Him,Maurizio Cattelan - Académie d'Aix-Marseille...L' Italie sombre lentement dans les années de...

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Him,Maurizio Cattelan Titre de l’Œuvre: Nom de l’auteur (dates) Support: Domaine(s) artistique(s):Arts visuels Him (lui), MAURIZIO CATTELAN né en 1960 résine de polyester, cire, pigment, cheveux humains et costume (101X41X53), 2001 Installation Fargfabriken, Stockholm, 10 février-8 avril 2001. Biographie de l’artiste Maurizio Cattelan est un artiste italien né à Padoue en 1960.Il vit et travaille à New York. Ses œuvres, souvent provocatrices, mêlent un humour noir à une réflexion sur la mort, la place de l’être humain dans le monde et la société où il vit, la manipulation religieuse ou politique, les grandes catastrophes humaines du XXème siècle. Il est aujourd'hui l'un des artistes contemporains les plus collectionnés. Il n'a jamais fait d'école d'arts, c'est un autodidacte. Au tournant des années 70, Padoue, tranquille cité catholique, se transforme en haut lieu de la culture subversive. L’agitation donne alors naissance à de multiples groupes contestataires dont les fameuses Brigades rouges. L' Italie sombre lentement dans les années de plomb. Issu d'un milieu populaire, il débute par toutes sortes de petits boulots, mais sans succès. Au début des années 1980 il se met à fabriquer des petits meubles en bois, qu'il tente de vendre, ce qui lui permet d'entrer en contact avec des personnalités du design comme Ettore Sottsass. Cette action lui permet de faire une petite percée dans le milieu du design et de l'art contemporain. Il décide alors de trouver sa place et de faire parler de lui par la provocation et les détournements, ou par la surprise: il plante des oliviers dans la cour d'institutions, présente une autruche empaillée avec la tête enterrée dans le sol, se balade déguisé en figurine avec une tête géante de Picasso...

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Him,Maurizio Cattelan

Titre de l’Œuvre:

Nom de l’auteur (dates)

Support:

Domaine(s) artistique(s):Arts visuels

Him (lui),

MAURIZIO CATTELAN né en 1960

résine de polyester, cire, pigment, cheveux humains

et costume (101X41X53), 2001

Installation Fargfabriken, Stockholm, 10 février-8

avril 2001.

Biographie de l’artiste

Maurizio Cattelan est un artiste italien né à Padoue en 1960.Il vit et travaille à New York. Ses œuvres,

souvent provocatrices, mêlent un humour noir à une réflexion sur la mort, la place de l’être humain dans le

monde et la société où il vit, la manipulation religieuse ou politique, les grandes catastrophes humaines du

XXème siècle. Il est aujourd'hui l'un des artistes contemporains les plus collectionnés. Il n'a jamais fait d'école

d'arts, c'est un autodidacte. Au tournant des années 70, Padoue, tranquille cité catholique, se transforme en

haut lieu de la culture subversive. L’agitation donne alors naissance à de multiples groupes contestataires

dont les fameuses Brigades rouges. L' Italie sombre lentement dans les années de plomb. Issu d'un milieu

populaire, il débute par toutes sortes de petits boulots, mais sans succès. Au début des années 1980 il se met

à fabriquer des petits meubles en bois, qu'il tente de vendre, ce qui lui permet d'entrer en contact avec des

personnalités du design comme Ettore Sottsass. Cette action lui permet de faire une petite percée dans le

milieu du design et de l'art contemporain. Il décide alors de trouver sa place et de faire parler de lui par la

provocation et les détournements, ou par la surprise: il plante des oliviers dans la cour d'institutions, présente

une autruche empaillée avec la tête enterrée dans le sol, se balade déguisé en figurine avec une tête géante de

Picasso...

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«J’aimerais bien être assez bon pour penser à faire quelque chose de provocateur et pouvoir le faire. J’aimerais avoir une télécommande sur laquelle appuyer pour réaliser des œuvres de ce genre sur commande. Mais ça ne marche pas comme ça. J'aime l’idée des œuvres qui te prennent et te donnent un coup de poing dans le ventre. Je n’ai jamais rien fait de plus provocateur ni de plus impitoyable que ce que je vois tous les jours autour de moi. Au regard de l’actualité, mes œuvres ne sont pas cyniques. Elles sont seulement assez fortes pour réveiller le public."»

