Harvey, F. (2005) La généalogie et la transmission de la culture : une approche sociologique

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    Fernand HarveyLes Cahiers des dix, n 59, 2005, p. 285-305.

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    La gnalogie et la transmission de la culture : une approche sociologique

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    La gnalogie et la transmission de la culture :

    une approche sociologique

    PARFERNAND HARVEY

    La gnalogie est une discipline scientifique qui a pour objet la connaissancede la parent existant entre les individus 1. La recherche des origines et de lafiliation des individus et des familles constitue donc lessentiel de sa dmarche,laquelle peut prendre diffrentes voies par la suite, compte tenu des motivationsscientifiques ou personnelles des praticiens impliqus. Lhistoire de la gnalogiepermet de constater quelle tait jadis rserve ltude des grandes familles noblesou bourgeoises avant de se populariser au cours du XXesicle, plus particulirement

    partir des annes 1960. Paralllement, la gnalogie a eu tendance dlaisserson intention pangyrique dautrefois pour sen tenir aux faits rvls par lesdocuments darchives. Cette rigueur mthodologique, associe la multiplicationdes publications, a facilit un rapprochement avec dautres disciplines pratiquesdans le milieu universitaire, plus particulirement lhistoire, la dmographiehistorique et la gntique.

    1. REN JETT, Trait de gnalogie, Montral, Presses de lUniversit de Montral, 1991,p.37.

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    Les rapports entre la gnalogie et la sociologie ont-ils suivi le mme rap-prochement interdisciplinaire ? Peu danalyses se sont attardes la nature et lvolution de ces rapports. Le prsent article semploiera prsenter le point de

    vue implicite ou explicite de la sociologie sur la gnalogie travers certainsconcepts ou tudes, particulirement dans le champ de la sociologie de la famille.Dune faon plus gnrale, la gnalogie peut tre considre, dun point de vuesociologique, comme une pratique de transmission de la culture.

    La sociologie de la famille et la gnalogieCest sous langle de la famille que la sociologie sest le plus rapproche de

    la gnalogie puisque les deux disciplines abordent la question de la filiation. Leterme defiliationfait dabord rfrence au lien qui unit un enfant son pre et sa mre. Dans le domaine de la parent, on distingue lafiliationde lalliance :la premire constituant une relation verticale et la seconde, une relation horizon-tale contracte par le mariage. Ces deux types de liens ne sont pas le fait dunprocessus naturel, mais rsultent plutt dune production culturelle. En effet, lesrgles de filiation sont tablies soit par la tradition orale chez certains peuples sanscriture tudis par les anthropologues, soit par un corpus de lois crites dans nossocits modernes. Cette structure de la filiation impose tout individu un

    hritage, compos de biens symboliques et matriels, et une succession, accordantdroits et obligations qui sont le fondement de son identit2 .

    La filiation, dans la mesure o elle relie ensemble la succession des gnra-tions, sinscrit donc dans une tradition, cest--dire un ensemble dusages transmisdge en ge, tout en faisant lobjet dadaptation au contexte du moment. Dansles socits rurales o le rythme du changement tait lent, on conservait plusfacilement les traditions familiales. La socit moderne issue de lindustrialisationet de lurbanisation est venue remettre en cause bien des traditions, notammentcelles relies aux rituels saisonniers et aux ftes religieuses. Par ailleurs, la famillelargie, la parent et la parentle, si prsentes dans les liens familiaux dautrefois,a fait place la famille nuclaire, et plus rcemment, de nouveaux modles :famille clate, recompose, monoparentale, de conjoints de mme sexe.

    Les points de contacts entre la sociologie de la famille et la gnalogie peu-vent tre tablis en fonction de trois grandes approches savoir une sociologiehistorique de la famille et des populations, une sociologie de la mmoire inter-gnrationnelle et une sociologie des nouveaux modles familiaux contem-porains.

    2. Filiation , dans DORTIER, FRANOIS (dir.), Dictionnaire des sciences humaines, Auxerre,ditions Sciences humaines, 2004,p. 246-248.

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    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 287

    Une sociologie historique de la famille et des populationsLa dmographie a t la premire science humaine se rapprocher de la

    gnalogie au dbut des annes 1950. Un tel rapprochement apparaissait tout fait naturel, compte tenu de la proximit des objets de recherche des deux disci-plines. La dmographie peut tre dfinie, en effet, comme ltude des mcanis-mes de renouvellement des populations humaines : lentre par la naissance oulimmigration, la reproduction, gnralement conscutive au mariage, et la sortiepar le dcs ou lmigration3 . Dans la mesure o certains dmographes se sontintresss lvolution des populations humaines dans le temps, ils ont eu recoursaux mmes sources que les gnalogistes, plus particulirement les registres parois-siaux. On doit Louis Henry la mise au point de la mthode de reconstitution

    des familles partir de ces registres. Dabord dveloppe en France au dbut desannes 1960, cette mthode a connu dimportants dveloppements au Qubec, la suite des travaux des dmographes Jacques Lgar, Hubert Charbonneau etde lhistorien-sociologue Grard Bouchard4. Grce cette mthode, il devenaitpossible de relever tous les actes dtat civil dun village, den regrouper les infor-mations sur des fiches de famille , de les classer et deffectuer une analysequantitative de la fcondit5. Cette mthode a ainsi permis de mener bien plusde 500 monographies de villages en France et de mesurer les comportementssexuels, familiaux et dmographiques de ces populations. Cependant, il est viteapparu que lapproche territoriale lie aux registres paroissiaux introduisait unbiais important puisquelle ne pouvait tenir compte de la mobilit gographiquedes individus et des familles. En ne tenant compte que des familles stables cesmonographies donnaient limage dune socit immobile6. Cest pourquoi deschercheurs ont largi leur champ dtude pour considrer lensemble des registres

    3. REN JETT, op. cit., p. 214.4. JACQUES LGAR, Le programme de recherche en dmographie historique de lUniversit

    de Montral (Qubec) : fondements, mthodes, moyens et rsultats , tudes canadiennes /Canadian Studies, Ottawa, no 10 (juin 1981), p. 149-182 ; HUBERT CHARBONNEAU et al.,Naissance dune population. Les Franais tablis au Canada au XVIIe sicle, Montral, Pressesde lUniversit de Montral, 1987, 232 p. ; GRARD BOUCHARD, CLAUDE LABERGEet BERNARDCASGRAIN, Reconstitution automatique des familles. Le systme SOREP, Chicoutimi, Centreinteruniversitaire de recherche sur les populations, SOREP, dossier no 2, 1985, 2 vol., 521,224 p.

