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Histoire et diversité Tout un monde à table N’y a-t-il pas de geste aussi fondamental, universel et prioritaire que celui de se nourrir ? Depuis la nuit des temps, l’être humain a étendu sa niche écologique, adaptant son régime alimentaire aux lieux géographiques et aux contextes sociopolitiques dans lequel il a évolué. De charognard à chasseur- cueilleur, puis d’éleveur à agriculteur, il a cherché, chaque jour que la vie lui a prêté, à assurer sa sécurité alimentaire, partageant ses trouvailles ou empiétant, si besoin était, dans le garde-manger des voisins. Or, la Terre qui fut jadis sacrée pour les ancêtres, puis terre nourricière pour des centaines de générations d’agriculteurs, en est souvent réduite aujourd’hui, principalement dans les pays recourant à une agriculture intensive à grande échelle, à un simple substrat qui doit produire toujours davantage. Cette situation malheureuse prévaut dans les pays en développement ou émergents (Brésil, Chine, Inde entre autres) et aux États-Unis où les grandes entreprises multina- tionales et les véritables mégafermes sont en perpétuelle expan- sion. La terre devient là un « actif » soumis à l’implacable loi du marché. À travers le thème de l’alimentation, c’est l’histoire des relations que l’être humain entretient avec ses semblables et avec son environnement qui se dessine. Bien plus qu’une réponse commune à un besoin physio- logique, l’alimentation témoigne de la diversité des cultures et contribue à modeler l’identité de chaque peuple. À travers son évolution, les êtres humains ont mis en place des structures sociales permettant le partage de la nourriture, ils ont développé leur vision du monde et hérité d’un ensem- ble de traditions lentement construites au fil des siècles. Apprendre comment on se procure la nourriture, ce qui est mangé, qui la prépare et de quelle façon constitue une source d’information extrêmement riche sur le fonctionnement des sociétés. Cependant, alors qu’aujourd’hui environ un milliard de personnes souffrent de la faim dans le monde et qu’ailleurs des millions d’autres meurent de maladies liées à de mauvaises habitudes alimentaires, des questions fondamen- tales se posent. Peut-on nourrir le monde ? Sait-on ce que l’on mange ? Peut-on manger sainement et équitable- ment ? Qu’en est-il ici et ailleurs ? Un petit tour dans l’espace et le temps de la planète alimen- taire ! Une histoire alimentaire Vous est-il déjà arrivé de cueillir des pommes dans un verger ou des champignons après la pluie ? Vous êtes-vous déjà retrouvé à taquiner la truite ou à tendre minutieusement un collet dans l’espoir d’y capturer un lièvre ? Sans le savoir, vous avez répété des gestes aussi vieux que le monde et partagé un peu le quotidien des quelque 300 000 habitants de la planète pour qui cueillir, pêcher et chasser constituent aujourd’hui l’essentiel de leur apport alimentaire. Depuis la quête du feu jusqu’à la mainmise des multina- tionales sur le système agroalimentaire, c’est toute l’histoire de l’humanité qui défile. Une histoire qui débute au cœur de l’Afrique pour se déployer partout sur la planète. 3 BROCHURE 1 Marché guatémaltèque Photo Jean Robitaille Imaginons que toute l’histoire de l’humanité se déroule en une seule année. L’être humain apparaîtrait le 1er janvier, l’agriculture débuterait dans la seconde quinzaine de décembre et l’agro- industrie, le 31 décembre tard dans la soirée.

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Histoire et diversitéTout un monde à table

N’y a-t-il pas de geste aussi fondamental, universel et prioritaireque celui de se nourrir ? Depuis la nuit des temps, l’être humain aétendu sa niche écologique, adaptant son régime alimentaire auxlieux géographiques et aux contextes sociopolitiques dans lequel ila évolué. De charognard à chasseur- cueilleur, puis d’éleveur àagriculteur, il a cherché, chaque jour que la vie lui a prêté, àassurer sa sécurité alimentaire, partageant ses trouvailles ouempiétant, si besoin était, dans le garde-manger des voisins. Or, laTerre qui fut jadis sacrée pour les ancêtres, puis terre nourricièrepour des centaines de générations d’agriculteurs, en est souventréduite aujourd’hui, principalement dans les pays recourant à uneagriculture intensive à grande échelle, à un simple substrat qui doitproduire toujours davantage. Cette situation malheureuse prévautdans les pays en développement ou émergents (Brésil, Chine, Indeentre autres) et aux États-Unis où les grandes entreprises multina-tionales et les véritables mégafermes sont en perpétuelle expan-sion. La terre devient là un « actif » soumis à l’implacable loi dumarché. À travers le thème de l’alimentation, c’est l’histoire desrelations que l’être humain entretient avec ses semblables et avecson environnement qui se dessine.

