Histoire de la Bourse de Paris

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Q U E S A I S - J E ?

Histoire de la Bourse de Paris

P A U L - J A C Q U E S L E H M A N N Professeur à l'Université de Rouen

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DU MÊME AUTEUR

Le système des réserves obligatoires et le contrôle de la masse monétaire. Application à la situation de la France, PUF, 1979.

Comptabilité générale, Mémento Dalloz, 1984. Le monétarisme, ESKA, 1986. Manuel d'Economie monétaire, Nathan, 1988. Les circuits financiers, Précis Dalloz, 1987, 2 éd. 1989. La Bourse de Paris, Dunod, coll. « Ecofi », 1991. Lexique de Finance de marchés, Dunod, coll. « Ecofi », 1992. Lexique de Finance d'entreprise, Dunod, coll. « Ecofi », 1992. Le Référis. Dictionnaire pluridisciplinaire de la langue des affaires (en col-

laboration avec Patrice Macqueron), Maxima, 1995. Économie monétaire, Le Seuil, coll. « Memo », 1997.

ISBN 2 13 048573 1

Dépôt légal — 1 édition : 1997, décembre

© Presses Universitaires de France, 1997 108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

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INTRODUCTION

Les bourses de valeurs mobilières ont toujours fait l'objet de jugements péremptoires de dénigrement : « tem- ples de l'agiotage effréné », « symbole de l'économie de casino », « lieux de gains sordides et de pertes spectacu- laires », « institutions favorisant le trafic de l'argent », « sœurs bien élevées de la Loterie, du jeu de hasard ». Si ces affirmations peu amènes sont surtout la marque du XIX siècle, popularisées dans des œuvres littéraires au titre significatif (L'argent de Vallès ou de Zola, La curée de Zola, Le manuel du spéculateur à la Bourse de Proudhon), il n'est pas rare de les entendre encore aujourd'hui.

Même entrée dans les mœurs, l'institution boursière reste encore souvent incomprise: acceptée parce qu'elle semble constituer un bon baromètre de la situation éco- nomique d'un pays et de ses entreprises, elle inquiète par l'aura de mystères qui l'entoure, aussi bien le brouhaha et les gesticulations autour des anciennes corbeilles que l'at- mosphère feutrée des nouvelles salles de marchés dans les- quelles règnent les ordinateurs. Quant à la fixation des cours, elle semble échapper à toute cohérence et être régie par la seule frénésie des spéculateurs.

L'histoire de la Bourse de Paris permet de lever un coin du voile, car elle montre qu'un marché financier est indis- pensable pour assurer le financement d'un pays et que son évolution passée peut être expliquée par des causes ration- nelles dont la connaissance facilite les anticipations sur son évolution future. En effet, si les cours résultent, parfois, à court terme, de facteurs exceptionnels, imprévisibles (catastrophe naturelle, mort subite d'un homme politique important...), ils répondent, à long terme, à une logique qui peut être synthétisée en deux séries de facteurs :

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— des facteurs «provoqués», c'est-à-dire des décisions prises par les pouvoirs publics ou les conseillers des émetteurs de titres pour favoriser (ou plus rarement freiner) le développement de la bourse: nouvelles formes de valeurs mobilières fournissant des garanties contre les risques de dépréciation monétaire ou de fluctuations de taux d'intérêt, avantages fiscaux atta- chés aux titres à long terme ou à leur négociation, simplifications des procédures de transactions, trans- parence et sécurité accrues des échanges, encourage- ment de la gestion collective... ;

— des facteurs «subis»: événements politiques, écono- miques, sociaux, à la fois nationaux et internationaux.

L'analyse ne doit pas être cantonnée aux seuls cours des actions car, s'ils constituent la partie émergée d'une bourse en raison de la publicité qui en est faite, d'autres données permettent, aussi, d'apprécier le rôle et l'évolu- tion d'un marché financier : les cours des obligations, le nombre et la qualité des émetteurs, le montant des émis- sions et des transactions, la capitalisation boursière, le rendement des titres cotés...

Ce sont les liens entre tous ces éléments que l'histoire de la Bourse de Paris depuis son origine cherche à recons- tituer afin d'expliquer comment, par l'épargne qu'elle sus- cite et qu'elle attire, notre Bourse a contribué à écrire l'histoire économique de la France et a favorisé le déve- loppement de notre pays.

