Henri Maldiney Et Gilles Deleuze. La Station Rythmique de Loeuvre Dart

8
02/06/13 22:34 Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'œuvre d'art Page 1 sur 8 http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896 Rhuthmos http://rhuthmos.eu/spip.php?article896 Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l’œuvre d’art vendredi, 17 mai 2013 / Jean-Christophe Goddard Ce texte a déjà paru sur Deleuze International en février 2009. Nous remercions Jean-Christophe Goddard de nous avoir autorisé à le reproduire ici. En introduction à L’art, l’éclair de l’être, paru en 1993, Maldiney consacre un texte à un article d’Oskar Becker initialement publié en 1929 et traduit et annoté en 1986 par Jacques Colette dans le n° 9 de la revue Philosophie. Le titre de l’article de Becker est « La fragilité du beau et la nature aventurière de l’artiste. Une recherche ontologique dans le champ des phénomènes esthétiques ». La traduction française est précédée d’un article de Colette intitulé « une phénoménologie à double foyer », d’où Maldiney tire une citation extraite d’un article de Lukacs paru en 1917 sous le titre « Die subjekt-objekt Beziehung in der Aesthetik ». La citation de Lukacs, que Maldiney met en résonance avec l’affirmation de Becker selon laquelle « la temporalité donne la clé à la question de l’existence esthétique », est la suivante : « l’esthétique a une structure véritablement héraclitéenne, en lui personne ne descend deux fois dans le même fleuve » (49a) [1 ]. « Il est d’un seul instant », de son instant, qui s’excepte de tout autre, précise Maldiney. Cette dimension monadique de tout acte ou figure de la sphère esthétique, qui la soustrait à tout rapport avec une autre monade de même espèce, Maldiney l’assume pleinement, mais en un autre sens que Lukacs, qui oblige à comprendre autrement ce qu’il faut entendre par « structure héraclitéenne » de l’œuvre d’art. Le désaccord avec Lukacs porte sur la nature de l’invariant qui, pour Lukacs, demeure toutefois, et qui, pour Maldiney, précise le sens de l’héraclitéisme de l’œuvre d’art au-delà du simple « tout s’écoule ». L’invariant ou l’identité, ce qui se conserve dans l’œuvre d’art n’est pas plus pour Lukacs que pour Maldiney l’identité d’un substrat, mais l’identité d’une forme. Or, si Lukacs comprend cette dimension formelle de l’œuvre d’art à travers la catégorie husserlienne d’un schème de remplissement en attente de son contenu, offert à tous et qui laisse l’œuvre ouverte à chacun ; pour Maldiney, ramener la dimension formelle de l’œuvre à un tel schème, revient à « passer outre » au phainestai, et trahir qu’on ne comprend pas ce que l’on dit quand on dit de l’œuvre d’art qu’elle est d’un seul instant, de son instant. La dimension formelle de l’œuvre d’art, son identité, son invariant, ne consiste pas dans un schème intentionnel en attente d’incarnation : elle est n’est pas Gestalt mais Gestaltung, et cette Gestaltung est identique à l’œuvre elle-même qui n’existe pas dans le temps, dans l’écoulement du temps, ne s’explique pas en lui, mais l’implique, comme un temps monadique et discontinu qui est sa propre transformation et qui se conquiert à travers les crises en lesquelles l’œuvre est constamment mise en demeure d’exister à partir de rien. Bref, l’invariance, l’identité, la forme ne vient pas contredire et nuancer la structure héraclitéenne de l’œuvre d’art : elle se confond avec cette forme et oblige bien à en repenser la signification. Sous l’expression de « temporalité héraclitéenne » on n’entendra pas une suite transitive d’instants, et par « structure héraclitéenne », le fait d’occuper un point temporel dans l’écoulement du temps, mais plutôt la manière même dont l’œuvre est son propre instant en se portant à l’avant de soi, en soi – la manière dont sa tension de durée constitue son instant. En ce sens, est héraclitéen la forme capable de la dimension suivant laquelle elle se forme et se porte à elle-même en apportant et en emportant son espace et son temps propre.

description

Maldiney-Deleuzr

Transcript of Henri Maldiney Et Gilles Deleuze. La Station Rythmique de Loeuvre Dart

  • 02/06/13 22:34Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'uvre d'art

    Page 1 sur 8http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896

    Rhuthmos http://rhuthmos.eu/spip.php?article896

    Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique deluvre dartvendredi, 17 mai 2013 / Jean-Christophe Goddard

    Ce texte a dj paru sur Deleuze International en fvrier 2009. Nous remercions Jean-ChristopheGoddard de nous avoir autoris le reproduire ici.

    En introduction Lart, lclair de ltre, paru en 1993, Maldiney consacre un texte un articledOskar Becker initialement publi en 1929 et traduit et annot en 1986 par Jacques Colette dansle n 9 de la revue Philosophie. Le titre de larticle de Becker est La fragilit du beau et la natureaventurire de lartiste. Une recherche ontologique dans le champ des phnomnes esthtiques .La traduction franaise est prcde dun article de Colette intitul une phnomnologie double foyer , do Maldiney tire une citation extraite dun article de Lukacs paru en 1917 sous letitre Die subjekt-objekt Beziehung in der Aesthetik .

