé vouloir «tourner la page, sans ladéchirer» et proposé une importante coopé-ration entre l’Algérie et la France. Hélas,selon ce que m’avait confié notre ambassa-deur, M. Soutou, «Giscard l’avait considérécomme un bougnoul et n’avait guère pris enconsidération ses multiples propositions».Boumediène ne m’avait pas caché sa décep-tion. Il avait alors souligné son admirationpour De Gaulle : «Ce visionnaire, rénova-teur de la politique arabe de la France.» Ilconfirmera sa position dans son message decondoléances, à la mort du général en 1970 :«Je m’incline devant le patriote exceptionnelqui a su concevoir dans une vision noble etgénéreuse (...) l’avenir des peuples algérienet français.» Quoi qu’il en soit, certains deses conseillers avaient suggéré àBoumediène de «banaliser» les rapportsentre Alger et Paris. Il avait répondu : «Onne peut ignorer le poids de l’histoire. Lesrelations entre la France et l’Algérie peuvent

être bonnes ou mauvaises. En aucun cas,elles ne peuvent être banales !»Le système Boumediène s’est-il perpétuéaprès sa disparition ou bien ses succes-seurs ont dilapidé l’héritage qu’il a laissé ?À ma connaissance, c’est AbdelazizBouteflika qui aurait dû lui succéder. En fait,c’est sous Chadli Bendjedid que la corrup-tion, dont il a été le premier bénéficiaire,s’est institutionnalisée. En outre, le dévelop-pement économique s’est dégradé, le chôma-ge a atteint des proportions inquiétantes et lefossé s’est creusé gravement entre riches etpauvres. De même, la dégringolade s’estproduite dans le domaine de la culture et surle plan international. Cette évolution a favo-risé la montée des mouvements islamistesqui ont acquis de la popularité en dénonçantces erreurs. Ces mouvements dont l’idéolo-gie et les actions sont contraires à l’islamsont à l’origine du terrorisme des annéesnoires qui ont fait plus de 150 000 morts.Oui, dans l’ensemble, ses successeurs – àpart Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin1992, six mois après son accession au pou-voir - ont dilapidé l’héritage de Boumediène.Abdelaziz Bouteflika, élu président en 1999,a amorcé le redressement.

D’aucuns font le rapprochement entre lapersonnalité de Boumediène et celle deBouteflika, alors que des frictions sontapparues durant le règne du premier. Est-ce de nouveau la «boumediénisation» àoutrance de la vie politique après unintermède de plus de vingt ans ?Certes, il y a eu quelques points de désac-cord et des frictions entre Boumediène etBouteflika. Par exemple, ce dernier avait faitobserver que, selon les règles diplomatiques,il revenait à Giscard d’Estaing de recevoirBoumediène à Paris, puisque la France avaitlancé la première invitation dès 1947.Finalement, Boumediène avait tranché en

faveur de la visite estimant que Giscardd’Estaing avait fait un geste de «bonnevolonté» en proposant d’aller en Algérie,alors qu’il était surtout ami du roi Hassan II.Ces divergences faisaient partie du jeu et neportaient pas sur l’essentiel. En effet, la poli-tique étrangère très dynamique a été mise enoeuvre par Boumediène et Bouteflika. Elle apermis à Alger, pour la première fois de sonhistoire, de nouer des liens jusqu’en Asie, enAmérique latine et au Canada et d’occupersur la scène internationale une place quiallait bien au-delà de son poids réel. Elle a perdu cette place à la présidence deChadli Bendjedid et n’a commencé à laretrouver qu’après l’élection de Bouteflika àla présidence en 1999.

Boumediène peut-il encore servir demodèle pour la génération actuellelorsque l’on sait que le personnel politiquequi a servi sous son règne est toujours auxcommandes ?Même s’il a commis des erreurs - quel chefd’État n’en a jamais commis ? -, je crois per-sonnellement que Houari Boumediène peutencore servir de modèle sur de nombreuxplans, comme nous l’avons vu. Que des membres du personnel politique quia servi sous son règne soient toujours auxcommandes n’enlève rien à son apport. Jeretiens en par ticulier son amour pourl’Algérie et pour le peuple algérien, sa pas-sion de l’État, son intégrité, son côté vision-naire. N’oublions pas qu’en avril 1974, il apar ticipé à la Session spéciale del’Assemblée générale de l’ONU où il a lancéles grandes lignes du Nouvel ordre écono-mique international et proposé un Nouvelordre politique et un Nouvel ordre culturel,prenant en compte les apports et les besoinsdes pays en développement. Ces problèmessont toujours d’actualité ! N. I.

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Paul Balta correspondant du journal Le Monde à Alger de 1973-1978

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Page 15: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

Zbiri, tu sais que j'ai toujours eu confiance en toi…- Ecoute, ne perdons pas de temps,habille-toi. Tu es arrêté par le conseil de

la Révolution.»Il est 2h25 du matin, dans la nuit du 18 au 19 juinlorsque Ahmed Ben Bella, que l'on vient deréveiller en sursaut, entend cette phrase de celuiqu'il a lui-même nommé chef d'état-major de l'ar-mée. Le président algérien ne comprend pas. A côtéde Tahar Zbiri, se tient le commandant Draïa, qu'ilvient de nommer directeur de la Sûreté et qui futcommandant des compagnies nationales de sécuri-té, c'est-à-dire de la garde prétorienne de Ben Bella.Il y a aussi Saïd Abid, qui commande la premièrerégion militaire du Grand-Alger et avec lequel il aeu quelques jours avant un très amical entretien.Ben Bella les regarde tous les trois comme pourtenter un rappel au loyalisme. En vain. D'ailleurs, iln'est pas en forme. Il ne réalise pas vraiment ce quise passe. Il s'est couché tard, et lorsqu'un cri de lafidèle servante l'a brusquement réveillé, il a cruqu'on venait lui annoncer une nouvelle importante.Il s'est endormi fort de trois convictions. A la veillede la conférence afro-asiatique, lui, Ben Bella, peuttout se permettre et il va le montrer dès samedimatin. Ensuite, il a divisé ses principaux ennemis,les hommes du ministre de la Défense nationale,Houari Boumediène, et vient de conclure un accordqui lui procure le soutien kabyle. Enfin, un certainnombre de points vitaux de la capitale sont depuissix mois gardés par les compagnies nationales desécurité, dont on lui a assuré tous les jours qu'ellesne comprennent que des hommes prêts à mourirpour lui. C'est pourquoi, maintenant, il s'attarde surDraïa, le créateur de ces compagnies.Tahar Zbiri répète sèchement : «Dépêche-toi, lacomédie est terminée.» On entend des tirs, qui don-nent aux propos du chef d'état-major un poids déci-sif. C'est plus qu'une fusillade. A Hydra, une colli-ne située, à vol d'oiseau, à un kilomètre à peine dela villa Joly, siège de la police judiciaire, est atta-quée au bazooka. Pour faire leur rapport, lesmembres de l'ambassade des Etats-Unis décèlerontle lendemain 221 traces de projectiles. Une compa-gnie de la garde nationale refusait de se rendre. Il ya eu huit morts.Ben Bella s'habille et descend du sixième étage,encadré par le colonel et les deux commandants. Ilse souvient que Tahar Zbiri est sentimental ; il tenteun dernier appel. Il profère un juron arabe, où figu-re le mot «diable» et qui signifie qu'une malédic-tion pèse sur la révolution algérienne. Devant leregard dur de Tahar Zbiri, il affiche une attitudedigne. Il déclare : «D'accord, je suis prêt.»Avant de monter dans la voiture qui le mènera dansune caserne de Maison-Carrée, à 20 km d'Alger, ilregarde les sentinelles. Ce ne sont plus seshommes. Ce sont des paras, en uniformes bariolés,les fameux «commandos de la mort», le régimentd'élite du colonel Boumediène.Tout a duré cinq minutes au plus. Alger a une foisde plus son visage de complot et de putsch. La nuity est somptueuse. Les étoiles au-dessus des cyprès,des pins et des acacias brillent comme au cœur dudésert. La clarté bleue de la baie, l'une des plusadmirables du monde, annonce un petit matin pré-coce et impétueux. C'est une description que l'onretrouve, à un terme près, dans tous les récits descomplots qui jalonnent l'histoire de cette capitalesingulière.Dans la voiture, Ben Bella ne dit plus un mot. C'estla fin de ce sourire un peu grimaçant, un peu pou-pin, aussi, dont les femmes algériennes sont amou-

reuses et qui les fait tressaillir chaque fois qu'ellesle voient à la télévision. C'est la fin du rictus éner-gique et du geste vengeur que les gosses, tous lesgavroches et les sciuscias d'Alger idolâtrent lorsqueBen Bella arrive dans un un stade. Précisément, cefut une semaine où la passion sportive desAlgériens s'est accordée avec celle extraordinairedu chef de l'Etat.

LE RÊVE DE BEN BELLA

Depuis sa prison française, Ben Bella rêvait de voirjouer Pelé, le fameux héros du football brésilien.Non seulement, son rêve s'est réalisé, mais c'est entant que président de la République que Ben Bellaa pu inviter, chez lui, sur ses stades, l'équipe brési-lienne. Pelé est là. Sans doute, à Oran, jeudi soir, ila un peu déçu. Il a marqué ses trois buts avec unrien de dédain. Sans doute, aussi, Pelé a-t-il blesséla susceptibilité sportive des Algériens en répon-dant à un journaliste de Révolution africaine, quilui demandait ce qu'il craignait le plus dans l'équi-pe algérienne : «Le terrain…» Mais le dimanchesuivant, le match de revanche devait avoir lieu etdes dizaines de milliers d'adolescents s'apprêtaientà communier dans la plus déchaînée des joies avecBen Bella.C'est la fin aussi de ce véritable triomphe romainque se préparait à lui-même Ben Bella pour laconférence afro-asiatique. Il se souvenait de l'ivres-se qu'il avait connue pendant les succès, il y a deuxans, de la conférence d'Addis-Abeba. Il avait eul'impression d'éclipser tous les grands. Nasser,N'Krumah, Nehru, il les avait tous eus : comme aufootball. La veille, le vendredi après-midi 18 juin, ilse faisait longuement photographier au Club desPins, parmi les installations qu'il avait lui-mêmefait construire pour la conférence du Tiers Mondeet dont il surveillait personnellement l'avancementtous les jours.Les photographes de Paris-Match ne revenaient pasde la juvénilité de sa complaisance. Ce n'est pour-tant pas le dernier contact qu'il eut avec des journa-listes. Il reçut ensuite les collaborateurs deNewsweek. Au cours de cet entretien, il devait seséparer de la modération nassérienne à proposd'Israël. «Je veux la disparition de cet Etat, par lanégociation si l'on veut, mais la disparition.»A 3h du matin, la célèbre, l'exceptionnelle, la ful-gurante «baraka» de Ben Bella s'enfouissait dans lenéant. A 49 ans (il lui arrivait de cacher son âge etde dire qu'il n'en avait que 47), il perdait un destinet conservait à peine une existence.Tandis que la voiture se dirige vers Maison-Carrée,le colonel Tahar Zbiri se rend, lui, au ministère dela Défense nationale. Quelques passants se rappel-leront, le lendemain, avoir vu à toutes les heures dela nuit de la lumière à travers les vitres des bureauxdu ministère. C'est une veillée d'armes. LorsqueTahar Zbiri déclare à Houari Boumediène que lamission est accomplie, ce dernier est entouré de sesfidèles : les seuls qu'il ait mis au courant de l'opé-ration. Il y a d'abord et avant tout, AbdelazizBouteflika, ministre des Affaires étrangères, ancienofficier que Ben Bella prévoyait de remplacer, pré-cisément, le samedi matin. Il y a Ahmed Medeghri,ancien ministre de l'Intérieur, ancien officier. Il y aChérif Belkacem, ministre de l'Education nationa-le, ancien officier.Enfin, il y a l'état-major de Boumediène, cinq offi-ciers pour qui le colonel, c'est le «patron». Ilsmènent la même vie que le ministre : une vie d'as-cète. Ils sont, comme lui, patriotes au sens à la foisle plus étroit et le plus intense du mot. Ils ont mêmeentre eux une étrange ressemblance physique :maigres, secs et noueux, du genre qui vieillit vite etqui reste longtemps vieux. Houari Boumediène estle type parfait de ce genre d'Algérien peu connu àl'étranger et répandu dans les Hauts-Plateaux. Sespommettes saillantes lui donnent un mystère asia-tique qu'il accentue par un silence opiniâtre, desgestes rares. Un témoin raconte : lorsqu'il apprendque la mission est accomplie, il fume sa premièrecigarette. Depuis un an, il s'était arrêté de fumer.

Evidemment, il ne boit pas d'alcool. On ne luiconnaît qu'une compagne discrète et intermittente.Il laisse dire qu'il comprend mal le français et qu'ils'exprime difficilement. Cela sert sa timidité relati-ve. En fait, plusieurs officiers français ont eu aveclui des conversations longues, précises et approfon-dies. Il a peur de la foule, n'aime pas le contact avecle public, n'arrive pas à regarder en face l'objectif dela télévision. Il paraît à la fois possédé et ennuyé.Cette nuit, il est calme. Il attend d'autres rapportsdans une gravité à peine souriante.

L'HOMME DES EGYPTIENS

Les rapports arrivent. Dans tous les coins de laville, dans toutes les régions du pays, le plan a étéappliqué avec une minutie et une efficacité totales.Le plan comportait des arrestations : elles sontfaites. Le premier arrêté a été Nakkache, ministrede la Santé, ancien officier de Boumediène, rallié àBen Bella. Pour l'armée : un traître. Pour les méde-cins : un homme incompétent. Pour un certainnombre d'autres : un homme au redoutable couragephysique. Il vient de le prouver. Il a résisté, il a reçutrois balles dans la poitrine. On pense qu'il s'en sor-tira tout de même, mais en prison.Le second, c'est Hadj Ben Allah, le plus fidèle desbenbellistes. Après un moment de résistance, il s'estlaissé arrêter. Le troisième, Hamadache, directeurde la Police judiciaire, a fait, disent ses ennemis (aunombre desquels tous les avocats), torturer de nom-breux prisonniers politiques de quelque bord que cesoit d'ailleurs ; s'il est arrêté, ce n'est pas commetortionnaire, c'est comme corrupteur.Il y a enfin Abdelahram Chérif, ministre desAffaires arabes et ancien chef de cabinet de BenBella. Lui, c'est un cas particulier. Il est accuséd'être «l'homme des Egyptiens». De tout procureraux services secrets de la R.A.U. au point que l'am-bassadeur d'Algérie au Caire s'aperçoit que le gou-vernement égyptien est bien mieux informé que luisur ce qui se passe en Algérie. Or, dans aucun paysarabe, la R.A.U. n'est aussi impopulaire que surl'ensemble du territoire algérien. Cela veut-il direqu'aux yeux de Houari Boumediène, Ben Bella estlui aussi inféodé à l'Egypte ? C'est plus complexe.Pour le ministre de la Défense nationale, Ben Bellajoue un jeu personnel avec les Egyptiens commeavec les Russes et les Chinois. La patrie algérienneest absente dans la stratégie du chef de l'Etat.Abdelahram Chérif, d'origine tunisienne, quiconnut Ben Bella en Libye, est aussi celui qui -selon Boumediène - poussa à la guerre contre leMaroc pour servir les intérêts égyptiens. Lorsqueles Marocains le trouvèrent, il y a 18 mois, dans unhélicoptère égyptien, accompagnant des militairesde la R.A.U. en uniforme, ils le torturèrent. BenBella obtint sa libération avec l'aide des Egyptiens.

Il est aujourd'hui en prison.A 3h du matin, Boumediène déclare : «Maintenant,il faut prévenir les autres. De qui s'agit-il ? Il fautremonter trois jours avant pour le comprendre.»Lestrois jours de réunion des cinquante membres duComité central du F.L.N. Les 14, 15 et 16 juin».Depuis plus de trois mois deux hommes, AbdelazizBouteflika et Ahmed Medeghri, tentaient de per-suader «le patron» que l'heure était venue de desti-tuer Ben Bella. Boumediène n'en était nullementconvaincu. A chaque preuve que ses deux fidèleslui apportaient de la duplicité ou des égarementssupposés du président de la République,Boumediène répondait qu'on ne pouvait courir lerisque de faire subir à nouveau au peuple algérienune guerre civile comme celle de juillet 1962. Ceuxqui sont bien informés savent que cette guerre civi-le n'a pas fait moinsde 3 000 morts. Laguerre avec le Marocsur les frontières en afait presque autant.Boumediène étaitconscient de deuxchoses : que sonarmée constituaitdans la nation unesociété exemplaire,mille fois plus pure,plus idéaliste, et plusefficace que les autres; et qu'elle n'était paspopulaire alors queBen Bella savaitentretenir son mythe et soigner sa légende. Il n'étaitpas, jusqu'au désordre, inséparable de sa nature,dont Ben Bella n'arrivait pas à tirer parti. Un jour,déjeunant aux côtés de l'épouse d'un ambassadeuroccidental, Ben Bella déclarait : «On reproche àFidel Castro son désordre, mais moi, chèreMadame, j'aime ce désordre et je m'y sens à l'aise.»Il voulait dire, bien sûr, qu'il préférait le romantis-me de la révolte à l'organisation de la révolution, etqu'il craignait le moment où l'élan révolutionnaireserait maté par des structures sans âme. Pour l'aus-tère ministre de la Défense nationale, il fallaitattendre. Attendre que le personnage se démasque.

«COMBIEN VEUX-TU ?»

En fait, et comme en 1962, il fallut attendre queBoumediène lui-même fût menacé. C'est de la déci-sion du gouvernement provisoire de la Républiquealgérienne, présidé par Ben Khedda, de destituerBoumediène que naquit la coalition avec Ben Bella,qui aboutit à une guerre civile dont l'Algérie paieencore aujourd'hui la note. C'est de la décision prisepar Ben Bella de remplacer Boumediène que le

complot du 19 juin est né. Mais, auparavant, la pro-gression avait été continue et déterminante. Pourses propres amis, pour son habituelle «clientèlepolitique», Ben Bella était devenu une sorte deCaligula. Et ce, en même temps que sa popularité àl'intérieur comme à l'extérieur atteignait son apo-gée.C'est la raison du divorce, que l'on a pu observeraprès l'arrestation de Ben Bella, entre l'inertie ou leralliement des cadres et les manifestations hostilesde la jeunesse et des femmes. En réalité, non seule-ment Boumediène ne sous-estimait pas la populari-té intérieure et le prestige extérieur de Ben Bella,mais, au contraire, c’est dans cette popularité et ceprestige qu'il voyait le mal absolu : l'illusion tra-gique, le gigantesque rideau de fumée qui voilait lechômage, la désorganisation, la corruption, bref la

faillite nationale.Lui, Boumediène,avec la simplicitédéconcertante deceux qui se croientélus, se considéraitcomme le «gardiende la patrie». Le jouroù ce «gardien» étaitmenacé, d'abord soncercle amical, ensui-te sa personne, alorsla patrie était endanger. C'est uneattitude qui fait soitles Pancho Villa,soit les De Gaulle,

soit aussi les Hitler. Rien n'est joué.En tout cas, pendant toutes ces semaines, commentréagit la «clientèle» de Ben Bella ? L'un déclareaujourd'hui que le président de la RépublIque algé-rienne avait toujours dans son coffre-fort de quoicorrompre le moindre opposant. Un autre assureque chaque fois qu'un ami était reçu à la présiden-ce, on ne pouvait savoir s'il sortirait libre ou lesmenottes aux mains. Peu à peu, Ben Bella préten-dait concentrer entre ses mains tous les porte-feuilles ministériels importants dans un pays à qui130 ans de démocratie française, même fausse, ontdonné le goût de la liberté, de la fronde et de la res-ponsabilité. Dans les ambassades, on l'appelait«Sidi Ahmed le bien-aimé». Dans aucune autrecapitale arabe, cette expression ne pourrait appa-raître injurieuse. Au respect de la Constitution, BenBella opposait la «démocratie de la rue», la plébis-cite des meetings populaires, à la Castro. C'est pré-cisément ce qui déplut à Boumediène lors de sonvoyage à Cuba. «C'est un homme de Boumediène,le seul ambassadeur juif de la République algé-rienne, qui représente l'Algérie à La Havane.»On raconte l'histoire du fameux commandant

Azzeddine. Ben Bella traverse le désert pour ren-contrer le président du Niger, Hamahi Diori. A sonretour, il s'arrête à Tamanrasset où Azzeddine est enrésidence forcée. Il lui dit : «Je te libère, soyonsamis. De combien d'argent as-tu besoin pour vivre?» Azzeddine répond qu'il ne peut pas être ami,qu'il n'a pas besoin d'argent et qu'il veut être libéré,à la condition que deux de ses amis injustementaccusés soient libérés. Lui, Azzeddine, considèreavoir été justement accusé. Ben Bella accepte,prend Azzeddine dans son avion. Une semaine plustard, il n'a pas encore libéré ses amis, mais il offreleur libération en échange du soutien politiqued'Azzeddine. Il propose encore de l'argent, commeà tout le monde. Il a fini par croire que tout est àvendre, que tout peut être acheté, le pouvoir l'arendu cynique. Il veut plaire à tout prix. Et il mépri-se tout le monde. C'est ce que disent, aujourd'huiseulement, il est vrai, la majorité des cadres. BenBella avait des complices. Il n'avait pas de parti-sans, sauf dans cette masse dont il a passionnémentrecherché et obtenu le soutien.

