Histoire des systèmes phonique et graphique du...

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Yves Charles Morin Histoire des systèmes phonique et graphique du français 1 Introduction Ce chapitre examine l’évolution du système vocalique (limité aux voyelles toniques) et du système consonantique de la variété standard du français ainsi que la tradition orthographique qui s’est mise en place dans les textes qui nous sont parvenus. Cinq étapes ont été retenues pour illustrer la dynamique du changement: la période pré- littéraire (proto-français) et la fin des XI e , XIII e , XVI e et XIX e siècles. Les trois premières périodes correspondent à des états de langue fortement reconstruits; ce n’est qu’à partir du XVI e siècle qu’apparaissent des descriptions plus ou moins fiables sur la qualité des sons de la langue qui permettent d’associer un contenu phonétique aux régularités graphiques et aux usages poétiques (assonances, rimes, mètres) observables dans les écrits des siècles antérieurs. 1.1 Les normes du français Il fait peu de doute qu’à partir du XII e siècle, le «françois» de la cour des rois de France était la référence prestigieuse du «bon» langage, géographiquement associé, dans les témoignages qui ont survécu, à Paris, la capitale du royaume. Il est difficile, cependant, d’établir quelles étaient les relations entre la langue des grands du royaume, celle des paysans de l’arrière-pays ou encore celle des divers corps sociaux vivant à Paris, dont une grande partie était issue de l’immigration d’autres régions du royaume et même de l’extérieur (cf. Lodge 2004). Les descriptions phonologiques ou morphologiques de l’ancien français examinent normalement un état de langue reconstruit, qu’elles appellent «Old French» (Klausenburger 1970), «francien des XII e et XIII e siècles» (Herslund 1976:5), «francien de la fin du XI e siècle» (Walker 1981:6), «l’ancien français dit classique, des XII e et XIII e siècles» (Andrieux et Baumgartner, 1983:7), ou encore «l’ancien français […] langue autonome [avec] des variations géographiques [à ne] pas négliger» (Skårup 1994:5). La possibilité de reconstruire le «francien», terme créé récemment pour désigner le dialecte roman qui s’était développé dans l’Île-de-France et qui serait à la base de la langue standard, et sa pertinence pour l’histoire de cette langue ont été fortement remis en question récemment, peut-être pas toujours pour les bonnes raisons (cf. Lodge 2004:55–57). Même s’il existe des preuves d’une intense activité littéraire gallo-romane à partir de la seconde moitié du XI e siècle, aucun des textes qui nous sont parvenus ne peut être associé avec certitude à la langue parlée dans l’Île-de-France avant le XIII e siècle (Zumthor 1973: §§ 247, 464), et même dans ce cas, ils ne survivent que dans des manuscrits plus récents plus ou moins remaniés. Pfister (1973:225–232), de même que Woledge et Short (1981) ne relèvent qu’une poignée de manuscrits connus antérieurs au XIII e siècle pour l’ensemble de la production littéraire et légale du nord de la France, probablement tous rédigés dans des régions éloignées de Paris. En 1236, les manuscrits parisiens manquent toujours (Pfister 1993:19–23). La première charte parisienne écrite en français du corpus de Dees (1980) est datée de 1259, deux ou trois générations après l’implantation stable du vernaculaire dans les actes juridiques de Picardie et de Lorraine (Lusignan 2004:47–52) et de La Rochelle (Merisalo 1988:17). L’analyse présentée ici est non seulement succincte, mais ne peut être qu’une idéalisation qui, compte tenu des données lacunaires disponibles, doit se comprendre comme un schéma d’hypothèses qui devront être validées par l’examen plus précis de données déjà recueillies et, le cas échéant, de données nouvelles.

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  • Yves Charles Morin

    Histoire des systmes phonique et graphique du franais

    1 Introduction

    Ce chapitre examine lvolution du systme vocalique (limit aux voyelles toniques) et du systme consonantique de la varit standard du franais ainsi que la tradition orthographique qui sest mise en place dans les textes qui nous sont parvenus. Cinq tapes ont t retenues pour illustrer la dynamique du changement: la priode pr-littraire (proto-franais) et la fin des XIe, XIIIe, XVIe et XIXe sicles. Les trois premires priodes correspondent des tats de langue fortement reconstruits; ce nest qu partir du XVI

    e sicle quapparaissent des descriptions plus ou moins fiables sur la qualit des sons de la langue qui permettent dassocier un contenu phontique aux rgularits graphiques et aux usages potiques (assonances, rimes, mtres) observables dans les crits des sicles antrieurs.

    1.1 Les normes du franais

    Il fait peu de doute qu partir du XIIe sicle, le franois de la cour des rois de France tait la rfrence prestigieuse du bon langage, gographiquement associ, dans les tmoignages qui ont survcu, Paris, la capitale du royaume. Il est difficile, cependant, dtablir quelles taient les relations entre la langue des grands du royaume, celle des paysans de larrire-pays ou encore celle des divers corps sociaux vivant Paris, dont une grande partie tait issue de limmigration dautres rgions du royaume et mme de lextrieur (cf. Lodge 2004). Les descriptions phonologiques ou morphologiques de lancien franais examinent normalement un tat de langue reconstruit, quelles appellent Old French (Klausenburger 1970), francien des XIIe et XIIIe sicles (Herslund 1976:5), francien de la fin du XIe sicle (Walker 1981:6), lancien franais dit classique, des XIIe et XIIIe sicles (Andrieux et Baumgartner, 1983:7), ou encore lancien franais [] langue autonome [avec] des variations gographiques [ ne] pas ngliger (Skrup 1994:5). La possibilit de reconstruire le francien, terme cr rcemment pour dsigner le dialecte roman qui stait dvelopp dans lle-de-France et qui serait la base de la langue standard, et sa pertinence pour lhistoire de cette langue ont t fortement remis en question rcemment, peut-tre pas toujours pour les bonnes raisons (cf. Lodge 2004:5557). Mme sil existe des preuves dune intense activit littraire gallo-romane partir de la seconde moiti du XIe sicle, aucun des textes qui nous sont parvenus ne peut tre associ avec certitude la langue parle dans lle-de-France avant le XIIIe sicle (Zumthor 1973: 247, 464), et mme dans ce cas, ils ne survivent que dans des manuscrits plus rcents plus ou moins remanis. Pfister (1973:225232), de mme que Woledge et Short (1981) ne relvent quune poigne de manuscrits connus antrieurs au XIIIe sicle pour lensemble de la production littraire et lgale du nord de la France, probablement tous rdigs dans des rgions loignes de Paris. En 1236, les manuscrits parisiens manquent toujours (Pfister 1993:1923). La premire charte parisienne crite en franais du corpus de Dees (1980) est date de 1259, deux ou trois gnrations aprs limplantation stable du vernaculaire dans les actes juridiques de Picardie et de Lorraine (Lusignan 2004:4752) et de La Rochelle (Merisalo 1988:17). Lanalyse prsente ici est non seulement succincte, mais ne peut tre quune idalisation qui, compte tenu des donnes lacunaires disponibles, doit se comprendre comme un schma dhypothses qui devront tre valides par lexamen plus prcis de donnes dj recueillies et, le cas chant, de donnes nouvelles.

  • 2 Yves Charles Morin 1.2 Les modles phonologiques

    Typiquement une description phonologique comprend (1) un inventaire structur et relativement abstrait dunits phoniques, souvent appeles phonmes (reprsentes entre barres inclines), (2) des correspondances entre les units abstraites et les sons, ou phones, qui correspondent ces dernires dans la chane parle (reprsents entre crochets) et (3) les distributions des phonmes dans le mot et dans la chane parle. Si la distinction entre les deux niveaux de reprsentation est conceptuellement simple concevoir, elle est parfois difficile rendre, en particulier pour les descriptions historiques o les units phontiques reconstruites correspondent souvent des familles de sons relativement approximatifs. Inversement, un certain nombre danalyses phontiques de lancien franais, crites avant la thorisation sur les niveaux de reprsentation phonologique, par ex. celle de Suchier (1893 [1906]), sont souvent quasi-phonologiques et isolent des units phoniques relativement abstraites, essentiellement dfinies par leur pouvoir distinctif la rime. Mme si la plupart des modles phonologiques partagent plus ou moins le schma prcdent, qui inclut deux niveaux de reprsentation et des correspondances entre ces niveaux, les analyses peuvent tre radicalement diffrentes selon les divers principes de classement adopts. Une diphtongue ou une voyelle nasale peuvent ainsi recevoir une interprtation monophonmique ou au contraire biphonmique, selon les critres distributionnels adopts. On considre ainsi gnralement que la diphtongue [i ] du mot anglais fate est la manifestation dun phonme unique crit /e/ ou /e / (cf. Gimson 2001:9899, 130) et, au contraire, que la voyelle nasale [] de cant [kt] dans certaines varits de langlais comme une suite des deux phonmes /n/. Inversement, la diphtongue [i ] de lancien franais primitif dans le mot fait est biphonmatique dans lanalyse de Suchier (1893 [1906]) et la voyelle nasale [] du mot quinte [kt] en franais moderne peut tre, selon les choix danalyse, //, //, /n/ ou /in/. Les choix adopts dans un certain nombre danalyses phonologiques gnratives conduisent des reprsentations phonologiques du franais moderne parfois trs proches de celle du proto-franais. Ainsi, lanalyse de Schane (1968) attribuerait aux formes quinte et soir du franais moderne des reprsentations phonologiques voisines, sinon identiques, celles que ce mot aurait eu en proto-franais: /kint/ et /ser/; dans un tel cadre thorique, les changements phonologiques entre le proto-franais et le franais moderne affecteraient probablement plus les correspondances entre les deux niveaux de reprsentation, que linventaire structur des phonmes de la langue. Un grand nombre danalyses adoptent aussi des stratgies de type morphophonologiques justifiant des reprsentations phonologiques relativement loignes des reprsentations phontiques pour rendre compte dalternances non automatiques. Par exemple, Walker (1981:3435) sappuie sur les alternances du type voidons ~ vuident du verbe VUIDER, pour postuler une reprsentation phonologique /vjd-/ du radical de ce verbe, laquelle correspondront vraisemblablement les allomorphes [vui -] et [vyi -], dans les formes flchies [vui ns] nous vidons et [vyi nt] ils vident (cf. aussi Klausenburger 1970, 1974, Herslund 1976, Walker 1981, Andrieux et Baumgartner 1983, Skrup 1994). Nous adopterons ici une analyse phonologique relativement concrte, qui ne se fonde pas sur les alternances. Elle est rsolument interprtative, cest--dire que nous prsenterons les donnes sous leur forme phontique reconstitue sans les dtails allophoniques prvisibles ou, le plus souvent, inconnus pour ces poques recules. Les valeurs distinctives et corrlatives des segments inventoris apparatront en partie dans les tableaux et plus explicitement dans les discussions. Le lecteur ne devra pas soffusquer des solutions pragmatiques adoptes lorsque les choix savrent difficiles justifier.