    5. LOUIS HENRY, Manuel de dmographie historique, Genve, Droz, 1967, 148 p. ;, 2e d.,1970.6. Voir par exemple : GRARD BOUCHARD, Sennely-en-Sologne, le village immobile, Paris, Plon,

    1972, 386 p.

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    paroissiaux dune mme rgion, ouvrant ainsi la porte une reconstitution despopulations7.

    Par ailleurs, la contrainte de lapproche locale a amen certains dmographeset historiens franais sintresser aux tudes des gnalogistes dans la mesure oelles permettaient de replacer les individus dans leur cadre familial et de les suivredans leurs dplacements en fonction de leurs cycles de vie. Bref, douvrir la porte une tude de la mobilit gographique et sociale. On esprait que les tudesgnalogiques permettraient de tracer de nouvelles avenues pour la connaissancede la micro-histoire et lhistoire des mentalits. Le recours aux gnalogies ascen-dantes et descendantes a, de fait, facilit une meilleure connaissance de lvolutiondes familles tudies. Cependant un obstacle majeur en a rduit la porte dans la

    mesure o ces tudes slectives ne pouvaient prtendre la reprsentativit parrapport lensemble dune population donne8.

    Dune faon gnrale, la dmographie historique base sur la reconstitutiondes familles partir des registres paroissiaux aura permis de produire une analysepousse de la fcondit ancienne en plus de dboucher, par la suite, sur la mesuredes mouvements migratoires et ltude gntique9.

    Par ailleurs, dimportants travaux de sociologues de la famille ont analysles origines de la famille et son volution travers lhistoire, particulirement en

    Occident. En France, Martine Sgalen a mis en relief les diffrents modles defamille dans la socit traditionnelle et dans la socit moderne, en passant parles transformations que subit la famille franaise au XIXe sicle, tant en milieupaysan quen milieu ouvrier ou bourgeois10. De telles analyses consacres lastructure et lvolution de linstitution familiale sont susceptibles dlargir lesperspectives des tudes gnalogiques.

    Une sociologie de la mmoire intergnrationnelle

    ces travaux sur un pass lointain o gnalogistes, dmographes, historienset sociologues se ctoient autour dobjets communs viennent sajouter ceux des

    7. GRARDBOUCHARD, Quelques arpents dAmrique : population, conomie, familles au Saguenay(1838-1971), Montral, Boral, 1996, 635 p.

    8. JACQUESDUPQUIER, Gnalogie et histoire sociale , dansTIPHAINE BARTHELEMYetMARIE-CLAUDE PINGAUD, (dir.), La gnalogie entre science et passion, Paris, ditions du CTHS, 1997,p. 203-205.

    9. REN JETT, op. cit., p. 216 ;GRARDBOUCHARD etMARCDEBRAEKELEER, (dir.), Histoire dungnme. Population et gntique dans lest du Qubec,Sillery, Presses de lUniversit du Qubec,1991, 607 p.

    10. MARTINE SGALEN, Sociologie de la famille, 5e dition, Paris, Armand Colin, 2002, 293 p.

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    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 289

    sociologues de la famille qui tudient les gnrations plus rcentes, soit les grands-parents, les parents et les enfants dans une perspective de relations intergnra-tionnelles et de transmission de la mmoire. Lanthropologue Chantal Collard a

    ainsi rappel lexistence de mmoires gnalogiques toujours vivantes dans certainsvillages du Qubec11.

    De quoi les familles se souviennent-elles ? Et comment la mmoire familialese transmet-t-elle entre les gnrations ? Le sociologue Maurice Halbwachs con-sidre que la mmoire familiale vhicule des notions, des images, des sentimentset des rgles de fonctionnement. Cette mmoire singulire rattache une gn-ration sestompe lorsquun individu quitte sa famille pour en fonder une autre.Une nouvelle mmoire propre cette seconde gnration prend ainsi forme.

    terme, seuls quelques fragments de la mmoire des grands-parents sont transmisaux petits-enfants la troisime gnration12. Dans une toute autre perspective,les tudes sociologiques de Pierre Bourdieu ont dmontr, en sappuyant sur leconcept dhabitus, quil existe un mcanisme de transmission intergnrationnelledes gots, des pratiques et des attitudes au sein de la famille qui favorise la repro-duction sociale13. Dautres chercheurs ont plutt voulu mettre en vidence le rlede lindividu comme acteur central de son destin, dans la mesure o il entreprendun travail de slection et de rinterprtation des hritages reus14.

    Pour sa part, Denise Lemieux, aprs avoir voqu le glissement des mmoi-res ancestrales ou gnalogiques associes au maintien dun lignage ou dunpatrimoine aux vocations du temps de lenfance , considre que des enqutessociologiques simposent pour mieux cerner les formes multiples de mmoiresconstruites aujourdhui autour de la famille . cet gard, la cration dun romanfamilial ou la pratique de la gnalogie tmoigneraient dune volont de conso-lider un hritage ou dun besoin de combler les discontinuits de la transmission15.Dans une approche de sociologie clinique, Vincent de Gaulejac aborde galement

    11. CHANTAL COLLARD, Parent et communaut Rivire-Frmiotte, 1880-1960 ,Anthropo-logie et Socit, vol. 9, no 3, (1985), p. 57-87.

    12. MAURICEHALBWACHS, Les cadres sociaux de la mmoire, Paris, Mouton, 1980, chapitre 5.13. PIERRE BOURDIEU, Le sens pratique, Paris, ditions de Minuit, 1980, chapitre 3, Structure,

    habitus, pratique .14. DANIEL BERTAUXet ISABELLE BERTAUX-WIAME, Le patrimoine et sa ligne : transmissions et

    mobilit sociale sur cinq gnrations , Life Stories/Rcits de vie, no 4 (1988) ; BERNADETTEBAWIN-LEGROS etJEANKELLERHALS, (dir.), Relations intergnrationnelles. Parent-transmission-

    mmoire, Lige, tienne Riga, 1991, 223 p.15. DENISELEMIEUX, Souvenirs denfance, mmoires familiales et identit , dans SIMON LANGLOISetYVES MARTIN, (dir.), Lhorizon de la culture. Hommage Fernand Dumont, Sainte-Foy,Presses de lUniversit Laval / IQRC, 1995, p. 247.