«FAISONS COMME LES CUBAINS»

Jusqu'aux jours des réunions historiques du Comitécentral, le 16 juin, les cinquante membres se réunis-sent au complet. Le FLN a trois instances : lebureau politique au sommet, ensuite le comité cen-tral et enfin le congrès. A la dernière réunion desdix-sept membres du bureau politique, Ben Bellaavait exaspéré la plupart en adoptant les mêmesméthodes qu'en Conseil des ministres. Il a l'habitu-de, après un exposé, de demander : «Qui n'est pasd'accord ?» Si quelqu'un lève la main, au lieu de luidonner la parole, il dit : «Dans ces conditions, leprojet est adopté à l'unanimité moins une voix.»Cette fois, certains membres du Comité central sontdécidés à ne pas se laisser faire. Ben Bella com-mence par attaquer d'une façon violente son proté-gé de toujours, son disciple de la veille, Ali Mahsas,ministre de la Réforme agraire. «Rien ne marchedans ton ministère, le peuple se plaint, les comitésde gestion sont un échec, cela ne peut plus durer.»Ali Mahsas s'irrite. Il rappelle que, le mois précé-dent, il a offert sa démission à la condition qu'ellesoit accompagnée d'une autocritique par le gouver-nement tout entier. «Puisqu'on se réfère à Cuba,faisons comme les Cubains. Dénonçons nospropres méthodes.» Ben Bella est furieux. Pourprouver que ce n'est pas le gouvernement qui est encause, mais seulement la gestion d'Ali Mahsas, ildonne la parole à Zahouane, un jeune Algérien,honnête et sérieux qui, avec Mohamed Harbi, ali-mente l'inspiration socialiste des discours de BenBella. Sereinement, Zahouane fait une critiquesavante de la gestion sans d'ailleurs faire aucune-ment le procès de Mahsas. Ce dernier a, d'ailleurs,

de l'estime pour Zahouane. Mais Mahsas pense queBen Bella n'accepte totalement ni sa conception, nicelle de Zahouane, et déclare en avoir eu maintespreuves. Il dit à Ben Bella : «Tu as déjà la prési-dence, l'Intérieur, l'Information, une partie desAffaires étrangères ; si tu veux un autre ministère,je te donne volontiers le mien.» Boumaza, un autreancien fidèle de Ben Bella - qui a l'impression, luiaussi, d'être sur le point d'être remplacé -, vient ausecours de Mahsas. Ben Bella est hors de lui.Pendant ce temps, Boumediène et ses partisansn'ont rien dit. Pour la première fois, ils viennentd'assister à l'éclatement du groupe Ben Bella. Ils entireront les conséquences.L'explication, ils la connaissent. Ben Bella a besoinde places vides pour faire entrer dans son gouver-nement des hommes à lui, qui ne seront pas desministres mais des secrétaires d'Etat. Il veut prendrepour lui le ministère des Affaires étrangères, carBouteflika est devenu un ennemi à éliminer, ainsique le ministère de la Défense nationale, car il s'estjuré depuis toujours de ne pas tolérer un si dange-reux rival. Pour cela, il a besoin de nouveaux sou-tiens. C'est en Kabylie qu'il ira les chercher. Il asigné un accord avec des représentants du Front desforces socialistes. Dans son discours d'Oran, ildéclare : «Maintenant que les choses sont redeve-nues normales, nous n'hésiterons pas à prendre desmesures de générosité. A notre révolution, nousavons voulu donner dès le début un style marqué dusceau de l'humanisme.»Boumediène ne dit rien, mais il n'accepte pas cetaccord. Au mieux, il aurait accepté d'y être associé.Sur ordre de Ben Bella, il a fait en Kabylie un qua-drillage qui équivaut à une occupation. Il a aug-menté l'impopularité de son armée. Voici que BenBella, en se mettant d'accord avec les Kabyles, cesderniers le désignent à leur vindicte. Il reste que cet«humanisme», s'il coïncide avec sa stratégie per-sonnelle, n'est cependant pas dénué de sens dans labouche de Ben Bella. Le pouvoir l'a peut-être rendusceptique, mégalomane et, dans un certain sens,candide. Il ne l'a pas rendu cruel. Aucune exécutiondurant son règne, à l'exception de celle du colonelChabani. Pour le moment, seule la stratégiecompte.

LE TOUT POUR LE TOUT

C'est une course de vitesse. Le fait décisif : mainte-nant que les deux adversaires savent à quoi s'entenir l'un à propos de l'autre, ils ont décidé de sedétruire ; c'est la conférence afro-asiatique. Il y aaussi, sans doute, le Festival de la jeunesse et levoyage à Paris pour rencontrer De Gaulle, mais laconférence du Tiers Monde domine tout. HouariBoumediène sait que Ben Bella estime qu'il peuttout se permettre, à huit jours de la conférence. Ilsait que Ben Bella spécule sur les événements inter-nationaux. Si Boumediène se laisse éliminer, il luisera difficile de tenter quelque chose contre un BenBella qui aurait présidé une assemblée qui com-prend Chou En-lai et Nasser, un Ben Bella plébis-cité par la jeunesse de tous les pays et valorisé parun entretien avec De Gaulle. C'est donc avant laconférence qu'il faut jouer le tout pour le tout.Bouteflika joue alors un rôle déterminant. Il estministre des Affaires étrangères. Il est mieux placéque quiconque pour savoir les incalculables consé-quences d'un putsch à un moment pareil. Toute lapolitique échafaudée par Ben Bella - au nom del'Algérie, tout de même - va s'effondrer. C'en est faitde la «nation-pilote», de la «capitale des révolu-tions africaines», peut-être même du prestige de larésistance algérienne. Illusion, le benbellisme ?Admettons. Au nom de cette illusion, les réfugiéspolitiques viennent chercher asile dans les ambas-sades algériennes. Précisément, trois jours avant leputsch, l'ancien gouverneur brésilien Miguel Araïsproclame en arrivant à Alger : «Ce n'est pas unhasard si j'ai choisi cette terre de liberté !»A quoi les intellectuels qui se rallient à Bouteflikarépondent : cette illusion, de toute façon, ne peutdurer. On va bien vite s'apercevoir que nous quipromettons des soldats à l'Angola, au Congo, et enPalestine, nous ne trouvons pas de volontaires. Onva s'apercevoir qu'il y a un chômeur sur deux habi-tant en Algérie et que le rêve d'un travailleur du bled

c'est d'aller en France. On va s'apercevoir que lesdépenses de prestige sont sans aucun rapport avecles possibilités de reconstruire le pays. Ce sont lespensées de Boumediène que Bouteflika exprime.Rien n'est pire que l'installation durable du benbel-lisme. Si on laisse passer l'occasion, nous sommesfichus, donc l'Algérie est fichue. C'est le momentou jamais. Il y a cependant un obstacle : le pays ahorreur de la dictature militaire. Mais en dehors denous, l'armée, le groupe de Boumediène, personnen'osera tenter quoi que ce soit. Il y a donc un gigan-tesque pari : il faut que nous prenions le pouvoirsans le dire à ceux que nous espérons rallier et ilfaut que les ralliements soient immédiats après laréussite du putsch.C'est pourquoi à 3h moins le quart, en cette nuit du19 juin, Houari Boumediène déclare : «Il faut pré-venir les autres.» Alors, aussitôt, on prévientBoumaza et Ali Mahsas, le commandantAzzeddine et Mohand Oul Hadj, le vieux Kabylerebelle, Ferhat Abbas, le bourgeois, et Boudiaf, leprogressiste, Boussouf et Khider, les ennemis jadisirréductibles. On prévient aussi tous ces jeunesambassadeurs désorientés par le fait qu'avant laconférence du Tiers Monde, Ben Bella dans sa pas-sion de séduire a promis les mêmes choses auxRusses et aux Chinois, aux Indonésiens et auxMalaisiens, aux Maliens et aux Sénégalais. Les ral-liements vont arriver, un à un, dans la journée dusamedi. Ils sont plus ou moins conditionnels. Plusou moins méfiants. Personne n'ose regretter BenBella. Personne, non plus, ne s'enthousiasme pourBoumediène. Le petit peuple des adolescents, desfemmes et des paysans attendra deux jours pour semanifester.César, pour le moment du moins, est abandonné detous. En même temps, chacun se méfie de Brutus.

P. S. J'ai essayé d'établir par une enquête sur placecomment des clans qui viennent, en Algérie, derégler leurs comptes voient et ont vu eux-mêmes,de l'intérieur, leur action. Cela dit, je voudrais faireétat de quelques conclusions personnelles :1. - Les causes intérieures du complot sont suffi-santes pour qu'on néglige le rôle d'une puissanceétrangère. Cela dit, les réserves à l'égard du com-munisme du groupe de Boumediène incitent lesEtats-Unis à exploiter la situation, d'une façon déjàgrossière et compromettante.2. - La personnalité de Ben Bella apparaît pluscomplexe que le portrait que font de lui ses détrac-teurs et ses partisans. En tout cas, certains procèsparaissent bien tardifs.3. - Un incident qui m'est personnellement arrivéfait craindre l'installation d'une police politiqueemployant les méthodes habituelles de «l'interroga-toire poussé». J'ai été pris pour un autre journaliste,conduit les yeux bandés en voiture dans une villa«aménagée», et le spectacle de cette villa m'aconduit à me féliciter de ce que mes hôtes se soientaimablement rendu compte de leur erreur «avant»plutôt qu'«après». Grâce à l'admirable GermaineTillion, la Constitution algérienne est la seule aumonde qui condamne expressément la torture : nisous Ben Bella ni, je le crains, après Ben Bella,cette clause de la Constitution n'est appliquée.4. - Le danger de la dictature militaire ne peut êtresurmonté que dans la mesure où les ralliementsseront moins inconditionnels, et où certaines exi-gences seront mieux formulées maintenant et nonplus tard.5. - Enfin, je ne pense pas que les rapports avec laFrance, non plus que les accords pétroliers puissentêtre affectés par le putsch. Quant aux rapports avecl'opposition française, ils dépendront de la façondont nous saurons apprécier les échecs du socialis-me algérien. L'Algérie n'est pas une terre d'expé-rience pour les doctrinaires parisiens, ni un trem-plin pour la stratégie des partis étrangers. Elle estcomposée d'hommes qui ont souffert mille morts etqui désirent rapidement une vie décente.N'oublions pas que les Chinois eux-mêmes ont, àplusieurs reprises, donné des conseils de modéra-tion aux Algériens à propos du collectivisme.

J. D.

ALGER : HISTOIRE D’UN COMPLOTLE PUTSH DE BOUMEDIÈNE RACONTÉ PAR JEAN DANIEL

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 16 El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 17

■Cet article que nous reproduisons intergéralement a été publiédans Le Nouvel Observateur n°32 du 24 juin 1965.

Par Jean Daniel

Lorsque Tahar Zbiridéclare à Houari

Boumediène que la mis-sion est accomplie, cedernier est entouré de

ses fidèles : Abdelaziz Bouteflika,Ahmed Medeghri et

Chérif Belkacem, ministrede l'Education nationale,

ancien officier.

“ ”

Lui, Boumediène, avec la simplicité déconcertante de ceux qui se croient élus, se considérait comme le «gardien de la patrie»

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■Ministre de l'Education en 1965, ministre de la Culture et de l'Information en 1970, puis conseiller auprès du prési-dent Chadli Bendjedid jusqu'en 1984 avant de devenir le chef de la diplomatie algérienne de 1984 à 1988, AhmedTaleb Ibrahimi a côtoyé de près les centres de décision sous Boumediène et sous Chadli, ayant même établi avec lepremier une relation de confident et d'ami.

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 18

Par Adlène Meddi

Plus qu'un collaborateur, Taleb-Ibrahimi était une sorte de confidentpour le défunt Houari Boumediène.Ce dernier admirait cet homme lettré

qui a payé son intransigeance face à Ben Bellaqui l'a fait emprisonner», rapporte un ancienjournaliste. Est-ce que l'inimitié entre AhmedBen Bella et Taleb Ibrahimi a rapproché ce der-nier de Boumediène ? Rappel historique : le 16avril 1964, jour anniversaire de la disparition deAbdelhamid Ben Badis, cheikh Ibrahimi, lepère de Taleb Ibrahimi, attaque dans un dis-cours le système de pouvoir de Ahmed BenBella. Le même constat est partagé à l'époquepar le jeune médecin Ahmed Taleb Ibrahimi(32 ans alors) qui dénonce la concentration despouvoirs, le système d'allégeance, la bureaucra-tie et la politique économique improvisée ainsique l'intervention d'aventuriers venant de diffé-rents pays et s'érigeant en théoriciens de l'éco-nomie. La suite que Ben Bella lui réserve estterrible : le 12 juillet 1964, M. Taleb Ibrahimiest arrêté, torturé et, alors qu'il a passé quatreans et demi dans les prisons françaises, il sera«l'hôte» des geôles de l'Algérie indépendante,jusqu'à février 1965. En relatant ces années de plomb, on retrouvecette vieille pratique du pouvoir et de ses satel-lites qui semble avoir survécu : l'allégeance.Déjà, lors de son emprisonnement en France,témoin des déchirements internes entre les diri-geants de la révolution et la montée en puissan-ce du discret et ascète colonel Boukharouba,alias Boumediène, ce «père» que les militairesregrettent toujours, M. Taleb Ibrahimi s'est ditdans ses mémoires «fort peiné d'apprendre quecertains de nos intellectuels (ou plutôt nosdiplômés) sont très satisfaits de jouer les porte-serviettes serviles de responsables analpha-bètes, comme si le fait d'avoir pris les armes, àlui seul, conférait le droit de diriger l'Algérie».Cette déclaration qu'a faite M. Taleb-Ibrahimi àAhmed Toufik Madani, ancien secrétaire géné-ral de l'association des oulémas, que l'auteurcritique pour s'être déclaré «soldat exécutant»,est appuyée par le constat du jeune médecin del'époque : «L'anti-intellectualisme caractérisedéjà notre révolution et en constitue même undes points noirs.» Ahmed Taleb Ibrahimi, alorsmédecin à l'hôpital Mustapha Bacha, à Alger,désire s'éloigner de la politique, mais le coupd'Etat du colonel Boumediène le rattrape.Boumediène, c'est l'homme qui lit la Fatihadevant la dépouille du cheikh Ibrahimi, décédéle 20 mai 1965, alors que Ben Bella prolongerasa tournée à l'Est pour ne pas assister auxobsèques. Cherif Belkacem, ministre del'Orientation de l'époque, lui propose d'intégrerle gouvernement. M. Taleb Ibrahimi réfléchit,puis dit «oui» : «En prononçant ce oui, pou-vais-je deviner que j'allais m'engouffrer dansune nouvelle ‘’prison’’qui allait durer plus d'unquart de siècle ?», s'interroge-t-il dans le pre-mier tome de ses mémoires. «La conviction quecette date (le coup d'Etat du 19 juin 1965, ndlr.)va marquer le début d'une ère nouvelle, quimettra fin à une gestion anarchique du pays,miné par les luttes de clans, le désordre et lesgraves dérives en matière de respect des droitsde l'homme (…) cette conviction a constitué, enfait, une grande motivation dans mon accepta-tion de faire partie du premier gouvernementconstitué après le 19 juin 1965.» Puis, il vécutce qu'il décrit comme une sorte de mélange

entre une aventure intellectuelle et une missionqui lui tient à cœur, aux côtés de HouariBoumediène.

LE COLONEL ÉCLAIRÉLe colonel Boukharouba était pour TalebIbrahimi «cet homme qui avait l'Algérie dansles tripes et un sens aigu de la justice sociale,qui a vécu sobrement, était d'une parfaite inté-grité. Il n'a jamais accepté que ses proches pro-fitent du pouvoir et il a quitté ce monde subite-ment, sans postérité et sans prospérités». Dansle deuxième tome des ses mémoires publiéesen avril dernier chez Casbah éditions, TalebIbrahimi revient sur cette période de sa vie dela fin des années 1960 à la fin des années 1970.Taleb Ibrahimi évoque en détail cette périodequ'il place sous le générique de «la passion debâtir». Ses orientations idéologiques en matièred'arabisation et d'attachement à la dimensionmusulmane de l'Algérie lui vaudront des décen-nies de critiques. Il y répond en remettant salogique - et les critiques - dans leur contexte :«La politique d'arabisation a suscité une polé-mique et de nombreuses critiques. J'ai l'impres-sion de travailler sur le fil du rasoir, entre uncourant qui trouve que cette politique se carac-térise par une lenteur décevante qui cache sansdoute, selon lui, un penchant pour la languefrançaise et un courant qui ne ménage pas sescritiques». Pour ce dernier, il lui est reproché, en particu-lier, de provoquer une baisse du niveau desélèves, au motif que la langue arabe ne peutassurer un enseignement de qualité, notammentdans les disciplines scientifiques et techniques.De manière générale, elle comporte le risque defreiner la modernisation de la société, car elleserait porteuse de valeurs passéistes et rétro-grades ! Des clivages potentiellement dange-reux pour la cohésion nationale apparaissent etopposent arabisants et francisants. Ces derniers,au lendemain de l'indépendance, et pour desraisons historiques évidentes, ont pris en mainl'encadrement des activités économiques, admi-nistratives et techniques, etc., du pays. Ils per-çoivent donc le processus d'arabisation commeune menace pour leurs acquis et leur avenir, àplus ou moins long terme. Résolu, TalebIbrahimi assume jusqu'au bout face à sesdétracteurs passés et actuels : «Ceux qui m'ac-cusent d'être à l'origine de l'arabisation en

Algérie m'attribuent un honneur que j'auraissouhaité mériter. Ils oublient, en effet, quel'arabisation fait partie des options politiquesprincipales de la révolution algérienne, consa-crées par les textes fondamentaux du FLN,notamment le programme de Tripoli (juin 1962)et la Charte d'Alger (avril 1964)». Mais il sedéfend d'avoir poussé vers des choix fermés surl'arabité et l'Islam uniquement. Il évoque lanomination de Mouloud Mammeri à la tête duCRAPE (Centre de recherches anthropolo-giques, préhistoriques et ethnographiques) :«Pour revenir au débat qui agitait le mouve-ment national au sujet de la dimension berbèrede notre identité, je constate malheureusementqu'au lendemain de l'indépendance, nous avonscommis l'erreur de perpétuer le discours natio-naliste basé sur le binôme arabité-islamité aulieu de revenir à notre trilogie identitaire. «Desregrets ? Au lieu de rectifier ce que lui-même(le président Houari Boumediène, ndlr.) auraitfait s'il était resté vivant, on a glissé vers uneremise en cause globale de sa politique», écritTaleb Ibrahimi qui aura à défendre ses posi-tions idéologiques devant ses confrères du FLNdes années 1990. Avec parfois des discussionshouleuses et des tensions extrêmes lors desréunions internes du parti», témoigne unmembre de la direction de l'ex-parti unique.Passé et présent se télescopent.

BOUMEDIÈNE : «BOUTEFLIKA M'EN VEUT…»De flash-back en analyses, Taleb Ibrahimiéclaire sur les choix et les biographies deshommes politiques. Attardons-nous sur le casde l'actuel président Abdelaziz Bouteflika, pré-senté à l'époque comme un intime deBoumediène, un «dauphin» même…TalebIbrahimi, lors d'une veillée dans la nuit froidede Moscou aux côtés de Boumediène, hospita-lisé dans l'ex-URSS, se souvient. «De 22h à 4h du matin», précise l'ancienministre, la nuit du 14 octobre 1978, lePrésident, qui n'a que quelques semaines enco-re à vivre, brosse à son confident et ami untableau exhaustif des membres du Conseil de larévolution. Boumediène considère qu'il a faitdon de sa personne à son pays au point des'identifier totalement à lui ; en conséquence,qui le trahit, trahit l'Algérie. Il se plaint desvilenies des uns, des faiblesses des autres etreconnaît les qualités de certains. Le Présidentmalade parle avec amertume de la tentative deputsch par Tahar Zbiri, regrette la disparition deSaïd Abid et se déclare ulcéré par les rumeursqui ont entouré le suicide de Ahmed Medeghri.Mais c'est autour de Abdelaziz Bouteflika queles révélations de Boumediène sont les plussurprenantes : «On a beaucoup épilogué surmes relations avec Bouteflika. La vérité, c'estque Abdelaziz était un jeune homme inexpéri-menté qui avait besoin d'un mentor, j'ai joué cerôle. Sans doute m'en veut-il de ne l'avoir pasdésigné comme ‘’prince héritier’’» ainsi qu'il ledésirait. En effet, lorsqu'en 1976, j'ai chargéBedjaoui de préparer un projet de Constitution,ce dernier est venu m'informer d'une demandede Bouteflika relative à l'introduction d'une dis-position portant création d'un poste de vice-pré-sident, élu en même temps que le Président, surle même «ticket», à la manière américaine. ABedjaoui qui voulait savoir si cette propositionavait mon agrément, j'ai répondu qu'en tant quejuriste, il pourrait proposer autre chose saufintroduire un tel article. Taleb Ibrahimi, candi-

dat à la présidentielle de 1999 et qui s'est alorsretiré avec les autres postulants face àBouteflika, candidat du «consensus», remetl'horloge de l'histoire à l'heure en dévoilant l'ar-chéologie des ambitions de l'actuel chef del'Etat. Une révélation en rapport direct avec lapolémique déclenchée récemment par lesdéclarations de l'ancien président ChadliBendjedid (1979-1992) concernant la succes-sion à Boumediène.

MYSTÈRESCette période de la fin du règne de HouariBoumediène revient fréquemment alimenterdébats et témoignages. Non seulement à causede tous ces drames shakespeariens autour de lasuccession, mais aussi autour de la maladie etdu décès du Président ce 28 décembre 1978.Grand connaisseur de l'Algérie deBoumediène, le journaliste français du Monde,Paul Balta, déclarait dans un entretien àMohamed Chafik Mesbah que Taleb Ibrahim«est la personne la plus qualifiée pour donnerson témoignage sur la maladie de HouariBoumediène». «Médecin de formation, il estspécialiste d'hématologie. C'est lui, en particu-lier, qui a accompagné Houari Boumediène àMoscou pendant ses soins. Il était chargé enfind'informer le Conseil de la révolution sur l'évo-lution de la maladie du président de laRépublique», indiquait Paul Balta. Mais quedira Ahmed Taleb Ibrahimi dans ses mémoiressur cette mort qui nourrit encore théories etmystères ? Pas grand-chose malheureusement.«Vingt-neuf ans maintenant nous séparent dece triste événement. Durant toute cette période,de nombreux compatriotes n'ont cessé de meposer cette question lancinante : est-il mort demaladie, comme on le prétend, ou bien n'a-t-ilpas été plutôt victime d'un empoisonnementlent, œuvre des services secrets étrangers,notamment américains et israéliens ? Dansl'état actuel de mes connaissances, il est diffici-le de confirmer telle ou telle hypothèse, surtoutque dans les pays du tiers-monde, on a tendan-ce à refuser l'idée que certains leaders charis-matiques soient des hommes comme les autres,exposés aux mêmes vicissitudes de la vie, tellesque la maladie, les accidents. Par ailleurs,d'autres morts de leaders restent mystérieuses.Ainsi, de sérieux soupçons pèsent sur les ser-vices secrets israéliens qui seraient certaine-ment responsables de l'empoisonnement deYasser Arafat, après avoir vainement tenté,quelques années plus tôt, une opération similai-re à Amman contre le chef du mouvementpalestinien Hamas, Khaled Machaâl. Autresexemples : le roi Fayçal (d'Arabie Saoudite,ndlr.) a été assassiné au moment où il défendaitla thèse de l'embargo pétrolier à destination despays occidentaux qui soutiennent Israël, et lesprésidents Nasser et Assad aux positions anti-impérialistes et antisionistes notoires ont ététerrassés par des crises cardiaques... Toujoursest-il que j'ai quitté, à Moscou, le 17 octobre,un Boumediène en forme et avec un moral defer alors que 28 jours après, je l'ai retrouvé àAlger fort diminué. Espérons que d'autrestémoignages pourront un jour éclairer l'histoiredans un sens ou dans l'autre». Espérons tou-jours. A. M.

Sources :Mémoires d'un Algérien, Tome 1 : Rêves etépreuves (1932-1965) et Tome 2 : La passionde bâtir (1965-1978), aux éditions Casbah.

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GRAND TÉMOIN DES ANNÉES BOUMEDIÈNE

LES VÉRITÉS DEAHMED TALEB IBRAHIMI

Page 17: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

■ Fervent partisan d'un socialisme autoritaire, Houari Boumediène mit en place un pouvoir autocratique.

