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Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique Université Moustafa Ben Boulaid, Batna 2 Faculté des lettres et des langues étrangères Département de langue et littérature françaises Cours de linguistique Méthodes et théories linguistiques Préparé par Dr. Soraya Hadjarab Destiné aux étudiants de 3 ème année en langue et littérature françaises 1

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Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique Université Moustafa Ben Boulaid, Batna 2

Faculté des lettres et des langues étrangères Département de langue et littérature françaises

Cours de linguistique

Méthodes et théories linguistiques

Préparé par Dr. Soraya Hadjarab

Destiné aux étudiants de 3ème année en langue et littérature françaises

2017-2018

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Contenu du cours

Introduction

I. Saussure et le cours de linguistique générale

I.1 Les grandes orientations du cours

I. 2 Les concepts fondamentaux du cours

I.2.1 Langage, langue et parole

I.2.2 Linguistique synchronique et diachronique 

I.2.3 La langue comme système de signes

I.2.4 Le signe linguistique

I. 3 Exercice

II. Le fonctionnalisme

II.1 La double articulation 

II.2 La notion d’économie du langage 

II.3 Les unités significatives 

II.4 La syntaxe fonctionnelle

II.5 Exercice

III. La syntaxe de Tesnière

III.1 La syntaxe dynamique 

III.1.1 La connexion 

III.1.2 La translationIII.1.2.1 La théorie de la translation 

III.1.2.2 Représentation graphique de la translation du premier degré

III.1.2.3 La translation du second degré

III.1.2.4 Classification des translations du second degré

III.1.3 La Jonction

III.2 Catégories et fonctions grammaticales

III.2.1 Classes de mots

III.2.2 Fonctions grammaticales

III.2.3 La Valence

III. 3 Exercice

IV. Le distributionalisme

IV.1 Présupposés théoriques du distributionnalisme

IV.2 La méthode : comment décrire la structure d’une langue ?

2

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IV.3 La syntaxe distributionnelle

IV.3.1 Les constituants immédiats  

IV.3.2 La représentation de la structure de la phrase

IV.4 Exercice

V. La grammaire générative

V.1 La théorie standard

V.2 L’ambigüité

V.3 L’indicateur syntagmatique

V.4 Exercice

VI. La pragmatique : la théorie des actes de langage

VI.1 Qu’est-ce que la pragmatique ?

VI.2 La compréhension du langage 

VI .2.1 Les processus codiques

 VI.2.2 Les processus inférentiels

VI.3 La théorie des actes de langage

VI.3.1 Austin et les débuts de la pragmatique

VI.3.2 La théorie des actes de langage vue par Searle

VI.4 Exercice

VII. L’énonciation

VII.1 Quelques repères théoriques et historiques

VII.2 Les marques linguistiques de l’acte d’énonciation et de l’ancrage énonciatif

VII.2.1 La situation d’énonciation

VII.2.2 Les modalités d’énonciation

VII.3 Exercice

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Les objectifs du cours

Ce cours est destiné aux étudiants de 3ème année qui se spécialisent en langue et littérature

françaises. Des étudiants pour qui, naturellement, la linguistique en tant que discipline n’est

pas nouvelle car ayant l’occasion de s’y initier durant les deux premières années de leur

formation. Ainsi, dans une logique de continuité, le contenu du cours est élaboré en

reconnaissant les pré-acquis des étudiants.

Les objectifs ciblés sont les suivants :

1/ Rappel des concepts de base de la linguistique structurale.

2/ Prendre conscience de la diversité des théories linguistiques.

3/ Se familiariser avec quelques modèles d’analyse syntaxique.

4/ Distinguer entre la linguistique de la langue et celle de la parole à travers l’opposition :

analyse structurale/ analyse pragmatico-énonciative.

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Introduction

Du fait de la multiplicité de ses écoles, la linguistique offre peu de concepts et de méthodes

universellement admis. Elle est plus considérée comme un foisonnement d’orientations, de

méthodes et de terminologies. Cependant, dans cette diversité, des repères peuvent être fixés.

Schématiquement, on peut opposer aujourd’hui, deux grands ensembles : la linguistique

structurale d’un coté et la linguistique générative de l’autre. Une opposition à laquelle se

superpose une autre entre la linguistique américaine et la linguistique européenne.

Notre objectif n’est nullement de présenter l’état de la linguistique contemporaine car cela

nécessiterait des milliers de pages ; c’est surtout permettre à l’étudiant de prendre conscience

de la diversité des théories linguistiques et de comprendre les problèmes et les enjeux de ces

approches.

On peut noter que Saussure a profondément marqué la linguistique européenne. En 1926 se

forme à Prague un cercle de linguistique sous le nom de l’école de Prague. Parmi ses

linguistes Troubetzkoy et Jakobson qui s’attachent à la définition de la langue comme système

de signe et insistent sur la fonction communicative et la description synchronique de la

langue.

Une autre école qui va dans la lignée du Saussurisme, l’école française fonctionnaliste avec

notamment Martinet et Benveniste (initiateur des théories du discours et de l’énonciation)

dont l’essentiel de leurs travaux sera présenté dans ce cours.

L’originalité de la linguistique française revient aussi à des chercheurs comme Tesnière et

G.Guillaume avec sa théorie du langage connue sous le nom de psychosystématique ou

psychomécanique qui considère la langue comme un dynamisme lié à l’activité de la pensée

et non comme un pur système de différences.

Enfin, on peut citer le danois L. Hjelmslev qui a fondé la théorie de la glossématique et aussi

le cercle de linguistique de prague avec la contribution de V. Brondal.

La linguistique américaine quant à elle se distinguera avec deux grandes orientations : un

courant qui s’inscrit dans le domaine de l’ethnolinguistique et un autre orienté vers la

linguistique générale et les théories grammaticales.

Les centaines de langues amérindiennes ont gagné l’intérêt de plusieurs chercheurs comme F.

Boas qui a donné des méthodes de descriptions de ces langues et a émis des hypothèses sur les

liens entre langue et ethnie, ou encore E. Sapir qui définit la langue comme forme et élabore

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avec son disciple B.L. Whorf la théorie connue sous le nom l’hypothèse Sapir-Whorf selon

laquelle c’est la langue qui donne forme à la pensée c'est-à-dire qu’elle impose à la

communauté sa vision du monde.

En linguistique générale, Bloomfield jette les bases d’une linguistique fondée sur une

approche béhavioriste des faits de langage conçus comme des réponses à des stimuli et définit

les principes de la méthode distributionnelle et ceux de l’analyse en constituants immédiat.

C’est Z.S. Harris qui expose par la suite d’importants et de nouveaux développements avec

l’application de la méthode distributionnelle à l’analyse des discours et l’introduction dans la

théorie linguistique de la notion de transformation.

Enfin, nous citons N. Chomsky avec sa grammaire générative et transformationnelle qui

assigne à la linguistique une visée différente de celle de Bloomfield et de Saussure.

Ici, nous allons essayer de parcourir la linguistique structurale aux travers de ses représentants

les plus éminents à savoir : Saussure, Martinet, Tesnière, Bloomfield et Chomsky.

Dans ce cours il n’est pas question uniquement de structuralisme mais aussi de pragmatique et

d’énonciation. Nous passerons du domaine de recherche de la systématicité à l’étude de

productions langagières, particulières et variables ; de la linguistique de la langue à celle de la

parole où l’objectif de l’analyste n’est plus le système en lui-même et pour lui-même mais le

fonctionnement de la langue. De nouvelles préoccupations ont vu le jour en se réappropriant

des notions longtemps écartées, celles de parole et de performance.

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I

Saussure et le cours de linguistique générale

Ferdinand De Saussure

Ferdinand De Saussure a attaché son nom à la naissance de la science linguistique. Mais

l’essentiel de son travail ne nous est pas parvenu sous la forme d’une œuvre rédigée par son

auteur : avec le cours de linguistique générale, nous avons affaire à un texte élaboré par deux

disciples De Saussure, Ch. Bally et A. Sechehaye, à partir de trois cours de linguistique

générale professés par Saussure de 1906 à1911 à Genève. Le cours fut édité pour la première

fois en 1916. Bally et Sechehaye ont souligné, dans leur préface à la première édition, les

difficultés du travail de reconstitution et de synthèse auxquels ils étaient livrés, en utilisant

tous les matériaux dont ils disposaient y compris les notes personnelles de Saussure.

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Dans ces conditions, on ne peut guère s’étonner des interprétations nombreuses qu’a suscité le

cours : la genèse et la forme de l’ouvrage ne peuvent qu’alimenter la réflexion des linguistes

préoccupés de découvrir la « véritable » pensée de Saussure.1

I.1 Les grandes orientations du cours - La linguistique est une science descriptive 

Il s’agit d’abord de distinguer la nouvelle discipline de la grammaire traditionnelle

caractérisée par Saussure comme normative, grammaire qui vise essentiellement à produire

des règles pour faire le partage entre formes « correctes » et formes « incorrectes ». En

refusant la pure observation, en se fondant sur la logique les catégories de pensée, cette

grammaire s’interdit d’être une discipline scientifique. Or c’est justement à la scientificité

que la linguistique prétend en adoptant un point de vue strictement descriptif qui exclut les

jugements de valeur : là où la grammaire légifère le linguiste décrit et cherche à comprendre ;

là où les puristes invoques l’autorité, la tradition, l’étymologie, les linguistes en reste à

l’observation des faits, au fonctionnement hic et nunc du système de la langue.

- La linguistique affirme la primauté de l’oral sur l’écrit 

Saussure démarque la linguistique d’une autre discipline : la philologie, dans sa version

historique comme dans sa version comparative. Saussure qui a pratiqué la philologie toutes sa

vie lui reconnait une scientificité mais dans le domaine de la fixation de l’interprétation, du

commentaire des textes, domaine où les recherches spécifiques sur les langues n’occupent

qu’une place secondaire : les langues ne constituent pas l’objet de l’étude qui débouche sur

l’histoire littéraire, celle des mœurs et des institutions, tout élément qui concerne la langue

mais que Saussure range sous la rubrique « éléments externes de la langue », déclarant dans la

dernière phrase du cours que « la linguistique a pour unique et véritable objet la langue

envisagée en elle-même et pour elle-même ». (Bally,Sechehaye, et Riedlinger, 1971 : 317).

Puisque elle s’attache par principe à l’étude des textes, la philologie oublie la langue vivante,

la langue parlée en sein de la communauté linguistique et concourt à la dépréciation de l’oral,

déjà entretenu par la grammaire normative qui fait de l’imitation des grands écrivains la règle

du bien écrire comme du bien parler. C’est pourquoi la linguistique structurale a posé le

1 Il faut souligner qu’en 1996 des notes de Saussure ont été retrouvées, à l’occasion de travaux de rénovation dans l’orangerie de la demeure familiale des Saussure à Genève, à un jet de pierre de l’université où ont eu lieu les cours de linguistique générale. Elles contenaient bien, entre autres, l’esquisse, fort avancée, d’un livre sur la linguistique générale – titré De l’essence double du langage. Elles ont été publiées en 2002 sous le titre Ecrits de linguistique générale, regroupées avec tous les autres écrits, déjà parus dans les éditions Engler de 1968 et 1974, lisibles cette fois dans leur continuité.

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principe de la primauté de la langue parlée, à l’aide de grands arguments majeurs : la parole

et plus ancienne et plus répondue que l’écriture (il y a des sociétés sans écriture ; l’enfant

apprend à parler avant d’écrire), et les systèmes d’écritures connus sont manifestement fondés

sur les unités de la langue parlée (les systèmes alphabétiques reposent sur les sons, les

systèmes syllabiques sur les syllabes , les systèmes idéographiques sur les mots)

- La linguistique fait partie de la science générale des systèmes de signes ou

sémiologie

Saussure tente de situer la langue parmi les autres (moyens) systèmes de communication et

pose ainsi le problème du statut de la linguistique entant que science sociale. Pour cela, il

envisage la constitution d’une science : la sémiologie qui s’occupe de l’ensemble des

systèmes de signes exprimant des idées. Au sens le plus général, elle désigne la science qui

étudie les systèmes signifiants linguistiques ou non linguistiques. Saussure dit à ce sujet : « la

langue est un système de signes exprimant des idées, par là, comparable à l’écriture, à

l’alphabet des sourds-muets aux rites symboliques, aux formes de politesses, aux signaux

maritimes …etc. Elle est seulement le plus important de ces systèmes. » (Bally,Sechehaye, et

Riedlinger, 1971 : 33).

- Distinguer la matière de la linguistique de son objet 

Le premier apport majeur de Saussure que certains n’hésitent pas de qualifier de « révolution

copernicienne » fondant la linguistique moderne comme science a été de distinguer

clairement la matière de la linguistique de son objet.

La matière de la linguistique c’est l’ensemble des manifestations du langage qui sont

hétérogènes, diverses, multiformes et comme telles insaisissables dans leur totalité. Pensez

par exemple aux différences entre un texte classique, un courrier électronique et un dialogue

en ligne sur internet ! L’objet de la linguistique c’est le sous ensemble des manifestations du

langage que le linguiste construit en adoptant tel ou tel point de vue, en choisissant de

s’intéresser à tel ou tel aspect de la matière. Si la matière est donnée d’avance, l’objet, lui,

reste de décisions.

I.2 Les concepts fondamentaux du cours

I.2.1 Langage, langue et parole

Dans l’ensemble des manifestations du langage, il faut distinguer ce qui relève de l’action

individuelle, variable, unique, imprévisible, que Saussure nomme la parole, de ce qui est

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constant commun aux sujets parlants, la langue. Le langage selon Saussure se compose de la

langue et de la parole.

« Pris dans son tout, le langage est multiforme ethétéroclite ; à cheval sur plusieurs domaines

, à la fois physique, physiologiqueet psychique, il appartient encore au domaine individuel et 

au domaine social ; il ne se laisse classer dans aucune catégorie des faits humains, parce 

qu’on ne sait comment dégager son unité. » (Bally,Sechehaye, et Riedlinger, 1971 : 23).

La parole peut être définie comme l’action individuelle d’un locuteur qui utilise le langage

pour parler ou rédiger un texte. Elle correspond à des productions concrètes de langage. De

par ce fait, elle est également variable (notamment d’un individu à l’autre) et reste

imprévisible.

La langue peut être définie comme un ensemble de conventions partagées par l’ensemble

d’une communauté linguistique.

« Mais qu’est ce que la langue ? Pour nous elle ne se confond pas avec le langage ; elle n’en

est qu’une partie déterminée, essentielle, il est vrai. C’est à la fois un produit social de la

faculté du langage et un ensemble de conventions nécessaires, adoptées par le Corps social

pour permettre l’exercice de cette faculté chez les individus » (Bally,Sechehaye, et Riedlinger,

1971 : 23).

Par exemple, les locuteurs du français partagent la règle qui consiste à jouter la terminaison

« -ons » au radical de la plupart des verbes pour former la première personne du pluriel. Ces

mêmes locuteurs partagent également l’utilisation du mot « chat » pour désigner un petit félin

poilu qui miaule et chasse la souris. Ainsi, la langue est constitué d’un ensemble de règles de

conventions abstraites, qui sont nécessaires à du langage c'est-à-dire à la parole.

La langue n’appartient dans sa totalité à aucun individu. Personne ne pourrait par exemple

prétendre connaitre à lui seul l’ensemble des règles et des conventions du français !

Saussure parle ainsi de la langue comme un trésor déposé dans le cerveau des locuteurs et

partagé par l’ensemble d’une communauté linguistique.