    La citation de Lukacs, que Maldiney met en rsonance avec laffirmation de Becker selon laquelle la temporalit donne la cl la question de lexistence esthtique , est la suivante : lesthtique a une structure vritablement hraclitenne, en lui personne ne descend deux foisdans le mme fleuve (49a) [1]. Il est dun seul instant , de son instant, qui sexcepte de toutautre, prcise Maldiney. Cette dimension monadique de tout acte ou figure de la sphreesthtique, qui la soustrait tout rapport avec une autre monade de mme espce, Maldineylassume pleinement, mais en un autre sens que Lukacs, qui oblige comprendre autrement cequil faut entendre par structure hraclitenne de luvre dart.

    Le dsaccord avec Lukacs porte sur la nature de linvariant qui, pour Lukacs, demeure toutefois, etqui, pour Maldiney, prcise le sens de lhraclitisme de luvre dart au-del du simple toutscoule .

    Linvariant ou lidentit, ce qui se conserve dans luvre dart nest pas plus pour Lukacs que pourMaldiney lidentit dun substrat, mais lidentit dune forme. Or, si Lukacs comprend cettedimension formelle de luvre dart travers la catgorie husserlienne dun schme deremplissement en attente de son contenu, offert tous et qui laisse luvre ouverte chacun ;pour Maldiney, ramener la dimension formelle de luvre un tel schme, revient passeroutre au phainestai, et trahir quon ne comprend pas ce que lon dit quand on dit de luvredart quelle est dun seul instant, de son instant.

    La dimension formelle de luvre dart, son identit, son invariant, ne consiste pas dans unschme intentionnel en attente dincarnation : elle est nest pas Gestalt mais Gestaltung, et cetteGestaltung est identique luvre elle-mme qui nexiste pas dans le temps, dans lcoulementdu temps, ne sexplique pas en lui, mais limplique, comme un temps monadique et discontinu quiest sa propre transformation et qui se conquiert travers les crises en lesquelles luvre estconstamment mise en demeure dexister partir de rien. Bref, linvariance, lidentit, la forme nevient pas contredire et nuancer la structure hraclitenne de luvre dart : elle se confond aveccette forme et oblige bien en repenser la signification. Sous lexpression de temporalithraclitenne on nentendra pas une suite transitive dinstants, et par structurehraclitenne , le fait doccuper un point temporel dans lcoulement du temps, mais plutt lamanire mme dont luvre est son propre instant en se portant lavant de soi, en soi lamanire dont sa tension de dure constitue son instant. En ce sens, est hracliten la formecapable de la dimension suivant laquelle elle se forme et se porte elle-mme en apportant et enemportant son espace et son temps propre.

  • 02/06/13 22:34Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'uvre d'art

    Page 2 sur 8http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896

    Cest sur ce pralable que souvre le septime et dernier chapitre de Quest-ce que la philosophie ?de Deleuze et Guattari : lart conserve et cest la seule chose au monde qui se conserve. Ilconserve et se conserve en soi [2]. Les premires pages du chapitre consacr lart sous le titre Percept, affect et concept sont saturs dune mme affirmation : luvre dart est un bloc de sensations, un compos de percepts et daffects qui valent par eux-mmes et excdent toutvcu , et ce compos, qui existe en soi , doit avant tout, pour que lon puisse proprementparler duvre dart, tenir tout seul , tenir debout tout seul , avoir la force dtredaplomb , tre la diffrence des blocs friables incapables dautoconservation que sont lescomposs sous drogues solides et durables comme Czanne lexige de ses uvres et commene le sont pas suffisamment son got les uvres impressionnistes. Bref luvre dart pour trece quelle doit tre doit tre un monument (Ibid., p. 155).

    Insistons puisquil faut rapprocher lexigence deleuzienne du monumental, qui est aussiczanienne, de lexigence maldineysienne pour luvre dart de se former et de se porter en elle-mme : ce monumental et ce gigantesque de luvre, sa solidit, sa stature et sa station dunbloc, renvoient trs exactement sa structure hraclitenne. Ce quil faut donc expliquer, cestprcisment en quoi une telle station debout en bloc est proprement hraclitenne.

    Se tenir seul debout et se conserver en soi-mme dun bloc, cest renier et dpasserlorganisation, la composition en bloc friables cest--dire en objets partiels pour affirmer lidentitmassive dun objet total. Cette station est celle du corps sans organes tel que le dcouvre Artaudet tel que le conoivent Deleuze et Guattari dans LAnti-dipe. Elle est aussi la station mme de lasubstance spinoziste [3]. Mais si Derrida comprend dabord la station artaldienne du corps sansorganes travers la dialectique de la perte et de la rserve chez Bataille (cest--dire danslhglianisme), Deleuze aborde le corps sans organes travers les catgories de lesthtique deMaldiney, dont il fut le collgue et lami Lyon avant 1968.