    2 Le proto-franais

    Il est pratique de postuler un tat ancien, plus ou moins fictif, quon appelle proto-franais partir duquel on peut faire provenir lensemble des parlers romans dol. Cet tat de langue, sil a jamais exist, se situerait pendant la priode pr-littraire et permet surtout de mettre

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 3 en vidence la parent entre les divers parlers franais et les grandes lignes des divergences de leurs volutions.

    2.1 Systme vocalique

    2.1.1 Voyelles non composes

    i i u u

    e e o o

    i u

    a a Le systme des toniques non composes (ou monophonmiques) du proto-franais rsulte de la bipartition des sept voyelles simples [i, e, , a, o, , u] du roman commun en deux sries respectivement brves dans les anciennes syllabes fermes et longues dans les anciennes syllabes ouvertes, p. ex.: pr.-fr. [ila], afr. (i)celle < CCLLM, et pr.-fr. [tela], afr. teile, toile < TLM, et de la division des voyelles mi-ouvertes [, ] du roman commun en deux sries: [, ] et [i, u ]. On note le maintien de larticulation postrieure du [u] roman, comme on la reconstruit au moins pour lancien wallon ligeois (Remacle 1948:6467). Ladoption des diphtongues [i, u ] dans ce systme, par contre, prsuppose leur rgression ultrieure dans plusieurs rgions dol (en particulier certaines rgions du Poitou, du Bourbonnais ou de la Franche-Comt). Les diphtongues [i, u ] se sont probablement dveloppes avant la bipartition des autres voyelles (ce dont il nest pas tenu compte dans les tudes fonctionnelles sur lvolution phonologique du franais, cf. Morin 2003: 135136). On peut les trouver dans des contextes o les autres voyelles ne se sont pas allonges, cf. [i] dans pr.-fr. [via], afr. vieille < VTLM, correspondant au [ ] bref de pr.-fr. [sa], afr. seille seau < STLM, et [u ] dans pr.-fr. [mu ta], afr. muete ()meute < MVTM, correspondant au [ ] bref de pr.-fr. [dta], afr. dote doute< DBTM. Il est fort probable que toutes les diphtongues [i] et [u ] du protofranais, quelles que soient leurs sources historiques, avaient acquis le mme statut prosodique que les autres voyelles longues. On peut donc interprter [i] et [u ] comme les mises en son de phonmes // et //, permettant ainsi de gnraliser le systme dopposition de dures lensemble des sept voyelles du systme vocalique /i, e, , a, , o, u/. Dautre part, les voyelles longues connaissaient probablement des variantes plus ou moins diphtongues du type [ei ] pour /e/ ou [ou ] pour /o/, la diphtongaison tant une modalit phontique frquente de la dure.

    2.1.2 Diphtongues et triphtongues toniques

    ii (?) ui iu * i, i u, u

    ei oi eu (?) ou e, e o. o ii u i iu u u , i , u

    ai au a, a Il existe deux, peut-tre trois, sries de diphtongues ou triphtongues dcroissantes en [i ], [u ] et [] analysables comme des suites bi-phonmatiques V+i , V+u et V+. Les diphtongues des deux premires sries sont principalement issues de la coalescence de voyelles contigus, p. ex. [kui ], afr. cui qui (datif) < C, [lii ], awal. lei, afr. li < LL, [mai s], afr. mais < M(G)S, [piu ], afr. piu pieux < PM, [iu ], afr. (ouest) ieu je < (G). La diphtongue [au ] est la seule dont certains des exempla proviennent directement de diphtongues latines, p. ex. [klau s], afr. clos < CLAUSM. Un grand nombre de diphtongues se terminant par [i ] vont aussi se dvelopper au contact dune consonne palatalise, p. ex. [lat] ~ [lai t], afr. lait < LACTM; la glissante finale de ces diphtongues nest lorigine

  • 4 Yves Charles Morin quune simple transition allophonique apparaissant entre une voyelle et la consonne palatale suivante. Ces diphtongues acquirent automatiquement un statut phonmique aprs la dpalatalisation de la consonne suivante (cf. 4.3), mais pourraient avoir acquis ce statut plus tt sur le modle des diphtongues phonologiques. Les diphtongues V+ sont issues de la combinaison dune voyelle avec [], comme dans [tapa], afr. talpe, taupe < TALPM (une volution qui aurait t complte au VIIe sicle selon Straka 1980: 300n5). La glissante [] (comme la note De la Chausse 1989: 7.3.3) est le rsultat phontique attendu de la vocalisation de [l] devant consonne (cf. Ohala 1995:89) et ne diffre de la labio-vlaire [u ] correspondante que par labsence darticulation labiale. Cette diffrence ntait probablement pas suffisante pour assurer une distinction stable entre les deux glissantes dont les articulations ont d se confondre assez tt. Les diphtongues V+u et V+, ont cependant eu des volutions prosodiques radicalement diffrentes, ce quon peut illustrer par lexemple suivant: SAGMM > [sau m] > somme (dans bte de somme) [sm] mais lat. eccl. PSALMM > [sam] > psaume [sm] (maintenant [psom]). Compte tenu de leur volution ultrieure (cf. 5.1.1), on dira que les diphtongues du type V+ sont lourdes et les autres lgres. Nous conserverons le symbole [] pour noter les diphtongues lourdes, mme aprs que [] se soit confondu avec [u ]. Il faut bien comprendre, cependant, que ce ne sera alors quune convention dcriture, permettant de noter les distinctions de poids prosodiques.

    2.2 Systme consonantique

    p t t k k occlusives sourdes

    b d d occlusives sonores

    f s () s h fricatives sourdes

    v z z fricatives sonores ~ affriques sourdes

    affriques sonores

    m n () nasales

    l, () r r liquides

    i u glissante (dipht.)

    labi

    ales

    dent

    ales

    pala

    talis

    es

    pala

    tale

    s

    vla

    ires

    labi

    o-v

    lair

    es

    lary

    ngal

    es

    Les consonnes entre parenthses sont des variantes allophoniques secondaires: [] est une variante en fin de mot de [], [] une variante devant occlusive vlaire de [n] et [m]. Les consonnes palatalises sont issues des diverses combinaisons romanes [k/g]+Consonne et Consonne+yod (Hall 1976:197); par exemple [kt] > [xt] > [tt] > [t], comme dans LACTM > [lat] ~ [lai t], afr. lait. Les continuateurs de T+yod (CANTNM, it. canzone, fr. chanon) dune part et de C+yod (ARCNM, it. arcione, fr. aron) et de C /(E, I) dautre part se sont confondus dans les parlers dol anciens, soit sous la forme [] (normano-picard), soit sous la forme []. On reconstruit normalement une forme proto-franaise unique [] > [] ou [], sans pouvoir totalement exclure une variation initiale entre [] et []. Laffrique palatalise pr.-fr. [] soppose pr.-fr. [] en finale de mot: [bra], afr. braz, apic. brac(h) < BRACCHM [ka], afr. chaz (pl. de chat), apic. cas < CATTS. Les oppositions de sonorit des obstruantes sont neutralises dans diffrents contextes; en particulier leur dvoisement est gnral en fin de mot la pause, comme dans [rant], afr. grant < GRANDM. La distinction entre les [-rr-] gmins et les [-r-] simples du roman lintervocalique sest transmue en une opposition darticulation du type [r] vibr et [] battu, [r] vibr stant probablement conserv dans les autres positions (cf. Haudricourt et Juilland 1949

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 5 [1970:6668]). Ce changement qui participe la tendance gnrale la simplification des gmines romanes pourrait tre trs ancien, mais rien ne permet de le faire remonter au proto-franais (cf. Pensado 1993, sur lvolution particulire des liquides et des nasales gmines en espagnol). Ajouter discussion sur les yods (payer, bayer, paie, deiien/doyen, boeau/boyau)

    3 Le franais central la fin du XIe sicle

    Le systme exemplaire retenu pour cette tape de la reconstruction du franais de lle-de-France suppose un dveloppement initial en partie semblable celui de lOuest du domaine dol (Suchier 1883 [1906], West 1979:306307).

