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Eléments de recherche : LES ÉDITIONS DU SEUIL : maison d'édition, toutes citations (3/3)

Paul Ricœur,maître semeur

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En novembre 1969, le College deFrance prefere Michel Foucault aPaul Ricœur Celui ci est alors ledoyen de la faculté de lettres etsciences humaines de l'université

de Nanterre, dont il était l'un des fondateurs,en 1964, et ou il avait appelé Emmanuel Levinas, alors peu connu ll avait assiste la al'eclosion de Mai 68 Regardant avec sympaIhie la révolte étudiante, il s'était fait l'avocat, avec Alain Touraine et Henri Lefebvre,de Daniel Cohn Bendit, devant la commission disciplinaire qui devait décider de sonrenvoi Maîs, en tant que recteur, il est quotidiennement insulte et rudoyé par les «en

Jean Grondin rappelle qu'à Ricœur rienn'a été étranger «de ce qui a été dità propos de l'homme, par les mythes,les religions, la littérature, l'histoire,les sciences humaines comme lessciences exactes».rages» Le 9 mars 1970, il démissionne de sacharge (maîs demeure professeur) et passele flambeau a Rene RemondUne double deception pour Paul Ricœur, quin'est sans doute pas étrangère a son «exil»De foi protestante, politiquement situe a ganche maîs non marxiste, le philosophe seraabsent de tous les debats «révolutionnaires»des annees 70 Sa carriere se déroulera, pourune large part, a Louvam, a Geneve, a Montreal, et, surtout, aux Etats Unis dans uncollege quaker, puis a New York, enfin a la Divimty School de Chicago, ou il succède a PaulTûlich, et, jusqu'en 1992, au departement dephilosophie de l'université de ChicagoFruits. Paul Ricœur aurait 100 ans aujourd'hui Rarement le centenaire de la naissanced'un penseur aura suscite, dans le monde enter, autant d'événements celebratifs, de publications, de séminaires, de colloques (I) Et

ce n'est que justice ou, plutôt, «juste retourdes choses» Non parce que la myriade d'untiatives «mesurerait» la notoriété internatsnale de Ricœur ou le nombre d'études quisont consacrées a sa pensée Maîs parcequ'ayant lui même explore quasiment tousles domaines du connaissable, les philosoplues de l'existence, la phénoménologie,l'herméneutique, la psychanalyse, lalinguistique, l'exégèse biblique, la politique, la pcetique, la théorie litteraire, l'epistemologie, laphilosophie analytique, les théories de la juslice ou l'histoire, n'ayant esquive aucuneconfrontation avec les grandes pensées dusiecle, il était «normal» que des champs en

semences lui soient rapportes lesfruits, que les pensées interrogees par son œuvre reviennenten echo interroger l'œuvre et enattestent encore la «vivacite» oule pouvoir heuristiqueLes ouvrages qui paraissent al'occasion du centenaire en sontautant d'exemples Philosophe

de l'écoute et du dialogue, lecteur par excellence, qui s'est nourri des plus grandesœuvres et les a nourries Anstote, Jasperset Husserl, Spinoza et Kierkegaard, Hegel,Freud, Marx et Nietzsche, Gadamer, Austin,Habermas, Arendt, Heidegger, Levi Strauss,Patocka, Levmas, Rawls - Paul Ricœurs'est durablement confronte au structuralisme aussi Johann Michel, dans Ricœur etses contemporains, ajoute t il comme une«extension», qui laisse voir comment s'estétablie la discussion critique avec les «poststructuralismes» français, incarnes, avec loutes les variantes possibles, par Deleuze, Derrida, Foucault, Bourdieu, Castonadis Demême, dans Paul Rtcœur penser la memoire,historiens et philosophes (Olivier Abel, Francois Azouvi, François Hartog, Henry Rousso,Jean Marie Schaeffer, Myriam Revault d'Aïtonnes ), a partir de problématiques tout a

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fait actuelles et des controverses sur le «de-voir de mémoire», «revisitent» les thèses queRicceur exposait dans la Mémoire, l'Histoire,VOubli (2000).Enfin, dans Souffrance et douleur, des spécia-listes d'éthique médicale (Lazare Benaroyo),des sociologues (Natalie Rigaux, NathalieZaccaï-Reyners), des médecins (Jean-Chris-tophe Mino), des philosophes (FrédéricWorms, Claire Marin), réunis par un mêmeintérêt pour la question du soin ou care,aiguisent leur réflexion en revenant à untexte extraordinaire (1992) dans lequelRicœur, partant du présupposé que «fa clini-que et la phénoménologie se recroisent dans lasémiologie, dans l'intelligence des signes dusouffrir», tente «d'éclairer la compréhensionque nous avons de l'humain, en tant qu 'être ca-pable de subir, d'endurer la souffrance».Paul Ricceur est né à Valence, dans la Drôme,en 1913. Très tôt orphelin de père et de mère,il est élevé comme pupille de la Nation. Mar-que, à 14 ans, par l'injuste condamnation àmort, aux Etats-Unis, des anarchistes Sacco

et Vanzetti, il milite, étudiant, dans des mou-vements pacifistes protestants, de teinte so-cialiste. Il fait ses études à Rennes et, l'agré-gation obtenue (1935), enseigne laphilosophie aux lycées de Saint-Brieuc, Col-mar et Lorient. Mobilisé comme officieren 1939, il est un temps enfermé dans lecamp de Gross-Born, en Pologne (où il acomme compagnon d'infortune le théoriciende l'art Mikel Dufrenne, avec lequel, en 1947,il signera son premier livre, Karl Jaspers et tophilosophie de l'existence), et reste quatre ansprisonnier en Allemagne.«Foyer». A son retour, Ricœur donne descours au collège cévenol du Chambon-surLignon, où des quakers américains étaientvenus aider le pasteur et les enseignants quiavaient caché des enfants juifs. Ami d'Em-manuel Meunier, il fréquente la communautéintellectuelle formée autour d'Esprit, revueet famille de pensée auxquelles il restera tou-jours fidèle. Il est ensuite attaché de recher-ches au CNRS, jusqu'en 1948, année où ilprend la succession dè Jean Hyppolite à la fa-culté de lettres de Strasbourg. En 1956, il sevoit attribuer la chaire de philosophie géné-rale à la Sorbonne, qu'il abandonne pourparticiper à la création de la nouvelle univer-sité de Nanterre.Lorsque Ricceur part aux Etats-Unis, aprèsl'aventure nanterroise et la non obtention dela chaire du Collège de France, il est essen-tiellement (re) connu par sa traduction desIdées directrices pour une phénoménologied'Edmund Husserl,"ses ouvrages d'ascen-dance existentialiste consacrés à Jaspers età Gabriel Marcel, et sa thèse, le Volontaire etl'Involontaire, premier volume d'une Philoso-phie de la volonté dont la seconde partie(V Homme faillible et la Symbolique du mal) serapubliée dix ans après sous le titre génériquede Pintade et culpabilité', et qui constitue le«foyer» d'où se déploiera toute sa pensée. Lephilosophe y élabore une phénoménologie

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Page de gauche: Paul Ricœur,vers 1948 à Strasbourg et

un portrait du philosophe,prisonnier en 1941.

Ci-contre, en 1996.IMAGES D ARCHIVE

FONDS RICŒUR ETP H DTO LOU IS

MONIERGAMMA

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existen-tielle dè lavolonté, à tra-vers l'analyse des fi-gures les plus simples del'expérience vécue, comme l'hé-sitation, le choix, l'émotion, l'effort ou l'ha-bitude, et met en relief le mystère de l'exis-tence incarnée, relevant d'une «pathétiquede la misère» dans laquelle la notion de failli -bilité est utilisée pour inscrire la possibilitédu mal moral, et la vulnérabilité, dans l'êtremême de l'homme.La gloire de «grand penseur», c'est outre-Atlantique qu'il la connaît d'abord. EnFrance, elle sera plus tardive : elle viendraavec la publication (1983-1985) des trois to-mes de Temps et récit - reçus comme la «suitecritique» de Etre et Temps, de Heidegger - etcelle, en 1990, de Soi-même comme un autre.Sans doute pour déambuler à travers uneoeuvre «riche et complexe» a-t-on besoind'un guide : le Pau! Ricœur de Jean Grondin- lequel rappelle opportunément qu'à

Ricœurrien de ce qui

est humain n'a été étran-ger, rien en tout cas «de ce qui a été dit à pro-pos de l'homme, par les mythes, les religions,la littérature, l'histoire, les sciences humainescomme les sciences exactes» - en est un excel-lent, clair et précis, qui dessine le passage-d'une «philosophie des puissances et des im-puissances de la volonté», à l'herméneutiqueet au «conflit des interprétations» puis àI' «herméneutique du soi».Ricœur est en effet parti de l'existentialismechrétien et de la «philosophie réflexive», oùla compréhension de soi exige que le sujetsaisisse le «principe unificateur» de ses opéra-tions de connaissance, d'estimation et de volition. Il était normal, dès lors, qu'il se tour-nât vers la phénoménologie, qui du «retour

sur soi» étudie les conditions de possibilitérn a i s

détruitaussi le

« rêve»que le

f o n d e -ment puisse

en être «fatransparence

du sujet à lui-même». Puis, en-

tre autres dans leConflit des interpré-

tations, aujourd'huiréédité en poche, qu'il

se confrontât à Freud, afind'examiner le contrecoup

que la psychanalyse a eu sur laphilosophie, en déconstruisant

les fausses évidences du cogito et enproposant une nouvelle vision de

l'h'omme et du sujet, dans laquelle la cons-cience n'est plus une donnée (être conscient)mais une tâche (devenir conscient). Et, enfin,qu'il s'ouvrît à l'herméneutique, dans la me-sure où il n'est pas de compréhension de soiet d'autrui qui «ne soit médiatisée par des si-gnes, des symboles et des textes» (sa formule,«le symbole donne à penser», restera célèbre,comme celle de «maîtres au soupçon» par la-quelle il désigne Marx, Nietzsche et Freud),et donc n'exige une science de l'interpréta-tion: d'où le «dialogue critique» avec Dil-they, Schleiermacher, Gadamer, mais aussiHeidegger et la philosophie analytiqueanglo-saxonne.En fait, les problèmes traités par Ricœur sedéduisent tous, comme il l'a indiqué lui-même, des quatre usages majeurs que l'onpeut faire de «je peux» : je peux parler (phi-losophie du langage), je peux agir (philoso-phie de l'action), je peux raconter (théorienarrative), je peux me tenir responsable demes actions, me les laisser imputer comme

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à leur véritable auteur (philosophie morale).Aux questions du langage, de l'action, du ré-cit, du temps, de l'éthique, de la justice, lephilosophe, dans ses derniers ouvrages, vaajouter celle de l'oubli et du pardon, ou, plusgénéralement (l'analyse portant aussi biensur la mnémotechnique que sur les neuros-ciences et le travail de l'historien), celle durapport au passé, conditionné par les diverses modalités, us et abus, dont s'effectuecette présentification de l'absence en quoiconsiste la mémoire. Ricceur, notent FrançoisBosse et Catherine Goldenstein, «rappelle lafonction de l'agir, de la dette éthique de l'his-toire vis-à-vis du passé», et «défend avec lamême fermeté le devoir, la dette des générationsprésentes vis à vis du passé, source éthique dela responsabilité».Pénètres. Ricœur, dont l'adage pourraitêtre «expliquer plus pour comprendre mieux»,ne sera jamais devenu un «maître penseur»,si l'expression renvoie à la «possession»d'une pensée tellement sûre d'elle-mêmequ'elle ne demande qu'à être reprise tellequelle et répétée. On le dira plutôt «se-meur», ou «hôte», en se souvenant quel'idéal du «philosopher en commun» dont ilrêvait est celui d'une pensée qui offre l'hos-pitalité à la pensée des autres, aux penséesautres, et leur donne tout ce qu'elle a. Lemaître s'en est allé il y a huit ans, mais dansla «maison Ricœur», tout reste allumé et lesfenêtres sont ouvertes. Les discussions s'ypoursuivent, comme pour prolonger à l'infinicelle que le philosophe n'a cessé de poser ;comment l'homme, un homme au «cogitobrisé», un homme fragile, obéré par le poidsde l'échec ou de sa finitude, peut-il poursuivre sa quête du sens, de soi, des autres et dumonde, ne pas renoncer à être juste, et main-tenir son effort ou son désir d'exister?

ROBERT MAGGIORI

Paul Ricœur |Le conflitdes interprétationsr vnf W ^futtnCui (jiie

PAUL RICŒURLe Conflit des interprétations.Essais d'herméneutiquePréface de Jean Greisch.Points, 670 pp., 11,5O€.

JEAN GRONDINPaul Ricœur PUR 128 pp, 9€.

JOHANN MICHELRicœur et ses contemporainsPU R ISO pp, 19 €

FRANÇOIS DOSSEet CATHERINE GOLDENSTEIN(sous la direction de)Paul Ricœur: penser la mémoireSeuil, 298pp., 25 €.

CLAIRE MARTINet NATHALIE ZACCAÏ-REYNERS(sous la direction de)Souffrance et douleur. Autourde Paul Ricœur PUF, 102 pp, 9,5O€.

(i) Consulter le site www.fondsricoeurfr

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APaul Ricœura la Fondation Singer Polignac, a Pans le H juin 2003

Paul Ricœur,ou les livres intérieursNé il y a cent ans, disparu en 2005, le philosophe a faitdè la littérature un instrument pour agir sur le monde : selonlui, nos identités et nos existences sont un tissu de récits.Par Alexandre Gefen

Le philosophe PaulRicœur, qui aurait centans cette annee, pos-sède une place touteparticulière dans notre

histoire et nos goûts littéraires siFoucault nous a aides a comprendrece que e était qu'un écrivain siJacques Dernda a produit I écritured'une pensée et Deleu^e la philoso-phie d'un roman (dans Proust et lessignes, 1964), Ricœur est peut êtrecelui qui nous a permis de penser

nos vies par la litterature « La litte-rature s'avère être un vaste laboraloire pour des expériences de pen-sée » qui permettent « des variationsImaginatives sans nombre ID » nousaidant a construire de maniere crealive nos vies, écrit le philosopheassurément de La Métaphore vive(1975) a La Memoire, I Histoire,l'Oubli (2000), ses écrits ont conduita faire de la littérature non seule-ment un patrimoine culturel ou undivertissement, maîs un instrument

W Sot même commeun autre Paul Ricœur,ed du Seuil 1990p 188

puissant pour agir sur le monde, faireface a notre histoire individuelle etnationale, reflechir nos identités etcontribuer a notre vie morale, toutesaspirations profondes qui ont rencontre celles de la litterature fran-çaise contempoiamePaul Ricœur a fait entrer en philoso-phie de nombreux concepts issus dek critique litteraire, de la sémiologieou de l'analyse structurale, et nous apermis, avec la « nouvelle histoire »,de lire l'œuvre historique comme

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une forme de récit, en essayant devoir dans l'action humaine une formede texte. Mais, aussi et surtout,d'avoir fondé en raison - à traversquèlques idées déterminantescomme celles d'« identité narrative »ou d'« ipséité » - ce que nous savionsintuitivement de la puissance pro-ductrice de sens de la poésie, de lalégitimité du témoignage, et des pou-voirs de la mise en intrigue de la fic-tion sur nos vies. On en trouverapreuve dans le fait que la philosophiede l'auteur de Soi-même comme unautre se trouve revendiquée par noslittératures contemporaines faisant,depuis les années 1980, « retour aurécit » : autant, notons-le, parles écri-vains enjoignant la littératurecontemporaine à quitter l'impasseformaliste et à revenir dans la sphèrede l'expérience que par les critiqueslittéraires poststructuralistes qui fontde la littérature une charnière cen-trale entre la théorie de l'action et lathéorie éthique et proposent de pen-ser les effets psychologiques etsociaux de la littérature. D'où uneœuvre qui, en relisant Âristotecomme Gérard Genette, est à la foisune formidable revalorisation denotre travail de linguistes, d'histo-riens, de stylisticiens, d'enseignants,mais aussi, tout simplement, de nosémotions lyriques, dè nos cours delittérature dans le secondaire, ou denotre initiation au monde par la lec-ture de romans.

TransdisciplinaireCette influence théorique se mani-feste par d'innombrables translationsdisciplinaires et emprunts de voca-bulaire à une pensée philosophiquepourtant exigeante et largementissue d'interrogations théologiquesqui auraient pu en rendre la réappro-priation difficile : ainsi, l'analyse dela productivité des métaphores anourri l'écriture de réflexion et le tra-vail de nos essayistes ; les conceptspropres à Temps et récit, notammentcelui de mimêsis, ont servi à nosthéories modernes de la lectureactive pour décrire l'opération men-tale de réappropriation du texte ; laréflexion de Ricceur sur l'ipséité,

La pensée de Ricœur semble inventéepour comprendre les contemporainesautofictions et biofictions.

Lactualité du centenaireLes colloques et publications sur l'œuvre de Ricœurse succèdent à un rythme soutenu sur les cinq continents.

En France, quèlques parutions récentes

> Paul Ricœur, Jean Grondin, éd. PUF, « Due sais-je? », 128 p.> Paul Ricœur : penser la mémoire,Francois Dosse et Catherine Goldenstein (dir), éd du Seuil, 304 p.> Souffrance el douleur. Autour de Paul Ricœur,Claire Marin et Nathalie Zaccaï-Reyners Idir.), éd. PUF. 102 p.> Ricœur el ses contemporains, Johann Michel, éd. POF, i 80 p.> L'Héritage littéraire de Paul Ricœur,colloque en ligne sur Febula org/!> Écrits et conférences lll. Anthropologie, Paul Ricœur,éd. du Seuil, à paraître à l'automne.

Quèlques colloques à venir

> Marseille : 6-7 juin ; Strasbourg : 10-11 octobre ;Rennes : 3 décembre.> Paris : 18-20,22-23 novembre, deux colloques internationauxorganisés autour du fonds Ricœur. Le jeudi 21, placé sous [e haut patronagedu président de la République, s'adressera à un vaste public. Charles Taylorprononcera la conférence de clôture.

Quèlques rendez-vous

> Inauguration de la place Paul-Ricœur {face à i université Diderot.Paris 13») le mercredi 20 novembre à 11 h 30.> Sur France Culture, « Une vie, une œuvre » par MatthieuGarrigou-Lagrange : www.franceculture.fr/emission-une-vie-une-oeuvre-paul-ricoeur-1913-2005-2013-03-02

12) Voir « Du modèledu récit à renonciationde soi», «Labiographie à l'épreuvede l'identiténarrative », BastienEngelbach, dansL'Héritage littéraire dePaul Ricaeur, en lignesur Fabula.org/[3l Temps et récit III,Paul Ricœur,éd du Seuil, 1985,p. 229.(4) Voir Soi-mêmecomme un autre,op. cil, p. 16l etsuiv.(5) Voir Temps etrécit III, ap at,p. 228.(6) Voir sur ce sujetl'article de FrançoisDosse, « La biographieà l'épreuve del'identité narrative »,dans L'Héritagelittéraire de PaulRicœur, op. cit

comme construction de soi, ou sontravail sur l'idée de reconnaissanceont été utiles pour comprendre, dansle champ de l'analyse du discoursautant que dans celui de l'éthique oudu droit, ce que signifient une décla-ration ou une affirmation aussisimple que « Me voici (2l ! ».Plus ou moins directement, dans lechamp de la littérature, la philoso-phie de Paul Ricceur a conduit - oua du moins accompagné - de consi-dérables effets de revalorisation oude redécouverte : avec lui, les récitsmémoriels et la littérature de témoi-gnage sont redevenus les dispositifsmoraux opérationnels de « lieute-nance (3) » qu'ils avaient voulu êtreet non de simples monuments, destériles lieux de mémoire. L'hermé-neutique de Paul Ricœur a dynamiséles études de traductologie, mais elleest aussi disponible pour l'analyse dela science-fiction qui peut se nourrirdu vocabulaire élaboré avec le philo-sophe américain Derek Parfit 14). Plusclairement encore, c'est sans douteautant Paul Ricœur que PhilippeLejeune qui a permis de sortir legenre autobiographique de sa mar-ginalité dans le champ des études

littéraires, pour devenir, au contraire,sa forme matricielle, la forme simplede tout récit - les innombrablesvariations du récit biographiquecontemporain prenant alors senscomme autant d'explorations denotre rapport phénoménologique etexistentiel au temps, rendant augenre biographique toute sa centra-lité en littérature et en histoire.

« L'énigme de la passéité »Ces derniers cas, ceux des biofic-tions et autofictions, sont d'ailleursparticulièrement intéressants tant lapensée littéraire ricœurienne, néede la lecture de Proust, sembleinventée pour comprendre cesgenres si contemporains, dont lesreformulations sont très exactementparallèles à l'attention si originale duphilosophe. Comment ne pas noteren effet que Le Livre brisé de SergeDoubrovksy paraît à quèlques moisd'intervalle de Soi-même comme unautre, dans une étonnante rencontreentre la théorie du « cogito brisé » etl'exemple même d'un récit confrontéà l'impossibilité de saisie de soi parune dialectique traditionnelle ? ChezDoubrovsky, pour éviter tout bou-clage de la conscience sur elle-même, le livre se « brise » pours'ouvrir à Patiente dans un désircontinu et ressassant d'« attestation »presque corporelle et de productiond'une continuité possible : le projetautobiographique est bien cetteinterrogation sur la permanencedans le temps du sujet à travers lacomplexité et la malléabilité de laconscience décrite par Soi-mêmecomme un autre, sur ce que Tempset récit nomme « l'énigme de la pas-séité [5l ». En renonçant aux iden-tifications figées du pacte tradi-tionnel de l'autobiographie, à laquête du même, Le Livre brisé sedonne à un projet de connaissancede soi plus complexe et plus subtil,dont l'écriture est la vraie et la seulepromesse.Les innombrables récits appartenantau genre contemporain et parallèlede la fiction biographique (6l té-moignent d'une même logique, enrendant les essais de Paul Ricœurnon moins pertinents que ceux deDeleuze pour comprendre toute unegénération littéraire productrice devies imaginaires, textes qui, lus avecRicœur, ne sont plus des raretés

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Entretien avec François Dosse*

Entre la psyché et le cosmos

Pourquoi, selon vous,Paul Ricœur s'est-il tantintéressé à la littérature ?François Dosse. Paul Ricœurest confronte a une aponecomment penser le temps entredeux pôles D'une part, un pôlepsychologique, augustimen ethusserlien, ou en définitive toutramené a une centrale du pre-sent, ou tout se réfère a I intime,a la psyche, a la psychologiepresente D autre part, un pôlecosmologique, aristotélicien etkantien, ou le temps est mesu-rable, en extériorité par rapporta l'être human Ces deux pôlessont absolument nécessaires,on ne peut eliminer aucun desdeux La question, pour le phi-losophe qu'est Ricœur, est desavoir comment cosmologiserle temps psychologique et com-ment psychologiser le tempscosmologique, comment êtredans cet entre-deux II essaie deconstruire une mediationimparfaite qui permette al'homme de construire des mé-diations, par definition impar-faites, pour articuler ces deuxpolarités apparemment anti-nomiques, et il la trouve dans lamise en récit, la mise en in-trigue, ce qu il appelle le tempsraconte Ce temps raconte, c'esta la fois, dans une situation deproximite et parfois de concur-rence, la fiction et I histoire IIrapproche ces deux modesd être du temps, puisqu il ditque le récit est le gardien dutemps II s'appuie a la fois, dans

Temps et récit, sur les historienset les romanciers, il lit Braudelet l'école des Annales, maîs il in-terroge aussi en philosophe lehors-philosophique, la fictioncomme modalite de l'existencedans le temps et comme ma-niere de rendre compte de I his-toricité la Recherche de Proust,\1rsDalloway de Virginia Woolf,La Montagne magique deThomas MannOn a limpression qu'entrel'histoire et la littératureil y a une différencedans les usages externes,sociétaux qu'on fait destextes, mais pas dansl'expérience individuelle.Absolument II faut rappeler queTemps et récit bénéficie d'undecentrement, biographique etepistemologique, de la part deRicœur II profite de sa margina-lisation dans la vie intellectuellefrancaise des annees 1970 enenseignant a Chicago, alors quela philosophie analytiquedomine sur tous les campusaméricains II ht ces penseurs(von Wright, Arthur Canto, Hay-den White), il dialogue avec eux,et il introduit en France cestextes souvent inédits, dontbeaucoup sont des réflexionssur la litterature, montrant quecelle-ci est une ressource desens il n'y a pas d'un côte lerécit qui décrit et de l'autre desexplications qui seraient du côtedes sciences humaines, maîsdécrire c'est déjà expliquerLa littérature doit-elletotalement se consacrerà éclairer notre mémoire,nos « identités narratives »?La pratique de la memoire doitêtre, pour lui, fondamentale-ment creative Tout son geste atoujours ete d'être en avant Cequi l'intéresse, c'est ce qui esten tram de se faire Si parfois ilest dans une demarche oueffectivement il parle d identité

narrative, c'est pour reinter-roger les possibles non avèresOn lui a fait le proces d'avoirabandonne le « devoir demémoire » II ne l'abandonnenullement, maîs il lui substitue,ce que certains n'ont pas sup-porte, la notion de travail dèmemoire, une notion freu-dienne Qu'est-ce que le travailde memoire? Cela renvoie autravail de deuil qui est l'inversede la compulsion de répétitionII s'agit d'aller a 1'encontre decette tentation morbide, morti-fère et de lui opposer a la fois lareconnaissance de la dette etune nécessaire liberation du far-deau du passe pour rouvrir lepresent vers de nouveaux pos-sibles, de rendre possibles descréations nouvelles D'où l'ac-tualité extraordinaire de Ricœurdans la mesure ou nous vivonsen un moment historique danslequel l'horizon d'attente (pourreprendre une catégorie deKoselleck tres utilisée parRicœur) est totalement opaque,quasi forclos aujourd hui Celamodifie en retour notre rapportau passe Face a cette situation,il y a deux manieres de reagirOn peut se laisser aller a vouloirrétablir a tout prix les valeurs dupasse, les fossiliser, les embau-mer pour mieux les vénérer ettransformer notre present enun musee et le passe en unmythe Et puis il y a ce que sug-gère Ricœur, qui est un vrai tra-vail de memoire et d'histoirequi consiste a reinvestir le passecomme espace d experience,comme gisement de sens, pouren revisiter les possibles nonavères, et de trouver ainsi desressources pour reconstruireun nouvel horizon d'attente O

Propos recueillis par A. G.