Notons que cette dichotomie affirme le primat de la langue sur la parole, Saussure propose

deux linguistiques : une linguistique de la parole (une linguistique externe) et une linguistique

de la langue (une linguistique interne). Selon Saussure, la linguistique externe a pour Objectif

de mettre en rapport la langue avec des faits qui lui sont extérieurs. Une telle linguistique

s’intéresse par exemple aux rapports entre langue et politique ou encore entre langue et

société. La linguistique interne en revanche se concentre sur des phénomènes inhérents au

système linguistique, comme par exemple les sons qui composent une langue (phonologie) ou

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encore l’ensemble des règles qui permettent de former des phrases correctes dans une langue

(syntaxe). Selon Saussure la linguistique doit être interne plutôt qu’externe.

I.2.2 Linguistique synchronique et diachronique 

Les différentes langues se caractérisent selon Saussure par leur caractère à la fois stable et

instable : d’un coté, toute langue évolue, et d’un autre, elle est toujours dans la conscience des

sujets parlants, dans un certain état. Et c’est bien cet état de langue qui constitue le véritable

objet de la linguistique.

« En pratique, un état de langue n’est pas un point, mais un espace de temps plus ou moins

long pendant lequel la somme des modifications survenues est minime. Cela peut être dix ans,

une génération, un siècle, davantage même.» (Bally,Sechehaye, et Riedlinger, 1971 : 142).

Saussure est amené à poser une nouvelle dichotomie importante, distinguant l’étude

synchronique de l’étude diachronique de la langue.

Selon Saussure, la linguistique synchronique décrit un état de langue à un moment donné. Il

s’agit donc d’une relation de simultanéité. En revanche la linguistique diachronique

s’intéresse au passage d’un état de langue à un autre. Il s’agit dans ce cas d’une relation de

successivité. Un exemple d’analyse diachronique consisterait à étudier les phénomènes

linguistiques qui ont caractérisés le passage du latin vulgaire au très ancien français.

Attention, synchronie ne signifie pas contemporain, par exemple, il est possible de faire une

étude synchronique de l’anglais de l’époque de Shakespeare.

I.2.3 La langue comme système de signes

Saussure reproche à ses prédécesseurs d’avoir une vision éclaté de la langue, de la concevoir

comme une simple nomenclature, une liste d’éléments renvoyant individuellement et de

manière indépendante à des objets du monde (à chaque objet du monde correspond un nom

qui le désigne). Selon cette conception, qui envisage les termes de langue séparément les uns

des autres, indépendamment des liens qui les relient, connaitre une langue, ce serait connaitre

les noms permettant de désigner les objets du monde, l’organisation des objets dictant celle

des mots. A cette conception Saussure oppose celle selon laquelle la langue est un tout

organisé (ou système), à l’intérieur duquel chaque terme est défini par les relations qu’il

entretient avec tous les autres. On voit là, la principale thèse de la linguistique structurale, et

la définition d’un système : un système au sens structuraliste est un ensemble homogène

d’éléments dont chacun est déterminé négativement ou différentiellement par l’ensemble des

rapports qu’il entretient avec les autres éléments.

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I.2.4 Le signe linguistique

Si la langue est un système, quels en sont les éléments ? Pour Saussure, la notion de mot,

ambigüe et floue, doit être rejetée, au profit du terme de signe. Le « véritable objet de la

linguistique est l’étude interne et synchronique, des systèmes de signes qui constituent les

états de langue ». (1971)

Plus général, le terme de signe permet par ailleurs d’envisager la langue comme un système

de signes parmi d’autres, dans le projet d’une science nouvelle, la sémiologie, prenant pour

objet d’étude « l’ensemble des systèmes de signes au sein de la vie sociale ».

- Signe, signifiant, signifié

Selon Saussure l’unité de base qui forme le système de la langue est le signe. Le signe

linguistique peut être définit comme une entité à deux faces, nommées l’image acoustique et

le concept. Plus concrètement, l’image acoustique est simplement l’enveloppe linguistique du

mot et le concept sa signification. Par exemple, l’image acoustique du mot crocodile

correspond aux représentations des sons qui composent ce mot ou de ses lettres à l’écrit. Le

concept de crocodile correspond à la représentation mentale que les locuteurs ont de cet

animal2. Comme la notion de signe ne s’applique pas seulement au code linguistique oral mais

à tout système de signe, Saussure préférera utiliser les termes de signifiant (pour l’image

acoustique) et de signifié (pour le concept).

- Arbitraire du signe

L’une des idées les plus célèbres restée de l’œuvre de Saussure est que la relation qui existe

entre les deux faces d’un signe est arbitraire, elle est immotivée. Autrement dit, il n’y a pas de

raison logique ou naturelle pour qu’un mot plutôt qu’un autre soit utilisé par une communauté

linguistique pour désigner un certain concept. Il s’agit simplement d’une convention, suivie

par l’ensemble des locuteurs. Par exemple, il n’y a pas de logique dans le fait que le concept

d’arbre soit désigné en français par la suite de sons [a r b r] ou les lettres (a r b r e s) à l’écrit.

D’ailleurs chaque langue a adopté sa propre convention pour désigner ce même concept (tree

en anglais et baum en allemand etc.)

Emile Benveniste remarque cependant que, si selon Saussure signifiant et signifié sont

inséparable comme les deux faces d’une feuille de papier, le lien qui les lie ne saurait être

arbitraire, il est au contraire nécessaire, inévitable ; ce qui est arbitraire, c’est que tel signe, et

non tel autre, désigne tel segment particulier de la réalité.

2 « Le mot chien n’a jamais mordu personne » Ferdinand De Saussure

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- La linéarité du signifiant

La langue parlée, qui est la première par rapport à la langue écrite impose au signifiant de se

dérouler sur une ligne continue, étendue en une seule dimension : celle du temps. Nous ne

pouvons pas prononcer deux sons à la fois. En d’autres termes, le signifiant, étant de nature

auditive, il se déroule sur la chaine parlée. Les éléments phoniques se présentent

obligatoirement les uns après les autres formant une chaine, une étendue, une ligne, ou tout

simplement une phrase.

- Le caractère différentiel du signe linguistique : valeur et signification

La conception du signe linguistique comme élément d’un système permet d’introduire une

notion fondamentale pour le structuralisme : la notion de valeur, que Saussure oppose à la

signification.

Si par exemple, on cherche à déterminer le contenu conceptuel associé au signe rivière, on ne

peut se contenter de renvoyer le signifié rivière au signifiant / ʁ i v j Ɛ ʁ /, qui n’en constitue

que la signification. Une part essentielle du contenu conceptuel de « rivière » vient en effet de

ce qu’il n’est ni ruisseau ni fleuve ; en d’autres termes, ce contenu est déterminé négativement

et oppositivement. Ce fait apparait encore plus clairement si l’on compare le français rivière

à l’anglais river, qui ne s’oppose qu’à creek, et a, de ce fait, une valeur très différente de celle

de rivière bien que leur signification soit semblable.

La signification est le résultat de l’association arbitraire d’un signifiant et d’un signifié ; mais

cette cohésion interne ne saurait exister sans une pression externe, issue de l’ensemble des

autres membres du système, d’où émane la valeur

- Mutabilité et immutabilité du signe linguistique

La langue apparait comme un héritage de ceux qui nous ont précédés. C’est une convention

admise par les membres d’une même communauté linguistique et transmise aux membres de

la génération suivante.

Selon Saussure c’est le temps qui assure la continuité de la langue, ce dernier, a un autre effet,

en apparence contradictoire celui d’altérer plus ou moins les signes linguistiques. Les facteurs

d’altération sont nombreux, mais toujours extérieurs à la langue. Les changements peuvent

être phonétiques ou morphologiques, syntaxiques ou lexicaux.

Quand il s’agit du signe linguistique, les changements se situent au niveau phonétique et

sémantique. Ils aboutissent, en effet, à un déplacement du rapport sé/ sa. C’est ainsi que le

mot nécare qui signifie tuer est devenu en français noyer.

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- Rapport syntagmatiques et paradigmatiques

Dans la mesure où les signes constituent un système, ils sont en relation les uns avec les

autres. Ces relations, pour Saussure, se déploient selon deux axes distincts, l’axe

syntagmatique et l’axe paradigmatique. Dans l’acte de parole, les deux axes de la langue

déploient pour nous la double perspective des rapports syntagmatiques et paradigmatiques.

Les rapports syntagmatiques sont les rapports de successivité et de contigüité qu’entretiennent

les signes dans la chaine parlée (rapports in praesentia). Sur cet axe horizontal, les rapports

sont des combinaisons et la modification d’une combinaison s’appelle une permutation.

Exemple : Je viendrai demain

Demain, je viendrai

Les rapports paradigmatiques hors de la chaine de discours se créent des associations entre

signes, qui forment des groupes sur la base de relations de types très divers (rapports in

absentia).

« Les groupes formés par association mentale ne se bornent pas à rapprocher les termes qui

représentent quelque chose de commun ; l’esprit saisit aussi la nature des rapports qui les

relient dans chaque cas et crée par là autant de séries associatives qu’il y a de rapports

divers ainsi dans enseignement, enseigner, enseignons, etc.,il y a un élément commun à tous

les termes, le radical ; mais le mot enseignement peut se trouver impliqué dans une série

basée sur un autre élément commun, le suffixe (enseignement, armement, changement, etc.)

l’association peut reposer aussi sur la seule analogie des signifiés (enseignement, instruction

apprentissage éducation, etc.), ou au contraire, sur la simple communauté des images

acoustiques (par exemple enseignement et jugement et justement). Donc il y a tantôt

communauté double du sens et de la forme et tantôt communauté de forme ou des sens

seulement. Un mot quelconque peut toujours évoquer tout ce qui est susceptible de lui être

associé d’une manière ou d’une autre. » (Bally,Sechehaye, et Riedlinger, 1971 : 173-174).

Exemple : observons la phrase suivante et imaginons tous les éléments qui peuvent être

échangés avec ceux que nous avions choisis.

Exemple : Paul est heureux

Jacques semble satisfait

Il parait triste

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Nous voyons que se dessine pour chaque unité un axe perpendiculaire au précédent : l’axe des

rapports paradigmatiques.

Sur l’axe paradigmatique, le remplacement de l’unité de la phrase par l’une des unités du

paradigme s’appelle une substitution ou une commutation.

Exemple : je viendrai demain

plus tard

ce soir

En résumé, selon Saussure, la linguistique doit distinguer son objet de sa matière. La

linguistique de la langue prime sur la linguistique de la parole. Et la linguistique synchronique

prime sur la linguistique diachronique. La langue est définit comme un système de signes qui

est un tout cohérent où chaque élément est défini par ses rapports aux autres membres du

système. Enfin, les signes linguistiques entretiennent deux types de rapports entre eux :

syntagmatiques sur la chaine parlée et paradigmatiques ou associatifs.

I.3 Exercice :1/ Donnez le signifiant et le signifié de chacun des signes linguistiques suivants :

Eléphant, nuage, espadrille, Paris, juin, université.

2/Expliquez à l’aide d’exemples le deux types de relations qu’ont les signes linguistiques sur

la chaine parlée.

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II

Le fonctionnalisme

André Martinet

L’école fonctionnaliste regroupe un ensemble de linguistes dont le chef de file est A. Martinet

Ses linguistes issus du structuralisme européen s’inscrivent dans la tradition saussurienne, en

mettant l’accent sur la fonction de communication de la langue et en essayant de trouver dans

les énoncés les traces manifestes des différents choix effectués par le locuteur.

A ce sujet Feillard (2001) affirme que « toute communication implique une transmission

d’information, même si l’on ne saurait la réduire à cette seule fonction. Or, pour qu’il y ait

information, il faut que les éléments s’opposent les uns aux autres, ce qui entraîne un choix de

la part du locuteur ; mais cela ne signifie nullement qu’il s’agit d’un choix conscient ; ce

choix est lié à la valeur du message à transmettre, et concerne aussi bien les phonèmes que

les monèmes ».

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Selon la même auteure (2001), la pertinence de l’unité linguistique d’un point de vue

communicatif revient au choix présupposé entre des éléments qui s’opposent. La Pertinence,

l’opposition et le choix constituent des notions corrélatives qui s’impliquent respectivement.

Elle ajoute que les unités linguistiques acquièrent leur spécificité en référence encore une fois

à la pertinence communicative, les phonèmes exercent une fonction distinctive : sans être

porteurs de sens, mais différencient formellement des unités qui s’opposent sémantiquement,

comme /l/ et /s/ dans /lup/ " loupe " et /sup/ " soupe " ; les monèmes assument une fonction

significative, car ils sont dotés d’un contenu sémantique.

Dans la théorie fonctionnelle, cette prise en compte du sens à tous les niveaux de l’analyse est

primordiale, une résultante du choix du point de vue de l’étude définissant l’objet sur la base

de la pertinence communicative.

II. 1 La double articulation Une langue selon A. Martinet est un instrument de communication doublement articulé. Dire

que le langage est articulé, c’est admettre que les annoncés sont le résultat d’une combinaison

d’unités. « C’est grâce à cette possibilité que quelques milliers d’unités seulement peuvent

suffire pour rendre compte d’une variété infinie de situations, de fait d’expériences. Ces

unités (les signes de Saussure, les morphèmes des distributionnalistes) sont appelées par

Martinet des monèmes, ou unités dites de première articulation, qui peuvent être analysées en

unités de deuxième articulation : les phonèmes. » (Fuchs et Le Goffic, 1996 : 24)

Les unités de première articulation ayant à la fois une face formelle (signifiant, dans la

terminologie saussurienne) et une face significative (signifié, dans la même terminologie) ;

peuvent être de longueur variable (phrase, syntagme, etc.) ; le monème est l'unité significative

minimale (belle, tel,  pelle). À un second niveau (la seconde articulation), ces unités peuvent

elles-mêmes être segmentées en unités plus petites n'ayant pas de sens, mais participant à la

distinction du sens des unités de première articulation : les unités distinctives (dans /bƐl/, /tƐl/

et /pƐl/, /b/, /t/ et /p/ sont les unités distinctives qui servent à distinguer le sens des trois unités

Exemple3 : L’exemple ci-dessous cité par Calvet illustre cette spécificité du langage

humain.

Dans l'énoncé « le chat mangera », on pourra pratiquer deux segmentations successives. La

première nous donnera cinq unités significatives (cinq monèmes) : le, chat, mang- (verbe

3 Calvet, L-J. « Double articulation  », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 28 décembre 2016. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/double-articulation/

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manger), -r- (marque du futur) et -a (marque de la personne). La seconde segmentation nous

donnera huit unités distinctives (huit phonèmes) : /l/, /ə/, /ʃ/, /a/, /m/, /ã/, /ž/, /r/.

Soutenant la thèse de l’arbitraire, les fonctionnalistes refusent toute idée d’universaux de

langage hormis le caractère doublement articulé et vocal des langues.

II. 2 La notion d’économie du langage La notion d’économie du langage a pour fondement cette double articulation. Une économie

importante dans la production d'énoncés linguistiques est réalisable grâce au nombre limité de

phonèmes qui avoisine une trentaine dans chaque langue. Avec ceux-ci, on peut construire un

nombre illimité d'unités de première articulation et donc un nombre illimité d'énoncés.

Martinet pose que la principale fonction du langage qui est celle de la communication

implique la notion d’économie linguistique. Le langage doit satisfaire aux exigences de la

communication et fournir des unités aussi différentes que possible pour représenter la

multitude des concepts exprimables, c’est en ce sens que « l’articulation en monèmes permet

de former une combinaison inusitée pour tenter de communiquer une expérience pour

laquelle la communauté n’avait pas de signe disponible » (Martinet, 2008 : 41).

Or le langage obéit aux lois générales des activités humaines et donc à la tendance au moindre

effort et cette loi implique l’existence d’un nombre minimum d’unités aussi peu différentes

que possible. Le point central de la doctrine réside donc dans le concept de la double

articulation. « Seule l’économie qui résulte des deux articulations permet d’obtenir un outil de

communication d’emploi général et capable de transmettre autant d’information à aussi bon

compte » (Martinet, 2008:41)

II. 3 Les unités significatives Selon Martinet (1985 : 34), il convient de distinguer entre deux types de monèmes : les

monèmes conjoints et les monèmes libres.