Bien plus qu’une réponse commune à un besoin physio-logique, l’alimentation témoigne de la diversité des cultures etcontribue à modeler l’identité de chaque peuple. À travers son

évolution, les êtres humains ont mis en placedes structures sociales permettant lepartage de la nourriture, ils ont développéleur vision du monde et hérité d’un ensem-ble de traditions lentement construites aufil des siècles. Apprendre comment on seprocure la nourriture, ce qui est mangé,qui la prépare et de quelle façon constitueune source d’information extrêmement

riche sur le fonctionnement des sociétés.Cependant, alors qu’aujourd’hui environ

un milliard de personnes souffrent de la faimdans le monde et qu’ailleurs des millions

d’autres meurent de maladies liées à de mauvaiseshabitudes alimentaires, des questions fondamen-

tales se posent. Peut-on nourrir le monde ? Sait-on ceque l’on mange ? Peut-on manger sainement et équitable-

ment ? Qu’en est-il ici et ailleurs ?Un petit tour dans l’espace et le temps de la planète alimen-

taire !

Une histoire alimentaireVous est-il déjà arrivé de cueillir des pommes dans un verger

ou des champignons après la pluie ? Vous êtes-vous déjàretrouvé à taquiner la truite ou à tendre minutieusement uncollet dans l’espoir d’y capturer un lièvre ? Sans le savoir, vousavez répété des gestes aussi vieux que le monde et partagé unpeu le quotidien des quelque 300 000 habitants de la planètepour qui cueillir, pêcher et chasser constituent aujourd’huil’essentiel de leur apport alimentaire.

Depuis la quête du feu jusqu’à la mainmise des multina-tionales sur le système agroalimentaire, c’est toute l’histoire del’humanité qui défile. Une histoire qui débute au cœur del’Afrique pour se déployer partout sur la planète.

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Imaginons que toute l’histoire de l’humanité se déroule en uneseule année. L’être humain apparaîtrait le 1er janvier, l’agriculturedébuterait dans la seconde quinzaine de décembre et l’agro-industrie, le 31 décembre tard dans la soirée.

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Du cruau cuit

S’alimenter est un geste fondamental pourtous les êtres vivants. C’est notamment par

son alimentation que le préhumain sedistingue du primate, son cousin fru-givore. Aux fruits et aux feuilles ten-dres, il ajoute d’abord une diversité deracines, de rhizomes et de radiculesqu’il extrait du sol. En lui permettantd’étendre sa niche écologique, cettediversification des ressources alimen-taires lui donne un atout considérable

sur les autres êtres vivants. S’adaptant à desmilieux moins riches en végétaux, il intro-duit dans son ali-mentation les restesd’animaux laissés par

les carnassiers. Parce qu’il en apprécie legoût et sans doute par nécessité, iladopte et développe des techniques quilui permettent d’élargir son spectre ali-mentaire à celui de la viande. C’est cechoix, celui de devenir omnivore, quifonde le genre Homo.

C’est sur le terreau de la chasse queles relations sociales prennent racine.Cette nouvelle activité exige une colla-boration au sein du groupe, une spéciali-sation ainsi qu’un partage des tâches.Les chasseurs, capturant leur gibier dansun rayon de 50 kilomètres, le dépècentsur place avec des outils primitifs et le ramènent au camp debase. Les clans, de 25 à 50 individus, se déplacent au gré dessaisons et des ressources offertes par la nature. Compte tenu desaléas de la chasse, les plantes et les insectes recueillis par lesfemmes autour du camp demeurent, dans bien des cas, l’élémentde base de l’alimentation des premiers humains. Tout celatémoigne des premières stratégies alimentaires de l’être humain.

Puis un jour, sans doute attiré par les effluves de viande rôtied’un animal pris au piège d’un feu de brousse, il y goûte ettrouve cela bon ! Entre les premières preuves de l’utilisation dufeu qui remonte à 1,5 million d’années et le moment où ilapprend à le maîtriser, notre ancêtre commun se gave pendant1 million d’années de poisson et de viande crus ou faisandés.Plus que sa découverte, c’est la domestication du feu qui boule-verse sa vie. Les tâches de préparation et d’entretien du feuimpliquent certes une réorganisation des activités du groupe,mais le feu lui permet surtout de prolonger sa journée au-delà ducoucher du soleil, enfin au chaud dans une grotte éclairée !Pouvant dès lors cuire ses aliments, ce qui en modifie le goût, latexture et la consistance, notre ancêtre allait enfin pouvoirprendre en commun un repas autour du feu puis discuter,échanger, rire et réfléchir. Ce n’est donc pas d’hier que l’onchange le monde autour d’un bon repas.

En plus des innovations techniques qu’il rend possibles, le feupermet d’enrichir de plusieurs recettes l’encyclopédie gas-tronomique universelle. Certains individus, plus curieux qued’autres, tentent des expériences qui, lorsqu’elles sont réussies,sont transmises aux membres du clan et échangées d’un groupeà l’autre. Les Di Stasio, Ricardo et autres chefs populaires per-pétuent une tradition millénaire.

Au fil de ses migrations, l’humain accède à des flores et à desfaunes différentes et apprend à les reconnaître et à les apprêter.D’un lieu à l’autre de la planète, les goûts se spécialisent, sediversifient et finissent par engendrer des pratiques culturelleset culinaires originales et souvent fort différentes. C’est pourcela qu’aujourd’hui on raffole des sauterelles dans certaines

régions d’Afrique, on se délecte de four-mis frites en Thaïlande alors qu’ici, enOccident, on avale l’huître crue ou lesescargots marinés. Êtes-vous prêt àlaisser vos papilles voyager ?