    Luvre dart est monument, mais le monument, crivent Deleuze et Guattari, peut tenir enquelques traits ou quelques lignes [4]. Ce qui est presque une citation de Lart et le pouvoir dufond , qui dans Regard, Parole, Espace, prolonge les analyses dterminantes dune confrenceprononce par Maldiney Lyon en 1967 intitule Lesthtique des rythmes . Le Mal (dulatin macula = tache, qui donne en allemand le verbe malen = peindre) est pour Maldiney laforme originelle et originaire du monumental [5] le monument tant Denkmal , et cela,prcise t-il, quil soit bloc, tache, trait ou point (Ibid., p. 181).

    Le surgissement du Mal est celui dun absolu ; il est libre de toute autre condition dexistence etde signifiance que labrupt de son apparatre (Ibid., p. 178), crit Maldiney. Il ralise en soi cetteprsence unique et une de luvre, sans partition, son immobilit et sa dure monadique ; en unmot : il est la forme mme de luvre en tant quelle est auto-position, auto-gense etautoconservation. Or, cette dimension formelle de luvre dart, son existence en soi, en bloc,Maldiney la comprend prcisment comme sa dimension rythmique. Car, le rhuthmos, commelatteste Benveniste dans les Problmes de linguistique gnrale sur lesquels Maldiney prendappui, ne dsigne pas un phnomne dcoulement, de flux, mais la configuration assume chaque instant dtermin par un mouvement (Ibid., p. 157). Rhuthmos veut dire forme. Au sensprcis de cette forme en formation, en transformation perptuelle dans le retour du mme queMaldiney oppose la forme comme schme. Alors que le schme dfinit, en effet, une forme fixepose comme un objet, le rythme dsigne au contraire la forme dans linstant quelle est assumepar ce qui est mouvant, fluide. Plus prcisment : cette configuration instantane, la formerythmique ajoute la continuit interne dune dure, de telle sorte quen elle lopposition de linstantet du temps se supprime. Ce que Maldiney exprime en citant le fragment 50 dHraclite : Toutest en Un et Un toutes choses . Car la structure hraclitenne de luvre dart nest pas chercher uniquement dans le tout scoule , mais dans lalliance surprise du temps enfantqui joue et du gouvernement de tout travers tout du fragment 41. Le destin du rythme etdonc la forme de luvre ou luvre comme forme, comme Mal se jouant entre les deuxextrmes de la limite et de lillimit.

    Ainsi Deleuze dans la Logique de la sensation use t-il propos de la Figure de la peinture de

  • 02/06/13 22:34Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'uvre d'art

    Page 3 sur 8http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896

    Bacon pour autant quelle est exemplaire de cette surrection en bloc de la forme esthtique oudu monument quest luvre dart des termes mmes par lesquels Maldiney prcise dans Lesthtique des rythmes la structure hraclitenne du Mal, en prsentant la station mme dela Figure comme ralisant lunit rythmique de mouvements opposs de diastole et de systole.

    Image isole, dans une extrme solitude, la Figure de Bacon est en effet dcrite par Deleuzecomme tantt contracte et aspire, tantt tire et dilate [6]. Il y a l pour lui un singulier athltisme , qui cherche faire coexister deux mouvements exactement inverses. Le premiermouvement va de la structure matrielle, cest--dire de laplat, la Figure : laplat se trouve prisdans un mouvement par lequel il forme un cylindre, senroule autour du contour, du lieu,enveloppe, emprisonne la Figure, afin den accuser lextrme lisolement et la localisation. Lesecond mouvement va de la Figure vers laplat ; il est le mouvement par lequel, cette fois, laFigure tend sillocaliser, schapper delle-mme par un point de bance pour se dissiper danslaplat. Aucun des deux mouvements, note Deleuze, ne va toutefois son terme, et si la Figureisole par le premier mouvement tend bien par le second se dissoudre, par lui pourtant elle nese dissout pas encore dans la structure matrielle, elle na pas encore rejoint laplat pour sydissiper vraiment, seffacer sur le mur du cosmos ferm (Ibid., p. 23) ; car, si lon allait jusque-l, la Figure disparatrait. La caractristique constante des Figures est, en effet, dtre tout aussibien abandonnes, chappes, vanescentes, confondues qu isoles, colles, contractes (Ibid., p. 24). Il y a l une stricte coexistence du contract et du diffus, de la systole qui serre lecorps et va de laplat la Figure et de la diastole qui ltend et le dissipe en allant de la Figure laplat. Cette coexistence est telle que dj il y a une diastole dans le premier mouvement,quand le corps sallonge pour mieux senfermer ; et il y a une systole dans le second mouvement,quand le corps se contracte pour schapper ; et mme quand le corps se dissipe, il reste encorecontract par les forces qui le happent pour le rendre lentour (Ibid., p. 26).

    Ce rapport en lequel lespace schappe lui-mme en diastole mais les foyers de luvre lerassemblent en systole, selon un rythme expansif et contract en modulation perptuelle [7],caractrise prcisment pour Maldiney le troisime style de ltre pictural (celui des aquarelles deCzanne), qui articule les deux phases du souffle vital luniversalisation et la singularisation dans linstant de lapparition-disparition dune forme en mtamorphose ; par opposition lartsacr dgypte en lequel la rencontre du monde se manifeste dans louverture dun apparatreabsolu, toutes choses se donnant alors partir du mur cosmique (Ibid., p. 170) comme dufond do elle surgissent par contraction (systole) ; et par opposition au monochrome Song enlequel les choses se dvoilent dans lOuvert de leur disparatre (Ibid., p. 171) (diastole).