- Les monèmes conjoints 

Sont ceux qui font partie de complexes qui sur la chaine parlée se comportent dans leur

rapport absolument comme des monèmes uniques : dans « tristesse » par exemple, les deux

monèmes /trist- /et /-esse/ sont dits conjoints par ce que dans ses rapport, tristesse se comporte

comme l’unité chagrin qui, elle, est inanalysable en deux effets de sens correspondant à des

différences formelles et donc identifiable comme monème unique. Ceci correspond, dans la

grammaire traditionnelle, aux substantifs (tristesse, chagrin) qui sont susceptibles de se

combiner avec des déterminants et avoir des relations particulières avec le verbe.

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Les complexes de monèmes conjoints seront désignés comme des synthèmes. Les synthèmes

sont de plusieurs types, ils peuvent être constitués d’un monème libérable et d’un monème

toujours conjoint (voir plus loin), il s’agit dans ce cas d’affixation (préfixation4- ou

suffixation5) ou de dérivation. Les synthèmes composés quant à eux sont la combinaison de

monèmes libérables reliés par des éléments de liaison (la composition6) comme ils peuvent

résulter d’un figement linguistique ayant la même forme d’une succession de monèmes

libres.7Enfin des synthèmes peuvent résulter de la combinaison de monèmes non-libérables, il

s’agit ici de confixation8. Ces synthèmes peuvent être dits des confixés9 et les monèmes qui les

composent des confixes, des éléments souvent empruntés au grec et au latin.

- Les monèmes libres 

Sont des monèmes qui ne font pas partie de tels complexes et ceci indépendamment du fait

qu’ils sont joints dans la graphie. Dans « chargeait » par exemple, les deux monèmes /charg-/

et /-é/ sont des monèmes libres car chargeait ne se comporte dans ses rapports avec les unités

linguistiques comme aucun monème unique de la langue. Le monème unique charge qui

traditionnellement identifié comme verbe peut se combiner avec des temps, des modes, des

personnes, des voix. Ceci implique que « charge » et « chargeait » ne sont pas des mots

différents mais des formes différents d’un même mot.

Les complexes de monèmes libres seront désignés comme des syntagmes.

Les monèmes toujours libres sont généralement les monèmes grammaticaux (désinences

grammaticales). La liberté des monèmes n’a rien avoir avec les blancs de la graphie qu’on

peut rencontrer dans certaines constructions comme pomme de terre ou chemin de fer qui

sont tous les deux (des synthèmes) composés de monèmes conjoints.

- Les monèmes libérables 

Certains monèmes sont toujours conjoints comme est le cas de -esse dans tristesse et -ment

dans tristement qui n’apparaissent jamais seuls sur la chaine parlée mais toujours rattachés à

un autre monème conjoint. D’autre peuvent être libre ou conjoint selon les cas. Triste est libre

dans le contexte « il est triste » mais conjoint dans tristesse. Charge est libre dans chargeait

mais conjoint dans chargeur. Selon Martinet (1985), on peut les désigner comme libérables.

4 Im+possible, dé+monter …etc5 Exécut+oire , explic+able…etc 6 Arc en ciel, porte-manteau …etc 7 Chocolat blanc, jeune homme …etc 8 Poly+édre, poly+gone, tétra+èdre 9 Parfois les confixes peuvent se combiner avec des monèmes libérables (télévision, polyvalent…), ils perdent alors leur statut de confixé pour le statut d’affixe.

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II.4 La syntaxe fonctionnelle 

II.4.1 Les procédés syntaxiques

La syntaxe telle que définie par Martinet « implique que le problème syntaxique de base est la

façon dont l’auditeur va pouvoir à partir de la succession des monèmes dans l’énoncé,

reconstruire dans sa globalité l’expérience qui a fait l’objet de la communication » (Martinet,

1985 : 195). La syntaxe fonctionnelle s’intéresse aux monèmes (unités de première

articulation) qui de par leurs comportements syntaxiques différents sur la chaine parlée

produisent des procédés syntaxiques différents qui servent à établir des relations. Ces

procédés sont de trois types : l’autonomie, la dépendance et la position.

- L’Autonomie 

L’unité syntaxique est autonome lorsqu’elle peut occuper n’importe quelle position dans

l’énoncé. Le rapport de ladite unité avec ce dernier est impliqué dans son contenu sémantique.

Un test de «déplaçabilité » pourrait être effectué pour s’assurer de l’autonomie syntaxique

d’un monème. (Martinet, 1985)

Exemple : C’est ta fête, aujourd’hui

C’est, aujourd’hui, ta fête

Aujourd’hui, c’est ta fête.

(Les adverbes sont des monèmes autonomes)

- La dépendance 

Dans ce cas, le contenu sémantique de l’unité syntaxique n’est guère suffisant pour la corréler

au reste de l’énoncé. Du coup, le rapport avec le contexte est déterminé par le biais d’un

monème fonctionnel (ou indicateur de fonction ou tout simplement fonctionnel (Martinet,

1985)).

Exemples : 1/ L’île de beauté réfère à la Côte d’Azur.

2 / La fille du voisin joue à la corde

3/ Il se presse afin qu’il soit prêt à temps

(Les prépositions sont des monèmes fonctionnels qui servent à articuler sur d’autres

monèmes. Les conjonctions de subordination servent à articuler des énoncés sur d’autres

énoncés.)

- La position 

Lorsque l’unité syntaxique n’est ni autonome ni dépendante, c’est sa position qui est

déterminante dans l’établissement des rapports entre elle et le reste de l’énoncé. La position

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du monème sur la chaine parlée n’est pas fortuite mais elle est bel et bien le résultat d’un

choix réfléchi. « La position y est si décisive en la matière qu’elle imposera son interprétation

du message contre toute logique : un français qui entend l’arbre voit l’homme pensera que

celui qui parle à perdu la raison, qu’il affabule ou qu’il est en proie à un délire poétique,

mais l’idée d’une entorse à la grammaire ne l’effleurera pas ». (Martinet, 1985 : 165)

Exemple : 1/Un grand homme (la grandeur est relative à ses valeurs humaines).

Un homme grand (la grandeur est relative à sa taille).

2/ Paul frappe André

André frappe Paul

Cette analyse a mené Martinet à établir une distinction entre cinq types d’unités syntaxiques :

- Les monèmes autonomes : ces monèmes ont leur fonction dans leur sens même, ils ne

dépendent pas d’autre chose pour l’indication de leurs rapports. Exemples : hier, vite, souvent,

tard, rapidement…etc

- Les monèmes dépendants : qui ne comportent pas en eux même l’indication de leur fonction

(comme le font les monèmes autonomes) et qui n’ont pas pour rôle d’indiquer la fonction

d’un monème voisin (comme le font les monèmes fonctionnels). Exemple : dans le syntagme

« avec toi », toi est un monème dépendant. Il faudrait préciser ici que la combinaison d’un

fonctionnel et d’un non autonome aboutit à un syntagme autonome.

Exemple : Elle voyage avec ses enfants / Avec ses enfants, elle voyage

- Les monèmes fonctionnels : qui indiquent la fonction des autres monèmes.

Exemples : 1/ depuis la fête (« depuis » est un monème fonctionnel qui spécifie le rôle de

l’unité syntagmatique la fête). 2/ Il a donné le livre à Jean (« à » signale la fonction de Jean)

- Les monèmes de modalité : ceux qui actualisent, spécifient, complètent un monème

dépendant. Exemples : son dans « son chien », la dans « la voiture » … etc

- Les monèmes prédicatifs : ils peuvent êtres constitués d’un seul monème ou d’un syntagme

comprenant un actualisateur et un prédicat. C’est l’élément autour duquel s’organise la

phrase (le noyau) et par rapport auquel les autres éléments constitutifs marquent leur fonction.

Exemples : 1/Bonjour ! 2/Elles dorment. (Le monème prédicatif peut constituer la totalité de

l’énoncé).

II.4.2 Les relations syntaxiques :

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Il est à souligner que ce sont les monèmes prédicatifs qui permettent de différencier les parties

de l’énoncé et les rapports existant entre ces parties.

II.4.2.1 Expansion et noyau 

L’expansion est tout ce qui n’est pas indispensable. Selon Martinet (1985), l’expansion est un

élément ajouté à l’énoncé ou qui peut disparaitre sans que cela ne modifie les relations et la

fonction des unités préexistantes. En un sens Martinet affirme que « tout dans un énoncé, peut

être considéré comme expansion du monème prédicatif à l’exception des éléments

indispensables à l’actualisation de ce monème comme le sujet là où il existe » (1985 :139)

Exemples :

1/Va le chercher ! - Va vite ! - Va chez le voisin ! (le chercher, vite et chez le voisin sont des

expansions).

2/ Les chats mangent leurs croquettes. (Leurs croquettes est une expansion)

Dans ce dernier exemple « les chats mangent » ont un comportement particulier celui qui leur

a valu traditionnellement les désignations de sujet et prédicat et que la syntaxe fonctionnelle

appelle noyau. Le noyau est syntaxiquement indépendant car la suppression d’une unité ou

des unités en question aboutit à la désintégration de l’énoncé.

Martinet distingue entre deux types d’expansions :

La coordination qui est un type d’expansion dans lequel l’élément ajouté à l’énoncé remplit

la même fonction syntaxique que l’élément existant précédemment.

Exemple : il est chanteur / Il est chanteur et danseur

La subordination qui est un type d’expansion distinct du précédent car l’élément ajouté à

l’énoncé n’a pas la même fonction syntaxique que l’élément préexistant auquel il s’ajoute.

Elle est de trois types qui correspondent aux trois procédés syntaxiques (Martinet, 1985)

1 / Expansion par subordination positionnelle : (grand dans Mohamed Racim est un grand

peintre)

2/ Expansion par subordination autonome : (demain dans Demain, je me ferai belle)

3/ Expansion par subordination avec indicateur de fonction : (de Paris dans Elle rêve de Paris)

II.4.2.2 Les fonctions syntaxiques

Il faut distinguer entre les fonctions primaires et les fonctions non primaires. La notion qui

permet cette distinction est celle de point d’incidence qui est dans l’énoncé un monème ou un

syntagme par rapport auquel un autre monème ou un autre syntagme marque sa fonction et se

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rattache syntaxiquement. « Le classement est basé sur la distinction entre fonctions primaires

qui s’établissent entre un syntagme non prédicatif et un syntagme prédicatif et fonctions non

primaires qui s’établissent entre syntagmes non prédicatifs » (Guérin, 2009)

- Les fonctions primaires 

Il s’agit des fonctions de prédicat et de tout ce qui ce rapporte à ce dernier. Autrement dit ce

sont les fonctions de l’élément central et des unités dont le point d’incidence est cet élément

central.

- Les fonctions non primaires 

Sont celles dont les éléments se rattachent à un segment de l’énoncé.

Exemple (Martinet, 1985) : 1- Hier 2- le directeur de la banque 3-a dicté 4-une lettre de

quatre pages 5-au secrétaire particulier qu’il avait fait venir.

Nous avons dans cet exemple cinq fonctions primaires et quatre fonctions non primaires

signalées en italique.

II.4.2.3 La visualisation syntaxique

Sans entrer, ici, dans le détail de la visualisation syntaxique telle que conçue par Martinet,

nous allons-nous tenir à la présentation des trois types de rapports de base qui décrivent la

variété des structure syntaxiques (Martinet, 1985).

- A et B n’existent pas l’un sans l’autre. A suppose B et B suppose A. Ce qu’illustre la

relation sujet/ prédicat. Schématiquement A B

Exemple : l’enfant court

- A peut exister sans B mais B n’existe pas sans A (Cas des expansions dits

traditionnellement compléments et épithètes). Cette relation sera visualisée comme

suit A B

Exemple : Le petit enfant court

- A et B peuvent coexister dans l’énoncé sans se conditionner ? ils sont co-présents (cas

de coordination). Une relation visualisée comme suit : A B

Exemple : le miel et les abeilles le miel les abeilles

II.5 Exercice Dans les phrases suivantes :

- Il la berça longtemps de tous ces mensonges qu’on raconte aux malades.

- "Tout amour pense à l'instant et à l'éternité, mais jamais à la durée."

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1- Quel est le point d’incidence auquel se rattache syntaxiquement le monème ou le syntagme

souligné ?

2- Dites s’ils ont une fonction primaire ou non primaire

3- Il s’agit de quel type d’expansion ?

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IIILa syntaxe structurale de Tesnière

Lucien Tesnière

Comme l’indique le titre de son Esquisse d’une syntaxe structurale (1953) et son ouvrage

principal publié à titre posthume cinq ans après sa mort: Eléments de syntaxe structurale

(1959), avec L.Tesnière, nous restons dans le courant structuraliste.

La notion de « fonction » en syntaxe qui n’apparaissait pas comme centrale pour Saussure a

un statut particulier avec Tesnière d’où découle sa distinction entre syntaxe statique (les

catégories) et une syntaxe dynamique (les fonctions).

La syntaxe statique a pour espace d’analyse l’ordre linaire séquentiel de la surface alors que

l’analyse proposé par Tesnière dans sa syntaxe dynamique vise à rendre compte de l’activité

parlante (parole) : « parler c’est établir entre les mots un ensemble de connexions(…),

comprendre, c’est saisir l’ensemble des connexions qui unissent les mots » (Tesnière,1959 :

12) ; ou encore « parler , une langue, c’est en transformer l’ordre structural en ordre

linéaires, et inversement, comprendre une langue, c’est en transformer l’ordre linaire en

ordre structural » (Tesnière, 1959 : 19).

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III.1 La syntaxe dynamique10 Elle rend compte de trois ordres de phénomènes : la connexion, la jonction et la translation.

Ainsi, distingue-t-on la phrase simple ne faisant intervenir que la connexion et la phrase

complexe où intervient la jonction et /ou la translation. Ces relations sont représentées

graphiquement par un diagramme à branches, appelé stemma. (Tesnière, 1959). Cet ouvrage

constitue la première grammaire « transformationnelle », construite sur ce que l’auteur appelle

translation.

L’analyse stemmatique montre que « la syntaxe structurale a pour objet de révéler la réalité

structurale profonde qui se cache derrière l’apparence linéaire du langage sur la chaîne

parlée » (Tesnière, 1959), autrement dit, de catégoriser les mots qui composent la phrase et de

déterminer les relations qui existent entre ces mots.

III.1.1 La connexion : La relation syntaxique par excellence est la connexion. Dans le

stemma, la connexion est en principe représentée par un trait vertical, reliant deux nucléus,

l’un supérieur (le régissant), l’autre inférieur (le subordonné)

Chante

Alfred

Tout régissant qui commande un ou plusieurs subordonnés est appelé nœud. Toute phrase est

l’agencement d’un ou plusieurs nœuds, où celui qui domine tous les autres est appelé nœud

central. Cela permet une typologie des phrases, selon la nature de leur nœud central d’où : la

phrase adverbiale, la phrase verbale, la phrase substantivale, la phrase adjectivale11.

10 Pour présenter cette syntaxe nous avons pris comme appui principal le compte rendu de lecture des deux ouvrages de Tesnière (1953, 1959) réalisé par Bernd SCHWISCHAY et qui s’intitule « Introduction à la syntaxe structurale de L. Tesnière ». Un compte rendu qui facilite la lecture des « éléments » en soulignant les changements terminologiques apportés par rapport à « l’esquisse ». Par ailleurs, nous voyons plus ce compte rendu comme un support didactique dans le sens où son auteur s’est efforcé à mettre en relation les notions introduites par Tesnière avec celles de la grammaire traditionnelle en s’appuyant sur le Bon usage de Grevisse ; ce qui va permettre à l’étudiant de mieux et facilement saisir des notions qui sont pour lui nouvelles.