BOUMEDIÈNE ET LA DÉCOLONISATION LINGUISTIQUE

L’ARABISATION AU PAS DE CHARGE A MENÉ LE PAYS À LA CATASTROPHE

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 19

Par Nabila Amir

C'est sous son régime quecommencèrent les premièrescampagnes d'arabisation.Aux yeux de tout le monde,le but avoué de cette poli-

tique linguistique, était d'appliquer lanotion d'indépendance en remplaçant lalangue officielle du colonisateur, le fran-çais, par une langue officielle et «natio-nale», l'arabe, restaurant ainsi la situationd'avant 1830 où la seule langue écrite étaitl'arabe (littéral). Mais la réalité a été quecette politique linguistique n'a pas étépensée en soi, mais utilisée comme unatout dans la lutte entre couches socialesopposées, pour la conquête de positionsde pouvoir. L'enseignement en particuliera représenté un champ clos de luttes entretraditionalistes et modernistes dans unpremier temps, puis il a été pris en otagepar les islamistes dans leur lutte contre«l'Etat impie et corrompu». Il faut rappe-ler dans ce contexte une autre vérité :Boumediène n'a jamais pu se libérer del'emprise de la religion et de l'arabe cora-nique. Il avait reçu son instructionpresque exclusivement en arabe classiquedans les écoles coraniques de la région deGuelma, la médersa El Kettani (Constan-tine), et dans les universités théologiquesde la Zitouna (Tunisie) et d'Al-Azhar(Égypte), un haut lieu du fondamenta-lisme musulman. C’était un arabisant et ilvoulait dans ce sillage plaire à sesadeptes. En tout état de cause, cette nou-velle politique, imposée au peuple, s'estdavantage appuyée sur l'effet de «pou-voir» que sur l'adhésion «des couchessociales intéressées». A été assujetti àl'arabisation ce qui était sous l'influencedirecte de l'Etat: l'enseignement, l'admi-nistration et l'environnement général,notamment les médias. En outre, lesconditions de mise en oeuvre de cetteoption linguistique se sont faites dans uncontexte d'improvisation, les mesuresd'arabisation étant généralement prises

dans une optique politique. Elles se sontdonc traduites par un abaissement duniveau des études, par une carence péda-gogique grave, une baisse de rendementdans les secteurs de l'administration, sansque le bénéfice en paraisse évident. C'estce qui a entraîné sa perception commeune pression politique, et une régressiontechnique. Elle s'est de plus accompagnéede l'imposition, par le biais de l'arabe,d'une islamisation souvent primaire etoppressive, parce qu'insérée dans un enjeude pouvoir. La légitimité, que le pouvoirde Boumediène avait voulu obtenir à tra-vers sa politique d'arabisation, a été enfait détournée au profit d'une manipula-tion de ces valeurs de fond que sont pourles Algériens l'Islam et la langue arabe.L'ère Boumediène avait permis en sommeà la couche «arabisante» de la populationde «profiter» de la politique d'arabisationaf in de prendre le contrôle de leviersimportants en Algérie tels que l'éducationnationale et une partie de l'administration.En effet, dès les premiers jours de l'indé-pendance, en 1962, le groupe partisan del'arabisation a mobilisé les Algériens deculture arabe dominante, qui voulaientfaire leur percée au sein d’un encadre-ment massivement francophone. Etudiantsissus des écoles coraniques, intellectuelsprovenant des universités arabes, de for-mation souvent religieuse ou littéraire, ilsdéfinissaient ainsi leur dogme : «N'est"arabisant" qu'un Algérien formé dans unpays arabe.»

HARO SUR LE BILINGUISMESous le règne de Boumediène, l'arabisa-tion a été menée à coups de commissions,campagnes et autres décrets multiples. Del’avis de nombreux acteurs politiques,Boumediène mène le pays avec son systè-me d’arabisation «à la catastrophe». Il iramême plus loin dans sa logique destructri-ce. En 1967, il interdit les écoles privées,rendant la tâche difficile à l'élite socialequi voulait maintenir ses enfants dans le

bilinguisme. L'arabisation a d'abord com-mencé dans l'enseignement : La languearabe a été introduite progressivement,jusqu'à y être généralisée; l'enseignementdu français y a toutefois été maintenu àpartir de la quatrième année, mais dans desconditions pédagogiques défectueuses.L'enseignement secondaire a été arabisématière par matière, à partir de 1966, jus-qu'à aboutir à une version uniquementarabe du baccalauréat. L'enseignementsupérieur a d'abord été arabisé dans lessciences humaines. Finalement pressé parl'arrivée de bacheliers exclusivement ara-bophones, il est passé lui aussi à l'arabisa-tion jusque dans les disciplines scienti-fiques. Par contre, les instituts de forma-tion supérieure dépendant des ministèresautres que l'Education nationale ont géné-ralement poursuivi leur formation en fran-çais, parfois en anglais. En revanche, dansle primaire et le secondaire, faute de pro-fesseurs qualifiés, l'arabisation se traduisitpar une régression de la qualité de l'ensei-gnement. Le drame était tel que les bache-liers arabophones passaient leur premièreannée de faculté à décrypter les polycopiéset étaient contraints de redoubler lorsqu'ilscommençaient à peine à maîtriser le voca-bulaire français. Pour ce qui est de l'enseignement de l'ara-be, et pour remédier aux manques enmatière d’enseignants, l'Algérie a faitappel aux «pays frères», notammentl'Egypte, la Syrie et l'Irak. Ceux-ci expé-diaient en masse des instituteurs militants,souvent proches des Frères musulmans.De l'aveu même du défunt MahfoudNahnah, c'est sous leur influence que lajeunesse algérienne a pu s'imprégner desvaleurs islamiques. Plus tard, et ce n’estpas un secret, le FIS récoltera ce qu'ils ontsemé dans les écoles. En 1976, ce fut l'ara-bisation de l'affichage avec les noms derues et des plaques d'immatriculation.Puis, le vendredi fut déclaré «jour de reposhebdomadaire» à la place du dimanche. Le10 décembre 1976, Houari Boumediene,candidat unique à la présidence, fut rééluavec 99 % des voix et durant cette mêmeannée, il confisquera le fichier amazighqui contenait un ensemble de publicationssur des recherches amazighes écrites enalphabet latin. Dans l'administration, uneordonnance de 1968 a contraint les fonc-tionnaires à apprendre l'arabe dans undélai de trois ans. Cependant, les hautsfonctionnaires s'en firent dispenser pardécret. Dans les médias, c'est surtout laradio et la télévision qui ont été marquéespar l'arabisation. Le résultat, selon denombreux témoignages, en fut que leurmessage devint incompréhensible pourune grande partie de l'opinion algériennenon préparée à cette nouvelle donne.L'arabisation devint donc l'option fonda-mentale de l'éducation nationale etBoumediène avait été très clair et intransi-geant à ce sujet en déclarant que l'ensei-gnement, même de haut niveau, ne peutêtre réel que lorsqu'il est national, et que laformation, fût-elle supérieure, demeureincomplète si elle n'est pas acquise dans lalangue du pays qui est l'arabe. Cela peutmême constituer, renchérit-il, un dangerpour l'équilibre de la nation et l'épanouis-sement de sa personnalité. Il peut égale-ment engendrer des déviations qui ris-

quent d'entraver une saine et valable orien-tation.

UNE MESURE «DÉMAGOGIQUE»En novembre 1968, Boumediene affirmeque «l'arabisation ne peut être réaliséeavec le seul concours de l'État. D'autresefforts doivent émaner également de l'élitearabisée [...]. Les mosquées sont à la dis-position de ces élites pour alphabétiser etinculquer l'arabe aux adultes». A l'unani-mité, les observateurs feront le constat quela politique d'arabisation prônée parBoumediène, et qui s'est poursuivie inlas-sablement, a eu un impact négatif sur lavie des Algériens, suscitant une doublerésistance et de profondes tensions dans lapopulation. Une hostilité est venue en pre-mier lieu des milieux francophones. Nepouvant s'exprimer ouvertement sans êtretaxée de «hizb frança» (parti français),cette tendance a souligné la baisse deniveau scolaire et l'inadaptation de l'appa-reil technique et administratif à l'expres-sion en langue arabe. Ces tensions abouti-rent également à des heurts parfois vio-lents entre les étudiants, comme en mai1975, à Alger et à Constantine. La déci-sion d'instaurer l'arabisation a été qualifiéepar certains d'aberrante, de dangereuse etde démagogique. Selon certains analystes,elle était un moyen habile de couper 30millions de langues algériennes tout ententant de s'attacher la sympathie des isla-mistes. C'était aussi une mesure efficacepour essayer d'étouffer les revendicationslinguistiques berbères (tamazight pour leNord, tamasheq pour le Sud, chaoui pourl'Est) et de marginaliser une population decadres francophones. Cependant, vu lesrésultats négatifs de sa politique d’arabisa-tion, Boumediene fait une petite pause ettente vainement de sauver l'école algérien-ne en faisant appel à Mostefa Lacherafpour réformer le système éducatif, et ce,en faisant du bilinguisme l'axe autourduquel devra s'articuler cette adaptation.De culture à la fois arabe et française, cethistorien de formation s'était souventopposé à Ben Bella. En 1977, Lacheraf,soulignait que «ce n'est pas la languearabe qui est en retard, ce sont ceux quil'ont rétrogradée, maintenue parfois dansl'infantilisme et en ont fait un objet dechantage inadmissible». A la mort de Boumediène, en 1978,Lacheraf est démissionné, et le bilinguis-me enterré. Le successeur de Boumediène,Chadli Benjedid, plus enclin à subir lespressions des islamo-conservateurs duFLN, cherche à évincer le français. Maistriste a été le constat ! L'université algé-rienne, considérée jusqu'alors comme lameilleure du continent africain, voit partirpour d'autres cieux ses meilleurs diplô-més. Ce sont, en effet, quelque 10 000enseignants et chercheurs qui, depuis1980, ont quitté l'Algérie pour la France, leCanada ou les Etats-Unis. L’école algé-rienne ne sait plus sur quel pied danser. Lapolitique linguistique en Algérie obéitdepuis toujours à des objectifs idéolo-giques et politiques. En revanche, les auto-rités n'ont jamais manifesté aucune préoc-cupation pédagogique, aucune rechercheou réflexion en profondeur sur le sujet. Lerésultat est là aujourd’hui : l’Algériesouffre de tous les maux. N. A.

La politique d’arabisation a été menée à contre-courant de la réalité socialealgérienne

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Page 18: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

Par Faycal Métaoui

Devant les cadres de l’Union généraledes travailleurs algériens (UGTA),syndicat unique créé le 24 février1956, il proclamait, au nom du

Conseil de la Révolution, né après le coupd’Etat militaire contre Ahmed Ben Bella sixans auparavant, une série de décisions : «la par-ticipation algérienne dans toutes les sociétéspétrolières françaises est portée à 51%, defaçon à en assurer le contrôle effectif ; la natio-nalisation des gisements de gaz naturel ; lanationalisation du transport terrestre,l´ensemble des canalisations se trouvant sur leterritoire national». Les décisions étaient appli-cables le jour-même. Houari Boumedièneentendait mettre fin aux pourparlers menésavec la France sur les questions énergétiques.Les accords d’Evian de mars 1962 avaient, enpartie, ligoté les mains de l’Etat indépendant aunom de la poursuite de l’application du Codepétrolier saharien, promulgué en 1958. Deux ans auparavant, les premiers puits de brutfurent découvert à Edjeleh, dans la région de InAmenas, et à Hassi Messaoud, dans le Sud-Estdu pays. Plusieurs entreprises françaises procé-daient à des explorations depuis 1953 à l’imagede la Compagnie des Pétroles d’Algérie (CPA),la Compagnie de recherche et d'exploitation dupétrole au Sahara (CREPS) et de la SociétéNationale de Recherche et d’Exploitation desPétroles en Algérie (SN REPAL). Cette derniè-re fut créée en 1946 à l’initiative du gouverne-ment général d’Algérie, une année après l’ins-tallation à Hydra, sur les hauteurs d’Alger, duBureau de recherches pétrolières (BRP).Curieusement, Sonatrach a actuellement sonsiège à Hydra ! Le BRP était établissementpublic en charge de la coordination et du finan-cement des recherches pétrolières. Ce bureauavait un rayon d’action large en Afrique puis-qu’il procédait à plusieurs prospections auTchad, au Gabon et ailleurs. A la fin des années1940, la SN REPAL avait échoué dans desrecherches menées dans le Touat et à In Salah.Pas de trace de pétrole et de gaz. C’était bienentendu une erreur ! Dans un premier temps, lepétrole gabonais avait permis à la Franced’avoir au milieu des années 1950 «l’autono-mie énergétique». L’exploitation des premierspuits à Hassi Messaoud, à partir de juin 1956,était la réalisation du «rêve saharien» pour lesFrançais. «Cette immensité pourrait être unesource fantastique de prospérité. Un jour, nousy trouverons de grandes quantités de pétrole»,prévoyait le géographe Émile Félix Gautier.Une immensité estimée à 7,7 millions de km2

qui s’étend à partir du Tchad jusqu’au enMauritanie. Certains considéraient déjà leSahara comme «le Texas français».Les Américains étaient, eux, sceptiques à l’idéede trouver de l’or noir dans le désert. C’était,entre autres l’avis du géologue Hallis Heldbergqui estimait qu’aucune zone intérieure del'Afrique «ne présente d'intérêt pour les

recherches». On comprend mieux pourquoi lesAméricains ne s’étaient intéressés à l’Afriquepétrolière que tardivement, lui préférantl’Alaska et le Moyen-Orient. Les nostalgiquesconsidéraient les découvertes de In Amenas etde Hassi Messaoud comme «une véritable épo-pée française». Vers 1958, Hassi Messaoud, quiétait baptisée «Maison verte», ressemblait àl’Ouest américain à l’époque de la recherche del’or. Elle attirait des centaines d’ingénieurs,d’explorateurs, de chercheurs et autres. Il étaitévident que l’intérêt pour la France n’était pasde perdre cette manne tombée du ciel en pleineguerre de Libération nationale. Surtout qu’unimmense champ gazier venait d’être découvertà Hassi R’mel. Hassi R’mel d’où l’on pouvaitextraire les condensats également. La Francedépendait à l’époque à 90% des hydrocarburesacheminées du Moyen-Orient. Grâce auxdécouvertes du Sahara, elle pouvait assurer50% de ses besoins en énergie et améliorerd’une manière sensible sa balance commercia-le. Il fallait donc réfléchir rapidement à unesolution pour séparer le Sahara du reste del’Algérie en cas d’indépendance.

LES OASIS ET LA SAOURA SANS L’ALGÉRIE!Plusieurs responsables français, dont GuyMollet, Félix Gaillard et le général de Gaulle,avaient fait des propositions (certaines faitessecrètement) au FLN puis au GPRA allant del’autonomie à l’indépendance de l’Algérie.

Aucune de ces offres n’incluait le Saharacomme partie du territoire algérien. Aprèsdébats et hésitations, un projet fut retenu, celuide faire du Sahara une entité autonome soussouveraineté française. Ministre d’Etat dans legouvernement socialiste de Guy Mollet,Houphouët Boigny, devenu président de la Côted’Ivoire indépendante, était chargé d’élaborer leprojet adopté par le Parlement en décembre1956.En vertu de ce texte fut créée l’Organisationcommune des régions sahariennes (OCRS). Sonobjectif ? «Mettre en valeur l’expansion écono-mique et la promotion sociale des zones saha-riennes de la République française et à la ges-tion de laquelle participent l’Algérie, laMauritanie, le Niger et le Tchad». Ces quatre pays n’étaient donc plus «souve-rains» sur leurs territoires. Fait inexplicable : leMali, qui possède d’immenses étendues déser-tiques, n’était pas concerné par cette nouvelleorganisation. Après la création d’un ministèredu Sahara, la séparation de l’Algérie de ses ter-ritoires du Sud fut officiellement proclamée le 7août 1957. Ainsi, les départements des Oasis etde la Saoura furent intégrés à l’OCRS. Le restedu pays était désormais appelé «l’Algérie duNord» (à l’image de la Corée du Nord). Il fallaitattendre le 5 septembre 1961 pour que le géné-ral de Gaulle annonce au cours d’une conféren-ce de presse que les départements des Oasis etde la Saoura faisaient partie intégrante del’Algérie. Cinq années auparavant, Djamel

Abdelnasser ordonnait la nationalisation duCanal de Suez. Cela avait, d’une certaine maniè-re, contribué à accélérer le projet de division del’Algérie puisque la France avait des craintes surses approvisionnements pétroliers du Moyen-Orient. Houari Boumediène, qui était au Caireen 1956, avait assisté aux festivités marquantcette nationalisation, largement accueillie par lapopulation égyptienne. Une autre nationalisa-tion allait suivre, celle du domaine minier del'Irak Petroleum Company (IPC) en 1961. A cette époque, les groupes tels que Shell et BPavaient le monopole des activités de distributionet de raffinage sur le territoire française. En1960, la même année de la création del’Organisation des pays exportateurs de pétrole(OPEP) à Baghdad, la France regroupait lesentreprises sous l’égide de l’Union générale despétroles (UGP) pour les activités de raffinage etl'Union générale de distribution (UGD). Lasociété néerlandaise Shell avait vivement pro-testé contre la création de cette Union.Progressivement, l’UGP construisait ou louaitdes raffineries partout (Allemagne, Sénégal,Belgique, Madagascar...) mais pas en Algérie.Sur le plan économique, cela aurait été fort ren-table pour l’Etat français de raffiner le brut enAlgérie et de le transporter compte tenu de ladistance. Mais, les perspectives d’indépendancede l’Algérie changeaint tout. En 1966, le BRPlançait l'Entreprise de recherches et d'activitéspétrolières (ERAP) dont la mission était demettre en place une industrie pétrolière sans aide

LE PROCESSUS ÉTAIT L’ABOUTISSEMENT

LE 24 FÉVRIER 1971, LES HYDROCARBURES

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■1971 fut l’année du débutactif de «la révolution socialis-te» du colonel HouariBoumediène. Le 24 février dela même année, il annonçait«la nationalisation» des hydro-carbures. Huit mois plus tard,il décidait le lancement de «larévolution agraire» et la ges-tion socialiste des entreprises(GSE).

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financière ou technique de l'Etat. L’ERAP étaitchargée de coordonner et superviser toutes lesactivités recherche, exploration, production, raf-finage et distribution en France métropolitaineet dans les colonies. L’ERAP, qui était présenteen Algérie, s’était adaptée aux nouvelles règlesdu marketing pour devenir ELF-ERAP, Elf-Matra puis Elf-Aquitaine. Cette entreprise estrestée publique jusqu’à 1994 avant de fusionneravec Total. Total était également présente enAlgérie après l’indépendance. En décembre1963, le jeune Etat se dotait de sa propre socié-té, la Sonatrach, pour transporter les produitspétroliers. Elle devait ensuite élargir ses activi-tés à l’exploration, la production et la pétrochi-mie. Ce qu’elle avait fait des années après sacréation. Mais, des clauses dans les Accordsd’Evian donnaient un large monopole auxentreprises françaises. «l’Algérie confirme l’intégralité des droits atta-chés aux titres miniers et de transport accordéspar la République française, en application duCode pétrolier saharien (…) et s’engage à res-pecter le droit pour le détenteur de titres minierset ses associés de transporter ou faire transpor-ter sa production d’hydrocarbures liquides ougazeux et le droit du concessionnaire et de sesassociés de vendre et de disposer librement desa production», était-il écrit dans ces accords.L’Algérie indépendante acceptait donc de ne pastoucher au Code pétrolier saharien. Paris avaittout fait pour empêcher tout autre société fran-çaise de venir explorer dans le sahara algérien.

En 1962, il n’y avait que deux compagnies amé-ricaines et une entreprise allemande en Algériedont les activités étaient fortement limitées. «Lapartie française avait imposé la création d’unorganisme mixte algéro-français de gestion etde contrôle de l’industrie pétrolière algérienne,dénommé Organisme saharien et au sein duquelles deux pays étaient représentés par un nombreégal d’administrateurs. C’est donc à une struc-ture administrative échappant complètement àla souveraineté nationale qu’était dévolue latutelle du secteur pétrolier», a relevé, dans uneanalyse, Hocine Malti, ancien vice-président deSonatrach, l’un des fondateurs de cette entrepri-se, consultant pétrolier actuellement.