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    le roman familial quon peut dfinir comme un rcit remani par le sujet de sesorigines familiales. Combin ltude des trajectoires sociales, cette approchepermet de mieux saisir en quoi les individus sont le produit dune histoire dont

    ils cherchent devenir le sujet16 . Le roman familial se prsente souvent commeune version embellie dun pass familial remani qui peut remonter jusquauxgrands parents, surtout sil est question dun secret non rsolu ou dune exprienceindicible17.

    Dautres travaux de sociologues se sont intresss au rle des grands-parents travers les gnrations. Grands oublis de la socit contemporaine, les grands-parents reviennent en force parce quils servent de lien entre les gnrations dansun contexte de fragilisation des structures familiales. Dune faon plus gnrale,

    ltude des grands-parents ouvre la porte limportance des anctres dans lta-blissement du lien de filiation. Patrick Menget affirme, cet gard :

    Aucun des systmes de filiation nexiste sans rfrence un au-del de la relationdynamique entre parents et enfants, soit que lon reconnaisse une ligne qui relieles morts aux vivants, les anctres aux descendants, soit que lon fonde par dautresmoyens la profondeur temporelle de la gnalogie. Autrement dit, la filiation, entant que mcanisme dallocation des places et de lordre des gnrations, ne sesuffit pas elle-mme, elle renvoie la fois la totalit du social [] et la dis-tinction dune identit collective18.

    Cette rfrence aux grands parents et aux anctres constitue un lmentimportant de lidentit des individus. Labsence dun tel lien avec le pass provo-que un traumatisme chez les enfants abandonns qui ne connaissent pas leurfiliation dorigine, chez les survivants de massacres collectifs ou de gnocides etchez les petits enfants de ceux qui ont pri dans les camps de concentration nazis.Selon Martine Sgalen, cette qute parfois passionne des origines chez ceux quien sont privs a quelque chose de troublant comme si on ne pouvait vivre sanssappuyer sur son pass gnalogique. La souffrance et le manque qui en rsultent

    sont l pour dire limportance mythique du fondement ancestral de lidentit etde ce quon appelle les racines19.

    16. VINCENTDE GAULEJAC, Roman familial et trajectoire sociale , Cahiers de smiotique textuelle,vol. 12, (1988), p. 70-83. Voir aussi du mme auteur : Lhistoire en hritage : roman familialet trajectoire sociale, Paris, Descle de Brouwer, 1999, 222 p. ; (avecANDR LVY), Rcits devie et histoire sociale : quelle historicit ?, Paris, d. Eska, 2000.

    17. DENISE LEMIEUX, op. cit., p. 243.18. Cit dans : CLAUDINE ATTIAS-DONFUT et MARTINE SGALEN, Grands-parents. La famille

    travers les gnrations, Paris, ditions Odile Jacob, 1998, p. 205. Sur le rle actif des grands-parents dans les socits du pass, voir aussi le livre de VINCENT GOURDON, Histoire desgrands-parents, Perrin 2001, 460 p.

    19. CLAUDINE ATTIAS-DONFUTET MARTINE SGALEN, op. cit., p. 210.

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    Une sociologie des nouveaux modles familiaux premire vue, les tudes sociologiques concernant les nouveaux modles

    familiaux sont moins susceptibles dintresser les gnalogistes, proccups quilssont de remonter loin dans le fil des gnrations. Pourtant ces nouvelles tendan-ces pourraient bien influencer la pratique gnalogique dans lavenir. Dici la findu XXIe sicle, les gnalogistes qubcois devront tenir compte dans leurs recher-ches de la multiplicit des modles familiaux, en plus de la famille nuclaireclassique. Ils seront galement confronts diffrents modles de filiation au-deldes liens du sang et dune identit nationale jusque l assez bien dfinie. Diversestudes en sociologie de la famille ouvrent dj des portes en ce sens, tant en Francequau Qubec.

    Au Qubec, le partenariat de recherche Familles en mouvance Dynamiquesintergnrationnelles, cr en 1993, poursuit diverses tudes en sociologie de lafamille20. Parmi les projets de ce regroupement, il faut noter une recherche inter-disciplinaire et internationale sur le nom, ltat et la personne dans les socitsoccidentales dont lobjectif est danalyser larticulation entre les normes juridiqueset culturelles de la parent, les mutations de ltat civil et les pratiques sociales.Un livre rcent sur le nomdans les socits occidentales, publi sous la directiondAgns Fine et Franoise-Romaine Ouellette, nest pas sans intrt pour les

    gnalogistes21

    . Ainsi, ltude des patronymes aurait t relativement dlaisse parles chercheurs, lexception des juristes. Il faut dire que la rigidit du systmeonomastique ancien, au Qubec tout au moins, navait rien pour attirer les cher-cheurs. Nous assistons cependant aux premires mutations de ce systme la suitede lintroduction du matronyme et du double nom au Qubec depuis 1980.Dautres pays occidentaux, incluant la France, ont suivi. la suite de ces rformes,le processus de transmission obligatoire de noms et de prnoms o les parents neconstituent quun relais dans la chane gnalogique a fait place un systme derelative libert de choix. Ce changement significatif sexplique du fait que la famille

    nest plus perue comme un chanon inscrit dans la succession des gnrations ,mais comme un espace affectif et ducatif concernant parents et enfants 22.Nanmoins, les recherches entreprises jusquici tentent dmontrer que la

    20. Ce partenariat est sous la direction conjointe de Franoise-Romaine Ouellette, professeure lINRS-Urbanisation, Culture et Socit et de Marie-Andre Fortin, du ministre de laFamille, des Ans et de la Condition fminine : http ://partenariat-familles.inrs-ucs.uquebec.ca

    21. AGNS FINE et FRANOISE-ROMAINE OUELLETTE, dir., Le nom dans les socits occidentalescontemporaines, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2005, 250 p.22. AGNS FINE et FRANOISE-ROMAINE OUELLETTE, La rvolution du nom dans les socits

    occidentales contemporaines , dansA. FINE et F.-R OUELLETTE, op. cit., p. 29.

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    transmission du nom du pre lenfant, plutt que celui de la mre ou le doublenom, demeure un choix majoritaire pour les parents, tant en France quauQubec.