    Il est remarquable que ce troisime style ralise pour Maldiney lessence mme de limage, quicomme limage (Bild) originaire en laquelle Hlderlin peroit la source de la posie, et qui sespaceelle-mme indpendamment de toute intentionnalit, se donne toujours dans un doublemouvement de diastole et de systole . En sa surrection la plus primitive, le motif, quil soit bloc,tache ou trait, comprend les deux moments : celui de lexaltation diastolique et celui du recueillement systolique , celui de la thesis et de larsis, qui sont les intgrants non-thmatiques de limmobilit tendue o la masse prend forme (Ibid., p. 181).

    On retrouve chez Deleuze cette organisation maldineysienne de lhistoire de la peinture en troisgrands styles dfinis partir du couple systole/diastole. Pour Deleuze, la peinture intgre, on lesait, ncessairement sa propre catastrophe, mais le peintre, oblig de passer par ce chaos, essaienon moins ncessairement den sortir. Or, en cette tentative pour treindre le chaos d-figuratif etfinir par y chapper, la peinture moderne emprunte daprs Deleuze trois grandes voies.

    La premire, oriente dans la direction autrefois prise par lart byzantin, est celle de labstraction(Mondrian, Kandinsky), qui, stant leve au-dessus des donnes figuratives, rduit cependant auminimum la catastrophe (et en consquence le manuel), pour aboutir dans lexposition dunespace optique pur.

    La seconde est celle de lexpressionnisme abstrait, qui ressuscite lart gothique. Cest la voie

  • 02/06/13 22:34Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'uvre d'art

    Page 4 sur 8http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896

    ouverte par lAction-Painting de Jackson Pollock, dont la principale caractristique est de dployerau maximum le chaos visuel, dtendre la totalit du tableau la zone dindiscernabilit cre parlacte de peindre au point de ne plus donner voir quun espace exclusivement manuel [8].

    Enfin, la troisime voie est celle quemprunte Bacon et que Deleuze dfinit comme une sorte devoie moyenne (Ibid., p. 73), tempre , qui nest ni lune ni lautre des deux premiresvoies et runit indissolublement les moments opposs en leur divergence.

    On sera dabord attentif au traitement rserv la seconde voie, qui, en tendant la catastrophe la totalit de lespace pictural, semble bien chouer dans sa tentative pour y chapper, et paratdonc faire exception la dfinition de la peinture moderne comme solution apporte au chaosvisuel. On pourra mme considrer que, si la peinture de Bacon se tient formellement galedistance de labstraction pure et de lexpressionnisme abstrait, elle se dfinit cependant avant toutpar son opposition au second. Le Bacon de Deleuze est principalement un Anti-Pollock.Lexpressionnisme abstrait de Jackson Pollock, parce quil dchane sans retenue la violence delacte de peindre, parce quil cde la frnsie de la catastrophe au point de submerger la surfacetotale du tableau, ne parvient qu faire un vritable gchis (Ibid., p. 71). La lignegothique , laquelle, par ailleurs, Deleuze reconnat le mrite de dfaire la reprsentation enlibrant une vitalit non organique (Ibid., p. 83), et qui, en consquence, est au principe de lapeinture justement comprise selon sa vocation spirituelle la ligne gothique, qui ne fait pascontour, qui ne dlimite rien, ni intrieur ni extrieur, ni concave ni convexe, la ligne de Pollock (Ibid., p. 68), est prsent ce qui loigne du salut spirituel promis par labstraction et ce dontil faut tout prix (Ibid., p. 73) viter la prolifration, ce qui doit tre contrl et domin : sauver le contour, il ny a rien de plus important pour Bacon. [] Il faut donc que le diagrammene ronge pas tout le tableau, quil reste limit dans lespace et dans le temps. Quil resteopratoire et contrl. Que les moyens violents ne se dchanent pas, et que la catastrophencessaire ne submerge pas tout (Ibid., p. 71).

    LOuvert deleuzien comme lOuvert maldineysien nouvrent vritablement la rencontre dunouveau (ce que Maldiney comprend comme le Rel : ce quon nattendait pas [9]) quenouvrant une clture et donc condition de conserver cette clture dans le mouvement mme deson ouverture. Il est remarquable que dans le (premier) commentaire de Bergson par lequelcommence Limage-mouvement Deleuze mobilise la notion heideggrienne-maldineysienne delOuvert pour introduire la notion bergsonienne de la dure comme dun tout qui nest ni donnni donnable [10], mais auquel il appartient de changer sans cesse ou de faire surgir quelquechose de nouveau . Mais on sera surtout attentif au fait que, pour reprendre une expression desDeux sources, le maximum de cration ne sera garanti qu condition que la dure, enchangeant de nature, se divise dans les objets, et que les objets, en sapprofondissant, en perdantleurs contours, se runissent dans la dure (Ibid., p. 22) : le mouvement, en tant quil est unecoupe mobile de la dure, prsente donc le double caractre du Mal maldineysien, celui de lasingularisation et de luniversalisation ; dune part il rapporte les objets [discernables] dunsystme clos la dure ouverte , et, dautre part, il rapporte la dure aux objets du systmequelle force souvrir . Cest, en dernier ressort, entre les deux , entre le systme clos desobjets discernables et lOuvert que, pour Deleuze, tout change . Cest dans cet entre-deux duclos et de louvert que sespace sans substrat le motif maldineysien ou la Figure baconienne. Cetentre-deux est lespace propre de la station hystrique du corps sans organes artaldien ; ouplutt, il est identique son espacement mme.

