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Hervé Vieillard-Baron ;
Les banlieues, des singularités françaises aux réalités mondiales ;
Editions Hachette.
Nous vous avons joint cette table des matières très complète qui dessine clairement le
cheminement de l’ouvrage. Nous vous invitons par ailleurs a consulter sa bibliographie riche
d’ouvrage pouvant être utile durant l’année de master 2.
« Aujourd’hui, le malaise des banlieues résulte largement d’un désenchantement : la
prise de conscience des limites de la programmation urbaine, la reconnaissance de l’échec
des expériences réformatrices, la démonstration qu’il est toujours hasardeux voire impossible
d’anticiper sur les conduites sociales (…. En somme, la prétention de traiter la société par
l’espace et à travers la forme urbaine a relevé d’une logique de démiurge qui s’est mal
adaptée aux réalités concrètes. Ce constat constitue l’une des idées directrices de l’étude sur
les banlieues menée par Hervé Vieillard-Baron.
Professeur de géographie à l’université de Paris VIII- Saint-Denis et rattaché au
CNRS, Hervé Vieillard-Baron est également membre du Centre de Ressources « Profession
Banlieue » et du Conseil d’Administration du Centre de Promotion par la Formation
(Chanteloup-les-Vignes. Ses ouvrages portent en grande partie sur l’analyse des banlieues. En
1
effet, il a notamment publié : Les banlieues françaises ou le ghetto impossible, Les banlieues,
et en collaboration avec Antoine Anderson, La politique de la ville, histoire et organisation.
Auteur de nombreux articles tels que « Les quartiers sensibles, entre disqualification visible et
réseaux invisibles », il a également participé à la conception de plusieurs films sur les
banlieues et les frontières dans la ville. Ainsi, l’ouvrage étudié s’inscrit dans cette volonté
d’analyse complète sur les banlieues. A l’heure où les banlieues sont au cœur des sujets
d’actualité et constituent un enjeu politique, législatif et municipal important, cet ouvrage,
paru en 2006, permet d’apporter un autre regard sur celles-ci à travers une analyse
géographique et un travail de terrain. Hervé Vieillard-Baron ,dans cet ouvrage comptant de
nombreuses illustrations, œuvre à comprendre les contours spatiaux et les physionomies des
banlieues dont la perception a souvent été simpliste.
En introduction, l’auteur rappelle qu’aujourd’hui, plus de la moitié de la population
mondiale est urbaine. La banlieue, quant à elle, s’est construite dans le temps et dans la
diversité. Largement médiatisée elle apparaît comme un foyer de précarité et d’exclusion.
Face à ces constats, la démarche de l’auteur s’inscrit dans une volonté de penser la banlieue
comme un objet scientifique, interrogeant autant la géographie que la société. En effet, selon
ses propos, « pour construire un objet scientifique à propos des banlieues, le chercheur doit
poser des cadres théoriques, s’interroger sur les étapes et les formes de la croissance urbaine
non seulement en France, mais dans le monde entier, sur l’état de la société urbaine, sur sa
capacité d’intégration, et sur les forces qui s’y exercent ».
L’ ouvrage se divise en deux parties inégales : la première concerne les « singularités
françaises », tandis que la seconde s’attache à replacer « les particularismes français » face
aux « réalités mondiales » des grands types de banlieues.
Résumé.
I : « Définir la ville pour dessiner ses périphéries ».
Dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur revient sur l’étymologie du terme
« banlieue » et sur l’histoire lexicale du couple ville/banlieue. Au Moyen Age, « la banlieue
est définie juridiquement comme la couronne d’une lieue de large où s’exerce le ban, c'est-à-
dire l’autorité du seigneur ou des bourgeois qui dirigent la ville ». Ainsi, à cette époque, le
terme « banlieue » fait référence aux notions de pouvoir et d’assujettissement. A partir du 18e
siècle, la banlieue prend un autre sens puisqu’elle devient d’une certaine manière, le reflet des
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divisions sociales. Ainsi, Paris commence à renvoyer sur la banlieue les populations qu’elle
ne peut plus loger et les activités encombrantes et polluantes. Appréciée qualitativement, la
banlieue perd « son acception juridique et administrative pour prendre le sens de périphérie
urbaine dépendante ». Hervé Vieillard-Baron s’attache ensuite aux définitions fournies par
l’INSEE. En effet, à partir des années 1950, apparaît l’idée que l’on ne peut évaluer la
banlieue sans la ville. Ainsi, il convient de s’arrêter sur la notion d’agglomération avant de
définir les contours spatiaux de la banlieue. L’INSEE distingue tout d’abord la commune
rurale de la commune urbaine, cette dernière comptant « au moins 2000 habitants de
population municipale agglomérée au chef-lieu ». Puis en 1962, l’INSEE dégage la notion
d’agglomération urbaine multicommunale définie comme étant une agglomération de plus de
2000 habitants s’étendant sur plusieurs communes. Par conséquent, la banlieue est définie par
soustraction. Selon Hervé Vieillard-Baron, la banlieue est « l’agglomération moins la ville-
centre ou les villes-centres ». L’agglomération est caractérisée par la matérialité des
bâtiments, leur continuité et leur resserrement spatial, et « la banlieue se rapporte à l’espace
construit qui entoure la ville-centre, cette dernière étant considérée dans le cadre de ses
limites administratives ». Hervé Vieillard-Baron met donc en évidence une définition
fonctionnelle de la banlieue : un espace polarisé par une ville et regroupant des fonctions
d’habitation. Mais au-delà de cette approche traditionnelle, simplement démographique et
morphologique de la géographie de la banlieue, l’auteur s’intéresse également aux définitions
spatiales reposant sur l’attractivité de l’emploi. Autrement dit, l’aire urbaine et plus largement
les communes multipolarisées. Ces catégories permettent d’avoir une vision plus élargie de la
ville et de sa périphérie en intégrant des populations qui travaillent dans la ville mais qui n’y
résident pas.
L’auteur analyse ensuite les différentes théories des géographes français sur la
banlieue. Il souligne également l’influence de certains d’entre eux sur les politiques
d’aménagement des villes. En effet, la géographie peut, grâce aux outils techniques qu’elle
propose, tenir un rôle important auprès des municipalités. Or, l’intérêt des géographes pour la
banlieue est relativement tardif. En effet, bien que certaines études ponctuelles soient faites
aux 18e et 19e siècles, c’est Albert Demangeon qui le premier établit une description générale
de la banlieue parisienne (1933). Selon cet auteur la principale caractéristique de l’urbanité est
la mobilité. A partir de là, « la banlieue n’est plus seulement un ensemble spatial, une
couronne géographique figée, mais un mode de relation ». La Seconde Guerre mondiale
marque un tournant dans l’approche des villes et des banlieues. En effet, les études ne portent
plus seulement sur la morphologie des espaces urbains. Elles prennent en considération les
aspects politiques et sociaux. Ainsi, l’analyse urbaine devient une analyse sociale. Inspiré par
le marxisme, Pierre Georges (1950), par exemple, estime que la banlieue « résulte
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essentiellement d’un processus politique organisant la différenciation sociale de l’espace ».
Cependant, d’autres courant plus classiques se distinguent. Par exemple, Georges Chabot
analyse historiquement la formation des banlieues. Son analyse descriptive repose surtout sur
l’opposition ville/banlieue. Puis à partir de 1960, les recherches géographiques sont marquées
par une grande variété. Tel que l’explique Hervé Vieillard-Baron, « tantôt on va privilégier
les formes urbaines (lotissements, grands ensembles, villes nouvelles, grands équipements),
tantôt les dynamiques d’aménagement et les pouvoirs urbains, tantôt les circulations et les
mobilités, tantôt les processus ségrégatifs et leurs manifestations ». Ce dernier aspect met en
exergue la notion « d’espace social » qui intéresse particulièrement l’auteur. En effet, à partir
des années 70, la banlieue est souvent étudiée sous l’angle de la ségrégation. Mais, pour
Hervé Vieillard-Baron, cette notion est ambiguë et mérite d’être utilisée avec précaution. De
plus, la ségrégation est souvent associée aux quartiers difficiles. Or, certaines études ont
démontré que ce sont surtout les quartiers riches qui sont les plus ségrégés (exemple : une
étude menée par Anne Vanacore sur ce qu’elle nomme les « ghettos dorés »). Au-delà de cet
aspect, la géographie sociale souligne également la place du politique dans la gestion des
villes et dans la répartition des populations. Ainsi, certains géographes, tel que Jacques Lévy,
ont mis en évidence le manque de légitimité politique présent dans les quartiers marginalisés.
Par conséquent, Hervé Vieillard-Baron constate, à partir de ces études, que « c’est le postulat
de la ville conçue comme entité équilibrée, et le postulat de la banlieue conçue comme
élément perturbateur qui doivent être réinterrogés ». Le principe de mixité semble être au
cœur de cet idéal d’équilibre et l’auteur s’interroge sur sa pertinence.
II : « La Formation des paysages de banlieue ».
Après avoir défini et établi des relations entre les différents concepts en cause dans
l’ouvrage, Hervé Vieillard-Baron aborde dans la deuxième partie la formation des paysages
de banlieues.