    Il est intressant de noter que cette rsistance au changement sinscrit dansun contexte culturel spcifique certains pays, car une tradition onomastiquediffrente consacre depuis longtemps lemploi du double nom dans les pays telsque lEspagne, le Portugal et le Mexique. Quoiquil en soit, le choix entre les nomsde famille maintenant offert par les rgles juridiques du Qubec ouvre, selonDenise Lemieux, de nouvelles possibilits pour tenir compte de formes familialesdiversifies mais elle oblige tous les nouveaux parents choisir entre leurs lignes.Ces choix peuvent savrer difficiles pour les personnes immigres qui vivent une

    transition culturelle23

    .La question de la ligne se pose galement dans le cas de ladoption dun

    enfant. Pour Franoise-Romaine Ouellette, ladoption implique un certain flot-tement identitaire entre les parents biologiques et les parents adoptifs depuis lalibralisation des informations sur les antcdents familiaux des enfants adopts.Nanmoins, le systme juridico-administratif dadoption au Qubec tend maintenir au second plan le principe de filiation gnalogique au profit de larelation lective et affective entre les parents et lenfant. Il est cependant prvisi-ble que ladoption sera de plus en plus un enjeu et un lieu dexprimentationpour les groupes qui revendiquent une plus grande libert daccs la parentalitet aux enfants , notamment pour les couples de mme sexe. Ds lors, il y a lieude sinterroger sur limpact de ces nouveaux modles de parentalit sur lorga-nisation gnalogique en tant que systme de symbolisation de la diffrence dessexes, des ges et des gnrations24 . La nature lective de la filiation, par oppo-sition la filiation du sang, mise en vidence dans le processus dadoption, nestpas tout fait nouvelle puisque le parrainage, associ au baptme dans les soci-ts catholiques traditionnelles, revtait galement un caractre lectif. Les parents

    de lenfant pouvaient, en effet, choisir un parent ou un ami comme parrain oumarraine.

    ces questions concernant le nom et ladoption vient sajouter celle delimmigration dont limpact sur la gnalogie qubcoise ne manquera pas de sefaire sentir au cours des prochaines dcennies, particulirement dans la rgion de

    23. DENISE LEMIEUX, Nommer le premier enfant. Discours et pratiques de parents qubcoisdans le contexte de changements familiaux et juridiques ,AGNS FINE et FRANOISE-ROMAINE

    OUELLETTE, op. cit., p. 187.24. FRANOISE-ROMAINE OUELLETTE, Repres gnalogiques dans lidentit adoptive , dansTIPHAINE BARTHELEMYet MARIE-CLAUDE PINGAUD, (dir.), La gnalogie entre science et passion,op. cit., p. 299.

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    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 293

    Montral. La socit multiculturelle en mergence et les intermariages dont lenombre ira croissant rendra plus complexe la recherche gnalogique, plus par-ticulirement en ce qui concerne les ascendants en provenance de diffrents pays

    du monde autres que la France. travers les tudes sur la famille, les sociologues se sont donc intresss

    des questions telles que la filiation, les transformations de la structure familiale,la fonction de la mmoire familiale, les relations intergnrationnelles et limpactdes nouveaux modles familiaux sur la chane gnalogique. Considre tanttcomme outil de recherche, tantt comme terrain de rflexion et danalyse, lagnalogie est prsente sous diffrents aspects dans la sociologie de la famille. Deleur ct, les gnalogistes auraient tout intrt se familiariser avec ces probl-

    matiques susceptibles denrichir leurs analyses du pass et leur comprhensiondes transformations sociales en cours qui ne manqueront pas dinfluencer lapratique future de leur science.

    La gnalogie comme pratique de transmission culturelleUne autre approche sociologique de la gnalogie consiste la considrer

    comme pratique culturelle et identitaire. Dans cette perspective, la sociologieconsidre moins la gnalogie comme un outil, mais plutt comme un objet

    dtude, une reprsentation et pour tout dire comme un fait social au sens olentendait mile Durkheim25. La gnalogie apparat ainsi la fois comme pra-tique scientifique, pratique de loisir et affirmation identitaire o la sphre dupriv et celle du public sont intimement lies.

    Considre comme un fait social, la gnalogie sinscrit demble dans laproblmatique de la transmission de la culture, compte tenu de son articulationautour de la filiation. Que cherche, en effet, le gnalogiste sinon transmettreune mmoire familiale reconstitue par le biais de lenqute orale et des documents

    historiques. Cette mmoire ne se limite pas un cumul de faits, mais vhiculegalement des valeurs identitaires. Rgis Debray distingue avec pertinence lacommunication, acte de transporter une information dans lespace, de latransmis-sion, acte le transporter une information dans le temps26. Abordant plus particu-lirement le cas de la famille, Martine Sgalen considre, pour sa part, quelhistoire familiale est tisse dhistoires que lon se rapproprie chaque gnration travers les photos, les gnalogies familiales, voire maintenant les sites familiaux

    25. MILE DURKHEIM, Les rgles de la mthode sociologique, Paris, PUF, c1937, 22e

    d., 1986,149 p.26. RGIS DEBRAY, Malaise dans la transmission , Les Cahiers de mdiologie, no 11, (2001),

    p. 17.

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    sur Internet. Cette transmission de lhistoire familiale est gnralement positiveet vite soigneusement dvoquer tout ce qui pourrait savrer de nature conflic-tuelle27.

    Deux enqutes sociologiques sur les pratiques gnalogiquesIl existe peu danalyses sociologiques des pratiques gnalogiques. En France,

    Martine Sgalen a effectu lune des premires enqutes du genre au moyendentrevues et de questionnaires auprs de membres du Cercle gnalogique desPTT franaises afin de connatre leurs motivations pour cette pratique de loisirs.On sait quen France lintrt pour la gnalogie a t traditionnellement le faitde laristocratie et de la bourgeoisie. Une autre tude de Martine Sgalen consa-cre au pays bigouden en Bretagne tend confirmer que la classe paysanne nesemblait pas accorder dimportance lhistoire de ses origines. La consciencedappartenance immmoriale des paysans aupayssinscrivait dans la vie quoti-dienne, activ par un exercice oral de la gnalogie, mme si celui-ci ne dpassaitpas trois gnrations . Tout se passe comme si ces paysans, assurs de leur iden-tit, taient demeurs indiffrents la connaissance des anctres28.