Cette histoire commence avec la longue errance de la Bourse de Paris avant son installation au Palais Brongniart (chap. I). Elle montre que la Bourse est, ensuite, passée d'un marché d'obligations à un marché d'actions (chap. II), avant de se démocratiser (chap. III). Après avoir connu des années noires (chap. IV), la Bourse a été mise au service de la croissance (chap. V) puis, a traversé de nouvelles perturbations (chap. VI). L'heure des réformes a, aujourd'hui, sonné (chap. VII).

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Chapitre 1

LA LONGUE ERRANCE

DE LA BOURSE DE PARIS

AVANT SON INSTALLATION

AU PALAIS BRONGNIART

Dans toutes les civilisations, pour faciliter leurs tran- sactions, juger leurs différends, trouver les moyens de financement nécessaires à la croissance de leurs activités, les commerçants éprouvent le besoin de se réunir dans des endroits qui leur sont réservés. Ces lieux de rencontre vont devenir les bourses de commerce dans lesquelles s'échangent, à l'origine, tout à la fois des marchandises, des monnaies, des effets de commerce, des valeurs mobi- lières (obligations publiques et privées et actions). Il en est ainsi de la Bourse de Paris qui, avant de s'installer au Palais Brongniart, connaît de nombreuses localisations. Ce n'est que quand les opérations sur les valeurs mobi- lières prennent de l'importance qu'on leur réserve un espace particulier, d'abord dans les bourses de commerce elles-mêmes, puis dans un édifice spécialement attribué, les bourses de valeurs mobilières. En France, le dévelop- pement de la bourse des valeurs est facilité par l'existence du statut d'agent de change, donné très tôt à certains courtiers, et de dispositions juridiques favorables.

I — L'origine des bourses de commerce

1. Les ancêtres des bourses de commerce dans l'Anti- quité. — L'existence de réunions de commerçants est décelée dans la plupart des peuples de l'Antiquité, notam-

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ment chez les Syriens, les Phéniciens, les Grecs. Parallèle- ment, apparaissent des lieux spécialement affectés au commerce de l'argent : par exemple, à Athènes, des cour- tiers (trapézistes) proposent leurs services sur une trapeza (table), devant les portiques et les magasins de l'Agora ; à Rome, des échanges de marchandises ont lieu dans le col- legium mercatorum et des changeurs installent leurs échoppes dans les tabernae argentariae du forum pour réaliser des échanges de monnaies. Surtout, les basiliques abritent les premières transactions de valeurs mobilières sur les titres des sociétés en commandite par actions créées par les publicains dès que sont prononcées les adju- dications dont ils ont l'exclusivité pour la ferme des impôts, les fournitures aux armées, le transport de cer- taines marchandises...: les Assyriens ont créé la banque, les Grecs la monnaie, les Romains la bourse. On peut même faire remonter le premier krach boursier à cette époque, lorsque Mithridate soulève l'Asie Mineure contre Rome et que de nombreuses sociétés de publicains sont ruinées: une intense spéculation envahit alors les basili- ques. L'activité boursière périclite quand il est décidé de mettre fin aux adjudications, donc à la constitution de sociétés. Par la suite, les Vénitiens, grands amateurs de jeux et créateurs des loteries, inventent les mécanismes boursiers modernes (y compris les opérations à terme).

2. Des lieux de réunions réservés aux commerçants. — Les rencontres de commerçants se développent à partir du XVI siècle. Elles se tiennent dans des « Conventions », situées dans des locaux appelés « estrades » ou « places de change» qui sont installés, de manière temporaire, au moment des foires. Parfois des endroits sont affectés de manière permanente à ce type de réunions. C'est ainsi, en particulier, que les commerçants de la ville de Bruges se retrouvent, régulièrement, au domicile de la famille Van der Burse dont la maison est ornée du blason de son pro- priétaire: trois bourses au centre d'un écu sculptées sur son pignon. On prend, alors, l'habitude d'appeler

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« bourse» d'abord n'importe quel lieu de rencontre des commerçants, puis les bâtiments spécialement construits à cet effet dans les grandes villes pour abriter toutes les opérations portant sur les marchandises. Les bourses existent, donc, avant même l'apparition des valeurs mobi- lières. Y est établi un cours, grâce à la rencontre, dans un même lieu, d'un grand nombre d'acheteurs et de ven- deurs, sans même un échange de biens et d'argent. Le nom de bourse est même donné au local où se tient le tri- bunal de commerce.