11Ceci s’explique par la pratique qu’avait Tesnière de plusieurs langues. Il affirme que le verbe n’est pas nécessairement le centre organisateur de la phrase et rompt ainsi avec la vision traditionnelle (reprise par Chomsky) qui a généralisé ce schéma à l’ensemble des langues comme trait universel sur la base de la norme des phrases écrites dans certaines langues européennes.

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Le sujet est un subordonné :

Tesnière (1959) refuse de reconnaître la prédication comme relation syntaxique. Pour lui,

l’opposition entre le sujet et le prédicat « n’est qu’une survivance non encore éliminée, de

l’époque [...] où toute la grammaire était fondée sur la logique » et contre cela, il postule que

« le sujet est un complément comme les autres » qui dépend du verbe exactement comme en

dépend le complément d’objet.

Nucléus jumelé ou dissocié :

Tesnière considère le nucléus comme assumant à la fois une fonction structurale et une

fonction sémantique. Généralement, le nucléus est un seul mot qui est à la fois centre

sémantique (contenant l’idée) et centre structural (assumant la « fonction nodale »). Ainsi

pour les formes verbales simples, par exemple (ils chantent). Mais il y a des nucléus où ces

fonctions sont dissociées, et qui contiennent donc deux centres. Ainsi, dans les formes

verbales composées (par exemple ont chanté) l’auxiliaire (ont) constitue le centre structural,

et le participe (chanté), le centre sémantique ; de même, dans la « phrase à verbe être »

(Alfred est jeune), le nucléus est jeune est dissocié en deux centres, l’un (la copule est)

structural, l’autre (l’adjectif attribut jeune) sémantique.

Dans le stemma, le nucléus est représenté graphiquement par un cercle, ce qui permet d’y

inclure plusieurs mots dans le cas où les fonctions sémantiques et structurales sont dissociées,

c’est-à-dire assumées par des mots distincts. (On fait économie du cercle lorsque les deux

fonctions sont assumées par un seul mot.

III.1.2 La translation

III.1.2.1 La théorie de la translation : L’une des caractéristiques de la syntaxe de Tesnière

est qu’elle cherche à établir une correspondance biunivoque entre fonctions et catégories

grammaticales de sorte qu’à chaque fonction corresponde une seule catégorie, et inversement.

En conséquence, l’actant sera forcément un substantif, l’épithète (dans le sens large de

«complément du nom »), un adjectif, et le circonstant, un adverbe.

Catégorie Symbole Fonction

Substantif O actant

Adjectif A épithète

Adverbe E circonstant

Verbe I

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Or, il semble évident que d’autres catégories que le nom ou le pronom peuvent assumer la

fonction de sujet ou d’objet, que d’autres catégories que l’adjectif peuvent assumer la fonction

de complément du nom, etc.

A cela, Tesnière riposte que tout mot plein (voir plus loin) qui assume une fonction autre que

celle qui lui est attribuée par le tableau des correspondances ci-dessus, change

automatiquement de catégorie.

Exemple 1 :

Un verbe qui, par exemple, fonctionne comme second actant (COD. Je vous demande de

partir) devient par là un substantif (par analogie à Je vous demande une faveur).

Exemple 2 :

Un substantif qui fonctionne comme « épithète » (complément déterminatif du nom, le livre

d’Alfred.) devient adjectif (par analogie à le livre rouge), etc.

C’est à ce changement de catégorie que Tesnière donne le nom de translation.

La translation consiste à « transférer un mot plein d’une catégorie grammaticale dans une

autre catégorie grammaticale » (Tesnière, 1959)

Quatre cas de translation sont possibles : translations substantivale, adjectivale, verbale et

adverbiale (définies sur la base de la catégorie d’arrivé de la translation).

Le mot subissant la translation (la catégorie de départ) est désigné par transférende, le mot

résultant de la translation (la catégorie d’aboutissement) est le transféré. Le marquant

morphologique de la translation est le translatif. La translation est exprimée par le signe >,

selon le schéma : Transférende > Transféré

Selon qu’elle opère sur des mots ou sur des propositions, la translation est du premier ou bien

du second degré ; la translation du second degré est représentée par le signe >>.

Ce sont les translatifs qui sont des mots vides (voir plus loin) qui effectuent la translation.

Ainsi, la préposition « de » transfère en adjectif un substantif en fonction d’« épithète »

comme Alfred dans le livre d’Alfred (O > A) ; cette même préposition transfère en adverbe un

substantif en fonction de circonstant, comme Montpellier (complément adverbial de lieu) dans

Alfred revient de Montpellier (O > E).

On distingue translatifs du premier degré (prépositions) et translatifs du second degré

(conjonctions de subordination, pronoms relatifs). Il arrive que la translation ne soit pas

marquée morphologiquement – le translatif est alors zéro, symbolisé par le signe

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Tesnière distingue la translation du premier degré et du second degré avec dans chaque cas la

translation simple, double, triple, quadruple, quintuple et sextuple.

Pour la translation simple du premier degré, Tesnière en distingue une douzaine de types :

translation de l’adjectif en substantif, de l’adverbe en substantif, du verbe en substantif, du

substantif en adjectif, de l’adverbe en adjectif, du verbe en adjectif, du substantif en adverbe,

de l’adjectif en adverbe, du verbe en adverbe, du substantif en verbe, de l’adjectif en verbe, de

l’adverbe en verbe. Dans chaque cas il y a différentes espèces, (une trentaine au total).

(Guiraud, 1974)

III.1.2.2 Représentation graphique de la translation du premier degré

Dans le stemma, la translation est symbolisée par le sigle (d’après la lettre grecque tau

[to]). Au-dessus de la barre horizontale du se place le transféré, au-dessous, d’un côté et de

l’autre de la hampe du, se placent le transférende et le translatif ; le crochet de la hampe du

est tourné vers le translatif, comme dans les schémas suivants :

Transféré Transféré

Translatif préposé Transférende Transférende Translatif postposé

Au-dessous de la barre, le translatif et le transférende sont représentés par les mots, suivant

l’ordre dans la chaîne parlée ; au-dessus de la barre, le transféré est représenté par son

symbole, comme dans l’exemple suivant : le livre de Pierre (O > A)

A

de Pierre

III.1.2.3 La translation du second degré

Alors que la translation du premier degré opère sur des mots, celle du second degré opère sur

des phrases simples. En termes traditionnels, la translation du second degré transfère une

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proposition (indépendante ou principale) en proposition subordonnée ; ainsi on pourrait dire

que, pour la phrase J’espère que Jean viendra, il y la translation Jean viendra >>que Jean

viendra. Selon Tesnière (1959), dans la translation du second degré, « [le] transférende est

[...] un noeud verbal avec tous les actants et circonstants qu’il régit. C’est une proposition.

Le transféré au contraire n’est plus qu’un des éléments d’un noeud verbal supérieur qui le

régit. Il lui est donc subordonné ».

Par la translation du second degré, le noeud verbal est transféré en nœud substantival,

adjectival ou adverbial, suivant la fonction (actant, épithète ou circonstant) qu’il assume dans

la phrase en tant que proposition subordonnée. Dans l’exemple donné, la translation opère

selon le schéma : I >> O

Graphiquement, la translation du second degré est représentée par un à double barre, sinon

les conventions restent les mêmes.

Exemple : Je crois qu’Alfred frappe Bernard

Crois

Je O

Que frappe

Alfred Bernard

III.1.2.4 Classification des translations du second degré

Par la translation du second degré le verbe transférende I peut être transféré dans chacune

des trois autres espèces O, A, ou E. Il y a donc trois espèces de propositions subordonnées

Ces trois espèces sont nommées aussi bien d’après leur catégorie que d’après leur fonction,

Termes catégoriels Termes fonctionnels

Subordonnée subordonnée

I >> O substantive actantielle

I >> A adjective épithète

I >> E adverbe circonstancielle

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III.1.3 La Jonction

La jonction est la coordination de la terminologie traditionnelle. Selon Grevisse (1980) « la

coordination est la relation, explicite ou implicite, qui unit des éléments de même statut : soit

des phrases, soit, à l’intérieur d’une phrase, des termes qui ont la même fonction par rapport

au même mot. »

À proprement parler, dans une phrase comme Alfred et Bernard tombent, il n’y a qu’un seul

sujet, exprimé par deux termes coordonnés. Tesnière, justement, parle d’un nucléus dédoublé.

Il précise : « On se gardera de dire que cette phrase comporte deux actants, car le verbe

tomber étant monovalent. Elle comporte un seul actant, mais celui-ci est dédoublé »

La jonction peut être exprimé avec ou sans jonctif (conjonction de coordination de la

terminologie traditionnelle) ; la jonction sans jonctif correspond à la juxtaposition de la

terminologie traditionnelle. Les jonctifs sont des mots vides.

Dans le stemma, la jonction est représentée par un trait horizontal, le trait de jonction.

Lorsqu’il y a jonction avec jonctif, celui-ci est intercalé sur le trajet du trait de jonction :

Tombent

Alfred et Bernard

Chante et crie

Alfred Bernard

III.2 Catégories et fonctions grammaticale

III.2.1 Classes de mots

Tesnière range les mots en mots pleins et en mots vides.

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Mots pleins

substantifs (O) Noms /pronoms

adjectifs (A) adjectifs

verbes (I) verbes

adverbes (E) adverbes

Mots vides

jonctifs (j) conjonctions de coordination

translatifs (t)

conjonctions de subordination

prépositions

articles

indices (i) articles

prépositions

pronoms conjoints

III.2.2 Fonctions grammaticales

Pour ce qui est des fonctions subordonnées Tesnière en distingue trois : actant, épithète et

circonstant. L’actant est subordonné au verbe, l’épithète, au nom, et le circonstant, au verbe,

l’adjectif ou l’adverbe.

Actant

Prime actant sujet

Second actant COD

Tiers actant COI

Epithète Complément du nom

Circonstant

Complément adverbial (du verbe)

Complément de l’adjectif

Complément de l’adverbe

III.2.3 La Valence

Admettant que le sujet compte parmi les subordonnés du verbe, il y a alors des verbes qui

régissent un, ou deux, ou trois compléments ou actants.

Le fait de régir tant ou tant d’actants est une propriété individuelle pour chaque verbe, que

Tesnière appelle sa valence, ce qui permet de classer les verbes en verbes monovalents

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(verbes intransitifs : tomber), divalents (verbes transitifs : frapper, plaire) ou trivalents

(verbes transitifs doubles : donner). Considérant les verbes impersonnels (par exemple neiger)

comme verbes à sujet apparent, ou vide, ou sans sujet (ni complément d’objet), on arrive

même à des verbes avalents.

Voici le tableau des correspondances entre la classification de Tesnière et celle de la GT

Tesnière Grammaire traditionnelle

verbes avalents verbes impersonnels

verbes monovalents verbes intransitifs

verbes divalents verbes transitifs (directs ou indirects)

verbes trivalents verbes transitifs doubles

A remarquer/ rappeler aussi que la valence décrit une qualité virtuelle du verbe : même

employé dans une phrase comme Alfred frappe, frapper reste un verbe divalent, car bien qu’il

n’en réclame pas obligatoirement, il permet un complément d’objet direct comme deuxième

actant.

III.3 ExerciceReprésenter les phrases suivantes sous forme de stemma :

- Pierre achète un train électrique, aujourd’hui.

- On peut apporter son manger tous les jours.

- Un peu de pinot blanc nappait les darnes.

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IVLe distributionnalisme

Léonard Bloomfield

Les principes et la méthodologie de l’analyse distributionnelle, apparue vers 1930 aux USA,

sous l’impulsion de Léonard Bloomfield, ont connu un développement à partir de 1945. Cette

méthodologie visait à décrire une langue, considérée comme un « stock d’énoncés matériels»

(le corpus) sans prendre en considération la signification des énoncés ou la situation de

communication ; il s’agissait seulement de repérer des régularités et de construire des classes

paradigmatiques à partir de cela. C’est ainsi que, par exemple, le déterminant et le nom sont

en distribution12 puisqu'ils figurent nécessairement l'un à la suite de l'autre et non à la même

place.

Le linguiste doit pouvoir rendre compte des comportements linguistiques, ainsi que de la

structure hiérarchisée des messages émis, sans aucune référence concernant les intentions des

locuteurs et leurs états mentaux. La segmentation du flux continu de la parole qui vise

l’identification des unités linguistiques repose sur le critère strictement formel de

"distribution". La distribution d’un élément se définit par la somme des environnements (des

contextes) dans lesquels on peut le rencontrer. Ainsi, la caractéristique fondamentale du

12Distribution : ensemble des environnements dans lesquels l’unité peut apparaître (ce qui la précède et / ou la suit dans l’énoncé).

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distributionnalisme concerne son rejet total à l'égard du sens. Alors que la plupart des

linguistes considèrent que la langue met en relation forme phonique (signifiant selon

Saussure) et sens (signifié), l'objectif des distributionnalistes consiste à vouloir rendre compte

du fonctionnement linguistique par la seule prise en compte de la forme phonique, sans aucun

recours au sens véhiculé par la phrase.

Pour L. Bloomfield, la signification renvoie à la totalité de l'expérience humaine et

présuppose, pour son explicitation, la connaissance globale du monde, ce qui dépasse

largement les possibilités de la linguistique. Ainsi pour Bloomfield, la tâche immédiate à

laquelle doit s’attacher le linguiste est une description des langues, description qui doit éviter

tout mentalisme et ne pas tenir compte du sens des énoncés considérés. Cette théorie est donc

fondamentalement mécaniste et antimentaliste étant clair que le mentalisme considère que la

parole structure la pensée du locuteur. L’objet de la linguistique behavioriste, comme pour

Saussure, consiste à écarter les difficultés soulevées par la théorie mentaliste à laquelle elle

s’oppose. Pour le mentalisme, en effet, la parole n’est rien d’autre que l’effet de l’état mental

(des pensées) du sujet parlant. Pour éviter les confusions subjectivistes qui en découlent, et

élever la linguistique au rang de science objective, le behaviorisme va donc s’efforcer de

décrire la parole, indépendamment du sens. Dans la mesure où celui-ci renvoie à la situation,

on considère en effet qu’il relève de sciences extérieures à la linguistique.

Le distributionnalisme, en écartant le sens, même comme critère de dégagement des unités, va

donc plus loin, de ce point de vue, que Saussure. Dans ces conditions, on pourra étudier au

moyen du seul critère de commutation et substitutions d’éléments dans un contexte, les

propriétés distributionnelles des éléments de la langue qui seront ensuite rangées dans des

classes aux propriétés connues et définies. La phrase devient ainsi une combinaison de classes

distributionnelles différentes, agencées selon des formules dont on peut faire l’inventaire et

étudier les variations.

Selon Bloomfield, toutes les unités qui occupent le même environnement linguistique sont en

situation d’équivalence distributionnelle et appartiennent à la même catégorie grammaticale.

Soient les exemples :

Ce juge a de grandes compétences.

Le juge a de grandes compétences.

Les unités « ce » et « le » apparaissent dans le même contexte linguistique. Donc, elles

présentent les mêmes distributions et appartiennent à la même partie du discours. Pour faire

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part des multiples catégories grammaticales, la démarche distributionnelle recourt à

l’opération de commutation en substituant, sur l’axe paradigmatique, une unité linguistique

par une autre unité linguistique. Tous les éléments qui peuvent commuter entre eux sur le

même axe appartiennent à la même partie du discours. A titre d’exemple, dans la phrase

« Ce paysage est sublime », l’adjectif « sublime » peut être remplacé par « admirable »,

« magnifique », « beau » qui sont, eux aussi, des adjectifs.