    En ciblant le Cercle des gnalogistes amateurs des PTT qui comptait unmillier de membres au moment de son enqute de 1988, Martine Sgalen cher-

    chait cerner une population la mmoire casse, dorigine souvent rurale, etayant connu des dracinements successifs29. Parmi les motivations recueilliesauprs des personnes faisant lobjet de lenqute, on note le dsir de marquer unefidlit un parent mort, de conserver la mmoire familiale, voire lucider unsecret de famille que les anctres avaient tenu cach. Il arrive cependant que lapratique gnalogique dpasse les intrts strictement familiaux pour servir detremplin la dcouverte de lhistoire. Les amateurs les plus engags entreprennentalors lhistoire de certains aspects de leur coin de pays. En plus de produire dusavoir pour leur famille, ils ont le sentiment de contribuer modestement lhis-toriographie rgionale et nationale. Lenqute dmontre galement quune foisparvenu au bout de son entreprise, le gnalogiste devient alors un personnagepivot, dtenteur du savoir familial et susceptible de le transmettre30 .

    27. MARTINE SGALEN, Familles : de quoi hritons-nous ? , Sciences humaines hors srieno 36,(mars-avril 2002), p. 22 (thme gnral du numro : Quest-ce que transmettre ? ).

    28. MARTINE SGALEN, Quinze gnrations de Bas-Bretons, Paris, Presses Universitaires de France,1995, 405p.

    29. MARTINE SGALEN, Lamour de la gnalogie , dans Martine Sgalen, (dir.),Jeux de familles,Paris, Presses du CNRS, 1991, p. 196. Lenqute comprenait des entretiens auprs de24 hommes et 18 femmes et un questionnaire auquel 288 personnes ont rpondu.

    30. Ibid., p. 201.

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    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 295

    La gnalogie ainsi pratique par les plus convaincus qui y consacrent tousleurs loisirs est susceptible de dboucher sur ce que Martine Sgalen appelle lesfantasmes de lhrdit , chacun cherchant plus ou moins retracer quelque

    ascendant clbre et vanter la singularit de sa famille. On se prend finalementdamiti pour ses anctres, on sy attache passionnment au point de sidentifier eux. Puis, des anctres, on passe aux lieux gographiques. Do les visites auxvillages, hameaux, moulins ou autres lieux o ces derniers ont vcu. Nombreuxsont ceux qui organisent leurs vacances en rapport avec ces lieux de mmoire etde commmoration.

    La gnalogie largie galement le cercle de la parent tablissant ou rta-blissant des liens avec des cousins loigns. Certains gnalogistes franais ont

    mme organis des runions rassemblant tous les descendants dun mme anc-tre31. Ce type de rassemblement est, par ailleurs, assez courant au Qubec.

    Il existe des explications sociologiques bien connues pour rendre comptede cet engouement pour la gnalogie : dsir de retrouver son identit, ses origi-nes, besoin de renouer avec des lieux, des maisons, des noms. Mais il existeraitgalement des raisons psycho-sociologiques de lordre de limaginaire familial quipourrait mme avoir des vertus thrapeutiques selon certains psycho-clinicienssintressant la famille. Des formes de psychothrapie ont ainsi recours larbregnalogique pour soigner certaines nvroses La popularit rcente de la psycho-gnalogie sinscrit dans ce courant32.

    Lenqute ralise par Martine Sgalen est sans doute lune des rares tudessociologiques sur la pratique de la gnalogie. Au-del des diffrences culturellesqui sparent ce cas franais de la situation qui prvaut gnralement au Qubec,le portrait densemble des motivations relies la pratique gnalogique prsentedes analogies intressantes.

    Une autre enqute du mme genre a t mene en France par Claire-Emma-nuelle Lorquin en 1993 auprs dune quarantaine de gnalogistes ordinaires provenant de la classe moyenne citadine, mais dont les origines rurales taientencore assez proches. Les rsultats de cette recherche sont semblables celle meneplus haut par Martine Sgalen. Les motivations du gnalogiste, souvent unretrait, font rfrence un devoir de transmission , parfois accentu par la

    31. PHILIPPE ESCALLIER, Lassociation patronymique Les Escallier , dansTIPHAINE BARTHELEMYet MARIE-CLAUDE PINGAUD, (dir.), op. cit., p. 101-107.

    32. Ibid., p. 207. Sur la psychognalogie voir : PHILIPPE KERFORNE, Comment se librer de ses

    blocages familiaux : la psychognalogie, Paris, Trajectoire, 2003, 251 p. ; PATRICEVAN EERSEL,Jai mal mes anctres ! : la psychognalogie aujourdhui, Paris, Albin Michel, 2002, 195 p. ;DORYS LANGLOIS, La psychognalogie : transformer son hritage psychologique, Montral,ditions de lHomme, 2005, 332 p.

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    296 CAHIERS DES DIX, NO 59 (2005)

    perspective dune mort prochaine. La construction dune identit personnelle etfamiliale travers lpaisseur du temps donne ainsi un sens sa vie. Lobjet de latransmission, bien davantage quun ensemble dinformations pour ceux qui la

    reoivent, dsigne leur place dans la chane des gnrations et le rle qui leur estdvolu33 . Cette mmoire nest donc pas neutre, mais sinscrit dans une filiationfantasme o tout ce qui distingue le groupe familial est valoris, lexclusiondes rares tabous et des secrets de famille. travers cette chane des gnrations,certains individus sont levs au rang de hros ou de gardiens, compte tenu deleur parcours exceptionnel ou danecdotes tonnantes ou touchantes leur sujet.La transmission de la filiation serait donc rarement quilibre, mais privilgieraittrois ou quatre personnages qui appartiennent au profil du gardien ou du hros.Par ailleurs, la mobilit sociale entre les gnrations est toujours souligne, accen-tuant le contraste avec la dure poque des grands-parents ou arrires grands-parentsdont on exalte lhrosme34.