* Historien des idees professeurdes universités, auteur dePaul Ricœur les sens d une vieed La Decouverte poche 2008

atypiques, maîs le paradigmemême de la litterature en tant quepratique de la saisie de I individua-lité Ainsi, un ouvrage aussi détermi-nant dans la litterature des annees1980 que les Vies minuscules dePierre Michon (1984) est exactementcontemporain de I entreprise deTemps et récit et relevé d un disposi-tif (un récit autobiographique cadrese nourrit de sept récits biogra-phiques) immédiatement place sousle patronage de la notion d'« identiténarrative » Lisons simplement laconclusion de ce récit dont « un stylejuste [aura] ralenti la chute » - le nar-rateur évoque les personnages dontil vient de narrer l'existence -, re-doublant celle du narrateur qui « seraplus lente» « [Q] ue ma main leur aitdonne licence d épouser en l'air uneforme fugace par ma seule tensionsuscitée, que me terrassant aientvécu, plus haut et plus clair que nousne vivons, ceux qui furent a peine etredeviennent si peu (7l », nous pro-met Pierre Michon, attestant simul-tanément un benefice existentiel in-time - se construire comme sujetface a une memoire familiale dislo-quée - et la perpétuation de la me-moire d'autrui L'ordre ontologiquerejoint ici, comme chez Paul Ricœur,l'éthiqueA cet exemple connu on pourraitajouter tous ceux des ouvrages de lacollection « L'Un et l'Autre » chez Gal-limard, fondée par le regrette Jean-Bertrand Pontahs, et dont chaquevolume est une entrepose originaled'entrecroisement de la premiere etde la troisieme personne relevantdirectement de cette « configurationImaginative » du temps raconte pro-duite selon Paul Ricœur par la fictionet si proche de la formule titre restéecélèbre « soi-même comme unautre » Pensons encore aux médita-tions de Pascal Quignard, dont onsait qu il a suivi les cours de PaulRicœur a Pans-X-Nanterre de 1966 a1968, qui nous montrent à quel pointla pensée de Temps et récit est désor-mais essentielle a notre représenta-tion des pouvoirs de la chose litte-raire « La temporalité ne peut pasdevenir humaine si elle n'est pas arti-culée sur un mode narratif C'est-a-dire I action, le reel, une intrigue, unescene de chasse - c'est déjà un récitverbal Maîs I action réelle ne peutêtre éprouvée, réalisée', que si elle

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est recherchée elle même commeune proie que si elle est reprise sousforme de quête verbale (8) »

Mémoire et histoireCette dette est ainsi double ellenous conduit a la fois a penser I importance de la lecture comme e\enement personnel 19) et comme ev enement collectif comme le montreSabnna Parent H O ) les oeuvres deRicœur sont contemporaines du travai! subjectif de memoiie et de deuilmené par des écrivains comme JeanRouaud ou Claude Simon ancienprisonnier de stalag Ricœur n acesse de reflechir sur la memoire desguerres et de la Shoah, en essayantde donner une légitimité aux diverses formes de temoignages, entant qu'ils peuvent permettre de sesouvenir maîs aussi d oublier et depardonner tout en dégageant la specificite du travail histonographiquequi pose la question de la vente et

du pourquoi [ni On ne s étonneradonc pas que son œuvre participeencore aupurd hui des politiques deconstruction d histoires nationalesen offrant un cadre d articulation dela memoire et de I histoire et qu elleait par exemple eu une incidenceparticulière au Quebec commeI écrit Micheline Cambron, professeur a I universite de Montreal < mettant en relief la libelle de I acte de

> Notes duphilosophe surLe Roi Lear deShakespeare

171 Vies minusculesPierre Michoned Gallimard1996 p 247

18] La Lecon demusique PascalQuignarded Gallimard1987 p 62IV] Voir Evenementde tartine etconfiguration desœuvres GerardLanglade dansLHeritage littéraire dePaul Ricœur op at|10| Dans la lignéede Paul Ricœur pourune poethique deI evenement SabnnaParent dans L Héritagelitteraire de PaulRicœur op at[111 Voir les reflexionsde Francois Dossedans Paul Ricœurpenser la memoireFrançois Dosse etCatherine Goldenstem(dir) ed du Seuil20B p IOU1121 La societerécitée Sur lafécondité du conceptd identité narrativeMicheline Cambronfans L Héritagelitteraire de PaulRicœur op cit

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refiguration et la dimension ethiquequi résulte de la possibilité que nousoffrent la culture et ses récits de faire

de nos \ies des vies examinées lesconcepts ncœuriens de triple mimesis et d identité narrative ont trouve

au Quebec un lieu ou leur perilnence trouve a s exprimer de mamere forte M 2)Ainsi par les métaphores comme parles fictions la litterature nous permet de penser I histoire en

Jusqu'au bout, la lecture resta pour lui un acte »Paul Ricœur était un lecteurinfatigable. Lui même evoquant son goût de La lecturedéveloppe des len fanceraconte « Entre 12 et 15 ans j aibeaucoup lu Jules Verne WalterScott puis Dickens en classe deseconde Rabelais MontaignePascal [ ] Tolstoï et surtoutDostoïevski qui rn a toujoursfascine1 » lia Critique et taConviction 1995) Plus tard acôte des énormes chantiers delectures disons techniques- philosophique linguistiquesemiotique plus généralementsciences humaines - qu enétait il de ses lectures dans lechamp de la Itterature"? Pourles lecteurs de Temps ef récit ll

il demeure celui qui a magistralement mis en lumiere « lesexpériences fictives du temps »a partir de trois grands romansde la litterature anglaise fMrsDalloMa/de Virginia Woolf) ailemande [La Montagne magiquede Thomas Mann) et francaiselA fa recherche du temps perdude Marcel Proust) Comments étonner de cette incursiondans les grandes œuvres litteraires du xxp s ecie7 Elle relevaitde sa volonté de comprendre cequi est dit a propos de I hommea travers les signes déployésdans le monde de la culture lesmythes les religions les texteslittéraires Dans Parcours de lareconnaissance (2004) encore il

revient dans de tres belles pagessur le récit du retour d Ulysse aIthaque dans LOdyssee C estvers Shakespeare Le Roi Learqu il avait ensu te décide de setourner maîs ses pages denotes sont restées sous formed ébauche manuscriteProche de lui ces annees la jeme rappelle bien I émotion aveclaquelle il relisa t ces textesce n était pas seulement lanécessite de I argumentationthéorique qui le portait1 Comment ne pas remarquer queces pages éveilla eni en lui desechos profonds le secret partage qui permettra a Ulysse etPénélope de se reco nna tre ledéni de reconnaissance inflige

a lamour filial de CordelTa IIlisait avec passion Ilenfutanside la nouvelle traductiond Ulysse de James Joyce paruechez Gallimard d Henri Matisseroman d Aragon qui est toutsauf un roman ou de la poesiedAnna Akhmatova redecouverte vers la fin de sa vie aI occas on d un voyage a SaintPetersbourg en avril 2003 Ouencore quand il fut trop fat guépour lire lui même la lecture ahaute voix que je lui fis de LaDivine Comedie de Dante Pourcet homme de I écrit jusqu aubout la lecture resta un acte unevenement de nature existentiellequ engageait tout I etre D

Catherine Goldenstein

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« Identité narrative », une notion débattueSommes-nous des récits ?

A Paul Ricceurà Nanterre en 1970

l 'humanisant et en réunifiantl'expérience si douloureuse qu'ellesoit comme le suggère Jean-MarieSchaeffer, « l'imagination productive,à travers la synthèse de I hétérogènequ'elle opere, rend le temps habitable pour l'homme et pour l'humaraté [is] » Tel est le travail de 1'écn-vam, comme du lecteur et del'interprète « travailler à une œuvrelittéraire, ce serait donc se composerune individualité à partir de l'in-connu, pour mieux la rendre àl'étranger ensuite » (Marjolaine Des-chênes (Hl)Ricœur mêle un modèle romantiquede compréhension d'autrui et unmodele linguistique de construction

La notion d'« identité nar-rative » proposée par Ricœuravance [idée que la continuitédu soi et la responsabilité dusujet ne peuvent être assuréesque par des narrations et réalfirme la nécessité éthique desrécits de soi Elle est à la foisl'une des notions les plus fruc-

tueuses pour notre compré-hension de la littérature et l'unedes plus controversées, aupoint d'avoir été assimilée àune invitation permanente au

storytelling Pour ThomasRavel, « ce que Ricœur [ ] adesigné sous l'appellationd identité narrative n est, dansle meilleurdes cas, qu'un autrenom accordé à la connaissancede soi et, dans le pire, qu unefaçon de légitimer les intermi-nables jeux de lautocomplai-sance » Pour d autres enne-mis de la thèse « narrativiste »de Ricœur - Galen Strawson

qui a ouvert le feu, suivi par desphilosophes comme DavidShoemakerou Gloria Onggi -le dogme de Ricœur, partant

d'une conception de l'identitécomme récit et non commesubstance, consiste à assimilerréflexivité morale et capacité àse mettre par soi-même enrécit ID Ce que conteste GalenStrawson e est à la fois que lanarration, conçue comme unequête de cohérence et de plan,soit le support de fait de nosidentités et qu'elle soit, de droitla condition de possibilité del'action bonne en réalité selonlui, « les individus constituentles objets principaux de la litté-rature maîs ils ne sont pas desobjets littéraires, et leurs viesne sont pas non plus desrécits », au contraire, « le dan-ger est que plus vous vous iden-tifierez à votre récit explicite devous-même, moins vous aurezde chances de comprendre cequi se passe réellement»comment construire une iden-

tité mona le sur le sa ble dè l'ima-gination1 Au contraire, l'expé-rience du moi peut être aussibien globale que partielle (unesaisie épisodique à un moment

donné), affirme le philosophe

anglais, pour lui, il existe mêmedeux types de tempérament, untempérament « narratif », quipousse les gens à se ressaisirdans la globalité et un tempé-rament épisodique, ceux desgens qui se considèrent eux-mêmes non dans un devenirmaîs comme des globalitéssynchroniques différentes dansle présent le futur et le passésans que la mémoire ait besoind'intervenir pour reassurer ducontinu, contrairement à cequ affirme Paul Ricœur. D

A. 6.

HI Voir «La vie n'est pasla litterature (rappel) », GalenStrawson, en ligne sur oblithypothèses oig/496, « L éthiqueest-elle un récit ' Le récit est-il uneéthique ' Retour sur la querelle du"narrativisme" », A Gefen, en lignesur www fabula org/colloques/documeml352 php, <• Memoirenarrative memoire épisodiquela memoire selon W G Sebald »Marie de Candi et Gloria Onggi,dans « Les philosophes lecteurs »,Fabula LHT (Littérature,histoire, théorie) en ligne surwww fabula org/lht/1/Onggi html

de la réalité vécue parce qu'ellenous conduit à nous « refigurer »nos vies en nous produisant desmodèles comme des contre-modèles

Le fonds RicœurAvant sa mort en 2005, Paul Ricœur avait organisé le don de sa bibliothèqueet confié le soin de ses archives à I Institut protestant de théologie (Pans 14e)Grâce à des subventions officielles et a la mobilisation exceptionnelle debeaucoup - à commencer par le monde protestant -, la bibliotheque de IIPTa éte surélevée d'un étage de plus de 300 m2 lespace du fonds RicœurInauguré par le président de la Republique en 2010, le fonds Ricœur est un

lieu de documentation et de recherche Maîs il est plus que cela Ricœur ne

souhaitait pas que son travail et sa personne soient statufiés au profit desseuls spécialistes Ce souhait est désormais réalisé À la fois centre de

recherche lié par un partenariat avec IEHESS, point de rencontre pour les

« ricceunens » de par le monde, il est aussi l'endroit où se poursuivent lesmultiples conversations auxquelles Paul Ricœur avait pris part LAssocia-

tion Paul Ricœur, ouverte à un public large et diversifié, organise des débatsoù se retrouvent philosophes, économistes, médecins.. Ladhesion à las-sociation [www fondsncoeurf r) donne acces a ces diverses activités comme

à l'espace du fonds Ricœur D A. G.

113l «Le récit commestructuied'individualisationpersonnelle etcollective », Jean ManeSchactfer, dansL'Héritage litteraire dePaul Ricœur, op at(U) «Penser lacréation litteraire avecPaul Ricœur »Marjolaine Deschênes,dans L'Héritagelitteraire de PaulRicœur, op cit115) Voir «Temps etdiscours, au-delà durécit Le récit commeZeilgerusl », LucieBourassa, et « Identiténarrative ou identitéstylistique ' », MarielleMace, dans L'héritagelitteraire de PaulRicœur, op altfe] Temps et récit III,op at p 229

d'existence et déploie un jeu com-plexe de variations sur les possiblesde l'homme, enrichissant et diversi-fiant notre rapport à nous-mêmes, lalitterature selon Paul Ricœur pos-sède une souplesse et une finesse desaisie du particulier qui la rend indis-pensable. C'est parce qu'elle nouspermet de décrire autrement la réa-lité en nous libérant des imagesconvenues que la métaphore pos-sède une profonde venté et participede notre liberté. C'est par elle quenous pouvons inventer le rythme etle style de nos vies M sl. La littératuremet en oeuvre à la fois une authen-tique communication différée, unecirculation du sens et des dispositifsjouant un rôle essentiel dans le dia-logue que nous menons constam-ment entre notre univers intérieur etla réalité : elle est donc pour chacund'entre nous « révélante et transfor-mante [léi » - telle est sa vertu, si cen'est sa profonde utilité. Q

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Jean-Luc Marion :« Ricœur futun penseur

de l'histoire »ENTRETIEN Né il y a cent ans, mêlé à toutes

les controverses philosophiques des années 1960,Paul Ricœur a eu un parcours singulier,

évoqué par Jean-Luc Marion.

PAUL RICŒUR :PENSERLA MEMOIRE,COLLECTIFSeuil 292 p 25 €

SOUFFRANCEET DOULEUR.AUTOUR DE PAULRICŒUR, COLLECTIFPUF 104 p 9 5 0 €

PRO FOS RECUEILLIS PAR

SEBASTIEN LAPAQUE

LE FIGARO. - Commençonspar l'herméneutique.Quel sens a-t-elle chez Ricœur?Jean-Luc MARION. - Ricœur dit lui-même « f appelle herméneutiquetoute discipline qui procede parinterprétation, et je donne au motinterprétation son sens fort le dis-cernement d'un sens cache dans unsens apparent » Maîs, en fait, cen'est pas son point dc depart Sonpoint dc depart, c'est la philosophiede la volonté, a laquelle il consacreun premier volume en 1950, apresson retour de captivité, et unsecond en 1960, au moment ou ilarm e a la Sorbonne Son propos estclassique il s'agit de définir l'hom-me non seulement par l'intelligencequi est en lui, maîs aussi par lavolonté Dans la tradition protes-tante, la volonté est confrontéea\ ec la question de l'involontaire, lepeche, donc s\ ec la question de lafaillibihtc ct celle du destin Si onveut parler du volontaire, il fautdonc parler de l'urvolontaiie II metpeu a peu en place une methode oul'on interprète ce que l'on veutchercher - le volontaire, la liberte,la responsabilite - en le reconqué-rant contre ce qui le contredit

Comment en vient-il, tres vite,a s'intéresser a la psychanalyse ?Il s'v intéresse parce qu'elle laisse

supposer qu'il n'y a pas de veritablevolontaire en nous, maîs surtout del'involontaire Sarelecture de la psy-chanalyse, qui lui vaudra d'ailleursdes querelles tres injustes de la partd'un certain nombre de psychana-lystes, lacamens en particulier,consiste a montrer que dans l'invo-lontaire, dans l'inconscient, apparaîtderrière l'évidence du sens mterdit,si je puis dire, un sens cache quiprouve qu'il y a du volontaire, de lahberte et de la decision, etc II y a uneautre raison c'est que Ricœur, lors-qu'il analyse la volonté et la hbertedans ses premiers ouvrages, décou-vre vite le problème du mal Et il veuteclairer le problème du mal a partirde ce qu'il appelle les mythes lemythe d'Adam, la Chute, maîs éga-lement les mythes équivalents chezles Grecs ou en Orient Maîs lesmythes, il faut les interpréter, on nepeut pas les prendre comme desrécits factuels Ils ne sont rn histori-ques, rn conceptuels II faut donc uneherméneutique Ainsi, Ricœur veutfaire une espèce de contre -interpré-tation, qui dégage la place de la liber-te a l'intérieur du champ de force del'inconscient et des pulsions

Ricœur accorde l'avantagea la conciliationsur la contradiction, fl aime penser« en dépit de » : le volontaire endépit de l'involontaire, l'infinitudeen dépit de la finitude, la reflexion

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Jean-LucMarion

(en médaillon):«Ricœur

(ci-contre)avait

une grandemaîtrise

intellectuelleet a toujours suse tenir. Cétait

un gentleman. »

PAUL RICŒURBIO EXPRESS

1913Naissance à Valencele 27 février.

1950Thèse de doctorat surla philosophie de la volonté.

1956Nommé professeurà la Sorbonne.

1965De l'interprétation.Essai sur Sigmund Freud.

1970Devient professeurà l'université de Chicago.

1990Sois-même comme un autre(Seuil).

2000La Mémoire, l'Histoire,l'Oubli (Seuil).

I 2005Mort à Châtenay-Malabryle 20 mai.

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faite en dépit de l'inachèvementCe souci demeuresingulier 'La methode deRicœur, il l'a ditdans Fimrude etculpabilité, consiste a « dépasser laenrique par !a en-rique » II veutimposer une ci iti-que non plusréductrice maîs res-tauratrice C'est unelorce et une iaiblesseC'est une lorce pai ce quecela lm permet de construire cequ'il appelle une seconde naïveté IIpense que les mythes, les doctrinesphilosophiques datées, l'idéal dc laliberte, dc la conscience dc soi, du« cogito blesse », peuvent être cri-tiques On l'a f ait adnauseam Maîsune deuxieme lecture doit permet-ti e de les récupérer C'est lies posi-til tt dans les annees 1960 et 1970,il n'y a pas grand monde qui faitcela Fn ce sens, RiLœm est un peul'inverse de Derrida qui, lm, taittoujours une herméneutique negathe qu'il radicalisc sous Ic nom dcdcconstruction Ricocui, dc soncôte, fait une herméneutique qui sere\ cle positive Cela lui a valu desreproches de la part des spécialistesde la critique negatrv e structura-listes, psychanalystes, marxistesCe qui m'apparaît néanmoins com-me une faiblesse dans son attitude,c'est qu'il ne part jamais de sonpropre point de \ue C'est un pointqu'il a en commun avec DerridaDans sa generation, c'est ti cs diffé-rent de quelqu'un comme Levmas,qui, lui, parle de sa decouvei te lacontre-mtentionalite, le visaged'autrui, le dès-intéressement Oude Michel Henry qui, lui, a trouvequelque chose la chair, l'épreuvede soi, l'auto affection

Ricœur ne serait donc pasun philosophe au sens strict7

Non, maîs il cst toujours dépendantde ce dont il parle Cela marque salunite C'est un philosophe ausecond degré Maîs c'est une deci-sion théorique, ce n'est pas uneincapacite A certains momentscependant, au début et a la lin de savie, il se met a parler a la premierepeisonne, c'est la qu'il est le plusintéressant Et je crois que laiecepdon de son intention en premierepersonne n'est pas encore faite

Quels furent ses rapports avec lesphilosophes de votre generation ?

Je peux d'autant mieux parler desliens entre les quatre grands pheno-menologues des annees 1960- Ricœur, Levinas, Derrida, Henry -et la geneiation de philosophes quiest vernie apres que Ricœur est leseul avec lequel je n'ai pas eu dedebat veritable au moment ou jclançais mes hypothèses Pourquoi 'Pai ce que Ricœur, comme je vous

l'ai dit, est un philosophe du seconddegré et pas de l'initiative fonda-mentale Je me souviendrais tou-jours d'un debat public a Parisconsacre a mon travail sul le don etla donation au cours duquel Ricœurm1 a dit que je ne parviendrais jamaisa her le don, au sens sociologique deMarcel Mauss, et la donation au sensphénoménologique le ci ois ax oirdémontre qu'on pouvait le faire auconti aire Maîs c'est amusant parceque cela montre que Ricœur étaitréticent a l'égard des decisions defond, de principe, qu'un philosophene négocie pas, sul lesquelles ils'appuie et qu'il passe son tempsensuite a mettre en musique

« II fut l'undes raresà n'avoir

jamaisidéalise

ni ideologise

>olitique.Il était troiintelligent

lour ca.»

Cela empêchait-il Ricœur d'aboutira des resultats singuliers ?IXon Et j'en donne un, que je consi-dère essentiel C'est la question dutemps II est tres difficile de com-prendre le temps Parce que letemps, même si on va dans la dureebergsonienne ou chez Heidegger,est finalement sans commencementct sans fin Au-delà du passage dutemps cosmique au temps ps} cholo-gique, répète cent fois sans mener a

une ventable definition du tempshumain, Ricœur a demontie que letemps ne devenait un temps del'homme que par le récit La narrati-vite, c'est-a-due un temps qui a undébut et une tm et qui est msubsti-tuablement lie a LUI quelqu'un, c'estle seul temps humain Ricœurquil'amontre et, a partir de la, il a rendupossible une pensée de l'histoire etde l'événement Plus qu'un penseurde l'herméneutique et du sens, jepense que Ricœur cst un penseur dcl'histoire

On a parfois brocarde en luila figure du croyant.A-t-il outrepasse les droitsdu philosophe en scrutantla condition du croirea l'époque moderne ^Ce sont de mauvaises querelles quilui ont ete faites, parfaitement ideologiques La question n'est pas dcsavoir quelle est l'origine de vosquestions et de vos concepts Peuimporte sicette origine est liee aunereligion, a une culture, a une litte-rature particulière ou a une scienceque \ ous a\ ez pratiquée Le problè-me est de savoir si ce que vous enfaites est umceptuellement, logiquement et rationnellement ligourelix Que Ricœur ait tiavaille surles mythes, qu'il soit toujours restefldclc a sa tradition calviniste ctqu'au bout du compte la question dela foi, de la memou e, du texte lui aitete plus familière qu'a d'autres,c'est plutôt une chance Quandvous dites brocarder, c'est exacte-ment ça II a serv i de téte de Turc aun certain nombre de gens quid'ailleurs ont complètement disparu Car, curieusement, on notaitchez Ricœur une prudence a mesyeux exageree D'une certainemaniere, il était trop bon II pienaittrop au sérieux certaines objectionsen s'obligeant a les considérer

« L'idée de la mort ne doit pasdévorer toute notre attention »,écrit-il dans Le Volontaire etl'involontaire. Peut-on pour autantreprocher a sa quêtede seconde naïveté de l'avoirrendu sourd aux catastrophesdu XXe siecle ?Non Ricœur cst quand même unorphelin de la Premiere Guerre

mondiale, qui a combattu pendant laSeconde, connu la captivité, assistea tous les debats autour du marxis-me, avec tout ce que cela avait depesant en france Ce n'est donc pasdu tout un naïf Maîs il fut l'un desrares a n'avoir jamais idéalise niidcologisc l'engagement politique IIétait trop intelligent poui ça Dans sageneration, il est un de ceux qui ontsu garder une juste distance vis-a-\is l'engagement politique Ricœurétait un homme extrêmementdécent, comme disent les Anglo-Saxons ( e n'était pas quelqu'un de\iolent, de querelleur ou d'excessifII avait une grande maîtrise intellec-tuelle ct a toujours su se tenir C'étaitun gentleman

L'œuvre de Paul Ricœura la réputation d'êtreparticulièrement dense et ardueEn dépit de sa difficulté,ne convient-il cependant pasde la lire?Il y a peu de grands philosophesEn France, dans la generation deRicœur, ils sont quatre, tous diffi-ciles, maîs finalement tous assimi-lables, avec le temps, par un publicvaste II ne faut pas s'imaginer queles textes difficiles sont moins Usibles que les autres Simplement, ilspai lent d'une maniere nouvelle ctpuissante Ils obligent a assimilerdes concepts On decouvie lente-ment comment s'en servir Cela\aut pour Ricœur, Levinas, Derri-da et Henry Quand vous en man-gez un peu, ce n'est pas du fast-lood II laut apprendre, comme onapprend a boire du bon vm Maîsune fois qu'on a commence, on seréjouit de disposer d'un armementextrêmement lourd qui permet dcvoir clair Oui, Ricœur, c'est unpeu difficile, parce que c'estsérieux, maîs ce n'est pas du toutillisible C'est comme les logicielsinformatiques Au depart on n'ycomprend rien, maîs lorsqu'ons'en sert, on Imit par trouver celaévident I ' avantage avec lesgrands textes philosophiques,c'est que c'est un investissementdurable Une fois qu'on maîtriseles concepts, on s'en sert Le prixs'oublie maîs la qualite i este, com-me on dit dans Les Tontons flin-gueurs •

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LE POINT REFERENCES74 AVENUE DU MAINE75682 PARIS CEDEX 14 - 01 44 10 10 10

MARS/AVRIL 13Bimestriel

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Décryptages

Idées et essaisMÉMOIRE

Ricœur for ever

Né en 1913, le philosophe Paul Ricœur n'aimait pas les commémorations.

Paul Ricœur aurait-il aiméque l'on fête l'anniversairede sa naissance ? 2013 mar-

que en effet le centenaire de cephilosophe né en 1913 et mort en2005, aujourd'hui l'un des pen-seurs français les plus cités dans lemonde. Rien d'étonnant à ce queles éditeurs profitent de l'occasionpour commémorer une œuvre

colossale qui jette des ponts entreles sciences sociales, l'histoire, lapsychanalyse, la littérature et, biensûr, la philosophie. Mais Ricœurest aussi l'auteur de La Mémoire,l'Histoire, l'Oubli (Seuil, 2000),sorte de testament philosophiquedans lequel il s'interroge juste-ment sur le bien-fonde des com-mémorations. « Je reste troublé

par l'inquiétant spectacle quedonne le trop de mémoire ici, Ietrop d'oubli ailleurs, pour ne riendire de l'influence des commémo-rations et des abus de mémoire- et d'oubli », écrit-il. Cet adeptedes voies médianes ne s'en cachepas : « L'idée d'une politique de lajuste mémoire est à cet égard un demes thèmes civiques avoués. »

SUSCITER LA DISCUSSIONAlors, comment célébrer Ricœursans commettre un abus demémoire ? En s'attaquant à laquestion de la commémorationcomme telle. Question politiquequi n'a cessé de susciter confu-sions et controverses, depuis leculte nationaliste de Jeanne d'Arc,présente comme le symbole de larésistance d'une France toutecatholique, dans une Europe dontNicolas Sarkozy voulait constitu-tionnaliser les « racines chrétien-nes », jusqu'à la reconnaissancedu génocide arménien, en passantpar le projet de loi avorté sur lesbienfaits de la colonisation.Légiférer sur les faits historiques estl'une des « pathologies mémoriel-les » analysées dans Paul Ricœur :penser la mêmoire, ouvrage collectifissu d'un colloque dirigé par l'histo-rien François Bosse (par ailleurs

François Dosse et

Catherine

Goldenstein (dir.),Paul Rkteur: penser

(a mémoire, Seuil,304 pages, 25 €.

Jean Grondin,

Paul Ricœur,coll. Que-sais-)e i,PUF, 128 pages, 9 €.

Souffranceet douleur

Claire Marin etNathalie Zaccaï-

Reyners (dir.),Souffrance etdouleur-Autour de

Paul Ricœur, coll.

Question de soin, PUR

104 pages, 9,50 €.

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biographe de Ricœur) et de Cathe-rine Goldenstein, conservatrice dufonds Paul Ricœur. L'un des coau-teurs, le sociologue Johann Michel,signe également un Ricœur et sescontemporains, permettant de mieuxcerner la position et l'apport théori-que du philosophe par rapport auxstars dites « poststructuralistes » deson époque, de Gilles Deleuze a Jac-ques Derrida, en passant par MichelFoucault ou Pierre Bourdieu.Pour decouvrir le philosophe, lacollection Que sais-je ' proposePaul Ricœur, une excellente biogra-phie intellectuelle de Jean Grondin,spécialiste de l'herméneutique, enlaquelle il voit le fil rouge du par-cours du philosophe. Enfin, autre« cadeau » du centenaire, Souffranceef douleur - Autour de Paul Ricœur,un ouvrage collectif de Claire Mannet Nathalie Zaccai-Reyners, invitemédecins, sociologues et philoso-phes à discuter d'un bref essai deRicœur intitulé La Souffrance n'estpas la douleur (1992). Trop decadeaux dans la corbeille '« De telles rééditions d'essais de"philosophie pratique" sont desaison », pour Jean-LouisSchlegel, membre du comité édi-torial du fonds Ricœur. Des ingé-nieurs ne viennent-ils pas dedemander une réédition d'untexte du philosophe sur le Com-promis ? De quoi plaire à Ricœur.Et puis, susciter la discussion etla réflexion, n'est-ce pas une bellemanière d'être commémore ' •

François Cauvin

Johann Michel, Ricœuret ses contemporains,Bourdieu, Derrida,Deleuze, Foucault,Castoriadis, PUF,192 pages, 19 €

PHILOSOPHIE

Le logicielde l'Occident

La crise financière,r̂̂ ~ vous connaissez. Elle

"•—p" va peut-être vousempêcher de prendrevos vacances sous lespalmiers. Maîs à quel

point cette crise vous détermine auplus profond de vous-même, vousl'ignorez sans doute.. C'est la thèse decette Logique totalitaire - Essai sur lacrise de l'Occident dont chaque pageest comme une gorgée d'un bon vinbien rond. Accessible malgre l'abon-dance des réflexions et des réferences,cet essai s'applique à montrer le« logiciel » qui vous fait tourner àvotre insu Pour Jean Vioulac, la criseest en effet l'expression de la « logi-que totalitaire » qui définit l'Occidentpar essence N'espérez donc pas dehappy end. Certes, Hitler et Staline,symboles classiques du totalitarisme,ne sont plus Maîs pour ce philosophe,aujourd'hui enseignant, la logiquetotalitaire continue de plus belle, aupoint de faire des humains une entitépresque fantomatique, un résidud'obiet broyé par le monstre techno-logique qui entraîne dans son sillagel'économie et la politiquePour ce lecteur averti de Karl Marx etde Martin Heidegger, l'aliénation sup-pose une échappée possible. Or, ildoute de cette possibilité, car l'espècehumaine est à l'origine de ce qui peutaussi physiquement l'anéantir, lenucléaire, par exemple. Alarmiste ?Non, c'est trop tard, les dés sont joués.Fataliste ? L'auteur paraît hésiter.Peut-être parce que la philosophie aencore un rôle à jouer' Non pourconsoler, maîs comme « phénoméno-logie tératologique » (du grec teratos :«monstre») La philosophie commerévélateur, la vigie qui permet de voir

la « bête » dans toute l'étendue deson pouvoir. F. G.

Jean Vioulac, La Logique totalitaire -Essai sur la crise de l'Occident,coll Epimethee, PUF, 496 pages, 39 €.

GENÈSE

Le difficileaccouchement dudroit de propriété

Inaliénable, le droit depropriété ~> Penser lapropriété, de PeterGarnsey, remet lesidées en place. Ainsi,saviez-vous que pour

Platon (iv* siècle avant J.-C), la pro-priété empêchait d'appartenir à laclasse dirigeante, l'accès à cette casteexigeant la mise en commun desbiens et des familles ? Mais ce « com-munisme » n'excluait pas la propriétépour les autres citoyens. Plus tard,avec Jésus, pas de salut sans renon-ciation et malheur à qui s'attache àses biens. « Ce sont ceux qui étaientcritiques ou sceptiques par rapport àla propriété qui avaient alors lamam »,résume le professeurde Cam-bridge Face à l'équation « propriétéégale peché », les canonistes médié-vaux vont faire du droit de propriétéun droit de seconde zone, parce quefruit de la raison humaine et non donde Dieu. Il faudra attendre le xvne siècleet John Locke pour que la propriétédevienne un droit fondamental, justi-fié par le travail La révolution fran-çaise en fera un droit de l'homme,alors que les pères de l'indépendanceaméricaine omettront de le rangerdans les droits naturels parce quel'esclavage en était une des formes.Décapant ID. v.

Peter Garnsey, Penser (a propriété -De ('Antiquité jusqu'à l'èredes révolutions, 364 pages, Les BellesLettres, 26,90 €

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RicœurelleshommesÀ l'occasion du centièmeanniversaire de sa naissance,plusieurs livres saluentlactualité de la penséedu philosophe Paul Ricœur.De la mémoire à l'histoire,de la souffrance à l'altérité,ses écrits continuent d'irriguerles grandes réflexionséthiques contemporaines.

