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A propos de ce livre Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avec précaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial en ligne. Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression “appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés à expiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sont autant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sont trop souvent difficilement accessibles au public. Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenir du long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains. Consignes d’utilisation Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendre ainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine. Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris les dispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant des contraintes techniques relatives aux requêtes automatisées. Nous vous demandons également de: + Ne pas utiliser les fichiers à des fins commerciales Nous avons conçu le programme Google Recherche de Livres à l’usage des particuliers. Nous vous demandons donc d’utiliser uniquement ces fichiers à des fins personnelles. Ils ne sauraient en effet être employés dans un quelconque but commercial. + Ne pas procéder à des requêtes automatisées N’envoyez aucune requête automatisée quelle qu’elle soit au système Google. Si vous effectuez des recherches concernant les logiciels de traduction, la reconnaissance optique de caractères ou tout autre domaine nécessitant de disposer d’importantes quantités de texte, n’hésitez pas à nous contacter. Nous encourageons pour la réalisation de ce type de travaux l’utilisation des ouvrages et documents appartenant au domaine public et serions heureux de vous être utile. + Ne pas supprimer l’attribution Le filigrane Google contenu dans chaque fichier est indispensable pour informer les internautes de notre projet et leur permettre d’accéder à davantage de documents par l’intermédiaire du Programme Google Recherche de Livres. Ne le supprimez en aucun cas. + Rester dans la légalité Quelle que soit l’utilisation que vous comptez faire des fichiers, n’oubliez pas qu’il est de votre responsabilité de veiller à respecter la loi. Si un ouvrage appartient au domaine public américain, n’en déduisez pas pour autant qu’il en va de même dans les autres pays. La durée légale des droits d’auteur d’un livre varie d’un pays à l’autre. Nous ne sommes donc pas en mesure de répertorier les ouvrages dont l’utilisation est autorisée et ceux dont elle ne l’est pas. Ne croyez pas que le simple fait d’afficher un livre sur Google Recherche de Livres signifie que celui-ci peut être utilisé de quelque façon que ce soit dans le monde entier. La condamnation à laquelle vous vous exposeriez en cas de violation des droits d’auteur peut être sévère. À propos du service Google Recherche de Livres En favorisant la recherche et l’accès à un nombre croissant de livres disponibles dans de nombreuses langues, dont le fran¸ oais, Google souhaite contribuer à promouvoir la diversité culturelle grâce à Google Recherche de Livres. En effet, le Programme Google Recherche de Livres permet aux internautes de découvrir le patrimoine littéraire mondial, tout en aidant les auteurs et les éditeurs à élargir leur public. Vous pouvez effectuer des recherches en ligne dans le texte intégral de cet ouvrage à l’adresse http://books.google.com

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A propos de ce livre

Ceci est une copie numérique d’un ouvrage conservé depuis des générations dans les rayonnages d’une bibliothèque avant d’être numérisé avecprécaution par Google dans le cadre d’un projet visant à permettre aux internautes de découvrir l’ensemble du patrimoine littéraire mondial enligne.

Ce livre étant relativement ancien, il n’est plus protégé par la loi sur les droits d’auteur et appartient à présent au domaine public. L’expression“appartenir au domaine public” signifie que le livre en question n’a jamais été soumis aux droits d’auteur ou que ses droits légaux sont arrivés àexpiration. Les conditions requises pour qu’un livre tombe dans le domaine public peuvent varier d’un pays à l’autre. Les livres libres de droit sontautant de liens avec le passé. Ils sont les témoins de la richesse de notre histoire, de notre patrimoine culturel et de la connaissance humaine et sonttrop souvent difficilement accessibles au public.

Les notes de bas de page et autres annotations en marge du texte présentes dans le volume original sont reprises dans ce fichier, comme un souvenirdu long chemin parcouru par l’ouvrage depuis la maison d’édition en passant par la bibliothèque pour finalement se retrouver entre vos mains.

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Google est fier de travailler en partenariat avec des bibliothèques à la numérisation des ouvrages appartenant au domaine public et de les rendreainsi accessibles à tous. Ces livres sont en effet la propriété de tous et de toutes et nous sommes tout simplement les gardiens de ce patrimoine.Il s’agit toutefois d’un projet coûteux. Par conséquent et en vue de poursuivre la diffusion de ces ressources inépuisables, nous avons pris lesdispositions nécessaires afin de prévenir les éventuels abus auxquels pourraient se livrer des sites marchands tiers, notamment en instaurant descontraintes techniques relatives aux requêtes automatisées.

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HARVARD

COLLEGE

LIER ARY

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o .

LE

^PARADlSOUVERT

A PHILAGIE

PAR CENT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU

AISÉES A PRATIQUER AUX JOURS DE SES FÊTES ET OCTAVES QUI SE

RENCONTRENT A CHAQUE MOIS DE L'ANNÉE

PAR LE R. P. PAUL DE BARRY

DE LA COMPAGNIE DE JÉSUS

VINGTIÈME RÉIMPRESSION AMÉLIORÉE, ET PRÉCÉDÉE D'UNE INTRODUCTION CRITIQUE

PAR JEAN DARGHE

J'ai vu le livre du Para

dis ouvert par cent dévo

tions aisées à pratiquer...

et celui de la Marque de

Prédestination; ce sont

des pièces dignes d'être

vues. (PASCAL, ix' Lettre

à un Provincial.)

PARIS

LIBRAIRIE CATHOLIQUE MARTIN-BEAUPRÉ FRÈRES, ÉDITEURS

21, RUE MOXSIEUR-LE-PRINCE, 21

1868

Reproductions interdites.

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Harvard Goiiege Library

July 1, 1914.

Bequeet of -

(Jeorgina Lowell Putnam

»

- a U9TQ » °tT6K~ l

J

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LE

PARADIS

OUVERT

A PHILAGIE

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OUVRAGES DE M. DARCHE

Saint Georges, martyr, patron des guerriers : étude critique et historique

sur la vie, la passion, le dragon, le culte, la protection et les ordres de che

valerie de Saint-Georges. — Ouvrage honoré des félicitations de Mgr Darboy.

archevêque de Paris, et de Mgr Chalandon, archevêque d'Aix. — Un beau

volume in-12. Prix : 2 fr. 50

« Il n'existait point encore en français de vie réellement satisfaisante du

« grand Chevalier chrétien; M. Darche a comblé dignement cette lacune.

« Son livre a une valeur incontestable non-seulement au point de vue ha-

« giographique, mais encore au point de vue de la critique historique, du

« symbolisme et de la science héraldique. » CF. Boissin.J

îfarie vient à notre secours dans tous nos besoins, trente et une lectures,

avec plus de 300 traits historiques fondus dans le texte.Vol. in-18. Prix : 2fr.

« Cet ouvrage est béni par N. S. P. le Pape Pie IX. »

Vie nouvelle du Curé tl'Ars, ouvrage le plus complet après celui publié

par les Missionnaires d'Ars. Volume grand in-12. Prix : 2 fr.

Vie trcs-compU'te de sainte Philomme, vierge et martyre, protectrice du

Rosaire-Vivant, suivie du Guide du Pèlerin dans les sanctuaires érigés en

son honneur. Vol. grand in-12. Prix : 2 fr.

Moi: r?" sainte Philoméne en exemples, suivi de l'Office, de la Neuvaine,

des Litanies de la Sainte. Vol. in-18. Prix : 1 fr.

M. Venet a dit de ces livres : « Un bon style, simple et clair, une matière

« bien divisée, beaucoup de faits bien coordonnés, tout ce que le lecteur

« peut souhaiter d'intéressant, d'utile et de nécessaire ».

Vie du vénéré Henri-Marie Boudon, grand archidiacre d'Evreux. Volume

in-12. Prix : 1 fr.

Imitation de saint Alphonse-Marie de Liguori, ouvrage approuvé par Mgr

l'évêque de Beauvais et honoré des fé!icitations du T. R. P. Mauron, sup.

gén. des Pères Liguerions. Troisième édition. Prix : 1 fr. 50

Dévotion, au sacré-Cœur de Jésus, ou connaissance, amour et imitation de

ée Cœur adorable, avec de nombreuses prières et pratiques de piété, un

recueil d'indulgences approuvées à Rome. Vol. in-18. Prix : 1 fr. 50

la vraie Dévotion à Marie, l'Immaculée Vierge et Mère de Dieu, d'après le

Vénérable Boudon d'Evreux : ouvrage solide et très-substantiel, enrichi de

notes précieuses. Un vol. in-12. ' Prix : 2 fr. 50

Mois de Marie des saints Pères. Nouvelle édition. Vol. in-18. Prix : 1 fr.

Mois de Mars des âmes pieuses. Nouvelle édition, in-18. 60 c.

Dévotion à Monseigneur Saint Georges, prolecteur de l'Eglise et des ar

mées chrétiennes, dédié aux militaires et aux défenseurs du Saint-Siège.

Beau vol. in-12. Prix : 1 fr.

Sous presse : La Lecture, ou traité complet des livres Vol. in-12.

MONTAUBAN. — TYPOGRAPHIE DE VICTOR BERTUOT.

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JEAN DARCHE AU LECTEUR.

Lecteur bienveillant, avant de mettre ce livre entre

vos mains, il convient que je rende raison de l'épigra

phe, qui, sans doute, aura fixé votre attention.

On lit à la fin de la Neuvième Provinciale de Pascal

une petite note, dont voici la substance : « Depuis que

« j'ai écrit cette lettre, j'ai vu le livre du Paradis ouvert

« par cent dévotions aisées à pratiquer, par le Père Barry ;

« et celui de la Marque de Prédestination, par le Père

« Binet. Ce sont des pièces dignes d'être vues. »

Et en tète de cette même Provinciale dont le fond

a été fourni à Pascal par le janséniste Nicole, on trouve

ce titre, qui accuse autant l'ignorance de son auteur

dans les matières religieuses que la mauvaise foi avec

laquelle il va faire le procès aux Jésuites et au culte

pratique de la Mère de Dieu : « De la fausse Dévotion

à la sainte Vierge que les Jésuites ont introduite.... »

Sans aucun doute Blaise Pascal suivait l'influence de

son parti, dont il partageait ouvertement les opinions

anathématisées par l'Eglise : ses Provinciales en sont la

plus forte preuve. Sans cela, il n'eût osé attaquer avec

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l'arme séduisante de l'ironie les pratiques consacrées

par la dévotion des fidèles envers l'auguste vierge Marie.

Assurément il n'eût rien dit du Paradis ouvert par

cent dévotions si ce livre fût sorti de la plume d'un écri

vain autre qu'un membre de la Compagnie de Jésus.

Mais ce n'était pas là un motif suffisant pour qu'il vomît

sa bile et celle de tout Port-Royal contre une si utile

et si précieuse Société, et contre une dévotion toujours

salutaire quand même elle serait imparfaite.

Pascal dit bien que le livre du Père de Barry est une

pièce digne d'être vue ; mais , comme on le voit , il ne

s'exprime de la sorte que par une niaise et insultante

ironie. Ce qui, du reste, ne peut plus nous étonner

quand nous pensons que cet homme à la fois éminem

ment savant et singulièrement bizarre faisait partie d'une

école dont les tendances, comme lès doctrines, ont été

condamnées par notre Mère la sainte Eglise. Malgré

cette tirade qui accuse dans le géant de Port-Royal un

dédain pharisaïque, il n'est pas moins certain que le

Paradis ouvert par cent dévotions à la Mère de Dieu est

un de ces livres malheureusement trop rares, et qui

mérite d'être lu et surtout pratiqué par les fidèles.

On conviendra sans peine que Pascal , ami de l'er

reur, ne pouvait toujours pactiser avec la vérité ; encore

s'il n'était pas inconséquent avec lui-même ! Il admet

volontiers qu'il faut rendre un culte à la Mère de Dieu ;

mais dès là que ce culte est traduit par des pratiques

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populaires, il semble le dédaigner, le ridiculiser même.

C'est la manie des philosophes anti-chrétiens qui atta

quent la religion dans ce qu'elle a de plus sacré. Quelle

mauvaise foi ! Pascal encore va plus loin : il blâme ce

qu'il feint d'ignorer, et il ose , le malheureux, le perfide,

l'hypocrite ! faire la critique injuste d'un livre qu'il

avoue n'avoir point lu, qu'il ne connaît que sur le rap

port de Nicole, le plus fougueux peut-être des jansé

nistes.

« Quoi! dit, en s'adressant à Pascal, M. l'abbé May-

nard , érudit interprète des Provinciales , quoi ! vous

avez écrit une lettre sur des ouvrages que vous ne con

naissiez pas, et que vous n'avez lus qu'ensuite ! L'aveu

est naïf, et se conçoit difficilement d'un homme ordinai

rement si habile : Mentita est iniquitas sibi. Preuve nou

velle que le pauvre Pascal était victime de ses amis ,

acceptant aveuglément leurs mémoires et se faisant

l'écho docile de leurs erreurs et de leurs passions. » *

1l est incontestable que Pascal fut un littérateur dis

tingué, et que la république des lettres lui est beaucoup

redevable, quoique cependant des critiques assez mo

dérés citent des morceaux de ses écrits qui ne sont pas

certes sans défauts , et où le meilleur goût ne domine pas

toujours. Nous ne disons pas cela pour ridiculiser ce

* Voir les Provinciales de Pascal , par M. l'Abbé MAYNARD,

2 vol. in-8°. Bray.

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grand génie, qui savait infiniment mieux écrire que

nous ne le saurons jamais, mais pour justifier à l'avance

les endroits dans le livre du Père de Barry dont la

construction grammaticale, malgré nos soins à la recti

fier, paraîtrait encore défectueuse à un public dont le

goût est si pur, si éclairé, et quelquefois si sévère.

Cependant Pascal ne reproche pas au Père de Barry

l'incorrection de style non plus que les nombreuses fau

tes typographiques qui fourmillent dans son ouvrage ;

des sujets plus graves, selon lui , attirent et fixent son

attention et ses colères : déverser le mépris sur l'illustre

Compagnie de Jésus, et le ridicule sur les pratiques de

la dévotion envers la Mère de Dieu.

D'un côté , donc , nous le félicitons de ce qu'il a con

tribué au perfectionnement du langage français ; mais,

de l'autre, nous le blâmons fortement de l'abus volontaire

qu'il a fait de son talent et de sa plume en les mettant

au service le plus vil de la calomnie contre l'un des or

dres religieux des plus respectables et des plus éminem

ment utiles à la société catholique.

Rendons pourtant encore cette justice à Pascal, que,

outre l'invention de la brouette et du haquet, d'une uti

lité incontestable , il a laissé un très-bon recueil en

forme de Pensées sur la Religion , tiré des principaux

Pères de l'Eglise, quoiqu'il ne les cite pas, comme l'a

reconnu un écrivain moderne. Mais autant Pascal paraît

grand, sublime même dans ses pensées sur la Religion,

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autant et plus encore il paraît rampant, imposteur, in

juste et calomniateur, j'allais dire vil, dans ses Lettres

à un Provincial, œuvre qu'on dirait sortie des officines de

l'enfer, et inspirée par Satan, le génie du mal et le cons

pirateur contre la vérité , la justice , l'ordre et la vertu ,

contre Dieu enfin !

En effet, ces Lettres réprouvées par le gouvernement

français dès leur apparition, et clandestinement impri

mées d'abord par feuilles volantes dans un sombre ap

partement et les obscurités de la nuit, qui ne dûrent

leur succès qu'à l'accueil favorable que leur firent les

ennemis des jésuites, c'est-à-dire les ennemis de Dieu et

de son Eglise, car ils n'en eurent jamais d'autres que

ceux-là , ces Lettres , dis-je , ne respirent d'un bout à

l'autre que le mensonge plus ou moins déguisé et la

haine furibonde d une Congrégation destinée , dans les

vues de la Providence, à soutenir et à défendre contre

l'impiété pharisaïque du siècle les droits de Dieu et de

son Eglise, et qui est la grande civilisatrice de l'Europe

et des contrées les plus éloignées. Aussi le Saint-Siége

Apostolique n'a pas hésité à frapper de ses anathèmes

un roman aussi scandaleux et si plein d'impostures, qui

fera perpétuellement la honte de son auteur , et à en

interdire par là même la lecture aux fidèles.

Nous ne cherchons pas ici à réfuter toutes les calom

nies forgées à plaisir par Pascal et dirigées par lui con

tre l'illustre Compagnie de Jésus; d'autres, et surtout

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M. l'abbé Maynard , l'ont fait habilement avant nous;

et puis, quoique la presse ait publié en 1805 une nou

velle édition des Provinciales, qui probablement ne s'é

puisera jamais , qui est-ce qui lit tant de nos jours ces

Provinciales , dont le sort , ce qui certes n'est pas glo

rieux à l'auteur, est de pourrir dans les immondices?

Du reste, la Compagnie de Jésus, si justement célèbre

par le nombre incalculable d'écrivains éminents, de mis

sionnaires zélés, de prédicateurs excellents, de saints

illustres par leur naissance comme par leurs vertus, de

martyrs d'un courage héroïque, n'a pas besoin d'apolo

gistes. Elle peut dire fièrement à ses ennemis qui, se

vantant d'avancer le progrès, ne cessent pourtant de

déclamer contre elle : « Venez , voyez , et jugez-moi

d'après mes œuvres, et non d'après les mensonges de

ceux d'entre vous qui se fatiguent à invectiver contre

moi. » Quant à Blaise Pascal, honte à lui d'avoir servi

son parti aux dépens de la vérité !

En flétrissant le jansénisme , nous ne prétendons pas

pourtant attaquer tous les écrivains de Port-Royal ,

mais bien l'esprit qui les dominait et les dirigeait la

plupart. Par malheur c'était un esprit d'obstination , et

par suite , de secte et d'hérésie. Quel dommage donc que

Pascal et Saci aient appartenu à cette école, eux pour

tant d'une simplicité si aimable ! Mais les erreurs dont

Port-Royal était le foyer ravagèrent ces deux belles

âmes. Dans le fond , ces deux grands hommes , dont

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l'autorité et le mérite eussent été, l'un comme apolo

giste de la religion et l'autre comme interprète des

Livres Saints , à la hauteur d'un Père de l'Eglise , n'é

taient pourtant pas aussi imbus des opinions de Port-

Royal que l'étaient les Arnauld , les Saint-Cyran, An-

dilly et Nicole ; et sans l'ascendant de ce dernier sur

Pascal et sa collaboration , assurément nous n'eussions

point eu la Provinciale qui attaque si niaisement et si

calomnieusement la sainte Compagnie de Jésus et les

pratiques du culte de la Vierge Marie.

Occupons-nous donc particulièrement de cette Pro

vinciale, et vengeons contre l'ironie de son auteur le

culte de notre céleste Mère.

Et d'abord, observons pour ceux qui n'ont pas lu les

Provinciales de Pascal, qu'elles reposent toutes sur des

fictions. Il est absolument faux que Blaise Pascal ait eu

ces entrevues par lui mentionnées avec des Pères de la

Compagnie de Jésus, et qu'il se soit entretenu avec eux

des sujets dont il parle et de la manière dont il en

parle. Il les fait donc parler à sa guise, tourne à con

tre-sens et torture ainsi par le plus criminel abus les

pensées des auteurs qu'il cite. De plus, ce qui est cer

tain de l'aveu de Pascal lui-même, c'est qu'il n'avait pas

lu le livre du Père de Barry non plus que les autres

livres des Pères par lui incriminés. Il dit à ce sujet :

« On m'a demandé si j'ai lu moi-même tous les livres

« que j'ai cités? J'ai répondu que non. Certainement il

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« aurait fallu que j'eusse passé une grande partie de

« ma vie a lire de très-mauvais livres. J'ai lu deux fois

« Escobar * ; et pour les autres , je les ai fait lire par

« quelques-uns de mes amis. » — De ses amis! oui,

mais tous jansénistes comme lui.

Et quand même Pascal eût lu tous ces livres et

même plusieurs fois, chose impossible! eût-il pris le

temps de comparer les textes? Etait-il capable de les

juger en maître, lui, théologien encore bien jeune et

très-imparfait, surtout en ce qui concerne la théologie

morale ? Mais hélas ! son Œuvre des Menteuses, accuse

hautement son ignorance en ces matières si ardues.

Aussi , ce qui a donné quelque vogue à ses fades Pro

vinciales , n'était pas tant le fond que la forme ; on les

lisait , mais avec un sourire de pitié et de dédain pour

l'auteur. Toutefois, comme nous n'avons qu'à venger

l'ouvrage du Père de Barry, et par suite le culte prati

que de notre Mère des deux , laissons vite toute ques

tion oiseuse.

Ce livre déplaît à Pascal parce qu'il facilite l'entrée au

* Sous-entendez seulement la Théologie d'Escobar ; car une

vie d'homme suffirait à peine à lire tous les écrits de cet auteur,

qui roulent presque tous sur l'Ecriture-Sainte. Pour ma part, je

possède dans ma Bibliothèque dix-sept tomes in-folio de cet

auteur sur la Bible , et dans ces volumes il a écrit des choses

admirables ! Mais la théologie d'Escobar forme six volumes in-

folio : or il est douteux que Pascal les ait lus deux fois.

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royaume des cieux à ceux qui pratiquent comme il con

vient ses enseignements salutaires. C'est que Pascal ,

comme ses amis de Port-Royal , est bien sévère pour

tout ce qui touche le culte de la Mère de Dieu.

En ce point cependant, nous ne ferons pas aux solitai

res de Port-Royal linjure de les mettre tout-à-fait sur

la même ligne que les protestants. Certains auteurs

ont porté l'exagération jusque-là ; mais l'exagération

n'est bonne à rien , il y a toujours du faux en elle. Et

quand il s'adresse au public, un écrivain consciencieux

doit respecter la raison des autres , loin de chercher à

l'obscurcir par des arguments captieux et injustes. On

voit que nous envisageons notre sujet avec la plus en

tière impartialité. *

Port-Royal reconnaissait les priviléges de la Mère de

Dieu ; mais s'il l'honorait , ce n'était pas toujours avec

l'amour filial , la tendre confiance d'un saint Bernard ,

d'un saint Bonaventure, d'un saint M. Boudon,d'un

Saint Liguori : car il lui manquait l'onction de l'Esprit-

Saint. Le coryphée de cette maison et de l'esprit qui y

régnait, Saint-Cyran, a traduit par une expression solen

nelle ce que dans ce monastère l'on pensait de la Mère

de Dieu , en disant que sa grandeur est terrible ! Divers

* Voyez ce que nous avons dit là-dessus dans notre livre

la Vraie Dévotion à Marie , l'immaculée Vierge Mère de Dieu,

tiré des écrits du V. Henri-Marie Boudon , d'Evreux ; liv. III ,

ch. 8, n. 5. Paris, Sarlit.

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auteurs ont glosé sur cette pensée sublime : les uns l'ont

interprétée favorablement, et d'autres ont cru y aper

cevoir l'écho de la piété jansénienne envers Marie. Pour

tant on peut bien dire avec Sainte-Beuve, reproduit par

Egron dans son Culte de la Sainte-Vierge, quoiqu'il ne

le cite pas : « Cette manière auguste de considérer la

Vierge, celle à qui, comme on l'a dit, il fut donné d'en

fanter son Créateur, ajoute, ce me semble, quelque

chose d'inattendu a sa gloire. Cet éclair d'effroi à la

Jéhova qui tombe sur ce doux front rehausse en un

point le diadème.» (Port-Royal, par Sainte-Beuve, l. n.)

Il y a donc plus de vrai que de faux dans l'expression

de Saint-Cyran, et si on l'a condamnée, c'est faute de

l'avoir comprise. Car, si c'est un tort de refuser à la

Reine des deux tous les épanchements de ses plus dou

ces caresses, la confiance et la familiarité de ses plus

fidèles serviteurs, c'en est un autre non moins grand,

selon nous, de ne voir dans cette sublime et glorieuse

créature devenue la Mère de son Dieu qu'une dame au

doux sourire, à la figure bonasse , toujours disposée à

satisfaire les exigences de tous ceux qui s'adressent à

elle , fussent-ils les plus criminels pécheurs, et à donner

une sorte d'approbation à leurs vices. C'était la remar

que d'un grand artiste dont le nom m'échappe en ce

moment. Ceux-là donc qui ne veulent nous présenter la

Vierge-Mère que dans des grâces aussi mesquines, ne

. considèrent sans doute pas qu'ils se jettent en dehors

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du vrai et du beau. Un peu de -sévérité mêlée à une

merveilleuse douceur dans les traits ineffables de l'au

guste Vierge relève donc infiniment sa grâce extérieure,

et nous inspire pour sa personne sacrée un plus saint

respect , une plus solide confiance.

L'Eglise elle-même, puisant ses saintes inspirations

dans le Code sacré des divines Ecritures et dirigée

par l'Esprit de Dieu , nous la représente bien belle , et

gracieuse comme le .lis et la rose ; elle emprunte aussi

à la nature toutes ses magnificences pour en parer

la Mère de Dieu. * En même temps elle veut que nous

considérions cette bienheureuse Vierge avec des attri

buts dignes de sa grandeur ineffable, de sa puissance et

de sa domination sur les créatures, puissance et domi

nation qu'elle tient de Dieu qui l'a faite sa Mère. Et

voilà pourquoi l'Eglise n'hésite aucunement à la nommer

terrible comme une armée rangée en bataille (Gant. VI).

L'expression de Saint-Cyran se trouve donc justifiée par

celle même de l'Eglise. Nous pouvons ajouter que le

Père de Barry, dans le livre que nous publions de nou

veau, emploie un terme qui semble tout aussi singulier

lorsqu'il appelle Marie redoutable majesté (Ch.IX, Dév. 8).

Mais là où Saint-Cyran , comme Pascal , comme pres

que tout Port-Royal , n'est plus en harmonie avec nous,

* Voyez nos Etudes sur le Symbolisme de Marie dans l'Ecri

ture, dans l'art et la nature.

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c'est quand il s'agit de publier l'inépuisable miséricorde

pour tous de la mère du Dieu qui , dit S. Jean est cha

rité (Joan. I). D'après l'esprit et la doctrine de cette

secte, dont Pascal était imbu, il faut bien honorer di

gnement la sainte Vierge ; mais cet honneur qui lui est

rendu doit être limité, et l'on se doit bien garder de

consacrer à cette divine Vierge les élans d'un cœur qui

appartiennent exclusivement à Dieu seul.

Et puisque nous en sommes sur Pascal , c'est avec

bien de la justesse , avec un peu trop sans doute, que

Sainte-Beuve a pu dire de lui : « Pascal , humainement,

n'a point aimé ; mais tout son amour s'est versé sur Jé

sus-Christ le Sauveur. * » C'est vrai et c'est faux. C'est

vrai : il croyait aimer en vérité Jésus-Christ,—amour

de sentiment ; c'est faux : car il ne pouvait aimer Notre-

Seigneur Jésus-Christ et en même temps calomnier de

la manière la plus méchante, la plus injuste, sa noble

et chère Compagnie et les pratiques de la dévotion à sa

très-sainte Mère.

Pascal avait une piété rigide ; mais la rigidité exclut

l'onction, l'amour et la confiance, exclut par conséquent

le culte vrai , le culte du cœur ; car le cœur aime à

s'épancher, à se communiquer, aime à admirer, à espé

rer : c'est là qu'est sa vie ! et dès qu'il cesse ces nobles

aspirations , il souffre, et sa vie se perd et s'éteint.

* Port-Royal , par M. de Sainte-Beuve , liv. III.

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Le jansénisme ne pouvait vivre longtemps et parce

qu'il était frappé de stérilité par l'anathème de l'Eglise

et parce qu'il ne vivait pas de cette vie du cœur alimen

tée par la flamme de l'Esprit- Saint ; disons le mot , il

n'était pas protégé de la douce et salutaire influence

d'une mère céleste, de Marie. Ainsi donc, loin de trou

ver dans ses tendances hétérodoxes le salut et la vie, il

y a trouvé la perdition et la mort. Et il en a été de

même de toutes les sociétés soi-disant chrétiennes qui

ont voulu , par une singularité impuissante et par oppo

sition h la conduite de l'Eglise catholique, séparer le

culte tout d'amour et de vénération envers Marie d'avec

celui de son fils Jésus-Christ, notre Dieu. Voyez donc

un arbre frappé de mort et de stérilité complète, — c'est

l'image de Port-Royal.

Comparez maintenant sa désespérante doctrine avec

celle de la Compagnie de Jésus, et dites laquelle a formé

les saints, les grands hommes , non seulement dans

l'Eglise, mais encore dans l'Etat , les martyrs, les écri

vains des plus célèbres ; laquelle enfin a formé de vrais

serviteurs de la Mère de Dieu , et par suite des élus pour

le ciel ? Incontestablement c'est celle professée par les

Jésuites. Et la raison en est toute simple : c'est qu'elle

est conforme à la doctrine même de l'Eglise. Toute au

tre doctrine est proscrite chez eux. Quelle sûreté pour

les âmes dirigées par les Pères et par leurs ouvrages !

Comparez les livres de Port-Royal sur la très-sainte

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Vierge, pour ne parler que de ceux-là : mais combien

en trouverions-nous ! A peine un. Comparons plutôt

ses auteurs qui en ont parlé avec les Pères qui en ont

écrit. Lisez Nicole. Comme vous le trouverez froid,

aride, indécis et court quand il parle de la Mère de

Dieu ! Comparez-le à Grasset, à Bourdaloue, par exem

ple : quelle différence !

. Singlin nous a laissé trente-trois Instructions sur les

Mystères de la bienheureuse Vierge : c'est beaucoup

sans doute quant à la matière, c'est bien écrit, c'est

fort même; mais vous y chercheriez en vain le parfum

et l'onction de la piété ; c'est une sécheresse désolante ;

pas un brin d'amour, pas un seul petit filet de confiance

que nous aimons tant dans les Pères Grasset, Croiset

et Griffet. Saint-Cyran lui-même a fait un traité de la

Dévotion à la Mère de Dieu, fort heureusement devenu

très-rare , et que nous ne recommanderons pas du reste

parce qu'il est peu propre à faire aimer cette sainte

Vierge, et que sa doctrine n'est pas toujours sûre. Mais

qu'il y a loin de ce livre à ceux du Père Escobar, du

Père Suffren , du Père Jean Grasset , du Père Croiset ,

du Père Niquet, du Père Griffet, du Père Binet, du

Père Poiré, du Père Nouet *, pour ne parler que de

* Au moment où nous écrivons, nous apprenons que les édi

teurs MM. Martin-Beaupré frères publient une nouvelle et com

plète édition des Méditations du Père Nouet, sous la direction

d'un Père de la Compagnie de Jésus.

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quelques-uns tle ces livres composés par dos Pères fie

la Compagnie de Jésus. Dans ces bons et beaux livres ,

du nombre desquels est incontestablement celui que

nous publions, on retrouve la tradition de tous les siè

cles et de tous les âges touchant la vraie dévotion à

Marie; on y vit avec les grands docteurs de l'Eglise,

avec les saints, qui y deviennent nos maîtres et nos

guides : avantage infiniment précieux que l'on ne trouve

pas dans ce que les port-royalistes ont écrit sur la bien

heureuse Vierge. C'est que le souffle impur de l'hérésie

en a brûlé l'onction et la piété.

Il sied bien maintenant à Blaise Pascal de venir

attaquer, censurer le livre du père de Barry par rap

port aux pratiques si multipliées de la dévotion à Marie

qu'il offre à ses lecteurs ! Au reste , ce Père se garde

bien d'en imposer la pratique comme obligatoire à qui

que ce puisse être : et c'est ce qu'il ne faut pas perdre

de vue.

Quand il dit : « Tout autant de dévotions à la Mère

de Dieu que vous trouverez en ce livre, sont autant de

clés du ciel qui vous ouvriront le paradis tout entier,

pourvu que vous les pratiquiez; » et quand il ajoute

dans la conclusion : « Qu'il est content si on en prati

que une seule, » ce sont de simples conseils qu'il donne,

et rien de plus.

Quand il offre les dévotions les plus faciles aussi bien

que les plus difficiles, c'est qu'il veut rendre le salut

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facile à tous, à ceux mêmes qui, par leur indifférence,

ne feraient pas la plus petite des dévotions pour en

commencer l'œuvre. Assurément Pascal ne regretterait

pas aujourd'hui d'avoir pratiqué ces mêmes dévotions à

la sainte Vierge au lieu de les avoir blâmées.

Que n'eût-il au moins fait pour sa Mère du ciel ce

qu'il faisait habituellement pour sa mère de la terre?

Pascal n'a-t-il jamais invoqué le doux nom de Marie?

Ne s'est-il jamais découvert ou peut-être même mis à

genoux devant quelques-unes des images de cette sainte

Mère? N'a-t-il jamais formé le désir de l'aimer, de

l'honorer, et de la faire aimer et honorer des autres?

N'a-t-il pas employé quelques petites industries pour

arriver à ce but? Ce sont pourtant ces mêmes pratiques

qu'il ridiculise dans sa Neuvième Provinciale. Et s'il

n'agissait pas de la sorte vis-à-vis sa Mère du ciel, in

contestablement , lui si bien élevé , lui si poli , il aura

rempli ces mille petits devoirs envers sa Mère de la

terre. De temps en temps il aura répondu à son sou

rire; de temps en temps, souvent peut-être il l'aura

embrassée; il lui aura dit le bonjour après s'être levé,

et le bonsoir avant de se coucher : or, je le demande ,

qu'y aurait-il d'inconvenant de faire la même chose à

l'égard de la bienheureuse Mère de Dieu? *

« Nous lui devons , dit Bergier , tout ce que peuvent devoir-

dés enfants bien nés à la plus respectable des mères. » Et ce

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Le Père de Barry, en donnant ces petites pratiques

comme autant de clés du ciel qui ouvriront le paradis

tout entier pourvu qu'on les pratique , selon qu'il s'ex

prime , se garde bien de dire qu'on sera certainement

sauvé pour les avoir observées si on ne faisait que cela.

Il suppose nécessairement (et il était trop bon théolo

gien pour le laisser ignorer) que les plus excellentes

pratiques de la piété chrétienne , ou de simple conseil ,

ou même obligatoires , ne peuvent par elles-mêmes as

surer le salut si on ne les pratique dans l'état de grâce

sanctifiante ou habituelle. C'est donc, on le voit, une

grave inconséquence, c'est une momerie dans Pascal de

qualifier les pratiques de dévotion indiquées par le Père

de Barry de fausses dévotions à la sainte Vierge.

La dévotion extérieure à la Mère de Dieu, quelle

qu'elle soit, ne saurait être fausse en elle-même par la

raison qu'elle n'est que comme l'écorce de la piété chré

grand théologien , que certes l'on n'accusera pas d'exagération ,

ajoute : « Je puis donc interroger ici votre cœur, et prendre les

sentiments qu'inspiré la nature pour régler ceux que prescrit la

religion. Je suppose, et c'est vous rendre justice, que vous n'avez

jamais manqué à vos devoirs envers la mère dont vous avez reçu

le jour; que vous avez pour elle une amitié sincère, une con

fiance parfaite , un respect profond ; que, sensible à ce que lui

ont causé votre naissance et votre éducation , vous ne croirez

jamais pousser trop loin pour elle les attentions, la complaisance,

les égards : tels doivent être vos sentiments et votre conduite

envers Marie. (Serin, sur la Dévot, à la sainte Vierge.)

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tienne qui réside dans l'âme et se produit par des actes.

Elle se distingue donc assez pour qu'on puisse bien ne

pas la confondre avec la dévotion du cœur. D'ailleurs ,

quelles que soient les pratiques de la dévotion à Marie,

et n'importe si elles sont pratiquées par les plus grands

pécheurs, elles deviennent toujours éminemment utiles;

d'autant plus utiles , que maintes et maintes fois elles

détournent ces pécheurs de plus grands désordres , et

amènent avec elles un résultat avantageux, sinon com

plet. Ainsi l'ont compris les plus illustres d'entre les

saints modernes. Lisez les Gloires de Marie, de saint

Liguori, les Sermons du B. Léonard de Port-Maurice,

les excellents Livres sur la Sainte Vierge du vénérable

Henri -Marie Boudon , et particulièrement ses Avis

catholiques sur lu dévotion à Marie; les beaux et solides

traités sur la dévotion à la bienheureuse Vierge et le

culte qui lui est dû , des vénérables Grignon de Mont-

fort, Jean Grasset, du Père d'Argentan, de M. l'abbé

Combalot ; les Œuvres du vénéré Olier , qualifié par

Nicole de visionnaire*, et que pourtant l'Eglise, nous en

avons l'espoir , placera bientôt dans ses fastes et au

calendrier des saints, et vous verrez si tous ces grands

serviteurs de Dieu si savants et si éclairés n'ont pas

* Voyez l'admirable traité : Vie intérieure de la Très-Sainte

Vierge, recueillie des écrits de M. Olier, par Mgr. Faillon, t. I,

préface.

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encouragé toutes les pratiques de la dévotion extérieure

envers Marie, en les observant eux-mêmes , j'entends

toutes les pratiques autorisées par l'Eglise. Or, celles

offertes par le Père de Barry sont bien de ce nombre :

ce qui en donne la garantie , c'est que son livre

n'a jamais été censuré par le Saint-Siège apostolique.

Un beau génie de nos jours, après avoir écarté les

censeurs pointilleux de ces dévotions populaires à la

Mère de Dieu, les justifie ainsi en elles-mêmes : « Il

n'est personne, si ignorant qu'il soit, qui ne sache

qu'elles ne peuvent tenir lieu de la piété et de la vertu

véritables ; qu'elles doivent en être l'expression et le vé

hicule. On ne peut se tromper là-dessus sans se trom

per sciemment, l'out le monde sait que le salut n'est

pas une aumône que la Vierge et les Saints obtiennent

à l'importunité qui les leur demande, mais une récom

pense promise à l'effort , un prix qui ne se gagne qu'au

concours, une couronne qui ne se pose que sur le front

du vainqueur seulement. Comme nous ne pouvons

tout cela sans la grâce , nous prions de cette facon la

Vierge et les Saints de nous obtenir des grâces dont le

bon usage nous rend plus sûr, plus facile et plus doux

le chemin du ciel. Qu'y a-t-il à reprendre dans cette

doctrine ? ( Nicolas , la Vierge Marie et le Plan divin ,

III, 377.)

Honte donc à Blaise Pascal quand il vient ridiculiser

nos pratiques de dévotion à l'auguste Mère de Dieu ! Si

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ce philosophe vivait de nos jours, peut-être il sourirait

en voyant un chrétien baiser une médaille, revêtir un

scapulaire, faire brûler un cierge, murmurer un cha

pelet, dire un Ave Maria, entreprendre un pélerinage...

Et le pédant ne penserait pas a tant de savants, de

saints, de rois qui ont mis à contribution ces mêmes

pratiques! un roi Louis XI qui se faisait honneur de

porter à son chapeau une médaille de la sainte Vierge ;

un saint Jean de Damas qui livre sa main au bourreau

pour la défense des images de Marie; un saint Grégoire,

-pape, qui implore son assistance en temps de peste;

une sainte Thérèse, qui lui remet dans les mains les

clefs de ses monastères; un pieux M. Olier, qui se dé

couvre la tète ;i la rencontre de ses images dans les

rues de Paris; un Suarez, qui donnerait volontiers

toute son éminente science pour le seul mérite d'un

simple Ave Maria; un vénéré Boudon, qui estime à

honneur de ramasser avec la langue la poussière du

pavé des chapelles de cette sainte Vierge; enfin, un saint

Alphonse Marie de Liguori, qui est chargé de médailles ,

de scapulaires de Marie, qui préfère la récitation d'un

Ave à tous les biens de ce monde. Tous ces beaux et

vastes génies, et mille autres que nous pourrions citer,

et dont la vie a été diaprée d'une multitude de prati

ques de dévotions populaires à la bienheureuse Vierge,

balancent bien à nos yeux les inpertinentes diatribes de

Blaise Pascal.

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Dieu nous garde de cette piété tellement sévère et

pharisaïque qu'elle n'a que du dédain pour les moyens

qui mènent à lui, parce que sa divine providence les

met a portée de tous, et qui par là voudrait fermer

l'accès du ciel à ceux qui y sont appelés. C'est pourtant

ce que prétendait l'affreux génie de Pascal.

Nous concevons assez qu'il ne faut pas faire dépendre

le salut de son âme de telle ou telle de ces pratiques

prises individuellement : ce n'est pas la doctrine de

l'Eglise, et ce n'est point non plus la pensée des saints

qui nous les ont enseignées. Ne confondons pas les con

seils avec les préceptes, et ne tombons point dans une

erreur opposée à celle que nous flétrissons dans Pascal.

Ainsi donc : nulle des pratiques offertes par le Père de

Barry en dehors de la confession, de la communion,

ou de la prière, qui soit absolument obligatoire sous

peine de réprobation. Mais hâtons-nous d'ajouter qu'elles

le deviennent pourtant quelquefois, parce qu'elles nous

facilitent un plus prompt et plus sincère retour vers

Dieu, si nous sommes pécheurs, ou qu'elles contribuent

à affermir davantage notre persévérance, si nous sommes

justes.

Admettons maintenant qu'elles ne soient en aucun

point nécessaires, toujours est-il certain qu'elles peuvent

nous être grandement utiles. Les âmes qui les obser

vent le savent mieux que nous. — Utiles, répondrait

un Pascal , pourvu qu'on aime Dieu et qu'on possède sa

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grâce en les pratiquant. Nous ne souscrivons pas en

tièrement à cette idée. Nous convenons bien qu'il est

infiniment plus avantageux de pratiquer ces diverses dé

votions extérieures en état de grâce; mais aussi nous

soutenons, avec les saints, que ces pratiques sont encore

utiles au pécheur qui par malheur est privé de l'amitié

de Dieu et de la grâce; car, et nous le répéterions

mille fois, elles lui facilitent alors son retour vers Dieu,

ce qui est déjà un bien infiniment précieux *.

Il est incontestable que pour entrer au ciel , il faut

être revêtu de la grâce sanctifiante, être ami de Dieu,

et que des milliers de ces pratiques observées ne nous

sauveraient pas sans cela; mais il est également incon

testable que , pour beaucoup , Dieu a attaché la grâce

du salut à telle de ces pratiques qui aurait provoqué le

sourire déplacé de Pascal.

Ces pratiques , oh ! combien elles sont précieuses en

* Si la dévotion à Marie ne devait être que le partage des

saints, par là même les pécheurs n'y sauraient plus jamais pré

tendre. Port-Royal prenait donc l'effet pour la cause, et en

cela plusieurs suivent ses traces. Mais si la dévotion à Marie

ne consistait essentiellement que dans l'imitation de ses vertus,

et si cette imitation était rigoureusement nécessaire pour l'ho

norer, alors que deviendraient ces titres de Mère de miséri

corde , de Refuge des pécheurs que notre mère la sainte Eglise

donne à la Mère de Dieu? (Voyez sur cet important sujet le beau

livre de l'Excellence et la Pratique de la Dévotion à la sainte

Vierge, par le Père de Gallil'et S. J.)

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regard de la foi et de l'éternité ! Elles affermissent les

faibles, réjouissent les affligés, animent les lâches, ré

chauffent les tièdes , donnent le baume de l'espérance à

ceux qui n'ont plus d'espoir; enfin, elles attirent des

grâces de conversion sur les pécheurs N'est-ce pas le

plus grand des biens?

Accordons à nos adversaires que ceux qui pratiquent

ces dévotions à la bienheureuse Vierge n'en soient ni

meilleurs ni plus vertueux, qu'ils nourrissent même des

défauts considérables : on aurait pourtant grand tort de

les anathématiser et de les proscrire. Car qui peut

assurer que le pécheur qui pratique ces dévotions ne

serait pas plus criminel encore s'il ne les observait

pas? Par conviction, nous aimons à nous persuader du

contraire.

Le pécheur est faible et malheureux; il semble trem

bler toujours devant la face de l'Eternel, qu'il sait être

irrité contre ses désordres. Tout naturellement il cher

che un appui ferme, une protection puissante. Où trou

vera-t-il un appui plus sûr, une protection plus secou-

rable et plus efficace qu'en Marie, la très-sainte Mère

de Dieu? Il est faible, il faut bien qu'il s'accroche du

mieux qu'il pourra au côté sensible de la piété qu'il n'a

pas encore le bonheur de professer. Il est malheureux

à l'excès, ne vaut-il donc pas mieux qu'il cherche la

consolation dont il a besoin auprès de la sainte vierge

Marie , dans un tribut de respect et de reconnaissance

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à cette bonne Mère, à cette excellente Reine, quelque

léger, quelque imparfait puisse-t-il être , plutôt que de

se vautrer toujours plus dans la fange des iniquités et

des plaisirs brutaux? Nous aura-t-on compris?

O Blaise Pascal ! je vous laisse volontiers avec votre

piété sévère, mystérieuse et guindée; je vous laisse,

avec votre force morale a vous, vous reléguer dans un

ciel inaccessible aux faibles humains; mais aussi, à

votre tour, laissez aux âmes malheureuses, timides,

incertaines et chancelantes, des sentiers moins âpres,

des voies moins étroites pour qu'elles y puissent arriver

aussi. Laissez, laissez à ces âmes que les grands de ce

monde dédaignent, que les riches outragent, que d'au

tres qui ne comprennent pas la valeur du prix du sang

d'un Dieu méprisent , une consolation et une lueur

d'espérance au moins envers la Mère du Dieu des mi-

ricordes. Laissez, laissez à ces âmes toujours trop mal

heureuses un fil de consolation et d'espoir, au moyen

duquel elles peuvent à l'occasion être soulevées vers le

ciel; et ne le rompez pas, car elles pourraient alors

tomber dans un éternel abîme. Faites silence, Pascal!

car le blasphème a souillé votre cœur, vos lèvres et

votre plume ; et sachez qu'il ne sied pas bien de s'atta

quer au culte de la Reine des cieux. Jésus-Christ lui-

même sera le vengeur des attaques dirigées contre sa

très-sainte mère : malheur donc à qui touche aux pri

viléges et au culte de la bienheureuse vierge Marie !

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Ridiculise qui voudra; mais je préfère infiniment

mieux la philosophie chrétienne essentiellement prati

que du Père de Barry à celle ricaneuse , tracassière

de Pascal. Je préfère la bonne vieille qui dit des pa

tenôtres, étant humblement agenouillée sur les dalles

humides du sanctuaire de son église, à la foi or

gueilleuse, chicaneuse et ergotière de savants ratio

nalistes et voltairiens qui voudraient bien réformer

tous les prétendus abus qu'ils s'imaginent voir dans les

pratiques populaires de la dévotion et qui ne réforment

en aucun point leur conduite. Et qui dit que l'Etat ne

doit pas son soutien, sa force, son bien-être matériel,

son salut enfin , à telle de ces prières d'une âme hum

ble et que le monde, le beau monde paraît repousser

avec dédain ! de même aussi il pourra arriver que le

pécheur devra sa conversion et le juste sa persévérance

à certaines des nombreuses pratiques conseillées par le

Père de Barry, dans son Paradis ouvert.

En résumé, les colères de Blaise Pascal contre ce

beau livre ne font que le rendre plus aimable et plus

cher a nos yeux; et nous dirons volontiers de lui ce

que le révérend Père Jennesseaux dit du Père Binet :

« Il a mérité les censures de Pascal, c'est un honneur

pour lui. » Les doctrines toutes consolantes, le style si

plein d'onction de l'enfant d'Ignace ne pouvaient assu

rément être du goût de cette école aux maximes dures

et sévères, qui, en même temps qu'elle s'élève contre

1.

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une restriction mentale, proclame comme une de ses

gloires l'auteur des Menteuses. (Préface de l'ouvrage :

Chef-d'œuvre de Dieu, ou les souveraines Perfections de

la sainte Vierge sa Mère, par le Père BJNET.)

Pour nous , nous pensons bien d'une âme qui offre

habituellement le plus léger hommage à la Reine des

deux , et nous espérons beaucoup d'elle , fût-elle péche

resse d'ailleurs, par la raison que Dieu, en donnant à

cette âme un sentiment de respect , de confiance en

Marie sa sainte Mère , témoigne par là qu'il veut la

sauver; et nous souhaiterions que ceux qui crient tant

contre les pratiques de dévotion observées par les pé

cheurs en l'honneur de notre sainte Mère _du ciel , vou

lussent bien méditer ce que déclare un saint et savant

évèque, M°r Ange Scotti : « que, sans une inspiration

divine, on ne peut apprécier ni désirer la protection

de Marie comme le plus grand bien, comme un bien

qui surpasse notre intelligence. » Certes, ils devraient

conclure de ces paroles que, quand le pécheur rend

quelque hommage extérieur à l'auguste Mère de Dieu ,

il ne fait qu'obéir à une grâce actuelle que l'Esprit-

Saint lui donne , et que ce bien lui vaut incomparable

ment plus que mille mondes. Donc, ne décourageons

jamais les pécheurs; engageons -les plutôt a recourir

sans cesse à l'inépuisable clémence de la sainte Vierge

Marie , afin qu'elle les réconcilie entièrement à son Fils

Jésus-Christ; puis, amenons-les avec douceur à imiter

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les vertus de cette sainte et auguste Mère de Dieu,

car, encore une fois, et nous tenons à le redire après

le même prélat, « c'est une grande lumière de Dieu qui

nous conduit à Marie. » (Méditations.)

Quant aux faits merveilleux, aux apparitions dont

parle le Père de Barry dans son Paradis ouvert, ils

ont été puisés par l'auteur aux sources les plus sûres,

quoiqu'il ne les indique pas. D'ailleurs ils se retrou

vent, du moins le plus grand nombre, dans le Calen

drier hislorial de Charon , chanoine de l'église cathé

drale de .Nantes , publié l'an 1 637 ; dans l'Ecole de la

Vierge Marie, par le révérend Père Lenglez, mineur

récollet, publié à Namur l'an 1632, pour la 2e édi

tion ; dans le Ménologe historique de la Mère de Blémur,

bénédictine, trois beaux ouvrages de format in-4°, de

venus très-rares; et dans une foule d'autres ouvrages

sur la bienheureuse Vierge que nous avons sous la

main.

Nous n'avons pas jugé nécessaire de chercher à éta

blir les citations dans le livre du Père de Barry, parce

que , comme lui , nous l'adressons à des chrétiens qui

doivent être persuadés que le bras de l'Eternel n'est

pas raccourci, et que le pouvoir de sa sainte Mère

auprès de lui , comme son inépuisable tendresse à no

tre égard , ne sont en rien diminués. Que si quelques-

uns portaient la présomption jusqu'à douter de ces faits

et de ces apparitions, qui pourtant, nous devons l'a-

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vouer, ne sont pas des articles de foi, à l'exception de

ceux consignés dans les divines Ecritures, nous les

prierions de faire attention à ce que dit le Père Jean

Grasset , dans son traité de la Véritable Dévotion à la

sainte Vierge : qu'autant les gens de bien sont disposés

à croire les miracles, autant les hommes pervers sont

portés à s'en moquer; et ce qu'il ajoute : que, comme

ce serait une faiblesse de tout croire sans distinction ,

de même rejeter les miracles attestés par des témoins

graves et pieux c'est ou une infidélité, si l'on juge les

miracles impossibles à Dieu, ou une témérité, si on re

fuse de les croire sur de semblables témoignages. Nous

les prierions encore d'étudier, après avoir mis bas toute

prévention , les belles pages de l'Introduction aux Ap

paritions et Révélations de la très-sainte Vierge, par

M. l'abbé Sauceret; et celles des Trésors historiques et

de la Dévotion à Marie, par le révérend Père Huguet.

Ils y verront traités ces importants sujets avec une

largeur de vues et une profondeur qui les satisferont.

Avant de quitter notre bienveillant Lecteur, il est

bon que nous fassions quelques observations sur les

pratiques de piété qu'il puisera si nombreuses dans le

livre du Père de Barry. Il n'est pas besoin de rappeler

que toutes ces pratiques sont, la plupart, approuvées

par l'Eglise, autorisées par l'exemple des plus grands

saints.

Nous prions le Lecteur qui serait choqué de celles

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qui lui paraîtraient simples et obscures , de se gar

der bien cependant de les mépriser; mais plutôt de

considérer que l'Eternel aime les humbles , les âmes

simples, et que c'est principalement à ces personnes

qu'il se communique de la manière la plus intime , se

lon la parole de l'Ecriture. Dieu, en effet, a attaché

ses plus précieuses grâces à des choses communes et

méprisables en apparence, comme la grâce du bap

tême à quelques gouttes d'eau , la rémission des péchés

à quelques paroles d'un prêtre, et ainsi des autres.

Aucune des pratiques de dévotion à Marie offertes

par le Père de Barry ne doit par conséquent paraître

petite, si on considère l'élévation sublime de Celle à

laquelle elle s'adresse, les effets salutaires qu'elle peut

produire; et que c'est par son moyen que s'entretient

dans l'âme la piété et le feu sacré de l'amour de cette

bienheureuse Vierge.

Ces pratiques, pour l'ordinaire, ne sont méprisées

que des ignorants, qui n'en voient pas la portée, ou

des impies , _qui n'en connaissent pas la valeur et qui

ont juré une haine éternelle à Dieu et a sa très-sainte

Mère. Que leurs dédains ou leurs mépris à ce sujet ne

détournent donc jamais les serviteurs de Marie de per

sévérer dans toutes celles qu'ils auront eu embrassées.

Ce qu'il importe beaucoup d'observer, c'est que, comme

le dit très-bien le révérend Père Huguet, il en est des

dévotions comme des mets dans un repas ou des fleurs

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dans un jardin : on n'impose à personne l'obligation de

manger de tous les mets, ni à un particulier celle de

cultiver toutes les fleurs. On ne force personne non

plus à embrasser toutes les pratiques de piété. La va

riété des fleurs dans un jardin et la diversité des mets

sur une table sont , tout à la fois , un ornement et une

nécessité pour suffire à tous les goûts. De même, la

multiplicité des dévotions est un ornement pour la

piété et une ressource pour les fidèles. Ils peuvent

choisir ce qui leur convient selon leur condition, selon

qu'elles reviennent à leurs attraits , qu'elles répondent

à leurs besoins , sans se faire scrupule , lorsque des de

voirs impérieux les y obligent , de les discontinuer une

fois ou deux par exemple. Cependant, quand on a fait

son choix , il faut y persévérer sans relâche , à quel

que prix que ce puisse être, quoique l'omission qu'on

en ferait ne constituât pas un péché mortel ni même

véniel.

Maintenant que nous avons suffisamment vengé le

beau et le bon livre du révérend Père de Barry contre

les attaques de Pascal , et élucidé la question des hom

mages extérieurs à la Mère de Dieu, il nous reste à dire

quelque chose des changements ou améliorations que

nous avons faits à ce livre. En vérité , ils sont assez peu

considérables : car on doit toujours craindre, en rema

niant le style d'un ancien auteur, de fausser sa pensée

ou en lui faisant dire ce qu'il n'a point dit ou en lui fai

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sant dire les choses autrement qu'il les a dites. C'est

pourquoi nous n'avons modifié du Père du Barry que

quelques expressions tellement surannées qu'elles deve

naient tout-à-fait inintelligibles à des érudits même. Et

puis, nous avons dû refaire dans leur construction gram

maticale certaines phrases très-incorrectes. Quelquefois

aussi nous avons été contraint de compléter la pensée

de l'auteur, restée incomplète par l'absence de mots

tout-à-fait nécessaires pour être compris du lecteur ;

mais rarement alors nous avons ajouté plus d'un mot.

La traduction latine du Paradis ouvert à Philagie faite

par le P. Adam Schirmbeck, de la Compagnie de Jésus,

que nous possédons, nous a été d'un grand secours.

Nous avons été d'autant plus scrupuleux en ces légères

modifications, que nous tenions fortement à laisser le

Père de Barry dans sa forme naturelle.

On pourra objecter que nous pouvions lui donner une

forme plus neuve. Nous répondons que dans ce cas ce

n'eût plus été le Père de Barry que nous eussions publié,

puisqu'il eût été par là même défiguré. Or, tel n'a pas

été notre dessein. Au moins on ne nous reprochera

point d'avoir habillé l'auteur à notre mode. — Une au

tre amélioration : nous avons multiplié les alinéas, sa

chant combien c'est chose très-utile.

Recevez donc, bienveillant Lecteur, ce bon petit livre

que j'ai voulu publier pour la gloire de Dieu, celle de sa

sainte Mère, et dans l'intérêt du salut de votre âme. Je

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l'avoue volontiers, mais il semble que je mourrai con

tent si , à mes derniers instants, il m'est donné de tenir

dans mes mains défaillantes ce petit chef-d'œuvre de

dévotion pratique à la bienheureuse Vierge, et de pou

voir dire à cette aimable Souveraine : Ma très-sainte

Mère, voilà ce que j'ai fait pour vous ; car en écrivant

tout entier de ma main le livre de votre serviteur de

Barry, il est comme devenu le mien , et je ne l'ai publié

qu'afin de vous gagner le plus de serviteurs possible.

Voyez , maintenant que mon âme va paraître devant

votre Fils, mon juge, ce que vous voulez et pouvez faire

en ma faveur. Je meurs au moins avec la consolation

d'avoir usé mes forces à publier votre gloire et vos mi

séricordes devant les hommes ; avec la consolation enfin

de laisser ce livre, entre plusieurs autres, qui conti

nuera ce que mon impuissance ne m'a pas permis de

faire pour vous.

Et vous , bien-aimé Lecteur, recommandez-moi à Jé

sus-Christ et à Marie quand vous vous servirez de ce

livre ; et de mon côté, je prierai volontiers pour vous

afin que nous allions ensemble les aimer, les louer

sans fin durant l'Eternité.

JEAN DARCHE.

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Paul de Barry ou Barri, né en 1585, à Leucate,

diocèse de Narbonne, entra dans la Compagnie de Jésus

en 1001. Il fut provincial de la ville de Lyon, et mou

rut à Avignon en 1661.

Pascal, dans ses Lettres provinciales, s'est plu à jeter

le ridicule sur ses livres de piété, qui eurent autrefois

une grande vogue.

Voilà ce que nous apprend la Bibliothèque des Ecri

vains de la Compagnie de Jésus, par les "PP. Augustins

et Aloïs de Backer, tome I, pages 46, 47, 48 ; tome VII,

pages 61, 62, 63, 64, où elle rend un compte exact de

tous les ouvrages du P. de Barry, de leurs nombreuses

éditions et de leurs traductions en langues étrangères.

La plus belle gloire du P. de Barry est celle d'avoir

été ridiculisé par le janséniste Pascal. Quant à son

livre : Le Paradis ouvert à Philagie..., il est le seul que

nous sachions des ouvrages de ce Père qui ait été atta

qué par la plume de ce faussaire , et c'est ce qui prouve

son incontestable mérite, comme nous le démontrons.

Nous n'admettons pas, avec le bénédictin Chaudon, que

ce soit Pascal qui ait tiré de l'oubli les ouvrages du

P. de Barry. La preuve, c'est que celui que nous réim

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primons , corrigé de notre main , d'après les éditions

de 1646 et de 1650, a eu, comme les autres du même

auteur, une vogue extraordinaire avant que Pascal l'eût

attaqué. Cet affreux génie, né en 1623, mort en 1662,

publia ses Provinciales en 1 656 ; or, le Paradis ouvert à

PhUagie comptait déjà plus de douze éditions, outre

des traductions. Pour ne parler que des trois dernières

éditions françaises, la 17e eut lieu en 1665, la 18" en

1681, et la 19e en 1701. On dit que cette dernière édi

tion a été corrigée , mais nous n'avons pu nous la pro

curer. On voit par là quel cas les gens qui pensaient

bien faisaient des Menteuses de Pascal, que le bénédic

tin Chaudon et quelques autres nomment avec trop

d'emphase le plus grand génie de tous les temps et de

tous les peuples.

Soit ! Eh bien ! le voilà pourtant ce fameux génie

qui, après avoir calomnié tout une société pour quel

ques légères déviations de peut-être deux ou trois de

ses membres; qui, après avoir tant déclamé contre les

merveilles extraordinaires et les pratiques de dévotion

rapportées par le Père de Barry dans son Paradis ou

vert à Philagie, devient lui-même, sur la fin de sa vie,

visionnaire, extatique et fanatique à l'excès, si pour lui

le fanatisme consiste dans les pratiques simples et po

pulaires de la dévotion : car tous les historiens convien

nent qu'après qu'il eut publié les Provinciales, sa santé

s'affaiblissant, son cerveau se dérangea ; il croyait tou

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jours voir un abîme à son côté gauche : il y faisait

mettre une chaise pour se rassurer. Plus tard , il eut

une vision ou extase, à. la janséniste sans doute, comme

il y en eut tant depuis chez les port-royalistes , et dont

il conserva la mémoire le reste de sa vie dans un pa

pier qu'il portait sur lui entre l'étoffe et la doublure de

son habit. Pauvre génie, grand il est vrai, mais en

même temps bien petit, comme l'Eternel humilie ton

orgueil ! comme tes calomnies te sont largement payées !

Enfin, durant les dernières années de sa vie, Pascal

comprit que ces dévotionnettes qu'il avait blâmées dans

le livre du Paradis ouvert, ont bien quelque valeur, et

peuvent être utiles, sinon nécessaires au salut de l'âme ;

car alors, disent les historiens, « il se trouvait à tous

les saluts, visitait toutes les églises où l'on exposait des

reliques , et avait un almanach spirituel qui l'instruisait

de tous les lieux où il y avait des dévotions particu

lières. »

J. DARCHE.

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A LA TOUJOURS AIMABLE

ET NON JAMAIS TROP AIMÉE MARIE, TRÈS -DIGNE MÈRE

DU TRÈS-AIMABLE JÉSUS.

A qui pourrais-je mieux offrir mon petit travail, qui

porte le nom de Paradis ouvert , qu'à la très-libérale et

très-magnifique Princesse qui, par ses charitables in

clinations et les affectueuses tendresses de son ineffa

ble bonté, ne cesse de l'ouvrir tous les jours à ses

plus chers amis; et qui, pour réveiller l'attention de

ceux qui s'amusant à d'autres objets ne pensent point

à l'aimer, par un chef-d'œuvre de son amour efficace

sur la créature du monde la plus ingrate et la moins

digne de ses miséricordes, me fera cette faveur tant

désirée, par surcroît des indicibles et incroyables bien

faits dont elle a toujours infiniment obligé mon cœur,

que de m'en faire l'ouverture à la fin de mes jours et

à tous ceux que je chéris , ainsi que je l'espère de son

aimable bonté.

Et puis quand tout cela ne serait pas, je veux bien

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qu'on sache ce petit témoignage de ma bonne volonté

pour le service de Marie, dont je ne saurais faire hom

mage qu'à la souveraine grandeur de Celle pour qui je

parle, puisqu'après Jésus , mon rédempteur,

Je n'ai d'amour que pour Marie,

Point d'autre but de mes désirs ;

Et de la servir toute ma vie

Ce seront tous mes chers plaisirs.

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AU LECTEUR.

Qui vous ouvrirait le Paradis, mon cher Lecteur, ne

vous obligerait-il pas parfaitement? Que ne donneriez-

vous pas pour en avoir une clé, et pour entrer dedans

quand bon vous semblerait? Si vous désiriez ardemment

le Ciel , je tiens pour assuré que vous donneriez des

millions d'or, s'ils étaient en votre pouvoir, pour avoir

cette précieuse clé.

Il ne faut point entrer en de si grands frais. En voici

une, voire cent, à meilleur compte. Tout autant de

saintes dévotions à la Mère de Dieu que vous trouverez

dans ce livre, ce sont autant de clés du Ciel qui vous

ouvriront le Paradis tout entier, pourvu que vous les

pratiquiez.

Je vous les marque à certains jours pour vous en

faciliter l'exercice. Car , si tous les jours vous devez

honorer la sainte Vierge par quelque dévotion particu

lière dont vous aurez un grand choix par la diversité

de celles que je vous présente, cela convient surtout

aux jours de ses Fêtes qui se rencontrent à chaque mois

de l'année, avec les Octaves que ses serviteurs ne man

quent par de célébrer en leurs dévotions particulières.

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Je vous conseille donc de ne pas manquer désormais

à pratiquer celles que je vous indique ces jours-là : elles

vous ouvriront assurément le Paradis, et par avance

vous aurez cette consolation de n'avoir su aucune dé

votion à la Mère de Dieu que vous n'ayez pratiquée peu

ou beaucoup en votre vie. Dans le choix et la résolution

de pratiquer à l'avenir plus souvent celles qui seront le

plus à votre goût, vous aurez encore ce bonheur de

donner de temps en temps de nouveaux témoignages à

la Mère d'amour des sentiments que votre cœur a pour

elle, lisant à chaque jour marqué la dévotion que vous

y trouverez, pour la pratiquer, sans autre curiosité que

de lire ce qui concerne ce jour à la façon qu'on lit le

martyrologe.

Ainsi vous ne ferez point comme ceux qui se conten

tent de lire les livres de dévotion, qui louent ce qui y

est contenu sans penser à le pratiquer, laissant cela aux

autres.

C'est ce qui m'a invité à vous donner ce petit ouvrage,

l'ayant à dessein mis à part et tiré d'un manuscrit que

j'avais composé pour Philagie, qui lui fournît tous les

jours de l'année quelque dévotion de celles que les

saints ont pratiquées. Je pourrai bien vous en faire part

un jour, comme de tout ce qui concerne la dévotion à

la Mère de Dieu, pour vous délivrer de la peine de

le chercher dans de plus gros volumes. Car cette

honorable Princesse pour laquelle j'écris, va de jour

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en jour conquérant les affections des peuples. Et Dieu

qui veut qu'elle soit aimée de toutes les nations de la

terre , répand plus que jamais un instinct général de

respect et d'amour envers elle , afin que toutes sortes de

personnes rendent hommage à ses mérites.

N'est-il donc pas raisonnable que si j'ai des inclina

tions pour son service, je les fasse paraître en donnant

occasion à ses dévots, sur l'estime qu'ils ont de ses in

comparables perfections et de l'éminence de son pouvoir,

de la révérer désormais avec toutes les plus humbles

soumissions qu'il leur sera possible, en suivant les pas

et les traces de ceux qui ont tenu à gloire de l'aimer,

et reconnaître que leur salut dépendait de ses tendres

ses inexprimables et des précieuses affections qu'elle a

pour ceux qui la servent ?

Voilà, cher Lecteur, quel est rnon dessein. Il suffit

peut-être de dire une fois pour toutes que celui-là est

bienheureux qui , après Jésus , n'a d'amour que pour

Marie; et que, quand je parle à Philagie, c'est à votre

âme que je m'adresse, dans la créance que j'ai qu'il est

malaisé d'aimer Marie sans aimer la sainteté, puisque

la dévotion à la Mère de Dieu et la sainteté sont deux

sœurs qui vont volontiers de compagnie et s'entresuivent

partout.

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LE

PÂEADIS OUVERT A PHILAGIE

PAR CENT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU.

AVANT-PROPOS

C'est une heureuse rencontre , Philagie, que tous les

mois de l'année soient sanctifiés par quelque fête de

Notre-Dame : janvier, par son sacré mariage avec saint

Joseph ; février, par sa sainte purification ; mars , par

sa glorieuse annonciation ; avril, par la mémoire de

ses amères douleurs ; mai , par son amoureux martyre ;

juin, par la douceur de son aimable cœur ; juillet, par

sa charitable Visitation : août, par sa triomphante as-

somption ; septembre , par son heureuse naissance ; octo

bre, par sa solennelle victoire de Lépante ; novembre ,

par sa dévote présentation ; décembre , par son imma

culée conception. Mais la rencontre sera plus heureuse

encore pour nous , si à ces mêmes fêtes et durant leurs

octaves nous rendons quelque hommage à cette souve

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raine et aimable Dame par nos fidèles services et affec

tueuses dévotions.

De vrai , une année dont les mois couleront si sain

tement ne saurait être que fortunée. Ce n'est pas qu'il

ne faille encore honorer et observer les autres fêtes de

la sainte Vierge, car tout ce qui lui appartient mérite

des honneurs incroyables ; mais j'ai fait choix des fêtes

susdites comme des plus remarquables et des plus so

lennelles, ou par le consentement universel de l'Eglise,

ou par l'estime et le sentiment cordial des dévots et des

favoris de la Reine du ciel.

J'ai fait en sorte cependant de ne pas omettre celles

qui depuis longtemps sont reçues par l'affection et la

vénération des peuples, telles que sont la fête de son

saint Scapulaire, le 19 juillet ; de Notre-Dame des Anges,

le 2 août ; de Notre-Dame aux Neiges, le 5 du même

mois, et de l'attente de son divin Enfantement le \ 8 de

décembre. Pour les autres, telles que pourraient être

celles de ses admirables grandeurs, de son auguste Nom

de Marie , du recueil de toutes ses fêtes et autres pa

reilles, je m'en remets à la dévotion particulière d'un

chacun. Comme il me suffit d'ouvrir le paradis par

cent endroits , je ne veux m'attacher aussi qu'aux sus

dites fêtes qui, avec leurs octaves, me fournissent juste

le nombre que je cherche.

Que si quelqu'un trouve a redire à mon dessein , ou

dit que j'expose parfois ici des dévotions bien petites

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pour honorer une si grande Dame, ou objecte qu'il y a

déjà tant de bons écrivains qui ont parlé de Notre-

Dame et des dévotions qui lui ont rapport, je dis pour

réponse : d'abord , que ce n'est pas tant s'en prendre à

moi que de trouver à redire à ces dévotions et de les

rejeter, qu'aux saints qui les ont pratiquées , et même

à la sainte Vierge qui les a autorisées de ses faveurs

et acceptées d'un cœur maternel.

Certes! je n'ai pas prétendu donner au public de

notre siècle un livre simplement littéraire et propre à

amuser, mais bien un livre utile et qui aide à la con

quête de la bienheureuse éternité, que tout bon servi

teur de la Mère de Dieu recevra volontiers. C'est prin

cipalement au cœur que je veux parler; pour le reste,

je n'ai que ce beau mot de saint Ignace, martyr :

Ignoscite, quid mihi prosit ego scio, — pardonnez-moi,

je sais bien ce que j'entreprends et ce qui m'est avan

tageux; ou bien le riche mot de saint Augustin : De

dilecto numquàm salis. Saurait -on parler assez de la

tout aimable et non jamais assez aimée Marie.

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CHAPITRE PREMIER

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET OCTAVE

DE SES FIANÇAILLES ET SACRÉ MARIAGE AVEC LE GLORIEUX

SAINT JOSEPH, LE VINGT-DEUXIÈME DE JANVIER.

DEVOTION PREMIERE.

Pour le vingt-deuxième jour de Janvier.

Résolution d'aimer la Mère de Dieu, disant souvent : Je veux

aimer Marie, à l'imitation du dévot Jean Berkman-, de la

Compagnie de Jésus.

Le dévot Jean Berkman , de la Compagnie de Jésus,

singulièrement affectionné à la glorieuse Vierge , avait

coutume de dire souvent ce peu de paroles que lui

suggérait la tendresse de son cœur envers sa sainte

Mère : Volo amare Mariam, — Je veux aimer Marie.

Il disait et redisait cent fois ces paroles pour donner

de l'air à son cœur, qui ne soupirait qu'au service de

la Reine des Anges. Je ne sais pas où il avait appris à

soulager ainsi son cœur.

Pensant au bonheur de saint Joseph lors de son for

tuné mariage avec la sainte Vierge, je n'ai nullement

douté qu'il ne dit, le jour de ses noces, et bien sou

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vent depuis : Amo et volo aman Mariam, — j'aime et

je veux aimer Marie. De sorte que j'ose faire passer

cette petite pratique comme dévotion , non seulement

du dévot Berkman, mais encore de saint Joseph; et je

la conseille désormais aux dévots de la Vierge, au

moins le jour de ses sacrées Noces, à l'imitation de son

époux saint Joseph , qui prit la résolution en ce jour

de n'avoir d'affection pour aucune pure créature que

pour Marie.

Dites-moi, Philagie, qu'y a-t-il de si aisé que de

dire cent et cent fois le jour, tout doucement, en al

lant ca et là, ou tout haut étant en sa chambre, cabi

net ou oratoire : Amo, et volo amare Mariam. C'est ce

que vous ferez aujourd'hui. J'attends cela de votre af

fection à la Mère de Dieu. Aussi bien il faut se résou

dre à aimer la Mère d'amour. Ces paroles sont si dou

ces et si tendres, qu'il est difficile de les dire souvent

sans éprouver une sensible consolation et un changement

notable de son âme. Il n'y a que d'en faire l'expérience.

Que s'il arrivait , Philagie , que ces paroles fussent

trop courtes à votre gré, je suis bien content que vous

disiez souvent le même jour, même aux plus beaux

jours de votre vie, ce qui suit :

Que mon bonheur est admirable,

Car désormais, après mon Dieu,

Dans mon cœur à sa Mère aimable

Je donnerai le premier lieu.

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DÉVOTION II"

1*0ur le vingt-troisième jour de Janvier.

Choisir et prendre la sainte Vierge pour sa Bien-Aimée, à

l'imitation de saint Edmond.

Ne vous semble-t-il pas , Philagie , que ce serait un

trait bien hardi et la saillie d'un amour téméraire de

vouloir choisir la sainte Vierge pour votre Bien-Aimée

ou loyale Epouse, et ensuite lui offrir votre cœur et

votre service, lui présenter un anneau comme gage de

votre amour, le conserver comme chose précieuse et

avec autant d'affection que les Pérusiens conservent

l'anneau du mariage de saint Joseph et de son Epouse

sous onze clés diverses gardées par onze des plus nota

bles de la ville , et le mettre au doigt , pour le moins

l'un des jours de cette Octave?

En vérité, tout cela est faisable. La sainte Vierge à

agréé de pareilles affections, parfois même elle les a

recherchées , comme vous le saurez par ce que je vais

dire plus loin. Ne doutez pas qu'elle n'agrée la vôtre.

Tâchez seulement de donner tout votre cœur à la Mère

du bel amour, avec protestation que jamais aucune

créature ne le possédera, et qu'il sera tout pour Marie,

votre chère Maîtresse et Bien-Aimée. Et puis, ne crai

gnez rien. Laissez la crainte à ces abusés du monde

qui donnent leur cœur et les bagues pour gages de

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leurs folles et inconstantes amitiés à des créatures qui,

tôt ou tard , les quitteront ou les tromperont , et leur

rendront pour toute fidélité des déplaisirs bien cuisants,

et peut-être suivis de regrets éternels. Marie n'en use

pas ainsi. C'est elle seule qui est par excellence l'unique-

ment fidèle et à coup sûr la plus aimante de toutes les

créatures.

Je ne vous prescris point, Philagie, de quelle manière

vous ferez cette offrande de votre cœur, ni si vous lui

présenterez un anneau et de quelle matière. Je m'en

remets à l'amour de Marie, qui est un excellent maître,

et qui enseigne parfaitement ce qu'il faut et avec quelle

prudence et quel amour on doit procéder en toutes

choses. Je me contente de vous dire ce qui est arrivé,

touchant cette dévotion que je vous marque, à quelques

favoris de la sainte Vierge. Choisissez ce qui vous sera

convenable.

Saint Robert, premier abbé de Citeaux, reçut, même

avant sa naissance, une faveur de la Mère de Dieu, qui

est bien digne d'attention : car, comme sa mère en était

enceinte, la sainte Vierge lui apparut, et lui mettant

un anneau au doigt, lui dit ces tendres paroles : Ma

fille , voilà le gage et les arrhes du mariage que je

désire contracter avec le fils que vous portez.

Le témoignage d'amour que la sainte Vierge donna

au bienheureux Alain de la Roche, religieux de l'ordre

de Saint-Dominique, n'est pas moins surprenant. Elle

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le voulut avoir pour époux, et lui donna un riche an

neau, que l'histoire nous assure avoir été fait des pré

cieux cheveux de cette Mère-Vierge.