Maurizio Catellan

Introduction:

J’ai choisi de vous présenter l’œuvre Him de Maurizio Catellan

Il s’agit d’une sculpture artistique contemporaine hyperréaliste représentant en position de prière, Hitler, chef du parti

allemand nazi au pouvoir entre 1933 et 1945 et responsable du génocide juif.

Cette œuvre d’art a été réalisée par Maurizio Catellan. C’est un artiste italien né en 1960 à Padoue, issu d’un milieu

populaire, qui après avoir effectué plusieurs petits boulots, en vient à l’art contemporain en autodidacte.

L'art contemporain rassemble toutes les œuvres d'art postérieures à la 2ème Guerre Mondiale. Il vit entre Milan et

New-York.

Catellan est un artiste dont les œuvres sont très réalistes. Il souhaite marquer les esprits, il brave les sujets tabous,

cultive la provocation et n’hésite pas à devenir lui-même le sujet de ses œuvres.

Him date de 2001 et a été installée pour la première fois dans une ancienne usine de la banlieue de Stockholm (en

Suède).

A cette époque, les mouvements néo-nazis se multiplient un peu partout en Europe.

Dans un premier temps, je vous décrirai et commenterai plus précisément cette sculpture. Dans un second temps, je

vous présenterai la portée argumentative de cette œuvre.

Enfin, dans un troisième temps, je vous proposerai le prolongement que j’ai sélectionné et vous justifierai mes

choix.(Chaque apparition du symbole signalera un prolongement possible. Attention, d’autres liens peuvent être faits!)

I. Présentation générale. a-L’œuvre.

Cette œuvre a été installée au Fargfabriken de Stockholm en 2001, dans l’angle d’une pièce,

tournée, face au mur, tournant le dos aux visiteurs. Cette sculpture est une installation in situ, c’est-à-

dire que le lieu d’exposition fait partie de l’œuvre.

Cette dernière est une installation car elle envahit l’espace de représentation et invite les visiteurs

à déambuler autour d’elle pour en comprendre le sens.

Maurizio Cattelan choisit la plupart du temps pour cette œuvre des lieux où il pourra installer sa sculpture

face à un puits de lumière.

Dans le cas de l'usine à Stockholm, le lieu fait penser à une église: nef, piliers, architecture globale, vitrail

avec lumière...

En effet, en pénétrant dans la pièce, le visiteur pense apercevoir un enfant, à genoux. Il lui faudra

donc s’approcher de l’installation, tourner autour afin de se retrouver face à cette représenta

tion afin de découvrir l’identité de ce personnage et comprendre le titre de l’œuvre: Him.

Cette œuvre est façonnée à partir de résine de polyester et de composant humains ou réels

(cheveux humains, vêtements). Ce choix de matériaux accentue l’impression de réalisme qui

se dégage de cette installation. Him, représentant un petit Adolf Hitler agenouillé comme s'il priait. Cette

œuvre a été exposée durant un mouvement néo-nazi en Suède, afin de rappeler les horreurs qu'a causées le

nazisme. Elle est l'objet d'une controverse lors de son exposition à Varsovie en novembre 2012. Une

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b. L’auteur.

Maurizio Cattelan est né en 1960 à Padoue (Italie). Il est issu d’un milieu populaire. Il exerce

tout d’abord divers petits emplois et travaillera même à la morgue (ce qui peut peut‐être expliquer son goût pour le macabre). Dès le début des années 80, il commence à produire

des meubles en bois qui lui offrent la possibilité d’entrer en contact avec des personnalités

du design. Il réussit à effectuer une petite percée dans le domaine du design et de l’art

contemporain. Il choisit alors de se faire connaître par la provocation, les détournements et

la surprise. Il mêle dans ses œuvres un humour noir distancié

à une réflexion sur la mort, la place de l’être humain dans le monde et la société où il vit,

la manipulation religieuse ou politique, les grandes catastrophes humaines du XX° siècle.

c. Contexte de réalisation.