    Cest condition, pour Maldiney, dentrer dans le Rythme que lOuvert nest pas bance ,Ungrund ou Abgrund, mais patence [11], non plus engloutissement , mais mergence .Cest par le Rythme, tel que le dfinit prcisment la confrence de 1967 sur Lesthtique desrythmes , que sopre le passage du chaos lordre , car si, pour Maldiney comme pourDeleuze, la cration commence par le chaos, nous lavons dit, elle nest effective qu condition dele surmonter. La forme esthtique, crit Maldiney dans Lart, lclair de ltre, dans la mesuremme o elle est forme en formation, Gestaltung, par le rythme diastolique-systolique, empcheavant tout le retour des nergies ouvrantes et fermantes la masse, leur retour au fond, lamatire premire vers laquelle se retirent toutes les matires de luvre [12]. Seule cette formeouvre lOuvert, seule elle fait proprement exister le fond : lui donne sa valeur dtre le fond (le

  • 02/06/13 22:34Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'uvre d'art

    Page 5 sur 8http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896

    Grund) dune existence, et non le sans-fond (lUngrund) o sabme tout exister. Maldiney met icibien sr en uvre lontologie schellingienne et sans doute plus exactement le commentairequen fait Heidegger dans son cours de 1936 sur Les recherches sur la libert humaine deSchelling [13].

    Rappelons brivement ce commentaire. Par tre (Wesen), crit Heidegger, Schelling entend un tant singulier se tenant en soi-mme et formant un tout (Ibid., p. 187), au sens o nousparlons dun tre-vivant , dun tre-pensant , etc. Or, en tout tre, ainsi dfini, et donc aupremier chef en lhomme, il faut pour Schelling, dit Heidegger, distinguer entre son fondement et son existence . Le fondement ntant pas compris comme raison , ratio, mais comme ce fond (Grund), ce sous-bassement dont nous venons de parler, tandis que lexistence est, nonpas subsistance, mais un acte de sortie ou de procession hors de soi et dauto-rvlation, demanifestation soi dans cette sortie au dehors de soi. Tout tre singulier nexistant et nedevenant lui-mme, cest--dire un moi ou un soi , qu condition de refouler en arrire dumouvement propre de lexistence un fond obscur do il sort pour sapparatre soi au grand jour,et qui nest pas lui-mme ou plus exactement qui est en lui-mme ce qui nest pas lui-mme(dj trs prcisment cette familiarit trangre de lUn-heimliche freudien qui menace dans lefond). Cette distinction du fond et de lexistence, ajoute Heidegger, constitue selon Schelling lajointement fondamental de ltre, la Seinsfuge (Ibid., p. 188) cest--dire ce qui jointltre, lunit en un tre se tenant en soi-mme et formant un tout.

    Le commentaire dHeidegger prcise un point, qui est pour nous ici dcisif : le fond et lexistencene sont pas deux pices constitutives partir desquelles ltre pourrait tre compos ;lajointement des deux, constitutif de ltre, est plutt co-appartenance (Ibid., p. 191),conjonction du disjoint. Leur distinction nest pas une distinction pure et simple, cest aucontraire une distinction identique dans laquelle chaque terme est en lui-mme rapport lautre (Ibid., p. 193). Ltre ne peut tre soi (ipse), tre un sujet ou un moi , cest--direproprement exister, sans poser et sopposer le fond obscur qui lui est sous-jacent : en sarrachantau fond, lexistence ne labandonne pas, ne lanantit pas, mais au contraire le prsupposeconstamment. Lexistence ne va pas sans le fond. Mais le fond ne va pas non plus sanslexistence : cest du fait mme de lacte transcendantal ou existentiel de sortie hors de soi deltre, que le fond est refoul en arrire de lexistence ; seul ce qui existe permet au fond dtreson fond (Ibid., p. 196), en faisant fond sur lui. Le fond est ce dont provient lexistence, maisquelle pose dans la mesure mme o elle sen dtache. Il y a l un cercle en lequel ce qui estproduit produit aussi bien ce dont il est le produit. Le refoulement originaire est galement,comme tel, la pro-cession du refoul. Il ny a, insiste Heidegger, entre le fond et lexistence, pasd avant ou d aprs , mais une pure concidence temporelle cette concidence de la temporalit authentique (Ibid., p. 197) en laquelle le pass et le futur, lavoir-t du fond danslexistence et ltre- venir de lexistence dans le fond, se rejoignent co-originellement ltre-prsent , cest--dire demble, dun seul et mme coup (Schlag). De sorte que ce qui prcde(le fondement) nest pas le premier, qui est aussi bien lultrieur (lexistence).