Quoi de plus admirable que ce qui arriva au bien

heureux Herman de Steinvald, surnommé Joseph. Il

reçut des faveurs incroyables de sa chère Maîtresse la

Mère de Dieu. Non-seulement elle lui donna une bague

au jour qu'elle le choisit pour son époux, mais -encore

elle commanda qu'il portât désormais le nom de Joseph,

qui est le nom de son premier époux. Certes ! si les

anges ne sont ravis à la vue de ces faveurs , je ne sais

pas de quoi ils peuvent s'étonner s'ils considèrent ce qui

se passe en la terre.

Il ne faut pas oublier le glorieux saint Edmond, ar

chevêque de Cantorbery, qui, dans sa jeunesse, disait à

l'une de ses tantes, qu'il était affectionné et qu'il avait

rencontré une excellente Maîtresse qu'il saluait tous les

jours. Il voulait parler de la sainte Vierge, à laquelle il

avait consacré son cœur comme à la Reine du bel amour.

Il fit vœu de perpétuelle virginité devant une image de

cette même Vierge , qu'il prit dès lors pour sa bien-

aimée et fidèle Maîtresse, mettant pour arrhes de sa

fidélité dans le doigt de l'image un anneau d'or où était

gravé l'Ave Maria. Soit que c'en fût un autre ou le

même, son anneau épiscopal était de la même matière

et de la même forme. Ce qu'il y a de certain , c'est

qu'après la mort du saint , on trouva la Salutation an

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gélique gravée sur l'anneau épiscopal qu'on lui tira de

la main. Ce trait me rappelle la confiance de ce jeune

homme de Cordoue qui , pour se rendre parfait et vic

torieux en la chasteté, portait un anneau où il avait

fait graver ces deux mots : Ave, Maria. Mais je dois en

parler ailleurs.

Philagie , je vous vois dans la résolution de n'avoir

d'autre Bien-Aimée que Marie, la Mère de Dieu. Tenez

donc bien à votre résolution ; et pour la rendre ferme

et authentique, servez-vous des termes que voici, dont

se sert en pareil cas un dévot de Marie , dont je ne

vous cache pas le nom puisque je lui donne ce bel

éloge.

O sainte Vierge ! si j'ose suivre les élans de mon cœur,

je vous prends et choisis pour ma bien-aimée et chère

Maîtresse. Acceptez-moi pour l'un de ceux que vous

favorisez; rendez-moi participant de ces tendresses inef

fables et de cette précieuse bienveillance que vous avez

pour ceux qui vous appartiennent en cette qualité.

0 aimable Vierge, si jamais je vous oublie et si je fausse

la foi que je vous donne , si je contreviens à des ser

ments si solennels , fasse le Ciel que je sois à jamais

rayé du livre des vivants , et que ma mémoire périsse

entre les hommes !

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DÉVOTION IIP

Pour le vingt-quatrième jour <le Janvier.

Avoir une image de la Vierge en sa chambre et l'honorer, à

l'imitation de saint François de Paule.

Philagie, puisque c'est votre volonté de n'aimer que

Marie, et puisque vous l'avez choisie pour votre Bien-

Aimée, que d'ailleurs elle vous chérit tendrement , per

mettriez-vous qu'il n'y eût pas quelqu'une de ses ima

ges en votre chambre? J ai peine à le croire; et je suis

persuadé que vous avez une affection toute particulière

à ses aimables portraits, que vous en voulez avoir

d'ordinaire quelqu'un devant vous, surtout en votre

chambre.

Ainsi faisaient tous les religieux de l'ordre de Saint-

Dominique au commencement de leur institution. Tou

tes leurs chambres étaient autant d'oratoires de la

Vierge, car son image y était exposée, et cette loua

ble coutume se garde encore parmi eux. Ailleurs, aux

maisons religieuses qui ont quelque affection parti

culière à la sainte Vierge, à peine verrez -vous une

chambre où la sainte Vierge ne paraisse comme la

Gardienne et la Bien-Aimée.

Le glorieux saint François de Paule en avait une

en son oratoire; elle était tout son refuge. Le roi

Louis XI , qui aimait avec tendresse le saint , voulut

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lui faire le présent d'une qui était estimée dix -sept

mille écus. Mais le saint la refusa , disant que sa dé

votion n'était pas attachée à l'or ni à l'argent, mais à

la Reine du Ciel seulement.

Quant à moi, je ne serais pas content si un tel

meuble manquait à ma chambre, car il est plein de

bonheurs , et il apporte des biens et des profits . incom

parables. De mille biens que je pourrais vous offrir,

contentez-vous de celui-ci, qui paraîtra davantage dans

l'histoire suivante , racontée au second concile de

Nicée.

Sur le mont des Olives demeurait un reclus, homme

très-vertueux qui avait été tourmenté par l'esprit de

fornication jusqu'à son extrême vieillesse. Un jour,

accablé d'ennui , il se mit à pleurer ; et , s'adressant

au démon qui le tentait, il lui demanda jusqu'à quand

durerait son opiniâtreté à le tourmenter de la sorte;

si à la fin il ne le laisserait point en repos se dispo

ser à bien mourir? Aussitôt l'ennemi, paraissant sous

une forme visible , lui promit le repos qu'il souhai

tait, mais à la condition qu'il garderait le secret sur

ce qu'il allait lui dire. L'ermite en fit le serment.

L'Esprit malin lui dit : Je veux que tu ne te tournes

plus vers cette image de Notre-Dame tenant le Sau

veur entre ses bras que tu as dans ta cellule, que

tu ne l'honores plus en te prosternant devant elle. Le

reclus demanda un jour de délai pour lui répondre ,

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et il prit le loisir d'aller trouver un saint abbé et de

lui découvrir tout ce qui venait de se passer. L'abbé

lui conseilla de ne plus écouter l'ennemi , de se re

fuser à sa demande, et de ne pas cesser pour cela

de garder l'image de la sainte Vierge dans sa cellule,

de lui rendre l'honneur et le respect qu'il lui rendait

auparavant.

L'ermite obéit, et le démon se vit moqué et vaincu.

Il semble qu'une image de la sainte Vierge dans

une chambre, à la vue, ne fasse pas grand bien. Ah!

combien de fois l'ennemi perd le courage de nous at

taquer à la vue d'une seule de ces images, surtout

lorsque nous l'exposons à nos regards afin qu'elle nous

serve de sauvegarde et d'objet le plus aimable que

nous ayons !

C'est par ce moyen que Pierre Garalt, religieux

de saint Dominique, se rendit victorieux de l'ennemi,

au dernier combat de la vie. Car, pendant qu'il était

malade , Satan se déguisa en docteur de théologie, et,

l'étant venu visiter, il lui proposa une question sur

le mystère de la très- sainte Trinité. Le conduisant

ainsi d'une difficulté à une autre, il lui embarrassa

tellement l'esprit qu'il allait y succomber : il ne sa

vait plus que répondre. Alors il jette les yeux sur

une image de la Vierge qui était en sa chambre,

priant sa chère Mère de le tirer de ce danger. Aus

sitôt l'image se tourna vers lui , et le regarda avec

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tant de bienveillance et d'efficacité que tout-à-coup les

troubles suscités dans son esprit par l'ennemi s'éva

nouirent. Il répondit avec tant de force et de sagesse

aux raisons et arguments de Satan, qu'il fut contraint

de le quitter.

Philagie , je ne sais pas si jamais vous aurez de pa

reilles attaques ; mais je sais que vous auriez grand

tort de loger dans une chambre dépourvue de quelque

image de Marie, puisque la seule vue de son portrait

est capable de vous mettre l'allégresse dans le cœur,

les victoires en main, et les couronnes sur la tète.

DEVOTION IV"

Pour le vingt-cinqulèïne jour de Janvier.

Porter sur soi une image de la sainte Vierge, à l'imitation

de Louis le Débonnaire, empereur.

Mon Dieu , que j'aime la dévotion de ceux qui por

tent une image de la sainte Vierge sur eux! qui dou

tera que ce ne soit leur Bien-Aimée?

Ainsi le pratiquait Louis XI, roi de France. Il por

tait toujours sur son chapeau une image de la Mère de

Dieu. C'était là sa riche enseigne. Il l'estimait plus que

tous les diamants et les pierreries de son royaume.

Aussi il dit un jour, à l'occasion d'une image bien faite

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sur le plomb qu'on lui avait donnée , qu'il faisait plus

de cas de ce plomb que de tout l'or de la France.

Louis le Débonnaire, empereur et roi de France , en

portait aussi toujours une sur soi ; elle lui servait par

fois d'oratoire : car, lorsqu'il se trouvait à l'écart, aux

champs ou à la chasse , il se mettait à genoux devant

elle et la priait, employant un peu de temps à l'orai

son. Sa chasse et sa récréation étaient de gagner les

bonnes grâces de la sainte Vierge , et cela tandis que

sa noblesse poursuivait les cerfs. Ne voilà-t-il pas deux

monarques recommandables pour leur piété et leur af

fection a la Mère de Dieu?

En voici encore un qui ne l'est pas moins : c'est

l'empereur Andronique le Vieux. Il portait toujours

sur soi une petite statue d'or de la Vierge pendue au

cou. A l'instant de sa mort, comme il ne put recevoir

le saint Sacrement, il la mit à sa bouche, afin qu'elle

lui servît de viatique puisqu'il ne pouvait recevoir celui

de son Fils. Il est bien probable que cette dernière ac

tion de l'empereur lui fut comptée pour l'une des plus

méritoires de toute sa vie.

Ne pensez pas , Philagie , qu'il n'appartienne qu'aux

grands , qui ont le moyen d'avoir de belles et riches

images de la Vierge, de les porter sur eux. Tous les

dévots de la sainte Vierge en peuvent faire autant , et

souvent ils vous en ont donné l'exemple. Saint Charles

Borromée, outre l'ordonnance qu'il fit exactement gar

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der, — qu'à l'entrée de toutes les églises paroissiales il

y eût une image de Notre-Dame, — exhorta tous ses

diocésains dans ses visites de porter sur eux une de

ces images. Il les assura que les images de la Vierge

avaient un grand pouvoir contre les mauvais desseins

de l'ennemi du salut.

Un des règlements de la confrérie Notre-Dame de

Sion, en Lorraine, érigée l'an 1393 par Ferry de Lor

raine , comte de Vaudemont , ordonne que tous les

confrères seront obligés, huit jours avant et après l'As

somption de la glorieuse Vierge , de porter son image ,

soit en argent , ou en peinture , ou en broderie ; et

quiconque serait trouvé sans elle payerait une certaine

amende.

Philagie, je n'ai garde de vous obliger à quelque

amende en cas de manquement à la dévotion que je

vous présente. Il me suffit de vous dire que , si vous

prenez la bonne coutume de porter sur vous, ou au

cou , ou dans la poche , ou à la ceinture , ou ailleurs ,

une image de -la Vierge ou médaille a son effigie, je

vous estime plus heureuse que si vous aviez sur vous

et à vous un billet de douze cent mille écus.

Croyez-moi, ne soyez jamais sans ce témoignage et

cette marque d'amour envers elle. Si la mort vous

surprend , elle vous servira de viatique ; si vous êtes

en santé , vous la pourrez saluer et baiser cent fois le

jour, et l'honorer selon la dévotion de votre cœur.

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Aimeriez-vous moins Notre-Dame que les amateurs du

monde le font de leurs profanes créatures dont ils

veulent avoir et porter les portraits, et les voir à

chaque moment? En quel état sauriez-vous être dans

lequel vous ne puissiez recevoir du bonheur d'une si

louable pratique? Vous trouverez-vous aux champs ou

ailleurs? l'ennemi ne vous approchera pas facilement.

Avez-vous envie de prier Dieu? votre oratoire sera

toujours tout préparé. Vous ne serez pas sans image,

puisque , ayant l'image de la Vierge , elle vous peut

servir d'un oratoire tout orné.

J'ai peine à quitter ce sujet, que je. ne vous aie au

paravant fait voir quelque trait du bonheur qui suit

les personnes qui portent l'image de la Vierge sur eux.

En voici un de notre temps, lisez-le ; et puis résistez, si

vous le pouvez , à la pensée que vous aurez" de n'être

jamais sans une image de la Mère de Dieu.

L'an 1631, trois voleurs rencontrèrent proche de

Dijon un gentilhomme a cheval qui portait en croupe

une religieuse qu'il avait débauchée et tirée de son cou

vent. Comme il se voulut mettre en défense, l'un d'eux

lui donna un coup d'arquebuse à la tète et le jeta par

terre raide mort. La fille aussi tomba par terre. Etant

interrogée sur sa personne et d'où elle venait, comme

elle avait tiré de son sein une image de Notre-Dame

qu'elle portait pour l'invoquer en ce danger, elle con

fessa avec franchise son crime. Elle ajouta qu'elle mé

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ritait toute sorte de châtiments. Aussitôt un des voleurs,

touché de l'ingénuité de la demoiselle, lui demanda si

elle voulait retourner à son monastère. Elle répondit

que ce serait une des plus grandes grâces que Dieu lui

pourrait faire. Le voleur donc la mit en croupe et la

ramena au monastère. Il lui conseilla d'être plus sage

une autre fois. La fille, pensant en elle-même comment

elle pourrait reconnaître le bienfait signalé que venait

de lui procurer cet homme, se sentit inspirée de lui

donner sa Notre-Dame. Elle tire donc de son cou son

image de la Vierge et la donne à son bienfaiteur comme

le joyau le plus précieux qu'elle eût. Cet homme le

prend et s'en retourne au galop vers ses compagnons.

Mais durant le chemin, heureux de l'image qn'il portait,

il ressentit de bonnes inspirations pour le salut dé son

âme ; il eut un tel remords du malheureux état dans

lequel il vivait qu'il se résolut de changer de vie. Il

quitta donc son inconduite et ses compagnons de dé

bauche, et il alla à Notre-Dame d'Estang, qui est

une chapelle de la Vierge célèbre par des miracles, à

deux lieues de Dijon. Là il rendit ses hommages à la

Mère de Dieu comme à celle qui lui avait procuré le

bonheur de sa conversion depuis qu'il avait pris sur soi

cette image faite à la ressemblance de l'image miracu

leuse de Notre-Dame d'Estang. Ce fut le motif particu

lier qui le porta à faire ses premières dévotions dans

cette même chapelle.

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DEVOTION Ve

Pour le vingt-sixième jour de Janvier.

Avoir en main l'image de la sainte Vierge durant quelques

heures, à l'imitation de sainte Edwige, duchesse de Pologne.

Si j'ai une médaille où soit l'image de la Mère de

Dieu ou autre objet semblable qui soit aisé à tenir à la

main, qui m'empêchera, pour l'amour que je porte à la

sainte Vierge, d'avoir en main son image tout un jour

ou tout un après-dîné sans qu'on y prenne garde? Et

puis, quand même on s'en apercevrait, voilà bien de

quoi se dispenser de ce témoignage d'amour envers sa

Bien-Aimée, et perdre la consolation et le mérite qu'on

en recevrait! Il n'y a qu'à vouloir, et tout sera aisé.

Il est dit dans la vie de la bienheureuse Victoire

qu'une novice ayant eu l'ordre de tenir à la main une

dizaine de chapelet pour la maîtresse des novices jus

qu'à ce qu'elle la demandât, celle-ci ayant oublié de la

redemander, la novice la tint à l'une des mains deux

jours et deux nuits entières, même pendant le travail,

de peur de manquer à l'obéissance.

Il me semble qu'une médaille est encore plus aisée

à tenir durant quelques heures que cette dizaine durant

deux fois vingt-quatre heures. Philagie , je vous con

seille aujourd'hui d'en faire l'essai. Vous ne ferez rien,

en ce témoignage d'amour à Notre-Daine, que la glo

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rieuse Edwige , duchesse de Pologne , n'ait pratiqué.

Comme elle portait toujours sur elle une image de la

Vierge, très-souvent elle la tenait à la main. Elle voulut

mourir en la tenant ainsi , et il ne fut pas possible de la

lui ôter des mains après son heureux trépas. Vingt-cinq

ans après, comme on ouvrit son tombeau,, on trouva

ses trois doigts qui tenaient encore l'image.

A cette heure ( dernière ) , qui trouvera à redire aux

pratiques et dévotions de la Mère de Dieu ou autres,

puisque Dieu les agrée et les bénit jusqu'à faire des

miracles pour les autoriser? Philagie, a qui croirons-

nous , à qui tâcherons-nous de plaire : ou à Dieu , ou à

ces personnes qui , décriant les menues dévotions , sont

pour se rencontrer dans une saison où elles voudraient,

au prix de leur sang, avoir pratiqué ce qu'elles ont

méprisé et rejeté tout le long de leur indévote vie et

par leurs discours impertinents?

DEVOTION VIe

Pour le vingt-septième jour de Janvier.

Regarder fixement l'image de la Vierge, à l'imitation

de saint Alexis.

C'étaient les chères délices de l'aimable saint Alexis,

lorsqu'il était sous le portail de l'église de la Mère de

Dieu à Edesse, que de regarder le portrait de sa chère

2.

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Maîtresse et Bien-Aimée. Il avait de la peine à retirer

ses yeux d'un si bel objet. Plus il la regardait, plus il

en devenait saintement passionné. Son contentement

était grand, parce qu'il trouvait .cette Maîtresse et

cette Epouse plus aimable et plus ravissante que celle

qu'il avait quittée à Rome, le premier jour de ses

noces.

Philagie, n'avez-vous pas une belle image de la

sainte Vierge, ou n'en savez-vous point en quelque

lieu? Car je vous conseille et vous prie du meilleur de

mon cœur de vous donner la peine, ou mieux le plai

sir, aujourd'hui et autres fois quand il vous plaira,

de regarder quelque image de la Mère de Dieu avec

attention. Arrêtez souvent l'œil dessus. C'est bien l'un

des objets les plus beaux et les plus profitables que

peuvent voir vos yeux. A mesure que vous la regarde

rez, vous aurez de l'affection pour elle, les pensées

des vertus s'empareront de votre cœur, et les désirs de

la chasteté germeront en votre âme. Si vous êtes con

stante à la regarder longtemps, vous la quitterez à

regret, et vous n'en sortirez que remplie de consola

tion et affectionnée plus que jamais à la Reine des

Anges.

Il en est des images de la Mère de Dieu comme de

l'original. Celui qui avait le bonheur de la voir était

assuré que son cœur serait pénétré de pensées célestes

et des désirs de la pureté. Toutes les autres beautés et

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les visages, soit naturels, soit en peinture, de l'un et de

l'autre sexe n'ont pas tous ce privilége. C'est ce qui a

fait dire à Denis le Chartreux, expliquant ce texte du

saint Cantique Sicut lilium inter spinas, sic amica mea

inter filias : Toutes les autres beautés des vierges ont

été des épines ou pour elles ou pour les autres ; mais la

bienheureuse Vierge est sans épines : aussi les cœurs de

ceux qui la regardent se sentent conviés à la pureté.

Mais à quoi me servira, direz-vous, de regarder si

longtemps une de ces images? Essayez-le, et puis je

vous répondrai. Vous la regarderez, et elle vous re

gardera; vous lui parlerez, et elle vous parlera. Elle

vous interrogera et vous lui répondrez. Elle sait faire

tout cela à travers de ses images. Et ce qu'elle ne fait

visiblement que par circonstance, elle le fait toujours

invisiblement : de telle façon néanmoins que le cœur,

qui sait bien ce que c'est, entend son langage, apercoit

ses œillades, et reconnaît ses inclinations. Deux traits

admirables sur ce sujet, et puis dispensez-vous, si vous

le pouvez, de regarder attentivement les images de

Marie votre Bien-Aimée.

Que fera ce grand homme de bien et cet incompara

ble amateur de la Vierge et de la pureté, le Père Bal-

thazar Alvarez, de la compagnie de Jésus? Se trouvant

engagé à assister à un acte d'inquisition en Espagne,

où tout le monde, selon la coutume, était accouru, (il

se voit dans une situation critique). S'il jette les yeux

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sur le théâtre , comme il est mal placé , il faut néces

sairement que pendant sept heures que devra durer

cette action il voie des dames qui par curiosité sont

venues à cette cérémonie : car elles sont placées entre

lui et le théâtre, et de manière telle qu'il ne peut

s'empêcher de les voir toutes en face. Un homme

chaste comme il l'était, et d'une si héroïque vertu que

la bienheureuse Thérèse avait eu révélation que c'était

l'homme de son temps le plus avancé en perfection,

voir durant sept heures des beautés de visages qui ne

donnaient pas tous des attraits à la pureté, je crois

qu'il sera bien peiné , tout saint qu'il est , et qu'il aura

beaucoup à combattre ses pensées! De quitter sa place

pour se retirer, il n'oserait ! la bienséance et l'occasion

pour laquelle il est venu ne le permettent pas ; de ne

regarder que ce qui est sur le théâtre sans jeter les

yeux sur ce qui est à l'entre-deux , c'est ce qu'il ne

peut faire. Et puis les yeux sont plus portés à ce qui

leur paraît plus agréable.

Que fera donc ce bon serviteur de Dieu? Ce qu'il

fera? Sa bonne et sainte .coutume était d'avoir toujours

sur soi une image de la Vierge, sa chère Dame. Il prit

donc cette image, et il la regarda fixement, attentive

ment et affectueusement l'espace de sept heures, sans

jamais en détourner la vue pour considérer le théâtre,

les juges, ce qui s'y faisait, ni ailleurs. Ainsi il détour

nait les yeux de l'occasion d'offenser Dieu en regardant

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ces beautés humaines, et il avait d'ailleurs le moyen

de s'entretenir saintement avec sa bonne Mère.

Si vous me demandez maintenant qu'est-ce qu'il pou

vait tant regarder, tant penser e,t tant dire à la seule

vue d'une image, et durant sept heures, je vous répon

drai, sans vous envoyer au Ciel, où nous saurons quel

fut son entretien durant ces sept heures, que vous ob

serviez vous-même ce que vous tâcherez de regarder,

de penser et de dire durant les petits demi-quarts

d'heures que vous emploierez aujourd'hui, ou désor

mais, à contempler les aimables images de la sainte

Vierge. Essayez donc, et puis vous saurez ce que c'est.

Je me suis engagé a vous donner un autre trait sur

ce même sujet. Le voici, tiré de Vincent de Beauvais,

excellent prélat du même lieu. Il raconte que certains

jeunes hommes jouant ensemble devant une église, l'un

d'eux tira une bague qu'il avait reçue d'une jeune

demoiselle. De peur de la rompre ou de la gâter, il

entre dans l'église pour la mettre en quelque lieu

assuré, avec le dessein de la reprendre. Entré donc

dans l'église, il rencontre une image de la sainte

Vierge en relief. Il la trouve d'abord si belle et si

majestueuse, qu'il ne peut s'empêcher de se mettre à

genoux pour la prier en passant. Mais comme il est en

cette posture, regardant attentivement cette image,

plus il la regarde, plus il la trouve belle. Il éprouve

de la peine à se retirer. Il avoue ingénument a la

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sainte Vierge qu'elle est plus belle et plus aimable que

la demoiselle dont il portait l'anneau. Il ajoute que,

si elle l'avait pour agréable, jamais fille ne posséde

rait son cœur, et qu'il n'aurait d'autre amie qu'elle, en

ne se qualifiant plus que du titre de serviteur de Marie.

Cette protestation faite, il met sa bague dans l'un des

doigts de la main de l'image , et, ô merveille ! tout-à-

coup le doigt qui reçut la bague, qui auparavant était

étendu, se plia, en signe que la glorieuse Vierge agréait

son hommage, son affection et sa confiante simplicité.

Le jeune homme , étonné de cette merveille , appelle

ses camarades, leur raconte ce qui s'est passé. Ceux-ci

l'engagent à quitter le monde pour se donner entière

ment au service de cette Dame. Tl s'y résout d'abord :

car la mère de Dieu avait puissamment touché son

cœur. Néanmoins, différant l'exécution de son dessein,"

parce que le monde n'est que trop charmant et qu'une

créature est capable de renverser tous les desseins des

plus chastes et des plus résolus, il se laisse encore en

traîner par l'affection pour le monde et à l'amitié d'une

jeune demoiselle. Il se marie. La sainte Vierge cepen

dant, qui veut qu'on lui tienne parole, lui apparut sur

le soir, lui reprocha son infidélité et son manque de

parole. Ce reproche l'ébranla un peu, mais sans lui faire

changer de résolution , car il se croyait trop engagé :

le festin était déjà préparé et on était encore au bal.

La sainte Vierge, qui ne veut pas d'affront en échange

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de sa bienveillance, lui apparaît pour la seconde fois,

et lui fait des reproches et des menaces. Il ne put y

résister : il se dérobe du bal , de sa prétendue épouse ,

de sa maison, et s'enfuit comme un autre Alexis, pour

passer ses jours et ses années au service de Marie, sa

chère Maîtresse et fidèle Amante, plus digne d'être ai

mée que toutes les plus charmantes beautés de la terre.

Philagie, voilà ce que servit à ce jeune homme

d'avoir, une fois en sa vie, regardé attentivement et

affectueusement une image de la sainte Vierge.

DEVOTION VIP

Pour le vingt-huitième jour de Janvier.

Marcher en compagnie de Jésus et Marie, à l'imitation

de saint Augustin.

C'est le jour auquel les révérends Pères de l'Ora

toire célèbrent la fête des Grandeurs de Jésus. Il faut

donc, sans omettre une dévotion à sa sainte Mère, se

souvenir du Fils, et se servir de quelque pratique qui

soit commune à tous deux , telle que l'est celle que

marque le révérend Père Poiré en sa Triple Couronne.

Il dit avoir connu quelqu'un qui , pour se rendre plus

aisée la conversation avec le très-aimable Jésus, s'était

associé avec lui et avec sa très-sainte Mère , marchant

toujours en leur compagnie, s'entretenant sans cesse

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avec eux, et ne faisant ou ne disant rien sans leur con

seil et leur bon plaisir.

Voilà justement ce que vous ferez aujourd'hui, Phi-

lagie. Pourriez-vous être en meilleure compagnie et pas

ser plus saintement la journée? Si vous l'entreprenez,

vous ne fûtes jamais plus modeste, jamais plus recueillie.

Toutes vos pensées ne viseront qu'à plaire à Jésus et à

Marie. Cette pratique vous procurera une indicible con

solation , et vous fera prendre envie de vous en servir

plus souvent , surtout aux jours des grandes fêtes et

de votre communion. Ne faites pas tout-à-fait comme

saint Augustin qui, se placant au milieu de Jésus cru

cifié et de Marie allaitant son Fils, ne savait de quel

côté se tourner et auquel s'adresser, tant il se sentait

obligé à tous deux. Voici comme il parle :

Hinc pascor à vulnere,

Hinc lactor ab ubere ;

Positus in medio,

Quà me vertam nescio. *

Ne faites pas ainsi; mais adressez-vous tantôt au Fils,

tantôt à la Mère. Servez-vous de ce précieux sang de

Jésus et de ce doux lait de Marie ; que ce soit vos plus

chères et aimables délices!

* Ces paroles sont si belles qu'elles auront paru intraduisibles

au Père de Barry. Je respecte sa réserve, laissant au lecteur à

en savourer les expressions.

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DÉVOTION VIIIe

I^oxii" le vingt-neuvième jour de Janvier.

Saluer la sainte Vierge à la rencontre de ses images, à l'imi

tation de Gonzalez Sylveira, martyr.

Philagie, faire tous les jours de votre vie ce que je

viens de vous proposer, serait, ce semble, trop pour

vous; faites-le donc souvent, au moins aujourd'hui.

Autant d'images de la Vierge que vous rencontrerez ,

saluez-les toutes. Il n'est pas de jour que vous n'en

rencontriez quelques-unes.

Le vertueux Père Gaspard Bon , minime , avait une

pareille dévotion , et tout le temps de sa vie il la pra

tiqua. Le Père Gonzalez Sylveira , martyr, de la Com

pagnie de Jésus, était très-exact en cette dévotion. A

toutes les images de la Vierge qu'il rencontrait , il la

saluait tout bas, il se mettait même à genoux s'il le

pouvait faire commodément. Vincent de Beauvais, pré

lat très-dévot, l'une des lumières de l'ordre de Saint-

Dominique, raconte une histoire bien étrange d'une

dame du diocèse de Langres qui était mariée. Elle se

confessait et communiait souvent. L'hôpital , les aumô

nes, les œuvres de charité lui étaient ordinaires. Néan

moins elle avait un péché secret qu'elle n'osait jamais

confesser. Après chacune de ses confessions, elle soupi

rait, disant qu'elle se confessait de nouveau et deman

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dait pardon des péchés omis. Son confesseur ordinaire,

craignant qu'il n'y eût quelque faute secrète en son

âme, lui conseilla et lui fournit l'occasion de changer

quelquefois de confesseur. Un jour il l'engagea à s'adres

ser pour sa confession à un religieux qu'il lui indiqua ,

qui était en grande réputation de sainteté. Elle lui obéit,

mais elle n'eut pas le courage de tout déclarer non plus

que les autres fois. Voilà comment elle passa sa vie.

Tout ce qu'elle avait de bon et qui lui procura un grand

avantage, c'était une grande dévotion aux images de la

sainte Vierge. Autant elle en rencontrait, elle les sa

luait toutes , et priait la sainte Vierge de lui obtenir le

pardon de son péché.

La voilà qu'elle tombe dangereusement malade. Elle

se confesse, mais à l'ordinaire, n'ayant pas le courage

de découvrir sa plaie (qui lui rongeait le cœur). Elle

meurt en ce pitoyable état. Il faut comparaître au ju

gement de Dieu. Comme elle est sur le point d'être

condamnée et d'être enlevée par les démons, la Mère de

bonté s'y oppose, et prie son cher Fils de lui pardonner.

Le Fils répond qu'elle est morte en péché mortel, qu'il

n'est guère temps d'y remédier ; que néanmoins, à sa

considération, il consent qu'elle revienne au monde. La

voilà donc ressuscitée ; et de la bière où elle était en

core, elle demande la confession. Elle se confesse en

effet, et faisant comme une chaire de sa bière, elle ra

conte tout ce qui s'est passé, surtout que la dévotion

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qu'elle avait eue aux images de la sainte Vierge, la sa

luant en toute rencontre, lui avait obtenu le salut de

son âme. Peu de temps après elle mourut en paix.

Philagie, ce sont là des cas privilégiés, et vous ne

devez en tirer d'autres conséquences que celle-ci : que

si la sainte Vierge a un si grand soin du salut de ceux

qui ne lui sont pas dévots et qui sont dans la voie de

la perdition , quel soin n'aura-t-elle pas de ceux qui la

servent fidèlement avec la pureté de conscience requise

àun serviteur et dévot'de Marie ?

Le cœur me dit que désormais vous saluerez la Vierge

lorsque vous rencontrerez ses images, car elle est votre

Bien-Aimée. Faites-le, et priez-la aussi de vous obtenir

le pardon de votre vie passée.

Je ne vous demande pas qu'en la saluant vous disiez

un Ave Maria tout entier, et quand vous ne diriez que

ces deux mots, je serais content. Pourquoi ne serais-je

pas content de ce peu, puisque Notre-Dame elle-même

en est plus que satisfaite, comme elle le témoigna à son

cher mignon saint Bernard. Une fois, il salua, en pas

sant, l'image de cette Vierge qui est au monastère d'Af-

fleghem (en Brabant) , et il ne lui dit que ces deux

mots : Ave, Maria, — Dieu vous garde , Marie. Notre-

Dame lui répondit : Ave, Bernarde, — Dieu vous garde,

Bernard. Refusez maintenant de saluer à leur rencontre

les images de la sainte Vierge !

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CHAPITRE II

HUIT DÉVOTIONS A. LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE SA SAINTE PURIFICATION , LE SECOND DE FÉVRIER.

DÉVOTION PREMIERE.

Pour le deuxième jour de Février.

Vouloir mourir pour cette vérité que la sainte Vierge est Vierge

et Mère tout ensemble, à l'imitation de S. Zacharie.

Qui pourrait mourir pour l'amour de la Mère de

Dieu, ne serait-il pas heureux, surtout s'il s'agissait

de défendre et soutenir les plus éminentes grâces dont

Dieu l'a favorisée, telles que sont sa sainte virginité

jointe à son admirable maternité?

Il y en a qui croient, comme on le lit dans le Mar

tyrologe du cardinal Baronius, que saint Zacharie, père

de saint Jean-Baptiste , souffrit glorieusement le mar

tyre pour maintenir que Marie, la Mère de Jésus-

Christ, avait été Vierge et Mère tout ensemble.

Philagie, si vous ne pouvez avoir ce bonheur de

souffrir le martyre pour la cause de la Mère de Dieu,

ayez-en au moins le désir. Protestez-lui souvent que

vous voudriez mourir pour cette vérité : Qu'elle a été

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Vierge et Mère tout ensemble. Au moins n'y manquez

pas aujourd'hui. Je connais quantité de personnes qui

font tous les jours cette protestation à la sainte Vierge.

Il est bien aisé, le soir en vous retirant, après lui

avoir donné le bonsoir et demandé sa sainte bénédiction,

de lui dire d'un cœur filial : Ma chère Dame, je vous

aime de toute l'étendue de mon âme, j'honore et je ché

ris tellement toutes vos plus éminentes faveurs et pré

rogatives, que mon grand désir est de mourir pour cette

vérité — que vous êtes Vierge et Mère. Qui pourrait

douter que la glorieuse Mère de Dieu n'aime et ne bé

nisse un si bon cœur! et qu'elle-même, en retour, s'il

en est besoin, ne prenne la cause d'un cœur qui a tant

d'amour pour elle!

J'ai appris autrefois d'un serviteur de Dieu un trait

qui vient fort à propos, et digne d'éternelle mémoire.

C'est un gentilhomme qui, se servant de cette dévo

tion , en tira un tel profit que son âme partit de ce

monde avec la consolation qu'il eût pu désirer. Il avait

la sainte habitude, tous les soirs, de témoigner à la

sainte Vierge un pareil désir. C'était là à peu près

toute la dévotion et la pratique de piété de sa vie, car

il était assez libertin. Le voilà alité par une bonne

maladie. Les médecins craignent pour l'état de sa

santé. Sa position devient pire : il se trouve aux prises '

avec la mort. L'ennemi n'oublie rien pour le perdre : il

le dégoûte de la confession, jette le désespoir dans son

3

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âme et la livre à de grandes peines et a de cruelles

perplexités.

Croyez-vous , Philagie , qu'il sera sans quelque se

cours de la Mère de Dieu? Non, lui qui a protesté,

tous les jours de sa vie, à cette sainte Mère de vouloir

mourir pour sa cause ! Ce peu , certes , lui valut beau

coup ; car Notre-Dame lui apparut, l'encouragea, et lui

dit : Mon fils, ne crains rien. Tu as voulu mourir si

souvent pour la défense de ma Virginité et de ma Ma

ternité, me voici pour te secourir à l'heure de ton si

gnalé et très-important combat. Il prit courage, usa de

Bon loisir pour se munir des sacrements , et assisté de

la Mère de bonté , s'il ne mourut pas martyr, comme il

l'avait tant souhaité, il mourut comme un brave et

fidèle serviteur de la Reine des Anges et de la Mère-

Vierge.

Qui sait, Philagie, les peines que vous sentirez peut-

être en ce dernier passage et dans ce dangereux com

bat! Et moi qui vous parle, je ne sais pas non plus les

attaques que j'aurai alors. Ah! si, vous et moi, nous

pouvions obliger la Mère-Vierge, par l'assiduité à une

semblable dévotion, de nous donner de pareils secours,

paraissant à notre égard formidable à nos ennemis

comme une invincible guerrière et une puissante armée

'ordonnée en bataille!

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DÉVOTION IIe

Pour le troisième jour de ï'évrier.

Choisir plutôt l'enfer, le péché excepté, que si la sainte Vierge

n'était pas la Mère de Dieu, à l'imitation de sainte Brigitte.

Philagie, à l'occasion de la sainte Purification de la

Mère de Dieu, mystère qu'elle a voulu accomplir en

qualité de mère, je tâche, durant cette Octave, d'hono

rer par les pratiques que je loge ici cette divine mater

nité. Faisons donc en sorte de la reconnaître et de

l'honorer, en ces premiers jours , comme Mère du Fils

de Dieu et puis comme la nôtre, puisque nous avons

le bonheur d'être ses enfants par adoption.

Aujourd'hui donc, nous imiterons sainte Brigitte qui

disait à la sainte Vierge : Ma chère Mère, il me serait

plus supportable de me voir abîmée dans les enfers,

pourvu que je fusse en la grâce de votre cher Fils ,

que si vous n'étiez pas la Mère de Dieu. Notre-Dame

eut tellement pour agréable cette action héroïque et ce

témoignage d'amour, qu'elle lui dit : Ma fille, sois assu

rée que Marie que tu chéris si fort te vaudra mille fois

plus que toutes les créatures, que ton mari, que tes

enfants, que Brigitte ne vaudra à elle-même.

Il y a de l'apparence que le prince Charles, fils de

cette sainte, avait pratiqué cette même dévotion bien

souvent et d'une manière peut-être plus parfaite, car

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il lui disait : Ma chère Princesse, j'aimerais mieux être

en enfer, étant quitte de péché mortel, plutôt que de

voir et de souffrir la moindre diminution de votre gloire.

Cette sainte pratique lui fut avantageuse, car à la mort

il fut assisté en toutes choses par la Mère d'amour.

Elle-même chassa l'es démons, et les empêcha d'aborder

le lit du malade et de le tenter. Ce fut elle qui pré

senta l'âme de ce prince à son Sauveur et Juge; de

quoi même les démons s'en étant plaints à Notre-Sei

gneur , la Mère de Dieu répartit : Mon Fils , pourquoi

n'aurais-je pas aidé celui qui s'est toujours réjoui de

mon bonheur et de tous mes priviléges, de sorte qu'il

s'est offert plusieurs fois à souffrir plutôt les peines

éternelles que le moindre rabais de ma gloire.

Philagie, c'est aimer Marie et ses grandeurs que de

les porter jusqu'à ce point. Mais auriez-vous le courage

d'en faire autant? N'auriez-vous pas peur de ces saintes

flammes cuisantes de l'enfer si l'on vous prenait au

mot? Je suis assuré que non. Car, pour celui qui souf

frirait tous ces feux pour l'amour de Dieu ou de sa

sainte Mère , toutes ces flammes et ces brasiers ardents

se changeraient en brasiers et incendies du divin amour,

au dire de l'incomparable amoureux de Dieu, François

de Sales, très-illustre prélat de Genève.

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DÉVOTION IlIe

Pour le quatrième jour de Février.

En l'honneur de la maternité de la Mère de Dieu, dire neuf

fois Beata viscera, etc., à l'imitation du dévot Berkman.

C'est la dévotion du dévot Jean Berkman, de la

Compagnie de Jésus. Tous les jours il disait neuf fois :

« Beata viscera Mariœ Virginis quœ portaverunt œterni

Pains Filium , — Heureuses les entrailles de la Vierge

Marie qui ont porté le Fils du Père éternel. » Il se

mettait à genoux à chaque fois qu'il récitait ce verset ,

en l'honneur des neuf mois que la sainte Vierge porta

son cher Fils dans ses flancs virginaux.

Philagie , voilà pour vous, aujourd'hui , une occupa

tion douce et aisée. Si elle vous convient, pratiquez-la

souvent, surtout durant l'Octave de la Naissance du

Sauveur : car c'est en ce saint temps, à proprement

parler, que la Vierge commença véritablement à être

la Mère du Sauveur.

Vous ne devez attendre que le bonheur de la prati

que d'un pareil exercice. La sainte Vierge a toujours

fait part de ses bonnes grâces et de ses faveurs à ceux

qui ont rendu tant soit peu d'honneur à ses sacrés

flancs virginaux, qui ont été honorés de porter pen

dant neuf mois la sacrée et adorable humanité du Sau

veur de nos âmes.

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Qui ne sait ce qui arriva à un brave et dévot ecclé

siastique qui pratiquait une dévotion presque semblable

à celle de Berkman ! Fort souvent , en saluant la Mère

de Dieu, il disait ces paroles qui ont le même sens

que les précédentes : Beatus venter Mariœ qui portavit

œterni Patris Filium, et beata ubera quœ lactavemnt

Christum Dominum. Il avait continué durant quelques

années à donner de semblables bénédictions à sa bonne

Maîtresse , quand , attaqué d'une furieuse maladie , la

violence du mal et des douleurs le porta a se déchirer

à belles dents la langue et les lèvres, et à se mettre

en un état tel , que c'était un vrai spectacle digne de

compassion. Les anges mêmes se rendirent ses avocats,

et s'apitoyèrent à son malheur et à ses souffrances :

car l'un d'eux , il est probable que ce fut son ange

gardien, se fit voir à lui au pied de son lit. Se tour

nant ensuite vers la Mère de Dieu qui était présente,

il la conjura par tous les services empressés que lui

avait rendus son fidèle serviteur, de le secourir. Eh

quoi ! disait-il , ô la Mère de bonté ! ô le doux refuge

des affligés! souffrirez-vous que la langue de l'un de

vos amants qui a donné tous les jours de sa vie mille

bénédictions à vos chastes mamelles, soit privé de

l'honneur de chanter désormais vos divines louanges?

Sera-t-il dit que ses lèvres qui méritent les perfec

tions et l'éclat de toutes les beautés de la nature ,

pour avoir contribué à l'emploi de la parole qui vous

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est la plus agréable, soient maintenant et à l'avenir

non-seulement défigurées, mais encore la risée de ceux

qui ayant fort peu d'amour pour vous diront : à quoi

lui ont servi tant de bénédictions qu'il donnait tous

les jours à son sacré sein et à ses virginales ma

melles? O la douce Mère de vos fidèles amants, êtes-

vous bien résolue de ne pas secourir celui-ci qui vous

a rendu des honneurs et des services beaucoup plus

grands que jamais ne vous en ont rendu plusieurs

auxquels , tous les jours , vous accordez les plus ri

ches faveurs?

A peine l'ange eut ainsi harangué la sainte Vierge ,

qu'elle fit jaillir quelques gouttes du lait de ses ma

melles sur les lèvres et sur la langue du malade. Tout-

à-coup il se trouva en parfaite santé, et avec un par

fait usage de la langue comme auparavant. Son âme

resta comblée des plus délicieuses consolations du Pa

radis. Ce fut là un vrai témoignage que Marie, sa

chère Mère, y avait apporté sa bonne et charitable

main. C'est ce qui l'obligea de se mettre à genoux

pour en remercier son aimable bienfaitrice. Et, s'étant

fait religieux, il reprit la sainte coutume qu'il avait de

lui rendre cent mille bénédictions, en attendant son

heureux trépas, auquel la Mère de Dieu ne manqua

pas d'assister, accompagnée d'un grand nombre de

Saints et d'Esprits bienheureux pour conduire l'âme de

ce fidèle serviteur au séjour de la gloire.

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DÉVOTION IVe

Pour le cinquième jour de Février.

Saluer la sainte Vierge pour sa qualité de Mère du Fils de Dieu

et pour les autres rapports qu'elle a avec la très-sainte Tri

nité, à l'imitation du dévot Garcia.

Philagie, je vous sers aujourd'hui la dévotion du dé

vot Simon Garcia, religieux minime. C'est une prière

courte , un salut et un compliment de grand prix pour

l'indulgence qu'il porte. Ce bon religieux l'avait pres

que toujours en la bouche.

Ave, Filia Dei Patris ;

Ave, Mater Dei Filii ;

Ave, Sponsa Spiritus Sancti ;

Ave, templum totius Trinitatis.

Il y a indulgence plénière autant de fois qu'on

priera et saluera de la sorte la Mère de Dieu , comme

on le lit en la sacristie de Notre-Dame de Lorette, où

ladite prière est écrite en lettres d'or.

Quel trésor pour vous , Philagie , qui êtes pour de

meurer longtemps en purgatoire, si vous êtes soigneuse

de vous en délivrer à la faveur de la Mère de Dieu !

Combien de fois le jour pouvez-vous faire ce compli

ment et donner ce salut à la Mère de Dieu? Autant de

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fois vous pouvez gagner cette indulgence. Que souvent

nous perdons beaucoup, faute d'un peu de dévotion et

de réflexion sur le gain qu'on peut faire à si peu de

frais !

Et puis, à vous dire tout , savez-vous ce que je pré

tends par cette dévotion que je viens de vous présen

ter? Mes désirs vont jusque-là que de vous garantir,

si faire se peut, de ces cuisantes flammes du purga

toire. Cela est bien vrai. Mais aussi je serais content

comme un ange si je pouvais vous faire concevoir ces

trois grandes qualités de Marie , et vous donner une

haute estime de ces trois glorieux titres de Fille du

Père, de Mère du Fils, et d'Epouse du Saint-Esprit,

qui sont les trois fleurons les plus rayonnants et les

plus agréables de sa triple couronne et de tous les dia

dèmes de sa gloire.

Qui jamais entendit parler de semblables alliances?

Je suis tout ravi de ce que saint Jean Damascène, vou

lant donner à Marie un trait de grande louange , la

nomme le Cabinet des Alliances. Et pour s'expliquer,

il dit qu'en ce Cabinet la divinité s'est alliée avec l'hu

manité, la souffrance avec l'impassibilité, et la mort

avec la vie. Je suis tout émerveillé de cette belle pen

sée ! Mais aussi je m'étonne qu'il n'ait pas pris garde à

des alliances plus riches que celles-là qui rendent Marie

incomparablement plus recommandable et plus élevée

que toutes les créatures. Le brave Synesius dit en quel

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que endroit de ses Hymnes que la Sagesse incréée est

ensemble Fille, Mère et Sœur de la Divinité. C'est vrai.

Mais cette alliance est du ressort de la pure Divinité;

et après celle-là, nous arrêtant parmi les pures créa

tures, il n'y en a jamais eu ni il n'y en aura jamais de

semblable à celle de Marie, qui a l'honneur d'être Mère,

Fille et Epouse de Dieu.

Nous avons en France une princesse qui est fille,

femme et sœur du roi. Ce sont de belles alliances et

de grands honneurs, mais qui ne sont pas approchant

de ceux de la Reine des Anges. Aussi veux-je, Phila-

gie , s'il vous plaît, que vous ayez un vif désir d'hono

rer ces trois sublimes et suréminents éloges de votre

chère Princesse, la saluant souvent avec la formule ci-

dessus. Et si vous êtes résolue de suivre mes avis en

tout, il faut encore que vous m'obligiez en un point:

c'est que vous aimiez l'Aurore pour avoir avec le Soleil,

son époux, son fils et son père, de pareils rapports que

ceux de Marie avec Dieu.

L'aurore c'est la fille du soleil : car cette première

lumière qui devance le soleil levé sur l'horizon, est en

fantée et émane du soleil. L'aurore, c'est la mère du

soleil : car il sort du sein de l'aurore. L'aurore , c'est

l'épouse du soleil : car c'est elle et le soleil son époux

qui enfantent le jour. Quel rapport voulez-vous trouver

qui soit plus beau pour concevoir que Marie tant de

fois appelée par l'Esprit de Dieu Aurore, mérite cent

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mille fois plus que l'aurore visible * d'être appelée la

Mère, la Fille, et l'Epouse du Soleil de Justice?

J'ai toujours aimé l'aurore, je l'aimerai désormais

avec passion. Je ne la verrai jamais que je ne me sou

vienne de Marie, ma chère Aurore; et je ne penserai

jamais à elle sans penser à une plus belle Aurore qui

a l'honneur d'être la Mère, la Fille et l'Epouse du

Soleil invisible.

DEVOTION Ve.

Four le sixième jour de Février.

Choisir et prendre la sainte Vierge pour Mère, à l'imitation

de sainte Thérèse.

Philagie , encore que Marie soit la Mère du Fils de

Dieu , elle ne dédaigne pas d'être la nôtre , nous rece

vant pour ses chers enfants d'adoption. Voici donc l'une

des plus douces et des plus aimables pratiques que je

vous offre : c'est de choisir et tenir la sainte Vierge

pour votre chère Mère; et en vos dévotions vous

adresser à elle comme à votre bonne mère; avec toute

humilité la nommer, la dire, la publier, dans les occa

sions qui se présenteront, votre chère Mère. Commen

cez dès aujourd'hui, et à cette intention dites-lui sou

* Le P. du Barry, écrit : Que le soleil -visible. C'est une faute.

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vent l'Ave maris stella : car c'est là où saint Bernard

l'appelle sa Mère.

Le bienheureux Stanislas , novice de la Compagnie

de Jésus , ne la nommait ordinairement que sa Mère.

Et un jour qu'il fut interrogé s'il aimait Notre-Dame,

il répondit sur-le-champ : Eh ! pourquoi n'aimerai-je

pas ma Mère?...

Sainte Thérèse, à la mort de sa mère, se jeta aux

pieds de la sainte Vierge , et la choisit pour qu'elle fût

désormais sa Mère. Le bienheureux Pierre de Luxem

bourg ne l'appelait non plus autrement que sa Mère.

Elle-même agrée d'être nommée ainsi, comme le té

moigne ce fait raconté par le bienheureux Jourdain, de

l'ordre de Saint-Dominique. Un religieux de son ordre,

poursuivi par des voleurs, se sauva et se jeta dans des

blés en herbe. On le poursuivit encore là dedans. Se

voyant si fort pressé, il eut recours à la sainte Vierge,

et s'enhardit de la réclamer comme sa Mère. Pour

cela, il se servit des paroles -de saint Bernard : Mons-

tra te esse Matrem, et ces paroles il les redit souvent

tout bas. Cela lui servit : car ces voleurs, qui le cher

chaient partout quoiqu'ils fussent fort proches de lui

jusqu'à presque le toucher, ne l'aperçurent point. Et

ainsi il fut délivré de cet imminent danger.

Voilà ce que c'est que d'avoir un asile et un lieu de

refuge, ou, pour mieux dire, une bonne Mère. Nous

sommes sujets à tant d'accidents et à de si fâcheuses

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rencontres ! Heureux donc celui qui a recours au

Cœur de Marie, comme au cœur de sa bonne mère!

Aussi était-ce la consolation du dévot Jean Berkman,

jésuite. Il avait coutume de dire qu'il fallait avoir un

asile auquel on pût recourir dans ses nécessités, sur

tout dans celles qui arrivent à l'imprévu ; que les

meilleurs étaient les plaies de Notre -Seigneur et le

Manteau sacré ou le Sein de sa sainte Mère. Etant

une fois interrogé de quel remède il se servait en ses

désolations, il répondit : de quatre, — de la prière , de

l'occupation, de la patience et du Cœur de Marie, ma

bonne Mère.

Philagie, vous fais-je déplaisir de vous donner un

asile si favorable et des adresses pour une si bonne

Mère? Je ne le pense pas. C'est au contraire tout ce

que vous désirez, d'être son cher enfant. Et votre

grande et première pensée d'aujourd'hui n'est autre

que de la prendre pour votre bien -aimée Mère. Et

si vous saviez les termes pleins d'affection dont ses

chers enfants se sont servis à cette occasion , vous

tâcheriez de les suivre pas à pas de parole et de

cœur.

A cela ne tienne ! Voici donc la belle raison du

cher et dévot de Marie, de l'aimable enfant de la

Mère de Dieu, qui , n'ayant de pensée que pour l'a

mour de sa Mère , nous a laissé en ce siècle , pour

gage de sa tendre affection envers elle, un saint or

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dre de Filles de Sainte-Marie. Par là il nous donne

a entendre que les âmes qui voudront suivre de plus

près ses avis, ne doivent point avoir d'autre Mère que

Marie , et se rendre toutes telles qu'on les puisse vrai

ment appeler et reconnaître pour des Filles de sainte

Marie très-digne Mère de Jésus. Si vous me croyez,

vous vous servirez de cette oraison , non - seulement

aujourd'hui, mais encore ou tous les samedis ou tou

tes les grandes fêtes de la Mère de Dieu. Je parle

selon mon goût et sentiment. Essayez à cette heure

quel sera le vôtre, et dites avec ce grand prélat et

favori de Marie, après vous être mise à genoux :

« Je vous salue, très -douce Vierge Marie, Mère

de Dieu ; vous êtes ma Mère et ma Maîtresse , partant

je vous supplie de m'accepter pour fils et serviteur,

parce que je ne veux plus avoir autre Mère ni Maî

tresse que vous. Je vous prie donc , ma bonne, gra

cieuse et très - douce Mère , qu'il vous plaise de me

consoler en toutes mes angoisses et tribulations tant

spirituelles que corporelles. Ayez mémoire et souve

nance, très-douce Vierge, que vous êtes ma Mère,

et que je suis votre fils, que vous êtes très-puissante

et que je suis un pauvre homme vil et faible. Par

tant, je vous supplie, ma très-douce Mère, que vous

me gouverniez et défendiez en toutes mes voies et

actions : car, hélas ! je suis un pauvre disetteux et

mendiant qui a grand besoin de votre protection. Sus

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donc, très-sainte Vierge, ma douce Mère, préservez

et délivrez mon corps et mon âme de tous maux et

dangers , et de grâce faites - moi participant de vos

biens et de vos vertus, et principalement de votre

sainte humilité, excellente pureté et fervente charité.

« Ne me dites pas, gracieuse Vierge, que vous ne

pouvez, car votre bien-aimé Fils vous a donné toute

puissance, tant au ciel comme en la terre. Ne me

dites pas que vous ne devez, car vous êtes la com

mune Mère de tous les pauvres humains, et singuliè

rement la mienne. Si vous ne pouviez , je vous excu

serais , disant : Il est vrai qu'elle est ma Mère , et me

chérit comme son Fils, mais la pauvrette manque d'a

voir et de pouvoir. Si vous n'étiez ma Mère, je patien

terais avec raison, disant : Elle est bien assez riche

pour m'assister; mais, hélas ! n'étant pas ma Mère,

elle ne m'aime pas.

« Puis donc, très-douce Vierge, que vous êtes ma

Mère et que vous êtes puissante , comment vous excu

serais-je si vous ne me soulagez et ne me prêtez votre

secours et assistance? Voyez, ma Mère, et voyez que

vous êtes contrainte de m'accorder et acquiescer à

toutes mes demandes. Soyez donc exaltée sur les

Cieux; et pour l'honneur et la gloire de votre Fils,

acceptez-moi poifr votre enfant, sans avoir égard à

mes misères et péchés. Délivrez mon âme et mon corps

de tout mal, et me donnez toutes vos vertus, surtout

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l'humilité. Faites-moi présent de tous les dons , biens

et grâces qui plaisent à la très-sainte Trinité, Père,

Fils, et Saint-Esprit. Ainsi soit-il. »

DEVOTION VIe

Pour le septième jour de Février.

Demander la bénédiction à la sainte Vierge le matin et le soir,

du côté de quelqu'une de ses églises , à l'imitation du bien

heureux Stanislas Kostka.

Philagie, vous avez choisi et pris la sainte Vierge

pour votre Mère : il ne vous sera donc pas malaisé de

lui donner tous les matins le bonjour, et sur le tard

le bonsoir, comme font les enfants bien élevés à leur

mère. Commencez aujourd'hui cette pratique, et même

demandez-lui sa sainte bénédiction matin et soir, après

et avant votre repos, à deux genoux, vous tournant du

côté de quelque église de Notre-Dame. Car où sauriez-

vous être qu'il n'y ait quelque église dédiée à la Mère

de Dieu?

Celui qui a donné vogue et peut-être commencement

à cette dévotion, c'est le bienheureux Stanislas Kostka,

novice de la Compagnie de Jésus. Il avait cet exercice

tellement à cœur, qu'étant à Rome, au Noviciat, il n'eût

manqué pour chose quelconque de se tourner, le matin

et le soir, du côté de l'église de Sainte-Marie-Majeure,

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pour saluer sa bonne Mère et lui demander sa béné

diction à deux genoux, lui offrant son cœur et ses

petits services. A son imitation , les autres novices ses

compagnons en faisaient autant.

Je ne doute nullement que vous n'ayez envie d'en

faire de même, au moins aujourd'hui; et quand vous

le feriez tous les matins et tous les soirs , ce serait bien .

Ainsi donc il vous faut saluer la sainte Vierge le matin

et le soir, et vous recommander à elle, si vous avez à

cœur le soin de votre salut. Que peut-il vous coûter de

lui demander sa bénédiction , de lui donner le bonjour

et le bonsoir? C'est tout comme si vous lui disiez : Ma

chère Mère, je vous demande votre sainte bénédiction,

et je désire avec ardeur que, durant ce jour (ou cette

nuit), vous soyez honorée, bénie, servie, aimée de tous

les hommes de la terre aussi bien que des anges du

Ciel; et que nul ne soit si malheureux que de vous

offenser, ou votre cher Fils, puisque les offenses qui

sont contre lui vous sont plus sensibles que celles qui

sont .contre vous.

DEVOTION VIP

four le huitième jour de Février.

Prier la Mère de Dieu par de fréquentes oraisons jaculatoires,

à l'imitation de saint François-Xavier.

C'est ici la dévotion du bienheureux François-Xavier,

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qui disait très-souvent cette belle petite oraison jacula

toire à sa bonne Avocate : Mater Dei, memento meî, —

Mère de Dieu , souvenez-vous de moi. Il fut un temps

qu'il disait , durant ses afflictions , fort souvent aussi :

Domina, opitulare; Domina, non opitulaberis ? — Ma

bonne Dame , assistez-moi ; ma bonne Dame , ne m'as

sisterez-vous pas?

Ce bon bouvier de Citeaux qui, pour l'incapacité de

son esprit et la lenteur de sa mémoire, n'avait pu ap

prendre de l'Ave Maria que les quatre premières paro

les, n'usait pour toute oraison longue ou courte, jacu

latoire ou autre , que de ce peu de paroles : Ave, Maria,

gratia plena. Mais aussi , il les redisait cinq cents fois

le jour et avec un grand avantage spirituel. Et après

sa mort, il sortit de son sépulcre un arbre inconnu qui

avait sur ses feuilles les mêmes mots écrits en lettres

d'or. Cet arbre fut vu'd'une infinité de personnes. Et

l'évèque ayant fait des enquêtes pour la reconnaissance

dn miracle, on trouva que cet arbre sortait de la bou

che de ce saint religieux.

Je connais un serviteur de Dieu qui, pour toute

oraison jaculatoire à la sainte Vierge, ne lui disait que

ces trois mots : Marie , soyez-moi Marie ! c'est-à-dire :

Soyez ma Dame, mon Espérance, mon Etoile, ma Maî

tresse, car le mot de Marie signifie tout cela.

Il y a quantité de pareilles oraisons jaculatoires ,

desquelles on peut se servir pour prier et saluer la

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sainte Vierge. Presque tous les versets de l'Ave ma

ris stella et les éloges qui sont aux litanies de Notre-

Dame de Lorette sont propres à cet usage, surtout celui

qui lui donne le titre de Mère aimable, et cet autre qui

la nomme Mère admirable. Aussi nous lisons que la glo

rieuse Vierge a quelquefois témoigné agréer singuliè

rement ces deux éloges.

Philagie, vous avez le choix. Dites-lui cent fois au

jourd'hui : Mater Dei, memento meî; ou bien : Mère

aimable, aimez-moi; ou bien Mère admirable, souvenez-

vous de moi ; ou bien comme il vous plaira.

Tout cela est aisé à qui aime d'une affection cordiale

la Mère de Dieu : pourquoi ne le feriez -vous pas? C'est

votre Mère, vous ne sauriez assez souvent la prier ou

penser à elle. Celui qui aime bien a de la peine à se

distraire de ce que son cœur chérit. A chaque moment,

il faut qu'il y pense, et il soupire doucement après.

N'aurions-nous pas autant d'amour pour Marie, à tout

le moins un jour de notre vie, que ces esclaves du fol

amour en ont pour l'objet de leurs affections? Jour et

nuit, ils rêvent là-dessus. Quant à moi, je suis résolu

de la prier souvent à la susdite manière, et pour le

présent je me contente de cette pensée : qu'il est mora

lement impossible que la Mère de bonté n'assiste très-

particulièrement celui qui la prie souvent et amoureu

sement.

J'ai vu à Tournon, en Vivarais, un hérétique malade

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(c'était l'an 1610), obstiné en son erreur. Comme toute

sa vie il avait été hérétique, jamais il n'avait invoqué

la Vierge, selon qu'il le déclarait. Ayant été prié à l'im-

portunité de l'invoquer une seule fois, après avoir long

temps résisté, il consentit enfin à la prier une seule fois.

Il ne dit que ces paroles : Mère de Jésus, assistez-moi.

O merveille ! il n'eut pas sitôt fait cette petite prière

jaculatoire qu'aussitôt après il dit qu'il voulait se conver

tir. Ce qu'il fit. Il abjura donc son hérésie , recut les

sacrements , et mourut ainsi bien disposé. Ce change

ment s'opéra en deux heures. Pourtant, durant huit

jours, des jésuites qui le visitaient successivement l'a

vaient engagé, mais en vain, à revenir à Dieu. Ce ne

fut que lorsqu'un d'eux parvint à le faire prier la sainte

Vierge qu'il se convertit. Et j'ai été le témoin oculaire

de ce fait.

Philagie, voilà un perdu qui, pour avoir une seule

fois prié la sainte Vierge, a fait par le secours de

la Mère de Dieu ce que doit faire celui qui veut mou

rir heureusement. Que sera-ce d'un dévot de Marie

qui l'aura réclamée cent et cent fois le jour, et trente

mille fois l'année ! Si celui-là n'a pas le paradis et les

bonnes grâces de la Mère de Dieu, qui les aurait?

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DÉVOTION VHP

Pour le neuvième jotrr de Février.

Méditer sur la glorieuse Vierge et Mère de Dieu ou penser

à elle, à l'imitation du dévot Taulère.

Philagie, je ne sais pas si vous savez ce que c'est que

la méditation : c'est pourquoi je me résous difficilement

à vous inviter à la pratiquer aujourd'hui. Peut-être

n'exercez-vous pas une si bonne œuvre, parce que vous

n'auriez pas le loisir de consacrer une heure ou une

demi-heure à un si saint emploi.

Si vous en avez le loisir et si vous savez méditer,

ne vous refusez pas à employer, aujourd'hui, quelque

temps à une petite méditation touchant la Mère de Dieu,

sur un mystère ou un trait de sa vie, ou sur telle de

ses vertus qu'il vous plaira : la plupart de ses serviteurs

donnent de temps en temps quelques heures à cet exer

cice.

Le dévot père François Suarez, si renommé par sa

piété et pour son savoir, faisait, tous les jours de fête

de la sainte Vierge, une méditation de deux heures sur

les Vertus de cette sainte Dame. Il pratiquait cet exer

cice avant que de dire la Messe , pour être mieux dis

posé à ce divin sacrifice et se rendre plus favorahle à

la Mère de Celui qu'il allait recevoir.

Si vous ne savez ou ne voulez pas méditer, au moins

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vous consentirez de penser fréquemment, aujourd'hui,

à la Mère de Dieu , qui vous fait l'honneur de vouloir

aussi être la vôtre. Occupation utile quand vous ne

feriez que penser que Marie c'est la Mère de Dieu ; que

c'est elle qui est la Reine du ciel et de la terre, la bé

nie entre toutes les femmes , la plus grande et la plus

humble de toutes les créatures; si humble, qu'étant ce

qu'elle était et le sachant bien, jamais néanmoins elle

ne s'est préférée à aucune créature, ainsi qu'elle le ré

véla à sainte Brigitte; comme aussi qu'elle est tout ai

mable, et choses pareilles. Oh! qui saurait combien la

seule pensée de la Mère de Dieu et de ses perfections

est sublime, élevée, agréable à Dieu, et profitable à nos

âmesv en ferait assurément sa douce occupation ! Saint

Anselme as&ure que penser seulement de la sainte Vierge

qu'elle est la Mère de Dieu, c'est prendre la pensée la

plus haute et la plus excellente qu'il se peut, et que

c'est avoir le plus noble et le plus excellent entretien

dont un esprit soit capable, après Dieu.

Et le dévot Taulère, dont les délices étaient de pen

ser à la Mère de Dieu, avait coutume de dire qu'il ne

saurait croire qu'un homme qui comprend un peu sa

destinée, quelques occupations qu'il ait, ne doive pren

dre une heure tous les jours pour parler ou penser à

Notre-Dame. Car le moyen, disait-il, qu'on puisse vivre

sans l'aimer ! et le moyen de l'aimer, si on ne pense à

elle bien souvent ! et le moyen de bien penser à elle,

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si on n'admire et ne médite ses perfections indicibles et

ses grâces inconcevables qu'elle a recues de Dieu ! Après

cela, Philagie, pourriez-vous me refuser de méditer

quelque temps aujourd'hui, ou du moins de penser à

la grandeur et à l'élévation d'un objet si rare et si ai

mable ! Veuillez me croire , et faites de votre mémoire

et de votre entendement un cabinet ou un oratoire à

la sainte Vierge. Si vous faites cela, saint Jean Damas-

cène vous promet la perpétuelle jouissance d'un inexpri

mable repos et d'un parfait contentement.

Je n'aurai jamais de repos, disait le dévot Jean Berk-

man, jésuite, que je n'aie obtenue une tendresse d'a

mour bien grande envers ma toute bonne Mère, la glo

rieuse Vierge. Il l'obtint par les douces et fréquentes

pensées qu'il avait de sa chère Mère (du Ciel). Philagie,

j'en attends autant de vous.

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CHAPITRE III.

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

BE SA GLORIEUSE ANNONCIATION, LE XXV MARS.

DEVOTION Ire

four le vingt-cinquième jour de Mars.

Dire trente-cinq fois J'Ave Maria, tous les jours de cette Octave,

en l'honneur du nombre dejours que la sainte Vierge aparté

son Fils Jésus dans ses sacrés flancs, à l'imitation de sainte

Gertrude.

Philagie, voici l'un des grands mystères et l'une des

plus solennelles fêtes de la Mère de Dieu. Ses ennemis

mêmes honorent cette solennité ; car les Moscovites ,

quoique schismatiques , rendent un honneur fort parti

culier à cette fête. Ils ne quitteraient le travail pour

aucune des fêtes qui se rencontrent le long de l'année,

non pas même pour le jour de Pâques, estimant que

cela n'appartient qu'aux riches et aux grands sei

gneurs. Néanmoins ils cessent tout exercice manuel le

jour de l'Annonciation de la Vierge, ce jour étant, se

lon eux, le plus respectable de toute l'année.

Puisque nous sommes à un jour si solennel , je crois

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bien que votre désir le plus grand est de rendre à la

sainte Vierge , en ce saint jour et pendant son Octave,

quelque service qui puisse lui être agréable. C'était

aussi le grand souhait de sainte Gertrude. Ce qui fut

cause que , s'adressant à la Mère de Dieu , pour savoir

d'elle quel témoignage d'amour lui serait le plu% agréa

ble en cette sainte fête, Notre-Dame lui répondit :

« Ma fille, si, tous les jours de cette Octave, tu récites

trente -cinq fois l'Ave Maria pour honorer le nombre

de jours que mon cher Fils a demeuré dans mon sein ,

qui reviennent à deux cent quatre-vingts jours , sache

que je recevrai cette dévotion de très-bon cœur. Elle

me sera plus agréable que si tu m'eusses rendu toute

sorte de services dès le jour de sa conception jusqu'à

celui de sa sainte nativité. Que si , en ce temps-là , je

n'eusse su refuser les demandes qu'on m'eût faites, je

les refuserais bien moins à cette heure -ci, ayant un

pouvoir et un crédit si grands vis à vis mon Fils. »

Philagie, que vous semble de cette affectueuse ré

ception, si vous êtes persuadée que la sainte Vierge

aura le même cœur pour vous qu'elle avait pour sainte

Gertrude? La faveur qu'elle lui accorda et l'avis qu'elle

lui donna ne sont pas pour elle seulement, mais encore

pour vous et pour tous ceux qui sont portés à honorer

cette grande fête.

Vous n'avez donc aujourd'hui à dire que trente -cinq

Ave Maria en l'honneur des trente-cinq premiers jours

3.

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que le Fils de Dieu commença à loger dans les en

trailles virginales de sa sainte Mère, et autant aux

jours suivants de cette Octave. Faites en sorte de les

dire bien dévotement : c'est la plus riche prière que

vous sauriez faire, et l'Octave ne saurait être passée

plus saintement qu'en redisant fréquemment ce même

salut et compliment que l'archange Gabriel fit à la

sainte Vierge.

Quand on dit un Ave Maria, le Ciel s'en réjouit,

Satan prend la fuite , le cœur est fort consolé , dit

Alain de la Roche. Autant de fois qu'on le prononce,

l'archange Gabriel reçoit un nouveau rayon de gloire

et de lumière céleste, dit sainte Brigitte. Quand on le

dit dévotement, autant de fois on gagne trente ans

d'indulgence, accordée par Urbain VI à l'invocation du

nom de Jésus; on gagne même soixante ans d'indul

gence , accordée par Jean XXII , qui doubla cette in

dulgence.

Quand on récite cette prière, on fait un singulier

plaisir à la Mère de Dieu. C'est pourquoi elle dit une

fois à sainte Mechtilde, en lui apparaissant sous une

forme merveilleusement belle, et portant sur sa poi

trine la Salutation Angélique écrite en lettres d'or : Ma

fille, tu désires savoir la plus agréable prière que tu

saurais me faire? Il est impossible à une mortelle

créature de trouver un salut et une prière semblable

à celui qui m'a été envoyé du Ciel.

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Puisque cette prière est riche de grâces et si agréa

ble à la Mère de Dieu , ne cherchez pas d'autre prati •

que durant ces huit jours que cette susdite qui revient

sans cesse. Néanmoins voici encore ce que vous pour

riez faire. Comme il y a certaines dévotions à la glo

rieuse Vierge , des plus belles et des plus importantes ,

pour la pratique desquelles il est bien difficile que je

vous détermine le jour, je vous en indiquerai une h

chaque jour de cette Octave; et après avoir dit vos

trente-cinq Ave Maria, vous prendrez la résolution de

la pratiquer aux jours qui vous seront les plus commo

des , et aux occasions qui s'en présenteront.

Philagie, vous agréez bien mon plan; il est toujours

l'effet du désir que j'ai qu'il n'y ait aucune pratique ni

dévotion à la sainte Vierge que vous n'observiez quel

quefois en votre vie.

DÉVOTION VIe

le vingt-sixième jour de Mars.

Jeûner les veilles des Fêtes de la sainte Vierge, à l'imitation

de saint Charles Borromée.

Philagie, après avoir dit les trente-cinq Ave Maria

que vous agréez de dire tous les jours de cette Octave,

voyez si vous aurez le courage de vous résoudre à jeû

ner toutes les veilles des Fêtes de la Mère de Dieu, une

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à chaque mois, selon l'ordre indiqué dans mon Avant-

Propos. Est-ce trop pour vous? Aux sept principales,

savoir : aux cinq que l'Eglise célèbre partout, et à la

Présentation de même qu'à la Visitation, est-ce assez?

'A vous le choix, et, par suite, le mérite.

Il suffit que vous sachiez présentement que le nombre

en est grand de ceux qui jeûnent ou font quelque abs

tinence à toutes les veilles des principales Fêtes de la

Vierge.

L'admirable en cette dévotion, de notre temps, a été

saint Charles Borromée, qui les jeûnait toutes au pain

et à l'eau. Les faveurs que la sainte Vierge donne pour

récompense à de semblables jeûnes, ne sont pas à dé

daigner. Apprenez-le par l'avantage qui en revint à l'un

de ses dévots. Voici comment la chose se passa.

Le brave et dévot chevalier Vaultier de Bibrac, cousin

du duc de Louvain, avait cette sainte coutume dejeûner

au pain et à l'eau toutes les veilles des Fêtes de la

Vierge. Elle désira l'en récompenser. Un jour donc qu'il

entendait la Messe, le prêtre qui la disait, ayant élevé

le calice après la consécration, aperçut une belle croix

d'or sur le pied de ce calice avec cette petite inscription :

Portez cette croix, de la part de la Mère de Dieu, au

chevalier Vaultier, qui demeure a Bibrac. La Messe

étant achevée, le prêtre la lui donna, après avoir ra

conté en présence de tous les assistants ce qui lui était

arrivé. Vaultier ne fut pas méconnaissant de cette fa

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veur signalée, qu'il attribuait à ces petits services qu'il

avait tâché de rendre à la Mère de bonté ; et se croyant

par cette croix invité de la Mère de Dieu à porter la

croix de Jésus-Christ son Fils, il se résolut à entrer au

plutôt dans l'ordre de Citeaux, qui était très affectionné

à la sainte Vierge : ce qu'il exécuta bientôt; et il y

vécut fort saintement. Césaire, qui raconte tout ceci,

ajoute qu'il a été en familiarité avec le dit Vaultier;

qu'il a vu souvent cette croix, beaucoup plus brillante

et façonnée que celles que les orfèvres travaillent.

Philagie, si vous êtes persuadée que vos jeûnes faits

en l'honneur de la sainte Vierge, je ne dis pas au pain

et à l'eau, mais plus modérément, seront reconnus de

votre chère Mère par de pareilles faveurs, dites-moi le

nombre des veilles de ses fêtes que vous ne voudriez

pas jeûner? Ne me le dites pas; dites-le à la sainte

Vierge en votre oratoire.

DÉVOTION IIP

Pour le vingt-septième jour de Mars.

S'abstenir, les mercredis, de manger de la viande, à l'imita

tion des confrères du Saint-Scapulaire.

Après le dessein arrêté de vos trente-cinq Ave Maria,

voici, Philagie, une dévotion des confrères du Saint-

Scapulaire de la Vierge que vous vous résoudrez à pra

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tiquer, au moins à quelque mercredi qui vous sera le

plus commode.

Les susdits confrères ont cette louable coutume de

s'abstenir de viande tous les mercredis de l'année, à

l'honneur de la Mère de Dieu. C'est un règlement parmi

eux que les plus zélés observent saintement, et je ne

doute nullement que Dieu et la sainte Vierge ne les

bénissent dans les occasions.

Que dites-vous à cela, Philagie? Dans de pareilles

occasions, voudriez-vous avoir ce saint Scapulaire, et

avoir gardé la susdite abstinence quelque mercredi?

Mais que faire, si la communauté où vous êtes ou si

votre vocation ne permet pas cette abstinence à quel

que mercredi? En ce cas, offrez votre bonne volonté à

Dieu; et si vous désirez suppléer à cette dévotion par

une autre quelconque, prenez aujourd'hui la résolution

de dire parfois Te Deum laudamus en la manière que

le disait saint Odilon , abbé de Cluni. Quand il disait

le Te Deum, et qu'il était à ces paroles : Tu ad libe-

randum suscepturus hominem, non horruisli Virginis ute-

rum, il fléchissait humblement les genoux en l'honneur

du mystère de l'Incarnation et de la suréminente dignité

de la Maternité de la glorieuse Vierge , à laquelle il

était singulièrement dévot.

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DÉVOTION IVe

Pour le -vingt-huitième jour de Mars.

Donner aux pauvres pour l'amour de Notre-Dame ce qu'on

gagne au jeu, à l'imitation de sainte Elisabeth; ou , si on

ne joue pas, porter parfois l'image de la Vierge à l'endroit

du cœur, à l'imitation du cardinal Baronius.

Après les trente-cinq Ave Maria récités, souvenez-

vous, Phila,gie, de la belle pratique de sainte Elisabeth,

fille du roi de Hongrie. Etant encore jeune, si elle avait

le bonheur de gagner au jeu, en dévote Princesse elle

donnait tout ce gain aux pauvres pour l'amour de Notre-

Dame; si elle avait quelqu'autre argent, elle le distri

buait aux pauvres femmes, à la condition qu'elles

diraient l'Ave Maria.

Philagie , si vous aimez le jeu , ayez aussi la bonne

volonté d'imiter cette jeune princesse , et de faire part

quelquefois aux pauvres de tout ce que vous y gagne

rez. Faites-le avec le même motif qu'elle avait : ce sera

imiter une princesse de la terre , et gagner les bonnes

grâces de la souveraine Princesse du ciel.