- Application13 :

L’exemple du swahili (Fuchs et Le Goffic, 1996), exemple souvent choisi pour la clarté

exceptionnelle de sa structure.

On suppose qu’un corpus contient les éléments suivants : (1) atanipenda (2) ananipenda (3)

anakupenda (4) anawapenda (5) alikupenda (6) ninakupenda

Question : peut-on rapprocher certains segments ?

(1) atanipenda

(2) ananipenda

(3) anakupenda

(4) anawapenda

(5) alikupenda

(6) ninakupenda

(2) ana ni penda

(3) ana kupenda

(4) ana wapenda

(1) a ta nipenda

(2) a na nipenda

(3) a na kupenda

(5) a li kupenda

(3) a nakupenda

(6) ni nakupenda

1 2 3 4

a-

Il/elle

-ta-

futur

-ni

me

penda

Aimer -ni

je

-na-

présent

-ku-

te

-li-

imparfait

-wa-

les

II.1 Présupposés théoriques du distributionnalismeQu'ils soient explicites ou implicites, les présupposés théoriques du distributionnalisme sont

très comparables à ceux que F. de Saussure a formulés. L'objet d'étude est la langue, par

opposition à la parole. La langue est souvent appelée code. Cette étude doit être synchronique

13 L’objectif de cette application est de pousser l’étudiant à réfléchir sur la notion de distribution et de dégager par lui-même les morphèmes.

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(d'autant plus naturellement qu'on a surtout affaire à des langues amérindiennes sans écriture,

dont le passé est inconnu, plus de 1000 langues). La langue est composée d'unités discrètes ou

morphème14, que la segmentation permet de dégager.

Chaque langue constitue un système spécifique. Les éléments se définissent par leurs relations

à l'intérieur d'un système. L’insistance est mise surtout sur les relations syntagmatiques (la

distribution d’où le nom de l’école).

Pour cette théorie, le comportement humain dans tous les domaines, peut être décrit à partir de

la relation fondamentale stimulus-réponse (l’influence de la psychologie béhavioriste). Parler

représente un certain type de comportement. Maitriser une langue revient donc à donner une

réponse adéquate à un stimulus ou à pouvoir déclencher la réponse voulue en utilisant un

stimulus approprié.

IV.2 La méthode : comment décrire la structure d’une langue ?15

La méthode distributionnelle « consiste à définir avec rigueur une méthode formelle de

segmentation de la chaîne parlée en unités distinctives, définies par les seules relations

qu'elles entretiennent dans cette chaîne, c'est-à-dire par leur environnement ». (J. Dubois et

Dubois-Charlier, 1970)

La première chose à faire est de réunir un corpus (un ensemble d’énoncés qui sera envisagé

comme un échantillon de la langue). Il faut donc que ce corpus soit homogène, représentatif

et fini ce qui n’est pas facile à assurer. Ce corpus une fois accueilli, on le segmente. Pour se

faire, on cherche à approcher des morceaux d’énoncés comparables, dont la comparaison de

proche en proche de déterminer quels sont les morphèmes. (Voir l’exemple du swahili). La

grammaire est ainsi construite de manière empirique et inductive, c’est-à-dire au regard des

faits, des données du corpus.

- Limites et problèmes de la démarche

On pourrait ainsi espérer dégager et reconstruire la « structure distributionnelle » intégrale

d’une langue. Mais la méthode, pour rigoureuse qu’elle paraisse, pose de nombreux

problèmes :

14 Le terme de morphème est ici un terme générique, recouvrant toutes les unités significatives. Dans la tradition européenne, il a souvent une acceptation plus restreinte, désignant les unités grammaticales, par oppositions aux unités lexicales (ou lexèmes). C’est dans ce second sens restreint que l’emploi par exemple Martinet, qui utilise pour le sens large « monème ».15 Ce que Chomsky appellera « procédure de découverte », en mettant en lumière combien cette démarche d’apparence modeste et réaliste est en réalité ambitieuse.

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- Des séquences de morphèmes peuvent avoir la même distribution qu’un morphème unique

(ll et mon meilleur ami peuvent être suivis des mêmes morphèmes : viendra demain) et

paraissent donc équivalent à un certain niveau. Cela implique de redéfinir à un autre niveau,

celui des constituants immédiats d’une phrase les morphèmes contenus par ces derniers et

donc à élever au stade de la syntaxe de la phrase la procédure d’analyse. Or sur ce plan des

enchaînements syntaxiques, la méthode distributionnelle est restée intuitive et empirique, ce

qui n’est guère conforme à ses pré-requis de départ.

L’exemple du swahili n’est pas innocent. Cette langue présente en effet une clarté de structure

particulièrement rare et remarquable dans les langues du monde et c’est pour cela qu’elle a été

souvent citée en modèle. En français, les unités s’enchevêtrent davantage et cela exige des

procédures plus spécialisées qu’il faudrait mettre au point :

Exemples : ne…pas / signifiants discontinus

au (à + le) / signifiants amalgamés

- Le statut même de morphème (ou de signe), en fait, comme on voit, fait problème comme

celui de « mots » à l’écrit, unités qui n’ont pas de véritable statut théorique, et reste un défi

pour les linguistes.

IV.3 La syntaxe distributionnelle 

IV.3.1 Les constituants immédiats  

C'est à l'aide de la technique en constituants immédiats que les distributionnalistes étudient la

structure de la phrase, la notion de constituant repose sur l'intuition du locuteur, à la façon la

plus naturelle de regrouper les unités d'une langue, c'est Bloomfield qui est le premier à

montrer qu'une phrase pouvait s'analyser par étapes successives, et être ainsi réduite en ses

composantes indivisibles. La méthode des constituants immédiats « définit une analyse

combinatoire de ces unités en allant de l'unité minimale aux unités de rang supérieur (du

morphème à l'énoncé, du phonème au morphème) ». (J. Dubois et Dubois-Charlier, 1970)

Il suffit de diviser d'abord la phrase en ses deux constituants immédiats, de diviser ensuite

chacun des constituants immédiats en leurs constituants immédiats et de répéter le procédé

jusqu'à ce que le niveau des morphèmes ait été atteint, c'est à dire, le niveau des unités de sens

indivisible, Bloomfield donne le nom de constituant ultime.

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Soit l'exemple : La petite fille embrassait sa poupée

- La petite fille /embrassait sa poupée

- La /petite fille embrassait /sa poupée

- La petite /fille embrasse/ait sa /poupée

Cette approche hiérarchisée a donné lieu à plusieurs essais de représentations visuelles.

IV.3.2 La représentation de la structure de la phrase 

Les distributionnalistes proposent trois modèles de description syntaxique : Les angles de

Fries, la boîte de Hockett et la boîte de Bloch et de Harris

- Les angles de Fries :

La petite fille embrassait sa poupée

Fries est le premier qui a proposé une application pédagogique de la technique

distributionnelle. Pour lui, on doit procéder par généralisation, il présente les différents

niveaux d'analyse à l'aide d'angles , en constate donc que chez Fries , toute phrase repose sur

une construction binaire qui se répète sur toute une série de niveau jusqu'à ce que l'on soit

arrivé au morphèmes qui sont indivisibles, chaque angle représente un niveau d'analyse .

Critique du schéma : Il est parfois difficile, surtout lorsque l'analyse devient complexe, de

bien percevoir tous les niveaux constitués par les angles.

- La boite de Hockett :

Chez Charles F Hockett (1958), c'est par une boite qu'on illustre l'analyse en constituants

immédiats. Il s'agit toujours du même type d'analyse. La phrase (boite 1) est divisée en ses

constituants immédiats selon les différents niveaux d'analyse. Les constituants de la

construction se retrouvent dans chacune des boites numérotées (sauf dans la boite 1)

La petite fille embrassait sa poupée

La petite fille 1 embrassait sa poupée 2

La 3 Petite fille 4 embrassait 5 sa poupée6

petite 7 fille 8 embrasse

9

ait 10 sa11 poupée12

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Critique : Ce type de représentation pose cependant de sérieux problèmes, ainsi,

1- La petite fille embrassait sa poupée

2- Elle embrassait sa poupée

3- Le petit vieillard ridé achetait un nouveau chapeau

1, 2 et 3 ont partiellement la même structure, cependant, les boites de ces trois phrases ne sauraient

montrer cette ressemblance structurale, pas plus que les angles de Fries. Pomme a exactement la

même fonction dans la phrase 1 et 2, mais ce constituant ne portera pas un numéro identique dans

les deux cas, le problème est donc qu'on ne peut pas dépasser le niveau de la phrase particulière, et

généraliser les boites.

- La boite de Block et Harris :

 Ils ont proposé leurs version de la boite de Hockett, et proposent comme solution d'enlever les mots

des cases et de les remplacer par des étiquettes qui tiendront la place de toute construction et de tout

constituant.

- La liste des étiquettes :

1. P – Phrase : l’élève a mangé du chocolat

2. SN – Syntagme nominal : l'enfant, un jeune étudiant, l’homme gai et lucide

3. Mn – membre nominal : jeune étudiant, homme gai et lucide

4. SV – Syntagme verbal : mange un gâteau, travaille fort, est mort

5. SP – Syntagme prépositionnel : De Paul, avec toi, pour la bonne cause

6. N – Nom : enfant, élève, cause, Paul

7. V – Verbe : manger, jouer, rire …

8. Adj – Adjectif : jeune, gai, lucide, bonne

9. Adv – Adverbe : souvent, trop, là, maintenant

10. Prép – Préposition : à, de, sans, avec, pour, par

11. Pro – Pronom : il, je, le mien, elle

12. Art – Article : le, la, les

13. RV – Racine verbale : mange- de mangeait, joue- de jouera, part- de partit

14. TPS – Affixe temporel : -ait de mangeait, -ra de jouera, -it de partit

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Soit l'exemple : La petite fille embrassait sa poupée

P

SN SV

art MN V SN

adj N RV Tps Art (dét) N

Une telle approche constitue un premier élément de solution aux problèmes déjà notés au sujet des

angles de Fries et des boites de Hockett. En effet le remplacement des mots par des étiquettes ; la

généralisation des cases d'une boite permet de reconnaître les phénomènes linguistiques qui sont

apparentés. Il est à noter que ce n'est qu'au niveau des phrases présentant des constituants immédiats

comparables que les ressemblances linguistiques peuvent être notées.

Ce modèle décrit un sous-ensemble d'un état d'une langue mais ne sait pas tenir compte de la

créativité du locuteur qui se manifeste dans toutes les nouvelles phrases qu'il produit et qui ne se

retrouveront pas dans le corpus. Ainsi le distributionnalisme ne peut pas résoudre le problème

d'analyse que présente les phrases ambiguës comme : « J'ai acheté un livre à mon fils » ou « J'ai lu

la critique de Sartre ». 

VI.4 Exercice : Représenter les différents niveaux d'analyse des phrases suivantes à l'aide de la

boite de Block et Harris.

-Cette étudiante a un très bel avenir.  

- Il avait envie d’une pizza italienne.

- Les rêves du jeune homme s’envolaient en fumée.

- La paix sereine d’un bel après-midi anglais planait sur les jardins

V

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La grammaire générative 

Noam Chomsky

Noam Chomsky est un linguiste américain dont le nom est associé à la grammaire dite

générative, un courant formel en linguistique théorique. Ce qui spécifie la grammaire

chomskienne c’est qu’elle soit générative et transformationnelle à la fois.

Il est de tradition d’opposer le courant structuraliste (aussi bien européen à la suite de

Saussure qu’américain avec les distributionnalistes) et celui de la grammaire générative

toutefois ces deux courants partagent certains postulats théoriques comme l’insistance sur les

questions de forme et corrélativement une tendance à écarter le sens.

Par ailleurs il est important de signaler que le model chomskyen a connu de nombreuses

versions successives, depuis ses débuts (vers la fin des années 50)16.

« Chomsky cherche à bâtir une théorie des structures linguistiques qu’il appelle grammaire et

dont la pièce maitresse est constituée par la syntaxe. Les phénomènes syntaxiques

appartiennent, selon lui à un niveau spécifique et autonome, distinct d’une part de la

morphologie, et d’autre part de la sémantique : une phrase peut être bien formée

16 Dans ce cours nous nous limitons à la présentation de la théorie standard.

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syntaxiquement mais dépourvue de signification, comme : Les idées vertes sans couleur

dorment furieusement (Chomsky 1957) » (Fuchs et Goffic, 1996 : 72)

Cette grammaire a pour but de rendre compte de toutes les phrases grammaticales et d’elles

seules. Pour se faire la grammaire a la forme d’un mécanisme génératif.

Selon Chomsky, les structures syntaxiques ne se réduisent pas à un corpus fini, quelle que soit

sa longueur, car à partir d’un ensemble fini de règles et de symboles il est possible de générer

une infinité de phrases, chacune de longueur finie. Il s'agit de démontrer que tout sujet parlant

peut émettre ou comprendre un nombre indéfini de phrases inédites.

Contrairement aux distributionnalistes, Chomsky rend comte de la créativité du sujet parlant

en postulant que l’objet d’étude n’est pas un corpus attesté (nécessairement fini) mais

l’infinité des réalisations linguistiques possibles, y compris celles qui n’ont jamais été

prononcées ou entendues. Cet objet n’étant plus empiriquement observable, la méthode est

nécessairement différente : elle devra se fonder sur l’intuition que le sujet à de sa langue.

« Et, dernière conséquence qui modifie finalement la personne du linguiste : pouvoir

décrire une langue implique, chez celui qui entreprend cette tâche, de la connaître

comme sujet parlant; car à tout moment il doit faire appel à l'intuition du sujet qu'il est,

non pas seulement pour soutenir sa description, mais pour en rendre compte. Et la

théorie générative implique que le linguiste étudie une langue qu'il connaît en tant que

sujet; les beaux jours des rapprochements arbitraires entre des langues que l'on ne

connaît que de seconde main ou les comparaisons parcellaires et hasardeuses sont du

passé. On ne connaît une langue que de l'intérieur et le linguiste comme le mathématicien

élabore sa description par une référence constante à une langue qui est la sienne,

commune, dans son essence, à la langue de la communauté linguistique dans laquelle il

vit. Et l'on voit que la linguistique générative dépasse, comme naguère le structuralisme,

le cadre étroit de la discipline linguistique » (Dubois, 1969)

Ainsi lorsqu’il rencontre un énoncé comme « Le danger redoute les soldats », sa grammaire

doit justifier le jugement d'agrammaticalité qu’il porte sur cette phrase en tant que

francophone. Sa grammaire doit rendre du fait que le verbe aller comme auxiliaire ne peut

être utilisé au futur ou au subjonctif; les énoncés : « il faut que j’aille venir » et « iI ira

venir », sont agrammaticaux, au contraire de « Il faut qu'il aille chercher un taxi » et « il ira

chercher un taxi ». (Dubois, 1969)

Chomsky a formulé des hypothèses sur la nature et le fonctionnement du langage. Celui-ci est

spécifique à l’espèce humaine et repose sur l’existence de structures universelles innées (ex :

la relation sujet/prédicat) qui rendent faisable l’acquisition et ou l’apprentissage des

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différentes langues. Ses structures inhérentes à l’espèce humaine et qui sous-tendent le

fonctionnement du langage sont activées par l’environnement linguistique dans lequel baigne

l’individu.

Cette grammaire universelle constitue le savoir linguistique implicite des sujets parlant ou

leur compétence linguistique. Un savoir indépendant de tout facteur qui peut intervenir dans

l’acte de parole (humeur du sujet parlant, stress, fatigue…). L’utilisation particulière et

concrète faite de cette compétence (la langue) par le sujet parlant dans une situation de

communication déterminée est la performance. Elle « comporte l'ensemble des facteurs

comme la mémoire, l'attention, etc., qui définissent le sujet psychologique et les facteurs

sociaux ou historiques qui définissent la situation ». (Dubois, 1969). Cette dichotomie

compétence/performance est une reprise de la distinction saussurienne langue/parole.