3. Les premières bourses de commerce. — La plus ancienne bourse d'Europe occidentale est installée à Anvers, en 1531. En France, la bourse de Lyon est édifiée en 1540. Rapidement, l'État prend en charge la construc- tion et la réglementation de ces institutions, la première fois en 1549, par un édit de Henri Il qui crée la bourse de Tou- louse; en 1556 un édit dote Rouen d'une bourse (toujours appelée « convention ») ; en 1563, est instituée à Paris une «place commune des marchands»; en 1571, la bourse de Bordeaux est créée... A l'étranger, la bourse la plus célèbre est celle de Londres, inaugurée le 23 janvier 1571 sous le nom de Royal Exchange, détruite deux fois par un incendie en 1666 et en 1838, et sur l'emplacement de laquelle se trouve la bourse actuelle, inaugurée le 28 octobre 1844. La bourse d'Amsterdam est, également, importante car c'est elle qui organise véritablement le marché du terme (avec création d'échéances, des reports, des primes...).

II. — Les nombreuses localisations de la Bourse de Paris

La bourse a connu de multiples emplacements, mais est toujours demeurée dans le même quartier, au centre de l'activité économique et financière de Paris.

1. Du Grand-Pont à l'Hôtel de Soissons. — Les pre- miers échanges de monnaies et d'effets s'effectuent en

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divers lieux sous le regard bienveillant des pouvoirs publics : le Grand-Pont, devenu le Pont aux Changes (un édit de février 1304 dispose que « le change de Paris sera tenu sur le Grand-Pont, du côté de la Grève, entre la grande Arche et l'église Saint-Leufroy») ; la grande Cour du Palais de Justice, au-dessous, de la galerie Dauphine ; la rue Quincampoix, lors de la fondation de la banque de Law; la place Louis Le Grand, aujourd'hui place Ven- dôme; les jardins de l'Hôtel de Soissons, emplacement actuel de la Bourse de commerce, jusqu'à sa fermeture décrétée le 25 octobre 1720. En effet, à cette date, la fail- lite de Law conduit à l'effondrement du cours des actions de sa Compagnie du Mississippi, fondée pour financer la colonisation de la Louisiane. La crise financière qui en découle et qui s'étend jusqu'en Hollande et en Angleterre nécessite un contrôle étatique du marché des actions pour lutter contre les excès de la spéculation : aucun cours offi- ciel n'existe, les opérations ont lieu « à la pendule », entre le dîner et le souper.

Entre-temps, des tentatives ont lieu pour réunir des détenteurs de valeurs en d'autres endroits. Par exemple, en 1630, Théophraste Renaudot ouvre un « bureau d'adresses et de rencontre » où des acheteurs et des ven- deurs de rentes inscrivent sur un registre leurs demandes et leurs offres. Une feuille, ancêtre de la cote, regroupe toutes ces annonces. De même, face aux agissements de spéculateurs sans scrupules, certains veulent ouvrir, en 1717, « un Bureau de change des effets royaux, pour en faciliter la circulation et pour en augmenter la valeur ».

2. L'installation pendant plus de soixante-dix ans à l'Hô- tel de Nevers. — Après la fermeture de la bourse en 1720, les pouvoirs publics prennent rapidement la mesure de l'existence de «marchés noirs» de valeurs mobilières, où s'effectue un trafic de titres. Par un édit royal, ils insti- tuent légalement la Bourse de Paris, le 24 septembre 1724 et lui imposent une réglementation, en particulier en

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interdisant les opérations à terme, et lui assignent comme emplacement l'Hôtel de Nevers, entre la rue Vivienne et la rue de Richelieu ( « il sera incessamment établi dans la Ville de Paris une place appelée Bourse, dont l'entrée principale sera rue Vivienne » ), sous le contrôle direct du lieutenant général de police, l'équivalent du préfet de police actuel. Le marché est ouvert de 10 heures à 13 heures alors que, du temps de l'Hôtel de Soissons, les opérations pouvaient avoir lieu de 8 heures à 20 heures.