Que si vous n'aimez pas le jeu, ou que votre profes

sion , ou la bienséance , ne vous le permette pas , pour

que vous puissiez vous résoudre aujourd'hui à quelque

sainte pratique , je vous conseille de vous contenter ,

puisque vous avez une image de la sainte Vierge , de

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la porter quelques jours, autant que possible sur votre

cœur, comme sa gardienne.

C'est ainsi que le pratiquait le cardinal César Baro-

nius. Le portrait de sa chère Mère du ciel était toujours

sur son cœur : que pouvait craindre ce cœur qui avait

une si affectionnée et si vigilante portière?

DEVOTION Ve

Pour le vingt-neuvième jour de Mars.

Dévotion au samedi, jour consacré à la sainte Vierge, à l'imi

tation de saint Nicolas Tolentin.

Après les trente-cinq Ave Maria récités, il faut, Phi-

lagie, entrer dans la considération de ce que vous dé

sirez faire tous les samedis , qui sont des jours dédiés

à la sainte Vierge, ou au moins à quelques-uns d'eux.

Saint Nicolas Tolentin, sainte Elisabeth, reine de

Portugal, le cardinal François Tolet, jeûnaient tous les

samedis de l'année au pain et à l'eau. C'est trop pour

vous; choisissez donc un jeûne plus modéré.

Quoi qu'il en soit, le nombre de ceux qui jeûnent, ou

font quelque abstinence le samedi, est presque infini.

Les citoyens de Trente, autrefois, n'y manquaient point.

Voici, selon Césaire, ce qui leur donna l'occasion d'em

brasser cette dévotion.

Un insigne voleur fut averti par un religieux de

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l'ordre de Citeaux que, s'il voulait faire une bonne fin,

il n'avait qu'à se résoudre de jeûner tous les samedis à

l'honneur de la sainte Vierge; que cette sainte Dame

aurait pitié de lui tôt ou tard. Il s'y résolut. Il fit même

plus que cela, car il ne fit mal à personne (c'est-à-dire

qu'il ne vola ni ne tua personne) ce jour-là ! D'où il

arriva, quelque temps après, qu'étant attaqué un sa

medi par des archers, il ne se défendit point de peur

d'en tuer ou blesser quelques-uns : ce qui lui eût été

aisé de faire. Le voilà donc pris et mené à Trente. Il

est condamné; il se dispose à la mort, se confesse et

meurt en versant des larmes d'une contrition sincère.

On lui trancha la tète. La nuit suivante, les sentinelles

de la ville voient près du lieu où il est enterré une

lumière éclatante, et cinq Dames dont l'une était bril-v

lante comme un soleil d'été et plus belle que les autres.

Elles tirent le corps du supplicié de la fosse. Quatre

de ces Dames le portent dans un riche drap, ayant cha

cune un cierge à la main, proche la porte de la ville. La

cinquième, qui était la sainte Vierge, suivait les autres.

Elles avertissent les gardes de dire à l'évêque de

faire enterrer ce corps dans une église qu'elles nom

mèrent. Le lendemain matin , l'évêque , averti de tout

ceci, fit enterrer le corps. Toute la ville y accourut,

et on vit le corps tout entier et la tête réunis , comme -

si le coutelas n'y eût point passé. Le drap d'honneur

dans lequel les Dames l'avaient porté était en écarlate,

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avec une broderie qui surpassait les travaux de ce genre

faits de la main des hommes.

Cette merveille toucha de telle façon le cœur des

citoyens de Trente, même ceux de tout le voisinage,

que non-seulement on fut dévot à la Mère de miséri

corde, mais, outre cela, il n'y eut ni grand ni petit qui

ne se résolût à jeûner les samedis à l'honneur de la

Mère de Dieu; et on .pratiqua bien longtemps cette

louable coutume.

Philagie , je ne vous ai offert pour bonnes œuvres

en ce saint jour que les jeûnes. Si vous avez le choix

de faire telle bonne œuvre qu'il vous plaira , faites-la.

Si vous désirez savoir les raisons pour lesquelles le

samedi est dédié à la Mère de Dieu, lisez ce qui en est

dit dans la Triple Couronne, et chez Durand, en son

Rational.

Celui-ci dit que jadis, à Constantinople , on voyait

une image de la sainte Vierge couverte toute la se

maine d'un voile. Néanmoins, le vendredi soir, on

voyait ce voile ôté et comme enlevé invisiblement par

quelque ange , afin qu'on pût mieux voir ladite image

depuis lors et le lendemain jusqu'après les vêpres. Après

les .vêpres du samedi, on voyait remettre le voile d'une

manière invisible encore, et l'image demeurait ainsi voi

lée jusqu'au vendredi suivant, où le même miracle se ré

pétait. C'est ce qui fut cause qu'on commença d'honorer

plus particulièrement la Mère de Dieu ce jour-là.

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Quelques autres donnent pour raison du choix de

ce jour, les amertumes et les douleurs que la Mère de

Dieu souffrit le samedi avant la résurrection de son

Fils, à l'occasion de sa passion et de sa mort. Ils ajou

tent que, comme le vendredi qui le précède nous re

présente les misères de cette vie et les croix qu'il faut

souffrir a l'imitation du Sauveur qui souffrit en tel jour,

et le dimanche qui le suit les joies du Paradis, de

même le samedi dédié à la sainte Vierge, qui est comme

l'entre-deux , nous représente la grande et belle vérité

du pouvoir et du crédit de la Mère de Dieu. Nous avons

besoin de passer par ses mains, d'être secourus de sa

miséricorde, et de traverser ce milieu, si des misères

de cette vie nous voulons être transférés aux joies de

l'autre, ainsi que du vendredi on ne saurait passer au

dimanche sans passer par le samedi. Saint Germain était

bien de cet avis, lui qui disait : Nullus est qui salvus fiat

nisi per te, ô Sanclissima ! (c'est-à-dire : Nul ne peut ar

river au salut éternel sans passer par vous, ô très-sainte

Marie ! )

DÉVOTION VIe

Pour le trentième jour de Mars.

Rendre grâces à la sainte Vierge de tous les bons succès qui

nous arrivent, et lui en donner la gloire, à l'imitation de

saint François de Paule.

Parfois il nous arrive, Philagie, que ce que nous dé

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sirons réussit à souhait; les biens et les faveurs nous

arrivent sans y penser, sans les avoir mérités ni pro

curés. Combien de personnes religieuses qui s'étonnent

dans la ferveur de leurs dévotions, et ensuite de leur

persévérance dont Dieu leur a fait la grâce ! Combien

de mondains que Dieu bénit en leurs fortunes ou ma

riages, et qui ont reçu tant de biens terrestres, tels que

des héritages qui arrivent à quelques-uns ! D'où pensez-

vous que de telles faveurs arrivent aux uns et aux au

tres? Pour l'ordinaire, c'est la sainte Vierge qui leur a

procuré tout ce bonheur.

Nous pouvons donc assurément, dans ces rencontres,

donner la gloire du succès à la glorieuse Vierge, lui

dire un grand merci, publier ses bienfaits, les racon

ter dans les compagnies, faire venir le discours là-des

sus , et reconnaître de cœur et de bouche celle qui en

est la bienfaitrice. Il est certain qu'elle nous fait cent

fois plus de faveurs que nous ne saurions l'exprimer.

Et une de nos grandes consolations au ciel , sera d'ap

prendre le soin qu'elle aura eu de nou^s et les occasions

particulières dans lesquelles elle nous aura obligés.

L'action de l'empereur Jean Comnène est digne d'é

ternelle mémoire; car, ayant gagné une singulière vic

toire à la faveur de la Mère de Dieu , il fit porter son

image en pompe sur un char de triomphe tout couvert

de pierreries. Tous les princes allaient à pied, tête

nue, conduisant les quatre chevaux blancs qui la traî

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naient, et l'empereur lui-même les précédait aussi à

pied, portant à sa main une croix.

Si jadis les rois de Sicile furent élevés parmi les

rois , ils le dûrent à la main et à la faveur de la Mère

de Dieu , selon qu'ils le disaient. Et pour cela , ils se

faisaient couronner à Palerme, dans une chapelle de la

Vierge qui a pris , et qui le porte , le nom de Notre-

Dame la Couronnée : pour donner à entendre à tout le

monde qu'ils étaient obligés de leur couronne royale à

la Mère de Dieu.

Saint François de Paule faisait des miracles en quan

tité : aussitôt il en donnait la gloire à la Reine des

anges; et immédiatement, pour l'ordinaire, il faisait

assembler ses religieux, et leur disait : La bonne Vierge

vient de faire à l'heure même un miracle ; elle a guéri

un tel qui était malade. Allons au chœur lui en rendre

grâces et gloire; allons lui chanter par reconnaissance

un Salve Regina.

L'armée victorieuse à la journée de Lépante aimait

à publier que Notre-Dame avait gagné elle-même la

bataille et ruiné les Ottomans.

Voilà, Philagie, ce qu'il faut faire désormais au sou

venir des faveurs et des bénédictions qui vous arrivent ,

ou qui déjà vous sont arrivées. Dites partout, à votre

oratoire, dites-le aux anges, aux hommes, dans les

compagnies, et le plus souvent que vous le pourrez,

que vous en êtes redevable à la Mère de bonté; que

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vous avez des obligations infinies à Marie; qu'elle vous

a traitée et conduite comme son cher enfant , et choses

semblables.

Enfin, souvenez-vous des trente-cinq Ave Maria que

vous avez à dire aujourd'hui.

DEVOTION VIIe

Pour le trente-unième jour de Mars.

Ne refuser rien de ce qu'on nous demande raisonnablement

pour l'amour et au nom de Notre-Dame, à l'imitation du

savant Alexandre de Haies.

Après les trente-cinq Ave Maria qui se disent durant

cette Octave, voici, Philagie, le sujet d'une très-belle

pratique que vous pourrez exercer dans l'occasion : c'est

de ne rien refuser, quand on peut le faire, de ce qu'on

nous demande , ou donner tout ce que l'on peut quand

on nous en prie au nom ou pour l'amour et l'honneur

de la Mère de Dieu.

C'est ce que pratiquait saint Gérard, premier martyr

de Hongrie, prélat singulièrement affectionné à la glo

rieuse Vierge. Ses diocésains savaient la résolution qu'il

avait prise à ce sujet; les affligés et les prisonniers en

étaient avertis : d'où il arrivait que les uns et les au

tres obtenaient de lui tout ce qu'ils désiraient : assis

tance, délivrance, faveur, tout enfin. Il ne pouvait rien

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refuser au nom de Marie. Pour l'amour de la Mère de

Dieu il accordait tout ; c'était la clé qui lui ouvrait son

cœur et ses coffres.

Le docte Alexandre de Halès avait pris aussi une pa

reille résolution; ce qu'ayant su un religieux de saint

Francois, qui d'ailleurs connaissait le mérite de ce per

sonnage, il lui fit part de la conviction où il était que,

s'il entrait en son ordre, il y ferait des merveilles pour

la gloire de Dieu , et il lui demanda , au nom et pour

l'amour de la sainte Vierge, de s'y rendre religieux. Il

se mit en devoir de le faire, de sorte que le religieux

obtint ce qu'il prétendait. Alexandre donc entra dans

l'Ordre, et Dieu bénit tellement son dessein, qu'il de

vint un personnage très-illustre en sainteté et en doc

trine, et l'une des belles lumières de l'ordre de Saint

François.

Paul Jove, évoque de Corne, au duché de Milan, ra

conte en la vie de François Sforce , duc de Milan , un

trait bien remarquable sur ce sujet. On amena à ce

duc , lors de la prise de Caseneuve , une fille de rare

beauté, qui, se voyant enfermée dans la chambre du

duc, qui d'ailleurs était assez libertin, jeta les yeux

sur une image de Notre-Dame proche du lit , et aussitôt

se prosternant à genoux, les mains jointes et les larmes

aux yeux, elle conjura le duc, au nom de la Mère de

Dieu et pour le respect qu'il devait à son image, de lui

sauver son honneur.

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Ces paroles, animées de la puissance de la grâce di

vine et accompagnées de larmes, touchèrent si puis

samment ce brave seigneur, qu'il lui accorda de bon

cœur ce qu'elle demandait, et de ce pas la fit conduire

en assurance à ses parents.

Philagie, ce serait bien une bonne journée pour vous

si aujourd'hui vous preniez de pareilles résolutions de

ne refuser désormais aucune charité et telles bonnes

œuvres qu'on vous demandera au nom et pour l'amour

de la glorieuse Vierge. C'est le propos que vous prenez

dès cette heure. N'est-il pas vrai que vous dites .que

oui ? Je vous demande donc tout le premier, au nom

et à l'honneur de Marie , la Mère de Dieu , que vous

pratiquiez souvent les dévotions que vous rencontrerez

dans ce petit livre.

Il y en a beaucoup que vous pouvez pratiquer tous

les jours, les autres en certaines occasions ou à votre

dévotion, sans vous attacher scrupuleusement aux jours

et afin qu'on ne sache pas précisément celle que vous

faites à tel jour. Lorsque vous les aurez toutes prati

quées, vous les reprendrez une, deux et trois fois l'an

née, pour obliger d'autant plus la Vierge de vous aimer

que vous les pratiquerez plus souvent.

Voilà ce que je vous demande au nom et pour l'a

mour de Marie. Je tiens pour certain que vous ne vous

repentirez jamais de m'avoir accordé cette demande.

Elle est toute sainte, elle est facile pour l'exécution à

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qui aime Marie, elle est tout-à-fait conforme aux in

clinations que vous avez pour son service. Et viendra

le jour de la glorieuse éternité, où vous bénirez l'heure

et le moment auquel vous aurez concu de si bons pro

pos, qui auront peut-être été la cause de votre félicité,

ou au moins qui auront coopéré à augmenter la gran

deur de la gloire en laquelle vous serez.

DEVOTION VHP

Poiar le premier jour d'-A.vril.

Honorer les reliques de la sainte Vierge, surtout celle qui est

au saint Sacrement de l'Autel, à l'imitation de saint Ignace

de Loyola.

Sainte Hélène et sainte Pulchérie, impératrices,

avaient une singulière affectioji aux saintes reliques

de la Mère de Dieu, également aussi saint Germain,

patriarche de Constantinople.

Philagie, qui en pourrait avoir ne saurait les honorer

assez. Mais comme il est difficile d'avoir de si riches

reliques, je veux aujourd'hui vous indiquer un précieux

reliquaire, si jamais il y en eût un, dans lequel il y a

assurément des saintes reliques de la glorieuse Vierge :

c'est l'adorable Sacrement de l'Autel. Car ce sacré Corps

du Fils de Dieu que nous adorons, et que nous croyons

être au saint Sacrement de l'Autel, a été originairement

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formé de la précieuse chair et du sang de la Vierge

Marie, comme de l'uniqne matière dont il s'est servi.

Et ainsi que l'enseigne le docte Suarez, le Sauveur ne

quitta jamais cette première et originaire substance qu'il

reçut de sa Mère en sa conception. Il la retient encore

dans le Ciel, et partant elle est au saint Sacrement,

puisque c'est le même corps qui est au Ciel. C'est dans

ce sens que l'on peut entendre le mot de saint Augustin,

qui dit : Que la chair du Fils, c'est la chair de la Mère,

Caro Christi, Caro Mariœ.

Quoi de plus lumineux encore que ce qu'il dit sur le

Psaume 98 : Que de Marie il a pris sa chair, et cette

même chair il nous l'a donnée en viande pour notre

salut; De came Mariœ carnem accepit, et ipsani carnem

Mariœ nobis manducandum ad salutem dedit.

Mais qu'est-ce qui nous pourrait faire douter si cette

première substance que Jésus-Christ a prise de Notre-

Dame s'y trouve encore? Est-ce parce que les médecins

disent communément que la chaleur naturelle et autres

causes qui agissent par le dehors contre nos corps, lui

font consumer peu à peu l'humidité radicale et cette

première substance tirée de nos parents pour la répa

ration de laquelle nous prenons les aliments 1 Mais ces

mêmes médecins n'ajoutent-ils pas que cette première

substance est si forte qu'il n'arrive jamais, si ce n'est

peut-être en une extrême vieillesse, qu'elle se perde

entièrement? Ajoutons qu'il y a d'autres philosophes

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et médecins qui croient qu'elle ne se perd jamais, et

que, nonobstant les diverses altérations accidentelles qui

y surviennent tout le temps que dure la vie , elle sub

siste toujours.

Ainsi donc il est évident que, d'une facon ou d'autre ,

la substance que le Fils de Dieu avait prise de sa Mère

se trouve encore en son saint Corps, par la raison qu'il

n'est pas arrivé à une extrême vieillesse. Et quand cela

ne "serait point pour les raisons susdites, il faudrait dire

toujours que cette première substance est en la sainte

Eucharistie, d'autant plus que là est le même Corps qu'il

reprit en sa résurrection. Or, saint Thomas, saint Bo-

naventure et quelques autres théologiens assurent que

chaque homme doit reprendre en la résurrection la

matière et la substance dont il fut premièrement formé ,

soit qu'il l'ait perdue avant la mort, soit qu'il l'ait tou

jours conservée.

Philagie, voilà la sainte relique de la Mère de Dieu

que je désire que vous honoriez : aussi est-ce le gage

le plus précieux que nous ayons d'Elle. L'honneur que

vous lui pouvez rendre consiste en un ardent désir de

recevoir son cher Fils saintement et souvent en cet

auguste Sacrement de l'Autel, non seulement parce que

son saint Corps y est (ce qui est la fin principale), mais

encore parce que quelque partie de la chair virginale

de Notre-Dame se trouve en lui. D'où il arrive que,

nous unissant au Fils de Dieu, nous unissons aussi à

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nous cette sainte relique de Marie : ce qui n'est pas

une petite consolation pour celui qui aime la glorieuse

Vierge.

Aussi nous lisons de saint Ignace de Loyola qu'il se

sentait doucement consolé à la pensée et en la considé

ration de cette vérité. Il dit : Je considérais que le Fils

et la Mère sont réellement en une même chair et en

un même sang, ou au moins que le Fils est une partie

de la substance de la Mère, et par cela même qu'à la

sainte Table je recevais la très-sacrée chair non seule

ment du Fils, mais aussi de la Mère; et que celui qui

s'en approche saintement s'unit et se fait une même chair

avec le Fils et avec la Mère. N'est-ce pas là, Philagie,

une douce pensée? Oserai-je dire que les anges sou

pirent après ce bonheur ?

Ce serait encore honorer cette adorable relique que

de visiter quelquefois à dessein le saint Sacrement, avec

cette principale intention d'aller honorer la précieuse

relique de la Chair de Marie qui se retrouve dans le

vénérable reliquaire qui la contient et qui -repose sur

nos autels , qui n'est autre que ce saint Sacrement.

(Arrivé là, il faudrait) faire quelque prière ou dévotion

particulière , comme nous faisons lorsque nous allons

visiter les lieux ou les Autels où reposent les reliques

des Saints. Pour arriver à ce but, commencez aujour

d'hui ou demain à faire une communion dans cette in

tention, ou bien à vous prescrire un certain nombre de

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visites au saint Sacrement dans une même église ou

dans diverses.

N'oubliez pas aujourd'hui les trente-cinq Ave Maria,

pour remplir le nombre que vous aviez désigné de dire

durant cette Octave. Et comme c'est demain la fête de

saint François de Paule, puisque vous voudriez bien

communier, prenez de là occasion de recevoir et d'ho

norer la sainte relique dont je viens de vous entretenir.

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CHAPITRE IVe

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE SES AMËRES DOULEURS, LE 16 AVRIL.

DÉVOTION PREMIÈRE.

Pour le seizième jour d'.A.vril.

Porter compassion aux douleurs que la sainte Vierge

a souffertes, à l'imitation de sainte Brigitte.

L'ordre de Citeaux célèbre cette fête sous le titre des

Douleurs de la Vierge, le 16 de ce mois. Quelques au

tres (l'observent) sous le nom de Notre-Dame de Pitié,

le vendredi avant le dimanche des Rameaux.

Je vous conseille, Philagie, d'en faire la mémoire au

jourd'hui, et de vous ressouvenir du glaive de douleur

prédit par le bon Siméon. Ce glaive douloureux outre-

perça bien avant le cœur de la Mère de Dieu , soit le

jour de la cruelle passion et mort de son Fils, soit aux

autres circonstances de ses souffrances et mystères dou

loureux. De là vient que la plupart des saints Pères et

Docteurs de l'Eglise ne font pas difficulté, en considérant

la grandeur de ses peines, de la nommer Martyre et

Reine des Martyrs.

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Saint 'Bernard, en particulier, dit que les clous qui

perçaient les pieds et les mains du Fils de Dieu , péné

traient l'âme de la Mère, et que la lance qui n'endom

magea que la Chair morte du Sauveur trépassé , perça

l'Esprit de la glorieuse Vierge. Il ajoute qu'elle y fit

une ouverture si douloureuse, qu'elle n'eût pu survivre

davantage si Dieu ne l'eût réservée à de plus grandes

douleurs.

Mais je n'entreprends pas de vous dire la grandeur

de ses douleurs. Je n'ai d'autre dessein en rapportant

toutes les actions que vous pourrez faire en l'honneur

de la Mère de Dieu et de ses divers mystères, que de

vous conduire à la mémoire de ses douleurs très-amères.

C'est ce que je laisse à votre dévotion. Vous verrez

par ce que j'en dirai dans la suite, de ce que quelques-

uns ont fait à cette occasion , le bien que leur a pro

curé cette dévotion, résultat de la compassion pleine de

tendresse qu'ils ont eue envers la Mère de douleur.

Saint Grégoire-le-Grand , pour entretenir en lui-même

l'esprit de compassion aux Douleurs de la Vierge, com

posa le Stabat Mater dolorosa, prose où respire la dévo

tion, qu'il disait fort souvent, et qui, depuis, a été recue

de l'Eglise.

Sainte Brigitte avait une tendresse de cœur toute

particulière aux afflictions que la sainte Vierge avait

souffertes. Et ce qui lui avait profondément pénétré le

cœur de cette compassion, c'était une plainte amoureuse

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que la Mère de Dieu lui fit du petit nombre de per

sonnes qui l'aimaient d'un amour sincère et véritable.

L'une des principales preuves qu'elle en donna, c'est que

peu de gens avaient le sentiment qu'il fallait de ses

douloureuses souffrances. En suite de cela, la bonne

Sainte se trouva plus que jamais portée à la pensée et

à la compassion du glaive de douleur de Marie par

l'accident heureux qui arriva a un personnage de grande

qualité. Une fois qu'elle priait à chaudes larmes pour

ce 'personnage dangereusement malade , et de noble

qualité au regard du monde quoique tout-à-fait rotu

rier devant Dieu , Notre-Seigneur exauça ses prières ,

car il lui commanda d'envoyer le prêtre qui était son

confesseur vers ce malade. Il y alla deux fois, et le

trouva toujours obstiné et résolu de mourir en cet état.

Brigitte lui ordonna, de la part de Dieu, d'y retourner

une troisième fois, et de lui représenter que Dieu était

prêt à lui pardonner et à le sauver s'il ne s'opposait lui-

même au pardon.

A ce troisième avertissement il se rendit. Dieu lui

toucha le cœur. Il avoua qu'il ne s'était jamais bien

confessé; qu'il avait vieilli en son péché; qu'il s'était

donné au diable, corps et âme ; qu'il l'avait vu visible

ment se donner à lui, et que jusqu'alors il avait quitté

tout soin de son âme et de son salut.

Le voilà donc prêt à se confesser. Et ce même jour

il se confessa à quatre reprises de tous les péchés de sa

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vie passée. Le lendemain il reçut le saint Sacrement, et

six jours après il mourut saintement, plein de courage

et de confiance en la miséricorde de Dieu. Peu après,

Notre-Seigneur fit entendre à sainte Brigitte qu'il avait

été conduit en purgatoire, en suite de la contrition qu'il

lui avait gratuitement donnée, et qu'il avait été porté à

lui faire miséricorde par les témoignages de compas

sion qu'il donnait à sa sainte Mère toutes les fois qu'il

entendait parler des douleurs qu'elle avait souffertes.

Voici encore une preuve bien authentique de l'agré

ment que la Vierge reçoit à la mémoire de ses douleurs

et à la seule pensée que ses serviteurs en peuvent avoir.

Il y a en l'Eglise de Dieu un ordre de religieux appelés

Servites, ou les serviteurs de la Vierge. Il ne sont vêtus

que de noir, en témoignage des douleurs amères de leur

chère Avocate et du souvenir qu'ils en ont.

Au commencement de cet ordre, Notre-Dame apparut

aux sept premiers fondateurs , à chacun en particulier,

et en même temps environnée d'une très-grande lumière

et accompagnée d'un grand nombre d'anges. Elle tenait

d'une main un livre ouvert, qui était la règle de saint

Augustin, qu'elle désirait qu'ils gardassent; et de l'au

tre, un habit noir, qu'elle leur laissait comme une mar

que de la vie qu'elle avait passée en deuil, pleurs, dou

leurs et travaux.

Philagie, c'est à vous maintenant à choisir. Si la

prose de saint Grégoire ne vous convient pas, ne refu

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— -122 —

sez pas , au moins aujourd'hui , quelques pensées et

soupirs de compassion aux Douleurs de notre chère

Mère. Les soupirs ne vous coûteront pas tant ! vous en

donneriez des centaines à la pensée d'une cuisante af

fliction qui arriverait à la personne que vous chérissez

le plus en ce monde. Si votre habit est noir, ce sera

mieux. Portez-le au moins aujourd'hui, par ce motif

qui est le même que les Servites ont en portant le leur,

et baisez-le sur cette considération. Tout cela est aisé.

Et puis dites que je ne vous fournis pas de dévotions

faciles pour acquérir les bonnes grâces de Marie ! Sou

pirer, baiser votre habit, vous ne me refuserez pas

cela.

DEVOTION IIe

Four le dix-septième jour d'_A_vril.

^

Prier la Mère de Dieu en se prosternant à terre, à l'imitation

de saint Albert.

Saint Albert, religieux du monastère de Saint-Crépin,

qui vivait l'an onze cent quarante , n'avait presque pas

d'autre pensée tous les jours que celle d'honorer la

sainte Vierge. Son cœur n'était point satisfait s'il n'a

vait accompli quantité de petites dévotions qu'il avait

entreprises- pour la prier. En voici une bien remarqua

ble : il faisait tous les jours cinquante inclinations , se

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— 123 —

prosternant à terre tout le long de son corps, et à cha

cune de ses humiliations il disait un Ave Maria,

Je n'ai pas voulu, Philagie, vous taire cette prati

que, quoiqu'elle soit un peu difficile : car il vous est

utile de vous essayer de temps en temps, à quelques-

unes de celles qui sont les moins douces. Que pouvez-

vous craindre de vous prosterner à terre? De salir vos

habits? mais c'est par là, que vous vous parerez d'une

belle robe de gloire que la sainte Vierge vous prépare ;

c'est ainsi que vous honorerez le plus humblement que

vous le pourrez cette glorieuse Princesse que les anges

et toutes les créatures ne sauraient assez respecter, ni

lui rendre des honneurs qui puissent égaler ses mérites

et ses grandeurs. Et puis, qui vous empêche de jeter

ce qu'il vous plaira à l'endroit où vous vous prosterne

rez ; pourvu que vous vous humiliiez bien bas , qu'im

porte! Vous demeurerez en cette posture, et vous y

mettrez ou y resterez de nouveau tout autant qu'il vous

plaira, et vous direz a la sainte Vierge ce que vous

inspirera votre dévotion (pour elle).

Si c'est trop de cinquante inclinations pour un jour,

vous en diminuerez le nombre. Qui saura que vous fai

tes cela, que votre Ange, Marie et Jésus? Peu et bon,

c'est avant tout ce que Dieu veut et sa sainte Mère.

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— 124 —

DÉVOTION IIP

Pour le dix-huitième jour d'.A.vril.

Entendre deux Messes en l'honneur de la Mère de Dieu,

à l'imitation de Sébastien, roi de Portugal.

Ce que ce grand et dévot roi de Portugal, Sébastien,

qui mourut à la guerre contre les Maures, faisait tous

les samedis en l'honneur de la Vierge, c'est, Philagie,

ce à quoi je vous invite aujourd'hui. Il entendait deux

Messes, dont il en servait une, tout roi qu'il était,

faisant pour cela quitter place au page qui la servait.

C'était un plaisir pour lui de tenir le flambeau .en sa

main à l'élévation de la sainte Hostie, afin, en adorant

le Fils, d'honorer la Mère, qu'il chérissait comme sa

bien-aimée et souveraine Princesse. Et comme ordinai

rement on dit que servir à la messe, c'est faire l'office

des anges, il voulait avoir ce bonheur en rendant ce

petit service à Dieu pour l'amour de sa Mère; et en

faisant l'office d'un ange , de la reconnaître et honorer

sous le beau titre de Reine des Anges.

Philagie , si vous savez et pouvez servir à la Messe ,

imitez ce bon roi. S'il ne vous est pas possible de le

faire, au moins entendez deux Messes à l'honneur de

votre chère Dame. Pensez aussi que vous n'êtes pas

digne d'être employée à cet honorable service dont les

anges s'estiment indignes.

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J'ai craint de ne pas vous indiquer toutes les sortes

de dévotions a la Mère de Dieu, il est vrai, mais j'ai

encore plus d'envie que vous ne vous contentiez pas de

la seule lecture de tout ceci , mais que vous la prati

quiez, pour avoir la consolation d'avoir fait envers la

Mère de .douceur ce que vous aurez su que les autres

ont fait pour elle. Vous n'avez point si peu d'amour

pour elle que vous permettiez qu'il soit dit que vous

ne l'aimez pas autant que les autres l'aiment.

DEVOTION IVe

Pour le dix-neuvième jour d'Avril.

Réciter les Litanies de la sainte Vierge et s'associer à ceux qui

les disent souvent, à l'imitation de plusieurs de ses dévots.

Qui n'a point d'affection à la Mère de Dieu devrait

réciter les litanies qu'on chante à Notre-Dame de Lo-

rette : bientôt il serait tout changé, car elles sont com

posées de tous les plus beaux éloges de la Reine du

Ciel. Toutes les plus riches figures de l'Ancien Testa

ment s'y trouvent, comme tout ce que les saints Pères

en ont dit de plus sublime. Quel moyen de prononcer

ces litanies et de penser à tout cela sans que le cœur

se rende à la tout aimable Mère pour se résoudre à

l'aimer ! J'ai dit ailleurs qu'elles contiennent encore

quelques titres d'honneur, tels que ceux de Mère aima

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ble , Mère admirable , Vierge fidèle , et semblables ,

auxquels la sainte Vierge prend un plaisir indicible.

Philagie, aujourd'hui récitez-les avec plus d'attention

que jamais , pour avoir part à la consolation de ceux

qui y trouvent une dévotion ravissante. Et si déjà

vous n'êtes pas de l'association de ces litanies, le cœur

me dit que vous avez envie de vous y ranger.

Cette association est une sainte ligue de quelques

dévots de la Vierge , qui , désirant recueillir ses faveurs

pour être assistés à l'heure de la mort par son entre

mise, récitent tous les jours les susdites litanies, les

uns pour les autres à cette fin. Vous pouvez vous in

corporer aussi à cette association : car, sans autre

forme de réception ni de règle, il n'y a qu'à vous unir

de cœur et d'intention à ceux qui font ce que je viens

de dire; et puis, tous les jours, réciter ces litanies,

afin d'obtenir de la Mère de Dieu pour vous et pour

eux la grâce de bien mourir.

Quelques-uns ajoutent après lesdites litanies l'oraison

de saint Joseph : cela est bon, comme aussi de se pres

crire un certain temps , tous les jours , pour cette dé

votion. Faisant ainsi, on est plus assuré de ne jamais

manquer à un exercice si profitable.

C'est une louable invention d'amour pour la sainte

Vierge, dont le fruit est le désir qui est suivi de l'effet

d'une belle et heureuse mort. Nous ne saurions assez

faire pour parvenir sûrement h ce salut. C'est pour

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cette affaire de la bienheureuse éternité qu'il faut avoir

et se procurer, à quelque prix que ce soit, des amis

et des aides, surtout celle de la Mère de bonté et de

miséricorde.

DEVOTION Ve

3?otir le vingtième jour d'.A.vi*il.

Dire l'Office de la sainte Vierge, à l'imitation de saint Louis,

roi de France.

Philagie, dites-moi la vérité : ne prenez-vous pas un

indicible plaisir d'entendre les discours et les louanges

de la Mère de bonté? C'est ainsi que nous aimons à

parler des personnes que nous honorons, que nous

aimons, et à les louer. Vous ne sauriez donc vous re

fuser à réciter, si ce n'est en toutes les Fêtes, au moins

aujourd'hui , l'Office de la sainte Vierge : car c'est un

petit recueil des louanges de la glorieuse Mère de Dieu

depuis longtemps en vogue dans l'Eglise de Dieu. C'est

le bienheureux Pierre Damien, cardinal, qui l'a com

posé, ou pour mieux dire, mis en ordre, il y a plus de

six cents ans ; et depuis, l'Eglise s'en est servi.

Les premiers qui embrassèrent cette dévotion , ce

furent les religieux de saint Benoît, qui continuent à le

dire inviolablement. Les Pères Chartreux se soutiennent

dans leur ferveur par la même dévotion. L'histoire a

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rendu populaire le fait suivant. Leur ordre se perdait

en diminuant insensiblement; il fallait qu'il tombât faute

de personnes qui eussent la volonté d'y entrer. Ils s'a

dressèrent à la Mère de Dieu ; lui promirent, selon que

le leur avait conseillé saint Pierre, de la part de Notre-

Dame , que désormais ils diraient le petit Office. Ils la

conjurèrent de les assister et de conserver leur ordre.

Ils n'eurent pas plutôt commencé à dire l'Office de la

Vierge, qu'aussitôt voilà de tous côtés des gens coura

geux qui demandent à être reçus. Et depuis lors, jamais

les vocations n'ont fait défaut chez eux. Et il y a déjà

plus de cinq cents ans * que la sainte Vierge leur con

tinue cette assistance particulière.

Ce fut encore la dévotion de saint Louis, roi de

France. Quelqu'affaires importantes qu'il eut, jamais il

ne manqua de dire tous les jours l'Office de la sainte

Vierge. Saint Charles Borromée en fit autant à deux

genoux. Saint Vincent Ferrier entreprit cette dévotion

dès sa jeunesse, et il n'y manqua pas un seul jour de

toute sa vie.

En ce temps-ci, il y a beaucoup de personnes de l'un

et de l'autre sexe qui s'obligent volontairement à le

dire tous les jours , et d'autres au moins à toutes les

fêtes.

* Le Père de Barry écrivait ceci l'an 1645. On peut aujourd'hui

encore faire le même éloge de l'ordre des Chartreux, puisqu'il

n'a pas besoin de réforme.

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Je conseille fort à ceux qui trouvent les Messes lon

gues, soit aux fêtes, soit aux autres jours, pour ne

savoir pas s'occuper, d'entreprendre à dire en ce temps

l'Office de la Vierge. Ce serait pour eux une utile oc

cupation et prière pour la demi-heure de la Messe.

Ainsi, d'une part, ils seraient délivrés des distractions

qu'apporte l'ennui d'une Messe, et de l'autre, ce serait

un motif pour se faire aimer de Notre-Dame, qui re

connaît et agrée les moindres petits services. Encore

faut-il quelquefois s'accommoder à notre faiblesse, et

tirer des moins dévots ce qu'on peut et leur donner occa

sion d'être aimés de la Mère du bel amour, qui épie le

temps favorable à secourir les siens, comme l'a remarqué

saint Anselme.

Il raconte le bonheur qui arriva, environ l'an huit cent

quarante, au frère du roi de Hongrie, pour avoir été soi

gneux de dire tous les jours l'Office de la sainte Vierge.

Le jeune prince était désireux de vivre en ecclésiastique;

néanmoins , par l'importunité des siens , il se vit con

traint de prendre en mariage une jeune dame accomplie

en beauté autant qu'on le peut imaginer.

Le jour de ses noces étant arrivé , et la messe étant

finie et la bénédiction nuptiale donnée , il se souvint

qu'il n'avait point encore ce jour-là dit l'Office de la

Vierge. Alors il congédie ses gens, s'arrête seul à l'é

glise pour payer son tribut ordinaire à la Mère de Dieu.

Comme il récitait l'antienne : Belle et agréable Fille de

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Jémsalem..., Notre-Dame se présente à lui, accompa

gnée de deux anges. Elle lui fait ce touchant reproche :

« Eh bien! mon fils, puisque tu avoues que je suis si

belle et si agréable , pourquoi m'as-tu quittée pour une

autre? En effet, ne trouves-tu pas que je suis plus belle

que ta nouvelle amante? pourquoi m'as-tu délaissée? »

Le prince ne savait que répondre, tant il était étonné.

Mais dès qu'il se fut un peu rassuré, il dit : — « Il est

vrai, Madame, que votre beauté et vos perfections sur

passent de beaucoup les beautés de toutes les plus ex

cellentes créatures; mais quel moyen de réparer la faute

que j'ai commise! Me voici engagé : il ne m'est pas pos

sible de reculer. — Si tu as le courage, reprit la Mère

de Dieu , de quitter pour l'amour de moi celle dont il

s'agit et d'honorer mon Immaculée Conception, tu m'au

ras pour Epouse dans le ciel, et je te promets une riche

couronne au royaume de mon Fils. »

Cela dit, elle disparut; et ce prince, résolu à tout ce

que le Ciel désirait de lui , s'enfuit secrètement et se

cacha dans un monastère voisin ; de là, passant en Italie,

il y fut créé patriarche d'Aquilée. Il vécut si saintement

en cette dignité , qu'on jugeait assez qu'il ne pouvait

qu'être béni du ciel et de la terre, puisque d'ailleurs

il était sous la conduite de la Mère du saint amour.

Quant a lui, sa plus grande joie et sa plus douce con

solation étaient de continuer a réciter tous les jours

l'Office de la sainte Vierge; car il était convaincu que

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tout son bonheur et sa plus riche fortune étaient la

récompense de cette dévotion , à laquelle il s'était si

bien affectionné dès les premières et innocentes années

de sa jeunesse.

DÉVOTION VP

1© vingt-unième joui* d'_A.vril.

Dévotion à la sainte Vierge pour le soulagement ou la déli

vrance des âmes du Purgatoire, à l'imitation de sainte Bri

gitte.

Hélas! Philagie, qui échappe à ces flammes qui ne

diffèrent, comme disent les Docteurs, de celles qui brû

lent les damnés que pour le regard de la durée , et de

la résignation qu'elles laissent en l'âme à prendre tous

ces tourments de la main amoureuse de Dieu ! Peu de

gens échappent à ces étranges ardeurs, et ceux qui sont

en ce lieu où la justice divine purifie les âmes qui atten

dent le ciel, ne sont pas soulagés si puissamment ni

délivrés sitôt pour l'ordinaire que par les prières et la

faveur de la Mère d'amour.

Que ne devrions-nous donc faire pour son service ! que

ne voudrions-nous avoir fait pour elle au jour où nous

serons environnés de ce feu dévorant I Partant , Phi

lagie, et aujourd'hui et souvent, à l'exemple de sainte

Brigitte, priez la Mère de miséricorde de vous être une

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mère de bon secours à ce sujet, soit pour vous un jour,

soit pour quelqu'autre qui souffre déjà ces peines. Fai

tes quelque prière vocale ou autre à cette intention;

car il n'y a pas de doute qu'elle soulage plutôt, parmi

de si pénibles souffrances, ses dévots plus particulière

ment que les autres.

Elle les soulage ou par elle-même, ou par les anges.

Elle les console parmi les flammes, en leur promettant

une prompte délivrance ou leur procurant la diminu

tion des peines.

C'est ce qu'elle dit un jour à sainte Brigitte, l'assu

rant qu'il n'y avait pas de peine en Purgatoire qui, par

son moyen, ne fût adoucie. Une autre fois elle lui ajouta

que, par son entremise et par ses prières, les peines du

Purgatoire étaient à chaque instant mitigées pour ceux

qui s'y trouvent.

Comme la sainte priait une fois la sainte Vierge pour

un cavalier fort dévot et qui avait fait des aumônes abon

dantes, la Mère de bonté lui fit savoir qu'à sa considéra

tion et à sa prière, quoiqu'il fut condamné à diverses

peines bien grandes , elle lui avait obtenu la délivrance

de trois ou quatre des plus fâcheuses, — de l'effroyable

vision des démons, de la confusion que lui causaient les

reproches de sa vie passée dont il était inquiété par les

diables, et du froid glacé des étangs, où il était préci

pité pour satisfaire à ses froideurs au service de Dieu.

Que quelqu'un dise maintenant qu'il importe peu

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d'être si exact à s'acquitter des dévotions à la Mère de

Dieu ! Qui ne voit le bien qui en résulte ! Pliilagie ,

laissez dire le monde. Quoi qu'il vous en coûte, rendez-

vous Marie favorable. Priez-la souvent pour les âmes

du purgatoire; la charité que vous leur ferez, vous sera

rendue un jour.

Je connais un serviteur de Dieu qui dit bien souvent

les litanies de la sainte Vierge pour ces âmes souffran

tes; toutefois c'est en ajoutant ceci : Ora pro nobis et

pro detentis in purgatorio. Cela veut dire que vous en

pouvez faire autant.

DÉVOTION VIP

Pour le vingt-deuxième jour d'Avril.

Dévotion aux mystères de la Vie de la sainte Vierge,

à l'imitation d'Amédée, comte de Savoie.

Philagie, je suis tout ravi de l'invention d'amour en

vers la sainte Vierge et les mystères de sa Vie que le

pape Boniface Huitième fit paraître lorsqu'il se trouva

à son départ de cette vie. Pour mériter, après sa mort,

la particulière protection de Celle qu'il avait chérie et

honorée toute sa vie, il ordonna qu'on l'ensevelît dans

une belle aube qui lui appartenait, où tous les princi

paux mystères de la Vie de la même Vierge étaient

représentés dans un bel ouvrage de soie relevé d'or

4.

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fin. La bienheureuse Vierge fit assez paraître que cette

invention de son amour pour elle lui avait été agréable,

car elle conserva plus de trois cents ans le corps mort

de son serviteur sans aucune corruption, excepté un

peu au bout du nez, ainsi qu'on le vit à l'ouverture

qui fut faite de son sépulcre, l'an 1606.

L'invention d'amour envers les Mystères de la Vie

de la sainte Vierge que fit paraître Amédée, comte de

Savoie , l'an treize cent cinquante-six , n'est pas moins

remarquable. C'est lui qui a institué l'ordre de l'Annon-

ciade que la sérénissime royale maison de Savoie donne

a la noblesse qui se rend digne de cet honneur, pour

honorer, non-seulement le mystère de l'Annonciation,

dont l'image est au collier de l'ordre, mais aussi les

quinze Mystères de la Vie de la sainte Vierge, auxquels

il était très dévot.

Ce bon prince ne voulut pas que les chevaliers pas

sassent le nombre de quinze. C'est pour le même sujet

qu'en la fondation de la chartreuse de Pierre Chastel ,

qui est sur les confins de la Savoie , il ordonna qu'il y

eût toujours quinze religieux prêtres qui , tous les

jours, offriraient à Dieu leurs Sacrifices pour sa pros

périté et celle de sa maison , comme aussi pour la

conservation des chevaliers de l'Ordre.

Mais on peut ne s'attacher qu'aux mystères qui ne

concernent que la Vie de Notre-Dame. Il n'y en a que

neuf, savoir : sa Conception, sa Nativité, sa Présenta

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tion, son Mariage, son Annonciation, sa Visitation, son

Enfantement , sa Purification et son Assomption.

Je sais une princesse qui était affectionnée de tout

son cœur à ces neuf Mystères : c'est Marguerite d'Au

triche, femme de Philippe III, roi d'Espagne. Quand

elle était proche de ses couches , elle faisait dire neuf

Messes consécutives en l'honneur des neuf principaux

Mystères de la vie et mort de Notre-Dame. Elle-même

y assistait fort dévotement. Au jour de l'Annonciation,

elle servait de ses propres mains neuf pauvres femmes

en l'honneur de ces mêmes mystères.

Philagie, ne sauriez-vous pas trouver quelqu'autre

invention pour honorer les Mystères de la sainte Vierge ?

Au moins, dites aujourd'hui quinze Ave Maria, ou fai

tes neuf actes d'amour de Marie, et dites sept Pater et

Ave en l'honneur de ses sept principales Fêtes, à l'imi

tation d'une bonne Chinoise convertie, à l'occasion de

laquelle et de la susdite dévotion Notre-Dame fit son

premier miracle à la Chine, en la délivrant d'un danger

évident de mort.

DEVOTION VHP

Pcmr le vingt-troisième jour d'Avril.

Parler souvent de la Vierge et publier ses louanges,

à l'imitation du dévot Berkman.

Vive saint Bernard ! Toute sa grande joie, c'était les

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louanges de la sainte Vierge et de parler d'elle. Au

sermon de l'Assomption, il dit : « Il n'y a rien qui ra

visse tant mon cœur que quand il me faut parler de la

Mère de Dieu. » Tous les affectionnés à la Vierge ont

un cœur et une langue faite comme celle de ce favori

de Marie.

Les délices les plus chères du bienheureux Stanislas,

novice de la Compagnie de Jésus, c'était de parler de

sa bonne Mère ; c'était aussi celles du dévot Jean Berk-

man, de la même Compagnie. Il était heureux de ren

contrer des amis comme lui dévoués h Notre-Dame;

son grand plaisir alors était de la louer à l'envi de la

manière la plus élogieuse. Et quand les autres avaient

épuisé la matière, il trouvait encore de nouveaux éloges.

Le Père Alphonse Salmeron , l'un des dix premiers

compagnons de saint Ignace de Loyola, prêchait tous

les samedis en l'honneur de la Mère de Dieu.

Le Père Jacques Rhem, de la même Compagnie, qui

mourut à Ingolstad en renom de sainteté , avait institué

une confrérie de l'Annonciation de la sainte Vierge,

dont le but principal était de parler et traiter souvent

de la sainte Vierge.

Le Père Francois Retza , de l'ordre des Frères prê

cheurs, enseignant la théologie, ne manquait point,

tous les samedis, d'entonner les louanges de la glorieuse

Vierge; la moitié de sa leçon était sur cette matière.

Hemingues, évêque en Suède, grand dévot de la Mère

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de Dieu , qui vivait au temps de sainte Brigitte , com

mençait tous ses sermons par quelque trait à la louange

de la sainte Vierge. Aussi la sainte Vierge révéla à

sainte Brigitte qu'en reconnaissance de la dévotion que

ce prélat lui témoignait en ses prédications, elle lui

servirait toujours de Mère, l'assisterait à l'heure de la

mort, et présenterait elle-même son âme au jugement

de Dieu.

Philagie, si je vous propose tous ces affectionnés de

la Vierge, c'est afin que vous les imitiez dans les occa

sions en ce qui vous sera le plus convenable.

Je n'ai rien dit de ceux qui ont employé leur plume,

leur esprit et leurs pensées, a publier et chanter les

mérites et les louanges de la Reine du Ciel : la liste en

serait trop longue. Cependant, je ne veux pas omettre

le trait de sainte affection pour la Vierge du dévot

Père Joseph Anchieta, de la Compagnie de Jésus. Il

composa la Vie de la glorieuse Vierge en vers , et la

continua jusques à quatre mille cent soixante vers :

ce qu'il entreprit, non-seulement pour louer sa chère

Dame , mais encore afin que , ne roulant dans son esprit

que des pensées et des mérites de la sainte Vierge, elle

lui conservât son âme et son corps dans le désir et la

pratique d'une sainte chasteté.

Philagie , ce sont là des serviteurs de la Vierge qui

sont bienheureux d'avoir si bien employé leurs langues

et leurs plumes. Ne sauriez-vous avoir ce bonheur, au

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moins tout un jour, que de ne parler que de la Mère

de dilection? Commencer par elle , finir par elle , rom

pre tout discours par amour pour elle, qui ne ferait

cela pour elle quand ça se peut faire adroitement et

prudemment ! C'est forcer, mais avec douceur, le Cœur

de la Mère du bel amour à nous aimer.

Essayez-le aujourd'hui, et vous sentirez votre cœur

doucement attiré à saisir souvent la même occasion.

Essayez , surtout aux environs des fêtes , de vous en

tretenir d'un si riche sujet , que les anges et les bien

heureux du ciel pénètrent si avant !

Si je vous invitais à vous obliger par vœu à ne parler

en certain temps que des louanges de Marie, comme

le faisaient jadis à Florence ceux qui étaient de sa

confrérie, qu'on appelait « les Voués aux louanges de

la Mère de Dieu » , vous auriez raison de ne pas

m'écouter; mais je ne vous demande que d'essayer

aujourd'hui, et aux bonnes Fêtes de la Vierge, com

bien le cœur éprouve de contentement et de joie à

parler de Marie, à raconter ses rares louanges et ses

admirables perfections.

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CHAPITRE V

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE NOTRE-DAME DES MARTYRS, LE 13 DE MAI.

*-

DÉVOTION PREMIÈRE.

IPour le treizième jour de JVIal. •

Fléchir cent fois le genou pour honorer la Vierge, récitant

un Ave Maria à chaque génuflexion, à l'imitation de saint

Albert.

Autrefois l'Eglise faisait en ce jour, par le comman

dement de Boniface IV, la fête de Notre-Dame des

Martyrs, comme étant leur Princesse, leur Reine, et

plus que Martyre. Depuis, cette fête fut transférée au

jour de la Toussaint par Grégoire IV.

Néanmoins les dévots de Marie ne laissent pas que

de l'honorer en ce jour encore, en sa qualité de Prin

cesse des Martyrs, puisque le glaive lui a causé des

douleurs qui ont surpassé de beaucoup les douleurs et

les tourments que les martyrs ont soufferts. Ceci est

aisé à concevoir par l'amour qu'elle portait à son cher

Fils. Elle seule aimait davantage ce Fils bien-aimé que

tous les hommes ensemble n'ont jamais aimé leurs en

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fants. Et comme la mesure de la douleur se prend de

la mesure de l'amour, et que les douleurs intérieures

sont plus cuisantes que les extérieures, dans quels ex

cès, dans quels abîmes de profondes et amères douleurs

devait être plongé le Cœur si tendre, si aimant de la

Vierge !

Mais ce n'est pas là où je me dois arrêter, non plus

qu'à la belle troupe et compagnie des Martyrs qui re

connaissent la Vierge pour leur Reine. Le nombre de

cette victorieuse et triomphante armée est si grand, que

saint Grégoire dit que déjà, de son temps, il surpassait

de beaucoup le sable de la mer : Totum mundum , Fra-

tres, aspice : Martyribus plenus est. Jam pene lot qui

videamus non sumus, quot veritatis testes habemus; Deo

ergo numerabiles nobis super arenam multiplicati sunt,

quia quanti sint à nobis comprehendi non potest.

Dans la seule ville de Rome, il y en a plus de trois

cent mille , desquels cent quatre-vingt mille sont ense

velis au cimetière de Calixte. L'empereur Maximin, pour

sa part, en fit massacrer jadis en Egypte cent quarante-

huit mille. Qu'en dût-il être des autres parties du monde

où la persécution des ennemis de Jésus-Christ a tiré le

sang des veines de plusieurs millions de chrétiens ! Le

révérend Père Caussin en compte des plus connus jus

qu'à onze millions. Ne voilà-t-il pas une belle et bien

nombreuse compagnie'? Si tous ces glorieux athlètes

étaient distribués pour en faire la Fête à chaque jour

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de l'année, il y en aurait trente mille pour chaque jour;

encore en resteraii>il plus de cent cinquante mille pour

le jour de leur grande Fête, à la Toussaint. Mais venons

à notre but.

Je n'ai exposé ces considérations qu'afin d'avoir un

motif tout particulier pour, aujourd'hui , honorer la

sainte Vierge en sa qualité de Reine de tous les Mar

tyrs. L'honneur que vous lui rendrez, s'il vous plaît,

sera celui même que lui donnait tous les jours saint

Albert, religieux du monastère de Saint-Crépin , dont

j'ai déjà parlé. Tous les soirs, il fléchissait les genoux

cent fois en l'honneur de la sainte Vierge, lui présentant

à chaque génuflexion un Ave Maria. Qui l'aimera tant

soit peu , trouvera assez de loisir d'en faire autant un

jour de sa vie, à diverses reprises, comme vingt-cinq

fois le matin , autant sur le midi , autant vers l'heure

de vêpres, le reste sur le tard. Je connais quelqu'un

qui, à l'occasion de la fête de ce jour, en faisant les gé

nuflexions susdites, salue la sainte Vierge par ce peu de

paroles : Ave, Regina martyrum. Mais cent fois, n'est-

ce pas trop? Saint Albert dit que non; et du ciel il

semble répondre qu'il en voudrait avoir fait cinq cents.

Je trouve qu'il est bien aisé d'en venir à bout. A celui

qui aime, tout est facile. Ce sont des actes de piété à la

sainte Vierge qui ont été pratiqués fort souvent par les

saints.

Sainte Catherine de Suède employait tous les jours

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quatre heures à fléchir le genou jusqu'à terre , soit eu

adorant Dieu, soit en honorant la Vierge. Très-souvent

sainte Marie d'Ognies, dans les vingt-quatre heures de

quelques jours spécials qu'elle désignait , mettait onze

cents fois les genoux à terre pour honorer la Mère de

Dieu.

Philagie , que n'avons-nous de ces flammes qui em

brasaient le cœur de ces belles âmes?

DÉVOTION IIe

Four le quatorzième jour île Mai.

Au son de l'horloge, d'heure en heure, saluer la sainte Vierge,

à l'imitation du dévot Alphonse Rodriguez.

Le pape Léon X donne mille jours d'indulgence à celui

qui récitera , quand l'horloge sonne l'heure , un Ave

Maria pour saluer la Mère de Dieu et se recommander

à elle. Son dessein était d'inviter les dévots de la sainte

Vierge à la pratique de cette dévotion, à toutes les heures

du jour. Et en effet, en plusieurs lieux il y a des per

sonnes qui y manquent rarement.

Le dévot Alphonse Rodriguez, religieux coadjuteur de

la Compagnie de Jésus, pratiquait exactement cette dé

votion , même aux heures de la nuit. Il avait ce don

spécial de Dieu, de s'éveiller chaque fois que l'horloge

sonnait les heures.

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Philagie, ce que ceux-là font tous les jours, ou pour

le moins fort souvent, ne le voulez-vous point pratiquer

au moins en un jour de votre vie? Prenez-en donc au

jourd'hui et de bon matin la résolution ; et priez Dieu,

la sainte Vierge et votre bon Ange de vous donner les

pensées et la réflexion de le bien faire, et l'attention

pour vous en acquitter aux heures qui sonneront. Il est

vrai qu'il est un peu malaisé d'avoir la pensée fixement

arrêtée et l'attention aux heures; mais aussi il est vé

ritable que si on vous avait promis durant un jour, à

toutes les heures quand l'horloge sonne, cent pistoles,

vous ne perdriez pas une heure de tout ce jour, et à

chacune d'elles vous y seriez parfaitement attentive et

demanderiez aussitôt votre paiement. Qu'il est vrai qu'il

n'y a qu'à le vouloir ! Le temps viendra qu'on trouvera

qu'une douzaine de saluts faits à la Mère de Dieu auront

apporté un plus grand gain et profit que si on avait mis

dans sa bourse vingt-quatre mille pistoles .*

Mais quel moyen, si je me trouve en compagnie, de

dire, à toutes les heures, l'Ave Maria? — Dites-le tout

bas, sans qu'on y prenne garde : cela est bon. — Mais

on aura telles affaires à traiter et desquelles on ne pourra

se dispenser pour cette dévotion secrète? — Je veux

m'accommoder à tout ce qu'il vous plaira. Si donc vous

* Saint Liguori, qui est l'un des plus grands Docteurs dont

s'honore l'Église, avait coutume de dire qu'un Ave Maria (bien

récité) valait plus que le monde entier.

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ne pouvez dire un Ave Maria tout entier, ne dites que

les trois ou quatre premiers mots : vous ne sauriez vous

en dispenser. Ce peu de mots sont bientôt dits.

Tant de bons serviteurs de Dieu et de sa sainte Mère

le font ainsi, d'une façon ou d'une autre : voyez si vous

voulez en faire partie. Il ne tiendra qu'à vous. Si vous

me croyez, vous le ferez ainsi; et le faisant plus que

d'un jour, vous en pourriez prendre tellement l'habitude,

que la mort venant à sonner l'heure de son horloge,

vous mourriez en disant l'Ave Maria. Pourriez-vous

faire une mort plus glorieuse?

DEVOTION IIP

Pour le quinzième jour de Mai.

Au commencement des actions les plus importantes , saluer la

sainte Vierge par un Ave Maria, à l'imitation de sainte Ca

therine de Suède.

Philagie, il s'agit de commencer toutes nos actions

par un Ave Maria. C'est l'essai que vous devez faire

aujourd'hui , à l'imitation de plusieurs qui l'ont pra

tiqué ainsi tous les jours.

Saint Elzéar fut de ce nombre. Ses prières étaient

fort fréquentes; n'importe ! il les commençait toutes

par un Ave Maria. — Sainte Catherine de Suède pas

sait plus avant : non-seulement ses prières, mais aussi

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toutes ses actions n'avaient d'autre commencement qu'un

Ave Maria qui leur servait d'entrée. Même, si on la

consultait sur quelque affaire, elle disait tout bas un

Ave Maria avant que de répondre. Elle le disait avec

tant d'adresse que l'on n'y prenait pas garde.

Saint Francois de Paule , tout petit enfant qu'il était ,

voulant saluer ses père et mère ou leur dire quelque^

chose , commençait toujours par ces deux mots : Ave

Maria. C'est ce qu'il continua le reste de sa vie en

tous ses discours. A son invitation, ses chers enfants

ne s'entre-saluent ou ne parlent jamais ensemble qu'a--

près avoir, avec ces mêmes mots, présenté le salut à la

Vierge. Il y a quelques autres familles religieuses qui,

en certaines rencontres, observent cette louable cou

tume.

Philagie , oserais-je vous inviter de ne commencer

vos actions les plus importantes et les plus sérieuses

que par un Ave Maria? Saint Francois de Paule, dont

je viens de vous parler, commencait ordinairement ses

longues prières et ses veilles de la nuit par le chapelet.

C'est qu'il avait appris par une longue expérience com

bien il lui était avantageux d'avoir gagné les faveurs

de la Mère de Dieu.

Au moins ne manquez pas, dans les grands accidents,

à recourir par ce salut à la sainte Vierge. Habituez-

vous a cela; c'est le vrai moyen que Dieu bénisse tou

tes vos entreprises. L'histoire rapportée par les Anna

5

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les de l'Ordre de Saint -François en fournit une belle

preuve.

Il y est dit qu'une demoiselle fort dévote à la sainte

Vierge avait coutume de ne pas permettre que deux

enfants qu'elle élevait sortissent de la maison que pre

mièrement ils n'eussent récité la Couronne devant une

image de la sainte Vierge. Un matin donc, ces deux

petits enfants vont à l'école, selon leur coutume, après

avoir payé leur petit tribut à la Mère de Dieu. L'un

des deux en chemin s'amuse sur le pont de la rivière

et tombe dedans. On tâche aussitôt de le secourir : on

le voit perdu. Cependant quelqu'un court vers la mère

pour lui donner la nouvelle du malheureux accident.

La voilà avertie. Sans s'effrayer, elle s'en va à l'image

où les enfants avaient coutume de prier, lui dit un Ave

Maria et recommande son fils , puis elle va au pont.

Comme elle est en chemin, elle apercoit son petit qui

vient au-devant d'elle sain et sauf. Il lui dit pour la

consoler que Celle qu'il avait prié le matin l'avait tiré

des eaux et délivré de la mort. Quelle joie pour cette

bonne mère !

Philagie, à quoi attribuerez-vous cette merveille? ou

à la dévotion à une image de la Vierge , qu'il est bon

d'avoir en sa chambre pour se recommander à elle et

la prier souvent; ou au chapelet de la Vierge que ces

petits enfants avaient dit; ou à l'Ave Maria que la mère

offrit à la Mère de Dieu sur la nouvelle d'un si pénible

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accident; ou à tout cela ensemble. Tant il est vrai que

la -Mère incomparable en miséricorde ne délaisse jamais

ceux qui la servent et qui l'invoquent dans les occasions.

DÉVOTION IVe

Pour le seizième jour de Mai.

Dire trois fois i'Ave Maria de la manière que la sainte Vierge

l'enseigna à sainte Mechtilde, à l'imitation de la même sainte,

pour obtenir la grâce de bien mourir.

Philagie, voici un trait tout particulier de la con

fiance que sainte Mechtilde avait en sa chère Maîtresse.

Il faut bien , lui dit-elle, ma bonne Mère, que vous as

sistiez à ma mort, que vous me donniez le courage de

passer heureusement ce pas. — Je le ferai , répartit la

sainte Vierge ; mais je veux aussi que tous les jours

tu me présentes trois Ave Maria a, cet effet, ajoutant à

chacun ce que je te dirai.

Après le premier, tu me feras cette prière : O ma

Souveraine, sainte Marie, comme le Père Eternel vous

a investie de sa toute-puissance, soyez-moi favorable à

l'heure de la mort, et par votre force très-efficace éloi

gnez alors de moi les puissances des ténèbres !

Après le second, tu me feras celle-ci : O ma Souve

raine, sainte Marie, comme le Fils de Dieu vous a rem

plie de la science de la lumière divine, de sorte que tous

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les habitants des deux sont éclairés par votre entre

mise, faites qu'au moment de ma mort mon âme soit

revêtue de cette lumière de la foi , et qu'elle ne soit

pas obscurcie par les ténèbres de l'ignorance ou de

l'erreur !

Après le troisième, tu me feras celle-ci : O ma Sou

veraine, sainte Marie, comme l'Esprit-Saint vous a tel

lement remplie de la plénitude de sa douceur, qu'il a

rendu votre Cœur le plus doux des cœurs et le plus

compatissant de tous , versez alors dans mon âme une

telle douceur de charité qu'elle surmonte toutes les

souffrances et toutes les appréhensions qu'elle pourrait

avoir de la mort !

Puisque la sainte Vierge a donné et prescrit cette

dévotion , je ne pense pas , Philagie , que vous refusiez

de la pratiquer aujourd'hui, au moins une fois, d'autant

plus que vous aurez un pressant besoin de son assis

tance à l'heure de la mort.*

DEVOTION Ve

Pour le dix-septième jour de Mai.

Dire i'Ave Maria de la façon que la sainte Vierge l'enseigna

à sainte Gertrude, à l'imitation de cette même sainte.

Philagie, j'estime que vous prenez garde comme, du

rant cette Octave, je vous donne des pratiques qui con

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cernent la dévotion au Salut de l'Ange à la Vierge.

C'est que mon dessein est de vous donner de l'affection

à cette riche prière. Et comme la variété plaît à plu

sieurs, si vous êtes de ce nombre, vous aurez de quoi

être satisfaite.

Voici donc encore une autre façon de dire l'Ave

Maria, que vous pourrez observer aujourd'hui, si cela

vous plaît et que vous y trouviez du goût. Vous en

ferez l'expérience , et elle vous sera agréable , parce

qu'elle a été enseignée à sainte Gertrude par la Mère

de Dieu de cette manière.

Elle lui dit que, lorsqu'elle prononcerait cette pa

role : Je vous salue, Marie, elle demandât du soula

gement pour ceux qui en même temps souffrent quel

que incommodité de corps ou d'esprit ; qu'en disant les

mots pleine de grâce, elle priât pour ceux qui n'ont pas

le goût qu'il faudrait de la grâce de Dieu, afin qu'elle

leur adoucît le cœur; qu'à ces paroles Je Seigneur est

avec vous, elle la suppliât, comme Mère de miséricorde,

d'obtenir le pardon aux pécheurs ; que , quand elle di

rait et le fruit de vos entrailles est béni, elle la suppliât

de s'employer soigneusement à l'avancement spirituel

des prédestinés; et au sacré nom de Jésus, de lui ac

corder la parfaite connaissance et le véritable amour

de son Fils bien-aimé; enfin qu'elle ajoutât toujours

ce mot : Jésus! c'est-à-dire Jésus la splendeur et la

clarté du Père, et la figure de sa substance.

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DÉVOTION VIe

Pour le dix-huitième jour de Mai.

Dire le petit chapelet dès dix Plaisirs de la Vierge, à l'imi

tation de la bienheureuse Jeanne de France.

Ce chapelet est composé de dix Ave Maria et d'un

Pater qui se dit au commencement; quelques-uns ajou

tent à la fin un Ave maris stella.

Notre-Seigneur inspira cette petite prière à la bien

heureuse Jeanne de France , fondatrice de l'ordre de

l'Annonciade de Bourges. Elle voulait par ce nombre

rendre hommage aux dix principales Vertus de la sainte

Vierge, qu'elle nommait les dix Plaisirs de la Mère de

Dieu , tels que sont sa pureté , sa dévotion , sa pru

dence, son humilité, son obéissance, sa sincérité, sa

pauvreté, sa patience, sa charité, et sa conformité à la

volonté de Dieu. Des dix mille vertus de Marie, en

voilà dix. La sainte Vierge est rayonnante en vertus

et en perfections, comme le ciel l'est par la beauté des

astres.

Tôt tibi sunt dotes, Virgo, quot sidera cœli.

Cette dizaine suffit.

Cette dame disait tous les jours ce petit chapelet.

Philagie, dites-le aujourd'hui. Sa dévotion était in

croyable en le disant ; elle s'arrêtait surtout à ces deux

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paroles : Ave, Maria, et à ces deux autres : Dominas

tecum. Elle donnait de ces chapelets à ses religieuses et

aux séculiers qui la venaient visiter, comme autant de

trésors célestes. Pour la pratique de cette même dévo

tion, elle faisait porter un cordon à dix nœuds à ses

religieuses; et pour en rendre l'usage plus fréquent,

elle obtint du pape Alexandre VI dix mille jours d'in

dulgence à celui qui dirait tous les jours ce chapelet.

Léon X les étendit après à dix mille ans.

Ceux qui aiment à servir la Mère de Dieu et les

dévotions courtes, disant que ce sont les meilleures,

ou qui à cause de leurs occupations ne peuvent pas

faire tant de prières, ne sauraient refuser cette dévo

tion courte, mais de grand profit. En faisant un tour

dans la chambre ou dans la galerie, elle est accomplie.

Philagie , je ne sais si vous aimez les longues ou les

courtes dévotions , je vous en présente de toute sorte :

aussi j'ai entrepris de vous rendre affectionnée à la

sainte Vierge. Pourvu que j'arrive à ce but, peu im

porte quelle dévotion aura servi.

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DÉVOTION VIIe

l'ouï* le cUxi-neuvième joxir de JVTai.

Réciter la petite Couronne des Douze Etoiles en l'honneur de

la sainte Vierge, à l'imitation d'un grand nombre de ses

dévots.

La dévotion de la Couronne des Douze Etoiles est

fort aisée, beaucoup en vogue et admirablement profi

table. Je vous conseille, Philagie, de la dire, non-seu

lement aujourd'hui, mais encore tous les jours. Elle est

aisée à dire, car elle n'est composée que de trois Paler,

chacun suivi de quatre Ave Maria. Les trois Pater sont

à l'honneur de la très-sainte Trinité, qui, ayant fait la

Vierge ce qu'elle est, a fourni la matière de cette riche

couronne de douze Etoiles mentionnées en l'Apocalypse

(ch. xn), qui représentent les douze plus grandes excel

lences et faveurs de la sainte Vierge. C'est en l'honneur

de ce nombre qu'on dit ici douze Ave Maria.

L'attention à dire cette couronne est aisée. Au pre

mier Pater, on remercie Dieu le Père d'avoir choisi la

Vierge pour sa Fille; au second, Dieu le Fils de l'avoir

choisie pour sa Mère ; et au troisième, le Saint-Esprit

de l'avoir choisie pour son Epouse.

Quant à la croix qui est en cette petite couronne ,

on a coutume, à la fin, de dire sur elle le Credo.

Quelques-uns, ensuite, ajoutent le Salve Regina, puis

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Sub tuum praesidium , et le verset Ompm nobis, sancta

Dei Genilrix , et puis enfin l'oraison Concede nos fa-

mulos.

La dévotion à cette couronne est en vogue, car le

nombre de ceux qui sont de son association et qui la

disent tous les jours, est très grand par tout le monde.

Ils la disent à cette intention et pour ces trois fins :

la première, pour remercier Dieu des faveurs qu'il a

faites à la sainte Vierge et au monde par son entre

mise; la seconde, pour demander par elle l'extirpation

des hérésies et des autres vices qui ravagent l'Eglise de

Dieu ; la troisième , pour obtenir une vie heureuse et

une bonne mort à tous ceux et celles qui sont associés

à cette dévotion et qui disent tous les jours cette sainte

couronne.

Pour être de cette association, il n'y a qu'à dire une

seule fois trois Pater et trois Ave Maria à l'intention

de tous ceux qui s'efforcent d'avancer cette dévotion ,

en témoignage du désir qu'on éprouve de coopérer avec

eux au service de la Vierge, pour le bien public et par

ticulier d'un chacun. Que s'il arrive que l'un des asso

ciés néglige ou s'oublie de dire quelquefois la susdite

couronne, tout l'inconvénient qui en résulte c'est qu'aux

jours qu'il y manquera, il est privé des indulgences

données en faveur d'elle et des prières que les autres

font ce même jour.

Elle est beaucoup profitable , comme on le voit par

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ce qui arriva à un jeune homme qui, étant tombé entre

les mains des voleurs, qui déjà avaient égorgé ses deux

compagnons , voulaient lui en faire autant. Il leur de

manda le loisir de dire sa petite couronne. Ils l'exau

cèrent. Et comme il la récitait, ces voleurs virent une

belle Reine accompagnée de deux autres dames qui

étaient autour de lui. A chaque Pater qu'il disait, elles

cueillaient une rose vermeille , et à chaque Ave Maria

une rose blanche qui sortait de sa bouche. Les ayant

enfilées en un cordon d'or en forme de couronne, elles

la présentèrent avec un grand respect à leur Reine.

Celle-ci la posa sur la tète de celui qui s'était recom

mandé à elle, et puis elle disparut avec ses compagnes.

Les voleurs ayant apercu cette merveille, non-seule

ment laissèrent en liberté leur proie, mais encore ils

résolurent de changer de vie. Et celui à qui la sainte

Vierge Bavait fait cette faveur, en reconnaissance d'un

si grand bienfait, se consacra à son service le reste de

sa vie.

Vous seriez bien dans l'étonnement, Philagie, si, après

avoir pratiqué cette dévotion , la sainte Vierge vous

poussait à changer de vie! Tenez pour certain l'un des

deux , ou le changement de vie , ou , si la vie est telle

qu'il faut, une belle couronne que la Mère aimante

mettra sur votre tète un jour. A ce prix, refuserez-vous

de dire souvent la petite couronne?

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DÉVOTION VHP

Pour le vingtième jour de Mai.

S'entretenir, ou savoir par cœur quelques traits de louange à

la sainte Vierge et les redire souvent , à l'imitation du bien

heureux Godric.

C'est aujourd'hui la veille de la fête du bienheureux

Godric, solitaire anglais, qui était l'un des chers nour

rissons de la Mère d'amour.

Un jour elle lui donna une belle pratique , dont,

Philagie , vous vous servirez aujourd'hui et aux beaux

jours de votre dévotion. Elle lui apprit un cantique,

et lui commanda de le dire , redire et chanter sou

vent quand il serait ennuyé. Elle ajouta qu'elle lui

accorderait tout secours, et qu'il s'en tint pour assuré.

Si vous le voulez voir tout entier, le révérend Père

Poiré le rapporte en sa Triple Couronne. Il suffit que

je vous cite ici la conclusion :

L'espoir qui va flattant mon cœur de joie

Me fait borner mes vœux,

Et dire : pourvu qu'avec Dieu je vous voie,

C'est tout ce que je veux.

Il vous est permis , Philagie , d'en faire un à votre

gré, court et affectueux. C'est le plus sûr; et puis

dites-le cent fois le jour : vous trouverez une conso

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lation indicible en ces redites. Et si vous avez de l'en

nui, cet affectueux entretien sera capable de le dissi

per. Ne serait-ce que pour exercer votre mémoire,

apprenez quelque pièce qui soit à l'honneur et louange

de la Mère de bonté.

Le bienheureux Jourdain, de l'ordre de Saint-Domi

nique, faisant voyage, n'avait d'autre occupation que

de parler de la sainte Vierge ou de chanter des hym

nes et des cantiques en son Jionneur. Composer, ap

prendre par cœur, chanter, dire et redire quelque trait

de ses louanges, c'est un emploi digne des Saints et des

Anges.

Pour ce sujet, on a admiré l'affection du bienheu

reux saint Casimir envers la Mère de Dieu. Ce brave

prince composa un cantique de louanges à l'honneur de

sa sainte Maîtresse, cantique et prière qu'il disait tous

les jours. Il commanda que ce cantique fût mis sur son

cœur quand on l'enterrerait. On le trouva tout entier

sur sa poitrine l'an 1 609 , après qu'on eut ouvert son

sépulcre. Cette pièce si belle et si dévote est rapportée

en latin et en vers francais sur la fin de la Triple Cou

ronne.

Le cœur me dit, Philagie, que vous ferez quelque

pièce aujourd'hui qui témoignera du feu qui brûle pour

Marie dans votre cœur. Vous aurez le choix de dire

cent fois ce qui sera de vous ou d'autrui ; faites mieux,.

dites tantôt l'un et tantôt l'autre. Pourvu que votre

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âme reçoive de la consolation et que vous aimiez Ma

rie, je suis on ne peut plus satisfait. J'ai déjà donné

par ici, par là, quelques traits de louange ou d'affec

tion envers la Mère de Dieu ; j'ai éprouvé de l'agrément

à les redire, de même que celui qui est au bout de l'é-

pître dédicatoire et celui qui termine la première pra

tique de l'Octave des Noces de Notre-Dame, en janvier.

Ce qui suit ne pourrait-il vous agréer?

O Dieu, que douce est la pensée,

Durant la nuit, durant le jour,

De l'âme qui se sent blessée

Des traits de la Mère d'amour !

ou bien ce commencement du susdit cantique de saint

Casimir :

Mon cœur, rien la nuit , rien le jour

Ne prenne part à tes pensées

Que Marie, à qui par amour

Tes libertés sont engagées !

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CHAPITRE VI

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE SON AIMABLE CŒUR, LE 1er DE JUIN.

DEVOTION PREMIERE.

Pour le premier jour de Juin.

Avoir de la dévotion au sacré Cœur de la sainte Vierge, à l'imi

tation du bienheureux Herman, de l'ordre de Saint-Domi

nique.

Quelques dévots de la sainte Vierge, considérant la

dévotion de certains au Cœur de la Mère de Dieu, ont

dédié à la fête de ce saint Cœur le premier jour du

mois de juin; et par là ils ont peut-être voulu donner

à ce mois une fête de la Vierge, tous les autres mois

de l'année nous offrant quelqu'une de ses fêtes, excepté

celui-ci; ou bien ils l'ont fait pour donner plus de po

pularité à cette sacrée dévotion du Cœur de la Mère de

Dieu. Ils avaient sans doute égard aux grandes obliga

tions que nous avons tous à ce Cœur, la merveille des

cœurs. Peut-être encore est-ce a l'occasion de la fête

de la très-sainte Trinité, qui se rencontre fort souvent

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les huit premiers jours de juin. Car il est très-certain

que la très-auguste Trinité a béni et chéri ce Cœur d'une

bénédiction et faveur toute extraordinaire.