Si l'œuvre philosophique - dense, complexe,exigeante - de Paul Ricœur (1913-2005)peut sembler vibrer en arrière-plan des réflexionsactuelles, comparée à celles de quelques-unsde ses illustres contemporains plus souventinvoqués (Deleuze, Foucault, Dernda,

Lévi-Strauss . ), elle infuse pourtant nombre de sujetscentraux la mémoire, l'oubli, l'histoire, le commun,la douleur Les questions éthiques, à la fois universelleset inscrites dans notre temps présent, se nourrissentde ses écrits, très réceptifs au principe mêmede l'événement Au point que Paul Ricœur, mort il y ahuit ans, reste I un des penseurs francais du XXe siècleles plus lus et traduits dans le monde

Inscrite dans une tradition philosophique réflexiveissue de Descartes et de Kant, sa pensée se déploiesurtout dans la mouvance de la phénoménologiehusserlienne et de Merleau-Ponty De Soi-même commeun autre 11990) à La Mémoire, ['histoire, l'oubli (2000),ses deux grands livres, maîs aussi dans des dizainesd'autres textes [Philosophie de la volonté. Temps et Récit,Amour et Justice, Le Juste ], Paul Ricœur s'attacheau fond à comprendre les hommes, auxquelsil associe deux propriétés, paradoxales et indissociablesà la fois . agissants et "souffrants'

Son œuvre est traversée par cette question née avecla philosophie elle-même : que peut l'homme9 Quelest le sens de cet effort, quelles en sont les possibilitéset les ressources9 Dans le sillage de Kant, lisedemande ce qui nous est permis d espérer, malgrénotre fmitude indépassable, en dépit du mal etdu tragique de la condition humaine Armé d une telleconscience de la fmitude, la pensée de Ricœur estimeque cet inachèvement se trouve à la racine de toutes lespossibilités humaines Dans un éclairant "Que sais-je? ,Jean Grondin souligne que toute sa pensée fut ainsi"une accueillante philosophie des possibilités de l'humain ',portée par "un sens aigu de l'inachèvement essentiel, sinonde la tragédie, qui caractérise I effort humain d'exister .

Enraciné dans la tradition réflexive française d'après-guerre - le personnalisme de Mounier et l'existentialismede Sartre -, son premier el constant chantier fut celuid'une philosophie de la volonté, à l'abri de lous lesdogmatismes, ouverte au dialogue avec tous les savoirspossibles (histoire, psychanalyse...), sans a priori Cettephilosophie de l'écoute prend la forme chez lui d une' herméneutique', du nom de cette philosophie générale,introduite par Dilthey ou Heidegger, qui considèrel'être humain comme un être de fmitude qui a besoind interprétation Le sujet, ne pouvant se comprendre

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une 'petite éthique", engageantune sollicitude pour autrui et plusspécialement pour lautre qui souffre

seulement par le retour sur lui-même, doit emprunterla voie longue de l'interprétation des textes s il veutse connaître et plus particulièrement rendre comptede I expérience du mal Lin ouvrage collectif dirigépar Claire Mann et Nathalie Zaccai-Reyners, Souffrance etdouleur - Autour de Paul Ricœur [PUF), en éclaire la teneurPour le philosophe, la douleur, ponctuelle et localisée,se distingue de la souffrance, qui est pure enduranceet empiète sur tous les domaines de l'existence du sujet,bouleverse sa relation au monde Exister, c'est êtrecapable de réagir à la souffrance, d'y répondre

A partir de cette réflexion sur le mal, l'herméneutiquede Ricœur se transforme en ce qu'il appelait une "petiteéthique , engageant une sollicitude pour autrui et plusspécialement pour I autre qui souffre, dans un gestede pensée proche de celui d Emmanuel Lévmas (et deson éthique de la responsabilité), l'un de ses interlocuteurspréférés parmi ses autres "maîtres de rigueur',Norbert Elias, Michel de Certeau ou Michel Foucault

Cette visée éthique forme I ancrage de ses nombreuxécrits sur la justice et le droit ll plaide régulièrementpour un bon usage de la mémoire, comme l'analyseun ouvrage collectif dirigé par François Dosse et CatherineGoldenstem, Paul Ricœur penser la mémoire (Seuil)"La mémoire se fait juste lorsqu elle a affaire au malheur,la mémoire heureuse, elle, a affaire à l'oubli , ecnvait-illl existe plusieurs types d'oublis, selon lui des oublis

"d'effacement", "cfe réserve", maîs aussi des oublisheureux' Cette idée d une politique de la juste mémoire

(entre le trop de mémoire ici et le trop d oubli ailleurs)infuse toujours tous les débats actuels autourde la "tyrannie mémonelle"

Mobilisant les concepts réputés opaquesde la phénoménologie et de i herméneutique, la penséede Paul Ricœur reste pour autant éclairante aux yeuxde tous, notamment parce qu'elle est elle-même éclairéepar une volonté de compréhension du monde, ambitieusemaîs pas aveugle puisqu'elle intègre le doute en son cœurll n'y a rien d intimidant dans son œuvre, sinon peut-êtreI effet ambivalent qu'elle procure en exposant unepensée à la fois sévère et généreuse, sèche et vénéneuse.

À l'image de la bipolarité qui fonde selon lui nosexistences, subies et conduites, ses mots résonnent dansles sonorités de son nom . un homme qui rit et quia du cœur, qui agit par volonté, qui souffre par nécessité.Jean-Marie Durand

Paul Ricœur de Jean Grondin (Que sais-je ?/PUF), 128 pages, 9 €Anthologie Paul Ricœur (Points Essais), 432 pages, 11,20 €Paul Ricœur : penser la mémoire sous la direction de FrancoisDosse et Catherine Goldenstem (Seuil), 304 pages, 25 €Souffrance et douleur - Autour de Paul Ricœur de Claire Mannet Nathalie Zaccai-Reyners (PUF), 104 pages, 9,50 €Pour suivre les événements du centenaire Ricœur durant I annéefondsncoeurfr

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Ute*

Lentretienicn/

II y a cent ans naissait Paul Ricœur. Grande figure de la pensée française du siècledernier, il a contribué, avec le concept d'identité narrative, à repenser le sujetcomme le récit que chacun se raconte à lui-même. En guise d'hommage, nous

publions un entretien réalisé en 1997 et inédit en France, où ce pupille de la nationlivrait, avec une étonnante sincérité, son propre récit. Propos recuei is par Jean-François Duval

— « PaulRicœur

« Ce que je suisest foncièrement

douteux »

Paul Ricœur, qui aurait eu 100 ans le27 février 2013, considérait comme sa prin-cipale chance d'avoir eu pour interlocuteursles plus grandes figures de la philosophie duXXe siècle et de s,'être trouvé mêlé à toutesles questions fondamentales soulevées par

la phénoménologie, l'existentialisme, la psychanalyse, lestructuralisme. . C'était un homme qui se savait de mul-tiples « dettes » Le mot était venu dans sa bouche dès notrepremière rencontre téléphonique, en 1986, lorsque nousl'avions sollicité pour un entretien centré sur sa passion-nante trilogie Temps et Récit C'était oui, nous avait-il répondu,mais il y avait d'autres « dettes » dont il devait d'abord s'ac-quitter. Notre seconde rencontre eut lieu en 1997, à Châtenay-Malabry, dans sa grande maison, Les Murs blancs, qui futcelle d'Emmanuel Meunier (1905-1950, philosophe et fon-dateur de la revue Esprit). Ses préoccupations immédiates

étaient de deux ordres. L'affaire des sans-papiers agitait laFrance, un jeune Africain expulsé, mis à la rue, venait desortir de chez lui... Par ailleurs, dans les deux grandes pièceslumineuses qui lui servaient de bureau - livres et manuscritsempilés jusque sur les chaises -, il s'attelait, avec un riend'inquiétude, à la relecture des épreuves de son livre d'en-tietiens avec Jean-Pierre Changeux, La Nature et la Regle Cequi nousfaitpenser II avait répondu positivement à la demandede Changeux et d'Odile Jacob maîs tenait à éviter toute confu-sion quoiqu'il fût un fervent lecteur d'ouvrages sur les neu-rosciences, il fallait absolument distinguer le discours de laconnaissance scientifique de celui de l'expérience vive. Com-plètement disponible, chaleureux, émouvant, évidemmentbrillant, il nous a accordé une bonne part de son après-midi,s'exprimant volontiers et en complète sincérité sur le par-cours d'un pupille de la nation devenu maître en herméneu-tique et l'auteur de Soi-même comme un autre.

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La mort a été présente tres tôt dans votre vie.Vous avez perdu votre mère quand vous aviezquèlques mois, et votre père a été tué lorsde la guerre de 14-18 quand vous aviez 2 ans.Comment évaluez-vous le fait d'être devenutres tôt un pupille de la nation ?

Paul Ricœur : C'est assez curieux parce que c'est amesure que j'ai grandi et vieilli que c'est devenuune question Jeune,] étais plutôt rebelle a l'egaiddes plaintes plus ou moins feintes que j'entendais« Ah i le pauvre orphelin i » Ça rn agaçait Au fondje ne me rappelle pas avoir souffert de I absence demes parents Parce que j'avais un tres bon rapportavec mes grands-parents et ma tante, qui m'onteleve Et surtout, parce que j'avais une vie priveetres tôt intense

Que voulez-vous dire?Une vie de lecteur J'ai plonge dans la littérature trestôt Et puis j'étais bon a l'école Je ne ressentais pasde manque Plus tard lorsque j'ai atteint et dépassel'âge de mon pere, j'ai eu l'impression d'un rapportbizarre avec cette personne qui était sur les photographies plus jeune que moi J'ai retrouve cela enlisant Le Premier Homme de Camus A piopos de sonpere, il parle de son «pere cadet » J'ai éprouve la mêmechose Peut-être qu en vieillissant on accorde de plusen plus d'importance a la filiation, en amont et enaval de soi, et qu'on fonctionne moins comme unélectron libre, et de plus en plus comme un chaînondans une suite de générations

Votre vie semble d'emblée placée sous le signede la culpabilité. Vous l'évoquez très souvent:à propos de votre pacifisme avant la guerre,de la découverte des camps de la mort, et mêmeà l'occasion de l'épisode de Nanterre en 1968,quand vous avez dû gérer la contestationdes étudiants. Mais c'est un sentiment qui estd'abord né à l'égard de votre sœur.

Oui Par rapport a ma sœur J'ai eu le sentimentd'avoirpris toute la place, de lui avoir pris sa part C'est unsentiment en grande partie fantasme de ma part, maîsles fantasmes sont vécus J'avais l'impression d'avoirpeut être plus reçu qu'elle Je réussissais tres bien al'école, et elle était plus lente plusterne Cestd'ailleursma femme, qui était alois sa meilleuie amie, qui m'aouvert les yeux sur cette inégalité, cette injustice Uneinjustice qui était peut etre celle de mes éducateurs,mes grands-parents et ma tante, maîs qui n'en etaitpasmorris partagée acceptée par moi

Est-ce l'une des origines de ce mot de « dette »qui revient très souvent dans votre bouche?

« Dette » est un mot ambigu, qui ne veut pas forcement dire coupable, maîs simplement qu'on a uneardoise Ce que le mot allemand Scfiuîd dit mieux quele terme français

On a limpression, quand on vous écoute,que tout être a une sorte de dettefondamentale à l'égard des autres, et de la vie.

Oui, et j'ajouterais une dette insolvable.

Pourquoi insolvable?Parce qu on a reçu plus qu'on ne paiera en retour J'aibeaucoup réfléchi, a la suite de Merleau-Ponty sur le casde Cézanne Et je me suis toujours pose cette questionpourquoi peindre indéfiniment la montagne Sainte Vic-toire, comme s il n avait jamais fini de la rendre Au sensesthetique, au sens moral C'est comme si la beaute dusite exigeait du peintre un rendu qui ne sera jamaisatteint De la, le caractère inadéquat de la réponse

Vous pensez qu'artistes, peintres, écrivains,musiciens paient une dette?

Je suis frappe par le sentiment d'obligation de travail desgrands artistes Ils se traitent durement, impitoyable-ment Or, qu'est-ce qui les oblige, sinon, je dirais, « lachose a faire» Ça paraît un cercle vicieux la chose a faireexige d'être faite fl y a la une exigence profonde, de carac-tère moral même Je suis tres sensible ala vie d'un Beetho-ven ou d un Wagner, s'enfermant dans ces chateauxbavarois et travaillant comme des brutes

Je ne comprends toujours pas.De quelle dette cherchent-ils à s'acquitter?

Je ne le sais pas G est en s'en acquittant qu on cree cettedette C'est être oblige par ce qu on est en train de faire

Expliqueriez-vous ainsi votre vie de philosophe?Non Ce n était pas pour m'acquitter d'une dette maîspour resoudre une contradiction Pour ne pas devenirschizophrène Parce que j'ai toujours éte entre deuxinfluences, entre lesquelles il me fallait jeter un pontEntre la demarche philosophique critique et mes convic-tions religieuses, puisque je suis protestant Protestantmaîs pas moins philosophe

Revenons à des aspects plus biographiques,vous parlez très peu de votre mere.

Parce queje ne l'ai pas connue du tout et que mes grands-parents, quim'ont eleve, la connaissaient peu Je supposequ'ils n avaient pas accepte le mariage de mon pereEnfin il y a une sorte de black-out de te côte-la, au pointqu'aujourd'huije n ai pas de photo crédible de maniere

Vous ne savez pas comment votre mère était ?Non Je sais qu'elle venait d une famille nombreuse,savoyarde, genevoise, du nom de Favre J'ai retrouvéquèlques papiers de famille, fait des recoupements,maîs il n'y a plus personne pour me donner I informa-tion, peisonne n'ajamais pu me dire «J'ai connu votremere » J'ai entendu le mot « maman » quand ma femmes'adressait a sa mere a elle, ou quand mes enfantss adressaient a leur mere, maîs moi, c'est un mot queje n'aijamais prononce

Mini BioPaul Ricœuren huit dates.

1913Naissance et mortde sa mère

1915Mort de son père sur lefront, dans la bataille dela Marne Ricœur, élevédans la foi protestantepar ses grands-parents,trouve refuge dansles livres

1935Reçu secondde l'agrégationde philosophie,il fréquente la rédactionde la revue Esprit

194O-1945Fait prisonnier commeofficier de réserve,il traduit les Ideen deHusserl en captivité enPoméranie (Allemagne)

1956Élu professeur a laSorbonne, il s'installeavec sa femme et sescinq enfants aux Mursblancs, à Châtenay-Malabry, où EmmanuelMeunier avait créé unecommunauté autourd'Esprit

1970Démissionne de sonposte de doyen de laFaculté de lettres del'université de Nanterresuite aux troublespost-68 Devientprofesseur à Chicago

199OPublication de Soi-mêmecomme un autre quimarque sa consécrationtardive en France

2005Meurt àChâtenay-Malabry

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Autourdu centenairedè PaulRicœur

eur le centenaire de sa naissance. PaulRicœur entre avec le n* 3952 dans lesQue sais-je ?, Jean Grondin a parfaitement

*^w. ~ _, , ̂ . ~ relevé le défi des 127 pages de la collection (pasOG P3UI une de plus), et cet hommage, dans sa simplicité,ni fft^ttw aurait sûrement convenu au philosophe.HlCUSUr Le Seuil, son éditeur, a choisi ie fil de sa pensée

de l'histoire avec un solide ouvrage collectif,Paul fi/cœur. Penser la mémoire, articulé sur le dernier de ses grands livres,L'Histoire, la Mémoire, l'Oubli (2000), qui achevait son long compagnonnageavec les historiens et ouvrait bien des questions d'aujourd'hui sur le conflit desmémoires et des identités. Où l'on constate l'acuité de Ricœur sur son époqueet le rayonnement interdisciplinaire et international de son oeuvre. Aux PUF,outre le Que sais-je ? déjà cité, signalons un essai de Johann Michel, Ricœuret ses contemporains, qui examine le dialogue du discret Ricœur avecles Derrida, Deleuze, Foucault Castoriadis, et même avec Bourdieu, qu'il aapparemment ignoré. Enfin, Souffrance et Douleur (encore un collectif),s'empare d'une très belle conférence inédite prononcée devant cles psychiatresen 1992, où il entend « éclairer la compréhension que nous avons del'humain, en tant qu'être capable de subir et d'endurer la souffrance ». Pournourrir la réflexion très actuelle sur l'éthique du soin. Catherine Poitevin

Paul Ricœur,de JeanGrondin(Que sais-je?,PUF, 127 p, 9 €)

Paul Ricœur.Penser lamémoire,sous la dir. deFrançois Dosseet CatherineGoldenstein,(Seuil, 336 p.,25 €)

Ricœur Souffranceet ses et Douleur,contemporains. Autour dede JohannMichel(PUF, 180 p.,19 Q

Paul Ricœur,sous la dir.de Claire Marinet NathalieZaccaï-Reyners(PUF, 100 p.,9,50 €)

Même pas lorsque vous parliez de leur mèreavec vos enfants?

Non, je disais « votre mère », ou « Simone ». J'évitais« maman » C'est une place qui doit rester vide, sans plus

Vos vrais parents ont donc été les livres?Exactement. Même si, progressivement, a l'école, j'airencontre des figures paternelles.

Lécole était ce lieu où se conciliaient la figure dupère et celle de l'enfant ?

Sûrement. J'ai estimé beaucoup de mes professeurs Etje n'ai jamais douté que je serais professeur moi-mêmeMon sentiment, c'était comment rester a l'école 7 Ehbien, en y enseignant Ma famille était tellement close,et moi solitaire L'école, c'était pour moi le plein airJe suis toujours stupéfait quand j'entends des enfantsdire qu'ils sont enfermés à l'école. Moi, j'y étais commeun poisson dans l'eau

N'étiez-vous pas terriblement en avance du fait devos lectures? Et donc sujet à l'ennui en classe?

Oui, maîs j'amusais aussi les autres J'étais agité, surtoutOn me notait comme « élève intelligent maîs agité »

On a un peu de peine à l'imaginer.Mais je plaisante beaucoup, je suis amateur de jeux demots. Avec mes petits-enfants, j'ai toujours joué le rôledu clown, et pas celui du vieux prof (mes).

Fait prisonnier pendant la guerre, vous êtesenvoyé dans un camp de travail. Avec d'autres,vous pouvez, néanmoins, constituer une

bibliothèque, organiser des coursuniversitaires...

C'était un camp d'officiers. Et jusqu'au livre de DanielGoldhagen, les Bourreaux volontaires de Hitler [1996, Seuil,19971, j'étais persuadé que l'armée allemande avait uneéthique différente de celle du parti nazi. Dans les campsque j'ai connus, tous des camps d'officiers, il n'y a pas eude violations flagrantes des accords de La Haye ou deGenève, simplement des privations de sorties parce qu'ily avait eu des évasions Maîs nos conditions de détentionétaient correctes, nous étions nourris comme la popula-tion, c'est-à-dire de plus en plus pauviement Dans notrechambre, nous étions un petit groupe d'intellectuels, quicomptait deux Juifs, dont Roger Ikor, l'écrivain. Emma-nuel Levinas a aussi sauvé sa vie parce qu'il était prison-nier dans un camp d'officiers.

Vers la fin de votre détention,vous traduisez Husserl.

Oui, Idem I. ht avec mon camarade Mikel Dufrenne, nousavons également lu toute l'œuvre publiée de Karl Jaspers,sur lequel nous avons cent un premier livre, Karl Jaspersrt la philosophie dd'existence, publié en 1947

Que pensez-vous du livre de Goldhagen ?Il y a dans ce livre des faits incontestables, peut-être tropciblés. Et une thèse générale qui me paraît intolérable:une inculpation en masse de tout un peuple. Il faut resterfidèle aux traditions occidentales, selon lesquelles laculpabilité juridique pénale doit toujours être indivi-duelle Goldhagen met presque la culpabilité du peupleallemand dans ses gênes, dans son « hérédité » chrétienneL'antisémitisme théologique du christianisme est icimajoré aux dépens de ce qu'il y a quand même eu derésistance spirituelle autour de Karl Earth. Et il y a aussieu des actes d'héroïsme en Allemagne Mon informationsur tout cela est de deux natures II y a ce que j'ai vécu— qui n'est qu'un tout petit canton de l'histoire — et leslectures que j'ai faites sur les déportations La déporta-tion, je l'ai découverte le jour de ma libération, puisquec'était à Bergen-Belsen, à la sortie du camp, nous avonsvu sortii ces cadavres vivants. Un choc terrible.

De Heidegger, vous dites qu'il avait untempérament de maitre d'école.

Il ne m'a pas impressionné, c'est le moins qu'on puissedire Maîs je l'ai surtout rencontre à travers mes lectures

Pour certains, son oeuvre philosophique estindissociable de son engagement aux côtés desnazis? Quelle est votre position?

Je fais le lien de la façon suivante. La philosophie de Hei-degger est tellement axée sur la question de l'être, del'ontologie, que les critères de choix moraux et politiquesen sont complètement absents C'est une ontologie qui aéte incapable de produire une éthique Et donc qui n'avaitpas de ligne de défense interne Heidegger était alors dansune phase de refondation de sa propre philosophie, la

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figure du heros a pu parfaitement y occuper une sorte deniche vide Maîs c'est vrai que certains thèmes parahe-roiques étaient déjà dans Sem lmd Zeit Et son oeuvre ades composantes ethiques, ne serait-ce que la resolutionface a la mort Maîs ce problème, qui est profondementun problème de face-a-face avec soi même des que vousen faites une transposition communautaire, politique,vous aboutissez a une monstruosité Ce n'est plus le face-a face avec sa propre mortalite C'est de la mort des autresqu'il s'agit II y a la une responsabilite indirecte et pardéfaut de l'œuvre de Heidegger

On lui a surtout reproché de ne pas avoirmanifesté le moindre regret aprës la guerre.

Oui II y a eu de sa part une attitude de fuite et d'arro-gance Humilie par les Français qui l'avaient déchu de sachaire, il n'était pas dispose a faire des confessions Maîsce que je trouve monstrueux, e 'est la deuxieme source deson erreur politique l'idée, que je trouve insensée, quela technique est un grand projet humain qui prend lasuite de la métaphysique Dans cette optique-la, l'extermination des Juifs devient réellement un détail a Tinterieur du règne de la technique Je pense qu il y a eu, chezHeidegger, une contamination par certaines idees d'ErnstJunger Je dirais une sorte de polemisation de la vie eco-nomique et de lavie sociale C'est une question a laquellenous devons d'ailleurs encore reflechir, liee a la situationpolitique de I Europe actuellement

Pouvez-vous préciser?Les grands penseurs du XVIIIe siecle, tels qu'Adam Smithet d'autres voyaient dans le commerce, dans l'entreprise,et donc dans le capitalisme, le developpement de ce qu'ilsappelaient les passions douces, opposées aux passionsguerrières Ce qu'on n'avait pas prévu, c'est que l'entre-prise génère la guerre economique par la concurrence etque nous sommes en guerre economique Si bien qu'il ya commeje le disais, une polemisation de l'économiqueet du social, que Junger définissait par le concept de mobihsation generale C'est un problème tres troublant, surlequel je n'avais encore jamais nen dit jusqu'à present

Et qui pourrait se résoudre comment?C'est aujourd'hui le problème de toute l'Europe occiden-tale Ou, pour survivre, nous devons maintenir uneethique et une politique de la solidarite Le combat amener se fait sur deux fronts d'une part, nos economiesdoivent rester compétitives, d'autre part, elles ne doiventpas perdre leur âme - leur sens de la redistribution et dela justice sociale Une énorme affaire, presque aussi diffiole a resoudre que la quadrature du cercle

Cela rejoint votre actuelle réflexion sur ce quevous appelez K le moins souffrir».

Nous n'en avons pas fini avec I hentage de la violence etde la derniere guerre Ni avec la dureté et la brutalité dusysteme capitaliste, qui est vainqueur par K O sur lecommunisme, et sans rival désormais II est aujourd'hui

la seule technique de production des richesses, maîs à uncoût humain exorbitant Les inégalités, les exclusionssont insupportables En France, j'ai ete mêle a l'affairedes sans-papiers, et heureux de ne pas me battre pournen, maîs c'est une goutte d'eau dans l'océan

Quelles lignes devrions-nous suivre pourrésoudre ces questions?

Je suis un peu tente par une solution qu'on pourrait appe-ler cynique Ca peut vous étonner de ma part, mali tantque ce systeme n'aura pas produit des effets insupportables pour un tres grand nombre, il continuera sa course,puisqu'il est sans rival Donc augmentation des souffrances Je pense qu'on va connaître en Europe occiden-tale une traversee du desert extrêmement dure Parceque nous ne sommes plus capables de payer le prix queles plus pauvres que nous paient La montee des jeuneseconomies asiatiques, celle même de la Chine, supposeun dur labeur que nous serons incapables de supporterNon seulement nous ne le voulons pas, maîs nous ne ledevons pas i Nous n'allons pas retourner au temps dutravail des enfants C'est pour cela que je suis tres for-tement proeuropeen, seule une economie de grande

« Je suis devenuphilosophe pour ne pasdevenir schizophrène »taille pourra permettre a l'Europe de s'en sortir Qu'est-cequi vaut mieux ''Aux États-Unis, ou nos acquis sont taxesde « rigidité », des millions de gens travaillent pour de tresbas salaires maîs restent dans le systeme Vaudrait-ilmieux chez nous travailler pour moins cher 7 Culturelle-ment, nous repondons non i Devons-nous lutter pourcette position la ou battre en retraite ? Voila vraiment desproblèmes de mise en question de nos choix culturels debase et de notre image de nous mêmes

Sartre, Merleau-Ponty, Derrida ont été voscontemporains. Que reste-t-il de Sartreaujourd'hui?

Sartre m'a tres peu influence Au contraire de Merleau-Ponty, son ennemi absolu, dont j'étais tres proche Entreeux deux, la parente de pensée est tres superficielle Onne peut être que d'un côte ou de l'autre

Qu'y aurait-il pour vous à sauvercle la pensée cle Sartre?

Ah, maîs d'abord une diversite, unique en son genre,d'instruments de discours la litterature, le théâtre,

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l'essai, l'autobiographie et les grands traités philoso-phiques comme L'Être et le Néant Bien qu'ily ait aussi desessais que jepense manqués, comme Questions ae méthode.

Quel est son ouvrage majeur, à votre avis?l'Être et le Néant. Il y a là de belles, de très grandes pages.C'était un très grand cours de première supérieure, mêmesi, aujourd'hui, je trouve cela un peu bavard; mais c'estmon passage par la sobriété de la philosophie analytiqueanglo-saxonne qui me fait porter ce jugement.

Que pensez-vous de la partie dè L'Être et le Néantqui imagine une psychanalyse existentielle?

C'est justement le point où je m'éloigne le plus deSartre, parce qu'il entretient là un rêve de transpa-rence. Pour lui, toute allégation de non-transparence,c'est ce qu'il appelle de la mauvaise foi, qui occupechez lui la place du refoulement chez Freud. Sa psy-chanalyse existentielle n'en est pas une, finalement :pas de technique psychanalytique, pas de cure, pas dethérapeutique, pas de pratique. Ça reste donc de soi à

soi-même. Ce qui, soit dit en passant et pour être justeavec lui, n'est pas le cas chez Heidegger : il n'a jamaisassumé ce thème de la transparence absolue de laconscience, au contraire ! Il y a là pour lui de l'obscur,pas de maitrise sur soi-même.

Vous-même, vous avez évolué dans votrecompréhension de la psychanalyse.»

Oui, dans De l'interprétation, mon livre sur Freud, j'ai essen-tiellement retenu les écrits les plus spéculatifs de sonœuvre. Et sa pensée comme une spéculation à propos desa pratique. Or, je suis de plus en plus persuadé quel'œuvre théorique de Freud n'est pas à la hauteur de sadécouverte. Que son langage est inadéquat à sa décou-verte. Et que, de ce point de vue-là, nous avons une grandeliberté pour la réinterpréter.

Que faites-vous des critiques adressées à Freudpar Wtttgenstein, Popper, Bouveresse?

Ils ont raison dans la mesure où Freud se prétend natu-raliste et se place dans une position où l'on peut luidemander des comptes de l'ordre de la preuve scienti-fique. Mais si, à l'opposé, on tire la psychanalyse, non ducôté de la preuve et du vérifiable, mais de l'épreuve devérité, on la soustrait au critère de la falsification, et ellese trouve alors du même côté que la poésie, l'expérienceesthétique, religieuse... En ce sens, je reste très attaché àl'idée qu'il y a dans la relation analytique quelque chosede singulier, une recherche partagée de vérité.

Toute votre œuvre aura été centréesur l'herméneutique, un perpétuel travaild'interprétation...

Oui. Le fait que je suis n'est pas douteux, mais que ce queje suis est foncièrement douteux. Par conséquent, je nesuis pas proche de moi-même, mais toujours dans unrapport d'interprétation. Il faut donc que je fasse le granddétour des oeuvres de culture pour rentrer chez moi : c'estce grand circuit de l'interprétation qui est le plus courtchemin de moi à moi-même. /

Cet entretien est initialement paru en 1998 dans Écriture W 52), pp 195-216© Fonds Ricœur

Les livres de Paul Ricœur

Philosophie de la volonté.Tl Le Volontaire etl'Involontaire (Seuil. 1950)12 Finitude et Culpabilité(Seuil 1960)Ce premier grand chantierphilosophique de Ricœur, lefruit de sa thèse d'État,marque son entrée dans ladeuxième génération de laphénoménologie française,après celle de Sartre etMerleau-Ponty. Ricœurprocède à une description del 'enchevêtrement duvolontaire et de l'involontaire

dans notre condition et à undéchiffrement des grandssymboles de la volontéfaillible.