Il y a 40 000 ans, apparaît l’Homosapiens sapiens, l’ancêtre universel del’espèce humaine. Fort doué, il perfectionnerapidement tous les outils lui permettantde se procurer sa nourriture : râteaux pourla collecte des végétaux, javelots, piègeset autres armes rudimentaires pour lachasse, harpons et hameçons pour lapêche. Pour protéger ses aliments desbestioles, il conçoit des récipients à par-tir de calebasses, de carapaces ou decoquilles. Il en fabrique avec des peaux

ou de l’écorce. Il sèche les viandes et les poissons, les fume, lessale1 afin de conserver le fruit de ses cueillettes. Il multiplie lesfaçons d’apprêter ses aliments : d’abord grillés ou rôtis à lachaleur de la flamme sèche, puis sur des pierres échauffées etenfin, étape importante, dans des récipients allant au feu. Avecle pot-au-feu, Sapiens découvre les saveurs et la diversité desmets que permet le mélange d’aliments. Il confectionne aussides meules en pierre qui témoignent de la fabrication de farines.Dans la batterie de cuisine de Sapiens naissent les premiers platspréparés : soupes, bouillies, galettes, céréales grillées assaison-nées à la façon du jour. Avant même qu’il ait réussi à fairepousser le moindre grain, l’être humain crée une véritable révo-lution culinaire.

1 Le sel prend dès cette époque une valeur considérable. Le mot salairetire d’ailleurs son origine du latin sal qui signifie « sel ».

Un mode de vie toujours actuelOn retrouve aujourd’hui des populations de chasseurs-cueilleurs

principalement dans les toundras du Grand Nord, les désertsd’Australie, d’Afrique australe, les forêts pluvieuses du centre del’Afrique ainsi qu’en Amazonie et en Asie du Sud-Est. Plus de300 000 personnes perpétuent toujours ce mode de vie.

Caribous conservés dans l’igloo communautaire.Akulivik, Nunavik

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À la fin de la préhistoire, l’être humainoccupe la plupart des régions du globe.

Jusqu’à cette époque, et comme unvéritable garde-manger, la nature asu combler les besoins alimentairesdes quelque 4 millions d’individushabitant la Terre. Voyant sa popula-tion croître et désirant s’assurer unapprovisionnement plus constant,l’être humain entreprend, entre12 000 et 13 000 ans avant notre ère,

de domestiquer les animaux qui ont prisl’habitude de se nourrir des déchets qu’illaisse sur son passage. Les moutons et leschèvres sont élevés autant pour l’habille-ment que pour la nourriture qu’ils procurent.

Profitant d’un adoucissement du climat il y a environ 10 000 ans,l’être humain apprend enfin à domestiquer les plantes. Décou-verte simultanément dans trois principales régions géogra-phiques du monde, le Proche-Orient, la Chine et l’Amériquecentrale, l’agriculture permet de disposer de quantités accruesde nourriture. La révolution « néolithique » ouvre la voie à lasédentarisation, à la spécialisation du travail et à une aug-mentation considérable de la population mondiale. Dès lors,l’approvisionnement en nourriture dépend de la culture deschamps et de l’élevage d’animaux domestiques.

La production devenant suffisamment constante, les campssaisonniers sont abandonnés, et les premiers villages agricolesapparaissent. L’activité humaine s’organise autour de la viepaysanne. Les huttes, groupées, sont entourées de champs et de

pâtures. Le porc et de petites races bovines s’ajoutent aux ani-maux déjà domestiqués, tandis que poussent blé, millet, seigle,orge et quelques légumes. Pour cuire, conserver et transporterses aliments, l’être humain apprend la cuisson à l’argile etinvente la vaisselle ! Pour protéger ses récoltes, il construit desgreniers.

Tous les travaux de la terre se font de façon manuelle. Lahoue, qui sert à la préparation des sols, ainsi que la faucille,essentielle à la récolte des graminées, demeurent les outils lesplus universellement utilisés. D’autres outils caractéristiques del’agriculture manuelle ont traversé le temps comme le bâton àfouir, toujours utilisé en Afrique et en Asie ainsi que le tribulum,un cadre de bois permettant de séparer le grain de la paille,encore en usage en Afrique du Nord.

Du Proche-Orient, le mode de vie agraire s’étend de l’Asie cen-trale, à la vallée du Nil puis, avec de nombreuses adaptations, ausud de l’Europe. Il gagne la Grèce il y a 7 500 ans. Quelque1 500 ans plus tard, l’agriculture s’étend à toute la Côte méditer-ranéenne ainsi qu’aux bassins des grands fleuves du Sudeuropéen comme le Tibre et le Pô. Pendant ce temps, en Chine,l’agriculture suit une évolution parallèle avec cependant des dif-férences considérables quant aux espèces cultivées ou élevées.

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Chine

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Bien élevé etbien sélectionné

Les produits agricoles que l’on consomme sont également issus des trois régions nommées ci-dessus.

Les trois principaux foyers d’origine de l’agriculture sont :

L’origine géographique de l’agriculture

Grenier au pays Dogon. Mali

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�� Amérique centrale : maïs,haricot, avocat, tomate,vanille, cacao ;

�� Proche-Orient : orge, blé ten-dre, pois, lentille, lin, olivier,vigne, figue, datte ;

�� Chine : millet, soja, thé.