REMISE EN CAUSE PARTIELLE DESACCORD D’EVIANDeux ans après la signature des Accordsd’Evian, la nécessité de revoir les volets énergé-tiques était apparue évidente. Les négociationsdevaient durer plusieurs mois. Les accords com-plémentaires étaient signés en 1965, quarantejours après le coup d’Etat militaire contreAhmed Ben Bella. Les accords du 29 juillet1965 avaient permis à l’Algérie, selon HocineMalti, de cesser d’être un simple percepteurd’impôts, de remettre en cause le système deconcessions et de se lancer dans l’aventureindustrielle en prenant en main, sur le terrain,les opérations d’exploration et de production.«Cette dernière mesure était de loin la plusimportante puisque c’est grâce à ce rôle d’opé-

rateur que le pays finira par exercer une souve-raineté totale sur les richesses de son sous sol»,a-t-il estimé. «Les accords pétroliers algéro-français définissaient avec plus de précision lecadre de l’exercice des activités pétrolières parles sociétés françaises en Algérie et les mesuresparticulières dont elles pouvaient bénéficier etdécidaient (parmi d’autres décisions relatives auprix posté, au régime fiscal applicable et à lacoopération dans le secteur pétrochimique) dela création d’une société en participation (50%-50%) chargée de la recherche et de la produc-tion appelée Association-Coopérative (Ascoop)et dans laquelle Sonatrach représentait l’Algérieet était opératrice sur un certain nombre de péri-mètres et le Groupe ERAP représentait laFrance avec la société Sopefal comme opérateursur un certain autre nombre de périmètres», ont,de leur côté, précisé, dans une étude publiée parla presse, Abdelmadjid Attar et ZerroukDjerroumi, deux anciens cadres de Sonatrach.Selon eux, cette Association-Coopérative, dotéede périmètres de recherche d’une superficie de 200 000 km2 , a activé pendant quelques années.Au cours de cette période, 35 forages ont étéréalisés qui se sont traduits par quatre décou-vertes avec des efforts réduits de recherche. «Cecomportement inattendu de cette structure aconduit le partenaire algérien à demander, aucours des rounds de révision des clauses fis-cales tenus de fin 1969 à début 1971, à son par-tenaire de se conformer aux engagements pris,mais ce dernier est resté sourd à ces demandeset son attitude a conduit les autorités à pensersérieusement au scénario de la nationalisa-tion», ont indiqué les cadres de Sonatrach.Selon Hocine Malti, la guerre du Moyen-Orientde juin 1967 fournissait au régime de HouariBoumediène l’occasion de créer la premièrebrèche dans le front des compagnies conces-sionnaires, en vue de la reprise en main desréserves pétrolières. «Par solidarité avec lespays arabes engagés dans le conflit, le gouver-nement décidait de mettre sous contrôle del’Etat les compagnies pétrolières américainesprésentes dans le pays. La levée de la mesure,quelques mois plus tard, aboutissait à la cessionpar Getty Oil à Sonatrach de 51% de ses inté-rêts sur le champ de Rhourde El Baguel», a-t-ilnoté. Les difficultés liées à l’Ascoop avaientdonné lieu à des négociations qui devaientaboutir à un échec. «Les négociations commen-cèrent en novembre 1969, dans l’espoir qu’ellesaboutiraient à la date anniversaire de juillet1970. Abdelaziz Bouteflika, ministre desAffaires étrangères, effectua de très nombreuxva-et-vient entre Alger et Paris pour y rencon-trer le ministre français de l’Industrie XavierOrtoli, en charge du dossier. Une année après,aucune avancée n’ayant été constatée, le prési-dent Boumediène décida finalement, ennovembre 1970, de mettre fin à la tentative derèglement par voie diplomatique, dessaisit leministère des Affaires étrangères du dossier etdonna pour instruction au secteur de l’énergiede se préparer à prendre en main l’exploitationpétrolière du pays», a expliqué Hocine Malti.L’échec des pourparlers amenait donc HouariBoumediène, en quête grandissante de popula-rité, à annoncer la nationalisation, partielle pourcertaines sociétés, des hydrocarbures. Les entre-prises gazières ont été nationalisées à 100%. CFP-TOTAL JOUE LE JEUPar conséquent, Elf-ERAP et la Compagniefrançaise des pétroles (CFP, l’ancêtre de Total)ne pouvaient enlever que 5 millions de tonnesde brut en Algérie. Fortement touchée, Elf-ERAP décidait de quitter l’Algérie. Elle ne trou-vait son équilibre que vers 1975. La CFP, quiavait déjà beaucoup perdu après la nationalisa-tion de l’IPC en Irak dans laquelle elle détenait

des parts, restait et était obligée de négocieravec les autorités algériennes et signer desaccords entrés en application à partir de juin1971. Elle arrivait même à augmenter ses partsdans le gisement de Hassi Messaoud ! Lecongrès du FLN de Tripoli en 1962 avait retenule principe de la nationalisation des installationspétrolières mais sans préciser de date de mise enapplication. La CFP en était informée et s’étaitbien préparée à cette nouvelle politique enadoptant un plan de protection de ses actifs et entransférant son siège social d’Alger vers Paris.L’Etat algérien procédait courant 1971 à unerévision en profondeur des textes régissant lesactivités liées aux hydrocarbures dont le fameuxCode pétrolier saharien qui accordait des avan-tages en matière fiscale aux sociétés françaises.«En vue de corriger les dysfonctionnementscréés par ces textes qui s’étaient montrésinadaptés à la nouvelle situation du pays (statutadministratif particulier, statuts des concession-naires, avantages fiscaux, mesures protectricesdes concessionnaires, limitation des pouvoirs del’administration algérienne, etc.) et quin’étaient plus en ligne également ni avec lasituation courante de l’industrie pétrolièreinternationale ni avec les acquis réalisés par lesautres pays producteurs, et étant donné que cesdysfonctionnements n’ont pu être réglés par desdispositions intérimaires comme la créationd’institutions mixtes du genre Organisme saha-rien ou Organisme de coopération industrielle,vu leur lourd co-management, les autoritésalgériennes ont promulgué une série d’ordon-nances et de décrets le 12 avril 1971», ont sou-ligné Abdelmadjid Attar et Zerrouk Djerroumi.D’autres pays ont suivi l’exemple algérien,comme l’Angola et l’Indonésie qui nationalisè-rent leurs ressources pétrolières. L’Iran, lui,avait échoué dans sa tentative de le faire. Le 12 avril 1971, Boumediène prenait la déci-sion de charger Sonatrach de mener seule lesopérations sur les champs pétroliers et gaziers.«A partir de ce moment, l’Algérie contrôlait, autravers de sa compagnie pétrolière nationale, 4milliards de tonnes de réserves pétrolières surun total estimé de 5, des réserves de gaz de4000 milliards de mètres cubes, toutes lesréserves de condensat, estimées à l’époque à600 millions de tonnes et un réseau de 8 gazo-ducs et oléoducs d’une longueur totale de 3500kilomètres. La part de Sonatrach, qui avait étéjusque-là de 30% de la production, passait à77%», relevait Hocine Malti. Les nouvelles loisrestaient en vigueur jusqu’à 1986. Après cettedate, marquée par un effondrement des coursmondiaux du pétrole, un autre schéma fut adop-té pour le patrimoine minier. La nationalisation en Algérie avait suscité laméfiance des grandes compagnies pétrolièresinternationales. Situation entretenue par l’em-bargo, décidé en 1973 par les pays arabesmembres de l’OPEP réunis au Koweït après laGuerre d’Octobre, à l’encontre des Etats occi-dentaux qui soutenaient Israël. Le sommetd’Alger de novembre 1973 devait confortercette position. Une année plus tard,Boumediène prône, dans un discours auxNations unies, l’instauration d’un nouvel ordreéconomique international. Pour certains histo-riens, Houari Boumediène avait marché sur lestraces de Djamel Abdennaser et s’en était inspi-ré pour la prise de plusieurs décisions dont lareconquête de la souveraineté sur les hydrocar-bures, «la révolution agraire», le barrage vert etl’utilisation du FLN comme simple appareilpolitique. A titre d’exemple, le colonel DjamelAbdennaser avait fait de El Ittihad Al Ichtiraki(l’union socialiste) un instrument politique auservice des ses visions et avait lancé le fameux«El Islah aziraï» (la réforme agricole). F. M.

D’UN ÉCHEC DES NÉGOCIATIONS AVEC LA FRANCE

BOUMEDIÈNE NATIONALISE ET MET FIN AU «RÊVE SAHARIEN»

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Page 19: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

Par M. Aït Ouarabi

Un projet qui fut l'élément clé de la«Révolution agraire», est lancé en1973 dans le but d'améliorer lesconditions de vie dans les zones

rurales. En effet, le président HouariBoumediène, dans le cadre de sa réforme dusecteur de l'agriculture, condamne l'esprit degourbi régnant dans les campagnes et lève lesfonds nécessaires pour concrétiser l'opérationhistorique de 1000 villages socialistes. Par ceprojet, Boumediène visait surtout à rompre avecle romantisme révolutionnaire et la confusionidéologique de cette époque-là. La constructionde ces villages avait effectivement permis auxpaysans pauvres et sans terre de réaliser leursrêves : celui d'accéder à une vie décente, avecun minimum de ressources. Ce programme aégalement aidé - toute proportion gardée - àsédentariser les populations rurales et à relancerun tant soi peu la machine agricole. Les cam-pagnes se verraient ainsi dotées d'écoles, de dis-pensaires, de maison modernes, de salles decinéma, de bibliothèques, de maisons de jeunes,de terrains de football et de marchés (Souk ElFellah). Elles verraient également la disparitionde quelques gourbis sans vie, hérités de l'époquecoloniale. Pour nombre d'observateurs, ce projetest inspiré du fameux "Plan de la mise en valeuragricole et industriel", lancé en octobre 1958 parle général Charles de Gaule. Si l'idée ressembleà celle du général de Gaulle, l'objectif est biendifférent, d'autant plus que les visées colonia-listes n'étaient guère pour permettre auxAlgériens d'accéder à une vie meilleure maisplutôt de s'assurer la pérennité du système colo-nial. L'ambitieux projet de Boumediène a suiviun chemin sinueux. Comme le barrage vert, ceprojet colossal fut abandonné à la mort du prési-dent Boumediène. Et au fur et à mesure que les

années passaient, les villages construits perdi-rent leur visage et se transformèrent en citésternes et sans attrait dont les maisons se ven-daient aux plus offrants. Les infrastructures col-lectives furent privatisées et cessèrent de jouer lerôle qui leur était dévolu, à savoir faciliter la vieaux habitants. Ainsi, au fil du temps, ces vil-lages, dont le but était de remplacer les gourbiset de les faire disparaître à jamais, deviennent

des hameaux, des bourgs. Aujourd'hui, certainsd'entre eux sont des nids de délinquance et desplaques tournantes des trafiquants de drogue.Cela au point qu'un village socialiste au nord deTizi Ouzou, plus exactement dans la communede Timizart, a été surnommé par les habitantsdes localités environnantes : "la Colombie".Fierté de la région à son ouverture dans lesannées 1970, ce village agricole, qui a été érigé

au milieu des plaines, abritait jusqu'à un passérécent des familles de Fellah. Mais au début dela décennie 1990, il connut de terribles transfor-mations humaines et matérielles. Une bonnepartie de ses véritables habitants le quittèrent,laissant la place à des arrivistes aux pratiquessociales peu catholiques. Gagnées par l'usure dutemps et victimes du manque d'entretien, lesinfrastructures urbaines se dégradèrent. Lemême décor se répète ailleurs, dans d'autres vil-lages agricoles. Pas tous peut-être. Mais la gran-de partie de ces villages se trouve dans la mêmesituation. Parce que complètement défigurés etdéviés de leur vocation initiale, certains villagessont désignés par "ex". C'est le cas du village socialiste de BeniChougrane, à Mouzaïa. Erigé au milieu d'uneterre fertile pleine d'agrumes, cet ex-village agri-cole, inauguré en 1974, est devenu le "foyer" detous les vices. Infesté par les voyous et les trafi-quants de drogue, il est devenu invivable pourses habitants au nombre de 2000. Outre le chô-mage et la promiscuité, il manque de tout.Même constat au village socialiste de ChaâbetEl Ameur, à quelque 40 km à l'est deBoumerdès. Eternel chantier, ce village se dis-tingue par ses constructions inachevées depuistrente années pour certaines. Il compte actuelle-ment près de 300 familles. Les infrastructurescollectives sont en ruine. Les édif ices quidevaient servir de bureau de poste, de siège del'APC, de Souk El Fellah…n'ont pas vu et neverront probablement jamais le jour. Ils sont austade de chantier - abandonné - depuis plus dedeux décennies. Pour les habitants, ces cadavresen béton représentent bien la fin de l'épopéesocialiste ; illustrent l'échec d'une politique lan-cée tambour battant et pour laquelle de colos-sales ressources financières ont été allouées.Une sorte de cimetière où reposent "les idéauxde Boumediène". M.A.O.

■ Parmi les plus grands projets engagés par le défunt Houari Boumediène, il y avait le fameux programme des 1000 vil-lages socialistes agricoles.

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 22

■ Bien qu'il ait été l'un des présidents algériens les plus populaires, Boumediène suscitait des sentiments contradictoires :il faisait peur autant qu'il fascinait. Il avait donné l'habitude d'une certaine manière de faire, pétrie de secret et de déni.

Par Amel Blidi

La mort de Boumediène sonnait, pour certains, le"début de la fin". "Nous savions que plus rien ne seraitcomme avant. Qu'on l'aime ou qu'on le déteste, nousétions persuadés qu'il y avait un pilote dans l'avion",

raconte Chérif, aujourd'hui cadre dans une entreprise privée. Pourcertains, Boumediène a peut-être fait les mauvais choix écono-miques mais au moins a-t-il essayé de changer les choses. Raressont les politiques qui n'ont pas péché par trop d'optimisme. "Acette époque, au moins, les gens avaient l'espoir d'une vie meilleu-re. Cette période leur avait permis de faire des études, de seconstruire. Il pouvaient enfin rêver d'une vie meilleure", estimeDalila, 41 ans. Aujourd'hui, dit-elle, les espoirs nés dans lesannées 1970 semblent avoir été rangés au rayon des illusions per-dues. Tout ceux qui ont vécu la mort de Boumediène se rappel-lent de ce "sentiment de peur" qui s'est propagé immédiatementaprès l'annonce du décès. "Nous sentions qu'un pilier s'est effon-dré. Je me souviens avoir pleuré ce jour-là. J'avais 9 ans, je neconnaissais pas grand-chose à la politique mais il y avait cettepeur des lendemains incertains. J'ai connu cette même sensationen avril 1980 lorsqu'on entendait ces bruits de Tizi Ouzou annon-çant la guerre", confie Saâdane, qui a aujourd'hui la quarantaine.

Ces larmes versées sur le "Zaïm" le font aujourd'hui bien rire."J'étais trop jeune à l'époque, ce n'est qu'après que j'ai découvertson visage de dictateur", dit-il dans un grand sourire. En fait,explique Mustapha, 40 ans, les Algériens ne se rendaient pas réel-lement compte de la dictature de Boumediène. "Nous avons étécomplices d'un système totalitaire. Comme aux dessins animés,nous nous inventions un héro. Il y avait cette mythologie du pèrefondateur. Nous avons été bernés par l'école. Nous vivions dans lemythe que nous étions une nation respectée", analyse-t-il. De lamort du "Nasser algérien", il garde le souvenir des larmes de samère. "Boumediène était censé être immortel. J'étais doublementpeiné dans la mesure où j'avais perdu mon père deux ans aupara-vant. Et là, le peuple algérien était soudainement orphelin. C'étaitun véritable choc émotionnel. Les gens paraissaient inconso-lables. Pour eux, le pays s'est effondré", se rappelle-t-il. La transi-tion vers la présidence de Chadli Benjedid ne fut pas sansambages. "A l'époque, je ne savais pas trop ce qui se tramait enpolitique, mais on avait l'impression que c'était la grande débâcle.Nous sentions un grand vide. De la gestion de Boumediène, ongarde ses discours aux accents populistes transmis par la télévi-sion", raconte encore Mustapha. Pour Ali, qui avait 9 ans à lamort de Boumediène, le changement était difficile à accepter. "Jen'arrivais pas à m'habituer au portrait de Chadli à l'école. Il y avait

une cassure dans l'image, comme une rupture dans mes souvenirsd'enfant. Cela ne me semblait pas être un passage naturel, il n'yavait pas de continuité. Le portrait de Chadli m'était inaccessible.Il y avait un vide. Boumediène me semblait plus proche", confie-t-il. Pour l'enfant qu'il était, le pouvoir de Boumediène se cristalli-sait dans les "DS" noires que tout le monde craignait et dans l'in-terdiction formelle de "parler kabyle à Alger ".Immédiatement après l'arrivée du colonel Chadli Bendjedid aupouvoir, quelques changements commençaient à se faire sentir.Le marché était inondé de bananes. Les Algériens en achetaientdes cageots entiers. "Il y avait une sorte de boom commercial.Chadli a mis en place une liberté commerciale au forceps. Uneliberté qui jurait avec ces queues interminables devant les coopé-ratives socialistes et les Souks El Fellah", raconte Ali. Malgré ses efforts, Chadli n'a jamais pu rivaliser avec son prédé-cesseur. "Chadli, on l'a tout de suite détesté. Nous voyions en luiun pantin ridicule. Alors nous racontions des blagues sur lui pournous venger", souligne Mustapha. Il fera remarquer que lesblagues sur Boumediène n'étaient pas nombreuses. Les rares his-toires qui existaient lui taillaient le costume de "héros". Pour unebonne partie des Algériens, le "Zaim" était parti en laissant unnavire sans cap ni capitaine. Le paquebot "Algérie" devait lou-voyer au gré des vents et des marées. A. B.

LA MORT DE BOUMEDIÈNE A ÉTÉ UN «CHOC» POUR UN GRAND NOMBRE D’ALGÉRIENS

«NOUS VOYIONS EN LUI UN HÉROS»

Ce qui était censé améliorer la vie de milliers de paysans s’est avéré n’être que des taches au beau milieudes plaines

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ILS SONT DEVENUS DES GOURBIS SANS VIE

LES 1000 VILLAGES SOCIALISTES: LA FIN D’UNE ÉPOQUE

Page 20: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

■ Plus que n’importe quel chef d’Etat algérien, Houari Boumediene a marqué de façon indélébile la politique étrangè-re de l’Algérie. Lorsqu’il s’empara du pouvoir le 19 juin 1965, le pays venait de sortir d’une longue et douloureuseguerre de libération qui lui a valu respect et admiration à travers le monde entier, une guerre qui a obligé le colonia-lisme français à accorder l’indépendance à la quasi totalité de ses colonies d’Afrique.

Par Tayeb Belghiche

Celle-ci était devenue reconnaissanteà la Révolution algérienne à laquelles’identif iaient tous les peuplesd’Afrique, d’Asie et d’Amérique

latine et surtout les Arabes qui considéraientque le combat des Algériens a redonné sadignité à tout le monde arabe longtempsméprisé et humilié par le monde occidental.C’est dans un climat aussi prestigieux, aveccette crise unique, que le fils d’Héliopolis apris les rênes du pays. II a su exploiter lasituation et en a tiré profit avec une rare intel-ligence. Bien connu sur la scène internationa-le en ses débuts, il a su s’imposer avec letemps pour devenir un véritable leader charis-matique. Dénoncé à l’étranger le 19 juin 1965comme un putschiste et un homme de droite,il trompera tous ses détracteurs en s'interpo-sant comme un homme progressiste trèsproche du tiers-monde et ennemi juré de l’ex-pansionnisme capitaliste. A partir de là, ilrévélera les fondements de sa politique. II vaalors devenir le défenseur acharné du non-ali-gnement, seul moyen à ses yeux de permetteaux pays pauvres de garantir leur indépendan-ce et de se prémunir contre la voracité del’impérialisme. II annonce la couleur le 5juillet 1965. «Notre action sur le plan interna-tional, dit-il dans son premier discours de chefd’Etat, sera dégagée de toute complaisance etn’admettra aucune ingérence directe ou indi-recte. Fondée sur des principes clairs, fidèle ànos options fondamentales, elle sera débarras-sée de tout chauvinisme et de vaines considé-rations de pression pour s’adapter à nos res-ponsabilités réelles». Partant des principesainsi énoncés, Boumedienne s’attelle à fairede l’Algérie, l’exemple à suivre par le tiers-monde. C’est ainsi qu’il oblige les Français àquitter avant terme les bases de Reggane et deBéchar. En 1971, il nationalise le pétrole,réussissant là où ont échoué les Iraniens,entraînant dans son sillage la Lybie, l’Irakd’abord et d’autres pays producteurs d’or noir.

A L’AVANT-GARDE DU TIERS-MONDEA partir de ce moment là, il va s’imposercomme une grande figure du tiers-mondismeet un président qui, désormais, compte sur lascène internationale. Alger devient La Mecquedes révolutionnaires, pour reprendre une quali-fication faite en 1973 par le défunt AmiralCabral ; leader du PAIGC, (Parti africain pourl’indépendance de la Guinée-Bissau) assassinéla même année à Conacry, dit-on, par la PLDE,la police politique portugaise. Effectivement,tous les mouvements de libération d’Afrique,d’Asie, tous les partis d’opposition progres-sistes d’Amérique latine, d’Europe (ceux-là defaçon plutôt discrète), et bien entendu lesPalestiniens trouvent asile en Algérie où ilssont pris en charge par une direction des mou-vements de libération. L’Algérie «ne peuts’abstenir d’aider ces mouvements, car elletrahira sa mission et son histoire, affirmel’homme fort du pays le 19 juin 1966. Son aideà ces mouvements révolutionnaires est uneaide naturelle qui se poursuivra». Mais c’estsurtout le sommet des non-alignés, réuni àAlger en septembre 1973, qui va propulserBoumedienne sur le-devant de la scène inter-nationale et faire de lui un leader incontour-nable pour toutes les questions du tiers-monde.C’est à cette occasion que vont être posés les

jalons pour un nouvel ordre économique inter-national et son corollaire, le dialogue Nord-Sud. Il militait alors avec acharnement pourimposer les résolutions de ce sommet au restede la communauté internationale. II réussit àconvoquer une assemblée générale extraordi-naire en avril 1974 à New York. «Le non-ali-gnement, explique-t-il à cette occasion, trouvesa raison d’être dans la défense des causesjustes contre toute forme d’hégémonie poli-tique et de domination économique». Ajoutantplus loin que «si les débats et les discussionsde cette assemblée pouvaient donner l’espoird’atteindre un tel résultat, alors le développe-ment des peuples du tiers-monde et les succèsà emporter sur la misère, la maladie, l’anal-phabétisme et l’insécurité ne seraient non pourla revanche des pays pauvres sur les pays nan-tis, mais la victoire de l’humanité tout entiè-re».Pour atteindre ces objectifs, il préconise, entreautres, la «prise en main par les pays en voiede développement de leurs ressources natu-relles, ce qui implique au premier chef lanationalisation de l’exportation de ces res-sources et la maîtrise des mécanismes régis-sant la fixation des prix» et proposant sur salancée «la rénovation démocratique du systè-

me monétaire international qui annihile tousles efforts des pays en voie de développe-ment». Le monde entier considère cette assem-blée générale comme «historique».Boumediene est grisé par le succès. IIconvoque à Alger la même année un sommet,une première, des pays membres de l’OPEP.Tous les chefs d’Etat sont présents. En margede cette rencontre, il joue le médiateur entre leShah d’Iran et le vice-président irakien del’époque Saddam Hossein, ce qui aboutit à laconclusion d’un accord sur le tracé des fron-tières entre les deux frères ennemis mettant finà un conflit séculaire mais que revivra plustard le dictateur irakien en envahissant inutile-ment son voisin en 1980 dans le but de détrui-re la révolution khomeiniste. Toujours à l’ini-tiative de Boumediene, une conférence sur ledialogue Nord-Sud se tient la même année àParis. II y avait d’un côté les pays occidentauxriches et de l’autre, les pays pauvres.

