Histoire de La Pensée Économique

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1 Histoire de la pensée économique Approche néo-classique, approche keynésienne Approche néo-classique, approche keynésienne Auteurs : B. Dirou, et JP.Testenoire Approche néo-classique Approche keynésienne L’approche est micro économique : Les néo-classiques étudient le comportement des agents économiques individuels rationnels (consommateurs, producteurs). Héritière de l’école marginaliste, « elle envahit de plus en plus la macro économie dans le cadre de la recherche sur les fondements micro économique » - B. Guerrien, Dictionnaire d’analyse économique- Repères- p.353). D'où l’importance du modèle de concurrence pure et parfaite (Walras) et de la notion d’optimum (Pareto). Chaque agent économique cherche à maximiser une fonction d’utilité (l’entrepreneur veut maximiser son profit, le consommateur va comparer la satisfaction procurée par la consommation d’un bien et la privation de loisirs engendrée par la nécessité de travailler pour se procurer ce bien). « L’économique est la mécanique de l’utilité ». L'approche est macro-économique Les keynésiens étudient les grandeurs globales(Consommation, Investissement, Revenu, Épargne) ces variables sont reliées entre elles. Cette approche a d’ailleurs donn naissance à la comptabilité nationale en économie de marché dés 1947, et 1952 en France (Il y a des modèles dès 1920 en URSS : G.Feldman). Le marché est le régulateur du système : Les prix sont flexibles et l'équilibre des offres et des demandes se réalise grâce à cette flexibilité des prix. -Sur le marché des biens (prix). -Sur le marché du travail (salaire) -Sur le marché des capitaux (intérêt) Quand un produit est rare sur le marché des biens et services, il devient cher, les consommateurs en consomment moins et les producteurs sont incités à en produire davantage, l’offre et la demande s’équilibrent ainsi automatiquement grâce à la flexibilité des prix. Le marché peut ne pas assurer l'équilibre du système : A court terme les prix et les salaires sont rigides et le reto à l'équilibre économique ne sera pas assuré. L'économie peut très bien se trouver en situation de sous emploi lorsque l'offre de biens est supérieure à la demande de biens. La flexibilité des salaires doit assurer l'équilibre de plein emploi sur le marché du travail : En période de chômage les demandes d’emploi sont La flexibilité des salaires ne permet pas d'assurer l'équilibre de plein emploi sur le marché du travail :

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Histoire de la pensée économique

Approche néo-classique, approche keynésienneApproche néo-classique, approche keynésienne

 Auteurs : B. Dirou, et JP.TestenoireApproche néo-classique Approche keynésienneL’approche est micro économique :Les néo-classiques étudient le comportement des agents économiques individuels rationnels (consommateurs, producteurs).  Héritière de l’école marginaliste, « elle envahit de plus en plus la macro économie dans le cadre de la recherche sur les fondements micro économique » - B. Guerrien, Dictionnaire d’analyse économique- Repères- p.353). D'où l’importance du modèle de concurrence pure et parfaite (Walras) et de la notion d’optimum (Pareto).  Chaque agent économique cherche à maximiser une fonction d’utilité (l’entrepreneur veut maximiser son profit, le consommateur va comparer la satisfaction procurée par la consommation d’un bien et la privation de loisirs engendrée par la nécessité de travailler pour se procurer ce bien).  « L’économique est la mécanique de l’utilité ».

L'approche est macro-économique :Les keynésiens étudient les grandeurs globales(Consommation, Investissement, Revenu, Épargne) ces variables sont reliées entre elles.Cette approche a d’ailleurs donné naissance à la comptabilité nationale en économie de marché dés 1947, et 1952 en France  (Il y a des modèles dès 1920 en URSS : G.Feldman).

Le marché est le régulateur du système :Les prix sont flexibles et l'équilibre des offres et des demandes se réalise grâce à cette flexibilité des prix.  -Sur le marché des biens (prix). -Sur le marché du travail (salaire)  -Sur le marché des capitaux (intérêt)Quand un produit est rare sur le marché des biens et services, il devient cher, les consommateurs en consomment moins et les producteurs sont incités à en produire davantage, l’offre et la demande s’équilibrent ainsi automatiquement grâce à la flexibilité des prix.

Le marché peut ne pas assurer l'équilibre du système :A court terme les prix et les salaires sont rigides et le retour à l'équilibre économique ne sera pas assuré.   L'économie peut très bien se trouver en situation de sous emploi lorsque l'offre de biens est supérieure à la demande de biens.

La flexibilité des salaires doit assurer l'équilibre de plein emploi sur le marché du travail : En période de chômage les demandes d’emploi sont supérieures aux offres d’emploi ce qui fait baisser les salaires. Une baisse des salaires signifie plus de profits pour les entrepreneurs qui vont embaucher davantage. Le chômage (involontaire)  sera résorbé et le retour à l’équilibre sur le marché du travail sera ainsi réalisé. Une baisse des salaires va donc réduire le chômage.Les libéraux sont donc favorables à la   suppression du SMIC, car le SMIC serait un "destructeur d’emplois" dans la mesure ou il s’oppose à l’ajustement automatique entre l’offre et la demande de travail par les prix.

La flexibilité des salaires ne permet pas d'assurer l'équilibre de plein emploi sur le marché du travail : Selon les keynésiens une baisse des salaires pour les entrepreneurs ne signifie pas plus de profit mais une baisse de la demande future. Les entrepreneurs sont pessimistes car ils prévoient une baisse des ventes, ils vont donc diminuer les embauches. Une baisse des salaires va donc aggraver le chômage. Pour les keynésiens le SMIC assure un niveau minimum de consommation et donc un minimum de débouchés pour les entreprises.

L'épargne et l'investissement s'équilibrent sur le marché des capitaux : 

L'égalité épargne-investissement n'est pas assurée sur le marché des capitaux : 

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 L'épargne et l'investissement s'équilibrent car l'épargne est une fonction croissante du taux d'intérêt (quand le taux d'intérêt augmente l'épargne augmente) et l'investissement est une fonction décroissante du taux d'intérêt (quand le taux d'intérêt diminue, l'investissement augmente). Si l'épargne (offre de fonds prêtables) est insuffisante pour financer l'investissement (demande de fonds prêtables), le taux d'intérêt va augmenter et l'équilibre sera de nouveau réalisé.Inversement, lorsque l'épargne est supérieure à l'investissement, le taux d'intérêt va baisser jusqu'à ce que l'épargne égalise l'investissement.Voir schéma ci-joint schéma (1)

 Les ménages épargnent en fonction de leur revenu (plus le revenu est élevé plus l'épargne est élevée), les entreprises investissent en fonction des profits escomptés et du taux d'intérêt. Les entrepreneurs investissent lorsqu'ils peuvent emprunter à un taux d'intérêt  inférieur au taux de rendement escompté. L'égalité épargne-investissement n'est donc pas forcément réalisée au départ puisque les déterminants sont différents (revenu des ménages pour l'épargne, taux d'intérêt pour les investissements des entreprises).L'équilibre n'est pas forcément réalisé sur ce marché, si l'épargne est trop abondante par rapport à l'investissement, une partie de l'épargne sera thésaurisée.

La monnaie est neutre :  Pour le néo-classiques l'augmentation de la quantité de monnaie en circulation dans l'économie n'a aucune incidence sur l'économie puisque, en situation de plein emploi, les capacités de production sont pleinement utilisées et l'accroissement de la masse monétaire se traduira par plus d'inflation.Conception héritée de Stuart Mill (1847)«  La monnaie n’est qu’un voile »

La monnaie est active :  La monnaie doit répondre aux besoins de l'économie réelle, quand la demande d'investissement est élevée et que l'épargne est insuffisante la monnaie doit prendre le relais, elle constitue une avance sur la production qui sera récupérée ex post.

L'intervention de l'État serait inefficace pour relancer l'activité économique :Les politiques économiques ne servent à rien puisque c'est le marché qui doit assurer le retour au plein emploi.L'État ne doit intervenir que pour assurer le fonctionnement correct du marché, c'est-à-dire pour assurer le libre jeu de la concurrence. Voir tableau (3) : Les outils des politiques économiques.  Exemple de politiques libérales   - Les tentatives pour supprimer le SMIC ou pour créer un "SMIC jeune". Voir justification théorique chez les néo-libéraux ci-joint Texte (4)  - Les politiques de "rigueur salariale", dont l'objectif est de réduire les coûts des entreprises afin qu'elles puissent améliorer leur compétitivité (mais cela ne stimule pas la consommation).  - La réduction des dépenses budgétaires. En effet, pour les néo-classiques le financement des déficits publics par la monnaie est générateur d’inflation et  le financement par emprunt ou par émission de titres provoque un effet d’éviction.

L’État doit intervenir par le biais des politiques économiques :Puisque l’équilibre économique n’est plus réalisé automatiquement voir exemple (2), et que sans l’intervention de l’État le chômage menace de s'installer en permanence, l'État doit tout mettre en œuvre pour rétablir le plein emploi. Pour approfondir (niveau DPECF et DECF) on peut consulter le schéma général de la demande globale dans l’ouvrage de  S. Stwart, Point Seuil.   Exemple de politiques keynésiennes  - Les politiques monétaires de relance par la baisse du taux d'intérêt (toutefois, quand le taux d'intérêt est au plus bas, Keynes pense que les agents préfèrent conserver leurs avoirs sous forme liquide (hypothèse de la préférence pour la liquidité) plutôt que d'acheter des titres (trappe à la liquidité). Dans ce cas particulier la politique monétaire serait inefficace.- Les politiques budgétaires de relance  par augmentation des dépenses publiques afin de stimuler la consommation, la croissance et l'emploi.

   

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   Schéma (1) Les déterminants de l’épargne     Exemple (2)Soit une économie fermée fictiveavec :

PIB de la période  PIB = 1000 Consommation finale des ménages C = 800 Formation brute de capital fixe (acquisition de biens durables) des entreprises et des entrepreneurs

individuels  FBCF = 150 Augmentation de stocks ST= 50 Investissement  I = FBCF + ST = 200L’égalité emplois ressources n’est qu’une égalité comptable : PIB  = C + I 1000 = 800 + 200 La variation de stocks représente la partie de la production fabriquée pendant la période et qui n’a pas été vendue. Les entreprises n’ont pas pu écouler toute leur production, il ne s’agit donc pas d’un équilibre économique. Cette variation de stocks est un investissement qui n’avait pas été prévu par les entreprises (investissement non désiré).D’autre part, même en présence d’un équilibre économique rien n’indique que cet équilibre correspond à un équilibre de plein emploi.Tableau (3) Les outils des politiques économiquesLes politiques keynésiennes et les critiques néo-libéralesPolitiques Politiques keynésiennes   Les critiques néo-libéralesPolitique budgétaire

Le déficit budgétaire permet de relancer l’économie par le mécanisme du multiplicateur des dépenses publiques.

Dans le cas d’une politique budgétaire pure : le déficit budgétaire provoquerait un effet d’éviction, cette éviction d'origine financière revêt un double aspect :- Un effet direct : cet effet peut jouer lorsque l'encaisse de spéculation (thésaurisation) est nulle (ce qui correspond dans le modèle IS LM à la zone dite "classique"), dans ce cas les agents privés achètent des titres publics avec de l'épargne initialement destinée à des dépenses d'investissement ou de consommation privée (encaisse de transaction). La politique budgétaire n'est efficace que lorsque les agents privés achètent des titres publics avec de l'argent oisif (encaisse de spéculation), il y a alors déthésaurisation (donc  injection monétaire), ce qui  stimule l'activité économique.- Un effet indirect : l'augmentation de la demande de fonds prêtables entraîne une hausse du taux d'intérêt qui conduit à une diminution des projets d'investissements privés.  Plus les investissements privés sont élastiques au taux d'intérêt, moins la politique budgétaire est efficace.Dans le cas d’une politique budgétaire financée par création monétaire le déficit aurait un effet inflationniste.

  Politique fiscale

L’Impôt progressif sur le revenu n’aura pas d’effet négatif sur le niveau de la consommation.

Les économistes de l’offre considèrent  que trop d’impôts découragent les agents économiques (Courbe de Laffer) : retrait de certains salariés sur le  marché du travail (substitution du loisir au travail), moins de créations d’entreprises.

Politique L’augmentation de l’offre de monnaie Pour les théoriciens des anticipations rationnelles, la

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monétaire par la Banque centrale fait baisser le taux d’intérêt. Les agents économiques peuvent emprunter plus facilement ce qui devrait encourager la consommation et l’investissement.

politique monétaire est inefficace à court et à long terme : dès l’annonce d’une politique monétaire expansionniste, les salariés par exemple anticipent  une hausse des prix, et réclameront donc immédiatement une hausse des salaires.

Politique des revenus

Les agents économiques doivent pouvoir bénéficier d’un minimum de protection sociale, l’État peut intervenir pour corriger les inégalités  (revenus de transfert).

Le versement de revenus de transferts constitue une incitation à la paresse et encourage les chômeurs  à augmenter la durée de recherche d’emploi (théorie du « job search »).

Politique industrielle

L’État doit intervenir pour aider les entreprises ( subventions, nationalisations)

Les entreprises comptent sur les subventions de l’État, elles ne cherchent pas à économiser les moyens et peuvent perdre en compétitivité.

   Texte (4)Pour un « Smic-jeune » "L'effet du salaire minimum est de rejeter vers le chômage toute une population de jeunes à qui l'on dénie le droit d'acheter leur ticket d'entrée, dans la vie active, même lorsqu'ils seraient prêts à en acquitter le montant (puisque l'on a pas de droit de se faire embaucher à une rémunération inférieure à celle du SMIC). Mais qu'est ce que cela signifie ? Dans la mesure où il s'agit pour l'essentiel de jeunes sans formation professionnelle ni expérience, le système aboutit à les priver des possibilités d'apprentissage ou de formation sur le tas dont ils auraient pu bénéficier dans le cadre d'emplois moins bien rémunérés."

Henri Lepage. Demain le libéralisme, livre de poche éditions pluriel page 517. 

École néoclassiqueDe Wikiberal

L'École néoclassique naît de la « révolution marginaliste » dans les années 1870 et devient la principale école de pensée jusqu'à la crise de 1929 et l'avènement du keynésianisme. Elle redevient dominante après la stagflation des années 1970. Les néoclassiques sont parfois appelés « néolibéraux ». L'école néo-classique économique est différente de l'école néo-classique du management. Cette dernière s'est développée grâce à l'apport de grands praticiens (Chef d'entreprises et grands cabinets de conseil type Mac kinsey , Boston Consulting Group…). Ce courant est orienté vers le pragmatisme, dont la base théorique demeure très largement inspirée de l'école classique de la théorie des organisations (Frederick W. Taylor, Henry Ford, Henri Fayol, Max Weber) dont les principaux représentants furent Alfred P. Sloan, Peter Drucker et Octave Gélinier.

En économie, l'apogée du modèle néoclassique vient au début du XXe siècle avec Alfred Marshall et Arthur Cecil Pigou.

Sommaire

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1 Courants néoclassiques contemporains et représentants

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2 Les idées néoclassiques

o 2.1 Les mathématiques comme nouvelle approche de l'économie

o 2.2 Modèles

2.2.1 L'utilité marginale

2.2.2 La concurrence pure et parfaite

2.2.2.1 Les conditions

2.2.2.2 Le principe de la tarification au coût marginal

2.2.2.3 Critique libérale

3 Bibliographie

4 Liens Externes

5 Audio/Videos

Courants néoclassiques contemporains et représentants

Néo-walrasiens : Kenneth Arrow, Gérard Debreu École des choix publics : James Buchanan, Gordon Tullock Nouvelle macroéconomie classique  : Robert E. Lucas, Paul Romer École de Chicago  : Frank Knight, Jacob Viner, George Stigler, Gary Becker

Monétarisme  : Milton FriedmanLes idées néoclassiques

Les mathématiques comme nouvelle approche de l'économieLes économistes de l’école néoclassique développent une formalisation mathématique de l’économie. Leurs analyses mathématiques (la microéconomie) reprises par la plupart des économistes depuis cette époque, débouchent dans leur forme la plus aboutie sur la notion d’équilibre économique : une formalisation mathématique abstraite présentant des modèles d’économies idéales et optimales mais reposant sur des hypothèses théoriques imparfaitement vérifiées dans la réalité. À cette époque, il semble donc que la pensée économique tente de s’écarter des sciences humaines pour s’apparenter, par les méthodes de formalisations mathématiques qu’elle utilise, aux sciences exactes. Il s’agit généralement d’une incompréhension. On doit par exemple la notion d’équilibre général (certainement le concept le plus abstrait de la science économique) à l’économiste Léon Walras dans son ouvrage Traité d’économie politique pure (1874). Or il convient alors de relativiser dès l’origine la finalité de ces modèles mathématiques. En effet, l’auteur, comme il l’indique dans le titre, s’attache à développer une formalisation d’une économie idéale dont il sait qu’elle ne peut pas exister (d’où l’usage du mot« pure »). Considérant les différentes imperfections de l’économie réelle par rapport au modèle idéal, cet auteur définit un rôle à l’État. De ces considérations découlent une « politique économique appliquée » et une « économie sociale » qui divergent de l’économie pure. Pour Walras, il n’y a aucune supériorité du concept d’équilibre général sur les deux autres dimensions de l’économie. Il explique que « leurs critères respectifs sont le vrai pour l’économie pure, l’utile ou l’intérêt pour l’économie appliquée, le bien ou la justice pour l’économie sociale ». Au final, cet auteur dont l’équilibre général tente de démontrer scientifiquement la supériorité du libéralisme économique est paradoxalement classé dans les économistes hétérodoxes du fait des propositions que ses réflexions l’ont amené à avancer : nationalisation de terres et des

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chemins de fer par exemple (idées tout à fait révolutionnaires à son époque et très mal vues de la société bourgeoise).