Tout commence par le développement des faubourgs à l’époque médiévale.
Contrairement aux banlieues qui apparaissent du fait d’un manque d’espace dans les villes, les
faubourgs consistent en une répartition des fonctions et regroupent les activités rejetées par les
autorités communales. Avec le développement des activités industrielles au 19e siècle, les
faubourgs deviennent des lieux de marginalité sociale et politique. Avec la croissance
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démographique, le développement des usines et des entrepôts nécessaires à la vie urbaine, les
faubourgs se transforment progressivement en banlieues. En effet, l’évolution rapide des
moyens de transports et de communication, l’exode rural lié au grand mouvement
d’industrialisation du 19e siècle sont autant d’aspects qui vont contribuer à accentuer la
différenciation entre banlieues industrielles et banlieues résidentielles. Hervé Vieillard-Baron
met surtout l’accent sur les transports dans la mesure où ils ont contribué à la division sociale
de l’espace. En effet, face à l’éclatement spatial de la ville due à la croissance de l’emploi, les
transports deviennent indispensables. A partir de là une distinction se fait entre les quartiers
bourgeois et les quartiers populaires. Ainsi, avant la Première Guerre mondiale, certaines
banlieues, notamment en région parisienne, constituent des pôles attractifs puissants et
conditionnent la croissance démographique de l’agglomération. A cette même époque, les
formes d’accroissement des banlieues sont variées. L’auteur s’arrête sur le mouvement de
construction de lotissements, bâtis autant par les populations aisées que par celles qui sont
défavorisées. Ce mouvement répond à une aspiration de la majorité des citadins (accéder à la
propriété) et à la volonté de l’Etat de canaliser l’afflux de population autour des
agglomérations. Mais la formation de ces lotissements fait l’objet de nombreuses critiques.
Construits dans l’anarchie, ils sont marqués pour la plupart par une grande défectuosité. Ainsi,
certains « mal-lotis » vont, soutenus par le Parti Communiste, faire pression sur l’Etat pour
obtenir les premières lois sur les logements sociaux (notamment la loi Loucheur votée le 13
juillet 1928). Cette loi préfigure la construction des grands ensembles après la Seconde
Guerre mondiale. Les grands ensembles ou habitats collectifs apparaissent dans les années
1950 dans un contexte d’urgence lié aux destructions dues à la guerre, à la forte croissance de
la natalité, à la poursuite de l’exode rural et à l’afflux de nouveaux migrants étrangers. L’idée
d’un logement social comme étant « un logement qui a bénéficié pour sa réalisation du
concours législatif et financier de l’Etat et qui est destiné à recevoir dans des conditions
normales les couches les moins favorisées de la population » (J.P Flamand, 1989) apparaît, et
devient nécessaire. Dans un contexte de crise du logement, les premiers grands ensembles
sont construits « sans volonté réelle d’effectuer une urbanisation harmonieuse ». Puis
intervient une deuxième phase : le développement des ZUP (Zones à Urbaniser par Priorité)
en 1960. Au total, 195 ZUP furent construites en France. La dernière période des grandes
réalisations se fait à travers la construction des zones d’aménagement concerté (ZAC) qui se
veulent moins rigides que les ZUP dans leur mise en œuvre et centrées sur la mixité sociale, la
diversité des activités et la qualité du cadre de vie. Ces différents modèles architecturaux sont
à la base construits sous le signe du confort et de la modernité. Certains projets (comme ceux
de Le Corbusier) sont fondés sur la théorie de l’espace fonctionnel ; c'est-à-dire sur
l’adaptation de l’espace habité aux besoins humains. Mais ces projets sont pour la plupart
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utopistes et vont être rapidement critiqués. Ainsi, dès 1963, l’Atelier d’urbanisme et
d’architecture publie un article dans la revue de « L’Action populaire », dans lequel il énonce
les différents risques liés à la construction de ces habitats collectifs. En effet, cet atelier
affirme que « les bâtiments d’habitation, souvent très longs, très hauts et très éloignés les uns
des autres, créent toujours entre eux des avenues et jamais des rues. Leur discontinuité même
produit des espaces trop grands qui donnent aux piétons une sensation de désert et
d’insécurité ». Les grands ensembles sont critiqués dans la mesure où ils conduisent à
l’isolement (souvent dû à l’absence de transport en commun) tout en donnant à la population
une impression d’entassement. De plus l’auteur alerte le lecteur sur la tendance actuelle « à
retraduire les problèmes sociaux en terme de sécurité et à criminaliser le misère dans les
quartiers qui possèdent un taux élevé de population étrangère » (à propos de la loi « Sécurité
et Liberté » du 21 juin 1981). Il dénonce également les difficultés d’intégration des
populations issues de l’immigration, dues notamment aux logiques ségrégatives dominant
certaines attributions de logements. A la suite de ces critiques, Hervé Vieillard-Baron aborde
la question des villes nouvelles (mises en place par la loi du 10 juillet 1970). Neufs villes
nouvelles ont été conçues pour offrir une grande variété d’espaces résidentiels avec des
équipements et des zones d’activités. Elles sont fondées sur l’idée de la mixité sociale.