Un demi‐siècle après la Seconde Guerre mondiale, le spectre d’Adolf Hitler hante encore le

monde et l’Europe. Certes, les anciens pays de l’Est se sont libérés du joug soviétique,

mettant un terme à une scission du monde née de la guerre de 39‐45 ; le libéralisme rend le monde moderne euphorique ; et la mondialisation naissante fait croire à une possible

fraternité universelle... Mais les nationalismes refont surface, les conflits militaires voient

s’affronter les grandes puissances mondiales, en Afrique et au Proche Orient notamment, et

la mondialisation rend finalement criantes les inégalités entre les peuples. De plus, le temps

qui passe fait parfois oublier les errements humains, et il semble nécessaire de raviver le

souvenir d’une Histoire qui s’efface avec ses survivants.

II. L’analyse de l’œuvre

a. Les premières impressions ne sont pas toujours les meilleures.

On semble tout d’abord, voir un petit personnage, un enfant, agenouillé, mains jointes : en prière.

Cette pose «intime» (du point de vue religieux). Nous incite à penser qu’il s’agit d’un personnage

tout à fait inoffensif (pur): son costume est soigné, cheveux disciplinés... On ne peut pas alors

deviner qu'il s'agit en fait d'une représentation hyperréaliste d'Hitler (qui lui -même a été un enfant.) c.f: Pauvre petit garçon, D. Buzzati.

Une œuvre qui déconcerte

Maurizio Cattelan met en scène Hitler, une des plus grandes figures du pouvoir et son geste religieux.

Le choix de présenter cette œuvre in situ la rend déconcertante puisque derrière la candeur, la vulnérabilité

et la puérilité de la silhouette de l’enfant que l'on croit voir dans un premier temps se cache le visage

d’Hitler.

Le spectateur éprouve donc à la fois surprise, déconcertement et effroi: il est littéralement choqué.

Il est d'autant plus surpris qu'Hitler est représenté dans un moment d'intimité religieuse; cette surprise est

renforcée par l’hyperréalisme de la sculpture.

b. La surprise.

Mais au fur et à mesure que le spectateur en fait le tour, il s’aperçoit alors que l’enfant porte en

réalité le visage du dictateur

A. Hitler.

L’effet de surprise est double : choc de se retrouver face à ce visage symbolisant le Mal ; incomp

réhension de voir l’un des symboles du mal en train de prier.

Cet effet de surprise est encore renforcé par les moyens plastiques mis en œuvre ici : sculpture en

cire hyperréaliste (c.f: Duane Hanson), qui reproduit avec une grande exactitude la peau humaine, l

es cheveux, les sourcils...

Avec cette œuvre, M. Cattelan semble mettre le spectateur en garde contre toutes les idéologies

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susceptibles d’asservir l’être humain (ici, la politique et le religieux sont mêlés, non pas pour critiq

uer bêtement la politique et la religion, mais pour montrer que, lorsqu’ils sont instrumentalisés, ces

deux moyens qu’a l’être humain de s’élever et de mieux vivre avec luimême et les autres peuvent

devenir des outils de propagande).D’autre part, il met également en garde contre toute forme de si

mplification : avant d’être le « monstre » que l’on présente, Hitler est un être

humain, qui a été un enfant : pour Cattelan, peut‐être que l’origine de la folie du dictateur est à rechercher dans cette enfance (on pense ici à la nouvelle "Pauvre petit enfant" de Dino

Buzzatti dans le recueil Le K). L’une des conclusions que l’on peut en tirer, c’est qu’un «

monstre » sommeille peut‐être en chacun de nous, et qu’il importe à chacun de rester vigilant.

« Ce travail juxtapose le vulnérable, l’apparence d’innocence d’un corps de garçon avec la face de l’adulte Adolf Hitler, qui est perçu comme une des plus mauvaises personnes du 20ème siècle » 1. Description de l’œuvre

1.Une œuvre contemporaine hyperréaliste.

A-une œuvre à découvrir par étapes

«Him» est une sculpture datant de 2001, elle appartient donc à l’artcontemporain

(rappel: l'expression art contemporainqualifie les œuvres produites depuis 1945).

Cette sculpture de 101*41*53 cm, représente de loinun enfant de dos, à genoux.

Quand le spectateur s’approche, toujours de dos, il constate que cet enfant porte un véritable costume, des chaussures

et a de véritables cheveux.

