Couverture : Les moulins de Montmartre. Dessin de Schmid, vers 1840.

Histoire et dictionnaire des

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A l f r e d F i e r r o

Histoire e t dictionnaire d e s

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Du même auteur, dans la même collection

Dictionnaire du Paris d isparu Sites et monuments

© 1999 Éditions Parigramme / Compagnie parisienne du livre 59, rue Beaubourg 75003 Paris

I N T R O D U C T I O N

C et ouvrage s'inscrit dans un projet de Dictionnaire du Paris disparu dont vient de paraître un premier vo-

lume consacré aux sites et aux monuments. Etablissements industriels primitifs de la capitale, uti-

lisant les énergies hydraulique et éolienne, les moulins don- naient à la Seine et aux abords de la grande ville un aspect caractéristique qui a frappé les visiteurs étrangers, notam- ment Le Tasse qui accompagna en 1571 l'ambassade du car- dinal d'Este.

Les moulins méritent d'être étudiés, car ils furent un élément important du paysage et un aspect vital de l'activité humaine, dans une société où l'alimentation avait pour base le grain moulu en farine et transformé en pain ou en bouillie.

De nombreuses allusions aux moulins ont été faites par les historiens de Paris, mais aucun n'a tenté d'en dres- ser l'inventaire. L'étude d'ensemble la plus détaillée, due à Charles Sellier, date de 1893, ne contient pas la moindre ré- férence bibliographique et privilégie un pittoresque de pa- cotille. André Maillard a entrepris une étude précise mais limitée aux moulins de Montmartre, publiée par sa veuve en 1981.

Depuis une trentaine d'années se manifeste un regain d'intérêt pour les moulins. Une Fédération française des moulins s'est constituée, actuellement domiciliée au 5, rue Villiot (Paris 1 2 De nombreux bulletins locaux ou régio- naux existent, notamment, pour la proche banlieue, La Lettre de notre moulin, sous l'égide de l'Association des amis du moulin de la Tour, à Ivry-sur-Seine.

Un recensement des moulins de France a été entrepris par Robert Philippe dans le cadre de sa thèse monumentale sur les moulins soutenue en 1980 et déposée à la Sorbonne. Enfin Martine Illaire, conservateur en chef aux Archives na- tionales, vient de publier, en avril 1998, Energie et subsis- tances. Enquêtes sur les moulins à blé, an II-1809.

L'Histoire et dictionnaire des 300 moulins de Par i s ne

prétend pas être autre chose qu'une approche préliminaire à une étude savante. Je me suis limité aux sources imprimées et ai renoncé à des dépouillements d'archives qui auraient exigé quatre ou cinq années de labeur supplémentaire.

Ce travail comporte une partie générale abordant l'ori- gine des moulins, leurs différents types et leurs multiples fonctions. Le statut juridique des moulins parisiens, la pro- fession et la position sociale des meuniers ont été également évoqués. La relation entre moulins et guinguettes, confuse et, en général, abusivement étendue, a été précisée.

Deux chapitres sont consacrés aux moulins à eau et à vent de la capitale, à la date de leur apparition, à l'évolution de leur nombre et de leur répartition. Un dictionnaire al- phabétique des moulins occupe la seconde partie de ce livre. Un effort particulier y a été accompli pour débrouiller l 'écheveau compliqué des dénominations. Un même moulin a souvent porté des noms différents selon les époques et les propriétaires. Il est arrivé parfois qu'un moulin, à l'origine dit "Neuf', soit devenu "Vieux" un siècle plus tard. Au total, un peu plus de trois cents moulins, à vent pour les deux tiers, ont été signalés, datés et localisés.

Principaux plans util isés

1550. Truschet et Hoyau 1575. Belleforest

1609. Quesnel 1618. Hohiamis

1631. Merian 1652. Gomboust

1654. Merian 1675. Jouvin de Rochefort

1714. La Caille 1723. Bernard Jaillot

1731. Roussel 1734-1739. Turgot

1763. Deharme 1764-1773. Carte des Chasses

1770-1784. Seigneurie de Vanves 1772-1775. Jaillot 1789. Verniquet

H i s t o i r e d e s m o u l i n s

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L ' O R I G I N E D E S M O U L I N S

Meule néolithique conservée au musée archéologique de Guiry-en-Vexin.

LE MOULIN À BRAS

La mouture des grains, des fruits, des tubercules, des fibres et de multiples autres matières a été très tôt pratiquée, de façon rudimentaire, bien avant l'apparition de l'agriculture, par les peuples de chasseurs faisant aussi la cueillette : sur une pierre plate était répandu le produit à moudre qu'écra- sait une pierre plus petite tenue à deux mains. Par exemple, l'emploi de l'ocre sur les peintures rupestres du Néander- thal suppose des meules ayant servi à broyer la couleur. La culture des céréales, apparue voilà près de dix mille ans au Proche Orient, a entraîné la généralisation des meules et leur perfectionnement. Ainsi, la meule romaine puis gallo- romaine est-elle composée de deux pierres rondes super- posées. La pierre supérieure est percée d'un trou servant d'entonnoir pour le grain. Animée d'un mouvement circu- laire par la molette, elle broie le grain sur la pierre fixe, dite dormante. Utilisant diverses sources d'énergie, le système élémentaire des deux meules de pierre s'est perpétué jus- qu'à nos jours.