Nous serons persuadé de ceci, si nous considérons ce

qui en est dit aux Révélations de sainte Gertrude. Un

jour de l'Annonciation, cette sainte vit, dans un ravis

sement divin , trois petits ruisseaux qui , tirant leur

source du Père, et du Fils , et du Saiut-Esprit, abou

tissaient et pénétraient d'une douce impétuosité le Cœur

de la Mère de Dieu, et qui après, se réfléchissant, re

tournaient à leur principe et origine. Et l'effet que pro

duisaient ces trois ruisseaux et ces trois divines influen

ces dans le Cœur de la Vierge, était que la Mère de

Dieu devenait toute-puissante après le Père, toute sage

après le Fils, toute douce après le Saint-Esprit.

Il semble donc convenable au temps où l'on fait la

fête de la très-sainte Trinité, qui a tant chéri et gratifié

le Cœur de Marie, de se souvenir aussi et de faire une

fête particulière de ce même Cœur.

Qui aura un bon cœur pour la Mère de Dieu, ne

trouvera pas mauvais, Philagie, qu'en votre particulier

vous honoriez durant cette octave le Cœur de votre chère

Mère. Que s'il est question de donner des preuves de

cette dévotion au sacré Cœur de Notre-Dame, lisez les

Chroniques de l'ordre de Saint-Dominique : vous y trou

verez que le bienheureux Herman, de cet ordre, alle

mand de nation, qui vivait l'an 1245, était très-affec

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tienné à la Mère de Dieu , surtout à son bon Cœur :

cœur qui avait si tendrement et si ardemment aimé

Dieu ; cœur qui , par ses amoureux élans, avait avancé

l'exécution de l'Incarnation et nous avait attiré le Verbe

divin ; cœur le plus saint et le plus utile au genre humain

qui ait jamais été après celui de Jésus son Fils; cœur

qui eut un soin incomparable à élever le petit Jésus, et

à conserver toutes les paroles qu'elle entendit l'espace

de trente-trois années de la bouche de ce cher Fils ; cœur

nonpareil en constance et en douceur parmi les affronts

et les cruautés exercés sur son Enfant bien-aimé. En

l'honneur de cet aimable Cœur, ce saint religieux disait

tous les jours un Ave Maria. Il est croyable que sa dé

votion attendrit le Cœur de la Mère des bons cœurs ,

pour le secourir au besoin, principalemennt à l'heure de

la mort.

C'est à vous, Philagie, à choisir ce que vous voulez

faire aujourd'hui en -l'honneur de ce béni Cœur. Au moins

suis-je assuré que vous en ferez bien autant que ce bon

religieux. Cœur pour cœur, ce serait bien ce qu'il faut.

Mais le vôtre est un peu trop attaché et tient un peu

trop aux créatures : ce qui fait que je n'ose pas vous

inviter à offrir aujourd'hui ce petit esclave que vous

nommez votre cœur à la royale bonté et aimable dou

ceur du Cœur le roi des cœurs, et le plus vénérable de

tous après celui de Jésus.

Mon Dieu! que j'aime ces braves confrères de la

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Congrégation de Notre-Dame, sous le titre de l'Annon

ciation, établie à Besançon ! Ils offrirent, l'an 1609, à

Notre-Dame de Montaigu , qui est honorée dans l'église

du collége de la Compagnie de Jésus de ladite ville,

un cœur d'argent, beau, riche et artistement travaillé,

la veille de la fête de l'Annonciation. La sainte Vierge

leur avait donné si souvent des témoignages de la ten

dresse de son Cœur, qu'ils ne savaient comment l'en

remercier. Ne pouvant donner leur cœur au jour où ils

renouvelaient les désirs et les résolutions qu'ils avaient

de la servir, ce que toutefois ils eussent fait bien vo

lontiers, ils lui offrirent un cœur d'argent, c'est-à-dire

le plus beau qu'il leur fût possible.

Mère de Dieu ! que j'honore ces messieurs de l'illus

tre et très-honorable Congrégation qui est érigée au

collége de la Compagnie de Jésus à Chambéry. L'an

mil six cent trente-deux, s'estimant obligés à la Mère

de Dieu d'avoir échappé à la peste et autres fléaux qui

avaient affligé la province, ils lui offrirent pareillement

un cœur d'argent , ailé et couronné d'étoiles et de crois

sants, d,'où sortait un livret d'argent couvert de pierre

ries éclatantes, dans lequel était écrits en lettres d'or

les noms de tous les confrères. Ils le portèrent en cet

état, solennellement, à Notre-Dame de Nians, qui est

à une lieue de leur ville.

Ces messieurs eussent volontiers donné des ailes a

leurs cœurs pour les joindre et les offrir au Cœur très

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obligeant de leur chère Mère, Ces ailes n'étant point

encore prêtes , ils donnèrent des ailes à leur cœur d'ar

gent pour témoigner, autant qu'ils pouvaient, à leur

honorable Princesse et singulière Bienfaitrice ce que

leurs cœurs désiraient accomplir avec ardeur pour re

connaître aussi les bienfaits dont la bonté du Cœur de

leur chère Mère les avait comblés a l'infini.

Et vous, ma chère Philagie, ne trouverez-vous point

d'invention pour honorer aujourd'hui le sacré Cœur de

votre Bien-Aimée ? Vous contenterez-vous de faire seu

lement ce que faisait le susdit bienheureux Herman,

ou de l'offrande d'un cœur d'argent si vous en aviez

un tout prêt ? Faites plus que . tout cela , donnez-lui

votre cœur tel qu'il est, et dites-lui ce peu de paroles

qui valent bien des cœurs d'or et d'argent, mais dites-

les de bon cœur :

« O Marie, ô ma Reine, ô la Mère des bons cœurs!

voici mon cœur que je vous donne pour rendre hom

mage au vôtre. Enfin, après tant de longueurs et de

délais, je veux, à quelque prix que ce puisse être, tirer

de la captivité mon pauvre cœur, et trouver sa liberté

dans la dépendance de votre aimable Cœur et de vos

respectables volontés.

« Je proteste que mon cœur n'est plus à moi, mais à

vous, et que jamais je ne le reprendrai. Mon grand

bien sera dès maintenant, et désormais jusques aux

siècles des siècles, de vous avoir donné mon cœur, de

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tâcher de vous plaire, et d'avoir part a la douceur et

à la bonté de votre sacré Cœur. »

O mon cœur! te voilà bien partagé d'avoir donné

tout ton amour en te donnant toi-même tout entier à

la Mère du saint amour et a la Mère des bons cœurs !

Que tes ardeurs puissent durer autant que le Cœur de

Marie, auquel elles se sont si saintement attachées et

éternellement consacrées comme sur l'autel du saint

Amour. Et pour comble de ton bonheur, faisant des

grands progrès en l'école du divin Amour, puisses-tu

devenir pour jamais une riche conquête de Jésus et de

Marie !

DEVOTION IIe

Pour le deuxième jour de Juin.

Faire de fréquents actes d'amour envers la Mère de Dieu, à

l'imitation du bienheureux Joseph Herman.

Ne me demandez pas, Philagie, les noms de ceux qui

ont pratiqué ces actes d'amour de Marie, le nombre en

est trop grand. Je serais en peine de vous les nommer

tous. Néanmoins sainte Brigitte, le bienheureux Joseph

Herman , Alphonse Rodriguez , et quelques autres , se

sont rendus signalés en ce témoignage du saint amour.

J'aime bien mieux que vous sachiez quels en sont les

actes dont on se peut servir, en quel temps et comment.

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Pour le temps , le plus souvent c'est le meilleur. Qui

aime bien ne pense jamais assez à ce qu'il aime. Le

jour, la nuit, aux champs, à la ville, dans la maison,

hors de la maison , dans la conversation , en retraite ,

partout enfin il est bon d'élever son cœur à la Mère du

bel amour, et de lui dire : Douce Mère, je vous aime

de tout mon cœur.

Voilà toute la façon et cérémonie qui convient. Tout

ce qui rendra cet acte plus beau et plus agréable, c'est

si vous le dites deux cents fois le jour. Surtout, choisissez

un jour en votre vie qui ne soit que pour Marie. Dites-

lui alors cent et cent fois que vous l'aimez, et dites-le-

lui de toutes les meilleures manières que vous le pour

rez. Elle écoute tout, elle agrée tout, pourvu que vous

n'alliez pas jusqu'à lui dire comme le dévot Alphonse Ro-

driguez : Ma chère Mère, je vous aime plus que vous ne

m'aimez. Car elle dédaigna cet amoureux reproche, et

lui répartit sur-le-champ : Cela n'est pas vrai, Alphonse.

Hors de là, parlez-lui par les termes du saint amour

comme il vous plaira. Parcourez, si vous le voulez, tout

votre chapelet , et , à chaque grain , dites-lui que vous

l'aimez de tout votre cœur, tantôt plus que vos yeux,

tantôt plus que votre vie, tantôt plus que la lumière

du ciel, tantôt plus que votre santé, tantôt plus que

votre père, tantôt plus que votre mère, et ainsi des

autres créatures que vous chérissez. Changez , si vous

le voulez, à chaque grain la manière de vous exprimer,

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selon les divers objets que vous aimez. Dites que vous

l'aimez plus que votre Ange gardien, plus que vos chers

amis du ciel , plus que saint Joseph , plus que tous les

anges ensemble, plus que tous les habitants de la céleste

Jérusalem, hommes et anges, pardessus toutes choses

après son Fils.

Ou bien dites-lui souvent , comme vous enseigne le

révérend Père Binet, ce que saint Augustin disait à

Dieu , ne changeant que la personne à laquelle vous

parlez : Je vous aime, ma chère Dame; et si c'est trop

peu, parce qu'en effet je vous aime bien faiblement,

obtenez-moi la grâce de vous aimer plus ardemment :

En amo te, ô Domina mea, et si parum est, imo quia

parum est amen validius.

Je connais un serviteur de Dieu qui dit fort souvent

à la sainte Vierge : Je vous aime pour votre beauté ,

ma bonne, ma rose,

Amo te quœ tam formosa,

Mea bona, mea rosa.

C'est aimer et parler bien hardiment que de nommer

la sainte Vierge sa toute bonne et sa rose.

Le bienheureux Joseph Herman est celui qui, le pre

mier, a voulu la nommer sa Rose. En vérité, Philagie,

voilà une expression bien hardie ! Si vous y trouvez à

redire, vous pouvez bien néanmoins excuser cette faute

de tendresse ; car la sainte Vierge , qui en est Tinté

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ressée, ne laisse pas de l'excuser. En l'école de la Mère

de Dieu, tout ce qui paraît manquement ne l'est pas, et

pourtant si l'amour de Marie vous porte à en dire tout

autant, dites-le. Qui le saura? Et quand on le saurait?

Y trouve à redire qui voudra ! Il suffit que Marie l'a

grée. Pour couper court, dites-lui au moins :

Je vous chéris, la très-aimable,

La très-belle et très-agréable !

Dites-moi , Philagie , pourriez-vous passer plus sain

tement la journée qu'en de pareils actes, et à dire cent

et cent fois , tantôt d'une façon , tantôt d'une autre :

Mère de mon doux Jésus, je vous aime! Marie, Mère

de bonté, je n'ai d'amour que pour vous ! Mère du saint

amour, je vous aime vous seule plus que toutes les créa

tures ensemble !

Philagie, voilà bien de quoi choisir, ou bien prenez

tout. Vous aimez tant la sainte Vierge que vous avez

pour agréable tout ce qui la concerne, particulièrement

ce qui fournit des témoignages et des preuves de l'a

mour que vous lui portez. Dites-lui donc cent fois au

jourd'hui, et cent mille fois en votre vie :

Après Jésus, j'aime Marie,

Je la chéris plus que ma vie.

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DÉVOTION IIP

Pour le troisième jour de Juin.

Faire de fréquents actes d'espérance et de confiance à la sainte

Vierge, à l'imitation du dévot Berkman.

Philagie, après Jésus, en qui sauriez-vous avoir plus

de confiance, et en qui mieux loger vos espérances

qu'en la Mère de la sainte Espérance? Prenez donc

cette bonne habitude des fréquents actes d'espérance en

elle. Aujourd'hui tâchez d'en faire autant que votre

dévotion vous le fournira.

Je vous ai dit ailleurs que Marie signifie espérance.

Dites - lui donc souvent : Marie , vous êtes ma chère

Marie ! ou bien , avec saint Bonaventure : En vous , ô

très-douce Marie, nous espérons; défendez -nous tou

jours, — In te, dulcis Maria, speramus; nos defendus in

œternum; ou, avec les termes plus expressifs du style

de saint Augustin : J'ai espéré en vous, ô Souveraine,

je ne serai pas confondu éternellement, —In te, Domina,

speravi , non confundar in œtemum ; ou , selon les affec

tueuses paroles du dévot Berkman, vrai Ange de la

Compagnie de Jésus : Si j'aime Marie, je suis assuré

de mon salut et de ma persévérance en religion; en

outre, j'obtiendrai de Dieu tout ce que je voudrai et

je serai tout-puissant.

Ce serait perdre mon temps de vouloir produire ceux

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qui ont placé toutes leurs espérances , après Jésus , en

sa sainte Mère. Il ne faut que regarder toutes ces cha

pelles et églises miraculeuses qui se voient en tous les

coins de l'univers. La terre en est visiblement toute

couverte ; et les noms qu'on a donnés à ces chapelles

et églises font assez connaître que toutes les nations

du monde attendent leurs recours de la Mère de Dieu ,

qu'elles considèrent comme leur grande espérance.

Et pour ne mentionner que les noms qui sont au

tant de marques de confiance qu'on a en la sainte

Vierge, d'où viennent ceux de Notre-Dame de Lumière,

de Notre-Dame de la Garde, de Notre-Dame des Ver

tus, de Notre-Dame de l'Etoile, de Notre-Dame des

Remèdes, en Portugal; de Notre-Dame des Délaissés,

à Valence, en Espagne; de Notre-Dame de Guérison,

de Bonne-Rencontre, en Gascogne; de Notre-Dame de'

Grâce, en Provence; de Notre-Dame d'Espérance à

Aix; de Notre-Dame de Bon-Port, de Pitié, à Mar

seille ; de Notre-Dame de Vie, de Bon-Conseil , des Mi

racles, dans Avignon ou aux environs; de Notre-Dame

de Charité, de Toutes-Grâces , de Bonne-Nouvelle, de la

Victoire, dans Paris ou aux environs; de Notre-Dame

de Bon-Secours, à Nantes; de Notre-Dame la Secou

rante, de Notre-Dame de Bon-Port, à Dol, en Bretagne;

de Notre-Dame de Joie, proche de Péronne; de Notre-

Dame de Liesse, en Picardie; de Notre-Dame de Con

solation, en Flandre; de Noti*e-Dame de Paix, à Rome.

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Et combien d'autres semblables en diverses provinces,

qui n'ont tiré ces noms que des secours qu'on a eus ou

attendus de la Mère de la sainte Espérance comme de

celle à qui tout le monde a recours.

Aussi, je ne veux pas quitter ce riche sujet sans

vous faire part d'un trait de la rare confiance et espé

rance qu'un de ses fidèles serviteurs avait en elle, quj

fut suivi d'un effet admirable du soin et de la provi

dence que la sainte Vierge a de ceux qui ont placé

toute leur espérance en sa maternelle bonté. Ce trait

est rapporté par Vincent, évèque de Beauvais. En voici

le narré, qui est digne d'éternelle mémoire.

Il y avait en Flandre un peintre fort dévot à Notre-

Dame; et d'autant plus il l'aimait, d'autant plus aussi

il haïssait son grand ennemi le diable. C'est pourquoi,

quand l'occasion se présentait, il le peignait sous la

forme la plus hideuse et la plus horrible qui lui était

possible. L'ennemi, ne pouvant souffrir cela, l'avait me

nacé d'en tirer vengeance. Il trouva son temps. Ce

peintre était monté sur un haut échafaud pour peindre

la voûte d'une église de Notre-Dame; après qu'il y eut

reproduit une très-belle image de la Vierge, comme il

peignait sous ses pieds Satan sous la figure la plus hor

rible, ce méchant Esprit, furieux dans sa rage, ébranla

puissamment le théâtre , de sorte que tout se renversa

à terre.

Le peintre, effrayé, tourna aussitôt sa pensée et son

5.

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— -170 —

*

espérance, ses yeux et ses mains vers Celle pour la

quelle il travaillait : O merveille ! au même instant

l'image de la Vierge lui présente les bras et le soutient

jusqu'à ce qu'on lui ait donné du secours.

Ne fait-il pas bon, Philagie, placer son espérance en

un lieu si assuré? et n'ai-je pas bonne raison de dire

qu'il est bienheureux celui qui se confie à Marie?

Je ne saurais assez louer Louis de Bourbon , dit le

Duc, qui , l'an treize cent soixante-dix , instituant l'or

dre des Chevaliers du Cordon de Notre-Dame, com

manda qu'ils porteraient tous les jours une ceinture de

velours, couleur bleu céleste, doublée de satin rouge et

bordée en broderie d'or. Il ordonna encore qu'au grand

collier de l'ordre qu'ils devaient porter aux grandes

fêtes, ce mot d'Espérance y fut richement écrit en let

tres capitales. Comme ce bon prince avait mis toute

son espérance, après Dieu, en la très-sacrée Vierge Mère

de Dieu, il était bien aise que tout le monde le sût , et

que les provinces qui lui appartenaient en fissent autant.

Je ne prétends pas, Philagie, vous faire prendre la

ceinture et le collier de cet ordre, mais vous inviter

à graver bien avant dans votre cœur et à placer bien

souvent sur vos lèvres le mot Espérance, avec le même

dessein que ce bon prince le mettait sur sa ceinture de

velours. Si vous faites cela , vos actions et vos paroles

feront savoir à tout le monde qu'après Dieu, toute vo

tre espérance est en la Reine des Anges.

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DÉVOTION IVe

Pour le quatrième jour de Juin.

Graver et former sur son cœur le nom de Marie, à l'imitation

du dévot François Binans, minime.

J'ai bien . envie , Philagie , puisque tout votre cœur,

tous vos amours et toutes vos espérances sont en Ma

rie, de vous donner de la dévotion à son saint Nom ,

afin que désormais vous l'aimiez de toute votre volonté.

Saint Bonaventure dit qu'il est bienheureux celui qui

aime ce Nom : Beatus qui diligit nomen tuum, beata Virgo.

C'est un Nom de salut pour les chrétiens, dit saint

Chrysologue. Ce nom, dit le savant Idiot, est par des

sus tous les noms, après celui de Jésus. Il n'y a sorte

de malheur ni de danger dont ce nom ne nous délivre,

dit saint Anselme.

Si ce Nom est si admirable et si digne d'honneur, il

faut donc bien lui rendre nos hommages. C'est ce que

nous ferons les quelques jours qui restent de cette Oc

tave, réservant quelques autres honneurs qu'on lui peut

rendre en diverses occurrences pour l'Octave de sa

Nativité , auquel temps environ lui fut imposé ce saint

Nom.

Pour le premier hommage que nous lui rendrons, je

ne veux que celui du dévot Père François Binans, mi

nime. Il grava les noms de Jésus et de Marie, tant il

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aimait la Mère et le Fils, avec la pointe d'un canif sur

l'endroit de son cœur, ce qui lui causa une très-grande

douleur. Il voulait porter sur son corps ces Noms qui

étaient burinés bien avant dans son cœur. Ceci est ad

mirable et non pas imitable.

Aussi je ne prétends pas, Philagie, que vous graviez

de la sorte le nom de Marie sur votre cœur, mais seu

lement avec le doigt , à la façon que vous écririez votre

nom sur une table ou sur le sable. Et comme saint

Edmond formait le nom de Jésus sur son front tous les

soirs avant que de s'endormir, le soir donc, avant de

prendre votre repos, est le temps le plus favorable à

cette pratique. Ce vous sera aussi une occasion de vous

recommander à votre chère Mère, et de lui dire sur le

point de votre sommeil : Vive Marie, vive la gardienne

de mon cœur!

DÉVOTION Ve

Pour le cinquième jour de Juin.

Prononcer souvent le Nom de Marie, à l'imitation d'une

Japonaise.

La sainte Vierge révéla un jour à sainte Brigitte

l'honneur que son cher Fils avait voulu faire rendre a

son beau nom de Marie. Elle lui dit donc : Les Anges,

par la faveur de mon très-honoré Fils, entendant le

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Nom de Marie, se réjouissent, bénissent et remercient

Dieu qui, par une merveille si grande, a uni sa divinité

avec notre humanité. Les âmes du purgatoire, en l'en

tendant nommer, en reçoivent quelque soulagement. Les

Anges gardiens sont fort satisfaits, et ils se joignent plus

intimement à ceux qui sont confiés à leur garde quand

ils prononcent ce Nom sacré. Les démons fuient et quit

tent leur proie à la seule prononciation de ce saint Nom.

Philagie, tout ceci vous invite a prononcer plusieurs

millions de fois le sacré Nom de Marie , votre unique

ment Bien-Aimée , durant toutes les années de vie que

Dieu vous donnera. Vous ferez plaisir aux anges, vous

soulagerez les âmes du purgatoire, vous chasserez loin

de vous l'ennemi.

Commencez aujourd'hui la douce redite de ce beau

Nom : elle vous sera agréable. Dites : Vive Marie,

j'aime Marie ! Ou bien, par forme d'oraison jaculatoire :

Marie, soyez-moi Marie !

Je n'ai garde de passer sous silence le beau trait de

cette dévotion rapporté aux Annales de la Compagnie

de Jésus. — L'an 1621, le baptême fut conféré à une

femme japonaise qui avait été tant adonnée au culte

d'Amida, dieu révéré des Japonais , qu'elle répétait en

son honneur ce nom jusqu'à cent quarante mille fois

tous les jours. A cette fin, elle se levait de grand ma

tin , car un esprit familier avait soin de l'éveiller et de

l'aider dans cette pratique. Dès qu'elle fut chrétienne,

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elle changea cette superstition en dévotion, et s'obligea,

en reconnaissance de sa conversion , de prononcer au

tant de fois tous les jours les sacrés noms de Jésus et

de Marie. Comme le démon ne venait plus l'éveiller le

matin, son Ange gardien le remplaça volontiers dans

cet office, parce que Dieu prenait une grande satisfac

tion à cette simple et toutefois excellente dévotion.

Cent quarante mille fois par jour, c'est beaucoup,

c'est trop, si Dieu n'en donne la grâce particulière.

Philagie, combien de fois êtes-vous résolue de pronon

cer ce beau mot de Marie ! Choisissez un nombre satis

faisant. Quand il est porté à l'excès, il ôte la dévotion;

quand il est médiocre et qu'il est accompli sans em

pressement, il produit de la consolation, et témoigne

des tendresses de nos affections à la Mère de douceur.

DEVOTION VI-

Pour le sixième jour de Juin.

Réciter les psaumes de David et un cantique dont les premiè

res lettres forment le nom de Marie, à l'imitation du bien

heureux Joscio.

Les dévots de Marie ne se contentent pas de cher

cher des pratiques pour aimer et honorer sa personne ;

mais ils en veulent faire autant envers le sacré Nom

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qu'elle porte , parce qu'ils savent que cette invention

peut accroître l'amour qu'ils ont pour elle.

C'est ce qui fait dire à saint Bonaventure : O louable

Marie! il n'est pas possible de prononcer votre Nom

sans vous aimer et sans être enflammé de votre amour ;

on ne saurait penser à vous sans en être réjoui et con

solé! Vous n'entrez jamais dans la mémoire de ceux

qui vous honorent, sans la pénétrer d'une ineffable

douceur !

Le bienheureux Joscio, religieux de Saint-Bertin, dé

sirant participer à ce bonheur, reçut l'inspiration de la

pratique suivante : il récitait tous les jours, à l'honneur

du beau Nom de Marie, le Magnificat, qui est le can

tique de la Vierge, avec le psaume cxix qui commence

ainsi : Ad Dominum cum tribularer; puis le psaume ni

de prime : Retribue servo tuo ; puis le psaume cxxv :

In cotivertendo ; puis enfin le psaume cxxn : Ad te le-

vavi oculos.

Il avait choisi ledit cantique et les psaumes qui le

suivent, selon cet ordre, parce que les premières let

tres de ces psaumes composent le nom de Marie. Il

commençait chacun de ces psaumes par un Ave Maria,

et le finissait par le verset : Post partum , Virgo invio-

lata permansisti; Dei genitrix, intercede pronobis; et puis

l'oraison Concede.

Pour ne pas vous donner la peine de chercher ailleurs

le susdit cantique et les psaumes, vous les trouverez

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tous au petit Office de la sainte Vierge, au commence

ment de tierce, sexte et none. Quant au psaume Retri

bue, il est à prime du grand Office.

Philagie, selon votre loisir, aujourd'hui honorez ainsi

le nom de Marie; car, après le nom de Jésus, c'est

celui-ci que votre cœur chérit et honore le plus. Il

suffit de vous dire que la sainte Vierge agrée cette dé

votion ; car le bienheureux Joscio eh fut reconnu mira

culeusement de sa chère Dame. Après sa mort, deux

roses vermeilles sortirent de ses yeux, autant de ses

oreilles, et une de sa bouche, et sur chacune d'elles

était écrit le commencement d'un des susdits psaumes

et cantiques.

DÉVOTION VIIe

Pour le septième jour de Juin.

Réciter le cantique de la sainte Vierge et quatre oraisons ou

hymnes dont les premières lettres composent le nom de

Marie, à l'imitation du bienheureux Jourdain.

Invention sur invention pour honorer le nom de

Marie ! Je trouve que le bienheureux Jourdain, général

de l'ordre de Saint-Dominique, avait une dévotion pres

que conforme à la précédente.

Au bout de chaque psaume et du cantique, il fléchis

sait le genou jusqu'à terre. Mais un dévot personnage

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de l'ordre de Saint-Benoît invitait souvent les serviteurs

de la sainte Vierge à se servir, au lieu des psaumes, de

quelques oraisons ou hymnes toujours pour honorer le

Nom de Marie.

Commencez par le Magnificat, puis dites : Ave, Regina

cœlorum; ajoutez le Regina cœli, l'oraison Inviolata et

l'Ave maris stella. Tout ce qu'il faut se trouve en ces

oraisons, et elles sont dans vos heures, excepté Inviolata

que voici :

Inviolata, integra et casta es, Maria,

Quœ es effecta fulgida cœli porta.

O Mater aima Christi carissima,

Suscipe, pia laudum prœconia.

Nostra ut pura pectora sint et corpora,

Te nunc flagitant devota corda et ora.

Tua per precata dulcisona,

Nobis concedas veniam per secula.

0 benigna! 0 Regina! O Maria!

Quœ sola inviolata permansisti.

Philagie , aujourd'hui honorez ainsi le beau Nom de

votre chère Mère, et à la fin de chaque oraison, hymne

et cantique, fléchissez le genou devant une image de

la sainte Vierge.

Résolument il faut honorer son saint Nom en toutes

les façons qui nous seront possibles, d'autant plus que

ses serviteurs ont fait la même chose et nous en ont

donné l'exemple.

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Nous avons des preuves multipliées que Dieu agrée

et favorise ceux qui honorent et qui invoquent la sainte

Vierge par ce saint Nom. C'est un nom qui est un signe

de bonheur a ceux qui sont hors du vrai chemin quand

ils le prononcent.

Vincent, dévot prélat de Beauvais, raconte qu'une

Juive était depuis plusieurs jours en mal d'enfant, avec

des douleurs presque insupportables qui eussent pu la

conduire à la mort, sans pouvoir se délivrer de son

fruit. Dans cette extrémité, elle entend une voix qui

lui dit : Prononce et invoque le Nom de Marie, et tu

seras délivrée. Elle le fit , et la voilà aussitôt délivrée.

Les autres Juives, pour lui avoir entendu prononcer cet

aimable Nom, voulurent la faire mourir et la mettre

en pièces ; mais sa chère libératrice l'assista. Elle ne fut

pas ingrate, mais reconnaissante de cette faveur : car,

aussitôt après ses couches, elle se fit chrétienne; et

toute sa vie, elle aima la Mère de Dieu, et singulière

ment son sacré nom de Marie.

DÉVOTION VIIIe

l'ouï? le huitième jour de Juin.

Aimer tendrement et ardemment le Fils de Dieu notre Sauveur,

pour l'amour de sa sainte Mère, à l'imitation de sainte Bri

gitte.

Philagie, à l'Octave de la Fête du Cœur de la Mère

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de Dieu, il faut bien vous inciter à aimer ce que ce béni

et amoureux Cœur a le plus ardemment chéri.

Aussi c'est l'avis que la sainte Vierge donnait un jour

à la bienheureuse sainte Brigitte : Ma fille, si tu me

veux obliger et me rendre quelque grand et agréable

service, aime mon Fils Jésus pour l'amour de moi ; aime-

le surtout pour l'amour de lui-même, attendu qu'il est

le plus beau et le plus aimable de tous les enfants des

hommes; le plus doux, le plus parfait, et le plus digne

d'être chéri, servi et honoré pardessus tout ce que tu

saurais imaginer.

Je ne veux pas à cette heure, Philagie, m'enquérir

pourquoi la sainte Vierge recommande si fort d'aimer

son cher Fils. Comme elle l'aime passionnément, elle

désire aussi qu'il soit aimé des autres de la même façon.

Et comme l'amour se chasse par un autre amour, elle

désire que le tendre amour de son Fils possède nos

cœurs, afin d'en bannir et exclure tout sentiment de

l'amour naturel et propre. Car, comme dit saint Bernard

sur les Cantiques, si le Fils de Dieu s'est revêtu de notre

chair, c'est afin que ceux qui n'avaient pas encore l'a

mour assez épuré pour aimer l'esprit, fussent attirés au

pur amour par celui d'une chair toute sainte et divine

qu'ils pouvaient innocemment aimer.

Philagie, une seule raison vous doit suffire pour aimer

Jésus avec ardeur, qui est que, puisque vous aimez

Marie, il est plus que raisonnable que vous aimiez autant

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que vous pourrez tout ce qu'elle aime ; et d'autant plus

qu'elle aime quelque objet, d'autant plus aussi le devez-

vous aimer. C'est là l'une des lois fondamentales d'un

amour véritable et parfait , d'aimer tout ce que le Bien-

Aimé chérit. Or, vous savez assez le suréminent et non-

pareil amour dont Marie aime son cher Fils et aimable

Jésus. Aussi, je n'entreprends pas de vous le dire, non

plus que la manière d'aimer ce même Sauveur, soit par

la dévotion du saint Sacrement, soit par compassion à

la sainte Passion, soit par la vénération pour son saint

Nom, soit par les prières, les bonnes œuvres, les travaux

et les souffrances pour sa gloire.

Néanmoins, pour vous indiquer a mon ordinaire quel

que pratique, je vous conseille, pour l'amour que vous

portez à Jésus en qualité de Fils de Marie, de faire

quantité d'actes d'amour de Jésus, ou bien de dire votre

chapelet avec la pensée qu'avait celui dont il est parlé

en la Triple Couronne, qui , disant son chapelet , n'avait

que ces deux pensées : Jésus, Fils de Marie; Marie, Mère

de Jésus ! Ajoutez-y, si vous voulez: J'aime Jésus, Fils

de Marie; j'aime Marie, Mère de Jésus! Ou bien, vous

entretenant doucement avec Jésus et Marie , leur par

lant avec des paroles d'affection, comme faisait le dévot

Alphonse Rodriguez, répétez souvent ces paroles que le

même Jésus-Christ lui avait enseignées : Jésus et Marie,

mes très-douces amours, que je souffre, que je meure pour

l'amour de vous! que je sois tout a vous, et rien a moi!

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CHAPITRE VII

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE PIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE SA CHARITABLE VISITATION, LE XI DE JUILLET.

DEVOTION PREMIÈRE.

Pour le deuxième jour de Juillet.

Visiter les églises et autres lieux dédiés à la, Mère de Dieu, à

l'imitation de saint Charles Borromée.

Philagie , au jour de la Visitation de la glorieuse

Vierge, faites de votre côté vos visites. Vous ne faites

pas de pèlerinages aux saintes chapelles de la Vierge :

voici vos petits pèlerinages; faites-les tous dans un jour.

Autant de chapelles ou çndroits dédiés à la sainte Vierge

qui sont aux lieux où vous aurez occasion d'aller, je

vous conseille de les visiter aujourd'hui, et de faire en

eux quelques courtes et dévotes prières à la bonne

Mère : ce sera le jour de vos meilleurs compliments.

Et si, à chaque visite, vous obtenez quelque grâce ou

vertu de la sainte Vierge, vous voilà riche dans un

jour.

Cette dévotion vous doit être d'autant plus recom

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mandable qu'elle était gardée par le bienheureux car

dinal saint Charles Borromée, et qu'elle convient tout

particulièrement pour les jours de Fêtes , surtout de

celles de la Vierge. Car, comment saurait-on mieux

passer la journée et employer saintement les fêtes qu'en

rendant ces compliments à la Mère de Dieu , et la visi

tant dans les maisons de son domaine ?

Ce temps est bien mieux employé qu'en ces visites

longues qu'on fait aux accouchées, aux salles de bal,

aux réunions profanes où la dévotion, le temps, l'ar

gent , la pureté , la conscience se perdent pour l'ordi

naire ou courent grand risque de périls notables.

Ces saintes visites pour honorer la Mère de Dieu et

ces petits pèlerinages bien faits valent souvent plus que

les grands, qui sont sujets h tant de distractions.

En telle ville , en tel lieu , vous pourriez rencontrer

tant d'églises ou chapelles de la Mère de Dieu que vous

auriez peine de les visiter à l'aise dans un jour. Dans

Rome, il y en a quarante-six; dans Milan, il y en a

autant que de jours en l'année , et la plupart sont des

églises dédiées à la sainte Vierge. Dans Naples, il y en

a plus de quatre-vingts ; dans Marseille ou à la porte ,

il y en a soixante , et ainsi des autres villes qui ont de

grands ou pareils nombres d'églises dédiées à la Mère

de Dieu.

En tel cas, ne les visitez pas toutes dans un jour. Il

suffit qu'en celles où vous irez, vous visitiez votre chère

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Mère avec l'amour et la charité qu'elle manifesta en

visitant aujourd'hui sa cousine sainte Elisabeth.

DÉVOTION IIe

Pour le troisième jour de Juillet.

Visiter souvent quelque lieu et oratoire où soit l'image de la

sainte Vierge, à l'imitation de la bienheureuse Victoire.

Choisissez , Philagie , ou de saluer tous les jours de

votre vie l'image de la sainte Vierge, ou de la placer

en quelque lieu particulier où elle puisse être honorée ;

ou bien, pour suppléer a cela aujourd'hui, allez souvent

l'honorer et faire devant elle quelque prière. Pour tout

avertissement à ce sujet, je n'ai qu'à vous dire que

celui qui aime Marie s'acquitte bien volontiers de ce

compliment.

La bienheureuse Victoire ne manquait point de saluer

plusieurs fois tous les jours une dévote image de la sainte

Vierge , sa bonne Mère , qui était dans l'enclos de son

monastère.

Qui empêche les personnes religieuses d'en faire autant

à quelque image de la sainte Vierge, de celles qui sont

par la maison , soit aux galeries , soit à l'entrée d'une

chambre, ou ailleurs ! Et s'il y en a plusieurs de telles,

puisqu'elles ne peuvent sortir, qui les empêche de les

visiter et saluer toutes? Pour suppléer à cette pratique,

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observez que qui fait tout ce qu'il peut, fait ce qu'il

faut.

Les Avignonais sont remarquables et louables en ces

visites : tous les jours on en voit quantité aller à l'église

Notre-Dame des Dons , église fort ancienne et célèbre ,

pour donner le bonjour ou le bonsoir à cette glorieuse

Princesse. Quelque temps qu'il fasse, ou froid, ou chaud,

ils seraient bien marris de ne pas la saluer tous les jours.

Le dévot Berkman, de notre Compagnie, avant qu'il fut

religieux, allait souvent à Notre-Dame de Montaigu, qui

était à une lieue de sa ville, dans le plus parfait silence

et disant son chapelet. Après, étant au collége Romain,

où il y a une chapelle dédiée à la sainte Vierge, jamais

il ne manquait tous les jours de la saluer, de lui témoi

gner qu'il n'avait d'autre Dame et Maîtresse qu'elle, à

l'exemple de saint Bernardin de Sienne , qui a été l'in

comparable , même dès sa jeunesse , en cette dévotion

dont je parle ; car il allait tous les jours visiter et sa

luer une image de la sainte Vierge qui était en l'une

des portes de la ville de Sienne , lui offrant son cœur

comme à sa chère Maîtresse.

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DÉVOTION IIIe

Tour le quatrième jour de Juillet.

Se priver de sommeil quelque veille de Fête de la sainte

Vierge, à l'imitation de saint Xavier.

C'est demain la fête des Joies de la glorieuse Vierge.

Comme nous voici a la veille, donnez-lui, Philagie, ce

soir quelques heures de votre sommeil. Pensez à ses

joies ; méditez quelque trait des mystères joyeux, selon

qu'il vous plaira, devant son autel ou son image, la

tenant à la main , debout ou à genoux , selon votre

dévotion.

Vous ferez plus que je ne vous saurais dire, si vous

vous remettez en mémoire le bien qui revint à saint

Ignace , notre patriarche , pour avoir passé la nuit ,

avant la fête de l'Annonciation, en prières devant l'au

tel de sa chère Mère à Mont-Serrat; et à saint Fran

çois-Xavier, qui passait fort souvent les nuits en collo

ques avec la sainte Vierge lorsqu'il travaillait aux

Indes; et à l'impératrice Pulchérie, qui, selon la sainte

coutume de son temps à Constantinople , les mardis et

mercredis, faisait sa dévotion en veillant dans l'église

de Notre-Dame.

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DÉVOTION IVe

Four le cinquième jour de Juillet.

Se réjouir des faveurs de la sainte Vierge , à l'imitation de

saint Thomas, archevêque de Cantorbéry.

Puisque aujourd'hui, Philagie, quelques églises font la

mémoire et fête des Joies que la glorieuse Vierge a

reçues, je ne saurais offrir en ce saint jour de meilleur

sujet à votre entretien que de ces mêmes joies.

Ce fut jadis la dévotion de sainte Mecthilde; car,

comme cette sainte fille désirait offrir à la Mère de

Dieu quelque chose qui lui fût agréable , Notre-Dame

lui dit : Ma fille , fais-moi ressouvenir de la joie que

recut mon Cœur lorsque le Fils de Dieu sortit du sein

de son Père pour se loger dans mes flancs, et de celle

encore que j'éprouvais lorsque j'enfantais ce cher Fils

devenu le mien.

Saint Thomas, archevêque de Cantorbéry, disait tous

les jours sept Ave Maria en mémoire des sept joies que

la sainte Vierge reçut ici-bas lorsqu'elle était encore

sur la terre; savoir : l'ambassade de saint Gabriel, la

visite de sa cousine, la naissance de son Fils, l'adora

tion des Mages, le recouvrement, la résurrection et

l'ascension de ce même Fils.

Sur quoi Notre-Dame lui apparut, et lui dit qu'il

fallait encore se réjouir avec elle des joies qu'elle re

cevait dans le ciel. Elle ajouta qu'elle assisterait à

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l'heure de la mort celui qui le ferait ainsi , et qui lui

donnerait cette joie et cette consolation, avec assurance

qu'elle aurait soin de son âme pour la conduire au

royaume de son Fils.

Elle ajouta de plus les points suivants, dont il fallait

se conjouir avec elle, savoir : de ce qu'aucune créature

ne la surpasse en gloire; de ce que l'excellence de sa

virginité surpasse celle de tous les Ordres, tant des

Anges que des hommes; de ce que les splendeurs de

sa belle face éclairent la sainte Sion comme un beau

soleil ; de ce que tous les citoyens de la céleste Jéru

salem l'honorent et reconnaissent comme la très-digne

Mère de Dieu ; du crédit qu'elle a sur toutes les volon

tés de son cher Fils, duquel elle n'est jamais éconduite;

du moyen qu'elle a d'avancer tous ses fidèles serviteurs ;

de ce que sa joie recoit et recevra toujours quelque

surcroît pendant toute la durée des siècles; de ce que

l'honnenr qu'elle recoit au Ciel ne durera pas moins

que toute une éternité.

Qui doutera , après cette recommandation , que la

sainte Vierge ne prenne plaisir et ne récompense la

pensée et l'honneur qu'on rend à ses saintes joies? Quoi

de pareil, en preuve de cela, que l'histoire qui est tirée

des Annales de Bancius.

L'an 1608, il y a environ vingt-six ans, * la sainte

* Le Père de Barry parle de l'époque où il écrivait.

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Vierge apparut à un luthérien nommé Martin Gutric ,

natif de Cumberg, en Allemagne, l'avertissant qu'elle

le devait conduire au ciel la veille de Noël. Elle lui

ordonna de se réconcilier à l'Eglise catholique, et de se

disposer a ce passage par la réception des Sacrements.

Elle ajouta qu'il eût à s'adresser pour cet effet au Père

Frédéric Fournier, qui prêchait alors à Bamberg. C'est

ce qu'il fit.

Le Père, étonné de ce changement opéré par la faveur

de la Vierge, s'informe de ses bonnes œuvres et des

services qu'il pourrait avoir rendus à cette sainte

Vierge. Il apprit que tous les matins il récitait sept

fois l'Ave Maria tout entier à notre manière, et autant

de fois tous les soirs ; que son dessein était de rappeler

à la Reine des Anges l'honneur et le contentement

qu'elle avait reçus lors de l'Incarnation de son Fils. Le

Père jugea bien que c'était là ce qui avait ému les en

trailles de la sainte Vierge et qui l'avait incliné à assis

ter ce pauvre égaré.

Que dites-vous à tout ceci, Philagie? Mais que vou

lez-vous faire? Qui voulez-vous imiter de ces deux, ou

saint Thomas, ou ce bon converti? Ce n'est pas tant

que de sept Ave Maria à l'honneur de toutes les joies

que la sainte Vierge a jamais reçues !

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DÉVOTION Ve

Pour le sixième jour de Juillet.

Reconnaître les faveurs et bénéfices reçus de la main de la

sainte Vierge, à l'imitation de sainte Mecthilde.

Nous avons tous des obligations infinies à la Mère de

Dieu : elles sont générales et particulières. C'est pour

nous un devoir de les reconnaître. Pour cela, je vous

conseille, Philagie, de dresser une liste des faveurs par

ticulières que vous croyez avoir rerues de la sainte

Vierge tout le temps de votre vie, après une sérieuse

considération que vous ferez aujourd'hui en votre ora

toire, à une heure favorable et destinée à cela. Encore

serait-il mieux si, après la susdite considération, vous

faisiez un bon-propos d'en dire grand merci de temps

en temps à votre chère Bienfaitrice.

Ou bien, aujourd'hui, faites ce que fit sainte Mechtilde,

qui, une fois qu'elle était en peine de savoir de quelle

manière elle témoignerait sa reconnaissance envers la

glorieuse Vierge, reçut cette instruction du Fils de Dieu.

Comme elle était toute triste de n'avoir rien fait encore

pour Elle qui méritât d'être considéré, le Sauveur lui

apparut et lui dit : Ma fille, pour toutes les faveurs que

tu as recues par l'entremise de ma chère Mère, loue la

rare fidélité avec laquelle elle a agréé et accompli ton tes

les volontés de mon Père, soit en ce qui me touche,

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soit en ce qui la concerne; loue sa rare fidélité à me

rendre tous les services imaginables, et à ressentir au-

dedans de son âme tous les tourments que j'ai soufferts

en mon corps; loue encore sa nonpareille fidélité à

s'employer même maintenant à me gagner les âmes, et

l'assiduité dont elle use pour les ramener à mon bercail.

Philagie, puisque cette pratique a été dictée par la

bouche du grand Maître, nous aurions tort de la refuser,

et nous perdrions notre temps d'en chercher une autre

qui soit plus propre à reconnaître tant de bienfaits dont

la toute obligeante Mère de Dieu nous a obligés.

Louez-la donc comme il vient d'être dit, en recon

naissance de tant de bénéfices visibles et invisibles que

vous avez reçus de sa maternelle bonté. Vous en con

naissez bien quelques-uns maintenant, et vous ignorez

les autres. Au ciel tout vous sera découvert. Cependant

n'épargnez pas ses louanges. Que si vous ne savez com

ment la louer, dites alors quelques Ave Maria, en*

nombre égal à celui des bienfaits que vous aurez re

connu et marqué comme provenant de la sainte Vierge ;

ou bien, dites-lui cent fois aujourd'hui : Ma très-douce

Mère, grand merci de toufes vos faveurs; vive et vienne

le Ciel, qui me donnera le moyen de vous en remercier

durant toute l'éternité !

Après les paroles, passez aux effets. Voyez si vous

n'auriez pas de quoi donner à la postérité des témoi

gnages de votre reconnaissance pour les bienfaits les

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plus signalés reçus de la royale main de la Mère de Dieu.

Les plus fidèles amants en ont toujours usé de la sorte.

Ladislas, cinquième roi de Pologne, après avoir rem

porté une victoire signalée sur les Prussiens, lui fait

bâtir un beau monastère à Lublin, en faveur des filles

de l'ordre de Saint-Sauveur, qu'il nomma le Triomphe

de la Vierge. Il témoignait par ce beau nom qu'il avait

triomphé sous les auspices de la sainte Vierge. Une autre

fois elle lui obtint la grâce du Ciel de convertir à la foi

chrétienne plus de trente mille païens. Aussitôt, plein

de reconnaissance à sa chère Protectrice , il fait bâtir

une maison dans laquelle il établit un beau chapitre et

une si grande quantité de chanoines et de chapelains,

qu'il n'y avait pas un seul moment, soit de nuit, soit de

jour, qu'on ne chantât continuellement les louanges de

la glorieuse Vierge aussi bien que celles de son Fils.

Mais pour ne mentionner que ce que nous avons vu

en nos jours, notre roi invincible et chéri du ciel et de

la terre, Louis-le-Juste, Louis le nonpareil, ne se fut

pas sitôt, à la faveur de la Mère de Dieu, rendu maître

et victorieux de la rebelle ville de la Rochelle , qu'il

entra dedans, et ordonna qu'on y bâtit une église à la

sainte Vierge sous le nom de Notre-Dame de la Vic

toire. Et il ne voulut pas sortir de là qu'on n'y eût

jeté les fondements et que lui-même de sa. main royale

n'y eût mis la première pierre.

Philippe III, roi d'Espagne, recut par les prières qu'il

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fit à la Mère de Dieu la santé de son père Philippe II,

dangereusement malade, lorsqu'il fit son voyage d'Ara

gon. Tout aussitôt, par un mouvement de reconnais

sance, il offre à la même Vierge, en action de grâces

de la santé rendue à son père, deux belles couronnes

d'or fin, une pour le petit Jésus, et l'autre pour sa sainte

Mère.

DEVOTION VIe

3?our le septième jour âe Juillet.

Entendre ou faire dire des Messes de la bienheureuse Vierge ,

à l'imitation de Vaultier de Bibrac.

Le samedi, pour l'ordinaire, les dévots de la sainte

Vierge ne manquent pas d'entendre la Messe qui se dit

en son honneur. Et si leurs occupations ne permettent

point qu'aux autres jours de la semaine ils assistent a

ce divin sacrifice, néanmoins, comme le samedi leur est

un jour de fête, ils n'oseraient y manquer ce jour-là :

ils craindraient de manquer la Messe qui se dit à l'hon

neur de leur chère Maîtresse.

Philagie, je veux croire que vous entendez tous les

jours la Messe : il vous sera donc bien aisé de recher

cher l'occasion d'entendre celles qui se disent de Notre-

Dame, un jour au moins de cette Octave. Faites-le,

et quand même il vous en devrait coûter de l'argent

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pour en faire dire une (ne reculez pas) ; si l'argent vous

manque, ce sera assez de prendre occasion de l'entendre.

Pour servir la Vierge et l'honorer, il ne faut pas

épargner la bourse : elle aura bien d'ailleurs le moyen

de vous enrichir. On ne perdit jamais pour avoir donné

aux pauvres ou aux églises quelque pièce d'argent à sa

considération. Le trait que je m'en vais raconter suffira

pour vous donner envie de pratiquer ce qui vient d'être

dit.

Vaultier de Bibrac, brave cavalier, et encore plus

brave serviteur de la Mère de Dieu, allait à un célèbre

tournoi auquel il avait été convié avec quelques autres

seigneurs. L'occasion s'étant présentée pour lui d'ouïr

la Messe sur le chemin, il les supplia de s'arrêter. Mais

comme ils craignaient d'arriver trop tard, ils s'excusè

rent et passèrent outre.

Cependant Vaultier descend de cheval, fait dire une

messe de Beata, et l'entend tout entière. S'étant recom

mandé avec confiance à la sainte Vierge et lui ayant

fait son offrande, il se mit en devoir de les suivre.

Comme il approchait du lieu destiné au combat, il

demanda à quelques-uns des seigneurs qu'il rencontra

si ce tournoi était commencé. Ceux-ci, sans le connaî

tre , répondirent que oui , qu'un certain Vaultier de

Bibrac faisait des merveilles , et qu'on ne parlait que

de lui.

C'est que la Mère de bonté, qui n'avait pas voulu

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permettre 'que son serviteur souffrît la moindre perte,

même en une chose indifférente , pour lui avoir rendu

ce petit service, avait donné ordre à un Ange de com

battre à sa place, tandis qu'il vaquerait à sa prière et

à sa dévotion.

Qui le dirait, que la Mère de douceur agrée tout ce

qui se fait pour l'honorer, et que les secours et les ré

compenses, tôt ou tard, ne manquent jamais !

Il faut que je vous serve deux beaux traits plus mo

dernes que celui-là. Jean Nugnez, de notre Compagnie,

qui ,[pour ses rares mérites, fut fait patriarche d'Ethio

pie, avait de grandes peines à se résoudre de quitter le

monde et de faire choix d'une sainte religion. Ce n'est

pas que déjà il ne fût grand serviteur de Dieu et estimé

pour tel , puisque communément on l'appelait le saint

abbé; mais Dieu le voulait ailleurs.

Cependant, plus il priait, plus il éprouvait de plus

grands orages et de plus vives inquiétudes dans son

cœur. Ils ne cessèrent que lorsqu'enfin il appela tout

de bon la Mère de Dieu à son secours. Pour se la ren

dre plus favorable, il se proposa de lui dire un certain

nombre de Messes. Ces Messes ne furent pas plutôt di

tes, que la sainte Vierge lui apparut. Elle lui enseigna

la route qu'il devait tenir, de se ranger chez nous.

C'est ce qu'il fit, avec autant de bonheur et de promp

titude que de quiétude et repos d'esprit.

Jean Berkman eut un pareil succès dans le dessein

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qu'il avait de quitter le monde. Quand il fut sur le

point de se résoudre pour le genre de vie qu'il embras

serait, il s'adressa alors à la sainte Vierge avec plus

d'instance que jamais. Il la pria de lui donner des

preuves de l'affection qu'elle lui portait. A cet effet, il

fit dire le plus de Messes qu'il put à l'autel Notre-Dame

de Montaigu , ce qui lui réussit selon qu'il souhaitait :

car la sainte Vierge ne tarda pas de lui faire connaître

que la volonté de son Fils était qu'il entrât dans la

Compagnie de ce même Fils.

DEVOTION VIP

Pour le huitième jour de Juillet.

Dévotion aiua Saints qui sont de la Famille ou parenté de la

sainte Vierge, à l'imitation de sainte Thérèse.

Qui ne sait la grande dévotion de sainte Thérèse au

glorieux saint Joseph , comme époux de sa chère Mère

la glorieuse Vierge? Je désire, Philagie, que vous ayez

une pareille dévotion à saint Joseph et aux autres

saints qui sont de la sainte Famille. de la glorieuse

Vierge, ou qui ont l'honneur de lui appartenir.

Tout à propos, durant cette Octave, vous pouvez

pratiquer cette dévotion pour imiter la même Vierge,

qui honora sa cousine sainte Elisabeth, saint. Zacharie,

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saint Jean-Baptiste, en la visite qu'elle fit en leur

maison.

Je tiens pour certain que la dévotion que je vous

propose est bien agréable à la Mère de Dieu : témoin

l'amoureux reproche qu'elle fit un jour à un de ses dé

vots qui n'avait pas de dévotion pour sa mère sainte

Anne. Vous serez bien aise de savoir les particularités

de ce reproche.

La cathédrale de Reims est une église dédiée à la

Mère de Dieu et fort célèbre. Hors du chœur de cette

église, il y a un tableau assez ancien écrit en lettres

gothiques. Il y est dit qu'un Romain, fort affectionné

à la sainte Vierge, lui récitait tous les jours plusieurs

oraisons, nommément l'Ave Maria. Comme un jour il

était en prières, Notre-Dame lui apparut, et lui dit,

entr'autres choses, qu'elle eût désiré qu'il eût encore

prié et salué sa mère sainte Anne. Ce bon homme lui

ayant répondu qu'il ne savait pas de prière pour lui

dire, la sainte Vierge lui répartit : Quand vous serez'

arrivé à ces paroles de l'Ave Maria : et benedictus fruc-

tus ventris lui, Jesu, ajoutez celles-ci : et benedicta sit

sancta Anna mater tua, ex qua sine macula caro tua

processif virginea. Et puis poursuivez : Sancta Maria...

et le reste.

De peur d'un pareil reproche, vous qui aimez et

priez souvent la sainte Vierge, priez encore et ayez

quelque dévotion aux Saints et aux Anges qui ont eu

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l'honneur de lui être plus proches. Vous savez que saint

Joseph a été son époux , sainte Anne sa mère , saint

Joachim son père, saint Gabriel son archange, saint

Jean l'Evangéliste son gardien et premier fils par

adoption , sainte Elisabeth sa cousine , saint Zacharie

et saint Jean-Baptiste ses parents.

Si vous ne savez que faire à l'honneur de ces Saints,

priez-les aujourd'hui tous ensemble; demandez-leur de

vous obtenir une cordiale affection pour Notre-Dame, et

donnez-leur une place dans vos Litanies particulières,

afin que, désormais, vous ayez occasion de les invo

quer souvent en qualité de favoris, parents et alliés de

votre souveraine Princesse et de la Bien-Aimée de vo

tre cœur.

DÉVOTION VIIIe

Pour le neuvième jour de Juillet.

Visiter les églises, chapelles ou autres lieux saints destinés à

honorer la mémoire des Mystères de la Passion de Notre-

Seigneur, à l'imitation de la glorieuse Vierge Marie.

A l'Octave de la Visitation de la sainte Vierge, il faut

se souvenir, à l'exemple de la même Vierge, de visiter

les lieux destinés à la mémoire de la passion de son

Fils. Il y a fort peu de villes où il n'y ait toujours

quelque église ou chapelle dédiée à quelque mystère

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de la passion de Notre-Seigneur, au crucifix, ou (sim

plement) à la Croix, ou à l'Ecce-Homo , ou au Cal

vaire, ou autre semblable.

Il y a même quelques villes qui ont des petites colli

nes voisines qui leur représentent le Calvaire et les

autres lieux sanctifiés par les douleurs et tourments

que souffrit notre Rédempteur. Et les dévots à la

Passion du Sauveur les visitent les vendredis , et les

autres jours de temps en temps. Il y a aussi des mai

sons religieuses qui, dans leurs enceintes, ont de petits

lieux de dévotion et oratoires destinés à la mémoire de

tels de ces mystères, et les religieux ou religieuses y

vont en certains temps faire leurs petites stations et

dévotions.

Philagie, si aujourd'hui vous avez de pareilles occa

sions, faites-y vos visites et vos dévotions. En faisant

ainsi, vous serez agréable à la sainte Vierge, puisque

vous l'imiterez en l'une de ses plus tendres dévotions et

pratiques qui lui étaient ordinaires, comme on a su par

tradition, et selon la révélation qui en fut faite à sainte

Brigitte. « Elle allait, après ^'ascension de son Fils au

Ciel, visiter tous les jours les saints Lieux où le Sauveur

son cher Fils avait prié, ou souffert, hors de Jérusalem,

en -sa sainte passion. Elle faisait là ses prières, baisait

les endroits où il avait passé et souffert, surtout au

Calvaire et au Jardin où il avait sué si abondamment

son précieux sang. Elle y allait accompagnée des bon-

\

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— 199 —

nes Dames dévotes qui étaient à Jérusalem. C'était là ses

chères délices de se rappeler ce que son cher Jésus avait

enduré, et de baiser les lieux où son Fils avait laissé

empreintes les marques de notre rédemption. »

Il ne faut nullement douter que ce ne soit une dé

votion agréable h la sainte Vierge, si nous en faisons

autant. Voici la preuve que je vous en donne , par le

récit de ce qui arriva à une sainte âme qui , comme il

y a apparence, visitait, à l'exemple de la sainte Vierge,

de semblables lieux.

C'est à la bienheureuse Zite, native de Lucques, qui

mourut l'an 1278. Au retour de la visite des saints

Lieux, qui sont hors de la ville de Lucques, se trouvant

fatiguée, elle s'assit près d'une fontaine. Comme il se

faisait tard , une Dame fort honnête se présenta à elle ,

et lui demande si elle ne voulait pas aller à la ville.

La bienheureuse Zite ayant répondu que oui , elles se

mirent en chemin; et s'étant entretenues de bons dis

cours jusqu'à la porte de la ville, elles la trouvèrent fer

mée. Mais comme elles s'en approchèrent de plus près,

elle s'ouvrit incontinent, de sorte qu'elles entrèrent.

Zite , étant près de son logis , fit ce qu'elle put pour

retenir cette brave Dame. Et comme elle la pressait

vivement, tout-à-coup elle disparut. L'affection tendre

que Zite sentit en son cœur envers la sainte Vierge, lui

servit de preuve certaine que c'était elle qui lui avait

fait cette faveur tant signalée.

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CHAPITRE VIII

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR SES FÊTES DU SAINT

SCAPULAIRE , DES ANGES ET AUX NEIGES QUI SE RENCONTRENT

A LA MI-JUILLET ET AU COMMENCEMENT D'AOUT.

DEVOTION PREMIERE.

Pour le seizième jour de Juillet ou le cUïnaliclie

voisin.

Faire quelque mortification extérieure, à l'imitation des Con

frères du Saint-Scapulaire et de la bienheureuse Madeleine

de Pazzi pour le 16 de juillet, jour dédié au saint Scapu

laire.

Le bienheureux Simon Stok , Anglais de nation , dô

l'ordre des révérends Pères Carmes, fut celui à qui la

sainte Vierge donna le saint Scapulaire en récompense

du grand amour qu'il avait pour elle.

Une nuit qu'il était en prières devant une image de

la sainte Vierge , lui demandant quelque faveur pour

l'Ordre qu'elle avait choisi , tout-à-coup elle lui appa

rut dans une admirable clarté, au milieu d'une grande

troupe d'Anges. Elle lui donna le saint Scapulaire, et

elle l'assura que ce serait désormais le gage héréditaire

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de l'affection qu'elle portait à l'Ordre et l'enseigne de la

Confrérie.

Depuis, on a pu se convaincre qu'elle a, en effet,

donné sa bénédiction à cette Confrérie. Il ne faut pour

cela que voir toutes les villes de la chrétienté où se

trouvent les Pères de cet Ordre; car où ils sont, ces

confréries sont en vogue, pour la consolation de ceux

qui portent ce saint Scapulaire et qui pratiquent les

règlements de la Confrérie.

J'ai rapporté ailleurs quelque trait de l'assistance de

la sainte Vierge envers ceux qui s'en acquittent comme

il faut. J'ajoute ici avoir connu un religieux qui, ayant

autrefois porté les armes , assurait que ni lui , ni six

autres de ses compagnons qui portaient tous le saint

Scapulaire de la sainte Vierge, ne furent jamais blessés

lorsqu'ils se rencontrèrent aux mêlées, aux mousque-

tades et autres occasions; tandis que quantité des au

tres soldats qui étaient avec eux furent souvent blessés.

C'est ce qu'il croit avoir été une faveur particulière de

la sainte Vierge, qui bénissait leur dévotion au saint

Scapulaire.

Philagie, si vous êtes de cette Confrérie, c'est un

bonheur pour vous. Peut-être n'en pouvez-vous pas

être. Quoi qu'il en soit, voici ce que je vous conseille

de faire aujourd'hui, à l'honneur de la sainte Fête que

font ces bons confrères.

Choisissez une mortification extérieure telle qu'il vous

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plaira, et pratiquez-la pour l'amour de la sainte Vierge.

Il y en a un grand nombre qui font de semblables mor

tifications à son honneur au jour de ses fêtes , ou la

veille , ou en un autre temps : un tel prend la disci

pline, un autre porte le cilice, ou la haire, ou quelque

chaînette sur la chair nue; un autre visite l'hôpital;

un autre couche sur la dure; un autre prive ses yeux

de la vue d'un bel et agréable objet ; un autre se mor

tifie d'une facon ou d'une autre pour se faire aimer

de la Mère de bonté. Les jeunes enfants même s'en

mêlent.

Le bienheureux Jean Berkman, étant encore petit

écolier, se privait, à l'honneur de la sainte Vierge sa

bonne Mère, de ses petits déjeûnes et petites collations,

et puis on les trouvait par-ci par-là en la maison.

Toutes ces pratiques sont bien belles et agréables à

la Mère de Dieu. Car, entreprendre quelque mortifica

tion extérieure pour son amour, c'est un vrai moyen

pour avoir part à ses bonnes grâces , comme nous le

savons par ce que dit un jour la bienheureuse Made

leine de Pazzi, après un grand ravissement qu'elle avait

eu sur la considération de la glorieuse Assomption de

Notre-Dame. Tout-à-coup elle se prit à dire avec un

visage beau et lumineux : « Légèreté du corps , joie

du cœur, avidité en l'entendement, souvenir des bien

faits en la mémoire , pureté en l'intention , simplicité

dans. les actions, vérité dans les paroles, mortification

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dans les sens, telles sont les qualités nécessaires a celui

qui veut monter à Marie. »

Il est croyable que la Mère du bel amour lui avait

donné tous ces avis. Philagie, prenez-les pour vous, et

Marie vous chérira plus que jamais.

DÉVOTION IIe

l?our le deuxième jour d'A.oût.

Communier le deuxième d'août, jour de Notre-Dame des Anges,

et à toutes les fêtes de la Sainte-Vierge, à l'imitation des

Milanais.

Philagie, en ce jour c'est la grande indulgence de

Notre-Dame de la Portioncule. Vous la voudrez gagner,

et pour cela il vous faudra communier. C'est aussi ce

que je voulais vous conseiller, pour continuer ou em

brasser la belle dévotion de quelques-uns, qui ne man

quent pas , pour l'amour de la sainte Vierge , de com

munier à toutes ces fêtes. C'est l'action la plus excellente,

et en même temps celle qui lui est la plus agréable, que

de recevoir son cher Fils.

Grand nombre de chrétiens le font ainsi à toutes les

fêtes de la sainte Vierge. Le cardinal Borromée invitait

tous ceux de son diocèse, aux visites qu'il faisait, qu'ils

eussent à cœur cette dévotion à la sainte Vierge plus

que toutes les autres. Et parmi ses diocésains, les Mi

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lanais avaient si bien profité de l'avis de leur saini

prélat, que les jours de fête de la Mère de Dieu sem

blaient pour ce sujet, de son temps, des jours de Pâques,

tant il y avait de communiants.

Il n'est pas besoin d'aller à Milan pour voir cette

merveille. Les villes où Marie est beaucoup aimée se

font, en ce temps, assez admirer de ce côté, et désor

mais, Philagie, vous serez du nombre. Douze ou seize

fois l'an, aux douze ou seize fêtes de la sainte Vierge,

vous communierez. Ce n'est sans doute pas trop pour

vous. Tous ceux qui ont quelque soin de leur âme se

confessent et communient tous les mois. C'est le moins

que vous puissiez faire.

DÉVOTION IIP

Pour le cinquième jour d'.A.oût.

Se préparer par des jeûnes ou autres bonnes oeuvres à la fête

de l'Assomption de la glorieuse Vierge Marie, à l'imitation

de saint François, pour le jour de Notre-Dame des Neiges.

Comme la triomphante Assomption de la glorieuse

Vierge au Ciel est la plus grande de toutes ses fêtes,

je trouve que ses dévots et favoris ont un soin très-parti

culier d'y apporter une extraordinaire dévotion par des

jeûnes ou autres bonnes œuvres, qu'ils pratiquent quel

ques jours ou semaines avant la fête; et par ce moyen

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ils désirent gagner les bonnes grâces de la sainte Vierge

pour obtenir, après le jour de son triomphe, quelque

faveur signalée.

Saint François jeûnait depuis le vingt-neuf de juin,

jour de saint Pierre et saint Paul, fort austèrement

jusqu'au jour de l'Assomption, pour se disposer à une

si grande fête. Le cardinal François Tolet, jésuite, faisait

un carême entier semblable à celui-là en même temps

et pour le même sujet.

La bienheureuse Cécile de. Palerme, en Sicile, reli

gieuse de l'ordre des Minimes, qui mourut l'an quinze

cent soixante et un, allait tous les ans rendre ses hom

mages et faire ses dévotions à Trapani, dans l'église

célèbre de la Vierge qui est au dit lieu , après avoir

jeûné la quinzaine qui précède cette sainte fête. Elle y

mourut le même jour, vaquant à la prière et à sa dé

votion ordinaire, et elle fut trouvée après sa mort ayant

le visage tourné vers l'autel et tenant son chapelet à la

main.

La Mère Françoise de Jésus, carmélite, disait que

Notre-Dame était malade d'amour tous ces jours qui

précédaient sa glorieuse Assomption; et dès le premier

jour d'août jusques au quinzième du même mois, qui est

le jour de son saint trépas, sept fois chaque jour elle la

visitait comme malade d'amour, lui offrant son service,

la caressant, la consolant en sa maladie d'amour. Elle

Jui parlait comme elle eût fait charitablement à une

6.

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— '206 —

dame malade, blessée, et languissante par l'excès de son

amour envers le divin Epoux.

Il se lit parmi les anciens papiers des ducs de Lor

raine qu'en la chapelle Notre-Dame de Sion, qui est

au comté de Vaudemont, fut instituée une Confrérie à

l'honneur de Notre-Dame, l'an treize cent soixante-trois,

par Ferry de Lorraine, comte de Vaudemont, et Mar

guerite de Joinville, sa femme, à laquelle quasi toute

la noblesse s'enrôla. Aussi il fallait être noble pour en

être. L'un des règlements de cette confrérie ordonnait

que chaque confrère porterait sur soi, huit jours devant

et huit jours après la fête de l'Assomption, l'image de

la sainte Vierge, soit en argent, soit en peinture ou en

broderie ; et quiconque serait trouvé sans une telle image,

devrait payer une certaine amende.

Philagie, il y a encore dix jours jusqu'à la fête de

l'Assomption de la sainte Vierge : que voulez-vous faire

tous les jours jusque-là? Je vous conseille de faire quel

que bonne œuvre à cette intention, tantôt l'une, tantôt

l'autre, en commencant dès aujourd'hui.

Si vous ne portez déjà l'image de la sainte Vierge

sur vous, portez-la durant ces dix jours , et puis pen

dant l'Octave , à l'exemple de cette noblesse de Lor

raine. Ou bien, si vous aimez mieux, entreprenez quel

que jeûne, non pas si long que celui de saint Francois

ou de la bienheureuse Cécile. Mais quel mal y aurait-il

si vous jeûniez les quelques jours qui précèdent cette

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glorieuse fête de l'Assomption? Mais combien de jours?

C'est à vous de les choisir, et à la Mère du bel amour

de vous en savoir bon gré. Elle ne manque jamais de

reconnaître les bonnes âmes qui se disposent à cette

grande et glorieuse solennité qui est la sienne.

On voit assez que la sainte Vierge bénit ces braves

âmes qui honorent singulièrement la fête de son triom

phe ali ciel, par ce que rapporte sainte Gertrude qui

lui est arrivé à elle-même. Entendant la Messe un jour

de veille de l'Assomption, elle aperçut la Mère de Dieu

qui avait sous son grand manteau royal un grand nom

bre de jeunes filles , toutes d'une rare beauté, assistées

des Anges et caressées de la sainte Vierge. Elle apprit

que c'étaient les âmes de ceux qui avaient pris la peine

de se préparer plus soigneusement à la solennité de sa

fête. En même temps elle connut qu'elles avaient, pour

s'être ainsi bien préparées, mérité trois sortes de fa

veurs : premièrement, que dès lors elles avaient été

admises par la sainte Vierge a un plus haut degré de

perfection qu'auparavant; ensuite qu'elle leur avait ac

cordé la meilleure part de ses faveurs et de ses conso

lations; enfin, que ces âmes avaient été confiées d'une

façon toute spéciale à la garde de ces bienheureux Es

prits pour être, par eux , défendues contre les ennemis

du salut.

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CHAPITRE IX

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE SA TRIOMPHANTE ASSOMPTION, LE XV D'AOUT.

DÉVOTION PREMIÈRE.

Poiar le quinzième jour d',A-oû.t.

Avoir de la dévotion à quelque mystère de la sainte Vierge,

à l'imitation du bienheureux Cedonius.

J'ai remarqué de plusieurs serviteurs de la Mère de

Dieu que , outre la générale affection qu'ils témoignent

pour son service, ils avaient néanmoins une particulière

dévotion à quelques-uns de ses plus grands mystères

ou quelqu'une de ses principales fêtes. En retour, la

sainte Vierge leur faisait, ces jours-là, des faveurs

particulières.

Ainsi le bienheureux Cedonius, servite, avait une

affection fort remarquable au mystère de la Visitation.

A tel jour il naquit et fut baptisé, à tel jour il prit

l'habit religieux, et fit à tel jour encore sa profession;

a tel jour il dit sa première Messe, et à tel jour il

mourut, l'an 1526.

Les religieuses de la Visitation de Sainte-Marie, qui

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ont une grande dévotion à ce sacré mystère, ne seront

pas fâchées d'avoir chéri et honoré cette sainte fête.

La sainte Vierge ne manquera pas de les bénir ce jour-là,

et de favoriser toutes les filles de l'ordre de ses meilleu

res et affectueuses bénédictions.

Le Père François Turian, de notre Compagnie, avait

son cœur a la Présentation de la sainte Vierge. Il pro

cura que l'Office en fût rétabli par Sixte V. Notre-

Dame lui en témoigna sa reconnaissance , et lui fit la

grâce de mourir le jour même de cette fête.

Saint Bernardin de Sienne naquit le jour de la Nati

vité de la sacrée Vierge, et fut baptisé le même jour.

Cette rencontre le remplit d'affection pour ce mystère.

Il remarqua que ce fut ce jour-là aussi qu'il prit l'habit

de saint François; qu'il fit, l'année suivante, sa profes

sion , et que quelque temps après, au même jour, il dit

sa première Messe.

Toutes les autres fêtes de la sainte Vierge ont été

chéries et honorées de la même façon par ses dévots.

La grande dévotion du dévot Alphonse Rodriguez

était à son Immaculée Conception ; celle de la bienheu

reuse Jeanne de France, à l'Annonciation, et, pour

cela, elle donna le nom de ce mystère à l'ordre des

Filles de l'Annonciade de Bourge.8.

La bienheureuse Ozane de Mantoue, religieuse de

l'ordre de Saint-Dominique, avait son cœur au mystère

de la sainte Purification; et la sainte Vierge lui fit

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voir, un jour de cette fête , tout ce qui s'était passé en

ce mystère, comme si elle y eût été présente. Le glo

rieux saint François avait sa plus grande affection à la

solennité de l'Assomption.

Philagie, vous ferez ce qu'il vous plaira en l'honneur

du mystère de la Vierge que vous chérissez le plus. Je

ne vous prescris rien. Une aumône, une pénitence exté

rieure, une retraite spirituelle, tout cela est bon. Je

vous dirai néanmoins que , si vous n'avez pas encore

logé votre affection à aucun de ces mystères , je vous

conseille de choisir celui de sa triomphante Assomption.

Je trouve que c'est en ce saint jour qu'elle dispense li

béralement ses faveurs , soit envers l'Eglise militante ,

soit à l'égard de l'Eglise souffrante.

Pour le premier chef, on sait assez que le bienheu

reux Stanislas, novice de la Csmpagnie de Jésus, eut

le bonheur de mourir au jour de l'Assomption de sa

chère Mère , et à la même heure , comme on le croit

pieusement, que la sainte Vierge rendit son bienheu

reux esprit. Saint Hyacinthe et le bienheureux Jacques

de Bretagne, * de l'ordre de Saint-Dominique, très-

dévot à ce saint mystère, eurent une pareille faveur;

et quantité d'autres comme eux.

Pour le second chef, Jean Gerson dit que c'est une

* Le Père de Barry écrit. : Jacques de Bretagne ; nous pensons

qu'il a fait une méprise , et qu'il faut lire Jacques de Bévagne.

(Note du réviseur.)

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— 2M —

pieuse croyance que le purgatoire fut vidé lors de l'As

somption de la glorieuse Vierge au Ciel. Quand on cou

ronne une princesse , une reine , on élargit les prison

niers, on ouvre les prisons : eh quoi ! le Dieu d'amour

aurait refusé une pareille faveur à sa sainte Mère au

jour de son triomphe et de son couronnement, pour

ces âmes qui étaient capables d'être ainsi favorisées?

Ce que raconte le bienheureux Pierre Damien con

firme assez ce que j'ai avancé. Il dit qu'une femme étant

morte à Rome peu de jours avant l'Assomption, elle

apparut, la nuit de cette fête, à une de ses amies; et

comme celle-ci s'enquit de l'état où elle était, elle ré

pondit : Jusqu'à cette fête , j'ai été incroyablement

tourmentée; mais aujourd'hui la sainte Vierge a prié

pour nous, et m'a délivrée du purgatoire, avec quantité

d'autres personnes ; et le nombre en est si grand, qu'il

excède de beaucoup tous les habitants de Rome. Et

comme son amie semblait douter de tout ce qu'elle ra

contait , elle lui dit : En preuve de la vérité, je t'aver

tis qu'à tel jour qu'aujourd'hui, d'ici à un an, tu mour

ras. Ce qui arriva ainsi.

Philagie, aimer Marie, avoir de la dévotion à sa glo

rieuse Assomption, et mourir la veille bien tard, ne

serait-ce pas le vrai moyen de voir Dieu bientôt et sa

chère Mère? Car y aurait-il un purgatoire pour celui

qui vivrait et mourrait de la sorte?

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DÉVOTION IIe

Pour le seizième jour d'.A-oût.

Quitter sa place du Paradis à la Mère de Dieu, si besoin était,

pour la lui céder, à l'imitation d'un dévot de la sainte Vierge.

Philagie , cette fois je verrai bientôt si vous avez de

l'amour pour Marie , que vous faites semblant d'aimer

avec tarit de passion.

Le révérend Père Binet, au Chef-d'Œuvre de Dieu,

qu'il a composé a l'honneur de la Mère de Dieu, ra

conte qu'il s'est trouvé un serviteur de la Vierge qui

lui disait avec autant de simplicité que d'affection :

Vierge sainte, ma très-chère Mère, je vous chéris à tel

point que si j'étais dans le Paradis , et qu'y étant déjà

placé il n'y eût point d'autre place pour vous que la

mienne, je la quitterais très-volontiers pour vous la

donner, et je sortirais du Paradis, s'il était en mon

pouvoir, plutôt que de vous voir hors de la gloire.

Ce trait de saint amour me remet en mémoire une

pareille invention de tendresse, pour témoigner à la

Mère de Dieu qu'on l'aime jusqu'au dernier point, et

qui est pratiqué bien souvent par une fidèle servante

de Dieu que je n'ose nommer parce qu'elle est encore

vivante et au service de Jésus et de Marie dans une

sainte religion.