�� Amérique du Sud : arachide,pomme de terre, coton,tomate, ananas, piment,manioc, hévéa, tabac. ;

�� Afrique centrale : mil,sorgho, igname, café,palmier à huile ;

�� Asie du Sud-Est et Océanie :riz, banane, canne à sucre,orange, aubergine, noix decoco, poivre.

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Les premières commu-nautés agricoles s’établis-sent sur les terrasses dufleuve Jaune puis, un mil-lénaire plus tard, dans lavallée du Yang Tsê.

À la même époque, lessols fertiles de l’Amériquecentrale permettent lespremières cultures. Autourde celles-ci se déploierontsuccessivement les empiresaztèques, incas et mayas.

Partout l’émergence del’agriculture entraîne deschangements fondamen-taux. Elle permet la diver-sification du travail, l’émer -gence d’une panoplied’activités bénéfiques pourla communauté et, àterme, l’essor des civilisa-t ions partout sur laplanète. Elle marquecepen dant une rupture desrapports que les individusentretiennent avec la terreet avec leurs semblables.De bien commun, la terre

devient la propriété de ceux qui l’occupent et la possèdent. Lamise en place d’un système de partage des terres devient alorsimpérative.

Celles-ci sont partagées par lignage (au fil des générations)ou par lien clanique. Attribuée par les anciens, la terre devientrapidement un bien qu’il faut protéger de ceux qui la convoitentainsi que des forces surnaturelles. Les fêtes et les cérémonies, demême que les diverses formes de sacrifices, apparaissent commeautant de moyens de s’assurer de bonnes récoltes et d’intercéderauprès des esprits et des divinités qui régissent la nature nourri-cière.

Pour nourrir les populations grandissantes, deux possibilitéss’offrent : établir des alliances entre groupes parentaux, ce quipermet d’étendre son territoire et de bénéficier d’un meilleurpartage des ressources ou conquérir de nouveaux territoires.Cette conquête se fera d’abord aux dépens des sociétés de chas-seurs-cueilleurs qui disparaîtront au même rythme que leurssanctuaires. Elle se fera aussi aux dépens d’autres sociétés agri-coles contre qui on retourne les armes et les outils destinés à lachasse et à la culture.

Bête attelée et pieds dans l’eau

Les premières villes apparaissent il y a près de8 500 ans. Ces villes, dont l’essor dépend de

la productivité des terres qui les nour-rissent, sont composées majoritaire-ment de non-agriculteurs. Il y a envi-ron 6 000 ans, au Proche-Orient et enChine, l’animal vient enfin appuyerl’humain dans le travail de la terre. Laculture attelée permet de multiplierl’étendue des terres cultivées, donc demieux nourrir la population grandis-

sante. Le bœuf devient l’animal à tout faire. Ilpermet, d’une part, de tirer les charrues ainsique les araires, instruments permettant detracer les sillons. D’autre part, il constitue unmoyen d’adaptation aux cycles saisonniers en

offrant de la viande lors des saisons creuses ainsi que du lait. Pourtoutes les sociétés qui l’utilisent, il est signe de richesse. Le motpécuniaire, du latin pecunia, signifie en effet à l’origine « fortunequi résulte du bétail ».

L’animal constitue une monnaie d’échange sûre, notammentlors des mariages au sein des sociétés nomades. En Inde, lavache devient même un animal sacré pour des raisonsreligieuses, mais aussi parce qu’elle produit le bœuf, animalessentiel pour les travaux des champs, pour moudre le grain,pour se déplacer et par la production de fumier qui permet d’en-graisser les sols sans investissement. Perdre une vache signifiesouvent perdre sa terre en Inde.

Dromadaire et âne attelés pour le travail des champs au Maroc

Danseur traditionnel malien

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Parallèlement, une autre innovation majeure vient trans-former le paysage agricole : l’irrigation des terres. En permettantun apport d’eau artificiel sur les terres cultivées ou sur des terresplus arides, elle permet aux plantes de pousser et d’atteindreleur croissance maximale.

Le gain est double : rendements et surfaces sont multipliés.Déjà, 3 000 ans avant notre ère, de grands systèmes d’irrigationpermettent d’utiliser à des fins agricoles les eaux déviées desrivières et des fleuves en Égypte, en Mésopotamie, en Asie cen-trale, en Inde, ainsi qu’en Chine. Au pays du Soleil-Levant, l’irri-gation amène une véritable révolution. Le riz, un alimentd’abord réservé à l’élite du pays, devient accessible à tous grâceà la culture en milieu humide. Ce pays connaît une explosiondémographique qui en fait rapidement le plus peuplé du monde.