    Insistons : le refoul ne fait pas ventuellement retour aprs avoir t refoul, mais faitdemble retour dans le prsent du refoulement. La dtermination du fond, commenteHeidegger, est saisissable, en son rapport rciproque avec lexistence, comme une contraction (Ibid., p. 199), il est alors ce qui en cette contraction se retire et attire (la gravit) ; lexistence, linverse, est analogiquement saisissable comme ce qui se dploie et se diffuse (la lumire etle lumineux, das Lichte). La thse de lajointement de ltre comme conjonction du fond et delexistence signifie alors que la structure ontologique de tout tant, et au premier chef delhomme, rside non pas dans la succession, mais dans lajointement instantan de deuxmobilits : celle de lattraction, de la reprise par le fond de ce qui en procde par dilatation ; cellede la diffusion, de la dilatation hors du fond de ce qui dans le fond demeure contract. Lerefoulement est en lui-mme la fois contraction et dilatation, retrait et expansion,obscurcissement et claircissement. Cest pourquoi Heidegger reconnat dans le dsirement parquoi le fond vient aussi bien se soulever dans son refoulement, et qui est au principe du mal, une mobilit ad-verse : la tendance sortir de soi pour se propager au-dehors, mais aussi latendance revenir en arrire et rentrer en soi-mme (Ibid., p. 216). Le principe ipsiquequest le fond en son soulvement dans le dsir, est ainsi, en raison mme de cette double

  • 02/06/13 22:34Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'uvre d'art

    Page 6 sur 8http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896

    mobilit, une tension qui ne peut jamais accder une configuration stable , et qui, commetelle, ne peut jamais que pressentir ltre-soi, la sit qui, prive de la lumire delentendement, reste sans nom , ne connat aucun nom et ne sait pas nommer ce vers quoi[elle] tend (Ibid., p. 217). Parce quil est structur par le refoulement du fond, cest dans cettestation athltique et instable du simultanment contract et dilat que se tient ainsioriginairement ltre qui se tient en soi-mme. Cest dans cette station, quon aura aismentreconnue comme la station de ltre pictural commande par le Rythme maldineysien, que le sujetvient au monde, pour Schelling.

    Dans Limage-mouvement, Deleuze suggre que certains facteurs sociaux extra-philosophiques, etlapparition du cinma, ont pu concourir la ruine de lancienne psychologie. Il est vident que laphilosophie na pu supporter seule cette profonde mutation dans lauto-comprhension de laconscience et dans la position de la subjectivit. Le phnomne a du tre beaucoup plus large.Cest en tous cas de la faon la plus manifeste dans la pratique artistique du XXe sicle que cechangement sest exprim de la faon la plus clatante. Dans Lart, lclair de ltre, interprtant lastructure ad-verse du mouvement de Gestaltung artistique comme impliquant la prsenceactive du vide , pour autant que seule cette prsence fait quune uvre ex-iste [14] (au sensschellingien du terme), Maldiney voque les uvres dans lesquelles et par lesquelles lart estdans un tat dorigine perptuelle : celles de Czanne et de Rik Wouters, de Mondrian, deNicolas de Stal et de Rothko. Il ne mentionne pas Giacometti. Il est vrai que Rothko disaitpartager avec le cinaste Antonioni le mme sujet : le nant . Mais, cest sous linfluencecroissante et explicite de Giacometti que Rothko en vient aux peintures sombres ; et la lecture descrits de Giacometti rassembls par Michel Leiris et Jacques Dupin, aussi elliptiques soient-ils,confirment lappartenance de la peinture et de la sculpture de Giacometti ce bouleversementdans la manire de penser ltre et la conscience.

    Il existe un texte de Giacometti crit vers 1933/34, quasi programmatique, qui mrite dtre cit : je ne veux mengager dans rien , tenir les mains toujours compltement libres dans lair,nentrer dans aucune corce, ne toucher rien du moins directement, que les choses viennentavec des pieds muets, delles-mmes elles entrent sans que jentende aucun clat de porte quisouvre et se ferme, aucune ligne droite, aucune blessure, je ne les toucherai pas [15].Dessiner, sculpter, cest, pour Giacometti, ne pas toucher, ne rien faire de ses mains pour que leschoses viennent cest--dire ne pas chercher les faire apparatre, viser au-del delleslabsence dapparition, viser lapparition comme absence, afin que viennent les choses. Faire etdfaire des ttes ou des figurines en terre qui naboutissent jamais (Ibid., p. 201) parce quellesne sont pas vues finies , effacer du portrait les yeux qui sont apparus tout seuls (Ibid., p.260), afin qu prsent o lon ne voit presque plus rien les yeux [apparaissent] de nouveau toutde suite, mille fois plus beaux !