    3.1 Systme vocalique

    3.1.1 Monophtongues toniques

    i y

    e e

    a Le systme vocalique des voyelles accentues se met en place aprs quatre changements importants (pas ncessairement dans cet ordre): (1) phonologisation de la diphtongaison allophonique des voyelles mi-fermes: [e] > [ei ] et [o] > [ou ], accompagne de celle de [a] > [ai ] devant consonne nasale et de la fermeture de [a] > [e] dans les autres contextes (pour laquelle on postule souvent une tape intermdiaire de diphtongaison, mais cf. Avalle 1966, [2002:307]), (2) monophtongaison de la diphtongue [au ], comme dans CAUSM > chose, (3) perte des oppositions de dure des voyelles hautes [i, i] et [u, u], et (4) antriorisation de [u] > [y] et fermeture de [o] > [] (voyelle dont les ralisations phontiques sont largement disperses dans lespace vocalique autour dune position moyenne intermdiaire entre [o] et [u], cf. Suchier 1893 [1906:28], probablement comme dans certains parlers occitans modernes, cf. Rousselot 1892:98 on la dcrit le plus souvent comme la voyelle ferme [u] quelle finira par devenir). Il est encore plus difficile de dterminer la nature de la voyelle issue du [a] long proto-franais. Celle-ci est normalement note e dans la graphie des premiers textes, mais distincte des deux voyelles e qui continuent les [e] et [] brefs du proto-franais, avec lesquelles la rime et lassonance ne sont pas permises. Elle deviendra le plus souvent [e] dans la langue moderne. Les solutions proposes se divisent en deux grandes classes: (1) voyelle ayant conserv la dure proto-franaise, le plus souvent [e], mais aussi [] (Nyrop 1914: 171) ou [] (Haudricourt et Juilland 1970:57) et (2) voyelle brve [] de timbre intermdiaire entre [e] et [] (Herslund 1976: 810, Walker 1981:910). La deuxime solution, cependant, permet difficilement dexpliquer comment [] a pu devenir [e] sans passer par une tape [] intermdiaire, comme dans NSM > [ns] > [ns] > [ne(s)] nez, sans que lvolution ultrieure du [] < [] nentrane celui du [] proto-franais, comme dans PRSSM > [prs] > *[pre(s)] prs. Devant consonne nasale, on admet que les voyelles taient allophoniquement nasalises, au moins pour certaines dentre elles. Les continuateurs de [o], [o], [au ], [] et dune partie des [u ] du proto-franais se sont confondus devant nasale, probablement pour donner la voyelle [] ou [], p. ex. (la) tonne, (il) donne, somme, homme, (il) tonne < TNNM (celt.), DNT, SAGMM, HMNM, TNT. Lancien franais, cependant, connatra une opposition entre [] et [] devant nasale, la faveur demprunts savants qui ont rtabli [] dans ce contexte, p. ex. throne < lat. sav. THRNM (Suchier 1893 [1906:121124]).

  • 6 Yves Charles Morin Une convergence semblable affecte les continuateurs de [e] et [] brefs, qui assonent entre eux devant nasale dans les premiers textes de lancien franais, p. ex. fend < FNDT et vent < VNTM. Leur timbre commun est probablement voisin de celui du rsultat de [a] dans le mme contexte, avec lequel ils vont se confondre.

    3.1.2 Diphtongues et triphtongues toniques

    Linventaire des triphtongues du proto-franais sest rduit [i eu ] / [i e] la suite des changements suivants: [ii] > [i], [u i ] > [yi ], [u u ] > [i eu ] ~ [eu], [u ] > [i e] ~ [e], p. ex. lieu [li eu ] ~ leu [leu ] < LCM, vieut [vi et] ~ veut [vet] (il) veut < VLT. Pour les diphtongues, Suchier (1893 [1906]) retient lanalyse suivante:

    yi iu i y

    i eu

    ou e, e

    o i e

    u

    ei

    i u ai a

    Les diphtongues [i e], [u ] et [ei ] dans les cases grises sont monophonmatiques et nassonent quavec elles-mmes. (Suchier sappuie sur leur volution ultrieure pour tablir les timbres des noyaux vocaliques de [i e] et [u ].) Les autres diphtongues sont interprtes comme des suites Voyelle+Glissante, qui assonent avec les monophtongues et les diphtongues ayant le mme noyau. Les diphtongues [i e] et [u ] sont les continuateurs directs de [i] et [u ] protofranais, comme dans pie pied < PDM ou muete ()meute < MVTM. La diphtongue [ei ] est le rsultat de la convergence de trois diphtongues du mme type, qui avaient cependant des statuts phonologiques trs diffrents en proto-franais: ralisations diphtongues de /e/ long, comme dans seit quil soit < ST, mei moi < M, diphtongues de coalescence, comme dans rei roi < RGM, ou encore diphtongues par anticipation devant consonne palatalise, comme dans dreit droit < DRCTM. La diphtongue [eu ] ne sobserve que dans quelques mots connotation religieuse, comme deu < DM. La diphtongue proto-franaise [au ], lorsquelle nest pas devenue [i ] devant consonne palatalise, comme dans noise < NAUSM, ou [] devant une autre consonne comme dans clos < CLAUSM, devient [u ], comme dans clou < CLAVM.

    3.2 Systme consonantique

    Le systme consonantique est essentiellement le mme que celui de la priode prcdente, moins les fricatives [, ] qui ont pu disparatre relativement tt dans les parlers du Centre. La nasale palatale [] tait probablement devenue une dentale palatalise [n] en fin de mot, dont elle nest quune variante allophonique, ce qui provoquera lapparition dune glissante de transition (cf. 2.1.2): [bz] > besoin [bzi n], mais besogne [bz]. La palatalisation mdivale de [k] devant les voyelles antrieures cependant conduit une distinction phonologique entre [] et []: afr. chat [at] < CATTM afr. [a] < ECC HC sauf pour le normano-picard, qui conserve [k] dans ce contexte et adopte [] comme ralisation stable de la consonne [] (dont [] pouvait tre une variante). On trouvera dans Haudricourt et Juilland (1949 [1970:106107]), Martinet (1973), West (1979:215227) et Monjour (1989:221227), les nombreux problmes que pose linterprtation phonologique de ces changements.

    3.3 Les sources du systme graphique du franais

    Les systmes graphiques sont des construits sociaux rsultant dun enseignement explicite. Celui du franais na longtemps eu aucune existence autonome vis--vis du latin. Les valeurs phontiques des lettres simples, cest--dire celles qui ne font pas partie de di- et trigraphes spcifiques, sont essentiellement les mmes pour le latin parl dans une rgion dtermine et le roman qui sy est dvelopp. Le tableau ci-dessous donne les grandes

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 7 lignes probables de ce systme pour les rgions de langue dol pendant la priode du Xe au XVI

    e sicle. val. base val. secondaire val. context. contexte val. base a [a] > [] /n,m b [b] y [i] > [] /n,m f [f] e []/[e] [e]/[] > [] /n,m k [k] o [] [o] > [] > [] /n,m n [n] i [i] [] > [] > [] /n,m p [p] u [u] > [y] [v] (//[w]) > [] /n,m q [k] v. base val. context. contexte val. base val. context. contexte d [d] ([] Xe-XIe) /VV m [m] [n] /# r [r] [] /VV z [] > [z] s [s] [z] /VV [] > [s] [k] */e, i, y l [l] [] /C

    c (//[]>[]) [k] */e, i, y

    [, ] > [s] /iV g [] > [] [] */e, i, y t [t]

    ([] Xe-XIe) /V# x [s] > [s] (//[])

    Valeur des lettres pour la lecture du latin (Xe au XVIe sicle) V = lettre dont la valeur est une voyelle > volution des valeurs due des changements C = lettre dont la valeur est une consonne phontiques rguliers /XY = prcd de X et suivi de Y // valeurs spcifiques certaines rgions */ = sauf dans le contexte . (principalement Nord et Est du domaine) Ce tableau enregistre la valeur de base de chaque lettre suivie le cas chant des valeurs secondaires et contextuelles et, pour ces dernires, le contexte pertinent (cette prsentation est fortement simplifie pour les voyelles nasalises). La lettre h est comprise comme une aspiration: elle est en gnral muette, mais a certainement aussi la valeur secondaire [h] dans les emprunts du latin au germanique, comme halla, hansa, ou helmus. La valeur de base est celle qui est apprise avec le nom de la lettre. Lapprenti lecteur lit les mots isols en pelant le nom de chacune de ses lettres, et apprend y substituer, le cas chant, les valeurs secondaires ou contextuelles. Cest ainsi que pour les lettrs de cette poque la valeur de base de g est [], et que la prononciation [] qui sobserve dans le plus grand nombre de contextes est nanmoins conue comme une valeur contextuelle (cf. Beaulieux 1927:2326). La valeur de base de e est passe de [] [e] au cours de cette priode (et corrlativement sa valeur secondaire de [e] []). Les suites de deux lettres-consonnes identiques, ex. pp, tt, ont en gnral la mme valeur que la simple correspondante, lexception de ss qui note partout le son [s]. Le digraphe ph a la valeur [f] et ch la valeur [k]. Le digraphe th semble avoir eu diverses valeurs; il a pu noter [] ou [] au Xe sicle dans certaines rgions. Le systme orthographique du latin de cette poque identifiait aussi une position spcifique dans la syllabe graphique o certaines lettres taient muettes, cest--dire purement ornementales. lorigine, la classe des lettres dlbiles, cest--dire qui peuvent tre muettes se limitait aux mut de la grammaire classique: b, c, d, g, p, t. Les lettres dlbiles sont muettes en coda lorsquelles sont la finale dune syllabe graphique interne de mot, comme le c de actio ou de sanctus, ou suivies dune lettre-consonne en finale de mot, comme le b de urbs. Cette provision naura cependant que peu deffet dans les premiers essais dadaptation du systme graphique latin au roman. En effet, si lon suit Wright (1982: 123ss), les premires graphies notant le vernaculaire gallo-roman sont des transcriptions semi-phontiques lintention de germanophones qui veulent se faire entendre de populations romanes, mais qui sont incapables de lire le latin la romane et font peu de place aux lettres muettes qui ne contribuent pas la prononciation. Les graphies sont ainsi conues quen leur appliquant les rgles normales de lecture du latin, il en rsulte une lecture relativement comprhensible aux locuteurs romans. Cette dmarche se gnralisera lorsque lenseignement issu de la rforme carolingienne du latin aura effac chez les lettrs romans la tradition de lecture du latin la romane.