DE NOUVEAUX RAPPORTS NORD-SUDToute la réunion a tourné autour d’un débatentre les Etats-Unis pour les nantis et l’Algériepour les damnés de la terre. Et toute l’attentioninternationale s’était focalisée sur la positionde l’un ou de l’autre des deux pays pour souli-

gner l’échec ou le succès des travaux. A partirde cette époque, le Nord développé s’est mis àvoir le Sud avec un autre regard et à dialogueravec lui avec respect. Les jalons de nouvellesrelations entre les deux parties venaient d’êtreposés. Toujours la même année, Boumedieneest la vedette du sommet de l’organisation dela Conférence islamique qui se tient à Lahore(Pakistan). Cherchant sans doute à bousculerun monde musulman vivant dans une totaleléthargie, il prononce un discours qui resteradans les annales et qui lui a sans doute attiré lahaine des intégristes. En effet, sans fioriture, ildéclare à ses pairs que «l’ont ne va pas auparadis le ventre creux», ajoutant : «L’Islamque je connais depuis l’âge de dix ans, n’ajamais nourri son homme!» C’était l’une deses grandes sorties et l’un de ses discours lesplus médiatisés sur le plan international. Il fautdire que l’ancien chef d’état-major de l’ALN atoujours réussi à tétaniser son auditoire et à sefaire respecter. L’audience de l’Algérie d’alorsétait sans commune mesure avec son poidséconomique et militaire, ce qui à fait dire àHenry Kissinger, à l’époque secrétaire d’Etataméricain, à son interlocuteur algérien, lorsd’une escale à l’aéroport d’Alger :«Heureusement que vous ne produisez que 50millions de tonnes de pétrole/an». MohamedBoukharrouba de son vrai nom, terminera sonmandat de trois ans à la tête des mouvementsdes non-alignés, auxquels il a donné incontes-tablement un souffle nouveau, en beauté etavec succès. Son combat diplomatique ne s’ar-rêtera pas pour autant. D’autres épreuves l’at-tendent cette fois-ci sur la scène arabe. A lasurprise générale, et sans consulter ses pairsarabes, le président égyptien débarque àJérusalem.C’est la consternation. Le geste est vu commeune grande trahison de la cause des peuplesarabes en général et palestinien en particulier.II faut agir vite. C’est Boumediene qui organi-se la riposte. Ce qui était considéré à l’époquecomme l’élite progressiste du monde arabe,c’est-à-dire l’Algérie, la Syrie, l’OLP, leYémen du Sud et la Libye crée un front de larésistance et de la fierté.Les leaders des quatre pays et Yasser Arafattiennent un sommet à Alger. Saddam Hossein,déja soupçonné d’être un agent de la CIA,refuse d’y participer ainsi que les autres paysarabes. Faute de soutiens conséquents, le frontne réussira certes pas à provoquer un isolementde l’Egypte et un transfert du siège de la Liguearabe du Caire à Tunis. Un autre sommet dugenre se tient en juillet 1978 à Damas.Boumediene impose des résolutions très durescontre les Egyptiens, résolutions qui serontadoptées presque intégralement par le sommetarabe tenu à Baghdad en novembre de la mêmeannée.Le président algérien n’était pas à cetteréunion. Et pour cause, il était à Moscou où ilse soignait pour une maladie qui allait l’em-porter le 27 décembre. Depuis, l’aura del’Algérie a commencé doucement et sûrementà se dissiper. Sa voix ne porte plus sur la scèneinternationale où elle ne pèse pas plus que despays au passé nettement moins prestigieux.Les grands de ce monde ne l’invitent plus auxconférences où se décide l’avenir du monde.Aujourd’hui, elle ne réussit même pas à fairerapatrier un de ses diplomates, MohamedZiane Hasseni, retenu en otage à Paris par lajustice française malgré son innocence.

T. B.

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 23

POLITIQUE ÉTRANGÈRE

UN DYNAMISME PORTÉPAR LE 1er NOVEMBRE

Boumediène va s’imposer comme une grande figure du tiers-mondismeet un président qui compte sur la scène internationale

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■Le discours du défunt président Houari Boumediène devant la session extraordinaire de l'ONU d'avril 1974 avait faitdate dans les relations internationales de l'époque.

MACHAÂL CHAHID COMMÉMORE LE 30E ANNIVERSAIRE DE LA MORT DE BOUMEDIÈNE

QUAND ALGER ÉTAIT LA«MECQUE DES RÉVOLUTIONNAIRES…»

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 24

Par Omar Berbiche

Pour la première fois de façon fronta-le, sans user de la langue de bois etde détours, un président du tiers-monde, en l'occurrence le présidentHouari Boumediène, avait, au nom

de ses pairs des pays en développement, plaidédevant les instances onusiennes et en présencedes pays riches pour une refondation des relationsinternationales et un partage équitable desrichesses de la planète et de la prospérité. Unnouveau concept naquit à l'initiative du mouve-ment des non-alignés et sous les conseils avisésde l'Algérie qui se posait alors en porte-drapeaupour la défense des idéaux de développement, derécupération des richesses nationales, de soutienet de solidarité avec les peuples en lutte pour leurindépendance, émancipation et dignité : l'instau-ration d'un nouvel ordre économique mondial. Le président Boumediène s'était présenté à la tri-bune des Nations unies fort des convictions del'Algérie pour un monde plus juste, mais aussifort des résolutions de la quatrième conférencedes chefs d'Etat et de gouvernement des paysnon-alignés réunis à Alger quelques mois plus tôten septembre 1973. Boumediène avait donc une feuille de route toutetracée à défendre devant la session extraordinairede l'ONU. Il l'avait fait avec sa verve légendaire etsurtout son ton direct et percutant forgé à l'ombrede son parcours révolutionnaire n'hésitant pas àappeler un chat un chat, alternant les appels à unecoopération internationale mutuellement avanta-geuse entre le Nord riche et le Sud pauvre et lediscours ultra-nationaliste comme le principe ducompter sur soi en tant que doctrine de dévelop-pement des pays du tiers-monde et la promotionde la coopération Sud-Sud en vue de contournerl'hégémonisme des grandes puissances. Quand onrelit ce discours, on prend tout de suite la mesurede l'enjeu du combat dans lequel il avait investitoute son énergie. Un combat qui était décliné

comme le prolongement naturel du recouvrementde l'indépendance nationale qui demeuraitinachevée, ne cessait-il de répéter tant que lespeuples qui se sont affranchis du joug colonialn'étaient pas maîtres de leur destin et de leursrichesses nationales. Trente-quatre ans après ce discours historique, onse rend compte que les présupposés, qui fondentles relations internationales d'aujourd'hui, n'ontpas beaucoup changé. Le capitalisme, qui était présenté comme la voiede salut et de l'émancipation des peuples face audirigisme de l'Etat incarné par le système socialis-te adopté par les pays qui avaient recouvré leurindépendance, montre aujourd'hui toutes seslimites et son visage hideux avec la crise finan-cière qui a affecté les pays industrialisés avant dese transformer en récession économique se répan-dant à la vitesse de la lumière, n'épargnant direc-tement ou indirectement aucun pays. Le motd'ordre : sans développement, il n' y a pas de paixet de sécurité internationales (Boumediène disaitque «la sécurité véritable implique une participa-tion équitable du tiers-monde à la vie internatio-nale») est toujours d'actualité. «Les visées impé-rialistes semblent prendre le pas sur les exigencesd'une démocratisation réelles des relations inter-nationales», avait martelé Boumediène devantl'Assemblée générale des Nations unies. Le doigtest posé sur la délicate question du désarmementqui constitue, selon Boumediène, «une illustra-tion de cette façon restrictive d'aborder les pro-blèmes qui concernent l'humanité dans sonensemble, à travers des schémas qui ne visentqu'au réaménagement des rapports de forcesentre grandes puissances». Un appel pressant futlancé quant à la tenue d'une conférence mondialepour un désarmement général et complet quiimplique, outre l'interdiction des essais et la des-truction des stocks nucléaires, le démantèlementdes bases militaires et le retrait des troupes étran-gères de toutes les régions du monde. Soutien auxpeuples en lutte pour leur émancipation et la

défense de leur souveraineté et richesses natio-nales en Afrique, en Asie et en Amérique latine(au Vietnam, au Cambodge, au Moyen-Orient, auChili, en Afrique du Sud où le système de l'apar-theid vivait ses heures «de gloire»). Aujourd'hui,les guerres coloniales classiques en tant que doc-trine sont passées de mode, même s'il existe enco-re des survivances et qu'elles prennent de nou-velles formes sous le fallacieux prétexte de défen-se des libertés et de la démocratie menacée parcertains régimes dans le monde, comme ce fut lecas pour justif ier l'invasion de l'Irak et del'Afghanistan.

UN VISIONNAIREMais les convoitises des richesses naturelles despays en développement de la part des pays nantissont demeurées toujours aussi vives. La politiquede la canonnière a laissé la place à la manipula-tion sordide du système économique et financiermondial où l'accumulation rapide et facile desrentes sans contrepartie productive a pris le passur l'économie réelle, seul source véritable decréation de richesse. L'appel de Boumediène au nom des pays produc-teurs de l'OPEC pour une juste rémunération desprix des hydrocarbures qui intervient après lechoc pétrolier de 1973 dans le sillage de la guerred'octobre remet au goût du jour, trente-quatre ansplus tard, la problématique de la maîtrise descours du marché pétrolier par les pays produc-teurs lesquels assistent depuis l'apparition de lacrise financière à une baisse drastique et continuedes prix de l'or noir. A cette différence queBoumediène avait de la suite dans les idées etenvisageait le combat pour le recouvrement de lasouveraineté nationale, non pas seulement dansson sens restrictif, sous l'angle mercantile du mar-ché, à travers une revalorisation des seuls prix deshydrocarbures, mais une maîtrise de tous lesleviers économiques et financiers qui font lesattributs de la souveraineté d'un pays. C'est lesens de l'appel lancé à la même tribune des

Nations unies par Boumediène pour la générali-sation de la revendication d'une juste rémunéra-tion des hydrocarbures à «toutes les matières pre-mières de base des pays en voie de développe-ment. La conquête ou reconquête de la souverai-neté nationale passe, avait fait remarquerBoumediène, par les nationalisations desrichesses naturelles comme l'Algérie, qui avaitdonné l'exemple en reprenant possession de sesrichesses énergétiques, agricoles, minières…» Ilavait énoncé cinq lignes d'action pour soutenir ledéveloppement dans les pays du tiers-monde. La première condition qui détermine tout le resteest un appel à la nationalisation des richessesnaturelles perçue comme un droit souverain despays en développement. Le second défi devrait porter, selon Boumediène,sur la mise en place «d'un processus de dévelop-pement cohérent et intégré (…) à travers une poli-tique de développement de l'agriculture et indus-trielle permettant la transformation sur place desressources naturelles d'origine minière ou agrico-le». Les pays en développement furent appelés,de leur côté, à promouvoir la solidarité, toutcomme un appel est lancé à la communauté inter-nationale en vue de la mise en œuvre d'un pro-gramme spécial destiné à aider les pays les plusdéfavorisés de la planète. Boumediène était-il enavance sur son temps ? C'est ce que l'on seraittenté de croire lorsque l'on revisite son discoursdevant la tribune des Nations unies. Lorsqu'ilappelle à la nécessité de «rénover le systèmemonétaire international sur une base démocra-tique , à l'ouverture des marchés des pays déve-loppés aux produits des pays en voie de dévelop-pement», on peut reprocher beaucoup de choses àBoumediène, notamment sa conception des liber-tés individuelles et publiques, sauf d'être untémoin passif des évènements qu'il a toujourscherché à anticiper pour mieux les maîtriser aulieu de les subir impuissants. Boumediène quirêvait de bâtir un «Etat qui survive aux hommeset aux évènements» était-il un utopiste ? O. B.

Le soutien constant et «sans réserve» apporté par ledéfunt président Houari Boumediène à l'autodétermi-nation des peuples en lutte pour le recouvrement deleur liberté avait fait qu'Alger était qualifiée de «laMecque des révolutionnaires», ont souligné jeudi

d'anciens proches de Boumediène. Lors d'une conférence sur lethème «Boumediène et l'autodétermination des peuples», organiséeau centre de presse d'El Moudjahid, par l'association MachaâlChahid, l'ancien haut responsable du FLN, M. Djelloul Melaïka, aapporté une somme de témoignages sur le soutien «sans réserve»apporté par Boumediène aux mouvements de libération à travers lemonde. La défense des causes justes des peuples en lutte pour leurautodétermination et leur indépendance, notamment en Afrique, quiétait un principe sacré du président Boumediène, avait fait dire àl'ancien militant indépendantiste bissau-guinéen, le défunt AmicalCabral, que “si les musulmans font leur prière dans les Lieuxsaints, les chrétiens au Vatican, les révolutionnaires la font enAlgérie’’. D'où le qualificatif «Alger, Mecque des révolution-naires», donnée par Cabral dans les années 1960, alors en dépla-cement en Algérie», a expliqué M. Melaïka. Il a, d'autre part, évo-qué des faits relatifs à l'engagement du président Boumediène pourles causes des peuples colonisés, surtout en Afrique, en citant le cas

du Mozambique, de la Guinée-Bissau, du Cap vert, alors sous-occupation portugaise, rappelant que Boumediène avait refusé denouer des relations diplomatiques avec le Portugal du dictateurSalazar. Le soutien aux militants anti-apartheid avait conduitBoumediène, selon M. Melaïka, à recevoir Nelson Mandela et sescompagnons à la frontière algéro-marocaine avant l'indépendancede l'Algérie, ce qui avait été la cause de l'arrestation du leader del'ANC à son retour en Afrique du Sud. «Non seulement,Boumediène soutenait les mouvements de libération dans le conti-nent noir, le Monde arabe et l'Amérique latine, mais il accueillaitles leaders indépendantistes en Algérie, où ils étaient formés politi-quement et militairement», a-t-il ajouté. S'agissant de la lutte dupeuple palestinien, le président Boumediène avait laissé safameuses expression : «L'Algérie est avec la Palestine à tort ou àraison», a-t-il encore rappelé. Boumediène a également fait du sou-tien à l'indépendance du peuple sahraoui sous domination marocai-ne, un principe puisé de l'expérience de l'Algérie en tant qu'ancienpays colonisé, a dit M. Melaïka, ajoutant qu'il a même convaincu legénéral Franco de reconnaître que la question sahraouie est un pro-blème de décolonisation. Sur le même sujet, M. AbderrazakBouhara, vice-président du Conseil de la nation, a apporté sontémoignage notamment sur le cas du Vietnam, où il était ambassa-

deur, en soulignant que Boumediène soutenait «sans réserve» lalutte du peuple vietnamien pour son indépendance dans les années1960 et 1970. «La position de l'Algérie vis-à-vis de la lutte dupeuple vietnamien avait amené les leaders vietnamiens à demanderà Boumediène de nouer des relations diplomatiques avec les Viet-minhs formant le gouvernement du Laos pour, selon eux, aider lacause du Vietnam, en étant en contact avec les ambassades occi-dentales sur place», a-t-il dit. M. Bouhara a expliqué que la défensedu droit des peuples colonisés à l'autodétermination a été héritéepar Boumediène du mouvement national, mais aussi de sa forma-tion politique en Egypte auprès des étudiants qui militaient pourl'indépendance des pays du Maghreb. L'engagement deBoumediène aux côtés des causes justes de par le monde a été éga-lement réaffirmé par les représentants de l'Autorité palestinienne etdu Front Polisario, qui ont souligné l'aide apportée par l'Algérie àces causes encore aujourd'hui, sans issue. Mme Anissa Boumediène, l'épouse du défunt, a quant à elle a affirméque le Président était «pragmatique» dans ses positions de soutienaux peuples en lutte pour leur liberté, «privilégiant les faits auxparoles». Mme Boumediène a appelé, à cette occasion, les ancienscollaborateurs ayant côtoyé le président défunt de transmettre auxgénérations actuelles et à venir leurs témoignages. (APS)

BOUMEDIÈNE A L’ONU

PLAIDOYER POUR UN NOUVELORDRE INTERNATIONAL

Page 22: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

Par Rabah Beldjenna

Durant son règne, ladiplomatie algérienneavait joué un grandrôle dans cette cause.«Je ne peux vous

répondre que ce que j'ai déjà dit auxleaders de la Résistance palestinien-ne. L'Algérie ne pratique pas la sur-enchère. Elle ne peut qu'appuyer lesdécisions des Palestiniens. Exigerplus qu'eux, c'est de la démagogie ;moins, c'est de la trahison», avaitrépondu Boumediène à HenryKissinger, secrétaire d'Etat du gou-vernement républicain de RichardNixon, lors de sa 2e grande tournéeau Moyen-Orient, en décembre 1973. Georges Habbache, fondateur duFront populaire pour la libération dela Palestine (FPLP) ne tarissait pasd'éloges sur le rapport de l'Algérieaux Palestiniens. «Depuis son indé-pendance, l'Algérie a toujours soute-nu le camp palestinien. Alger estmême l'un des rares pays à s'être ran-gés d'une façon claire aux côtés dupeuple palestinien», avait-il racontédans ses mémoires qu'a publiés lejournaliste Georges Malbrunot. C'està Alger, lors d'un sommet arabeextraordinaire, que l'Organisation dela libération de la Palestine (OLP)avait gagné le statut de «représentantunique et légitime du peuple palesti-nien», dont le Conseil national pales-tinien avait adopté les décisions lesplus décisives. C’est à Alger que l'ac-te de naissance de l'Etat palestinien aété délivré.Selon Habbache, c'est à partir de1975 que Boumediène «a renforcéles relations» entre Alger et le FPLP.Datée de 1975, la première rencontreentre les deux hommes avait tournéautour d'une révélation. Boumediène«se montra très clair avec moi». Pourla circonstance, il «avoua avoir jadisconseillé à Arafat de liquider les diri-geants de toutes les autres factionspalestiniennes, y compris ceux duFPLP», selon George Habbache. Pour quelles raisons le chef duConseil de la révolution avait-il«vendu» au chef de l'OLP l'idée deliquidation physique ? Réponse deHabbache : «Pour Boumediène, eneffet, la lutte ne pouvait aboutir s'ilexistait des divisions entre nous. Al'image de la guerre d'Algérie et duFLN, il recommandait le partiunique, dirigé par une seule tête.Boumediène avait donc conseillé àArafat de me liquider», rappelle leleader du FPLP sur le ton de l'excla-mation.«Il changea ensuite de point de vuequand il comprit mieux ma position àla tête du Front populaire. Je n'ou-blierai pas non plus son voyage àMoscou en 1973, lorsqu'il demandaaux Soviétiques d'aider les armées

arabes - en premier lieu l'Egypte - àaffronter Israël», a noté Habbache,en précisant son témoignage.«Boumediène me répétait souventque Arafat devait clarifier sa positionsur Sadate, car elle était ambiguë.» Selon lui, les Algériens «se montrè-rent présents dans les moments poli-tiquement difficiles» pour le FPLP etles Palestiniens. A un journalisted'Afrique-Asie, qui lui demanda, lorsde son premier entretien en 1971,comment il analysait la situation faceà l'agression israélienne, le présidentBoumediène répondra : «L'Algérie aentrepris sa révolution armée, alorsque tant d'autres ne l'ont jamais fait.Nous ne recherchons pas le majd (lagloire) ni les ‘’victoires’’ de propa-gande. Nous disons simplement quenous sommes disposés à tous lessacrifices nécessaires pour souteniret faire triompher la cause palesti-nienne. La nation arabe est aujour-d'hui à un carrefour. Ou bien ellechoisit la lutte, avec tout ce que celle-ci comporte de sacrifices et de priva-tions ou, alors, elle remet en questionson existence même…» Il s'aliène, en1977, les pays arabes du Golfe aux-quels il dénie la qualité même d'Etatnominal et assène de virulentes cri-tiques aux autres pays arabes, quicherchent à instrumentaliser la causepalestinienne à des fins strictement

partisanes.Ainsi, pour Boumediène, lesPalestiniens, pour recouvrer leursdroits légitimes, devaient suivrel'exemple de l'Algérie et s’engagerpleinement dans la lutte armée.

L’AUTODÉTERMINATION, UN PRINCIPE SACRÉPour ce qui est de la question sah-raouie, le président HouariBoumediène se montra intraitable surle chapitre des droits des peuples àdisposer d'eux-mêmes. C'est ainsiqu’il avait soutenu le droit desSahraouis à l'autodétermination etcontribua même à la création de laRépublique arabe sahraouie démo-cratique (RASD). C'était sous sa hou-lette que la cause sahraouie était ins-crite aux Nations unies. Dans son étude Houari Boumedièneoù l'histoire d'un destin contrarié,l'universitaire Ali Mebroukine écri-vait : «Au Maghreb, le présidentBoumediène se montre intraitable surle chapitre du droit des peuples à dis-poser d'eux-mêmes, contribuant à lacréation de la RASD après avoir faitune interprétation a maxima de l'avisconsultatif de la CIJ du 16 octobre1975 qui avait considéré qu'il n'exis-tait pas de liens de souveraineté terri-toriale entre le Sahara occidental etle royaume du Maroc, d'une part,

l'ensemble mauritanien, d'autrepart.» C’est ainsi que les relations entreAlger et Rabah sombrèrent assez tôtdans l'état de belligérance (Amgala Iet Amgala II) et devinrent foncière-ment conflictuelles avec laMauritanie (après les menaces per-sonnelles adressées par Boumedièneau président Ouled Daddah auquel ilrappelle l'appui de l'Algérie à l'indé-pendance de la Mauritanie et l'aidemultiforme qu'elle n'eut de cessed'apporter au peuple mauritanien). Alors qu'il répondait à Hassan II quile sommait de choisir «entre uneguerre loyalement et ouvertementdéclarée et une paix internationale-ment garantie», le présidentBoumediène estimait que «ce qui esten cause, c'est le droit à l'autodéter-mination, principe sacré, intangible,reconnu par toutes les instancesinternationales, un droit qui, dans lecas du Sahara occidental, a étébafoué». Dès le lendemain de l'accord deMadrid, le ministère algérien desAffaires étrangères avait publié uncommuniqué exprimant sa positionsur ce point. «Le moment est venu, ditce texte, de redire, avec toute la clar-té nécessaire, que l'Algérie ne sauraitrenier l'acquisition la plus chère despeuples et le principe cardinal des

Nations unies que représente le droità l'autodétermination. Alger ne sau-rait entériner quelque solution que cesoit à l'élaboration et à la mise enœuvre desquelles elle n'aurait pas étéassociée au titre de partie concernéeet intéressée.» Ce droit à l'autodéter-mination, Alger rappelle qu'il a étéproclamé en ce qui concerne leSahara occidental par les Nationsunies dans de multiples résolutions,par l'Organisation de l'Unité africainemais aussi par plusieurs «sommetsmaghrébins auxquels participaient leroi Hassan II et le président OuldDaddah». Paul Balta, journaliste cor-respondant du Monde de 1973 à 1978à Alger et qui avait couvert lesconflits israélo-arabes (1967-1973),ceux du Kurdistan et du Sahara occi-dental et la guerre Irak-Iran (1980-1988), avait témoigné queBoumediène lui avait confié, dansleurs conversations sur le Polisario,que l'éclatement du conflit du Saharaoccidental lui avait fait prendreconscience de la nécessité du renfor-cement du potentiel opérationnel del'armée et, donc, de la consolidationdu budget d'équipement militaire. Etque, simultanément, il avait renforcé,de manière déterminante, la forma-tion spécialisée des cadres militairessupérieurs, y compris en les dépê-chant à l'étranger. R. Bel.

Sahara occidental et question palestinienne

LE SOUTIEN «DHALIMA AM MADHLOUMA»

DE BOUMEDIÈNE■ La position de l'Algérie vis-à-vis des causes sahraouie et palestinienne a été depuis son indépendance toujours constante et inva-riable. L'Algérie soutient la Palestine «dhalima am madhlouma» (coupable ou victime), telle est la formule qui résume la position dudéfunt président Houari Boumediène et de l'Algérie par rapport à la cause palestinienne.