V.1 La théorie standardSuivant la théorie standard de Chomsky (Dubois, J et al, 2012), la grammaire est formée de

trois parties ou composantes :

- la composante syntaxique centrale qui est un système de règles définissant les phrases

permises dans une langue.

- la composante sémantique qui s’articule sur la première, système de règles définissant

l’interprétation des phrases générées par la composante syntaxique.

- la composante phonétique et phonologique qui s’articule aussi sur la composante

syntaxique ; système de règles réalisant en une séquence de sons les phrases générées par la

composante syntaxique. (Schéma suivant. Fuchs et Goffic, 1996 : 77)

Composante syntaxique

Structures profondes Structures de surface

Composante sémantique

Composante phonologique

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transformationsbase

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La composante syntaxique ou syntaxe comprend elle-même deux parties :

- La base qui définit les structures fondamentales ; elle permet de générer les deux

suites : (1) La + mère+entend+quelque chose, (2) L’+enfant+chante

- Les transformations qui permettent de passer des structures profondes générées par la

base aux structures de surface des phrases qui reçoivent alors une interprétation

phonétique pour devenir des phrases effectivement réalisées. La partie

transformationnelle de la grammaire permet d’obtenir : La mère entend que l’enfant

chante et La mère entend l’enfant chanter. Il s’agit encore de structures abstraites qui

ne deviendront des phrases effectivement réalisées qu’après application des règles de

la composante phonétique

La base est formée elle aussi de deux parties :

- La composante ou base catégorielle est l’ensemble des règles définissant les relations

grammaticales entre les éléments qui constituent les structures profondes et qui sont

représentés par les symboles catégoriels (exemple SN+SV relation grammaticale du

sujet avec le prédicat)

- Le lexique ou dictionnaire de la langue est l’ensemble des morphèmes lexicaux définis

par des séries de traits les caractérisant ; ainsi le morphème mère sera défini dans le

lexique comme un nom, féminin, animé, humain, etc. Si la base définit la suite de

symboles : Art+N+Prés+V+Art+N le lexique substitue à chacun de ces symboles un

mot de la langue : La+mère+t+finir+le +le+ouvrage, les règles de transformation

convertissent cette structure profonde en une structure de surface : la=mère+

finir+le+ouvrage, et les règlent phonétiques réalisent La mère finit l’ouvrage

Les transformations qui sont en nombre fini mettent en œuvre des opérations en nombre fini

(addition, effacement, déplacement, substitution) qui convertissent les structures profondes en

structures de surfaces sans affecter l’interprétation sémantique faite au niveau des structures

profondes.17

On distingue les transformations obligatoires qui doivent nécessairement être appliquées.

Elles ont pour résultat la phrase-noyau (affirmative, active, déclarative, simple) et les

transformations facultatives qui engendrent les phrases dites dérivées (n’ayant pas les quatre

17 En ce qui concerne les transformations singulières (interrogative, emphatique et négative), cette considération a conduit à modifier le premier état de la théorie et à introduire dans les indicateurs syntagmatiques de base les marqueurs « négation », « emphase », « interrogation » (Dubois, 1969)

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caractéristique de la phrase-noyau) c'est-à-dire toute phrase négative ou passive ou

interrogative ou complexe.

Selon Chomsky (1971), les relations grammaticales abstraites sont sémantiquement

significatives. Ces niveaux de structuration non apparents qu’il nomme structures profondes

se révèlent à travers les transformations.

Prenant l’exemple des deux phrases « Pierre promet à marie de venir » et « Pierre permet à

Marie de venir », Chomsky rend compte que ces deux phrase ont la même structure de

surface, mais qu’elles sont très différentes du point de vue de la structure profonde qui leur est

sous-jacente et qui détermine leur interprétation sémantique. (Avec promettre, c’est de la

venue de Pierre qu’il s’agit, avec permettre c’est de celle de Marie).

Exemple :

L’exemple suivant de Dubois (1969) constitue un résumé pédagogique qui illustre bien la

possibilité d'obtenir un nombre infini de phrases avec un modèle transformationnel.

La transformation dite généralisée consiste à dériver un indicateur syntagmatique (voir plus

loin) unique (une phrase) de deux indicateurs singuliers (deux phrases de base) par des

procédures diverses, celles-ci pouvant être ordonnées différemment. Soit les deux phrases :

(1) L'entrepreneur construit cet immeuble.

(2) Ceci est ralenti.

La première proposition subit une nominalisation qui suit une transformation passive. Elle est

ensuite enchâssée dans la phrase matrice (phrase « principale ») :

(1) Cet immeuble est construit par l'entrepreneur.

(2) Ceci/Que cet immeuble est construit par l’entrepreneur /est ralenti.

(3) Ceci/la construction de cet immeuble par l’entrepreneur /est ralenti.

(4) La construction de cet immeuble par l'entrepreneur est ralentie.

Ces transformations binaires s’opposent aux transformations unaires qui font dériver une

seule phrase d'un seul indicateur de base. C’est le cas par exemple de la forme passive.

La phrase : « Une voiture renverse le passant » devient « Le passant est renversé par une

voiture ».

Cette transformation est définie par une succession d'opérations : addition de l'auxiliaire,

formation du participe passé, permutation des syntagmes nominaux, addition de la préposition

par.

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V.2 L’ambigüitéLe phénomène d’ambigüité n’est autre que la pluralité de signification que peut offrir une

phrase. Les ambiguïtés peuvent être orales ou phonétiques que l’écriture élimine. Ces

dernières ne sont pas toujours dissociées des autres ambiguïtés lexicales. C'est le cas des

phrases qui donne un même son à l'oreille mais un sens différent à l'esprit (cas des

homonymes, les jeux de mots, les calembours, etc.). (Fleury, 1971)

L’ambigüité lexicale concerne les phrases avec un mot ou une séquence de mots offrant deux

significations distinctes.

Exemples :

- Il s'est incliné devant son adversaire (ambigüité de même niveau de langue)

- Souffler une idée (niveau familier)

- C'est une casserole (niveau argotique)

- Elle l'empoisonne (sens figuré)

L’ambigüité qui nous intéresse, ici, est l’ambigüité structurale qui est de deux types :

-Les ambiguïtés de structure de surface appelée également structure apparente : à ce niveau,

l'ambiguïté revient à la possibilité de grouper les mots adjacents de deux manières différentes.

Dans ce cas il est possible de lever l’ambigüité avec l’indicateur syntagmatique de Chomsky.

(Fleury, 1971)

Exemple : Je crois cet enfant trouvé (2 interprétations possibles selon que « trouvé » est

épithète ou attribut)

-Les ambiguïtés de structure profonde sont dues aux changements dans les relations logiques

essentielles entre des mots ou des groupes de mots sans modification possible dans le

groupement apparent des mots. Ce type d’ambigüité concerne les phrases construites à partir

de deux propositions (Fleury, 1971).

Exemple1 : « Comme tant d'autres, tu vas me quitter ». Supposons que l'émetteur soit

féminin:

1ère interprétation : Tu vas me quitter comme tant d'autres garçons m'ont quittée.

2ème interprétation : Tu vas me quitter comme tu as quitté tant de filles.

Plus simplement, on peut dire que l'ambiguïté résulte de ce que la même structure de surface

peut être dérivée de deux structures profondes différentes. (Dubois, 1969)

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Exemple 2 : « Le magistrat juge les enfants coupables » Cette phrase structurellement

ambigüe a deux structures syntaxiques sous-jacentes différentes elles-mêmes issues d'une

succession de phrases de base, élémentaires, qui constituent la structure profonde et d'une

série de transformations :

-Le magistrat juge les enfants qui sont coupables.

-Le magistrat juge que les enfants sont coupables.

Chacune de ces deux structures sous-jacentes renvoie à une structure profonde constituée de

deux propositions :

-Le magistrat juge les enfants qui sont coupables : - Le magistrat juge les enfants

- Les enfants sont coupables

-Le magistrat juge que les enfants sont coupables : - Le magistrat juge ceci

- Les enfants sont coupables

Exemple 3 : « Jean aime Jeanne autant que Pierre »

- Jean aime Jeanne autant qu’il aime Pierre : - Jean aime Jeanne

- Jean aime autant Pierre

- Jean aime Jeanne autant que pierre aime Jeanne : - Jean aime Jeanne

- Pierre aime Jeanne autant

V.3 L’indicateur syntagmatique, la représentation en arbre On appelle indicateur syntagmatique la description syntaxique d'une phrase (représentée par

un arbre). Un arbre est constitué de branches et de nœuds.

Exemple :

Ph

SN SV

Dét N V SN

Dét N

L’ enfant prend le ballon

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La phrase est souvent constituée de plusieurs syntagmes où chacun représente un groupe de

constituants situés par rapport à un élément central. Le syntagme nominal est constitué en

premier lieu d'un noyau nominal qui apparaît seul dans le cas de noms propres ou de pronoms.

Ce noyau peut être accompagné d'un déterminant dans le cas des noms communs. Le

syntagme verbal se constitue d'abord d'un noyau verbal, il peut également y avoir des

expansions aux groupe verbal (SN, SP, SAdv, SA, proposition relative). Le syntagme

prépositionnel peut compléter la phrase mais aussi faire partie du syntagme nominal ou du

syntagme verbal et parfois du syntagme adjectival ou adverbial. Le syntagme adverbial

permet une expansion du verbe, et de la phrase. Le syntagme adjectival permet une expansion

du SV et du SN.

La coordination peut se faire au niveau du groupe nominal ou de la phrase et a relativisation

se fait à partir du syntagme nominal.

Les indicateurs syntagmatiques permettent la distinction entre des phrases de même structure

mais sont syntaxiquement et sémantiquement différentes (phrases ambiguës) : « Cet artiste

peint la nuit » peut signifier que l'artiste peint un tableau dont le sujet est la nuit ou qu'il peint

pendant la nuit. Nous pouvons alors avoir les deux représentations suivantes :

Ph

SN SV

Dét N V SN

Dét N

Cet artiste peint la nuit

Ph

SN SV SP

Dét N V Prép SN

Dét N

Cet artiste peint Ø la nuit

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V.4 Exercices 1 / La phrase suivante est ambiguë ; donnez-en les deux interprétations possibles : Elle aime

son fils plus que son mari

2/Les phrases ci-dessous sont ambiguës, donnez-en les interprétations possibles. Représentez

la première phrase (il a rapporté des fruits d’Afrique), suivant « l’indicateur syntagmatique »

de Chomsky. Précisez à quelle interprétation correspond cet indicateur syntagmatique.

- Il a rapporté des fruits d’Afrique.

- Je les ai entendus parler en cachette

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VILa pragmatique

John Searle

La pragmatique est marquée par trois moments de son histoire : la naissance avec les

philosophes du langage anglo-saxons Austin, Searle et Grice, l’orientation cognitiviste que

Serber et Wilson lui ont donnée et l’approche intégrée qu’elle a connue avec les travaux de

Ducrot et Anscombre. Dans ce cours, l’objectif est d’initier l’étudiant à la première théorie

fondatrice, pour se familiariser avec cette jeune discipline qui trouve ses véritables

fondements dans les années 1950 à 1990.

Il s’agit de cerner une discipline qui revendique « l’analyse de l’usage du langage », c’est-à-

dire « tous les phénomènes intervenant dans l’interprétation des phrases et qui ne sont pris en

charge ni par la syntaxe ni par la sémantique ». Son objet d’étude est l’interprétation des

énoncés en fonction de tous les éléments impliqués par la situation d’énonciation, qu’ils

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soient explicités ou implicités, qu’ils relèvent des intentions du locuteur ou de données

extralinguistiques.

VI.1 Qu’est-ce que la pragmatique ? On a parlé de pragmatique (à ne pas confondre avec le pragmatisme, un courant

philosophique américain représenté principalement par William James, John Dewey ou

Richard Rorty) bien avant que des travaux existent dans ce domaine. En 1938, dans un article

écrit pour une encyclopédie scientifique, le philosophe américain Charles Morris distingue

différentes disciplines qui traitent du langage : la syntaxe (très grossièrement, la grammaire,

limitée à l’étude des relations entre signes), la sémantique (qui traite de la signification,

définie par la relation de dénotation entre les signes et ce qu’ils désignent) et enfin la

pragmatique qui, selon Morris, traite des relations entre les signes et leurs utilisateurs.

Dans l’esprit de Morris, la pragmatique était principalement restreinte à l’étude des pronoms

de première et deuxième personne et à celle des adverbes de temps et de lieu (ici, maintenant),

toutes expressions qui tirent leur signification de données partiellement extérieures au langage

lui-même, c’est-à-dire de la situation dans laquelle la communication se produit. Néanmoins,

la pragmatique était restée un mot qui ne recouvrait aucune recherche effective.

Morris (1955) (1ère édition, 1946) a formulé la définition fondatrice de la pragmatique

comme étant l'étude de la relation entre les signes et les interprètes. L'interprète est un

utilisateur de la langue qui détermine dans un contexte particulier le lien existant entre un

signe linguistique et un objet. Cette conception est directement inspirée de la théorie

sémiotique de Peirce (développée entre 1867 et 1908, traduite et commentée en langue

française par Deledalle en 1978) et en particulier de la définition triadique du signe (signe-

symbole, signe-icône, et signe-index) qui se substitue à la définition dyadique issue des

travaux de Saussure (1916). La définition dyadique comprend deux éléments, le signifiant et

le signifié. Le signifiant est l'image acoustique correspondant à la production d'un mot,

"dinosaure" par exemple. Le signifié est le concept qui est associé au mot. Signifiant et

signifié entretiennent un lien arbitraire, c'est à dire que l'image acoustique ne dépend en rien

du concept. Les trois éléments de la définition triadique du signe sont: le

REPRESENTAMEN, l'OBJET et l'INTERPRÉTANT. Le REPRESENTAMEN est l'image

sonore ou visuelle du signe (par exemple « scotch »). L'INTERPRÉTANT est le signe

équivalent ou plus développé qui est créé chez celui à qui s'adresse le REPRESENTAMEN

(fruit, ville ou arme pour « grenade »). L'OBJET est ce qui correspond au signe (par exemple

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le fruit "grenade"). Lorsqu'un locuteur s'adresse à un auditeur en parlant de "grenade",

l'interprétant varie en fonction des caractéristiques de l'auditeur ou du contexte de

l'interaction, par exemple le voyageur pensera "ville", alors que militaire pensera « arme ». La

définition triadique du signe permet de rendre compte de la polysémie des mots extrêmement

fréquente, même dans le vocabulaire courant.

Dans le cadre de cette définition, la syntaxe est définie au niveau du REPRESENTAMEN par

la relation des signes les uns avec les autres indépendamment de la relation signe/objet ou

signe/interprétant. La sémantique est définie par la relation entre les signes et les objets, c’est-

à-dire par la relation REPRESENTAMEN/OBJET. Et enfin la pragmatique est définie par la

relation entre les signes et les utilisateurs, c’est-à-dire par la relation

REPRESENTAMEN/INTREPRETANT.

Plus tard, le logicien et philosophe des sciences israélienYehoshu Bar-Hillel précise que la

pragmatique concerne aussi la « dépendance essentiel de la communication, dans la langue

naturelle, du locuteur et de l’auditeur, du contexte linguistique et du contexte extra-

linguistique, de la disponibilité de connaissance de fond, de la rapidité à obtenir cette

connaissance de fond et de la bonne volonté des participants à l’acte communicatif ».