Oe l'interprétation.Essai sur Sigmund Freud(Seuil, 1965)Le pari était audacieux et il arendu Lacan et les lacaniens,alors tout-puissants, furieuxet méchants à l'endroit deRicœur, qui procède là à unelecture philosophique del'œuvre du fondateur de lapsychanalyse.

Temps et RécitQ tomes. Seuil 1983-1985)Entre le temps physique etcosmique d'Aristote. et letemps psychologique de laconscience, la pensée philo-sophique a toujours été écar-telée entre deux perspectivessoi-disant irréconcilia bles surle temps. S'appuyant alorssur une approche croiséede deux grandes inventionsde la modernité, le roman etla science historique,Ricœur soutient qu'un tierstemps, le temps du récit, a

été découvert ou redécou-vert qui permet de faire enfinle pont entre le temps objectifet le temps subjectif.

Soi-même commeun autre (Seuil 1990)Partant de la déconstructiondu sujet hérité de Marx, deNietzsche et de Freud,Ricœur propose de sauverl'idée du sujet, à travers leconcept d'identité narrative.Le sujet se reconnaît dansl'histoire qu'il se raconte à lui-même sur lui-même.

La Mémoire, l'Histoire,l'Oubli (Seuil 2000)«L'idée d'une politique de lajuste mémoire est un demes thèmes civiquesavoués. » Alors que les ques-tions de mémoire passentau centre de l'espace public,Ricœur livre une belle médi-tation sur le statut psycho-logique, historique, éthiquede l'oubli et de la mémoire.Un dernier grand opus où lephilosophe en appelle, avecun certain courage, à noscapacités d'oubli. ML.

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Un homme de bienCe 27 février 2013, Paul Ricœur aurait eu cent ans. Si beaucoup de monde connaît le nom de ce philosophe, la com-

plexité de sa pensée effraie parfois. Pourtant Paul Ricœur, homme d’une grande douceur et très facétieux, a toujours voulu s’approcher au plus près de l’autre. Un numéro exceptionnel de Réforme pour lui rendre hommage.

P. 6 À 14 & P. 20

D.

R.

SPÉCIAL CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE PAUL RICŒUR

RICŒUR ET LE POLITIQUEDes citoyens tenus à la vigilance P. 8

RICŒUR ET L’HISTOIREPenser ensemble vérité et fidélité P. 10

RICŒUR ET LA BIBLE De nouvelles possibilités d’être P. 11

RICŒUR ET LA PSYCHANALYSE Raconter et reraconter sa vie P. 13

HEBDOMADAIRE PROTESTANT D’ACTUALITÉ

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2 Événement RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

ÉDITORIAL

Soulagement », c’est le terme employé dans un communi-qué par Jean-François Col-lange, le président des Églises

protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL) pour exprimer son sentiment à la suite de la décision du Conseil consti-tutionnel tombée le jeudi 21 février : inscrite dans les articles organiques de 1802, la rémunération des pasteurs par l’État en Alsace-Moselle a été jugée conforme à la Constitution. Rappelons qu’en raison de l’occupation allemande la loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 n’a jamais été appliquée dans ces trois départements (voir Réforme du 17/01/13).

Ainsi, des textes napoléoniens y régis-sent encore plusieurs pans du droit. « Cette décision intègre dans la laïcité à la française la laïcité à l’alsacienne », s’est félicité le président de l’UEPAL. En effet, à travers le cas particulier des pas-teurs, c’était l’ensemble du régime local des cultes qui était visé par le recours de l’association « Appel ».

Et l’islam ?

Solidaires dans l’action juridique, l’ar-chevêque de Strasbourg Mgr Grallet et le Grand Rabbin du consistoire du Bas-Rhin, René Gutman, se sont exprimés aux côtés du président Jean-François Collange à l’occasion d’une conférence de presse au siège de l’UEPAL. « Cette décision permet de dépasser ce qui rele-vait de l’histoire régionale pour faire entrer dans l’histoire de France un statut qui pouvait passer pour une spécificité », a pointé le Grand Rabbin. De son côté, Mgr Grallet a rappelé que « l’expérience du droit local permet des relations posi-tives et fructueuses entre les trois cultes reconnus et la République, mais aussi entre les cultes reconnus et les autres ».

Ont-ils réellement été inquiétés par cette procédure ? Le chef de file des 250 000 protestants d’Alsace-Moselle reconnaît avoir eu le sentiment que « le ciel nous tombait sur la tête le 19 décem-bre, quelques jours avant Noël ». De son côté, René Gutman a rappelé que l’inquiétude remontait à la proposition consacrée à la place de la laïcité dans le programme du candidat Hollande : « Même s’il a précisé qu’il ne sacrifierait pas l’exception alsacienne, nous avons eu l’impression que la pertinence du religieux pouvait être malmenée ou interrogée. »

Après la décision des « sages », les régimes spéciaux des cultes ne pourront

Ainsi, le président de l’UEPAL a souli-gné la nécessité de « laisser du temps au temps » et expliqué que « c’est avant tout une affaire entre la communauté musulmane et l’État ».

Le droit local des cultes n’en demeure pas moins discriminant et un recours d’une association musulmane auprès de la Cour européenne des droits de l’homme pourrait vraisemblablement être couronné de succès.

Concernant les 15 000 à 30 000 évan-géliques présents en Alsace-Moselle, Claude Baty, le président de la Fédé-ration protestante de France (FPF), a estimé qu’il n’y a pas de contradiction entre son soutien au droit local et la représentation des Églises évangéliques membres de la FPF : « Je suis pasteur des Églises évangéliques libres, Églises qui, comme leur nom l’indique, sont libres par rapport à l’État depuis 1849. Donc volontairement “libérées” plus de 50 ans avant la loi de séparation. […] Il est apparu au fil de l’histoire deux tendan-ces, l’une intransigeante qui n’admet pas d’exception au modèle qu’elle a en tête, et l’autre qui adapte son idéal à une réalité diverse. […] Il ressort de la décision et du commentaire du Conseil constitutionnel

plus être contestés au titre du principe de laïcité, à moins d’une réforme de la Constitution. « Jusqu’à présent nous étions dans une situation crispée, ambi-guë, où nous n’osions pas trop nous mon-trer de peur que notre statut soit remis en cause. Mais à partir du moment où la République intègre notre situation dans

la laïcité, nous souhaitons avancer pour moderni-ser ce statut », témoigne Jean-François Collange qui quittera ses fonctions fin 2013. Pour Christian

Krieger, président des réformés d’Alsace-Lorraine, « dans tous les cas, la réponse des sages nous conduisait à mettre en place un calendrier de travail ».

Concernant la modernisation du droit local, la question de l’intégration de l’islam figurait sur toutes les lèvres au lendemain de la décision du Conseil constitutionnel. L’Alsace compterait aujourd’hui 75 000 musulmans issus d’une vague d’immigration récente, contre 20 000 juifs implantés depuis cinq siècles. Cependant, les divisions au sein de la communauté, en dépit de la création d’un conseil régional du culte musulman, demeurent un frein.

Ricœur et la conversationMichael Higgins, le président de la République d’Irlande, était en visite à Paris la semaine dernière. Dans une de ses allocutions, il expliquait que les travaux de Paul Ricœur sur la mé-moire et l’oubli l’avaient aidé à penser la façon de solder les traumatismes de l’Histoire en préférant l’amnistie à l’amnésie. Ce 27 février, Paul Ricœur aurait eu cent ans. Philosophe, il n’a pas craint de sortir de son domaine pour explo-rer, à l’aide de ses instruments philo-sophiques, les champs les plus variés qui vont du politique au biblique en passant par la littérature, la psycha-nalyse ou l’histoire. L’herméneutique a été importante pour lui car c’est la science de l’interprétation, de la tra-duction, qui permet de faire voyager une vérité. Ricœur était un infatigable et merveilleux voyageur dans les dif-férents domaines de la pensée. Le philosophe Jean-François Mal-herbe rapporte la réponse de Paul Ricœur alors qu’il lui demandait ce qu’était pour lui la vie. Ricœur a ré-pondu : « La vie est une très longue conversation. Un jour, on réalise qu’on est pris dans cette conversa-tion parce qu’on y a été convoqué, et on accepte d’y prendre part. Au début, on ne comprend pas très bien de quoi on parle. Alors on écoute, on pose de temps en temps une question et on obtient de temps en temps une réponse… Au bout d’un certain temps encore, on commence à bien saisir de quoi on parle et on se met à interve-nir dans la conversation. Ce faisant, on lui donne un tour qu’elle n’aurait pas eu si nous n’y avions pas pris la parole. Les autres aussi interviennent et tous ensemble nous interagissons et menons la conversation. » La conversation induit de l’écoute et de la parole. Si nous accordons une large place à Ricœur dans ce numéro, c’est qu’il est proche de notre projet éditorial. Nous aussi voulons mener conversation avec les événements de notre monde pour organiser un dia-logue, une résonnance, une confron-tation entre une vérité vieille de 2 000 ans et les différentes vérités qui émer-gent de l’actualité.

Antoine Nouis

ALSACE-MOSELLE. Dans leur décision publiée le 21 février, les sages du Conseil constitution

La laïcité à l’alsacienn

De gauche à droite, le Grand Rabbin René Gutman, l’archevêque de Strasbourg, Mgr Grallet,

Jean-François Collange, et son vice-président réformé, Christian Krieger

« J’ai eu le sentiment

que le ciel nous tombait

sur la tête le 19 décembre »

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3ÉvénementRÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

SUISSE. Dans le canton de Vaud, les

Églises se partagent une enveloppe globale.

Le précédent vaudois

Dans les années 2000, le canton de Vaud a connu une évolution radicale dans les rela-tions entre les Églises et l’État. À l’occasion

d’un changement de Constitution cantonale, l’Église réformée a quitté son statut d’Église d’État pour devenir une institution de droit public qui est reconnue au même titre que l’Église catholique. L’Église nationale vaudoise est alors devenue l’Eerv (Église évangélique réformée du canton de Vaud). Le canton donne une enveloppe tous les ans qui est partagée entre les catholiques, les réformés et la communauté israélite de Lausanne. Cette enveloppe est fixe (actuellement 60 millions de francs suisses) et le partage sont revus tous les quatre ans. En 2010, la répartition entre catholi-ques et réformés a été modifiée au profit de la première qui est plus jeune et en croissance. La répartition actuelle est de 35,5 millions de francs pour l’Église réformée, 23,6 millions pour l’Église catholique et 132 000 francs pour la communauté israélite. À cette subvention cantonale s’ajoute la participation des communes qui prennent à leur charge l’entretien des églises, le chauffage et l’électricité, ainsi que le salaire des organistes et concierges.

Les réformés sont en diminution, leurs membres sont âgés alors que l’Église catholique est en crois-sance du fait de l’arrivée de nombreux immigrés. Ces deux mouvements font que le rééquilibrage entre les deux Églises risque de se poursuivre dans l’avenir. En outre, d’autres Églises, évangéliques, frappent à la porte de ce financement comme elles en ont le droit. Comme l’enveloppe globale n’est pas appelée à évoluer, l’Église réformée se prépare à une diminution de postes dans les années à venir.

Une évolution positive

La perte de son statut d’institution nationale a conduit l’Église à s’interroger sur son organisation. Le changement de statut des pasteurs, qui ne sont plus des employés cantonaux mais de l’Église, a entraîné une plus grande synodalité. L’Église tout entière s’est mobilisée pour revisiter son fonc-tionnement et se poser les questions classiques, mais nouvelles pour elle, de gestion des ressources humaines. Elle est entrée dans une grande phase de réorganisation qui s’est soldée par la diminu-tion du nombre des paroisses. Le canton de Vaud qui comptait 158 paroisses réformées en 1999 n’en avait plus que 84 en 2004.

Cette évolution s’est heurtée à l’opposition de certains membres de l’Église qui sont restés très attachés à leurs bâtiments mais a été ressentie de façon positive par beaucoup de pasteurs qui ont été appelés à travailler selon des pôles de compétence. Elle s’est traduite par le développe-ment de ministères spécialisés, ce qui a suscité une plus grande collaboration entre les Églises locales. Pour garantir cette collégialité, les régions (l’équivalent des consistoires dans l’Église unie ou des inspection ecclésiastiques dans les Églises d’Alsace) ont un droit de regard dans la nomina-tion des pasteurs.

Ce processus a été douloureux pour l’Église mais plusieurs personnes interrogées considèrent qu’il a été positif car la rareté l’a obligée à revisiter son organisation et sa mission.

ANTOINE NOUIS

que la laïcité française n’est pas idéologi-que mais pragmatique de fait. »

Un statut obsolète

Au-delà de la question de l’intégra-tion d’autres confessions, les représen-tants des trois cultes reconnus n’ont pas évoqué les réformes qui pourraient être entreprises. Pourtant le chantier appa-raît considérable, ainsi qu’en témoigne Jean-Louis Hoffet, pasteur en retraite, ex-conseiller chargé des cultes auprès de l’ancien président de Région Adrien

Zeller : « L’obsolescence de ce statut est invraisemblable », avance-t-il. Et de pointer la nomination des curés, pasteurs et rabbins par le ministre de l’Intérieur sur proposition de leur hiérarchie, ainsi que la nomination « à vie » du président des luthériens d’Al-sace-Moselle (EPCAAL).

Outre l’inexistence de cotisations retraite, l’impossibilité de travailler en temps partiel, il déplore « la terri-torialisation des pasteurs si bien que les ministres spécialisés (aumônerie, caté-chèse, communication...) sont nommés fictivement dans des paroisses ».

Et l’ancien conseiller régional PS de proposer de profiter de la nouvelle étape de décentralisation pour régionaliser le statut des cultes : « Il serait intéressant que les ministres conservent leur statut d’agent de l’État, mais que les Églises soient financées par une dotation du conseil régional alimentée par l’État à l’image de ce qui se pratique dans le canton de Vaud et ailleurs », poursuit Jean-Louis Hoffet.

Dans la marche vers une évolution du droit local, l’impulsion pourrait venir de l’Association des pasteurs d’Alsace-Lor-raine présidée par Gérard Janus. Dans un communiqué, elle a indiqué que « la reconnaissance de notre statut pourra offrir l’occasion de moderniser les textes réglementaires en vigueur ».

PHILIPPE BOHLINGER

CORRESPONDANCE D’ALSACE-LORRAINE

nel ont estimé que le droit local des cultes en vigueur était conforme à la Constitution.

e bénie par les sagesÀ NOTER

Le Conseil constitutionnela enregistré le 19 décembre

une question prioritaire de

constitutionnalité (QPC) déposée par

l’association de défense de la laïcité

« Appel ». Celle-ci visait l’article VII

des articles organiques de 1802

qui permet la rémunération des 289

pasteurs d’Alsace-Moselle par l’État.

Le 21 février dernier, les « sages »

ont rendu leur décision : l’article VII

est conforme à la Constitution.

Pour ce faire, ils se sont appuyés

sur les travaux préparatoires à la

rédaction des Constitutions de 1946

et 1958. En effet, ces travaux n’ont

jamais évoqué la possibilité de rayer

les droits des cultes préexistant en

Alsace-Moselle, mais aussi à Mayotte.

« L’interdit laïque ostracise les religions »

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le président luthérien de l’UEPAL,

Les réflexions du pasteur Jean-Pierre Rive, président de la commission Église et société de la FPF, sur les enjeux actuels de la laïcité.

« Une guerre d’usure rampante, relayée par les médias et quelques-uns de nos intellectuels dominants, est menée par certains politiciens pour écarter les religions de l’espace public. Au nom d’une loi qui sépara à juste titre les institutions reli-gieuses du pouvoir politique, il est induit sous le terme laïcité que celles-ci sont assignées en résidence surveillée. De plus, selon Jean Glavany ou Jean-François Copé, les religions seraient de l’ordre de la conviction intime et ne devraient pas afficher leurs émois face aux dérives graves de notre société. Je n’évo-que pas ici le récent débat sur le “mariage pour tous” mais les fléaux sociaux que sont notre incapacité à accueillir l’étranger, à inventer une fiscalité juste, à interdire les revenus honteux, à démocratiser les mandats politiques, à renoncer à un niveau de vie qui se bâtit sur la domination de peuples qui ne seraient pas entrés dans l’Histoire. Si je comprends ceux qui sincère-ment redoutent une nouvelle mainmise d’un obscurantisme religieux sur nos libertés, je crains les hypocrites qui ont peur que des religieux pacifiques et épris de justice viennent soutenir ceux qui luttent pour l’égalité et la fraternité. Des hypocrites qui refusent ainsi de reconsidérer quelques dogmes sacrés qui sont les socles de notre société mortifère. Je veux parler ici de ces “incontournables” que sont la mondialisation d’une

économie organisée pour maximiser des profits détournés par des minorités complices, les égarements de la recherche et de la technique au service d’une finance obscure, l’injonction faite par les puissants pour que productivité et performance soient les valeurs dont nous devons demeurer esclaves.

» C’est ainsi que, paradoxalement au nom d’une laïcité qui écarte du débat public ceux qui se questionnent sur l’origine et la fin, en un mot le sens de la vie, des idoles insatiables de sacrifices occupent le terrain (l’argent en premier lieu) et condamnent les uns à un présentéisme irresponsable et diver-tissant et les autres à une lutte désespérée et désespérante pour survivre. Parce que la crise ne fait que commencer, une méditation profonde, enracinée dans une quête commune, illustrée par tous ceux qui au cours de l’Histoire ont pensé, parlé, agi pour que la communauté humaine se construise dans la paix et la justice, est indispensable. C’est pourquoi cet interdit laïque qui ostracise les religions pour n’y voir qu’un facteur de division est dangereux.

» Or celles-ci ont aussi contribué à nombre de libérations de l’oppression et de résistances aux injustices. Dans le respect de la séparation de 1905, il est urgent de mettre en place un dialogue permanent et institué avec toutes les religions et tous ceux qui, sans domination ou exclusive, contribuent à la construction et à la réalisation d’un projet en vue d’une société, plus juste, plus fraternelle, plus économe, plurielle et apaisée. » JEAN-PIERRE RIVE

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4 Société RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

La conférence de consensus organisée par la garde des Sceaux Christiane Taubira sur la lutte contre la récidive tourne

définitivement la page des politiques « tout sécuritaire » qui l’ont précédée. Le jury, qui a rendu ses conclusions le 20 février, préconise en effet de créer une nouvelle peine qui ne serait pas effectuée en prison. Dite « peine de probation », elle pourrait regrouper des travaux d’intérêt général, des stages de citoyenneté ou encore des démarches restauratives auprès des victimes. Le jury recommande aussi de rendre les libérations conditionnelles « d’office » pour que les détenus ne sortent plus de prison sans accompagnement. Ces sorties dites « sèches » correspondent à 60 % des cas et présentent 1,6 fois

plus de risque de récidive. Enfin, il demande la suppression pure et simple des peines planchers et de la rétention de sûreté. Des conclusions dont Chris-tiane Taubira devra faire son miel pour présenter un projet de loi à l’été.

La majorité des acteurs du milieu

carcéral et judiciaire saluent de telles recommandations faites en dehors de toute émotion suscitée par un fait divers sordide. « Depuis plus de vingt ans, et cela inclut les périodes socialistes, com-mente Brice Deymié, aumônier national protestant aux prisons, on vivait dans un certain populisme pénal. Cette fois, on part d’une analyse à froid, c’est très positif. » Il salue une conférence de consensus qui a voulu « désidéologiser » le débat, en n’ayant pas peur du « tabou de la dépénalisation » de certains infrac-tions pour désengorger les tribunaux (consommation de drogue et délin-quance routière par exemple). Pour lui, « les mesures antirécidive de Sarkozy ont montré leur inefficacité ». Il salue surtout une mesure passée inaperçue : la césure du procès pénal, qui dissocie dans le

temps la reconnaissance de la culpabilité et le pro-noncé de la peine. « Cela va dans le sens de la justice restaurative. »À l’ARAPEJ (Association réflexion action prison et justice), on se félicite que

les alternatives à l’emprisonnement soient valorisées. Selon Maud Léna, sa chargée de communication, « plus on limite l’incarcération, plus on diminue son effet désocialisant : perte d’emploi et perte de logement, notamment ». Or, ce sont en partie ces difficultés économi-

ques à la sortie de la prison qui amènent à la récidive. C’est pourquoi l’ARAPEJ propose un suivi à 38 000 personnes pla-cées sous main de justice tous les ans : hébergement, chantiers d’insertion, suivi RSA, stages de prévention, etc. Pour Maud Léna, « la prison telle qu’elle existe aujourd’hui ne lutte pas contre la récidive, elle peut même dans certains cas la favoriser ».

« Chiffons rouges »

Du côté des associations de victimes, on salue aussi certaines propositions, même si d’autres font l’objet d’une hési-tation. Pour Alain Boulay, responsable de l’association des parents d’enfants victimes (APEV), « plus un sortant de prison sera inséré et accueilli dans la société, moins il récidivera. Il ne faut pas le stigmatiser ni qu’il fasse l’objet d’un rejet de la société ».

C’est pourquoi, selon lui, « si on rem-plaçait les remises de peine automati-ques par des libérations conditionnelles pendant lesquelles l’ex-détenu fait l’objet d’un suivi pour l’aider à se réinsérer, ce serait mieux ». Par contre, il hésite sur les libérations conditionnelles qui devien-draient automatiques, car il plaide pour une individualisation de tout le parcours du détenu, du prononcé de la peine à son aménagement.

Il comprend également la suppression de la rétention de sûreté (qui maintient enfermé un détenu jugé dangereux après la fin de sa peine), mais il souhaiterait qu’elle soit remplacée par autre chose et non par rien. Maud Léna répond à cette crainte : « Pour ces très rares cas, il faut s’en tenir au dispositif actuel : la perpétuité réelle. »

Pierre-Victor Tournier, quant à lui, démographe, spécialiste de popula-

tion carcérale, directeur de recherche au CNRS, salue quelques avancées tout en critiquant certaines affirmations du jury de la conférence de consensus. « Il agite certains chiffons rouges d’inspira-tion libertaire qui ne sont ni très réalistes ni très consensuels : la dépénalisation, la libération conditionnelle d’office, la non-construction de nouvelles prisons. »

Autant de mesures qui seraient impo-pulaires, surtout en période de crise éco-nomique profonde. Il s’étonne d’autant plus que ces termes soient employés dans le rapport du jury, car les pro-positions sont en fait plus réalistes et politiquement applicables : « Il ne s’agit pas de dépénalisation mais de requali-fication en contravention. La libération conditionnelle ne sera pas d’office mais mixte (car elle restera discrétionnaire pour la réclusion criminelle). » Pierre-Victor Tournier estime néanmoins qu’il y a dans ce rapport « de très bonnes choses », comme la nouvelle peine de probation, qui devrait plutôt s’appeler « contrainte pénale communautaire » (car effectuée au sein de la communauté et non en prison). Il y consacre d’ailleurs une longe analyse dans son livre à peine sorti La Prison : une nécessité pour la République.

Que restera-t-il, politiquement, de toutes ces propositions, dans le projet de loi de Christiane Taubira ? Brice Dey-mié espère que la montagne ne va pas accoucher d’une souris, et rappelle que l’« année prochaine est de nouveau une année électorale… ». Pour Pierre-Victor Tournier, il faut œuvrer à un consensus entre les réformistes de gauche, du cen-tre et de droite -comme Étienne Pinte ou Christine Boutin, qu’il estime réformiste sur les questions carcérales. À suivre.

MARIE LEFEBVRE-BILLIEZ

JUSTICE. La conférence de consensus sur la lutte

contre la récidive revient sur les mesures du « tout

sécuritaire » sarkoziste. Qu’en fera Christiane Taubira ?

Des peines hors de prison

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La majorité des acteurs du milieu sont en partie ces difficultés économi

Pierre-Victor Tournier, directeur de recher-che au CNRS, a classifié les recommandationsde la conférence de consensus en trois caté-gories. Extraits : 1. Le jury recommande d’abolir :

– les peines planchers (loi du 10 août 2007) ;

– la limitation pour les récidivistes de l’accès

aux aménagements de peine ;

– les périodes de sûreté automatiques ;

– les interdictions professionnelles automa-

tiques ;

– la rétention de sûreté (loi du 25 février 2008)

et la surveillance de sûreté.

2. Il recommande de réformer :– réduction du nombre d’incriminations pas-

sibles de l’emprisonnement ;

– écartant tout accroissement du parc péni-

tentiaire, le jury recommande un évolution qua-

litative de celui-ci ;

– adoption d’un système de libération condi-

tionnelle (LC) « d’office » pour les peines d’em-

prisonnement, la LC pouvant rester « discré-

tionnaire » pour les peines de réclusion crimi-

nelle.

3. Il recommande de créer :– la « contraire pénale appliquée dans la

communauté » (CPC) que le jury continue d’ap-

peler « peine de probation » ;

– le droit d’expression collective des person-

nes détenues ;

– une structure, au sein du ministère de la

Justice, regroupant les fonctions de la recher-

che, de la statistique et de l’expérimentation.

PIERRE-VICTOR TOURNIER

¿À lire :

La Prison : une nécessité pour la République,Pierre-Victor Tournier, Buchet-Chastel, 2013.

Ce que la conférence de consensus propose

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5ReligionsRÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

BENOÎT XVI. Alors que le pape renonce officiellement à ses fonctions le 28 février,

bilan de huit ans de dialogue œcuménique, avec quelques avancées.

Un pape œcuménique malgré tout

L’élection de Benoît XVI, le 19 avril 2005, avait suscité des craintes dans certains milieux, notamment protestants, qui

voyaient en lui avant tout l’ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Celui qui était encore le cardinal Rat-zinger avait été l’un des auteurs, en 2000, de la déclaration Dominus Jesus. Celle-ci avait été mal reçue dans de nombreu-ses Églises parce qu’elle affirmait que l’Église catholique était la seule voie d’accession au salut pour l’humanité ; cette affirmation avait été comprise comme une régression par rapport aux textes du concile Vatican II, qui avaient ouvert la voie à une reconnaissance de l’action de Dieu par le biais d’autres Églises et d’autres confessions.

L’action du nouveau pape en matière d’œcuménisme était donc très attendue par ses partenaires de dialogue. Huit ans plus tard, des avancées significati-ves ont été faites, mais pas sur tous les fronts. C’est sans aucun doute dans le dialogue catholique-orthodoxe que les acquis ont été les plus importants. Un an après son élection, le 1er mars 2006, Benoît XVI a pris la décision de renon-cer à son titre de « patriarche d’Occi-dent », un titre qui l’opposait d’emblée aux patriarches d’Orient orthodoxes. Il a également facilité le dialogue avec le patriarche de Moscou Alexis II, dont les relations avec son prédécesseur Jean-Paul II étaient très tendues.

De plus, le document de Ravenne du 13 octobre 2007 affirme une conception commune de l’Église et des ministères. Les partenaires s’accordent également sur la reconnaissance du primat de l’évê-que de Rome, mais notent cependant un

désaccord sur la manière d’interpréter ce primat. Côté anglicans, si Benoît XVI a continué à entretenir les relations amica-les initiées en 1966, le dialogue qui sem-blait près d’aboutir à une reconnaissance des ordinations anglicanes par l’Église catholique est au point mort depuis les premières ordinations féminines au sein de la Communion anglicane.

Rencontre avec l’EKD

Quant au dialogue catholique-pro-testant, il n’a abouti à la signature d’aucun accord au cours du pontifi-cat. Mais lors du voyage remarqué de Benoît XVI à Erfurt (Allemagne), ville natale du Réformateur Martin Luther, en septembre 2011, il avait rencontré les responsables de l’Église protestante

allemande (EKD) et avait rendu hom-mage à la figure de Luther et à sa quête inlassable de la miséricorde de Dieu. Il avait appelé dans ce discours à ne pas se concentrer sur ce qui sépare encore les différentes confessions chrétiennes au point d’oublier l’étendue de ce qu’el-les ont en commun. « Le grand progrès œcuménique des dernières décennies est pour moi que nous nous soyons rendu compte de cette communion », avait-il déclaré. Du côté protestant, on attendra probablement, de la part du successeur de Benoît XVI, un geste significatif pour l’année 2017, qui célébrera le 500e anni-versaire de l’affichage par Luther des 95 thèses à Wittenberg.

JULIE PAIK

PROTESTINFO-GENÈVE

TÉMOIGNAGE. Ulrich Schoen, pasteur

réformé, a été au lycée avec Ratzinger.

Il dresse un bilan sévère de son pontificat.

« Je suis déçu »

Nés à quelques mois d’écart, Joseph Ratzin-ger et moi-même avons la même origine, parlons le même dialecte et avons la même

formation classique en latin-grec. Nous avons été à l’école ensemble, un lycée laïc de Munich. Ratzinger venait d’un établissement catholique de province, que les nazis ont fermé. Quand il est arrivé, nous avons tout de suite compris qu’il était surdoué. La première leçon était un cours de grec. Nous devions traduire un texte du grec vers l’alle-mand. Mais Ratzinger le traduisait directement en latin ! C’était clair et net, il était surdoué. Mais il était aussi timide, un peu courbé et, trouvions-nous, pas sportif du tout.

En 1943, les nazis ont intégré les lycéens comme auxiliaires dans la défense antiaérienne des villes. Ratzinger et moi nous sommes retrouvés dans le même camp d’entraînement militaire. Puis, j’ai été envoyé par l’armée en France et en Italie, et nous nous sommes perdus de vue.