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Page 23: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

Par Mokrane Aït Ouarabi

Au détour d'une phrase, au bout d'unconstat, au coeur d'une diatribe, lenom de l'homme qui a régné surl'Algérie avec une poignée de fer

treize années durant, se trouve mêlé à toutesles sauces. Il est cité tantôt pour sa politiqueéconomique socialiste et socialisante, tantôtpour sa démagogie et son populisme. Onentend certains l'évoquer en bien. D'autres enmal. De son vrai nom Mohamed Ben BrahimBoukharouba, Houari Boumediene aura mar-qué son époque d'une empreinte indélébile,laissant des séquelles par-ci et bonne impres-sion par-là. Trente années après sa mort, l'ar-chitecte de la "Révolution agraire" et l'auteurde "l'Industrie industrialisante" demeure gravédans la mémoire de plus d'un. Comme unelégende ou comme un chef autoritaire. C'estselon le vécu, le passé et le présent de chacun.Une chose est sûre: L'homme, de son vivantcomme après son décès à un jeune âge (46ans), ne laisse guère indifférent. Souvent, l'onétablit des parallèles et l'on fait des analysescomparatives entre son époque et celle d'au-jourd'hui. Aussi bien au pouvoir que dans l'opposition,des voix s'élèvent soit pour critiquer ses"choix" notamment économiques soit pourlouer les bienfaits du socialisme instaurécomme mode de gouvernance à son époque.On entend par exemple des personnes, noyéesdans le désespoir ambiant, évoquer d'un airnostalgique "l'ère boumedieniste". D'autrespersonnes se rappellent encore de la puissanteSécurité militaire qui étouffait la moindre voixdiscordante, mais aussi des emprisonnementset des tortures infligés à des opposants. Peuconnu au lendemain de l 'Indépendance,Boumediene a pu en quelques années se forgerune image, bonne chez certains, mauvaise eteffrayante même, chez d'autres. Cela aprèsavoir bien entendu renversé Ahmed Ben Bellaen juin 1965. Un coup d'état qui a été qualifiépar l'historiographie off icielle de "sursautrévolutionnaire". Boumediene disait qu'endéposant Ben Bella, il allait mettre de l'ordre,stopper la dilapidation des deniers publics etlutter contre l'instabilité, la démagogie, l'anar-chie et l'improvisation dans la gestion desaffaires de l'Etat. Beaucoup sont ceux qui y ontcru et ont fini par apprécier son volontarismeet engagement patriotique. Selon certains spé-cialistes, Houari Boumediene, après sa prise depouvoir, avait jeté les bases d'une nouvelleorganisation des pouvoirs publics. Il misaitsurtout sur les masses populaires qui étaientmarginalisées durant les trois années de règnede Ahmed Ben Bella. Et surtout, comme lesoulignait l'universitaire Ali Mebroukine dansson étude intitulée "Boumediene où l'histoired'un destin contrarié" publiée en 2006 à ElWatan, il avait fait appel aux prolétaires et àtous ceux qui n'avaient pas pu participer auchangement institutionnel de juin 1965, pourles mettre à contribution dans les choix nou-veaux et les décisions réformatrices de l'Etat etde l'économie qu'il avait eu à entreprendre.

PATRIOTISME ARDENTSe présentant comme le "redresseur" d'un Etatdévié de ses objectifs novembristes,Boumediene signa son premier "acte patrio-tique " en 1968 en réussissant à faire évacuerla dernière base militaire occupée par laFrance à Mers el Kébir (Oran). Une décisionqui a été applaudie et beaucoup appréciée parles Algériens jaloux de la souveraineté natio-nale chèrement payée. C'est surtout à partir delà qu'a commencé " l'épopée de Boumediene ".A l'évacuation des derniers soldats français surle sol algérien s'ajoute une autre décision -non

des moindres- et qui a surtout permis au prési-dent Boumediene de gagner la foule, à savoircelle de la nationalisation des hydrocarbures,prise le 24 février 1971 au grand dam de laFrance. Cette nationalisation réussie, outre lefait d'avoir grossi les rangs de ses supporters,lui conféra une importante dimension interna-tionale. En effet, Boumediene venait de réussirlà où l 'Iranien Mossadegh avait échoué.L'année 1973 lui donna une nouvelle fois l'oc-casion d'aff irmer son influence sur le planinternational en organisant avec succès le som-met des non-alignés auquel les plus grandsdirigeants du Tiers Monde de l'époque ontassisté. Il s'en suivit dès lors une périodedurant laquelle l'Algérie de Boumediene offritun soutien très actif aux différents mouve-ments de libération d'Afrique, d'Asie etd'Amérique latine, et c'est en véritable leaderdu Tiers Monde qu'il se déplaça en 1974 àNew York, pour prendre part à une réunionspéciale de l'Assemblée générale de l'ONU surles matières premières qu'il a lui-même convo-quée au nom des non-alignés. Il prononça àcette occasion un discours par lequel il exposaune nouvelle doctrine économique, appelantentre autres à l'établissement d'un nouvel ordreéconomique international plus juste, qui pren-drait en compte les intérêts du Tiers Monde.C'est ce côte-là aussi qui a marqué à jamais lesAlgériens, avides d'un grand chef politique. Sur le plan économique, il opte pour le modèlesocialiste, il construisit sur la base de ce choixbeaucoup d'usines et d'écoles. En 1975, ilaccueille le premier sommet de l'OPEP par lebiais duquel les membres du cartel ont pu défi-nir une politique pétrolière concertée. Dans lesillage de cette même réunion, il parvint àsceller la paix entre l'Iran du Chah et l'Irak deSaddam Hussein. Sur le plan intérieur, il fitvoter en 1976 une charte en vertu de laquelle ilpromulgua la constitution d'une Assembléelégislative ainsi que la création du poste deprésident de la République, soumis au suffrageuniversel. Le contexte régional et internationalaidant, Houari Boumediene devint célèbre.Son poids et surtout son audace et sa présencesur la scène internationale l'avaient beaucoupaidé à s'imposer au plan interne comme la "solution " incontournable aux multiples pro-blèmes et surtout comme le chef-messie qui

dispose de la thérapie nécessaire pour vaincrele mal qui rongeait le pays moins d'une décen-nie après son indépendance. Ainsi, au bout dequelques années, il réussit à faire oublier àplus d’un le putsch de 1965 et asseoir son pou-voir, régnant sans partage sur le pays.

LE SOCIALISME SPÉCIFIQUEJouant sur la f ibre nationaliste, HouariBoumediene draina des populations derrièreses grands projets politiques et économiques.Au plan politique, il fait adopter par référen-dum, en juin 1976, une "Charte nationale" quiconsacre à la fois le " socialisme spécifique " àl'algérienne et l'islam comme " religion d'Etat",créant ainsi un " islam officiel " dans le but des'assurer le soutien de la population. Au planéconomique, il lance en 1977 une opération "mains propres " visant à sanctionner les " hautsresponsables " ayant bénéficié d'enrichisse-ment illicite. Mais il meurt avant que celle-cin'aboutisse. Les avis positifs quant à l'époqueboumedieniste sont nombreux et abondantsnotamment sur les forums de discussions sur laToile. "Houari Boumediene, voilà un nom quifait honneur à l'Algérie. C'est le seul homme qui a compris ce qu'il fal-lait pour ce peuple .Il restera le seul hommed'Etat algérien qui a pu gérer un pays commel'Algérie et l'unifier avec des valeurs que, mal-heureusement, on a perdu aujourd'hui. A sonépoque, on était fier de dire qu'on est algérien.Aujourd'hui, on en a honte, car on est devenula risée de tout le monde, avec une jeunessequi n'a plus de repères et qui n'a plus la notionde l'échelle des valeurs que nous avions à sonépoque. Beaucoup parlent de dictature quandon parle de Boumediene. Je leur demande sion est mieux aujourd'hui avec la prétenduedémocratie. Hélas ! ", souligne un médecin deMédéa sur un forum Internet. Un autre affirme: " La période de Si Boumediene est exaltantepar l'esprit constructif, la vision d'avenir d'uneAlgérie plus juste, plus développée et dont lesenfants auraient la tête haute avec un avenir dedignité, un bel avenir dans leur propre pays ".Pour certains, il n'y a pas l'ombre d'un douteque Boumediene était le meilleur de sonépoque. " Je ne crois pas qu'un Algérien puisseoublier Boumediene qui a marqué l'histoire denotre Algérie moderne ", exprime-t-on sur le

forum d'El Watan. "Ceux qui, parmi nos conci-toyens, parlent de dictature quand ils évoquentBoumediene, je leur demande et " l'AlgérieFrançaise " était-elle une démocratie pour vosaînés ? Quand en 1962, on comptait 95%d'analphabètes, un pays sciemment ruiné,détruit et meurtri par l'armée coloniale, c'étaitla démocratie pour la génération Boumediene ? Réveillez-vous ? Ce n'est pasl'excès de confort qui a conduit la glorieuserévolution algérienne et qui a arraché au prixdu sang la liberté pour le peuple algérien. A cetitre, chacun d'entre nous doit s'incliner devantun résistant algérien. Et c'est grâce à deshommes comme Boumediene que nous avonsarraché notre liberté. Ne l'oubliez jamais! Lacritique est facile, la construction de l'Etat nesemble pas convenir à tous… ", tonne un inter-naute en réaction à un article sur feuBoumediene. D'autres commentateurs se mon-trent plutôt prudents quant aux réformes qu'ilavait engagées durant son règne. "Le défuntPrésident Boumediene a fait ce qu'il pensaitêtre le mieux pour son pays. Mais à contre-courant de la réalité. Le peuple n'était passocialiste idéologiquement. Cette générationdocile, on ne la trouve pas aujourd'hui. Nousavions à l'époque le moyen de partir à l'étran-ger avec juste la carte nationale. Cependantseul un nombre infime s'en est allé ", relève unautre " forumiste ".

«MAUVAIS CHOIX»Mais bien évidemment, Boumediene n'avaitpas ou n'a pas que des admirateurs. En instau-rant un régime fermé qui reposait sur sa seulepersonne, il a f ini par être détesté par lesopprimés et les damnés de l'Algérie post-indé-pendante. Les militants berbéristes et degauche retenaient plus de lui le côté négatif etautoritaire que celui de nationaliste révolution-naire et réformateur de l'Etat. C'est le cas parexemple de cette personne qui, s’exprimantsous le saut de l'anonymat, affirmait que "ledéveloppement économique de l'Algérie etl'émancipation du peuple sont incompatiblesavec la dictature. Les maux qui frappent le pays aujourd'huidécoulent de la politique menée par le Conseilde la révolution au lendemain du coup d'étatdu 19 juin 1965 et jusqu'à la mort du présidentBoumediene... ". Dans ce sillage, d'autres per-sonnes disent ne pouvoir jamais oublier lamauvaise gestion de son système politique etsoulignent que la révolution agraire, la révolu-tion culturelle et surtout la révolution indus-trielle ont été un fiasco pour le pays. " L'on nepeut jamais mettre un propriétaire terrien et unmétayer sur le même pied d'égalité ", faitremarquer un autre internaute pour lequel " ilest inconcevable de confisquer l'identité d'uncitoyen et de reconnaître tous les droits à unautre citoyen de la même cité ". Il y a égale-ment sur différents forums de discussions ceuxqui trouvent " anormal " qu'on continue àencenser un homme comme Boumediene " quia piégé ce pays sur le plan économique, social,culturel et ce pour des décennies ". " Trenteans après, je trouve que les politologues, socio-logues et historiens algériens restent très crain-tifs et n'osent pas parler de la gestion catastro-phique du pays par Boumediene. Soyez hon-nêtes et dites la vérité. Ne serait-ce que parrespect aux générations futures. A vos enfants donc ", écrit un internaute qui seprésente comme un ex-Algérien vivant auCanada. Il est ainsi clair que Boumediene estbien loin d'être, aux yeux d'une bonne partied'Algériens, " le président parfait " quel'Algérie n'a jamais connu. Pour certains, il estle digne président de l’Algérie indépendante.Pour d’autres, ce n'est qu'un dictateur commeles autres. M. A. O.

POPULARITÉ DE BOUMEDIÈNE

LE MYTHE ET LA RÉALITÉ

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■Le fait est bien réel: Boumediène est au bout des lèvres de nombre d'Algériens, jeunes et vieux. Il revient assidûment aussi bien dans des discussions entre amis, dans les cafés ou dans la rue que dans les rencontres-débats les plus passionnées.

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Adulé comme un chef par les uns, redouté comme un dictateur par les autres, Boumediène a donné uneimage bicéphale à son règne

Page 24: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

Par Omar Kharoum

IAu milieu des années 1970, lesport en Algérie battait large-ment de l’aile et les résultatsinternationaux de différentes

sélections étaient très aléatoires, sou-vent médiocres. Les clubs dits “civil”étaient structurellement défaillants etles moyens manquaient largement.Toute l’organisation du sport en Algé-rie était interpellée sans que l’autoritépolitique ne trouve le moyen de pal-lier l’obsolescence qui frappait la plu-part des disiciplines. Nos équipesnationales mal équipées et mal prépa-rées ne parvenaient pas à atteindre leniveau international et étaient souventéliminées prématurément des grandescompétitions, ce qui portait un coupsévère au moral national. Malgré lavigueur d’une jeunesse talentueusequi a eu à le démontrer deux annéesauparavant lors des Jeux méditerra-néens d’Alger 1975, la pratique spor-tive dite de masse, et donc tout à faitamateure si chère au modèle socialis-te, déclinait à telle enseigne qu’ellen’avait plus aucun attrait dans la viequotidienne des Algériens.Un fait spectaculaire intervenu aumilieu de l’année 1977 allait toutefoisremettre en cause les choses et pous-ser le pouvoir politique à précipiter laréorganisation du sport national. Le19 Juin 1977, au stade du 5 Juillet d’Alger, à la finale de la couped’Algérie entre la JS Kabylie et le NAHussein Dey, l’hymne national estcopieusement sifflé par les supporterskabyles en présence du présidentHouari Boumediène et des membresde son gouvernement. Dès les jours

suivants, le défunt président, sansdoute marqué par cet incident qui ris-quait, selon l’une de ses confidences,de mettre à mal la cohésion nationale,sollicitera un collège d’experts pouranalyser la situation et proposer dessolutions pour dépassionner l'atmo-sphère sportive et remettre le sport surles rails du progrès. Une expérienceoriginale et tout à fait inédite seconcoctera en été dans des bureaux dela présidence de la République, avantque ne soit effectué un large remanie-ment ministériel dès la rentrée de sep-tembre, qui verra l’inamovibleministre de la Jeunesse et des Sportsde l’époque Abdellah Fadhel (1965-1977) céder sa place à un jeune diplo-mate du nom de Djamel Houhou. Au premier Conseil des ministres deseptembre, le ton est donné : le sportalgérien connaîtra une réforme enprofondeur. Cette décision vient àpoint nommé pour bouleverser com-plètement des structures surannées,une pratique à bout de souffle atteintepartiellement par le chauvinisme, lamanipulation et les calculs clubardsétriqués. Un communiqué fleuve duConseil des ministres indiquait lesmesures suivantes : Les associationsauront une nature statutaire. Ellesseront scindées en deux parties :l’Association sportive communaledite de type amateur (A.S.C.) etl’Association sportive de performance(A.S.P.) qui intéressera les clubs del’élite. Les associations sportivescommunales formeront la composan-te du sport dit de masse. Elles serontprises en charge par les APC ou, pourcertaines d’entres elles, par des struc-tures étatiques de différents secteurs(santé, justice, douane, université,

entreprises publiques moyennes, etc.).Les autres clubs huppées de la divi-sion une participeront à une compéti-tion d’élite et se pareront du statutd’association de performance forméesd'athlètes dits de performance. Lessportifs qui s’y affirmeront, (notam-ment au niveau des équipes natio-nales) se verront décerner le statutd'athlètes de haute performance et severront leurs émoluments relevés. LesASP seront ainsi parraînées par lesplus grandes sociétés nationales, tellesque Sonatrach, la Société nationale desidérurgie (SNS), la Société électro-nique Sonacat, la CNAN, etc.Comme il n’existait pas en ce temps-là de primes à la signature de la licen-ce et que les effectifs des clubs étaientassez correctement stabilisés, les ath-lètes étaient intégrés à l’entreprise et ybénéficiaient d’une formation profes-sionnelle adéquate, afin de jouir d’unprofil de carrière en vue de les rassu-rer sur leur avenir. Il est évidentqu’avec la force financière colossaledont se caractérisaient les grandessociétés nationales, monopolistiquesde leur secteur d’activité, les budgetsdes clubs devenaient conséquents etétaient gérés par des cadres de l’entre-prise, nouveaux dirigeants à la com-pétence incontestable. Le plus douloureux dans cette opéra-tion d’envergure fut le changementpartiel de sigle de tous les clubs ditscivils. Sous la houlette d’une centrali-sation du pouvoir au sein du ministèrede la Jeunesse et des Sports, celui-ciallait d’autorité dénaturer le siglage etle rendre conforme avec son nouveau“logeur”, à savoir la société nationalede parrainage. Il y était notammentfait interdiction de se déclarer ou de

faire référence à une région donnée.Des dénominations franchement à lalimite du farfelu allaient naître commela jeunesse sportive Kawkabi (JSK),Mouloudia des pétroliers d’Alger(MPA, ex MCA), Raed Solb deKouba (RSK, ex RCK), Jil SakakineBordj Menaiel (JSBM), MilahaAthletic d’hussein Dey (Mahd, exNahd ), union sportive de la kahrabad’Alger (USKA, ex USMA) et on enpasse ...Une nette désaffection du public sefait immédiatement ressentir, ce qui apour effet de dépassionner la compéti-tion et de permettre aux clubs demieux être en phase avec des actionsde formation puisqu’il était fait obli-gation aux ASP d’ouvrir des écoles desport (chaque association de perfor-mance avait en charge plusieurs disci-plines) et de consentir un meilleurinvestissement aux jeunes catégories.Une saison plus tard, à la faveur desrésultats encourageants que commen-çait à générer cette politique, le publicreprendra le chemin des enceintessportives. C’était le début de la pério-de dorée du sport national. En 1978,l’Algérie survolera des Jeux africainsrelevés qu’elle a eu a organiser sur sonsol. Des performances qu’elle confir-mera un an plus tard aux Jeux médi-terranéens de Split. Le football en aété l’hirondelle (troisième place aprèsavoir fait sensation en demi-finaleface à la Yougoslavie). Puis nos foot-balleurs à la légende naissante s’eniront étriller la redoutable équipe duMaroc à Casablanca (5 buts à 1 puis 3à 0 à Alger) dans un match mémorablequi intervenait dans un contexte parti-culier (absence de relations diploma-tiques suite à l’affaire du Sahara occi-

dental). Du jamais-vu jusque-là. Lefootball fort d’un amalgame dejoueurs jeunes et talentueux et demoins jeunes ira de victoire en victoi-re (Coupes d’Afrique, bonne tenue enCoupe du monde 1982 et 1986 ). Lesautres disciplines n’étaient pas enreste puisque tant le handball (cinqcouronnes africaines consécutives)que la boxe ou l'athlétisme pour neciter que ceux-là connaîtront leursheures de gloire. Entre-temps, HouariBoumediene n’était plus là pourrécolter les fruits d’une révolutionsportive qui a redonné sa fierté aupeuple algérien, que ce soit au niveaucontinental qu'international. Lesjeunes journalistes que nous étions àl’époque se transformaient en confé-renciers d’occasion, lors des manifes-tations internationales ou dans descentres de presse à l’étranger, assaillispar la curiosité des confrères maghré-bins et africains qui voulaientconnaître la clé de la réussite du sportalgérien. Déchargé des pesanteursnégatives, fort d’une volonté politiqueà toute épreuve et de la couverture desmoyens de l’Etat, la reforme sportivea donné des fruits délicieux durant ladécennie 80. Cette politique sera mal-heureusement abandonnée au lende-main des émeutes d’Octobre à caused’une réorientation de la politiqueéconomique nationale sous ChadliBendjedid sonnant du coup le déclindu sport national. Les sociétésdéstructurées et en pleine difficultéallaient se séparer progressivementdes clubs les abandonnant à leur sort.Le sport algérien rentrera dès lorsdans un long tunnel duquel il n’est passorti à ce jour. O. K.

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■ Un des grands chantiers du défunt Houari Boumediène, même s’il a été quelque peu éclipsé par les autres grandes tâches d’édification,a été sans conteste la réforme sportive, initiée en 1977.

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• Houari Boumediène saluant les joueurs lors de la finalel’USMAnnaba-l’USMAlger en 1972

• La grande équipe nationale de 1982 au Mondial espagnol,fruit de la réforme initiée en 1977 par le défunt Houari Boumediène

LA RÉFORME SPORTIVE (1977)

QUAND BOUMEDIÈNECONFISQUE LE BALLON

Page 25: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

L’ALGÉRIE DE 1965 À 1978

DE BOUMEDIÈNE

Par Samy Ousi-Ali

De l’intérieur d’une des voituress’extrait un homme emmitouflédans son burnous brun avant des’engouffrer dans l’appareil.

Devant le cockpit, l’on a spécialement amé-nagé un petit coin pour permettre à cethomme de voyager confortablement.L’homme emmitouflé dans son burnous n’estautre que le président Houari Boumediène.Curieusement, on a dérogé au protocole quisied à ce genre de cérémonie. Aucun ministre,aucun haut gradé de l’armée n’est venu saluerle départ du chef de l’Etat algérien. Hormisson entourage et une poignée d’officiels, per-sonne ne devait savoir que Boumediène doitse rendre en URSS. Le secret doit être si biengardé que les passagers qui devaient effectuerle voyage vers Moscou sont priés de rentrerchez eux. Seul un membre du gouvernement,Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre conseillerauprès de la présidence de la République,médecin lui-même, fera partie de la déléga-tion qui accompagnera le Président. Pourquois’entourer d’un maximum de prudence ?Pourquoi cultiver tant de cachotteries autourd’un voyage d’ordinaire plutôt banal ? A vraidire, Houari Boumediène est malade. Depuisquelques semaines, son état de santé estdevenu si préoccupant que les médecins duPrésident ont pris la décision de l’évacuervers un hôpital russe. Pourtant, l’été 1978s’annonce plutôt radieux pour Boumediène.Au cours du mois de juillet, il se rend avecson épouse Anissa en Yougoslavie pour y pas-ser ses premières vraies vacances. Depuis sonaccession au pouvoir en juin 1965, le raïs nes’est jamais vraiment offert une grande plagede repos. Certes, ce célibataire endurci, cecasanier qui adore la compagnie de ses amiset f idèles, notamment Chérif Belkacem,Ahmed Medeghri et Abdelaziz Bouteflika,s’est marié avec une avocate de père algérienet de mère suissesse, mais il a rarement puprofiter des joies de la vie conjugale tant il estpris par ses fonctions. Ami intime du chef del’Etat yougoslave, Josip Broz Tito, Boume-diène peut donc disposer en Yougoslavie desmeilleures commodités qu’offre une luxueusedemeure dans une station balnéaire de la merMéditerranée. La lecture, la baignade, lerepos, la compagnie de son épouse, quoi demieux pour remettre Boumediène d’aplomb.Mais voilà, en dépit du grand faste et desconsidérables égards dont il bénéficie lors deson séjour, le Président se sent mal. Il ressentde fortes douleurs au niveau de la tête, maisson entourage ne s’en inquiète pas outremesure.

