Hier et aujourd’hui : de Mme de Ségur à Claude...

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Les livres pour enfants, une école des parents ? Hier et aujourd’hui : de Mme de Ségur à Claude Ponti Aux antipodes d’une littérature fleur bleue à laquelle certains ont tenté de la réduire, la Comtesse de Ségur dresse une galerie de portraits de parents insatisfaisants – sans même parler de la méchante Mme Fichini qui, dans Les petites filles modèles, tout en partageant bien des traits avec la propre mère de l’auteur, n’est qu’une marâtre de conte de fées. Pensons à M et Mme de Sibran, falots et mondains, à Mme des Ormes, délaissant Christine, dans François le bossu, à M. Dormère, gâtant Georges aux dépens de sa nièce, Geneviève, dans Après la pluie le beau temps, à M et Mme de Gerville qui transforment Giselle en petit monstre, à force de la gâter et de refuser de voir ses défauts, dans Quel amour d’enfant. La pire, à mes yeux, étant celle qu’elle présente en modèle, celle qu’elle croyait calquer sur ses filles : Mme de Fleurville, la mère parfaite ! Mais elle offre une porte de sortie aux enfants de ses livres : si leurs parents sont trop mauvais, libre à eux d’en dénicher de meilleurs pour renforcer leur résilience. Ainsi la petite Christine des Ormes adopte-t-elle comme père M. de Nancé, dans François le bossu et Geneviève Dormère est-elle adoptée par la cousine Primerose, dans Après la pluie, le beau temps. Peu de bons parents, mais exemplaires, ceux-là. M de Nancé écrit un livre sur l’éducation des enfants et la petite Christine commente : « Ce n’est pas difficile à comprendre. Il faut faire comme vous, voilà tout ! » Quand Claude Ponti sortit un Catalogue de parents pour les enfants qui ont des parents difficiles (Ecole des loisirs 2008), son album déclencha une correspondance nourrie d’enfants disposés à tenter l’échange - mais… seule- ment pour un temps ! Citons, pour mémoire, les auteurs qui mettent en scène une théorie pédagogique dans leur fiction : le père de l’auteur des Quatre filles du Docteur March, Bronson Alcott, était pédagogue de métier, très doué, à en croire sa collaboratrice, pour entrer en relation avec les enfants, mais très éprouvant à domicile où l’intendance, c’est-à-dire sa femme, de- vait se conformer à ses directives d’idéaliste dépourvu d’esprit pratique – se passer de cuir, quitte à vivre sans souliers. Dans Rose et ses sept cousins, du même auteur, un oncle reprend l’éducation de la petite Rose, raffinée mais soi-disant fragile ; il l’expose aux jeux et à la vie en plein air sous l’égide de ses cousins – et Rose s’épanouit… comme une rose. Freud le déclarait sans ambages : « il n’y a pas de bonne éducation » (in Les chemins de l’éducation, Gallimard 1988). Le Mars de Fritz Zorn (Gallimard 1979) se plaignait d’avoir été « éduqué à mort ». « Tout le monde ne peut pas être orphelin », soupirait Jules Renard. Cynique, Jonathan Swift, repris par Franz Kafka, prétendait que les parents sont les derniers à qui on puisse confier l’éducation de leurs enfants (in Les Voyages de Gulliver : Voyage à Lilliput) ! Donald Winnicott tempère : il faut et il suffit que les mères soient « suffisamment bonnes » (Payot 2008), qu’elles essaient de faire au mieux. Leur première qualité est de sur - vivre aux attaques de l’enfant, c’est tout ce dont les enfants ont besoin. C’est rassurant.

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  • Les livres pour enfants, une école des parents ?