Lorsqu'il fait le tourde la sculpture, il s’aperçoit simultanément que l’enfant a les mains jointes et est donc en train de

prier, mais aussi qu'il porte le visage d’Hitler: ce n'est plus un enfant.

B-une œuvre hyperréaliste

Dans ses sculptures, Maurizio Cattelan cherche à produire un effet de réel. Ici, tout est mis en œuvre pour le produire:

une taille vraisemblable

l'utilisation de la cire pour imiter la peau

utilisation de polyester pour le costume

vraies chaussures

utilisation de véritables cheveux.

Cette œuvre représentant Hitler dans un moment de prière est donc hyperréaliste.

2.Une œuvre qui provoque

L'association de ce visage symbolisant le mal et la mort et le geste de la prière peut être perçue comme une

provocation.

Pour rappel, Maurizio Cattelanest un artiste contemporain provocateur: il n'hésite pas à s'emparer des symboles sacrés

ou des sujets tabous (la mort) pour en faire son art.

«Him» a d'ailleurs été installée en plein ghetto de Varsovie, ce qui a été perçu comme une provocation.

3.Un titre qui questionne

Le titre «Him», «lui», a plusieurs interprétations:

Celui que l’on rejette s’adresse directement au personnage d’Hilter et le désigne entièrement responsable du

massacre de la seconde guerre mondiale >le Mal incarné (d'où la majuscule)

Cependant ce titre s’adresse également au spectateur: c’est lui et pas nous cherchant à nous déculpabiliser mais

surtout implicitement à nous renvoyer à notre propre comportement > l'autre, pas nous

Une autre interprétation du titre est également possible: avec une majuscule (Him), ce pronom représente Dieu.

Hitler, dans la lumière, adopte alors une sorte de sacralité ironiquement contredite par la taille de l’enfant, minuscule

et agenouillé.

4.Une œuvre qui délivre des messages

Avec cette œuvre, Cattelan met en avant le côté diabolique de l'homme au pouvoir et rappelle donc de manière

violente que le bien peut côtoyer le mal à des degrés différents, incitant le spectateur à se méfier des apparences . Plus

généralement, le bien peut aussi côtoyer le mal chez tout être humain.

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Mais il nous met également en garde contre toute simplification: avant d’être le dictateur que l'on connaît, Hitler est un

être humain qui a été enfant. Le spectateur doit donc rester vigilant sur ce qu’il fait, dit ou pense sans toutefois retirer

au personnage sa cruauté.

En juxtaposant le politique et le religieux, l’artiste met en garde le spectateur contre toutes les idéologies qui

asservissent l’être humain.

Par cette œuvre, l’artiste bouscule les consciences afin qu’elles n’oublient pas l’Histoire: c’est ce qu’on appelle le

devoir de mémoire.

Enfin, en fonction des lieux dans lesquels cette installation est placée, elle prend d'autres sens différents mais qui bousculent toujours les consciences

M. Cattelan Conclusion:

Cette œuvre contemporaine et hyperréaliste est déconcertante car derrière la silhouette de l’enfant se cache le visage

d’Hitler.

Cette installation bouscule l’ordre établi. En effet, Catellan n’hésite pas à s’emparer des symboles sacrés et à

provoquer le spectateur en associant le mal et la mort au geste de la prière.

Cette œuvre perturbe les consciences par son titre, les différents messages qu’elle délivre mais également les différents

lieux dans lesquels elle est exposée.

De ce fait, bien que cette œuvre ravive le souvenir d’un épisode tragique de l’Histoire, Him questionne le spectateur

plus qu’autre chose.

III. Des ponts vers d’autres œuvres. a. Pauvre petit garçon, D. Buzzati.

Pauvre petit garçon! POVERO BAMBINO

BUZZATI, Le K, "Pauvre Petit garçon"

Comme d'habitude, Mme Klara emmena son petit garçon, cinq ans, au jardin public, au bord du

fleuve. Il était environ trois heures. La saison n'était ni belle ni mauvaise, le soleil jouait à cache-

cache et le vent soufflait de temps à autre, porté par le fleuve.