On dit que saint Augustin, par un transport d'amour

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de son Dieu disait parfois : Si j'étais Dieu et que Dieu

fût Augustin, je voudrais que Dieu fût Dieu et moi

être Augustin. Qui blâme, qui ne loue cette admirable

extase d'affection du cœur d'Augustin, qui pourtant ne

se trouve pas dans ses écrits? Qui oserait dire qu'il ne

pensa jamais a cette saillie, ou douter qu'il eût eu assez

d'amour pour parler ainsi ! Et puisque la charité des

Saints surpasse la science des plus savants, qui oserait

avancer que pareil langage n'est nullement recevable?

Quoiqu'on ne sache au vrai si saint Augustin a aimé

de la sorte ,- et s'il a emporté le prix de l'amour, au

Ciel nous saurons qu'il en est ainsi. Il me suffit de sa

voir qu'à proportion une servante de Dieu parle souvent

de la même sorte à la sainte Vierge. Elle lui dit :

Marie, ma très-aimable Mère, si j'étais la Mère de Dieu

et que Marie fût ce que je suist et si toutefois il m'était

possible de vous élever à la dignité de Mère de Dieu et

de me démettre de mes grandeurs, je voudrais que vous

fussiez la Mère de Dieu et me contenterais d'être ce que

je suis à présent.

Philagie, que vous semble de ce courage, de cet

amour? C'est aimer que d'aimer ainsi. Si vous avez le

courage d'en dire et faire autant, vous n'avez qu'à en

faire aujourd'hui votre protestation à la Mère du bel

amour, à la facon de ceux dont je viens de vous parler.

Vous le pourriez bien faire de si bonne grâce et de si

bon cœur, que ce trait de saint amour vous (acquît) une

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place dans le Ciel; car elle les donne à qui elle veut,

et son cher Fils agrée tout ce qu'elle entreprend.

DEVOTION IIP

Pour le dix-septième joiar d'.A_oût.

Désirer ardemment de voir la sainte Vierge au Ciel, à l'imi

tation d'un dévot' ecclésiastique.

Le dévot Henri de Castus, de l'ordre de Saint-Domi

nique, priant un jour en sa chambre, tout-a-coup sa

chandelle s'éteignit. Au même temps sa , chambre fut

toute éclairée de quelque autre lumière, et il entendit

une voix qui l'appelait. Tout étonné, il s'écrie : Hélas!

qu'est-ce que j 'entends ! Alors la sainte Vierge, à la

quelle il était bien dévot, lui dit : Je suis Marie la Mère

de Jésus. Henri, plus étonné encore a cette voix, se

jette a terre, disant : « Vierge sainte, ma très-chère

Mère, puisque c'est vous, montrez-moi votre belle et

agréable face. » A quoi la Mère de Dieu répartit :

« Henri, mon fils, vous êtes encore enfant, croissez et

puis vous me verrez. »

Philagie , je vous ai donné ce fait d'abord pour vous

avertir de ne pas désirer de voir la sainte Vierge en

cette vie. Vous ne méritez pas cette faveur. Il faut, pour

cela, croître en vertu, avoir plus d'amour de Dieu que

vous n'en avez ; et puis c'est au Ciel qu'il faut attendre

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la jouissance de ce bonheur. Désirez donc ardemment

de la voir un jour au Ciel. Ah! c'est à quoi je vous

invite aujourd'hui.

Blosius assure qu'il y a une peine de langueur en

purgatoire pour ceux qui n'ont pas désiré beaucoup, ici,

d'aller au Ciel , et de voir la toute belle et ravissante

face de Dieu. Je ne veux pas dire qu'il y en ait une

comme celle-là pour ceux qui n'ont pas désiré avec

passion de voir la sainte Vierge; mais j'ose bien dire

que c'est languir à bon escient à qui aime la Mère de

Dieu que de tarder à la voir. Pour peu qu'on vive ici-

bas, quel moyen de ne pas languir si, aimant avec pas

sion la Mère de Dieu , on est privé de l'indicible bien

qu'il y a de la voir! Un contemplatif disait à Dieu :

Deus meus es tu, et nunquam te vidi, — Quoi ! mon Dieu,

vous êtes mon Dieu et mon Seigneur, je vous sers, et

jamais je ne vous ai vu !

Philagie, si vous aimez tendrement et ardemment la

Mère de Dieu , qui d'ailleurs est votre Dame , votre

Mère, votre Bien-Aimée, puisque par cela même il ne

se peut que vous n'ayez un grand désir de la voir en

sa gloire et parfaite beauté, dites-lui cent fois aujour

d'hui et un million de fois durant votre vie : O Domina,

Mater mea es tu, et nunquam te vidi, — Comment, ma

chère Dame, vous êtes ma Mère, et je n'ai point encore

eu le bien de vous voir? ou dites-lui ce que David disait

à Dieu : O Maria, quando veniam et apparebo ante fa

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cieni tuam ? Facies enim tua decora. — O Marie, quand

donc vous verrai-je, quand contemplerai-je votre face?

car votre face est ravissante de beauté.

C'était la sainte pratique, les amoureux soupirs et les

ardents désirs d'un jeune ecclésiastique, surtout après

l'accident qui lui arriva et que je vais raconter.

L'amour qu'il portait à la sainte Vierge le poussa à

de grands désirs de la voir durant cet exil. Il fut si

persévérant en ce désir, demandant à la sainte Vierge

qu'elle lui fit la faveur de la voir en sa beauté, qu'en

fin Notre-Dame lui envoya un Ange qui lui dit de se

tenir prêt à tel jour, que la sainte Vierge lui accorde

rait sa demande et qu'il la verrait. L'ange ajouta qu'il

devait se résoudre à perdre les yeux, parce que la

grande clarté et beauté de sa face ne pouvait être sup

portée des yeux d'un corps mortel. Le voilà content,

résolu de perdre la vue corporelle pourvu qu'une seule

fois il pût voir sa chère Mère au séjour de cette vie.

Peu après , tandis que le temps désigné approchait , ce

jeune homme fut assiégé d'une foule de pensées impor

tunes. Mais quoi, se disait-il, je perdrai donc la vue?

alors que deviendrai-je 1 qui me conduira ? qui aura

soin de moi? Quoi ! je serai réduit à la mendicité? D'un

autre côté, je ne veux pas refuser cette faveur si dési

rée. Ne suis-je pas la créature la plus heureuse de

l'univers d'avoir l'honneur de voir tant soit peu la belle

face de la Mère de Dieu? Hé! c'est quasi tout ce que

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les Anges et les Bienheureux désirent voir au ciel !

Mais n'y a-t-il point quelque expédient pour ne pas

être privé de ce bonheur et ne point perdre mes yeux?

Qui m'eût dit que la vue de Marie fût si précieuse et

qu'on ne la voyait qu'à ce prix, je ne sais si j'eusse eu

le courage de la désirer avec tant d'ardeur. Pourtant,

je ne veux pas reculer. -J'ai donné et engagé ma parole

à l'ange envoyé de sa part, il faut s'y résoudre : arri

vera ce qui pourra! S'il le faut, je serai aveugle. Il y

en a tant d'autres qui le sont sans jouir de la faveur

qui aura donné lieu à la perte de mes yeux ! Que si je

trouve le moyen à la fois de voir la sainte Vierge et

de garder mes yeux, je m'en servirai. Gai- quel mal y

aurait-il si, en fermant un œil pour le conserver et ne

pas être aveugle, je mettais l'autre au hasard de le

perdre en voyant cette sainte Vierge? Au moins j'aurais

encore un œil, et j'aurais vu l'objet si vivement désiré.

Il trouva convenable de s'en tenir là. Et comme la

sainte Vierge se fit voir à lui, il tint fermé l'un des

yeux ; mais il la trouva si belle et si ravissante , que ,

pour la mieux voir selon son souhait, il se résolut d'ou

vrir encore l'autre œil. Et comme il l'ouvrait, la sainte

Vierge disparut, le laissant avec un œil entier et l'au

tre perdu par l'éclat de la beauté qu'il avait vue.

Néanmoins ce pauvre jeune homme se trouva fort

affligé de n'avoir pas vu de ses deux yeux et aussi par

faitement qu'il eût pu cette rare beauté du Paradis. Ah!

7

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se dit-il, je perdrais volontiers et mes yeux et ma vie

pour voir ce que j'ai vu! Qui me consolera de ma perte !

Oh! ma chère Mère, n'y a-t-il pas moyen de vous revoir?

Je perdrais volontiers l'autre œil, j'en perdrais même

un cent , si je les avais, pour expier ma faute et rentrer

dans les premières faveurs que vous m'aviez accordées.

Tandis qu'il était dans ces détresses, un ange vint,

qui l'avertit que la sainte Vierge se laissera voir pour

la seconde fois à tel temps, mais qu'il devait se ré

soudre à perdre l'œil qui lui restait. Il en fut content.

Notre-Dame revient au jour assigné et se laisse voir.

De vous dire la joie du cœur de ce jeune homme et le

plaisir incroyable qu'il éprouva à la vue de cette belle

face, c'est ce que ma plume ne saurait faire.

Mais, ô bonté de la Mère de bonté ! pendant que le

jeune homme s'attend à perdre le peu de vue qui lui

restait, Notre-Dame qui n'a pas coutume de faire mal

à personne, non-seulement lui conserva le second œil,

mais encore elle lui rendit le premier. Ainsi donc le

voilà, comme il était auparavant, avec ses deux yeux,

satisfait comme un ange d'avoir vu selon son souhait

l'objet de ses plus véhéments désirs.

Dès-lors son occupation, le reste de sa vie, fut de

soupirer et de désirer voir au séjour éternel de la gloire

Celle qu'il n'avait vu qu'en passant, et dont la vue pas

sagère lui augmentait la soif ardente qu'il éprouvait de

la voir éternellement au Ciel.

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Philagie , l'envie ne vous prend pas de voir au ciel vo

tre chère Maîtresse? Ayez-en aujourd'hui de grands dé

sirs, en attendant cette grâce pour le jour de votre mort

lorsqu'elle vous assistera, et puis au jour de l'éternité.

DEVOTION IVe

Pour le treizième joui- d'-A-oût.

Honorer ou orner les autels de la sainte Vierge, à l'imitation

de quantité de ses dévots.

Voici une dévotion assez universellement pratiquée.

Elle consiste à allumer des cierges , ou faire brûler les

lampes devant des images ou des autels de la Mère de

Dieu. Cette dévotion fut fort en vogue jadis, du temps

de sainte Pulchérie à Constantinople , et pour le pré

sent elle ne l'est pas moins en plusieurs endroits : car

on trouve des villes où les marchands sont soigneux à

certains coins de rues ou dans leurs boutiques de faire

éclairer quelque lampe en l'honneur de la Mère de Dieu

au-devant de quelqu'une de ses images ou de son autel.

Il se trouve aussi des villes tout entières tellement por

tées à honorer la Mère de Dieu , qu'à presque tous les

coins des rues on y met des images de Notre-Dame et

des lampes au devant, qu'on allume tous les jours sur

le tard. Les jeunes filles de chaque rue s'assemblent en

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même temps à l'image la plus proche pour prier la sainte

Vierge, chanter les litanies, et dire des autres prières.

La ville d'Aix, en Provence, a paru signalée en cette

dévotion les années passées, le brouillard, le mauvais

temps et le froid en hiver n'étant pas capables de les dis

traire. Dans cette même ville on y pratique encore une

louable dévotion à la Mère de Dieu, qui se rapporte à

ce chef : c'est que si quelqu'un est dangereusement ma

lade , ou qu'on ait envie d'obtenir bonne issue de quel

que affaire, on fait brûler et consumer un cierge, ou

plusieurs, devant l'autel de Notre-Dame d'Espérance à

Saint-Sauveur, qui est l'Eglise cathédrale, ou devant

, l'image de Notre-Dame de Montaigu, qui est en l'église

du collége de notre Compagnie ; et il est souvent

arrivé qu'on a obtenu de la Mère de Dieu ce qu'on pré

tendait.

Ce qui se pratique en telles occasions , se peut aussi

pratiquer sans autre motif que pour honorer la Mère

de Dieu, soit en quelque lieu où la sainte Vierge soit

honorée, soit en sa propre maison au-devant de quelque

image de Notre-Dame.

Ceux-là font encore davantage , qui veulent que par

leurs libéralités la sainte Vierge soit honorée à perpé

tuité en quelqu'une des susdites façons. Je connais, dans

la même ville d'Aix, des personnes qui ont donné, à

cette intention, un revenu annuel pour se procurer

l'huile nécessaire à faire brûler les lampes devant les

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images des susdits autels. Je connais une dame de qua

lité, au même lieu, qui ne manque point, aux fêtes de

la sainte Vierge , d'envoyer l'huile pour faire éclairer

les lampes de l'autel de Notre-Dame de Montaigu.

Je n'ai plus rien à vous dire sur cela que ce qui ar

riva à ce saint religieux nommé Jean , dont parle le

patriarche Sophronius. Il demeurait dans une grotte à

dix lieues de Jérusalem. Partant pour aller visiter les

saints Lieux, il allumait un cierge devant l'image de la

Vierge ; il lui recommandait et le cierge et la cellule.

Chose admirable ! il voyageait les quatre, les six semai

nes, parfois les six mois , et à son retour il trouvait

toujours son cierge allumé et au même état qu'il l'a

vait laissé. Par ce miracle la sainte Vierge lui donnait

à entendre combien cette dévotion lui plaisait.

Je n'attends pas, Philagie, un pareil miracle pour

vous, mais bien une pareille dévotion aux occasions.

C'est encore une pratique universelle d'enrichir de

présents les autels et chapelles de la Vierge, soit en

ornements, soit en argenterie, soit en dorures ou pein

tures. Les grandes richesses qui sont aux églises et

chapelles de la Mère de Dieu fournissent une preuve

éclatante de cette dévotion. Que ne fit pas l'empereur

Charlemagne, et tant d'autres empereurs et rois, et des

grands de la terre ! tant d'impératrices , de reines , de

princesses, tant d'autres personnes de qualité de l'un et

de l'autre sexe, qui ont donné tout ce qu'ils avaient de

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beau et de riche pour honorer les images et les églises

de la Mère de Dieu !

L'incomparable en ceci , fut le bon saint Henri , em

pereur, qui fonda, dota et enrichit près de mille égli

ses toutes dédiées à la sainte Vierge.

Combien allument des parfums en son honneur ! Saint

Gérard, évêque de Candie, premier prélat et premier

martyr de Hongrie, fit bâtir une chapelle en l'honneur

de la Vierge , et y fonda l'entretien de deux vieillards

qui, jour et nuit, étaient devant l'autel de la sainte

Vierge; ou, à leur défaut, ils substituaient quelques

autres pour veiller à ce que jamais l'encens ou le par

fum ne manquât dans un encensoir d'argent qu'il avait

fait faire à ce dessein.

Combien couronnent les images de la sainte Vierge

de guirlandes de fleurs, ou les envoient à ses autels

pour les embellir ! Ce petit service profita beaucoup à

l'auteur de la Couronne de la Vierge, ainsi qu'il sera

dit ailleurs, comme aussi à un Turc, dont Bentius ra

conte le bonheur qui lui arriva :

Un gentilhomme portugais avait en sa maison un es

clave turc. Etant malade et alité, il fit dresser un autel

en sa chambre, et ordonna à cet esclave de mettre sur

l'autel une Notre-Dame en relief qu'il possédait, et de

lui faire un chapeau de fleurs et d'en jeter une quantité

à l'entour de l'image. Il le fit volontiers, et par ce ser

vice il se rendit agréable à la Mère de Dieu. Voici

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donc la merveille qui arriva : c'est que celui qui depuis

de longues années avait manifesté de l'opiniâtreté à se

convertir, et qui avait méprisé les remontrances de son

maître qui l'avait très-souvent invité à quitter sa reli

gion sans qu'il en fût écouté, l'alla trouver le lende

main. Son cœur avait été changé depuis ce petit service

rendu à la Mère de bonté. Il le pria de le vouloir faire

baptiser, et lui dit que la sainte Vierge , pour l'hom

mage qu'il lui avait rendu le jour précédent, l'avait, la

nuit d'après, exhorté à se faire chrétien.

La joie que son maître éprouva de cette nouvelle fut

telle , qu'elle le remit en santé. Il le fit baptiser, et le

nouveau converti vécut dans la suite saintement. Il fut

surtout très-affectionné au service de la Mère de Dieu.

Philagie , je laisse cette pratique d'orner ou honorer

quelque image ou autel de la sainte Vierge à votre dé

votion et aux moyens que vous avez à votre disposition.

Il suffit de vous dire que ce n'est pas une petite gloire

de contribuer à honorer les lieux dédiés a la Mère de

Dieu, et que vous puissiez dire en toute humilité :

Voilà tel ornement, ou telle pièce, ou tel embellisse

ment, ou telle somme d'argent que j'ai donnée à la

sainte Vierge pour témoigner de mon amour envers

elle.

Au moins, quand vous ne feriez rien de pareil, ne

refusez point de prêter ce que vous avez , si on vous

l'emprunte pour parer, honorer et embellir quelque

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autel ou église de la Mère de Dieu à quelqu'une de ses

fêtes ou pareille occasion. De semblables refus déplai

sent singulièrement à la Mère d'amour, et sont indignes

d'un cœur qui fait profession d'être affectionné à son

service.

N'est-ce pas avoir un cœur bien peu gracieux de re

fuser un lit de soie, une tapisserie, des chandeliers

d'argent, un tapis, et chose pareille, à la Reine des

Anges, à Marie la Mère de Dieu, qu'elle nous fait de

mander, pour honorer une de ses fêtes ou son autel,

par ses serviteurs? C'est ce qu'on n'oserait refuser à un

prince , à un ami intime , à une accouchée , pour une

salle de bal, pour un festin, pour un lit de parade.

Faire un pareil refus à Marie la Mère du saint amour,

à la souveraine Princesse du ciel et de la terre, c'est

bien pis que d'avoir un cœur peu civil : c'est n'avoir ni

dévotion, ni cœur, ni sentiment, ni amour de Dieu. Je

ne voudrais, pour faire honte à telles gens, que faire

le récit de ce qui arriva à Cahors, en Quercy. Philagie,

faites-le pour moi quand vous serez en conversation.

Les religieux qui desservent la célèbre église de

Notre-Dame de Roc-Amadour avaient donné en gage, à

un homme riche de Cahors, les rideaux d'un beau lit

dont ils se servaient pour parer l'autel de la sainte

Vierge aux fêtes solennelles. Il arriva donc que, comme

ils n'avaient pas de quoi rendre l'équivalent, ces rideaux

étaient chez ce richard au jour d'une fête de la Vierge.

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Ces bons religieux allèrent le prier de prêter lesdits

rideaux pour l'amour de Notre-Dame. Ils lui dirent

qu'une fois la fête passée , on les lui rendrait ; et qu'ils

étaient bien fâchés, en un si beau jour de fête, de n'a

voir pas de quoi parer l'autel.

Que répondit ce barbare indévot, si jamais il y en

eût? Notre-Dame s'en passera bien, s'il lui plaît; que

les rideaux étaient tendus au lit de sa femme qui était

accouchée ; que ses compagnes la venaient voir, et qu'il

fallait, par égard pour sa qualité, que ce fût un beau

lit de parade.

Son excuse semblait bonne selon le monde, direz-

vous ? et il y en a dix mille dans le monde qui feraient

la même réponse. Or, jugez de ce qui survint, et voyez

comme cette réponse fut sotte et impie.

Notre-Dame fut tellement offensée de ce refus , que,

le soir d'après, elle apparut à la femme de ce richard,

lui fit ses plaintes et puis ses menaces , qui furent que

dans trois jours l'enfant nouveau-né mourrait; que son

mari aussi mourrait cinq jours après, comme un chien,

sans confession ni contrition. Elle ajouta que, pour elle,

elle allât à Bethléem , où elle mourrait bientôt après ,

et que durant son voyage elle serait sujette à plusieurs

infirmités et accidents. Tout cela arriva de point en

point, comme la sainte Vierge justement irritée l'avait

prédit.

Refusez maintenant, Mesdames, vos beaux et riches

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lits de soie, vos broderies, vos miroirs, vos tapisseries,

vos tableaux de dévotion à la Mère de Dieu et à ceux

qui vous les demandent pour elle , et un jour les his

toriens écriront , par aventure , la punition que Notre-

Dame, que vous faites semblant d'aimer et honorer,

fera de ce refus; et vous serez la risée des peuples

futurs.

Faites mieux, ne refusez jamais rien de ce que vous

pourrez prêter pour orner les autels de la Mère de Dieu.

Quand bien même ces meubles devraient quelque peu

se gâter, qu'importe ! Il vaut mieux que vos meubles

courent ce danger que de perdre les bonnes grâces de

la toute-puissante et toute aimable Mère de Dieu, et

d'offenser et irriter tant soit peu la toujours charitable

et la toute obligeante Marie, digne d'être honorée, soit

en prêt , soit en don , de toutes les beautés , pierreries

et richesses de l'univers.

Philagie, je reviens à vous. Ce sont ces dames qui

m'ont un peu diverti : il fallait leur dire ce mot pour

leur bien. Voici ce que jai encore à vous dire :

Au cas que vous n'ayez pas de quoi pour honorer

aujourd'hui quelque autel ou image de la sainte Vierge,

ni en un autre temps, ne laissez pas d'aller à quelque

autel ou image de cette Vierge sainte, et offrez-lui

quelque riche parfum d'une bonne et fervente prière.

Peut-être lui sera-t-elle plus agréable que ces présents

qui éclatent; ou dites-lui, prosternée devant son image,

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que vous voudriez bien que votre corps fût changé en

cierge , pour être brûlé pour son service , et con

sommé en éclairant ses précieuses images et glorieux

autels; et que votre cœur fût changé en roses, lis, tu

lipes , et pareilles belles fleurs , pour en charger et en

embaumer tous les endroits de la terre où elle est

honorée et reconnue.

DEVOTION Ve

Pour le dix-neuvième jour d'.A_oùt.

Aimer quelque vertu en l'honneur de la sainte Vierge, à l'imi

tation de sainte Isabelle, sœur de Saint-Louis.

Tout ce que vous avez à faire aujourd'hui, Philagie,

c'est de choisir une vertu de celles dont vous avez be

soin, et puis de vaquer à l'acquisition de cette vertu

avec un soin tout particulier, comme étant la vertu qui

était en une éminente perfection dans le cœur de la

sainte Vierge , qui désire qu'elle soit pratiquée par vous

comme une vertu qui lui est beaucoup agréable. C'est

à vous de choisir et puis vous porter courageusement

à une si glorieuse conquête.

Les saints amis de la sainte Vierge nous ont frayé

le chemin de cette pratique. Saint Edouard, roi, saint

Alexis, saint Elzéar, sainte Catherine, et mille comme

eux, choisirent la chasteté pour imiter leur chaste Mai

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tresse. Et c'était la vertu à laquelle ils vaquaient avec

le plus d'ardeur; ils n'omettaient rien pour en venir à

bout.

Témoin ce chaste confrère de la Congrégation de la

Sainte-Vierge, à Cordoue, l'an 1610. Il était résolu de

vivre chastement pour l'amour de la sainte Vierge, la

Reine des vierges. Quelqu'un lui avait dit qu'un souve

rain remède pour être bien chaste, était de porter

un anneau où fussent gravés ces mots : Ave Maria;

qu'ayant cet anneau comme marque et témoignage que

la sainte Vierge était notre Maîtresse et Bien-Aimée , et

nous tout-à-fait à elle , cela suffisait. Ce jeune homme

ne manqua pas de se pourvoir d'un pareil anneau, et

d'avoir toutes ces riches et saintes intentions. Il prend

donc son anneau et le porte; et, depuis, il n'eut ni

mouvement ni pensée contraire à la pureté, il vécut

comme s'il eût été un ange.

Combien Dieu bénit un bon cœur qui fait ce qu'il peut

et ce que l'amour de Marie lui suggère !

Sainte Isabelle, sœur unique du roi Saint-Louis, fonda

l'abbaye de l'Humilité de Notre-Dame, dite de Long-

Champ. Elle lui donna ce nom pour la dévotion qu'elle

avait à l'humilité de la sainte Vierge, et son grand soin

aussi était en la poursuite de cette vertu pardessus toutes

les autres.

La bienheureuse Jeanne de France, qui avait aussi à

cœur l'humilité pour honorer l'humilité de la sainte

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Vierge, fonda un ordre de filles dédiées à la Mère de

Dieu. Elle ordonna que la supérieure serait appelée la

Mère-Ancelle, pour honorer l'humilité et la réponse de

la sainte Vierge, qui répondit humblement à l'Ange :

Ecce ancilla Domini, — Voici l'ancelle ou servante du

Seigneur.

DEVOTION VIe

Pcmr le vingtième jour d'A.oût.

Prier la sainte Vierge, les genoux mis à terre, à l'imitation

de saint Bernardin de Sienne.

Saint Bernardin de Sienne, même dès sa jeunesse,

faisait tous les jours une prière, les genoux mis à terre,

à sa chère Maîtresse ou devant quelqu'une de ses images.

Je connais des serviteurs de cette sainte Dame qui en

font autant tous les soirs sur le point de prendre le

repos, lui demandant sa sainte bénédiction.

Je ne vous demande pas, Philagie, que vous fassiez

de même aussi souvent; mais pour une fois vous ne

sauriez me la refuser. Rendez-lui donc aujourd'hui cet

hommage. Elle mérite bien des services plus humbles

et plus reconnaissants par l'éminence de sa dignité. Peu

m'importe que votre prière en cet état soit longue ou

courte, pourvu qu'elle soit pleine d'affection et, de ten

dresse pour une si aimable Dame, qui mérite qu'on

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s'humilie jusqu'au centre de la terre pour acquérir ses

faveurs et implorer ses favorables assistances !

Quant à moi, j'ai toujours cru que nous ne saurions

assez nous humilier, fléchir le genou, nous prosterner

en terre, et faire de pareils actes de profonde soumission

pour honorer et reconnaître les suréminentes excellences

de la Mère de Dieu; actes qu'elle récompense par des

incroyables bienfaits. Qui ne voudra pas me croire, qu'il

prenne la peine, s'il lui plaît, de lire ce qui suit.

Un dévot religieux, en Angleterre, toute sa vie avait

fidèlement honoré par ses services et dévotions de toute

sorte, nommément des plus pénibles, telles que sont les

inclinations, les génuflexions, la glorieuse Vierge. Etant

arrivé sur ses vieux ans, il se trouva tellement faible

que, ne pouvant presque pas se remuer, son abbé char

gea deux de ses religieux de l'assister et d'être toujours

près de lui.

Comme ils avaient durant quelque temps manqué à

ce devoir, pourtant bien nécessaire , le bon vieillard , se

trouvant en peine et ne pouvant se remuer, eut recours,

comme à l'ordinaire , à sa bonne Maîtresse la Mère de

Dieu, la conjurant de secourir son pauvre serviteur.

Sa courte prière finie , tout-à-coup la sainte Vierge,

accompagnée de bon nombre d'autres vierges, se pré

sente à lui. Après que deux de ces Dames l'eurent sou

levé selon le besoin qu'il en avait, elle le consola avec

des paroles de douceur et des plus riches tendresses du

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Paradis; et l'ayant remercié de tant de révérences,

inclinations et génuflexions, et autres petits services

qu'il lui avait rendus durant sa vie lorsqu'il était en

pleine santé, elle lui promit, en considération de tous

ces actes, de le faire rajeunir et de lui donner encore

une vie fort longue, avec les mêmes forces et la même

vigueur dont il avait joui trente ans auparavant.

Telle fut sa promesse; et dès-lors son serviteur en

expérimenta les effets. C'est ce qui l'obligea à aimer

plus saintement que jamais sa bien-aimée Libératrice,

et à lui rendre doublement tous les hommages d'autre

fois jusqu'à la fin de ses jours, en attendant qu'il l'ho

norât avec les anges , sans qu'il ressentit sa faiblesse ,

durant l'éternité des siècles sans fin.

DEVOTION VIP

Pour le vingt-et-unième jour d'A.oût.

Faire amende honorable à la sainte Vierge avant le repos,

à l'imitation de l'un de ses serviteurs.

Le révérend Père Poiré, dans la Triple Couronne de

la Bienheureuse Vierge, dit avoir connu une personne

qui ne manqua jamais le soir, avant de se retirer et

prendre son sommeil , de mettre les genoux nus à terre

et , tenant une chandelle allumée en sa main , pieds

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nus et tète nue, de faire amende honorable à la Mère

de Dieu.

Philagie, en qualité de criminelle et ingrate envers

une si obligeante Mère , faites-en autant une fois ou plus

souvent en votre vie; et dans cet humble maintien, dites-

lui aujourd'hui un Salve Regina ; ou bien , comme vous

voulez l'honorer plus que jamais au temps de sa triom

phante Assomption , récitez en cette posture le petit

hymne qui commence par ces mots : O gloriosa Domina,

excelsa super sidera..., ou quelque autre prière. Si celle-

ci vous revient, elle est à vous; vous pouvez vous en

servir :

« Aimable Princesse, Mère de mon Dieu et Impéra

trice de l'univers, voici le plus chétif de vos enfants et le

plus déloyal de vos serviteurs qui, reconnaissant l'excès

de ses ingratitudes et l'insupportable lâcheté de ses délais

dont il use tous les jours à vous rendre ses plus hum

bles services, prenant la posture d'un criminel, se jette

à vos pieds pour faire réparation d'honneur à votre

honorable Majesté, et implorer vos magnifiques misé

ricordes.

« J'ai recours à vous, ma très-débonnaire Dame, comme

à ma singulière Protectrice, me confiant en votre bonté,

qui surpasse sans comparaison toutes mes déloyautés.

N'est-ce pas chose à déplorer par des larmes de sang,

de voir que je vous aie si peu aimée et servie si tiède

ment , si nonchalamment , si indignement ! Combien de

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fois ai-je frustré vos désirs et vos amoureuses atten

tes lorsque même vous aviez le dessein de me rendre

le digne instrument de la gloire de votre Fils ! Combien

de fois ai-je eu des complaisances et des retours coupa

bles vers les créatures, et cela après avoir tant de fois

protesté en face du ciel et de la terre qu'après Jésus je

n'aimerais que Marie , l'honorable Princesse , désirable

refuge de nos âmes ! Pardonnez , pardonnez à ce pauvre

cœur affligé et contrit; oubliez tout le passé. Je vous

fais amende honorable; je me repens de tout mon cœur

d'avoir provoqué vos indignations, et changé la douceur

de votre amour en des amertumes de dégoût.

« Recevez-moi désormais en vos bonnes grâces. Faites

que j'embrasse de tout mon pouvoir votre saint service.

Je vous en conjure par tout ce que Jésus vous est et par

votre beau nom de Marie. C'est ce que j'espère de vos

bontés; c'est ce que j'attends aussi de ma constance à

l'aide de vos faveurs , pour, ensuite , vous en rendre des

remerciments éternels, auxquels je me réserve lorsque,

victorieuse des penchants de mon âme, j'aurai l'hon

neur de vous voir dans le séjour de la triomphante

Jérusalem. Ainsi soit-il. »

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DÉVOTION VHP «

]?our le vingt-deuxième jour d'A.oût.

Avoir toute sorte de grands désirs pour honorer la sainte Vierge,

à l'imitation du dévot Jean Berkman.

Jetez les yeux , Philagie , sur ce que de tout votre

cœur vous feriez pour l'amour de la sainte Vierge, si

vous en aviez le pouvoir; et, parcourant tout ce que

ses grands serviteurs ont fait d'héroïque , de signalé , de

glorieux pour elle, dites-lui que vous le feriez si vous

en aviez le moyen; que vous leur cédez le pas quant à

l'exécution, puisqu'elle vous est impossible, mais non

pas quant à l'affection de votre volonté. Quoique vos

désirs ne s'accomplissent pas, ne croyez point que ce

soit peine perdue et sans mérite. La volonté d'Abraham

fut réputée pour un fait, lors du commandement qu'il

eut de sacrifier son fils; et le mérite de la volonté et

du désir qu'il eut de le faire fut si abondant , qu'il eut

ensuite l'honneur que le Messie descendît de sa posté

rité.

Le dévot Alphonse Rodriguez n'avait que de simples

désirs de la conversion de tout le monde : et pour cela

il criait miséricorde , pour cela encore il s'offrait à souf

frir éternellement tous les tourments de l'enfer plutôt

que si ces païens, ces Indiens et ces Maures ne se

convertissaient pas. Ce n'étaient que des désirs. Et

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toutefois Dieu lui fit connaître, en un ravissement qu'il

eut, qu'avec ses fervents désirs il avait autant mérité

que s'il eût converti tous les hommes de la terre.

Tout ceci vous soit dit, Philagie, pour faire cas des

désirs que vous aurez d'honorer et aimer la Mère de

Dieu. Il y a quantité de ses dévots et serviteurs qui ne

se contentent pas de ce qu'ils peuvent faire pour elle,

mais qui ajoutent et forment bon nombre de désirs de

la gloire et de l'amour qu'ils voudraient de tout leur

cœur être effectifs en faveur de leur Bien-Aimée.

Tel était, entre autres, le dévot Berkman. Que ne

faisait-il pas pour acquérir ses bonnes grâces, pour la

servir, pour la publier à tous la plus aimable de toutes

les pures créatures! A cela il ajoutait des desseins, des

désirs, des élans, des souhaits, dont les effets ne paru

rent jamais. Déjà tout jeune et peu savant qu'il était,

il projetait de composer un livre a sa louange. Il eût

voulu que tous les hommes de la terre eussent eu,

comme lui , des cœurs très enflammés de l'amour de

Marie. Ainsi disait, ainsi pensait Berkman; voici comme

vous direz et penserez aujourd'hui à votre loisir :

« O glorieuse Princesse , Mère de mon doux Jésus ,

aimable Marie , que n'ai-je le cœur d'un saint Joseph ,

votre Epoux ; de sainte Anne, votre Mère ; de tous vos

dévots et favoris ; un cœur pareil à celui de votre Fils !

C'est de tous ces cœurs et de toutes les manières qu'ils

ont inventées pour vous aimer et honorer, que je vou

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drais vous aimer et vous rendre honorable par tous les

endroits de la terre habitable. Que n'ai-je les richesses

et les moyens de ces grands monarques de la terre qui

vous ont bâti de superbes temples et de magnifiques

églises; qui ont enrichi les lieux consacrés à votre

gloire par des inimitables profusions et magnificences

royales ! Ne leur en déplaise, je voudrais enchérir par

dessus tout ce qu'ils ont jamais fait, et faire moi seul

plus qu'ils n'ont fait tous ensemble !

« Que n'ai-je le zèle, les industries, les adresses dont

les amateurs de votre gloire se sont servis pour vous

rendre recommandable, et vous conquérir les cœurs de

tous ceux qui vivaient en leurs siècles et de ceux qui

vivront aux siècles à venir ! Pour si grands et glorieux

qu'ils aient été en leurs entreprises, le feu qui embrase

mon cœur pour vous me fait dire que je les voudrais

tous surpasser, et vous faire rendre des amours, des

respects et des soumissions qui ne leur furent jamais

venus en pensée.

« Jacques Ier, roi d'Aragon, surnommé le Conquérant,

fit bâtir à votre honneur jadis plus de deux mille égli

ses ; et si c'était en mon pouvoir je voudrais vous faire

bâtir deux millions de temples, tous plus superbes et

magnifiques que ceux que vous ont fait bâtir Constan

tin, Charlemagne et autres monarques et grands de

l'univers , qui allaient à l'envi à qui vous rendrait de

plus grands honneurs et témoignages de leur amour.

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« Jadis sainte Pulchérie , impératrice , vous offrit et

fit dresser un autel d'or, enrichi de pierres précieuses.

Saint Etienne, roi de Hongrie, vous fit bâtir une église

à Albe, ville royale, dont plusieurs tables d'autel étaient

d'or fin, avec quantité de rangs de pierres précieuses des

plus exquises. Et moi, je voudrais vous en offrir tout

autant, et d'or massif, comme il y a d'églises et cha

pelles en toute la chrétienté; et je voudrais que non-

seulement les autels, mais encore tous les vases, toutes

les lampes, tous les chandeliers, tous les encensoirs qui

servent à vos temples fussent tous de pur or. — Eh !

chétifs que nous sommes, à quoi saurions-nous mieux

employer nos plus éclatantes richesses? Louis XI, vous

offrant en hommage le comté de Boulogne, accompagna

cette reconnaissance d'un cœur d'or du poids de deux

mille écus, priant ses successeurs d'en vouloir faire au

tant à perpétuité. Ah! que n'ai-je l'intendance sur tous

les riches minéraux de la terre; que n'ai-je tous les lin

gots d'or et tout ce précieux travail du soleil qu'il opère

aux entrailles de la terre, je ferais un cœur du poids de

douze cents millions d'or, et j'y ferais buriner et graver

les noms de tous vos serviteurs et favoris , et puis je

vous en ferais un présent avec la plus grande solennité

et magnificence que le soleil ait jamais vue sur la face

de la terre depuis qu'il éclaire l'univers.

« On dit que la ville de Séville vous fit présent jadis,

dans l'une de vos églises, d'une riche tapisserie du prix

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de quatre vingt mille écus, pour preuve de l'honneur

qu'elle désirait vous rendre et à votre immaculée Con

ception; et moi, je voudrais fournir des tapisseries à

rechange, des plus riches et précieuses étoffes, à vos

temples, qui aient jamais été dans les coffres des plus

riches et magnifiques empereurs, reines et princesses,

au prix chacune de quatre vingt mille écus : c'est trop

peu! de quatre vingt millions d'écus; et je voudrais

qu'elles fussent toutes ornées et parsemées de diamants,

d'escarboucles, et de toute sorte de pierreries. Car c'est

ainsi que doivent être honorés les temples de la Mère

de Dieu.

« Saint Etienne, roi de Hongrie, vous offrit son royau

me, et ne se disait que votre lieutenant. C'est bien dom

mage qu'il ne fût pas monarque de toutes les nations :

c'est l'empire que les hommes vous devraient donner

de leur plein gré. Et, tel que je suis, il me prend quasi

envie de posséder la monarchie de ce monde. Ce ne

serait pas assez pour mon dessein, il me faudrait l'em

pire et la monarchie d'un million de mondes pareils à

celui-ci. Et je vous donnerais tout cela, je vous en cons

tituerais l'Impératrice et la Souveraine ; et de ma part,

je ne me voudrais déclarer ni être en effet que votre

esclave.

« Je ne puis assez louer les inventions admirables de

certains rois d'Angleterre, qui avaient cette louable cou

tume de porter votre image en leurs armées et armoiries.

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Ils ne voulaient d'autres victoires, ni d'autre noblesse

et grandeur que celle d'être sous vos auspices.

« Charles Septième, étant en guerre, voulait que votre

nom de Marie parût sur son étendard. Primislas, roi de

Danemark, avait un bouclier sur lequel était gravé

votre image et avec lequel il allait courageusement

assaillir tous ses ennemis.

« La ville de Montpellier, en Languedoc, a eu pour

ses armoiries votre image et celle de votre Fils qui est

entre vos bras, sur un besan de gueule. Les Avignonnais,

et beaucoup d'autres peuples, ont logé sur toutes les

portes et avenues de leurs villes quelqu'une de vos

images. Les révérends Pères Chartreux n'ont aucune

église de leur ordre qui ne vous soit dédiée.

« Je suis ravi de toutes ces inventions du saint amour,

et je voudrais avoir l'esprit d'un Ange qui me fournît d'au

tres inventions toutes belles, toutes nouvelles, toutes ad

mirables pour vous faire respecter et reconnaître partout.

« Si j'étais souverain, le moins que je ferais, c'est que

je commanderais , avec ordre , sous des peines sévères ,

qu'on eût à mettre presque partout votre portrait, votre

sacré Nom de MARIE, les histoires et représentations

de votre sainte vie. Je voudrais qu'il n'y eût ni étendard

de gens de guerre, ni bouclier de capitaine, ni armoirie

de noble , ni porte de ville , de maison , de salle et de

chambre, entrée d'église ou de chapelle, coin de rue,

avenue de grand chemin, où votre statue et image ne

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fût posée, afin qu'il n'y eût Avivant sur la terre qui n'eût

occasion de vous révérer comme son honorable et ai

mable Princesse.

« François Premier, roi de France, ayant appris que

dans Paris, la capitale du royaume, un méchant hu

guenot avait été si détestablement impie que de s'atta

quer à votre redoutable Majesté, ayant abattu la tète

à une de vos images, voulut expier ce forfait par quelque

signalée satisfaction et réparation d'honneur. Il ordonna

une procession générale, où il se trouva lui-même en

personne, à pied et tête nue, avec un flambeau à la

main, suivi des princes ses enfants, des autres princes

du sang, de tous les grands de sa cour, des ambassa

deurs résidents, et de la cour du parlement.

« Arrivé au lieu où le crime avait été commis, il posa

de sa main votre statue, qu'il avait fait travailler fort

belle et excellente, et la mit en la place de celle qui

avait été rompue par la malice de cet abominable scé

lérat. C'est comme cela qu'il faut réparer les manque

ments qu'on fait en ce qui concerne vos honneurs.

« Ah ! s'il ne tenait qu'à moi, tous les crimes qui sont

contre vous et contre votre cher Fils (puisque ses inté

rêts sont les vôtres) , tous les déplaisirs que 'vous rece

vez et votre bien-aimé Jésus de tant de créatures qui,

pour leurs ingratitudes, indévotions et vie autant non

chalante que criminelle, ne méritent point de voir la

lumière du soleil qui les éclaire ; oui , tous ces crimes

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et actions dignes d'un éternel oubli seraient châtiés à

l'égal du démérite. La satisfaction serait convenable

ment faite, et il ne se trouverait sous le ciel créature

si téméraire que de vous faire le moindre déplaisir.

Toutes les actions, les pensées et les paroles des hu

mains n'auraient autre but que de chérir et respecter,

après Jésus, Marie sa Mère. Et n'est-il pas raisonnable

qu'il en soit ainsi?

« Au siècle passé et dans ces dernières années, nous

avons vu glorieusement réussir les desseins des cœurs

amoureux de votre gloire et de l'avancement de votre

service par tant de saints Ordres et de saintes Maisons

érigées sous vos hospices et à l'abri de votre Nom de

Marie ou de vos vénérables Mystères : l'ordre de la Con

ception, institué par la sage Béatrix de la Forest, sœur

du bienheureux Amédée; l'ordre de l'Annonciade de

Bourges, fondé par la bienheureuse Jeanne de France ;

celui des Annonciades de Gènes, établi par la bienheu

reuse Victoire ; celui de la Visitation Sainte-Marie, par

le bienheureux François de Sales , évêque et prince de

Genève; celui des religieuses de Notre-Dame, dit de

Sainte - Ursule , par la bienheureuse Angèle , en 1 540 ,

enfin introduit en France , depuis 1612, d'abord dans

Paris, et puis par tout le royaume, nonobstant les dif

ficultés et les résistances incroyables ; celui de la Con

grégation de Notre-Dame, érigé à Nancy, en Lorraine.

« Ce n'est pas seulement ce sexe qui a eu l'honneur

7.

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d'avoir des ordres et familles qui ont porté votre Nom,

les Servites sont vôtres , et se peuvent appeler enfants

de la Vierge et vos serviteurs. C'est de là que leur

vient le nom "de Servites; et à bon droit, puisque

les premiers de leur institut, comme ils demandaient

l'aumône par les rues de Florence, les petits enfants

encore attachés à la mamelle de leurs mères se mirent

à parler et crier : « Voilà les serviteurs de la sainte

Vierge : faites-leur l'aumône. » L'ordre des Carmes est

vôtre, et le temps a été qu'on les appelait les Frères de

Notre-Dame du Mont-Carmel. L'ordre du Mont-Vierge,

institué par saint Guillaume , évêque de Verceille , est

vôtre; il a pour titre glorieux l'une des plus belles de

vos qualités. L'ordre des Minimes est vôtre : aussi les

nommait-on au commencement les Minimes de Jésus et

Marie.

« Mon Dieu, que je prends plaisir à vous raconter tout

ceci , et beaucoup plus à voir ce grand nombre de fidè

les serviteurs et servantes qui ne respirent que votre

gloire et ne vivent que pour vous servir! Mais, il faut

le dire, ils raniment mon courage, et me poussent à

des désirs tels, que je ne sais si je les pourrai expliquer.

« Eh quoi ! glorieuse Mère de mon Dieu , croyez-vous

bien que c'est là où se terminent mes vœux, et les

amoureuses pensées et souhaits de mon cœur? Je vou

drais que toutes ces saintes maisons qui ont l'honneur

de vous appartenir, fussent peuplées bien autrement

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qu'elles ne le sont. Mon grand désir serait que le nom

bre des enfants de la Vierge et des filles de Notre-Dame

arrivât à des millions, et qu'il n'y eût cité ni petite ville

dépourvue de pareilles maisons, et que partout on eût

le bonheur de voir ces saintes maisons comme autant

de sanctuaires et augustes temples de la vertu, dans

l'imitation de leur Mère.

« Je désavoue ces restrictions de n'en pouvoir recevoir,

sans congé particulier du Prélat , que jusqu'au nombre

de trente-trois dans chaque maison. S'il faut des res

trictions , il faut les mettre à trente-trois mille , ou à

trente-trois millions ; encore il vaut mieux ne pas bor

ner le nombre de vos enfants. Plût à Dieu qu'il y en

eût des centaines de millions dans les maisons consa

crées à votre service ! Qu'y aurait-il à craindre? que

le monde manquât? Ah! c'est ce qui n'arrivera jamais.

Il n'y en aura toujours que trop qui serviront le monde

et obvieront à cet inconvénient! Qu'y aurait-il à crain

dre? de la confusion parmi un si grand nombre de vos

enfants? Et n'ètes-vous pas la générale des armées, qui

savez ranger les bataillons et mettre les millions de

soldats en ordre de bataille ! Il vous serait donc aisé de

préserver de la confusion et de tenir en paix trente-

trois millions de vos enfants. Cette milice spirituelle est

bien plus maniable que l'autre.

« Mais, ô sacréeVierge, chère Maîtresse et Gouvernante

de mon cœur ! vous dirai-je en toute sincérité toutes

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les pensées de mon cœur? Je voudrais que tout ce grand

nombre de serviteurs et servantes que vous auriez

parmi toutes ces maisons éparses en tous les endroits

de la terre habitable , fussent des enfants dignes d'une

telle Mère ; qu'ils eussent de l'amour pour vous et pour

votre Jésus autant que n'en saurait avoir jamais eu le

plus fidèle , le plus chaste , le plus saint et le meilleur

de tous vos amants et favoris. Je voudrais que ce fus

sent tous des Alexis, des Bernards, des Josephs Her-

mans, des François , des Dominiques , des Ignaces, des

Xaviers, des Gonzagues, des Berkmans, des Thérèses,

des Victoires, des Brigittes, des Gertrudes, des Claires,

des Angeles, des Catherines, et autres semblables.

« Ma chère Mère, je vous ai simplement exposé les

désirs de mon cœur et tous les replis de mes pensées ,

jusques où vont mes soupirs et mes souhaits. J'ajoute

que je voudrais être de la partie, et que, s'il m'était

possible, je voudrais vous rendre les honneurs, les hom

mages, les respects, les services et les devoirs que tou

tes les créatures de la terre vous ont rendus et vous

rendront jusqu'à la fin des siècles. Je voudrais les cou

vrir toutes de honte par la multitude de mes devoirs,

et vous rendre ces devoirs à deux fois cent millions par

dessus tout ce que les hommes et les anges ont jamais

fait pour vous plaire et pour servir la toute auguste et

toute vénérable Marie, très-digne Mère de Dieu.

Philagie, vous voilà bien en ferveur et en belle dé

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votion : aussi c'est l'Octave de la belle Fête de Marie.

Continuez de même aujourd'hui, et désormais quelque

fois; car, comme tout cela part d'un bon cœur, Marie

agrée le tout. Allez, et que Dieu vous bénisse pour tant

d'amour que vous portez à la Mère d'amour.

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CHAPITRE X

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE SA FORTUNÉE NAISSANCE , LE VIII DE SEPTEMBRE.

DEVOTION PREMIERE.

Pour le huitième jour de Septembre.

Réciter trente-cinq Ave Maria tous les jours de cette Octave ,

pour honorer le nombre des jours que la sainte Vierge de

meura dans les flancs de sainte Anne, sa mère, à l'imitation

de sainte Gertrude.

Sainte Gertrude fut instruite par Notre-Dame non-

seulement comme elle devait honorer le mystère de

l'Annonciation, ainsi que nous avons dit ailleurs , mais

encore celui de sa sainte Nativité. Elle lui dit que qui

réciterait tous les jours de cette Octave trente-cinq fois

l'Ave Maria en l'honneur des jours qu'elle demeura au

sein de sa mère sainte Anne, mériterait qu'elle lui fit

part d'une très-particulière façon de toutes les joies que

son béni cœur ressentit ici-bas, et, de plus, de tous les

contentements dont à présent Dieu comble son esprit.

Tant de riches promesses que la Mère de Dieu fait si

souvent à qui lui présente le Salut Angélique, m'obli

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gent de croire que c'est l'une des plus agréables prières

dont nous saurions nous servir pour l'honorer, et qu'elle

désire que ce soit fréquemment et aux occasions les

plus honorables. Et je ne m'en étonne pas, d'autant plus

que je trouve que nous, qui sommes tous des hommes

faibles , chétifs , et bien éloignés de la nature , de la

beauté et de l'excellence des anges, nous lui rendons

néanmoins , en la saluant du Salut Angélique, des hon

neurs plus nobles, plus excellents et plus magnifiques

que ne fut celui que lui rendit autrefois l'Archange

Gabriel. Ce divin Archange ne la salua qu'en qualité de

simple vierge, et nous la saluons comme Mère du Fils

de Dieu, Fille du Père et Epouse du Saint-Esprit. Saint

Gabriel la salua dans la petite maison de Nazareth, et

nous la saluons triomphante dans le très-auguste palais

de l'empyrée et la toujours glorieuse demeure des Bien

heureux. Le céleste ambassadeur la salua sujette en

core a la mort et aux misères de ce déplorable séjour,

et nous la saluons affranchie de ce pitoyable état, parée

d'éternelle beauté et rayonnante de gloire. Sans doute,

c'est ce qui lui fait si fort agréer nos saluts et requérir

nos petits devoirs, qu'elle veut relever par des avanta

ges qui ne furent jamais promis aux anges.

Je ne pense pas, Philagie, que vous ayez le courage

de refuser de si belles offres, pour si peu que vous

aurez à faire aujourd'hui et les jours suivants à l'hon

neur de la Nativité de votre chère Maîtresse. Ce peu

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encore que vous aurez à faire , et la réitération de la

même pratique, me donnera l'occasion, comme je le fis

pour l'Octave de l'Annonciation, de vous indiquer, tous

les jours de cette Octave, quelques pratiques de celles

pour l'exécution desquelles je ne puis vous donner un

jour. Il suffira donc de prendre chaque jour la résolu

tion de les pratiquer quelquefois en votre vie selon les

occurrences.

DEVOTION IIe

Pour le neuvième jour de Septembre.

Se découvrir ou faire révérence en entendant le Nom de Marie,

à l'imitation du dévot Père Binans, minime.

Au mois de juin, j'ai donné quelques pratiques pour

honorer le sacré Nom de Marie. En voici encore à quel

ques jours de cette Octave. Aussi c'est en ce temps que,

par avance, les parents de la Vierge commencèrent de

la nommer Marie. Car, encore bien que ce beau Nom

ne lui fut imposé avec cérémonie, selon la coutume des

Juifs, que deux semaines après sa naissance, ainsi qu'il

était pratiqué pour les filles, néanmoins, comme ses

père et mère avaient été avertis de lui donner ce beau

Nom, il y a bien de l'apparence qu'ils la nommaient

ainsi déjà avant qu'arrivàt le vingt-deuxième de ce

mois, auquel le nom lui fut donné.

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Le nom de Marie est tellement vénérable qu'on ne

saurait assez le respecter. Les Polonais sont si réservés

en ce point, qu'ils ne permettent à aucune femme de

porter le nom de Marie, de quelle qualité qu'elle soit.

Ce grand respect des Polonais nous apprend avec quel

honneur il faut traiter ce riche et glorieux Nom.

Voici ce que faisait à ce sujet le dévot Père François

Binans, minime, et que vous prendrez aujourd'hui réso

lution de faire le plus souvent que vous pourrez, quand

l'occasion se présentera.

Chaque fois qu'il entendait prononcer le saint Nom

de Marie , il se découvrait par honneur, ou bien il in

clinait la tête , ou bien il faisait la révérence et une

génuflexion. Ainsi feraient les anges s'ils vivaient et

paraissaient parmi nous.

DEVOTION IIP

Pour le dixième jour de Septembre.

Par honneur pour le nom de Marie, ne pas le prononcer en

lisant, mais lui en substituer un autre, à l'imitation de

saint Gérard.

Après les trente-cinq Ave Maria, ayez, Philagie,

cette bonne volonté : qu'à la première occasion et sou

vent désormais, en lisant quelque livre où se rencon

trera le nom de Marie , nom de la Mère de Dieu , par

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respect et par honneur vous ne la nommerez pas, mais

vous direz Notre-Dame au lieu de Marie.

Ainsi le pratiquait saint Gérard, évêque de Hongrie,

qui en avait introduit la coutume par tout le royaume.

D'où vient peut-être encore que, aujourd'hui, elle y est

appelée absolument la Dame. Ce royaume, pour la dé

votion que le roi saint Etienne et saint Gérard lui ont

donnée, a mérité d'être appelé la Famille de la Vierge.

Philagie, ce que tout un royaume faisait, vous ne

ferez pas difficulté de le faire , puisque vous avez autant

d'affection pour la sainte Vierge qu'ils en pourraient

avoir, et que vous souhaitez passionnément d'honorer

ce beau Nom. Sur quoi, vous remarquerez en passant

que Dieu a voulu que le même honneur qui fut jadis

rendu à son Nom, fût rendu à proportion à celui de

sa Mère.

C'était anciennement une commune créance que le

nom de Dieu était ineffable , et que personne ne savait

prononcer cet auguste nom de Jehova. Pour vous dire

mon sentiment, j'estime que ce beau Nom était dit

ineffable parce qu'on n'était pas fixé sur sa vraie pro

nonciation : l'un disait Jésus; l'autre, Jehosva; l'autre,

Jehova. C'était bien l'une des raisons, mais non la prin

cipale, qui faisait qu'on le disait ineffable. Ce n'est pas

qu'il ne fût tel , mais parce que aussi , par honneur, on

ne voulait point le prononcer; par là même encore il

était ineffable. En effet, quand les Juifs rencontraient ce

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nom , ils lui substituaient Adondi, qui veut dire Sei

gneur; quelquefois ils disaient El, qui veut dire Fort;

tantôt ils mettaient Eloim, qui veut dire Dieu, ou Sa-

baot , qui signifie le Seigneur des armées , et ainsi de

quelques autres noms rapportés par saint Jérôme.

Ce peuple en usait de la sorte parce qu'il s'estimait

indigne que ses lèvres proférassent ce saint Nom de

Dieu, qui, entre tous ces noms, était le plus vénérable.

Et c'est à peu près ce que vous ferez désormais lorsque ,

dans un sentiment de respect, vous n'oserez parfois

prononcer le sacré Nom de Marie, et qu'en sa place

vous substituerez celui de Mère de Dieu, Reine des

Anges, Vierge sainte, Notre-Dame, et tel autre qu'il

vous plaira, vous estimant indigne de proférer ce riche

nom de Marie qui est la merveille des noms, et le non-

pareil après celui de Jésus.

On tient que l'Archange Gabriel ne la nomma pas

d'abord par son nom , mais bien par celui de Pleine de

Grâce, et cela par l'honneur et le respect qu'il portait à

ce riche Nom. Il s'en servit néanmoins bientôt après

quand il se fut aperçu qu'elle se troublait sur la nou

veauté de ce nom de Pleine de Grâce. Et pour la ras

surer, il parla comme le commun, et lui dit : Ne craignez

point, Marie. Mais il est certain que d'abord, pour le res

pect qu'il portait à ce Nom, il se servit d'un autre.

A vous le choix, ou d'imiter avec saint Gérard ce

divin ambassadeur, ou d'admirer aujourd'hui les inven

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tions d'amour et d'honneur des amants de Marie pour

la gloire du Nom de cette bonne et aimable Princesse.

DÉVOTION IVe

Pour le onzième jour de Septembre.

Se mettre à genoux en entendant prononcer le Nom de Marie,

à l'imitation de saint Gérard.

Philagie, voici un hommage nouveau que vous pourrez

rendre à la Mère de Dieu lorsque votre dévotion et l'oc

casion le permettront : c'est de vous mettre à genoux

en entendant prononcer le Nom de Marie. Saint Gé

rard, évèque, dont je viens de vous parler, ne manquait

jamais de le faire, en inclinant la tète a terre. Et son

bon exemple portait tous ceux qui étaient présents à en

faire autant; de sorte que la coutume en est encore suivie

par toute la Hongrie.

Si vous ne l'osez faire devant le monde, faites-le au

moins dans votre chambre ou cabinet, quand en lisant,

ou autrement, vous prononcerez le nom de Marie. Mais

peut-être aurez-vous le courage une fois en votre vie

de le faire en présence d'autrui. Car, pour Marie, que

ne faut-il pas faire? Il n'y a respect humain ni créature

qui nous doive empêcher de l'honorer. Ce saint prélat

dont je viens de parler faisait ainsi, ce qui vaut bien ce

que nous pouvons faire, et quelque chose de plus.

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Que si vous appréhendez tant, faites au moins quel

quefois, aux occasions, ce que pratiquait le dévot Fran

çois Retza, recteur de l'Université de Vienne en Au

triche. Il ne se peut dire combien il était dévot a Marie.

Au reste, jamais il n'entendait prononcer le nom de

Marie qu'il ne dît l'Ave Maria. Souvenez-vous du prix-

fait de cette Octave.

DÉVOTION V°

IPour le douzième jcmx' de Septembre.

Baiser la terre, ou au moins l'oratoire ou le livre, en rencon

trant le nom de Marie, à l'imitation du bienheureux Joseph

Herman.

Après les trente-cinq Ave, Maria à dire tous les jours

de cette Octave, voici encore une nouvelle invention

pour honorer le sacré Nom de Marie. Philagie, il ne

tiendra qu'à vous d'en faire autant quelquefois à l'occa

sion, et à la facon du bienheureux Herman de Steinvald.

C'était la sainte coutume de l'ordre de Prémontré,

dont il était religieux, de baiser l'oratoire qui sert

d'accoudoir autant de fois que le nom de Marie était

prononcé pendant le divin Office des jours ouvriers, et

de baiser la main dans les jours de fête. Le bienheu

reux Herman faisait cela.

Que s'il arrivait qu'il dit son Office en dehors du

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chœur, particulièrement les jours de fête, il se pros

ternait à terre à la rencontre de ce saint Nom, il la

baisait, et y demeurait attaché assez longtemps.

Philagie, quand vous ferez cela, demeurez-y moins

de temps que lui, si vous le voulez. C'est bien assez que

vous fassiez cet acte d'humilité à l'honneur de Marie;

et souvenez-vous que l'on ne saurait assez respecter ce

glorieux Nom de la Mère de Dieu. Partout donc ho

norez-le , nommément en public, et a l'église , à l'imi

tation de ce saint ordre de Prémontré, qui, dans ces

rencontres, l'honore tantôt d'une façon et tantôt d'une

autre. Mais la sainte Vierge tient compte de tout, et

tôt ou tard, en temps et lieu, elle en fera ses recon

naissances. En voici une belle preuve tirée de la- vie du

glorieux Patriarche saint Dominique. On y voit que les

démons redoutent étrangement le Nom de Marie : c'est

pourquoi l'Église s'en sert aux exorcismes contre eux.

Et Denis le Chartreux donne pour avis, contre les ter

reurs paniques et les frayeurs nocturnes, de le redire

souvent; et saint Germain, patriarche de Constanti-

nople , dit que les démons les plus acharnés de l'enfer

à perdre les âmes les quittent au seul Nom de Marie.

Le bienheureux saint Dominique était savant en tout

cela : ce qui fut cause que ses religieux de Paris et de

Boulogne, étant molestés par des spectres de toute sorte,

par des lutins si importuns qu'ils en perdaient le som

meil, il ordonna pour s'en défaire qu'on chantât tous les

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jours au chœur cette belle prière du Salve Regimi , où

la Mère de Dieu est réclamée par son beau nom de

Marie. Cette invention et oraison arrêta incontinent les

diaboliques importunités de ces démons. Un jour même,

tandis qu'ils disaient cette oraison, la glorieuse Vierge

se présenta à eux , et quelques-uns d'entre eux s'aper

curent qu'à mesure qu'on entonnait ces paroles : O dulcis

virgo Maria , elle baissait amoureusement la tête comme

pour les saluer tous.

Philagie , qui vous dirait que Marie vous salue bien

souvent, baissant son sacré chef quand vous pronon

cez ou respectez son saint Nom, ne vous donnerait -il

pas envie d'inventer de nouveaux honneurs et respects

extraordinaires que vous rendriez à l'avenir à l'incom

parable Nom de la Reine des Anges?

DÉVOTION VIe

le treizième joui* de Septemfore.

Faire voir partout qu'on aime et sert la sainte Vierge,

à l'imitation des religieux de saint Dominique.

L'amour est l'un des sentiments qui se font connaître

partout; c'est un feu qu'il est malaisé de cacher, surtout

celui qui brûle dans les poitrines des serviteurs de la

sainte Vierge.

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C'est à ce feu qu'on reconnaît les religieux de l'or

dre de Saint-Dominique, enfants de la sainte Vierge.

Leur habit est blanc, aussi c'est la couleur de Marie.

Presque toutes leurs églises sont dédiées à Notre-Dame.

Leur chambre n'est pas sans l'image de leur chère Mère.

Partout on les reconnaît serviteurs de Notre-Dame.

Ainsi tous ceux qui l'aiment sont bien aises qu'on le

sache , et aux occasions ils le font paraître. Pour cela,

quelques-uns aiment le blanc , le bleu et l'incarnat , sur

la croyance que ce sont les couleurs de Notre-Dame.

Et il y a bien de l'apparence que cela est, puisque son

Bien-Aimé (Jésus-Christ dans les saints Cantiques) pa

raît avec cette livrée. Et Elle , pour l'ordinaire , et le

plus souvent , se faisant voir aux hommes , a paru re

vêtue de l'une de ces trois' couleurs.

Quand elle délivra sainte Brigitte des douleurs in

supportables lorsque celle-ci accoucha du bienheureux

Charles, son fils, ce fut en lui apparaissant revêtue de

damas blanc. Quand, la nuit de Noël, elle guérit à

Lorette Jacques, marquis de Bade, prince allemand, ce

fut en se faisant voir a lui, en songe, habillée de

blanc. Quand elle promit toute assistance à Béatrix de

la Forest, dame d'honneur d'Isabelle, reine de Castille,

qui l'avait réclamée en sa grande affliction, elle la vint

voir parée d'une belle robe blanche dessous son grand

manteau bleu. Quand elle fit la faveur à sainte Brigitte de

l'instruire sur quelques merveilles de ses perfections, ce

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fut en paraissant affublée d'un grand manteau bleu par

semé d'étoiles. Quand elle secourut la ville de Rossan,

en Calàbre, assiégée par les Sarrazins, ce fut en parais

sant sur les murailles habillée d'incarnat, portant en

main un flambeau allumé , qui leur donna tant d'effroi

qu'ils s'enfuirent bien vite, laissant leurs échelles sur

les murailles, où ils les avaient déjà plantées. Elle parut

aussi à Dosithée visitant les saints Lieux de Jérusalem,

couverte d'un grand manteau d'écarlate. Je ne doute

point que ce ne soient ses couleurs et sa livrée.

Quoi qu'il en soit , quelques-uns à cette occasion por

tent le blanc, comme les religieux de l'ordre de Pré

montré, les Frères Prêcheurs et les chevaliers de l'ordre

de la Milice de la Vierge , institué par Urbain IV, qui

étaient revêtus d'une belle soutane blanche. Les autres

portent l'incarnat, comme les chevaliers de l'ordre du

Cordon de Notre-Dame, institué par Louis de Bourbon,

- du temps de Charles VI, son neveu. Ces chevaliers,

aux fêtes solennelles de la Vierge, étaient obligés de

porter leur habit, qui était une soutane de damas in

carnat aux larges manches, avec une ceinture de ve

lours bleu doublée de satin rouge, aussi bien que le

grand collier. En outre, le grand manteau était de da

mas bleu céleste. Quelques autres, à ce même sujet,

portent le bleu , comme les Célestes , ainsi appelées à

cause de leur manteau qui est bleu céleste : ce sont les

religieuses de l'Annonciade de Gènes, dont l'habit est

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une robe blanche avec un scapulaire et un manteau de

couleur céleste.

J'en connais qui seraient bien fâchés de paraître sans

quelqu'une de ces couleurs , comme étant la livrée de

la sainte Vierge. Le cordon pour le moins qui enfile

leur chapelet , ou celui de leur reliquaire, sont de quel

qu'une de ces couleurs.

On en voit qui , en d'autres occasions , donnent des

preuves de ce que leur cœur honore. S'ils essaient une

plume, c'est en écrivant le nom de Marie. Lisez ce qu'ils

ont écrit sur le papier, vous y trouverez : Vive Jésus !

vive Marie !

S'ils ont des chiffres, le nom de Marie y sera inséré.

Le cardinal annaliste, César Baronius, en toute ren

contre logeait parmi ses écrits un chiffre dont les let

tres capitales disaient ceci : Cœsar servus Mariœ, c'est-

à-dire : César serviteur de Marie. On l'a trouvé parmi

la copie de ses Annales environ six cents fois.

S'ils étudient , s'ils travaillent , ils ont une image de

la Vierge devant eux, à l'exemple de saint Edmond,

qui, étudiant, avait toujours ce gracieux objet devant

ses yeux.

S'ils embellissent une chambre, une salle, un cabinet,

ils y logent le portrait de la Mère de Dieu. Le nombre

de ceux qui font ainsi est considérable.

S'ils distribuent quelque présent, c'est de quelque

image de la Mère de Dieu. Sainte Elisabeth, fille de

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André II, roi de Hongrie, avait quantité de telles ima

ges ou statues de la sainte Vierge, et en faisait des

présents.

S'ils ont quelque inclination à s'engager plus avant

au service de leur chère Mère, ils entrent aux confré

ries qui sont consacrées et destinées pour la servir.

Ainsi donc les voilà de la confrérie du Saint-Scapulaire

de la Vierge, ou de celle du Saint-Rosaire; ou bien ils

se rangeront aux Congrégations érigées en son honneur

dans les colléges et maisons de la Compagnie de Jésus.

Ils voudront bien qu'on sache qu'ils en sont , et qu'ils

sont serviteurs de la Reine du Ciel.

Philagie, un saint amour est toujours riche en inven

tions. Après avoir dit aujourd'hui les trente -cinq Ave

Maria que vous avez dessein de dire en suite de cette

Octave, résolvez-vous à quelqu'un des susdits traits ou

autre que votre amour vous fournira. Qu'on vous re

connaisse servante de la Mère de Dieu a la parole, à

la livrée, aux façons de faire , à quelque signe. Et si

quelque méchante langue ou respect humain vous en

veut divertir, dites hardiment : Je veux bien qu'on le

sache : je sers la Mère de Dieu, je suis à Marie, j'ap

partiens à la sainte Vierge.

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DÉVOTION VIIe

IPour le quatorzième jour de Septembre.

Faire quelque signalée et héroïque action à l'honneur de la

sainte Vierge, à l'imitation de bon nombre de confrères qui

la servent en ses Congrégations.

Philagie, il ne faut qu'une action héroïque faite pour

Marie. Une seule faite de cette sorte est capable de

nous donner entrée à toutes les bénédictions et au

bonheur de notre salut.

Un jeune homme dans la ville de Poitiers, étant sur

le point d'offenser Dieu avec une fille débauchée , l'in

terrogea sur son nom. Ayant appris qu'elle s'appelait

Marie, il la fit sortir sur-le-champ. Dieu l'en bénit tel

lement, qu'il devint un exemplaire de chasteté et un

miroir de vertu. Et en mémoire de ce changement si

soudain , on bâtit en la place où était la maison de ce

jeune homme une chapelle , et depuis la célèbre église

de Notre-Dame de Poitiers.

Ce qui arriva au pape Innocent III est bien plus re

marquable. Toute l'action signalée qu'il avait faite, c'é

tait d'avoir bâti un monastère à l'honneur de la Mère

de Dieu, et cela lui valut le bien d'être délivré de l'en

fer. Il apparut à sainte Ludgarde tout en feu et en

flammes pour implorer ses prières , ainsi qu'il avait ob

tenu de pouvoir le faire par la faveur de Notre-Dame.

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Le discours qu'il lui tint fut qu'il avait commis trois

péchés qui l'avaient conduit sur le bord du précipice de

la damnation éternelle; mais que la sainte Vierge lui

avait impétré , un peu avant que de mourir, la grâce

de bien se confesser ; que cette confession l'avait sauvé ;

que pour le purgatoire, il y était pour de longues années.

Voilà ce que c'est que de se porter aux actions hé

roïques en l'honneur de la sainte Vierge. En ce temps-

ci , il y a quantité d'âmes généreuses qui n'oublient pas ,

dans les occasions, de se signaler et rendre recomman-

dables. Le désir qu'elles ont de plaire à Notre-Dame

leur fait surmonter toute difficulté.

Ceux-là sont pardessus tous dignes de louanges , qui

servent la sainte Vierge en ses Congrégations. Vous le

jugerez ainsi du peu que je vais avancer.

Que vous semble de ce jeune homme de Cordoue qui,

ayant fait vœu de chasteté dans la chapelle de la Con

grégation, à son retour au logis s'ouvre lui-même la

veine, tire de son sang, en écrit la formule de son vœu,

la signe et la dépose dans son reliquaire , tout prêt à

mourir et donner son sang pour la conservation de sa

pureté !

Que dites-vous de cet autre confrère et serviteur de

la Vierge dans la Congrégation de Séville, qui mourut

l'an 1603, et qui, en mourant, dit au Préfet de la

Congrégation que , par la grâce de Dieu et de la sainte

Vierge sa Mère, il mourait, après avoir été victorieux

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durant deux ans qu'il avait demeuré à Séville touchant

la garde de ses yeux , pour l'amour de la pureté et de

la sainte Vierge, n'ayant jamais regardé une femme au

visage, et n'en connaissant pas deux de vue excepté

une ou deux de ses proches parentes, avec qui, par

nécessité, il avait parfois fallu traiter pour sa pension

ou choses pareilles !

Combien estimez-vous ce confrère de la Congrégation

de Munich qui , ayant reçu à tort un soufflet injurieux

de son camarade, se mit néanmoins à genoux devant

lui et présenta l'autre joue , que cet insolent chargea

encore d'un autre sonfflet , qui fut reçu et souffert avec

autant de patience et de débonnaireté que le premier ! Ce

ne fut pas tout: quand il fallut faire l'accord sans que

l'offensé fut requis de rien , il se mettait déjà en devoir

de demander pardon à celui qui l'avait si injurieuse-

ment offensé.

A quel prix mettriez-vous une souffrance héroïque

pareille à celle-là, une bonté de cette trempe, un cœur

souffrant ainsi pour l'amour de la sainte Vierge ! C'est

Elle qui sent le prix de toutes ces actions, qui les ré

compense tôt ou tard de mille faveurs.

Philagie , après vos trente-cinq Ave Maria, je suis

bien d'avis de sonder votre courage pour lui donner

envie de faire parfois, aux occasions de rencontre ou

recherchées , des actions signalées et héroïques à l'hon

neur de la Mère de Dieu.

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Je ne vous dis pas qu'elles soient semblables à celles

ci- dessus alléguées : il y en a qu'il ne faut pas imiter.

Mais il suffit bien d'entreprendre celles qui sont à votre

portée , et que Dieu ne manquera pas de vous inspirer,

si vous y mettez tant soit peu de bonne volonté.

DEVOTION VHP

Four le quinzième jour de Septembre.

Avancer l'honneur et la dévotion de la sainte Vierge de tout

notre pouvoir, à l'imitation de Jean 1er, roi de Portugal.

Philagie, quel bonheur serait-ce aujourd'hui si, après

les trente-cinq Ave Maria que vous voulez dire pour

achever le prix-fait de cette Octave, vous pouviez affec

tionner votre cœur a la gloire de la sainte Vierge ! Vous

prendrez la résolution de n'oublier désormais rien de ce

qui sera de votre pouvoir pour la faire aimer et servir,

respecter et honorer.

Il y en aurait bien assez pour vous faire perdre cou

rage, si je voulais vous donner en exemple ces grands

et éminents personnages qui, par l'excès de leurs ma

gnificences en bâtiments superbes, ou par leur riche

éloquence, ou par la bonté de leur esprit et de leur

plume, ou par la grandeur de leur zèle, ont avancé et

amplifié en cent mille manières l'honneur, le culte, la

gloire de la Reine des Anges. Je ne veux que vous pro

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poser ce que vous pourrez imiter, et dont vous ne sau

riez vous dédire.

C'est bien un grand roi que je veux vous mettre en

exemple; mais il est inimitable au point que je mar

querai.

Il n'est pas croyable ni aisé à dire combien Jean I",

dixième roi de Portugal , était affectionné à la Mère de

Dieu , surtout à .tâcher de la faire honorer, aimer et

servir. D'après ce dessein, il lui fit bâtir trois superbes

églises, surtout celle qui est appelée Notre-Dame de

l'Olivier, proche de Lisbonne. Il y offrit autant d'argent

que pesait son corps armé de pied en cap ; il y appendit

sa lance et sa cotte d'armes ; il y donna des pièces d'or

fèvrerie de plus de quatre cent mille écus; il y fonda

un chapitre de trente-deux chanoines, à chacun des

quels il donna quatre cent cinquante écus de revenu,

sans compter le plat de l'évêque qui est de deux cent

cinquante mille écus. Il y obtint plusieurs belles indul

gences pour la rendre plus auguste , et obliger le monde

à venir honorer la Mère de Dieu.

Vous pensez peut-être déjà que c'est le trait imitable

que je vous propose? Nullement. C'est ce qu'un roi ou

un prince peut faire; et voici ce que tous peuvent faire,

si ce n'est de même, du moins à proportion de leurs

forces. Tous les jours il récitait l'Office de la Vierge

avec le sentiment de la dévotion , et il conseillait la

même pratique à tous ceux qu'il aimait le plus; il fai

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sait tout ce qui était en son pouvoir pour en gagner

plusieurs à ce saint exercice.

En suite du louable zèle de ce glorieux prince , je ne

peux m'empêcher de vous conjurer d'en faire autant.

Invitez donc désormais ceux qui converseront avec vous

d'aimer et servir la sainte Vierge, de dire son Office

aux bonnes fêtes , de communier aux jours de ses so

lennités , à faire abstinence ou jeûner les samedis et

veilles de ses fêtes, à lui demander matin et soir sa

bénédiction , à la prier, par la bonté de son cœur, à se

réjouir souvent avec elle de ce qu'elle est Fille du Père ,

Mère du Fils et Epouse du Saint-Esprit ; à être de quel

qu'une de ses Congrégations , a prononcer souvent le

sacré Nom de la bienheureuse Vierge Marie , et à lui

protester souvent qu'on voudrait mourir pour cette vé

rité — qu'elle est Vierge et Mère, à aimer la chasteté

pour lui plaire, à dire tous les jours la Couronne des

Douze Etoiles, à n'avoir confiance qu'en Elle et en Jésus

son cher Fils , et ainsi des autres pratiques qui sont en

ce livre.

O la bonne journée pour vous si , avec la résolution

de pratiquer vous-même toutes ces choses, vous attiriez

quantité d'âmes à son grand amour!