    Cette attitude est bien caractristique de ce que Maldiney entendra sous le concept detranspassibilit : passibilit du rien, qui est galement passibilit de lapparition imprvisible, delvnement hors dattente dune forme en formation. Or, dans cette pure passibilit lapparitionest solidaire dune disparition. Lapparition parfois, je crois que je vais lattraper, et puis, je lareperds, et il faut recommencer Alors cest a qui me fait courir, travailler (Ibid., p. 268),confie Giacometti Pierre Schneider. Sculpter nest pas identifier, mais perdre la ressemblance, neplus reconnatre, rduire lobjet une sorte de mouvement transparent dans lespace (Ibid., p.284) ; car lapparition de la figure (ou plutt de la figurine) est solidaire de sa disparition : si jeveux copier comme je vois, a disparat remarque Giacometti alors quil tente le portrait dIsakuYanaihara. leffacement pictural correspond lamenuisement en hauteur ou en largeur de lasculpture. L aussi lapparatre est solidaire dune soustraction. Mais cette solidarit se comprendencore mieux comme la dpendance troite qui, dans la passibilit dsobjectivante, lie lephnomne rduit, isol, une tte, un il, une jambe, un verre, une femme sur le trottoir denface, lapparatre en retrait du fond. Presque obsessionnellement sensible la distance entre lesobjets cet entre qui ronge les objets en mme temps quil les individue , Giacometti noteque si lon est attentif la distance entre une table et une chaise, une pice, nimporte laquelle,devient infiniment plus grande quavant (Ibid., p. 290), dune certaine manire aussi vasteque le monde . Cest cet espace au-dessus et autour , presque illimit , limmense noir (Ibid., p. 281) au-dessus de la femme vue sur le boulevard Saint-Michel, que voit dabord lartiste,

  • 02/06/13 22:34Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'uvre d'art

    Page 7 sur 8http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896

    cest vers ce fond que sa vision comme son art dborde et par lui quelle circonscrit tout objetfini : tout lheure, jai vu un joli lac derrire vous, ctait un grand lac presque blouissant surlequel se refltait la lumire du couchant , confie Giacometti son modle, malheureusement ilsest teint en un instant, mais il me faut peindre le fond transparent, lumineux, immense linfini, tel que je lai vu (Ibid., p. 259). Rduire, soustraire et laisser paratre le fond illimit,immense, intotalisable, sont les deux oprations par lesquelles le peintre-sculpteur rejoint lagense mme des phnomnes dans la transpassibilit.

    Cette ngativit luvre dans la vision, la prsence active du vide [16], est, pour JacquesDupin qui dans le livre quil consacre Giacometti retrouve la formule mme de Maldiney (moins que ce ne soit linverse : le livre de Dupin date de 1963) ce que ressassent mot mot etligne ligne les crits de Giacometti : elle est lacide qui ronge les corps des sculptures et laforce ascensionnelle qui les fait jaillir du socle [], ce qui donne chaque phrase crite la tension,la respiration, la vigueur dubitative et le mouvement de son ouverture infinie . Mais, il convientaussi de souligner combien cette aspiration vers le vide qui est, chez Giacometti, aspiration versla Totalit est lie une violence. Le tmoin du travail de cration du sculpteur est saisi parcette violence : la figurine que je regarde modeler , crit Dupin, me semble dabordindiffrente aux soins cruels que lui inflige le sculpteur. Ptrie par un toucher imprieux, violent, ilsemblerait quune si fragile apparition dt immanquablement retourner au chaos dont elle estsortie. Pourtant elle rsiste. [] elle ne peut plus se passer bientt de cette rude et injurieusecaresse. Son autonomie et son identit procdent mme dun tel supplice, condition quil soitillimit. Ce supplice qui la faonne et la dnude, qui la dtache et la fortifie, elle lappelle de toutson dsir pour surgir irrsistiblement de son propre vide (Ibid., p. 16-17). Le dsir illimitant etphnomnalisant du sculpteur rencontre le dsir de la Figure mme, qui semble venir au devantde son propre dsir, et qui se structure comme dsir dapparatre dans lrosion de sa forme parlinfini do elle merge. Une individuation par une dissolution.

    La Figure vient ainsi au devant du mouvement dsirant du sujet de lapparatre. Mais, cemouvement est pour lui-mme pour autant quil se voit dans le mouvement de lapparition, estvu par lapparition lui-mme une Figure, cette mme Figure athltique dune individuationillimite dans un vanouissement illimit. La rversibilit de la vision, du dsir, est ici totale. Lemouvement perceptif originaire du sujet est aussi le mouvement du monde vers le sujet ; au senso ce que vise ce mouvement, ce quil voit et ce que, du coup, cherche voir le sculpteur cestlil, la vue ou le regard du monde. Ce que Giacometti a prcisment dcrit comme lvidementgrce auquel est donne la totalit. Les deux mouvements le mouvement subjectif et lemouvement du monde prsentent la mme torsion ontologique unissant lapparition ladisparition. Le sculpteur, par son aspiration vers le fond illimit, suscite lapparatre duneapparition qui elle-mme regarde, qui, affecte de la ngativit mme de lil, ne laisse rienparatre qu partir dune bance, par une bance.