Un arrêt du Conseil du 30 mars 1774 consacre la parti- tion de la bourse de commerce en bourse des marchan- dises et en bourse des valeurs. En effet, la dispersion des agents de change dans la salle les empêche de se recon- naître et de communiquer facilement. Pour remédier à ces inconvénients, il est décidé de construire « une séparation de trois pieds de hauteur» dans la salle de la Bourse pour y placer les agents de change qui doivent y «crier» les cours. Cette disposition est reprise de façon plus précise par un arrêté du 27 prairial an X: « Il sera établi à la Bourse de Paris un lieu séparé et placé à la vue du public, dans lequel les agents de change se réuniront pour la négociation des effets publics et particuliers, en exécution des ordres qu'ils auront reçus avant la Bourse ou pour- ront recevoir pendant sa durée ; l'entrée de ce lieu séparé, ou parquet, sera interdite à tout autre qu'aux agents de change. » Au milieu du parquet, se trouve un petit espace circulaire, entouré d'une balustrade, appelé, en raison de sa forme, la corbeille.

3. De l'Hôtel de Nevers à l'enclos des Filles Saint-Tho- mas. — La Bourse de Paris se tient à l'Hôtel de Nevers jusqu'au décret de la Convention du 17 juin 1793 qui décide de fermer toutes les bourses et d'interdire les socié- tés de capitaux. Elle est rétablie du 20 mai au 14 décembre 1794, au rez-de-chaussée du Louvre, avant d'être à nouveau fermée le 9 septembre 1795. En raison de la spéculation qui s'ensuit, un décret-loi du 20 octobre 1795 autorise sa réouverture. Elle s'installe le

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12 janvier 1796, dans l'église des Petits-Pères, aujourd'hui église Notre-Dame des Victoires, et est trans- férée le 2 octobre 1809 au Palais-Royal, dans la galerie de Virginie, puis dans l'enclos des Filles Saint-Thomas, où s'élève la Halle au blé. Elle y demeure jusqu'à ce qu'elle prenne possession du Palais Brongniart.

4. L'installation définitive au Palais Brongniart. — La première pierre du Palais Brongniart, du nom de son architecte, est posée par Napoléon I en 1808. Le bâti- ment est inauguré le 4 novembre 1826. Son coût élevé (8,15 MF) est financé par une taxe instituée sur les patentes par les Chambres de commerce et par des contri- butions volontaires des agents de change et des courtiers de commerce. Y sont alors cotés tout aussi bien les mar- chandises (jusqu'en 1885, date à laquelle est ouverte la Bourse de commerce sur l'emplacement de l'ancienne Halle au blé), les effets de commerce, les monnaies, les valeurs mobilières. En outre, jusqu'en 1865, le tribunal de commerce siège dans ses locaux. Par une loi du 17 juin 1829, l'État cède la propriété du Palais à la Ville de Paris qui doit en assurer l'entretien.

III. — Le statut d'agent de change

1. Des « courratiers de change » aux agents de change. — Les ancêtres des agents de change sont les courtiers (« cour- ratiers de change» selon l'acte royal de Philippe le Bel en 1304) dont la profession est érigée en office en 1572, par un édit de Charles IX. Ils réalisent alors des opérations de courtage sur tous les produits: marchandises, effets de commerce, monnaies. Les guerres de religion conduisent à l'abolition de cet édit, repris, en 1598, par Henri IV qui nomme huit courtiers à Paris, douze à Lyon, quatre à Rouen et à Marseille. Le nombre de courtiers augmente rapidement à Paris : 20 en 1634, 30 en 1638, 35 en 1645. Le titre d'« agent de banque et de change » apparaît pour la première fois dans un arrêt du 2 avril 1639. Les agents de

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change obtiennent leur premier statut réglementaire en 1684. Un autre édit de 1705 fixe à 115 le nombre des offices pour toute la France et, en contrepartie du paiement élevé des charges, donne aux agents de change le monopole des négociations des titres publics. On trouve 40 offices à Paris en 1708, puis 60 en 1713. Ils disparaissent sous Law qui, en créant les titres au porteur, leur retire leur raison d'être : les échanges ont lieu, rue Quincampoix, directe- ment, sans intermédiaire. Ils sont, officiellement, révoqués en 1720, après la mésaventure de Law, avant que 60 nou- veaux soient nommés.