  • 8 Yves Charles Morin La transposition initiale du systme graphique latin au roman na entran lorigine que relativement peu de changements. La valeur [] (ou rgionalement []) de c et la valeur [] de g ont t gnralises de nouveaux contextes, comme dans cavate savate, garcon garon, mangast il manget. Tandis que ds le Xe sicle, on observe les valeurs contextuelles [] et [] (plus tard [s]) de z en fin de mot que le latin ne connaissait pas. Les suites de lettres-voyelles pour reprsenter les diphtongues romanes ie, uo, ei, ai, etc. ( 2.1.2, 3.1.2) sont construites sur le modle des diphtongues latines au et ui (lenseignement assimilait probablement des diphtongues les suites ui, ue, ua de qui, que, qua, gui, gue, gua dans le latin du Xe et XIe sicles). En labsence de tradition tablie pour linterprtation de ces digraphes, il est permis de croire que les lettres qui les composent sont utilises avec leur valeur de base, et que ie et ei, par exemple, notent bien des diphtongues du type [e] et [e ], hypothse sur laquelle repose lanalyse des diphtongues primitives du franais. Le passage ultrieur de ei oi, comme dans mei > moi, reflte aussi certainement un changement phontique dans les rgions o lon a commenc utiliser oi. Par la suite, cependant, les digraphes ue, au, eu, ou, ai, ei, oi se fixent dans la graphie, sans que les lettres qui les composent naient de rapport direct avec leur valeur phontique. La graphie des consonnes palatales [], et [] et, dans les rgions qui la connaissent, du [] issu de la palatalisation mdivale de [k], a cependant constitu un vritable dfi. Le plus souvent, on a utilis les lettres h, g, i en leur attribuant une valeur auxiliaire de palatalisation: ch, lh, nh, lg, ng/gl, gn, in, il/ni, li, ou encore la gmine ll pour [] (et peut-tre aussi nn pour []), ainsi que de nombreuses combinaisons de ces trois moyens, p. ex., ilh, ilg, igl, lgl, ill et inh, ing, ign, ngn, inn (cf. Dees 1980 : 335). Trs vite, certaines combinaisons se sont dmarques dans certaines rgions ou dans certains scriptoriums. Les documents que nous possdons ne permettent cependant pas de dire que ch notait [] ds les premires tapes de lancien franais (malgr Meisenberg 1996:70).

    4 Le franais central la fin du XIIIe sicle

    Pour cette tape de la reconstruction du franais central, on dispose dun certain nombre duvres littraires crites aux XIIe et XIIIe sicles dont les auteurs sont probablement originaires de lle-de-France, mais dont lidentification est malaise (et ne pas confondre avec la localisation des copistes sur des bases graphiques, comme dans Dees 1987). Seules les caractristiques mtriques et les rimes ou assonances, dans la mesure o elles nont pas t trop remanies dans les copies qui survivent, permettent daccder la prononciation choisie par lauteur dans le cadre de conventions potiques spcifiques (cf. Morin 2006). Cest aussi la premire tape de lvolution examine ici pour laquelle lon dispose de documents crits. Leur orthographe cependant ne permet pas de reconstruire facilement la prononciation. On devra donc sappuyer sur les donnes ultrieures, et en particulier pour les valeurs phontiques des voyelles, sur le tmoignage des grammairiens du XVIe sicle. Ceci nest pas sans risque et a pu faire anticiper la date de certains changements phontiques et, surtout, de minimiser la variation, en privilgiant parmi les prononciations en comptition celles qui ont survcu dans la norme dcrite par ces grammairiens.

    4.1 Problmes de graphie

    Nous illustrerons ici, laide de lexemple particulier de la fluctuation entre les trigraphes iau et eau, comment la tradition orthographique semble stre forme dans la pratique de la clricature parisienne au XIIIe sicle. Selon Robson (1952:viii, 3, 5961), la langue de la Cour sous Philippe Auguste aurait t une forme de koin intgrant des traits des parlers des nombreux familiers de diverses rgions au service des Captiens, laquelle il donne le nom de picard-francien parce quelle incorpore certains traits picards. Gossen (1967:113, 1968:10) voit dans cette koin le reflet des usages des rgions de lle-de-France et du sud du domaine linguistique picard o se concentraient les rsidences entre lesquelles se dplaaient les rois de France jusqu

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 9 Philippe Auguste. Cest partir de cette koin que se serait dveloppe lorthographe des clercs proches des grands du royaume, puis de certains serviteurs du roi. Quelle que soit ltendue de linfluence picarde dans la tradition scripturaire des milieux proches du pouvoir, il fait peu de doute qu partir du milieu du XIIIe sicle, celle-ci sest aussi fait sentir directement dans la pratique des clercs uvrant Paris. En effet, pendant trs longtemps, la clricature Paris semble avoir tir gloire de sa solide formation en latin et avoir t plus rticente quailleurs lusage du franais dans les documents crits. Cest relativement tard quelle sest rsolue lutiliser dans les actes lgaux. Elle ne pouvait alors pas ne pas tre influence par les modles de transcription du vernaculaire quoffraient les nombreux actes lgaux rdigs dans les provinces voisines. Dans ces conditions, on ne peut exclure quun certain nombre dlments graphiques naient t emprunts la tradition picarde sans gard aux sons quils y reprsentaient. Cest probablement le cas du trigraphe iau et, dans une certaine mesure, du digraphe oi. Les deux trigraphes iau et eau, qui sont utiliss pour transcrire le rsultat de lvolution phontique de la diphtongue [] du proto-franais, notaient probablement [i a] pour le premier et [e a] (ou [ a]) pour le second dans le parler rgional des premiers clercs les utiliser. Dans les premiers textes lgaux de la rgion parisienne, on nutilisera pratiquement que la variante iau, et ce pendant prs dun sicle (Lodge 2004:9293). La graphie eau sobserve sporadiquement partir de 1310 et de plus en plus frquemment partir de 1350 (graphie exclusive ou dominante denviron 80% des chartes de labbaye de Saint-Magloire entre 1350 et 1400), et presque systmatiquement (avec 97% de graphies eau) dans le Registre criminel du Chtelet de Paris de 13891392. Si le changement phontique [e a] > [i a] est naturel, lvolution phontique inverse nest pas plausible. Partant de lhypothse que le remplacement de la graphie iau par eau correspond un changement de prononciation [i a] > [e a], Lodge na dautre choix que dy voir, dans la thse quil dfend, linfluence dimmigrants lorrains ou franc-comtois qui auraient fini par imposer la prononciation de leur province dorigine la koin parisienne. (Cest en effet dans ces provinces que se trouverait [the] eastern origin de la nouvelle prononciation, selon sa lecture personnelle des cartes 129, 156 et 160 de Dees 1987). Cette analyse na cependant aucune plausibilit. Il faut donc trs certainement retenir la thse traditionnelle voulant que la prononciation [e a], qui finira par prvaloir dans la norme, a toujours exist Paris. La triphtongue [e a] aura eu tendance devenir [i a] Paris, comme cela sest produit ailleurs, entranant au moment o le changement se produit une fluctuation [e a] ~ [i a] dans les usages. Il nest pas impossible que lexistence dune variante [i a] ait facilit ladoption de la graphie picarde iau pour noter les deux usages, sans que ceci ne soit absolument ncessaire. Quoi quil en soit, lusage systmatique de iau dans les documents parisiens du XIIIe sicle et du dbut du XIVe sexplique difficilement si lon ny reconnat pas linfluence dune tradition orthographique extrieure. Lvolution ultrieure en faveur de la graphie eau peut avoir deux causes: lautonomie grandissante des usages graphiques dans les textes lgaux Paris favorisant une reprsentation graphique plus directe de la triphtongue [e a], et surtout lapparition dune diffrentiation sociale entre les deux variantes [i a] et [e a] ou leurs continuateurs, bien documente pour le XVIe sicle, mais certainement beaucoup plus ancienne. Ce serait pour mieux marquer leur appartenance de classe, que les clercs auraient abandonn iau en faveur dun eau plus reprsentatif de leur norme de prononciation. Les mmes observations valent pour oi dont lusage dans les textes parisiens a certainement t influenc par la tradition picarde. Dans ce cas aussi, le digraphe oi, qui en picard notait rgulirement [u ] < [oi ] < XIe s. [ei ] (sauf devant une nasale), a t adopt dans lorthographe parisienne pour y rendre non seulement [u ], mais aussi les autres reflets [i ] ou [] de la diphtongue [ei ] du XIe sicle qui leur avait donn naissance : on crivait (il) disoit mais on prononait [dizt] (cf. Suchier 1893 [1906:9697]). la diffrence de iau, cependant, le digraphe oi sest longtemps maintenu dans la graphie, o il a favoris la prononciation [u ] dans les classes dominantes, do il sest impos aux autres couches de la socit, sauf dans des formes trs frquentes, comme les dsinences de limparfait, dont la graphie sest ajuste au cours du XVIIIe sicle (et encore plus tard dans le dictionnaire de lAcadmie Franaise) (il) disoit > (il) disait.