Les villes grandissantes profitent fortement des bénéficesqu’entraînent la culture attelée et l’irrigation des sols. Dès troismille ans avant notre ère en Mésopotamie surgissent les pre-mières cités-États qui règnent sur les campagnes avoisinantes.Les jeux de pouvoir font en sorte que s’établit rapidement unehiérarchie dominée par les élites politiques et religieuses. Alorsque le partage de la nourriture assurait aux chasseurs-cueilleursle même régime alimentaire, bien manger devient dans ces cités-États le privilège des classes les plus aisées. Une organisationpolitique complexe permet de concentrer la nourriture en un mêmelieu et de la redistribuer lorsqu’elle vient à manquer. Des fouillesréalisées près des pyramides de Tikal au Guatemala démontrentque ce système était loin d’être équitable : les membres de l’éliteétaient généralement plus grands et en meilleure santé que ceuxdes classes sociales inférieures. Depuis, rares sont les systèmespolitiques ayant pu inverser cette tendance ! Or, l’histoire nousapprend aussi que le partage est ce qui soude les sociétés.

La pérennité de ces grandes villes, foyers économiques, poli-tiques et culturels de l’époque, repose sur l’équilibre qu’ellesétablissent avec leurs campagnes nourricières. En Chine, lemariage est tel que des dynasties plus que centenaires profitentde l’étroite cohésion sociale et économique que forment l’une etl’autre. Cette même harmonie est rompue en Méditerranée dès leIVe siècle av. J.-C. lorsque l’Attique ne suffit plus à nourrir l’appétit grandissant des Athéniens. Ce même phénomène justi-fie l’expansion militaire et économique de Rome. La croissancedu modèle urbain redéfinit les rapports économiques entre laville et la campagne, entraînant cette dernière dans une écono -mie d’échange et, plus tard, dans une économie de marché.Parallèlement, le paysage rural se façonne avec l’introduction duchamp rectangulaire dont la superficie correspond à une journée

de travail. Ce modèle d’organisa-tion du territoire perdurera dansbien des régions du mondejusqu’à l’avènement de la méca -nisation.

Les techniques agricoles et lesmodes de préparation des ali-ments évoluent progressivement.Ainsi, il y a quelque 7 000 ans,les paysans et les agriculteursinnovent en transformant le laiten fromage et en beurre. Parcequ’il faut bien mettre du beurresur son pain, l’être humaindécouvre les subtilités de sa pré-paration en Égypte, il y a environ5 000 ans. Le pain devient rapi-dement un aliment essentiel,voire un aliment mystique. Soninfluence est telle que le motcompagnon, d’origine latine, signifie justement « quelqu’un

avec qui on partage le pain ». Enfin, qui dit pain et fromage, ditaussi vin. Le vin, produit de la fermentation des fruits en alcool,date de l’Antiquité et vient compléter le repas méditerranéen.Chez les Grecs, le moment où après avoir mangé, on buvait duvin, est connu sous le nom de symposium. Cela explique peut-être les propos « éthérés » de quelques spécialistes réunis lorsd’un symposium… Parallèle ment, les goûts se développent etbien manger devient en divers lieux une préoccupation majeure.La Chine est le premier État à y donner une place aussiprépondérante. Ainsi, sur les quelque 4 000 personnes quiassurent le bon fonctionnement du palais impérial sous la dynas-tie Chang (entre 1 700 et 1 027 av. J.-C.), près de 60 % travail-lent à la préparation et au service des repas. Diététistes chargésde concevoir les menus, chefs de cuisine, spécialistes des metsvégétariens, des aliments d’origine animale, des tortues et crus-tacés et des autres aspects du repas s’activent dans cette four-milière à la gloire du palais.

Rizière en Indonésie

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Jusqu’au XIXe siècle, les méthodes culturalesévoluent relativement peu. L’outillagemis au point à l’âge du bronze (vers1 800 av. J.-C.) traverse les siècles.Les forces humaine et animale four-nissent l’énergie nécessaire au travailagricole. Dès le début du 1er millé-naire, tout l’espace méditerranéenprofite du déploiement de l’Empireromain. On assiste à l’éclosion d’unegastronomie de plus en plus diversi-

fiée. Vin, huile d’olive et agrumes parcourentla via romana et s’ajoutent au gibier, pois-son, porc, fèves et escargots grillés qu’onapprête déjà en Gaule. La substitution ducheval au bœuf au Moyen Âge (vers le

XIIe siècle), les améliorations portées à l’attelage des animaux,l’utilisation des déjections animales comme engrais, les tech-niques de rotation des sols ainsi que la sélection d’espèces plusproductives viennent augmenter les superficies et le rendementdes cultures. À la même époque, l’utilisation des moulins à eau età vent permet de transformer beaucoup plus aisément les céréalesen farines. Au cours de cette longue transition qui, à terme, conduira à la mécanisation agricole, le menu quotidien s’enrichitdes espèces animales et végétales issues des contrées lointaines.

Avec les croisades (du XIe au XIIIe siècle), la cuisine prend unnouvel envol. Figues, dattes, prunes de Damas, grenades, riz etsarrasin s’ajoutent au menu. Mais ce sont surtout les épices quirévolutionnent la cuisine. La cannelle, la noix de muscade, legingembre, l’anis, le safran, la cardamome et le poivre devien-nent des compléments indispensables, à la fois comme alimentset comme médicaments. De l’Antiquité à la fin du Moyen Âge, lamédecine et la diététique européenne partagent les aliments enquatre catégories : les aliments chauds, froids, secs et humides.Chaudes et sèches, les épices tempèrent les mets jugés froids ethumides. Les Chinois font de même depuis 2 500 ans en classantles aliments selon leur qualité, Yin ou Yang. Le maintien del’équilibre entre les catégories d’aliments est tributaire d’unebonne santé.