ModèlesL'utilité marginaleLa théorie néoclassique fonde sa théorie de la valeur sur l'utilité, contrairement aux classiques anglais qui avaient fondé leurs analyses sur la théorie de la valeur-travail, ouvrant par la même la voie aux analyses marxistes. Leur analyse reposait sur des constats simples : l’eau par exemple est infiniment utile mais ne vaut rien. C’est pourquoi les néoclassiques introduisent la notion d’utilité marginale : la valeur dépend de l’utilité qu’apporte la dernière unité consommée, utilité qui est elle-même décroissante. Si on reprend l’exemple de l’eau, le premier verre a une valeur supérieure au dixième. Ainsi c’est toute l’analyse néoclassique qui dérive d’une étude à la marge des phénomènes économiques. À titre d’exemple :

Selon la théorie du producteur, les entreprises embauchent tant que la productivité marginale du travail (c'est-à-dire la production du dernier salarié embauché) est supérieure au salaire. Ils ont une attitude similaire face à l’investissement en capital dont les rendements sont d’abord croissants (voir économie d’échelle) puis décroissants.

Selon la théorie du consommateur, l'individu adopte une attitude rationnelle visant à « maximiser son utilité ». À chaque dépense il compare, l'utilité marginale des biens afin de hiérarchiser ses préférences et s’oriente vers le plus utile. Cette étude de l'individu, comme producteur ou consommateur rationnel et autonome rejoint la démarche de l’individualisme méthodologique.

Sur un marché de concurrence pure et parfaite, chaque facteur de production reçoit l’égal de ce qu'il apporte, d'où une juste rémunération des facteurs de production. Cette démonstration cherche donc à infirmer la théorie de la plus-value des marxistes. Dans de telles conditions, le profit tend à s'annuler.

Au-delà de ces analyses communes, chaque école développe des idées originales. Léon Walras se veut un socialiste resté libéral. Carl Menger distingue les « biens économiques », susceptibles d’être achetés et vendus par les particuliers, des « biens libres » qui ne peuvent faire l’objet d’une appropriation privée : l’eau, l’air… Eugen von Böhm-Bawerk propose une théorie du capital (Capital et intérêt, 1884) où il décrit l’investissement comme un « détour productif » : creuser un seau dans un tronc d’arbre retarde la consommation d’eau, mais permet une consommation accrue dans le futur. Grâce à cette maîtrise accrue de l’eau, le campagnard gagnera un temps précieux qui lui permettra alors de creuser une canalisation et ainsi de suite… À Lausanne, Léon Walras puis Vilfredo Pareto développe un modèle mathématique où par l’ajustement des prix s’établit spontanément un équilibre général de l'économie.

La concurrence pure et parfaiteLes conditions

La concurrence parfaite est un modèle décrivant une structure de marché hypothétique dans laquelle aucun producteur ni consommateur ne dispose d'un pouvoir discrétionnaire sur la fixation des prix ou sur les décisions des autres acteurs, et que tous les acteurs ont accès à la même information, ce qui suppose une égalité des positions à l'origine de la relation marchande. Le prix est alors fixé par l'affrontement et la négociation de tous avec tous, ne générant pas de rente de monopole. La concurrence pure et parfaite représente un des deux cas extrêmes de structures de marché étudiés par les économistes néoclassiques, le second étant le cas de monopole. La

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concurrence parfaite est censée permettre l'équilibre sur tous les marchés sous des conditions très particulières. Chaque marché doit remplir les trois conditions suivantes :

1. L'atomicité du marché : le nombre d'acheteurs et de vendeurs est très grand donc l'offre ou la demande de chaque agent est négligeable par rapport à l'offre totale ;

2. L'homogénéité des produits : les biens échangés sont semblables en qualité et en caractéristiques ; un produit de meilleure qualité constitue donc un autre marché. Dans la réalité, les bien les plus homogènes sont les matières premières, les denrées agricoles.

3. La transparence de l'information : l'information parfaite de tous les agents sur tous les autres et sur le bien échangé suppose qu'elle est gratuite et immédiate ; la présence d'un « commissaire-priseur », qui centralise les offres et les demandes afin de calculer le prix d'équilibre est une façon de réaliser cette transparence et suppose l'absence d'échange de gré à gré avant l'obtention du prix d'équilibre.

Les conséquences de ces trois hypothèses sont que d'une part le prix est la seule motivation pour échanger ou renoncer à échanger sur le marché (et non la qualité par exemple) et d'autre part, le prix est fixé par le marché et s'impose à tous les protagonistes, il n'existe alors qu'un seul prix pour un seul bien quelque soit le lieu d'achat.

Il faut ajouter deux hypothèses qui lient les marchés entre eux :

1. La libre entrée sur le marché : il ne doit y avoir aucune entrave tarifaire (protectionnisme), administrative (numerus clausus), technique à l'entrée d'un offreur ou d'un demandeur supplémentaire.

2. la libre circulation des facteurs de production (le capital et le travail) : la main d'œuvre et les capitaux se dirigent spontanément vers les marchés où la demande est forte (par rapport à l'offre). Il n'y a pas de délai ni de coût dans leur reconversion.

Ces deux dernières hypothèses permettent une convergence sur le long terme des taux de salaire et de profit entre les différents secteurs économiques et les différents pays.

Il s'agit donc d'un cadre très contraignant, correspondant à une économie totalement centralisée. Son avantage est que les équilibres de concurrence pure et parfaite sont des optima mathématiques(donc faciles à calculer) vérifiant certaines propriétés d'efficacité allocative (efficacité selon Pareto).

Le principe de la tarification au coût marginal

A partir des propriétés de la concurrence, il est possible de démontrer dans un cadre théorique néo-classique que le prix en concurrence pure et parfaite est égal au coût marginal et qu'à long terme, le profit est nul. On introduit pour cela l'hypothèse supplémentaire que chaque entreprise a pour objectif de maximiser son profit. Seulement, si à court terme, il y a un secteur économique bénéficiaire, des entreprises vont entrer sur ce secteur, ainsi l'offre va augmenter, les prix vont baisser et les profits vont diminuer jusqu'à s'annuler.

Critique libérale

Le libéralisme économique n'a rien à voir, comme le croient certains, avec la théorie de la concurrence pure et parfaite, qui n'est qu'un modèle bien éloigné de la réalité :

« La théorie de la concurrence pure et parfaite est radicalement fausse puisqu’elle est opposée à la notion de concurrence telle qu’on la conçoit au sens commun. Lorsqu’on parle de sportifs, on dit qu’ils sont en concurrence parce que chacun tente de faire mieux que les autres. Dans la théorie traditionnelle de la concurrence, tous essaient de faire pareil que les autres. On suppose d’ailleurs

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selon cette conception qu’il existe une technique optimale pour une activité donnée qui va peu à peu être reconnue et adoptée par tous les producteurs. C’est la raison pour laquelle ils deviennent tous identiques et que le profit disparaît. En effet, aussi longtemps que des profits sont réalisés, de nouveaux producteurs entrent sur le marché et adoptent cette technique optimale, jusqu’à ce que le profit disparaisse. »    — Pascal Salin

« Où est l’erreur de Walras ? C’est de vouloir donner une grille de lecture d’une économie réellement « pure », où tout fonctionnerait rationnellement. La concurrence y serait pure aussi : les entreprises nombreuses, de faible taille, d’une fluidité totale, parfaitement informées, libres d’accès au marché. Walras sait bien qu’en réalité il en est autrement : l’« économie appliquée » est différente, parce que le contexte institutionnel détourne les acteurs de la rationalité et les prix de la vérité. Mais Walras n’en a cure, il ne décrit pas ce qui est, mais ce qui devrait être. Il plaide seulement pour qu’en économie appliquée la production soit la plus fidèle possible à un système de contrats interactifs, qu’il croit trouver dans des entreprises coopératives. De ce point de vue, il est proche des socialistes utopistes français (Saint Simon, Fourier), et il émet toutes les réserves des socialistes à l’égard de la propriété privée : la relation avec l’économie de marché devient finalement très ténue et très surprenante ! »    — Jacques Garello

« La "concurrence pure et parfaite" est un modèle économique abstrait, utilisé par divers économistes (rarement des économistes libéraux d'ailleurs) pour étudier diverses situations. Les libéraux ne défendent aucun modèle mathématique de l'économie. Ils défendent une théorie du droit. Ils savent fort bien que les modèles sont des outils conceptuels qu'il faut adapter à la réalité pour obtenir des informations pertinentes; contrairement aux étatistes, ils n'essaient pas de décalquer la réalité à partir d'un modèle abstrait. »    — Faré

Bibliographie

1986 , T. Aspromourgos, “On the Origins of the Term ‘Neoclassical’”, Cambridge Journal of Economics, Vol 10, n°3, pp265-270

1990 , William K. Bellinger et Gordon S. Bergsten, The Market for Economic Thought: An Austrian View of Neoclassical Dominance, History of Political Economy, 22: 697-720

1994 , Eleutério F. S. Prado, "A Teoria Neoclássica (Pura) e a Teoria Neo-Austríaca Frente ao Legado Cartesiano" (« La théorie néoclassique (pure) et la théorie néo-autrichienne contre l'héritage cartésien »), Análise Econômica, Vol 12, n°21-22, pp5-23 [[pt}}

La théorie néoclassique du marché du travail (1)Autre grand classique de la théorie néoclassique, autre théorie aux conséquences bien dommageables et dans laquelle, tant sa cohérence ne résiste pas à plus de quelques secondes de réflexion, on se demande ce qui, des habitudes, de la paresse ou de la bêtise, explique son incroyable succès : la théorie néoclassique du marché du travail (enseignée dès la première année dans l’ensemble des universités d’économie du monde).*  Que dit cette théorie ? D’une part, que plus les salaires sont élevés, plus les gens vont avoir envie de travailler. 

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D’autre part, que plus les salaires sont élevés, moins les entreprises vont avoir envie d’embaucher. On se retrouve donc, dans un graphique salaire – nombre de demandeurs et d’offreurs d’emploi, avec deux courbes qui se croisent, une croissante et une décroissante (cf. graphique). Dès lors, si on laisse agir les seules forces du marché, l’économie tendra vers une situation d’équilibre, qui se situe graphiquement au point de rencontre des deux courbes. A ce point, le nombre de personnes souhaitant travailler correspond exactement au nombre de personnes que les entreprises souhaitent employer : il n’y a donc pas de chômage.

Et le salaire est appelé salaire d’équilibre. Pour ce salaire, le chômage est nul, et toutes les entreprises voient leurs offres d’emploi satisfaites. 

 Comment, dans ce cadre, expliquer l’apparition et la persistance du chômage ? Il n’y a dès lors qu’une seule explication possible au chômage, comme on peut le constater sur le graphique : l’existence d’un salaire trop élevé. En effet, pour ce salaire trop élevé :- beaucoup de gens souhaiteront travailler- mais les entreprises ne voudront pas employer grand monde. Et voilà, sur la simple base de ce graphique et de ce raisonnement, comment des générations entières d’étudiants, d’Hommes politiques, d’économistes, de conseillers économiques, de « prix Nobel » d’économie (tel Stiglitz, au moins à une époque), etc. ont été et demeurent persuadés que le chômage est dû à l’existence de salaires trop élevés. Mes étudiants en étaient tout autant convaincus en arrivant la semaine dernière à la séance de TD sur le travail et l’emploi. Et effectivement, cette analyse peut paraître vaguement cohérente si l’on n’y prête guère attention. Mais vous allez voir qu’elle ne résiste à quelques petites secondes de réflexion.  

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Première question : pourquoi les gens souhaiteraient travailler d'avantage lorsque les salaires sont plus élevés ? Réponse loin d’être aussi évidente qu’elle en a l’air, puisque si l’on jette un coup d’œil sur les données mondiales ou historiques, on remarque que :- les pays où les salaires sont les plus élevés sont globalement ceux où on travaille le moins (par exemple l’Europe)- et les pays où les salaires sont les plus faibles sont globalement ceux où on travaille le plus (par exemple la Chine et autres pays d’Asie du Sud-Est) De même, si on propose de me payer 500 euros l’heure et qu’on me laisse choisir mon temps de travail, je pense que je choisirais juste de travailler une ou deux heures par jour. L’argent gagné servira amplement à assumer mes dépenses de consommation courante, et il me restera suffisamment d’argent pour profiter pleinement de tout mon temps libre. En revanche, si on propose de me payer 1 euro l’heure, sachant qu'il faut de je me loge, que je me nourrisse, que je m’habille, que je me déplace, etc. je n’aurais d’autres choix que de travailler au moins une quinzaine d’heures par jour si je veux tout juste assurer ces dépenses et survivre. En suivant ce raisonnement, qui semble beaucoup mieux rendre compte de la réalité présente et historique que le précédent (les ouvriers européens du XIXe siècle auraient-ils travaillé d’avantage que 12 à 16 heures par jour si on les avait payé plus ? Bien sûr que non, ils travaillaient autant d’une part parce qu’ils n’avaient pas vraiment le choix et surtout d’autre part parce qu’en travaillant moins ils n’auraient pas pu subvenir à leurs besoins les plus vitaux), la courbe représentant le nombre de personnes souhaitant travailler serait plutôt décroissante que croissante en fonction du salaire. Alors pourquoi ne parle t’on pas de ce phénomène-là aux étudiants, et se contente t’on d’affirmer que la courbe représentant le nombre de personnes souhaitant travailler est croissante avec le salaire ? Parce que l’individu imaginé par l’économiste néoclassique n’a pas de dépenses à assumer, il vit sur une île déserte entouré de noix de coco et de poisson frais et se prélasse sur son hamac à longueur de journée. Alors lorsqu’un chef d’entreprise vient le déranger pour lui proposer un travail, il n’est bien-sûr que moyennement emballé. Il sera d’accord de consacrer une petite heure de son temps libre contre une menue rémunération, parce qu’après tout il lui restera encore 23 heures pour se prélasser dans son hamac. Mais si on lui propose de travailler d’avantage, 5 heures, 7 heures, 10 heures par jour, alors notre Robinson sera beaucoup plus exigeant. Plus il se privera d’heures de farniente, plus il exigera une forte rémunération pour le dédommager. D'où la croissance de la courbe pour les économistes néoclassiques. Cette Homme-là n’existe bien évidemment pas et n’a jamais existé (sauf bien-sûr dans l’imagination débridée des économistes et dans la quasi-totalité des manuels traitant de la question). Alors pourquoi enseigne-t-on cela ? Bien-sûr un salaire plus élevé peut inciter certaines personnes à retourner sur le marché de travail, mais une augmentation des salaires c’est aussi l’occasion d’élever son niveau de vie et de consacrer plus de temps à ses loisirs. L’effet du salaire sur le nombre de personnes souhaitant travailler est ambigu, complexe, certainement pas décroissant (ce qui signifierait aussi qu’en cas de baisse de salaires les gens travailleraient moins, alors qu’ils auraient pourtant plus de difficultés à boucler leurs fins de moins). Voilà un bon exemple de l’enseignement de l’économie au niveau universitaire. Au lieu d’apprend aux étudiants la complexité du fonctionnement de l’économie, le discernement, on leur enseigne des théories hyper-réductrices, irréalistes, fausses, bêtes et méchantes. Alors que penser des moniteurs et autres maîtres de conférences et professeurs, qui enseignent cette théorie depuis des décennies ? Je laisse mes habituels commentateurs nous le dire. Et comment l’étudiant, qui possède une confiance aveugle en ce qui lui racontent ses professeurs bardés de titres, peut-il ne pas se sentir légèrement floué dans cette histoire ? 

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(La suite demain, avec la courbe représentant le nombre de personnes que souhaitent embaucher les entreprises en fonction du salaire !)  * Pour bien comprendre cette théorie et ses extensions, rien ne remplace l’excellent livre de Laurent Cordonnier, déjà cité dans un précédent billet, "pas de pitié pour les gueux".

L’école autrichienne d’économie, une présentation (1) : HistoirePublié le 16 mai 2012 dans Histoire de l'économieLes libéraux se réfèrent souvent aux idées de l’école autrichienne d’économie, avec des noms célèbres comme Hayek ou Mises. Mais qui sont ces curieux animaux autrichiens? Contrepoints vous propose une courte présentation par l’un de ses meilleurs connaisseurs.Par Gérard Dréan.