    La gnalogie comme pratique culturelle au QubecLa pratique gnalogique au Qubec possde une longue histoire qui

    remonte au XIXe sicle. Au milieu du XIXe sicle, comme le rappelle Ren Jettdans son Trait de gnalogie, la gnalogie tait plus ou moins associe au pan-

    gyrique des familles de notables et demeurait laffaire de lgistes et decclsiastiques.Le premier ouvrage de gnalogie publi au Qubec date de 1867. Rdige parle sulpicien franais Franois Daniel, cette publication se rattache la tendanceapologtique et impressionniste35. Les travaux de labb Cyprien Tanguay (1819-1902) marquent un tournant important dans la gnalogie au Qubec. SonDictionnaire gnalogique des familles canadiennes, publi en six volumes entre1871 et 1890, peut tre considr comme le vritable fondement de la recherchegnalogique au Qubec36. Malgr les relents de pangyrique manifests parlauteur dans son introduction, ce dernier sen tient aux faits [noms et dates] et

    adopte une austre dmarche scientifique, peu courante cette poque o lhis-toriographie demeurait domine par le courant romantique de labb Henri-Raymond Casgrain.

    33. CLAIRE-EMMANUELLE LORQUIN, La gnalogie ordinaire , dans TIPHAINE BARTHELEMYetMARIE-CLAUDE PINGAUD, (dir.), op. cit., p. 408.

    34. Ibid., p. 416.35. FRANOISDANIEL, Histoire des grandes familles franaises du Canada ou Aperu sur le chevalier

    Benoist et quelques familles contemporaines, Montral, Sencal, 1867, xii, 548, 48 p.36. CYPRIEN TANGUAY, Dictionnaire gnalogique des familles canadiennes, Montral, Sencal,1871-1890. Voir aussi : JACQUES GAGNON, Cyprien Tanguay, (coll. Clbrits , no 103),Montral, Lidec, 2005, 62 p.

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    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 297

    Au cours de la premire moiti du XXe sicle, les successeurs et disciples deTanguay auront pour nom Pierre-Georges Roy (1870-1953), Benjamin Sulte(1841-1923), douard-Zotique Massicotte (1867-1948), gidius Fauteux (1876-

    1941), auxquels il faut ajouter lavocat Joseph Drouin (1875-1937), fondateuren 1899 de lInstitut gnalogique Drouin, premire entreprise commerciale dugenre au Qubec37. Bon nombre de ces travaux, concernent ltude des grandesfamilles et revtent, de ce fait, un caractre litiste. Paralllement, dautres cher-cheurs moins connus semploient compiler systmatiquement les actes demariages, de baptme et de spultures de lensemble des familles dune mmeparoisse, dun comt ou dune rgion, quils publient par la suite sous forme derpertoires. Le frre loi-Grard Talbot (1899-1976) a ainsi produit de tels rper-toires pour les rgions de Charlevoix, du Saguenay, de la Cte-du-Sud et de laBeauce38. Cette priode pionnire de la gnalogie se termine avec les recherchesdu pre Archange Godbout (1886-1960), dont lobjectif principal tait de cor-riger le clbre dictionnaire Tanguay en ayant recours une documentationbeaucoup plus large. Ce franciscain contribuera de faon significative popula-riser la pratique gnalogique au Qubec en fondant, en 1943, la Socit gna-logique canadienne-franaise. Cette socit publie, depuis 1944, les Mmoires dela Socit gnalogique canadienne-franaiseauxquels Godbout a largement con-tribu jusqu sa mort39.

    Les annes 1960 amorcent une nouvelle priode dans lhistoire de la gna-logie au Qubec. Jusque l, on ne pouvait compter que sur une vingtaine derpertoires de mariages paroissiaux ou rgionaux. Ils vont se multiplier par la suitegrce au travail dune multitude de gnalogiste amateurs. Cet intrt croissantpour lhistoire familiale et pour lhistoire locale qui lui est souvent associe setraduit par la fondation de nouvelles socits de gnalogie. En 2005, le Qubecen comptait une cinquantaine, rparties dans toutes les rgions du Qubec. (voirlAnnexe 1). cela sajoutent les neuf centres rgionaux des Archives nationalesdu Qubec frquents par une forte proportion de gnalogistes40. De nouveauxdictionnaires gnalogiques ont galement t publis depuis les annes 198041.

    37. Historique de lInstitut Drouin : http ://www.institutdrouin.com/histoire/ (novembre2005).

    38. Par exemple : LOI-GRARD TALBOT, Recueil de gnalogie des comts de Charlevoix et Saguenaydepuis lorigine jusqu 1939, La Malbaie, Socit historique du Saguenay, 1941, 593 p.

    39. REN JETT, op. cit., p. 228-229 ; La Socit gnalogique canadienne-franaise abrite saMaison de la gnalogie, 3440, rue Davidson, Montral, un riche centre de documentation :www.sgcf.com (novembre 2005)

    40. Les centres rgionaux des ANQ sont situs Qubec, Montral, Rimouski, Saguenay, Trois-Rivires, Sherbrooke, Gatineau., Rouyn-Noranda et Sept-les.41. Parmi ceux-ci, citons : REN JETT et MICHEL LCUYER, Rpertoire des noms de famille du

    Qubec des origines 1825, Montral, Institut gnalogique J.L. et associs, 1988, 201 p. ;

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    298 CAHIERS DES DIX, NO 59 (2005)

    La Fdration qubcoise des socits de gnalogie, fonde en 1984,regroupait 49 socits locales ou rgionales affilies pour un total de 20 000membres en 2005. Parmi les associations qui sintressent la gnalogie au

    Qubec, il faut galement citer la Fdration des familles-souches du Qubec,fonde en 1983, et qui chapeaute quelque 200 associations de familles42.

    Dune faon gnrale, on estime que plus de 50 000 personnes sintressent la gnalogie au Qubec, dont pratiquement autant de femmes de dhommes.Cette activit attire des individus de toutes origines sociales et regroupe les plusde 40 ans dans une proportion de 98%43. Cest donc dire que les jeunes sontrelativement absents de la pratique gnalogique, mme si linformatisation rcentedes donnes gnalogique est susceptible den attirer plusieurs parmi ceux qui

    cherchent des rponses rapides leurs questions et qui nont pas encore dcouvertles vertus dun patient travail dans les archives.