    Hier et aujourd’hui : de Mme de Ségur à Claude Ponti

    Auxantipodesd’unelittératurefleurbleueàlaquellecertainsonttentédelaréduire,laComtessedeSégurdresseunegaleriedeportraitsdeparentsinsatisfaisants–sansmêmeparlerdelaméchanteMmeFichiniqui,dansLespetitesfillesmodèles,toutenpartageantbiendestraitsaveclapropremèredel’auteur,n’estqu’unemarâtredecontedefées.PensonsàMetMmedeSibran,falotsetmondains,àMmedesOrmes,délaissantChristine,dansFrançoislebossu,àM.Dormère,gâtantGeorgesauxdépensdesanièce,Geneviève,dansAprèslapluielebeautemps,àMetMmedeGervillequitransformentGiselleenpetitmonstre,àforcedelagâteretderefuserdevoirsesdéfauts,dans Quelamourd’enfant. La pire, à mes yeux, étant celle qu’elle présente en modèle, celle qu’elle croyait calquer sur ses filles : Mme de Fleurville, la mère parfaite ! Maiselleoffreuneportedesortieauxenfantsdeseslivres:sileursparentssonttropmauvais,libreàeuxd’endénicherdemeilleurspourrenforcerleurrésilience.AinsilapetiteChristinedesOrmesadopte-t-ellecommepèreM.deNancé,dansFrançoislebossu et GenevièveDormèreest-elleadoptéeparlacousinePrimerose,dansAprèslapluie,lebeautemps.Peudebonsparents,maisexemplaires,ceux-là.MdeNancéécritunlivresurl’éducationdesenfantsetlapetiteChristinecommente: « Ce n’est pas difficile à comprendre. Il faut faire comme vous, voilà tout ! »

    QuandClaudePontisortitunCataloguedeparentspourlesenfantsquiontdesparentsdifficiles(Ecoledesloisirs2008),sonalbumdéclenchaunecorrespondancenourried’enfantsdisposésàtenterl’échange-mais…seule-mentpouruntemps!Citons,pourmémoire,lesauteursquimettentenscèneunethéoriepédagogiquedansleurfiction:lepèredel’auteurdesQuatre fillesduDocteurMarch,BronsonAlcott,étaitpédagoguedemétier,trèsdoué,àencroiresacollaboratrice,pourentrerenrelationaveclesenfants,maistrèséprouvantàdomicileoùl’intendance,c’est-à-diresafemme,de-vaitseconformeràsesdirectivesd’idéalistedépourvud’espritpratique–sepasserdecuir,quitteàvivresanssouliers.DansRoseetsesseptcousins,dumêmeauteur,unonclereprendl’éducationdelapetiteRose,raffinéemaissoi-disantfragile;ill’exposeauxjeuxetàlavieenpleinairsousl’égidedesescousins–etRoses’épanouit…commeunerose.

    Freudledéclaraitsansambages:« il n’y a pas de bonne éducation » (in Les chemins de l’éducation,Gallimard1988).LeMarsdeFritzZorn(Gallimard1979)seplaignaitd’avoirété « éduqué à mort ». « Tout le monde ne peut pas être orphelin »,soupiraitJulesRenard.Cynique,JonathanSwift,reprisparFranzKafka,prétendaitquelesparentssontlesderniersàquionpuisseconfierl’éducationdeleursenfants(inLes Voyages de Gulliver : Voyage à Lilliput)!DonaldWinnicotttempère:ilfautetilsuffitquelesmèressoient« suffisamment bonnes » (Payot2008),qu’ellesessaientdefaireaumieux.Leurpremièrequalitéestdesur-vivreauxattaquesdel’enfant,c’esttoutcedontlesenfantsontbesoin.C’estrassurant.

  • La mise en place de facteurs de résilience : Dolto avant Dolto

    BlackBeauty,d’AnnaSewell(Gallimard2015),sembleuneanticipa-tiondesidéesdeFrançoiseDolto:unenfantdontons’estbienoccupé,danslapériodedegrandedépendance,donneraunadulteéquilibré.Qu’ils’agisseicid’unchevalnechangepasgrand-choseàl’affaire.LescongénèresdeBlackBeautyquiontsubidemauvaistraitementsdeviennentdeschevauxvicieuxquinefontpasl’affairedeleurspropriétairesetsontmaltraitésdere-chef,alorsqueBlackBeauty,quiaeuunepetiteenfanceheureuse,estappré-ciéparcequetoujoursfiable. LaComtessedeSégurtientàpeuprèslemêmediscoursdansLes mémoiresd’unâne:maltraité,Cadichonsevenge,mais,ducoups’attiredenouveauxetpiresmauvaistraitements.Mêmelagrand-mère,craignantpoursespetits-enfants,envisagealorsdeseséparerdelui.Seul,lepetitJacquesplaidesacause.