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Ludwig von Mises, une des figures de l’école autrichienneOn associe souvent le libéralisme économique, dans sa version réputée « ultra », à l’économiste autrichienFriedrich Hayek, un représentant de l’école dite autrichienne, fondée par Carl Menger (1840-1921) et qui compte entre autres auteurs éminents Eugen von Böhm-Bawerk (1851-1914) et Ludwig von Mises (1881-1973). Les thèses de ces auteurs ne sont guère connues que de façon fragmentaire ou inexacte, et ne sont que très rarement replacées dans la réflexion d’ensemble qui caractérise justement cette tradition.L’apport de Menger est généralement résumé à l’invention du marginalisme dans les années 1870, peu avant Léon Walras et William Stanley Jevons. Indépendamment l’un de l’autre, ces trois auteurs fondent l’économie moderne sur l’idée que la valeur d’un bien résulte de l’utilité « marginale » d’une unité de ce bien en plus de ce que l’agent possède déjà. Mais alors que Walras et Jevons prétendaient tous deux fonder une nouvelle science en appliquant à l’économie les méthodes des sciences physiques, Menger restait fidèle aux conceptions causales-réalistes des économistes classiques et s’opposait à la formulation mathématique.Au début, ces différences de méthode restent au deuxième plan, si bien qu’il n’y a pas de divergence marquée entre les « autrichiens » et les autres néoclassiques, qui s’opposent ensemble au marxisme et à l’école historique allemande. Les deux premiers disciples de Menger, Böhm-Bawerk et Wieser, complètent la théorie « néoclassique » en raffinant la théorie de la valeur et des coûts, en traitant de la monnaie et du crédit, en introduisant l’entrepreneur et le calcul économique.Mais les disciples de Walras et Jevons considèrent de plus en plus que la formalisation mathématique est essentielle à la définition de l’économie en tant que science, au prix d’une extrême simplification des hypothèses relatives au comportement des agents économiques et

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à leurs interactions. Cette montée en régime du paradigme néoclassique suscite chez les autrichiens deux attitudes opposées : les uns, comme Wieser et Schumpeter, deux brillants élèves de Böhm-Bawerk, cherchent un rapprochement avec le paradigme néoclassique en voie de constitution en gommant les différences méthodologiques. D’autres, au premier rang desquels Ludwig von Mises, un autre élève de Böhm-Bawerk, restent fidèles à la pensée de Menger en réaffirmant et en approfondissant ce qui la sépare du paradigme néoclassique, qui se révèle au fur et à mesure que la pratique dominante s’éloigne des idées de Menger et des classiques.Parallèlement, à la suite de la première guerre mondiale, un nombre croissant d’économistes adoptent les positions de Keynes, selon lesquelles le rôle principal de l’économiste est d’éclairer les décisions des pouvoirs publics, et qu’il est possible d’étudier les agrégats nationaux (la « macro-économie »), indépendamment des interactions entre agents individuels (la « micro-économie »). Hayek et Mises s’opposent vigoureusement à Keynes sur cette conception de la discipline ainsi que sur les positions quant au rôle de l’État qui la sous-tendent et sur les théories monétaires qui en découlent. En même temps, devant la montée du communisme et du nazisme, Mises puis Hayek se lancent dans un farouche combat intellectuel contre l’étatisme sous toutes ses formes, qui fonde leur libéralisme intransigeant.

Dans les années trente, la plupart des économistes autrichiens, dont Mises et Hayek, quittent Vienne pour fuir la menace nazie et trouvent refuge dans le monde anglo-saxon. Cet exil fait éclater l’école autrichienne géographiquement et intellectuellement, à tel point qu’au sortir de la guerre, la part de la pensée de Menger qui s’oppose à celle de Walras et Jevons aurait pu tomber dans l’oubli sans les efforts solitaires de Ludwig von Mises.

Dans son magnum opus de 1949 L’Action Humaine, celui-ci synthétise tous ses travaux antérieurs, réaffirme et développe les positions méthodologiques de Menger, prolonge et enrichit les positions substantielles qui en découlent, notamment sur la monnaie, le crédit et les cycles économiques, et reprend une vibrante défense de la liberté. Son séminaire privé, qu’il avait lancé à Vienne dès 1920 et poursuivi dans son exil à Genève puis à New York, lui vaut de fidèles disciples américains tels queMurray Rothbard, Fritz Machlup et Israel Kirzner, qui rejoignent le fidèle Hayek avec qui il crée en 1947 la Société du Mont Pèlerin. C’est ainsi que naît l’avatar contemporain de la tradition autrichienne, qu’il faudrait plutôt appeler « misesienne », tant Ludwig von Mises en est bien l’auteur central.—

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Lire la suite de la série : L’école autrichienne d’économie, une présentation (2) : Une autre

conception de l’économie L’école autrichienne d’économie, une présentation (3) :

Méthodologie et idéologie L’école autrichienne d’économie, une présentation (4) : Retour vers

le futur ?

L’école autrichienne d’économie, une présentation (2) : Une autre conception de l’économiePublié le 17 mai 2012 dans Histoire de l'économieLes libéraux se réfèrent souvent aux idées de l’école autrichienne d’économie, avec des noms célèbres comme Hayek ou Mises. Mais qui sont ces curieux animaux autrichiens ?Contrepoints vous propose une courte présentation par l’un de ses meilleurs connaisseurs.Par Gérard Dréan.

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2e partie : Une autre conception de l’économieVue de l’extérieur, la tradition autrichienne est connue (plus ou moins) pour trois composantes. La plus connue est une théorie des cycles économiques, selon laquelle les crises sont la conséquence obligée des bulles, qui résultent elles-mêmes intégralement des manipulations de la monnaie et du crédit par l’État. Viennent ensuite sa position « ultralibérale », selon laquelle toute intervention de l’État dans l’économie est contre-productive et doit être proscrite. Enfin une méthode réputée « non scientifique », ce qui est censé invalider les positions substantielles qui précèdent.

En réalité, c’est précisément cette méthode qui est au fondement de la tradition autrichienne et la sépare radicalement de l’orthodoxie contemporaine. Elle part d’une réflexion épistémologique – la définition de l’économie en tant que discipline – et d’une réflexion ontologique – les caractéristiques des objets et des phénomènes dont traite cette discipline –  pour en déduire les méthodes qui permettent d’atteindre les objectifs de la discipline étant donné la nature de son objet. Sur tous ces points, la tradition autrichienne prolonge et explicite les conceptions des classiques, des Scolastiquesdu XVIe siècle à John Stuart Mill, David Ricardo et au-delà, en passant notamment par Turgot, Adam Smith et Jean-Baptiste Say.Les économistes classiques partaient de l’idée universellement admise que toute science a pour but d’expliquer aussi exactement que possible

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certains phénomènes concrets qui composent le monde, en découvrant entre ces phénomènes des relations causales universelles, qu’on appelle des lois. Découvrir ces lois exige d’étudier les processus concrets qui mènent des causes aux effets, en commençant par observer attentivement les phénomènes qu’on cherche à expliquer.

Que révèle cette observation ? D’abord que ces phénomènes sont d’une extrême complexité. Chaque évènement résulte d’innombrables évènements antérieurs et aura d’innombrables conséquences. Conformément à la méthode mise à l’honneur par Descartes, il convient de rechercher les effets de chaque cause prise séparément avant de chercher à les combiner, ce que John Stuart Mill énonce « Quand un effet dépend de l’action simultanée de plusieurs causes, ces causes doivent être étudiées une par une, et leurs lois examinées séparément, si nous voulons, par la connaissance des causes, obtenir le pouvoir de prédire ou de contrôler les effets, puisque la loi de l’effet se compose des lois de toutes les causes qui le déterminent. » [1].Deuxièmement, la substance des phénomènes économiques est faite des actions des êtres humains, que nous pouvons observer en détail, contrairement aux phénomènes élémentaires des sciences physiques. Comme l’écrit John Elliott Cairnes : « L’économiste peut ainsi être considéré dès le début de ses recherches comme déjà en possession des principes ultimes qui gouvernent les phénomènes qui forment the sujet de son étude, et dont la découverte dans le cas de la recherche physique constitue pour le chercheur sa tâche la plus ardue ; mais d’un autre côté, l’usage de l’expérimentation lui est interdit. » [2]. Les lois de l’économie peuvent donc se déduire logiquement de la connaissance de l’action humaine, mais ne peuvent pas être validées de façon certaine par l’expérience.

Nous savons aussi que les actions des humains ne peuvent en aucun cas être prévues avec certitude et précision. Les lois de l’économie ne peuvent fournir que des prévisions approximatives, d’autant qu’elles concernent la résultante d’un très grand nombre d’actions indépendantes. Au total, comme le dit Jean-Baptiste Say, les grandeurs économiques ne sont pas mesurables : « ce serait vainement qu’on s’imaginerait donner plus de précision et une marche plus sûre à cette science, en appliquant les mathématiques à la solution de ses problèmes. Les valeurs et les quantités dont elle s’occupe, étant susceptibles de plus et de moins, sembleraient devoir entrer dans le domaine des mathématiques ; mais elles sont en même temps soumises à l’influence des facultés, des besoins, des volontés des hommes ; or, on peut bien savoir dans quel sens agissent ces actions diverses, mais on ne peut pas apprécier rigoureusement leur influence ;

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de là l’impossibilité d’y trouver des données suffisamment exactes pour en faire la base d’un calcul. » [3].Sous l’influence de Jevons et Walras les économistes adoptent une conception de l’économie inspirée de la physique et s’orientent de plus en plus vers la construction de modèles où la possibilité de traitement mathématique l’emporte sur le réalisme, l’agent élémentaire étant par hypothèse réduit au simple automate qu’est le mythique homo economicus rationnel et omniscient. Menger, et après lui les autres auteurs « autrichiens », ne font que rester fidèles à cette définition de l’économie comme une étude de la réalité qui repose sur une connaissance approfondie de cette réalité, et d’abord des êtres humains réels. Sa finalité est d’éclairer les enchainements qui conduisent des causes à leurs effets au fil du passage du temps, non de caractériser de mythiques états d’équilibre.Les autrichiens partent du constat que tous les phénomènes économiques sont le résultat de l’action combinée de multitudes d’êtres humains dotés d’intentions et de libre arbitre, mais imparfaits tant dans leurs raisonnements que dans l’information dont ils disposent. Il est impossible à qui que ce soit de prévoir avec exactitude les actions que les uns entreprendront en réaction aux actions des autres, et donc a fortiori de prévoir les résultats combinés de toutes ces actions. De cette différence radicale entre l’objet des sciences physiques et celui de l’économie (et des sciences sociales en général), il résulte que les méthodes applicables aux unes et aux autres, ainsi que les résultats qu’on peut en espérer, sont radicalement différentes.

Les textes « autrichiens » sont donc écrits en prose courante et ne font que très exceptionnellement appel aux mathématiques ; et quand ils le font, c’est en tant qu’instrument d’exposition et non de raisonnement. Ils s’intéressent à des processus, à des relations de cause à effet et non à des équilibres et des relations fonctionnelles entre grandeurs. Ils rattachent explicitement tous les phénomènes économiques à l’action individuelle des êtres humains concrets et non au modèle abstrait de l’homo economicus, et dénient toute pertinence à l’étude isolée des agrégats nationaux. Quand ils proposent des « lois » de l’économie, ce sont des relations purement qualitatives qui ne prennent pas la forme d’égalités numériques. Enfin, puisque les « autrichiens » refusent à l’État toute efficacité (et, passant à la philosophie politique, toute légitimité) pour intervenir dans l’économie, ils ne fournissent pas de préconisations pour les « conseillers du Prince », si ce n’est de s’abstenir de toute intervention dans le fonctionnement de l’économie.—Lire les autres parties de la série : L’école autrichienne d’économie, une présentation (1) : Histoire

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L’école autrichienne d’économie, une présentation (3) : Méthodologie et idéologie

L’école autrichienne d’économie, une présentation (4) : Retour vers le futur ?

Notes :[note][1] When an effect depends upon a concurrence of causes, those causes must be studied one at a time, and their laws separately investigated, if we wish, through the causes, to obtain the power of either predicting or controlling the effect; since the law of the effect is compounded of the laws of all the causes which determine it (A System of Logic, 1848).[2] The economist may thus be considered at the outset of his researches as already in possession of those ultimate principles governing the phenomena which form the subject of his study, the discovery of which in the case of physical investigation constitutes for the inquirer his most arduous task; but, on the other hand, he is excluded from the use of experiment. (The character and logical method of political economy, 1875).[3] Traité d’économie politique, discours préliminaire (1803). [/note]

L’école autrichienne d’économie, une présentation (3) : Méthodologie et idéologiePublié le 20 mai 2012 dans Histoire de l'économie

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Après avoir présenté l’histoire et la conception de l’économie des auteurs de la tradition autrichienne, Gérard Dréan présente aujourd’hui les liens entre la méthodologie mobilisée par ceux-ci et leurs idées libérales. Dans quelle mesure le libéralisme économique de l’école autrichienne se déduit-il de ses fondements méthodologiques ?

Par Gérard Dréan.

Friedrich von Hayek et Ludwig von Mises.3e partie : Méthodologie et idéologieSi l’originalité fondatrice de la tradition autrichienne est d’ordre méthodologique, il n’en reste pas moins qu’elle est surtout connue comme une idéologie libérale, voire « ultralibérale », à laquelle on associe généralement le nom de Hayek. Quel est donc le lien entre les deux ? Dans quelle mesure le libéralisme économique de l’école autrichienne se déduit-il de ses fondements méthodologiques ?Les fondateurs Menger, Wieser et Böhm-Bawerk se sont relativement peu exprimés sur cette question, mais ont pris des positions plus ou moins proches des classiques anglais. C’est Mises qui a inauguré au sein de l’école autrichienne une tradition très libérale en la reliant explicitement à ses bases méthodologiques.Un thème autrichien fondamental est que personne ne peut prévoir de façon précise et certaine les conséquences économiques des actions humaines. L’économie doit être une science modeste, qui vise à expliquer la réalité, pas à prescrire des actions. En élucidant les relations qui lient les effets aux causes, elle peut dire quelles

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conséquences entraîne telle ou telle action, et peut en déduire des prescriptions du genre : si vous visez tel but, entreprenez plutôt telles actions et abstenez-vous plutôt de telles autres. Mais elle ne peut donner aucune recette infaillible pour obtenir un résultat visé a priori. Croire le contraire, c’est succomber à la « présomption fatale » que dénonce Hayek dans son refus du constructivisme, la croyance qu’étant donné un objectif, la science permet de définir ex ante un plan d’action qui y aboutira nécessairement.De plus, l’économie ne dit rien quant aux buts de l’action eux-mêmes. C’est une science des moyens et non des fins. Les fins de l’action sont des décisions purement subjectives et constituent des données pour l’analyse économique. Enfin, dans la conception subjectiviste de la valeur qui est celle de l’école autrichienne, il est également impossible de juger si les conséquences d’une action sont bonnes ou mauvaises de façon absolue.

Toute action vise à améliorer le bien-être (au sens large) de certains, et d’abord de celui qui entreprend l’action, mais aussi peut-être celui de tiers. C’est en tous cas un objectif revendiqué par les politiques. Or, si tout échange libre améliore nécessairement le bien-être de ceux qui ont décidé de le faire (sinon celui qui se serait senti lésé aurait refusé et l’échange ne se serait pas réalisé), il peut dégrader le bien-être de tiers qui n’ont pas participé à l’échange. C’est ce que les économistes appellent des externalités. De plus, toute intervention étatique favorise certains au détriment d’autres.

Le réalisme qui caractérise l’école autrichienne lui impose de tenir compte de la diversité des situations, des possibilités, des aspirations et des valeurs, qui est un des moteurs essentiels de la vie économique. Elle refuse les représentations simplistes comme l’homo economicus ou les « agents représentatifs ». Elle conçoit les valeurs comme caractéristiques de la relation entre un individu particulier et quelque chose qui lui est extérieur, et accepte ces valeurs subjectives comme des données externes à la discipline économique, sans porter de jugements sur ces jugements eux-mêmes. Elle est « indépendante des valeurs » (wertfrei en allemand ou value-free en anglais).Toute action a donc des conséquences que les uns jugeront positives et que d’autres jugeront négatives, sans qu’il puisse exister un moyen d’intégrer ces jugements en un jugement de valeur unique. En effet, les fins, les jugements et les actions n’existent qu’au niveau des individus. Aucun collectif n’a de jugements ni d’objectifs, aucun collectif n’agit. C’est une erreur méthodologique fondamentale de prêter à un collectif les attributs de l’individu.

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Ces impossibilités condamnent toute tentative de construire la société, fût-ce dans l’espoir de faire le bien de l’humanité, par des actes d’autorité décidés unilatéralement par un pouvoir, quelles qu’en soient la nature et l’origine. Toute action humaine, dans la mesure où elle affecte d’autres que son auteur, doit être soumise en permanence à leur jugement, et confrontée à d’autres actions visant les mêmes objectifs ou utilisant les mêmes ressources. Le caractère socialement bénéfique ou socialement nuisible d’une action ne peut être découvert que par l’expérimentation. Le progrès ne peut être que le fruit de la créativité individuelle.

Appliqué à des produits et des services, ce principe définit le marché concurrentiel, qui est la recherche par chacun du meilleur moyen de rendre service à ses semblables. Cette concurrence « catallactique » est le contraire de la compétition biologique. À l’opposé de la guerre de tous contre tous, c’est la coopération de tous avec tous pour le bien de tous. Ce que chacun fait, il le fait aussi librement qu’il est possible. S’il fait quelque chose pour les autres, les autres le lui rendent en vertu de contrats réciproques et non de directives imposées sans contrepartie. Le marché apparaît ainsi comme la forme idéale d’organisation sociale, et le premier devoir de tout gouvernement est de protéger son libre fonctionnement.

Plus qu’un système d’échanges, le marché est un système d’information. Les prix qu’il produit synthétisent l’information dont chaque agent a besoin pour guider ses actes économiques de production et d’échange. Il faut donc les laisser se former librement et ne pas les distordre par des réglementations ou des interventions autoritaires, ni en manipulant l’instrument d’échange universel qu’est la monnaie.