L’auteur constate enfin que au-delà de ces villes nouvelles, « le domaine périurbain
s’urbanise » (maisons individuelles, au cœur de l’espace rural, implantation de « nouveaux
villages »). Finalement « alors que certains grands ensembles et quelques copropriétés
disqualifiées tendent à devenir des territoires d’exclusion, l’urbanisation diffuse […] offre
par comparaison, espace, verdure et tranquillité pourvu que l’on accepte l’éloignement et la
diminution de l’offre de service ».
III : « Des banlieues aux quartiers sensibles ».
Hervé Vieillard-Baron aborde dans la troisième partie la notion de « quartier sensible »
et les différents traitements apportés pour répondre à la crise des quartiers notamment à
travers l’analyse de la politique de la ville.
L’auteur explique tout d’abord les ambivalences qui existent autour de la notion de
quartier et tente de contredire ceux qui assimilent couramment les banlieues aux quartiers :
« dans le langage courant le mot ‘banlieue’ renvoie non pas à une entité spatiale précise,
mais à une zone vaguement urbaine susceptible de qualifier tout secteur enclavé et tout
groupement de population qui s’écarterait de la norme et se replierait sur lui-même. Le terme
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met en exergue le soupçon qu’inspire toute marginalité et son usage montre qu’il est
confondu régulièrement avec celui de ‘quartier’, alors même que le périphérisme en question
est plus social que géographique. Donner une définition précise du terme « quartier » est
difficile dans la mesure où c’est une notion ambiguë et ressentie différemment selon les
époques et les contextes sociaux ou géographiques. En effet, le quartier en tant que
communauté territoriale et module social, possède de multiples facettes. « C’est un espace à
la fois vaste et intime où chacun doit pouvoir se sentir chez lui, il offre les services les plus
courants et inspire une certaine sécurité ». La définition du quartier et donc de ses limites
peut parfois relever du vécu. Dans ce cas ses frontières ne sont pas fixes et varient en fonction
« de l’espace parcouru et de la sensibilité de chacun ». Le quartier vécu, pour reprendre les
termes de l’auteur « dépend d’un rapport psychologique et d’un investissement affectif qui fait
que l’individu s’y sent en sécurité ». La définition du quartier peut également dépendre d’une
approche fonctionnelle, architecturale, sociale (exemple : le quartier populaire, le quartier
ouvrier, le quartier bourgeois), ethnique ou religieuse. Pour les sociologues, le quartier est
fondé sur l’unité de vie, « c'est-à-dire sur le voisinage qui peut permettre la rencontre et
l’entraide ». Ici, la définition du quartier repose sur l’idée d’espace de proximité dont
l’organisation dépend largement des « comportements de consommation de chacun ». Ensuite,
Hervé Vieillard-Baron s’interroge sur ce qu’il nomme « la fin des quartiers ». En effet, la
politique de la ville qui tend à se concentrer sur les quartiers pourrait être obsolète dans la
mesure où on assiste à « une dilatation des pratiques sociales à tout l’espace de
l’agglomération et à une rétractation des pratiques locales sur le logement et la famille ».
L’idée d’une communauté traditionnelle reposant sur des valeurs communes n’est plus la
norme puisque « les réseaux de sociabilité qui étaient fondés sur le travail, la vie familiale et
la proximité ont tendance à se dissoudre ou à se fragmenter partout ». C’est ce qu’Hervé
Vieillard-Baron appelle la révolution du « tiers temps métropolitain ». Et dans les quartiers
sensibles où certaines populations se sentent « captifs » de leur logement, la proximité
engendre un sentiment de promiscuité : le voisin devient un étranger, quelqu’un qu’on ne
connaît pas et qui peut faire peur. Pourtant, la politique de la ville tend à relégitimiser les
quartiers. Certains aménagements tentent de redéfinir le quartier autour des cités en difficulté.
En délimitant les quartiers sensibles, la politique de la ville souhaite créer un cadre
géographique strict et concret afin de corriger les inégalités qui existent entre les populations.