    DansLeroiduvergerdeStevenKellogg(Lotus1979),unmatouappliquelesidéesdesamèreets’efforcededominerlemonde,maislepetitgarçon,quilesurprend,engluédansungâteauauchocolat–ilesten-trédanslacuisineparlafenêtre–,comprendquecedontilabesoinavanttout,c’estd’êtreaimé.CequecomprendaussilaGrossebaleine,dansLafabuleusehistoiredeGillyHopkinsdeKatherinePaterson(Hachette2016).Àlapetitefilleré-voltéequiserendindésirabledanschaquefamilleoùelleestplacée(per-suadéequesamèrevoudralareprendre),elleopposeuncœurdontGillynepeuttrouverlalimite. DansLejardinsecretdeFrancesBurnett(Gallimard2010),lapetite‘Mary-quite-contrary’n’attirel’affectiondepersonne,parceque,audépart,personnen’asongéàl’aimer.Onmanquemêmel’oubliercomplètementquandsesparentsmeurentdutyphus,enInde.Etquandonl’emmèneenAngleterre,c’estaveclaconsignedenedérangerpersonne.Heureusementuneservante,enluiparlantdesonpetitfrère,Dickory,luidonneenviedeleconnaître–c’estluiquival’initieràlanature.Bravantl’interdit,ellefaitlaconnaissanced’uncousinmaussadequisecroitmourantet,enrefu-santdeleplaindre,elleluifaitbeaucoupdebien!

    Demême,dansBallesdeflipper,deBetsyByars(Castorpoche1984),troisenfantsquin’ontencommunqued’êtredeslaisséspourcomptevonts’entraiderenheurtantleursangles.LapassivitédeTom,quiavaitétére-cueillipardeuxvieillesdamesquisesontcassélecoldufémur,ladépressiondeHarvey,dontlamèreestpartie‘àlarecherchedesonidentité’etdontlepère,enconduisantenétatd’ivresse,abrisélesdeuxjambes,touchentaucœurCarlie,larévoltée.Ellerefusedeleslaissersombrer. « Savez-vous que vous êtes décourageants ? Qu’est-ce que je pourrais bien faire qui vous rendrait le sourire ? » (p.93)L’abattementd’Harveylabouleversetellementqu’elleenvientàréclamerdutravailàMrsMason! Danslesromansévoquésci-dessus,destuteursderésilience,pourpar-lercommeBorisCyrulnik,semettentenplace:unpèredesubstitution,pourLeroiduverger,unenourriceoumèred’accueil,pourGillyHopkinset les ballesdeflipper,lefrottementavecd’autresenfantspourMary-quite-contraryet pour Lejardinsecret.

  • « Toutes les familles heureuses se ressemblent, disaitLéonTolstoï,dansAnnaKarénine,mais chaque famille malheu-reuse l’est à sa manière ».Celaexpliquesansdoutequelesfamillesmalheureusesdominenttellementletableauenlittérature,mêmeenfantine.Quelquesimages,pourtant.L’œufetlapoule,d’IelaMari(Ecoledesloisirs1987),nemontredelamèrepoulequecequipourraitservirdeleurreaupoussintoutjusteéclos:leventrequicouve,latête,quiattirel’attentionsurlesgrainesàpicorer,lespattesentrelesquellestrouverrefuge.C’estlamèreprotectriceetnourricièredestoutpetitsenfants.DansZagazou (Gallimard1999),QuentinBlakemetengarde:l’adorablebébésetrans-formera,engrandissant,envautourhurlant,enéléphantpataud,ensanglierirascible,envieuxpélican…