Plus généralement, comme a dit Max Weber, toute intervention du gouvernement implique par définition la violence. Elle favorise certains objectifs jugés désirables par le gouvernement au détriment de ceux que les individus choisiraient s’ils étaient laissés libres, sinon il n’y aurait pas besoin de violence, donc d’intervention gouvernementale. Plusieurs penseurs, à commencer par Condillac au XVIIIe siècle, Humboldt et Bastiat au XIXe, puis Mises et Rothbard au XXe, se sont attachés à montrer que ces interventions ont la plupart du temps des effets contraires à ceux qui étaient recherchés, et sont donc contre- productives au regard même des valeurs au nom desquelles elles ont été entreprises.Appliquées à des projets d’organisation de la société, ces idées définissent le libéralisme politique et la croyance en la supériorité des ordres spontanés théorisés par Hayek, mais déjà évoqués

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parMandeville (1705) et Hume (1740), et même par le Taoïsme dès le IVe siècle avant JC.Certes, les sociétés humaines ne seront jamais parfaites ou idéales. Les Autrichiens récusent d’ailleurs ces notions de perfection ou d’optimum comme dénuées de pertinence en économie, mais ils font confiance aux humains et à la part d’altruisme qui réside en chacun pour inventer en permanence des solutions à leurs problèmes et des moyens d’améliorer leur sort pour autant qu’ils en soient laissés libres. Les Autrichiens rejoignent ainsi la grande tradition de la philosophie libérale, dont la plupart d’entre eux se réclament explicitement.

De ce qu’il est convenu d’appeler le libéralisme classique de Smith ou Say, les Autrichiens contemporains retiennent l’idée générale du gouvernement limité, mais diffèrent quand il s’agit de spécifier exactement ces limites. La plupart suivent Mises en restreignant le domaine légitime de l’État à la protection des libertés, encadrés d’un côté par les libertariens comme Rothbard qui refusent l’existence même de l’État, et de l’autre par des auteurs plus conciliants tels que Hayek qui acceptent que l’État puisse agir de façon ponctuelle et limitée.—-Suite de la série à venir sur Contrepoints.À lire, les autres articles de la série : L’école autrichienne d’économie, une présentation (1) : Histoire L’école autrichienne d’économie, une présentation (2) : Une autre

conception de l’économie L’école autrichienne d’économie, une présentation (4) : Retour vers

le futur ?

L’école autrichienne d’économie, une présentation (4) :

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Retour vers le futur ?Publié le 22 mai 2012 dans Histoire de l'économiePour terminer cette série de chroniques consacrées à la tradition autrichienne d’économie, l’auteur nous conte, avec un certain optimisme, le mouvement de retour qui s’est opéré durant les 50 dernières années au sein de l’économie orthodoxe vers des positions autrefois développées par Mises.

Par Gérard Dréan.

4e partie : Retour vers le futur ?Au cours du XXe siècle, le courant issu de Walras et renforcé par les émules de Keynes a progressivement occupé presque tout l’espace de la discipline économique. La tradition classique est devenue une antiquité qui n’intéresse que les historiens, et la tradition autrichienne qui en perpétue la branche française, et à travers elle la grande tradition aristotélicienne, est considérée comme une hérésie un peu ridicule, périmée dans son paradigme et dans ses thèses, et dangereuse par ses positions dites « ultralibérales ».

La tradition autrichienne est néanmoins maintenue vivace, d’une part grâce à quelques universitaires isolés, par exemple en France Pascal Salin, ou Jorg-Guido Hülsmann à Angers, sans parler d’autres à qui

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j’aurais peur de rendre un mauvais service en les citant, tant les « autrichiens » sont moqués par leurs collègues à proportion de la visibilité de leur adhésion à la tradition autrichienne. Elle est aussi présente sur un certain nombre de blogs, mais son foyer principal est le Ludwig von Mises Institute (mises.org).Mais à côté de cette critique frontale de l’orthodoxie dominante se produit un mouvement souterrain peut-être plus significatif. L’orthodoxie évolue. Au départ, elle héritait de sa source walrasienne la représentation de l’être humain en tant qu’agent économique par un automate, le modèle de l’homo economicus maximisateur omniscient et parfaitement rationnel, afin de pouvoir appliquer à l’économie les techniques mathématiques. Un peu plus tard, elle héritait de sa source keynesienne la mission autoproclamée de guider l’action des États en prévoyant de façon aussi précise que possible les conséquences de leurs actions, ce qui renforce le besoin de recourir aux mathématiques. Pour cela, elle prenait le parti de considérer les organisations ou les agrégats tels qu’une nation comme d’autres individus (des « agents représentatifs ») dont les actes sont sans lien avec ceux des êtres humains qui les composent, en adoptant le principe du « no bridge » entre la microéconomie et la macroéconomie.Mais en abordant sur ces bases un nombre croissant de problèmes divers, de nombreux économistes ont pris conscience des insuffisances du paradigme dit « néoclassique ». L’orthodoxie a alors donné naissance à de multiples sous-écoles. Les uns se livrent à des études de plus en plus étroites à l’aide de modèles de plus en plus sophistiqués sur le plan mathématique, mais de plus en plus déconnectés de la réalité, et qui souvent partent d’hypothèses qui s’écartent du paradigme initial. D’autres se contentent de travaux empiriques, en mobilisant des théories ad hoc empruntées aux diverses écoles de pensée. Pour tous ceux-là, la part théorique de l’économie n’est qu’une boîte à outils, où chacun peut avoir son utilité sans qu’il soit besoin d’un fondement théorique commun. Rares sont ceux qui prennent acte de la faillite du paradigme néoclassique et en entreprennent une critique épistémo-méthodologique qui pourrait poser les fondements d’une reconstruction.

Néanmoins, dans les 50 dernières années, plusieurs écoles de pensée ont introduit dans la théorie, une par une, des modifications du modèle de l’agent qui le rapprochent de l’être humain réel : la rationalité limitée (Herbert Simon), l’information imparfaite, l’incertitude, les croyances, l’apprentissage. Plus récemment, l’économie expérimentale tente de faire reposer l’économie sur l’observation du comportement réel des êtres humains. D’autres développements visent à prendre en compte les organisations et leur logique de fonctionnement interne, ainsi que les institutions dans lesquelles les agents économiques sont

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immergés. Parallèlement, les interactions entre les différents types d’agents échappent de plus en plus à la caricature du marché walrasien et sont étudiées dans une perspective dynamique avec la réintroduction du temps et de l’incertitude. L’intérêt se déplace de l’étude de l’équilibre vers celle des processus. Nombre d’auteurs se passent dorénavant de toute formulation mathématique.

Les économistes du courant principal, nourris par le modèle néoclassique, considèrent toutes ces idées comme d’importantes avancées que les travaux les plus récents réussissent à intégrer dans ce qui est considéré comme l’orthodoxie. Dans la mesure où ces idées venaient initialement contester la vision dominante, ils concluent avec satisfaction que leur orthodoxie a définitivement vaincu toutes les hétérodoxies, dont la tradition autrichienne.Or il ne s’agit nullement de faits nouveaux qui auraient été récemment découverts, mais de faits connus depuis des siècles, qui étaient pris en compte par les économistes classiques, et que l’économie walrasienne avait éliminé de son modèle de l’économie. Autrement dit, cette assimilation des hétérodoxies est en réalité un mouvement de retour vers les positions classiques longtemps occultées, sapant ainsi lentement les fondements même de l’orthodoxie qui s’était constituée en décidant de les ignorer, et revenant sur ces questions fondamentales aux positions autrichiennes perpétuées et développées par Mises.

Même s’ils vont dans le bon sens, il n’est pas interdit de juger un peu pathétiques ces efforts pour traiter les phénomènes du monde réel en bricolant une théorie construite sur l’hypothèse que ces phénomènes n’existent pas. Une excessive fidélité à la théorie standard est devenue un obstacle au progrès de la connaissance, et le détour par l’économie néoclassique se révèle plus nuisible qu’utile.

Pour retrouver le bon chemin, la voie la plus sûre et la plus rapide serait donc de revenir au point où les économistes se sont fourvoyés en suivant Walras puis Keynes, pour retrouver avec Menger l’axe majeur de la pensée économique et y rejoindre le plus vite possible leurs collègues de l’école autrichienne et leur maître à tous Ludwig von Mises. La boucle sera alors bouclée, et on pourra rêver aux progrès qu’aurait pu faire l’économie si les meilleurs esprits qui s’y sont consacrés ne s’étaient pas laissé égarer par Walras, Keynes et leurs émules, et à ce que serait le monde si les gouvernants ne les avaient pas suivis.

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À lire, les trois premières parties de la série : L’école autrichienne d’économie, une présentation (1) : Histoire L’école autrichienne d’économie, une présentation (2) : Une autre

conception de l’économie L’école autrichienne d’économie, une présentation (3) :

Méthodologie et idéologie

Qu’est-ce que le libéralisme ?Publié le 22 décembre 2013 dans PhilosophieInjustement méconnu, le libéralisme mérite une présentation moins caricaturale que celle qui en est donnée quotidiennement en France.Par Gérard Dréan.

Lorsque les mots perdent leur sens, les gens perdent leur liberté (Confucius)

La véritable doctrine libérale est une grande méconnue, au point que même d’éminents contributeurs de Sociétal n’en ont qu’une idée imparfaite. Le présent article a pour but d’en rappeler les fondements, tels qu’ils ont été établis et enseignés par les grands auteurs, et de dissiper les erreurs les plus courantes, par exemple : croire qu’il est possible de dissocier, voire d’opposer, un libéralisme

philosophique et un libéralisme économique ; croire que le libéralisme trouve sa seule justification (ou sa

condamnation) dans ses effets économiques ; croire que le libéralisme est lié à la théorie néoclassique de

l’équilibre général, et en particulier aux mythes de l’homo economicus et de la concurrence « pure et parfaite » ;

croire que le libéralisme ignore les liens sociaux ou en prône l’effacement ;

croire que le libéralisme s’oppose à toute forme d’action collective.De nombreux auteurs ont relevé qu’il existe de nombreuses formes de libéralisme1. Mais toutes ces variantes ont en commun une

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préconisation forte qui en forme le noyau dur : limiter de façon stricte l’intervention de l’État, seules les justes limites à lui fixer différant selon les écoles.Cette position est l’aboutissement commun de plusieurs courants de pensée. En schématisant, il existe d’une part une approche « conséquentialiste » ou utilitariste, dans laquelle le libéralisme est justifié par les résultats auxquels il conduit, et une approche déontologique, dans laquelle le libéralisme repose sur des principes philosophiques universels. Cette distinction s’accompagne d’une autre : pour les conséquentialistes, il est légitime de considérer séparément des doctrines libérales dans chaque domaine : moral, religieux, politique, économique etc. Pour les déontologistes au contraire, il existe une seule doctrine libérale qui s’applique uniformément dans tous ces domaines.

Les versions conséquentialistes du libéralisme économiqueTordons d’abord le cou à la variante la plus connue de l’approche conséquentialiste : sa prétendue justification par la théorie néoclassique de l’équilibre général.

On sait que Léon Walras a montré que, sous certaines conditions, le libre jeu des forces économiques conduit à un équilibre général et que son disciple Vilfredo Pareto a montré que cet équilibre est un optimum dans la mesure où il est impossible d’améliorer la situation d’un agent sans dégrader au moins autant celle d’un autre. Conclusion : il faut laisser jouer librement les forces économiques, car cela conduit automatiquement à l’optimum. On aurait ainsi « démontré mathématiquement la supériorité du libéralisme »2.Comme l’ont relevé d’innombrables auteurs célèbres ou obscurs3, cette position ne résiste pas à l’examen. L’équilibre économique et les hypothèses sur lesquelles il repose, l’agent économique rationnel (le trop célèbre homo economicus) et la concurrence « pure et parfaite » (qui est la négation de la concurrence réelle), ne sont en aucune façon des phénomènes réels ou réalisables, mais des constructions intellectuelles destinées à aider à la réflexion. Il en va de même de l’optimum de Pareto, dont rien ne permet de penser qu’il soit une situation particulièrement désirable. Le seul débat pertinent à leur sujet est de nature méthodologique : dans quelle mesure ces constructions imaginaires sont-elles utiles à la compréhension de la réalité[4. À mon avis très peu, mais c’est un autre débat] ?Loin d’atteindre le sommet de la science économique, Arrow et Debreu, en explicitant toutes les hypothèses qui doivent être vérifiées pour que les équations de l’équilibre général admettent une solution, ont au contraire démontré que ce modèle n’est pas autre chose qu’une curiosité mathématique à des années-lumière de la réalité. La rigueur

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scientifique commanderait de le remiser, et avec lui toutes ses hypothèses constitutives et ses développements ultérieurs, au placard des gadgets inutiles. La discipline économique aurait alors une chance de sortir enfin de l’impasse cognitive où ses gros bataillons se sont enfermés depuis le début du vingtième siècle.

Il est donc vain de faire reposer une prétendue démonstration de la supériorité du libéralisme sur la théorie de l’équilibre général ; mais pour la même raison il est tout aussi vain de prétendre réfuter le libéralisme en réfutant cette théorie, ou de justifier l’intervention de l’État en montrant que le libre jeu du marché ne conduit pas à l’optimum. Certains auteurs (Barone, Lange, Lerner) ont d’ailleurs utilisé aussi bien la théorie de l’équilibre général pour justifier la planification centralisée. De toute façon, le libéralisme n’a pas attendu Walras, et cette même condamnation de la théorie néo-classique est exprimée de façon encore plus radicale par des auteurs réputés « ultra-libéraux » comme ceux de l’école dite « autrichienne ». La critique des mythes néoclassiques laisse intact un raisonnement conséquentialiste beaucoup plus ancien, où l’intervention de l’État dans l’économie est condamnée pour ses effets, ainsi qu’un raisonnement « déontologiste » tout aussi ancien, où le libéralisme économique n’est que l’application au domaine économique de principes philosophiques a priori.

La version conséquentialiste du libéralisme économiqueLe conséquentialisme invite à juger chaque action possible à ses résultats, notamment celles de l’État. Cette approche analytique aboutit à un continuum disparate de positions plus ou moins libérales sur une infinie variété de sujets, mais qui reposent quand même sur deux idées fondatrices du libéralisme.

La première, celle que l’État n’a pas a priori tous les pouvoirs, mais seulement ceux que les citoyens lui confient librement. Un gouvernement, disait Herbert Spencer, n’est qu’un agent employé en commun par un certain nombre d’individus pour obtenir certains services.La deuxième, que la décision de confier ou non tel ou tel rôle à l’État doit se faire au cas par cas en fonction de l’efficacité de l’État comparée à celle de l’initiative privée. De là à dire que l’État ne doit en aucun cas s’arroger le monopole des actions qui lui sont confiées, et doit être systématiquement mis en concurrence afin que sa supériorité soit vérifiée en permanence, il n’y a qu’un pas.

On arrive ainsi à une critique plus générale de toute intervention de l’État, pas limitée au domaine de l’économie. Toute action est nécessairement guidée par une prévision de ses résultats, qui fait

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partie de la « théorie du monde » de l’agent qui l’entreprend. Or cette théorie est par définition subjective et nécessairement imparfaite. Mais si un individu agit selon une théorie fausse, les conséquences de son erreur sont limitées (ce qui est d’ailleurs une justification conséquentialiste de la propriété privée). Et quand il comprend qu’il s’est trompé, son souci de son propre intérêt le poussera à modifier sa théorie jusqu’à ce qu’elle devienne plus exacte. Dans un marché libre, les agents dont la théorie du monde se révèle erronée sont vite amenés à en changer et à découvrir progressivement « les vraies lois de l’économie ».

L’État fonctionne différemment. Sa caractéristique distinctive est l’usage de la contrainte, ce que Max Weber a appelé « le monopole de la violence légitime » et qu’il serait plus correct d’appeler le monopole légal de la violence (légitime ou non, comme nous le voyons hélas tous les jours). Ce monopole lui donne le privilège de pouvoir s’obstiner dans l’application de théories fausses et dans des actions dont les résultats vont à l’encontre même du but qu’elles visent, et de s’enfoncer dans l’erreur en tentant de corriger les effets de ses erreurs passées par de nouvelles erreurs encore plus funestes. De plus, il prétend agir non dans son propre intérêt, mais dans un « intérêt général » mal défini et qu’il n’a aucun moyen de mesurer.En soustrayant ses actions au verdict permanent du marché, l’État se prive à la fois des moyens de vérifier que son offre reste adaptée à la demande et que ses méthodes sont bien les plus efficaces, ainsi que de la motivation pour les améliorer sans cesse. Quelle que soit la bonne volonté et la compétence de ses agents, on peut donc s’attendre à ce que l’État agisse moins efficacement que des entreprises en concurrence. C’est ce qu’exprimait déjà Turgot en 1759 : « L’intérêt particulier abandonné à lui-même produira plus sûrement le bien général que les opérations du gouvernement, toujours fautives et nécessairement dirigées par une théorie vague et incertaine »4. Même si personne ne peut savoir ce que serait un hypothétique « optimum économique », on peut affirmer que l’État ne peut pas mieux s’en approcher que le libre jeu des intérêts particuliers.De ces deux justifications conséquentialistes, on peut oublier celle qui repose sur l’équilibre général néoclassique. Elle ne mérite d’être mentionnée que parce qu’elle est la plus connue et la cible de tous les antilibéraux. Nombreux sont en effet les auteurs qui croient pouvoir régler définitivement son compte au libéralisme en réfutant la position néo-classique, ou plus généralement en lui opposant des arguments de nature strictement économique. Mais ceux-là perdent leur temps : leurs arguments sont hors sujet et n’effleurent même pas la véritable doctrine libérale.

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Les fondements déontologiques du libéralismeLe véritable libéralisme est de nature déontologique. Il affirme des principes qui doivent être respectés par tous, en toutes circonstances et quelles qu’en soient les conséquences. Son dogme fondateur est « tous les hommes sont libres et égaux en droits », ou comme disait Diderot : « aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres5».Cette idée qu’aucun être humain n’a le droit d’exercer une contrainte sur un autre être humain est au cœur de la pensée chrétienne, de l’humanisme de la Renaissance et de la philosophie des Lumières. Elle se traduit entre autres par la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789.