La découverte des Amériques (1492) vient enrichir la cartedes mets disponibles. Les vieux pays européens de l’époquearrivent difficilement à nourrir leur population et les famines sesuccèdent. L’apport de ces nouvelles espèces américaines, prin-cipalement la pomme de terre dans le nord de l’Europe et le maïsau sud, contribue à une augmentation phénoménale de la popu-lation. En Chine, le maïs permet une migration importante de lapopulation vers le centre du pays au climat plus sec. Ces plantesconstituent la base d’une véritable révolution culinaire mon -diale. Peut-on aujourd’hui imaginer une pizza italienne sanstomates, un couscous marocain sans piments, autant de légumesoriginaires d’Amérique ? Tout au long de cette lente progression,la vie campagnarde s’organise autour du village agraire. Il est leberceau d’une vie collective où sont partagées les tâches liées

aux récoltes, à l’irrigation ou au pâturage des bêtes et où lesressources sont mises en commun. Milieu quasi autarcique, lespaysans y produisent leurs propres aliments, outils et vêtements.Relevant d’un bourg, les paysans des villages avoisinants s’y ren-dent périodiquement à l’occasion du marché. Cet espace devientle lieu des solidarités paysannes, l’endroit où s’expriment la cul-ture ainsi que les traditions populaires. Activités villageoises,cérémonies religieuses et fêtes saisonnières viennent ponctuerles activités agricoles.

Cependant, ce n’est pas toujours fête au village. Au MoyenÂge, partout en Europe, la vie des paysans devient tributaired’un régime de type féodal, c’est-à-dire fondé sur la possessiondes terres par les nobles et la servitude des paysans. Une largepartie des récoltes des paysans est destinée aux nobles et auxseigneurs, bien souvent sans égard aux aléas de la nature et auxdisettes et famines que cela entraîne. Or, un peu partout etdepuis longtemps, la colère gronde dans les milieux paysans. AuMoyen Âge, l’écart énorme entre les bien nantis et les pauvres dela campagne conduit aux jacqueries, des soulèvements depaysans français contre les seigneurs en 1358 et, entre 1524 et1526, à la guerre des Paysans, dans le centre et le sud del’Allemagne. La propriété de la terre, enjeu fondamental de tousles paysans du monde, est au cœur même de la Révolutionfrançaise de 1789 qui reconnaît aux paysans la propriété privée.Le mouvement paysan définit les bases de la vie politique moderne,de la démocratie. Le Mouvement des travailleurs ruraux sansterre au Brésil (MST) est un exemple contemporain de ces luttestoujours présentes. L’agriculture paysanne s’adapte à la mécani-sation et perdure jusqu’au début des années 1970, époque oùl’agro-industrie vient changer le paysage agricole (voir le feuil-let Vivre de la terre, ici et ailleurs).

Une agriculture paysanne

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À partir du milieu du XIXe siècle, l’industrial-isation révolutionne les pratiques agricoles

ainsi que les habitudes alimentaires.L’amélioration des conditions de vie –les citoyens ont plus facilement accèsà des aliments – se traduit par uneaugmentation sans précédent de lapopulation. En Amérique du Nord, lacrise économique ainsi que les deuxgrandes guerres mondiales contribuentà l’exode des campagnes. Ceux qui

demeurent au champ doivent produire davan-tage pour répondre à l’appétit croissant desnouveaux urbains, ce que permet notammentla mécanisation. Parallèlement, les percéesde la science et de la technologie, principale-

ment dans les domaines de la biologie, de la chimie et des sciences agronomiques, changent de façon majeure toutes les pra-tiques liées à l’agriculture et à l’industrie de l’alimentation. Lamécanisation de plusieurs opérations qui rend le travail plus facilereprésente certes l’élément le plus visible des changements sur-venus depuis 150 ans. Tracteur, trayeuse, moissonneuse-batteuseet tout l’appareillage des chaînes de production associé à la préparation et à la transformation des denrées contribuent à l’aug-mentation phénoménale de la production alimentaire.

Parallèlement s’opère la révolution des transports. D’abord,par chemin de fer et par bateau, puis par camion et même paravion, les produits alimentaires circulent d’un bout à l’autre dela planète. Pour parer au problème lié à la conservation des ali-ments, se développe l’industrie de la réfrigération qui permet letransport sur de grandes distances des produits périssables. Letransport favorise le commerce sur de grandes distances des sur-plus des pays producteurs vers différentes régions du monde.C’est la raison pour laquelle on mange des oranges en hiver. Lasituation se complique cependant lorsque l’agneau de Nouvelle-Zélande envahit le marché québécois alors que les éleveurs duBas-Saint-Laurent et de Charlevoix en produisent de l’excellent.Cela pose aujourd’hui la question fondamentale de la sou-veraineté alimentaire (voir le feuillet Le défi de nourrir le monde).