BOUMEDIÈNE INCAPABLE DEGOUVERNERDe retour de Yougoslavie, Boumediènereprend ses activités. Le 19 septembre, ilreçoit le leader cubain, Fidel Castro, de pas-sage à Alger avant de s’envoler à la fin dumois en Syrie pour prendre part au sommetdes chefs d’Etat arabes. Malgré son état defatigue, faisant fi des recommandations deson médecin, Boumediène ne veut, pour rienau monde, manquer cette importante réunionqui se tiendra à Damas. « Je tiens à être pré-sent à ce moment. Rien ne pourra me fairechanger d’avis », affirmera-t-il, en substance,à ceux qui lui demandent de ménager sesforces. Comme prévu, la conférence seraéreintante. Des heures interminables de dis-cussions, de palabres, de débats et de ren-contres en aparté épuisent Boumediène qui,pourtant, jouit d’une solide corpulence etdont les capacités de résistance au travail sont

énormes. Une fois de plus, Boumediène seplaindra de temps à autre de ces satanés mauxde tête qui l’empêchent de dormir. Sitôt laconférence achevée, Boumediène regagneAlger le 24 septembre. A l’aéroport, une délé-gation de hauts responsables l’attend au piedde l’avion. Curieusement, ni la télévision niles journaux, d’habitude si prompts à rendrecompte des moindres cérémonies officielles,se gardent de diffuser des images de cettecérémonie. L’absence d’images officielles nesoulève pas davantage d’interrogations, maiscela intrigue tout de même. Les jours passentet les douleurs deviennent de plus en plusinsistantes, si bien que Boumediène estcontraint de limiter les visites sur le terrain,les audiences ainsi que les entretiens avec lesmembres du gouvernement. Depuis l’été1978, pas moins de quatre Conseils desministres ont dû être successivement annuléssans que l’on en connaisse les raisons.De hauts dirigeants étrangers débarquent àAlger sans qu’ils puissent rencontrer Boume-diène. Ami de longue date de Boumediène, levice-Président du Vietnam, Nguyên Huu Tho,séjourne à Alger sans qu’il soit en mesured’obtenir une entrevue avec le Président. Lemystère entoure le raïs. Bien sûr, tout celaintrigue tant que les chancelleries occiden-tales f inissent par ébruiter l’information :Boumediène est dans l’incapacité de gouver-ner. Dans la capitale, les rumeurs se propa-gent et agrémentent les discussions du micro-cosme politico-médiatique. Chacun va de sasupputation.Boumediène aurait fait l’objet d’un empoi-sonnement lors de son séjour en Syrie. LeMossad, services secrets israéliens, auraitintoxiqué le Président à l’aide de rayonsdéclenchés par le flash d’un appareil photo.Boumediène aurait fait l’objet d’une tentatived’un putsch, dont il serait sorti blessé. L’heb-domadaire britannique Sunday Express s’enfera l’écho le 14 octobre, en affirmant, grâceà une gorge chaude française, que le présidentalgérien a fait l’objet d’un coup d’Etatfomenté par de jeunes officiers. Tout celaexpliquerait-il donc sa disparition de la scène

publique ? En réalité, Boumediène souffred’une mystérieuse maladie. Après maintesanalyses, ses médecins détectent enfin destraces de sang dans son urine et concluent àune hématurie, une infection qui se caracté-rise par la présence de sang dans les urines.Infection des reins ? Cancer du sang ? Lesmédecins demeurent perplexes. Pis, ils sontimpuissants face au mal qui ronge Boume-diène. Devant la persistance des douleurs, sesproches décident donc d’évacuer Boumediènevers Moscou. Pourquoi l’URSS plutôt que laFrance ou la Suisse, pourtant réputées pourleurs hôpitaux ultramodernes ? Le gouverne-ment algérien ne souhaite nullement que lamaladie du Président soit rendue publique tel-lement il est vrai qu’une telle éventualitéaurait des conséquences néfastes pour la sta-bilité de l’Algérie. Décision est ainsi prise derecourir à des soins dans un pays ami. Unefois l’accord des Soviétiques acquis, les vraismotifs du voyage devront rester dans la stricteconfidentialité. Ce jeudi 5 octobre donc, Bou-mediène s’envole vers Moscou. Ce voyagesera l’ultime déplacement vers l’étranger.Contrairement aux usages, Boumediènerefuse de se faire admettre dans une cliniquespécialisée, où se font régulièrement soignerles apparatchiks soviétiques ainsi que les diri-geants des pays du tiers-monde, amis ou alliésde l’URSS. Il refuse même de recevoir lesvisites de ses collaborateurs. Les seules per-sonnes qui ont le droit de l’approcher secomptent sur les doigts de la main. C’est lecas, notamment, d’Ahmed Taleb Ibrahimi. Onne saura jamais les raisons d’une telle pru-dence de la part de Boumediène. Sans doutel’explication se justifierait par sa légendaireméfiance acquise durant les années de guerreet cultivée plus tard lors de son exercice dupouvoir.

UN SÉJOUR ET DES INTERROGATIONSLe 15 octobre, soit dix jours après son éva-cuation, un communiqué officiel de l’Agencede presse algérienne rompt enfin le silence.Une dépêche de l’agence off icielle, APS,expédie la nouvelle en quatre lignes : « Le

président Boumediène a quitté Alger à desti-nation de Moscou pour une visite de travail. »On l’aura bien compris : la diffusion de cetteinformation est destinée à couper court auxrumeurs et aux spéculations qui n’ont pasmanqué d’alimenter la gazette du palais. Lelendemain, lundi 16 octobre, Alger donnedavantage d’explications sur le voyage duPrésident ainsi que sur ses prétendues activi-tés. On évoquera alors des entretiens entreBoumediène, Leonid Brejnev, président del’URSS, et Alekseï Kossyguine, son chef dela diplomatie. Tant à Alger qu’à Moscou, toutnage dans une parfaite quiétude. Les Russespousseront même leur sens de l’hospitalitéjusqu’à annoncer, le 19 octobre, que le prési-dent Boumediène accepte de prolonger sonséjour en URSS.Décidément, ce séjour moscovite de Boume-diène devient de plus en plus suspicieux. Lesdifférentes analyses effectuées par les méde-cins russes donnent les premiers résultats :Boumediène serait atteint d’une cryoglobuli-némie, c’est-à-dire une affection qui se carac-térise par la présence dans le sang d’une pro-téine anormale. Hélas, les médecins évoque-ront également une autre pathologie, nette-ment plus grave. Pour la première fois, le dia-gnostic sera encore plus précis. Boumediènesouffre de la maladie de Waldenström, uneinfection très rare du sang, découverte par unchercheur suédois qui lui attribua son nom.Le mois d’octobre approche de sa fin. L’étatde santé de Boumediène s’améliore. Ilréclame auprès de lui son ministre desAffaires étrangères, Abdelaziz Bouteflika.Les deux hommes doivent se concerter avantla tenue d’un important sommet arabe prévudans la capitale irakienne. Fidèle parmi lesfidèles de Boumediène, Bouteflika se renddonc à Moscou. L’ambassade d’Algérie àMoscou est assiégée par les reporters, tousvenus à la pêche aux nouvelles. Mais alorsqu’officiellement tout est fait pour accréditerla thèse d’un voyage d’affaires, un diplomatede la représentation algérienne va commettrela bourde de déflorer ce secret.

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IL A REGNÉ SUR

LES DERNIERS JOURS

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■ Jeudi 5 octobre 1978. Le temps est couvert sur Alger. Les rares passagers du vol régulier Alger-Moscou, prévu à 9h15,attendent tranquillement dans la salle d’embarquement lorsqu’ils aperçoivent trois limousines noires s’immobiliserdevant la passerelle de l’avion.

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Pressé par les journalistes de fournir de plusamples indications sur la présence de Boume-diène en URSS, cet honorable diplomatelâchera devant les journalistes cette phrase : «L’état de santé du Président s’est beaucoupamélioré. » Jusqu’ici tenue secrète, la maladiede Boumediène devient un fait reconnu, unenouvelle admise officiellement. N’étant pasen mesure de prolonger longuement sonséjour à Moscou, Bouteflika se rend directe-ment à Baghdad pour assister à la conférencedes chefs d’Etat arabes. Jusqu’à la dernièreminute, les organisateurs ont attendu et espéréla présence de Boumediène, farouche défen-seur des causes arabes, mais le raïs ne serapas présent. Ce sera donc son ministre desAffaires étrangères qui présidera la délégationalgérienne. Assailli de questions sur l’état desanté de Boumediène, Bouteflika est dès lorscontraint d’admettre la réalité des faits avecdes termes diplomatiques. «Le Président a seulement éprouvé le besoinde prendre du repos, car il était complètementexténué. Il n’avait pas pris un seul jour decongé depuis le 1er novembre 1954. Les méde-cins lui ont imposé un temps d’arrêt. Ilreprendra incessamment ses activités »,affirme-t-il. Des vacances en URSS en pleinmois d’octobre ? Drôle d’endroit et encoreplus, drôle de période pour des vacances.Bien sûr, à Baghdad, personne n’est dupe. Lesdiplomates arabes ont vite compris que Bou-mediène était malade. C’est d’autant plus vraique quelques officiels syriens, ceux-là mêmesqui avaient accueilli le président algérienquelques jours plus tôt à Damas, ont perfide-ment laissé entendre, dans les couloirs despalaces de Baghdad, que Boumediène souf-frait d’une maladie mystérieuse.

DE GRANDS FRAIS POUR SOULAGER LEPRÉSIDENTA Moscou, le séjour de Boumediène com-mence à s’étirer. Devant l’incapacité desmédecins russes à procurer des soins adéquatsà l’illustre patient, l’entourage de Boume-diène décide de rapatrier le Président. C’estainsi que le 14 novembre, le quotidien ElMoudjahid peut annoncer en grosse man-chette : « Le président Boumediène est deretour à Alger ». Finis les ennuis de santé ?Loin de là… Affaibli et considérablementamaigri, Boumediène est contraint à un repostotal. Malgré les soins intensifs qui lui serontprodigués, les douleurs persistent encore etencore. Elles seront tellement insupportablesque ses apparitions publiques lui seront désor-mais prescrites. A l’aube du samedi 18novembre, patatras ! Le Président est évacuéd’urgence à l’hôpital Mustapha Bacha. Soncas est jugé grave. Très grave même. Boume-diène plonge dans le coma. Aussitôt, l’hôpitald’Alger sera transformé en bunker. Les ser-vices de sécurité quadrillent les alentours etchaque entrée sera désormais filtrée et sou-mise à l’autorisation des cerbères de la sécu-rité militaire. Tout un quartier du vaste hôpitalsera même entièrement réquisitionné. Sur unepancarte scotchée devant l’entrée de l’en-ceinte hospitalière, on peut lire « entrée inter-dite » et hormis les médecins et quelquesofficiels, nul n’est admis à y mettre les pieds.Progressivement, le gouvernement algérienmet en branle une gigantesque opérationmédicale internationale. Rien ne sera tropbeau ni trop cher pour soulager Boumediènede son mal. Des professeurs venus d’Europe,d’Amérique, d’Asie et d’Afrique débarquentdans la capitale algérienne pour se mettre auchevet du malade. Des appareils médicauxsophistiqués, au demeurant introuvables enAlgérie, sont-ils nécessaires ? On les feravenir à grands frais. Les médecins éprouvent-ils des difficultés à embarquer vers Alger ?On affrétera l’avion présidentiel, un Mystère20, pour les acheminer au chevet du Prési-

dent. Des places manquent-elles pour logertout cet aréopage de médecins ? Ils seront ins-tallés dans de luxueuses et confortables villassituées dans les quartiers chics de la capitale.Qu’importe le prix, des millions de dollarsseront dépensés, pourvu que le Présidentpuisse trouver une voie de guérison. Dans lepavillon réservé au patient, des dizaines demédecins de différentes nationalités serelayent aux côtés des professeurs algérienspour tenter de soulager Boumediène de sonmal. Non loin de la salle où gît inconscient lePrésident, l’on a aménagé une chambre pourson épouse Anissa qui ne quittera presqueplus l’hôpital. La fidèle, mais effacée, épouseveillera sur son mari comme une sorte d’angegardien. Des journées durant, les médecinsimprovisent de véritables congrès médicauxinternationaux dont l’objectif est aussisimple, tragique qu’impossible : faire revenirà la vie le président algérien. A quelquesencablures de ces conclaves médicaux, setiennent d’autres réunions, encore plussecrètes, moins informelles mais davantagedécisives. Non loin de cet hôpital où agoniseBoumediène, les membres du Conseil de larévolution algérienne, instance mise en placepar Boumediène au lendemain du coup d’Etatde 1965, se concertent, se consultent et écha-faudent des scénarios. Bien sûr, rien ne fil-trera de ces conclaves secrets. Rien ne serarendu public jusqu’à ce lundi 20 novembre oùle Conseil de la révolution annonce publique-ment « sa volonté d’assurer la direction dupays ». Bien que la vacance du pouvoir soitde fait assumée, personne n’osera prétendreoff iciellement à la succession de Boume-diène. Mieux, personne n’osera admettrepubliquement que le moment est venu pourparler de l’après-Boumediène. Les médias etles officiels appellent le peuple à la « vigi-lance ».

LES RUMEURS CIRCULENT SUR LA MORTDE BOUMEDIÈNELa population algérienne est invitée à se«montrer digne de l’épreuve que cruellementle destin lui a imposée, à faire montre decivisme et à faire confiance aux autorités dupays». Les journaux ressassent inlassable-ment la même antienne : la mobilisationcontre la réaction interne manipulée del’étranger. Jeudi 23 novembre. Une semaineest déjà passée depuis son admission à l’hôpi-tal. Boumediène est toujours dans le coma :«Paralysie des autres membres, inconsciencetotale, lésion possible à la base du cerveau».Bien que le bulletin de santé soit plutôt cri-

tique, le gouvernement algérien refuse des’avouer vaincu par la fatalité. D’éminentsspécialistes continuent d’arriver à Alger. Leprofesseur Adams, neurologue américain derenommée mondiale, ainsi que le neurochi-rurgien anglais Crockart arrivent à la res-cousse. Désormais, Alger devient la capitalede la médecine mondiale, dévouée à une seulecause, à un seul impératif : tout faire pourramener Boumediène à la vie. Miracle. Levendredi 24 novembre, celui-ci sort de soncoma. Il est même en mesure d’esquisserquelques gestes. Il répond aux injonctions desmédecins, ouvre les yeux et la bouche. Dèslors, l’espoir est permis. Le Président peutêtre sauvé, mais il faut faire encore plus.Quelqu’un suggère le nom du professeur JanGosta Waldenström. Le professeur Waldens-tröm, médecin chef de l’hôpital de Malmö enSuède, est reconnu par ses pairs pour être lespécialiste le mieux habilité pour traiter lesinfections liées au sang. N’est-ce pas lui qui adécouvert cette terrible maladie dont on ensort rarement vivant ? Contacté par les offi-ciels algériens, Waldenström accepte de serendre en Algérie. Il fera le voyage à Alger àbord de l’avion particulier du Président, cefameux Mystère 20. La venue de Waldens-tröm laisse présager un bon espoir. Arrivé àAlger, le professeur suédois est aussitôtconduit à l’hôpital où il s’entretient avecl’équipe médicale installée depuis quelquesjours. Après de longs entretiens, il peut enfinregagner sa résidence, mise à sa dispositionau niveau du Palais du gouvernement, unesomptueuse demeure mauresque nichée aucœur d’Alger. Ce n’est que le lendemain queWaldenström peut enfin consulter son illustrepatient. Son diagnostic ne tarde pas à tomber :Boumediène est atteint d’une très grave mala-die, pour tout dire, incurable. Cette vérité,Waldentröm se garde de la divulguer auxjournalistes étrangers. Secret médical, dit-il.Mais, cette vérité, il ne le cache pas aux raresofficiels algériens qui seront autorisés à s’en-tretenir avec lui. Parmi les conf idents dumédecin suédois, le ministre des Affairesétrangères, Abdelaziz Bouteflika, ainsi quel’épouse du Président, Anissa. A Bouteflika,Waldenström tiendra le langage de la fran-chise et de la vérité. « Il n’y a rien à faire. Ilfaut attendre la mort », aurait-il déclaré. Lemédecin de la dernière chance a donc délivrél’ultime message. Houari Boumediène n’aplus aucune chance de survie. Après avoirlivré son diagnostic, Waldenström émet levœu de repartir chez lui, en Suède. Plus rienne pourra sauver ce patient que les officiels

veulent absolument ramener à la vie. Mais lesofficiels algériens refusent de désespérer. Lediagnostic du professeur Waldenström n’étantpas une vérité absolue, il faudra donc touttenter pour que le miracle puisse avoir lieu.Aussi, on fait appel à l’expertise et à la logis-tique des Américains. Aussitôt sollicité, leprésident Jimmy Carter fait montre de sa dis-ponibilité et met à la disposition de l’Algérieun scanner dépêché directement de Califor-nie. Le précieux matériel arrivera à l’aéroportd’Alger au moment même où le Mystère 20de la Présidence algérienne s’apprête à décol-ler avec à son bord le professeur Waldens-tröm. Impuissant devant l’inéluctabilité de lamort, celui-ci avouera plus tard à un journa-liste de Paris Match les raisons de son départprécipité. «Je n’ai plus rien à faire», dira-t-il.Le 28 novembre, Boumediène sombre denouveau dans un coma irréversible. Il n’y apresque plus d’espoir parmi la cinquantainede médecins qui se relayent jour et nuit autourdu corps inanimé de Boumediène. En dépitdes renforts de matériel sophistiqué, malgréles multiples soins prodigués au patient, sonétat demeure désespérément critique. Il perddu poids à vue d’œil. Cet homme longiligneet légèrement grassouillet ne pèse aujourd’huiqu’une quarantaine de kilos. Dernièresemaine de décembre. Les officiels décidentde préparer l’opinion au pire. La presseévoque « la fatalité », comme pour signifierque Boumediène ne sortira plus jamais vivantde la salle d’hôpital où il gît depuis le 18novembre. Mercredi 27 décembre, l’informa-tion tombe comme un couperet. Le présidentHouari Boumediène est mort. Le Conseil dela révolution entre en réunion permanente.Objectif : organiser les obsèques de HouariBoumediène dans le calme et la sérénité.Avant de passer aux choses sérieuses. Ven-dredi 29 décembre. Au cimetière d’El Alia,une brochette de ministres, de hauts gradés del’armée et de grands dirigeants du pays estalignée en rangs d’oignons face au cercueildu défunt. Dans un silence de cathédrale, tousarborent des visages de cire. Habillé d’unmanteau noir, Abdelaziz Bouteflika, leministre des Affaires étrangères, fidèle parmiles fidèles, fait la lecture de l’oraison funèbre.Moins de deux heures plus tard, la cérémonies’achèvera tandis que commencera la vraiebataille pour la succession de Houari Boume-diène. S.O.A.

NB : Le présent article a été publié dans El Watan du 9 décembre 2007.

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Page 26: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

Par Mohand Aziri

Le colonel est mort, vive le colonel!(1) Le 27 décembre 1978, le colo-nel Houari Boumediène, présidentde la République depuis le 11

décembre 1976 et chef de l'Etat depuis leputsch de juin 1965, tira sa révérence. Lamort prématurée du «père fouettard» plon-gera le pays dans l'incertitude. Mais paspour longtemps. 45 jours après, un autrecolonel, Chadli Bendjedid, lui succédera,créant presque la surprise. Coopté par lesmilitaires, le chef de la 2e Région militaire(l'Oranie), celui en fait que personne n'at-tendait deviendra officiellement et à l'issued’une élection sans choix président de laRépublique le 7 février 1979.13 ans de pouvoir monolithique ont été lar-gement suffisants à Boumediène pour créerle vide autour de lui. Ses opposants, assassi-nés comme Krim et Khider, morts dans descirconstances troubles (Medegheri, SaïdAbid, les colonels Chabou, Abbès), exilés(Boudiaf, Aït Ahmed), emprisonnés ou pla-cés en résidence surveillée (Ben Bella, BenKheda, Ferhat Abbès…) sont à mille lieuesde constituer l'alternative au régime. Laliquidation de l'opposition prof itera au«troisième homme», celui faisant déséspéré-ment office de «solution médiane» entre lesdeux autres prétendants «naturels» à la suc-cession : le coordinateur du FLN, l'anciencolonel Mohamed Salah Yahiaoui etAbdelaziz Bouteflika alors ministre desAffaires étrangères. Tous les deux sont écar-tés par l'armée qui leur préféra Chadli, leprimus interpares, l'«officier le plus anciendans le grade le plus élevé».

RETOUR SUR UN «COUP D'ÉTAT ÀBLANC»Vendredi 29 décembre 1978. Jour des funé-railles off icielles du défunt président, laguerre de succession au pouvoir, que se

livraient jusque-là en sourdine les dauphinset épigones de Boumediène et les caudillosdu régime qui les parrainent, éclate au grandjour. Sur le parvis même du cimetière d'ElAlia (Alger). Quelques heures avant l'enter-rement, les «héritiers» potentiels du «messieau cigare», Bouteflika et Yahiaoui dispu-taient âprement qui des deux prononceral'oraison funèbre. Bouteflika aura f inale-ment le dernier mot. Sans doute après queAbdelmadjid Allahoume, secrétaire généralde la Présidence, lui ait apporté son soutien.Vêtu d'un manteau noir, Bouteflika donnerala mesure de ses talents d'orateur funéraireet prof itera del 'occasion pourmarquer solen-nellement ce quilui paraissait êtreson «territoire».Les événementsé v o l u e r o n tq u e l q u e ssemaines après àla défaveur dufringant ministredes Affairesétrangères. Lediscours du der-nier représentantdu «groupe d'Oujda» à être encore dans lesstarting-blocks du pouvoir, aussi émouvantfut-il, prononcé devant un aréopage de chefsd'Etat, ambassadeurs, officiels nationaux etétrangers et retransmis en direct à la télévi-sion pour des millions d'Algériens, étaitcependant loin de trancher la question de lasuccession. «Orphelins d'un père sévère,les dirigeants de l'Etat-FLN, confrontés à laredistribution des pouvoirs sans y être pré-parés, se demandaient comment les luttesâpres et violentes entre eux pouvaient êtreévitées. La peur d'une intervention populai-re maintenait leur unité», écrit MohamedHarbi (2). «Quand le colonel Boumediène

quitta la scène, sa disparition ne fut passaluée par le soulagement général que sesadversaires espéraient. En haut, les diri-geants connurent le vertige du vide. En bas,le sentiment confus d'avoir perdu un pèrenourricier fait place à la douleur.» Le«boumediénisme» a pu produire, d'aprèsl'historien, des «héritiers apparemmentétrangers à lui-même». Quatre groupescomposaient, selon lui, la couche dirigeantede l'époque : la direction de l'armée quiavait nommé comme coordinateur le chef dela région militaire de l 'Oranie, ChadliBendjedid ; le FLN avec M.S.Yahiaoui ; les

indust r ia l i s tesavec BélaïdAbdeslam ; lahaute adminis-tration qui ser e c o n n a i s s a i tdans A.Bouteflika, seulrescapé du grou-pe d'Oujda. Le Conseil de larévolution (CR),note le polito-l o g u eA b d e l k a d e rYafsah (3), aurait

pu naturellement désigner l 'un de sesmembres. Mais les frictions et ambitions deprésidentiable de chacun de ses membresont fait capoter ce scénario. A la veille de ladisparition de Boumediène, le CR n'étaitplus déjà à même d'assurer la successionmême s'il avait vainement tenté de le faire. Sur les 26 membres qui le composaient, iln'en demeure que huit. De 1965 à 1978, lesdeux tiers du CR ont fait les frais de purgeordonnée par Boumediène. Le conseil netardera pas à disparaître complètement avecla tenue du 4e congrès du FLN, du 27 au 31janvier 1979, qui sonnera le glas de cettestructure née du coup d'Etat de 1965. Avant

sa mort, Boumediène a qualif ié le CR de«corps inanimé».