Notons bien que ce n’est pas de « l’Homme » abstrait que parle cette philosophie, mais de chaque être humain individuel concret. Elle ne se contente pas de dire in abstracto : « l’Homme est libre » ; le Principe de Liberté qu’elle énonce est : « chaque être humain est libre d’agir comme il l’entend conformément à ses aspirations, à sa situation et à ses capacités. »Elle ne parle pas non plus de liberté dans un quelconque sens métaphysique absolu, mais comme de la faculté pour chaque être humain particulier de choisir entre plusieurs actions possibles dans une situation donnée. Chacun de nos choix est soumis à des contraintes, mais il serait absurde de dire que les lois physico-chimiques qui gouvernent les phénomènes du monde sensible sont des obstacles à notre liberté. Un homme seul au monde serait aussi totalement libre qu’il est possible de l’être, et pourtant il resterait soumis aux lois de la nature.

Le mot même de liberté n’a de sens que relativement aux entraves que pourraient lui opposer les autres êtres humains. Le même principe de liberté peut donc s’énoncer sous forme négative : « aucun être humain n’a le droit de priver un autre être humain de sa liberté d’agir comme il l’entend conformément à ses aspirations, à sa situation et à ses capacités ». Ainsi formulé, ce principe d’égale liberté prend un sens opérationnel, celui d’une éthique de l’action qui reste valable même si, comme l’enseigne Spinoza, notre liberté n’était qu’une illusion6.Sous ses deux formes, positive et négative, le principe libéral a valeur de dogme. Comme dit la Déclaration d’indépendance des États-Unis : « nous tenons ces vérités pour évidentes ». Le propre du libéralisme est d’aller jusqu’au bout des conséquences de ce principe. Si les libéraux sont souvent taxés de dogmatisme, c’est parce qu’en effet, pour eux, on ne transige pas avec la liberté. Au niveau individuel, le principe libéral ne prescrit aucun comportement particulier, pas plus l’égoïsme que l’altruisme, le matérialisme que l’idéalisme, l’athéisme que la

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religion. Il se borne à interdire l’usage de la contrainte en matière religieuse ou morale, comme dans toutes les autres matières. Dans l’ensemble de règles que chacun de nous suit dans son comportement individuel, le libéralisme n’en introduit qu’une seule : tu n’exerceras aucune contrainte envers autrui. C’est en quelque sorte une morale minimale de tolérance qui permet à chacun de choisir librement les autres règles qu’il veut suivre, une simple éthique de l’action qui dit qu’un certain moyen, la contrainte sur les autres, est inacceptable, mais qui laisse chacun totalement libre de choisir ses fins et les autres moyens de les atteindre. C’est une version généralisée du principe de laïcité.Il s’ensuit que toutes les controverses sur les différentes règles morales ou les différents comportements individuels sont sans incidence sur la règle libérale elle-même. Dire « il faut se comporter de telle façon » n’autorise personne à y contraindre quiconque, quel que soit le bien-fondé de ce précepte et le nombre de ceux qui y adhèrent. La règle libérale est ainsi compatible avec toutes les autres règles, qu’elles soient éthiques, philosophiques ou religieuses, tant qu’elles ne commandent pas d’exercer une contrainte sur d’autres êtres humains, quel que soit le prétexte donné pour cela. Elle transcende les autres règles et leur est indifférente en les admettant toutes. Par rapport aux principes libéraux, les controverses éthiques (comme d’ailleurs les controverses économiques) sont hors sujet.

Appliquer rigoureusement, le principe libéral « aucun être humain n’a le droit de priver un autre être humain de sa liberté d’agir comme il l’entend » conduit à refuser non seulement le gouvernement par une minorité, mais aussi la règle majoritaire sur laquelle les gouvernements démocratiques prétendent fonder leur autorité. Puisqu’un être humain ne peut avoir de droits sur un autre que si ce dernier y consent librement, un chef n’a d’autorité légitime que sur ceux qui ont librement choisi de lui obéir. Il en va de même des dirigeants politiques. Même s’ils sont démocratiquement élus, leur autorité ne s’étend qu’à ceux qui ont voté pour eux. De la même façon qu’il doit être interdit à un plus fort d’imposer sa volonté à un plus faible, il doit être interdit à un plus grand nombre d’individus d’imposer leur volonté à un plus petit nombre. Les décisions d’une majorité ne s’appliquent qu’aux membres de cette majorité, qui ne peut en aucune façon les imposer aux autres, même si c’est par l’entremise d’une organisation ad hoc appelée État. La vraie démocratie, ce n’est pas faire régner la loi de la majorité, mais au contraire protéger la liberté des individus et des minorités contre les plus forts et les plus nombreux.Pour les plus libéraux, il n’y a pas de différence sur ce point entre ceux qui se réclament du service de l’État et les autres. Une action est morale ou immorale, légitime ou illégitime, indépendamment de la

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personne ou du groupe qui l’entreprend. Les hommes de l’État n’ont pas plus le droit que les autres d’exercer la contrainte sur leurs congénères ; l’État ne peut pas plus que toute autre organisation humaine recourir à la violence contre les citoyens, quel qu’en soit le prétexte, intérêt général, « régulation », « justice sociale » ou autre.

Cette logique difficilement réfutable conduit à contester toute légitimité à l’État, dans la mesure où celui-ci se caractérise justement par l’usage de la contrainte sur toute une population, consentante ou non. C’est la position dite « libertarienne » proposée par Gustave de Molinari7 et développée par des auteurs comme Lysander Spooner et Murray Rothbard. Quelque choquante qu’elle soit pour nos esprits formés depuis des siècles à accepter l’État comme une donnée de fait, cette position n’en est pas moins la position la plus simple. Est-il permis de dire, en suivant Guillaume d’Occam : « et donc la plus satisfaisante » ?Le libéralisme classiqueAu contraire, les libéraux classiques, à la suite de Locke, Montesquieu et Benjamin Constant, admettent la nécessité d’un État. Ils reconnaissent que le monde n’est pas un éden où tout le monde serait beau et gentil. Les hommes sont ce qu’ils sont : tantôt ils s’entraident, tantôt ils se combattent. Il y a parmi eux des philanthropes et des voleurs, des redresseurs de torts et des assassins, des saints et des monstres. Chacun d’entre nous agit tantôt de façon égoïste, tantôt de façon altruiste. Il y a dans les sociétés humaines assez de tendance à la coopération pour qu’on fasse confiance, mais aussi assez de tendance à la violence pour qu’on cherche à s’en préserver.Qu’est-ce qui peut arrêter la violence ? Fondamentalement le droit de légitime défense, considéré comme un droit naturel de tout être humain. Mais alors les faibles resteraient à la merci des plus forts, et un petit groupe d’honnêtes gens resterait à la merci d’une troupe de brigands plus nombreuse et mieux armée. Seule peut arrêter la violence une force plus puissante que celle de la troupe la plus nombreuse et la plus forte, qui ne peut être que la force de la société toute entière, matérialisée par une organisation qu’on appelle l’État. Chacun doit renoncer à utiliser la violence et confier à l’État le monopole de l’exercice de la force, au service de la protection de chacun contre tous les autres.

Mais cet État est une organisation humaine comme les autres. Et puisque cette organisation a le monopole de la violence, le risque que les hommes qui la composent en abusent est permanent. L’État est à la fois dans la théorie le garant des libertés et dans la réalité la plus grave menace pour ces mêmes libertés qu’il est censé garantir. L’histoire comme la simple observation du monde contemporain montrent hélas

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amplement que les gouvernements oppriment et affament leurs peuples infiniment plus souvent qu’ils ne les protègent ou ne les servent.

Par conséquent, l’action de l’État doit être strictement limitée à la défense des libertés individuelles qui est sa raison d’être. Lui accorder le monopole de la violence légitime a pour contrepartie nécessaire de limiter son domaine d’action de façon rigoureuse, en l’enfermant dans des limites étroites par des institutions appropriées comme la démocratie et la séparation des pouvoirs. Si on laisse aux hommes de l’État la possibilité de décider où et quand ils doivent intervenir, ils finiront par intervenir toujours et partout, non parce qu’ils sont nécessairement plus mauvais que les autres, mais parce qu’ils ont le pouvoir d’imposer leur intervention, souvent avec la conviction de bien faire. Et l’approbation de la majorité ne fait qu’aggraver le danger.

Selon cette thèse, le seul rôle légitime de l’État est de permettre aux humains de vivre ensemble, même s’ils ne sont d’accord sur rien d’autre que cette volonté de vivre ensemble. L’État doit être neutre, sans opinion et sans projet autre que celui de faire régner un ordre impersonnel permettant à chacun d’exercer sa liberté au maximum et de vivre conformément à ses préférences, et non imposer à tous des options qui ne sont jamais que celles de quelques-uns, même s’ils sont en majorité. Précisément parce que les citoyens confient à l’État des pouvoirs exorbitants dans certains domaines, il doit lui être interdit d’utiliser ces pouvoirs dans d’autres domaines, par exemple la vie privée, la morale, la religion, et… l’économie.

Cette philosophie politique pourrait se résumer en trois citations : Montaigne : « Les princes me donnent prou s’ils ne m’ôtent rien, et me font assez de bien quand ils ne me font point de mal ; c’est tout ce que j’en demande  » 8 ; Jean-Baptiste Say : « À la tête d’un gouvernement, c’est déjà faire beaucoup de bien que ne pas faire de mal »9 ; Frédéric Bastiat : « N’attendre de l’État que deux choses : liberté, sécurité. Et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième »10.

Le véritable libéralisme économiqueBien que le libéralisme économique soit le principal accusé dans le discours ambiant, sa défense pourrait s’arrêter là. Les actes économiques, pour autant qu’on puisse les distinguer des autres, doivent se conformer aux mêmes préceptes. Le libéralisme économique n’est pas autre chose que l’application du libéralisme philosophique et politique aux actes économiques. L’économie n’est qu’un des domaines de l’activité humaine où l’État ne doit pas intervenir.

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Les véritables fondements du libéralisme économique sont contemporains du libéralisme politique et se trouvent chez les économistes français du dix-huitième siècle, principalement Condillac, Turgot etSay. Cette tradition a été occultée par les classiques anglais (Smith, Ricardo) et leurs lointains émules les marxistes, puis par le scientisme walrasien et la macro-économie des enfants de Keynes, mais a été maintenue vivace, encore que sous le boisseau, par l’école « autrichienne » de Menger,Mises et Hayek.Les philosophes libéraux qui ont abordé le terrain de l’économie, comme Locke, Hume, Condillac,Montesquieu ou Benjamin Constant, y ont développé des positions libérales comme conséquence directe de leurs positions philosophiques, en présentant leur libéralisme en économie comme un simple cas particulier de la limitation du pouvoir de l’État. Quant à ceux qui sont plutôt économistes, comme Say, Bastiat, Mises ou Hayek, ils ne se sont pas contentés de raisonnements conséquentialistes, mais ils ont pris le soin de rattacher leurs positions économiques à des racines philosophiques déontologiques. Les liens historiques et logiques entre les deux sont tels qu’il est impossible et absurde de distinguer un « libéralisme économique » d’un « libéralisme philosophique », et a fortiori de les opposer.Cette tradition économique « classico-autrichienne » s’oppose radicalement à la tradition néoclassique issue de Walras. Elle ne s’autorise pas à inventer son propre modèle de l’homme, mais prend les êtres humains tels qu’ils sont dans leur diversité, leur complexité, leurs limitations et la variété de leurs motivations. « L’économie étudie les actions réelles d’hommes réels. Ses théorèmes ne se réfèrent ni à l’homme idéal ni à des hommes parfaits, et pas davantage au mythique homme économique (homo œconomicus)11». Elle ne s’intéresse pas non plus à d’imaginaires équilibres, mais aux processus concrets qui modèlent la réalité économique.Du libéralisme philosophique, les économistes classiques retiennent l’idée que chaque être humain est le meilleur juge de son propre bien-être. Il en découle que la valeur que nous accordons aux choses, qui exprime le désir que nous éprouvons pour elles, est purement subjective. Et puisque ni le désir ni la satisfaction ne sont mesurables, la valeur qui en est l’expression n’est pas une grandeur mesurable. On ne peut ni comparer ni additionner les valeurs que deux individus différents attachent à un bien, ni les satisfactions qu’ils en retirent. Il n’existe pas de mesure du bien-être d’un individu ou d’un groupe, et la notion d’optimum économique est vide de sens. Tout raisonnement qui fait référence à un état « optimum » est sans objet. Loin de résumer l’homme à ses instincts matériels égoïstes comme on l’en accuse, le libéralisme constate que les motivations des humains sont trop diverses – utilitaires ou idéalistes, égoïstes ou altruistes, matérielles ou

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spirituelles – et les circonstances dans lesquelles ils sont placés sont trop variées pour qu’un quelconque modèle mathématique puisse résumer leurs choix. Le seul moyen d’intégrer les décisions des acteurs, c’est l’ensemble de leurs interactions effectives, qu’on appelle le marché. Aucun raisonnement ne peut remplacer les libres décisions des êtres humains réels. Toute tentative de planification centralisée est donc vouée à l’échec.

Mais contrairement à la légende, ces libéraux ne prétendent nullement que le libre fonctionnement du marché conduit à un optimum. Ils savent qu’il n’existe pas d’organisation sociale, réelle ou imaginaire, socialiste ou libérale, qui puisse donner intégralement satisfaction à chacun des êtres humains. Non seulement il existe des contraintes physiques, géographiques ou climatiques dont aucune action humaine ne peut s’affranchir, mais le marché libre, qui n’est rien d’autre que l’ensemble des interactions spontanées des êtres humains, et qui définit simultanément la contribution de chacun à la production et ses droits sur cette production, ne donne pas nécessairement satisfaction à tous. Tout comme la notion d’optimum économique, les notions de marché « parfait », et par conséquent d’« imperfections du marché » sont vides de sens.

Mais toutes les tentatives de justifier l’intervention de l’État par les défauts des mécanismes économiques sont sans valeur. Les hommes de l’État ne sont ni meilleurs ni plus compétents ni mieux informés que les autres, et n’ont aucune qualité pour imposer à l’ensemble de la société leurs préférences personnelles ou celles de la majorité. S’en remettre au pouvoir de l’État pour remédier à ce que les économistes néoclassiques appellent les « défaillances du marché » est pire que le mal : les défaillances de l’État sont généralement bien pires ! Ceux qui veulent que l’État intervienne partout où le marché est jugé défaillant commettent la même erreur que cet empereur romain qui devait choisir un chanteur et qui, devant les couacs du premier candidat, engagea le second sans prendre la peine de l’écouter…

En plus de ces positions qu’on peut qualifier d’ontologiques, les économistes libéraux constatent quelques évidences. D’abord que production et échanges sont indissociables : tout ce qui est consommé doit d’abord avoir été produit. Ils ne gobent pas l’ânerie popularisée par Keynes12 selon laquelle nous serions définitivement entrés dans l’ère de l’abondance, où tous les problèmes de production étant résolus, la seule question restante serait celle de la répartition des richesses. Les désirs des hommes sont illimités ; dès qu’un de leurs besoins est satisfait, ils s’en découvrent un autre, et le libéral s’interdit de décréter qu’il existe des « vrais besoins » et des « faux besoins ». Il laisse les

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moralistes et les philosophes dire aux gens comment ils devraient se conduire, et se contente d’enregistrer leur comportement effectif.La deuxième évidence, c’est qu’il n’existe pas d’autres moyens pour l’humanité d’améliorer sa condition que de mieux s’organiser et de perfectionner ses outils. Il faut donc que ceux qui ont l’idée de nouvelles façons de servir leurs congénères – les entrepreneurs au vrai sens du mot, ce qui inclut les entrepreneurs politiques – aient la liberté de mettre ces idées en œuvre et de les proposer à leurs contemporains, mais pas celle de leur imposer. Comme personne ne peut savoir à l’avance si telle ou telle proposition sera acceptée, ils doivent laisser les autres en décider, et accepter d’abandonner les offres dont personne ne veut. C’est ce qui s’appelle la concurrence.

L’ajustement des activités des uns aux désirs des autres ne peut s’effectuer que par tâtonnements incessants. Dans ces tâtonnements, l’entrepreneur est le moteur, et le consommateur le juge suprême. Le marché est l’ensemble des dispositifs institutionnels concrets par lesquels les initiatives et les intérêts des uns et des autres se confrontent et s’intègrent.

Mais comment savoir si ces tâtonnements vont dans le bon sens ? C’est là qu’intervient la troisième évidence : tout accord librement consenti augmente la satisfaction des deux parties ; s’il en était autrement, celui des deux qui se sentirait lésé refuserait cet accord et l’échange n’aurait pas lieu13. Plus généralement, tout ensemble de transactions librement consenties améliore la situation de tous ceux qui y ont participé. Contrairement à la conception néoclassique, qui voit la liberté des échanges comme un simple moyen d’arriver à un optimum économique défini par ailleurs, la conception classico-autrichienne y voit la garantie que la situation qui en résulte est jugée préférable à la situation de départ par ceux qui ont participé aux échanges.Autrement dit, la liberté des échanges est à la fois un cas particulier du principe philosophique de liberté, donc un impératif éthique qui s’impose indépendamment de ses conséquences, et (fort heureusement) le moyen qui conduit le plus probablement à la plus grande satisfaction générale. Mais la tradition autrichienne est plus moraliste qu’utilitariste : son attachement à la liberté des échanges procède plus du respect d’un principe général que d’une recherche d’efficacité. S’il devait y avoir conflit, les libéraux authentiques placeraient l’exigence éthique de liberté au-dessus du souci d’efficacité économique.