Je l’ai recontacté en 1970 quand je faisais ma thèse de théologie et qu’il était professeur à Ratisbonne. Par la suite, je suis devenu pasteur de l’Église réformée de France près de Valence, puis près de Nîmes.

En 1982, j’étais dans Beyrouth assiégée. J’ai contacté Ratzinger, qui venait d’être fait cardinal, dans l’espoir que le pape vienne à Beyrouth, ce qui aurait garanti que la ville ne soit pas attaquée par les Israéliens. Ratzinger m’a appelé pour me dire que, malheureusement, ce n’était pas possible. La dernière fois que je l’ai vu, c’était lors d’une visite privée en 2000.

« Eurocentrique »

En 2005, quand il est devenu pape, j’étais opti-miste. Je croyais qu’il pourrait changer de registre : jusque-là, son travail consistait à défendre la foi, mais là, en tant que pape, il devait réunir les brebis et travailler à l’unité de l’humanité. Je dois dire que je suis allé de déception en déception.

J’ai surtout été choqué par son cours donné à Ratisbonne en 2006 qui, à juste titre, a provoqué la colère des musulmans. Il a aussi dit des choses inadmissibles sur les Églises orientales, comme si le christianisme, né en Asie, était devenu res-pectable et normatif une fois arrivé en Europe. Ratzinger est très eurocentrique. C’est un grand connaisseur et spécialiste de la tradition chré-tienne occidentale, mais sa connaissance du reste n’est pas très profonde. Dans son livre sur Jésus, par exemple, il présente le judaïsme comme une religion ethnique, alors qu’elle est devenue uni-verselle lors de l’exil à Babylone.

J’ai aussi été déçu par le fait que, pour lui, le pro-testantisme n’est pas une véritable Église. Dans un sens, je comprends qu’il soit conservateur, car la religion doit conserver une révélation qui a eu lieu dans le passé. Son grand tournant, selon moi, date de Mai 68. Lors de la révolte des étudiants, c’est comme s’il avait « vu le diable » : une raison humaine qui s’émancipe de la raison divine, du Logos. C’est là qu’il a basculé d’une pensée assez libérale à une théologie conservatrice.

Qu’il démissionne est une bonne chose. C’est un pas vers la réforme de la papauté, car, désormais, un pape n’aura plus peur de prendre sa retraite.

PROPOS RECUEILLIS PAR M.L.-B.

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que de Rome, mais notent cependant un les responsables de l Église protestante PROTESTINFO GENÈVE

Jane Stranz, responsable des relations œcuméni-ques de la FPF, dresse un bilan positif du pontificat deBenoît XVI : « Au niveau de l’Église anglicane, Benoît XVI

et Rowan Williams se comprenaient très bien et avaient

une appréciation commune du monachisme. La visite du

pape en Angleterre a été un franc succès. L’archevêque de

Cantorbéry était invité au synode des évêques catholiques

sur la nouvelle évangélisation, ainsi que Geoff Tunnicliffe,

secrétaire général de l’Alliance évangélique mondiale.

Benoît XVI a donc fait preuve d’ouverture envers le pro-

testantisme évangélique. Avec ce synode pour la nouvelle

évangélisation, il a voulu écouter la voix d’Églises différen-

tes. Il a montré que l’on peut être traditionnel et ouvert.

Son honnêteté intellectuelle lui a fait voir des chrétiens

fervents, croyants et actifs pour Christ ailleurs que dans

sa propre Église.

» Il a honoré le témoignage de Luther lors de son dépla-

cement en Allemagne. Certes, les protestants peuvent re-

gretter qu’il n’y ait pas eu de table ouverte à l’eucharistie,

mais il est trop facile de montrer l’autre du doigt plutôt que

de regarder ses propres manques en matière d’œcuménis-

me. Ce n’est pas aux protestants de faire la leçon à l’Église

catholique. D’autant que, prochainement, le comité mixte

international luthéro-catholique publiera un document in-

titulé Du conflit à la communion, en préparation des festivités

de 2017 pour Luther. » PROPOS RECEUILLIS PAR M. L.-B.

« Benoît XVI a montré que l’on peut être traditionnel et ouvert »

C’est surtout des orthodoxes que Benoît XVI a voulu se rapprocher...

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6 Spécial Paul Ricœur RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

Tout le monde connaît le nom de Paul Ricœur mais beaucoup de ceux qui ont essayé de lire ses livres ont aban-donné devant la difficulté. Pouvez-vous nous dire en quoi il est important ?D’abord, c’est un magnifique philoso-phe de « métier ». Il savait déconstruire et reconstruire les concepts de manière magistrale, vivante et originale. Ce métier, il l’a exercé au sein de la philo-sophie, mais il n’a cessé aussi de l’enga-ger dans la cité et de le tourner vers d’autres domaines et vers les grandes questions politiques de son temps. Il a rencontré le nazisme, la guerre, la guerre froide, la guerre d’Algérie, la cinquième République, Mai 68. Il a pensé l’institu-tion et le rapport au politique, mais en philosophe. Il a aussi rencontré la litté-rature en philosophe. Quand il étudie Proust, Thomas Mann ou Virginia Woolf, il le fait en les mettant en conversation avec Aristote, Kant ou Husserl. De la même façon, il rencontre le biblique et la foi en philosophe. Quand il fait une étude de la Bible, il ne fait pas de l’exé-gèse mais il aborde le texte avec son outillage philosophique.

Un des points forts de Ricœur est la façon dont il articule le dire et le faire. Pouvez-vous parler de ses principaux engagements ?Pupille de la nation – il a perdu son père pendant la Grande Guerre alors qu’il n’a pas deux ans –, il a été pacifiste dans sa jeunesse. Il va mettre du temps à com-prendre que ce qui se passe en Allema-gne et en Espagne interroge son pacifisme. Ce sont les réseaux barthiens et André Philip qui lui ont montré qu’il est des moments où il faut savoir sortir

du pacifisme pour défendre l’État contre la folie nazie.

Après la guerre, il est président de la Fédération protestante de l’enseignement pendant 15 ans, à une époque où il y avait beaucoup de débats autour de la laïcité. Il est aussi président du mouvement du Christianisme social de 1958 à 1969. Il est engagé dans la revue Esprit qui est aussi un mouvement. Durant toute son existence, il n’a cessé de militer. À la fin de sa vie, il s’est engagé auprès des sans-papiers, de l’ACAT, de l’Institut des hautes études de la justice. Et puis il a toujours été attaché à notre Église, c’est un parois-sien très fidèle de son Église locale.

Pouvez-vous dire quelques mots de son protestantisme ?De naissance, c’est un protestant fran-çais. Il a dit vouloir faire de ce hasard un destin par un choix continu. En même temps qu’il n’a cessé d’assumer son ori-gine, il a aussi porté un regard d’intelli-gence critique sur sa tradition. Il critique l’individualisme protestant, ou une compréhension trop morale du péché, au détriment de sa dimension collective, politique. Il est à la fois fidèle et critique.

Il a aussi travaillé le dialogue entre les religions. Il y a deux dimensions. D’abord un tra-vail de confrontation qui commence par

un enracinement dans sa propre tradi-tion : il faut avoir un soi pour rencontrer un autre que soi. La deuxième voie et celle de la « consonnance ». S’il y a quel-que chose de vivant dans la tradition de l’autre, même si je ne le comprends pas, je me dois de l’accueillir et de le saluer. Il compare le paradigme de la rencontre entre les traditions à celui de la traduc-tion. Il y a des choses qu’on peut traduire dans sa propre tradition et d’autres qu’on ne peut traduire.

Il a dialogué avec Jean-Paul II. Il a toujours conservé une réserve à l’égard d’une forme d’Église qui n’était pas la sienne. Pour le judaïsme, il a été pro-che de Levinas qu’il a fait venir à Nan-

terre, mais c’est surtout sa rencontre avec André Neher à Strasbourg qui a été mar-quante. Dans son rapport au texte biblique, il y a un très grand respect de la lecture juive. Lorsqu’il lit l’Ancien Testament, il ne cherche pas

à le ramener à la christologie. L’islam est la religion qu’il a le moins connue. Dans un beau texte des années soixante, il salue le réveil de l’islam car, pour lui, une tradition a besoin de toujours se renouveler et se réinventer.

On a le sentiment que dans les années 70 il est moins important que dans les années 80. Comment peut-on expli-quer cela ?Ricœur a été très connu dans les années 50 et 60, mais il a peut-être été impru-dent avec sa foi chrétienne. Il a milité à Esprit et a enseigné à la faculté de théo-logie protestante. Même si pour lui les choses étaient parfaitement distinctes, il s’est fait critiquer. Il a aussi été traîné

dans la boue par Lacan parce qu’il avait écrit un livre sur Freud sans citer celui qui se pensait l’héritier de Freud en France. Lacan, qui avait le bras très long, a été très impitoyable pour le détruire. D’autres lui ont emboîté le pas sans trop réfléchir et l’ont enterré. C’est l’image de Cohn-Bendit entrant dans l’amphi-théâtre de Nanterre où Ricœur fait son cours en mars 68 et qui dit : « Ricœur, c’est fini. » Après 68, il a été doyen de Nanterre et ça lui a explosé au visage lorsqu’il a pris une poubelle sur la tête. L’image de ce doyen qui est publique-ment humilié par ses étudiants est un extraordinaire symbole. Après, rien n’a été comme avant et il a connu une grosse traversée du désert. Il a accepté d’ensei-gner à Louvain et de renforcer son ensei-gnement à Chicago où il a succédé à Paul Tillich. Ensuite, dans les années 80, il a publié la Métaphore vive, Temps et récit, Soi-même comme un autre, et tout le monde a redécouvert Ricœur avec sa stature internationale.

Pouvez-vous dire en quelques mots ses travaux sur l’herméneutique ?L’herméneutique est l’art de l’interpré-tation. Elle devient une école philoso-phique avec Heidegger qui dit que toute l’existence n’est qu’interprétation. Nous devons interpréter le fait que nous som-mes nés, mais aussi nés quelque part dans une tradition donnée. Nous surve-nons, dit-il, au beau milieu d’une conver-sation qui a déjà commencé. C’est parfois même une dispute, et on est alors dans

La passion de l’autrePENSER LE MONDE. Paul Ricœur aurait eu cent ans ce 27 février 2013. Initier

à l’étendue et la complexité de sa pensée, tel est l’objet de cet entretien avec

le philosophe Olivier Abel, qui fut son élève et son ami.

« Ce protestant français

a toujours voulu faire

de ce hasard un destin

par un choix continu »

Centenaire de la naissance de Paul Ricœur ¿L’héritage qu’il nous a légué avec Olivier Abel ¿Sa vision du politique, de l’éthique, de la mémoire, de la lecture biblique ¿Sa réception chez les juifs et les psysDOSSIER CONÇU PAR FRÉDÉRICK CASADESUS, NATHALIE LEENHARDT, ANTOINE NOUIS

Page 33: Hebdomadaire Paris - Fonds Ricoeur · 2014-04-14 · 11 RUE BERANGER 75154 PARIS - 01 42 76 17 89 14 MARS 13 Hebdomadaire Paris Surface approx. (cm²) : 1538 N° de page : 2-3 Page

7Spécial Paul RicœurRÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

ce que Ricœur appelle le conflit des interprétations. Son herméneutique ouvre aussi sur une dimension poétique dans la mesure où le sens d’un texte n’est pas caché derrière lui, mais devant, dans le monde que le texte ouvre. Le texte nous fait alors agir et nous ouvre à une responsabilité éthique, c’est pourquoi il a intitulé un de ses livres Du texte à l’ac-tion, ce qui est très calviniste.

C’est aussi un auteur qui a beaucoup écrit sur le mal, la culpabilité et la mort. Ricœur a rencontré très tôt le deuil, l’in-justice. Il a perdu ses parents alors qu’il était un jeune enfant, puis il a perdu sa sœur de la tuberculose à l’âge de dix-neuf ans. Après, il a rencontré le mal pendant la guerre. Il a été prisonnier pendant cinq ans en Poméranie et il a beaucoup souf-fert.Quand il est libéré, il découvre qu’il y a eu des camps d’extermination et que sa souffrance n’était rien ! Et puis, il a vécu la guerre d’Algérie et la question de la torture. À la fin de sa vie, il a subi le sui-cide de son fils, l’épreuve de la vieillesse, la mort de sa femme…

La dialectique du deuil et de la gaieté parcourt son œuvre. Il a un sens très aigu de la multiplicité des formes du mal. Le mal humain est raconté à travers les mythes et les symboliques. On ne peut que le déchiffrer dans des narrations comme la tragédie grecque ou le livre de Job. Le mal est mis en scène mais on ne peut le ramener à des concepts philosophiques.

Que dit-il de la mort ?Après son décès, on a publié un petit livre appelé Vivant jusqu’à la mort. Dans les fragments de ce texte, il insiste beau-coup sur le fait qu’on ne peut pas ima-giner la mort car elle est impensable, comme une limite. Si on ne peut penser la mort, on peut s’en remettre à Dieu, dans la confiance, et concentrer son souci sur les autres, ceux qui survivent.En revanche, Ricœur a beaucoup pensé la naissance. Comme la mort, elle a un aspect inaccessible mais elle nous fonde : je ne suis pas né n’importe com-ment – je ne suis pas né lichen ou che-val – et de ma naissance découlent des conditions qui sont structurantes pour ce que je suis.

Humainement, quel genre d’homme était-il ?Il était très enjoué, et distrait. On pour-rait écrire un grand livre si on demandait à tous ceux qui l’ont connu de rapporter quelques-uns des bons mots qu’il a pu prononcer. Il avait un côté chouette avec ses grands yeux qui lui donnaient un air un peu décalé. Il était toujours disponi-ble pour ses étudiants. Chaque fois que quelqu’un lui demandait une préface pour un livre, il le lisait de fond en com-ble, le déconstruisait et le reconstruisait mieux que l’auteur lui-même. Il était d’une grande générosité de temps et d’attention.

PROPOS RECUEILLIS PAR

ANTOINE NOUIS

Le philosophe Paul Ricœur a tra-versé bien des drames et cepen-dant son existence paraît avoir été

tout entière tournée vers l’espérance et la vie. Le 27 février 1913, il voit le jour à Valence. Il perd sa mère quelques jours après. Deux ans plus tard, son père, engagé sous les drapeaux, disparaît. En compagnie de sa sœur aînée, l’enfant part pour la Bretagne chez sa tante.

Assez vite, il se révèle un excellent élève à l’esprit blagueur – un trait de caractère qui demeurera sa marque. Il se réfugie dans la lecture et la foi, cultive son ancrage protestant, se destine très tôt à l’étude de la philosophie. Profes-seur agrégé en 1935, il se marie avec Simone Lejas, une amie d’enfance qui lui donnera cinq enfants. Proche des chrétiens de gauche, il milite en faveur du pacifisme, une attitude contre laquelle André Philip le met en garde et qui deviendra un remords quand il prendra conscience de la menace hitlérienne.

Mobilisé en1939, il est fait prisonnier puis envoyé dans un camp de Poméra-nie orientale où il partage son temps en compagnie d’autres intellectuels. Captif, il s’intéresse à Karl Jaspers et traduit Hus-serl, philosophe allemand prohibé par les nazis. À la Libération, Paul Ricœur retrouve sa famille et devient professeur au Collège Cévenol. Une époque dont les élèves se souviennent avec bonheur, mais teintée de difficultés : privé de modèle paternel à partir duquel construire sa propre façon d’être, Paul Ricœur peine à parler directement avec ses enfants. Son fils aîné, Jean-Paul, a témoigné que l’humour constituait, pour lui comme pour ses frères et sœurs, l’un des moyens les plus efficaces pour entrer en lien avec cet homme joyeux mais pudique.

Alors que Jean-Paul Sartre impose à Paris la vogue d’un existentialisme pes-simiste, Paul Ricœur encourage à pren-dre conscience de ce que ses biographes appellent un éblouissement d’être là, le sentiment du monde comme splen-deur. En 1948, le philosophe est nommé professeur à l’université de Strasbourg. Jusqu’en 1957, il y enseigne, approfon-dissant chaque année l’étude d’un grand auteur classique, écrivant son premier grand livre, Le volontaire et l’involon-taire. Mais il intervient aussi dans les débats politiques en prenant fait et cause pour la décolonisation, contre le totalitarisme marxiste tout en mar-quant sa fidélité à la gauche socialiste. Élu à la Sorbonne en 1957, Paul Ricœur suscite un tel engouement qu’il se sent paradoxalement éloigné des étudiants par l’afflux des jeunes gens qui viennent

l’écouter. Le 9 juin 1961, il est mis en garde à vue vingt-quatre heures dans un contexte politique particulièrement dif-ficile. Menacé par l’OAS, il a été défendu par les étudiants.

Malgré sa popularité, Paul Ricœur fait l’objet d’une double opposition : celle des élèves d’Althusser qui lui repro-chent de ne pas être marxiste, et celle de Jacques Lacan qui ne lui pardonne pas de s’intéresser à Freud sans lui faire allégeance. Il espère trouver la sérénité dont il a besoin – et qu’il a éprouvée au Chambon et à Strasbourg – en diri-geant le département de philosophie de la nouvelle université de Nanterre. Attentif à l’immense énergie des jeunes générations, Paul Ricœur met en garde contre les pesanteurs qui règnent au sein des universités françaises et n’est donc pas surpris par le mouvement de contestation qui surgit le 22 mars 1968, à Nanterre, précisément.

Départ pour Chicago

Quelques mois après les « événements », Ricœur accepte de devenir doyen de la faculté. Mais la contestation se poursuit, d’autant plus virulente qu’elle ne peut plus s’exprimer sur le terrain politique. Essayant de maintenir la juste distance entre les deux forces en présence (les manifestations étudiantes et la répres-sion policière), Paul Ricœur est agressé. Il démissionne de sa responsabilité de doyen et choisit de renforcer son ensei-gnement à Chicago et à Louvain tout en conservant des responsabilités dans des structures universitaires européennes.

À la fin des années 80, toute une jeune génération intellectuelle découvre la pensée de Ricœur, sans doute encoura-gés par la remise en cause des dogmes portés par les décennies précédentes : dans le domaine intellectuel avec l’affai-blissement du structuralisme et dans le domaine politique avec l’effondrement du système soviétique. À cent lieues d’un maître dictant sa loi, Paul Ricœur incarne le philosophe usant de son savoir et non de son pouvoir pour répondre aux inter-pellations du monde. Impliqué dans les débats publics de l’époque, il cultive la complexité plus que l’invective.

Alors qu’il accède à une forme de consé-cration, il perd son épouse en 1997 – un deuil qui fait écho à la mort tragique de l’un de leur fils, Olivier, en 1986. En dépit de ces épreuves, il poursuit son travail et publie ses derniers ouvrages considérés comme majeurs : La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli ; La Critique et la conviction ; Par-cours de la reconnaissance. Il meurt le 20 mai 2005.

FRÉDÉRICK CASADESUS

PARCOURS. Marquée par les deuils, la vie de Paul Ricœur exprime

un désir de lumière, une soif de débats, en même temps qu’une force

peu commune devant l’adversité.

Un chemin parsemé d’espérance

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Olivier Abel :

« Paul était

quelqu’un de

très facétieux »

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Le regard bienveillant que Ricœur porte sur l’humain, cet être en fragile devenir, ne peut que rencontrer la question du politi-

que. Pour lui, c’est comme citoyens que nous devenons humains : organisation raisonnable et sensée, la Cité est une pédagogie. Mais la grandeur de cette perspective expose le politique aux égarements de la puissance et de la démesure, à l’instar des totalitarismes du XXe siècle. Ricœur n’a donc de cesse d’alerter contre la « pathologie de l’espé-rance » qu’est la prétention de détenir un savoir sur les fins. Qu’un pouvoir se prévale d’un Système ne peut être que fermeture de la pensée et « fraude dans l’œuvre de la totalisation ». Aux « synthèses prématurées », Ricœur oppose l’ouverture au possible qu’est l’espérance elle-même.

Le « paradoxe politique »

Ricœur réplique au Système avec une ferme « systématicité » (ou cohérence de la pensée) par la figure du « para-doxe politique », qui consiste à penser ensemble deux thèses adverses égale-ment fondées. Les concilier relève ainsi de la pratique, non d’un savoir. For-mulée en 1957, cette figure articule les deux faces du politique : sa plus grande « irrationalité » adhère à sa plus grande « rationalité ».

Après l’invasion de Budapest par les chars soviétiques, elle dénonce l’excès d’État que représente le stalinisme et renvoie dos à dos le cynisme de la Real-politik et la dénonciation moralisante de la politique. Elle appelle le citoyen à la confiance autant qu’à la vigilance en l’instituant gardien de la démocratie, résolution pratique du paradoxe. Ricœur marque son adhésion à un libéralisme politique qui n’attend pas comme le marxisme l’avènement du bonheur via la fin de l’exploitation économique. Il réaffirme ainsi l’autonomie du politique.

Mais pour que cette dernière soit effec-tive, il nous revient de nous remémorer l’oublié qu’est le vouloir vivre ensemble, promesse si familière qu’elle passe d’or-dinaire inaperçue. Quant à l’État, arbitre exemplaire, il a pour tâche d’éviter les empiètements entre les sphères de l’éco-nomie, de la politique et de la culture.

Ricœur reformule le « paradoxe poli-tique » dans les années 1980. Il associe alors la dimension verticale du « pouvoir sur » qu’exerce l’État comme détenteur du monopole de la violence légitime (Max Weber) et la dimension horizon-tale du « pouvoir avec » qui préside à la coopération entre humains, à l’agir en commun (Hannah Arendt). La pers-

pective s’élargit ainsi au pouvoir qui émane de la société elle-même. Preuve a contrario : quand les gouvernés retirent leur confiance aux gouvernants, ceux-ci pallient par le recours à la force la défec-tion du consentement.

Mais s’il est possible de consentir et pas seulement d’obéir, c’est parce que le vivre ensemble s’enracine dans une éthique : le sens du souhaitable oriente celui du possible. Tout n’est pas politi-que et tout n’est pas éthique, mais les deux registres communiquent, tant que la visée éthique ne se borne pas à la sphère privée et que le politique ne se coupe pas du sens commun. Ricœur appelle « éthique démocratique » la tâche

qui consiste, pour les citoyens, à raviver sans cesse cette visée par la coopération. La discussion rend visible l’« oublié » à travers l’échange d’opinions.

Cette éthique de l’« endettement mutuel » ne se réduit pas à l’effectuation d’un devoir moral. En effet, chaque fois que nous comprenons d’un autre quel-que chose de neuf, nous lui obéissons en toute autonomie, reconnaissants de lui être en dette. La rumeur en parvient aux gouvernants, qu’elle informe ainsi des convictions qui feront voir leurs déci-sions comme légitimes ou non ; les gou-vernés obéiront pour autant qu’ils s’en estimeront grandis : plus humains.

À la vigilance face à l’État du premier paradoxe (celui de 1957), le second ajoute donc un sentiment de co-appartenance critique requis des citoyens pour entrete-nir l’éthique démocratique. En termes de traditions de pensée, ce schéma combine libéralisme politique et socialisme, afin que la liberté tendue vers la « vie bonne » et que l’égalité requise par la morale et l’État de droit s’articulent par une prati-que de la fraternité.

Vivre ensemble et fraternité

Le rapport à l’autre dans la fraternité combine altérité et identité. D’une plu-ralité, la proximité qu’elle crée ravive la promesse d’unité. C’est l’enjeu du para-doxe politique reformulé en « englo-bant/englobé » dans les années 1990. Il élargit encore la visée, l’étendant à l’action de chacun.

Ricœur constate une difficulté inédite pour le citoyen de discerner dans l’en-globé qu’est la politique, activité parmi d’autres, l’englobant qui les enveloppe toutes dans le politique, milieu de notre existence commune. L’État, aujourd’hui assujetti au marché, fait perdre de vue cet horizon, tandis que la société, réduite à l’échange marchand, ne se perçoit plus comme volonté de vivre ensemble.

L’économie malmène le politique mais la réplique est affaire de culture, de regard : il nous revient de discerner en imagination l’englobant dans l’en-globé, l’universel dans le singulier. Car l’étranger devient mon semblable si je me vois comme son étranger. Si nous y sommes réceptifs, nous nous prenons alors à espérer.

Car, voyant en l’autre le frère, nous dis-cernons de proche en proche le géné-ral dans le particulier, le public dans le privé, le global dans le local. Le cercle de la conversation qui s’instaure englobe la pluralité des cultures et des langues pour donner sens à l’unité de l’humain en pariant sur une pratique sans garan-tie théorique : la traduction.

PIERRE-OLIVIER MONTEIL

RICŒUR ET LE POLITIQUE. Pierre-Olivier Monteil, chercheur associé au Fonds Ricœur, explicite

la façon dont celui-ci envisageait les rapports entre l’État et ses citoyens, tenus à la vigilance.

Du souhaitable au possible

Spécial Paul Ricœur RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

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Dans les années 1960, diverses revendications ont émer-

gé de la société pour dénoncer l’État et la règle au nom de

la liberté et l’autonomie. La vague néolibérale a durci par la

suite ces utopies en un chacun pour soi. Ricœur tient pour

récurrents dans l’histoire ces raidissements, mais il voit en

l’amour un aiguillon qui ravive l’élan initial pour réformer

du dehors les institutions. Brisant l’anonymat de la règle,

l’amour regarde l’aimé(e) comme l’unique ; puis, allant au

bout de lui-même, il commande d’étendre ce regard à tous,

y compris aux ennemis. Ce regard oscille entre visées sin-

gularisante et universalisante au lieu de les exclure.

Pour nous, ce peut être une manière de reconstruire le

vivre ensemble et surmonter la crise. L’agapè, qui nous

rapproche, ravive la confiance dans l’échange, depuis la

relation immédiate jusqu’à l’engagement sociétal, l’éco-

nomie réelle et le débat démocratique. Pour consentir aux

détours de l’échange, il nous revient de retrouver le goût

singulier d’être ensemble. Patiemment, il ira au bout de

lui-même en s’universalisant dans nos codes. Oubliant ses

doutes et ses peurs, ce « nous » aura retrouvé le sens du

projet.

P.-O. M.

Retrouver le sens du projet

« L’économie

malmène le politique

mais la réplique est

affaire de regard »

L’invasion

de Budapest

par les chars

soviétiques en

1956 a bouleversé

Paul Ricœur

L’AUTEUR

Pierre-Olivier

Monteil

a réalisé une thèse

de philosophie

sur la pensée politique

de Paul Ricœur,

à paraître aux Presses

universitaires de

Rennes, sous le titre

« Ricœur politique »

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Le fragile est la marque de notre condition humaine. Nous le savons bien lorsque nous posons un regard lucide sur

notre humanité, elle est marquée par la vulnérabilité. Pour qualifier le fragile, Paul Ricœur le distingue du tragique qui évoque une situation où l’homme prend conscience d’un destin qui pèse sur sa vie et sur l’humanité. Face au tragique, on ne peut rien faire, nous n’avons qu’à subir. Le modèle est Œdipe qui fuit la ville de Corinthe pour échapper à l’augure qui affirmait qu’il deviendrait meurtrier de son père. Dans sa fuite, il rencontre un homme avec lequel il se querelle et qu’il tue. C’était son vrai père dont il ignorait l’existence. L’histoire est tragique : c’est en voulant fuir son destin qu’il l’accomplit. Ce dernier est inexorable et tous les efforts de l’humain pour améliorer la situation ne font que l’aggraver.

À la différence du tragique, le fragile assume sa faiblesse pour s’inscrire dans un lien de confiance et de responsabi-lité. Le modèle du fragile est l’enfant dont la simple existence nous oblige. L’accueil d’un enfant est une expérience de vie qui nous renvoie à notre propre fragilité et qui suscite en nous le sens de la responsabilité.

Paul Ricœur utilise ce principe fon-dateur de notre humanité pour éclairer différents champs, notamment la res-ponsabilité écologique, la démocratie et la justice.

Dans son livre Principe responsabilité, Hans Jonas pose un impératif catégo-rique qui s’impose à notre humanité : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » Et : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie. »

L’enfant de notre enfant

Cet impératif est lié à la prise de conscience de sa propre fragilité et de celle de la vie. Ricœur affirme que la fra-gilité induit une responsabilité en souli-gnant que c’est un autre, celui qui vient après nous, notre enfant mais peut-être aussi l’enfant de notre enfant, qui nous

impose cet impératif. L’appel du fragile est inti-mement lié à la capacité à se désigner soi-même comme auteur de ses actes. Ici, le fragile s’op-pose au tragique qui dit qu’il n’y a rien à faire pour changer l’avenir, et au fort

qui dit que l’humanité trouvera toujours une solution pour réparer les outrages que je fais à mon environnement.

Dans le champ du politique, la fragi-lité se trouve au fondement de la démo-cratie représentative qui organise notre société. Elle tire sa souveraineté d’un pacte virtuel qui veut que je délègue au représentant élu le pouvoir de prendre

des décisions à ma place. Le politique est aujourd’hui fragilisé par le fait que les décisions se prennent à un niveau international, ce qui oblige chaque État à composer avec les autres dans ses décisions. Ricœur prend l’exemple de l’Europe et met en avant trois principes de relation.

Il y a d’abord le modèle de la traduc-tion qui appelle chacun à s’inviter dans la langue de l’autre pour l’entendre et le comprendre. Pour Ricœur, la tra-duction est un acte spirituel puisqu’il induit qu’on aille chez l’autre pour habiter sa langue. Il parle à ce propos d’hospitalité langagière.