Philagie, de quelle consolation vous jouiriez à la mort

si elle vous surprenait travaillant ainsi pour agrandir

l'empire de Marie et à lui faconner des cœurs pour

l'aimer ! Que pourriez-vous attendre en ce passage qu'un

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gracieux visage de la Mère d'amour, et une favorable

main qu'elle vous présenterait pour vous conduire au

trône de la gloire de son Fils, et vous y servir de fidèle

Avocate et amoureuse Mère en reconnaissance de vos

travaux affectionnés pour l'agrandissement de son em

pire !

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CHAPITRE XI

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE NOTRE-DAME DE LA VICTOIRE, LE VII D'OCTOBRE.

DÉVOTION PREMIÈRE.

Pour le septième jour d'Octobre.

N'entreprendre rien que sous la conduite et à la faveur de la

sainte Vierge, à l'imitation de sainte Thérèse.

Philagie, tout à propos de la fête de Notre-Dame de

la Victoire, je vous donne aujourd'hui cette pratique,

puisque cette puissante et grande armée des chrétiens

trouva son bonheur et la victoire contre les Turcs à la

faveur de la sainte Vierge, qu'elle avait implorée.

L'armée ennemie était de beaucoup plus puissante,

plus nombreuse et plus aguerrie que celle des chrétiens :

néanmoins, par la favorable assistance de la Mère de

Dieu qui était invoquée à cette fin par toute la chré

tienté, la victoire en demeura aux chrétiens, et si avan

tageusement, que depuis les six heures du matin jus

qu'au soir il y eut cent quatre-vingt-dix galères de

prises sur l'ennemi ; quatre-vingt-dix furent coulées ;

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trente mille Turcs furent massacrés , dix mille faits pri

sonniers, et environ autant qui étaient à la rame des

galères des Turcs mis en liberté; cent et seize grosses

pièces de canon et cent cinquante couleuvrines furent

gagnées.

Ce grand secours de la Vierge rendit cette journée

de Lépante glorieuse pour les chrétiens, et le pape

Pie V, en reconnaissance , lui consacra ce jour sous le

nom de Notre-Dame de la Victoire.

Philagie, croyez-moi, n'entreprenez jamais aucune

affaire que vous ne la recommandiez à la sainte Vierge,

et puis laissez-lui le soin du succès. Commencez dès

aujourd'hui. Il n'est pas de jour que vous n'ayez quel

que affaire en main, quelque bon dessein à cœur.

Tous les serviteurs de Marie en ont toujours fait au

tant au commencement de leurs affaires, voyages, pro

cès, négoces, offices, travaux, bonnes œuvres, desseins,

entreprises, changement de vie et d'état, et la sainte

Vierge les a bénis.

Saint François - Xavier n'entz'eprenait ses glorieux

voyages de la conquête des âmes aux Indes que sous

les auspices de la glorieuse Vierge. Sainte Thérèse,

étant choisie prieure du monastère d'Avila, pria la

sainte Vierge d'en prendre la charge, et ayant fait

mettre son image à la place de la prieure, elle lui offrit

les clés de la maison. Aussi il arriva, peu de jours

après, qu'elle apercut la sainte Vierge assise à la chaire

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de la prieure, tandis que les religieuses tournées de ce

côté-là chantaient un Salve Regina.

Le bienheureux François de l'Enfant Jésus ne man

quait jamais de recommander et commettre le soin de

toutes ses entreprises à la bonne Mère , dans le grand

emploi qu'il avait aux œuvres de charité, surtout de la

conversion des femmes débauchées ou de l'avancement

spirituel des repenties; et quand il y avait manqué, il

reconnaissait aussitôt que le teigneux (ainsi il nommait

le diable) traversait ses desseins par de grandes diffi

cultés et de la résistance.

Aussi parfois, prenant garde à son oubli, il retour

nait à la maison et invoquait dans sa chambre la Notre-

Dame de sa dévotion. Il mettait l'image du teigneux

sous les pieds de l'image de la sainte Vierge, et retour

nant en ville pour ses bonnes œuvres, il ne trouvait

plus les difficultés précédentes, et tout lui réussissait à

souhait.

A ce propos, je ne puis ne pas loger ici ce qui arriva

à ce dévot de la Vierge , Alexandre Marchant , dont

parle le patriarche Sophronius.

Comme il allait d'Alexandrie à Constantinople , sur

son départ , sa femme très-dévote aussi à la Mère de

Dieu l'interrogea en lui demandant à qui il la recom

mandait et toute sa famille ? Il répondit : A la Mère de

Dieu, laquelle aura grand soin de vous. Cela parut bien

tôt vrai : car, après que son mari fut parti, le valet de

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la maison, poussé par le diable, prend un gros couteau

de cuisine , délibère de tuer sa maîtresse et sa petite

fille de six ans, puis de piller la maison et de s'enfuir.

Comme il se dispose d'aller faire le coup, tout étourdi

de la pensée de son crime, il ne peut trouver la porte

de la chambre. Il appelle donc sa maîtresse; elle lui

répond que c'est à lui de venir à elle, s'il a quelque

chose à lui dire. Il répète; mais elle tient bon.

Le malheureux, voyant que son dessein ne réussit pas

selon son désir, au lieu de tuer sa maîtresse, se tua

soi-même, en jetant un grand cri. A ce cri elle sort,

et trouve ce malheureux étendu à terre et trempé dans

son sang. Effrayée, elle appelle les voisins et la justice,

qui trouva encore en ce désespéré autant de vie qu'il

en fallait pour confesser son détestable dessein.

Voilà ce que c'est que de se jeter entre les bras de

la Mère de bonté, et lui recommander tout ce qui nous

concerne. Ce sera au Ciel un jour que nous saurons en

combien d'occasions elle nous aura été secourable!

Mais pourquoi est-ce, Philagie, que je vous mets en

avant des preuves de vieille date pour justifier mon dire ?

Voulez-vous bien que je vous serve des traits plus proches

de nos jours, et que je vous mette en exemple quelques-

unes de ces riches faveurs dont la glorieuse Vierge

s'est rendue recommandable depuis peu par les admi

rables assistances qu'elle a données à tous ceux qui ont

imploré son secours, au temps de leurs plus pressantes

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et importantes affaires? C'est tout ce que je désire. Tout

ce vieux temps ne m'agrée pas comme ces belles actions

qui frappent nos yeux de plus près, et qui se rendent

plus sensibles et plus agréables à nos esprits par la

raison qu'elles sont manifestées au temps où nous vivons.

De plusieurs de cette nature dont je pourrais parler

ici et qui reviennent au sujet que je traite, je ne me

veux engager qu'au récit de celle qui a fait avouer à

toute la France, ces mois passés, que c'était une mer

veille du Ciel ; et à tous ceux qui en savaient toutes

ses particularités, que c'était un coup de Marie, la Mère

de Dieu.

Je veux parler de cette célèbre, glorieuse et admi

rable victoire de Leucate contre les ennemis de notre

invincible monarque Louis le Juste. Puisque c'est le

lieu de ma naissance, et qu'à cette belle occasion mes

plus proches ont ressenti les obligeantes faveurs de la

Reine du Ciel , il semble bien raisonnable de m'attacher

a ce trait plus qu'à tout autre. En outre, je dois cette

reconnaissance à leur chère Libératrice et ma très-ai

mable Maîtresse. Considérons donc un peu à loisir cette

victoire de Leucate , je voulais dire cette victoire de

Marie.

Cette place, qui n'est ni régulière, ni à la moderne,

carrée en son assiette et flanquée seulement de quatre

bastions, a soutenu glorieusement le siége durant trente

jours contre une armée de seize mille hommes de pied

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et de dix-huit cents chevaux, qui s'y était préparée

depuis plusieurs mois. Elle s'est moquée de quatre bat-'

teries composées de plusieurs canons ; et elle a repoussé

les divers assauts qui lui ont été donnés, à la honte et

à la confusion des assaillants. Elle n'a regretté que dix

hommes qui y sont morts et une quinzaine de blessés.

Dans le même temps qu'elle triomphait des assiégeants,

elle faisait mourir, tous les jours du siége, par ses

braves combattants, environ vingt-cinq de ses ennemis,

au rapport des prisonniers de leur parti.

Or, qui a fait toutes ces merveilles, qui a raidi le

bras et prêté le courage à cette poignée de trois cents

hommes qui défendaient ce lieu? C'est Marie, la Mère de

Dieu, qui a eu le grand soin de la conservation de

cette place, comme en étant la grande protectrice. Elle

y était intéressée et voulait défendre son bien. En

effet, cette forteresse lui appartenait et elle lui ap

partient, puisque, quand on la bâtit et quand on la

fortifia, ce fut sous ses favorables auspices, et en don

nant à l'un des boulevards le nom de bastion de Notre-

Dame.

Voilà comme il importe de n'entreprendre rien où

Notre-Dame n'ait part, et de faire tout sous la conduite

et à la faveur de la sainte Vierge. Passons outre.

Durant le siége de cette forteresse, on a vu des acci

dents qui peuvent passer pour des miracles. Parmi les

bombes que les ennemis jetaient, la nuit, dans la place

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et qui apportaient des désastres incroyables, il en tomba

une sur un endroit où il y avait quatre mille sarments

et la provision des farines et des poudres. Le feu ayant

pris à ce bois, fit un incendie grandement funeste. Ce

pendant , durant une heure , on fut heureux de passer

sans accident parmi les flammes pour retirer la farine

et la poudre sans que rien ne se perdît , et sans que le

feu se prît aux poudres , dont les barils étaient la plu

part ouverts par le dessus.

Une autre bombe fit pis encore : elle enfonça un toit

sous lequel étaient beaucoup de petits enfants dans leurs

berceaux, qu'on avait retirés du village aux approches

de l'ennemi. Le feu prit à tout ce qu'il rencontra, brûla

et ruina tout , excepté les petits innocents, qui ne furent

que noircis de la fumée des flammes. Il faut dire encore

qu'un canon qu'on dirigeait contre les ennemis creva

et éclata en cent pièces : le gouverneur et divers offi

ciers de la place , avec quelques autres personnes qui

étaient à l'entour, ne furent pas blessés par les éclats

de ces débris. En bon français , comment appelez-vous

^out cela, si ce n'est des miracles? Or, qui a fait ces

miracles , s'il m'est permis de les nommer ainsi ? C'est

Marie, la Mère de Dieu, qui écoutait alors et qui exauçait

les prières qu'on lui faisait en divers endroits pour le

succès de Leucate. Je sais fort bien qu'on l'a priée pour

cet effet en divers lieux; mais je sais bien mieux ce qui

s'est passé dans Lyon, où j'étais en ce temps-là, et ce

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que j'ai tâché de taire pour cette fin , car eu effet j'y

étais intéressé.

Je suis assuré que plusieurs maisons religieuses de

divers Ordres firent des prières extraordinaires à la

sainte Vierge dans ce but. J'ai appris de fort bonne

part qu'une belle et dévote image de la Mère de Dieu,

qui refuse rarement ce qu'on lui demande, fut exposée

solennellement, et priée avec instance pour Leucate,

durant vingt-quatre heures, dans un monastère de re

ligieuses. Je sais bien qui fit un vœu à la Vierge-Mère

de quantité de bonnes œuvres , durant trois ans , pour

le gouverneur de Leucate et pour son fils qui s'apprê

tait avec son régiment pour attaquer des premiers par

dehors les assiégeants : de sorte que je ne doute nulle

ment que toutes ces merveilles ne soient dérivées de la

secourable et de la puissante main de Marie.

Mais ce n'est pas tout. Puisque nous y sommes en

gagés , donnons l'honneur de toute la victoire à la tou

jours triomphante Marie, la Mère de Dieu. Voilà que

les retranchements des ennemis qui assiégeaient la place,

qu'ils estimaient imprenable, furent forcés et enlevés

dans cinq heures, en pleine nuit et à la seule lumière

de la lune, par la vaillance et par la force des bras

d'une armée dressée dans quinze jours et qui n'avait

nul attirail de canons. De plus, voilà ensuite les enne

mis qui lèvent le siége, qui prennent la fuite, qui lais

sent soixante-dix pièces d'artillerie, qui abandonnent les

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provisions de bouche , les munitions de guerre et tout

le bagage, qui furent tués au nombre de trois mille

cinq cents/^sans compter cinq cents autres qui se noyè

rent en fuyant et autant qui furent faits prisonniers.

A qui faut-il rendre la grande gloire de cette action,

de cette défaite tant signalée des ennemis, et de cette

grande et mémorable victoire que nos descendants au

raient peine à croire! A qui? a Marie, la Mère de Dieu

et la Mère des victoires ; et il ne fallait pas attendre

un si plein succès d'une autre main que de la sienne.

M8r l'archevêque de Bordeaux était très-savant en ce

point , et il témoigna assez à toute la France la grande

confiance qu'il avait en la maternelle bonté de la Mère

de Dieu par le vœu qu'il fit, le même jour de l'attaque

des ennemis, à la très-célèbre Notre-Dame qui est en

Guienne, au nom de toute l'armée et pour l'heureux

succès de son entreprise.

En voilà assez, Philagie, pour vous apprendre que

c'est à Marie qu'est due la gloire de cette victoire dont

je viens de vous entretenir. J'ajouterai cependant que ,

quand bien même on n'eût rien fait de tout ce que j'ai

dit avoir été fait pour se rendre propice la Mère de

Dieu , il n'y aurait eu encore rien à craindre. Leucate

n'en eut pas moins été victorieuse par les amoureuses

assistances de Marie. C'était une victoire que le roi*»

souhaitait passionnément ; elle était importante à sa

couronne, et elle était désirée de tous les bons Fran

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rais. Il n'en fallait pas davantage pour incliner la sainte

Vierge à exaucer les vœux et souhaits de son favori

Louis le Juste.

Ce grand prince, qui est déjà depuis longtemps dans

la possession des victoires à la faveur et sous la con

duite de la Mère de Dieu, ne pouvait attendre que toute

sorte de bonheurs pour la délivrance de cette place. La

sainte Vierge, qui l'a rendu glorieux en l'Ile de Rhé,

redoutable en la prise de La Rochelle, et partout vic

torieux, a voulu continuer ses saintes bénédictions sur

Sa Majesté en ces jours, pour nous faire savoir qu'il

n'est rien de si avantageux et de si désirable que d'a

voir Marie pour Avocate, et de recourir en tout à son

amoureuse bonté.

DÉVOTION IIe

IPour le huitième jour «l'Octobre.

Dire le Rosaire de la sainte Vierge, à l'imitation de

saint Dominique.

Cette belle dévotion est assez en vogue; c'était celle

de saint Dominique, l'ordinaire de la bienheureuse Vic

toire tous les samedis, et cetera la vôtre aujourd'hui. Je

n'entreprends pas de vous dire son origine par le moyen

de saint Dominique , comment il le faut réciter, ses

fruits et bénédictions du Ciel que ressentit en son com

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mencement la mère du roi Saint-Louis, Dieu lui ayant

donné un fils à la considération de cette prière.

Je ne veux non plus m'arrêter aux considérations

qu'on peut faire en le récitant; il suffit d'observer que

de quinze dizaines qu'il faut dire , les cinq premières

sont pour les cinq Mystères joyeux, savoir : l'Annon

ciation de la Vierge, la Visitation de sainte Elisabeth,

la sainte Naissance de son Fils, la Présentation qu'elle

en fit au temple le jour de la Purification, et le Recou

vrement du Même dans le temple jparmi les docteurs.

Les cinq suivantes sont pour les cinq Mystères dou

loureux, qui sont : la Sueur de sang au jardin, la Fla

gellation, le Couronnement d'épines, le Portement de la

croix, et le Crucifiement de Jésus.

Les cinq dernières sont pour les cinq Mystères glo

rieux, qui sont : la Résurrection et l'Ascension de Jé

sus, la Descente du Saint-Esprit, l'Assomption de la

Vierge et son Couronnement au Ciel.

Il y a des livres qui ne traitent d'autre sujet. Il me

suffit , Philagie, que vous pensiez sérieusement à ce que

j'ajoute ici , tiré du quatrième Livre des Révélations de

sainte Gertrude.

Cette sainte étant, un jour de la Nativité de la Vierge,

à Complles , présenta cent cinquante Ave Maria à son

Epoux Jésus-Christ, c'est-à-dire le Rosaire, qui en con

tient autant, le priant par l'affection qu'il portait à sa

sainte Mère de vouloir bien la secourir à l'heure de la

8.

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mort. Au même temps, elle aperçut aux pieds de Notre-

Seigneur un amas de pièces d'or qui égalaient en nom

bre les paroles qu'elle avait prononcées durant sa prière.

Elle vit qu'il les remettait dans les mains de la glo

rieuse Vierge, laquelle, les ayant diligemment amassées

dans son sein, fit entendre à sainte Gertrude qu'autant

de pièces il y avait, autant elle lui compterait de grâces

et de faveurs lors de son trépas, afin qu'elle pût soute

nir les assauts de ses ennemis invisibles.

Hélas ! quelle consolation et combien de grâces et de

faveurs auront , à l'heure de la mort , ceux qui , durant

leur vie, les dix , les vingt , les quarante ans de suite ,

auront dit ou le Rosaire ou la Couronne à la Mère de

Bon-Secours ! car elle ne leur sera pas moins favorable

qu'à sainte Gertrude. A ce propos, je veux encore loger

ici un trait qui peut grandement consoler les malades

ou les personnes tellement occupées que les douleurs ou

les occupations ne leur permettent pas de dire le cha

pelet ou rosaire que volontiers elles diraient.

Il se lit de la même sainte Gertrude, que, ne pouvant

dire son chapelet entier comme elle voulait, à cause

d'une fâcheuse douleur de tète qui la tourmentait, elle

disait , à chaque dizaine, seulement ces mots : Ave, Ma

ria. Et après, la sainte Vierge s'apparut à elle avec une

belle couronne de roses, pour récompenser sa peine.

Elle lui dit que cette briève façon de dire le chapelet

lui avait autant plu que quand elle le disait tout entier,

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parce qu'elle faisait le peu qui était en son pouvoir avec

le désir de l'accomplir entièrement si elle eût pu.

N'admirez-vous pas, Philagie, la bonté de Dieu et

l'amour de sa sainte Mère qui prisent toutes nos prières

au poids de l'or 1 A chaque parole une grâce qui vaut

plus , pour si petite qu'elle soit , que tout l'or du Pérou,

et même ce que nous voudrions dire se compte comme

dit.

C'est bien être insensé que de n'aimer et prier un si

bon Prince et une si bonne Princesse !

DÉVOTION IIP

Pour le neuvième jour d'Octobre.

Dire la Couronne de la sainte Vierge, à l'imitation du bien

heureux François de Sales , évêque de Genève.

Durant cette Octave, je loge ici volontiers les dé

votions du Rosaire et du Chapelet ou Couronne de la

sainte Vierge, parce que, si jamais la Mère de Dieu fut

priée au moyen de cette formule par un nombre pres

que infini de personnes , ce fut surtout par toute la

chrétienté au temps où l'armée navale combattit contre

les Turcs. Car l'histoire remarque comment les grands

et les petits étaient partout en prière pour obtenir une

glorieuse victoire par l'intercession de la Mère de bonté,

et que la prière la plus ordinaire était le chapelet ou

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rosaire. On ne se contentait pas pour lors d'en dire un

tous les jours : on en disait plusieurs.

Mais je viens à vous, Philagie. Ne vous traite-je pas

bien doucement de ne vous demander à dire en ce jour

qu'un chapelet , qui n'est que de six dizaines d'Ave Ma

ria et autant de Pater noster, en l'honneur des années

que la sainte Vierge a vécu en cette vie, avec ce qui

se dit à la croix?

Je vous dirai qu'il vous sera malaisé de lire ce qui

suit que vous ne preniez l'envie de le dire tous les jours.

Par là vous imiterez beaucoup de serviteurs de la

Vierge, qui seraient bien fâchés d'y avoir manqué un

seul jour, pour grandes que puissenfêtre vos occupa

tions. Si vous craignez d'en faire autant, gardez-vous

bien de lire ce qui suit.

La pratique de la Couronne de la sainte Vierge a été

introduite à l'occasion d'un jeune homme qui avait cette

belle dévotion à la Mère de Dieu. C'est que, tous les

jours, il mettait sur la tète d'une Notre-Dame qu'il avait

en sa chambre une couronne de fleurs, tantôt de roses,

tantôt de lis, tantôt d'autres fleurs. Or, il arriva qu'il

quitta le monde et se rangea dans l'ordre de Saint-

François. Peu de mois après qu'il y fut entré, il suc

comba à la tentation qui le pressait d'en sortir, parce

qu'il n'avait pas la facilité d'accomplir cette dévotion

tous les jours, n'ayant point de fleurs à sa disposition

comme il en avait dans le monde.

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Il se met donc en train de tout quitter. — Ah ! non

pas cela , dit la sainte Vierge, qui en même temps lui

apparut. Mon fils, ajouta Marie, je te veux donner une

pratique pour satisfaire à ta dévotion : c'est que tous

les jours tu me donneras pour Couronne une prière de

soixante Ave avec sept Pater noster ; et je t'assure que

cette Couronne ne me sera pas moins agréable et à toi

profitable que la première.

Il le fit ainsi avec persévérance. Cette dévotion, étant

sue, fut embrassée de tous les affectionnés au service

de la sainte Mère. Et comme l'ordre de Saint-Dominique

est la cause du sacré Rosaire, l'ordre de Saint-François

l'est aussi de la Couronne.

Ce n'est pas tout : la sainte Vierge a, depuis, souvent

témoigné combien cette dévotion lui est agréable.

L'histoire encore de saint François rapporte cette si

gnalée faveur dont la Mère de Dieu honora un religieux

de cet ordre :

Il avait cette louable coutume de dire la couronne

tous les jours, avant le repos. Je ne sais par quel acci

dent un jour il y manqua. Quand ce fut l'heure du re

pas, il va soudain au supérieur et le prie de lui per

mettre de s'absenter un peu de temps de la communauté

pour dire son chapelet. Ayant obtenu sa permission, il

s'en va. Comme son retour tarde un peu trop au gré

du supérieur, celui-ci mande à un religieux de le faire

venir. Il y va , et trouve sa chambre toute rayonnante

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de lumière. Il s'approche, et voit tout auprès du reli

gieux la Mère de Dieu et deux Anges ; et à mesure qu'il

disait un Ave Maria, une belle et fraîche rose sortait

de sa bouche, et les Anges les prenaient l'une après

l'autre et les mettaient sur la tête de cette sainte Reine.

Le chapelet achevé, tout disparut. Et tout fut apercu

par trois religieux, qui furent mandés l'un après l'autre

sur la cause du retard de ceux que le supérieur en

voyait : car chacun, surpris de cette merveille, s'arrê

tait pour voir quelle issue aurait cet accident si beau.

Qui vous dirait, Philagie, qu'invisiblement il vous en

arrive autant quand vous dites la couronne, ne trouve

riez-vous pas un petit quart-d'heure tous les jours pour

avoir cette faveur?

Je ne pense pas que vous ayez autant d'occupations

que le grand prélat Francois de Sales, qui, nonobstant

la presse de ses très -grandes occupations, disait tous

les jours la couronne en méditant les Mystères de la

Vie de Notre-Dame, et employait d'ordinaire une heure

à le dire. La réponse qu'il fit une fois à son secrétaire,

qui depuis est entré en la Compagnie de Jésus et m'en

a fait le récit, est digne de remarque. Comme, un jour,

ce saint prélat pour ses occupations n'avait pas eu le

loisir de dire son chapelet , que la nuit était bien avan

cée et son corps affaibli par le travail du jour et acca

blé de sommeil, son secrétaire, le voyant sur le point

d'entreprendre encore à dire sa couronne avant que de

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prendre son repos, le pria de la différer au lendemain

et de se retirer, parce que sa santé en pourrait être

incommodée. — Mon ami, dit le prélat, jamais il ne

faut différer au lendemain ce qui peut se faire en son

temps.

L'amour et le zèle de quelques-uns à s'acquitter tous

les jours de cette dévotion envers la Mère de Dieu est

incroyable. Celui de cet incomparable prélat suffira

pour tous, et celui aussi d'un jésuite que j'ai connu,

qui , durant trois ans qu'il fut aveugle avant sa mort ,

dit plus de trente-deux mille chapelets. Son train or

dinaire était d'en dire trente tous les jours. Il mourut

à Avignon environ l'an 1628.

Je vous laisse à penser si la Vierge l'assista au jour

de son trépas, puisque aux trois dernières années de

sa vie il l'avait réclamée autant de mille fois qu'il avait

dit l'Ave Maria, c'est-à-dire plus de quinze cent mille

fois.

DEVOTION IVe

Pour le dixième jour d'Octobre.

Porter sur soi le Chapelet ou Rosaire, à l'imitation de

plusieurs serviteurs de la sainte Vierge.

C'est encore la dévotion du bienheureux François de

Sales, évèque de Genève.

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Il portait toujours sur soi son chapelet, même étant

jeune écolier; il le portait à la ceinture, à la vue de

tout le monde , et voulait bien qu'on sût qu'il était

serviteur de Notre-Dame sans se soucier de ce qu'on

dirait de lui.

Philagie, je ne dis pas que vous le portiez à la cein

ture, mais seulement que vous l'ayez toujours sur vous.

Un soldat ne va jamais sans son épée ; un officier du

roi porte volontiers la marque de son office, un page la

livrée de son maître. La Mère de Dieu est notre Prin

cesse , sa livrée c'est sa couronne et son rosaire. Les

plus insignes serviteurs de la Mère de douceur ne vont

jamais sans ce précieux gage d'amour.

Je vous laisse à penser si le dévot Berkman, jésuite,

le portait , lui qui ne chérissait singulièrement que trois

choses : son crucifix , son chapelet et ses règles ; aussi

il disait : Hœc tria mihi charissima, cum his libenter

moriar, — Ce sont là les trois choses que je chéris ten

drement, et je voudrais les avoir sur moi en mourant.

Aussi il mourut comme il le désirait, car il voulut

mourir ayant le chapelet en main.

Heureux qui le dira tous les jours ! plus heureux

qui, le disant tous les jours, le portera toujours sur

soi! très - heureux qui, l'ayant ainsi dit et porté, le

tiendra à la main en mourant! Qui vivra et mourra

ainsi, ne peut qu'être reconnu et favorisé de la sainte

Vierge. Elle ne lui refusera point ses bonnes grâces,

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ses saintes bénédictions, et l'ouverture des portes du

Ciel.

DEVOTION Ve

Pour le onzième jour d'Octobre.

Porter le Chapelet ou Rosaire au cou, la nuit en dormant ,

à l'imitation du bienheureux Louis Bertrand.

Philagie , TOUS ne direz pas que je vous surcharge

aujourd'hui d'une fâcheuse pratique ; elle est bien aisée :

vous n'avez qu'à mettre votre chapelet au cou, le soir,

quand vous prendrez votre repos.

C'est le collier de l'Ordre de Marie, que vous porte

rez au moins une fois l'an. Les Anges et leur Reine vous

verront en cette posture et dévote cérémonie; c'est assez

de tels spectateurs.

C'était jadis la douce dévotion et pratique du bien

heureux Louis Bertrand, religieux de l'ordre de Saint-

Dominique, dont la fête est le neuvième de ce mois.

Non content de porter tous les jours son chapelet à la

ceinture, la nuit, comme il voulait reposer, il le baisait

et le mettait au cou.

Il se lit aussi que le dévot Berkman, de la Compa

gnie de Jésus, dormait de la sorte avec son chapelet au

bras, et plus souvent sur la fin de sa vie il le portait

pendu au cou.

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Philagie, si vous mourriez ce soir de mort soudaine,

au moins on vous reconnaîtrait à la marque des amants

de la Mère de Dieu.

DEVOTION VIe

Pour le douzième jour d'Octobre.

Porter le Chapelet on Rosaire en main, le long du jour, à

l'imitation de la bienheureuse Cécile, religieuse.

Il y a des personnes, Philagie, qui veulent toujours

avoir en main ou une canne , ou leurs gants , ou un

bouquet, ou un livre, ou chose pareille : c'est leur con

tenance.

Le jour de la victoire de Lépante , la contenance de

tous les dévots de la Vierge était d'avoir le chapelet ou

rosaire en main. C'était bien à propos le jour du pre

mier dimanche d'octobre , qui est le jour de la grande

solennité du Rosaire. Ce maintien donc suffisait pour

dire à la Mère de miséricorde : Souvenez-vous de nous

assister.

Mais ce que ceux-là ne firent que par occasion, la

bienheureuse Cécile, religieuse de l'ordre de Saint-Do

minique, le faisait tous les jours à dessein et avec affec

tion : car elle avait presque continuellement son rosaire

entre les mains. Et Dieu, qui voulut témoigner avoir

pour agréable cette dévotion , permit qu'après sa mort

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les doigts qui l'avaient ainsi souvent manié, retinssent

l'odeur des roses.

Voyez par ce trait, Philagie, combien Dieu agrée

même les petites dévotions, que la plupart du monde

blâme. A qui donc aimez-vous mieux plaire, au monde

ou à Dieu? Choisissez; et puisque vous dites : Vive

Dieu ! tenez le plus que vous pourrez durant tout un

jour votre chapelet en main. C'est une contenance qui

n'est pas à la mode ; mais il suffit qu'elle soit agréable

à Dieu et à sa sainte Mère, et surtout que ce soit à la

mode des Saints.

Le bienheureux Félix, capucin, demandant l'aumône

par la ville de Rome (ce qu'il a fait l'espace de qua

rante ans entiers , jusques à l'extrême vieillesse), on ne

le voyait point autrement que le chapelet à la main ,

soit pour la satisfaction d'avoir ce précieux gage en

main, soit pour le réciter le long des rues. C'est ce

qu'il faisait aussi 'dévotement que s'il eût été en sa

cellule ou à l'église.

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DÉVOTION VIP

Pour le treizième jour d'Octobre.

Remettre en sa mémoire ou apprendre par cœur les oraisons

les plus ordinaires et les plus belles qu'il faut souvent et

aux occasions dire à la sainte Vierge, à l'imitation de

sainte Brigitte.

Tout dévot à Marie doit savoir par cœur les Litanies

de Notre-Dame qu'on chante à Lorette ; le Salve Regina,

composé par le pieux Herman le Raccourci; l'Ave maris

stella, dressé par saint Bernard, et les dire bien sou

vent comme prières très-agréables à la Vierge. Mais en

outre, et c'est ce que j'estime n'être pas une petite mar

que de l'amour qu'on porte à la sainte Vierge , il doit

s'efforcer de savoir par cœur toutes les prières ordi

naires qui lui sont adressées le long de l'année par

l'Eglise ou par ses fidèles. Combien y en a-t-il qui sa

vent tout cela par cœur, même le petit Office de la

Vierge et celui de la Conception ! Saurait-on plus ri

chement meubler sa mémoire qu'avec de telles pièces*

Philagie, ce vous serait aujourd'hui un bel emploi et

exercice d'apprendre par cœur quelqu'une de ces prières

communes, belles et courtes, que vous ne savez pas,

telle que pourrait être l'oraison qui commence : 0 glo-

riosa Domina, composée par saint Ambroise. Saint An

toine de Padoue en retira une fois un grand avantage ;

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car, un soir qu'il était attaqué par le diable, il en fut

délivré en disant cette oraison.

Les- annales de saint François font foi que la sainte

Vierge fit savoir a un novice de cet ordre que cette

oraison lui était des plus agréables , ou bien le Stabat

Mater, composé par saint Grégoire le Grand, prière pro

pre à être dite tous les samedis ; ou bien l'oraison qui

commence : Quem terra pontus œthera, pièce d'un évêque

de Poitiers; ou bien ces deux belles oraisons que la

sainte Vierge dit elle-même à sainte Brigitte, lui re

commandant de les dire souvent. La première se dit

ainsi :

Omnipotens sempiteme Deus , qui pro nobis de castis-

sima Virgine nasci dignatus es, foc nos quœsumus tibi

casto corpore servile et humile mente placere, — Dieu

tout-puissant et éternel, qui pour notre salut êtes né

du sein très-pur d'une Vierge, faites-nous la grâce de

vous servir dans la chasteté du corps et dans l'humilité

d'esprit d'une manière qui vous soit agréable.

La seconde oraison est celle-ci :

Oremus te, piissima mundi Regina et angelorum Virgo

Maria, ut eis quos purgatoribus examinat ignis impetres

refrigerium , peccatoribus indulgentiam , justis in bono per-

severantiam , non quoque fragiles ab omnibus defende peri-

culis : Per Christum Dominum nostmm. Amen. — Nous

vous prions, ô très-pieuse Reine des anges et du monde,

sainte Vierge Marie , qu'il vous plaise procurer aux

9

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âmes éprouvées par le feu du purgatoire un salutaire

rafraîchissement, obtenir le pardon aux pécheurs, la

persévérance dans le bien aux justes, et nous défendre,

nous qui sommes si faibles, contre tous les périls de

l'âme et du corps : Par Jésus-Christ Notre-Seigneur.

Ainsi soit-il.

Ces oraisons méritent bien d'être sues et dites, puisque

la Mère de Dieu les a données. Ou bien cette belle petite

prière qui se lit dans un tableau proche du chœur de

l'église Notre-Dame, à Reims, qui dit ainsi :

O Virgo virginum,

0 Virgo regia,

Sola spes hominum,

Solo, fiducia :

Nostrorum criminum

Expurga vitia

Et Patris luminum

Nos reconcilia. Amen.

« O Vierge des vierges, ô Vierge fille des rois, seule

espérance des hommes dans laquelle ils placent toute

leur confiance, purifiez-nous de nos vices, et en nous

obtenant le pardon de nos péchés, réconciliez-nous avec

le Père de la lumière. Ainsi, soit-il. »

Ou bien enfin d'autres prières semblables que nous

trouvons dans le Manuel des Oraisons, qui peuvent

servir en l'exercice des pratiques de ce livre, qui depuis

peu a été mis en lumière. A ceci se rapportent les orai

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sons a la sainte Vierge, qui sont assez courtes et qui

peuvent servir aux oraisons jaculatoires dont j'ai parlé

ailleurs, et qu'il est bon de dire selon les occurences et

les occasions. Il sera bien, aujourd'hui, de les remettre

en mémoire ou d'en apprendre quelqu'une de nouveau.

Celle de saint Richard, évêque de Chichester, en

Angleterre, est bien aisée à retenir : Maria, mater

gratiœ, mater misericordiœ, tunosab hoste protege et hora

mortis suscipe, — Marie, mère de grâce, mère de misé

ricorde, défendez -nous contre nos ennemis maintenant,

et à l'heure de notre mort recevez notre âme.

L'ayant dite fort souvent en sa vie, il commanda à

ses chapelains que , quand il serait proche de la mort ,

on lui repétât cette prière.

Ces mêmes paroles servirent beaucoup à un jeune

homme, comme il se lit dans l'Echelle du Ciel.

Ce jeune homme, ayant perdu tout ce qu'il avait, fut

conduit par un magicien dans un bois, et là, pressé fort

rudement par le démon de renoncer à la Mère de Dieu.

Mais elle lui inspira la pensée de dire les susdites

paroles qu'il avait coutume de dire tous les jours. De

quoi le démon fut si indigné que, ne pouvant rien sur

lui, il se jeta sur le magicien et lui tordit le cou sur-

le-champ.

Celle dont se servait le bienheureux Henri de Suze,

de l'ordre de Saint-Dominique, est bien aussi aisée et

profitable : Nos cum proie pia benedicat Virçjo Maria, —

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Que la sainte Vierge Marie nous bénisse avec la main

de son divin Fils!

Ce peu de paroles est d'une incomparable vertu. Le

diable apparut un jour à ce saint religieux, en forme

d'un monstre très-hideux qui avec une flèche le voulait

faire mourir. Il ne fit que lever les yeux au ciel et dit

ces paroles, et tout disparut.

DEVOTION VHP

Pour le quatorzième jour d'Octobre.

S'abstenir de la plus notable imperfection qu'on ait, en l'hon

neur de la sainte Vierge, à l'imitation d'un gentilhomme

converti par ce moyen à l'avertissement de saint Bernard.

Nous sommes tous sujets à quelque péché et imper

fection, qui plus, qui moins ; mais le malheur est que

bien souvent nous avons fort peu d'envie de nous en

faire quitte. Si vous en avez le vif désir, en voici le

remède salutaire.

Abstenez-vous, Philagie, pour l'amour de la sainte

Vierge, de ce péché, de ce manquement que vous savez

qui vous donne plus de peine, durant quelque temps,

au moins aujourd'hui.

Si vous aimez tendrement la sainte Vierge, votre sa

lut et votre perfection, donnez trêve à cette faute pour

quelques jours en l'honneur de Celle qui se dispose à

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vous procurer des jours éternels pleins de bonheur.

Essayez, et vous trouverez un grand allégement à vo

tre mal , et peut-être, si vous y allez de bon cœur, une

délivrance totale.

Pour prendre courage, remettez-vous en mémoire ce

que je m'en vais dire, tiré de la vie de saint Bernard.

L'esprit de fornication avait tellement saisi le cœur

d'un gentilhomme ami de saint Bernard, qu'il lui était

impossible de passer un seul jour sans commettre quel

que acte déshonnête. Saint Bernard, qui s'était en vain

servi d'autres remèdes pour le guérir, lui proposa enfin

celui-ci : Il lui demanda trêve seulement pour trois jours,

en l'honneur de la sainte Trinité, le priant de s'abstenir

de toutes les façons, durant ces trois jours, de son vice.

Le gentilhomme, voyant le terme assez court, promit

qu'il serait sage; et en effet il le fut.

Au bout de trois jours, saint Bernard en demanda

encore trois autres en l'honneur et considération de la

Mère de Dieu. Le gentilhomme n'osa refuser si peu de

chose à la Reine du Ciel; il y consentit donc, et à son

grand avantage : car elle lui inspira tant de force et

de courage pour résister désormais à ses tentations et

attaques, que, comme saint Bernard voulait encore pac

tiser avec lui, — Non, non, mon Père! dit celui-ci, il

n'est plus besoin de trêve ; je suis résolu de faire une

entière paix avec Dieu; et, moyennant la faveur de la

sainte Vierge, je prétends lui faire vœu de perpétuelle

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chasteté , et veux mourir plutôt que de l'offenser mor

tellement.

C'est avoir du courage que de parler et agir ainsi.

Voilà ce que c'est que de se bien conseiller, croire ceux

qui aiment nos âmes, et faire quelque peu pour la Mère

du saint amour.

Philagie, ayez courage et donnez-le aux autres. Il

n'y a ni vice ni imperfection qui ne nous quitte, si nous

avons tant soit peu de bonne volonté de nous en défaire

avec l'aide de la Mère de bonté.

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CHAPITRE XII

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE LA PRÉSENTATION, LE XXie JOUR DE NOVEMBRE.

DÉVOTION PREMIÈRE.

Pour le vingt-et-unième jour de Novembre.

Se présenter et offrir à la sainte Vierge en qualité de servi

teur, à l'imitation du dévot Israël , prince de la Maison de

Suède, qui la choisit pour sa Dame et Protectrice.

En ce saint jour que la grande et petite Marie s'est

offerte avec tant d'amour à son Dieu , il est bien rai

sonnable, Philagie, que, l'imitant, vous lui fassiez une

offre et présentation de vous-même et de tout ce qui

vous concerne aussi solennellement et libéralement que

vous le pourrez. Et si ce jour ne suffit pas, employez-

vous-y à quelques autres jours de cette Octave , et en

toutes les manières qu'il vous sera possible donnez-vous

à elle.

Aujourd'hui je me veux contenter que vous la pre

niez pour votre Dame et Protectrice. C'est ce que fit

jadis le dévot Israël , prince de la Maison de Suède ,

frère de sainte Brigitte. Etant tombé malade en Alle

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magne, où il était allé pour combattre les infidèles, il

se rendit dans une église, et s'étant prosterné au-devant

d'une statue de la sainte Vierge, qu'il avait toujours

parfaitement aimée et honorée, il tira un anneau de

son doigt et le mit en celui de sa très-douce Mère, lui

disant : Vous êtes ma très-honorée Dame et ma très-

chère Protectrice , je m'offre à vous comme à celle qui

par toute sorte de droits possédez toutes ces qualités

pour mon égard. C'est pourquoi je me jette éperdument

dans le sein de votre amoureuse Providence, et vous

supplie très-humblement de prendre en toute occasion

un soin particulier du plus chétif, mais du plus affec

tionné de vos serviteurs.

Philagie, il n'est pas question de vous rendre à une

église pour en faire autant; vous n'avez qu'à vous ren

dre à votre oratoire et faire comme le prince Israël.

Suivez le mouvement de Dieu, et ce vous sera une con

solation toute particulière de vous offrir de la sorte à

la Mère de Dieu, digne de tout amour, et qui mérite

qu'en toute façon on se donne à elle. J'espère qu'aux

occasions, qui ne manqueront jamais en cette vie, la

grande joie de votre cœur sera d'être étroitement unie

au service de la Dame de l'univers; et si les autres

consolations vous manquent, celle-ci, qui surpasse toutes

les délices du monde, ne vous manquera jamais.

J'en prends à témoin la dévote Rachel dite Catherine,

religieuse de l'ordre de Saint-Bernard. Voici ce qui lui

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arriva, et ce qu'elle faisait pour sa consolation et les

chères délices de son cœur.

Le brave prélat de Lucerne raconte qu'un riche juif

de Cologne avait une petite fille âgée de cinq ans, nom

mée Rachel, qui était fort affectionnée à la religion ca

tholique. Son plus grand plaisir était d'entendre parler

de la Mère de Dieu , au nom de laquelle elle donnait

aux pauvres ce qu'elle rencontrait par la maison.

Ce fut un grand bonheur pour elle que son père alla

k Louvain comme sans s'y attendre. Il la conduisit avec

soi , lui donna le moyen de se faire instruire par un

prêtre de sainte vie, à qui la petite Rachel eut re

cours.

Son père, prenant garde à l'inclination qu'elle avait

au christianisme , et qui se fortifiait d'autant plus qu'elle

grandissait davantage, la promit en mariage à un jeune

homme de sa secte.

Rachel, en ayant connaissance, commence à appré

hender ce malheur. Mais, un beau matin, éveillée par

Notre-Dame, elle se met en marche vers Louvain, s'a

dresse à son maître et se fait baptiser dans l'église des

Bernardines ; puis , se jetant dans le monastère , elle

demande l'habit de si bonne grâce et avec tant de fer

veur qu'il lui fut donné.

Son père le sait : il crie, il tempête, il remue ciel et

terre, mais en vain : car Catherine (c'est le nom qui lui

fut donné en la religion) plaida elle-même sa cause en

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présence de l'évèque de Liége , et la gagna si bien qu'elle

fut laissée parmi ces religieuses.

Or, voici ce qui revient à mon propos : dès lors

Catherine fut plus que jamais dévote à la sainte Vierge,

et la prit au lieu de père, mère, frère, dame, protec

trice et de tout. Et comme les parents et amis des au

tres religieuses les venaient visiter parfois, et que pour

elle personne ne la visitait (car ses parents, étant juifs,

ne pensaient point à elle, surtout son père qui était

fâché de sa résolution), que faisait cette sainte fille?

Quand elle voyait que les autres religieuses allaient à

la grille parler aux. séculiers, elle s'allait prosterner au

devant d'une image de la sainte Vierge, et lui disait :

« Vierge sainte, ne rejetez pas cette orpheline qui vient

à vous comme à sa mère. Vous êtes ma mère , mon

père, mon frère, ma sœur, ma maîtresse, ma bien-aimée,

ma protectrice, mon refuge, mon tout. »

Et disant cela, elle fondait en larmes de consolation.

Et ce pourparler lui valait plus que tous les entretiens

qu'elle eût pu avoir à la grille; et celles qui y allaient

n'avaient pas de pareilles consolations pour avoir dis

couru avec les gens du monde , mais quantité de dis

tractions et de tentations.

Philagie, auriez-vous le courage aujourd'hui ou à la

première occasion de quitter quelqu'un de vos entre

tiens, et en échange, à votre oratoire, en faire un pa

reil à celui de cette dévote bernardine? Heureux qui

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peut dire à la Mère de Dieu à peu près dans la pro

portion que saint Francois disait à Dieu ! Il lui disait

cent et cent fois dans une nuit : Mon Dieu et mon tout,

— Deus meus et omnia.

Heureux qui dira aussi : Marie, c'est ma Dame et

mon tout, — Maria, Domina mea et omnia.

DEVOTION IIe

Pour le vingt-deuxième jour de Novembre.

Se présenter à la sainte Vierge en qualité de vassal, à l'imi

tation du noble Vaultier de Bibrac.

L'offrande et donation que fit un jour le brave cava

lier Vaultier de Bibrac, est digne d'éternelle mémoire

et de votre imitation, Philagie. Voici donc ce qu'il fit,

et ce que vous ferez, Dieu aidant et aussi la sainte

Vierge, aujourd'hui :

Ayant avec soi un prêtre comme pour lui servir de

sacrificateur et de témoin authentique, il s'enferma

dans une bien petite église, et s'étant mis au bas de

l'autel en posture de criminel, c'est-à-dire à genoux et

la corde au cou, il se donna à la sainte Vierge dans

les termes les plus affectueux et les plus humbles qui

se puissent imaginer, comme un esclave et vassal en

tièrement dans la dépendance de sa miséricorde. Et

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avant que de se retirer, il voulut payer ses redevan

ces : ce qu'il continua ensuite tout le temps de sa vie.

Voilà, Philagie, ce que fit ce brave cavalier et ser

viteur de la Vierge. Il ne tiendra qu'à vous d'en faire

autant. Pour témoins, au lieu d'un prêtre, vous aurez

toute la cour céleste ; et pour vos redevances, il suffira

de baiser trois fois la terre.

Si vous voulez une formule particulière de votre

offrande et donation , servez-vous de celle-ci ; c'est à

peu près celle que l'auteur de la Triple Couronne con

seille en pareille occasion :

« Très-sainte et immaculée Mère de Dieu, le refuge

de tous ceux qui espèrent en vous, je N..., aujour

d'hui, en présence de la très-adorable Trinité, de votre

très-honoré Fils , notre Sauveur, des glorieux Saints de

votre famille et parenté et les plus affectionnés à votre

service , et généralement de toute la cour céleste , je

vous choisis pour ma très-spéciale Dame et souveraine

Princesse , et me propose dès à présent de vous servir

et de tenir le rang de votre vassal et sujet tout le reste

de mes jours, le plus fidèlement qu'il me sera possible,

par moi ou par les autres sur qui j'aurai quelque pou

voir; et je vous présente en hommage tous les moments

de ma vie, tous les mouvements de mon cœur, toutes

mes pensées, paroles et actions. Je vous supplie, par

les mérites de votre Fils bien-aimé, et par la bonté de

votre aimable Cœur, de vouloir bien me recevoir en

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votre service particulier. Daignez prendre le soin et la

conduite de ma vie et la protection de mon âme à l'heure

de ma mort. Ainsi soit-il. »

DEVOTION IIP

I?OTir le vingt-troisième jour de Novembre.

Se présenter et offrir à la sainte Vierge en qualité d'esclave,

à l'imitation du dévot Marin, frère du bienheureux cardinal

Pierre Damien.

Philagie, que l'amour est inventif! Soyez ravie de

l'ingénieuse invention du dévot Marin, frère du bien

heureux cardinal Pierre Damien.

Ce cardinal écrit que son frère étant un jour devant

l'autel de la Reine du Ciel, il s'offrit à elle, non-seule

ment à titre de serviteur et vassal , mais encore en qua

lité d'esclave ; que , comme tel , il se lia le cou de sa

propre ceinture ; et pour se traiter en vrai esclave , il

se disciplina au même lieu. Et pour n'omettre rien de

son devoir, il mit sur le coin de l'autel de la Vierge

une pièce d'argent, promettant de lui payer annuelle

ment le même tribut.

Philagie , à vous qui avez de l'amour pour Marie et

qui cherchez de vous donner en toute façon à elle, tout

cela est aisé. Si vous ne maniez point d'argent, ni de

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discipline, changez celle-ci en actes d'humilité, vous

prosternant tout le long de votre corps à terre, et

celui-là en quelque humble oraison , telle que serait

le Salve Regina, promettant à pareil jour de continuer

chaque année le paiement d'un semblable tribut. Et si

vous désirez que votre offrande soit bien agréable à la

sainte Vierge, soit celle-ci ou autre que vous lui ferez

désormais, priez Jésus, votre Sauveur, qu'il daigne la

présenter à sa sainte Mère.

Jadis il présenta lui-même sainte Mecthilde à la glo

rieuse Vierge, après qu'elle l'en eut requis; ce que Notre-

Seigneur fit, disant à sa très-sainte Mère : Ma très-

honorée Mère, je vous recommande mon épouse, et je

vous conjure de l'aimer, d'en avoir soin comme vous

l'auriez de moi si vous me voyiez devant vous tout cou

vert de plaies. Encore une fois, je vous la recommande

comme la bien-aimée de mon cœur.

Voici donc ce qui arriva ensuite, pour votre conso

lation et pour raffermir votre courage. Quoique cette

faveur fut indicible, elle eut cette confiance de demander

encore à Notre-Seigneur s'il n'était pas prêt à faire la

même grâce et faveur à ceux qui la désiraient. A quoi

le Sauveur répondit en penchant doucement la tête, et

l'assura qu'en ce qui concerne la distribution de ses

grâces, il n'y avait aucune acception de personnes.

Hardiment, donc, Philagie, demandez cette faveur au

Fils de Dieu : il vous présentera à sa sainte Mère, et

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elle sera à nouveau titre obligée d'avoir un soin tout

particulier de vous.

DÉVOTION IVe

Pour le vingt-quatrième jour de Novembre.

Présenter et offrir à la sainte Vierge ce qu'on a de plus cher,

la constituant son héritière et voulant être tout-à-fait à

elle, à l'imitation d'une dévote Dame.

Voici , Philagie , la dévotion d'une Dame d'Aix , en

Provence, singulièrement dévote à la sainte Vierge.

Elle avait fait un testament par lequel elle constituait

la Mère de Dieu son héritière. Ce testament était écrit

et signé de sa propre main, avec la date de l'année, du

mois , du jour, qui était celui de la Nativité de Notre-

Dame.

Ce papier lui était bien cher; elle le gardait secrète

ment , et pourtant elle ne fit pas difficulté, parce qu'elle

avait confiance en moi, de me le donner pour quelques

heures, ce que je considérai comme une faveur; et je

m'en prévalus même, et pris la liberté de copier ce qui

m'agréait davantage. Voici à peu près ce qu'elle disait:

« Sainte et sacrée Mère de mon Dieu, jeiY très-

indigne de votre aimable présence, vous choisis verba

lement et de tout mon cœur pour mon héritière uni

verselle de tout ce que j'ai fait de bon, dit, pensé

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et enduré , soit intérieurement ou extérieurement , soit

spirituellement ou corporellement, tant pour le passé

que pour le présent et futur : ce que je confirme et

ratifie par cet écrit comme par une donation irrévoca

ble, sans qu'il puisse être cassé par un autre ou amoin

dri par quelque codicille. Je vous constitue encore l'hé

ritière de mon âme et de mon corps, de mon cœur, de

ma vie et de ma mort , à laquelle je vous supplie très-

humblement, ma très-sainte Mère et Dame, vouloir

assister, pour avoir soin de ce qui vous appartient en

qualité d'héritière. Je vous supplie encore de toute l'é

tendue de mon âme de présenter à votre très-cher Fils

ce pauvre et indigne héritage , afin qu'il daigne , pour

l'amour de vous, agréer cette action, et en tant que

votre héritage, l'accepter et mettre dans le domaine de

son infinie bonté et miséricorde. Je suis assuré que si

vous voulez me favoriser jusque-là, quoiqu'il soit moin

dre en valeur et en mérite que le denier de cette pau

vre veuve dont il est fait mention en l'Evangile, il l'ac

ceptera pour un précieux trésor, parce qu'il vient de

votre part. J'attends cela de votre favorable bonté. Ne

repoussez pas , s'il vous plaît , cette pauvre âme péche

resse, la plus misérable de toutes celles qui, par leurs

déloyautés, ont irrité votre très- aimable Fils.

« Et vous, ô les neuf Chœurs des Anges, que je prends

à témoins de cette mienne action , comme aussi tous les

bienheureux Saints du Paradis, mais vous particulière-

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ment qui êtes les favoris de la Dame que je constitue

aujourd'hui mon héritière , je vous prie avec toute hu

milité de m'assister au grand jour du jugement, et par

avance au particulier devant mon Dieu et sa sainte

Mère, contre mes ennemis, en cas qu'ils eussent quel

que prétention sur mes œuvres, paroles ou pensées, que

j'ai toutes offertes, consacrées et données irrévocable

ment à la Mère de mon Dieu. Impétrez aussi à mon

âme, cette pauvre prodigue qui a tant dissipé de biens

et de grâces que Dieu lui a faites, la parfaite contrition

de ses offenses et la grâce de pouvoir être telle que la

divine bonté la désire. Obtenez-moi encore, s'il vous

plaît, toutes les saintes vertus qui sont requises pour

ma perfection et l'augmentation de l'héritage de la sainte

Vierge, lui protestant (de quoi je vous prends encore à

témoins) que , si je pouvais augmenter cet héritage qui

lui appartient d'autant de bonnes œuvres, d'actes d'a

mour, de foi , de reconnaissance, et de toutes sortes de

vertus qu'il y a d'étoiles au ciel, de grains de sable en

la mer, d'atomes aux rayons du soleil , de créatures ani

mées et inanimées qui ont été, sont et seront jusques a

la consommation du monde ou qui pourraient être pro

duites durant toute l'éternité, je le ferais de très-bon

cœur, et m'estimerais heureux d'avoir travaillé pour

une Dame qui est si parfaite et si accomplie. Telle est

ma volonté , et en foi de tout ce que dessus , je soussi

gné N.

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Philagie , c'est pour vous que j'ai conservé ce testa

ment, pour vous donner occasion d'en faire un pareil,

lequel vous porterez sur vous, si vous n'aimez mieux

le tenir parmi ce que vous avez de plus cher. Faites

qu'il soit en entier écrit de votre main.

Choisissez une bonne fête de Notre-Dame, si aujour

d'hui vous n'en avez pas le loisir, et après une dévote

communion sacramentelle ou spirituelle, faites -en la

lecture en présence de la sainte Vierge et de toute la

Cour du Ciel. Marquez bien le jour de cette action, que

vous renouvellerez tous les ans comme si vous la fai

siez de nouveau, et tenez pour certain que ce jour sera

un des plus beaux jours de votre vie. Quoi de plus glo

rieux pour vous que de n'être en rien à vous, mais to

talement à Marie, la Mère de Dieu ! Quel bonheur pour

vous d'être dans la dépendance de Notre-Dame, de n'a

voir rien qui ne lui appartienne, et de tenir de sa magni

fique et royale main tout ce que vous êtes ! Je ne vois

rien qui puisse être ajouté à cet honneur et à cette

gloire durant la vie, si ce n'est d'avoir un nom qui té

moigne et donne à entendre qu'on est tout à Marie et

qu'on est sous sa dépendance.

On loue tant le bienheureux cardinal Pierre Damien

qui voulut porter le nom de son frère Damien, qui l'a

vait élevé, secouru, et lui avait servi de père en tout !

voulant donner à entendre par ce nom ajouté qu'il de

vait tout à son frère , qu'il était son protégé , que sans"

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lui il eût été misérable et abandonné de tous. Aussi,

selon son dessein, on ferait mieux de le nommer Petrus

Damiani, c'est-à-dire Pierre de Damien, comme appar

tenant tout-à-fait à Damien qui était son frère et qui

portait le nom de Damien.

Mais, à vrai dire, je trouve qu'ils sont dignes de plus

grandes louanges ceux-là qui ajoutent à leur nom le

nom de Notre-Dame, comme s'ils voulaient dire : Je

suis tout à la sainte Vierge; je relève de Notre-Dame;

si j'ai du bonheur, si quelque grâce et faveur m'est ar

rivée , c'est de la Mère de Dieu que je la tiens ; je suis

sa propriété, après Jésus; je ne suis qu'à elle et je ne

veux dépendre que d'elle.

Je crois bien que telle est la pensée et le dessein de

ces bonnes religieuses qui , quittant le nom qu'elles

avaient au monde, portent celui de Notre-Dame. Ainsi

l'une se nommera Anne de la Mère de Dieu, l'autre

Madeleine de la Mère de Dieu, et ainsi des autres.

A mon avis, les révérends Pères Minimes avaient

bien encore ce même dessein au commencement de

leur ordre, car on les nommait les Minimes de Jésus et

de Marie.

Il y en a qui ont eu la curiosité de savoir si au Ciel

on ne changera point de nom; car, comme il y a des

noms qui ne sont pas beaux ni agréables, pourquoi les

garder en ce beau séjour où tout est beau et agréable?

Quoi qu'il en soit , il est dit dans la Vie de la Bienheu

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reuse Villana, de Florence, du tiers-ordre de Saint-Do

minique qu'elle apparut, après son décès, à une de ses

amies et servante de Dieu. Elle l'avertit qu'elle ne s'ap

pelait plus Villana , mais Marguerite , et que son nom

lui avait été changé.

Je laisse là cette curiosité; mais qui me laisserait

faire, soit que mon nom soit beau ou ne le soit pas,

dès cette vie, même dès cette heure, sans attendre le

beau séjour de l'autre, puisque tout ce que je suis, tout

ce que j'ai, tout ce que je prétends et attends, je l'at

tends et je le tiens après mon Dieu de sa sainte Mère ,

puisque je suis tout à elle en qualité de protégé, qu'elle

m'a élevé, appelé au service de son Fils, maintenu en

la Compagnie qu'elle chérit, et que je l'ai choisie pour

ma Dame , Reine et Maîtresse , bien-aimée Protectrice

et Mère , certes je me nommerais volontiers PAUL DE

SAINTE MARIE.

Durant la vie ici-bas , pourrais-je avoir un plus beau

nom , un nom plus significatif de ce que je dois et suis

à la Mère de bonté?

Et quand on changerait mon nom au Ciel, quel plus

riche nom me pourrait-on donner que celui de Paul de

Sainte Marie? Cela serait bien selon mes souhaits :

car, d'une part, je garderais mon nom que je chéris

comme le premier nom de la merveille des Apôtres;

d'autre part, j'aurais pour surnom le beau et excel

lent nom de Marie, en reconnaissance des obligations

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sans nombre et de toute sorte que j'ai à son inestima

ble bonté.

Là-dessus, Philagie, appelez-moi comme il vous plaira;

il me suffit de vivre et de mourir avec le désir d'être

véritablement de nom et de fait Paul de Sainte-Marie.

DEVOTION Ve

Pour le vingt-cinquième jour de Novembre.

Présenter à la sainte Vierge le Cœur ds son Fils, à l'imitation

de sainte Gertrude.

Philagie, vous n'avez point encore fait aucune offrande

à votre chère Dame qui vaille celle-ci. Offrez-lui donc

aujourd'hui le Cœur de son cher Fils Jésus-Christ, en

satisfaction de vos ingratitudes et lâchetés à son ser

vice, en action de grâces de tant de bienfaits incompa

rables qu'elle vous a faits, en reconnaissance de toutes

ses grandeurs et perfections, en témoignage de l'amour

que vous lui portez et porterez éternellement; et tenez

pour assuré que c'est une riche offrande, celle dont je

viens de vous dresser le sujet. Arrangez le tout à votre

manière, et surtout faites que le cœur parle.

Ne pensez pas que ce soit une dévotion de mon in

vention; c'est une leçon donnée du Ciel à sainte Ger

trude. Par suite, elle offrit à la sainte Vierge le Cœur

de son Fils, en satisfaction de tous ses péchés et man

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quements. La glorieuse Vierge eut tellement pour

agréable cette offrande, qu'elle lui donna l'assurance

qu'elle surpassait toutes les autres dévotions, et ren

fermait en elle toute sorte de biens.

Je vois, Philagie, que vous attendez, pour vous dé

livrer de la peine que je vous donne, une prière dont

je viens de vous marquer le sujet. J'en suis content.

La voici, et dites-la de bon cœur, plusieurs fois même

en votre vie.

« Reine du ciel et de la terre, Marie, très-digne Mère

de mon doux Jésus, me voici à genoux en présence de

votre sacrée et sainte Majesté, pour vous offrir un présent

qui n'eut jamais son pareil. Résolument il faut qu'une

fois en mes jours je fasse une offrande agréable à vos

yeux et capable de donner de la jalousie aux Anges.

Ce ne sera pas le grand prix de toutes les richesses,

grandeurs et beautés qui sont éparses dans le monde :

c'est trop peu pour votre grandeur ! Le monde , avec

tout son éclat et avec toute sa pompe, pour tant qu'il

vaille, ne mérite point le favorable aspect de la moindre

de vos œillades. Ce ne sera rien de ce qui m'appartient

soit au corps, soit à l'âme, non pas même tout ce que

j'ai de meilleur, qui est mon cœur : car c'est un petit

mutin, et j'aurais honte de vous le présenter, ayant été

par de si lâches perfidies l'objet de la colère de votre

Fils, le sujet de vos disgrâces, et le séjour des ennemis

de votre gloire. Ce ne sera non plus rien qui soit du

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ressort, du pouvoir et de la dépendance des Anges et

des Saints : tout ce qui est de leur domaine et appar

tenance est trop peu pour balancer l'estime de l excel

lence du présent que je me propose de vous offrir.

« Ce que je vous offre, c'est ce doux Cœur de Jésus,

votre aimable Fils et mon adorable Rédempteur. N'est-

ce pas le plus riche présent qui puisse vous être offert

sur la terre? Ce Cœur tout seul, vaut mieux que quinze

cents millions de mondes, quand même tous ces mondes

ne seraient remplis que de Séraphins , tous semblables à

ceux qui environnent le Trône Royal de votre Fils au

séjour de la gloire. Ce Cœur tout seul vaut plus que tous

les Chœurs des Anges et des Saints qui pourraient être,

si Dieu les faisait sortir du sein de sa toute-puissance.

Ce Cœur, c'est le cœur'des cœurs, le cœur parfait, le

cœur presque semblable au Cœur de la très-auguste Tri

nité ; c'est le cœur source vivante de toutes les meilleures

bénédictions et le plus bel objet de vos plus chères dé

lices; c'est ce cœur que je veux offrir, c'est le présent

que je vous donne.

« Ma chère Dame, je devais et pouvais vous procurer

beaucoup de gloire par l'imitation de vos éminentes

vertus, et je ne l'ai pas fait. Je m'en repens, et prétends

que le Cœur de votre Fils vous serve de satisfaction.

« Vous m'avez départi avec tant d'excès vos grâces et

vos faveurs accumulées les unes sur les autres sans que

je les aie reconnues, que je confesse mon ingratitude et

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mon impuissance a vous en remercier dignement. Voici

le Cœur de votre bien-aimé Fils qui suppléera à ma

faiblesse par une charitable subrogation d'amour.

« O belle Reine! ô la vie de mon cœur! j'étais obligé

par tant de motifs de vous aimer, celui de vos incom

parables perfections m'y obligeait plus fortement que

tout autre , je ne l'ai point fait : je m'en avoue coupa

ble comme d'un grand crime, je vous en demande par

don. Ne m'imputez point mes froideurs, et acceptez, en

réparation d'amour, les ardeurs du Cœur que je vous

offre , d'où sortent les amoureuses flammes de la véri

table fournaise du divin amour.

« O Marie , plus aimable que l'amour, si vous agréez

cette riche offrande, quoiqu'elle parte d'un pauvre cœur,

je ne puis que bien espérer de toutes mes saintes pré

tentions. Je puis publier partout, voire durant la lon

gue éternité , que vous avez eu le pouvoir de triompher

de la créature la plus chétive et la plus rebelle de l'uni

vers, et, dès cette heure, avouer que vous me rendez

plus content que si j'étais reconnu l'unique monarque

de toute la terre par les solennelles acclamations des

anges et des hommes.

« C'est le bonheur que j'attends du Cœur de Jésus,

que je vous offre avec les plus humbles soumissions et

respects dont mon âme est capable. »

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DÉVOTION VIe

Pour le vingt-sdxièine jour de ÏJ'overn'bre.

En sortant ou entrant dans sa chambre, s'offrir à la sainte

Vierge, à l'imitation des révérends Pères Chartreux.

Le dévot jésuite Thomas Sallius, qui est assez connu

par la dévotion de son Livre rempli de riches exercices

de piété et de prières, ne sortait jamais de sa chambre

qu'après avoir fléchi les genoux au devant d'une image

de la sainte Vierge qui était à son oratoire, laquelle il

baisait bien humblement, s'offrait à elle et demandait

sa bénédiction.

Les révérends Pères Chartreux font encore plus

que cela, comme on le voit d'après ce que le dévot

Lansperge, chartreux, a ordonné à tous ses frères :

que chaque fois qu'ils entreront ou sortiront de leurs

chambres , ils se souviennent de saluer la sainte Vierge

comme leur gardienne et unique espérance après Dieu.

Je ne vous invite pas , Philagie , à en faire toujours

ou souvent ainsi, ce qui ne serait que très-bon, mais

bien pour aujourd'hui de rendre un pareil honneur à

la Mère de bonté tout autant de fois que vous entrerez

ou sortirez de votre chambre et cabinet. Pourquoi

aimez-vous tant la sainte Vierge? C'est pour cela que

je suis libre de vous donner des occasions de lui témoi

9*

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gner que vous l'aimez et honorez , et que toute votre

confiance, après son cher Fils, est a elle.

Peu s'en est fallu que je ne vous aie déjà invitée d'ho

norer désormais la Mère de Dieu à la facon que l'honorait

Gabrielle de Gadaigne , comtesse de Chevrières , qui , par

l'éclat et l'exemple de ses éminentes vertus , a embaumé

les quinze dernières années de sa vie toute la grande ville

de Lyon. Elle a laissé à tout ce grand peuple, dans sa

sainte mort, depuis peu arrivée, le regret d'avoir perdu

une dame des plus accomplies en sainteté, en perfection

et en toute sorte de vertus que la France ait admirées

aux siècles passés parmi celles qui se sont rendues re-

commandables à relever la grandeur et la noblesse de

leur maison par la publique profession de la vertu, et

dans l'exercice des actions chrétiennes qui pouvaient

agrandir le lustre et la gloire du service de Dieu.

Or, cette grande dame , à propos de la sainte dévo

tion de ceux qui saluent la Mère de Dieu au sortir de

leur chambre ou cabinet, avait aussi cette belle cou

tume sortant de sa maison , à la première démarche

qu'elle faisait, de se tourner du côté de Notre-Dame

de Fourvières, jetant un regard affectueux vers cette

sainte chapelle et faisant une profonde révérence.

Puisqu'il y a des églises de la sainte Vierge partout ,

à qui tient-il que vous n'en fassiez autant au sortir de

votre logis?

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DÉVOTION VIIe

IPoiar le vingt-septième jour de ]S"oveirxt>re.

Faire quelque mortification intérieure et s'offrir à la sainte

Vierge, à l'imitation de ceux qui sont affectionnés à lui

plaire.

La sainte Vierge se plaît singulièrement dans les

cœurs calmes et paisibles qui ont un doux et souverain

empire sur les passions de leurs âmes. Elle voudrait

que tous les cœurs fussent semblables au sien : aussi

c'est lui faire un grand plaisir que de lui offrir de telles

mortifications et victoires. Comme elle est la grande

victorieuse et par excellence la Dame des victoires, de

pareils hommages sont ses délices, et elle les recoit

avec un cœur joyeux.

Philagie, il ne tiendra qu'à vous de donner de pa

reilles satisfactions à la Princesse du Ciel , puisque telles

victoires dépendent de vous. Il y a des objets que vous

regardez bien volontiers quand vous les rencontrez,

et même cherchez-vous les occasions de vous y porter.

Si, aujourd'hui, ils se rencontrent vers vous, ou si

la pensée vous vient de les rechercher, dites tout bas ,

en vous détournant de cette pensée ou vos yeux de

cet objet :

« Vierge sainte , ma chère Mère , pour l'amour de

vous je veux me priver du contentement que j'aurais h

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voir ce bel objet, cette agréable rencontre et conver

sation. »

Faites ainsi des autres choses qui plaisent à vos sens

ou flattent votre esprit , et privez-vous de tout cela pour

la Mère d'amour. Croyez-moi , tôt ou tard Notre-Dame

vous en saura bon gré, et quelquefois même sur-le-

champ vous expérimenterez les effets de sa maternelle

bonté et cordiale reconnaissance. Jugez de la vérité de

ce que je dis par ce qui suit :

L'an 1609, au Mexique, un jeune homme de la

Congrégation de la Sainte-Vierge , fut longtemps pour

suivi d'une femme qui n'oubliait rien pour le séduire et

le rendre victime de sa passion. Le jeune homme ré

sista toujours. Cette malheureuse, se voyant ainsi re

butée et éloignée de son dessein, résolut de le faire

mourir, et, sous prétexte de lui faire un présent, lui

envoya des dragées et quantité de confitures des plus

exquises, mais qui portaient toutes en elles-mêmes un

poison.

Le jeune homme , pour n'être pas tout-à-fait incivil

ni trop austère , accepta le présent ; et , d'abord , il fut

sur le point de l'entamer, car la tentation le pressait

de contenter son appétit. Néanmoins, se ressouvenant

qu'il avait coutume de jeûner à tel jour à l'honneur de

de la Mère de Dieu , il se dit en lui-même : Pour l'a

mour de Marie , je veux me priver de ce plaisir de bou

che et veux garder mon jeune .

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Ce jour écoulé, et l'appétit lui revenant de goûter

ces confitures , il commande à son valet de lui apporter

ce présent qu'on lui avait fait. Celui-ci le lui présente,

mais tout couvert de vers , gâté et puant , avec toutes

les marques de poison. Ainsi ce jeune homme , ayant

reconnu la méchanceté de cette vilaine qui, n'ayant pu

lui faire perdre son âme , lui voulait faire perdre la

vie, et l'assistance de sa bonne Mère la Vierge qui lui

avait obtenu la grâce de ne pas rompre son jeûne , et

considérant ces choses , rendit des actions de grâces à

sa chère Libératrice en rapport avec une telle faveur.

Je vous en laisse la pensée, qui vous sera d'une

grande utilité et capable de fortifier votre cœur et le

résoudre à de grandes victoires sur vos passions pour

l'amour et à l'honneur de la Mère de Dieu.

Vincent de Beauvais raconte qu'un gentilhomme,

allant en un certain tournoi en Normandie, logea chez

un homme réduit à une telle pauvreté que , n'ayant pas

de quoi vivre, il offrit à ce seigneur sa fille qui avait fait

vœu de virginité, avec tout pouvoir sur son honneur.

La pauvre fille fut bien étonnée de se voir réduite à

un tel sort. Elle se tourne de tous côtés pour fléchir

ce seigneur, et le prie de lui sauver sa vertu. Elle le

conjura surtout par le beau nom de Marie qu'elle por

tait et par le jour du samedi qui s'écoulait, jour dédié

au service de la Mère de Dieu.

Que fera ce gentilhomme? Sa passion est grande en

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cette occasion qui lui paraît si favorable. Comme il avait

quelque peu d'amour pour la sainte Vierge , conjuré

d'ailleurs si doucement et si puissamment par cette

douce brebis, il se dit en lui-même : Pour l'amour et

la vénération que je porte à la sainte Vierge, je renonce

à ma passion et je veux conserver l'honneur de cette

fille.

Sa résolution fut si ferme que, le lendemain, il con

duisit cette fille à un monastère qu'elle affectionnait,

fournissant lui-même pour elle la dot nécessaire pour

sa réception.

Or, je vous le demande, Philagie, croyez-vous que

Notre-Dame oubliera la victoire de cette passion et

qu'elle ne la reconnaîtra pas? Ecoutez tout, et con

cluons.

Ce gentilhomme fut tué deux jours après à ce combat

des tournois où il allait, et Notre-Dame révéla à une

de ses fidèles servantes qu'il était mort en bon état,

parce qu'en considération du peu qu'il avait fait aupa

ravant pour l'amour d Elle , elle lui avait impétré la

douleur de ses péchés. Voilà ce que c'est d'honorer la

sainte Vierge en toute façon !

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DÉVOTION VIIIe

Pour le vingt-lmitièirxe jour de Novembre.

Faire un bouquet de divers actes de vertu et bonnes œuvres

pour l'offrir à la sainte Vierge, à l'imitation de quelques

dévots de la Mère de Dieu.

Philagie, voici une dévotion à la Mère de Dieu qui

vient de bonne main : recevez-la donc d'aussi bon cœur

que vous avez reçu et agréé l'art abrégé d'aimer Dieu.

Celui qui vous l'a donnée, c'est le même qui vous donne

l'art abrégé d'aimer Marie : aussi je veux appeler la

dévotion dont je vous parle maintenant une invention

tout-à-fait belle, un riche bouquet digne d'être présenté

à la Mère de Dieu.

Ce bouquet se fait en cueillant tous les jours une

fleur, ou plusieurs, de quelques victoires de soi-même

et des passions auxquelles on est le plus sujet dans les

occasions qui se présentent durant la journée. Tout cela

réuni forme le bouquet qu'on a dessein de présenter à

la sainte Vierge à l'heure de la mort, à l'effet d'obtenir

par l'offre de ce présent ses bonnes grâces et celles de

son Fils en ce passage si important.

Je suis bien d'avis que vous soyez du nombre de ceux

qui s'emploient tous les jours à grossir et rendre plus

beau et plus riche leur bouquet; mais je ne veux pas

vous appliquer seulement aux mortifications et aux vie

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toires sur vos passions. Je vous donne la liberté de faire

entrer en votre bouquet toute sorte de belles fleurs,

c'est-à-dire toute sorte de vertus ou bonnes œuvres

faites à l'honneur de la sainte Vierge. Et pour vous

obliger au soin de cet exercice, faites ce qui se pratique

par ceux qui s'y emploient.

On prend pour cet effet un papier plié en petit cahier

et marqué de diverses lignes, qui porte pour titre prin

cipal : Bouquet de Fleurs que j'ai cueillies tous les jours

de ma vie, pour en faire un présent à la sainte Vierge

à l'heure de ma mort. J'ai cueilli la première un tel

jour... d'un tel mois... de telle année... à telle année

de mon âge. Puis, avant que de se coucher, on marque

en la première ligne avec une croix la fleur qu'on a

cueillie , c'est-à-dire la bonne œuvre qu'on aura faite

durant la journée, ou deux, ou quatre, selon le nombre

des actions qu'on aura faites à l'honneur de la Mère de

Dieu. Que si on a laissé passer le jour sans rien faire

pour la sainte Vierge, on marque un zéro pour signifier

néant (rien), continuant ainsi tous les jours selon qu'on

aura fait.

Je ne dis rien de la consolation qu'on ressent quand,

le soir, on trouve quelque victoire sur nos passions, ou

autre bonne œuvre faite pour l'amour de notre chère

Mère ; ni du déplaisir de n'avoir rien fait, et qu'il faille

mettre un zéro, qui veut dire : aujourd'hui je n'ai rien

fait pour la Mère de Dieu, moi qui, à tous les moments,

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devrais chercher des occasions de l'honorer pour les

obligations infinies que j'ai à sa bonté et pour les attraits

qui la rendent aimable pardessus toute pure créature.

Philagie, avisez si vous saurez arranger ce beau bou

quet pour la sainte Vierge. Si une fois vous l'entrepre

nez, tenez bon, et commencez de bonne heure à le pré

parer. Ne différez pas. Commencez dès aujourd'hui, et

puis, le jour de votre trépas, avant ou après la récep

tion de l'Extrème-Onction, offrez-le à la Mère de misé

ricorde par les mains de votre bon Ange, à moins que

vous n'aimiez mieux vous servir de l'entremise de votre

doux Sauveur.

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CHAPITRE XIII

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE ET L'OCTAVE

DE SON IMMACULÉE CONCEPTION, LE YIII DÉCEMBRE.

DÉVOTION PREMIÈRE.

Pour le huitième jour de Décembre.

Préférer l'Etre de Notre-Dame au sien propre , à l'imitation

de sainte Brigitte.