Les percées de la biologie et de la chimie amènent à leur tour,principalement depuis le milieu du XXe siècle, des changementstant qualitatifs que quantitatifs. Par les croisements et la sélec-tion, puis par modification génétique, le rendement des espècescultivées et élevées s’améliore considérablement, répondant ainsiau besoin de nourrir davantage de monde. Ces percées scien -

tifiques ont aussi favorisé le perfectionnement de la nutrition desanimaux et des plantes par l’apport d’engrais chimiques, de ferti -li sants et de moulées améliorées. Par contre, pour rentabiliserleurs exploitations à l’heure de la mondialisation des marchés, lesagriculteurs ont dû utiliser des surfaces de plus en plus grandes.Ce type d’agriculture a atteint son paroxysme dans des payscomme les États-Unis, où règnent les mégaentreprises agricoleset, plus récemment, dans des pays émergents comme le Brésil, laChine ou l’Inde. Ces mesures, appliquées à l’époque sans véritableprotection, ont causé des torts importants à l’envi ronnement touten soulevant le doute sur la qualité des aliments produits. Depuisla prise de conscience des problèmes environnementaux du débutdes années 1970 et les problèmes de santé humaine qu’ont mis enévidence les épisodes de la vache folle, de tremblante du mouton,de grippe aviaire et autres épizooties, des efforts très importantsont été consentis pour améliorer le bilan agroenvironnemental etassurer l’innocuité des aliments, notamment au Québec (voir lefeuillet Environnement, alimentation et santé).

L’ampleur des avancées scientifiques et techniques depuis lemilieu du XXe siècle a fait en sorte que les connaissances liées à l’agri culture ne se transmettent plus aussi aisément de génération engénération. Avec l’évolution des connaissances, la gestion d’uneferme est devenue une tâche complexe. La formation agricole debase, offerte dans les écoles d’agriculture, s’est beaucoup développéeet les agriculteurs doivent faire appel, s’ils veulent répondreadéquatement à toutes les exigences d’aujourd’hui, à des spécialistesen techniques agricoles, en biologie, en comptabilité, en agronomie,en environnement, en gestion des troupeaux, etc. D’autre part, lebassin de travail leurs associés à la transformation alimentaire en estvenu à surpasser celui de la production. Les activités traditionnellesde transformation à la ferme, comme la fabrication du beurre parexemple, ont peu à peu été relayées à l’industrie. Celle-ci prend aussiprogressivement en charge les activités domestiques liées à la pré-paration des aliments en offrant aux consommateurs, dont le pouvoird’achat augmente et le temps disponible pour cuisiner diminue, desplats cuisinés, en conserve, déshydratés ou surgelés.

Parallèlement, l’industrie de la restauration et plus récem-ment celle de la restauration rapide se sont adaptées aux besoinsdes consommateurs (manque de temps, femmes au travail, etc.).Enfin, l’agro-industrie génère une nouvelle industrie lucrative :celle de l’équipement des ménages. Les grille-pain, réfrigérateur,cuisinière électrique, robot culinaire, four micro-ondes et autresproduits liés à la consommation de masse envahissent le marchétout en facilitant, il faut bien le dire, la vie des consommateurs.

Si quelques pays ayant une longue tradition agricole comme laSuisse ont réussi, malgré la modernisation et la mécanisation, maisaussi grâce à de très fortes subventions de l’État, à conserver uneagriculture à visage humain, les grands pays industria lisés et de plusen plus de pays émergents ont opté pour une agriculture produc-tiviste à grande échelle. Les pays industrialisés doivent aussi com-poser avec le dépeuplement des campagnes et le manque de main-d’œuvre locale prête à travailler à la ferme. Bien des entreprisesagricoles font alors appel à des travailleurs étrangers pour pourvoir

L’ère agroalimentaire

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Page 8: Histoire et diversitéeav.lacsq.org/Terre/pdf/TVA2010/2010_Terre Ass_Volume 1.pdfpour des centaines de générations d’agriculteurs, en est souvent ... les plantes et les insectes

À l’arrivée de l’industrialisation et de la mécanisation de l’agri culture, les principales caractéristiques des cuisines dumonde sont bien établies. Elles résultent toutes de l’influencecombinée qu’ont exercée l’environnement local, la technologie,la culture ainsi que l’idéologie de chaque peuple. Les ressourcesalimentaires puisées à même l’environnement constituent certesle premier ingrédient de ces gastronomies locales. Les ressourcesénergétiques et les outils créés pour préparer les repas ont à leurtour une influence majeure sur les mets consommés et sur lafaçon dont ils sont apprêtés. Par exemple, la cuisine japonaiseévolue dans un contexte où manquent à la fois les aliments et lebois pour les préparer. Ainsi, le peu de viande ou de poisson queles Japonais peuvent se procurer est découpé en tranches fines,cuites avec la technologie appropriée – le wok qui permet uneutilisation minimale de bois – et servies en petites portionsassaisonnées d’épices diverses qui en modifient le goût. Les platslonguement mijotés ou les rôtis de la cuisine françaisetémoignent, au contraire, de l’abondance de cette ressourceénergétique. La culture de chaque peuple, troisième ingrédient,influe grandement sur ses us et coutumes alimentaires. C’est laculture qui définit le rapport à autrui et aussi à la table. Ainsi,recevoir au restaurant est de mise en Chine alors qu’être reçu à latable de ses hôtes en Occident témoigne de la reconnaissance quinous est portée. Enfin, l’idéologie constitue le quatrième etdernier ingrédient. La façon de voir le monde, les croyances et lareligion déterminent ce que l’on peut manger, comment on doitle faire et avec qui. Par exemple, les musulmans jeûnent pendantle ramadan qui dure tout le neuvième mois du calendrier arabe.Les juifs, pour se conformer aux lois divines, mangent kasher,c’est-à-dire la viande d’un animal dont on a laissé s’écouler com-plètement le sang afin que son esprit regagne la Terre. Ces com-portements sont profondément ancrés dans chaque culture.D’ailleurs, les habitudes alimentaires constituent bien souvent ledernier héritage du pays d’origine des personnes immigrantes.Cette façon de faire s’est transportée jusque dans l’espace où lespremiers astronautes américains sont partis en orbite avec leurbœuf au jus, leur bacon frit, leurs corn-flakes et leur gâteau auxfruits !