On ne pouvait pas dire non plus de cet enfant qu'il était beau, au contraire, il était plutôt pitoyable

même, maigrichon, souffreteux, blafard, presque vert, au point que ses camarades de jeu, pour se

moquer de lui, l'appelaient Laitue. Mais d'habitude les enfants au teint pâle ont en compensation

d'immenses yeux noirs qui illuminent leur visage exsangue et lui donnent une expression

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pathétique. Ce n'était pas le cas de Dolfi; il avait de petits yeux insignifiants qui vous regardaient

sans aucune personnalité.

Ce jour-là, le bambin surnommé Laitue avait un fusil tout neuf qui tirait même de petites

cartouches, inoffensives bien sûr, mais c'était quand même un fusil ! Il ne se mit pas à jouer avec

les autres enfants car d'ordinaire ils le tracassaient, alors il préférait rester tout seul dans son coin,

même sans jouer. Parce que les animaux qui ignorent la souffrance de la solitude sont capables de

s'amuser tout seuls, mais l'homme au contraire n'y arrive pas et s'il tente de le faire, bien vite une

angoisse encore plus forte s'empare de lui.

Pourtant quand les autres gamins passaient devant lui, Dolfi épaulait son fusil et faisait semblant de

tirer, mais sans animosité, c'était plutôt une invitation, comme s'il avait voulu leur dire : « Tiens, tu

vois, moi aussi aujourd'hui j'ai un fusil. Pourquoi est-ce que vous ne me demandez pas de jouer

avec vous? »

Les autres enfants éparpillés dans l'allée remarquèrent bien le nouveau fusil de Dolfi. C'était un

jouet de quatre sous mais il était flambant neuf et puis il était différent des leurs et cela suffisait

pour susciter leur curiosité et leur envie. L'un d'eux dit :

« Hé ! vous autres !... vous avez vu la Laitue, le fusil qu'il a aujourd'hui ? »

Un autre dit:

« La Laitue a apporté son fusil seulement pour nous le faire voir et nous faire bisquer mais il ne

jouera pas avec nous. D'ailleurs il ne sait même pas jouer tout seul. La Laitue est un cochon. Et puis

son fusil, c'est de la camelote !

- Il ne joue pas parce qu'il a peur de nous», dit un troisième.

Et celui qui avait parlé avant :

« Peut-être, mais n'empêche que c'est un dégoûtant ! »

Mme Klara était assise sur un banc, occupée à tricoter, et le soleil la nimbait d'un halo. Son petit

garçon était assis, bêtement désœuvré, à côté d'elle, il n'osait pas se risquer dans l' allée avec son

fusil et il le manipulait avec maladresse. Il était environ trois heures et dans les arbres de nombreux

oiseaux inconnus faisaient un tapage invraisemblable, signe peut-être que le crépuscule approchait.

« Allons, Dolfi, va jouer, l'encourageait Mme Klara, sans lever les yeux de son travail.

- Jouer avec qui ?

- Mais avec les autres petits garçons, voyons ! vous êtes tous amis, non ?

- Non, on n'est pas amis, disait Dolfi. Quand je vais jouer ils se moquent de moi.

- Tu dis cela parce qu'ils t'appellent Laitue ?

- Je veux pas qu'ils m'appellent Laitue !

- Pourtant moi je trouve que c'est un joli nom. A ta place, je ne me fâcherais pas pour si peu. »

Mais lui, obstiné :

« Je veux pas qu'on m'appelle Laitue ! »

Les autres enfants jouaient habituellement à la guerre et ce jour-là aussi. Dolfi avait tenté une fois

de se joindre à eux, mais aussitôt ils l'avaient appelé Laitue et s'étaient mis à rire. Ils étaient presque

tous blonds, lui au contraire était brun, avec une petite mèche qui lui retombait sur le front en

virgule. Les autres avaient de bonnes grosses jambes, lui au contraire avait de vraies flûtes maigres

et grêles. Les autres couraient et sautaient comme des lapins, lui, avec sa meilleure volonté, ne

réussissait pas à les suivre. Ils avaient des fusils, des sabres, des frondes, des arcs, des sarbacanes,

des casques. Le fils de l'ingénieur Weiss avait même une cuirasse brillante comme celle des

hussards. Les autres, qui avaient pourtant le même âge que lui, connaissaient une quantité de gros

mots très énergiques et il n'osait pas les répéter. Ils étaient forts et lui si faible.