La mémoire de l’autre

Le deuxième modèle est celui de l’échange des mémoires. Il importe ici de se souvenir que l’histoire de cha-que pays est enchevêtrée dans celle des autres. Ce tissage des histoires induit un échange des mémoires, c’est écouter en imagination et en sympathie l’his-toire des autres. Ricœur parle d’hospi-talité narrative qui consiste à accueillir la mémoire de l’autre afin de l’insérer dans sa propre histoire.

Le troisième principe de médiation est le modèle du pardon car nous savons que les histoires sont aussi faite des blessures que nous avons reçues et que nous avons infligées. L’hospitalité consiste ici à se mettre à l’écoute des souffrances de l’autre et de les imaginer avant de ressasser les nôtres. Ricœur parle de l’infraction du pardon qui per-met d’ouvrir un avenir et de retrouver une économie de la réciprocité et donc de l’équivalence.

De même que l’avenir écologique de la planète nous oblige et nous impose une éthique de la sobriété dans notre rapport à la technique, l’avenir politi-

que nous conduit à changer notre regard sur les autres pays pour entrer dans une logique d’hospitalité mutuelle qui trouve sa source dans la reconnaissance et l’ac-ceptation de notre propre fragilité.

Après l’écologie et le politique, Ricœur applique le principe de fragilité au domaine de la rétribution à travers la tension entre l’amour et la justice. Pour Ricœur, l’amour se situe au-delà de l’éthique, il relève de ce qu’il appelle la dimension poétique de l’existence. Si la justice s’inscrit dans le registre de l’équivalence – équivalence entre une faute et une sanction –, l’amour lui oppose la logique de la surabondance. Il en trouve la source dans les Écritures, dans les actions excessives du serviteur souffrant qui se charge de la faute du peuple, dans les exagérations des paraboles de Jésus et dans l’invitation à aimer ses ennemis du sermon sur la montagne.

Pour Ricœur une grande partie de l’éthique se joue dans la dialectique entre l’amour et la justice. La question étant de savoir jusqu’à quel point l’ex-traordinaire de l’amour peut infiltrer l’ordinaire de la justice. Si la justice repose sur la force et le droit, l’amour ne peut que s’enraciner dans la prise en compte de sa propre fragilité.

À travers ces trois domaines, la res-ponsabilité écologique, les relations internationales et la tension entre l’amour et la justice, Ricœur pose le principe de fragilité au fondement de notre comportement. Il nous aide alors à entendre le témoignage de l’apôtre Paul qui, ayant touché la source de sa propre fragilité, a pu affirmer un des grands paradoxes de la vie chrétienne : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. » (2 Co 12,10).

ANTOINE NOUIS

RICŒUR ET L’ÉTHIQUE. La fragilité est constitutive

de notre humanité, elle devient même un principe

éthique qui fonde l’agir dans plusieurs domaines.

Le principe de fragilité

RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013 Spécial Paul Ricœur

« Ricœur nous aide à

entendre l’apôtre Paul quand

il écrit : “Quand je suis faible,

c’est alors que je suis fort“ »

D.

R.

Très jeune,

Paul Ricœur

prend conscience

de la fragilité

humaine

la responsabilité. représentant élu le pouvoir de prendre

« Quelques semaines après notre retour d’Édimbourg, notre fils Olivier, l’enfant du

retour de captivité, l’enfant de la paix, se don-

nait la mort, le jour même où j’étais à Prague

auprès de nos amis du groupe Patocka. Cette

catastrophe devait laisser une plaie ouverte

que l’interminable travail de deuil n’a pas

encore cicatrisée. Encore maintenant, je suis

la proie de deux reproches alternés : l’un de

n’avoir pas su dire non au moment opportun

à certaines dérives, l’autre de n’avoir pas

discerné, ni entendu l’appel au secours lancé

au fond de la détresse. Je rejoignais ainsi le

lot immense de tant de pères et découvrais

cette fraternité silencieuse qui naît de l’égalité

devant la souffrance. Peu de semaines après

ce désastre, j’accompagnais jusqu’au seuil de

la mort, à Chicago où je m’étais réfugié, mon

vieil ami Mircea Eliade, et je me trouvais acca-

blés, d’une certaine manière par le contraste

– apparent mais insistant – entre deux destins,

dont l’un seulement aura laissé la trace d’une

œuvre, et l’autre, rien de cet ordre, à vues hu-

mains du moins. »

Extrait de ¿ La critique et la conviction, p.140.

La fraternité qui naît de l’égalité devant la souffrance

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QUESTIONS À

François Dossehistorien, professeur à l’université

de Créteil

Quelle est la nature de la relation que Paul Ricœur établit entre histoire et mémoire ?Paul Ricœur a le souci, sur ces questions comme sur beaucoup d’autres, d’éclai-rer les grands enjeux de notre temps. Il a cette particularité de ne jamais se confiner dans le cercle restreint des professionnels de la philosophie ou du corpus philosophique traditionnel, mais de répondre aux défis de la société dans laquelle il vit.

C’est à la fin des années quatre-vingt-dix qu’il a publié son grand œuvre La mémoire, l’histoire, l’oubli, auquel il avait consacré de longues années de travail. Ce livre s’inscrit dans les interrogations, parfois mêlées de confusions, qui ont surgi à cette époque. Paul Ricœur affirme avoir voulu répondre à l’inquiétude de nombre de nos concitoyens, pris en tenaille entre le trop d’oubli d’un côté, le trop-plein de mémoire de l’autre.

Il s’agit d’un véritable travail d’éluci-dation philosophique destiné à faire fonctionner le « et » de la conjonction, pour articuler deux dimensions qui sont de nature différente, qui ne sont pas liées hiérarchiquement parlant, mais qui doivent être associées. Le pôle de l’Histoire, qui guette la vérité et le pôle de la mémoire qui relève de la fidélité. Paul Ricœur dit qu’il faut les penser ensemble, car que serait la vérité sans la fidélité et la fidélité sans la vérité ?

Il se livre à un grand travail de phéno-ménologie de la mémoire, puis d’épisté-mologie de la discipline historique, enfin

il entame une analyse de notre condition d’êtres humains qui traversent l’histoire pour réfléchir à un meilleur équilibre entre les deux. Il rencontre à l’occasion de ce parcours les pathologies mémo-rielles – la fragilité, la manipulation – en même temps que le petit bonheur de la reconnaissance, qui échappe à l’historien parce que celui-ci est chargé de mener à bien un travail de critique.

Paul Ricœur a déployé la tension entre Histoire et mémoire. Pour beaucoup de gens, il y a comme une confusion entre les deux : les porteurs de mémoire contestent le droit des historiens à inter-

venir et inversement, les lois mémoriel-les au moyen desquelles l’État se fait le défenseur de la mémoire d’une façon très autoritaire provoquent la colère des historiens.

L’attitude de Paul Ricœur lui a valu de vives critiques.Certains l’ont accusé d’abandonner le devoir de mémoire et, quand on connaît le parcours et la philosophie de Ricœur, on ne peut pas considérer ce reproche autrement que sous la forme d’une mauvaise plaisanterie : il n’y a pas un philosophe qui se soit, autant

que lui, inscrit dans la tradition judéo-chrétienne et qui a essayé d’articuler la rationalité d’Athènes et le croire de Jérusalem. Lui faire le front de lui dire qu’il abandonne la Shoah est une insulte absolument scandaleuse.

Le « souviens-toi » demeurait essentiel pour lui et jamais il n’a voulu délaisser le devoir de mémoire. Simplement, il a voulu faire comprendre qu’avant de se livrer au devoir de mémoire, il faut accep-ter de pratiquer un travail de mémoire. Il s’est appuyé, dans son ouvrage, sur Freud pour relier cette approche de la mémoire au travail de deuil.

Paul Ricœur distingue l’oubli néga-tif, irréversible, qui peut se manifester par exemple par la perte d’archives ou par la maladie d’Alzheimer et l’oubli de réserve, qui nous préserve d’une cer-taine atrophie. Pour réussir à mémori-ser, on a besoin de cet oubli de réserve. C’est une articulation majeure et pas

seulement pour les philosophes ou les historiens, mais pour tout un chacun.Ricœur avait le désir d’ouvrir une espé-rance, une sagesse qu’il appelait une juste mémoire, qui peut être difficile à concevoir après les tragédies absolues que le monde a traversées au XXe siècle, mais qui ne peut en aucun cas être prise comme une volonté de passer les dra-mes à la trappe, bien au contraire.

Peut-on dire que l’identité résulte de ce double mouvement, de mémoire et d’oubli ?Dans l’ouvrage Soi-même comme un autre, Paul Ricœur explique qu’il y a un chacun de nous l’idem, de la « mêmeté », quelque chose qui correspond à une certaine permanence, à l’être que nous sommes en tant que singularité. Cet être qui ne change pas nous est connu par les empreintes digitales par exemple.

Mais nous sommes aussi définis par l’« ipséité », c’est-à-dire non plus le moi mais le soi, qui se construit dans le temps et par le rapport aux autres, dans une mémoire individuelle mais collective aussi, changeante, mouvante. Ce qui caractérise cette « ipséité », c’est quelque chose qui est toujours ouvert et qui va s’altérer, se prêter à des changements.

C’est dans ce contexte qu’intervient l’autre point majeur de l’identité : le récit. Véritable gardien du temps, il constitue l’instrument par lequel un individu se définit. Mais cette médiation peut aussi concerner des peuples qui se saisissent d’un événement pour amorcer le récit qui va les définir en tant que nation, leur donner une identité : le Mayflower pour les Américains, la prise de la Bastille pour les Français. Le devenir de cette œuvre est encore devant nous.

PROPOS RECUEILLIS PAR F. CASADESUS

RICŒUR ET L’HISTOIRE. François Dosse, auteur d’une biographie de Paul Ricœur, analyse le rapport

que le philosophe entretenait avec le temps.

« La juste mémoire »

Spécial Paul Ricœur RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

D.

R.

mologie de la discipline historique, enfin contestent le droit des historiens à inter pas un philosophe qui se soit, autant

En visite officielle en France le 18 février, le président de la République d’Irlande, Michael D. Higgins, a rendu hommage à la pensée de Ricœur. « Une contribution fon-

damentale nous est apportée selon moi par les brillants

travaux philosophiques du regretté Paul Ricœur, dont les

idées ont été appliquées avec une grande pertinence par

le philosophe irlandais Richard Kearney au conflit nord-

irlandais. Il y a beaucoup de leçons à tirer de ce travail,

qui évoque notamment les étapes conduisant à l’amnistie

plutôt qu’à une amnésie immorale dans l’après-conflit, en

Irlande du Nord comme ailleurs. Dans le cadre de l’Union

européenne, ce travail pourrait aider à repenser la relation

que certaines des nations qui la composent entretiennent

avec les continents du Sud. S’agissant de l’héritage impé-

rial, il me semble qu’une amnésie complaisante a pu faire

perdre le sens de l’histoire et le souvenir de l’empire aux

descendants de certaines puissances européennes. Mais

aucune amnésie de cette sorte ne frappe les descendants

de ceux qui éprouvaient encore récemment les effets de

l’impérialisme et ont, eux, leur histoire bien à l’esprit.

D’après Ricœur, le récit “nous donne la figure d’une chose”qui nous permet de transcender l’amnésie aveugle de

l’instant présent et, ainsi que l’a expliqué Richard Kearney,

de résister à la tendance contemporaine à réduire l’his-

toire à un présent sans profondeur ». (Extrait)MICHAEL D. HIGGINS

Ricœur vu d’Irlande

« L’oubli de réserve

nous préserve d’une

certaine atrophie »

Il a voulu faire

comprendre

qu’avant de se

livrer au devoir

de mémoire,

il faut accepter

de pratiquer

un travail de mémoire

À LIRE

Paul Ricœur :

penser la mémoire

sous la direction

de François Dosse

et Catherine

Goldenstein

Seuil

295 p., 25 €.

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Lecteur très attentif de la Bible, Paul Ricœur y a consacré de nombreux articles en français et en anglais ainsi qu’un livre,

Penser la Bible, écrit avec l’exégète André LaCocque. Dans ses publications, il aborde la Bible en tant que philosophe instruit par l’exégèse scientifique. Pour lui, le texte biblique – comme tout texte – est d’abord essentiellement « une parole adressée de quelqu’un à quelqu’un ». Il faut en déchiffrer le sens – à travers la distanciation par l’écriture qui creuse l’abîme entre le message et son auteur, son contexte et son destinataire d’autre-fois. Est ainsi porté au langage le monde du texte qui nous révèle et nous propose un être nouveau.

Paul Ricœur met en garde contre une conception monocorde de la révélation qui verrait Dieu comme celui qui aurait dicté sa parole aux écrivains bibliques.

Aussi préconise-t-il la mise en valeur de la « “chose” du texte » pour éviter « de poser le problème de l’inspiration des Écritures dans les termes psychologisants d’une insufflation de sens à un auteur qui se projette dans le texte, lui et ses repré-sentations ». Ricœur propose alors de retrouver le caractère révélé de la Bible dans « l’être nouveau qu’elle déploie », à

savoir les manières d’être « inspirantes » qu’elle propose au lecteur à travers les structures de ses textes et leurs mondes respectifs.

Ricœur insiste sur l’idée que forme et contenu du discours biblique sont inex-tricablement liés. Les textes bibliques nomment Dieu de manière polyphoni-que. Aucun discours biblique (prophéti-que, narratif, prescriptif, etc.) ne dit tout sur Dieu. Il les dépasse tous.

Il est leur référent et en même temps le point de fuite qui montre leur insuf-fisance. Dans l’exégèse que Ricœur fait d’Exode 3,14, il souligne que la réponse de Dieu (« Je suis celui qui suis ») est une « non-réponse, où l’incognito de Dieu est préservé ». Autrement dit : « Ce qui se révèle est aussi ce qui se réserve. » Le nom « Dieu » dit plus que l’être. Il y a du mystère dans ce nom.Pareil constat pour la formule de la

première épitre de Jean 4,8 : « Dieu est… amour. » Dieu renverse toutes nos défini-tions : il fait plus qu’exister, il dépasse nos conceptions d’amour. Mais, comme le dit

Ricœur : « Parler de l’amour, c’est racon-ter une histoire d’amour. » Parler de Dieu, c’est raconter une histoire, son histoire avec Israël, son histoire en Jésus-Christ, notre histoire avec lui. C’est le confesser, le louer, lui adresser nos plaintes... uti-liser toutes les possibilités du discours pour dire notre rapport à lui.

Si Dieu apparaît plutôt comme le

Tout-Puissant dans l’Ancien Testament, le Nouveau Testament révèle la « puis-sance de la faiblesse » en montrant par la croix que l’amour est plus fort que la mort. Le nom Christ ne fait que conti-nuer la nomination polyphonique de Dieu.

Une Écriture qui progresse

L’interprétation d’un texte ne se fait jamais dans le vide, mais dans l’horizon de la précompréhension apportée au texte. Devant la Bible, cette précompré-hension est un pari sur le bien-fondé de ce que les textes proposent, une atti-tude de confiance : « Je suppose que cette parole est sensée, qu’elle vaut d’être son-dée et que son examen peut accompagner et conduire le transfert du texte à la vie où elle se vérifiera globalement. »

L’interprétation de la Bible est d’abord un acte communautaire : « […] il y a cette co-appartenance entre le texte et l’interprète, grâce à quoi l’interprétation demeure l’acte d’une communauté qui s’interprète elle-même en interprétant les textes fondateurs de son existence. »

Au niveau de la lecture scientifique, les deux approches exégétiques qui inté-ressent le plus Ricœur sont l’approche historico-critique et l’analyse structu-rale. L’analyse structurale montre les ruptures dans le texte, des anomalies structurelles. La critique historique est nécessaire pour que le lecteur soit prêt à entendre la chose du texte et non pas sa propre voix, ses propres préjugés.

C’est ainsi qu’il faut entendre la thèse ricœurienne selon laquelle « expliquer plus, c’est comprendre mieux ». Mais pour qu’expliquer devienne compren-dre, le lecteur d’aujourd’hui est appelé à réactualiser la confession de foi que pro-posent les textes et « à s’identifier tour à tour, en imagination et en sympathie, au

soi confronté au Dieu qui bénit, qui punit, qui console, sans jamais se fixer dans une posture assurée, fixe, définitive ».

Tout en recevant son identité par les textes qui fondent ses expériences et ses attentes, la communauté confes-sante qui est celle de l’interprétation n’est pas une entité qui serait définitive, fixe, assurée. Ricœur donne raison à Grégoire le Grand selon qui « l’Écriture progresse avec ceux qui la lisent ». Le sens d’un texte, c’est « le sens du texte plus toutes les interprétations qui se sont en quelque sorte empilées sur lui ». Il y a une plurivocité des interprétations à l’intérieur d’une même communauté interprétative. La dette envers la tradi-tion interprétative peut aussi être cri-tique et ainsi favoriser, par exemple, une histoire de la réception qui rend sensible aux tendances misogynes et aux perspectives féminines (même si Ricœur n’a pas beaucoup insisté sur cet aspect).

La thèse ricœurienne selon laquelle « lire, finalement, c’est écouter » s’avère à plusieurs niveaux.

Au niveau du texte, lire, c’est écouter la voix du texte qui me propose de nou-velles possibilités d’être.

Au niveau de l’œuvre, lire, c’est écouter les diverses voix qui m’appellent à tenter une réactualisation de la confession de foi qu’elles professent.

Au niveau de la communauté inter-prétative, lire, c’est me placer à l’écoute des voix qui fondent la communauté d’interprétation dont je fais partie.

Au niveau de moi-même comme lec-teur, lire, c’est écouter la polyphonie de manières d’être que me proposent les textes afin d’y répondre en mettant en pratique la parole entendue et en faisant entendre ma propre voix.

NICOLA STRICKER

RICŒUR ET LA BIBLE. Pour Nicola Stricker, professeur

de dogmatique à l’IPT, Ricœur aborde les textes bibliques

en philosophe instruit par l’exégèse scientifique.

Lire, c’est écouter

RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013 Spécial Paul Ricœur

« Dieu renverse

toutes nos définitions,

il fait plus qu’exister »

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Pour Ricœur,

l’interprétation

d’un texte ne se

fait jamais dans

le vide, mais part

du pari que nous

faisons confiance

à la parole qui

nous est proposée

« La révélation, si l’expression doit garder un sens, est une propriété du monde biblique. Ce

monde n’est pas l’objet d’une visée psycho-

logique immédiate, mais il est médiatisé par

la structure des modes de discours. (…) Nous

avons montré plus haut que le monde du texte

“poétique” est un monde projeté, porté à distan-

ce poétique de celui de la réalité quotidienne. Le

nouvel être selon la Bible n’est-il pas, par excel-

lence, un cas de distanciation ? Ce nouvel être

ne se fraie-t-il pas la voie à travers l’expérience

quotidienne, en dépit de la clôture apparente de

celle-ci ? La force de ce projet de monde n’est-

elle pas une force de rupture ? Ne faut-il pas

dire, alors, que la réalité ouverte au cœur du

quotidien est une autre réalité, à savoir celle du

possible ? En langage théologique, l’expression

“le Royaume de Dieu s’est approché” s’adresse

à nos possibles les plus propres, mais à des

possibles dont la signification n’est pas d’abord

à notre disposition. (…) L’extravagance des récits

paraboliques, le paradoxe des proverbes, le dé-

jointement du temps dans le dit eschatologique

opèrent dans le discours une sorte de trouée,

de passage à la limite, grâce à quoi le langage

poétique se dépasse en langage religieux. »

Extraits dans P. Bühler/D. Frey (dir.),¿Paul Ricœur : un philosophe lit la Bible.À l’entrecroisement des herméneutiques philosophique et biblique, Labor et Fides, 2011,

pp. 246-247.

La philosophie et la spécificité du langage religieux

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RICŒUR ET LE JUDAÏSME. Le philosophe Alain Finkielkraut analyse les liens que Ricœur

a pu entretenir avec le monde juif et rappelle son amitié pour Emmanuel Levinas.

« Il avançait vers la pensée des autres »

Je ne peux pas parler au nom des juifs. Je peux en revanche faire part de ma propre expé-rience – j’ai rencontré Ricœur à

plusieurs reprises et je l’ai très souvent interviewé, depuis 1987 jusqu’à la parution de Parcours de la reconnais-sance – et rendre compte de l’originalité de sa pensée.

D’emblée, son extraordinaire qualité d’écoute m‘avait frappé : il avançait vers la pensée des autres, beaucoup plus que les autres n’allaient vers sa pensée. Cela m’a toujours impressionné parce que lorsqu’un philosophe a une œuvre telle que la sienne, en général, il est enfermé : il aime parler, mais il écoute peu. Ricœur écoutait énormément. J’y étais particu-lièrement sensible, non pour me faire écouter de lui, mais parce que j’y voyais une véritable jeunesse d’esprit, une dis-ponibilité remarquable.

Dans L’Histoire, la mémoire et l’oubli, Ricœur explique que la mémoire est fondamentalement une figure du souci.

« Il faut faire place, écrit-il, à une forme suprême d’oubli en tant que disposition et manière d’être au monde qui serait l’insouciance ou pour mieux dire l’in-souci. » Ce texte a généré une polémi-que juive autour de Ricœur, ce qui m’a beaucoup indigné. Georges Hansel, talmudiste important, qui est marié à la fille d’Emmanuel Levinas, a remis en

cause violemment ses thèses et je trouve cette forme justicière de l’exercice de la pensée absolument détestable. Il est vrai que, dans le Talmud, il n’y a pas de dogme mais des discussions incessan-tes entre différents rabbins, ce qui n’est pas sans analogie avec la démarche de Paul Ricœur.

Mais je ne pense pas qu’il faille l’exa-gérer. Lisant tous les philosophes à éga-lité, d’Aristote à Heidegger, accordant à la Bible une place importante, Ricœur s’affranchit de la querelle des anciens et des modernes et se rapproche ainsi de Levinas. Mais il faut ajouter aussi qu’il n’adhère pas à la vision hyperbo-lique de la responsabilité humaine telle que Levinas la poursuivait d’œuvre en œuvre.

L’attitude qui consiste à se tenir droit, donne son sens à l’éthique de Ricœur alors que chez Levinas, le moi est, d’em-blée, accusé. Il y a là une discussion importante. Mais il serait caricatural d’y voir une opposition entre le judaïsme de l’un et le christianisme de l’autre.

La seule chose qu’on pourrait lui repro-cher, c’est l’excès de ses qualités, c’est-à-dire qu’il aime tellement le dialogue que, parfois, il entre en conversation avec des pensées qui, à mon avis, n’en valent pas la peine. Il a, par exemple, donné un sta-tut exorbitant à la philosophie analytique alors même qu’il est ancré dans la grande tradition de la philosophie européenne, de Platon à la phénoménologie.

PROPOS RECUEILLIS PAR

FRÉDÉRICK CASADESUS

HOMMAGE. Michel Rocard explique

par quel chemin il a pris conscience

de l’importance de Paul Ricœur.

Un apport théorique vital Le 11 février 2013, l’ancien Premier ministre

a ouvert le colloque en hommage à Paul Ricœur

à l’université de Nanterre. Extrait du discours

qu’il a prononcé à cette occasion.

Pour le dire franchement, la philosophie m’avait rebuté. La façon dont elle me fut pré-sentée ne me fut pas personnelle. Il ne peut

y avoir de personnel là-dedans que par les biais de ma propre saisine, omissions, amputations, incompréhensions et caricature incluses. L’absolu était trop envahissant dans cet univers. Le bien, le mal, la raison, la vérité, la transcendance même, qui elle aussi est concept avant d’être révélée, ce qu’il y a d’illimité dans tout cela m’apparaissait presque inhumain.

Au contraire, très tôt, le double tropisme de ma propre vie, la politique et l’économie, me fit vivre dans un univers où l’absolu ne se rencontre pas, où tout est partiel, limité, précaire, où le seul art de vivre ensemble suppose la négociation donc le compromis avec la dangereuse incertitude concernant la frontière entre le compromis et la compromission.

Aussi bien en politique qu’en économie la notion même de principe a un caractère idéa-liste, lointain, hors de portée. On est conduit à se concentrer sur le partiel possible, sur l’effica-cité raisonnablement digne d’espérance, fût-elle limitée dans l’espace et le temps. Car bien sûr la recherche de cette efficacité de court terme fait l’objet d’études et d’analyses. On croit rêver…

Je dois beaucoup à Edgar Morin, pour la réin-troduction d’une pensé authentique et la mise en évidence de la complexité fondamentale dans ces deux domaines, la politique et l’économie, où le pragmatisme reste la référence dominante. Je n’ai compris que plus tard qu’en assumant la prise en charge de la complexité, en développant la réflexion transversale, en faisant de l’interdisci-plinarité une condition d’accès à une vraie com-préhension de la réalité sociale, Edgar Morin, en fait, me donnait les clés d’accès à Ricœur. Car lui, dès l’abord, entrant en philosophie, s’était chargé de mettre en cause, de critiquer, de faire éclater en fait ces aspect moralisants, normatifs, à pré-tention globalisantes surtout, qui avaient suffi à me rebuter, moi, dès le premier regard, hélas superficiel.

Dans cet axe essentiel du travail de Ricœur, dans cette constante de sa vie et de son œuvre, il faut sans doute voir une conséquence de la grande place que la violence, la guerre, le mal, l’horreur ont occupé tout le long de son parcours.

En cette période dangereuse où le problème majeur est à l’évidence la gouvernance mondiale ou plutôt son absence, l’apport théorique de Paul Ricœur est vital. Dans le champ de pensée de ma discipline, lui qui n’en est pas nous apporte les concepts éclairants qui nous permettront de régler leur compte à des paradigmes erronés. Il faut encore bien du temps et bien des talents pour élargir cet inventaire au champ global de la philosophie donc de la société.

MICHEL ROCARD

Spécial Paul Ricœur RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

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« Ricœur s’affranchit

de la querelle

des anciens et des

modernes »

la fille d Emmanuel Levinas, a remis en œuvre. FRÉDÉRICK CASADESUS

Deux textes de Paul Ricœur à propos du judaïsme. Ces deux cultures [grecque et juive, ndlr], qui n’auraient

rien d’exceptionnel pour un œil de nulle part, constituent

la première strate de notre mémoire philosophique : plus

précisément, la rencontre de la source juive avec l’origine

grecque est l’intersection fondamentale et fondatrice de

notre culture ; la source juive est le premier « autre de la

philosophie», son autre le plus « proche » ; le fait abstrai-

tement contingent de cette rencontre est le destin même

de notre existence occidentale. Puisque nous existons à

partir d’elle, cette rencontre est devenue nécessaire, en ce

sens qu’elle est le présupposé de notre irrécusable réalité.

(in La culture, en mémoire de France Quéré, éd. Odile Jacob).

Dans le judaïsme du second Temple, il y a eu la tentation

théonomique de faire une société intégriste, intégrale en

tout cas. Mais la destruction du Temple a déplacé le centre

de gravité du culte sacrificiel vers la synagogue et la mai-

son d’étude. Le caractère studieux, au sens le plus fort du

terme, du judaïsme a été extraordinairement puissant et,

à mon sens, d’une fécondité intellectuelle sans pareille.

Dans le christianisme, on trouve quelque chose d’un peu

semblable grâce au débat avec la philosophie grecque qui

a duré jusqu’au XVIIIe siècle. C’est ce débat qui a fait la

vitalité de la pensée chrétienne. (Entretien avec François

Azouvi – Le Monde, 16.06.1994).

PAUL RICŒUR

« Le judaïsme, une fécondité intellectuelle sans pareille »

« Les discussions incessantes entre rabbins ont des analogies avec sa démarche »

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RICŒUR ET LA PSYCHANALYSE. Quel regard Ricœur portait-il sur les découvertes de Freud ? Quelle réception du philosophe ?

De l’interprétation au récit

Paul Ricœur a été un compa-gnon de route fidèle, exigeant et critique de la psychanalyse. Il aurait pu, comme d’autres

philosophes de formation, entrepren-dre une analyse et devenir, à son tour, psychanalyste. Il a préféré rester un pur philosophe, pour étudier, avec minutie et rigueur, le corpus freudien et en mon-trer les articulations, la cohérence et les évolutions. Il a ainsi mis en évidence la tension qui soutient le projet de Freud, entre d’une part un modèle scientifi-que explicatif, qui décrit un appareil psychique régi quasi mécaniquement par un conflit de forces divergentes (les pulsions), et d’autre part un souci de comprendre et d’interpréter un sens enfoui dans l’inconscient, caché der-rière des comportements ou un discours manifestes, ce que Ricœur appelle « la sémantique du désir ». Il a surtout mis en évidence le caractère original de cette tension dans le paysage des sciences de l’esprit.

En un temps où des critiques mal-veillantes réduisent la psychanalyse à une « affabulation », simple témoin de la névrose voire de la perversion de son fondateur, et où la spécificité de la « réalité psychique » s’évanouit au profit d’une réduction de la souffrance men-tale à ses seuls déterminants neuronaux, il est important de relire la réflexion engagée par Ricœur, sur les pas de Freud, notamment dans son ouvrage De l’Interprétation, à la recherche de l’« archéologie » du sujet humain.

Car la quête de Ricœur ne s’arrête pas à un simple commentaire de l’œuvre du médecin viennois, de sa « démarche excavatrice » pour investiguer le fonc-tionnement mental, pour traiter ses per-turbations et pour édifier un ensemble de théories qui rendent compte de l’ex-périence accumulée dans les cures. Elle outrepasse, dans un effort de réflexion proprement philosophique, la démar-che de Freud et s’interroge, au-delà des évidences naturelles, sur les fon-dements même de la conscience de soi et du monde.