Que le marché ait besoin de règles, les libéraux ne le nient absolument pas, mais ils veulent que ces règles soient librement établies entre les intéressés, et que la seule sanction pour ceux qui ne les-respectent pas

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soit le jugement en actes de ceux dans l’intérêt desquels les règles sont établies, c’est-à-dire les êtres humains dans leur rôle de consommateurs. La régulation doit être volontaire et ne pas faire appel à la contrainte, donc pas à l’État.

On peut toujours juger insatisfaisante telle ou telle situation et penser qu’il faut agir pour la corriger. Mais il faut alors revenir à l’éthique libérale de l’action pour se demander qui doit le faire et comment, et quels sont les risques d’abus et d’effets pervers selon l’acteur qui intervient. Le bon sens et la prudence répondent que le meilleur intervenant n’est pas toujours l’État. Le libéralisme modéré dit que c’est rarement l’État, et le libertarianisme que ce n’est jamais l’État. Bref, le libéralisme n’est pas, comme on l’en accuse souvent, une confiance aveugle dans le marché ; c’est une méfiance lucide et raisonnée envers l’État. Ce libéralisme économique déontologiste est parfaitement cohérent avec la position conséquentialiste de Turgot et des économistes de l’école autrichienne. Les deux reposent sur le constat que l’être humain est profondément social et que les possibilités de son esprit sont limitées, et non comme l’équilibre général sur la fiction d’un homo economicus asocial mais omniscient. Cette forme de libéralisme est une tradition philosophique humaniste ancienne et solide, dont l’aspect proprement économique est un volet indissociable, où les considérations conséquentialistes ne sont qu’accessoires, et qu’on ne peut réfuter sans s’attaquer aux droits de l’homme les plus fondamentaux et à notre conception même de la nature humaine.

La société libéraleÀ quoi pourrait ressembler une société libérale, où l’État serait soit inexistant, soit cantonné dans son rôle de protection de chacun contre tous les autres ? Le libéralisme en tant que tel ne prescrit rien à ce sujet : la société doit être ce que les hommes, par leurs actions quotidiennes, décident librement qu’elle sera.

Cependant, le pronostic des auteurs libéraux est à l’opposé des clichés qu’inventent leurs adversaires. Les libéraux reconnaissent que les hommes sont infiniment divers, mais ils savent que, dans leur immense majorité ils cherchent à résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés et tirent les enseignements de leurs erreurs. Il en résulte que la conjonction de leurs actions spontanées tendra vraisemblablement à améliorer la condition de l’humanité, mieux que ne saurait le faire un seul, ou un petit groupe qui imposerait sa volonté aux autres.

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De plus, l’homme est un animal profondément social. Chacun naît dans un environnement socialement structuré et est totalement dépendant de cet environnement pour survivre. À part des cas ultra-minoritaires, chacun sait que la société de ses semblables est le moyen par excellence de sa propre survie et de sa propre satisfaction. Réciproquement, il est naturellement attentif aux sentiments et au bien-être de ses semblables et leur vient spontanément en aide. Le genre humain ne serait pas devenu ce qu’il est si le comportement spontané des êtres humains et de leurs lointains prédécesseurs, même si on peut choisir de l’appeler égoïste, n’était pas le plus souvent cohérent avec l’intérêt du groupe social. Adam Smith l’avait déjà noté dans son Traité des sentiments moraux. Ludwig von Mises, l’un des plus libéraux parmi les libéraux, a écrit : « L’action humaine tend par elle-même vers la coopération et l’association ; l’homme devient un être social non pas en sacrifiant ses propres intérêts à ceux d’un Moloch mythique appelé la Société, mais en visant à améliorer son propre bien-être14». Par-dessus trois siècles, il rejoint Montesquieu : « Il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers »15.Pour atteindre des objectifs qu’ils ne peuvent pas atteindre seuls, il est donc probable que les humains s’associeront pour agir ensemble dans le sens qu’ils jugent approprié, sans qu’il soit besoin de les y contraindre. Les projets de quelque importance trouveront un ou des promoteurs qui en prendront l’initiative, puis d’autres y adhéreront et rassembleront assez de partisans pour que le projet soit mis en œuvre. Tout ce que fait l’État, des associations volontaires ne recourant pas à la contrainte sont capables de le faire, et mieux, qu’il s’agisse d’associations « égoïstes » qui ne visent que l’intérêt de leurs membres ou d’associations « altruistes » qui se mettent au service de tiers, voire de la société tout entière.

À l’inverse, chaque projet particulier ne doit pas nécessairement recueillir l’adhésion de la majorité, mais seulement d’un nombre suffisant pour être mené à bien. Si un projet ne peut être réalisé que sous la contrainte, en particulier celle de l’État, c’est que le nombre d’hommes qui adhèrent à ce projet n’est pas suffisant pour qu’il puisse être mis en œuvre, ce qui suffit à prouver que, dans leur ensemble, les hommes préfèrent se consacrer à autre chose.

Au total, la société libérale ne serait pas, comme le prétendent ses détracteurs, une juxtaposition d’individus égoïstes étrangers les uns aux autres, mais plutôt un enchevêtrement d’associations volontaires de toutes natures16 à travers lesquelles chacun pourrait travailler aux fins qu’il se donne, en coopérant avec ceux qui partagent tel ou tel de

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ses idéaux, et en s’abstenant de participer aux actions qu’il désapprouve.Bien entendu, le principe libéral « nul n’a le droit de priver un être humain de sa liberté d’agir comme il l’entend conformément à ses aspirations, à sa situation et à ses capacités » s’applique à la fois aux relations entre chaque association et ses membres, entre associations distinctes et entre une association et ceux qui n’en font pas partie. Une association n’a pas le droit d’imposer quoi que ce soit, autrement que par l’exemple, la persuasion et le contrat librement consenti. À cette restriction près, toutes les actions collectives sont possibles, et chaque association, tout comme chaque être humain à titre individuel, peut se donner les règles de juste conduite qu’elle estime nécessaires, dans la mesure où elles sont librement acceptées par ses membres.

La doctrine libérale ne dit pas que « la solidarité doit être rejetée de ce monde ». Chacun a le droit (l’économiste ne dit pas le devoir, mais l’être humain qu’il est peut le penser) d’aider ses semblables dans le besoin. Elle dit seulement que ce n’est pas l’affaire des États, de même que dire que l’État n’a pas à ouvrir des garages ou des boulangeries ne signifie pas qu’il faut cesser de réparer les voitures ou de faire du pain.

On oppose souvent à la détestable société marchande une société idéale où tous les échanges prendraient la forme de dons réciproques. Les libéraux n’ont rien contre le don. La vraie question est : un tel comportement altruiste et désintéressé est-il suffisamment répandu pour être le fondement de l’ordre social ? Il est (hélas) bien clair que non. Si les êtres humains résolvaient spontanément tous leurs problèmes par le don, les libéraux ne pourraient qu’applaudir ! Mais si quelqu’un voulait imposer un système social où toutes les relations entre êtres humains prenaient la forme de dons, il ne pourrait le faire que par une intolérable tyrannie, et le système échouerait dans la misère généralisée et la guerre de tous contre tous.

C’est une grave erreur de croire que les libéraux prêchent l’égoïsme, le repli sur soi ou l’effacement des liens sociaux, et refusent toute forme d’action collective. Ce qu’ils refusent, c’est la violence et la contrainte dans les relations sociales. Et puisque la différence entre l’État et toutes les autres formes d’association est justement que l’État peut recourir à la violence, ils préfèrent ces autres formes à l’intervention de l’État.

Ce que les libéraux refusent aussi, c’est le constructivisme : l’idée selon laquelle il serait légitime pour certains hommes investis d’un pouvoir particulier d’imposer des règles sociales qu’ils auraient préalablement définies par le raisonnement. Pour un libéral, tout acte social, quelque

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élémentaire qu’il soit, doit être soumis aux autres membres de la société, qui peuvent individuellement s’y associer ou le refuser. Les structures sociales ne peuvent légitimement résulter que d’un « ordre spontané » où toutes les initiatives sont possibles, mais doivent être validées en permanence par les libres actions de l’ensemble des individus qui forment la société.

En résuméAu total, le libéralisme n’est rien d’autre que la mise en application rigoureuse, à tous les êtres humains, dans tous leurs domaines d’activité et dans toutes les circonstances, de la première phrase de l’article premier de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». Il en déduit son seul impératif moral : « nul n’a le droit de priver un autre être humain de sa liberté d’agir comme il l’entend conformément à ses aspirations, à sa situation et à ses capacités ».

En appliquant ce principe à tous les humains y compris à ceux qui exercent un pouvoir, quels que soient leur étiquette et leur mode de désignation, il se décline en libéralisme politique. En l’appliquant à tous les domaines d’action, il se décline notamment en un volet économique, qu’il complète par une conviction de nature utilitariste : c’est quand les hommes agissent librement qu’ils ont les plus grandes chances d’atteindre le mieux les objectifs qu’ils se proposent, aussi bien collectivement qu’individuellement. Le libéralisme admet tous les débats et toutes les positions substantielles quant aux fins visées et aux moyens à mettre en œuvre. Mais quelle que soit la forme, l’ampleur et la durée des réflexions et des débats, il est exclu qu’on arrive à l’unanimité. De plus, il ne suffit pas de dire quels états de la société seraient préférables à tels autres. Il faut s’interroger sur les actions qui pourraient les faire advenir. Sont-elles possibles ? Sont-elles acceptables du point de vue moral ? Quels peuvent en être les auteurs ? Quels effets, voulus ou non, peuvent-elles entraîner ? Sur chaque sujet, il y aura toujours des minorités et des dissidents. Comment les traite-t-on ? Quelles règles méritent d’être imposées à tous, au besoin par la contrainte ?

Sur ces questions, la règle libérale intervient en tant qu’éthique de l’action : je m’interdis de te contraindre à agir comme je crois que tu devrais le faire, quelles que soient mes raisons de le croire. Je m’interdis aussi de t’empêcher par la force d’agir comme tu crois devoir le faire, que ce soit directement ou en demandant l’intervention d’un tiers (par exemple l’État), et j’estime que tu as les mêmes obligations envers moi. La règle libérale bannit la violence et la

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contrainte des moyens acceptables, quelles que soient les fins visées et les intermédiaires éventuellement utilisés.

En refusant de faire une distinction entre les citoyens ordinaires et d’autres qui échapperaient à cette interdiction sous un quelconque prétexte – force supérieure, droit divin ou onction majoritaire – le libéralisme n’accorde à l’État qu’une place aussi limitée que possible, lui demande et en attend le moins possible, et ce dans tous les domaines. Pour cette raison, il est évidemment honni par les politiques de tous bords, dont le pouvoir est la raison d’être quelle que soit l’idéologie dont ils se réclament, et par ceux, économistes ou autres, qui font profession de les conseiller.

L’essence même du libéralisme étant de contester le pouvoir de l’État, les libéraux authentiques ne cherchent pas à exercer ce pouvoir. C’est pourquoi ils sont si peu nombreux parmi les politiques. Quelques uns ont tenté d’accéder au pouvoir dans le but de le détruire de l’intérieur, mais ils s’y sont trop souvent laissé engluer. A contrario, les antilibéraux de tous bords sont souvent des aspirants dictateurs, convaincus qu’ils sont que l’action libre des êtres humains conduirait à la catastrophe et que la société doit être fermement « gouvernée », par eux-mêmes et leurs amis bien entendu.

Mais alors que tous les autres devraient en bonne logique partager l’amour de la liberté et la méfiance envers le pouvoir qui caractérisent le libéralisme, ses adversaires trouvent un soutien dans la foule de ceux qui ont conservé le besoin puéril de croire à une autorité transcendante et bienveillante qui aurait la volonté et le pouvoir de résoudre tous nos problèmes. Pour le plus grand nombre, l’État a remplacé nos parents, puis Dieu dans ce rôle ; la simple existence d’un problème est prise comme une justification de l’action de l’État, dont il faudrait encore accroître l’emprise pour le résoudre. La moindre évocation d’un léger mouvement en sens inverse dans le sens d’une libération de l’activité économique est stigmatisée comme une manifestation d’« ultralibéralisme ». Comme nous l’avons vu, les attaques habituelles contre le libéralisme sont hors sujet. Réfuter la théorie de l’équilibre général n’entame en rien le raisonnement libéral. Juger qu’une situation est préférable à une autre n’autorise pas à utiliser n’importe quel moyen pour tenter d’y parvenir. Constater qu’une activité de l’État est utile ne répond ni à la question utilitariste – l’État peut-il l’assurer de façon plus efficace que l’initiative privée ? – ni à la question déontologique – est-il légitime d’utiliser la contrainte dans sa réalisation ?

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Or il est impossible de condamner le libéralisme sans condamner en même temps le principe d’égale liberté dont il est l’expression. C’est pourquoi tant de gens qui aspirent à gouverner le monde s’évertuent à en fabriquer d’odieuses caricatures qui n’ont guère de commun avec lui que le nom et ne signifient que leur propre ignorance. Espérons que cet article aura contribué à restituer son sens véritable au beau mot de libéralisme.

1. Voir par exemple Alain Laurent (La philosophie libérale, Les Belles Lettres, 2002) du côté libéral et Matthieu Douérin (Libéralismes, Éditions de la passion, 2002) de l’autre. ↩

2. comme a dit Gérard Debreu, Prix Nobel d’économie 1983. ↩3. Pour nous limiter à des succès de librairie contemporains, citons

Pierre Bourdieu, Bernard Maris et Jacques Généreux. ↩4. Éloge de Vincent de Gournay – c’est moi qui souligne. ↩5. Encyclopédie, article « Autorité ». ↩6. Ce qui répond à l’objection avancée par exemple par le spinozien

Frédéric Lordon, qui dit en substance : « puisque nous ne sommes pas réellement libres, le libéralisme est une erreur ». ↩

7. Les soirées de la rue Saint Lazare (1849). ↩8. Essais, III, 9. ↩9. Traité d’économie politique, Discours préliminaire. ↩10. Harmonies économiques. ↩11. Ludwig von Mises, L’Action Humaine, traité d’économie (1949). ↩12. Et serinée par nombre de nos contemporains… ↩13. Il semble que le premier à avoir énoncé cette vérité fondamentale

soit Destutt de Tracy dans son Traité d’Économie Politique de 1822. ↩

14. L’Action humaine. ↩15. De l’esprit des lois (1748). ↩16. L’entreprise au sens habituel du mot étant une de ces formes. ↩

La page des citationsCette page regroupe un certain nombre de citations, dont certaines sont

mentionnées dans le cours d'amphi, d'autres figurent dans les dossiers de TD. Prises isolément, ces citations ne sont pas toujours très explicites, et ne rendent pas compte de la richesse des raisonnements qu'elles illustrent. Elles présentent néanmoins en quelques mots - et surtout, dans les mots de leurs auteurs eux-mêmes, certains éléments particulièrement célèbres, significatifs, ou méconnus, de leur pensée.Thomas d’Acquin (1235 - 1274)

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Sur le profit du commerçant :« La loi humaine régit une société dont beaucoup de membres n’ont guère de vertu ; or, elle n’a pas été faite seulement pour les gens vertueux. La loi ne peut donc réprimer tout ce qui est contraire à la vertu, elle se contente de réprimer ce qui tendrait à détruire la vie en commun, on peut dire qu’elle tient tout le reste pour permis, non qu’elle l’approuve, mais elle ne le punit pas. C’est ainsi que la loi, n’infligeant pas de peine à ce sujet, permet au vendeur de majorer le prix de sa marchandise et à l’acheteur de l’acheter moins cher, pourvu qu’il n’y ait pas de fraude et qu’on ne dépasse pas certaine pas certaines limites. Mais rien de ce qui est contraire à la vertu ne reste impuni au regard de la loi divine. »ARISTOTE (-384 - -322)

Sur les esclaves... et les femmes :« D'une part les animaux domestiques sont d'une nature meilleure que les animaux sauvages, d'autre part, le meilleur pour tous est d'être gouvernés par l'homme car ils y trouvent leur sauvegarde. De même, le rapport entre mâle et femelle est par nature un rapport entre plus fort et plus faible, c'est-à-dire entre commandant et commandé. Il en est nécessairement de même chez tous les hommes. Ceux qui sont aussi éloignés des hommes libres que le corps l'est de l'âme, ou la bête de l'homme (et sont ainsi faits ceux dont l'activité consiste à se servir de leur corps, et dont c'est le meilleur parti qu'on puisse tirer), ceux-là sont par nature des esclaves; et pour eux, être commandés par un maître est une bonne chose. »« Chez l’homme, le courage est une vertu de commandement, et chez la femme une vertu de subordination »

Sur la théorie de la valeur, le travail et l'utilité (déjà !) :« Soit par exemple un architecte, un cordonnier, une maison et une chaussure : il faut faire en sorte que l’architecte reçoive du cordonnier le produit du travail de ce dernier, et lui donne en contrepartie son propre travail. Si donc tout d’abord on a établi l’égalité proportionnelle des produits et qu’ensuite seulement l’échange réciproque ait lieu, la solution sera obtenue ; et faute d’agir ainsi, le marché n’est pas égal et ne tient pas, puisque rien n’empêche que le travail de l’un n’ait une valeur supérieure à celui de l’autre, et c’est là ce qui rend une péréquation préalable indispensable. (...) C’est pourquoi toutes les choses faisant objet de transaction doivent être d’une façon quelconque commensurables entre elles. (...) Il doit donc y avoir entre un architecte et un cordonnier le même rapport qu’entre un nombre déterminé de chaussures et une maison (ou telle quantité de nourriture), faute de quoi il n’y aura ni échange ni communauté d’intérêts ; et ce rapport ne pourra être établi que si entre les biens à échanger il existe une certaine égalité. Il est donc indispensable que tous les biens soient mesurés au moyen d’un unique étalon, comme nous l’avons dit