Mais cette fois lui aussi était venu avec un fusil.

C'est alors qu'après avoir tenu conciliabules les autres garçons s'approchèrent :

« Tu as un beau fusil, dit Max, le fils de l'ingénieur Weiss. Fais voir. »

Dolfi sans le lâcher laissa l'autre l'examiner.

« Pas mal », reconnut Max avec l'autorité d'un expert.

Il portait en bandoulière une carabine à air comprimé qui coûtait au moins vingt fois plus que le

fusil. Dolfi en fut très flatté.

« Avec ce fusil, toi aussi tu peux faire la guerre, dit Walter en baissant les paupières avec

condescendance.

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- Mais oui, avec ce fusil, tu peux être capitaine », dit un troisième.

'" Et Dolfi les regardait émerveillé. Ils ne l'avaient pas encore appelé Laitue. Il commença à

s'enhardir.

Alors ils lui expliquèrent comment ils allaient faire la guerre ce jour-là. Il y avait l'armée du général

Max qui occupait la montagne et il y avait l'armée du général Walter qui tenterait de forcer le

passage. Les montagnes étaient en réalité deux talus herbeux recouverts de buissons ; et le passage

était constitué par une petite allée en pente. Dolfi fut affecté à l'armée de Walter avec le grade de

capitaine. Et puis les deux formations se séparèrent, chacune allant préparer en secret ses propres

plans de bataille.

Pour la première fois, Dolfi se vit prendre au sérieux par les autres garçons. Walter lui confia une

mission de grande responsabilité : il commanderait l'avant-garde. Ils lui donnèrent comme escorte

deux bambins à l'air sournois armés de fronde et ils l'expédièrent en tête de l'armée, avec l'ordre de

sonder le passage : Walter et les autres lui souriaient avec gentillesse. D'une façon presque

excessive.

Alors Dolfi se dirigea vers la petite allée qui descendait en pente rapide. Des deux côtés, les rives

herbeuses avec leurs buissons. Il était clair que les ennemis, commandés par Max, avaient dû tendre

une embuscade en se cachant derrière les arbres. Mais on n'apercevait rien de suspect.

« Hé ! capitaine Dolfi, pars immédiatement à l'attaque, les autres n'ont sûrement pas encore eu le

temps d'arriver, ordonna Walter sur un ton confidentiel. Aussitôt que tu es arrivé en bas, nous

accourons et nous y soutenons leur assaut. Mais toi, cours, cours le plus vite que tu peux, on ne sait

jamais... »

Dolfi se retourna pour le regarder. Il remarqua que tant Walter que ses autres compagnons d'armes

avaient un étrange sourire. Il eut un instant d'hésitation.

« Qu' est-ce qu' il y a ? demanda-t-il.

- Allons, capitaine, à l' attaque ! intima le général.

Au même moment, de l'autre côté du fleuve invisible, passa une fanfare militaire. Les palpitations

émouvantes de la trompette pénétrèrent comme un flot de vie dans le cœur de Dolfi qui serra

fièrement son ridicule petit fusil et se sentit appelé par la gloire.

« A l'attaque, les enfants ! » cria-t-il, comme il n'aurait jamais eu le courage de le faire dans des

conditions normales.

Et il se jeta en courant dans la petite allée en pente.

Au même moment un éclat de rire sauvage éclata derrière lui. Mais il n'eut pas le temps de se

retourner. Il était déjà lancé et d'un seul coup il sentit son pied retenu. A dix centimètres du sol, ils

avaient tendu une ficelle.

Il s'étala de tout son long parterre, se cognant douloureusement le nez. Le fusil lui échappa des

mains. Un tumulte de cris et de coups se mêla aux échos ardents de la fanfare. Il essaya de se

relever mais les ennemis débouchèrent des buissons et le bombardèrent de terrifiantes balles

d'argile pétrie avec de l'eau. Un de ces projectiles le frappa en plein sur l'oreille le faisant trébucher

de nouveau. Alors ils sautèrent tous sur lui et le piétinèrent. Même Walter, son général, même ses

compagnons d'armes !