En ce saint et fortuné jour auquel la glorieuse Vierge

commença d'être , jour dont elle dit une fois à sainte

Brigitte que c'était l'heure dorée du monde, quelle dé

votion et quelle pratique vous pourrai-je donner, Phi-

lagie , que celle de la même sainte Brigitte , la grande

affectionnée de la Mère de Dieu?

Elle disait souvent à la sainte Vierge, sa bonne Mère :

Vierge sainte, je vous aime jusqu'à ce point que j'ai

merais mieux n'être point , si Dieu l'agréait ainsi , que

si vous n'étiez pas vous-même, car je préfère de tout

mon cœur votre être au mien.

Philagie , sur la joie que vous éprouverez aujour

d'hui de la création de l'âme de votre chère Dame et

aimable Princesse, dites-lui cent fois la même chose, et

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toujours pour lui témoigner que vous l'aimez en toute

façon et autant que vous le pouvez.

Que si vous avez le loisir de convaincre votre esprit

de cette vérité — qu'il vaudrait bien mieux que vous

fussiez dans le néant que si la petite Marie n'était point

en nature,—entretenez-vous sur cette pensée, et, à force

de raisonnements, dites que Marie, au premier moment

de sa vie, vaut cent millions de fois plus que vous et

incomparablement davantage que douze cents millions

de vos semblables. Et puis, vous abandonnant aux amou

reux élans d'un cœur solidement et incroyablement

content de sa nouvelle existence , commencez par faire

savoir aux anges et aux hommes l'allégresse dont jouit

votre âme sur la création de la sainte Vierge.

Dites dès maintenant, pour le redire soixante millions

de fois en votre vie : Vive Marie, la tant désirée et

belle aurore de nos jours ! C'est la porte par où Dieu

viendra à nous. Fi de la vermine de la terre! je lui

suis tout semblable; il n'y a rien en moi qui ne soit

haïssable et digne de rebut. Je ne sais que ramper sur

la faCe de la terre.

Vive Marie, le paradis spirituel du second Adam

désiré et attendu ! C'est Elle qui est le plan pour la

salle où doit s'opérer la grande réconciliation du monde.

Fi des enfants de ténèbres! je suis un de ceux-là. Le

commencement et la suite de mes jours et de mes ac

tions, ce n'est que confusion et désordre.

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Vive Marie, digne d'être le lit nuptial du Verbe éter

nel ! C'est la pièce de drap de laquelle sera travaillée

l'admirable robe de la sacrée humanité, dont l'ouvrier

sera le Saint-Esprit , et la main la vertu du Très-Haut.

Fi d'un chien mort et puant! Je suis tout comme cela

par mes récidives et mortelles plaies: j'ai tant de fois

honteusement foulé aux pieds la révérence du saint

Nom de Dieu, méprisé ses lois et violé indignement ses

ordonnances.

Vive Marie ! Fi de mes semblables ! Peu importe que

la vermine de la terre, que les enfants de ténèbres,

qu'un chien pourri rentre dans le néant! Au contraire,

il importe beaucoup que le jour ait son aurore, le

monde son paradis , et les hommes les douces espéran

ces du retour des bonnes grâces avec le Créateur.

Vive Marie! Fi de mes semblables! Je lui cède la

vie; et pourvu qu'elle soit, je suis content du néant,

et prends le non-être pour mon partage.

DÉVOTION IIe

Po\xr le neuvième jour de Décembre.

Dire l'office de l'Immaculée Conception de la sainte Vierge, à

l'imitation du dévot Alphonse Rodriguez.

Au temps de l'Octave et Joie de l'Immaculée Con

ception de la très-sainte Vierge , il faut lui offrir nos

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dévotions conformes au mystère, autant que nous en

rencontrons de propres.

L'incomparable en dévotion k la très-immaculée Con

ception de la sainte Vierge, c'est le dévot Alphonse

Rodriguez, de notre Compagnie. Aussi Notre-Dame l'en

reconnut par des faveurs toutes particulières; entr'au-

tres, elle lui révéla qu'une des raisons pour lesquelles

Dieu avait mis dans son Eglise l'Ordre de la Compa

gnie de Jésus, c'était pour défendre son immaculée

Conception.

Or, l'une des dévotions de ce dévot serviteur de la

sainte Vierge, était de dire tous les jours l'Office de

son immaculée Conception. En quoi il est imité par un

grand nombre de serviteurs de la Vierge, qui en font

autant tous les jours.

C'est ce que pour le moins vous ferez aujourd'hui ,

Philagie, car le cœur me dit que vous le réciterez tous

les jours de cette Octave^

DÉVOTION III8

Pour le dixième jour de Décembre.

Faire vœu de défendre l'Immaculée-Conception de la Vierge,

à l'imitation du dévot Berkman.

Voici un ange de la Compagnie de Jésus passionné

ment affectionné et zélé de l'immaculée Conception de

10

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sa bonne Mère la sainte Vierge. Il avait fait vœu de

défendre et maintenir à jamais son immaculée Concep

tion, au cas toutefois que l'Eglise n'en déterminât pas

autrement. Il écrivit ce vœu sur un papier, et il le

signa de son sang. Outre cela, il avait fait le vœu que

le premier livre qu'il composerait, serait sur le même

sujet.

En ce temps-ci plus que jamais on se porte à pareille

dévotion. La ville de Naples fit paraître le zèle qu'elle

avait pour honorer ce glorieux mystère l'an 1618, le

propre jour de la Conception, par un vœu qu'elle fit en

l'église de Notre-Dame la Grande, selon la teneur qui

suit, et qui pourra servir de modèle à ceux qui en

voudront faire un pareil, ne se servant que de sa sub

stance et de ce qui pourra leur être nécessaire :

« Princesse du Ciel et de la terre, Nous, Vice-Roi,

Université, Ministres du Conseil et Milice de Naples,

prosternés à vos pieds sacrés, en reconnaissance de

toutes les faveurs que nous avons reçues de Votre

Majesté, et que nous attribuons toutes, après votre

sainte bonté , à l'affection qu'il vous a plu nous donner

de maintenir l'honneur de votre immaculée Conception ;

« Appuyés de l'autorité des saintes Lettres, des sacrés

Conciles, et nommément de celui de Trente, des sou

verains Pontifes, au milieu de votre maison, en ce jour

heureux pour vous et pour nous, nous confessons que

votre Conception a été toujours Immaculée, et nous

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— 327 —

prenons ce même Dieu qui est votre Fils à témoin que

notre résolution est de vouloir maintenir cette vérité,

qui depuis longtemps est gravée au fond de nos cœurs

et le sera jusqu'au dernier soupir.

« Nous protestons de la vouloir tenir et enseigner tant

en public qu'en particulier, et d'avoir soin que tous

ceux sur qui , à l'avenir, nous aurons quelque pouvoir,

tiennent et fassent de même. C'est ce que nous vouons,

ce que nous promettons tous tant que nous sommes.

Ainsi Dieu nous soit favorable !

« Nous soumettons néanmoins ce vœu et ce qui en est

le sujet à l'autorité de l'Eglise, qui est notre Mère, et

du Saint-Père, qui en est le pasteur universel. »

Philagie , je n'ose pas vous engager à faire un pareil

vœu : peut-être êtes-vous du nombre de ces personnes

qui ne peuvent entendre parler de ce vœu. Si vous le

désirez, je vous traiterai plus doucement, pour que, du

moins, vous imitiez un peu ces grands courages. Faites

que le vœu que vous ferez de défendre l'immaculée

Conception de la sainte Vierge et cette vérité qu'elle a

été conçue sans péché originel, ne soit que pour huit

ou quinze jours. Ne le signez pas de votre sang, comme

le fit Berkman.

Il me semble que vous ne sauriez maintenant repous

ser ma demande : elle est trop raisonnable. Si vous avez

le courage de faire tout de la même façon que Berk

man , me voilà encore plus satisfait. Tenez donc votre

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— 328 —

papier secret et logez-le parmi vos meubles de dévotion.

Il vous pourrait bien servir à l'heure de la mort, et la

sainte Vierge pourrait bien s'en prévaloir à votre avan

tage pour le montrer, avec la couleur de votre sang,

au Juge qui doit à votre égard donner un arrêt de bon

heur ou de malheur éternel.

DEVOTION IVe

le onzième jour de Décembre.

Dire douze Salve Regina et douze Ave Maria à l'honneur de

l'immaculée Conception de la sainte Vierge, à l'imitation du

bienheureux Alphonse Rodriguez.

Je veux croire, Philagie, que votre cœur, non plus

que celui du dévot Alphonse Rodriguez, ne se contente

pas de peu pour témoigner à la sainte Vierge votre joie

de son immaculée Conception et du bonheur qu'elle a

eu de n'avoir point encouru le péché originel. Faites

donc aujourd'hui ce que faisait son même serviteur.

Il disait, tous les jours, douze Salve et douze Ave

Maria en l'honneur de la Conception immaculée de la

sainte Vierge pour la bénir de ce bonheur; et il avait

entrepris ce nombre pour correspondre aux vingt-quatre

heures du jour naturel, à cette fin qu'à toute heure la

sainte Vierge priât son cher Fils qu'il lui plût le ga

rantir de péché par son immense bonté, en considération

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de la grâce qu'il avait faite à sa sainte Mère de la dé

livrer de toute sorte de péché, même de l'originel, le

jour de la création de son âme.

Philagie, comme vous avez un cœur pareil à celui

de ce dévot Alphonse tout porté à honorer Marie, vous

aurez aussi les mêmes intentions, la même dévotion, et

un jour le même mérite.

Je trouve néanmoins un avantage au dévot Alphonse,

qui fait que vous ne pourrez pas l'imiter tout-à-fait en

sa dévotion : c'est qu'il avait cette grâce de Dieu d'être

dans la réflexion, non-seulement à chaque heure du

jour quand l'horloge sonnait, pour être prêt à dire sa

petite prière selon son dessein, mais aussi la nuit, durant

le sommeil , de s'éveiller à toutes les heures pour pou

voir accomplir sa pratique.

Ces faveurs ne sont point pour tous. Il suffira donc

que vous disiez, au son de l'horloge, lorsque vous y

prendrez garde, ou tout à la fois, le nombre des susdites

prières qui resteront pour achever le chiffre complet de

vingt-quatre. «

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— 330 —

DÉVOTION Ve

Pour le douzième jour de Décembre.

Lire les livres qui traitent de la sainte Vierge, à l'imitation

des confrères de ses Congrégations.

Tout de bon , Philagie , avez-vous envie d'aimer la

sainte Vierge, de conserver la dévotion que vous' avez

déjà pour elle, d'augmenter ce feu de l'amour de Marie

qui est dans votre cœur? Suivez donc mon conseil : lisez

les bons livres qui ont traité des louanges et des per

fections de cette glorieuse Vierge. C'est à quoi s'appli

quent les associés des Congrégations de la Mère de Dieu,

dignes à la vérité d'être imités.

Il est impossible, si vous lisez de semblables livres

comme il faut, de suite et souvent, que vous ne trou

viez votre cœur enflammé à son service , et meublé de

pensées saintes et amoureuses envers la Mère de Dieu.

Je connais un serviteur de Dieu qui s'est notablement

changé a cette seule lecture. Dès-lors il éprouva des

désirs indicibles et très ardents d'aimer et servir cette

sainte Dame. Et comme c'était en lisant la Triple Cou

ronne des Grandeurs de la sainte Vierge, livre composé

par le révérend Père Poiré, de la Compagnie de Jésus,

qu'il avait pris ce feu, il se résolut tout le reste de sa

vie de lire et relire ce livre, et quand il l'aurait une,

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deux et plusieurs fois achevé, de le recommencer tou

jours.

Il disait pour raisons qu'il ne trouvait point un plus

riche entretien; que, comme il ne voulait aimer que

Jésus et Marie, qui seuls sont aimables, ce livre l'entre

tenait merveilleusement en cet amour, et lui donnait

des pensées de l'un et de l'autre pour connaître leurs

divines perfections et ensuite les aimer. Il ajoutait qu'il

y trouvait toujours un nouveau goût; que quasi tout

ce qui était de plus beau, de plus docte, de plus curieux,

de plus dévot à dire de la Vierge bénie, se trouvait

dans ce livre. A l'entendre parler, il était très-affec

tionné à ce livre, ou, pour mieux dire, du sujet de ce

livre.

Je sais encore une personne qui , par son nom et par

effet, montrait en tout son innocente vie et le bon cœur

qu'elle a pour sa chère Marie. Elle ne pouvait se ras

sasier de louer le susdit livre; et, passant du livre à

l'auteur, elle lui donnait mille bénédictions, et rendait

amoureusement grâces à Dieu d'avoir inspiré ce bon

Père de mettre la main h cette pièce. Elle bénissait le

moment et le jour de la naissance de ce grand servi

teur de la sainte Vierge, digne écrivain de ses divines

louanges.

Philagie, je vous dis tout ceci pour vous persuader

qu'il est vrai que la lecture des livres qui traitent de

la sainte Vierge sont grandement profitables. Ayez-en

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donc quelques-uns, lisez-les souvent, et commencez

aujourd'hui. En vérité, la Triple Couronne est une pièce

excellente ; si vous la lisez entièrement, vous n'aurez de

cœur que pour Marie.

Le Grand Chef-d'Œuvre de Dieu, qui traite des sou

veraines perfections de la bienheureuse Vierge, composé

par le révérend Père Binet , vous agréera. Ce que le

révérend Père Ribadeneira écrit à chacune des fêtes

de la sainte Vierge, dans ses Vies des Saints, vous con

tentera pleinement. Il y en a quantité d'autres pareils,

ayez-en à rechange ou un bon pour tous; et en vous

appliquant à ces lectures, préparez-vous aux puissantes

attaques que l'Esprit de Dieu donnera à votre cœur

pour le forcer amoureusement d'aimer et servir sa sainte

Epouse et la plus que très-aimable Marie Mère de Dieu.

DEVOTION VIe

Pour le treizième jour de Décembre.

Dévotion aux Saints qui ont été dévots à la sainte Vierge, à

l'imitation des dévots de saint Bernard.

Qui possède la faveur des Saints se peut tenir assuré

d'avoir une porte du Ciel à son commandement. Le

Ciel n'est pas une cité à cent portes seulement, comme

jadis la ville de Thèbes ; c'est une cité ù cent mille por

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tes et davantage. Autant de Saints, autant de portes;

mais de toutes ces portes , la plus belle , la plus grande

et la plus fréquentée c'est la porte de Notre-Dame, qui

par excellence doit être appelée la Belle Porte, à l'imi

tation de celle de Salomon , qui était ainsi appelée ,

comme il est manifeste par le troisième chapitre des

Actes des Apôtres, où il est dit qu'un pauvre boiteux,

étant à la Belle Porte, fut guéri par saint Pierre en

entrant dans le temple.

Ne fut-ce pas un bonheur et une riche fortune pour

ce pauvre boiteux de prendre garde à ceux qui entraient

par la Belle Porte et leur demander l'aumône ? Cela lui

valut sa guérison, et fut la cause qu'il entra, guéri,

dans le temple pour louer et bénir Dieu. Cent mille

fois plus heureux sont ceux qui s'adressent en leurs

nécessités à ceux qui entrent dans le Ciel et dans le

temple de la gloire par la Belle Porte , c'est-à-dire par

les faveurs de la glorieuse Vierge , comme étant ses

plus chers favoris. Pareille dévotion leur vaudra le

Ciel et leur donnera l'entrée au Paradis pour y aller

louer, bénir et aimer Dieu éternellement.

Je ne sais pas si je m'explique assez , mais voici ce

que je veux dire : qui veut avoir de la dévotion à Marie

Mère de Dieu et du crédit vers elle, il faut qu'il se

rende favorable ses plus affectionnés serviteurs , et par

tant qu'il ait quelque dévotion particulière à quelqu'un

ou à plusieurs de ses plus grands favoris, comme serait :

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Saint Alexis, qu'Elle recommandait au sacristain de

l'église d'Edesse;

Saint Bernard, qui porte la qualité de son mignon, et

à bon droit, puisqu'Elle lui donna de son précieux lait ;

Sainte Catherine , vierge et martyre , qui fut présen

tée par Elle à son Fils Jésus pour qu'il la reçût en

qualité d'Epouse ;

Saint Dominique , qui ne demanda jamais rien à la

sainte Vierge qui ne lui fût accordé;

Saint Edmond, archevêque de Cantorbéry, à qui la

sainte Vierge envoya saint Jean l'Evangéliste pour le

châtier et reprendre de ce qu'un jour il avait manqué

à lui payer le tribut d'une oraison qu'il avait entrepris

de lui dire tous les jours ;

Le bienheureux Francois de Borgia, qui, pour faire

honorer et aimer sa bonne Mère la sainte Vierge, fai

sait travailler à quantité de belles images sur celle

que saint Luc a peinte de la bienheureuse Vierge, et

puis les envoyaient dans toutes les parties du monde;

Bienheureux Godric, solitaire anglais, à qui la Mère

de Dieu donna un cantique pour lui chanter et se con

soler dans ses ennuis et afflictions;

Bienheureux Joseph Herman, à qui la sainte Vierge

remit deux dents, et assigna un endroit où il trouverait

de l'argent lorsqu'il en aurait besoin;

Saint Jean Damascène, ;i qui la sainte Vierge remit

une main coupée;

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Bienheureux Kostka, novice de la Compagnie de Jé

sus, autrement dit Stanislas, qui nommait toujours la

sainte Vierge sa Mère;

Bienheureux Louis de Gonzague, à qui la sainte

Vierge dit, lorsqu'il avait la pensée de quitter le monde,

de se faire religieux en la Compagnie de Jésus, son

cher Fils;

Bienheureuse Marguerite de Hongrie, cette excellente

princesse qui, dès sa jeunesse, ne rencontrait jamais une

image de la sainte Vierge sans la saluer, se prosternant

à terre et disant un Ave Maria;

Saint Nicolas de Tolentin, qui jeûnait tous les sa

medis au pain et à l'eau, à l'honneur de la Mère de

bonté ;

Sainte Opportune, abbesse, à la mort de laquelle la

sainte Mère de Dieu assista pour la conduire au Ciel;

Saint Philippe de Néry, qui avait tant de crédit au

près de la Mère de Dieu que, sitôt qu'il lui eût demandé

la santé du cardinal Baronius , désespéré des médecins,

sa demande lui fut accordée;

Saint Robert , premier abbé de Citeaux , choisi avant

sa naissance par la Mère de Dieu pour qu'il fût son

cher enfant et favori;

Saint Simon Stok, à qui la sainte Vierge donna le

saint Scapulaire commme gage de l'affection qu'elle lui

portait et à son Ordre ;

Saint Thomas d'Aquin , qui fut assisté par la Mère

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de Dieu pour la conservation de sa pureté lorsqu'il fut

attaqué contre cette vertu dans la prison où l'avaient

jeté ses frères;

Bienheureuse Victoire , à laquelle la glorieuse Vierge

dit , après la mort de son mari , qu'elle ne fût plus tant

désolée et qu'elle prenait sur soi le soin de sa famille ;

Saint Xavier, qui passait une bonne partie de ses

nuits en des colloques amoureux avec la Reine des

Anges, pour avoir son assistance en la conquête des

âmes du Nouveau-Monde;

Saint Yacinthe , à qui une image de la sainte

Vierge, taillée en albâtre et qui était très -pesante,

dit, un jour qu'il fuyait avec le saint ciboire la persé

cution des Tartares : Mon fils Yacinthe , pourquoi me

laisses-tu ainsi à l'abandon? Il la prit et l'emporta sans

qu'il ressentît aucune pesanteur;

Saint Zénon, évèque de Véronne, qui a écrit si di

gnement et si avantageusement en faveur de la sainte

Vierge; et quantité d'autres qui soient comme ceux-là

en faveur dans la cour de Marie.

Philagie, j'ai logé ici, à dessein, les susdits favoris

de la Mère de Dieu pour vous donner un avant-goût a

les prendre pour vos intercesseurs auprès de la sainte

Vierge. Je les ai rangés par ordre alphabétique, pour

aider la mémoire de celui qui les voudra prier de temps

en temps.

Ce n'est pas qu'il n'y en ait quantité d'autres qui ont

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été fort affectionnés au service de la Mère d'amoar : il

y en a des milliers qui passent par cette belle porte.

Chacun choisit à son gré, pour imiter en cette pratique

la dévotion de quelques-uns qui sont dévots à saint

Bernard, par cette principale raison qu'il était le cher

mignon de la sainte Vierge. J'en connais qui, pour ce

seul motif, ont toujours quelque inclination et désir

d'honorer ce saint. Or, pour mieux faire réussir la pra

tique que j'expose, j'estime qu'une litanie de ceux qu'on

aura choisis sera assez utile pour la prier, au moins un

jour de la semaine, tel que le peut être le samedi.

Ce qu'il leur faudra demander est : que , comme ils

ont eu de l'amour pour le service de la sainte Vierge ,

et qu'ils ont recu d'Elle de secourables assistances à

l'heure de la mort et durant leur vie, il leur plaise

nous obtenir d'Elle de pareilles faveurs.

Qui ne voudra pas les prier si souvent que je l'ai

marqué, ne me refusera pas de les prier au moins au

jourd'hui, faisant la prière susdite ou quelque bonne

œuvre à l'honneur de tous les Saints qui se sont signa

lés en l'amour et au service de la Mère du saint amour.

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DÉVOTION VIIe

I*oui* 1© quatorzième jovir de Décern.'fore.

Donner l'aumône à l'honneur de la sainte Vierge, à l'imita

tion de sainte Elisabeth.

Une aumône faite à un pauvre en l'honneur de la

Mère de Dieu porte avec elle le mérite d'une très-

grande récompense, que la sainte Vierge, qui ne veut

point se laisser surpasser en bonté, donne libéralement

en son temps.

Saint Grégoire raconte que le bienheureux Dieu-

donné, cordonnier de profession, allait tous les samedis

h l'église Saint-Pierre , de Rome , où il distribuait aux

pauvres pour l'amour de la Mère de Dieu ce qu'il avait

gagné durant la semaine. Elle agréa tellement ces au

mônes, qu'elle fit voir à l'un de ses serviteurs des ar

chitectes qui bâtissaient un palais tout d'or pour Dieu-

donné. Et ce qui l'étonna le plus, c'est qu'il apprit

qu'on ne travaillait à bâtir ce magnifique et superbe

palais que les jours de samedi.

Sainte Elisabeth savait bien que la sainte Vierge est

reconnaissante pour de semblables charités : aussi , pour

sa part, elle fit tant d'aumônes en son honneur, qu'elle

en fut réduite à aller à l'hôpital , elle et les trois petits

princes ses enfants. Mais Notre-Dame en son temps lui

rendit toutes ses aumônes au centuple.

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Quelle confusion pour les riches et qui ont tant de

moyens quand on leur dira que , sans se mettre en

danger d'être réduits à un hôpital, ils n'ont pas donné

une aumône pour l'amour de Marie, elle qui est digne

que pour son amour on fasse toutes les charités possi-

bles! et quand on leur dira qu'un pauvre cordonnier

les a devancés en sagesse , et qu'il leur en coûtait si

peu de frais pour se bien loger au séjour de l'éternité,

et qu'ils ne l'ont pas fait!

Philagie, si vous avez de quoi, faites l'aumône au

jourd'hui et souvent pour l'amour de la sainte Vierge.

Si vous n'avez pas de quoi , faites une aumône spiri

tuelle, c'est-à-dire quelques prières pour les pauvres,

et le tout à l'honneur de la Mère de Dieu. Donner ce

qu'on peut, c'est donner beaucoup; et telle chose que

l'on peut donner vaudra plus de mille écus d'aumônes.

Ainsi saint Pierre, qui n'avait ni or ni argent, comme

il le dit lui-même à celui qui lui en demandait, en lui

donnant ce qui était en son pouvoir il lui donna des

jambes pour marcher. Ce fut une aumône qu'il prisa

plus que dix mille écus sur une table. — Argentum et

aurum non est mihi ; quod autem habeo, hoc tibi do : in

nomme Jesus surge et ambula.

Que si vous ne rencontrez pas des pauvres pour leur

faire l'aumône spirituelle , il n'est pas impossible que

vous ne rencontriez aujourd'hui de ces pauvres néces

siteux qui n'ont besoin que des prières des gens de bien :

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j'entends ces personnes qui sont riches en moyens et

pauvres en la grâce de Dieu, que saint Augustin ap

pelle pauperes Deo , divites nummo.

Il y en a un si grand nombre comme ceux-là dans

les villes considérables, qu'on en pourrait paver les

rues. Sous le satin, il y a bien du Satan, et sous un

habit vert , bleu , blanc et incarnat souvent les âmes y

sont bien noires ; et plusieurs s'enflent et font gloire de

leur noblesse, qui se soucient fort peu que leur esprit

soit roturier.

Philagie, faites l'aumône à ces pauvres nécessiteux

et misérables. Ce sont ces personnes qui ont besoin des

aumônes spirituelles. Et pour l'amour de la sainte

Vierge, qui désire avec passion la conversion des pé

cheurs , faites-leur l'aumône de quelque fervente prière

qui incline la miséricorde de Dieu à avoir pitié de la

pauvreté et misère de leur âme.

DÉVOTION VIIIe

Pour le quinzième jour de Décembre.

Prier la sainte Vierge par de secrètes ententes , à l'imitation

de quelques personnes qui lui sont dévotes.

C'est ici une pratique dont plusieurs se servent pour

témoigner à Dieu leur bonne volonté.

Puisque l'auteur de la Triple Couronne de la Mère

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de Dieu la conseille , je ne ferai point difficulté , Phila-

gie, de vous la présenter, et de vous dire de choisir

un jour pour cela. Si c'est un jour de fête , et après

votre communion, il n'en ira que mieux. Néanmoins

vous pouvez vous y exercer aujourd'hui , puisque c'est

le jour de l'Octave de l'une des grandes Fêtes de la

sainte Vierge.

Donc, ce jour choisi, faites votre pacte avec la Mère

de Dieu, et une déclaration de ce que vous voudrez

lui faire entendre à la prononciation de certaines pa

roles que vous lui direz , tantôt tout bas et tantôt à

haute voix , tantôt de bouche et tantôt de cœur, quand

vous n'aurez pas le loisir de vous expliquer entièrement

ou de vous entretenir par de longues pensées avec elle.

Voici à peu près la façon de ce pacte :

« Vierge sainte, ma chère Mère, il est bien vrai que

sans cesse mon cœur et mes pensées devraient être à

vous; mais la faiblesse de mon esprit et l'état de cette

misérable vie qui nous embarrasse de mille distractions

et occupations, ne me le permettent point. Me voici dans

la résolution de suppléer, autant que je le pourrai, à

ce manquement : de sorte qu'autant de fois que j'élèverai

mon esprit à vous et que je vous dirai, ou de bouche,

ou de cœur : Vierge sainte , je vous aime ! je désire

et entends que ce soit comme si je disais que je vous

aime de tout mon cœur, de toute mon âme , de toutes

mes forces, plus que mes chers amis et parents, plus

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que les honneurs, les richesses, la vie, la santé, le

monde, et tout ce qui est ici-bas; plus que tout ce qui

est créé , soit au ciel ou en la terre ; donc , plus que

mon Ange, plus que tous les Anges et les Saints en

semble, plus que ma part au Paradis.

« Autant de fois, Vierge incomparable que je dirai de

cœur ou de bouche : Vierge sainte, je vous loue, ou

je vous bénis, ou je vous glorifie, j'entends de vous

donner, si je le pouvais, toutes les louanges, tous les

honneurs, toutes les bénédictions, toutes les gloires

que les Anges et toutes les nations de la terre , voire

toutes les trois divines personnes de la très-sainte

Trinité vous ont jamais données, donnent et donneront

dans le temps et dans toute l'étendue de l'éternité.

« Autant de fois encore que je dirai : Vierge sainte,

je vous offre ! c'est comme si je vous disais : Je vous

offre mon cœur, mon corps , mon âme , ma vie , ma

santé, tout ce que j'ai de plus cher; je suis et veux

être totalement à vous.

« Autant de fois que je dirai : Reine et Mère d'amour,

je vous remercie, ou chose pareille, j'entends que je

voudrais avoir les reconnaissances des Anges , les bons

cœurs de tous les amis de Dieu, les langues des esprits

les plus diserts qui furent jamais , le cœur même et le

discours de Jésus votre cher Fils, pour vous donner

des remerciments durant toute une éternité, dignes de

votre adorable et aimable Majesté , pour les obli

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gâtions infinies que je vous ai pardessus toutes les

créatures.

« Autant de fois que je dirai : O aimable Marie, Mère

de miséricorde, j'ai placé ma confiance et mon espé

rance en vous , ou chose semblable , j'entends qu'après

votre cher Fils , toute mon espérance est en vous , que

je ne veux recourir à autre qu'à vous , que vous êtes

mon refuge, mon aide, mon tout.

« Autant de fois que je dirai : Vierge sainte, je me

réjouis, j'entends de me réjouir de vos grandeurs et

perfections, de façon que si je pouvais avoir les joies

que vos dévots et vos serviteurs ont fait paraître et

éprouvées à la pensée de tous les biens qui vous sont

arrivés, je le ferais de tout mon cœur, et dès à présent

je m'en réjouis autant que je le puis.

« Autant de fois que je dirai : Ma chère Mère, je suis

triste; Marie, je suis affligé, j'entends que je suis fâché

de vos amères douleurs et que, s'il était en mon pou

voir de ressentir toutes les amertumes de cœur que

vos serviteurs ont eu à la pensée de votre glaive de

douleur, et aux accidents fâcheux qui vous sont arri

vés, surtout lors de la passion et mort de votre Fils,

volontiers je les souffrirais toutes , et je voudrais avoir

le cœur de votre cher Fils qui les a vraiment souffer

tes, ou le vôtre même, pour les ressentir en moi-même.

Philagie , voilà à peu près ce que devra être votre

pacte avec la sainte Vierge , et ce que devront signifier

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vos secrètes ententes. Vous les amplifierez et vous y

ajouterez ce qui sera de votre goût et de votre dévo

tion lorsque vous parlerez à la sainte Vierge et lui ou

vrirez votre cœur.

Il ne tiendra qu'à vous d'en faire d'autres, en vous

expliquant là-dessus, tels que ceux-ci : « Vierge sainte,

je vous demande, je vous honore, » et ainsi des autres

pareils.

Et puis cela fait , choisissez quelques jours pour vous

y exercer, particulièrement les bonnes fêtes ou les sa

medis. Ou bien , comme le fait quelqu'un que je con

nais , distribuez ces petits mots pour chaque jour de la

semaine. Tâchez de les dire une vingtaine ou trentaine

de fois par jour. Le dimanche , dites souvent : Je vous

aime , Vierge sainte ; le lundi : Vierge sainte , je vous

loue, et ainsi des autres. Et, comme vous ferez le

pacte aujourd'hui , il sera bon de le renouveler de temps

en temps, surtout à quelque fête de la sainte Vierge,

après la communion.

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CHAPITRE XIV

HUIT DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR LA FÊTE DE L'EXPEO

TAT10N DU DIVIN ENFANTEMENT DE SON FILS JÉSUS-CHRIST, LE

XVIII DE DÉCEMBRE.

DÉVOTIONS

Pour le dix-huitième jour de Décembre et suivants.

Se préparer aux Octaves qui précèdent les fêtes de la glorieuse

Vierge, par quelque éloge spirituel, à l'imitation de sainte

Marguerite de Hongrie.

A mesure que les bonnes âmes sentent approcher

quelque bonne fête, elles s'y disposent par de bonnes

œuvres, par des prières et des mortifications, étant très

assurées que, si elles y apportent beaucoup de disposi

tions, elles recevront aussi beaucoup de grâces. Les dé

vots de la Mère de Dieu ne manquent pas à ce devoir.

Ainsi nous lisons que sainte Marguerite de Hongrie ré

citait mille fois l'Ave Maria chaque jour des Octaves

qui précédaient immédiatement les principales fêtes de

la glorieuse Vierge : c'était son compliment spirituel.

Philagie, vous ferez ce qu'il vous plaira aux Octaves

qui précèdent les autres fêtes de la Vierge ; mais pour

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celle-ci qui précède son saint enfantement, je vous con

seille d'imiter ces bons Chinois, nouveaux chrétiens,

dont il est parlé aux Annales des Pères de la Compagnie

de Jésus.

En l'année 1621, sur la coutume qu'ils avaient d'en

voyer des présents aux dames qui étaient prêtes d'ac

coucher, un des Pères de cette Compagnie pria ses

auditeurs d'en faire autant spirituellement, et de rendre

un pareil homm âge à la Mère de Dieu ; et puisque la

fête de Noël , qui est celle de son divin Enfant appro

chait, de lui offrir pour présent un nombre d'oraisons,

de mortifications et dejeûnes, ou autres bonnes œuvres.

C'est ce qui leur agréa si fort, que dès-lors ils commen

cèrent à embrasser cette pratique : ce qu'ils firent de

même tous les ans, faisant, huit jours avant N oël, leur

compliment spirituel à la sainte Vierge.

Choisissez donc quelques belles oraisons qui lui soient

les plus agréables, et, tous ces jours-ci , offrez-les à la

Mère de Dieu, à moins que vous n'aimiez mieux tous

les jours faire quelques mortifications nouvelles. Néan

moins , comme les oraisons , semblent vous devoir être

plus aisées et que c'était ce que sainte Marguerite lui

offrait à pareilles Octaves, j'aime mieux vous indiquer

quelques oraisons qui vous pourront servir de compli

ment spirituel en ce temps, et en tout autre de saint

entretien, quand vous voudrez vous en servir.

Aujourd'hui offrez-lui un bon nombre d'Are Maria,

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— 347 —

non pas onze mille, comme le faisait la bienheureuse

Marguerite, princesse de Savoie, qui, le jour de sainte

Ursule, lui en offrait tout autant par les mains et par

les cœurs des onze mille Vierges; non pas trois mille,

comme le faisait la bienheureuse Bienvenue, religieuse

de Saint-Dominique, qui récitait trois mille Ave Maria

le jour de l'Annonciation, à cause de la dévotion qu'elle

portait à cet ineffable mystère; non pas onze cents fois,

comme le faisait sainte Marie d'Ognies, qui en disait

autant plusieurs jours de l'année; non pas mille, comme

le faisait le bienheureux Romée, religieux de l'ordre de

Saint-Dominique, qui, tous les jours de l'année, en di

sait tout autant.

Tout cela est trop pour vous.

Vous diriez que ce m'est chos e aisée de vous fixer sur

un si grand nombre. Deux cent quatre-vingts, qui est le

nombre de jours que le petit Jésus a demeuré dans les

sacrés flancs de sa sainte Mère, seront encore trop pour

vous. N'en dites donc que neuf, à l'honneur des neuf

mois que la sainte Vierge a porté son béni fruit, mais

dites-les bien dévotement; et, si vous voulez, à l'exemple

d'un serviteur de la Mère de Dieu que je connais, ajoutez

au bout de chaque Ave Maria : Beata viscera Mariœ Vir-

ginis quœ portaverunt œterni Patris Filium. Amen; c'est-

à-dire : Bénies soient les entrailles de la Vierge Marie

qui ont porté le fils du Père éternel. Ainsi-soit-il.

Si , le reste de cette Octave qui précède la sainte

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Naissance du Fils de Dieu , vous désirez offrir à la

sainte Vierge-Mère, tous les jours , quelque prière , en

voici quelques-unes :

Le 19, qui est le lendemain, présentez-lui un certain

nombre de cette belle prière et hymne composée par

saint Bernard, qui commence par Ave maris stella. C'est

une prière bien agréable à la Vierge ; et on tient qu'elle

arrosa de son précieux lait le glorieux saint Bernard

lorsqu'il disait ces paroles qui y sont contenues : Mons-

tra te esse Matrem.

L'histoire de Lorette raconte qu'un certain jeune

homme qui s'était livré corps et âme à l'ennemi, une

fois que dans cette sainte chapelle il disait cette prière,

quand il fut à ces mêmes paroles : Monstra te esse Ma

trem, il reçut la cédule qu'il avait donnée à Satan.

C'est cette belle prière que sainte Brigitte avait eu

ordre de la sainte Vierge de dire tous les jours et d'as

sembler toute sa famille, chaque soir, à quelque heure

destinée pour la faire chanter à haute voix, avec pro

messe que, tandis qu'on lui rendrait ce devoir, elle

aurait un soin tout particulier de tous ceux qui seraient

en sa maison.

Le 20, dites-lui l'oraison: O interne-rate. C'est la prière

que saint Edmond lui offrait tous les jours. Elle se

trouve parmi les oraisons des Heures du Concile.

Le 21 , récitez-lui quelques Salve Regina, composé

par le bienheureux Herman le Raccourci. Cette prière

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est si agréable à la Mère de Dieu , qu'autrefois on en

tendit les Anges qui la chantaient tous les samedis à

Ronceaux, près d'une fontaine qui se nomme à cette

occasion la Fontaine des Anges.

L'histoire des Servites raconte que, l'an 1541, comme

un soir on disait le Salve Regina en l'une de leurs égli

ses , quantité de peuple y assistant selon la coutume et

la dévotion qu'il avait à la sainte Vierge, il arriva que

la voûte sous laquelle était une tribune toute remplie

de monde tomba, et enfonça la tribune. Tout ce monde

fut enseveli dans ces ruines; et, une heure après,

comme on les croyait tous morts et qu'on tâchait de

faire ouverture pour prendre leurs corps , on les trouva

sains et entiers , sans qu'un seul eût été blessé. Par ce

miracle et cette faveur, la sainte Vierge voulait faire

savoir le plaisir qu'elle recevait à la prière du Salve

Regina, à laquelle ce peuple assistait.

Le 22, offrez-lui la belle oraison qui commence par

ces paroles : Obsecro te , Domina mea sancta Maria. Elle

se trouve dans les Heures du Concile ; grand nombre de

personnes la récitent tous les jours.

Le 23, servez -vous, en le réitérant souvent, de ce

petit hymne qui commence ainsi : 0 gloriosa Domina,

composé par saint Ambroise , et singulièrement agréé

de la sainte Vierge, comme je l'ai dit ailleurs.

La belle et petite oraison qui commence par : Sub

tuum prœsidium, sera pour le 24.

10.

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La Chronique des Frères Mineurs montre assez com

bien valut cette prière à un jeune homme attaqué sur

le mont Cenis, avec deux de ses compagnons, d'une

horrible tempête suivie de tonnerres et de foudres ef

froyables, et d'une voix épouvantable qui criait : Tue,

tue ! Ses deux compagnons y moururent avec leurs che

vaux, frappés de la foudre. Pour Augustin, tel était

son nom, il fut sauvé de ce malheur pour avoir dit

plusieurs fois la susdite oraison : car il entendit une

voix qui, répondant à celui qui criait : Tue, tue, dit

qu'il ne pouvait tuer celui-ci, parce qu'il avait eu re

cours à Marie.

Je connais un religieux de notre Compagnie qui ,

ayant été en sa jeunesse, durant quatre ans, au service

d'un grand seigneur en qualité de page dans toutes les

occasions d'une vie libertine, sans aucune dévotion ni

prière , sauf de dire une fois tous les jours l'oraison

Sub tuum praesidium , n'ayant retenu que cela de nos

écoles qu'il avait quelque peu fréquentées, se résolut

quelque temps après de reprendre ses études et de

quitter le monde : ce qu'il exécuta fort heureusement.

Il n'attribuait son changement de vie et le bonheur de

sa vocation qu'au soin maternel que la sainte Vierge

eut de lui pour avoir dit la susdite oraison à la ma

nière que je viens de raconter.

Un certain nombre de cette oraison récité aujour

d'hui sera très-propre pour achever votre compliment

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spirituel à la glorieuse Vierge. Si vous avez d'autres

prières et oraisons plus en rapport à votre goût et dé

votion, je vous conseille de vous en servir à cette oc

casion et autres qui se rencontreront , pour aider votre

piété par le récit de semblables hymnes et oraisons.

A l'exemple de quelques dévots de Notre-Dame, vous

devriez avoir un livret ou cahier contenant tout ce que

de temps en temps vous voudrez dire en priant la sainte

Vierge, et qui ne se trouve pas dans vos Heures ou

Diurnal. Ainsi vous y pourriez loger le petit Office de

l'Immaculée Conception ; l'Hymne de saint Bonaventure,

fait à l'honneur de la sainte Vierge, à l'imitation du

Te Deum laudamus; les Litanies de Lorette, et autres

prières semblables; même de celles qui sont par-ci par-

là dans vos Heures ou Diurnal , si ce n'est que vous les

sachiez par cœur pour les avoir avec plus d'avantage

en même endroit. Pour celles que je vous ai indiquées

à cette Octave, elles vous sont toutes aisées.

Philagie, voilà bien de quoi passer cette Octave.

Ainsi disposée, faites, pour le jour de Noël, de votre

cœur une petite crèche ou un petit berceau, et logez-y

le petit Jésus. Les grands et les princes du monde en

voient parfois aux dames et aux princesses leurs pa

rentes prêtes d'accoucher, de riches berceaux d'argent ,

ou autre précieuse matière. Un cœur humble, pur et

rempli d'amour de Dieu que vous offrirez , au lieu de

berceau , à la Mère de Dieu pour y loger son divin

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Enfant, lui sera plus agréable que tous les berceaux

les plus riches et les plus précieux qu'on pourrait lui

offrir, quand bien même ils seraient tout couverts de

diamants et des pierreries les plus rares, nommément

après la préparation que vous y avez apportée durant

cette Octave par le moyen de votre petit compliment

spirituel que vous aurez fait tous les jours.

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CHAPITRE XV

TRENTE DÉVOTIONS A LA MÈRE DE DIEU POUR SUPPLÉER A CELLES

QUI ONT ÉTÉ DONNÉES CI-DESSUS ET QUI SEMBLERAIENT MOINS

AISÉES A PRATIQUER, OU BIEN QUI POURRONT SERVIR EN QUEL

QUES AUTRES OCCASIONS, SELON L'INCLINATION D'UN CHACUN.

I

Saluer la Mère de Dieu avant le soleil levé.

C'est ce que faisait très-souvent le bienheureux Henri

de Suzo. Il avait eu pour maître de ce dévot exercice

une troupe d'Anges qu'il avait entendus chanter une

mélodie ravissante au matin, à mesure que le soleil

montait. La lettre du motet de ces bienheureux Esprits

portait ces belles paroles : Stella Maria maris hodie

processil ad ortum; c'est-à-dire :

Marie l'Etoile des mers ,

Ouvrant à ce jour sa carrière ,

Fait naître aux yeux de l'Univers

Les miracles de sa lumière.

Ravi de cet angélique concert, parfois il se joignait

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h eux pour tenir sa partie; et quand les Anges ne se

faisaient pas entendre, il ne laissait pas que de saluer

de bon matin la très -sainte Vierge à sa façon; et

pourvu qu'il la saluât avant le soleil levé , il était con

tent.

Ainsi devraient être satisfaits ceux qui voudront faire

comme lui. Qu'ils saluent donc la Mère de Dieu , ou

comme ces Anges, ou par un Ave Maria, un Sahv

Reyina, ou un Ave maris stella, ou quelque salut sem

blable. Tout cela ne coûte guère et procure de grands

avantages.

Philagie, peut-être que le soleil est déjà bien haut

lorsque vous vous éveillez : je n'oserais donc vous con

seiller cette dévotion. Néanmoins, quand, une fois l'an,

vous feriez quelque effort pour saluer, tandis que l'au

rore monte, la belle Aurore de nos siècles, et sur le

soleil qui vient de l'Orient la Mère du beau Soleil qui

éclaire votre âme , ce serait bien. Mais si par bonheur

vous êtes de celles qui préviennent le soleil, et que

vous destiniez quelques beaux jours dans l'année pour

saluer la Reine des anges et la vôtre , ou comme ces

purs Esprits ou a votre manière, que savez-vous s'ils

ne voudront pas être de la partie? Quoi qu'il en soit,

ils y seront présents; et si vous saluez gracieusement

et de bon cœur leur céleste Reine , ils en feront reten

tir l'écho jusqu'aux voûtes les plus élevées de l'empvrée.

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— 355 —

II

Saluer la Mère de Dieu en quelqu'une de ses églises, si, fai

sant chemin, on est arrivé en quelque lieu où se trouvent

des églises qui soient dédiées à son honneur.

Saint Henri, brave et chaste empereur, n'y man

quait point. Mais, bien plus! si c'était une ville où il

dût séjourner, il passait toute la nuit en prière et en

méditation dans l'église de la Mère de Dieu.

L'histoire de notre Compagnie porte que le dévot et

savant Père Thomas Sanchez n'arrivait jamais a Cor-

doue qu'il n'allât d'abord saluer Notre-Dame dans son

église , ce qu'il faisait de même avant que d'aller au

collége ; et puis , le lendemain , il y allait célébrer la

sainte Messe.

Je ne prétends pas, Philagie, vous inviter dès à pré

sent à ce dévot exercice; il suffit que vous en preniez

le dessein et la bonne volonté, et puis que vous l'exé

cutiez à la première occasion de quelque voyage où vos

affaires vous appelleront.

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— 356 —

m

Prier les Anges et leur donner commission de saluer la Mère

de Dieu de notre part.

C'est la dévote invention du révérend Père François

de la Croix, de notre Compagnie, exposée dans le

beau livre qu'il a composé en l'honneur de la sainte

Vierge , intitulé le Sacré Jardin de Marie. Quel mal y

aurait-il quand vous leur diriez :

« Anges glorieux, je me trouve tant éloigné de la

pureté requise à ceux qui veulent parler à la grande

Dame de l'Univers et la saluer avec la révérence et les

soumissions que mérite cette incomparable Princesse,

obligez-moi en la saluant de ma part; mais que ce soit

avec les beaux éloges et rares louanges qui lui sont les

plus agréables. Demandez, s'il vous plaît, pour moi la

pureté , le divin amour, le grand pardon de mes crimes.

Dites-lui que vous avez parole de créance de l'assurer

que je veux vivre et mourir son cher amant et fidèle

serviteur. »

Pourrait- on trouver à redire si je prie l'archange

Gabriel de présenter encore une fois le salut angélique

à la grande Vierge Marie, l'assurant que c'est à ma

considération et humble prière qu'il lui fait la révérence?

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Croyez-vous , Philagie , que les anges nous refuse

ront cette faveur? Hé! ils n'ont rien tant à cœur que

de se présenter pour parler à leur honorable Princesse

et nous rendre aimables à elle. Peut-être qu'ils dédai

gnent de pareilles commissions? Tant s'en faut! c'est

ce qu'ils recherchent avec passion. C'est le plus grand

honneur que reçut jamais l'archange Gabriel, d'avoir

été chargé de saluer la sainte Vierge. C'était de la part

de Dieu le Père , il est vrai ; mais ce qu'il a fait pour

le Père , il le fera bien volontiers pour les enfants.

IV

Repasser par sa mémoire et penser, une fois toutes les semai

nes, à la vie de la Mère de Dieu.

Pour bien s'en acquitter, il ne faudrait que l'esprit

aimant et dévot de la vertueuse sœur Françoise de

Jésus, carmélite, qui ne manquait point de faire cela

tout comme je viens de le proposer.

Saint Jean Damascène dit que celui qui fait de sa

mémoire et entendement un cabinet, ou plutôt un ora

toire à la Mère de Dieu, jouit sans cesse d'un indicible

repos et parfait contentement.

Le beau moyen pour essayer et goûter les délices

que ce grand saint nous promet, c'est de faire servir

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notre mémoire, toutes les semaines, d'oratoire tout-h-

fait dressé en l'honneur de la Mère de Dieu. On y loge

par la pensée et courte méditation, ou en disant le

rosaire, ou en faisant quelque lecture sur toute sa

vie, ou en quelqu'autre manière, gardant en son cœur

toutes les images et saintes espèces des belles actions

qu'elle a pratiquées pendant le séjour qu'elle a fait en

ce monde.

Philagie, si j'avais un livre qui dit tout cela en peu

de pages, je vous en ferais présent. Toutefois, si vous

vous contentez des principaux points de sa vie pour

conduire vos pensées et guider vos affections, les voici

par la plume du révérend Père Laurens Chifflet, de

notre Compagnie , en sa dévote Couronne de Roses de la

Reine du Ciel. S'ils ne vous agréent point pour ce que

je prétends, ils vous pourront servir à bien dire votre

couronne et chapelet de la Vierge, selon lintention de

son livre. Quoi qu'il en soit, logez-les au cabinet de

votre mémoire, et en cet ordre :

Sa prédestination éternelle ; sa conception sans péché

originel et avec l'usage de la raison qu'elle exerça tou

jours par de continuels actes d'amour de Dieu ; sa pre

mière grâce, qui fut plus éminente que la dernière des

autres saints ; sa très-pure naissance ; ses parents saint

Joachim et sainte Anne; l'imposition du beau nom de

Marie; sa présentation au temple, à l'âge de 3 ans; sa

demeure et sainte retraite au temple jusques à ses noces;

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sa préservation de tout péché actuel ; ses noces virginales

avec saint Joseph; l'annonciation de saint Gabriel, qui

d'ailleurs était son ange gardien ; son humble réponse

à l'ange, à l'incarnation du Verbe dans ses flancs; la

perplexité de saint Joseph, son époux, sur la cause de

sa grossesse ; la Visitation de sainte Elisabeth et la

sanctification de saint Jean-Baptiste ; son innocence

justifiée par l'ange et honorée par son époux; l'attente

de l'enfantement; le rebut des habitants de Bethléem;

l'entrée dans l'étable; sa haute contemplation sur ce

divin mystère : la naissance de son Jésus; le bonheur

de voir et serrer la première le petit Enfant né, su

çant ses mamelles; la dévotion des pasteurs adorant

le Fils et honorant la Mère; l'adoration des rois; la

circoncision de son Fils, à qui fut donné le nom de

Jésus; sa purification et la présentation de Jésus; la

joie de Siméon et les prophéties qu'il fit sur elle; la

fuite en Egypte avec son Fils; le retour à Nazareth;

la perte de son Fils durant trois jours : elle le trouve

au temple; sa maternelle autorité durant la vie cachée

de son Fils ; la peine qu'elle éprouva à la mort de saint

Joseph et de sainte Anne; sa joie h suivre son Fils, à

le servir et à entendre ses prédications; l'impétration

du premier miracle à Cana ; l'adieu que lui dit son Fils

en allant souffrir; la nouvelle de la prise et des autres

circonstances de la passion de son Fils; la rencontre

au chemin du Calvaire; le crucifiement, etc.; l'éléva

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tion de la croix en sa présence; le Sauveur lui donne

saint Jean pour son fils ; elle voit expirer son Fils et

quand on lui donne un coup de lance au côté; elle

assiste à la descente de la croix et le prend sur son

sein; elle aide à ensevelir son Fils; elle pleure amère

ment pendant sa sainte solitude; elle est visitée par

Jésus ressuscité; elle le voit monter au ciel; elle re

çoit le Saint-Esprit avec les Apôtres; elle se commu

nie de la main de saint Jean; elle assiste l'Eglise de

ses soins; elle désire le départ de cette vie et d'aller

au ciel; elle meurt doucement par un saint effet du

grand amour qu'elle avait pour Dieu; son corps est

honoré et porté à la sépulture par les princes de

l'Eglise, les Apôtres, et grand nombre de fidèles. Son

corps ressuscite, et elle monte et entre glorieusement

dans le ciel. Elle y est notre Avocate, et n'oublie rien

pour le salut et l'avancement de ses fidèles amants.

Prendre au sort quelque billet qui porte certaines prières à

dire , et les vertus de la Mère de Dieu qu'il faudra prati

quer avec plus de soin durant l'Octave de quelqu'une de ses

Fêtes.

Le bienheureux Père François de Borgia donna de

la dévotion à toutes les dames qui étaient au palais de

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Jean , prince de Portugal , par ce petit entretien de

piété : il faisait distribuer autant de billets qu'il y avait

de dames ou demoiselles à l'assemblée, puis il tirait au

sort leurs noms qui étaient en d'autres billets ; il leur

distribuait ces petits papiers, chacun disant le nombre

d'oraisons qu'il fallait réciter et la manière de le faire

tous les jours de l'Octave dans laquelle ils entraient, à

l'occasion de la fête occurrente de la Mère de Dieu, sans

oublier la vertu qui devait être le plus à cœur et en

exercice durant ce temps-là.

Il n'est pas croyable combien cela réussit à la gloire

de Dieu et celle de sa sainte Mère. Ces dames ne pen

saient plus au faste, ne parlaient plus de vanité. Tous

leurs discours étaient de ce qu'elles feraient pour la

sainte Vierge et de la manière qu'elles aimeraient la

Mère de Dieu. On ne les entendait plus caqueter, par

ler d'affections humaines, de vains plaisirs, d'aller à la

comédie : on ne parlait plus de tout cela. Le prince en

fut si fort édifié et si content, qu'il voulut lui-même

assister à cette distribution , commandant qu'on la com

mençât par une Messe solennelle et la communion géné

rale. Tout cela était suivi de quelque dévote exhortation.

Qui aimera Marie, je lui conseille, aux occasions, de

faire une partie de ce qui a été dit ci-dessus , ou au

moins le principal, non tous les quinze jours, comme

le faisait ce prince pour le profit qui lui en revenait,

mais une fois à quelque Octave de quelque belle fête

11

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— 362 —

de Notre-Dame, pourvu que l'on rencontre des per

sonnes de bonne volonté pour ce dévot entretien.

VI

Prendre au sort, tous les jours , une dévotion à la Mère de

Dieu, dans la résolution de s'y employer et la pratiquer

ce jour-là.

C'est ce qu'on m'a dit être passé en coutume dans la

maison d'une très-illustre Dame de Provence, après

qu'elle eut pris quelque goût à la première édition de

mon livre. Voici de quelle manière elle s'y prend.

Quand sa famille est entièrement assemblée, elle se

fait apporter mon livre , et puis , à sa première ouver

ture, elle avertit tout son monde de la dévotion qui

s'est rencontrée et comment il faut s'y exercer et en

tretenir dans le jour. C'est là une bonne facon de se

servir de ce livre.

Si je n'étais intéressé dans cette noble invention , je

ne manquerais pas de témoigner l'obligation que j'ai ,

par surcroît aux autres, à cette dévote Dame, pour

avoir donné un si saint usage à mon livre; et, où je

prétendais qu'on ne s'en servît qu'aux Octaves des fêtes

de la Mère de Dieu, avoir trouvé le moyen de s'en

servir tous les jours. Mais puisque cela me touche , il

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ne faut plus en parler. Recommander et louer haute

ment cette nouvelle dévotion, ce serait, ce me semble,

en quelque sorte recommander mon travail et flatter

ma Philagie sur le bon accueil qu'il a reçu dans la

ville d'Aix.

VII

Tous les mois, s'étudier à quelque vertu particulière en

l'honneur de la Vierge-Mère.

Puisque ce trait d'amour est approchant de quel-

qu'autre susmentionné, il me suffira de dire que celui

qui s'y engagerait ne ferait rien que le dévot Jean

Berkman n'ait fait, même avant son entrée en notre

Compagnie.

Au commencemement de chaque mois , il demandait

au Père de la Congrégation de quelle faute il devait

s'amender, et quelle dévotion il devait pratiquer en

l'honneur de la Reine des anges.

C'était bien là un excellent moyen pour devenir riche

en peu de temps et mettre dans ses coffres une douzaine

de vertus, à la faveur de la toute-puissante Mère qui a

plus d'envie de nous donner que nous n'avons de rece

voir.

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VIII

Avoir soin d'estimer el de recueillir toute sorte d'images de la

sainte Vierge, quand même elles seraient usées, vieilles,

gàtées, ou moins bien faites, pour l'amour de ce qu'elles re

présentent.

On donne la louange de ce soin au dévot Père Sé

bastien Barradas, personnage assez célèbre pour ses

profitables sermons et écrits , mais beaucoup plus pour

la tendresse de son affection à la Mère de bonté. Le

cas se pourrait bien présenter pour vous de témoigner

un pareil soin.

Philagie, ajoutez ce petit service aux images et por

traits de votre chère Mère, à tant d'autres que vous lui

rendez, et, croyez-moi, tout vous sera rendu avec

usure.

J'avais quasi envie de vous servir à ce propos le trait

du bienheureux François de l'Enfant Jésus, qui faisait

plus de cas des images vieilles que des récentes, parce

que, disait-il, depuis plus longtemps Jésus et les autres

Saints de qui sont ces images ont été honorés par elles.

Mais il suffit que je vous laisse une pareille réflexion

pour celles de la Mère du Bel-Amour,

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365

IX

Avoir plusieurs images de la Mère de Dieu et leur imposer de

beaux noms pleins de tendresse et conformes à l'amour

qu'Elle a pour nous, ou à celui que nous avons pour Elle.

L'admirable et dévot a cette pratique, fut le vénérable

Père Jean de Saint-Guillaume, religieux augustin ré

formé. En sa chambre, on y voyait quelques images de

Notre-Dame; il en nommait l'une sa Dévote, l'autre sa

Bien-Aimée, et ainsi des autres.

Je voudrais bien qu'on me dît s'il est rien de si aisé

à un cœur amoureux de cette sainte Princesse, que de

donner de beaux noms à ces images qui seront en nos

chambres ou en d'autres endroits de la maison; et

nommer l'une sa Belle ou sa Fidèle, l'autre sa Maîtresse

ou sa Mère; en cet endroit, sa Reine ou la Mère Ai

mable; en cet autre, la Nonpareille; et puis la servir

et l'honorer parfois avec ces beaux titres, en lui disant

tout bas affectueusement ou à pleine voix, à l'insu des

autres :

« Je vous salue, ma toute Belle; je vous aime, ma

Fidèle; je vous honore, glorieuse Marie, ô mon Incom

parable ! ô la Reine de mon cœur ! ô ma Bien-Aimée !

Je vous vénère , ô la Sérériissime ! ô la Très-Grande !

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ô l'Eminentissime ! de la plus grande vénération dont

vous êtes digne : non pas de celle de latrie, car elle

n'est que pour la Divinité et pour ce qui est adorable

en elle; non pas de celle de dulie, car elle n'est que

pour les saints et ce serait trop peu pour vous , ô grande

Marie, qui êtes leur souveraine Princesse ! mais de celle

qui doit être rendue à votre excellentissime et très-

puissante Majesté, en qualité de Mère de Dieu, dignité

que vous possédez et posséderez en toute la grande et

incomparable durée de l'éternelle éternité!

Donner des œillades amoureuses, en passant, aux images de la

Mère de Dieu, à leur rencontre.

C'est ce que la dévote sœur Francoise de Jésus, car

mélite , qui ordinairement appelait la sainte Vierge la

Mère de son âme, faisait à dessein, regardant affec

tueusement neuf fois tous les jours une image de Marie.

Philagie, faites de même aux occasions et dans les

rencontres. Cet aspect favorable ne peut produire que

le bonheur ; les choses mêmes inanimées s'en ressentent.

Autrefois sur la muraille de Lucques était peinte une

image de Notre-Dame qui tenait le petit Jésus sur son

bras gauche, et en la main droite trois roses. Un jeune

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berger qui conduisait son troupeau proche de cet en

droit remarqua que pas une de ses brebis n'osait appro

cher d'une grosse motte de terre, qui était d'ailleurs

assez fertile et verdoyante; au contraire, qu'elles s'en

retiraient comme si on les eût chassées. Tout cela l'in

vita à chercher la cause de cette merveille. Il s'appro

che donc de ce lieu, et quoique ce fut au mois de jan

vier, temps auquel les roses ne sont point de saison, il

y trouva une rose aussi belle et aussi fraîche que si

c'eût été le temps des roses. Il la cueillit et la porta à

son père; et en la lui présentant, il commenca à par

ler, lui qui, toute sa vie, avait été muet.

Le père avertit l'évèque de Lucques de tout ce qui

s'était passé, et lui amena son garcon. Ce prélat prit

aussitôt la résolution de se transporter sur le lieu , et ,

considérant attentivement quelle pouvait être la raison

de cette merveille, il trouva que c'était justement l'en

droit sur lequel étaient arrêtés les yeux de l'image de

la Vierge.

Le bruit de ce miracle se répandit dans le voisinage,

et la dévotion envers la chère Mère s'agrandit aux alen

tours de Lucques, et beaucoup plus encore dans la ville.

Philagie , que direz-vous de ceci ? mais que ferez-vous ?

Croyez-vous bien que les yeux des portraits de votre

Bien -Aimée ne vous seront pas aussi favorables qu'à

un gazon de terre ? Je sais bien l'utilité qui en revient

h quelqu'un, qui ne veut point que je le nomme ici. Je

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— 368 —

suis fâché de ne pouvoir coucher sur ce papier le bien

qui lui en revient tous les jours , de se mettre en vue

des yeux de quelque belle image de la Mère de Dieu.

Faites ce qu'il vous plaira sur ce sujet. Quant à moi,

je sais bien ce que j'en ferai pour me prévaloir, même

en passant devant les beaux yeux et regards, pour

ainsi dire, des images de la Reine du saint Amour.

XI

Faire porter solennellement et avec pompe quelque image de

la Mère de Dieu par la ville, ou assister à la cérémonie ou

procession qui se fait pour ce sujet. — J'apprends cette pra

tique de saint Grégoire le Grand.

Tout le monde sait ce qu'il fit dans l'une des plus

grandes afflictions pour la ville de Rome, et combien

il lui fut utile d'avoir fait porter en procession la belle

image de la Vierge qui est dans cette ville.

L'empereur Jean Zemisces , ayant reçu un secours

notable contre trois cent trente mille combattants ses

ennemis , et les ayant mis en déroute pour avoir ar

boré les étendards de la Vierge-Mère à l'avant-garde

de son armée , suivit cette pratique '. car il fit préparer

un triomphe et une procession magnifiques. Sur le char

triomphal était placée l'image de la Mère de Dieu, avec

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les dépouilles des ennemis sous ses pieds; et l'empe

reur, les princes, sa cour et le peuple suivaient.

J'ai vu autrefois les confrères de la congrégation qui

est érigée sous le titre de la Purification de la Vierge,

à Aix , en Provence , en notre collége, au jour de leur

fête, pour ne leur avoir point été permis d'exposer le

Saint-Sacrement en leur chapelle et ensuite faire une

petite procession, mettre avec un agréable appareil sur

l'autel l'image de Notre-Dame de Montaigu, et puis la

porter solennellement en procession le long des grandes

rues qui sont à l'entour du collége : ce qui donnait une

très-grande dévotion à tous les spectateurs, et beau

coup plus à ces confrères, qui voyaient leur chère

Mère portée avec tant d'honneur pour la gloire de son

Fils.

XII

Faire vœu d'accomplir quelque bonne œuvre à l'honneur de la

Mère de Dieu, ou lui promettre de faire pour son amour

quelque bonne action, soit dans le danger de quelque incon

vénient pour en être délivré, soit pour obtenir à sa faveur et

intercession quelque grâce particulière.

Philagie , si vous avez le courage de faire cela , ce

sera à l'exemple de grand nombre de personnes , nom

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mément du bienheureux André de Chio, dont la fête

est le 29 de mai.

Attaqué d'une fièvre dangereuse et mortelle , il fit

vœu que , si la Mère de Dieu lui rendait la santé , il

garderait perpétuellement la virginité. Aussitôt guéri ,

il s'empressa d'observer son vœu; et, pour s'y engager

plus solennellement et même faire savoir à tous ce qu'il

devait à la Mère de Dieu, soit pour la santé qu'il en

avait recue, soit pour le désir qu'il avait de vivre et

mourir vierge , il s'habilla tout de blanc , symbole du

désir de la pureté; et avec cette livrée, il fit vœu pu

bliquement de vivre dans la virginité.

Tous ceux de Notre-Dame de Cléry, qui est à deux

lieues d'Orléans, savent combien vaut cette dévotion.

Il s'y fait de grands miracles. Mais en voici un, à mon

avis , d'autant plus admirable qu'il est perpétuel : c'est

que l'on y voit un grand cierge devant l'image de la

Vierge , attaché d'une grosse chaîne de fer, et à qui Dieu

a donné cette vertu que si quelque pèlerin se trouvant

en danger de mort, 'sur la terre ou sur la mer, fait

vœu pour sa délivrance d'aller à Notre-Dame de Cléry,

le cierge fait un tour ou deux avec un bruit si violent

que le peuple de la ville , en l'entendant , court de suite

à l'église et le voit tourner sans aucun moteur, ce que

dix hommes ensemble ne sauraient faire. Tout cela s'est

trouvé véritable plus de cent fois , et l'on a toujours vu

que ce mouvement se faisait à la même heure que le

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vœu était prononcé, présenté à Dieu et à sa sainte

Mère.

L'histoire de Notre-Dame de Lorette , celle de Mont-

Serrat, et pareilles, sont remplies des preuves de la

dévotion dont je viens de parler.

XIII

Aller en pèlerinage en quelque célèbre église de Notre-Dame ,

ou à Lorette, ou au Mont-Serrat , ou au Puy, et autres

semblables.

Parfois on y va par dévotion, quelquefois par vœu :

tout est recevable et agréable à la grande Princesse,

qui ne manque pas de récompenser les peines de pareils

voyages.

Saint Ignace, fondateur de notre Compagnie, loua

et bénit tous les jours de sa vie le voyage qu'il fit à

Notre-Dame de Mont-Serrat. Il mettait les faveurs du

Ciel reçues en ce voyage entre les plus signalées grâces

qu'il eût recues de la sainte Vierge et de son cher Fils.

Tout ce que j'ai à dire sur cette dévotion , c'est qu'il

faut de grandes inspirations de Dieu pour entreprendre

de pareils voyages. Et comme j'ai fort peu d'inclination,

soit pour moi , soit pour les autres , à ces grands pèle

rinages, pour tous les dangers nombreux et inconvé

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nients qui s'y rencontrent, j'aime bien mieux louer ces

voyages que de les conseiller, quoique d'ailleurs ils

soient recevables et dignes d'être considérés quand ils

sont entrepris comme il faut.

Je suis surtout de cet avis : que les femmes ne les

doivent nullement entreprendre, en ce malheureux siè

cle , qu'avec une forte inspiration , bon conseil et bons

guides; beaucoup moins encore faire des vœux d'aller

en tels endroits, vu quil y a tant d'autres belles occa

sions où nous pouvons témoigner les obligations et les

affections de notre cœur à la toute-puissante et obli

geante Mère.

XIV

Attacher doucement sa pensée à certains endroits, pour avoir

-une mémoire locale toute prête à se souvenir de la Mère

de Dieu. Le bienheureux Loui? de Gonzague me donne et

saint exercice.

Les images de cette sainte Mère placées par-ci par-

là sont bien propres à cet effet. Mais quand cela man

que, qui m'empêchera de dire : En cet endroit je veux

me souvenir de la bonté de la Vierge-Mère, et, en

celui-là, de l'amour qu'elle me porte. Je veux nommer

ce passage du nom de Marie; et ma chambre la cham

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— 373 —

bre de Notre-Dame, et ainsi des autres; et puis, pas

sant par là , me remettre en l'esprit la douce mémoire

de ma chère Maîtresse. Ecoutez ce que faisait le bien

heureux Louis de Gonzague, et puis je vous dirai

d'autres choses.

Quand ce bienheureux Saint servait au réfectoire des

religieux et le dressait, il donnait divers noms aux

tables. Celle du supérieur, il la nommait la table de

Notre-Seigneur; celle qui était la plus proche de celle-

là , la table de la Mère de Dieu ; une autre , la table des

Apôtres; quelqu'autre , la table des Anges, et ainsi du

reste , donnant cependant loisir et occasion à la mémoire

de penser à la sainte Vierge , quand l'endroit où il y

devait penser se rencontrait.

XV

Chérir, estimer et honorer tous les dévots et affectionnés

au service de la Mère de Dieu.

Je parle des vivants, car, quant à ceux qui sont déjà

au ciel, j'en ai dit ailleurs mon sentiment; et quant à

ce que j'ai déclaré en avoir connu plusieurs qui avaient

pareilles inclinations et qui aimaient tendrement les

amants et serviteurs de la Reine-Mère de Dieu, pour

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ne parler donc que des vivants , il suffira de rapporter

le trait du dévot Jean Berkman, de notre Compagnie.

Il disait bien souvent qu'il se sentait poussé d'une

particulière affection à l'endroit de ceux qu'il connais

sait être dévots à la sainte Vierge et l'aimer plus qu'on

ne l'aime ordinairement. Si cela est , il est croyable

qu'il priait pour les écrivains de ses louanges , pour les

prédicateurs qui parlaient volontiers et avec ferveur

d'Elle. Il y a apparence qu'il était bien aise de conver

ser, de visiter, de connaître, de correspondre avec les

bons serviteurs de Marie, de parler aux compagnies, et

de louer hautement les bonnes volontés et les saintes

flammes de leur cœur pour le service de Marie.

XVI

Donner mille bénédictions ou faire des prières pour ceux

qui ont contribué à l'avancement de la gloire et de l'hon

neur rendu à la vierge Marie, en quelque façon que ce

puisse être.

D'après ce que je vais dire, on entendra suffisamment

ce que contient cette pratique.

Le dévot Père Pierre Faber, premier compagnon de

saint Ignace, notre fondateur, assistant à Spire aux

premières vêpres qui se disaient dans la cathédrale à la

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fête de la glorieuse Assomption de la Mère de Dieu avec

tant d'appareil et de magnificence, et considérant en

détail tout ce qui s'y faisait et les préparatifs qu'on avait

apportés à cette belle solennité , se mit à charger de

bénédictions ceux qui avaient prêté et préparé ces tapis

series, ceux qui avaient donné et placé les cierges, ceux

qui avaient enrichi l'autel de saintes reliques, de belles

peintures , de chandeliers d'argent , de précieux reli

quaires, de somptueux ornements et de tant de beautés.

Et continuant cette dévotion , il pria Dieu et sa sainte

Mère pour les officiants, pour les choristes, musiciens,

joueurs d'instruments, et pour les assistants qui, par

leur dévote présence, attention et piété, contribuaient

à rendre très-auguste cette admirable cérémonie.

XVII

Renouveler l'amour et les résolutions prises pour le service de

Notre-Dame, -de la manière à peu près que les religieux

renouvellent leurs vœux, le tout à l'imitation de tant de

braves et dévots confrères des Congrégations érigées pour

servir la Mère de Dieu.

Une fois l'an, à l'occasion de quelque bonne fête de

la Vierge , ils renouvellent leurs résolutions d honorer

et servir leur Princesse tout comme s'ils commençaient

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à les former, et avec la même solennité. Ils s'y dispo

sent par de bonnes œuvres et quelque confession géné

rale depuis la dernière rénovation, par une fervente

communion et de grands désirs de servir avec plus de

ferveur cette glorieuse Dame.

Je suis ravi d'aise quand il me souvient du profit

indicible et du notable changement de cœur qui suivait

pareilles rénovations, dont j'ai autrefois en ma jeunesse

et bien souvent depuis été témoin.

Philagie , prenez part à cette joie et à ce profit par

la bonne résolution que je vous conseille de faire tou

chant l'amour que vous devez à Marie. Résolvez-vous-y

au moins une fois l'an; et si vous n'avez point d'oraison

qui soit propre à cette rénovation, servez-vous de celle

qui est à la fin de la cinquième pratique , au sixième

jour de Février, ou de la huitième parmi celles de

l'Assomption, au mois d'Août. Choisissez, ou prenez-les

toutes les deux.

XVIII

Instruire ou disposer les cœurs des petits enfants à l'amour

et à la dévotion de la Mère de Dieu.

Les parents du bienheureux François de Borgia et

du bienheureux Louis de Gonzague avaient tellement

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instruit et façonné ces petits enfants, que la première

parole qu'ils prononcèrent, ce fut le nom de Jésus et

de Marie. Encore dans leur première enfance, c'était

leur grand plaisir que de parler ou entendre parler de

la bonne et sainte Maman , c'est-à-dire la bonne Mère

de Dieu.

Pour le bienheureux Louis , à peine pouvait-il mar

cher qu'à chaque degré en montant ou descendant, il

saluait la sainte Vierge.

Je m'estimerais beaucoup heureux si j'étais cause

qu'un petit enfant prononçât le premier mot des paroles

du nom de Marie, et si je lui pouvais donner le doux

lait de la dévotion à Marie.

Que faisait la fervente Anne de Xaintonge, de la

congrégation de Sainte-Ursule? Elle enseigna durant

vingt-sept ans environ les petites filles ; mais son grand

soin était de les rendre toutes affectionnées et dévotes

à la Mère de Dieu. Et comme parmi ce grand nombre,

elle en rencontrait de mal faites et des plus dégoûtan

tes, c'est à celles-là qu'elle voulait davantage inculquer

la dévotion envers Marie , afin que l'amour pour cette

Mère de Dieu suppléât en leur âme à ce que la nature

avait refusé de beauté à leur corps et de grâces à leur

visage. Ainsi elle les rendait aimables par l'inclination

qu'elle leur donnait à aimer Marie.

Qu'est-ce qui a été cause de la sainteté du bienheu

reux Jacques de Venise, et peut-être de son salut? Sa

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— 378 —

tante, qui ne lui parlait, quand il était encore petit,

que de Notre-Dame, et l'obligeait, sur l'espoir de quel

ques petits présents qu'on fait aux enfants, de dire l'Of

fice de la sainte Vierge durant cent jours.

Bienheureux les parents qui élèvent leurs enfants de

la sorte, les faisant devenir enfants de Marie ! Ceux-là

participent encore à cette félicité, qui par devoir ou par

rencontre touchent le cœur de ces petits anges, pour

les rendre de bonne heure serviteurs de la Mère de

Dieu.

XIX

Porter son chapelet au bras, jour et nuit, en forme de

bracelet.

Je ne trouve personne qui se soit autant appliqué à

cette imitation des amants du monde, pour rendre ce

témoignage avec plus de mérite à la Reine du Ciel, que

la dévote Anne de Xaintonge, ursuline. Elle en portait

un, jour et nuit, au bras pour le baiser cent et cent fois

durant le jour, et tout autant de fois la nuit quand elle

s'éveillait.

J'ai autrefois appris d'un dévot religieux que, tout le

temps de son repos durant la nuit, il tenait en main

une image de la Vierge, soit que ce fut une médaille

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— 379 —

ou quelque petite statue. Mais elle lui pouvait aisément

échapper, là où le chapelet au bras ne peut se perdre.

Tantôt l'un et tantôt l'autre , c'est ce qu'il faut pour

imiter les saints et dévots de Celle à qui on ne saurait

assez avoir de dévotion, et pour qui on ne saurait assez

trouver de nouvelles et belles inventions et témoignages

du bien qu'on lui veut et du respect qu'on lui doit ren

dre.

XX

Offrir toutes les bonnes œuvres de tout un mois ou d'un plus

long temps à la Mère de Dieu, en tant qu'elles sont satisfac-

toires ou impétratoires , s'en remettant à sa sainte volonté

et agréable disposition.

C'est le meilleur avis et conseil que donne le révé

rend Père Binet au livre du Purgatoire, qu'il a donné

au public , parmi les moyens qu'il suggère pour demeu

rer fort peu de temps dans ces flammes. De sorte que

ce sera au gré et au bon plaisir de la sainte Vierge de

recevoir ces actions méritantes, même les communions,

non pas quant à l'œuvre opérée du saint Sacrement,

l'effet n'en revenant qu'à celui qui le reçoit , mais quant

à l'œuvre de l'opérant , ainsi qu'on parle en l'école , et

les appliquer avec la permission de son cher Fils à

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ceux qui en auront besoin ou qui en seront capables ,

nommément aux âmes du Purgatoire, et parmi celles-

ci aux plus nécessiteuses et pour lesquelles on prie le

moins.

Belle dévotion et profitable charité , qui pourrait bien

être rendue en même monnaie à ceux qui le font main

tenant avec tant de libéralité et de bon cœur par les

mains de la grande Dispensatrice des grâces et faveurs

de Dieu !