    Il existe au Qubec plusieurs tudes quantitatives et qualitatives sur lespratiques culturelles des Qubcois, notamment celles ralises priodiquementpas le Ministre de la Culture et des Communications. On peut stonner que lagnalogie nait pas t considre comme une importante pratique de loisir, caraucune tude approfondie caractre quantitatif na t ralise sur le sujet jus-quici44. Les enqutes du Ministre indiquent nanmoins que 9,3% de la popu-lation qubcoise a frquent un centre darchives au moins une fois au cours de1999. De plus, 8,1% des rpondants ont eu une activit de type gnalogique aucours de la mme anne45.Une tude sur la pratique de la gnalogie au Qubecpermettrait sans doute dvaluer limportance croissante de cette activit de loisirau sein de la population et dy trouver diverses explications. On peut nanmoins

    REN JETT, Dictionnaire gnalogique des familles du Qubec, Montral, Presses de lUniver-sit de Montral, 1983, XXVIII, 1176 p. ; MICHEL LANGLOIS, Dictionnaire biographique desanctres qubcois (1608-1700), 4 vols, Sillery, La Maison des anctres et les Archives natio-

    nales du Qubec, 1998-2001, 521, 509, 523 et 501 p.42. Voir le site Web de la Fdration des Familles souche du Qubec : http ://www.ffsq.qc.ca/

    (novembre 2005)43. Site Internet de la Fdration qubcoise des socits de gnalogie : http ://www.federation-

    genealogie.qc.ca/textes/membres.html (novembre 2005) ;JEAN GRANDMONT, La gnalogiepour le plaisir de savoir do lon vient , Virage, (t 2005), p. 44-45.

    44. GILBERT GAGNON et al., La culture en pantoufles et souliers vernis. Rapport denqute sur lespratiques culturelles au Qubec, Qubec, Les Publications du Qubec, 1997, 197 p. ; JEAN-PAUL BAILLARGEON, (dir.), Les pratiques culturelles des Qubcois, Qubec, ditions de lIQRC,1986, 394 p. Ces deux enqutes ne mentionnent pas la gnalogie.

    45. ROSAIRE GARON, Dchiffrer la culture. 20 ans de pratiques culturelles, Qubec, 2004, 355 p.Ce bilan des diffrentes enqutes ralises par le Ministre de 1979 1999 mentionnebrivement la gnalogie parmi les pratiques en amateur dans une catgorie statistique quiinclut galement lhistoire, p.44 et 264-265.

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    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 299

    mettre lhypothse que laugmentation du nombre de retraits lie au vieillisse-ment de la population y est pour quelque chose.

    Le facteur de lge nest cependant pas le seul lment dexplication de lapopularit de la pratique gnalogique au Qubec. Il conviendrait dy ajoutercelui de lidentit. Au Qubec, le travail des gnalogistes pour reconstituer leslignes agnatiques [paternelles] semblent, en effet, sinscrire dans une qute iden-titaire o lhistoire des origines de la famille demeure intimement lie celle dela nation en gestation, en loccurrence la priode de la Nouvelle-France. Cettevalorisation concomitante du patrimoine familial et du patrimoine national, dansle cas des familles-souche en particulier, est sans doute lorigine de linventiondune tradition familiale, au sens o lentend lhistorien britannique Eric J. Hobs-

    bawm46

    . La gnalogie qubcoise aurait ainsi contribu crer un mythe desorigines : celui du premier anctre et de lpoque pionnire. Ce mythe des origi-nes familiales, inscrit dans le contexte dune socit neuve, ne peut pas pour autantse rfrer un temps immmorial, comme dans le cas des socits amriendiennes.Le gnalogiste qubcois doit, en effet, remonter plus loin dans le pass : celuide la France-mre.

    Dans son tude des familles-souche, Bernard Cherubini, dcrit les mises enscne des histoires de familles pionnires travers les muses, les rassemblementsde familles, les vnements festifs et diverses commmorations comme les anni-versaires de paroisse. Il a eu recours la technique de lobservation participanteauprs de trois familles-souche rassembles lle dOrlans lt de 1995.Sinspirant des thories de Pierre Bourdieu, Cherubini considre que la Fdrationdes familles-souche contribue faire de la famille-souche une illusion bienfonde : celle de se trouver dans une socit lignagre patrilinaire47 . On assis-terait donc une sorte de refondation de familles imaginaires reposant surlpaisseur de la mmoire familiale reconstitue sur des bases slectives lies lafiliation agnatique. Toute intressante quelle soit, cette interprtation npuise

    pas toute lanalyse de la qute des anctres dans le contexte qubcois, ni lensembledes motivations qui sont lorigine de cette pratique la fois identitaire, ludique etscientifique. Au fond, le gnalogiste ne reprend-t-il pas sa manire la qute de sens lorigine de toute culture dans un contexte de modernit, alors que les anciens rep-res de la tradition se sont plus ou moins effacs depuis le XIXe sicle48?

    46. ERIC J. HOBSBAWM et TERENCE RANGER, (dir.), The Invention of Tradition, Cambridge,Cambridge University Press, 1983, p. 1-14.

    47. BERNARD CHERUBINI, Le gnie de la performance familiale. Mises en scne locales de la

    gnalogie canadienne et runionnaise , TIPHAINE BARTHELEMYet MARIE-CLAUDE PINGAUD,op. cit., p. 374.

    48. FERNAND DUMONT, Le lieu de lhomme, Montral,HMH, 1968, p. 16. Dumont considre-rait sans doute la gnalogie comme une forme de stylisationde la culture premire pour

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    300 CAHIERS DES DIX, NO 59 (2005)

    * * *

    Lexploration des rapports entre la gnalogie et la sociologie nous a amens

    sur plusieurs pistes de rflexion. Tantt les deux disciplines se croisent autourdun objet commun li la filiation et ltude de la famille, tantt leurs rapportssinversent, la pratique gnalogique devenant objet de recherche sociologiquedans sa triple dimension scientifique, ludique et identitaire. Dans tous les cas, lagnalogie apparat comme un processus volontaire de transmission de la cul-ture.

    produire une culture seconde distance de la premire, mais lui donnant en mme tempsune signification (p. 51-83).