2. La situation difficile des agents de change au XVIIIe siècle. — Dans l'édit de 1724 qui rétablit la bourse, sur 41 articles, 25 ont trait aux agents de change. S'ils conservent le monopole de négociations des titres publics, ils perdent leur statut d'officier ministériel, ne peuvent réaliser que des opérations au comptant et n'ont plus le droit d'annoncer à haute voix les cours. Cette dernière interdiction n'est levée qu'en 1774 quand un effort de transparence est entrepris. Le 5 septembre 1784, un règle- ment crée la Chambre syndicale des agents de change, chargée d'aider le syndic qui, à partir de 1786, n'est plus nommé par le lieutenant général de police, mais est élu par ses pairs. Un arrêt du 7 août 1785, en vigueur jus- qu'en novembre 1823, interdit aux agents de change de coter d'autres effets que les titres royaux. Le 8 mai 1791, la corporation des agents de change est dissoute et leurs offices supprimés. Dans le décret du 28 ventôse an IX (19 mars 1801), les pouvoirs publics se donnent le droit d'ouvrir des bourses de commerce dans tous les lieux où ils le jugent souhaitable. Ils rétablissent auprès de ces bourses des officiers publics investis du droit exclusif de servir d'intermédiaires dans les opérations sur valeurs et sur marchandises, les agents de change et les courtiers. Ils limitent à 80 le nombre d'agents de change (71 sont, alors, nommés par le gouvernement) et les obligent à déposer un gage à titre de caution.

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4. Le développement du marché obligataire. — La Bourse de Paris connaît un développement considérable entre 1978 et 1995. La capitalisation boursière est multi- pliée par plus de 10 (6578 MMF contre 616,7 MMF), les échanges qui s'y nouent par près de 80 (6684,9 MMF contre 85,2 MMF) sans compter les transactions hors séances, environ 7 fois supérieures. Mais cette progres- sion d'ensemble n'affecte pas de la même manière tous les compartiments : elle est presque exclusivement le fait du marché obligataire (84,2% des échanges) et, en particu- lier, des obligations d'État (80,4 % des échanges d'obliga- tions). En dehors de quelques aménagements fiscaux ou institutionnels comme, par exemple, l'abolition de l'impôt de bourse sur toutes les obligations en 1983 ou la cotation des premiers euro-emprunts, en 1986, deux raisons princi- pales expliquent cette évolution: le développement, déjà analysé, des OPCVM et le succès du contrat «notionnel» du MATIF qui, avec la livraison possible d'obligations du Trésor, donne lieu à des arbitrages entre marché au comptant et marché à terme.

III. — Une volatilité croissante des cours

1. Le retournement de tendance (1978-1980). — 1978 constitue, pour la Bourse de Paris, une année importante. Après une sévère chute qui a duré quatre ans, les cours des actions s'apprécient de 45,9 %, ce qui, cependant, ne leur permet toujours pas de retrouver leur niveau de décembre 1961. Le facteur déclenchant de la hausse est le résultat des élections législatives de mars qui écarte la per- spective des nationalisations prévue par les partis d'oppo- sition. Le lendemain du second tour, de nombreux titres ne peuvent être cotés du fait de l'afflux d'ordres d'achats et les cours progressent de 7,6 %. La politique alors mise en œuvre est jugée comme devant profiter aux taux d'inté- rêt, au franc et aux entreprises, donc aux actionnaires. La «loi Monory » du 13 juillet sur l'orientation de l'épargne vers le financement des entreprises qui prévoit la détaxa-

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tion du revenu investi en actions françaises soit directe- ment, soit par l'intermédiaire de SICAV va favoriser pen- dant plusieurs années la bonne santé de la Bourse. Les anticipations de taxation des plus-values, la poussée du chômage, la poursuite de la hausse de prix (9,1 %) et les tensions internationales avec la révolution iranienne pèsent, néanmoins, sur les cours en fin d'année.