Ainsi, le quartier devient un support d’intervention (exemple des ZUP), mais ne correspond
plus à l’ancienne vision fondée sur l’histoire et le voisinage. Le quartier devient un objet
social construit pour les besoins de la politique de la ville. Il devient le lieu de la négociation
et de la participation. Par conséquent, le terme « quartier » perd de son sens et devient
synonyme de problèmes sociaux, culturels, architecturaux ou urbanistiques. En somme, le
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quartier est désormais un lieu où « on doit pouvoir apprendre l’urbanité et la civilité, alors
même que les incivilités y sont dénoncées avec force ». Toutefois, au-delà de ces aspects,
Hervé Vieillard-Baron insiste sur le fait qu’il ne faut pas assimiler les quartiers sensibles à des
ghettos. L’auteur rappelle les origines du terme « ghetto », en énonce les cinq principes (le
resserrement géographique, la contrainte, l’homogénéité ethnique et culturelle, la hiérarchie
socio-économique interne et le discrédit de ses habitants) pour expliquer que ceux-ci ont été
plaqués à tort sur les quartiers sensibles. En effet, l’amalgame vient du fait que certains
sociologues américains ont transposé le terme de manière inadéquate à des regroupements
ethniques. Pour l’auteur, « le mot ghetto fait écran. Destiné à réveiller les consciences et à
provoquer, il empêche de voir la réalité des appropriations de l’espace, la multiplicité des
modes de vie et la qualité des adaptations ». Ainsi, par exemple, en France, les grands
ensembles sont marqués par une grande diversité ethnique, sociale. «La superposition des
pauvretés et des nationalités [dans ces grands ensembles] n’y crée pas un espace
homogène ».
Ensuite, Hervé Vieillard-Baron met en évidence la grande diversité des quartiers
sensibles. A l’intérieur même des quartiers, il n’y a aucune uniformité. « Le malaise qu’on
qualifie improprement de ‘malaise des banlieues’ ne se réduit pas aux banlieues ni aux
grands ensembles situés aux marges des grandes agglomérations. La moitié des quartiers
classés ‘sensibles’, si l’on met à part la région parisienne appartiennent aux villes-centres ».
L’auteur souligne, par l’utilisation de plusieurs critères, l’extrême variété des quartiers selon
les régions et l’existence de diversités sociales. Il existe un critère géographique lié à
l’organisation de l’espace. La plupart des quartiers sont éloignés du centre mais de manière
inégale. Ils sont marqués par une forme de rupture spatiale qui les conduit à une sorte
d’isolement. Il y a également des critères liés à l’age moyen de la population, aux types
d’habitat et, des critères sociaux. Le statut de locataire identifie les habitants des quartiers
sensibles. Les quartiers en développement social sont plus jeunes que la moyenne avec un
tiers de moins de 20 ans. Dans les quartiers sensibles le taux de chômage atteint les 25%.
Bien que les quartiers soient marqués par une grande diversité, l’auteur s’interroge tout
de même sur la possibilité d’en faire une typologie. Ainsi, si l’on se base uniquement sur
l’activité et le chômage, 6 types de quartiers en ressortent. Mais pour affiner la typologie,
pour rendre compte de la manière la plus précise possible des spécificité des contextes locaux
et sociaux, Hervé Vieillard-Baron s’est attaché à établir des schémas montrant la « sensibilité
sociospatiale » de quartiers en difficulté. Il s’appuie sur 12 critères « aussi bien
démographiques, sociaux et spatiaux que politiques » (exemples : pourcentage de familles
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monoparentales, taux d’abstention…). Ces schémas, qui doivent être, selon l’auteur lui-même,
appréciés avec précaution (les moyennes statistiques peuvent donner une « vision
homogénéisante » de certains aspects des quartiers alors que les différences sont souvent très
importantes) rendent compte du taux d’intégration du quartier et de la population. Ainsi, cette
recherche de l’auteur à pour but de contredire la logique binaire qui « situe d’un côté
l’intégration et de l’autre l’exclusion, d’un côté un centre très qualifié et de l’autre une
périphérie discréditée ». A travers cette analyse, l’auteur énonce que ces statistiques, mettant
en évidence une grande diversité de quartiers sensibles, doivent orienter la politique de la
ville, notamment en matière de discrimination positive.