YAHIAOUI, BOUTEFLIKA : DEUXPRÉTENDANTS, DEUX TENDANCESDès le 31 décembre, le président par intérimRabah Bitat réunit au MDN les cadres mili-taires. Bitat rendra effective la tenue d'uncongrès du FLN. Une commission de 37membres chargée de la préparer a été rapi-dement mise en place. La composition decette commission révèle, selon Yefsah, undosage assez subtil de toutes les tendancespolitiques au pouvoir. «Bien qu'on ne sachepas par qui elle fut désignée, il est clairqu'elle fut le résultat d'un marchandageentre notamment les tendances Yahiaoui etBouteflika», écrit-il. En plus des représen-tants de l'armée, le lieutenant-colonel KasdiMerbah et le colonel Hadjerès entre autres.Le 4 janvier, devant les membres de cettecommission, Yahiaoui n'hésitera pas lui nonplus à marquer son territoire et à se parerdes habits du successeur désigné et du«continuateur» de l'œuvre de Boumediène.Yahiaoui déclare que le congrès du FLN «nepourra choisir qu'une direction qui a foi enle socialisme». L'attaque, est on ne peut plus claire, dirigéecontre son sérieux rival : Bouteflika. Maisles tractations secrètes pour introniser lenouveau chef n'ont pas attendu la mort deBoumediène. Le 18 novembre. 1 heure dumatin, Boumediène entre dans un coma pro-fond. Il est de nouveau hospitalisé au CHUMustapha. Prétendant timide à la succes-sion, le Dr Ahmed Taleb Ibrahim, alorsministre conseiller du président, témoigne (4)

à propos de ces tractations. «Le 20novembre, K. Merbah me rend visite à l'hô-pital. Très lucide, il pense que le moment estvenu de penser à l'avenir. (…) Deux candi-datures s'aff ichent me dit-il, celles deBouteflika et de Yahiaoui.

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LA DISPARITION DE BOUMEDIÈNE

LE COLONEL EST MORT,

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 30

■ Le 27 décembre 1978, le colonel Houari Boumediène, président de la République depuis le 11 décembre 1976 et chefde l'Etat depuis le putsch de juin 1965, tira sa révérence.

1965 - 1978 : LE RÈGNE DE TOUS LES POUVOIRS El Watan - Samedi 27 décembre 2008 - 31

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Il ne cache pas sa préférence pour le premier,tout en ajoutant : «Pourquoi ne pas songer àd'autres noms ?» Deux «tendances politiques»s'affrontaient d'après Yafsah dans ce duel sansmerci que se livraient le ministre des Affairesétrangères et le coordinateur du FLN. La pre-mière «tendance qui contrôlait les appareilsd'encadrement existants avait le soutien duPAGS, des Frères musulmans, baâthistes (…)»et la seconde incarnée par Bouteflika appuyépar la «bourgeoisie privée» et «une partie nonnégligeable de la bour-geoisie d'Etat» et qui«promettait dans lesallées du pouvoir unecertaine ouverture poli-tique et économique». Le 27 janvier 1979. Lecongrès du FLN seréunit… enfin !«L'appareil du parti nes'était pas réuni depuisavril 1964. B.Benhamouda, A. Kafi etK. Merbah composentavec Laïdi et L. Soufi lebureau du congrès. Troiscommissions sont instal-lées dont celle chargéed'étudier les «candida-tures» au poste de SG duFLN et de président de laRépublique. Les concilia-bules et négociationssecrètes ont duré 5 jours au bout desquels les3290 congressistes du FLN - exclus pendantles débats des commission par les huis closimposés - ont vu s'échapper de la cheminéeAlgérie une fumée blanche. Le génie est enfinsorti de sa bouteille. Bon ou mauvais génie,Chadli campera 13 ans durant le pouvoirsuprême. «Je jure que durant toute cette pério-de, je n'ai jamais cherché à être chef. Toutes lesresponsabilités que j'ai exercées m'ont étéimposées», déclarait le 27 novembre passéChadli Bendjedid (5). S'il est devenu président àla place du président, c'est parce queBoumediène le désirait. L'armée aussi. Chadli: «Sur son lit de mort en Russie, HouariBoumediène a délégué une personne, dont jene citerais pas le nom, pour me dire ‘’Chadlidoit me remplacer à la tête de l'Etat", mais cedélégué est allé voir d'autres personnes avantde venir m'apporter le message. Il y a eu 7 pos-tulants à la succession de Houari Boumediène,dont quatre du Conseil de la révolution. Je n'aijamais dit aux militaires de me porter à laPrésidence. Je sais cependant qu'il y a eu uneréunion dans une école et les militaires en sontsortis pour dire : vous avez le choix entreChadli et Bendjedid.» L'armée a fait donc sonchoix. Il sera entériné sans résistance par legongrès et 7 millions de votants algériens.Larbi Belkheïr évoque le «conclave» des mili-taires, faiseurs de rois (6)

LE CONGRÈS DU FLN, LE CONCLAVE DESMILITAIRESLe conclave, qui s'est tenu à l'Ecole militaired'ingénieurs Enita (La Pérouse) dont il était lecommandant, a été convoqué par le comman-dement de l'armée. «A l'époque, je n'en faisaispas partie.» Celui qui était pendant plusieursannées le chef d'état-major de Chadli au com-mandement de la 2e RM et son éminence grisecite «K. Merbah, Rachid Benyellès, Mohamedrouget (général Attaïliya), MohamedBelhouchet» comme ayant participé à cetteréunion secrète et décisive. «Dans ce choix,écrit Harbi, la Sécurité militaire avait joué lepremier rôle. Ses chefs (Merbah, YazidZerhouni, Ferhat Zerhouni et Tounsi) connais-saient bien le pays et le personnel dirigeant,mais n'avaient pas le poids des chefs des

régions militaires (…)». Harbi parle parailleurs d'un «accord entre Bitat, Yahiaoui etChadli pour gouverner le pays. Mais la formu-le d'un triumvirat fut écartée par la direction del'armée, au profit de celui qu'elle avait dési-gné.»«Le principal artisan du choix du colonelChadli fut incontestablement Kasdi Merbah,chef de la sécurité militaire (de 1962 à 1979)»,a souligné pour sa part A. Yefsah. Un choix«appuyé par le colonel Belhouchet et d'autresdirigeants de l'armée». Citant des témoi-gnages, Yefsah affirme que Merbah -assassinéen 1993 - aurait menacé les opposants à Chadli

de rendre public des«dossiers compromet-tants les concernant». Yahiaoui commeBouteflika et tous lesautres soupirants(Taleb Ibrahimi,Belaïd Abdeslam,Bencherif, etc.) pas-sent gentiment à latrappe. Bouteflika quine quittera pas le pou-voir avant 1981 parled'un «coup d'Etat àblanc» et revendiquecomme Chadli sondroit naturel à la suc-cession. Sur les ondesd'Europe1, il déclareen 1999 : «J'aurais puprétendre au pouvoirà la mort de

Boumediène, mais la réalité est qu'il y a eu uncoup d'Etat à blanc et l'armée a imposé uncandidat.» En octobre 1999, Bouteflika inter-roge le général Nezzar : «Boumediène m'adésigné comme son successeur par une lettretestament qu'il a laissée avant sa mort. Cettelettre se trouvait à un moment donné aux mainsd' A. Allahoum. Qu'est devenue cette lettre ? Jevoudrais bien le savoir parce que j'ai vu cettelettre» (7). «En disparaissant, Boumediène n'alaissé absolument aucun signe, aucune recom-mandation sur ce que devait être sa succes-sion. Bouteflika voulait se présenter un peucomme le continuateur, comme le successeurdésigné ; mais il n'y avait rien, Boumediènen'a absolument rien fait pour marquer, par ungeste quelconque, que quelqu'un pouvait êtreson prétendant à la succession»(8), a affirmépour sa part Belaïd Abdeslam, le puissantministre de l'Industrie et de l'Energie deBoumediène et un des plus farouches adver-saires de Bouteflika.

Evoquant la mystérieuse lettre testament,Belaïd Abdeslam rappelle que celle-ci datait dela crise du Sahara occidental de l'été 1976.

UN TESTAMENT, DEUX HÉRITIERS Après les premiers incidents d'Amgala,Boumediène s'était rendu à Moscou pour desconsultations. «Avant de partir, il a laissé uneenveloppe cachetée (…) et a avisé les membresdu CR : ‘’Je m'en vais à Moscou et s'il m'arri-ve quelque chose, j'ai laissé une enveloppechez Amir Mohamed (SG de la présidence)’’.On n’a jamais su ce qu'il y avait dans cetteenveloppe, mais les gens disaient qu'il donnaitmandat pour Bouteflika, dans le cas où il dis-paraîtrait», se rappelle Belaïd Abdeslam. Iljustifie le geste du président : «A l'époque, iln'y avait ni Constitution ni charte. Par la suite,il y a eu la Constitution qui définissait une pro-cédure de succession. Dans le premier projetde cette Constitutionfurent inclus, sur insis-tance de Bouteflika, desarticles prévoyant lafonction de premier vice-président de laRépublique (qui) semblaitouvrir la voie à la succes-sion pour Bouteflika (…)mais Boumediène a hési-té et fait marche arriè-re.» Boumediène opterapour une autre formule desuccession qu'il trouve«meilleure» : «Quand j'aivu Boumediène pour lamise au point finale dutexte, il m'avait dit : ‘’Oui, c'est la meilleureformule. Le président de l'APN assure l'inté-rim ; lui, il se tient hors jeu. Il ne doit pas seprésenter pour laisser aux autres le soin de sedébrouiller et de régler le problème entre eux.’’C'est ce qui s'est passé.» Belaïd Abdeslams'opposera frontalement à Bouteflika. Dansune lettre qu'il a adressée à la commissionchargée de préparer le congrès du FLN, ildénoncera la «menace de la sadatisation del'Algérie» qui se profile à travers Bouteflika.Taleb recueille le 14 octobre 1978 les «pré-cieuses confidences» de Boumediène lorsquecelui-ci était à Moscou pour les premiers soins: «On a beaucoup épilogué sur mes relationsavec Bouteflika. La vérité, c'est que AbdelazizBouteflika était un jeune homme inexpérimen-té, qui avait besoin d'un mentor. J'ai joué cerôle. Sans doute m'en veut-il de ne l'avoir pasdésigné comme «prince héritier» ainsi qu'il ledésirait (en 1976 lors de la préparation du pro-

jet de la nouvelle Constitution, ndlr)». DeChadli, il en parle en bien : «Le seul membredu Conseil de la révolution dont je n'ai pas euà me plaindre est Chadli.» Un homme qui «abeaucoup de bon sens». A la mort deBoumediène, l'armée a cherché, d'après lesociologue Lahouari Addi(9), à acquérir plusd'autonomie vis-à-vis de la Présidence devantlaquelle elle estimait s'être trop effacée. Lechoix de Chadli était motivé par le fait quecelui-ci n'était pas ambitieux et n'avait pas lapassion du pouvoir. L'armée voulait un prési-dent qui n'a pas d'ascendant sur elle pour qu'el-le puisse intervenir dans les affaires du pays.Chadli est choisi par ses pairs pour écarter etS.Yahiaoui dont l'autoritarisme supposé susci-tait la méfiance, et A. Bouteflika perçu commeun libéral dont les positions faisaient craindreun revirement idéologique trop brutal. Cettelutte en sourdine pour le pouvoir confirme aux

yeux de Yefsah, «la pré-pondérance des militairesdans la vie politique algé-rienne. Loin de se ‘‘civili-ser’’, le pouvoir politiqueest demeuré le monopoledes militaires. Un colonelsuccède à un autre. Leclientélisme, la cooptationsont confirmés commeméthodes de gouverne-ment. Quant au régionalis-me que l'on croyait émous-sé, dépassé, il réapparaîtde nouveau».

M. A.Références

(1) Ahmed Bencherif, interview El Khabar,11 février 2008.(2) Mohamed Harbi, L'Algérie et son destin,croyants ou citoyens, Médias Associés, Paris,1994, pp. 196 et 197.(3)Abdelkader Yafsah, La question du pouvoiren Algérie, ENAP éditions, Alger 1991, pp.311, 314 et 320.(4) Ahmed Taleb Ibrahimi, Mémoires d'unAlgérien, Tome II, Casbah éditions, Alger,2008, pp. 434, 440.(5)El Watan du 27 novembre 2008.(6)Jeune Afrique, 29 avril 2002.(7) Mohamed Benchicou, Bouteflika, uneimposture algérienne, p. 123. (8) Mahfoud Benoune, Ali El Kenz, Lehasard et l'histoire, entretien avec BelaïdAbdeslam, tome II, Enag éditions, Alger,1990, pp. 285 et 295.(9)Lahouari Addi, L'Algérie et la démocratie,éditions La Découverte, Paris, 1995, p. 62.

LIBÈRE LES PRÉTENDANTS À LA SUCCESSION

VIVE LE COLONEL !

45 jours après, un autre colonel,Chadli Bendjedid, lui succédera,

créant presque la surprise. Cooptépar les militaires, le chef de la 2e

Région militaire (l'Oranie), celui enfait que personne n'attendait

deviendra officiellement et à l'issued’une élection sans choix présidentde la République le 7 février 1979.

Prétendant timide à lasuccession, le Dr Ahmed

Taleb Ibrahim, alorsministre conseiller du

président, témoigne (4) àpropos de ces tractations.

«Le 20 novembre, K.Merbah me rend visite àl'hôpital. Très lucide, il

pense que le moment estvenu de penser à l'avenir.

(…) Deux candidaturess'affichent me dit-il, celles

de Bouteflika et deYahiaoui.

Chadli est choisi par sespairs pour écarter et

S.Yahiaoui dontl'autoritarisme supposésuscitait la méfiance, et

A. Bouteflika perçucomme un libéral dontles positions faisaientcraindre un revirement

idéologique trop brutal.

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La rivalité féroce entre Abdelaziz Bouteflika (ph. droite) et Mohamed Salah Yahiaoui (ph. centre) va profiter à un outsider tout à fait inattendu : Chadli Bendjedid (pho. gauche)

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Page 27: Houari Boumediene : le règne de tous les pouvoirs (1965-1978)

LA MORT MYSTÉRIEUSE DE BOUMEDIENE

CE QU’ILS EN PENSENT…

Par: Said Rabia

CHADLI BENDJEDID ancien président de la République(1979-1992)

«Je ne peux pas trancher surcette question. Est-il mort defaçon naturelle ou bien a-t-il étéempoisonné ? Cependant, j'ai lesentiment que sa mort ressembleà la mort de Yasser Arafat.Durant les dernières années desa vie, il me rendait visite àOran, au siège de la deuxièmerégion militaire, et je remarquaisdes marques d'épuisement surson visage, il ressentait certainesdouleurs mais il ne s'en plaignaitpas. A son retour de Damas, après la réunion du Front de résis-tance et de défi, Boumediene n'apparaissait plus en public.Ensuite il a été transféré à Moscou pour y être soigné, maissa maladie s'est aggravée, et après son retour, il est mort le 27décembre 1978.»

NAÏF HAWATMA secrétaire général du Frontdémocratique de libération de laPalestine (FDLP)

"Le président Houari Boumedieneest mort empoisonné. Le poisonétait à très long effet et ne pouvaitêtre détecté qu'au stade final. Lesautorités soviétiques ont informéun membre du Conseil de la révo-lution de ce fait. Son cas est simi-laire à celui du président palesti-nien Yasser Arafat.L'empoisonnement a été arrangé

par les services de renseignement israéliens sous l'égide deSharon. Arafat consommait des aliments et des médicamentscontaminés pendant une longue période".

AHMED BENCHÉRIF ancien commandant en chef de la Gendarmerie Nationale

«J'ai été le seul à avoir prisconnaissance de son ordonnancequi dit qu'il est atteint dans l'ap-pareil urinaire ; il urinait du sang.Personnellement, j’estime que lesmédecins russes n'étaient pasd’un bon niveau. Si on l'avaittransféré dans un pays européen,on aurait diagnostiqué sa maladiede manière précise. On aurait pule soigner et lui sauver la vie. Lamort de Boumediene est iden-tique à la mort de Yasser Arafat. J'ai offert au Président deux

chiens de race danoise, ils sont morts empoisonnés. Mais cequi est étonnant, c'est que les médecins russes ont trouvéchez les deux chiens les mêmes symptômes que chez ledéfunt Boumediene.»

AHMED TALEBIBRAHIMI dans “Mémoires d'un Algérien-La passion de bâtir”

«Vingt neuf ans nous séparentde ce triste événement. Duranttoute cette période, de nom-breux compatriotes n'ont cesséde me poser cette question lanci-nante: est-il mort de maladie,comme on le prétend, ou bienn'a-t-il pas été plutôt victimed'un empoisonnement lent,œuvre des services secretsétrangers, notamment améri-cains et israéliens ? Dans l'état actuel de mes connaissances, il est difficile deconfirmer telle ou telle hypothèse, surtout que dans les paysdu Tiers-monde, on a tendance à refuser que certains leaderscharismatiques soient des hommes comme les autres, expo-sés aux mêmes vicissitudes de la vie tels que la maladie, lesaccidents. Par ailleurs, d'autres morts de leaders restentmystérieuses. Ainsi, de sérieux soupçons pèsent sur les services secretsisraéliens qui seraient certainement responsables de l'em-poisonnement de Yasser Arafat, après avoir vainement tenté,quelques années plus tôt, une opération similaire à Ammancontre le chef du mouvement palestinien Hamas, KhaledMachaal. Autres exemples : le Roi Fayçal a été assassiné au momentoù il défendait la thèse de l'embargo pétrolier à destinationdes pays occidentaux qui soutiennent Israël, et lesPrésidents Nasser et Assad aux positions anti-impérialisteset anti-sionistes notoires ont été terrassés par des crises car-diaques…Toujours est-il que j'ai quitté à Moscou le 17octobre un Boumediene en forme et avec un moral de feralors que 28 jours après, je l'ai retrouvé à Alger fort dimi-nué. Espérons que d'autres témoignages pourront un jouréclairer l'Histoire dans un sens ou dans un autre.»

BELAÏD ABDESLAM dans “Le hasard et l'histoire”

«Pour la maladie, je n'ai pas grand-chose à dire. Ça a été une surprise.J'étais, je crois, le dernier ministrequ'il a reçu en audience. Je ne rentrepas dans les détails de cette discus-sion. Je l'avais vu le 10 ou le 12 sep-tembre. Il était fatigué. Mais il avaitl'habitude d'être toujours malade,en cette période de l'année. En été,il était souvent grippé. Je pensaisque c'était une grippe, un peu plusprolongée. Mais je ne soupçonnaispas autre chose. Ce jour-là, j'avais demandé à le voir parce que je devais par-tir en mission en Allemagne. Il était malade. Le lendemain

même de ma demande d'audience, il m'a appelé. Je suis allédans son bureau. Je ne devais pas rester longtemps avec lui.Mais il m'a retenu assez longuement comme toujours. On adiscuté un peu de ma prochaine mission. Surtout - et c'étaitla première fois que je l'apprenais-, il m'a parlé des contactsqu'il avait avec le roi Hassan II et de la rencontre qu'ilsallaient avoir à Bruxelles. Il m'avait demandé mon avis. Je lui ai suggéré de la repor-ter… Le rendez-vous était fixé pour le 20 septembre. Maisil m'avait parlé d'une chose qui m'avait frappé, et dont jen'avais pas saisi la portée sur le coup. Il m'avait dit : "Le roim'a dit que si on ne se voit pas cette fois-ci, on risque de nese voir jamais ! Pourquoi le roi m'a-t-il dit cela ?"(...) De quel indice ou dequelle information disposait, alors, Hassan II que, passé lemois de septembre 1978, il n'avait plus de chance de ren-contrer Boumediene ? C'est l'une des énigmes qui, pour moi, entourent les cir-constances de la disparition de ce dernier. (..) Il est mort descomplications d'une maladie qu'on présente comme trèsrare, et d'une forme encore plus rare de cette maladie. Enfait, tout semble indiquer que le diagnostic du mal qui aemporté Boumediene n'a pas été établi clairement. La causede sa mort demeure encore un mystère, sauf, peut-être, pourceux qui l'auraient préméditée et perpétrée.»

ANISSA BOUMEDIÈNE au quotidien El Khabar

«Personne ne sait siBoumediene est mortempoissonné ou non, y com-pris Chadli, mais je peux direaujourd'hui que lui-même etd'autres responsables ontdécidé de débrancher lesappareils de réanimationlorsque Boumediene étaitdans le coma, et ils ont déci-dé de sa mort.»

HAMED EL DJABOURI ex-ministre des affaires présidentielles et étrangères irakiennes à la Chaîne Al-Djazira, dans l'émission Chahed El Aasr (témoin du siècle)

«Le président Houari Boumédiene est mort empoisonné suiteà sa visite dans la capitale syrienne Damas ou il a assisté àson dernier sommet arabe. Boumediene a commencé à maigrir jusqu'à ressembler à unfantôme. Je savais de quoi souffrait Boumediene, il a étéempoisonné avec un type de poison ravageur : le lithium, etj'ai eu à voir un cas similaire ici en Irak et l'issue est la mortcertaine pour quiconque qui en consommerait". Je me tenais constamment au courant de l'état du défunt pré-sident, étant donné la place de l'Algérie dans le cœur desIrakiens. Le docteur Ahmed Taleb El Ibrahimi me renseignait surl'évolution de la santé du président Boumediene -dieu ait sonâme- et il m' a confié, lors des derniers jours du président,que le "siège" s'est durci en ce qui concerne les visites quo-tidiennes de sorte qu'il était le seul à le voir ainsi quequelques personnes très proches car Boumediene avait réel-lement l'air d'un spectre».

■30 ans après la disparition du président Houari Boumediene, sa mort continue à susciterbeaucoup d'interrogations. Est-il mort d'une mort naturelle, ou a-t-il été empoisonné ? Tousceux qui l'ont approché, travaillé avec lui, ou ceux parmi ses proches collaborateurs qui l'ontaccompagné à Moscou pour se faire soigner, n'arrivent pas à expliquer les circonstances de sadisparition. Mais tous ceux qui ont eu à s'exprimer sur le sujet penchent plutôt pour la thèsede l'empoisonnement. Le mystère demeure entier. Comment a-t-on enterré un chef d'Etatsans savoir les raisons de sa mort, d'autant plus qu'elle fut suspecte ? C'est l'autre grandequestion qu'il faut absolument poser.

El Watan PH

OTO

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DR

SUPPLÉMENT GRATUIT - 27 DÉCEMBRE 2008