Meule gallo-romaine conservée au musée archéologique de Guiry-en-Vexin.

Moulin à bras antique. D'après Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines.

Moulin antique à traction animale. D'après Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines.

L'invention de mouvements mécaniques remonte en

Occident à un peu plus de deux mille ans. En effet, deux siècles avant le début de l'ère chrétienne, Caton l'Ancien

(234-149) mentionne, dans son traité d'agriculture, l'exis- tence de moulins, vraisemblablement mus par la traction humaine ou animale. Suétone (70-128) raconte que l'empe-

reur Caligula, qui régna de 37 à 41, fit réquisitionner tous les chevaux de Rome et que le pain vint à manquer dans la ville, faute de moyens pour moudre le blé en farine. Ces moulins à bras ou actionnés par des chevaux, dont on a trouvé des

exemplaires à Pompéi, ont duré très longtemps.

Moulins à bras d'une boulangerie à Pompéi. D'après le Magasin pittoresque, 1873, p. 305.

Ils constituaient encore l'outillage normal des fermes en France au XII siècle. Marc Bloch a trouvé mention en Normandie, dans un acte de 1207, de meules à bras que des marchands transportaient avec eux. À Orsonville, en Beauce, un terrier de 1 300 mentionne simultanément mou- lin à chevaux et moulin à vent. Au XV siècle, les armées en campagne sont équipées de moulins à bras. En 1741 encore, évoquant les inondations de 1739 et les grandes gelées de 1740 qui ont paralysé les moulins à eau, malgré l'existence de nombreux moulins à vent, le contrôleur général des Fi- nances suggère à la municipalité parisienne de prendre la précaution de se munir de moulins à bras.

Disposant en abondance d'une main d'œuvre servile, le monde antique n'a pas éprouvé le besoin de développer de nouvelles techniques. C'est l'effondrement démographique de l'Empire romain qui a suscité les premières initiatives. Après avoir culminé au début du III siècle autour de qua- rante-six millions d'habitants - dont vingt-huit millions en Europe - sa population a décliné rapidement. La moitié oc- cidentale de l'Empire se décomposa au cours du V siècle et vers 600, lorsque la dépopulation atteignit son maximum, à

la place de vingt-huit millions de sujets de Rome ne vivaient plus que dix-sept millions d'Européens de diverses nationa- lités, une baisse de près de quarante pour cent, qui affecta particulièrement l'Italie dont la population fut réduite de moitié, de sept millions d'âmes à trois millions et demi, le ter- ritoire correspondant à la France actuelle passant de six mil- lions et demi à quatre millions et d e m i Cette pénurie d'hommes transparaît même dans les textes juridiques. Constantin I empereur de 306 à 337, décrète que les condamnés, jusqu'alors affectés aux travaux forcés dans les mines, pourront aussi être employés dans les moulins pu- blics pour y compenser le déficit en esclaves. Le code de Théodose, rédigé en 435-438, incorpore le décret de Constan- t i n Les solutions mécaniques vont aussi se développer. L'utilisation des éléments, eau ou vent, n'était pas inconnue.

MOULINS À EAU

En effet, dix-huit ans avant le début de l'ère chrétienne, le géographe Strabon signale un moulin à eau construit vers 65 dans les dépendances du palais du roi du Pont Euxin, Mi- thridate VI, à Cabira, aujourd'hui Sivas, dans le nord-est de la Turquie actuelle. Strabon note aussi que la roue munie de godets et servant à élever l'eau, inconnue du temps des pha- raons, a été introduite en Égypte par les Romains, ce que confirme un passage assez obscur du De natura rerum de Lucrèce (né en 98, mort en 55 avant l'ère chrétienne).

Le premier moulin à eau est installé en Italie sous le règne de l'empereur Auguste (27 avant J.C.-14 après J.C.). Ingénieur militaire et architecte contemporain de Jules Cé- sar, auteur d'un célèbre traité d'architecture, Vitruve a étu- dié ce type de moulin, qu'il classe parmi les machines à pui- ser l'eau. Il évoque d'abord la roue à godets actionnée par le pied de l'homme, puis la même roue équipée d'aubes et mue par le courant de la rivière, enfin la roue de moulin. Mais les régions méditerranéennes, dépourvues de cours d'eau importants et permanents, n'étaient pas propices à l'essor des moulins à eau. Les moulins qui y ont été construits semblent avoir été principalement situés dans les zones urbaines et destinés à la mouture des grains pour les citadins. C'est le cas, au IV siècle, à Rome ainsi qu'à Arles où le moulin de Barbegal possédait douze roues, au VI siècle pour les moulins de Dijon et de Genève.

C'est donc en Europe de l'Ouest et du Nord, au climat plus humide, aux cours d'eau abondants et permanents, que les moulins à eau ont vocation à se multiplier. Le poète gallo-romain Ausone (vers 310-vers 385) mentionne des moulins sur la Moselle. Marc Bloch observe que c'est dans la Germanie du Sud, faiblement peuplée, soumise à

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