    DanslesMoumine,deToveJansson,MamanMoumineadanssonsactoutcedontsonentouragepourraitavoirbesoin.Lepèrenesemblepasavoiraccédévraimentàl’âgeadulte:ilcontinueàrêveràlavieaventu-reusequ’ilavait,oucroyaitavoir,avantsonmariage,etrêvedesdangersdont il pourrait protéger les siens dans Moominetlamer(Petitlézard2009).Àl’inverse,quandMamanMouminevoitquesonfilsestinquietàcaused’unecomètequipourraitbienannoncerlafindumonde,elleal’intelligencedel’envoyerenexplorationàl’Observatoirepourprendredesnouvellesdelacomète.Unpique-nique,quandlafindumondeestproche?objecteMoumine,scandalisé.Moumine,lacomètearrive a paru enFinlandeen1946,alorsquelenazismebalayaitlaplanètecommeunefindumonde.Mais,« le vent se lève, il faut tenter de vivre »,disaitPaulValéry.

    Une maman doit apprendre à son enfant à vivre

    DansRonya,filledebrigands,d’AstridLindgren(LPJ1981),Matt,lepère,nesemontreguèreplusadultequePapaMoumine.Maislaperson-nalitédesamèrerayonneetluipermetdefairesespropreschoix:rejoin-dreRik,lefilsdel’ennemidesonpèredanslaforêt.Samèrequipenseàtoutsauraluiapportercedontellerisqueraitd’avoirbesoin. TrèstrèsfortdeTrishCookeetHelenOxenbury(Flammarion1995),montrel’ambiancejoyeuseetfestived’unbébé,auseind’unefamillejamaïcaine,dansl’attente,sanslesavoir,duretourdupère.Jen’aipassommeildePh.Dupasquier(Gallimard1990),montreunmomentd’insomniequiréunitparentsetenfants,joyeusementattablés,àlacuisine.TreizeàladouzainedeFranketErnestineGilbreth(Gallimard2016)estunehistoirevraie.Ilnes’agitpasd’unefamilleidéale,maisons’yaimebien,lepèrestimulesanscessesesenfants,aussibiensurleplanducaractèrequesurceluidesacquisitionsintellectuelles.

    Avoir un enfant, c’est avoir un enfant qui grandit

  • DanslasuitedesAnastasiaKrupnik,deLoisLowry(Ecoledesloisirs),onaquelquechosedebeaucoupplusrare:uncoupleparentalparticulièrementsoudéetéquilibré.PasdedangerpourAnastasiadecroirequelesparentsn’ontd’autrebutquelesenfants,commeonpeutlecraindredansbeaucoupdefamillességuriennesdélestées,fortàpro-pos,dupère.Ici,lesparentsontleurspropresintérêtsdanslavie,cequinelesempêchepasdes’intéresseràcequiintéresseleursenfantsquipeuventseconfieràeux,éventuellement,leurdireleursdésaccords.

    Familles dysfonctionnelles : représenter la vérité, est-ce blesser, ou libérer?

    DansÉcritpournuire(UNI1985),Marie-ClaudeMonchauxacrupouvoirdénonceruneentreprisededémoralisationdelajeunessedans

    unelittératuredejeunessequirattrapelaréalitésociale:parentsdépassés,démissionnaires,dépressifsoubipolaires…S’enestsuiviunecampagnedecensureenFrance,etparticulièrementàParis,en1986,quiasévidanslesbibliothèques.

    DansTrèschersenfants(Castorpoche1991)-intituléenallemand(Leslettresjamaisécritesd’unegrand-mère-,ChristineNöstlingerenvoieleursquatrevéritésàsesenfantsdevenusparents.Maisaveccetteprécision:elleabeaulescritiquer,cesontsesenfantsetmêmesisonfrèreaéténazi,c’estsonfrère.