  • 10 Yves Charles Morin 4.2 Systme des voyelles toniques

    Le systme phonologique reconstruit ici est essentiellement celui que formalise West (1979: 307, 328). On admettra aussi que la nasalisation des voyelles devant consonne nasale tait encore allophonique (mais cf. Morin 1994).

    i i y y

    e e

    a a

    i i ai

    i e i e i i

    i i

    u u

    ei i

    e a ~ a ~ i a e a ~ a ~ i a

    ~ u a (?) a a Les changements ayant affect le systme vocalique depuis la dernire priode examine sont considrables: (1) dveloppement dune opposition de dure vocalique pour pratiquement toutes les voyelles, (2) monophtongaison dun grand nombre des diphtongues [i] < [i], [y] < [y], [] < [o, ], comme dans filz [fis] < FLS, puce [pys ] < PLC(M) + -M, pouce [ps ] < PLLCM, avec cration, en contrepartie, dune voyelle antrieure arrondie moyenne [, ] < [u , eu , eu , e] (o [eu ] est une forme intermdiaire venant de XIe s. [ou ]), comme dans puet [pt] (il) peut < PTT, veu [v] vu < VTM, lieu [li ] < LCM, veut [vt] (il) veut < VLT, (3) diphtongaison et monophtongaison de [e] > [i e] > [i ], comme dans pieus [pi s] pieu (pl.) < PLS, (4) apparition dune nouvelle triphtongue de valeur relativement variable [a] ~ [e a] ~ [i a] < [], (5) bascule de la plupart des diphtongues dcroissantes qui navaient pas t monophtongues: [i] < [yi ], comme dans fruit < FRCTM, [u ] ( ~ ? [u a]) < [ei , oi , i ], comme dans moi < M, noiz noix < NCM, joie < GAUD, (6) mtathse [i] < [iu ], comme dans rui ru, ruisseau < [riu ] < RVM. Lessentiel des mcanismes responsables de la nouvelle bipartition des voyelles en deux sries sopposant par la dure ont t mis en vidence par Diez (1836:495ss [1873:458ss]). On en connat au moins six:

    1. perte des [s] et [z] prconsonantiques: goste [t] (il) gote < GSTT, mais gote [t] goutte < GTTM, 2. coalescence des voyelles toniques et prtoniques en hiatus: vele [vl] < [vl] (elle) vle, veau [ve a] < veau [ve a] bele [bl] belle, beau [be a]. 3. monophtongaison des diphtongues V: (il) croule [krl] < [krl] bole boule [bl] (cf. Morin 1995), 4. allongement allophonique devant [r] parrin [parin] parent [paent] (qui deviendra distinctif lorsque [] > [r], cf. infra 6.2), 5. allongement des voyelles toniques devant [s] en finale de mot et devant [s] et [z], lorsque ces fricatives ne remontent pas des affriques: fosse [fs] < FSSM, nes [nes] nez < NSM noces [nss ] < [ns ] < NPTS, nez [nes] n (pl.) < pr.-fr. [ne] < NTS. Cet allongement na cependant pas affect les reflets du [e] bref proto-franais dans les parlers du Centre: cesse [ss] (il) cesse < CSST messe [ms] < pr.-fr. [mes] < MSSM avec un [] bref comme dans trece tresse [trs] < pr.-fr. [tre] < TRCHM, 6. monophtongaison de [ai , oi ] devant [z]: plaisir [plzi] < [plai zi] desir [dzi].

    Une autre source probable de lallongement des voyelles est la rduction des sonantes gmines dans les mots savants: Anne [an] < ANNA, signe [si] < [si] < SGNM, palle [pal] ple < PALLDM (cf. Morin 1994:6465), qui est peut-tre aussi implique dans lallongement devant les suites [sl], si celles-ci sont dabord devenues des gmines [ll], comme dans isle [il] le < [ill] < [il] < [isl]).

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 11 Il est parfois propos que les distinctions de dure des voyelles non hautes aient t accompagnes ds leur origine dune diffrence de timbre. En particulier, [a] bref antrieur se serait oppos [] long postrieur, et [] bref ouvert [o] long ferm comme on les observe encore en franais moderne en syllabe ferme (Joos 1952, Martinet 1955:24546, Straka 1964:62628 [1979:46264], 1981: 208n227, 209n233, 214n254), sans quil ny ait daccord, cependant, sur la nature des changements responsables de cette corrlation. Les deux voyelles brves de lancien franais primitif [e]: [] ainsi que la diphtongue [ai ] suivie de consonne ont converg en franais central pour ce qui est du timbre (cf. Van den Bussche 1984), en se divisant toutefois pour la dure selon les rgles dcrites ci-dessus. Elles ont toutes maintenant le timbre [] ouvert; certains grammairiens du XVIe sicle, cependant, notent encore un [e] ferm devant les anciennes affriques [, , ] et devant [] palatal, comme dans sche, neige, treize, soleil, et treille. La voyelle issue de [e] (< pr.-fr. [a]), comme dans aile [el] < LM, conserve son timbre ferm; elle est gnralement brve, sauf lorsquelle tait dans les contextes responsables des allongements, qui sont cependant peu frquents pour cette voyelle: nes nez, res ras, mest et mestrent (formes du pass simple de MANOIR), mes et mese (part. pass de MANOIR). Ces formes avec [e] long, nes nez except, sont dj archaques au XVI

    e sicle. La diphtongue [ou ] de ltat synchronique prcdent est dabord devenue [eu ] crit eu; ce changement cependant pourrait ne pas tre rgulier en le-de-France o elle connat aussi les rsultats [, ]: p. ex. lou ~ leu loup ou seignor ~ seigneur, qui disparatront presque toutes de la norme, mais qui ont pu survivre jusquau XXe sicle dans les rgions rurales (cf. Aurembou 1973:392393). La monophtongaison des diphtongues [u , eu , eu , e] produit des voyelles antrieures arrondies que lon dcrit gnralement comme fermes: [, ], quelle que soit leur dure (p. ex. Pope 1934 [1942: 541, 551]; Fouch 1969: 252253, 303, 305306). Suchier (1906: 81), au contraire, conjecture que le reflet de [u ] avait initialement d tre [] ouvert. Wartburg (1971: 124), puis De la Chausse (1989: 9.1.1, 9.2.3.3.4, 17.2.4.1, 17.3.3.3.1) distinguent les timbres [] < [u ] et [] < [eu , e], sans discussion. La diphtongue [u ] connat aussi une volution populaire vers [], comme dans veille [v] pour veuille entrine par la norme moderne dans avec et bienveillant. Lvolution de la diphtongue du XIe s. [ei ] est aussi marque par la variabilit, avec les rsultats [] (mais [i ] devant voyelle atone et [ei ] devant nasale) ou [u ] (peut-tre aussi [u i ] devant voyelle atone et [u e] devant nasale, valeurs non prcises dans le tableau ci-dessus) qui peuvent apparatre dans les mmes contextes: raide [rd] < RGDM froide [fru d] < FRGDM , dais [ds] < DSCM trois [tru s] < TRS, craie [kri ] < CRTM proie [pru ] ou [pru i ] < PRDM, veine [vi n] < VNM avoine [avu n] < AVNM, sein [si n] < SNM moins [mu ns] < MNS. Les analyses saccordent pour dire que le rsultat [i ] devant consonne nasale est le continuateur direct de la diphtongue [ei ] du XIe sicle. Par contre, deux volutions distinctes ont t proposes pour le rsultat [], soit perte de la glissante finale aprs louverture du noyau syllabique, ainsi: XIe s. [ei ] > [i ] > [], soit volution ultrieure partir du rsultat [u ] par perte de la glissante initiale, ainsi: XIe s. [ei ] >> [u ] > []. Suchier (1893 [1906: 9697]) et Schogt (1960) dfendent la premire solution. Selon le premier auteur, la distribution mdivale dans la langue populaire tait toute fin pratique dj celle de la langue moderne, alors que la langue littraire favorisait presque partout le rsultat [u ]. Pope (1952: 522) et Fouch (1958 [1969:270281]), suivis en cela par les manuels modernes, adoptent lautre solution. Selon ce dernier, la rduction [u ] > [] est un changement spcifique de la langue populaire dont les effets se font progressivement sentir du XIIIe au XVIe sicle. Selon Fouch (1969:272), la prononciation [u a] de oi, comme dans la langue moderne, aurait commenc se dvelopper avant la fin du XIIIe sicle; les graphies oa des rares exemples invoqus pour cette date sont cependant difficiles interprter et pourraient dans certains cas noter des suites de deux voyelles [ua]. Les dernires triphtongues [i eu ]/[i e] du proto-franais stre maintenues la fin du XI

    e sicle se simplifient en mme temps que [eu ]/[e] > [ ], alors que simultanment, le systme vocalique senrichit dune nouvelle triphtongue [e a], comme dans beau. Les diphtongues dcroissantes se sont soit monophtongues, soit transformes en diphtongues

  • 12 Yves Charles Morin croissantes. Une diphtongue croissante sest aussi dveloppe par analogie dans les dsinences -ions [-i ns] du subjonctif, puis de limparfait et du conditionnel. Ne demeurent comme diphtongues dcroissantes que la diphtongue lourde [a] (chaud) et, dans des contextes relativement limits, les diphtongues [ei ] ~ [i ] (peine, main, vrai) et [i ] ~ [ai ] (vraie, monnaie), dont les volutions prcises sont mal connues. Il ne reste pratiquement plus aucune trace la fin du XIIIe sicle du systme dopposition de dure du proto-franais hrite de la bipartition des voyelles toniques romanes selon quelles taient en syllabe ouverte ou ferme. En effet, les voyelles longues la fin du XIIIe sicle proviennent en gnral des diphtongues et triphtongues lourdes du proto-franais, comme dans (il) veut, meule (de foin), vote, soit de changements phontiques ultrieurs, comme dans creux, bent, patre. La seule relique probable est la longueur systmatique des voyelles devant [-ze] primitif, comme dans espouse [epz] < SP(N)SM, par opposition la brvit des voyelles devant [-de], comme dans douze [dz] < [dode] < DDCM (cf. Morin 2003:120135).