Puis, Hervé Vieillard-Baron aborde la question de la crise des quartiers. Il en explique
les raisons, celle-ci rendant compte pour lui « de ce que l’on appelle par globalisation hâtive
le ‘malaise des banlieues’ et par extension encore la ‘fracture sociale’ ». Il évoque six causes
principales, ce qui fait de la crise des quartiers, « une crise aux multiples facettes ». La crise
des quartiers découle du regroupement de ces causes, car chacune d’entre elles peut se
retrouver ailleurs. Tout d’abord, les grands ensembles inquiètent ceux qui ne les connaissent
pas, malgré certaines enquêtes de satisfaction qui démontrent que les cités sont appréciées par
plus de la moitié de leurs habitants. L’auteur souligne ici « la pesanteur des représentations
négatives », alimentée par la rumeur créée par un écart entre « le perçu et le vécu ». En outre,
les médias en stigmatisant les banlieues, en désignant des zones de « non-droit » ont une
influence considérable dans « la représentation idéologique de la violence et de l’insécurité ».
Par leur simple présence, ils « suscitent une émulation chez les auteurs d’exactions ».
L’isolement crée par les entraves à la mobilité, par « l’architecture d’enclos » (exemple des
ZUP) est une autre cause de la crise des quartiers. Des causes d’ordre social entrent
également en considération : la paupérisation des ménages, la dégradation des immeubles sont
des raisons qui conduisent les populations à se sentir abandonnées malgré les efforts de l’Etat
pour ne pas réduire les quartiers en ghettos. Mais, souvent, l’urgence, les interventions des
maires, la pression du voisinage, certains arguments qui confondent les immigrés à des « cas
sociaux » pour refuser l’arrivée de populations difficiles, sont autant de raisons qui empêche
une évolution. Il existe aussi « un sentiment d’envahissement et d’invasion » face à
l’accroissement de la présence étrangère, élément qui conduit à une forme de xénophobie
populaire pour rétablir des frontières entre les différentes nationalités. Enfin, le chômage
massif, la précarité des emplois, la faible qualification des ouvriers et des employés, font des
habitants des quartiers difficiles des victimes des « aléas de l’économie », ce qui contribue à
alimenter la crise. En somme, dans cette crise, causes et conséquences se répondent
perpétuellement. Hervé Vieillard-Baron s’intéresse ensuite à l’aspect le plus médiatisé de la
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crise des quartiers : l’augmentation de la délinquance et des incivilités. Il affirme qu’ « à
propos des banlieues, et des jeunes des quartiers en particulier, l’opinion commune l’entend
aujourd’hui comme une déviance, c'est-à-dire comme un écart à la norme. Elle attache à ce
type de violence un jugement négatif, au point d’accoler le terme ‘légitime’ à toute violence
qui aurait sa raison d’être en réponse à une autre violence qui, elle ne serait pas légitime ».
Soulignons également à ce titre que ce sont les centres-villes et non pas les périphéries qui
sont le plus touchés par la délinquance. Pourtant, ils ne sont pas cause de sentiment
d’insécurité. En effet, ce sentiment est, selon l’auteur « le symptôme majeur de la
détérioration de la qualité de vie dans les quartiers des banlieues ». Un quotidien parsemé
d’incidents et l’augmentation de la délinquance juvénile en sont les principales raisons. Hervé
Vieillard-Baron s’arrête sur ce dernier aspect. Avant d’étudier les causes de cette délinquance,
il convient de rappeler que la jeunesse est très présente dans les quartiers. « Les jeunes ‘sont’
les quartiers ». A ce titre, il y a souvent une sur-représentation de l’échec scolaire ce qui
contribue au désir de fuite et à des comportements ségrégatifs selon la réputation des
établissements. Et la création des ZEP, au nom de la discrimination positive ne compense pas
les inégalités réelles. Il apparaît également chez les jeunes une forme de « culture à soi »,
« une culture de la jeunesse incivile ». En ce qui concerne la délinquance juvénile, celle-ci a
fortement progressé ainsi que les taux de récidive. L’auteur met l’accent sur un paradoxe :
certes, il y a augmentation mais le nombre de mineurs jugés et incarcérés est réduit entre 1981
et 1995, ce qui contribue à octroyer une forme d’impunité aux mineurs. En outre, les
délinquants sont de plus en plus jeunes. Hervé Vieillard-Baron met également en exergue le
comportement, la réaction des jeunes face à leurs actes : « une partie des délits sont banalisés
à un point tel qu’ils ne sont pas perçus comme des infractions. A posteriori, toutes les
justifications sont possibles – de la société qui ‘opprime’ ou fait preuve de ‘racisme’, jusqu’à
l’entreprise qui exploite ». A propos des raisons de cette délinquance juvénile, le magistrat
Denis Salas souligne « l’émergence d’une délinquance d’exclusion, fruit d’un décrochage des
quartiers par rapport à la vie sociale, forme désespérée, chronique, autodestructrice et
fortement territorialisée de survie avant tout collective ». Pour certains sociologues, il existe
« un processus de socialisation délinquante ». D’autres raisons peuvent être avancées : le
poids du passé de leurs parents (exemple : l’histoire coloniale), la peur de l’avenir,
l’incompréhension, le manque de dialogue, l’écart entre les idées véhiculées par l’école et par
la famille… Toutes ces raisons mettent parfois les jeunes dans une situation insupportable, ce
qui peut les conduire à s’investir dans des réseaux parallèles (notamment les trafics de
drogue) pour échapper à l’école et à la famille. Ces trafics qui pour la plupart relèvent de ce
que l’auteur appelle « la débrouille » ou « le business » ont longtemps échappé aux politiques
de prévention et de répression, ce qui a généré un sentiment d’impunité. Par exemple, les
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juges pour enfants, traitant ces affaires sous l’angle de l’enfance en danger sont réticents à
l’incarcération et au durcissement de la politique répressive. Pourtant, l’économie des trafics
peut conduire à enfermer les jeunes dans une « logique de ghettoïsation ».