    Sauveur&fils(Ecoledesloisirs2016-)deMarie-AudeMurailfaitdéfilerunéchantillonnagedecetteproblématiquedanslecabi-netd’unpsyaunomprédestiné:Sauveur.D’emblée,quelquechoserassure:cepsyneseposepasenpèreidéalpourLazare,sonproprefilsetrendcomptedeseserreursàsonconsultant,aumutismeimper-turbable.UnemèrevientlevoirpourMargaux,safillesuicidaire,sansavoirconsciencequeBlandine,lapetitesœur,voyantqueMargaux

    captetoutel’attention,s’auto-mu-tile.UneautreseplaintdeSamuel,sonfilshostile,quineselaveplus,sanssongeràévoquerlepèredontellel’aprivé.Ellaveutqu’onlaprennepourungarçonetsefaitharceler.Gabinjouelanuitauxjeuxvidéoets’estdéscolarisé.Unevraiecourdesmiracles,maisoùl’onnepeutquerecon-naîtredesgensquel’onacroisés.CommedansLejardinsecret et Ballesdeflipper,ilsemblequelasimplerencontredesjeunesentreeuxdéclen-cheparfoisunmécanismedeguérison.

    Jusqu’ici,toutvabien,titreavechumourGarySchmidt(Ecoledesloisirs2017):humiliéetbrutaliséparsonpère(quiluiafaittatouersurledos«lefilsàsamaman»,Dougmanqued’assurance,d’autantquesadyslexienondétectéefaitdeluiuncancre.Leregarddifférentqueportesurluiunbibliothécaireluipermetdesedécouvrirundomaine:l’art,etdereprendresavieenmain.

  • MamanPélicandeMichelleDaufresne(Bilboquet1998)montraitunemèrequinepeutsedécideràcouperlecordonombilical.D’autreslecoupenttroptôt,affolésparlesconfrontationsquilesattendent.Will,l’adolescentdeLaguerresousmontoit,d’AnneFine(Écoledesloisirs2001),décritavechumourlafaçondontsesparentsrasentlesmurspourretarderlemomentdelaconfrontation,oùilleurfaudrasubirleséclatsetrevendicationsdesasœur,Estelle.Ilcomparelesconflitsqui,depuisuncertaintemps,rendentstressantelaviechezlui,auxévénementsdesonhistoiredeguerrefavorite.Fortheureusement,laConseillèrepédagogi-quedulycéeentreprendderedynamiserlesparentsdémissionnairesetWillquiassiste,caché,àsondiscours,voitlesparentsl’écoutercommesic’étaitlabonneparole,leursphysionomiessemétamorphoser,–commes’ils’agissaitd’unappelauxarmes. « Je ne m’étais jamais encore rendu compte qu’être parent, c’était un peu faire partie d’une immense équipe nationale de football – parents contre enfants – qui doit participer quo-tidiennement à des rencontres »,(p.157).Ilconclurad’ailleursquelarévoltedesasœur,malgrésescôtésexcessifs,n’apasétéquenégative.

    Maislecoupdepouced’unconseillernesuffitpastoujours:lamèredesEnfantsTillerman,deCynthiaVoigt(Flammarion2010etsuivantes),lesabandonnedansl’auto,surunparkingdesupermarché,etonlaretrouveradesmoisplustardàl’hôpital,catatonique.DansLamaisonendangerdeMarilynSachs(Castorpoche1990-),FranEllenetsonfrèrefonttoutpouréviterquelesservicessociauxnes’intéressentàeux,ilstrouveraientleurmèreleregardvague,incapabledeprendresoindubébé,dontlapetitefilles’occupeenrentrantchezelle,pendantlesrécréations.

    Dolphin,lapetitefilledeMaman,masœuretmoi,deJacquelineWilson(Gallimard2000),savourelesmomentsoùsamèresembleépanouie,faitlafêteets’efforced’oublierlesretombéesoùelles’effondre.Star,sagran-desœurnepeutenfaireautant:depuisdesannées,c’estellequicolmatepoursapetitesœurlesmanquesd’unemèrebipolaire,etc’esttroplourd.« J’en ai assez d’être l’aînée ».(p.30)« Je ne suis pas ta mère, ce n’est pas juste »,(p.150).Elleaural’intelligencedefaireappelàsonpère(quin’estpasceluidesasœur).Maisonvoitque,siénormesquesoientlesla-cunesparentales,lesenfantssemontrentrésilients:ilsontdoncbénéficiéde«mèressuffisammentbonnes».