Deux herméneutiques

Des psychanalystes ont alors reproché à Ricœur de tirer la psychanalyse du côté de ce qu’on appelle une herméneuti-que, c’est-à-dire un art d’interpréter qui donne aux choses un autre sens que le sens apparent. Le reproche n’est pas tout à fait justifié, car Ricœur a fait droit aussi à ce qu’il appelle l’« énergétique » freudienne, ce jeu des pulsions que nous mentionnions plus haut. Il a aussi défini un « conflit des interprétations », entre deux herméneutiques. La première dite du « soupçon » (dans laquelle il range à côté de la psychanalyse le marxisme et

la généalogie de la morale selon Nietzs-che) arrache, dans l’interprétation d’un symbole, un masque pour découvrir une

vérité tenue secrète par le refoulement ou par l’idéologie. La seconde hermé-neutique, restauratrice, s’inscrit dans une démarche d’enrichissement où il s’agit d’ajouter « du sens par le sens ». Paul Ricœur a enfin précédé, par une prémonition éclairée, une évolution moderne de la psychanalyse : l’optique de la narration, qui connaît aujourd’hui, sous des formes diverses, un grand déve-loppement et qui lui doit beaucoup.

S’inspirant des travaux de Ricœur sur l’identité narrative et sur le récit, cer-tains psychanalystes sont en effet allés, peut-être au-delà de Ricœur lui-même, jusqu’ à remettre en cause le « réalisme freudien » et la volonté de Freud de faire de sa « nouvelle science » une science de

la nature comme les autres. Sensibles aux critiques qui refusaient

d’accorder un caractère scientifique à des théories qui ne peu-vent ni être validées par des preuves empiriques dans des expériences reproductibles, ni être réfutées par d’autres expériences, ils ont accepté que la vérité d’une interpré-tation soit indécidable et

qu’une interprétation tire sa valeur, non de son exactitude, mais de sa capacité à susciter, chez celui qui la reçoit, un renforcement de ses propres capacités interprétatives. Selon cette optique, l’interprétation est une mise en récit qui donne sens au vécu du sujet en analyse et l’engage dans de nouveaux récits où il découvre, à chaque fois, une nouvelle image, plus riche, de son passé. Le processus analy-tique, plutôt que de viser à la restitution exacte d’un passé méconnu, cherche à mobiliser de nouvelles potentialités narratives, à dépasser une image figée et immobile de soi au profit d’une sou-plesse plus grande dans la manière continuelle de se raconter et de se rera-

conter à soi-même et aux autres. Paul Ricœur a insisté sur la place de

l’autre en tant que destinataire de ce récit dans la structuration de l’histoire person-nelle de chacun. Ouvrant sa réflexion sur un plan éthique, il a vu dans l’engagement vis-à-vis d’autrui, dans la promesse faite à un autre, le fondement même de ce qu’il appelle l’« ipséité », le sentiment de rester soi-même à travers les changements de l’existence, « soi-même comme un autre ». Conçue plus comme une « œuvre ouverte » à de multiples interprétations que comme un récit fermé soumis à une interprétation unique, le psychisme, sans que soit oublié son ancrage dans le fonctionnement cérébral, devient, sous le primat de la narrativité, d’abord un entrecroisement d’histoires racontées, remaniées au fil du temps.

À la suite de saint Augustin

L’inconscient ignore la temporalité, disait Freud. L’approche narrative redonne toute son importance au temps vécu, sur lequel, reprenant la pensée de saint Augustin, Ricœur a engagé sa méditation. Elle replace au centre de la réflexion psychanalytique cette province du psychisme que Freud appelait le pré-conscient, dans laquelle on peut situer l’enracinement du sentiment d’iden-tité, de la cohésion, de la fermeté et de l’harmonie du Soi, mises à mal dans des troubles graves du développement per-sonnel : la schizophrénie ou l’autisme.

Par là la psychanalyse redonne de l’importance à ce que le philosophe allemand Edmund Husserl, dont Ricœur a été le traducteur, appelait l’« intersubjectivité transcendantale ». L’autre y prend une place essentielle pas seulement comme « objet obscur du désir », mais comme sujet de plein droit, aussi constitutif de mon iden-tité que je le suis de la sienne, dans et par le dialogue que j’entretiens avec lui. L’empathie, terme par lequel on a traduit l’allemand Einfühlung, c’est-à-dire la capacité d’adopter, pour la comprendre, la perspective de l’autre tout en restant soi, devient, dans sa réciprocité, grâce au dialogue, un élé-ment générateur d’un décentrement des perspectives de chacun.

Par sa position d’extériorité empathi-que par rapport à la psychanalyse, Paul Ricœur a permis la poursuite d’un tel dialogue et, lorsque les psychanalystes ont su l’entendre, un élargissement des perspectives psychanalytiques de l’in-terprétation des produits de l’incons-cient vers leur articulation dans un récit toujours recommencé.

JACQUES HOCHMANN

PSYCHANALYSTE

PROFESSEUR ÉMÉRITE DE PSYCHIATRIE

À L’UNIVERSITÉ CLAUDE-BERNARD (LYON)

RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013 Spécial Paul Ricœur

« Ricœur a précédé

une évolution moderne

de la psychanalyse :

l’optique de la narration »

Le processus

analytique

cherche

à mobiliser

de nouvelles

potentialités

narratives

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L’œuvre de Ricœur est soutenue par deux trilogies : La Philoso-phie de la volonté (Aubier-Mon-taigne) au début des années 50,

sur la condition de l’homme agissant et faillible, et Temps et Récit (Seuil), au début des années 80, sur la riposte des manières de raconter aux difficultés de penser le temps.

Trois ouvrages majeurs ont marqué des tournants : La métaphore vive (1975, Seuil) face à la linguistique structurale, qui montre comment le langage le plus poétique se réfère à une réalité de second degré, Soi-même comme un autre (1990, Seuil) qui montre comment se consti-tue un sujet capable de parler, d’agir, de raconter, et propose une petite éthique superbe, Mémoire, Histoire, Oubli (2000, Seuil), qui croise la représentation du passé et ses usages publics.

Pour le lecteur débutant, on recom-mandera un ouvrage ancien, Histoire et vérité (1964, Seuil), qui rassemble des textes de pensée protestante militante du jeune Ricœur, Du texte à l’action (1986, Seuil) qui montre le passage de l’hermé-neutique à l’éthique, et le petit Amour et justice (2008, Points) qui médite un passage de l’Évangile de Luc.

OLIVIER ABEL

Les livres d’entretiens sont souvent plus faciles à lire pour entrer dans la pensée d’un auteur. Toute la partie bio-graphique dans laquelle Paul Ricœur parle de son parcours est très accessi-ble, elle nous aide à comprendre qu’une

pensée est toujours située. Elle nous rappelle le mot de Nietzsche qui dit qu’une philosophie n’est jamais qu’une biographie mise en concept. Ricœur est un homme qui a traversé dans sa chair tous les drames du XXe siècle, ce qui l’a conduit à confronter sa philosophie avec les grandes questions politiques. Les parties suivantes présentent les grands thèmes qu’il a abordés : la psychanalyse, la politique, la mémoire, la laïcité, le rap-port à la Bible et l’esthétique.

La critique et la conviction, entretien ¿avec François Azouvi et Marc de Launay. Paul Ricœur, Pluriel.

André LaCocque était professeur d’Ancien Testament à Chicago, il a écrit un livre original avec Paul Ricœur puisqu’ils ont pris un certain nombre de grands textes des Écritures et qu’ils ont confronté leurs lectures, le premier comme exégète et le second comme philosophe. C’est ainsi qu’ils ont relu les récits de création, l’interdit du meur-tre, la vision des ossements d’Ézéchiel, le Psaume 22, la révélation du nom de Dieu au buisson ardent et la métaphore nuptiale du Cantique des Cantiques. Si le premier met en valeur la fécondité des différentes lectures historico-critiques, le second montre comment la Bible donne à penser.

ANTOINE NOUIS

Penser la Bible, ¿ Paul Ricœur et André

LaCocque, Points essai.

Sur Paul Ricœur

Difficile de choisir un ouvrage sur l’œuvre de Ricœur. En voici un accessi-ble, même s’il ne porte que sur un aspect de la pensée du philosophe. Alors que la promesse d’une cité heureuse semble si incertaine, la lecture de l’ouvrage d’Oli-vier Abel sur le politique chez Ricœur peut être la bienvenue. Il retrace une entreprise de réhabilitation de la démo-cratie après les désastres du XXe siècle. Il s’agit de faire crédit à la capacité des citoyens à viser le bien commun et à tenir compte de la fragilité des person-nes et des institutions. Ces deux axes se croisent dans une pratique du dis-cernement en situation qui contribue à reconstruire le lien social.

PIERRE-OLIVIER MONTEIL

Paul Ricœur. La promesse et la règle, ¿Olivier Abel, éd. Michalon, 126 p.

Un petit bijou ! Comment dire autre-ment pour ce « Oui » de Paul Ricœur ? Bien sûr, il est écrit par Olivier Abel, un ami du journal, mais notre coup de cœur pour cet ouvrage va bien au-delà... Parce qu’il nous permet d’accéder à la pensée du grand philosophe de façon simple et poétique. On referme l’ouvrage, très joli-ment illustré par Eunhwa Lee, et on se sent plus intelligent. Nos ambivalences, notre désir de bon et nos idées noires, nos espoirs pour le monde et nos pul-sions de mort, ils sont là. À travers ses conversations avec son amie la chouette, Paul Ricœur nous ouvre un chemin...

Alors, un ouvrage pour enfants que ce petit Ricœur ? Que nenni ! Ce livre est pour tous et l’offrir permet simplement de faire du bien, de donner à réfléchir et à aimer.

NATHALIE LEENHARDT

Le oui de Paul Ricœur, ¿ Olivier Abel,

Les petits Platon, 63 p., 12,50 €.

Découvrir Paul Ricœur en images, c’est avant tout s’émouvoir, puisqu’une exis-tence amorcée par une série de deuils et construite par l’exercice de la philosophie ne saurait se comprendre uniquement par la pensée : le sourire et la douceur sont là, à chaque instant. Le documen-taire qui retrace la vie du philosophe est de facture classique et cependant ne verse jamais dans le conformisme ou l’hagiographie. Aucun des experts ne masque les difficultés, les grandeurs et les failles de Ricœur, de sorte que la complexité de son œuvre nous devient presque accessible.

Un très bel entretien mené par Olivier Abel nous permet d’entrevoir l’atelier du philosophe. Assis sans plus de façon, Paul Ricœur aborde les grands thèmes qui jalonne sa réflexion. La structure du DVD, dont les chapitres autorisent la pause ou les retours en arrière, s’applique bien au sujet. FRÉDÉRICK CASADESUS

Paul Ricœur, philosophe de tous les ¿dialogues. Caroline Reussner,

Olivier Abel et François Dosse

2DVD éd. Montparnasse.

BIBLIOGRAPHIE. Une petite sélection parmi les très nombreux ouvrages du philosophe pour approcher sa pensée multiforme.

Pour aborder les rives de Ricœur

Spécial Paul Ricœur RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

FÉVRIER 2013 NOUVEAUTÉS

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supplice supplémentaire. Pilate sem-ble avoir acquiescé facilement à leur demande puisque, sans transition, les soldats vinrent et brisèrent les jambes des deux compagnons d’infortune du Messie (v. 32). Mais, en arrivant aux pieds de la croix de Jésus, ils le trouvè-rent déjà mort et n’eurent pas l’utilité (ou le loisir ?) de lui briser les jambes. Cette remarque sert deux buts : confir-mer que Jésus est bel et bien mort, mais surtout rendre possible la référence à l’agneau sacrifié du v. 36. Là, les Écri-

tures viennent explicitement soutenir l’interprétation pascale de la mort du Christ : « Cela est arrivé pour que soit accomplie l’Écriture : aucun de ses os ne sera brisé » (une référence aux régula-tions relatives à la Pâque en Ex 12,46 et No 9,12).

Étrangement, puisque Jésus est déjà mort, et sans que le geste soit motivé, un des soldats perça néanmoins le sein de Jésus avec une lance. C’est sur le résultat hautement symbolique de cette action que se concentre l’auteur : « Aussitôt, il

LES SYMBOLES DANS LE QUATRIÈME ÉVANGILE (5). L’auteur revient ici sur le récit de la crucifixion et analyse les différents éléments

cités : le jour de la Pâque, les os qui ne seront pas brisés, l’eau, le sang...

Le coup de lanceen sortit du sang et de l’eau. » (v. 34). Ici, la mort de l’homme Jésus est une nou-velle fois confirmée, car dans la pensée antique le corps humain était composé d’eau et de sang. Mais plus encore, ce phénomène sert à véhiculer un sens nouveau à la mort de Jésus. L’eau et le sang sont effectivement deux termes connotés symboliquement dans notre évangile.

Le rocher frappé par Moïse

Pour ce qui est du sang, c’est 6,53-54 qui vient à l’esprit : « Amen, Amen, je vous le dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle, et moi, je le relèverai au dernier jour. » Au-delà des enjeux eucharistiques, c’est sur la néces-sité de croire dans la capacité de la croix à donner la vie que Jésus insiste ici. La symbolique de l’eau est beaucoup plus présente dans cet évangile (par exemple, 1,24-25 ; 2,6 ; 3,5 ; 3,22-27 ; 4,10,28) et

Jean 7,37-38 est certainement l’antécé-dent le plus pertinent pour comprendre l’effusion d’eau : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi ; et qu’il boive, celui qui met sa foi en moi. Comme dit l’Écri-ture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein. »

Pour Jésus, l’eau vive est l’Esprit qu’al-lait recevoir les croyants (v. 39). Mais de quelle Écriture est-il question ici ? Parmi les prétendants les plus sérieux se trou-vent Ex 17,6, repris dans le Ps 78,16,20, si bien que l’auteur pourrait associer l’eau qui coule du sein de Jésus avec le récit du rocher frappé par Moïse dans le désert (cf. 1 Co 10,4). Dans le présent récit, l’évangéliste incorporerait alors les interprétations targoumiques de cet événement, selon lesquelles le rocher fut frappé deux fois : la première fois, il en sortit du sang, et la deuxième, de l’eau (cf. Tg. Ps.-J. sur Nb 20,11 ; Exod. Rab. 122a sur Ex 17). Ainsi, le sang et l’eau pointent tous deux vers la théma-tique de la vie de l’Esprit découlant de la glorification du Fils.

Selon cette interprétation, l’homme Jésus est mort, vraiment. Mais le sacri-fice de l’agneau pascal est productif : de son sein, la plénitude de la vie est déversée sur ceux qui croient. Oui, la condamnation humaine de Jésus s’est transformée en verdict de vie !

NICOLAS FARELLY

Bible

Un sens

nouveau

à la mort

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Jésus est mort, il a rendu l’esprit (19,30). Le passage qui suit vient l’attester (contre une lecture docé-tique de la mort de Christ ?) tout en

lui donnant sens. Dans cette scène uni-que à la tradition johannique, l’auteur interprète la mort du Christ en jouant sur les références symboliques et les accomplissements scripturaires.

Notre scène débute par le rappel que la mort de Christ eut lieu la veille d’un sabbat très important pour le peuple juif, car celui-ci coïncidait avec la fête de la Pâque, une fête annuelle commé-morant la libération du peuple lors de l’Exode. Nul ne peut ignorer que la mort de Christ est décrite ici comme sacrifice pascal, traditionnellement immolé « le jour de la Préparation » (v. 31). L’auteur insiste néanmoins sur cette interpréta-tion en montrant que l’approche de la Pâque intensifie la préoccupation des juifs qui ne voulaient pas que les corps des crucifiés demeurent sur leur gibet. Le livre du Deutéronome recommande que les dépouilles des condamnés pen-dus au bois soient retirées rapidement par crainte de l’impureté rituelle qui pourrait s’abattre sur le pays : « Si un homme coupable d’un péché passible de mort a été mis à mort et que tu l’aies pendu à un bois, son cadavre ne passera pas la nuit sur le bois : tu l’enseveliras le jour même, car celui qui est pendu est une malédiction de Dieu ; tu ne rendras pas impure la terre que le Seigneur, ton Dieu, te donne comme patrimoine. » (Dt 21,22-23, cf. 18,28).

Sang et eau

Ainsi, les juifs allèrent demander à Pilate de faire enlever les corps des cru-cifiés « après leur avoir brisé les jambes » (v. 32). Cette pratique, appelée le cruri-fragium, visait à accélérer la mort des condamnés tout en leur infligeant un l agneau sacrifié du v. 36. Là, les Écri que se concentre l auteur : Aussitôt, ilcondamnés tout en leur infligeant un

En Jean 19,35, le narrateur inclut le témoignage du dis-

ciple bien-aimé, insistant sur sa véracité : « Celui qui l’a vu en a témoigné, et son témoignage est vrai ; lui, il sait qu’il dit vrai pour que vous aussi vous croyiez. » De quel type de

témoignage est-il question ici ? Si, historiquement par-

lant, il n’est pas improbable que du sang et de l’eau soient

sortis du côté de Jésus et que le disciple en ait été le té-

moin oculaire, il faut bien reconnaître que ces détails sont

parfaitement absents de toutes autres traditions sur la

mort de Jésus. L’insistance sur la véracité du témoignage

ne doit-elle pas être comprise, avant tout, comme se réfé-

rant au sens que l’évangéliste donne à la mort de Jésus ?

Ce qu’il désire, ce n’est pas tant que ses lecteurs croient

que du sang et de l’eau sont sortis du sein de Jésus, mais

qu’ils placent leur foi dans sa perspective théologique sur

la mort du Christ.

Dans ce récit, où le langage du voir et du témoigner est

l’équivalent du croire et du confesser, ce qu’il déclare

comme véridique est que la mort du Christ est porteuse

de vie. Voilà pourquoi les lecteurs (« vous ») sont interpel-

lés : le disciple bien-aimé, en tant que témoin privilégié

des moments clés de la passion, encourage ses lecteurs

à placer leur foi dans la mort vivifiante du Christ. Il les

invite à « regarder » cet événement avec les yeux de la foi

(cf. 19,37).

N. F.

Un témoignage véridique : dans quel sens ?

« Croire dans la

capacité de la croix

à donner la vie »

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16 RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

De ce moment de la Passion, vécu par Jésus à Gethsé-mané, sur le mont des Oli-viers, je ne retiendrai que

ce qui concerne la relation du Christ avec son Père. La première chose à relever, c’est que pour Jésus, son Père est présent, qu’il est là, et que cela ne fait pas le moindre doute ; c’est pourquoi il lui adresse sa prière, sans même avoir à élever la voix, ni à crier pour attirer son attention.

La coupe dont parle ici Jésus n’est pas une coupe quelconque, mais une coupe bien précise, qu’il identifie tout de suite ; il dit, en effet : « cette » coupe.

« Cette coupe » : s’exprimer ainsi signi-fie qu’elle est sous son regard, tendue vers lui, non par les hommes, ni même par le Diable, mais par Dieu lui-même, à qui il demande de l’éloigner. C’est donc le Père qui tend cette coupe au Fils, comme le précisera Jésus lui-même à Pierre : « Ne boirai-je pas la coupe que le Père m’a donnée à boire ? » (Jn 18,11).

Cette coupe est facile à identifier, car dans toute la Bible la seule coupe tendue par Dieu fait l’objet d’un long oracle, pro-noncé à l’époque de Jérémie (25,15-38). L’oracle de Jérémie nous apprend que la coupe contient « le vin de la colère de Dieu », c’est-à-dire la colère déclenchée en lui par les péchés des hommes.

Nous découvrons à Gethsémané quel-que chose de nouveau, d’inattendu peut-être, d’inouï sans doute ! La coupe n’est plus maintenant proposée par Dieu aux hommes, mais par Dieu à... Dieu ! Pour que Dieu lui-même la boive, proposée par le Père au Fils dans le mystère d’une secrète décision divine, intratrinitaire, qui nous échappe absolument, mais dont nous mesurons une conséquence extraordinaire pour nous : ce n’est plus à nous les hommes que Dieu va infliger de boire la coupe du vin de sa colère.

Quand on entrevoit ce que cette colère déclenchée en Dieu par le monde entier, peut représenter comme insondable souffrance pour le Fils, alors on com-prend sa supplication, à genoux, pros-terné, le visage contre terre : « Père, s’il est possible, éloigne de moi cette coupe ! » Boire la coupe jusqu’au bout, c’est le che-min de la Passion du Christ, un chemin jusqu’à l’extrême de la douleur, jusqu’à la mort...

Lorsque Jésus arrive à Gethsémané,

quelque chose en lui a changé : son horizon s’est soudain rétréci, assombri, bouché. Alors que peu de temps aupa-ravant, il parlait encore de sa résurrec-tion aux disciples, voici que maintenant l’horizon butte sur la mort : « Mon âme est triste jusqu’à la mort », leur dit-il en arrivant (Mt 26,38 ; Mc 14,34). Jésus ne parvient plus à voir au-delà de la mort. Alors, « il commença à éprouver de la frayeur et des angoisses », comme le note Marc (14,33), et se met à envisager de

EN CHEMIN VERS PÂQUES (2). Jésus est seul pour parcourir le chemin qui se présente à lui. Alors qu’il est courbé sous le poids

de l’angoisse, il trouve dans la prière la force d’aller de sa propre volonté à celle du Père.

Gethsémané, sombre horizonreculer. La tâche qui est devant lui lui paraît soudain au-dessus de ses forces. Qui va lui donner les forces dont il a besoin et dont, du fait de l’angoisse, il s’estime démuni, dans son humanité ? La frayeur et l’angoisse ont un effet plus ou moins paralysant sur les hommes, y compris sur Jésus qui, dans son huma-nité, se trouve aussi confronté à cette réalité.

Réalité humaine

Certes, Jésus se sait Dieu, mais en ce moment sa réalité humaine est en train de prendre le dessus, sous le poids de l’angoisse. Alors, ne pouvant plus compter ni sur sa faiblesse humaine, ni sur les disciples, il ne lui reste plus que son Père, et c’est vers lui qu’il se tourne, d’abord pour lui dire très humblement sa faiblesse humaine qui est en train de prendre le dessus : « Père, tout t’est possible, éloigne de moi cette coupe ! » Et puis, Jésus se sent poussé à dire plus ; il a si souvent prêché aux autres la confiance ! « Ne soyez pas inquiets

du lendemain... ! » Jésus sait qu’il ne peut pas compter sur ses propres for-ces humaines trop limitées, comme il le constate, mais sur Dieu, sur les forces de Dieu qui lui seront données en temps voulu, mais pas avant. Alors, il lui faut faire confiance, espérer, faire confiance absolument en son Père, même sans avoir encore reçu de lui la force d’accomplir sa volonté. Un acte d’une totale foi.

La volonté de Dieu est toujours au-delà de nos seules forces humaines, et cela pour nous inviter à la confiance. Son espoir, c’est que Dieu lui don-nera ces forces- là. Mais d’abord, il doit dire « oui », le « oui » d’une totale confiance. Non pas seulement le « oui » qu’il a toujours dit au Père dans sa réalité divine, mais le « oui » de son humanité fragile, soumettre sa volonté humaine qui le pousse à reculer et à renoncer, à la volonté du Père, qu’il connaît bien, puisque c’est pour cela qu’il est venu sur la terre (Jn 5,30, 6,38...).

Oui, soumettre sa volonté humaine à la volonté divine. Alors, dans un acte d’une totale foi, Jésus dit : « Père, que ta volonté soit faite et non la mienne. »

DANIEL BOURGUET

Bible

La vallée de

Kidron, le pilier

d’Absalom

au pied du mont

des Oliviers© H

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de boire la coupe du vin de sa colère. Lorsque Jésus arrive à Gethsémané, Marc (14,33), et se met à envisager de

Dieu ne répond pas à la prière de son Fils, ne réagit pas.

Il y a là de quoi nous choquer terriblement ! Ce que nous

percevons seulement de Dieu, c’est son silence, si sem-

blable à celui d’un absent ou d’un indiffèrent ! Ce que nous

percevons aussi, c’est la frayeur et l’angoisse de Jésus

(Mc 14,33), son trouble profond devant la mort. Mais aussi,

ce qu’il nous est donné de percevoir, par ailleurs, c’est ce

que nous rapporte Jean, qui nous décrit le Christ, sortant

de Gethsémané au moment d’être arrêté, un Christ qui

n’a plus rien d’un angoissé, un Christ qui, au contraire,

est habité d’une telle force que ceux qui l’approchent

tombent à la renverse (Jn 18,6) ! Manifestement, quelque

chose s’est passé entre l’arrivée à Gethsémané et le dé-

part ; quelque chose d’inexplicable aux yeux des hommes.

D’une part un Père muet, n’intervenant pas, et d’autre

part le Fils transformé, revivifié de manière extraordi-

naire, plus qu’humaine même ! Se peut-il qu’un simple

homme fasse tomber les autres à la renverse, seulement

en ouvrant la bouche, pour dire : « C’est moi ! » ? Quelque

chose s’est passé, mais quoi exactement ?

Tout s’éclaire à la lecture de Luc qui dit qu’« un ange lui ap-parut du ciel, en le fortifiant » (Lc 22,43). Cet ange « fortifie »

le Christ, cela veut dire qu’à travers cet ange c’est le Père

qui fortifie le Fils. Au moment de l’extrême faiblesse du

Fils, l’apparition de l’ange procure la force de la présence

du Père. D. B.

La réponse du Père au Fils

« Dans l’angoisse, il

ne reste à Jésus que

son Père, c’est vers

lui qu’il se tourne »

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17RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

BIBLE ET ACTUALITÉ. La réforme du temps scolaire peut être une opportunité enrichissante.

Partager ses talents avec les enfants après l’école

Quelle chance que nos enfants puissent après l’école avoir du temps pour du sport, la pratique d’un art, des jeux pour apprendre à vivre ensem-

ble… Et tout cela accessible à tous, quels que soient les moyens et le milieu social de chacun. La France a enfin entendu toutes les études concordantes sur le rythme des enfants, leurs besoins, et la nécessité d’alléger les journées.

Et pourtant, ça coince : les professeurs s’inquiètent pour leur salaire, les parents pour leur organisation, les structures d’activités périscolaires pour leur survie ou leur mutation, les animateurs socio-culturels pour leur statut, et les commu-nes pour leur budget… Autant de ques-tions légitimes posées par les adultes responsables, mais sans doute au détri-ment d’un débat sur le programme et le projet éducatif que notre pays pourrait développer pour ses enfants.

Ainsi, les grandes oubliées de cette réforme ne seraient-elles pas les associa-tions très diverses qui portent en elles une dimension éducative et mettent l’enfant au centre des préoccupations ? Les bénévoles

de ces associations ne pourraient-ils pas participer à cette réforme et apporter un supplément de sens et de compétence ? Si de nombreuses structures socio-édu-catives se sont professionnalisée au fil des ans, une période de tension entre professionnels et bénévoles semble laisser place à une complémentarité au sein de partenariats renouvelés. C’est le manque de moyens qui incite les structures à se tourner à nouveau vers le bénévolat ou le volontariat, au risque de remplacer à moindre coût et moindre compétence de vrais emplois. Mais ces structures se posent aussi la question de leur identité, craignant de devenir de simples prestatai-res et de favoriser ainsi le désengagement de l’État dans les services publics, en lais-sant la voie libre aux sociétés privées.

Insuffler la vie

À l’école aussi, une complémentarité est souhaitable entre des animateurs pro-fessionnels qui doivent voir leur métier protégé et enfin reconnu comme un vrai métier ; et les bénévoles formés, envoyés par une association reconnue, dans le cadre des règles de la laïcité.

Cette réforme peut être une chance

pour le lien social. De nombreux citoyens sont prêts à venir partager leur talent et leur expérience auprès des enfants, qu’ils soient artiste, boulangère, astrophysicienne, pompier, artisan, à la retraite ou en activité. Et ce à travers des actions pour l’environnement, non-violentes, humanitaires, ou des jeux de société. Aux animateurs professionnels d’organiser les journées. C’est avec ce vivier que les municipalités pourraient travailler, pour que la mise en place de cette réforme ne soit pas qu’une question de moyens, mais la mise en œuvre d’un projet éducatif concernant toute la cité.

Beaucoup de communes embauchent des personnes non qualifiées pour « garder » des enfants dans les temps libres et les maintiennent dans un sta-tut précaire. Or, beaucoup aspirent à ce qu’on leur donne les moyens d’être de véritables acteurs de l’éducation, dans un métier reconnu. Animer, c’est litté-

ralement, insuffler la vie, encourager, mettre en mouvement. Avec des citoyens animés d’un souci de transmission, ils peuvent redonner du souffle à l’éduca-tion populaire.

Si les Églises n’ont rien à faire dans les écoles de la République, cette réforme est l’occasion pour des chrétiens de devenir acteurs de la vie sociale, en se mettant à l’écoute des enfants et de leurs besoins. Pour illustrer la prière de demande, Jésus met en avant la réponse d’un père à l’écoute de son enfant : « Chez vous, quand un enfant demande du poisson à son père, le père ne lui donne pas un serpent à la place du poisson ! Et quand un enfant demande un œuf, son père ne lui donne pas un scorpion ! Vous, vous êtes mauvais, et pourtant vous savez don-ner de bonnes choses à vos enfants. Alors ceci est encore plus sûr : le Père qui est au ciel donnera l’Esprit saint à ceux qui le lui demandent1 ! » En donnant gratuite-ment aux enfants, les adultes perçoivent qu’ils peuvent eux aussi recevoir et gran-dir. Encore une question d’animation ou, autrement dit, de souffle !