1979 et 1980 restent favorables aux actions, mais dans une moindre mesure: 16,1 % en 1979 et 7 % en 1980. Les résultats économiques sont, d'abord, satisfaisants avec les espoirs mis dans la création du système monétaire euro- péen en mars 1979, l'amélioration des résultats et la reprise des investissements des entreprises. Puis, l'aggravation de la crise en Iran, les tensions en Afghanistan, l'orientation à la hausse des taux d'intérêt et le deuxième choc pétrolier inquiètent. En outre, les cotations sont perturbées à la Bourse en février et mars 1979 par un conflit du travail et par une tentative d'attentat, le 20 octobre 1980. La loi du 24 octobre 1980 sur la distribution gratuite d'actions pour relancer l'actionnariat salarial donne un coup de fouet aux transactions au cours du dernier trimestre.

2. Le traumatisme politique (1981-1982). — Si les cours des actions restent quasiment stables pendant les quatre premiers mois de l'année 1981, le résultat des élections présidentielles de mai 1981 conduit à une chute telle (30 % entre le 9 mai et le 15 juin) que leur indice revient au niveau de celui de 1977. De nombreux titres sont réservés à la baisse les 11 (seules 10 valeurs sur les 166 du Règlement mensuel sont cotées) et 12 mai (78 valeurs sont cotées). Les étrangers se délestent de leurs valeurs françaises. Les taux d'intérêt à court terme montent jus- qu'à 22% en raison des attaques contre le franc. Une amélioration intervient ensuite quand est annoncé le maintien des déductions fiscales de la loi Monory, quand sont connues les conditions de l'indemnisation des action- naires des sociétés qui vont être nationalisées, même si leur cotation est suspendue du 9 au 29 septembre, et

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quand est décidée la baisse de la rémunération des dépôts à terme et des bons de caisse qui entraîne un déplacement de l'épargne vers les valeurs mobilières. La création de l'impôt sur les grandes fortunes, le déficit budgétaire porté à 76 MMF, la dévaluation du franc, le 4 octobre, provoquent une nouvelle chutç : sur l'année, les cours des actions perdent 17,9 %.

L'année 1982 est meilleure, les cours gagnant 4,7% malgré la nouvelle dévaluation en juin, le blocage des prix et des salaires, les prélèvements obligatoires qui augmen- tent pour financer la politique de relance, la dette publique qui atteint 480 MMF, les taux sur l'euro-franc qui montent jusqu'à 2000 % au jour le jour.

Ce comportement plus satisfaisant est sans doute le résultat des nationalisations, moins défavorables pour les actionnaires que ce qui était prévu. Après la première loi du 18 décembre 1981, jugée anticonstitutionnelle, surtout en raison du calcul de la valeur indemnitaire, une seconde loi du 11 février 1982 décide du transfert à l'État de 5 sociétés industrielles, 2 compagnies financières, 21 banques cotées (et 18 non cotées) et d'une prise de participation majori- taire dans Dassault et Usinor. A titre d'indemnisation sont remises aux porteurs d'actions et d'obligations converti- bles des obligations amortissables en quinze ans, émises par 2 établissements créés à cet effet, la Caisse nationale de l'industrie et la Caisse nationale des banques. Le calcul des valeurs d'échange est effectué à partir des seuls cours de bourse : moyenne mensuelle la plus élevée des mois d'oc- tobre 1980 à mars 1981, augmentée des dividendes de 1980, le tout actualisé à 14%. Les sociétés nationalisées cotées sont estimées à une valeur boursière de 42,95 MMF, repré- sentent 12,6 % de la capitalisation boursière fin 1981 et 10 d'entre elles font partie des 50 plus grosses capitalisations de la Bourse de Paris.

3. L'heureuse surprise (1983-1986). — Le traumatisme réel et symbolique entraîné par la nationalisation de quel- ques-uns des plus beaux fleurons de la Bourse de Paris et

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les réticences des actionnaires face à la politique écono- mique et financière envisagée auraient dû conduire à une période de baisse. Or, non seulement c'est le résultat inverse qui se produit, mais les performances sont excep- tionnelles: hausses de 57,9% en 1983', 22,2% en 1984, 38,4 % en 1985, 53,1 % en 1986! Cette évolution imprévue est la conséquence de la combinaison d'au moins six facteurs :

— le changement de cap de la politique économique entrepris dès 1983, accompagné des réformes du mar- ché boursier et de l'encouragement constant pour les placements en valeurs mobilières, par exemple la créa- tion du compte d'épargne en actions (CEA) ;