Enfin, l’auteur aborde la question du traitement des quartiers sensibles par la politique
de la ville et s’interroge sur son efficacité. En effet, les marges urbaines out toujours inquiété
les pouvoirs. C’est d’ailleurs la politique d’habitat social de 1977 qui a fait naître la notion de
quartier sensible. La politique de la ville naît en 1988. Elle est marquée par des grands
principes et vise, en se ciblant exclusivement sur le quartier, des buts précis : « traiter les
racines de la ségrégation et éviter la fracture sociale » ; « développer la démocratie locale et
donner à tous les citadins la possibilité et le goût de vivre ensemble ». Elle est contractuelle et
prend des formes variées : contrat de ville dans le cadre des programmes de rénovations
urbaines, ou contrat d’agglomération par exemple. Elle vise à associer les citadins et à
développer la négociation. Il s’agit en effet de ramener les quartiers à un meilleur niveau, les
désenclaver en améliorant la mobilité, de développer des constructions et des infrastructures.
Il s’agit également de travailler sur l’ouverture, la mixité sociale (exemple : en diversifiant
l’habitat avec la construction de logements de classe moyenne voire de luxe). En somme,
l’idée principale de 1991 est la lutte contre l’exclusion.
Après avoir évoqué les grandes étapes de la politique de la ville, celles des démolitions
(avec l’inévitable problème du relogement), l’échec de la « mixité sociale » souhaitée par le
pouvoir, Hervé Vieillard-Baron conclue sur un bilan plutôt mitigé des efforts de l’Etat. En
effet, il reproche à la politique de la ville de « basculer constamment de l’urbain au social ».
De plus les contrats de ville, tout en voulant donner plus de pouvoir de décision aux quartiers
sensible peuvent conduire au risque de « faire gérer le ghetto par le ghetto ». Trop vaste, trop
technicienne, trop utopique, la politique de la ville « serait par avance condamnée parce
qu’incapable de répondre en un temps donné à toutes les questions qu’elle soulève ».
IV : « Des banlieues françaises aux périphéries des grandes métropoles mondiales ».
Cette dernière partie vise à mettre en perspective les principales formes d’
urbanisations mondiales permettant de montrer qu’il n’existe pas de modèle de banlieue.
D’ailleurs, « la notion de banlieue, telle qu’elle a historiquement été construite en France est
difficilement exportable ». En effet, l’auteur s’aperçoit vite que toute mise en perspective d’un
pays à un autre et a fortiori d’un continent à un autre est difficile. On ne parle pas des mêmes
villes, aux passés différent, et la signification du terme banlieue est différente. Néanmoins,
selon l’auteur, « face à l’explosion urbaine qui concerne désormais toute la planète, le
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rapprochement des modes d’urbanisation et la comparaison des types d’organisation sociale
des périphéries des grandes métropoles devraient permettre d’ouvrir des horizons
nouveaux ».Sont ainsi représentés les grands types de banlieues dans le monde : les pays
développés comme la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, ainsi que les métropoles asiatiques
en plein essor et les pays en voie de développement la banlieue. En Angleterre par exemple,
c’est la maison individuelle qui reste la norme de l’habitat périphérique. En Italie,
l’expansion des banlieues s’opère dans le plus grand désordre. En Amérique du Nord, le
« social » prédomine le « spatial » ; c'est-à-dire que les américains se définissent par leurs
identités personnelles, ethniques ou familiales. C’est ce que l’auteur appelle « le dynamisme
des communautés », « notion qui ne peut avoir la même signification qu’en France ». Ensuite,
dans un contexte de forte croissance économique, on assiste à une « explosion des grandes
métropoles » en Asie, explosion qui se traduit par un débordement périphérique, par
l’émergence de pôles urbains et par la présence de mégalopoles. L’auteur constate également
que l’espace urbain du Japon apparaît socialement homogène. Le sentiment d’insécurité est
très limité. « Dans ces conditions, la notion de ‘périphérisme’ propre aux quartiers dégradés
d’une partie des banlieue françaises n’a guère de sens au Japon ». Dans la plupart des villes
des pays en développement, les aspects principaux des périphéries sont la pauvreté des
infrastructures (exemple des bidonvilles des favelas), de l’habitat, la « dédensification » des
centres pour les villes les plus anciennes, la violence urbaine (exemple de Mexico), le
sentiment d’insécurité. L’organisation de l’espace urbain et les redistributions rapides de
population à Johannesburg mettent en évidence le poids de l’apartheid dans les
« représentations mentales ». L’échec des initiatives urbaines s’observe aussi par le
« comportement de sécession de la part des ‘nantis’ » : construction de murs autour des
quartiers riches, renforcement de la sécurité par des systèmes de gardes privés.