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plus haut’. Et cet étalon n’est autre, en réalité, que le besoin qui est le lien universel »Francis BACON (1561-1626)

Une magnifique formule sur la monnaie :« La monnaie est la vie du commerce, l’esprit vital des échanges ; comme le fumier, elle n’est bonne à rien si ce n’est à être répandue. »Jean BODIN (1529-1596)

Sur le commerce international :« il n'y a personne qui gagne qu'un autre n'y perde »Pierre de BOISGUILLEBERT (1646-1714)

Sur l'argent et la théorie mercantiliste :« Il est certain que l’argent n’est pas un bien de lui-même et que sa quantité ne fait rien pour l’opulence d’un pays en général... L’argent n’est que le moyen et l’acheminement, au lieu que les denrées utiles à la vie sont la fin et le but. »« Il est aisé de voir que pour faire beaucoup de revenu dans un pays riche en denrées, il n’est pas nécessaire qu’il y ait beaucoup d’argent, mais seulement beaucoup de consommation, un million faisant plus d’effet de cette sorte que dix millions lorsqu’il n’y a point de consommation ; parce que ce million se renouvelle mille fois, et fera pour autant de revenu à chaque pas, tandis que les dix millions restés dans un coffre ne sont pas plus utiles à l’État que si c’étaient des pierres. »Richard CANTILLON (1680-1734)

Sur la théorie de la valeur :« Le travail du plus vil esclave vaut au moins et correspond à la quantité de terre que le propriétaire est obligé d’employer pour sa nourriture et ses commodités nécessaires »Jean-Baptiste COLBERT (1619–1683)

Sur le commerce international :« Le commerce est une guerre entre les entreprises et les industries de toutes les nations. Elle est conduite par 20 000 navires... »« On ne peut augmenter l’argent dans le royaume qu’en même temps que l’on en ôte la même quantité dans les États voisins. »

Sur la nécessité du travail des enfants :« L’oisiveté des premières années est la source des désordres du reste de la vie. »Gérard DEBREU (1921-2004)

Sur la théorie économique :« La supériorité du libéralisme est scientifiquement démontrée. »Friedrich ENGELS (1820-1895)

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Sur le matérialisme historique :« (...) l'histoire se fait de telle façon que le résultat final se dégage toujours des conflits d'un grand nombre de volontés individuelles, dont chacune à son tour est faite telle qu'elle est par une foule de conditions particulières d'existence ; il y a donc là d'innombrables forces qui se contrecarrent mutuellement, un groupe infini de parallélogrammes de forces, d'où ressort une résultante – l'événement historique – qui peut être regardée elle-même, à son tour, comme le produit d'une force agissant comme un tout, de façon inconsciente et aveugle. Car, ce que veut chaque individu est empêché par chaque autre et ce qui s'en dégage est quelque chose que personne n'a voulu. »Frank HAHN (né en 1925)

Sur la théorie de l'équilibre générale... et d'autres (suivez mon regard !) :« [la théorie de l’équilibre général] devrait certainement renoncer à la prétention de fournir des descriptions nécessaires de l’état final des processus économiques (…) [mais elle est utile] pour réfuter toutes sortes de points de vue politiques mal fondés »Stanley JEVONS (1835-1882)

Contre la théorie de la valeur-travail :« C’est un fait que le travail, une fois qu’il a été dépensé, n’a pas d’influence sur la valeur future d’un objet : il a disparu et est perdu pour toujours. Dans le commerce (...) nous devons toujours partir de zéro à chaque moment et payer les valeurs des choses en considérant leur utilité future. »

Sur la théorie du consommateur :« Il est possible de traiter les plaisirs et les peines de la même manière que les quantités positives et négatives sont traitées dans l’algèbre. »

Sur la lutte des classes :« Le conflit que l’on suppose entre le travail et le capital est imaginaire. Le conflit réel est entre les producteurs et les consommateurs. »Nicholas JOHANNSEN (1844-1928)

Sur l'égalité de l'épargne et de l'investissement :« Ce que l’on décrit simplement comme le processus de l’épargne est formé, en réalité, de deux éléments séparés, d’une part ce qui constitue vraiment le processus de l’épargne, c’est-à-dire le fait de mettre de l’argent de côté, et d’autre part le processus de l’investissement, au moyen duquel le nouvel équipement est construit... Beaucoup de nos économistes admettent, comme l’épargne et l’investissement vont la main dans la main, et même forment dans une certaine mesure un seul et même processus, et comme le résultat de ces activités combinées est hautement avantageux pour la communauté, que le processus de l’épargne doit en lui-même être considéré comme socialement avantageux... Cette hypothèse ne correspond pas aux faits »

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« Dans un premier stade, le processus de l’épargne est toujours accompagné par une tendance néfaste, puisque l’épargnant cherche constamment à acheter à la communauté moins de biens et de services qu’il ne lui en vend et ainsi détruit l’équilibre de l’offre et de la demande. Cet équilibre est restauré seulement par l’investissement... »John Maynard KEYNES (1883-1846)

Sur sa Théorie Générale :« Une économie monétaire est essentiellement une économie où la variation des vues sur l’avenir peut influer sur le volume actuel de l’emploi »

Sur la fixation du taux d'intérêt :« Dans la théorie classique du taux de l’intérêt, les variables indépendantes sont la courbe de la demande de capital et l’influence du taux de l’intérêt sur le montant de l’épargne issue dun revenu donné... A vrai dire, la théorie classique n’a pas pris conscience du rôle joué par les variations du revenu, ni de la possibilité que le montant du revenu dépende effectivement du flux d’investissement. »

Sur le capitalisme en tant que système :« Je pense que le capitalisme, sagement aménagé, peut être rendu probablement plus efficient pour atteindre les fins économiques que tout système alternatif pour l’instant, mais je pense que ce système était, à bien des égards, extrêmement critiquable. »

Sur le marxisme :« Comment pourrais-je adopter une doctrine qui, préférant l’ivraie au bon grain, exalte le prolétariat grossier au-dessus de la bourgeoisie et de l’intelligentsia qui, quelles que soient leurs fautes, sont le sel de la terre et portent les germes de tout progrès humain ? »« Je peux être influencé par ce qui me paraît représenter la justice et le bon sens ; mais la guerre des classes me trouvera du côté de la bourgeoisie instruite. »Thomas Robert MALTHUS (1766-1834)

Sur la loi de Say :« Il n’est pas du tout vrai, dans les faits, que des produits soient toujours échangés contre d’autres produits. La plus grande partie des produits s’échange contre du travail productif ou des services personnels ; et il est clair que cette masse de produits, comparée au travail contre lequel elle doit être échangée, peut baisser de valeur par l’effet de sa surabondance »

Sur la loi de la population :« Nous pouvons tenir pour certain que lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doublant tous les 25 ans, et croît de période en période selon une progression géométrique. »

Sur l'origine de la rente :« Le prix du produit (...) doit être à peu près égal au coût de production sur la terre de la moins bonne qualité effectivement utilisée (...) Il en résulte que

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le prix du produit (...) est fixé (...) au prix nécessaire pour obtenir le montant effectif du produit, bien que la plus grande partie, de loin, soit vendue à un prix très supérieur à ce qui est nécessaire à sa production (...). »

Sur le pauvre qui n'arrive pas à nourrir ses enfants :« Livrons donc cet homme coupable à la pein eprononcée par la nature. Il a agi contre la voie de la raison qui lui a été clairement manifestée. Il ne peut accuser personne et doit s'en prendre à lui-même si l'action qu'il a commise a pour lui des suites fâcheuses. L'accès à l'assistance des paroisses doit lui être fermé. Et si la bienfaisance privée lui tend quelque secours, l'intérêt de l'humanité requiert impérieusement que ces secours ne soient pas trop abondants. Il faut qu'il sache que les lois de la Nature, c'est à -dire les lois de Dieu, l'ont condamné à vivre péniblement, pour le punir de les avoir violées. »

Sur les pauvres en général :« Les travailleurs modestes, pour parler familièrement, semblent toujours tirer le diable par la queue. Leurs désirs du moment accaparent toute leur attention, et ils pensent rarement à l’avenir. Même lorsqu’ils ont l’occasion d’épargner, ils la mettent rarement à profit, et tout ce qui va au-delà de leurs besoins immédiats part généralement au débit de boisson. »« Il n'est pas au pouvoir des riches de fournir aux pauvres de l'occupation et du pain, en conséquence les pauvres, par la nature même des choses, n'ont aucun droit à leur en demander »« Peut-être les classes inférieures de la population européenne seront-elles dans le futur mieux instruites qu’elles ne le sont à présent ; peut-être auront-elles appris à mieux employer leur maigre temps libre qu’à se rendre au débit de boisson ; peut-être vivront-elles sous des lois meilleures et plus juste que ce ne fut le cas jusqu’à présent, sans doute, en aucun pays ; et je conçois même qu’il soit possible - même si ce n’est guère probable - qu’elles aient davantage de loisir ; il n’est pas dans la nature des choses qu’on leur donne suffisamment d’argent ou de subsistance pour leur permettre de se marier jeune, pleinement confiantes dans leur capacité à entretenir avec aisance une famille nombreuse. »« Il apparaît qu’en raison des lois impérieuses de la nature, certains êtres humains doivent souffrir du besoin. Ce sont des personnes malchanceuses qui, à la grande loterie de la vie, ont tiré un billet perdant. »Alfred MARSHALL (1842-1924)

Sur la consommation et l'épargne :« Lorsque quelqu'un cherche à obtenir une satisfaction immédiate au moyen des marchandises ci des services qu'il achète, on dit qu'il dépense. Lorsqu'il fait affecter le travail et les marchandises qu'il achète à la production de biens dont il espère tirer le moyen de pourvoir ultérieurement à ses satisfactions, un dit qu’il épargne. »Karl MARX (1818-1883)

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Sur le matérialisme historique :« dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L'ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience. »

Sur l'idéologie :« À toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. »

Sur les différents mode de production :« Seule la forme sous laquelle [le] surtravail est extorqué au producteur immédiat, l'ouvrier, distingue les formations sociales économiques, par exemple la société esclavagiste de celle du travail salarié. »« À grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d'époques progressives de la formation sociale économique. Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme contradictoire du processus de production sociale (…) Cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cette contradiction. Avec cette formation sociale s'achève donc la préhistoire de la société humaine. »

Sur la naissance du capitalisme :« La découverte des contrées aurifères et argentifères d'Amérique, l'extermination et l'asservissement de la population indigène, son ensevelissement dans les mines, les débuts de la conquête et du sac des Indes orientales, la transformation de l'Afrique en garenne commerciale pour la chasse aux peaux noires, voilà de quoi est faite l'aurore de l'ère de la production capitaliste. »

Sur ce que l'on n'appelait pas encore la mondialisation :« Par l'exploitation du marché mondial, la bourgeoisie donne un caractère cosmopolite à la production et à la consommation de tous les pays. Au grand désespoir des réactionnaires, elle a enlevé à l'industrie sa base nationale. Les vieilles industries nationales ont été détruites et le sont encore chaque jour. Elles sont supplantées par de nouvelles industries, dont l'adoption devient une question de vie ou de mort pour toutes les nations civilisées, industries qui n'emploient plus des matières premières indigènes, mais des

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matières premières venues des régions les plus lointaines, et dont les produits se consomment non seulement dans le pays même, mais dans toutes les parties du globe. A la place des anciens besoins, satisfaits par les produits nationaux, naissent des besoins nouveaux, réclamant pour leur satisfaction les produits des contrées et des climats les plus lointains. A la place de l'ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, se développent des relations universelles, une interdépendance universelle des nations. »

Sur la théorie de la valeur-travail :« Le travail est la substance et la mesure des valeurs, mais il n’a lui-même aucune valeur »

Sur le capital :« Le capital est du travail mort, qui ne s'anime qu'en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d'autant plus vivant qu'il en suce davantage. »

Sur la loi de Say :« A un moment donné, l’offre pour toutes les marchandises peut excéder la demande pour toutes les marchandises parce que la demande pour la marchandise générale, la monnaie, la valeur d’échange, est plus grande que la demande pour toutes les marchandises particulières. »« La difficulté de convertir la marchandise en argent, de vendre, provient simplement de ce que la marchandise doit être convertie en argent, tandis que l’argent n’a pas besoin d’être converti aussitôt en marchandise, autrement dit, de ce que la vente et l’achat peuvent être dissociés. Nous avons dit que cette forme renferme la possibilité de la crise, c’est-à-dire la possibilité que des moments qui vont ensemble et sont inséparables se dissocient, et doivent être réunis par la force. »

Sur le capitalisme et le communisme :« Le capitalisme contribue au progrès de la civilisation en ce qu'il extrait ce surtravail par des procédés et sous des formes qui sont plus favorables que ceux des systèmes précédents (esclavage, servage, etc.) au développement des forces productives, à l'extension des rapports sociaux et à l'éclosion des facteurs d'une culture supérieure. Il prépare ainsi une forme sociale plus élevée, dans laquelle l'une des parties de la société ne jouira plus, au détriment de l'autre, du pouvoir et du monopole du développement social, avec les avantages matériels et intellectuels qui s'y rattachent, et dans laquelle le surtravail aura pour effet la réduction du temps consacré au travail matériel en général. »Carl MENGER (1840-1921)

Sur la théorie de la valeur :« Ainsi, la valeur n’est pas inhérente aux biens, elle n’en est pas une propriété ; elle n’est pas une chose indépendante qui existe en soi. C’est un jugement que les sujets économiques portent sur l’importance des biens

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dont ils peuvent disposer pour maintenir leur vie et leur bien-être. Il en résulte que la valeur n’existe pas hors de la conscience des hommes. »Ludwig von MISES (1881-1973)

Sur le libéralisme... et ses ennemis :« Il est important de comprendre que le fascisme et le nazisme étaient des dictatures socialistes. »Antoine de MONTCHRESTIEN (1575-1621)

Sur les métaux précieux :« ce n’est point l’abondance d’or et d’argent, la quantité de perles et de diamants, qui fait les États riches et opulents ; c’est l’accommodement des choses nécessaires à la vie et propres au vêtement »« Nous ne vivons pas tant par le commerce des éléments que par l’or et l’argent ; ce sont deux grands et fidèles amis. »« Il faut de l’argent, et n’en ayant point de notre cru, il faut en avoir des étrangers. »

Sur les conquêtes coloniales :« Il ne faut point douter qu’outre la bénédiction de Dieu, qui viendrait à ce grand et puissant État pour des entreprises si pieuses, si justes et si charitables... il s’ouvrirait par ce moyen, tant ici que là-bas, de grandes et inépuisables sources de richesses. »Thomas MORE (1478-1535)

Sur les enclosures :« La noblesse et la valetaille ne sont pas les seules causes des brigandages qui vous désolent ; il en est une autre particulière à votre île. - Et quelle est-elle ? dit le cardinal - Les troupeaux innombrables de moutons qui courent aujourd’hui toute l’Angleterre. Ces bêtes si douces, si sobres partout ailleurs, sont chez vous tellement voraces et féroces qu’elles mangent même les hommes et dépeuplent les campagnes, les maisons et les villages »« Ainsi, un avare affamé enferme des milliers d’arpents dans un même enclos ; et d’honnêtes cultivateurs sont chassés de leurs maisons, les uns par fraude, les autres par la violence, les plus heureux par une suite de vexations et de tracasseries qui les forcent à cendre leurs propriétés (...) Ils vendent à vil prix ce qu’ils ont pu emporter de leurs effets, marchandises dont la valeur est déjà bien peu de chose. Cette faible ressource épuisée, que leur reste-t-il ? Le vol, et puis la pendaison dans les formes. »

Sur l'île communiste d'Utopie :« Pourquoi refuser quelque chose à quelqu’un puisque tout existe en abondance et que personne ne craint que le voisin demande plus qu’il ne lui faut ? Car pourquoi réclamer trop, alors que l’on sait que rien ne sera refusé ? Ce qui rend avide et rapace, c’est la terreur de manquer »

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« Partout ailleurs, ceux qui parlent d’intérêt général ne songent qu’à leur intérêt personnel ; tandis que là où on ne possède rien en propre tout le monde s’occupe sérieusement de la chose publique, puisque le bien particulier se confond réellement avec le bien général... »William PETTY (1623-1687)

Sur la valeur-travail :« La cherté et le bon marché naturels dépendant du plus ou moins grand nombre de bras requis pour les produits nécessaires à la vie : le blé, par exemple, est meilleur marché là où un homme peut en produire pour dix que là où il ne peut en produire que pour cinq. »« Tout devrait être évalué d’après deux dénominations naturelles qui sont : la terre et le travail. Par exemple, nous devrions dire qu’un vaisseau ou un vêtement valent telle mesure de terre ou telle mesure de travail, attendu que vaisseaux et vêtements sont des produits des terres et du travail humain dépensé. »« Le travail est le père et le principe actif de la richesse, et la terre en est la mère »Pierre Samuel du PONT de NEMOURS (1739-1817)

Sur la science économique :« La science économique n'étant autre chose que l'application de l'ordre naturel au gouvernement des sociétés, est aussi constante dans ses principes et aussi susceptible de démonstration que les sciences physiques les plus certaines »François QUESNAY (1694-1774)

Sur la théorie de la valeur (agriculture vs. industrie) :« Les travaux de l’agriculture dédommagent des frais, payent la main d’oeuvre de la culture, ; procurent des gains aux laboureurs et de plus ils produisent les revenus des bien-fonds. Ceux qui achètent les ouvrages d’industrie payent les frais, ma main d’oeuvre et le gain des marchands ; mais cers ouvrages ne produisent aucun revenu au-delà. »« ...que le souverain et la nation ne perdent jamais de vue que la terre est l'unique source des richesses, et que c'est l'agriculture qui les multiplie. »