    4.3 Systme consonantique

    p t k occlusives sourdes

    b d occlusives sonores

    f s (t) h fricatives sourdes

    v z (d) fricatives sonores

    m n () nasales

    l, , r liquides

    i u glissantes (dipht.)

    labi

    ales

    dent

    ales

    pala

    tale

    s

    labi

    o-pa

    lata

    les

    vla

    ires

    lary

    ngal

    es

    Il est vraisemblable que les articulations complexes des dentales palatalises, des affriques et des labio-vlaires staient simplifies cette poque, p. ex. [t] > [t], [] > [s], [k] > [k], sans quon puisse tre absolument sr du moment o ceci sest produit. La labio-vlaire [k] (ou la suite [kw]) sest en partie conserve en wallon et en lorrain et a encore t releve en Champagne (dans la Marne) au dbut du XXe sicle. Certaines des occlusives palatalises mdivales taient aussi observables cette poque dans certains parlers champenois et bourguignons, ce que ni les graphies, ni les tmoignages des grammairiens ne permettaient de dcouvrir. De la mme manire, si la simplification des affriques [] et [] pendant la priode de lancien franais fait peu de doute, il est plus difficile dtablir quel moment elle sest produite pour [] et []. On ne peut en tout cas pas sappuyer sur la simplification de [] et [] pour gnraliser aux palatales [] et []; il ny a aucune raison de lier les deux puisque le wallon connat la premire et non la seconde. De plus laffrique sonore [] se maintient plus frquemment que la sourde correspondante. La simplification [] > [] Jersey (le anglo-normande), par exemple, na pas pu se produire avant le XVIIe sicle, date laquelle se sont tablis lle de Serq les premiers colons jersiais dont les descendants ont conserv laffrique mdivale [] bien que [] y soit devenu []. Les glissantes apparaissent normalement comme lments de diphtongues (par convention, [] est utilis pour [u ] pour noter une syllabe lourde).

    4.4 Systme graphique

    la fin du XIIIe sicle, le systme graphique du franais crit dans la rgion parisienne est toujours sous la dpendance troite de celui du latin. Les changements de valeurs de lettres

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 13 refltent en gnral lvolution phontique commune du franais et de la prononciation parisienne du latin, p. ex. la valeur de base de c passant de [] [s]. La classe des lettres dlbiles dans la prononciation du latin senrichit ainsi de s la suite de lamussement du [s] prconsonantique et de u dans les suites qu et gu qui notaient [k] et [] aprs la simplification de [k] et []. Le s obit aux rgles de lecture qui rgissaient dj les lettres dlbiles du XIe sicle. Le u par contre est muet en attaque de syllabe graphique et sa lecture exige un nouvel enseignement faisant intervenir des rgles en partie spcifiques au franais, avec un u qui peut aussi tre muet dans des mots comme fueille feuille, vuide vide, la suite de lvolution phontique variable de [u ] > [] et [i] > [i]. Il est probable que l tait aussi muet dans la prononciation de mots latins tels que multum ou molta droit banal de moulin et quil a ainsi pu tre compris comme une lettre dlbile en coda, ce qui expliquerait lapparition de graphies du type crueuls cruel (c.s.) (Ste-Catherine dAlexandrie), avec ajout dun l muet aprs les digraphes au, eu, ou, dont le u reprsentait lorigine la glissante [] < [l] prconsonantique. Les nombreux digraphes qui notaient les diphtongues de lancien franais primitif relvent dun sous-systme indpendant du latin et vont pouvoir se fixer dans la graphie spcifique des mots, sans gard aux valeurs de base des lettres qui les composent. Ceci simposait pour la reprsentation de la nouvelle voyelle [] rendue par ue et, surtout, par eu. Le digraphe ou qui avait pris la valeur [()] < [ou , u , ou , u ] a tendance remplacer o pour cet usage et renforcer la valeur de base [] de la lettre o. La stabilit lexicale des digraphes ai, ei, oi, ue, eu, certainement hrits de la tradition picarde ( 4.1), permettait daccommoder la variation phontique qui devait tre importante dans la capitale en donnant aux mots une forme relativement stable. Cette normalisation graphique ne saccompagnait cependant pas ncessairement dune normalisation phontique, comme cela se produira au XVIe sicle et aprs. Ainsi, les copistes parisiens (cf. Dees 1987:527) crivent oi, ai et ue quils lisaient certainement [] ou [i ] dans les rimes suivantes : voire verit : afaire (Rom. Thbes, ms BnF fr. 784), tricherresse tricheuse : duchoisse duchesse, dueil je souffre : voil je veux (Chastelaine de Vergi, ms. L), essaient : soient, poine : regne, aies : soloies, feite : destroite, deull : vuoill [aussi crit voill ailleurs] (Ste-Catherine dAlexandrie). Enfin, pour ce qui concerne les consonnes, cest cette poque que d commence acqurir la valeur de position [t] en finale de mot, comme dans second ou Renaud. Cet usage est encore marginal et ne reflte pas ce moment une tendance quelconque organiser le systme orthographique sur une base morphophonologique (cf. Van Hoecke 19791980).

    5 Les normes du franais la fin du XVIe sicle

    5.1 Systme vocalique

    Le systme vocalique la fin du XVIe sicle est trs voisin de celui qui a t propos pour la fin du XIIIe sicle (ce qui pourrait simplement reflter les mthodes de reconstruction qui sappuient beaucoup sur les prcisions phontiques des descriptions des grammairiens partir du XVIe sicle). Le trait le plus novateur est la prsence de vritables voyelles nasales. Mme si la documentation est plus riche, il est toujours difficile davoir des tmoignages fiables des usages norms pour cette priode, sans parler de lindigence des documents qui permettraient de retrouver les usages populaires stigmatiss (cf. Lodge 2004). La plupart des grammairiens ayant laiss un tmoignage suffisamment riche sont ns en dehors de Paris et, bien quils sen dfendent, ont des traits de prononciation du franais de leur rgion dorigine (hrits ou non du substrat dialectal). Meigret a ainsi des traits du franais rgional de Lyon (cf. Shipman 1953), p. ex., une voyelle posttonique [e] la place de la voyelle centrale []. Il est vraisemblable que le [] long < [e] proto-franais devant [-s], comme dans princesse chez Peletier et Lanoue, reflte lusage des franais et des substrats dialectaux de lOuest (cf. ci-dessus 4.2, et Morin et Ouellet 19911992). Une prsentation phonologique prcise devrait donc faire apparatre les diffrents systmes quon peut reconstruire et identifier, le cas chant, les traits rgionaux des

  • 14 Yves Charles Morin tmoins. Nous nous limiterons une analyse succincte du systme des voyelles toniques de Lanoue (pour celui de Jean-Antoine de Baf, cf. Morin 2000a).

    5.1.1 Voyelles toniques orales

    Le systme des monophtongues toniques orales de Lanoue est le mme que celui de la priode prcdente, avec cependant des distributions parfois diffrentes, rsultat de changements phontiques ou analogiques, dont certains sont toujours en cours, comme louverture de [e] > [] (aussi dans [i e] > [i ]) devant consonne qui a dj affect tel, aile, soleil, bouteille, miel, chienne, mais pas encore ciel ou vieille par exemple. Les diphtongues prsentent quelques dveloppements mineurs.

    i i

    ei ei

    i e i e i i

    e u e u u u

    i u u

    La nouvelle diphtongue [ei ] rsulte de la contraction des anciennes suites vocaliques [ai] et [ei], p. ex. aide [aid] > [ei d], reine [rein] > [ri n], trane [train] > [tri n]. La diphtongue [i ] ne sobserve plus quen finale de mot dans les terminaisons verbales de la 1sg (jai, je sai, je chantai, je chanterai) et dans une petite srie de mots: bai, essai, gai, geai, lai, mai, quai et alterne librement avec [e] ferm. Les distributions des dures des diphtongues [u ] et [u] et des triphtongues [e u ] et [e u ] sont complmentaires: [(e)u ] en finale absolue et [(e)u] ailleurs, p. ex. vau [vu ], noyau [ni u ], beau [be u ] faus faux [fu s], beaus [be u s]. Ces dures sont indpendantes de celles des diphtongues [a] et [a] et des triphtongues [e a] et [e a] qui leur ont donn naissance. La brvit est en partie analogique (cf. Morin et Desaulniers 1991 et, pour une autre analyse, Dagenais 1988) et en partie le rsultat de labrgement oxytonique (voir infra 5.1.3). Leur glissante finale [u ] est sur le point de disparatre et nest pas toujours articule, de telle sorte que [u ] et [u ] peuvent librement se confondre avec les voyelles [] ou [] quon trouve dans echo [ek] et dos [ds].