« Tiens! Attrape, capitaine Laitue. »

Enfin il sentit que les autres s'enfuyaient, le son héroïque de la fanfare s'estompait au delà du

fleuve. Secoué par des sanglots désespérés il chercha tout autour de lui son fusil. Il le ramassa. Ce

n'était plus qu'un tronçon de métal tordu. Quelqu'un avait fait sauter le canon, il ne pouvait plus

servir à rien.

Avec cette douloureuse relique à la main, saignant du nez, les genoux couronnés, couvert de terre

de la tête aux pieds, il alla retrouver sa maman dans l'allée.

« Mon Dieu! Dolfi, qu'est-ce que tu as fait ? »

Elle ne lui demandait pas ce que les autres lui avaient fait mais ce qu'il avait fait, lui. Instinctif dépit

de la brave ménagère qui voit un vêtement complètement perdu. Mais il y avait aussi l' humiliation

de la mère : quel pauvre homme deviendrait ce malheureux bambin? Quelle misérable destinée l'

attendait ? Pourquoi n'avait-elle pas mis au monde, elle aussi, un de ces garçons blonds et robustes

qui couraient dans le jardin ? Pourquoi Dolfi restait-il si rachitique? Pourquoi était-il toujours si

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pâle? Pourquoi était-il si peu sympathique aux autres? Pourquoi n'avait-il pas de sang dans les

veines et se laissait-il toujours mener par les autres et conduire par le bout du nez? Elle essaya

d'imaginer son fils dans quinze, vingt ans. Elle aurait aimé se le représenter en uniforme, à la tête

d'un escadron de cavalerie, ou donnant le bras à une superbe jeune fille, ou patron d'une belle

boutique, ou officier de marine. Mais elle n'y arrivait pas. Elle le voyait toujours assis un porte-

plume à la main, avec de grandes feuilles de papier devant lui, penché sur le banc de l' école,

penché sur la table de la maison, penché sur le bureau d'une étude poussiéreuse. Un bureaucrate, un

petit homme terne. Il serait toujours un pauvre diable, vaincu par la vie.

« Oh! le pauvre petit! » s'apitoya une jeune femme élégante qui parlait avec Mme Klara.

Et secouant la tête, elle caressa le visage défait de Dolfi.

Le garçon leva les yeux, reconnaissant, il essaya de sourire, et une sorte de lumière éclaira un bref

instant son visage pâle. Il y avait toute l'amère solitude d'une créature fragile, innocente, humiliée,

sans défense; le désir désespéré d'un peu de consolation; un sentiment pur, douloureux et très beau

qu'il était impossible de définir. Pendant un instant - et ce fut la dernière fois -, il fut un petit garçon

doux, tendre et malheureux, qui ne comprenait pas et demandait au monde environnant un peu de

bonté.

Mais ce ne fut qu'un instant. « Allons, Dolfi, viens te changer! » fit la mère en colère, et elle le

traîna énergiquement, à la maison.

Alors le bambin se remit à sangloter à cœur fendre, son visage devint subitement laid, un rictus dur

lui plissa la bouche.

« Oh ! ces enfants! quelles histoires ils font pour un rien! s'exclama l'autre dame agacée en les

quittant. Allons, au revoir, madame Hitler! »

Dino Buzzati, «Pauvre petit garçon!» 1967

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b. D’autres œuvres de M.Cattelan.

La Neuvième heure

(La Nona Ora), créée en 1999, une effigie, en cire et grandeur nature, du pape Jean-Paul II terrassé et cloué

au sol par une météorite.

Cattelan crée des œuvres mémorables qui font toujours scandale et donnent lieu à toutes sortes

d'interprétations, jusqu'à mettre en cause la religion et le sacré, comme

La Nona Ora, sculpture qui représente une effigie, en cire et grandeur nature, du

défunt pape Jean Paul II terrassé par une météorite.