(Yehoshu Bar-Hillel 1968 cité par Bracops, 2010)

En 1979, le français Francis Jaques conclut : « la pragmatique aborde le langage comme

phénomène à la fois discursif, communicatif et social ». (Cité par Bracops, 2010)

Selon Bracops (2010), les notions clés de la pragmatique sont des concepts qui ont été

longtemps ignorés ou négligés par la philosophie du langage et la linguistique. Ces trois

notions sont : la notion d’acte, la notion de contexte et la notion de désambiguïsation. « La

notion d’acte car le langage est action en ce sens qu’il permet d’instaurer, mais aussi d’agir

sur le monde et sur autrui  ; la notion de contexte, car l’interprétation du langage ne saurait

faire abstraction de la situation concrète dans laquelle les propos sont émis (le lieux, le

moment, l’identité des interlocuteurs…), et la notion de désambiguïsation, car certaines

informations extralinguistiques sans indispensables à la compréhension sans équivoque d’une

phrase (l’attribution des référents aux pronoms, etc.) » (Bracops, 2010 : 16)

En tant que discipline qui s’attache à la communication et à ses acteurs, ces concepts

constituent des appuis lui permettant de répondre aux questions qui la préoccupent : que

faisons-nous lorsque nous parlons ? comment se fait-il que nous ne disions pas toujours ce

que nous voulons dire, ni ne voulions dire ce que nous disons? Qu’avons-nous besoin de

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savoir pour que telle phrase cesse d’être ambiguë ? Pouvons-nous nous fier au sens littéral

d’un propos ?etc.

VI.2 la compréhension du langage La compréhension du langage met en œuvre deux types de processus : les processus codiques

et les processus inférentiels. (Bracops, 2010 : 19)

VI .2.1 Les processus codiques 

Les processus codiques d’interprétation du langage sont des processus applicables par rapport

à un code, c’est à-dire à un ensemble de conventions. La production d’une phrase suppose un

codage, son interprétation un décodage : cela postule évidemment l’existence d’un code

commun au locuteur et à l’interlocuteur. Le model du code s’applique également à des modes

de communication non verbal comme le code de la route.

L’étude des processus d’encodage et de décodage des phrases est prise en charge par la

linguistique, composée de disciplines traditionnelles (la phonétique et la phonologie, la

syntaxe, la sémantique.)

Les processus codiques mis en œuvre pour l’interprétation des phrases renvoient à l’aspect

linguistique formel du langage, qui suppose une association conventionnelle entre un mot et

un massage, et donc l’univocité de la signification. Or, l’univocité existe certes, mais elle est

rare. Exemples : 1/ L’ours polaire est un fauve

2/Marcel Proust est né à Auteuil le 10 juillet 1871.

Ces phrases semblent bien revêtir une signification unique ; pourtant la première pourrait,

dans certains contexte et agrémentée d’une intonation et de mimiques adéquates, prendre une

valeur métaphorique. Un interlocuteur qui ignorerait qui est Marcelle Proust (ou qui ne saurait

pas où se situe Auteuil) ne tirerait pas de la seconde phrase grand-chose.

De surcroit on constate aisément que l’usage d’une même phrase ne relève pas de l’univocité.

Exemple : Mon amie est italienne.

Cette phrase peut être prononcée par divers locuteurs, à des moments différents et des lieux

différents. Et selon la manière dont il interprète la situation, l’interlocuteur peut aboutir à des

solutions opposées. Exemple : La télévision m’endort (Si le locuteur entend veiller, il

convient d’éteindre la télévision, mais s’il préfère dormir, il faut l’allumer)

L’interprétation du langage nécessite donc le recours à des processus plus sophistiqués que les

processus codiques : les processus inférentiels.

VI.2.2 Les processus inférentiels

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Les processus inférentiels mettent en jeu la réflexion, le raisonnement, la faculté de déduction

de l’interlocuteur. Pour comprendre une phrase, il faut disposer de certaines connaissances qui

permettent de faire des hypothèses sur l’état d’esprit, les connaissances et les intentions du

locuteur de la phrase. Ces connaissances préalables n’ont rien de linguistique et ne font l’objet

d’aucune association conventionnelle préalable à l’interprétation de la phrase. Le même

locuteur peut à des moments différents, utiliser la même phrase en lui donnant des

significations diverses.

Exemple : tu sais quelle heure est-il ? (question ou mise en garde).

Ces connaissances que les interlocuteurs partagent ou peuvent partager reposent sur différents

facteurs. D’une part, sur la perception immédiate de l’environnement, la situation

d’énonciation, le contexte. D’autre part, sur le bagage de connaissances et le savoir dont

disposent tout individu, bagage complexe et abondant appelé connaissances de fond ou

connaissances encyclopédiques.

Exemple : Dans une communication scientifique en adapte son discours à son public

(spécialistes, étudiants, grand public…).

On communique, théoriquement, plus aisément avec un interlocuteur qui appartient à la même

culture que nous.

VI.3 La théorie des actes de langage La pragmatique linguistique sʼ est développée à partir de la théorie des actes de langage. Cette

théorie montre que la fonction du langage n'est pas essentiellement de décrire le monde, mais

aussi d'accomplir des actions. Elle est née avec la publication posthume en 1962 d'un recueil

de conférences données en 1955 par John Austin, « How to do Things with Words ». Le titre

français de cet ouvrage, « Quand dire, c'est faire » (1970), illustre parfaitement l'objectif de

cette théorie. A la suite d’Austin elle est développée par J.-R. Searle dans deux ouvrages « Les

Actes de Langage » (1972), et « Sens et expression » (1982).

Le point de départ de la réflexion d’Austin a consisté dans la remise en cause de la conception

descriptive du langage qui veut que la fonction première du langage est de décrire la réalité

(nommer les objets du monde) ce qu’Austin nomme péjorativement « l’illusion descriptive ».

VI.3.1 Austin et les débuts de la pragmatique

- Constatifs et performatifs, première distinction

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Austin s'est intéressé en tout premier lieu aux énoncés performatifs qui accomplissent une

action. Il a constaté que nombreuses sont les phrases qui ne décrivent pas un état de fait du

monde et qui ne sont ni interrogative, ni impérative, ni exclamative mais leur simple

prononciation réalise une action ; comme c’est le cas dans les phrases suivantes :

- Je te promets que je viendrai.

- Je t’ordonne de te taire

- Je te baptise au nom du, père, du fils et du Saint-Esprit

Ces énoncés performatifs ne peuvent être évalués en termes de vérité ou de fausseté, ils

peuvent être heureux ou malheureux c'est-à-dire l’acte en question peut réussir ou échouer.

Austin ne nie pas toutefois l’existence d’énoncés servant à décrire le monde et qu’il nomme

constatifs et qui peuvent être évalués par rapport à leur vérité ou leur fausseté. Exemples :

- Il neige

- Paris est la capitale de la France

En approfondissant son analyse, Austin s’est rendu compte qu’on plus des performatifs

explicites, il y avait des performatifs implicites. Les premiers se spécifient par un verbe

performatif (ordonner, promettre, juger …) à la première personne de l’indicatif. Les seconds

réalisent des actions mais de manière implicite comme dans :

- Tu te tais (ordre)

- Je viendrai te voir lundi (promesse)

Ces énoncés implicitement performatifs sont selon Austin des performatifs primaires qui eux

aussi s’évalue en terme de bonheur ou de malheur.

« Pour maintenir cette distinction entre performatif et constatif tout en tenant compte du

phénomène des performatifs primaires, Austin a établit un teste de performativité, selon

lequel tout énoncé performatif doit se ramener à un énoncé comportant un verbe à la

première personne du singulier de l’indicatif présent, voix active ». (Zuferey et Moeschler,

2010 :113). Exemples :

Tu te tais Je t’ordonne de te taire

Je viendrai te voir lundi Je te promets que je viendrai te voir lundi

Toutefois, l’élargissement de la catégorie des performatifs aux performatifs implicites posera

d’énormes difficultés pour la distinction entre constatifs et performatifs car tout énoncé

constatif peut être traité comme le performatif primaire d’un performatif explicite.

Exemple : Il pleut J’affirme qu’il pleut

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Si l’on admet cela, les constatifs doivent eux aussi être évaluée en terme d’échec ou de

réussite et la distinction entre constatifs (décrire) et performatifs (agir) devient caduque.

Pour ces raisons, Austin a décidé de renoncer à cette distinction et s’est intéressé aux

différents actes qui peuvent être réalisés au moyen d’un énoncé.

- Les actes de langage : locutoire, illocutoire, perlocutoire

Austin distingue trois types d’actes qui sont réalisés en prononçant des phrases :

1 / L’acte locutoire (dit aussi locutionnaire) : c’est le faite de dire quelque chose

indépendamment du sens véhiculé par la phrase, production d'une suite de sons.

2/ L’acte illocutoire (dit aussi illocutionnaire) : acte accompli en disant quelque chose,

attaché conventionnellement à la signification de la phrase. (ex : déclarer, promettre,

s'engager…).18

3/ L’acte perlocutoire (dit aussi perlocutionnaire) : accompli par le faite de dire quelque

chose, correspond aux conséquences de ce qui a été dit, aux effets plus lointains. Cet acte

sort du cadre linguistique conventionnel. Il peut être intentionnel ou non intentionnel.

En interrogeant quelqu'un, je peux avoir pour but de lui rendre service, de lui faire croire

que j'estime son opinion, ou de l'embarrasser, etc

Exemple : « L’examen se termine dans cinq minutes ». (Zuferey et Moeschler, 2010 : 114)

L’acte locutionnaire correspond au fait de dire que « L’examen se termine dans cinq

minutes ». Le simple fait d’énoncer une phrase même en l’absence d’un destinataire suffit

à l’accomplissement d’un acte locutionnaire.

Par contre on n’accompli pas un acte illocutionnaire sans la présence d’un locuteur

susceptible de comprendre la signification de la phrase et sa réussite est conditionnée par

l’accomplissement des conditions de félicité qui lui sont attachées.

On remarque ainsi, dans notre exemple, que le sens communiqué par cet énoncé n’est pas

totalement déterminé par les mots utilisés, dans la mesure où l’examen dont il est question

et le moment exact de sa fin doivent être déduit en utilisant des informations

contextuelles. En prononçant cette phrase le professeur accomplit l’acte illocutionnaire

d’informer les étudiants de la fin imminente de l’examen.

18 Son caractère conventionnel fait qu’il Il est toujours possible de le reformuler par la formule performative correspondante.

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L’acte perlocutionnaire quant à lui vise à produire un certain effet sur l’audience

probablement l’intention de persuader les étudiants de se dépêcher de terminer leur copie

ou non intentionnellement provoquer une réaction de panique chez certains étudiants.

Austin dans sa théorie s’est concentré sur les actes illocutoires associés aux énoncés car

leur compréhension est nécessaire pour la réussite de la communication et ils

correspondent au vouloir dire du locuteur. Il les a classés en cinq catégories en se basant

sur les verbes performatifs les décrivant (Zuferey et Moeschler, 2010) :

- Verdictifs : actes Juridiques (acquitter, condamner, prononcer, décréter, classer,

évaluer, etc.)

- Expressifs : jugement que l’on porte sur ce qui devrait être fait (dégrader, commander,

ordonner, léguer, pardonner, etc.)

- Promessif : obligent le locuteur à adopter une certaine attitude (promettre, garantir,

parier, jurer de, etc.)

- Comportatifs : attitude ou réaction face à la conduite d’autrui ou à la situation

(s’excuser, remercier, déplorer, critiquer, braver ; etc.)

- Expositifs : employés dans les actes d’exposition (affirmer, nier, postuler, remarquer,

etc.)

Le décès prématuré d’Austin à l’âge de 49 ans l’a empêché de mener plus avant son analyse

des actes illocutoires.

VI.3.2 La théorie des actes de langage vue par Searle

La théorie des actes de langage a été reprise et développée par le philosophe américain Searle

en mettant l’accent sur deux notions fondamentales : l’intention et la convention. Selon Searle

tout locuteur s’adressant à un interlocuteur à forcément l’intention de lui communiquer un

contenu sémantique formé grâce au caractère conventionnel de la langue.

A partir de ces deux notion Searle a posé son principe d’exprimabilité selon lequel tout ce

qu’un locuteur veut dire peut être exprimé par le langage, ainsi « tout état mental (pensée,

croyance, désir, intention, etc) peut être exprimé explicitement et littéralement par la phrase.

Les états mentaux sont donc transparents et leur observation se réduit à celle des phrases qui

les expriment. Le principe d’imprimabilité implique qu’il existe des règles sémantiques, fixant

la signification des actes de langage » (Zuferey et Moeschler, 2010 :115).

En plus du principe d’exprimabilité, ce qui est nouveau avec Searle est l’ajout d’un quatrième

acte aux trois précédents décrit par Austin. Il s’agit de l’acte propositionnel qui correspond à

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la référence (SN) et à la prédication (SV). Il justifie cet ajout par le fait que différents actes

illocutionnaires peuvent être réalisé au moyen d’un même acte propositionnel.

Exemple :

- Max mange. (affirmation)

- Max mange-t-il ? (question)

- Mange, Max ! (ordre)

Pour ces trois actes illocutionnaires différents nous avons le même acte propositionnel

accompli au moyen d’un acte de référence (Max) et d’un acte de prédication (Manger).

Produire un énoncé revient, donc, à accomplir un acte propositionnel et un acte

illocutionnaire.19

D'autres énoncés peuvent avoir la même force illocutoire exprimée de façon très différente.

Exemple :

- Ferme la porte ! 

- Je t'ordonne de fermer la porte. 

- Est-ce que tu pourrais fermer la porte, s'il te plaît ?

A partir de cette distinction, Searle souligne deux éléments de la structure syntaxique de la

phrase : le marqueur de contenu propositionnel et le marqueur de force illocutoire.

Exemple : Je te promets que je viendrai (Je te promets : le marqueur de force illocutoire /Je

viendrai : le marqueur de contenu propositionnel).

Searle à son tour a proposé une classification des actes illocutoires (dans son ouvrage de

1979, traduit en 1982 sous le titre Sens et expression) sur la base d’un certains nombres de

critères dont les principaux sont : le but de l’acte, les états psychologiques exprimées et le

contenu propositionnel. Searle reproche à la classification d’Austin de s’appuyer sur plusieurs

principes à la fois ce qui à aboutit au chevauchement de certaines catégories où des verbes se

retrouvent dans des classes différentes à la fois. (Zuferey et Moeschler, 2010).

Searle a classé les actes illocutionnaires comme suit :

- Les représentatifs (expositifs chez Austin), qui engagent le locuteur sur la vérité de la

proposition exprimée (asserter, conclure)

19 Les actes locutionnaire et perlocutionnaire n’ont pas gagné l’intérêt de Searle car il estime que le premier ne relève pas de la pragmatique et le second est optionnel.

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- Les directifs (exercitifs chez Austin), qui sont des tentatives du locuteur de conduire

l’interlocuteur à faire quelque chose (demander, ordonner)

- Les commissifs (promissifs chez Austin), qui obligent le locuteur à effectuer une

action future (promettre, menacer, offrir)

- Les expressifs (comportatifs chez Austin), qui expriment un état psychologique

(remercier, s’excuser, accueillir, féliciter)

- Les déclaratifs (verdictifs chez Austin), qui entrainent des changements immédiats

d’ordre institutionnel et tendant à impliquer des structures institutionnelles

spécifiques (excommunier, déclarer la guerre, baptiser, etc).

-La théorie des actes de langage indirects

Searle a étudié notamment les formes indirectes d'expression des actes illocutoires, ce que la

tradition reprendra ultérieurement sous l'appellation d’actes de langage indirects.

Un acte de langage indirect dit aussi primaire est un acte illocutionnaire exprimé

indirectement c'est-à-dire au moyen d’un autre acte dit secondaire. Dans un acte de langage

direct, il n’y a pas de divergence entre la signification de la phrase et le vouloir dire du

locuteur. L’intention du locuteur est clairement exprimée soit par la construction linguistique

soit pas l’emploi d’un verbe performatif à la première personne du présent de l’indicatif.