    5.1.2 Le systme des voyelles nasales

    Les voyelles nasales du franais moderne sont issues dune nasalisation, lorigine allophonique, devant consonne nasale en coda syllabique aprs la rduction puis la perte de cette coda, selon le schma thorique: bon [bn] > [bn] > [b] > [b] ou [b]. Devant une nasale non rduite, on observe deux normes au XVIe sicle, soit la norme nasale avec rtention devant [n] articul dune nasalisation galement allophonique lorigine, comme dans bonne [bn()] ou [bn()], soit la norme orale sans trace de nasalisation allophonique, bonne se prononant alors [bn()]. On notera que la nasale [] dans grammaire [rm()], souvent mal analyse, nest pas issue dune nasalisation allophonique (cf. Morin 2002: 9899). La langue de Lanoue est reprsentative de la norme nasale et comprend linventaire suivant des voyelles nasales:

    i i

    i i

    u u

    i i

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 15 Les timbres (approximatifs) indiqus dans le tableau sobservent dans les formes suivantes: []: voisin, [i ]: bien, moyen, [i ]: daim, plein, []: juin, [u ]: coin, [ ]: chacun, jeun, []: nom, pardon, []: an, fen fend (imp.). Les voyelles nasales sont normalement longues, sauf la finale absolue et lorsquelles sont issues dune nasalisation allophonique devant nasale articule, comme dans bonne [bn()]. Des analogies morphologiques et des emprunts sont responsables doppositions phonologiques rduites, telles que (le) vin [v] (je) vin, (les) vins [v], homme [m()] astronome [-m()] dome dme [dm()].

    5.1.3 Abrgement oxytonique

    Si le systme vocalique est relativement semblable celui de la priode prcdente, la distribution des voyelles dans le lexique sest profondment modifie la suite, soit de nouveaux changements phontiques, soit de nouvelles habitudes dadaptation des emprunts au latin, soit directement de calques de la prononciation du latin sur des mots hrditaires ou anciennement emprunts. En particulier, la norme dcrite par Lanoue enregistre les effets dun abrgement oxytonique ayant eu pour effet dabrger les voyelles des anciens paroxytons qui ne se terminaient pas par [s] ou [t]. Lopposition de dure que produit normalement la contraction des suites vocaliques, comme [-y()] (ou [-yr()] ?) dans armure < armure ou sre < sure [-y()] de nature ou cure, sest vue neutralise la finale absolue et devant [-] final: su (p. pass) [sy] < su = nu [ny] et sr [sy] < sur = dur [dy]. Cet abrgement nest pas gnral dans la langue populaire et les parlers des environs de Paris (cf. Chauveau 1989:89); il constitue un des nombreux manquements la norme que dnonceront les puristes (cf. Hindret 1687:f ).

    5.2 Systme consonantique

    Le systme consonantique est aussi pratiquement inchang depuis la fin du XIIIe sicle, si ce nest la perte de lallophone [] devant vlaire, disparu avec toutes les autres consonnes nasales prconsonantiques. Les discours des grammairiens ne permettent pas encore de voir clairement les changements que la norme nenregistrera que plus tard mais qui sont probablement en cours depuis un certain temps: dlatralisation du [] palatal > [j], affaiblissement de [s] en finale de mot, de [z] lintervocalique et [] dans toutes les positions et amussement de nombreuses consonnes finales la pause.

    5.3 Systme graphique

    la fin du XIIIe sicle, les lettrs ne faisaient quun usage modr des lettres doubles et des lettres muettes en franais en dehors des s et u hrits des pratiques antrieures. On observait cependant dj dautres lettres muettes, mais en petit nombre, comme dans temps ~ tens, draps ~ dras, octroi ~ otroi (avec p et c tymologiques muets) ou richesce richesse ou vuigne vigne (avec s et u analogiques muets). La multiplication des lettres muettes simplante durablement dans les documents lgaux parisiens partir de 1340 (Thera de Jong 1995, Lusignan 2004 : 133ss) et finira par marquer plus ou moins fortement tous les usages scripturaires. Cest probablement partir de la mme priode que se gnralise lutilisation de b, d et g pour noter [p], [t] et [k] en finale de mot et aussi parfois comme lettre muette devant les s de flexion, p. ex. Jacob, grand, longs. Le choix entre b ~ p, d ~ t ou g ~ c en fin de mot, entre une consonne simple ou double (sauf rr ~ r), ainsi que la prsence de lettres muettes navaient pas de fonction directe pour la prononciation (s et l muets assumant cependant un rle auxiliaire rduit pour la dure) et relevaient surtout de lesthtique. Ces choix ntaient souvent motivs, lorigine, que par leur pouvoir dvoquer chez les lettrs les sources latines du lexique. La fonction distinctive des lettres muettes et de b, d, g en fin de mot est au mieux marginale: (ils) font ~ (il) fond, vile ~ ville, chan(t)s ~ cham(p)s. Leurs sources latines, donc souvent tymologiques, contribuaient cependant rapprocher les formes flchies et les drivs dune mme famille lexicale, p. ex. draps de drap et de drapeau, fond de fondre.

  • 16 Yves Charles Morin La redcouverte de lAntiquit classique, la rforme dite rasmienne de la prononciation du latin, la disponibilit du livre grce limprimerie, les politiques typographiques des imprimeurs tant pour le latin et que pour le franais la Renaissance, sont parmi les facteurs dcisifs qui vont avoir pour effet dloigner les systmes graphiques du latin et du franais. La deuxime moiti du XVIe sicle voit saffronter plusieurs conceptions de la planification orthographique de la langue. Lidal dune orthographe phontique, ou relativement phontique, vers lequel tendaient certains rformateurs ne se matrialisera jamais. Une partie des rformes proposes finira par tre adopte, mais lentement (cf. 6.3). Nanmoins, deux de leurs propositions sont adoptes relativement vite par de nombreux imprimeurs ds le XVIe sicle : (1) cration de lettres nouvelles pour distinguer les valeurs de base et secondaires de i, u et c, (2) marque explicite de laccent tonique (cf. Catach 2001 : 97164). Les anciennes lettres i et u ont t divises : i > i/j et u > u/v selon leurs valeurs phontiques (i :: [i] et [i ], j :: [], u :: [y] et [], v :: [v]), la mme distinction tant adopte pour la graphie du latin. Une autre solution est adopte pour c. La nouvelle lettre ( laquelle les grammairiens ne donnent pas ce statut) est utilise seulement la place du c qui avait la valeur secondaire [s] devant a, o, u: garon, reu, mais non devant e, i, y. Cette solution coteuse reflte encore une fois la dominance du systme graphique latin qui imposait la lecture [s] par dfaut de c devant e, i, y. Lusage des accents en latin stait rpandu par limprimerie, en particulier dans les ouvrages pour les dbutants (p. ex. le populaire Rudimenta Latino Gallica cum accentibus). Laccent grave frappait la voyelle finale des adverbes, usage par la suite tendu au franais pour , o, et l. Les accents aigus et circonflexes indiquaient tous les deux la position de la voyelle tonique (le choix entre les deux tant dtermin par la prosodie du latin classique). Laccent aigu est tendu au franais comme marque daccent tonique, restreint cependant la lettre e pnultime, et uniquement lorsquil tait difficile de dcider autrement de la tonicit des voyelles [e] ou []. toutes fins pratiques, accentu nest utilis quen finale absolue ou devant s final, p. ex. procs [prss] et glacs [lases], positions o e sans accent note la voyelle posttonique, comme dans noces [nss] et glace [las]. En rgle gnrale, il nest pas utilis ailleurs pour noter [e] ou [] tonique: assez [ases], glacer [lase], glacee [lase], pere [pe], eleve [elv].

    6 Les normes du franais la fin du XIXe sicle

    Lvolution phonologique gnrale de la langue depuis le XVIIe sicle est bien mieux connue, grce de nombreuses synthses sur lvolution de la prononciation qui incluent souvent les observations phonologiques (Martinet 1947, 1959, 1985, Carton 1995, 2000, Straka 1981, 1990). Les travaux trs bien documents de Walter (1976, 1977) donnent une excellente description densemble du systme phonologique dune norme parisienne influente la fin du XXe sicle et de ses sources historiques rcentes.