JOËL DAHAN –

ÉGLISE UNIE MONTPELLIER

Bible

« Beaucoup d’animateurs

veulent être de véritables

acteurs de l’éducation »

MÉDITATION. Luc 13,1-9.

Porter des fruits

Dieu n’est pas le Grand Moralisateur que les systèmes religieux ont réussi à faire de Lui pour tenir l’homme d’une main de maître.

Parmi ces systèmes, la rétribution a fait ses preuves de frayeur et d’efficacité : si tu es méchant il t’arrivera malheur, si tu es gentil tu prospéreras. De quoi faire affluer entre les quatre murs d’une église quelques générations, non pas par adoration, mais par peur. Et voilà Dieu ligoté dans un système qui le place en tyran et le prive de toute relation avec l’homme. Pendant que l’Église trouve l’habile moyen de rassurer ses trésoriers, Dieu pleure sur la pauvreté des liens qui le lie aux humains.

Job a dénoncé le marchandage illusoire de ce système dès le Premier Testament. Jésus s’y attaque en amont de la Croix qui, en principe, devrait démentir à jamais une quelconque validité au système rétributif. Non, les victimes de Pilate et de l’effon-drement de la tour de Siloé n’étaient ni plus ni moins mauvais que d’autres, nous informe Jésus. Mais convertissez-vous, sinon « vous mourrez de même ».

Nous voilà un peu perdus : y a-t-il oui ou non un lien entre se convertir/ne pas se convertir et ne pas mourir/mourir ? Tout dépend ce qu’on appelle « se convertir » et ce que veut dire « mourir de même ». Cela, Jésus l’explique à renfort de para-bole, en l’occurrence celle du figuier. Ou comment, du Grand Moralisateur pré-sumé, Dieu devient Jardinier.

Car par analogie, la parabole du figuier

laisse entendre que « se convertir » signifie porter des fruits, et que « mourir » signi-fie mourir sans avoir porté de fruits. Car mourir n’a rien d’extraordinaire en soi : c’est chose courante à laquelle personne n’échappera. Mais ce qui est regrettable, ce que l’Évangile appelle à éviter, c’est de mourir sans avoir été fécondé par la vie.

Dieu est large d’esprit : qu’il y ait un figuier au milieu de sa vigne, cela lui

importe peu. Il n’est pas un programma-teur maniaque qui arrachera la moin-dre pousse spontanée sur ses terres. Un figuier, soit. Il aimerait seulement se réjouir du fruit du figuier, comme il se réjouit du fruit de la vigne. Notons la bonne nouvelle subsidiaire : il n’attend pas que le figuier porte des mangues ou des oranges selon le bon plaisir du Maître des lieux. Dieu attend du figuier qu’il porte le fruit de son identité.

Dieu attend, oui. Il se laisse convain-cre de patience par le vigneron. Il laisse quelqu’un intercéder et prendre soin, quelqu’un espérer et essayer. Dieu est tout à la fois celui qui goûte et celui qui bêche, ainsi nous appelle-t-il à sa suite au travail et à la persévérance, en vue de goûter les fruits de nos vies fécondées.

Nous avons tous à mourir, et Dieu avec nous lorsqu’il prend le chemin de la Croix. Heidegger dit de l’homme qu’il est un « être pour la mort ». Jésus nous dit que nous sommes des êtres pour la vie. Là est la conversion. Elle ne féconde pas seulement notre rapport à la mort, mais dès aujourd’hui notre rapport à la vie : nous sommes là pour porter des fruits. MARION MULLER-COLARD – UÉPAL

Car par analogie, la parabole du figuier figuier au milieu de sa vigne, cela lui

Aux jardins du monde, j’entends l’appel franc

à monter en graines, à porter des fruits

C’est la loi de Dieu, la loi du Vivant

elle féconde les terres où pousse ma vie

C’est la loi de Dieu qui sème à tous vents

c’est la loi du vent qui porte le pollen

c’est du Créateur la puissante haleine

qui anime nos vies d’un souffle de printemps

Quand Dieu m’est lointain, quand il m’est sévère

je sors au jardin, devance la lumière

du matin où la loi finalement s’accomplit

aussi simplement qu’un arbre porte son fruit. M. M.-C.

PRIÈRE

1. Luc 11,11-13.

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18 RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013Courrier

Cendres

et poussièreÀ propos du billet d’Olivier Brès,

Réforme no 3500

Permettez-moi de venir au secours du rite catholique de la croix de cendres. Il rap-pelle un mot de la Genèse : la poussière, en hébreu afar, dont la racine est af, oiseau. Il symbolise tout ce qui vole, ce qui est soulevé par le vent, il est symbole de légèreté. Le rite dit « des Cendres » nous replonge dans notre origine primordiale : « Souviens-toi que c’est en qualité d’oiseau que tu as été créé, ou comme l’envol de la poussière qui est insaisissable, souviens-toi que tu es un et multiple, déta-ché du sol et de ses mirages. » Et surtout : « Souviens-toi que tu redeviendras cette pous-sière emportée par le vent de l’Esprit, quelles que soient tes craintes, parce que tu es déjà sauvé par le signe de la croix que je trace sur ton front. »

JEAN GUYOT

courriel

Retraite

À propos du dossier, Réforme no 3499

Fidèle lectrice... pour la pre-mière fois je réagis très néga-tivement au dossier « Prendre

sa retraite ailleurs ». Je conçois les avantages présentés pour une retraite au Maroc par exemple, mais la teneur de l’article me semble aller plus pour une revue quelconque actuelle vantant les joies de la retraite que pour Réforme. Que l’information soit don-née, soit, mais il serait bien que l’analyse du point de vue chrétien en soit faite !

La retraite, droit à l’épa-nouissement ? Aller se faire dorer au soleil, vivre à bon marché à l’étranger parce qu’on bénéficie d’une bonne retraite française, n’avoir que des contacts virtuels ou des vacances dorées avec ses enfants et petits-enfants ! Est-ce ainsi qu’on s’épanouit ? Et quel épanouissement ? Celui d’un repliement sur soi, d’un hédonisme bon marché ?

Comment, après les tirs tous azimuts contre l’exil fis-cal, peut-on parler de qualité de vie à l’étranger parce que les impôts sont moindres, la vie moins chère, l’immobi-lier intéressant (au détriment des habitants locaux aux moyens limités, car les prix augmentent si la demande progresse !) ? Je regrette qu’aucune analyse sur ce

type de retraite n’ait été faite dans ce dossier. La société nous invite suffisamment à ne penser qu’à soi et à son bien-être, sans qu’un heb-domadaire comme Réforme aille dans le sens du courant facile !

Quant à moi, certaine-ment rétrograde et vieux jeu aux yeux de ces nouveaux retraités que vous décrivez, la retraite me permet d’avoir

du temps, enfin, pour être au service de mes enfants et petits-enfants, ou des autres. Pas le temps de me regarder le nombril au soleil. Mais quelle richesse et quelle joie grâce aux regards et aux sou-rires bien concrets ! Oui, c’est un épanouissement, et com-bien j’en remercie Dieu cha-que jour malgré les impôts, la vie chère, les fins de mois difficiles !

Je suis heureuse !CHRISTIANE DESROCHES

courriel

Bouc émissaire

À propos de l’article de Marie-

Christine Bernard, Réforme no 3501

L’histoire que raconte Marie-Christine Bernard est celle d’une dame qui a eu un malaise dans un TGV. À la suite de cet incident, le TGV a eu 40 minutes de retard, et ce retard serait imputable à l’égo-

ïsme de la dame qui aurait dû quitter le train. Cette conclu-sion me paraît non seulement totalement erronée, mais, d’une certaine façon, per-verse : dès le début la dame dit que « c’est sans importance, ça lui arrive parfois » ; n’em-pêche, le contrôleur appelle un médecin, qui appelle les pompiers, alors que la dame « proteste, exige de signer une décharge », ce qui est tout à fait légal, et qui sera la conclusion de l’histoire.

Qui, en définitive, est res-

ponsable du retard du TGV ? La pauvre dame qui se débat pour que l’on en finisse rapidement et qui prend sa responsabilité d’adulte en demandant à signer une décharge ? Ou tous les inter-venants, englués, eux, dans le « principe de précaution », dans la peur des responsabi-lités et de la judiciarisation ambiante ? Cette histoire illustre notre société pusil-lanime et surprotectrice où la liberté individuelle dans la responsabilité est de plus en plus souvent ignorée et/ou bafouée. Je pense qu’à la place de la dame j’aurais agi comme elle… et que je n’aurais pas aimé être consi-dérée comme le bouc émis-saire du retard du train par Réforme !

FRANÇOISE IRIS

courriel

LA RÉPONSE DE MARIE-CHRISTINE BERNARD

Je dénonce moi aussi l’excès de principe de précaution qui tend à paralyser nos liens sociaux. C’est pourquoi je dis que la réaction des personnels se comprend et qu’ils ont agi dans une stricte légalité qui les honore… Cet épisode m’a

simplement conduite à réflé-chir sur notre part de respon-sabilité, à chacun : est-ce que nous intégrons toujours les conséquences sur les autres des choix que nous posons ?

MARIE-CHRISTINE BERNARD

Conseil

constitutionnel

Parmi les modifications que François Hollande envisage d’apporter à la Constitution figure la suppression de la disposition selon laquelle les anciens présidents font par-tie à vie du Conseil consti-tutionnel. Une telle mesure ne peut qu’être approuvée. Il faut toutefois souligner que les anciens présidents ne siègent pratiquement pas. Depuis 1958, un seul a parti-cipé régulièrement aux tra-vaux du Conseil, ce fut René Coty. De Gaulle n’a jamais siégé, Pompidou n’en a pas eu l’occasion, Valéry Giscard d’Estaing n’a pas siégé de 1981 à 2004 en raison de ses acti-vités politiques, Mitterrand pas davantage, seul Jacques Chirac s’est parfois rendu au Conseil. Cette réforme sera sans grand effet pratique, elle permettra surtout de ne plus verser des rémunérations pour un travail inexistant.

LOÏC PHILIP

Puyricard

(Bouches-du-Rhône)

« Le carême, la retraite et le sens des responsabilités »

Pour joindre vos correspondants, faites le 01 43 20

suivi du no entre parenthèses

FONDATEUR Albert Finet (†).

DIRECTEUR DE LA RÉDACTION Antoine Nouis (4547).

DIRECTRICE DE LA DIFFUSION Dominique Guiraud (1406).

RÉDACTRICE EN CHEF Nathalie de Senneville-Leenhardt (0853).

RÉDACTION Frédérick Casadesus (5970) Marie Lefebvre-Billiez (2712)

RÉDACTEURS CHARGÉS DU SITE WEB Laure Salamon/Louis Fraysse (1912).

ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO Marion Muller-Colard, Nicolas Farelly, Sabrina

Cicchini, Daniel Bourguet, Joël Dahan, Philippe Bohlinger, Jean-Pierre

Rive, Nicola Stricker, Julie Paik, Pierre-Olivier Monteil, Olivier Abel,

Jacques Hochmann, Michael D. Higgins.

SECRÉTARIAT DE RÉDACTION Marc Moreau (0054).

ADMINISTRATION, COMPTABILITÉ Odile Brillet (8688).

ABONNEMENTS : Réforme – Service abonnements, BP 1, 59361 Avesnes-

sur-Helpe Cedex. Tél. 03 27 56 12 11. Fax. 03 27 61 22 52.

[email protected]

CONSEIL D’ADMINISTRATION :

PRÉSIDENT ET DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Jean-Paul Willaime.

VICE-PRÉSIDENTS David Guiraud, Jean-Hugues Carbonnier.

TRÉSORIER Gil Kressmann.

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL Bénédicte Boissonnas.

ADMINISTRATEURS Pierre Bardon, Alain Boyer, Pierre Encrevé, Gabriel

de Montmollin, Jean-Louis Pacquement, Jean-Daniel Roque, François

Scheer, Isabelle Schlumberger, Valentine Zuber.

CONCEPTION ET RÉALISATION GRAPHIQUE

Rampazzo & Associés.

IMPRIMEUR Imprimerie Roto Champagne, 2, rue des Frères-Garnier,

ZI de la Dame-Huguenotte, 52000 Chaumont.

COMMISSION PARITAIRE no 0513 C 83111 : 2013.

CCP 1 250-51 F Paris. ISSN 0223 5 749. Copyright 2013.

Abonnements France 1 an 114 €, 6 mois 63 €.

Ou téléphonez au 03 27 56 12 11.

Réforme 01 43 20 32 67

« La retraite me permet

d’avoir du temps pour être

au service de mes enfants,

petits-enfants et des autres »

❏ (12 nos)

❏ ❏ ❏❏

l’actualité des avisnotre monde la théologie

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19GuideRÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

À SUIVRE

CÉLÉBRATION

Journée mondiale de la prière des femmes« J’étais étranger et vous m’avez accueilli. »

Cette parole de Jésus, extraite de l’évangile

de Matthieu (25,35), a été érigée en thème de

la Journée mondiale de la prière (JMP) qui

sera célébrée le 1er mars dans 170 pays.

L’événement est organisé par le mouvement

œcuménique international « Journée mon-

diale de la prière des femmes » qui rassemble

des femmes venues du monde entier et issues

de toutes les confessions chrétiennes.

Chaque année, un pays est choisi pour rédi-

ger la liturgie qui est célébrée le premier

vendredi du mois de mars. Après les Malai-

siennes en 2012, c’était cette année aux Fran-

çaises qu’est revenue la tâche de préparer

cette journée.

Depuis sa fondation en 1887, l’action de l’or-

ganisation est guidée par le triptyque « s’in-former, prier, agir ». En effet, la JMP vise

d’abord à informer les chrétiennes sur le

quotidien, l’histoire et la culture des femmes

du pays organisateur de la célébration. En-

suite, la prière, qui est au cœur de cette jour-

née, a pour but d’« exprimer et d’enrichir l’échange spirituel entre femmes d’origines et de cultures différentes ». Enfin, cet événement

permet à des associations, situées dans le

pays organisateur et œuvrant pour le respect

et la promotion des droits des femmes, ainsi

que pour leur formation, de recevoir des of-

frandes de la part de tous les participants.

Bien que cette journée soit organisée par des

femmes, elle est aussi ouverte aux hommes.

300 localités de l’Hexagone, répertoriées sur

le site de la Fédération protestante de Fran-

ce, accueilleront les célébrations.

Faisant écho au thème choisi par le comité

international, les organisatrices de cette édi-

tion ont décidé que la réflexion porterait sur

l’immigré. Ainsi, plusieurs questions anime-

ront les esprits : que veut dire être étranger ?

Qu’est-ce qu’un étranger ? Que signifie ac-

cueillir ? SABRINA CICCHINI

www.protestants.org

de la liturgie. Le bouquet dans

l’église ne doit pas se fermer

sur lui mais, au contraire,

conduire vers autre que lui,

ouvrir sur autre que lui.

Intervenante : Doris Schott,

artiste florale. Du samedi 9, 17 h 30, au dimanche 10 mars, 17 h, au château

du Liebfrauenberg, 220,

rue du Château, Goersdorf (67).

S’inscrire avant le 4 mars.Rens. 03 88 09 31 21.

www.liebfrauenberg.com

[email protected]

« Café biblique »Dans le cadre de ExpoBible Marseille.« La Bible dans les

quartiers », conférence

par le père Vincent Fenech,

le pasteur Salim Bouali

et Nathalie Nourian.

Animateur : Michèle Taddéï.

Mardi 5 mars, 17 h.

« Bible et entreprise »,

conférence par Alain Setton,

consultant et formateur

en management. Animateur :

Christian Apothéloz.

Mercredi 6 mars, 17 h.

« Le temps dans la Bible :

comment un jour fait mille

jours… », conférence par

le pasteur Guillaume Argaud.

Animateur : Pierre Pacull.

jeudi 7 mars, 17 h.

À la Brasserie de l’Alcazar,

en face de la bibliothèque,

2, place François-Mireur,

13002 Marseille.

Contact : 06 04 14 58 92.

Programme sur :

http://expobible2013.tumblr.com

« Solitude : un mal croissant de notre société ou un temps de ressourcement ? »Table ronde avec Sandra

Zurcher-Droit, Anne-Christine

Hillbold-Croiset, Marc Weiss.

Mardi 5 mars, 20 h-22 h,

Foyer paroissial, Pfaffenhoffen

(67). Rens. MIAN,

03 88 53 84 55.

RADIO-TV

France Culturewww.franceculture.fr

dimanche 3 mars, 8.30Culte avec le pasteur

Jean-Pierre Sternberger,

animateur biblique à l’Église

protestante unie de France.

Carême protestant : « De la révolte à l’espérance, Job ! »Avec les pasteurs Marianne

Guéroult, Pascal Hubscher,

Alain Joly. Rediffusion

sur Fréquence protestante

le lundi suivant à 21 h 30.

www.careme-protestant.org

dimanche 3 mars, 16.00-16.30« Le refus de la foi “opium” ».

Refuser une foi qui console

à bon compte, c’est rester

en questionnement avec Dieu !

(Job 13,1-19).

France 2Présence protestantewww.presenceprotestante.com

dimanche 3 mars, 10.00-10.15 « Protestants… parlons-en ! ».

Émission d’actualité de

Présence protestante : actualité

du protestantisme et regards

protestants sur l’actualité

en général. Édito, actualités,

revue de presse.

dimanche 3 mars, 10.15-10.45« Kaïros ». Émission commune

à Présence protestanteet au Jour du Seigneur.

« Le sens de la peine et les

alternatives à la prison ».

La prison est-elle toujours

la meilleure solution pour

que la personne condamnée

se reconstruise et apprenne

de ses erreurs ?

Fréquence protestante(100,7) 01 45 72 60 [email protected]

www.frequenceprotestante.com

dimanche 3 mars Les grandes figures du christianisme, 12.30« Albert Schweitzer, pasteur,

théologien, organiste et

médecin en terre lointaine ».

Proposé par Henri Persoz.

RCFwww.rcf.fr

dimanche 3 marsVisages, 19.30Thierry Lyonnet.

« Thierry Bizot, producteur

de télévision, auteur du roman

biographique Catholique anonyme. »

mardi 5 marsGrand Témoin, 21.00Béatrice Soltner.

« Éric Vénot-Eiffel : traverser

la nuit de la foi ».

PETITES ANNONCES

Voyage en Arménie et au Karabagh

Voyage œcuménique, culturel, humanitaire.Du 1er mai au 9 mai 2013.Prix : 1 450 €. Et avec l’option « Extension au Karabagh »,et retour le 12 mai, prévoir un supplément de 200 €. Accompagnateurs : Janik

Manissian et pasteurs Samuel

Sahagian, Isabelle Pierron,

Patrick Chong, Pierre Blanzat.

Voyages tous âges, organisé par Solidarité protestante France-Arménie (SPFA). Pour

s’inscrire envoyer dès que

possible un acompte de 200 €

à SPFA, 1, rue Cabanis, 75014

Paris. Tél. 01 47 35 30 23

ou 06 83 09 08 19. Programme

détaillé sur demande.

RÉUNIONS

« Art et Bible : femmes de la Bible »Conférences audiovisuelles

organisées par « Expo Bible

Limousin », association

interreligieuse.

« La fille de Jephté », présenté par Nicole Chambon,

germaniste, et Florence

Taubmann, pasteur de l’Église

réformée. Au croisement

du récit biblique et de l’image,

le public sera entraîné dans

une lecture des images

et leur confrontation au texte.

Jeudi 7 mars, 18 h 30-20 h,

faculté de droit, amphi 400A,

5, rue Félix-Éboué, derrière

la BFM, Limoges (87).

Entrée gratuite.

Rens. 05 55 05 01 15.

[email protected]

[email protected]

« Des mythes toujours actuels ? »Un regard nouveau sur certains mythes bibliques. « L’attente de la Jérusalem

céleste ». Du livre d’Ésaïe

au livre de l’Apocalypse,

conférence-débat,

par Elian Cuvillier, professeur

à l’Institut protestant

de théologie à Montpellier.

Samedi 16 mars, 10 h,

53, rue Erlanger,

Paris 16e. Libre PAF.

Études & Recherche d’Auteuil,

01 46 51 72 85. www.erf-auteuil.org

« Week-end art floral »L’art floral veut être au service

DÉCÈS

Après un difficile combat

contre une maladie qui l’a

privée peu à peu de ses forces,

de sa mobilité et de sa liberté,

Nicole ROBERTnée BERTON,

nous a quittés le 13 février 2013.

Notre peine est immense,

notre espérance absolue.

De la part de ses enfants,

Gilles et Laurence ROBERT,

Denis et Brigitte ROBERT,

ses petits-enfants Matthieu,

Guillaume et Émilie, Lucile,

sa sœur, Sylvie GALIANA,

ses belles-sœurs, Françoise

et Mireille BERTON,

ses neveux et nièces, qu’elle

avait tant de plaisir à accueillir.

Elle a été inhumée au cimetière

protestant de Royan.

Le culte d’action de grâces a été

célébré au temple de Saint-

Palais-sur-Mer, le 18 février 2013.

« Le Seigneur est mon berger,

Je ne manque de rien.

Sur de frais herbages il me fait

coucher ; près des eaux du repos,

il me mène. »

Psaume 23,1-2

20, avenue de la Falaise,

17200 Royan.

Élie ROBERT,

pasteur à la retraite, s’est éteint

paisiblement le 3 février 2013

à l’âge de 84 ans.

Un culte de consolation

et d’espérance a eu lieu

à Castres le 8 février 2013.

De la part de son épouse

Hélène ROBERT, née BOSC,

ses enfants et conjoints,

Patrick, Alain et Nanna,

Philippe, Françoise,

ses petits-enfants et conjoints,

Clio et Mathieu, Walapa

et Hervé, Wénéguili et Billy,

Ogun et Mélanie,

ses arrière-petits-enfants,

Joshua, Johan.

Nouméa (98), Vaunaveys (26),

Risskov (Danemark).

19, chemin de Saint-Hippolyte,

81100 Castres.

« Je suis le chemin, la vérité,

la vie » Jean 14,6

Dons pour la Cimade.

D.

R.

Écoutez Réformesur Fréquence protestante

100,7 FM

Jeudi 7 mars,

13 h 15-14 h

« Questions d’actualité »

Réforme sur RCFTous les jeudis,

à 6 h 55, retrouvez la chronique

d’Antoine Nouis,directeur de Réforme.

www.rcf.fr

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20

SELAMI VARLIK. Français d'origine turque,

philosophe, musulman,

ce chercheur dit l'influence

de Ricœur sur sa pensée.

Le divan gris du café, pen-dant près d’une heure, est devenu le navire avec lequel Selami Varlik aime à croiser les courants de pensée : volubile et drôle,

associant les concepts avec autant de sérieux que d'ouverture d'esprit. Livrer des souvenirs de jeunesse semble une aventure périlleuse pour lui, comme si cet homme bavard et pudique craignait de trop en dire. Alors, il a vite repris le chemin des idées, capable d’associer ce qui semble contraire, à la fois philoso-phique et religieux, de sorte qu’en deux temps et trois mouvements, c’est un dis-ciple de Ricœur qui nous est apparu.

Enfant du Berry

Figurez-vous une famille nombreuse et musulmane dont les parents sont venus de Turquie, au beau milieu des années 70. « Mon père est arrivé d’abord à Montargis, où s’étaient installés cer-tains de ses amis, puis à Vierzon, où il a trouvé un emploi d’ouvrier, se souvient Selami Varlik. Ma mère l’a rejoint et c’est ainsi que je suis né, le 28 juin 1977. »

Évoquant son enfance dans une cité HLM, où régnait encore une vraie mixité, le philosophe précise qu’en ce temps-là le facteur de dissociation n’était pas l’appartenance à un groupe ethnique mais au milieu social : « Nous avions un rapport d’indifférence à l’égard des bourgeois. Personnellement, j'étais plutôt solitaire, j’allais souvent jouer dans les champs qui se trouvaient derrière chez nous en compagnie d’un ami proche, et dévorais déjà des livres sur l’islam, ce qui me permettait d’avoir un rapport spiri-tuel et moral au monde. »

Une éducation très stricte entraîne en effet le jeune homme sur la voie de la réflexion. « Parce qu’il parlait difficile-ment le français, mon père ne compre-nait pas tout ce qui relevait du domaine scolaire, mais il était très exigeant et nous inculquait des principes : ne pas convoiter le bien de l’autre, faire preuve de gratitude, se contenter de peu », ajoute Selami Varlik.

Cette morale incarnée le conduit à placer le souci de justice au premier rang de ses priorités intellectuelles. Reconnaître le droit de l’autre à ne pas partager son point de vue lui permet d’échapper à la dichotomie du mal et du bien. « Comme dans un couple, si l’on ne pose pas la responsabilité de cha-

cun, on ne s’en sort pas, dit-il encore. Il est par exemple essentiel d’échapper à une doxa ambiante selon laquelle soit les musulmans sont responsables d’une situation de crise dont les Fran-çais subiraient les conséquences, soit

les méchants Français seraient des islamophobes dont il faut se méfier. » Soulignant que, dans toute religion, il y a une part d’acceptation et une part de contestation, Selami Varlik estime essentiel de réinvestir ce qu’il nomme le jargon classique musulman dans ce qu’il propose de positif : la gratitude, la patience, la reconnaissance, les remer-ciements, la quantité de droits, d’autori-sations, l’emportant de beaucoup sur la liste des interdits. « La zakât [l’aumône légale, troisième pilier de l'islam, ndlr] tient dans notre culture une place plus importante que la viande halal et pour-tant elle est totalement absente du dis-cours de la plupart des musulmans de

France, déplore Selami Varlik. Au fond, je pense que nous avons trop intégré ce versement de la culture française qui consiste à râler tout le temps, alors que la génération de nos parents et grands-parents étaient plus calme. »

À l’âge des rêves ado-lescents, Selami Varlik désirait devenir mathé-maticien. Mais la pre-mière leçon donnée par madame le professeur de philosophie du lycée Henri-Brisson de Vierzon

a changé le cours des choses. Aussitôt, le jeune homme a pensé que le mythe de la caverne était une reformulation, avec d’autres termes, de la vision entre le vrai monde d’ici-bas et le monde de l’au-delà en islam. « J’étais incons-ciemment préparé à établir un tel lien, reconnaît-il aujourd’hui. D’abord par mon bilinguisme, qui me prouvait qu’il existe plusieurs façons de désigner une idée, mais aussi par la remarque d’un de mes professeurs de mathématiques, lequel nous avait dit que la recherche n’était pas terminée, qu’il existait d’autres systèmes pour théoriser le monde – une véritable révélation. » Le bachelier se jette dans le labeur d'hypokhâgne et

démontre, en maîtrise, qu’il existe un lien entre Martin Heidegger et l’islam : « Quand le philosophe allemand dit que nous ne pensons pas l’“être” mais l’“étant”, du fait de notre finitude (même quand nous pensons Dieu), il rejoint le Prophète, pour qui Dieu est toujours au-dessus de ce que l’on peut penser ou dire de lui, ce qui donne son sens à l’expression “Allah Akbar” : Dieu est au-dessus de. » Selami Varlik a exercé quelques métiers à des fins alimentaires, en France, au Proche-Orient, avant de mener une thèse à l’Ins-titut protestant de théologie (IPT). Paul Ricœur bientôt devient sa référence.

L'héritage de Ricœur

Le jeune philosophe insiste en pre-mier lieu sur la relation que Ricœur avait établie avec la religion : « Il a sou-vent mis en garde contre la tentation de croire que la philosophie pose des ques-tions auxquelles la religion répond. On est dans un questionnement des deux côtés et on est en chemin de saisir la piste éventuelle de la réponse au sein et au cœur du questionnement de part et d’autre. » Une attitude qui ne pouvait que rejoindre les préoccupations d'un homme qui est à la fois fidèle à sa foi et philosophe.

« Probablement du fait de ma propre histoire, admet-il, je me sens très proche de Paul Ricœur, qui nous encourage à penser une chose et une autre à la fois non parce qu’il refuse de choisir mais au contraire parce qu’il a l’humilité de recon-naître qu’il y a un endroit de la pensée où l’existence de x n’exclut pas tout à fait y et vice versa. »

Le refus du sectarisme s'accompagnait chez Ricœur d'une méfiance à l'égard de ce que l'on nomme le juste milieu et qui n'est autre que la peur de ne fâcher personne. « Cette manière d'être me tou-che beaucoup, souligne Selami Varlik. Une discussion doit donner lieu à une respiration dialectique, un va-et-vient dynamique. »

Selami Varlik a étudié le débat qui oppose, en Turquie, à propos du Coran, les disciples d'Emilio Betti, philosophe italien qui prétendait que l’on peut connaître le sens objectif d’un texte, et les partisans de l'Allemand Hans-Georg Gadamer pour qui c'est impossible. Au fil de ses recherches, il a placé Paul Ricœur en position d’arbitre.

« En affirmant qu'un grand texte donne tort à celui qui le lit, qu'une lecture qui ne nous change pas n’est pas une bonne lecture, il provoque un vrai dialogue, estime Selami Varlik. Relire le Coran, c’est cela : la capacité du texte à dépasser nos paradigmes. »

Après une pause, le jeune philosophe annonce qu'il part pour Istanbul, ensei-gner à l'université pendant six mois. Sa femme et son enfant le suivent, Paul Ricœur aussi.

FRÉDÉRICK CASADESUS

Philosophe des confluences

Spécial Paul Ricœur RÉFORME NO 3502 28 FÉVRIER 2013

D.

R.

« Ricœur a souvent

mis en garde

contre la tentation

de croire que la

philosophie pose

des questions

auxquelles la

religion répond »« Je ne faisais partie

d'aucune bande,

je lisais beaucoup

de livres sur l'islam »