— la politique du «franc fort», inaugurée avec la troi- sième dévaluation, en mars 1983, qui conduit à des cours attrayants pour les étrangers à une époque où toutes les bourses mondiales sont orientées à la hausse ;

— la réduction des placements en or, avec la fin de l'ano- nymat décidée le 1 octobre 1981 et la baisse des cours, et dans l'immobilier, découragés par la loi Quillot ;

— l'étroitesse du marché depuis les nationalisations, même si certaines sociétés nationalisées reviennent à la cote, en 1985, avec l'émission de certificats d'inves- tissement ;

— la loi de privatisation du 2 juillet 1986 avec la remise sur le marché, dès 1986, de plus de 30 millions de titres de 2 sociétés (Elf Aquitaine et Saint-Gobain) ;

— la réduction de la hausse des prix et des taux d'intérêt qui profite aussi aux obligations dont les cours aug- mentent de 11,7 % sur les quatre années, après une baisse de 13,1 % en 1981 et 1982 qui fait plus qu'an- nuler l'appréciation de 11,2 % de 1978 à 1980.

1. A partir de 1983, l'indice des valeurs françaises à revenu variable de l'INSEE n'est plus basé sur la valeur du 29 décembre 1972, mais change fréquemment de référence.

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4. L'inévitable correction des cours (1987-1989). — La hausse précédente se poursuit jusqu'en avril 1987 (12,9%), avant un tassement de 4,6% de mai à sep- tembre, malgré 11 privatisations qui ramènent sur le mar- ché 124 millions de titres et une capitalisation de 81,7 M M F. Mais les cours restent surévalués par rapport à la situation économique. Il en est de même sur toutes les bourses du monde, plus particulièrement à Wall Street où une sévère correction a lieu le «lundi noir », 19 octobre (-22,6%). Les causes en sont bien connues: baisse du cours du dollar, programmes informatiques conduisant à des décisions identiques des plus gros investisseurs insti- tutionnels, existence de marchés dérivés... L'interdépen- dance des marchés fait que le krach est transféré instanta- nément à Paris où les cotations sont suspendues plusieurs fois par jour pendant une huitaine de séances. Les cours baissent de 32,3 % jusqu'en décembre, soit 27,1 % depuis le début de l'année. A partir du mois de février 1988, une reprise régulière intervient (40,2 %) qui dure jusqu'en sep- tembre 1989 (encore + 25,7 %). Une nouvelle alerte a lieu le 11 octobre 1989 (New York et Paris perdent 7 % dans la journée). Mais le mouvement est moins ample qu'en 1987 car les causes sont, cette fois, surtout améri- caines. La Bourse de Paris baisse jusqu'en novembre (5,2 %), mais clôt l'année sur une hausse de 27,4 %. L'an- née suivante est mauvaise (-23,1 %), à cause du ralentis- sement économique au niveau national et de la crise du Golfe au niveau international.

5. Des cours fluctuants (1990-1995). — De fortes fluc- tuations des cours des actions caractérisent la première moitié des années 90: baisse de 23,1 % en 1990, sensible surtout à partir de décembre avec la crise du Golfe; hausse de 8,9 % en 1991 qui commence avec le début des hostilités dans le Golfe, mais s'essouffle à partir des événe- ments en URSS en août; stabilité en 1992, + 0,6 % sur l'an- née, mais avec des fluctuations dues à la préparation du référendum sur le traité de Maastricht et aux taux d'inté-

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rêt élevés en Allemagne; hausse de 22,1 % en 1993 grâce à la reprise des privatisations, désormais davantage réser- vées aux investisseurs institutionnels qu'aux petits por- teurs, et malgré la crise du SME et une situation écono- mique qui se détériore, avec un déficit budgétaire record ; nouvelle baisse en 1994 (17,1 %) même si un certain redressement de l'économie se manifeste; quasi-stabilité en 1995 (-0,5 %), alors que les autres bourses mondiales connaissent une forte appréciation, en raison d'incerti- tudes politiques, économiques et sociales.

1. A p a r t i r d e 1993, l'INSEE n e p u b l i e p lu s s o n i nd i ce des c o u r s à r e v e n u var iab le . P o u r les a n n é e s 1993-1995 es t d o n c f o u r n i e l ' é v o l u t i o n d e l ' i nd ice CAC 40.