Sur la monnaie et la théorie de la valeur :« L’argent n’est pas la véritable richesse d’une nation, la richesse qui se consomme ou qui renaît continuellement, car l’argent n’engendre que l’argent. Un écu bien employé peut à la vérité faire naître une richesse de deux écus, mais c’est la production et non pas l’argent qui est multipliée. »

Sur le libéralisme :« Le dauphin : 'que feriez vous si vous étiez roi ?' Quesnay : 'Monsieur, je ne ferais rien' »David RICARDO (1772-1823)

Sur la rente :

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« la rente n’est pas un constituant du prix des marchandises. »« le blé n’est pas cher parce qu’une rente est payée, mais une rente est payée parce que le blé est cher. »

Sur la théorie de la répartition :« Le produit de la terre, c'est-à-dire tout ce que l'on retire de sa surface par l'utilisation conjointe du travail, des machines et du capital, est réparti entre trois classes de la communauté : les propriétaires de la terre, les détenteurs du fonds ou capital nécessaire à son exploitation, et les travailleurs qui la cultivent. [...]. Déterminer les lois qui gouvernent cette répartition, constitue le principal problème en Economie politique. »

Sur le salaire :« Le travail, ainsi que toutes choses que l’on peut acheter ou vendre, et dont la quantité peut augmenter ou diminuer, a un prix naturel et un prix courant. Le prix naturel du travail est celui qui fournit aux ouvriers, en général, les moyens de subsister et de perpétuer leur espèce sans accroissement ni diminution. Les ressources qu’a l’ouvrier pour subvenir à son entretien et à celui de la famille nécessaire pour maintenir le nombre des travailleurs, ne tiennent pas à la quantité d‘argent qu’il reçoit pour son salaire, mais à la quantité de subsistances et d‘autres objets nécessaires ou utiles dont l’habitude lui a fait un besoin, et qu’il peut acheter avec l‘argent de ses gages. Le prix naturel du travail dépend donc du prix des subsistances et de celui des choses nécessaires ou utiles à l’entretien de l’ouvrier et de sa famille. Une hausse dans les prix de ces objets fera hausser le prix naturel du travail, lequel baissera par la baisse des prix. »

Sur la relation entre salaires aux profits :« Une hausse dans les salaires, qui provient d'une altération dans la valeur de la monnaie, produit un effet général sur les prix, mais n'agit pas sur les profits. Au contraire, une hausse des salaires, qui indiquerait qu'une rémunération plus large a été accordée à l'ouvrier ou que les objets de première nécessité sont devenus plus rares, plus coûteux, aurait, en général, pour effet d'abaisser les profits ; dans ce cas, en effet, le pays consacrerait à l'entretien des ouvriers une plus grande somme de travail annuel, ce qui n'arriverait pas dans l'autre. »« Rien ne peut affecter les profits en-dehors d’une hausse des salaires »« Si, par l’accroissement du commerce étranger, ou par des perfectionnements dans les machines, on peut fournir aux travailleurs la nourriture et les autres objets de première nécessité à plus bas prix, les profits hausseront. Si, au lieu de récolter du blé chez nous, et de fabriquer nous-même l’habillement et les objets nécessaires pour la consommation de l’ouvrier, nous découvrons un nouveau marché où nous puissions nous procurer ces objets à meilleur compte, les salaires devront baisser et les profits s’accroître. »

Sur les crises économiques :

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« Une guerre qui éclate après une longue paix, ou une paix qui succède à une longue guerre, occasionne en général une grande détresse dans le commerce. Ces événements changent considérablement la nature des emplois auxquels les capitaux étaient consacrés auparavant dans chaque pays ; et pendant que s’en opère le nouveau classement, le capital fixe dort, s’anéantit même parfois, et les ouvriers n’ont plus assez de travail. La durée de cette crise sera plus ou moins longue, selon le degré de répugnance que la plupart des hommes éprouvent à quitter le genre d‘industrie dans lequel ils ont pendant longtemps été dans l’habitude d’employer leur capital. »Lionel ROBBINS (1898-1984)

Sur la science économique :« L’économie est la science qui étudie le comportement humain en tant que relation entre les fins et les moyens rares à usage alternatif »

Sur les salaires et le chômage :« En général, on peut affirmer sans se tromper que, si les taux de salaires étaient beaucoup plus flexibles, le chômage se trouverait considérablement diminué (...). Si l'on ne s'était pas obstiné dans l'idée que les taux de salaires ne doivent être réduits à aucun prix, afin de préserver le pouvoir d'achat des consommateurs, la dépression actuelle aurait été beaucoup moins violente et le chômage qui l'accompagne n'aurait pas atteint une telle ampleur »Paul SAMUELSON (1915-2009)

Sur la science économique :« L’économique recherche comment les hommes décident, en faisant ou non usage de la monnaie, d’affecter des ressources productives rares à la production à travers le temps de marchandises et services variés et de répartir ceux-ci, à des fins de consommation présente et future, entre les différents individus et collectivités constituant la société »« En raison de la complexité des comportements humains et sociaux, nous ne saurions espérer rivaliser de précision avec certaines des sciences physiques. Nous ne pouvons nous livrer, comme le chimiste ou le biologiste, à des expériences contrôlées, mais, à l’instar de l’astronome, nous (économiste) devons nous contenter essentiellement "d’observer". Malheureusement, les événements économiques et les données statistiques observées ne sont pas aussi disciplinés et réguliers que les mouvements des corps célestes. Par bonheur, toutefois, il n’est aucunement nécessaire que l’exactitude de nos réponses soit poussée à plusieurs décimales : si nous arrivions seulement à déterminer la véritable direction générale des causes et des effets, nous aurions déjà accompli, ce faisant, un énorme pas en avant. »

Sur la Théorie Générale de Keynes :« C'est un livre mal écrit, mal construit, et tout profane attiré par la renommée de son auteur se fait escroquer de cinq shillings en achetant cet ouvrage plein de confusion et d’erreurs… Dans la Théorie générale, le

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système keynésien ne se dégage que de façon floue, comme si son auteur était à peine conscient de son existence et instruit de ses propriétés. Des discours algébriques assommants sont émaillés de vues pénétrantes et d’intuitions profondes. Une définition maladroite donne soudain naissance à un passage inoubliable… Je ne crois pas trahir de secret en disant que personne d’autre à Cambridge (dans le Massachusetts) ne savait de quoi il retournait, douze à dix-huit mois après sa publication. En fait, jusqu’à ce qu’apparaissent les modèles mathématiques de Meade, Lange, Hicks et Harrod, on a tout lieu de croire que Keynes lui-même n’avait pas vraiment compris sa propre analyse. »Jean-Baptiste SAY (1767-1832)

Sur la théorie de la valeur :« Il est très vrai que le prix courant d'un produit ne saurait, d'une manière suivie, tomber au-dessous des frais de sa production ; personne alors ne voudrait contribuer à sa création; mais ce ne sont pas les frais que l'on fait pour le produire qui déterminent le prix que le consommateur consent à y mettre : c'est uniquement son utilité; car on aurait beau surmonter d'immenses difficultés pour produire un objet inutile, personne ne consentirait à les payer. »« La concurrence des producteurs entre eux tend à faire baisser la valeur des produits au niveau de leurs frais de production, qui se composent de la valeur de tous les services productifs qui ont concouru à la création de ce produit. »« Après avoir montré, autant qu’on peut le faire dans une esquisse aussi rapide, les progrès que l’économie politique doit à Adam Smith, il ne sera peut-être pas inutile d’indiquer aussi sommairement quelques-uns des points sur lesquels il a erré, et de ceux qu’il a laissés à éclaircir. Il attribue au seul travail de l’homme le pouvoir de créer des valeurs. C’est une erreur. Une analyse plus exacte prouve (…) que ces valeurs sont dues à l’action du travail ou plutôt de l’industrie de l’homme, combinée avec l’action des agents que lui fournit la nature et avec celle des capitaux. Smith ne se faisait donc pas une idée complète du phénomène de la production. »

Sur les services productifs :« Il y a dans la production : des services rendus par les hommes ; on les nomme services industriels ; des services rendus par les capitaux ; on les nomme services capitaux ; et enfin des services rendus par les fonds de terre ; on les nomme services fonciers. (…) Ceux qui fournissent les services industriels se nomment des hommes industrieux, ou plus brièvement des industrieux ; Ceux qui fournissent des capitaux se nomment des capitalistes ; Ceux qui fournissent des terres se nomment des propriétaires fonciers. Tous sont des producteurs. (...) Les capitalistes et les propriétaires me paraissent ne rien produire ? Non pas directement ; mais ils produisent indirectement

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par le moyen de leur instrument. Sans eux on manquerait de certains services indispensables pour la production. »

Sur le mécanisme général de la production marchande :« Ceux qui disposent de l’une de ces trois sources de la production sont marchands de cette denrée que nous appelons services productifs ; les consommateurs en sont les acheteurs. Les entrepreneurs d’industrie ne sont, pour ainsi dire, que des intermédiaires qui réclament les services productifs nécessaires pour tel produit en proportion de la demande qu’on fait de ce produit. Le cultivateur, le manufacturier et le négociant comparent perpétuellement le prix que le consommateur veut et peut mettre à telle ou telle marchandise, avec les frais qui seront nécessaires pour qu’elle soit produites ; s’ils en décident la production, ils établissent une demande de tous les services productifs qui devront y concourir, et fournissent ainsi une des bases de la valeur de ces services. D’un autre côté, les agents de la production, hommes et choses, terres, capitaux et gens industrieux, s’offrent plus ou moins (…) et forment ainsi l’autre base de la valeur qui s’établit pour ces mêmes services. »

Sur les débouchés (« loi de Say ») :« Il est bon de remarquer qu’un produit créé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur. »« En effet, lorsque le dernier producteur a terminé un produit, son plus grand désir est de le vendre, pour que la valeur de ce produit ne chôme pas entre ses mains. Mais il n’est pas moins empressé de se défaire de l’argent que procure sa vente, pour que la valeur de l’argent ne chôme pas non plus. »« Cela étant ainsi, d'où vient, demandera-t-on, cette quantité de Marchandises qui, à certaines époques, encombrent la circulation, sans pouvoir trouver d'acheteurs ? Pourquoi ces marchandises ne s'achètent-elles pas les unes les autres ? Je répondrai que des marchandises qui ne se vendent pas, ou qui se vendent à perte, excèdent la somme des besoins qu'on a de ces marchandises, soit parce qu'on en a produit des quantités trop considérables, soit plutôt parce que d'autres productions ont souffert. Certains produits surabondent, parce que d'autres sont venus à manquer (… ) Aussi l'on peut remarquer que les temps où certaines denrées ne se vendent pas bien sont précisément ceux où d'autres denrées montent à des prix excessifs »« Et comme ces prix élevés seraient des motifs pour en favoriser la production, il faut que des causes majeures ou des moyens violents, comme des désastres naturels ou politiques, l'avidité ou l'impéritie des gouvernements, maintiennent forcément d'un côté cette pénurie, qui cause un engorgement de l'autre. Cette cause de maladie politique vient-elle à cesser, les moyens de production se portent vers les routes où la production est demeurée en arrière ; en avançant dans ces voies-là, elle favorise l'avancement de la production dans toutes les autres. Un genre de

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production devancerait rarement les autres, et ses produits seraient rarement avilis, si tous étaient toujours laissés à leur entière liberté. »

Sur le rôle de la monnaie :« Lors donc qu'on dit : La vente ne va pas, parce que l'argent est rare, on prend le moyen pour la cause; on commet une erreur qui provient de ce que presque tous les produits se résolvent en argent avant de s'échanger contre d'autres marchandises, et de ce qu'une marchandise qui se montre si souvent parait au vulgaire être la marchandise par excellence, le terme de toutes les transactions dont elle n'est que l'intermédiaire. On ne devrait pas dire : La vente ne va pas, parce que l'argent est rare, mais parce que les autres produits le sont. Il y a toujours assez d'argent pour servir à la circulation et à l'échange réciproque des autres valeurs, lorsque ces valeurs existent réellement. »Jean de SISMONDI (1773-1842)

Sur les débouchés (« loi de Say ») :« L’erreur de ceux qui excitent à une production illimitée vient de ce qu’ils ont confondu ce revenu passé avec le revenu futur. (…) On ne fait jamais, après tout, qu’échanger la totalité de la production de l’année contre la totalité de la production de l’année précédente. Or, si la production croît graduellement, l’échange de chaque année doit causer une petite perte (…) »Adam SMITH (1723-1790)

Sur la division du travail :« Cette division du travail, de laquelle découlent tant d'avantages, ne doit pas être regardée dans son origine comme l'effet d'une sagesse humaine qui ait prévu et qui ait eu pour but cette opulence générale qui en est le résultat, elle est la conséquence nécessaire, quoique lente et graduelle, d'un certain penchant naturel à tous les hommes, qui ne se proposent pas des vues d'utilité aussi étendues : c'est le penchant qui les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges d'une chose pour une autre. »

Sur la théorie de la valeur :« Il faut observer que le mot valeur a deux significations différentes; quelquefois il signifie l'utilité d'un objet particulier, et quelquefois il signifie la faculté que donne la possession de cet objet d'en acheter d'autres marchandises. On peut appeler l'une, Valeur en usage, et l'autre, Valeur en échange. Des choses qui ont la plus grande valeur en usage n'ont souvent que peu ou point de valeur en échange; et, au contraire, celles qui ont la plus grande valeur en échange n'ont souvent que peu ou point de valeur en usage. Il n'y a rien de plus utile que l'eau, mais elle ne peut presque rien acheter; à peine y a-t-il moyen de rien avoir en échange. Un diamant, au contraire, n'a presque aucune valeur quant à l'usage, mais on trouvera fréquemment à l'échanger contre une très-grande quantité d'autres marchandises. »

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« Il paraît donc évident que le travail est la seule mesure universelle, aussi bien que la seule exacte, des valeurs, le seul étalon qui puisse nous servir à comparer les valeurs de différentes marchandises à toutes les époques et dans tous les lieux. »

Sur la théorie de la valeur et de la répartition :« De même que le prix ou la valeur échangeable de chaque marchandise prise séparément, se résout en l'une ou l'autre de ces parties constituantes ou en toutes trois; de même le prix de toutes les marchandises qui composent la somme totale du produit annuel de chaque pays, prises collectivement et en masse, se résout nécessairement en ces mêmes trois parties, et doit se distribuer entre les différents habitants du pays, soit comme salaire de leur travail, soit comme profit de leurs capitaux, soit comme rente de leurs terres. La masse totale de ce que chaque société recueille ou produit annuellement par son travail, ou, ce qui revient au même, le prix entier de cette masse, est primitivement distribuée de cette manière entre les différents membres de la société. »« La masse totale du produit annuel de la terre et du travail d'un pays, on, ce qui revient, au même, la somme totale du prix de ce produit annuel, se divise naturellement, comme on l'a déjà observé, en trois parties : la Rente de la terre, les Salaires du travail et les Profits des capitaux, et elle constitue un revenu à trois différentes classes du peuple : à ceux qui vivent de rentes, à ceux qui vivent de salaires et à ceux qui vivent de profits. Ces trois grandes classes sont les classes primitives et constituantes de toute société civilisée, du revenu desquelles toute autre classe tire en dernier résultat le sien. »

Sur la nature du profit :« Les Profits, dira-t-on peut-être, ne sont autre chose qu'un nom différent donné aux salaires d'une espèce particulière de travail, le travail d'inspection et de direction. Ils sont cependant d'une nature absolument différente des salaires; ils se règlent sur des principes entièrement différents, et ne sont nullement en rapport avec la quantité et la nature de ce prétendu travail d'inspection et de direction. Ils se règlent en entier sur la valeur du capital employé, et ils sont plus ou moins forts, à proportion de l'étendue de ce capital. »

Sur l'épargne et l'accumulation du capital :« Si la valeur échangeable du produit annuel excède celle de la consommation annuelle, le capital doit nécvessairement grossir annuellement en proportion de cet excédent. Dans ce cas la société vit sur ses revenus, et ce qu'elle en épargne annuellement s'ajoute à son capital, et s'emploie de manière à faire naître encore un nouveau surcroît dans le produit annuel »Mark TWAIN

Sur le système du crédit :

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« Un banquier est quelqu’un qui vous prête un parapluie quand il fait beau et vous le rend quand il fait pleut. »Léon WALRAS (1834-1910)

Sur la valeur et le statut de la science économique :« Le blé vaut 24 F l’hectolitre. Remarquons d’abord que ce fait a la valeur d’un fait naturel. Cette valeur du blé en argent, ou ce prix du blé, ne résulte ni de la volonté du vendeur, ni de la volonté de l’acheteur, ni d’un accord entre les deux... Le fait de la valeur d’échange prend donc, une fois établi, le caractère d’un fait naturel, naturel dans son origine, naturel dans sa manifestation et sa manière d’être. »« La valeur d’échange est une grandeur. Elle relève des mathématiques. Donc, l’économie politique pure, ou la théorie de la valeur d’échange et de l’échange... est, comme la mécanique, comme l’hydraulique une science physico-mathématique »

Sur l'utilité marginale :« la dérivée de l’utilité effective par rapport à la quantité possédée, exactement comme on définit la vitesse : la dérivée de l’espace parcouru par rapport au temps employé à le parcourir »« Plus on mange moins on a faim. »

Sur les revendications salariales :« Les travailleurs ne doivent pas s’insurger contre la baisse du salaire résultant de la réduction de la demande de travail ; ils doivent, dès qu’elle commence à se manifester, y remédier en se portant vers les industries où se produit une hausse par la suite de l’extension de la demande de travail. »