    6.1 Systme vocalique

    6.1.1 volution gnrale des voyelles toniques

    Lvolution gnrale des voyelles toniques entre le XVIIe et le XXe sicle dans les normes parisiennes est surtout marque par la perte des oppositions de dure, complte ds la fin du XIX

    e sicle pour les voyelles en finale de mot et, pratiquement la mme priode, pour toutes les voyelles hautes [i, y, u], malgr une extension temporaire dans la langue des lettrs devant [s] final dans des mots savants comme gratis [-is] ou virus [-ys] (cf. Morin 1989, Ouellet 1993). Une opposition caractrise essentiellement par la dure se maintiendra plus longtemps pour les voyelles [] et []. Pour les autres voyelles, les oppositions de dure vocalique se doublent de distinctions de timbre relativement

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 17 saillantes, qui vont caractriser la phonologie du franais moderne et qui vont survivre en partie la perte des distinctions de dure phontique selon lanalyse propose par Martinet (1947, 1959).

    i i y y

    e e

    a a Fin du XVIIe sicle

    i i y y u u

    e e o

    a Transition

    i y u

    e o

    a Milieu du XXe sicle

    Tableau 1. volution phonologique, adapt de Martinet (1959) Selon Martinet (cf. Tableau 1), la dure joue encore un rle majeur dans lorganisation du systme phonologique la fin du XVIIe sicle, les oppositions de dure pouvant saccompagner de diffrences de timbre secondaires pour les voyelles non hautes. Ces diffrences saccentueront pendant la priode de transition, pendant laquelle les paires / /, / / et /a a/ acquirent alors des valeurs phontiques du type [ ], [ o], [a ]. La distribution des diffrentes voyelles a t profondment modifie par des analogies morphologiques puis distributionnelles (cf. Morin, Langlois et Varin 1990), que certains chercheurs ont voulu expliquer par les effets dune loi de position dont la formulation la plus frquente voudrait que ces voyelles aient une tendance naturelle devenir mi-ouvertes [, , ] en syllabe ferme et, au contraire, mi-ferme [e, , o] en syllabe ouverte (cf. Morin 1986).

    6.1.2 Les tmoignages de la fin du XIXe sicle

    Lvolution gnrale des voyelles toniques esquisse ci-dessus est pratiquement acheve dans la langue dcrite par Passy la fin du XIXe sicle (cf. Michalis et Passy 1897). Les oppositions de dures ont toutes disparu en fin de mot et ne survivent que marginalement pour les voyelles hautes de certaines terminaisons, comme dans (il) brle [byl] nulle [nyl]; les terminaisons -is et -us des mots savants ont cependant conserv leurs voyelles longues, do des distinctions du type virus [viys] russe [ys]. La dure assure seule la distinction de lopposition [] [], et apparat marginalement avec dautres voyelles: veule [vl] (ils) veulent [vl], bote [bu at] boite [bu at] boisson, crotre [ku t] droite [du t]. Les distinctions de dure se sont gnralement transmues en opposition de timbre, comme le prvoit le modle de Martinet, si ce nest que [] tonique bref en syllabe ferme apparat aprs les suites Consonne+[u ] (cf. Morin 2000b:118120). La fermeture du [] en finale du mot na pargn que trop prononc [tr] en finale dnonc (malgr Straka 1981:209n229). ct de la norme, relativement conservatrice, enregistre par Passy, on voit lamorce depuis le dbut du XIXe sicle dune autre norme sans opposition de dure, qui prfigure les usages modernes, dans des ouvrages comme ceux de Sophie Dupuis (1836) et de Fline (1851).

    6.2 Systme consonantique

    Dans lensemble, le systme consonantique se maintient tel quil tait la fin du XIIIe sicle, les seuls changements notables concernant la laryngale [h], les palatales [, ], et les rhotiques [r, ]. La laryngale [h] disparat de la norme, sans jamais disparatre compltement des usages parisiens individuels, probablement sous leffet de limmigration continue des provinces de lEst (Lorraine) et de lOuest (Normandie, Bretagne, Vende, Anjou, Touraine, Charente) o elle sest conserve au moins jusquau XXe sicle. Les voyelles qui taient prcdes de [h] initial ont le plus souvent conserv la proprit de non-enchanement avec une consonne prcdente: les haches [lea]), la hache [laa], il hache [ia] ~ [ila].

  • 18 Yves Charles Morin La liquide palatale [] est remplace par yod [j], fille [fi] > [fij], non sans rsistance dans la norme des puristes (cf. Brua Cuevas 2003). La mme tendance pour la suite [li ] p. ex. dans lieutenant [li tnt] > [jtn] naboutit que dans les varits populaires et est rejete de la norme prestigieuse. La distinction entre la nasale palatale [] et la suite [ni ] par contre finit par sestomper dans la langue parle, manier [mani e] > magner (do il se magne). La rhotique faible [], quand elle ne sest pas amue compltement en finale de mot, comme dans les terminaisons -er de linfinitif, a fini par rejoindre la rhotique vibre [r]. Il sagit probablement dune (fausse) rgression dorigine sociale, provoque par la stigmatisation des variantes de faible articulation du type [] < [] (cf. Martinet 1962). La rhotique dentale vibre [r] a pris une articulation vlaire ou uvulaire, soit vibre [], soit fricative [], une priode quil est difficile de dterminer (cf. Wollock 1982), sans que ce changement nait eu deffet sensible sur lorganisation phonologique de la langue.

    6.3 Systme graphique

    Les progrs de la rforme rasmienne, qui avait redonn une valeur phontique aux lettres muettes du latin tel quon le prononait encore au dbut du XVIe sicle, ont probablement plus contribu discrditer leur usage en franais que les condamnations des rformateurs. dfaut de pouvoir faire se conformer la prononciation du franais la graphie, la pratique scripturaire a lentement fini par abandonner un grand nombre de consonnes muettes, le p de escript, le c de saincte, le l de ceulx, ou encore le s de mestier. Il est symptomatique que la prononciation gmine des consonnes doubles nait pas russi simplanter dans la prononciation franaise du latin, o annus se prononce non pas [annys], mais [anys], tout comme anus, et que corrlativement, la plupart des consonnes doubles se sont conserves en franais, ainsi : apprendre, goutte ou belle. Des anciennes lettres muettes conserves dans la langue moderne, certaines sont toujours muettes, comme p dans baptme, ou ont fini par tre articules, comme b dans objet. Malgr le modle latin, cependant, un grand nombre des lettres-consonnes muettes en fin de mot ont t conserves: drap, radoub, plat, pied, tabac, long, nerf, gros, nez, laver, fusil. La lettre h et des digraphes/trigraphes gn, il/ill se conservent dans les mots o ils taient utiliss malgr les changements phontiques qui ont affect leur valeur: h est maintenant muet partout tandis que il/ill note la glissante [j ]. La multiplicit des valeurs des digraphes ai, oi, ue, eu qui caractrisaient lorthographe du XIIIe sicle disparat de la norme. Le digraphe ue cde le pas eu presque partout et ces deux graphies lgitimeront la prononciation []/[] de la norme et forceront la graphie e dans bienveillant. Les grammairiens du XVIe sicle avaient semblablement milit pour une prononciation unique [u ] de oi, mais le consensus stait rod au cours du XVIIe sicle et lon finira par remplacer oi par ai dans les mots o il se prononait [] : franois > franais, sauf dans quelques cas o la prononciation au contraire sajustera la graphie : froid [frt] > [fru /fru a]. Cette priode, cependant, se caractrise surtout par le dveloppement daccents aux interprtations multiples. Laccent aigu, marquant une voyelle tonique en latin, na t utilis quavec en franais. La graphie notait lorigine aussi bien [e] que [] (cf.

  • Histoire des systmes phonologique et graphique du franais 19 5.3). On distinguera ensuite [e] tonique et [] tonique en notant le second avec un accent grave: glacs [lases] par opposition procs [prss]. Pendant trs longtemps, la lettre avec accent grave ne sutilisera que pour les voyelles toniques. On tendra relativement vite lusage du avec accent aigu la reprsentation des voyelles prtoniques moyennes, aussi bien [e] que [] (autant quon puisse dcider). Il sert alors distinguer ces deux voyelles du reflet du chva mdival: dmis [demi] par opposition demi [dmi]. Lhistoire de laccent circonflexe est encore plus complexe. On lutilise dans les textes latins accentus de la Renaissance pour noter certaines toniques pnultimes longues, ce qui permettra de linterprter comme une indication de dure vocalique. On lassociera aussi aux contractions du grec classique ( / ) en notant dun circonflexe les lettres-voyelles provenant de la contraction dune lettre-voyelle avec un s suivant: teste > tte, ou de deux lettres-voyelles ensemble: aage > ge, seur > sr. Le plus souvent ces contractions correspondaient effectivement des changements historiques responsables de la formation dune voyelle longue, comme dans tte ou ge, de telle sorte que les deux interprtations phontiques de laccent circonflexe convergeaient souvent. Certaines de ces voyelles pouvaient cependant tre brves (cf 5.1.3) et reprsentes avec un accent circonflexe dans leur graphie, comme le de sr ou de d. Inversement, les voyelles longues dautres sources ont longtemps t crites sans accent circonflexe, comme le a de bas, basse (mais exceptionnellement chsse, cause de chasse), vase, flamme, damner, nation, et maintenant avec un accent circonflexe: me, infme, crne, grce.

    7 Un rapide bilan

    Linventaire des consonnes a t relativement stable depuis le proto-franais. Les consonnes ayant des articulations complexes ont t les plus affectes: rduction des affriques, perte des articulations secondaires (palatalisation pour les dentales, labialisation pour les vlaires), qui ne laissent survivre que les palatales [, , ] et [j]. Cest surtout la distribution des consonnes dans la syllabe et dans le mot ce que nous navons pas examin ici qui sest profondment modifie pendant cette priode. Le systme vocalique, par contre, a subi de profondes modifications, non seulement dans son inventaire, mais aussi dans son organisation structurale. Le systme initial des oppositions de dure du proto-franais sest pratiquement effondr la suite dune srie de changements qui allait produire un nouveau systme dopposition de dure. Celui-ci disparat progressivement son tour et ne laisse plus lpoque moderne dautre signe de sa prsence quune distinction de timbre, vanescente pour lopposition [] [] et [a] [], mais relativement stable pour [] [o] devant consonne finale.

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