    AinsideNicholasDane,deMelvinBurgess(Gallimard2010),dontlamèreestaimante,maisseshooteàl’occasion–elleenmeurt,àl’occasionaussi,etlegarçon,remisauxservicessociaux,tombesurun«éducateur»pervers.Maisilsurvitet,contrairementàd’autres,ilvadépassercestrau-matismes.

    Même attentifs et aimants, les parents ne sont pas toujours suffisamment disponibles pour s’apercevoir de ce qui se passe pour leurs enfants.

    DansMonamitiéavecTulipe,d’AnneFine(Écoledesloisirs1998),lesBarnessontabsorbésparlaremiseenétatduPalace,unhôtelde100cham-bres,etparlebébé.Nathalie,leurfille,vasetrouversousl’emprisedeTulipe,unefillebizarrequilafascineetl’entraînedansdespetitsjeuxpervers.Quandellerefusedecontinuer,Tulipesevenge,maisM.Barnes,quisaitdansquellemaison,avecquelsparentsellevit,restecompatissant: « Pour distinguer le bien du mal, on a besoin d’un minimum d’affection. On ne peut apprendre cela que si on est traité soi-même correctement »,(p.169).

  • DansJesuisletonnerred’AnnabelPitcher(Ecoledesloisirs2017),Tessdécouvremalencontreusement,surl’ordinateurdesonbeau-père,larépul-sionqu’elleluiainspirée,bébé.Delààvouloirretrouverlepèrebiologiquequ’ellen’ajamaisconnu…Heureusement,Jack,lebeau-père,l’aimecommeunvraipèreetparvientàrenouerledialogue.

    Le rôle des parents est de protéger

    DansLesnouveauxmalheursdeSophie,deValérieDayre(Ecoledesloi-sirs2002),SophieselaissecharmerparlescousinsetCora,latante,qu’elleneconnaissaitpas,ellen’écoutequed’uneoreillelaréticencedeRosemonde,samèreàlalaisserfaireundeuxièmeséjour–oùcettefois,ilsladésignentcommevictime.Heureusement,Rosemondeadel’intuitionetsurvientàtemps. DansImprégnation,deDavidAlmond(Gallimard2010),Liamfaitla

    connaissancededeuxex-enfants-soldats,ets’ilnesombrepas,c’estquesonarrière-planfamilialestsolide.

    Renversement de situation entre adultes et enfants

    DansSOSmamie,d’AnneFine(Ecoledesloisirs1990),lesenfantssontchoquésd’apprendrequeleursparentsontdécidédemettreleurgrand-mèredansunemaisondepersonnesâgées.Lesdeuxaînésmontentuncomplotpourleurfairehonte,maisleurmèrelesprendaumotetconfielagrand-mèreunpeugâteuse,pourlaquelleilssefont,disaient-ils,tantdesoucis,àl’aîné–quis’entired’ailleurshonorablement.« Yvan dit qu’un environnement familial stable et serein, ayant pour base un rituel, un système, est doublement vital pour le psychisme de l’orphelin »,(p.174).Onremarqueraquec’estlatranspositionromanesqued’uncontemé-diévaloùl’enfantgardeuneaugepoursespropresparents,quandilenauraassezd’eux!

    Reconnaître ses limites est un bon facteur de résiliences

    Oma,dePeterHärtling(Pocket1995),lagrand-mèrequiarecueillilepetitKalleorphelin,atoujourspenséquelepèredeKalleétaitunelavetteetsamèreunepleurnicheusequil’énervait.Qu’ilssoientmortsnechangerienàl’affaire!Undesintérêtsduromanestqu’àlafindechaquechapitre,Oma

    seremetenquestion:jen’auraispeut-êtrepasdûdireoufaireça.Celanel’empêchepasdesebattrevictorieusementaveclesservicessociauxpourconserverlagardedeKalle,etdesavoirleprépareraucasoùellemourraitprématurément.