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CONCLUSION

L'histoire de la Bourse de Paris constitue une page importante de l'histoire de la France. Même si l'on veut bien croire le général de Gaulle quand il affirme que la «politique ne se fait pas à la corbeille», on peut penser que les piliers du Palais Brongniart regorgent de secrets qui ont scellé le destin de notre pays. De façon plus visible, la Bourse de Paris a joué un rôle indéniable dans l'histoire économique française. D'abord, le développe- ment des grands secteurs a été assuré, en grande partie, par les sociétés cotées qui, connues du public, ont su atti- rer les épargnants. Ensuite, de nombreuses entreprises ont acquis leur notoriété sur le marché boursier, lors de mou- vements inattendus des cours de leurs actions ou à l'occa- sion d'opérations exceptionnelles telles des offres publi- ques. Enfin, combien de fortunes se sont faites, et parfois défaites, sur le marché boursier !

La Bourse de Paris pourra-t-elle encore longtemps être l'un des pans de la mémoire de la France? Rien n'est moins sûr. En effet, la concurrence entre les différentes places financières, les arbitrages permanents qu'elles sus- citent, les rapprochements de sociétés de tous les pays donnant naissance à la formation de grands groupes, l'émergence de systèmes électroniques privés de négocia- tions, la création de l'Euro... risquent de conduire à la concentration des cotations sur une ou deux Bourses en Europe, les autres étant cantonnées dans un rôle marginal de cotation de sociétés de moindre importance.

Dans son combat pour sa survie au niveau inter- national, la Bourse de Paris dispose d'atouts non négli- geables : son fonctionnement assuré par un outil informa-

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tique efficace, des autorités de tutelle respectées, un nombre important de sociétés étrangères cotées, l'exis- tence d'un « nouveau marché », des produits cotés libellés en écu, des projets de fonds de pension qui devraient atti- rer davantage d'épargne vers les valeurs mobilières...

Mais, elle présente, aussi, des limites: son étroitesse puisqu'elle représente moins de 7% des échanges de Wall Street et moins de 20 % de ceux du Stock Exchange de Londres ; la moindre représentativité de ses cours, aujourd'hui fixés par les ordres de quelques investisseurs institutionnels dont les anticipations sont, souvent, uni- formes et non plus par la confrontation des ordres indivi- duels de la foule des petits porteurs ; sa faible reconnais- sance par les grands investisseurs étrangers, tels les fonds de pension américains; la prééminence de son comparti- ment obligataire sur son compartiment d'actions; la situation financière dégradée de ses intermédiaires; des échanges de titres des plus grandes sociétés françaises, surtout sur les blocs de contrôle, plus importants sur les places financières étrangères qu'à Paris.

Et pourtant, la disparition ou, seulement, la perte d'influence de la Bourse de Paris serait grandement préju- diciable car un marché financier est indispensable dans une économie de marché, l'évolution des cours des titres étant, à long terme, la meilleure appréciation, donc la meilleure sanction, de la gestion et de la santé des entreprises.

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B I B L I O G R A P H I E .

Sur la Bourse de Paris avant la période contemporaine : Bayle F., L'histoire des échanges et des transactions de l'Antiquité à nos

jours, Les Éditions de l'Épargne, 1988. Bigo R., Les bases historiques de la finance moderne, A. Colin, 1957. Colling A., La prodigieuse histoire de la Bourse, SEF, 1949. Haour P., La Bourse, A. Colin, 1962. Michalet C.-A., Les placements des épargnants français de 1815 à nos

jours, PUF, 1968. Moreau-Néret O., Les valeurs françaises depuis 1940, Sirey, 1957. Reznikow S., Les envolées de la Bourse de Paris au XIX siècle, Histoire

économique et financière de la France. Études et Documents, II, Comité pour l'histoire économique et financière de la France, 1990, p. 223- 244.

Roubaud L., La Bourse, Grasset, 1929. Valeurs J., A quoi sert la Bourse, Le Seuil, 1966.

Sur les mécanismes boursiers, afin de comprendre certaines techniques citées dans le texte :

Défossé G. et Balley P., La bourse des valeurs, PUF, « Que sais-je? », 18 éd., 1994.

Lehmann P.-J., La Bourse de Paris, Dunod, « Ecofi », 1991.

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