XXI

Marier de pauvres filles en l'honneur de la Mère-Vierge.

De beaucoup de grandes et saintes actions qu'on peut

faire pour l'amour de Notre-Dame, je fais choix de

celle-là , et la propose comme étant , à mon avis , très-

agréable à la Reine des vierges, soit parce que c'est

pourvoir à la pudicité de ces bonnes filles et les tirer

du danger de se perdre , soit parce que notre nature

était une pauvre fille. Si Dieu ne l'eût épousée et s'il

n'en eût eu pitié, que fussions - nous devenus? Ce fut

ce motif, entre autres, qui poussa le cardinal Turre

cremata, très-célèbre par ses mérites et sa rare doc

trine, religieux de l'ordre de Saint-Dominique, d'ériger

à Rome, dans le couvent de l'ordre qui porte le nom

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— 38-1 —

de La Minerve , une confrérie à l'honneur de la Mère

de Dieu, dont le but et la fin principale est de trouver

et procurer des charités et des aumônes pour marier

de pauvres filles le jour de l'Annonciation de la Mère

de Dieu , qui fut le jour que Dieu choisit pour épouser

notre nature humaine.

Cette coutume était encore en vigueur ces années

passées , depuis l'époque de ce grand cardinal ; et tout

se passait avec magnificence et sainte dévotion , et les

aumônes étaient si abondantes, qu'il se trouvait de quoi

pour en marier soixante.

Vous n'avez pas de quoi , me direz-vous , pour faire

pareille charité : tâchez donc de procurer que ceux qui

ont les moyens fassent cette bonne œuvre. Après tout,

offrez votre volonté à Dieu, et dites-lui que vous vou

driez avoir de quoi loger cent mille filles des plus pau

vres qui soient au monde ; et priez Dieu qu'il donne

de fortes inspirations aux grands et riches du monde

pour faire cette bonne œuvre.

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— 382 —

XXII

Réciter le Psautier de la bienheureuse Vierge, composé par

saint Bonaventure. *

Philagie, ce psautier est un peu long; il contient

tout autant de psaumes que celui de David. Je suis in

décis si je vous dirai de vous en servir une fois l'an, à

quelque belle fête de choix. Il est dévot, il est beau et

rempli de traits touchants à la louange de la Vierge.

* Le ministre protestant Saurin, dans un de ses sermons, qua

lifie le psautier de la sainte Vierge, par saint Bonaventure, de

scandaleux. On sait quel cas l'on doit faire d'un tel jugement.

Mais ce qui est plus surprenant, c'est que l'ex-jésuite Feller, qui

certes après tout n'est qu'un très-mauvais critique et qui man

quait de cette piété affectueuse envers Marie , ose avancer que

saint Bonaventure a perdu son temps à dégrader les beautés

simples et majestueuses des psaumes. Les Pères Goret et Galli-

fet, jésuites, ont dignement vengé la cause de saint Bonaventure

en traduisant l'un et l'autre son psautier. Ce dernier a fait pré

céder son travail d'un Avertissement salutaire , et que ceux qui

partagent le sentiment de Feller sur saint Bonaventure feraient

bien de méditer attentivement. Il dit avec raison « que ce saint

Docteur, qui a mérité par l'éminence de sa sainteté le nom de

Docteur Séraphique, était trop éclairé pour errer, et trop saint

pour remplir un ouvrage entier de sentiments qui ne fussent pas

conformes à l'Esprit de Dieu. »

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— 383 —

Je ne vous cacherai point que le dévot Jean Berkman,

étant encore jeune écolier, et avant qu'il se rendît reli

gieux chez nous, récitait tous les jours ce psautier tout

entier, qui est de cent cinquante psaumes.

Ce trait serait capable de vous faire rougir, si vous

ne vouliez faire une fois l'an ce que ce jeune homme

faisait tous les jours , nonobstant les occupations ordi

naires de ses études.

Peut-être m'objecterez-vous que vous ne savez où se

trouve cette prière? Je vous répondrai bientôt. Mais il

faut, s'il vous plaît, que vous me permettiez de vous

raconter une jolie et courte histoire d'une jeune fille

de sept ans environ.

En ce bas âge, elle était déjà fort affectionnée à la

Mère de Dieu ; elle avait entendu parler de ce psautier,

et ne sachant où elle en trouverait un pour le dire, elle

en demanda un à la Mère de Dieu. Elle le fit avec une

si bonne grâce, avec tant de simplicité et de sainte fer

veur, que la sainte Vierge, se présentant à elle , lui en

apporta un et même lui apprit à le lire. Je vous laisse

à penser si , après , elle le disait de bon cœur et sou

vent.

Or, je reviens à vous. Comme vous n'attendez pas

un miracle qui favorise votre dévotion, puisqu'elle est

si froide que vous marchandez à dire le psautier de la

Vierge une fois l'an , je vous dirai qu'il est parmi les

œuvres de saint Bonaventure. Faites-en copier un et

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— 384 —

puis gardez-le, ou bien achetez l'un de ces livres où il se

trouve.

C'est bien la vérité que ces livres sont assez rares : ce

qui me donne envie d'engager quelque imprimeur qui

soit dévot à la sainte Vierge de l'imprimer à part pour

le bien du public et à l'usage des dévots de Marie.

J'ai oublié de vous dire. qu'il y a encore un autre

psautier de la Vierge qui est aussi de saint Bonaven-

ture. Pour les différencier, on nomme celui-là le grand

psautier, et celui-ci le petit. Il sera bon de les joindre

dans un livret, afin qu'on ait le choix de dire celui

qu'on voudra, ou bien, comme vous le ferez, qu'on dise

tantôt l'un tantôt l'autre aux grandes fêtes de notre

Princesse.

XXIII

Dire la messe de Beata, c'est-à-dire de la bienheureuse Vierge.

Philagie, le cœur vous dit que ce n'est point à vous

que je m'adresse cette fois, puisque vous n'avez pas le

bonheur d'être revêtue du grand caractère de prêtre

pour dire la messe.

Or, sachez que c'est à vous que je parle aussi bien

qu'aux prêtres, pourvu que vous ne soyez du nombre

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— 385 —

des femmes à qui il n'appartient point d'ouvrir le Missel.

Mais disons quelle est cette messe.

La messe telle que je l'entends est une messe sèche

et comme celles que les révérends Pères Chartreux la

disent tous les jours après prime, ou tierce, en leur

cellule, conformément à la sainte coutume de cet Ordre,

depuis l'avertissement d'un Ange qui les instruisit de

faire ainsi s'ils voulaient être délivrés de très-grandes

tentations et peines de toute sorte que tous les religieux

souffraient en tous les endroits du monde où leur Ordre

s'était établi.

Cette pratique leur est très-avantageuse, et en re

connaissance de ce bienfait signalé et aussi pour en

obtenir la continuation, ils ne manquent point tous les

jours de dire en leur particulier cette sainte messe à

l'honneur de leur chère Protectrice.

Celui qui voudra, une fois l'an, se servir de cette dé

votion, n'aura qu'à prendre le Missel selon le temps;

car on en dit une autre au courant de l'année et une

autre durant l'Avent. Tout ce qui est à remarquer, c'est

qu'en la messe de Beata, il n'y a point d'Introït, point

de Canon : aussi il n'en faut pas dire en cette messe

sèche ; il suffit de dire ce qui est dans le Missel ou

ailleurs pour ce sujet, ajoutant à la fin l'évangile de

saint Jean, qui commence par : In principio, qu'on a

coutume de dire ordinairement à la fin des messes.

Pour faire ressortir ici tous les avantages de cette

H.

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louable dévotion, il suffit d'avoir dit que c'est un Ange

du Ciel qui l'a donnée aux serviteurs de Dieu, et que

ce saint Ordre en reçoit des fruits et des consolations

indicibles.

XXIV

Prier particulièrement la sainte Vierge pour les âmes du Pur

gatoire : il suffit de dire que la sainte et charitable Vierge

l'agrée.

Le bon et dévot Jean Ximenez, coadjuteur de notre

Compagnie, priant un jour, à la fête de la Toussaint,

devant une image de la Vierge, pour ces âmes qui sont

eu Purgatoire, fut touché de compassion pour elles de

ce que si peu de personnes pensaient à les soulager. Il

entendit alors une voix qui, le nommant par son nom,

l'invita de se souvenir de ces pauvres âmes qui sont

dans les peines de l'Eglise souffrante.

Cette voix, qui, a son avis, était la voix de la Mère

de Dieu, lui donna tant de désir et de courage à pro

curer des assistances par ses prières et ses bonnes œuvres

à ces âmes souffrantes et languissantes, qu'il se résolut,

le reste de sa vie, d'appliquer toutes les prières qu'il

ferait à Dieu, à la sainte Vierge, et aux Saints, comme

aussi toutes ses actions, pour leur soulagement et déli

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vrance. C'est ce qu'il fit durant les huit ans de vie que

Dieu lui donna après cet avertissement du Ciel.

Je ne sais quel dessein avait le Père Jean Lorin, de

notre Compagnie, personnage assez connu en ce siècle

par ses curieux et savants écrits; mais je sais bien qu'il

ne saluait point la sainte Vierge, lorsque tout le monde

la salue au son de la cloche, sur le soleil couchant,

qu'il ne priât aussitôt après pour les âmes du Purga

toire. Son zèle pour ce sujet allait si avant, qu'il tâchait

d'introduire la coutume de donner en même temps un

quatrième coup de cloche pour faire souvenir le peuple

de prier pour ces âmes souffrantes, après avoir prié la

Mère de Dieu. A cet effet, il conjurait les prélats de

sa connaissance d'introduire cette louable coutume dans

les villes de leur juridiction.

XXV

S'accoutumer à prier la sainte Vierge au même temps qu'on

a prié Dieu.

On loue là-dessus une sainte âme qui a eu une re

nommée de sainteté dans l'ordre de Saint-François de

Paule. Sa prière n'était pas adressée à Dieu qu'aussitôt

après ne lui vint le souvenir de sa sainte Mère, avec une

prière qu'elle lui adressait.

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Sur ce sujet, je peux rapporter ce que fit saint Ignace

de Loyola lors de sa conversion, quand il fit ses grandes

protestations à Dieu que le monde ne lui serait plus

rien, et que son cœur ne respirerait que pour son ser

vice. Il voulut ce que fût en présence de la Mère de

Dieu, dans son église du Mont-Serrat, la prenant à

témoin de ses bonnes volontés et saintes résolutions :

ce que pratiquent encore ses enfants qui servent Dieu

en la compagnie qu'il a instituée, quand ils font ou re

nouvellent leurs vœux. Car ils n'entreprennent ces glo

rieuses offrandes qu'en présence de leur chère Mère

et Avocate, la Vierge Marie, désirant qu'elle soit témoin

de leurs plus célèbres et importantes actions.

XXVI

Chercher et inventer les plus beaux noms, épithètes et éloges

qui se peuvent trouver pour les donner à la Mère de Dieu,

et s'en servir en la conversation, aux prédications , dans la

prière, dans les écrits, et partout.

Le bienheureux Stanislas , novice de notre Compagnie ,

fut en son temps l'incomparable en cette pratique. Tout

ce qui se pouvait dire de beau , d'avantageux pour sa

chère Mère , il le débitait avec tant de grâce , d'affec

tion et d'abondance , qu'il surpassait ceux qui s'en vou

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laient mêler; et toujours il lui restait de beaux mots et

éloges à dire pour elle qui rendaient muets ses concur

rents. Il leur laissait ainsi la confusion de se trouver à

court et arrêtés en si beau chemin , et en une matière

où on eût pu continuer et donner de nouveaux titres

d'honneur dix ans de suite sans tout dire ni même la

moitié de ce qui se pourrait.

Peu s'en faut que l'envie ne me prenne de loger ici

plusieurs centaines des plus aimables qualités, riches

titres et éloges de la Mère du saint amour pour m'en

servir, ou en la priant, ou en parlant de ses grandeurs

et perfections. Ce serait autant d'instructions pour ma

Philagie pour quand elle entreprendrait de recourir à

la Mère de douceur et l'entretenir cœur à cœur. Que

dirais-je donc de Marie?

C'est la princesse du bel amour, la belle, la bonne,

la nonpareille, la toute aimable, la non jamais assez

aimée, la divine amante, la bien-aimée de mon cœur,

la reine, l'amie, la mère de mon âme, la reine des bons

cœurs, l'admirable Marie, ma fidèle, ma sage, ma sainte,

la cordiale, l'obligeante, les délices, les chers et précieux

amours du genre humain, et douze cents millions de

mots d'honneur comme ceux-là que je pourrais et vou

drais lui donner, si ce siècle n'était ennemi et sitôt

ennuyé des longues pages.

Avec cela, je suis quasi tenté de placer ici les plus

beaux cantiques entre ceux que la grande dévote de la

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Mère de Dieu, Gabrielle de Gadaigne, comtesse de Che-

vrières, faisait ramasser, composer par divers bons

esprits et chanter à ses demoiselles, tous à l'honneur de

la sainte Vierge, enrichis de ses plus magnifiques et

glorieux titres. Mais ici encore il me faut quitter cette

pensée pour la même raison, tant on se plaît à être

court même aux choses les plus saintes.

Qu'on dise ce qu'on voudra si j'arrête mes desseins;

au moins il me sera permis de dire que j'y pensais. Et

à n'en point mentir, j'étais tout-à-fait résolu de placer

encore ici mille vingt-deux de ces titres et perfections

qui rendent notre chère Marie l'Incomparable, pour

justifier ce beau, cet admirable, ce bien juste, ce digne

et très-digne vers de ce brave et dévot jésuite qui disait

en peu de paroles à la Mère de Dieu qu'elle possède

mille vingt-deux qualités et titres d'honneur, autant

que les mathématiciens avouent qu'il y a d'êtres visibles

et aisés à nombrer au ciel; et qui par bonne, heureuse

et angélique rencontre peut être changé en mille vingt-

deux façons toutes diverses, sans se servir d'autres mots

et sans altérer les lois que les poètes donnent à la bonté

des vers.

Ce dessein est aussi beau que les autres. Mais une

autre considération m'oblige à le quitter : c'est que

j'aime mieux laisser ma Philagie en liberté de donner

l'essor à son cœur quand, étant à son oraison, elle par

lera à la Mère de Dieu , l'apostrophant et conjurant

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par tout autant de ses beaux titres et rares qualités qu'il

y a d'étoiles qui brillent au firmament, sans compter

le surplus. Son cœur, plus affectionné à Marie que le

mien, lui fournira de plus excellents, de plus ravissants

et de plus honorables titres de gloire que mon petit es

prit ne m'eût pu suggérer.

Quant à moi , pauvre d'idées , je suis content de ne

pouvoir viser à une si haute entreprise, et de dire tout

ce que les autres sauraient avancer de beau en louant

la grande Marie.

Ce même vers , qui porte en essence , précis et per

fection tout ce que les esprits les plus subtils et les

bons cœurs sauraient nous raconter de ses perfections ,

ce seul vers me suffit pour tout , et je le veux dire en

mon oratoire, parlant et m'adressant à la plus belle des

belles créatures, non pas mille vingt-deux fois, mais

mille vingt-deux millions de fois , si Dieu me donne en

faveur de sa chère Mère un si aimable loisir de le faire.

Et pour commencer dès cette heure et me servir de ce

beau vers, digne d'être connu et mis en usage par tous

le plus souvent, le voici tel que je le prononce et le

veux prononcer en louant la sainte Vierge et parlant a

son honorable Majesté : •

Tôt tibi sunt dotes, Virgo, quot aidera cœlo.

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C'est-à-dire :

Soyez mille fois, cent mille fois bénie ,

Princesse de nos cœurs, doux objet de nos yeux ;

Qu'autant de mille voix chantent votre mérite,

Qui est plus infini que les astres des cieux !

XXVII

Honorer la glorieuse Vierge par l'usage de bénédictions à la

façon de sainte Brigitte, à qui Dieu enseigna la manière

qu'elle devait garder en ses louanges de vénération , princi

palement les intérieures, dont toute personne est capable,

soit malade, soit âgée, dans la presse des affaires, en com

pagnie ou ailleurs, par lesquelles nous révérons les grâces

et les perfections qui éclatent en la très-digne Mère de Dieu.

Pour savoir à cette heure comment cela se peut faire

par voie de bénédiction , afin d'en dresser de pareilles,

en parcourant les vertus , les grandeurs et les mystères

de la vie de Notre-Dame, il me suffit d'en exposer ici

quelques-unes de celles que la glorieuse sainte Brigitte

donnai* à la Mère de Dieu.

« Très-sainte Mère de Dieu , ma Reine et ma Dame,

je vous bénis de tout mon cœur comme la plus noble

de toutes les créatures et celle qui a le plus cordiale

ment et le plus ardemment aimé votre Créateur.

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« Je vous bénis pour l'honneur que vous avez reçu

de votre immaculée Conception.

« Je vous bénis comme celle qui a aimé Dieu dès le

premier instant que la raison a commencé de reluire en

vous.

« Princesse du ciel et de la terre, béni soit un mil

lion de fois votre vénérable chef, digne de toutes les

couronnes de l'univers.

« Bénis soient vos beaux cheveux.

« Bénie soit votre aimable face.

« Béni soit ce front plein d'une inexprimable ten

dresse.

« Bénies soient vos lèvres purpurines, où reposent

toutes les grâces de la nature.

« Bénis soient vos agréables yeux, capables de don

ner saintement de l'affection à tous les cœurs les plus

glacés.

« Bénies soient vos joues, qui sont comme le glorieux

trône de la modestie et divine chasteté. »

Ainsi sainte Brigitte bénissait et honorait sa chère

Dame.

Philagie , parfois vous ferez à peu près comme cela ;

vous vous servirez de ces hommages, ou autres, que

votre cœur vous dictera. Et vous pourrez bien tant la.

bénir, qu'en retour la Mère de bénédiction vous rendra

au centuple ces affectueux épanchements de votre cœur ;

elle versera sur votre âme ses plus favorables influen

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ces, qui sont les plus riches bénédictions que nos cœurs

pourraient attendre de sa maternelle bonté.

XXVIII

Choisir quelque belle oraison à la sainte Vierge, afin de la

dire tous les jours.

Philagie , ce qui me fait vous inviter à cette dévo

tion , c'est le témoignage de satisfaction que la Mère de

Dieu en donna à son cher nourrisson saint Edmond,

archevêque de Cantorbéry. Tous les jours de sa vie, il

récitait à l'honneur de sa chère Mère l'oraison qui

commence par O intemerata.

Il faut bien que la Mère de Dieu eût cette coutume

pour très-agréable, puisque saint Jean l'Evangéliste fut

député de sa part vers Edmond pour lui faire des re

proches et des menaces de ce qu'il y avait manqué un

seul jour. Ce saint le reprit fortement de ce manque de

fidélité et de constance aux témoignages de son amour

pour Elle.

Il y a quantité de ces oraisons que la Mère de Dieu

écoute volontiers, et que ses serviteurs lui ont présen

tées tous les jours. Philagie, je vous en laisse le choix;

et quant au profit et au bonheur qui vous en reviendra,

je vous en réponds, et je me rends caution pour la

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bonne Mère. Je vous prie cependant de ne point oublier

de mettre parfois à votre usage celle dont je vais vous

entretenir au paragraphe suivant.

XXIX

Dire souvent à la Mère de Dieu quelque oraison par laquelle

nous lui demandions la grâce de faire une belle et sainte

mort par son assistance favorable.

A l'exemple du dévot Henri, chartreux, de Cologne,

à qui une des onze mille Vierges compagnes du mar

tyre de sainte Ursule apparut un soir pour l'instruire

et avertir de la part de ses compagnes et de sainte

Ursule , leur chère Maîtresse, qu'il avait pour avocates

depuis longtemps auprès de Notre-Dame, de saluer tous

les jours de sa vie cette sainte Mère de Dieu en la ma

nière qui suit :

« 0 Virgo, Regina virginum, summum Trinitalis sa-

crarium, angelorum speculum, scala sanctorum omnium,

tuum peccalomm refugium, in morte tuum placatum nobis

ostende Filium et tuum vultum gloriosum. — O Vierge,

reine des vierges, temple sacré de la- Trinité sainte,

miroir des anges, échelle de tous les saints, en vous

les pécheurs ont un refuge ; daignez, à notre mort, nous

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rendre votre Fils favorable et nous réjouir par votre

glorieuse présence. »

Elle lui promit ensuite que non - seulement Notre-

Dame lui serait favorable, mais aussi que toutes ses

compagnes l'aimeraient et assisteraient volontiers.

Henri se rendit si assidu à cette prière qu'il n'y man

qua jamais un seul jour durant les quelques mois qui

lui restèrent de vie , tant il se l'était rendue familière.

Aussi cette glorieuse martyre le vint visiter quand il

fut près de rendre l'âme, chantant avec toutes ses onze

mille compagnes un céleste cantique, et le conduisant

avec ce chant mélodieux au beau séjour de l'agréable

Sion.

XXX

Vouloir, à la mort, avoir proche de soi et à ses yeux l'image

de la glorieuse Vierge.

C'est ce que se procura le dévot Père Jean de Saint-

Guillaume, religieux augustin, étant sur le point de

mourir.

C'est ce que fit le bienheureux Stanislas , novice de

notre Compagnie, qui rendit l'âme en baisant une image

de la Mère de Dieu.

C'est ce que désira et obtint le bon Louis de Segurat,

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jeune religieux de cette même Compagnie. En sa der

nière maladie , il fit placer tout à l'entour de son lit

diverses images de la Reine des anges , afin que de

quelque côté qu'il regardât en ce combat, et rendant

l'âme, il n'eut d'autre objet ni d'autre rencontre que la

Mère de son cœur, la bien-aimée et puissante Avocate

de notre Compagnie.

Saurait-on mourir plus glorieusement que de rendre

son âme dans le sein de la sainte Vierge , et jeter le

dernier regard de sa vie sur le portrait de celle qu'on

désire contempler éternellement?

Ainsi puissé-je rendre l'âme, ainsi puissent mourir

tous ceux qui liront et entendront cet écrit, et puis

voir face à face pour cent millions de siècles et pour

une infinité d'interminables éternités la Mère de nos

cœurs. Ainsi soit-il.

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— 398 —

CONCLUSION

ET AVIS A PHILAGIE TOUCHANT LA PERSÉVÉRANCE AU SERVICE

DE LA SAINTE VIERGE

ET A L'EXERCICE DES SUSDITES PRATIQUES.

Philagie, me voici au bout de mon livre, glorieux et

content quand vous n'auriez pris la résolution que de

pratiquer toute votre vie une seule de ces dévotions que

je vous ai proposées. Mais le plus beau de tout, et qui

me rendra joyeux comme un ange du Paradis, c'est la

persévérance que j'attends de vous à aimer Marie la

Mère de Dieu, et à lui témoigner votre amour par la

pratique des dévotions que vous avez choisies.

Vive éternellement au ciel et dans la mémoire des

amants de Marie le glorieux prélat François de Sales 1

Vive sa persévérance à la dévotion envers sa chère

Mère ! L'espace de quarante ans entiers , il n'a jamais

manqué un jour de dire le chapelet de la sainte Vierge,

pour affaires, pour occupations , pour fâcheries , pour

lassitude , pour maladie qu'il eut : c'est être fidèle à la

Mère d'amour.

C'est comme cela, Philagie,. que je désire que vous

persévériez. Ne vous relâchez jamais de vos résolutions

et de vos ferveurs au service de la très-aimable Marie,

qui est si méritante de services et devoirs éternels.

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Gardez-vous bien de lui donner occasion de se res

sentir de vos lâchetés quand vous serez en sa faveur.

Comme au bienheureux Herman, elle vous témoignerait

de la froideur; elle en recevrait un grand déplaisir, et

peut-être qu'elle vous abandonnerait. A Dieu ne plaise

que Marie vous délaisse! c'est le plus grand désastre

qui vous saurait arriver.

Vous savez comme le bienheureux Joseph Herman

était son favori? Pour s'être tant soit peu relâché, peu

s'en fallut qu'il ne perdît ses bonnes grâces.

Comme il était sacristain en son monastère, le grand

soin de la sacristie le fit se relâcher durant quelques

jours de ses dévotions accoutumées a sa chère Mère la

sainte Vierge.

Un soir il entendit du bruit à la porte de l'église.

Craignant que ce ne fût des voleurs, il y accourut, et

ne trouva qu'une femme, habillée fort simplement. A sa

voix, il reconnut que c'était la sainte Vierge qui lui

avait autrefois parlé. Fort étonné de la voir simplement

vêtue et comme une vieille toute ridée et chargée d'an

nées, il eut le courage de lui demander d'où Venait en

Elle ce changement de visage et de maintien.

Voici ce que la sainte Vierge lui répondit :

« Tu me vois, Herman, telle que je suis dans ton cœur.

Tu ne tiens plus compte de moi. Autrefois, tu me sa

luais mille fois le jour, et tu me présentais d'autres

dévotions. Te voilà refroidi : tu ne t'entretiens plus af

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fectueusement avec moi. Parce que tu es entièrement

changé, je le suis aussi, moi que tu quittes si lâche

ment.

C'en fut assez pour réveiller la dévotion d'Herman.

Il se renouvela d'une telle facon qu'il fut plus fervent

que jamais.

Philagie, Dieu vous garde de semblables reproches.

Ne vous relâchez donc jamais de ce que vous faites pour

Marie, non pas même un jour.

Saint Edmond , comme je vous ai déjà dit ailleurs ,

n'avait manqué qu'un seul jour de lui réciter une orai

son ordinaire, et elle s'en fâcha et l'en avertit.

Le bon Thomas à Kempis n'avait aussi manqué qu'une

fois à lui réciter quelques prières- journalières. Le soir

suivant, il apercut que la sainte Vierge, visitant le dor

toir où étaient tous les religieux qui reposaient, donna

sa bénédiction à tous ; et que, quand ce fut à lui , elle

lui fit mauvais visage et lui reprocha tacitement sa né

gligence et son oubli. Dès-lors, Thomas conçut un si

grand déplaisir de sa faute, que jamais, le reste de sa

vie, il ne manqua aux petits devoirs qu'il rendait à la

sainte Vierge. '

En voilà bien assez pour vous donner un cœur fidèle

à la Mère de bonté , qui attend de vous une constance

et une fidélité admirables jusqu'au dernier soupir de

votre vie.

C'est donc à vous de voir et vous résoudre de ce que

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— 401 —

vous voulez faire pour Elle. Vous avez un beau choix;

je vous ai ouvert cent portes pour aller à Elle , et le

plus beau est qu'après cela le paradis vous est ouvert.

Et si vous ne voulez pas vous attacher aux jours que

je vous ai marqués, choisissez votre meilleur.

J'en connais quelques-uns qui sont résolus , comme

l'année est composée de trois cent soixante-cinq jours,

quand ils auront passé cent jours à pratiquer chaque

jour l'un après l'autre les cent pratiques qui sont ici

exposées, de recommencer et passer ainsi toute l'an

née, pratiquant chaque jour quelqu'une de ces dévo

tions marquées. D'autres, qui veulent s'en tenir à pra

tiquer aux jours assignés ce qui est marqué, prendront

et choisiront celles qui seront plus belles et plus con

formes à leur dévotion , pour les pratiquer toutes en

semble en certains jours ou en certains temps et occa

sions qui se présenteront. Car il est bien aisé à qui a

de l'amour pour la sainte Vierge d'en pratiquer quan

tité dans un jour, nommément aux jours de loisir et

des bonnes fêtes.

Quoi de si aisé tous les jours que de porter une image

de la sainte Vierge sur soi ! Si c'est une médaille, de la

tenir en main et la baiser parfois; à la rencontre de

ses images, de la saluer ; en sortant ou entrant dans sa

chambre, de se recommander a elle; par occasion, de

prononcer souvent le nom de Marie; de faire quantité

d'oraisons jaculatoires, d'actes d'amour et d'espérance

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à la Mère de Dieu; de dire, le matin, la couronne des

douze Etoiles; à la Messe, le chapelet, ou en un autre

temps réglé ; sur le soir, les litanies de Lorette et le

petit chapelet de la bienheureuse Jeanne de France; le

matin , de lui demander sa sainte bénédiction , le soir

aussi en ayant les genoux en terre , lui disant même

que vous l'aimez de tout votre cœur, que vous mourriez

volontiers pour cette vérité : qu'elle est Vierge et Mère

tout ensemble , qu'elle est votre Dame bien -aimée et

Mère; que vous aimeriez mieux n'être point que si elle

n'était pas ; que vous choisiriez être en enfer plutôt que

si elle n'était pas la Mère de Dieu; que vous voudriez

que l'occasion se présentât pour défendre, au péril de

votre vie, son immaculée Conception; que vous êtes

triste des douleurs qu'elle a souffertes; que vous vous

réjouissez de ses joies et contentements; que vous lui

quitteriez très-volontiers votre place au Ciel, si, en

ayant déjà une, elle n'en avait point; que vous désirez

avec passion qu'elle soit honorée et aimée de tous les

humains , la maîtresse de tous les cœurs , et éternelle

ment dans la jouissance de ses grandeurs et divines

perfections.

Quoi de si aisé de temps en temps, aux occasions,

et surtout les samedis et veilles de ses fêtes , que de

jeûner ou faire abstinence, de communier aux jours de

ses solennités, de célébrer les Octaves de ses Fêtes, de

faire amende honorable devant son image , de publier

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ses louanges, de lire les livres qui parlent de ses mer

veilles, de visiter ses églises et oratoires, de renouve

ler vos affections pour elle , la prenant pour votre Mère ,

la constituant votre héritière , donnant l'aumône en son

honneur, faisant quelque mortification ou autre bonne

œuvre pour son amour, et ainsi des autres témoignages

d'affection !

Il n'est besoin pour cela que d'aimer. Et, si tout est

facile à celui qui aime, tout est cent mille fois plus aisé

et facile à qui aime Marie, puisqu'elle est plus que

très-aimable, comme étant la Mère du bel amour, et

l'amour même, s'il est permis de parler ainsi, travesti

en Vierge.

Philagie, encore une fois je vous conjure d'être fidèle

et constante aux petits services que vous désirez rendre

à la Mère de bonté. Que savez-vous? elle n'attend peut-

être que votre persévérance pour quelques jours et le

nombre accompli de certaines de vos dévotions envers

elle pour vous en faire recueillir une divine récompense

dans le Ciel, où elle veut vous conduire.

Le dévot Denis Richel raconte qu'il y avait un reli

gieux de l'ordre de Citeaux qui, pour tout un inonde,

n'eût manqué de dire son chapelet de la Vierge avant

le repas, lequel ayant été convié à manger chez ses

parents, se souvint, à l'heure environ du dîner, qu'il

n'avait pas encore payé son tribut ordinaire à la sainte

Vierge. A cette occasion il se retira dans une chambre,

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où, ayant commencé sa prière, il vit devant soi la Mère

de Dieu revêtue d'un précieux manteau brodé d'or et

couvert partout de Salutations Angéliques, excepté en

un petit coin qu'elle lui montra vide, l'assurant qu'aus

sitôt qu'il l'aurait rempli, elle lui donnerait entrée au

royaume de son Fils. Tout cela fut bientôt accompli :

car, continuant et redoublant ses dévotions , dans peu

de jours la Mère de bonté remplit sa promesse , et le

conduisit au ciel, où il peut bénir éternellement Jésus

et Marie, ses chers amours.

Philagie, que savez-vous? Peut-être que la Mère

d'amour ne vous veut bénir qu'à ce prix, attendant

qu'à l'imitation de ses bons et fidèles serviteurs, vous

fassiez une bonne partie de ce qu'ils ont fait. Essayez

durant quelque temps s'il ne fait pas .bon de la servir.

Vivez quelques années avec ces petits devoirs, et té

moignez toujours et partout que vous êtes à Marie, et

durant la vie et après votre mort. Qu'on voie, qu'on

sache que tout le cœur est pour elle. Etant proche de

la mort , redoublez vos affections ; et lorsque vous

mourrez, qu'on sache, qu'on entende que Marie est

votre bonne Mère et Protectrice.

C'est ce que fit la bienheureuse Marie d'Ognies. Un

peu avant son décès, remplie d'une joie incroyable, elle

se mit à chanter le Magnificat à l'honneur de la Reine

des anges.

C'est ce que fit saint Antonin, archevêque de Florence.

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Luttant avec la mort , la sainte Vierge lui apparut. En

la voyant, il lui dit ces belles paroles avec lesquelles

la sainte Eglise a coutume de la saluer : Sainte et Im

maculée Virginité , je ne sais avec quelles louanges je

pourrais exprimer votre gloire.

C'est ce que fit le nonpareil en dévotion François

Retza, de l'ordre de Saint-Dominique, qui mourut en

chantant le Salve Regina.

C'est ce que fit sœur Marie de l'Incarnation, fonda

trice des carmélites en France. Pendant sa dernière

maladie, elle fit mettre au pied de son lit une image de

Notre-Dame, à laquelle elle s'adressait, lui faisant mille

colloques affectueux. Cette image de sa chère Mère était

toute sa consolation parmi ses douleurs; elle avait tou

jours les yeux sur elle. Reconnaissant les avantages que

lui apportait l'image de la sainte Vierge, elle pria ins

tamment la Prieure de Pontoise, où elle mourut, de

ne laisser mourir aucune religieuse dans la maison

qu'on ne la lui présentât en pareille occasion.

C'est ce que fit le glorieux empereur Charlemagne.

Il commanda qu'on l'enterrât avec une image de sa

chère Mère la glorieuse Vierge, et attachée au cou.

Puisque je vous ai portée à tant et à toute sorte de

témoignages d'affection et de devoirs envers la sainte

Vierge, je vous conseille encore ceux-ci :

Etant proche de la mort, dites quelque belle oraison

à la sainte Vierge. Ayez au pied de votre lit, ou en la

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— 406 —

main, quelque image de votre chère Mère, et vous

recommandant à elle , donnez -lui votre cœur pour la

dernière fois. Mettez ordre que, quand vous serez mise

sous la dalle et enterrée, que ce soit avec une image

de votre chère Princesse sur la poitrine. Et après avoir

vécu fidèle et constante au service de Marie jusqu'au

trépas, avec des marques de votre amour pour elle

partout , même après la mort , allez jouir éternellement

de la joie et bienheureuse gloire de tous les serviteurs

de la Mère de Dieu.

S'il arrivait que l'ennemi eût quelque prétention sur

vous, ou qu'il y eût du trouble dans la petite répu

blique de vos pensées, au temps de votre départ, tou

chant la crainte de votre salut et du lieu de votre

séjour, vous n'avez qu'à lui dire que Marie répond

pour vous; que c'est à elle qu'il faut s'adresser; que

vous tenez pour infaillible le riche mot que si souvent

on vous a dit, que je vous redis encore, et que je vous

donne en ces petits vers qui terminent ce livre, afin

qu'ils vous servent d'un agréable refrain au glorieux et

mélodieux cantique de votre triomphante victoire que

vous aurez gagnée par les favorables assistances de

l'uniquement aimable et toujours obligeante Marie,

très-digne Mère du très-adorable Jésus :

Cliens Mariœ nullus œternum periit.

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— 407 —

C'est-à-dire

Vive Marie et ses amants !

Elle les. tient en assurance

D'éviter par son assistance

L'ardeur des éternels tourments.

Ses favoris sont bienheureux :

Ils n'attendent que la victoire,

Ils sont assurés de la gloire,

Il n'est de faveur que pour eux !

FIN.

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QUELQUES PENSÉES

TIRÉES DU

PETlT TRAlTÉ SUR LE CULTE ET LA DÉVOTlON

A I.A TRÈS -SAINTE VIERGE MARIE EN GÉNÉRAL

Dl' ORAND ET SAINT ARCHIDIACRE D'ÉVREIIX (i).

I. On ne peut douter que la divine volonté ne doive être la

règle des nôtres : donc la dévotion à la bienheureuse Vierge

ayant pour fondement la divine volonté , cette dévotion est très-

sainte et très-solide. La divine volonté nous est connue par

ce que Dieu a fait , par ce qu'il nous a enseigné par ses

exemples. Considérant ce qu'il a fait, nous verrons que jamais

personne n'a tant aimé ni honoré la bienheureuse Vierge que

Lui, la choisissant pour sa Mère. Pourrions-nous donc mieux

faire que de l'imiter?

II. Les hérétiques nous objectent que Dieu n'a pas besoin de

la sainte Vierge : nous en demeurons d'accord. L'Eglise recon

naît qu'il est infiniment suffisant à soi-même. Mais s'il veut s'en

servir, il est juste que nous entrions dans ses desseins. Dans

l'ordre de la nature , Dieu n'a pas besoin des causes secondes :

sa toute-puissance n'y est pas liée. Cependant, dans la voie

ordinaire, il faut indispensablement nous en servir. Nous avons

(1) Ce traité, aujourd'hui inédit, même dans les éditions les plus rétentes du vénérable

Henri-Marie Boudon , est l'abrégé île son bel ouvrage : De l'Immaculée Vierge Marie.

Mère de Dieu, le plus solide sans contredit de tous ceux publiés depuis l'époque de fol

incomparable Serviteur de Dieu et de Marie très Sainte.

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besoin de la lumière pour nous conduire, du feu pour nous

chauffer, dos viandes pour nous nourrir, de maîtres pour appren

dre les sciences, d'artisans pour les arts, de laboureurs pour

cultiver les terres ; dans l'ordre de la grâce , des saints Anges

pour nous garder, des prédicateurs pour nous apprendre les

mystères, des sacrements pour être chrétiens et participer à ses

plus grandes miséricordes. Sans doute Dieu n'a aucun besoin

de toutes ces choses, néanmoins il veut que nous nous en ser

vions.

III. De même, il est très-vrai que Dieu n'a pas besoin de la

très-sainte Vierge ; cependant il a voulu s'en servir pour se for

mer un corps dans ses chastes entrailles, et pour opérer le grand

mystère de notre salut — l'Incarnation. Il n'avait aucun besoin

d'elle pour en recevoir les applications que son enfance deman

dait, et il n'a pas laissé de les prendre. Quand il veut agir sur

son précurseur et le sanctifier, il veut qu'elle ait part à l'in

fluence de sa grâce; et en cela il fait paraître quel pouvoir il

lui donne, et veut que nous connaissions ce qu'elle devait faire

dans les autres ouvrages de la grâce, la place qu'elle y tiendrait,

et la société qu'il lui donnerait dans ses divines opérations.

IV. Quand nous avons donc recours à la bienheureuse Vierge,

nous entrons dans les desseins de Dieu, et loin de faire quelque

chose qui lui soit contraire, nous ne faisons rien en cela qui no

lui soit très-agréable, puisque nous nous conformons à sa divine

volonté. Les hérétiques insistent et disent que Dieu est un Dieu

jaloux et qu'il ne donne sa gloire à personne. Mais c'est de quoi

il ne s'agit en aucune manière. L'Eglise reconnaît cette vérité,

et déteste le contraire comme une idolâtrie. Mais tout en recon

naissant qu'il n'y a qu'à Dieu seul que l'on rend les honneurs

suprêmes qui lui sont dus, elle enseigne que l'on en peut rendre

à sa très-sainte Mère, qui sont infiniment inférieurs à ceux qu'on

rend à Dieu. Mais ne faut-il pas que les hérétiques eux-mêmes

avouent que dans la vie civile il y a des honneurs justes que l'on

rend aux personnes de la terre, et qu'ils sont plus grands à pro

portion que les personnes sont plus riches ou plus élevées en

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— 410 —

dignité? Dieu lui-même n'a-t-il pas commandé d'honorer son

père et sa mère? et sa divine Parole ne nous apprend-elle pas

ce que nous devons aux rois et à leur puissance? N'ont-ils pas

eux-mêmes recours aux prières les uns des autres, sans crainte

de déroger en rien à ce qu'ils doivent à Dieu? Nous allons droit

à Dieu, disait Luther, sans nous adresser à la Vierge 4 et il ne

laissait pas cependant de se recommander aux prières des mal

heureux hérétiques comme lui.

V. La volonté de Dieu nous est encore manifestée, à l'égard

de la dévotion à la très-sainte Vierge, par les miracles qu'il opère

en sa faveur. C'est ce qui fait connaître sensiblement combien

elle lui est agréable , et par conséquent sainte et solide : car il

est impossible que Dieu autorise l'erreur et ce qui est déréglé.

Or, toute l'Histoire nous apprend des miracles authentiques opé

rés en faveur de la dévotion à la très-sainte Vierge ; et ce que le

second Concile général de Nicée nous en rapporte, est un témoi

gnage que l'on ne peut pas raisonnablement rejeter. Mais trou

ve-t-on un royaume catholique et même une province où il n'y

ait quelque lieu où la toute-puissance de Dieu n'opère des mira

cles à l'égard de ceux qui ont recours à sa bienheureuse Mère?

Ces miracles, qui ne peuvent être que des effets de la toute-

puissance de Dieu, publient hautement sa gloire en Celle dans

laquelle il a fait de si grandes choses. Ce n'est point un langage,

pour parler avec le Prophète-Roi , dont on n'entend pas la voix :

car leur bruit a retenti par toute la terre, et leurs paroles jus

qu'aux extrémités du monde.

VI. De plus , la volonté de Dieu nous est encore connue par

l'Eglise, qui est conduite par son divin Esprit. C'est pourquoi

l'Apôtre, écrivant à Thimothée, veut que l'on y ait recours, pour

savoir comment l'on se doit conduire, l'appelant la colonne et le

soutien de la vérité. Or, l'Eglise parlant parles souverains Pon

tifes et les Conciles généraux, non-seulement approuve la dévo

tion à la Mère de Dieu, mais elle y exhorte fortement, et se sert

de plusieurs moyens pour l'honorer d'une manière très-parti

culière, comme de ses fêtes qu'elle célèbre avec une grande so

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— 4H —

lennité, de quantité de prières qu'elle récite en son honneur,

d'églises et de chapelles qu'elle dédie à Dieu sous son invocation,

de plusieurs associations qu'elle reçoit, comme celles du Saint-

Rosaire, et de plusieurs autres confréries et pratiques.

VII. Mais la piété générale des fidèles est encore une forte

preuve que la dévotion à la très-sainte Vierge est inspirée de

Dieu. Si les saints Pères se sont servis des usages de quelques

églises pour soutenir de certaines vérités contre les hérétiques,

quelle force doit avoir la pratique générale des catholiques, si

l'on fait réflexion que ce n'est pas seulement une pratique du

simple peuple, mais des saints Docteurs, mais des Papes et des

Prélats, des Rois et des Princes, et des plus savantes Univer

sités ! C'est dans cette piété universelle que l'on voit accomplies

ces paroles prophétiques de son Cantique : Voici que toutes na

tions me diront bienheureuse (Luc, il). Ce qui est si véritable

que les Turcs mêmes en ont une grande estime, lui attribuent

des privilèges extraordinaires, et révèrent les lieux où elle a été

pendant sa vie. Ainsi sa dévotion, ayant été établie dès les pre

miers siècles, a continué dans la succession des Ages, et elle est

venue heureusement jusqu'à nous. Son culte donc ne peut être

superstitieux, quand il demeure selon l'esprit de l'Eglise, et il

est saint et solide, ayant la volonté de Dieu pour fondement. S'il

arrive quelque abus, nous convenons qu'il le faut détruire, pre

nant garde cependant que, sous prétexte d'abus, on ne détruise

pas cette dévotion, ce qui est arrivé parmi les hérétiques. On

doit donc ôter les abus qui peuvent se rencontrer dans la célé

bration de ses fêtes , de ses associations , dans les pèlerinages

faits en son honneur. Mais ce serait bien un autre abus que de

détruire, sous ce prétexte, ses fêtes, les associations, les pèlerina

ges et les autres exercices de piété qui se font en son honneur.

VIII. C'est une injustice de se plaindre de la dévotion envers

la très-sainte Vierge , et de tant de différentes pratiques dont

on se sert pour l'honorer. S'il y a, dit saint Bernard, à se plain

dre, c'est qu'on n'a pas assez de dévotion pour la Mère de Dieu :

puisque tous les honneurs ensemble que tous les anges et les

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saints, et le reste des hommes, lui rendent, n'approchent pas de

l'honneur qu'un Dieu lui a fait, la choisissant pour sa Mère. Mais

si nous sommes de véritables chrétiens, il faut en qualité de

membres de Jésus-Christ, que nous entrions indispensablement

dans ses inclinations. Donc nous devons l'aimer et l'honorer

d'une manière très-spéciale. Il n'y a que les dénions et les héré

tiques, ou ceux qui sont privés de l'Esprit de Notre-Seigneur,

qui lui soient opposés. (Qu'on note ces paroles du saint Archi

diacre d'Evreux.)

IX. Ayons donc pour la Reine des anges et des hommes une

sincère dévotion ; puisque Dieu veut se servir d'elle pour nous

conduire à Lui, ayons-y recours pour y arriver saintement.

Dieu veut sauver tous les hommes, et il ne veut pas qu'au

cun périsse. Saint Chrysostome, que l'on a appelé avec justice

le fidèle interprète de saint Paul , enseigne fortement cette

vérité dans les homélies qu'il a faites sur les épîtres de ce grand

Apôtre. Il y enseigne que Dieu veut le salut des hommes et même

des réprouvés ; que c'est dans cette vue qu'il a fait tant de choses

pour eux; que Jésus-Christ est mort à dessein de les sauver;

que si quelques-uns se sont perdus, c'est à leur volonté qu'il en

faut attribuer la cause.

X. C'est donc une parole véritable et digne d'être agréable

ment reçue, comme l'écrit l'Apôtre à Timothée, que Jésus-Christ

est venu en ce monde pour sauver les pécheurs ; il est l'unique

médiateur entre Dieu et les hommes , lui qui satisfait et sauve

par ses propres mérites. Mais Moïse l'est aussi en quelque sorte,

selon l'Apôtre , et les Saints le sont lorsqu'ils demandent pour

nous, comme nous faisons les uns pour les autres, l'effet des

mérites de Jésus-Christ.

XI. C'est dans ce sens que les Saints ont appelé la glorieuse

Vierge notre Médiatrice , et ils ont dit que c'est par elle que le

Fils de Dieu a donné le prix de notre rédemption ; qu'elle est

le canal par où passent ses grâces; qu'au-dessus de tous les

Saints et de tous les Anges bienheureux , elle a un pouvoir tout

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spécial auprès delà divine Majesté. Saint Bernard nous enseigne

qu'elle est toute à tous; que par la plénitude de sa charité elle

a obligé tout le monde; qu'elle a ouvert à tous le sein de sa

miséricorde , afin que tous puisent dans sa plénitude , le captif

la liberté, le malade la santé, le triste la consolation, le pécheur

le pardon, le juste la grâce. Le même Saint dit que le Fils de

Dieu nous veut à lui par sa très-sainte Mère. — Louons le Père

des miséricordes et le Dieu de toute consolation. Qu'il soit béni

à jamais, de ce qu'il nous donne au milieu de nos peines une

Consolatrice si grande, établissant la très -sainte Vierge pour

notre Avocate, pour notre Dame et pour notre Mère : ce sont les

titres que l'Église lui donne. Quand nous la louerons avec l'Église,

nos louanges seront bien réglées. Son autorité est plus grande

que celle de ceux qui seraient dans le sentiment qu'il y a de

l'excès dans les éloges qu'elle lui attribue. Au reste, ce n'est

pas un langage nouveau : ses éloges les plus magnifiques ont

été dans la bouche des Pères , de qui nous les recevons. Les héré

tiques appellent ces louanges excessives et dures. Mais sans doute

il est plus avantageux, plus assuré de parler et d'écrire comme

les Saints, et de les imiter, que de se laisser aller aux plaintes

d'un Luther et d'un Calvin et des autres hérétiques. Il vaut

bien mieux parler, vivre et mourir comme les Saints qui les ont

publiées, et se conformer à l'Église qui persévère constamment à

les lui donner, et qui ne s'en désiste pas sous prétexte que les

hérétiques s'en scandalisent , ou sous prétexte de les adoucir

par cette condescendance.

XII. Souvenons-nous qu'il est incomparablement plus doux ,

plus avantageux et plus honorable d'être l'un des derniers, mais

véritable serviteur de l'admirable Mère de Dieu, que d'être élevé

aux premières charges du monde ; que son service est à préférer

aux empires ; et , dans un temps où il se glisse une certaine

malignité contre sa dévotion, redoublons notre zèle pour tout ce

qui regarde son honneur ; soutenons ses prérogatives et excel

lences selon l'esprit de l'Église , et entre autres son Immaculée

Conception.

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— 4-14 —

XIII. Enfin, si Dieu a promis à Abraham , son serviteur (Gen.,

Xll), qu'il donnerait sa bénédiction à ceux qui le béniraient , et sa

malédiction à ceux qui le maudiraient, à plus forte raison il com

blera de ses grâces et de ses faveurs ceux qui béniront son Imma

culée Mère, et donnera sa malédiction à ceux qui lui seront oppo

sés. Il est écrit dans un endroit des Proverbes, qui lui est appliqué

par l'Église , que ceux qui la haïssent aiment la mort ; et dans le

livre des Cantiques , que ceux qui ont le cœur droit l'aiment. Et

s'il est prédit dans le livre de la Genèse, au chapitre que nous ve

nons de citer, que toutes les nations seront bénies par Abraham,

nous pouvons bien dire qu'elles le seront par la bienheureuse

Vierge, dont est sorti le Soleil de justice, qui a détruit la malédic

tion du péché et a répandu la bénédiction de sa grâce en confon

dant la mort et nous donnant la vie éternelle.

O Dieu seul, Dieu, seul, Dieu seul

en trois personnes !

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TABLE DES MATIERES.

Pages.

Jean Darche au Lecteur 1

Notice biographique sur le P. de Barry 33

Dédicace. 36

Au Lecteur 39

Avant-propos 43

CHAPITRE PREMIER.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de ses Fiançailles

et sacré Mariage avec le glorieux 8. Joseph, le vingt-deuxième de Janvier.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le vingt-deuxième jour de Jan

vier. — Résolution d'aimer la Mère de Dieu, disant sou

vent : Je veux aimer Marie , à l'imitation du dévot Jean

Berkman, de la Compagnie de Jésus '. . 46

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le vingt-troisième jour de Jan

vier. — Choisir et prendre la sainte Vierge pour sa

Bien-Aimée, à l'imitation de saint Edmond 48

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le vingt-quatrième jour de

Janvier. — Avoir une image de la Vierge en sa chambre

et l'honorer, à l'imitation de saint François de Paule. . . 52

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le vingt-cinquième jour de

Janvier. —Porter sur soi une image de la sainte Vierge,

à l'imitation de Louis le Débonnaire , empereur 55

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le vingt-sixième jour de Jan

vier. — Avoir en main l'image de la sainte Vierge durant

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— 416 —

Pages.

quelques heures, à l'imitation de sainte Edwige, duchesse

de Pologne 60

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le vingt-septième jour de Janvier.

— Regarder fixement l'image de la Vierge, à l'imitation

de saint Alexis 61

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le vingt-huitième jour de Jan

vier. — Marcher en compagnie de Jésus et Marie, à l'imi

tation de saint Augustin 67

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le vingt-neuvième jour de Jan

vier. — Saluer la sainte Vierge à la rencontre de ses ima

ges , à l'imitation de Gonzalez Sylveira, martyr 69

CHAPITRE II.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de sa sainte

Purification , le second de Février.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le deuxième jour de Février.

— Vouloir mourir pour cette vérité que la sainte Vierge

est Vierge et Mère tout ensemble, à l'imitation de S. Za-

charie 72

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le troisième jour de Février. —

Choisir plutôt l'enfer, le péché excepté , que si la sainte

Vierge n'était pas la Mère de Dieu, à l'imitation de sainte

Brigitte 75

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le quatrième jour de Février.

— En l'honneur de la maternité de la Mère de Dieu, dire

neuf fois Beatà viscera, etc., à l'imitation du dévot

Berkman 77

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le. cinquième jour de Février.

— Saluer la sainte Vierge pour sa qualité de Mère du

Fils de Dieu et pour les autres rapports qu'elle a avec

la très-sainte Trinité, à l'imitation du dévot Garcia. ... 80

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— 417 —

Pages.

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le sixième jour de Février. —

Choisir et prendre la sainte Vierge pour Mère , à l'imi

tation de sainte Thérèse 83

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le septième jour de Février. —

Demander la bénédiction à la sainte Vierge le matin et

le soir, du côté de quelqu'une de ses églises , à l'imita

tion du bienheureux Stanislas Kostka 88

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour te huitième jour de Février. —

Prier la Mère de Dieu par de fréquentes oraisons jacula

toires, à l'imitation de saint François-Xavier. ....... 89

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le neuvième jour de Février. —

Méditer sur la glorieuse Vierge et Mère de Dieu ou pen

ser à elle, à l'imitation du dévot Taulère. 93

CHAPITRE III.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de sa glorieuse

Annonciation , le vingt-cinq de Mars.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le vingt-cinquième jour de

Mars. — Dire trente-cinq fois l'Ave Maria, tous les jours

de cette Octave, en l'honneur du nombre de jours que la

sainte Vierge a porté son Fils Jésus dans ses sacrés flancs,

à l'imitation de sainte Gertrude 96

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le vingt-sixième jour de Mars.

— Jeûner les veilles des Fêtes de la sainte Vierge, à l'imi

tation de saint Charles Borromée 99

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le vingt-septième jour de Mars.

— S'abstenir, les mercredis, de manger de la viande, à

l'imitation des confrères du Saint-Scapulaire 101

DÉVOTION QUATRIÈME.Pour le vingt-huitièmejour de Mars.

— Donner aux pauvres pour l'amour de Notre-Dame ce

qu'on gagne au jeu, à l'imitation de sainte Elisabeth ; ou,

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— 418 —

Pages.

si on ne joue pas, porter parfois l'image de la Vierge à

l'endroit du cœur, à l'imitation du cardinal Baronius. . . 103

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le vingt-neuvième jour de

Mars. — Dévation au samedi , jour consacré à la sainte

Vierge , à l'imitation de saint Nicolas Tolentin 104

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le trentième jour de Mars. —

Rendre grâces à la sainte Vierge de tous les bons suc

cès qui nous arrivent, et lui en donner la gloire, à l'imi

tation de saint François de Paule 107

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le trente-unième jour de Mars.

— Ne refuser rien de ce qu'on nous demande raisonna

blement pour l'amour et au nom de Notre-Dame, à l'imi

tation du savant Alexandre de Halès 110

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le premier jour d'Avril. — Ho

norer les reliques de la sainte Vierge , surtout celle qui

est au saint Sacrement de l'Autel , à l'imitation de saint

Ignace de Loyola 113

CHAPITRE IV.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de ses améres

douleurs, le seize d'Avril.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le seizième jour d'Avril. —

Porter compassion aux douleurs que la sainte Vierge a

souffertes, à l'imitation de sainte Brigitte 118

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le dix-septième jour d'Avril.

— Prier la Mère de Dieu en se prosternant à terre, à

l'imitation de saint Albert 122

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le dix-huitième jour d'Avril.

— Entendre deux Messes en l'honneur de la Mère de

Dieu, à l'imitation de Sébastien, roi de Portugal 124

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le dix-neuvième jour d'Avril.

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Pages.

— Réciter les Litanies de la sainte Vierge et s'associer

à ceux qui les disent souvent, à l'imitation de plusieurs

de ses dévots 125

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le vingtième jour d'Avril. —

Dire l'Office de la sainte Vierge, à l'imitation de saint

Louis, roi de France 127

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le vingt-unièmejour d'Avril. —

Dévotion à la sainte Vierge pour le soulagement ou la dé

livrance des âmes du Purgatoire , à l'imitation de sainte

Brigitte 131

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le vingt-deuxième jour d'Avril.

— Dévotion aux mystères de la Vie de la sainte Vierge ,

à l'imitation d'Amédée, comte de Savoie 133

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le vingt-troisième jour d''Avril.

Parler souvent de la sainte Vierge et publier ses louan

ges, à l'imitation du dévot Berkman 135

CHAPITRE V.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de Notre-Dame

des Martyrs, le treize de Mai.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le treizième jour de Mai. —

Fléchir cent fois le genou pour honorer la Vierge, réci

tant un Ave Maria à chaque génuflexion, à l'imitation

de saint Albert 139

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le quatorzième jour de Mai.

—Au son de l'horloge, d'heure en heure, saluer la sainte

Vierge à l'imitation du dévot Alphonse Rodriguez. . . . 142

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le quinzième jour de Mai. —

Au commencement des actions les plus importantes, sa

luer la sainte Vierge par un Ave Maria, à l'imitation de

sainte Catherine de Suède 144

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Pages.

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le seizième jour de Mai. —

Dire trois fois l'Ave Maria de la manière que la sainte

Vierge l'enseigna à sainte Mecthilde, à l'imitation de la

même sainte , pour obtenir la grâce de bien mourir. . 147

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le dix-septième jour de Mai.

— Dire l'Ai>e Maria de la façon que la sainte Vierge

l'enseigna à sainte Gertrude, à l'imitation de cette même

sainte 148

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le dix-huitième jour de Mai. —

Dire le petit chapelet des dix Plaisirs de la Vierge, à l'imi

tation de la bienheureuse Jeanne de France 150

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le dix-neuvième jour de Mai.

— Réciter la petite Couronne des Douze Etoiles en l'hon

neur de la sainte Vierge , à l'imitation d'un grand nom

bre de ses dévots 152

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le vingtième jour de Mai. —

S'entretenir, ou savoir par cœur quelques traits de louange

à la sainte Vierge et les redire souvent , à l'imitation du

bienheureux Godric , . . 155

CHAPITRE VI.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour U Fête et l'Octave de ton aimable

Cœur, le premier de Juin.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le premier jour de Juin. —

Avoir de la dévotion au sacré Cœur de la sainte Vierge ,

à l'imitation du bienheureux Herman, de l'ordre de Saint-

Dominique 158

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le deuxième jour de Juin. —

Faire de fréquents actes d'amour envers la Mère de Dieu,

à l'imitation du bienheureux Joseph Herman 163

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le troisième jour de Juin. —

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— 421 —

Pages.

Faire de fréquents actes d'espérance et de confiance à la

sainte Vierge , à l'imitation du dévot Berkman 167

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le quatrième jour de Juin. —

Graver et former sur son cœur le nom de Marie, à l'imi

tation du dévot François Binans, minime 171

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le cinquième jour de Juin. —

Prononcer souvent le nom de Marie , à l'imitation d'une

Japonaise 172

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le sixième jour de Juin. — Réci

ter les psaumes de David et un cantique dont les premiè

res lettres forment le nom de Marie, à l'imitation du

bienheureux Joscio 174

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le septième jour de Juin. —

Réciter le cantique de la sainte Vierge et quatre oraisons

ou hymnes dont les premières lettres composent le nom

de Marie, à l'imitation du bienheureux Jourdain 176

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le huitième jour de Juin. —

Aimer tendrement et ardemment le Fils de Dieu notre

Sauveur, pour l'amour de sa sainte Mère, à l'imitation

de sainte Brigitte 178

CHAPITRE VII.

Hirtt dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de sa

charitable Visitation , le deux de Juillet.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le deuxième jour de Juillet. —

Visiter les églises et autres lieux dédiés à la Mère de

Dieu , à l'imitation de saint Charles Borromée 181

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le troisième jour de Juillet. —

Visiter souvent quelque lieu et oratoire où soit l'image

de la sainte Vierge, à l'imitation de la bienheureuse

Victoire 183

12.

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— 422 —

Pages.

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le quatrième jour de Juillet.

— Se priver de sommeil quelque veille de fête de la

sainte Vierge, à l'imitation de saint Xavier 185

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le cinquième jour de Juillet.

— Se réjouir des faveurs de la sainte Vierge , à l'imi

tation de saint Thomas , archevêque de Cantorbéry. . . . 187

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le sixième jour de Juillet. —

Reconnaître les faveurs et bénéfices reçus de la main

de la sainte Vierge,'à l'imitation de sainte Mecthilde. . . 189

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le septième jour de Juillet. —

Entendre ou faire dire des Messes de la bienheureuse

Vierge, à l'imitation de Vaultier de Bibrac 192

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le huitième jour de Juillet. —

Dévotion aux Saints qui sont de la Famille ou parenté

de la sainte Vierge, à l'imitation de sainte Thérèse. . . 195

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le neuvième jour de Juillet. —

Visiter les églises, chapelles ou autres lieux saints des

tinés à honorer la mémoire des Mystères de la Passion

de Notre-Seigneur, à l'imitation de la glorieuse Vierge

Marie 197

CHAPITRE VIII.

Trois dévotions à la Mère de Dieu pour ses Fêtes du saint Scapulaire ,

des Anges et aux Neiges qui se rencontrent à la mi-Juillet et au

commencement d'Août.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le seizième jour de Juillet ou

le dimanche voisin. — Faire quelque mortification ex

térieure , à l'imitation des Confrères du Saint-Scapulaire

et de la bienheureuse Madeleine de Pazzi pour le 16 de

Juillet, jour dédié au saint Scapulaire 200

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le deuxième jour d'Août. —

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— 423 — '

Pages.

Communier le deuxième d'Août, jour do Notre-Dame

des Anges , et à toutes les fêtes de la sainte Vierge , à

l'imitation des Milanais 203j

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le cinquième jour d'Août. —

Se préparer par des jeûnes ou autres bonnes œuvres à

la fête de l'Assomption de la glorieuse vierge Marie, à

l'imitation de saint François, pour le jour de Notre-

Dame des Neiges 204

CHAPITRE IX.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de sa

triomphante Assomption , le quinze d'Août.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le quinzième jour d'Août. —

Avoir de la dévotion à quelque mystère de la sainte

Vierge, à l'imitation du bienheureux Cedonius 208

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le seizième jour d'Août. —

Quitter sa place du Paradis à la Mère de Dieu, si besoin

était, pour la lui céder, à l'imitation d'un dévot de la

sainte Vierge 212

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le dix-septième jour d'Août.

— Désirer ardemment de voir la sainte Vierge au Ciel ,

à l'imitation d'un dévot ecclésiastique 214

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le dix-huitième jour d'Août.

— Honorer ou orner les autels de la sainte Vierge , à

l'imitation de quantité de ses dévots 219

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le dix-neuvième jour d'Août.

— Aimer quelque vertu en l'honneur de la sainte Vierge,

à l'imitation de sainte Isabelle, sœur de Saint-Louis. . . 227

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le vingtième jour d'Août. —

Prier la sainte Vierge , les genoux mis à terre , à

l'imitation de saint Bernardin de Sienne. ....... 229

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. _ 424 —

Pages.

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le vingt-et-unième jour d'Août.

— Faire amende honorable à la sainte Vierge avant le

repos, à l'imitation de l'un de ses serviteurs 231

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le vingt-deuxième jour d'Août.

— Avoir toute sorte de grands désirs pour honorer la

sainte Vierge , à l'imitation du dévot Jean Berkman. . . 234

CHAPITRE X.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de sa

fortunée Naissance , le huit de Septembre.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le huitième jour de Septembre.

— Réciter trente-cinq Ave Maria tous les jours de cette

Octave , pour honorer le nombre de jours que la sainte

Vierge demeura dans les flancs de sainte Anne, sa mère,

à l'imitation de sainte Gertrude 246

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le neuvièmejour de Septembre.

— Se découvrir ou faire révérence en entendant le Nom

de Marie, à l'imitation du dévot Père Binans, minime. . 248

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le dixième jour de Septembre.

— Par honneur pour le nom de Marie, ne pas le pronon

cer en lisant , mais lui en substituer un autre , à l'imi

tation de saint Gérard 249

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le onzième jour de Septembre.

— Se mettre à genoux en entendant prononcer le Nom

de Marie, à l'imitation de saint Gérard 252

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le douzièmejour de Septembre.

— Baiser la terre, ou au moins l'oratoire ou le livre, en

rencontrant le nom de Marie, à l'imitation du bienheu

reux Joseph Herman 253

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le treizième jour de Septembre.

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— 425 —

Pages.

— Faire voir partout qu'on aime et sert la sainte Vierge ,

à l'imitation des religieux de saint Dominique "iïfo

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le quatorzième jour de Septem

bre. — Faire quelque signalée et héroïque action à l'hon

neur de la sainte Vierge , à l'imitation de bon nombre de

confrères qui la servent en ses Congrégations 260

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le quinzième jour de Septem

bre. — Avancer l'honneur et la dévotion de la sainte

Vierge de tout notre pouvoir, à l'imitation de Jean Ier,

roi de Portugal 263

f

CHAPITRE XI.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de Notre-

Dame de la Victoire , le sept d'Octobre.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le septième jour d'Octobre. —

N'entreprendre rien que sous la conduite et à la faveur

de la sainte Vierge, à l'imitation de sainte Thérèse. . . 267

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le huitième jour d'Octobre. —

Dire le Rosaire de la sainte Vierge , à l'imitation de saint

Dominique 276

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le neuvième jour d'Octobre. —

Dire la Couronne de la sainte Vierge, à l'imitation du

bienheureux François de Sales, évoque de Genève. . . . 279

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le dixième jour d'Octobre. —

Porter sur soi le Chapelet ou Rosaire, à l'imitation de

plusieurs serviteurs de la sainte Vierge 283

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le onzième jour d'Octobre. —

Porter le Chapelet ou Rosaire au cou, la nuit en dormant,

à l'imitation du bienheureux Louis Bertrand 285

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le douzième jour d'Octobre. —

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— 42G —

Pages.

Porter le Chapelet ou Rosaire en main, le lojig du jour,

à l'imitation de la bienheureuse Cécile, religieuse. . . . 286

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le trezième jour d'Octobre. —

Remettre en sa mémoire ou apprendre par cœur les

oraisons les plus ordinaires et les plus belles qu'il faut

souvent et aux occasions dire à la sainte Vierge, à l'imi

tation de sainte Brigitte 288

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le quatorzième jour d'Octobre.

— S'abstenir de la plus notable imperfection qu'on ait, en

l'honneur de la sainte Vierge, à l'imitation d'un gentil

homme converti par ce moyen à l'avertissement de saint

Bernard 292^

CHAPITRE XII.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Pète et l'Octave de la Présen

tation, le vingt-et-unième jour de Novembre.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le vingt-et-unième jour de

Novembre. — Se présenter et offrir à la sainte Vierge

en qualité de serviteur, à l'imitation du dévot Israël,

prince de la Maison de Suède , qui la choisit pour sa

Dame et Protectrice 295

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le vingt-deuxième jour de

Novembre. — Se présenter à la sainte Vierge en qualité

de vassal, à l'imitation du noble Vaultier de Bibrac.. . . 299

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le vingt-troisième jour de No

vembre. — Se présenter et offrir à la sainte Vierge en

qualité d'esclave , à l'imitation du dévot Marin , frère du

bienheureux cardinal Pierre Damien 301

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le vingt-quatrième jour de

Novembre. — Présenter et offrir à la sainte Vierge ce

qu'on a de plus cher, la constituant son héritière et

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— 427 —

Nages.

voulant être tout-à-fait à elle, à l'imitation d'une dévote

Dame 303

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le vingt-cinquième jour de

Novembre. — Présenter à la sainte Vierge le Cœur de

son Fils, à l'imitation de sainte Gertrude 309

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le vingt-sixième jour de Novem

bre. — En sortant ou entrant dans sa chambre , s'offrir

à la sainte Vierge, à l'imitation des révérends Pères

Chartreux 313

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le vingt-septième jour de No

vembre. — Faire quelque mortification intérieure et

s'offrir à la sainte Vierge, à l'imitation de ceux qui sont

affectionnés à lui plaire 315

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le vingt-huitième jour de No

vembre. — Faire un bouquet de divers actes de vertu et

bonnes reuvres pour l'offrir à la sainte Vierge, à l'imi

tation de quelques dévots de la Mère de Dieu 319

CHAPITRE XIII.

Huit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête et l'Octave de son Imma

culée Conception, le huit de Décembre.

DÉVOTION PREMIÈRE. Pour le huitième jour de Décembre.

— Préférer l'Etre de Notre-Dame au sien propre, à l'imi

tation de sainte Brigitte 322

DÉVOTION DEUXIÈME. Pour le neuvième jour de Décembre.

— Dire l'Office de l'Immaculée Conception de la sainte

Vierge, à l'imitation du dévot Alphonse Rodriguez. . . 324

DÉVOTION TROISIÈME. Pour le dixième jour de Décembre.

— Faire vœu de défendre l'Immaculée Conception de la

Vierge, à l'imitation du dévot Berkman 325

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— 428 —

Pages.

DÉVOTION QUATRIÈME. Pour le onzième jour de Décembre.

— Dire douze Salve Regina et douze Ave Maria à l'hon

neur de l'Immaculée Conception de la sainte Vierge , à

l'imitation du bienheureux Alphonse Rodriguez 328

DÉVOTION CINQUIÈME. Pour le douzième jour de Décembre.

— Lire les livres qui traitent de la sainte Vierge, à l'imi

tation des confrères de ses Congrégations 330

DÉVOTION SIXIÈME. Pour le treizième jour de Décembre.

— Dévotion aux Saints qui ont été dévots à la sainte

Vierge, à l'imitation des dévots de saint Bernard.. , . . 332

DÉVOTION SEPTIÈME. Pour le quatorzième jour de Décem

bre. — Donner l'aumôme à l'honneur de la sainte Vierge,

à l'imitation de sainte Elisabeth 338

DÉVOTION HUITIÈME. Pour le quinzième jour de Décembre.

— Prier la sainte Vierge par de secrètes ententes, à l'imi

tation de quelques personnes qui lui sont dévotes. . . . 340

CHAPITRE XIV.

Boit dévotions à la Mère de Dieu pour la Fête de l'Expectation du divin

enfantement de son fils Jésus-Christ, le dix-nuit de Décembre.

DÉVOTIONS Pour le dix-huitième jour de Décembre et siii-

vants. — Se préparer aux Octaves qui précèdent les

fêtes de la glorieuse Vierge , par quelque éloge spiri

tuel, à l'imitation de sainte Marguerite de Hongrie. . . 345

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— 429 —

CHAPITRE XV.

Trente dévotions à la Mère de Dieu pour suppléer à celles qui ont été

données ci-dessus et qui sembleraient moins aisées à pratiquer, ou

bien qui pourront servir on quelques autres occasions , selon l'incli

nation d'un chacun.

Pages.

I. — Saluer la Mère de Dieu avant le soleil levé 353

II. — Saluer la Mère de Dieu en quelqu'une de ses égli

ses , si , faisant chemin , on est arrivé en quelque lieu où

se trouvent des églises qui soient dédiées à son honneur. 355

III. — Prier les Anges et leur donner commission de sa

luer la Mère de Dieu de notre part 356

IV. — Repasser par sa mémoire et penser, une fois toutes

les semaines, à la vie de la Mère de Dieu 357

V. — Prendre au sort quelque billet qui porte certaines

prières à dire , et les vertus de la Mère de Dieu qu'il

faudra pratiquer avec plus de soin durant l'Octave de

quelqu'une de ses Fêtes 360

VI. — Prendre au sort, tous les jours, une dévotion à la

Mère de Dieu, dans la résolution de s'y employer et la

pratiquer ce jour-là 362

VII. — Tous les mois , s'étudier à quelque vertu particu

lière en l'honneur de la Vierge-Mère 363

VIII. — Avoir soin d'estimer et de recueillir toute sorte

d'images de la sainte Vierge, quand même elles seraient

usées, vieilles, gâtées, ou moins bien faites, pour l'amour

de ce qu'elles représentent 364

IX. — Avoir plusieurs images de la Mère de Dieu et leur

imposer de beaux noms pleins de tendresse et conformes

à l'amour qu'Elle a pour nous , ou à celui que nous avons

pour Elle 365

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— 430 —

Pages.

X. — Donner des œillades amoureuses, en passant, aux

images de la Mère de Dieu, à leur rencontre 366

XI. — Faire porter solennellement et avec pompe quelque

image de la Mère de Dieu par la ville , ou assister à la

cérémonie ou procession qui se fait pour ce sujet. —

Pratique apprise de saint Grégoire le Grand 368

XII . — Faire vœu d'accomplir quelque bonne œuvre à l'hon

neur de la Mère de Dieu, ou lui promettre de faire pour

son amour quelque bonne action , soit dans le danger de

quelque inconvénient pour en être délivré , soit pour ob

tenir à sa faveur et intercession quelque grâce particu

lière 369

XIII. — Aller en pèlerinage en quelque célèbre église de

Notre-Dame, ou à Lorette, ou au Mont-Serrat, ou au

Puy, et autres semblables 371

XIV. — Attacher doucement sa pensée à certains endroits,

pour avoir une mémoire locale toute prête à se souvenir

de la Mère de Dieu. Le bienheureux Louis de Gonzague

donne ce saint exercice 372

XV. — Chérir, estimer et honorer tous les dévots et affec

tionnés au service de la Mère de Dieu 373

XVI. — Donner mille bénédictions ou faire des prières pour

ceux qui ont contribué à l'avancement de la gloire et de

l'honneur rendu à la vierge Marie, en quelque façon que

ce puisse être 374

XVII. — Renouveler l'amour et les résolutions prises pour

le service de Notre-Dame de la manière à peu près que

les religieux renouvellent leurs vœux, le tout à l'imita

tion de tant de braves et dévots confrères des Congréga

tions érigées pour servir la Mère de Dieu. ; 375

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— 431 —

Pages.

XVIII. — Instruire ou disposer les cœurs des petits enfants

à l'amour et à la dévotion de la Mère de Dieu 376

XIX. — Porter son chapelet au bras, jour et nuit , en forme

de bracelet 378

XX. — Offrir toutes les bonnes œuvres de tout un mois

ou d'un plus long temps à la Mère de Dieu , en tant

qu'elles sont satisfactoires ou impétratoires, s'en remet

tant à sa sainte volonté et agréable disposition 379

XXI. — Marier de pauvres filles en l'honneur de la Mère-

Vierge 380

XXII. — Réciter le Psautier de la bienheureuse Vierge,

composé par saint Bonaventure 382

XXIII. — Dire la messe de Beata, c'est-à-dire de la bien

heureuse Vierge 384

XXIV. — Prier particulièrement la sainte Vierge pour les

âmes du Purgatoire : il suffit de dire que la sainte et cha

ritable Vierge l'agrée 386

XXV. — S'accoutumer à prier la sainte Vierge au même

temps qu'on a prié Dieu 387

XXVI. — Chercher et inventer les plus beaux noms, épi-

thètes et éloges qui se peuvent trouver pour les donner

à la Mère de Dieu , et s'en servir à la conversation , aux

prédications, dans la prière, dans les écrits , et partout. 388

XXVII. — Honorer la glorieuse Vierge par l'usage de bé

nédictions à la façon de sainte Brigitte , à qui Dieu en

seigna la manière qu'elle devait garder en ses louanges

de vénération, principalement les intérieures, dont toute

personne est capable, soit malade, soit âgée, dans la

presse des affaires, en compagnie ou ailleurs, par les

quelles nous révérons les grâces et les perfections qui

éclatent en la très-digne Mère de Dieu 392".

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— 432 —

Pages.

XXVIII. — Choisir quelque belle oraison à la sainte Vierge,

afin de la dire tous les jours 394

XXIX. — Dire souvent à la Mère de Dieu quelque orai

son par laquelle nous lui demandions la grâce de faire

une belle et sainte mort par son assistance favorable. . 395

XXX. — Vouloir, à la mort , avoir proche de soi et à ses

yeux l'image de la glorieuse Vierge 396

Conclusion et avis à Philagie touchant la persévérance au

service de la sainte Vierge et à l'exercice des susdites

pratiques 398

Quelques Pensées tirées du petit Traité sur le Culte et la

Dévotion à la très-Sainte Vierge Marie en général, du

Grand et Saint Archidiacre d'Evreux , Henri -Marie

Boudon 408

TABLE DES MATIÈRES 415

FIN DE LA TABLE.

TOULOUSE, IMP. DE I. VIGUIER, RUE DES CHAPEUEHS ,

31

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