    Ce que manifeste lexemple de Giacometti : que la transpassibilit ne va pas sans occasionner unprofond branlement. Ce qui accompagne la rduction artistique pratique par le sculpteur,cest limpossibilit de continuer de croire la ralit [] matrielle, absolue , une indiffrencegnralise : jai la tte vide et confuse , note Giacometti en 1951, je suis mou, endormi,flottant, indiffrent presqu tout, je ne vois pas clair, rien, je passe mes jours et surtout mesnuits travailler, ou plutt faire et dfaire des ttes ou des figurines en terre qui naboutissentjamais [17]. Louverture lvnement inappropriable est ici chec, ratage. Mais il fautprciser : le ratage devient , en fin de compte, le positif (Ibid., p. 284) la seule chose quipousse encore Giacometti se lever ou aller manger pour pouvoir travailler. part faire de lapeinture ou de la sculpture, quest-ce qui me reste [dautre] faire dans la vie ? se demandet-il. Linsatiable dsir est alination : non pas ce qui encore donne sens ce qui nen a pas ouplus, mais le seul moyen, pour ainsi dire, de convoquer encore la prsence : la convoquer dans ladisparition, leffacement de soi et du monde. Le sujet de lapparatre est le sujet mme que Lacan,dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, a identifi comme le sujet de toutealination : celui qui ne se manifeste que dans le mouvement de sa disparition [18], dans sonpropre fading. Cest seulement continuer de travailler, dexcder toute finit vers le Rien, vers levide, que Giacometti chappe lanantissement total ; cest condition de transformer enmouvement de disparition sa propre nullit quil y chappe condition de disparatre quil

  • 02/06/13 22:34Imprimer : Henri Maldiney et Gilles Deleuze. La station rythmique de l'uvre d'art

    Page 8 sur 8http://rhuthmos.eu/spip.php?page=imprimir_articulo&id_article=896

    chappe la disparition.

    Pour Giacometti, la vie [est] trange , quelque chose de rond, de vaste et illimit de tous lescts . Dans cet espace sans limite , les personnages, les ttes ne sont que mouvementcontinuel du dedans, du dehors, [] se refont sans arrt, [] nont pas une vraie consistance, []sont une masse en mouvement, [] [une] forme changeante et jamais tout faitsaisissable [19]. Et puis , poursuit Giacometti, elles sont comme lies par un point intrieurqui nous regarde travers les yeux et qui semble tre leur ralit, une ralit sans mesure, dansun espace sans limite . Une bance dmesure dans un espace illimit, telle est aussi la ralitdes Figures qui naissent par le travail du dessinateur qui, dans ses portraits, sefforce de copier lil. Mais cette ralit, la seule qui demeure pour celui qui ne peut plus croire laralit, tre un point de bance au milieu du vide, une ngation au cur du nant est aussicelle du sujet qui se dcouvre dans la vision phnomnalisante : je ne sais plus qui je suis, o jesuis, je ne me vois plus, je pense que mon visage doit apparatre comme une vague masseblanchtre, faible, [] [une] apparition incertaine , crit Giacometti dans la mme note, vers1960. Lego de lattente hors dattente est une telle prsence, ouverte sur la totalit absente,excdant toute prsence finie, sactualisant dans le mouvement mme par lequel en elle et parelle tout vient disparatre y compris elle. Et sa subsistance ou rsistance tient prcismentdans la persistance de sa disparition. Cette subsistance dans la disparition, est ainsi conjointementcelle de luvre et celle du sujet transpassible pour autant quils se tiennent ensemble danslOuvert par leur station rythmique.

    [1] H. Maldiney, Lart, lclair de ltre, Chambry, CompAct, 1993, p. 10.

    [2] G. Deleuze & F. Guattari, Quest-ce que la philosophie ?, Paris, Minuit, 1991, p. 154.

    [3] Cf. G. Deleuze et F. Guattari, LAnti-dipe, Paris, Minuit, 1972, p. 369.

    [4] G. Deleuze & F. Guattari, Quest-ce que la philosophie ?, op. cit., p. 155.

    [5] H. Maldiney, Regard, Parole, Espace, Lausanne, LAge dHomme, 1973, p. 174.

    [6] G. Deleuze, Francis Bacon. Logique de la sensation, Paris, ditions de la diffrence, 1981, p.18.

    [7] H. Maldiney, Regard, Parole, Espace, op. cit., p. 171.

    [8] G. Deleuze, Francis Bacon, op. cit., p. 69.

    [9] H. Maldiney, Regard, Parole, Espace, op. cit., p. 152.

    [10] G. Deleuze, Limage-mouvement, Paris, Minuit, 1983, p. 20.

    [11] H. Maldiney, Regard, Parole, Espace, op. cit., p. 151.

    [12] H. Maldiney, Lart, lclair de ltre, op. cit., p. 19-20.

    [13] M. Heidegger, Schelling. Le trait de 1809 sur lessence de la libert humaine, trad. par J.-F.Courtine, Paris, Gallimard, 1977.

    [14] H. Maldiney, Lart, lclair de ltre, op. cit., p. 23.

    [15] A. Giacometti, crits, Paris, Hermann, 2001, p. 161.

    [16] J. Dupin, Alberto Giacometti, Tours, Farrago-Lo Scheer, 2002, p. 110.

    [17] A. Giacometti, crits, op. cit., p. 290.

    [18] J. Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Sminaire XI, Paris, Seuil,1973, p. 232.

    [19] A. Giacometti, crits, op. cit., p. 218.