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    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 301

    ANNEXE 1

    Liste des socits de gnalogie

    et dhistoire locale ayant un intrt pour la gnalogie au Qubec en 2005

    Rgion VilleRevue /bulletin

    ABITIBI-TMISCAMINGUE

    Gnalogie Abitibi-Tmiscamingue Rouyn-Noranda Le Lien(1955- )

    Socit dhistoire dAmos AmosSocit du patrimoine et de gnalogiede Rouyn-Noranda

    OUTAOUAIS

    Socit de gnalogie de lOutaouais Gatineau LOutaouaisgnalogique(1979- )

    LAURENTIDES ET LANAUDIRE

    Socit de gnalogie des Laurentides Saint-Jrme

    Socit gnalogique dArgenteuil Lachute

    Socit gnalogique de Saint-Eustache Saint-Eustache

    Socit dhistoire des Pays-den-Haut Saint-Sauveur La mmoire(2004- )

    Socit de gnalogie de Lanaudire Joliette Nos sources(1981- )

    Socit dhistoire de la MRC delAssomption

    LAssomption

    Socit dhistoire et de gnalogie deSainte-Julienne

    Sainte-Julienne

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    Les cahiers des dix, no 59 (2005)

    302 CAHIERS DES DIX, NO 59 (2005)

    MONTRGIE

    Socit historique et culturelle du

    Marigot

    Longueuil

    Club de gnalogie de Longueuil Longueuil Nos anctres(1991- )

    Socit gnalogique Les Patriotes Sorel

    Club de gnalogie de La Jemmerais Sainte-Julie De brancheen branche(1995- )

    Socit de gnalogie Saint-Hubert Saint-Hubert

    Socit montrgienne de gnalogie Chambly Le temps pass(1993- )

    Centre dhistoire de Saint-Hyacinthe Saint-Hyacinthe

    Socit historique et culturelle deSaint-Antoine-sur-Richelieu

    Saint-Antoine

    Socit dhistoire du Haut-Richelieu Saint-Jean-sur-Richelieu

    Socit dhistoire de Shefford Granby Socit dhistoire de La-Prairie-de-la-Magdeleine

    La Prairie

    Socit de gnalogie Salaberry-de-Valleyfield

    Valleyfield Le lien(1987- )

    Au fil dutemps(1992- )

    Socit de gnalogie de Chteauguay Chteauguay

    Socit dhistoire et de gnalogie de laNouvelle-Longueuil-Saint-Polycarpe

    Saint-Polycarpe

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    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 303

    MONTRAL ET LAVAL

    Socit gnalogique canadienne-

    franaise

    Montral Mmoires de

    la SGCF(1944- )

    Quebec Family History Society Pointe-Claire Connections(1978-1995)

    Socit dhistoire et de gnalogie delle Jsus

    Laval

    Socit dhistoire et de gnalogie deVerdun

    Verdun Les Argoulets(1995- )

    Socit dhistoire et de gnalogie deMontral-Nord

    Montral-Nord Il tait unefois...(2001- )

    ESTRIE

    Socit de gnalogie des Cantons delEst

    Sherbrooke LEntraidegnalogique(1978- )

    MAURICIE ET BOIS-FRANCS

    Socit dhistoire et de gnalogie de laMauricie et des Bois-Francs

    Trois-Rivires

    Socit dhistoire et de gnalogie deShawinigan

    Shawinigan

    Socit dhistoire et de gnalogie des

    Bois-Francs

    Victoriaville Journal

    (1996- )Socit de gnalogie de Drummond-ville

    Drummondville La lanterne(1995- )

    QUBEC ET LVIS

    Socit de gnalogie de Qubec Qubec LAnctre(1974- )

    Socit de gnalogie de Lvis Lvis

    Socit dhistoire et de gnalogie deSaint-Casimir

    Saint-Casimir(Portneuf)

    Le Cageux(1998- )

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    Les cahiers des dix, no 59 (2005)

    304 CAHIERS DES DIX, NO 59 (2005)

    CTE-DU-SUD, BEAUCE, AMIANTE

    Socit dhistoire de Montmagny Montmagny

    Socit de conservation du patrimoinede Saint-Franois-de-la-Rivire-du-Sud

    Saint-Franois

    Socit dhistoire de Saint-Pascal Saint-Pascal

    Socit de gnalogie de la Beauce Saint-Benot-Labre

    Socit du patrimoine des Beaucerons Saint-Joseph-de-Beauce

    Socit dhistoire et de gnalogie de

    Saint-Prosper

    Saint-Prosper

    Socit gnalogique de la rgion deThetford-Mines

    Thetford-Mines Le Bercail(1991- )

    Socit dhistoire et de gnalogie deSaint-Sbastien de Frontenac

    Saint-Sbastien

    BAS-SAINT-LAURENT, GASPSIE, LES LES

    Socit dhistoire et de gnalogie de

    Rivire-du-Loup

    Rivire-du-Loup Le Louperi-

    vois(1993- )

    Socit gnalogique du KRT Saint-piphane

    Socit dhistoire et de gnalogie deTrois-Pistoles

    Trois-Pistoles

    Socit dhistoire et darchives deRimouski

    Rimouski

    Socit dhistoire et de gnalogie deMatane Matane

    Socit dhistoire et de gnalogie de laMatapdia

    Amqui

    Socit dhistoire et darchologie desMonts

    Sainte-Anne-des-Monts

    Socit de gnalogie Gaspsie-Les les Gasp

    Centre de gnalogie Madeleine Inc. Havre-Aubert

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    Les cahiers des dix no 59 (2005)

    LA GNALOGIE ET LA TRANSMISSION DE LA CULTURE 305

    SAGUENAY LAC-SAINT-JEAN

    Socit gnalogique du Saguenay Saguenay Saguenay

    ancestral(1999- )

    Socit dhistoire du Lac-Saint-Jean Alma

    Socit dhistoire et de gnalogie deMaria-Chapdeleine

    Dolbeau La Souve-nance(1989? )

    Socit dhistoire rgionale de Chibou-gamau

    Chibougamau

    CTE-NORD

    Socit de gnalogie de la Cte-Nord Sept-les

    Total : 49 socits de gnalogie

    Source : Fdration qubcoise des socits de gnalogie, Rpertoire 2005-2006 socits membres :http ://www.federationgenealogie.qc.ca ; FrancoGne Socits gnalogiques situes

    au Qubec : http ://www.francogene.com (novembre 2005) ; Catalogue Iris de laBibliothque nationale du Qubec : http://www.catalogue.bnquebc.ca (dcembre2005)

    Remarque : Cette liste ninclut pas les socits dhistoire rgionales qui ne font pas de la gnalogielune de leurs activits. Une majorit de socits dhistoire rgionales ou locales sontpar ailleurs regroupes au sein de la Fdration des socits dhistoire du Qubec,fonde en 1965. La Fdration comptait un total de 167 socits dhistoire locale ourgionale dans ses rangs en 2005. Plusieurs socits de gnalogie et dhistoire localeont une double affiliation : la Fdration des historiens et celle des gnalogistes.

    http ://www.histoirequebec.qc.ca/ (novembre 2005)