Sources bibliographiquesFARB, P. et G. ARMELAGOS (1985). Anthropologie des coutumes ali-

mentaires, Éditions Denoël, Paris.WEBENCYCLO, Alimentation humaine. www.webencyclo.comMUSÉE AGROPOLIS. La fresque historique de l’alimentation et de l’agri -

culture. www.museum.agropolis.fr/pages/expos/fresque/la_fresque.htmLE NOUVEL OBSERVATEUR (1999). L’art du bien-manger, hors-série no 38.

La recette commune des cuisines du monde

Coordination du projet : Jean Robitaille, CSQRecherche et rédaction : Jean Robitaille Assistante à la production : Louisette St-GelaisValidation : Union des producteurs agricoles (UPA)Secrétariat : Suzy BélangerRévision linguistique : Andrée Bérubé, CSQProduction graphique : Graphiscan inc.Illustrations : Christine BabyÉdition : Centrale des syndicats du Québec (CSQ)Financement : Cette seconde édition est rendue possible grâce au programmeL’Initiative Le monde en classe de l’Agence canadienne de développementinternational (ACDI), à l’Union des producteurs agricoles ainsi qu’auProgramme en agroenvironnement de l’UPA financé par le Conseil pour ledéveloppement de l’agriculture du Québec (CDAQ).Partenaires : RECYC-QUÉBEC, Oxfam-Québec et sa division jeunesse le CLUB 2/3, l’Union des producteurs agricoles, L’ŒUVRE LÉGER, la FondationMonique-Fitz-Back pour l’éducation au développement durable et l’Associationprovinciale des enseignantes et enseignants du Québec.© ERE Éducation, 2002, 2010Droits réservés à ERE Éducation avec licence d’utilisation sans restriction à desfins éducatives pour la CSQ.ISBN : 978-2-89061-106-1Mai 2010

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ces postes. Pour répondre aux besoins des consommateurs qui veu-lent toujours payer les aliments le moins cher possible et pours’adapter aux contraintes d’un marché de plus en plus globalisé oùrationalisation et rentabilité font loi, les agriculteurs doiventrechercher le rendement. Au-delà de l’amour du métier, car il enfaut et beaucoup, un agriculteur à plein temps n’a pas d’autre choixque de gérer des actifs, de jongler avec des prêts, de produire et devendre ses produits tout en dégageant un profit raisonnable quipuisse l’inciter à poursuivre ses opérations. Aujourd’hui totalementintégrées à l’économie de marché, les affaires des agriculteurs senégocient bien loin de chez eux, le cours des denrées qu’ils pro-duisent, à la bourse. Leur poids politique et leur importance socialedécroissent au même rythme que l’économie de marché absorbepresque tous les secteurs de la production alimentaire. (voir lefeuillet Vivre de la terre, ici et ailleurs)

Or, notre fermière ou notre fermier n’est peut-être pas si seul.Pas plus que le paysan du Sud contraint d’abandonner ses culturesvivrières au profit de cultures d’exportation destinées aux pays duNord. Ils ont un allié qui bien souvent s’ignore : la consommatriceou le consommateur. Et celui-ci fait aujourd’hui face à un choixcrucial. S’il est bien conscient que l’objectif du secteur agro -alimentaire est de nourrir le monde, il se questionne de plus enplus sur les aliments qu’il consomme, ne sachant plus très bien àqui ses achats profitent, d’où ils viennent, ni dans quelles condi-tions ils ont été produits. Il s’interroge sur les impacts de son ali-mentation sur sa santé et sur celle de son environnement. Mieuxinformé et mieux éduqué, il pourra faire de meilleurs choix tantpour sa santé, le bien-être des agriculteurs des pays d’où sontimportés ses aliments que pour l’environnement. Bien plus qu’unchoix individuel, ce que l’on veut manger devient un choix desociété, voire un geste de solidarité, car, à terme, il en va de lasurvie des plus pauvres, le modèle productiviste ne pouvant queruiner davantage le secteur agroalimentaire du tiers-monde.

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La première édition de la trousse La Terre dans votre assiette a été rendue possible grâce à la participation financière du Fonds d'action québécois pour le développement durable.