Exemple : Je te prie de me passer le sel  (requête)

Dans le cas d’un acte de langage indirect ce qui est signifié par la phrase ne correspond pas à

l’intention du locuteur ainsi nous avons deux actes, l’un accompli par la phrase et l’autre par

le locuteur.

Exemple : Peux-tu me passer le sel ? (L’acte primaire est une requête, l’acte secondaire est

une question).

Par opposition aux actes de langage directs qui, tels ceux qui sont exprimés par les

performatifs explicites, sont immédiatement déchiffrables dans la forme même de l'énoncé,

les actes de langage indirects (« Auriez-vous du feu, par hasard ? ») doivent être reconstruits

par l'auditeur au terme d'un calcul qui fait appel à plusieurs types de connaissances,

linguistiques et extralinguistiques, ainsi qu'à des capacités d'inférence.

VI.4 ExerciceQuels sont les actes illocutionnaires et perlocutionnaires réalisés dans les énoncés ci-dessous ?

- Ferme la porte en sortant !

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- Répète si tu oses !

- J’affirme que l’exercice n’est pas clair.

- Je vous condamne à la prison à perpétuité.

- Je t’assure que c’est un bon film.

- Tu vas me le payer !

- Mon anniversaire est la semaine prochaine.

- Il me semble qu’il va pleuvoir.

VIIL’énonciation

Emile Benveniste

La linguistique de l’énonciation trouve son origine au début des années 1960 avec les

réflexions d’Emile Benveniste que la tradition donne souvent comme « père » de la théorie de

l’énonciation. Malgré la diversité des approches qu’on peut y rencontrer, elles défendent

toutes une position pragmatique en linguistique, l’objectif étant d’étudier les usages de la

langue. En effet, la linguistique énonciative a pour fondement une critique de la linguistique

de la langue et une volonté de s’intéresser aux faits de parole c'est-à-dire la production des

énoncés par les locuteurs dans la réalité de la communication.

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Selon Kerbrat-Orecchioni (1980), la linguistique énonciative se fonde sur les critiques

suivantes de la linguistique de la langue ou du code :

Premièrement « le code n’a aucune réalité empirique (car il existe des dialectes, des

sociolectes, des idiolectes, etc., en bref une grande variété dans les usages de la langue) et,

d’autre part, il faut bien s’interroger sur la manière dans le code se manifeste en discours,

au moyen d’un modèle de production et d’interprétation » (Paveau, M-A et Sarfati, G-E,

2003 : 166). Deuxièmement, le mécanisme de la production du sens n’a pas pour support

uniquement le signifiant lexical et certaines constructions syntaxiques mais toutes les unités

linguistiques : unités phonétiques, graphiques, rythmiques, textuelles même.

Aux débuts de la linguistique énonciative, l’essentiel du travail du linguiste consistait dans le

repérage et l’analyse des marques de l’énonciation dans la parole. Ces marques sont des outils

de la langue dont la fonction est d’inscrire la subjectivité du locuteur dans l’énoncé.

Alors que les approches structuraliste et générativiste ignorent la question du sujet, le point de

vue énonciatif la met au cœur de la linguistique.

Benveniste en donne la définition suivante, devenue canonique : « L’énonciation est cette

mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation » (1974 :80)

Selon le dictionnaire de linguistique de Dubois et al (2012): 

« L’énonciation est l’acte individuel de production, dans un contexte déterminé, ayant

pour résultat, un énoncé ; les deux termes s’opposent comme la fabrication s’oppose à

l’objet fabriqué. L’énonciation est l’acte individuel d’utilisation de la langue, alors

que l’énoncé est le résultat de cet acte, c’est l’acte de création du sujet parlant devenu

alors ego ou sujet d’énonciation. Il s’agit essentiellement, pour les initiateurs de ce

concept (R. Jakobson, E. Benveniste, J. Austin, J.R. Searle), de dégager les éléments

qui, dans les énoncés peuvent être considérés comme les traces ou les empreintes des

procès d’énonciation qui les ont produits, puis de dégager leur fonctionnement, leur

organisation, leur interaction. »

VII.1 Quelques repères théoriques et historiques20

Bally (1944)

20 Jean-Marc Colletta dans « Le développement de la parole ». http://rinaldo.libralesso.free.fr/DOC/Dossier%20%E0%20recuperer/Master%202/Cours%20FLE%202%E9me%20Simestre/Ling%20textuelle/DevPar1.pdf

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Propose une théorie de la modalité généralisée qui postule que tout énoncé communique une

pensée et comprend deux composantes : - le dictum, qui correspond au contenu de

représentation, à ce qui est dit du monde de référence, - le modus, qui correspond à l'attitude

exprimée par l'auteur de l'énoncé. Dans une lecture pragmatique de cette approche, le dictum

correspond au contenu propositionnel, et le modus à la force illocutoire de l'énoncé.

Jakobson (1963)

Théorise la communication langagière à partir du schéma de la communication proposé en

1949 par Shannon et Weaver, et identifie six fonctions du langage. S’intéresse aux shifters ou

embrayeurs, expressions indexicales dont le sens est à chercher dans le contexte de leur

emploi (pronoms, adverbes tels « ici » et « là », « hier » et « demain », temps verbaux, etc.).

Benveniste (1966, 1974)

Est considéré comme le fondateur de la linguistique de l'énonciation. On lui doit une étude

des marques de la temporalité en français aboutissant à la mise au jour de deux systèmes

énonciatifs de base : l'énonciation historique ou de récit, et l'énonciation de discours ou de

commentaire. On lui doit également l'opposition langue vs discours.

Bakhtine (1978, 1984)

Défend la thèse du dialogisme du texte littéraire et plus généralement de toute production

langagière : toute énonciation est polyphonique.

Kerbrat-Orecchioni (1980)

Présente une étude des marques de la subjectivité en français : expressions déictiques,

substantifs et adjectifs affectifs et évaluatifs, verbes et adverbes modaux…

Ducrot (1980, 1984)

Théorise l'énonciation comme événement et l'énoncé comme description de son énonciation,

et propose une théorie de la polyphonie.

Culioli (1978, 1990)

Propose une théorie linguistique des opérations énonciatives ainsi qu'une typologie des

modalités.

Jeanneret (1999)

Définit la coénonciation comme la production d'une unité discursive par au moins deux

locuteurs, et examine les phénomènes de coénonciation en français.

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VII.2 Les marques linguistiques de l’acte d’énonciation et de l’ancrage

énonciatif Dans les productions verbales, la subjectivité des locuteurs est portée par ce que Benveniste

(1966) appelle « l’appareil formel de l’énonciation ». Il s’agit de marques (indices) de la mise

en fonctionnement de la langue.

a) comment le locuteur surgit dans son énoncé 

b) quelle est son attitude par rapport à son discours 

c) quelle relation il entretient avec son interlocuteur à travers l’énoncé 

VII.2.1 La situation d’énonciation

La situation d’énonciation est constituée par les paramètres suivant : le locuteur,

l’interlocuteur, le lieu et le moment de leur échange. Ces paramètres s’inscrivent à travers la

Deixis21 (Paveau, M-A et Sarfati, G-E, 2003 : 172). Les formes concernées sont appelés les

déictiques qui englobent les indicateurs personnels et spatio-temporels bien que Benveniste

n’emploie le terme que pour les derniers. Jakobson quant à lui utilise le terme embrayeur

traduction de l’anglais shifter emprunté à Jespersen (1922).

- Les déictiques personnels 

La présence du locuteur et de l’interlocuteur dans l’énoncé est signalée par les pronoms

personnels. Le je et le tu désignent les protagonistes de l’énonciation. Alors qu’il est la

personne dont on parle et n’appartient pas à la situation d’énonciation, c’est la « non-

personne » selon Benveniste.

- Les déictiques spatio-temporels 

L’espace et le moment de l’énonciation s’inscrivent dans d’autres formes

linguistiques comme les démonstratifs, adverbes, adjectifs (ceci, ici, maintenant auxquels on

associe cela, hier, l’an dernier, demain etc.) Ces unités linguistiques ne se définissent que par

rapport à l’instance de discours au cours duquel ils ont été émis.

Les déictiques spatiaux peuvent être :

- Des démonstratifs. Exemple : Fermez cette porte

- Des adverbes et locutions adverbiales. Exemple : Il faut tournez à gauche

- Des présentatifs. Exemple : Voici Paul

Les déictiques temporels peuvent être :

21Mot grec qui signifie « ostension, fait de montrer »

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- Des adverbes et locutions adverbiales. Exemple : J’étais en vacances le mois dernier

- Des éléments de démonstratifs. Exemple : ce mois-ci les choses iront mieux

- Les temps verbaux qui s’organisent et s’interprètent en fonction du moment de

l’énonciation.

- Les plans de l’énonciation et ancrage énonciatif

Benveniste (1966) a classé les temps dans une perspective énonciative c'est-à-dire par rapport

à l’investissement du locuteur dans son texte. Il distingue deux plans, celui de l’histoire et

celui du discours se caractérisant chacun par des temps particuliers. Voir tableau suivant

(Paveau, M-A et Sarfati, G-E, 2003 : 174)

Histoire

(le locuteur ne s’investit pas dans son texte)

Discours

(fort investissement du locuteur dans le texte)

Passé simple, imparfait, conditionnel,

plus-que-parfait, présent de vérité générale

- Tous les temps sauf le passé simple

- Principaux : présent, futur, passé composé

Domaine de l’écrit Domaine de l’oral et des productions oralisées

3ème personne Toutes les formes personnelles

Pas de marques déictiques Marques déictiques

Repère : le temps de l’événement énoncé Repère : temps de l’énonciation

Dans la même lignée d’idée, nous présentons un tableau de Jean-Marc Colletta dans lequel il

explique que dans les textes écrits et dans des emplois du langage qui relèvent de

l’énonciation de récit, les marques de l’ancrage énonciatif ne sont pas de nature déictique et

relèvent la plupart du temps d’autres paradigmes.

Enonciation de discours Enonciation de récit

Situation d'emploi conversation quotidienne, tous types de

discours oraux et écrits

Romans, fables, textes historiques

Fonction description, explication, commentaire d'objets

et de faits situés par rapport au moi-ici

maintenant de l'énonciateur

récit d'événements réels ou fictifs

situés entre eux ou par rapport à un

repère temporel non relié à la

situation d'énonciation

Types d’énoncés tous types (assertifs, interrogatifs, injonctifs,

exclamatifs…)

essentiellement des assertifs

Pronoms prégnance de l'emploi des pronoms de 1ère et

de 2ème personne, qui désignent les personnes

de l'interlocution ; emploi de la 3ème personne

prégnance de l'emploi des pronoms

de la 3ème personne à valeur

anaphorique, qui désignent les êtres

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pour désigner un tiers du récit (emploi de la 1ère personne

dans la narration au « je »)

Temps verbaux

tous les temps de l'indicatif à l'exception du

passé simple et du passé antérieur

passé simple, imparfait, temps

composés du passé et futur du passé

(conditionnel) ; emploi possible du

présent aoristique et du passé

composé à valeur temporelle

Localisateurs spatiaux

et temporels

emploi d'expressions à valeur déictique (ici,

là, maintenant, hier, demain…)

emploi d'expressions non déictiques

(à cet endroit là, à ce moment là, la

veille…)

- Exemple :

Énoncé ancré dans la situation : « Demain, nous travaillerons ici pour réviser et nous

réussirons.»

Indices d’énonciation : personne (nous), temps (demain), lieu (ici), …

Énoncé non ancré dans la situation : « Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, les alliés ont débarqué

en Normandie. »

Pas d’indice, d’émetteur ou de récepteur

VII.2.2 Les modalités d’énonciation

Il existe aussi des marques d’énonciation non déictiques : c’est le cas de la modalité, c'est-à-

dire la manière dont le contenu de l’énoncé est envisagé. (Paveau, M-A et Sarfati, G-E, 2003)

D’un point de vue grammatical phrastique, la phrase française a quatre modalités :

- Assertive : Tu restes souvent silencieux

- Interrogative : Restes-tu souvent silencieux

- Exclamative : Tu restes souvent silencieux !

- Jussive : Reste silencieux !

L’énonciation fournit ainsi au locuteur les moyens de se situer par rapport au contenu de son

énoncé : (Fuchs et Goffic, 1996 :134)

- Le degré zéro est celui de la modalité assertive positive ou négative (faire un constat,

présenter une vérité, ex : il pleut /il ne pleut pas).

D’autres variétés de modalités permettent au locuteur de nuancer l’assertion de son

énoncé (il est probable que, peut être que…) ou d’émettre un jugement subjectif à son

propos (je souhaite que…, il est malheureux que…, pourvu que…)

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- Avec l’interrogation, le locuteur ne peut trancher et renvoie le choix assertif à son

interlocuteur (ex : pleut-il ?)

- Se situer par rapport à son interlocuteur (injonction, prière, etc. ex : prends ton

parapluie !)

- Les modalités d’énoncé

Elles expriment l’attitude du locuteur par rapport au contenu de l’énoncé et ne porte

nullement sur la relation locuteur/interlocuteur. Kerbrat-Orecchioni (1980) qui a élargit le

programme esquissé auparavant par Benveniste a montré comment certains noms, adjectifs,

verbes et adverbes pouvaient permettre au locuteur d’exprimer sa subjectivité et son

appréciation à travers ses points de vues, ses jugements, ses préférences et ses rejets. Elle

répertorie et catégorise ainsi les types d'unités linguistiques qui sont impliqués dans

l'expression de la subjectivité langagière (subjectivèmes) comme suit : substantifs affectifs,

évaluatifs et axiologiques, adjectifs affectifs et axiologiques, verbes subjectifs et

modalisateurs, adverbes subjectifs.

VII.3 ExerciceQuels sont les énoncés ancrés dans la situation d'énonciation ? Justifiez votre réponse

- Mon cher ami, vous me manquez chaque jour davantage

- La veille, ils avaient eu une mer si agitée qu'ils craignirent de faire naufrage

- Victor Hugo commença l'écriture des Misérables en 1862

- Est-ce que je vous ai donné la bonne heure de rendez-vous pour demain ?

- Hier, j'ai gagné le match ; dans trois jours, je rentrerai en Espagne

Clés de réponse :

L'énoncé ancré dans la situation d'énonciation contient des repères temporels (déictiques) qui

situent l'énoncé par rapport au moment de l'énonciation : demain, hier…

L'énoncé comporte des indices d'énonciation qui ne se comprennent que si l'on partage la

même situation d'énonciation. Les temps utilisés sont à l'indicatif : le présent d'énonciation,

l'imparfait, le passé composé, le futur.

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Dans un énoncé coupé de la situation d'énonciation, ce ne sont plus des déictiques qui sont

utilisés : les repères temporels (en 1862, la veille, ce jour-là…) désignent toujours le même

moment. L'énoncé ne comporte aucun indice de la situation dans laquelle il a été produit.

Les verbes sont au passé simple (temps de référence), à l'imparfait, au passé antérieur, au

plus-que-parfait, au futur dans le passé (conditionnel présent).

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Blanchet, ph. (1995). La pragmatique, d’Austin à Goffman. Paris : Bertrand-Lacoste

Garric, N et Calas, F. (2007). Introduction à la pragmatique. Paris : Hachette

Kerbrat-Orecchioni, C. (2008). Les actes de langage dans le discours. Paris : Armand Colin

Ludwig, P. (1997). Le langage. Paris : Flammarion

Moeschler,J et Raoul, A. (1998). La Pragmatique aujourd’hui: une nouvelle science de la

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Siouffi, G et Van Raemdonck, D. (1999). 100 fiches pour comprendre la linguistique. Paris :

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