En fait, l’histoire et la dimension culturelle occupent une place prépondérante pour expliquer
ces différences à l’ échelle mondiale. Chaque cas d’espèce étudié dans l’ ouvrage reste donc
bine singulier. Le constat de ce chapitre est simple : bien que l’ on retrouve ici et là certaines
ressemblances et permanences, les solutions d’ un modèle à un autre sont difficilement
transposables.
Commentaires.
En pensant les banlieues comme un objet scientifique, Hervé Vieillard-Baron
tente d’étudier complètement les banlieues tout en se détachant des contextes médiatiques et
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politiques qui forgent des a priori sur celles-ci. Son analyse invite le lecteur à plus
d’objectivité, à regarder avec méfiance certaines idées reçues sur les banlieues. En somme, il
alerte sur les dangers de ce qu’il appelle les « clichés faciles ». L’auteur estime en effet qu’il
faut se méfier des mots car ils ont une pluralité de sens. Ainsi, le terme « banlieue » englobe
trois concepts différents : c’est une notion juridique, sociologique (au sens où elle apparaît
comme le lieu de marginalisation, d’exclusion) et culturelle (comme étant le berceau de la
musique rap ou des tags). Mais, la banlieue, peut, en fonction de certaines connotations, avoir
d’autres significations. En effet, la banlieue est chargée d’une certaine connotation morale.
Ainsi, le fait de vivre en banlieue contribue souvent à faire porter le discrédit sur ses
habitants. Les confusions et l’utilisation d’un langage inapproprié font parfois perdre leur sens
aux mots. En outre, les représentations qui se focalisent sur les quartiers sensibles ne montrent
qu’une toute petite part de la banlieue réelle. En effet, la banlieue représente 7% du territoire
national et 21 millions d’habitants. C’est ce qu’explique Hervé Vieillard-Baron dans un article
intitulé « Les banlieues, des territoires en crise ». Dans un autre article, il affirme clairement
que la crise des banlieues fait partie des idées reçues en l’assimilant à « la banlieue-phobie »
(« La crise des banlieues est-elle un phénomène européen ? »). Selon lui ce phénomène est dû
au fait que la France n’a pas encore résolu tous les problèmes liés à son passé colonial. Il est
sans doute possible d’établir un parallèle entre l’analyse proposée par cet ouvrage et la
logique de répression pénale. En effet, les violences urbaines sont, on l’a vu, largement
médiatisées. A ce titre, il semble que la répression des violences soit souvent due aux
pressions médiatiques. Il en a été ainsi des émeutes du mois de novembre 2005 qui ont abouti
à l’incrimination du guet-apens, de l’embuscade et des violences commises en bande
organisée, par la loi du 5 mars 2007. Souhaitant réprimer efficacement la délinquance
juvénile, cette loi prévoit également que dès lors où le mineur de 16 à 18 ans se trouve en
situation de récidive légale en matière de violences, l’écartement de l’excuse de minorité
n’aura plus à être motivé.
Ce livre propose de nombreux points pour comprendre les crises que traversent les banlieues
françaises dans une démarche scientifique, historique et sociologique s’extirpant des carcans
politiques et médiatiques bien souvent fallacieux »
« Épicentre du problème social, les quartiers sensibles portent une charge qui les dépasse et
servent de prétexte pour évoquer la crise qui touche l'ensemble du pays. Tout se passe comme
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s'ils concentraient les contradictions d'une société finissante et les incertitudes d'un contrat
social en émergence » (« Les quartiers sensibles, entre disqualification visible et réseaux
invisibles » Hervé Vieillard-Baron.
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