Sélection d'œuvres

Par peur de l'amour, un éléphant en uniforme du Ku Klux Klan, 2001. M.Cattelan

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M.Cattelan

M.Cattelan

09-05-2004 Il se blesse en tentant de détruire une œuvre d'art exposée à Milan

ROME - Choqué par la vision de trois enfants pendus à un arbre, une oeuvre de l'artiste contemporain Maurizio Cattelan installée dans le centre

de Milan, un homme s'est blessé en cherchant à les décrocher.Trois mannequins d'enfants en plastique ont été pendus mardi aux branches du plus vieil arbre de Milan, un chêne planté place du 24 mai, dans le centre des la ville et présentés comme une oeuvre 'ouverte' de Maurizio Cattelan,

l'un des artistes contemporains italiens les plus côtés.Mais l'un des habitants de la place, Frabrizio di Benedetto, 44 ans, ne supportait plus la

vision de ces enfants de plastiques qui lui 'semblaient vrais'. Equipé d'une échelle et d'une scie, il a décidé jeudi de mettre fin à cette 'torture

esthétique', ont raconté les témoins de la scène cités vendredi par la presse. Il a réussi a décrocher les deux premiers, mais en coupant la corde suspendant le troisième mannequin, il a chuté de plusieurs mètres et est retombé sur une barre de métal entourant la base du vieil arbre.Il souffre

de plusieurs contusions et d'un traumatisme crânien et était toujours vendredi en observation à l'hôpital Fatebenefratelli de Milan.Maurizio

Cattelan, 44 ans, originaire de Padoue, s'est déclaré 'désolé' dans un entretien au Corriere della Sera. Considéré comme 'l'héritier d'Andy Warhol',

l'artiste qui vit aux Etats-Unis a expliqué que ,,cette oeuvre est un moyen de susciter la réflexion et la discussion, car chacun peut y voir ce qu'il veut.'' ,,Chacun a la liberté de se détourner s'il ne veut pas voir l'art ou la réalité'', a-t-il souligné.Mais ses pendus, commandés et financés par la

Fondation Nicola Trussardi, ont quitté le vieux chêne. Les carabiniers et les pompiers de Milan se sont eux-mêmes chargés jeudi soir de

décrocher le troisième mannequin, par sécurité'', ont-ils précisé vendredi. (AFP)

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c. Un autre artiste hyperréaliste: Duane Hanson. 1969

Caddie, Supermarket Shopper, Supermarket Lady,la femme au caddie de Duane Hanson

Duane Hanson Tourists II, 1988

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Des ponts vers d’autres œuvres.

-Affiches de propagande : 1ère

guerre mondiale, Nazisme, URSS, front populaire, 2e guerre mondiale,

Régime de Vichy ….

- Bandes dessinées historiques :

- C'était la guerre des tranchées de Tardi sur la 1ère

guerre mondiale

- Maus d'Art Spiegelman sur la shoah

- Carnets d'Orient tomes 6 à 10 de Jacques Ferrandez sur la décolonisation en Algérie…

- Films :

- Films sur la 1ère

guerre mondiale : A l'ouest rien de nouveau de Lewis Milestone, Les sentiers de la

gloire Stanley Kubrick, La Grande illusion de Jean Renoir, Un long dimanche de fiançailles de Jean-

PierreJeunet

- Films de propagande : La ligne générale ou le cuirassé Potemkine d'Eisenstein, La Vie est à nous

de Jean Renoir

- Films sur la 2e Guerre mondiale : L'armée des ombres deJean-Pierre Melville, La Vie est belle de

Roberto Benigni ….

- Mon oncle de Jacques Tati …

- Œuvres picturales : tableaux d'Otto Dix, de Picasso (Guernica …), de Dali … John Heartfield

- Œuvres littéraires :

- Sur la Première Guerre mondiale : A l'ouest rien de nouveau d'Erich Maria remarque, Un long

dimanche de fiançailles de Sébastien Japrisot …

- Sur la Seconde Guerre mondiale : Le journal d'Anne Franck, Si c'est un homme de P. Levi, Matin

brun de F. Pavloff, Inconnu à cette adresse de K. Taylor …Dino Buzzati le K Povero bambino

- Œuvres musicales/chansons :

- Chanson de Craonne, Boris Vian le Déserteur, le chant des marais, le chant des partisans, Bella

ciao …

- https://www.youtube.com/watch?v=CSPW9lTN6oQ During the war Steve- Different trains Reich

- Affiches de publicité : Affiches de l'après guerre en France symbolisant la société de consommation …

- Monuments : Monuments aux morts ….

-Sculptures, installations,performances

-Him Cattelan

-Ebrea,Le mur des lamantations Fabio Mauri

- Zoé Léonard, Robert, 2001…