    Dèsletitre,Cheznous,personnen’estparfaitdeT.S.Easton(Casterman2017)poseleproblème:Chloédoitsedépatouilleravecunpèrecharmant,maisquin’assumerien,unemèredébordéequiseconsoleavecl’alcool,latentationdeprendreleschosesenmain…

    Obligéedes’adapteràunemèredésorganisée,maisjoyeuse,d’uncôté,àunpèreobsessionnel,del’autre,Pippa,14ans,envientàsedemanderquielleestvraiment,dansLavieselonPippadeBarbaraTammes(Syros2018),maiselleaduressortetparvientàmettresesparentsdevantleursresponsabilités.

  • Une image négative des parents ?

    Certainslecteursselaissentarrêterparuneimagequileschoque–lesparentstouteninterdictiondeNetemouillepaslespieds,Marcelle,deJohnBurningham(Flammarion1977),parexemple.Letexte,surlapagedegauche,nerapportequelesparolesdelamère,toutesd’interdictions:« J’espère que tu ne ramèneras pas ces algues puantes à la maison, n’est-ce pas, Marcelle ? »Cesontdecesréflexionsquenousfaisonstousauxenfants.Lepère,vautrésursontransat,nesembleguèreprésent.Maisl’imageencouleursbrillantesdelapagededroite–labonnepage–nousfaitvoirl’aventuredepiratequevitMarcelle.Etensomme,cesparolesnel’ontpastropdérangéedanssonjeu!

    Plussec,Savoir-vivre de Yann Fastier (Atelier du poisson so-luble2000)aentraînédesréactionsderejetdelapartdenombred’adultes:onn’aquel’accumulationdesparolesd’interdictionparentales–cellesquenousprononçonstous,àcertainsmoments!Maisonpeutleprendreavecuncertainreculetc’estl’occasiond’échangesaveclesenfants.D’ailleurs,lesenfantsprennentplaisiràsefaireducinéma:lapetitefilledeMonroyalpetitfrèredeSallyLloyd-Jones(LittleUrban2018)sevoitcommeunepetiteprincessedélaisséeparsesparentsauprofitdel’intrus,maisl’imagedittoutautrechose!DansMonchienetmoideRaphaëlleFrier(Apasdeloup2018),lafamilleinclutunchien…quiprendlepouvoir(commecertainsenfants,malheureusement)!

    CommeledisaitRuthKrauss,dansOuvrirlaporteauxpapillons(ill.Sendak,MeMo2017):« Un bébé, ça fait un père et une mère – qui, sans ça, seraient juste des gens ordinaires ».C’estunenfantquifaitdesparents,etc’estl’enfantquileurapprendàsecomporter,plusoumoinsbien,enparents.Quifaitl’éducationdesesparentsquandilspensentfairelasienne.MmeBartolottin’avaitpasprévud’avoirunenfantàelle,dansLe mômeenconservedeChristineNöstlinger(LPJ1982).Ellenesaittropquefairedeluiquandilsortdesonemballage.Unpeutropparfait,Frédéricladéconcerteparsasagesseetsondésirdenormalité.« Tu n’es qu’une tête de linotte,luiditson«amihebdomadaire».Cet enfant est plus raisonnable que toi. » (p.66)Elleluidonnepourtantunbonconseil:« Ne te soucie jamais de ce que pensent les gens… Tu ne pourrais plus te supporter ».Maisc’estlapetitevoisine,Sophie,quiaural’idéelumineusededéprogrammerFrédéricdesonexcessivesagesse,pourlerendreméconnaissable,quandl’usinequil’aconçuleréclame.

    Les livres d’enfants sont, à leur manière, une école des parents, non parce qu’on y trouverait une re-cette, la manière de ne pas se tromper, mais parce qu’ils donnent aux parents matière à penser.

    Marie-IsabelleMerlet