Handicaps et innovation: le défi de compétence

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Handicaps et innovation: le défi de compétence sous la direction de Denis Chastenet Antoine Flahault Préface de Jean-François Mattei 2010 Presses de l’École des hautes études en santé publique TOME 1 TOME 1

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Handicaps et innovation: le défi de compétence

sous la direction de

Denis ChastenetAntoine Flahault

Préface de Jean-François Mattei

2010Presses de l’École des hautes études en santé publique

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Jean-François Mattei, professeur de médecine, université de la Méditerranée , ancien ministre de la santé, membre de l’Académie de médecine, pré sident de la Croix-Rouge française, président de l’École des hautes études en santé publique (EHESP).

Antoine Flahault, MD, PhD, professeur de médecine, directeur de l’EHESP, president of the Association of schools of public health in the european region (ASPHER, Brussels, Belgium), editor in chief of Public Health Reviews.

Denis Chastenet, docteur ès sciences en physique, chercheur, CNRS-EHESP, mission handicaps, chargé de mission auprès du directeur de l’EHESP, en coopération avec le CNRS.

Pierre Ancet, maître de conférences en philosophie, Centre Georges Chevrier UMR CNRS 5605, université de Bourgogne.

Jean-Yves Barreyre, docteur en sociologie, directeur du Centre d’étude, de documentation, d’infor ma tion et d’action sociale (CEDIAS), direc-teur du Centre régional d’études et d’actions sur les handicaps et les inadaptations (CREAHI, Île-de-France).

Marie-Aline Bloch, ancien directeur scientifi que de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), directeur de la recherche de l’EHESP, ingénieur de l’École polytechnique, docteur ès sciences en biologie, ancien directeur des programmes transversaux de l’Institut Pasteur.

Vincent Boissonnat, chargé de mission à la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, Mission Recherche (DREES-MiRe), rapporteur du groupe « Recherche et innovation » de l’Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innova-tion sur le handicap (ONFRIH), chercheur associé à l’IRIS,Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (EHESS, CNRS, Inserm, Université Paris 13).

◗ Liste des auteurs

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Michel Borgetto, professeur à l’université Paris II, Panthéon-Assas, CERSA-CNRS.

Pascale Gilbert, médecin de santé publique, direction de la compensation de la perte d’autonomie, CNSA.

Jean-Marc Gilbon, responsable de la formation des directeurs d’établisse-ments sanitaires, sociaux et médico-sociaux (ESSMS) publics et privés, EHESP.

Patrick Gohet, inspecteur général des aff aires sociales, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), ancien délé-gué interministériel aux personnes handicapées, ancien directeur général de l’Union nationale des associations de parents d’enfants inadaptés (UNAPEI).

Hervé Heinry, formateur et consultant, ancien directeur d’ESSMS, D3S de l’EHESP.

Michel Legros, directeur du département « Sciences humaines et sociales et comportements de santé » (SHSC), EHESP.

Jean-Marc Lhuillier, professeur de droit social, département SHSC, EHESP.Bernard Lucas, professeur de politique des établissements sociaux et

médico-sociaux (ESSMS) et de politique du handicap, département SHSC, EHESP.

Marcel Nuss, écrivain, consultant et conférencier.Denis Piveteau, conseiller d’État, président du Haut Conseil pour l’avenir

de l’assurance maladie, ancien directeur de la CNSA.Jean-François Ravaud, directeur de recherche de l’Institut national de la

santé et de la recherche médicale (INSERM) au Centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), directeur de l’Institut fédératif de recherche sur le handicap (IFRH), président du groupe « Recherche et innovation » de l’ONFRIH.

Scania de Schonen, directeur de recherche émérite, CNRS, Laboratoire psychologie de la perception (LPP), UMR 8158, Institut des neuro-sciences et de la cognition, Centre biomédical des Saints-Pères, univer-sité Paris-Descartes-CNRS.

Évelyne Sylvain, directrice des établissements et services médico-sociaux, CNSA.

Marina Vidal-Naquet, étudiante.Florence Weber, professeur de sociologie et d’anthropologie sociale, direc-

trice du département de sciences sociales de l’École normale supérieure (Paris), chercheur au Centre Maurice Halbwachs (CNRS-EHESS-ENS).

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Préface

La loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la par-ticipation et la citoyenneté des personnes handicapées constitue une

étape importante dans l’évolution du statut des personnes handicapées en France.

Pour commencer, elle inscrit dans le droit de notre pays une défi nition du handicap comme la résultante conjointe d’une pathologie – ou de ses conséquences physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques – d’une part, et de l’environnement d’autre part. Autrement dit, la loi de 2005 commence par l’affi rmation suivante : selon la façon dont est organisée la vie en société (l’école, les transports, le système de soin, etc.), la participa-tion à la vie sociale des personnes atteintes de pathologies invalidantes de diverses natures peut être totalement entravée ou au contraire grandement facilitée ; une pathologie ou un traumatisme engendre un ou plusieurs han-dicaps plus ou moins invalidants selon que la société est plus ou moins bien organisée pour faire une place à l’école, au travail, dans les musées, les conservatoires, les associations sportives ou autres lieux de culture et de loisir, à ceux qui voient ou entendent mal, se déplacent avec diffi culté, ou encore à ceux qui doivent cheminer dans la vie avec des capacités cognitives entravées dans leur fonctionnement par une pathologie touchant le cerveau.

Le handicap n’est pas seulement la résultante d’un malheur naturel face auquel nous serions impuissants, il relève de l’exclusion sociale qui en résulte lorsque la société n’est pas organisée pour inclure ceux qui sont atteints de pathologies invalidantes diverses.

Cette première défi nition du handicap dans le droit français propose ainsi une vision du rôle de l’État qui devient garant de l’insertion de tous dans la société, y compris de ceux qu’une pathologie invalidante (ou les séquelles d’un traumatisme) tendait à mettre à l’écart. Toute personne handicapée a droit à la solidarité de l’ensemble de la collectivité nationale (article L.114), quels que soient l’origine et la nature de sa défi cience, son âge ou son mode de vie (article L.114-1-1), et cette solidarité ne consiste

Jean-François Mattei,Président de l’EHESP

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pas simplement à lui trouver une place quelque part, mais à favoriser l’accès à l’école pour tous (article L.112-1), à la formation et au travail pour le plus grand nombre. Cette solidarité consiste aussi à promouvoir des recherches pluridisciplinaires (article L.114-3-1) et une formation effi cace des profes-sionnels permettant de mettre en place des formes d’accompagnement ou de prise en charge pertinentes (article L.114-3) répondant véritablement aux besoins des personnes concernées elles-mêmes (article L.114-1-1), et leur permettant d’accéder à plus d’autonomie (article L.114-3). Pour que cette affi rmation de solidarité nationale ne reste pas lettre morte, des moyens fi nanciers et techniques importants ont été mis en œuvre, avec la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) notamment, mais aussi avec la mise en place de diverses structures visant à promouvoir la recherche et améliorer la formation des professionnels concernés par le handicap.

Ce pas décisif qu’a accompli la France s’inscrit dans un mouvement plus large, européen notamment – lorsque la loi de 2005 a été votée, d’autres pays de la Communauté européenne étaient d’ailleurs plus avancés que la France concernant l’intégration scolaire des enfants handicapés, par exemple. En 1980, dans sa Classification internationale des handicaps (CIH), l’Organisation mondiale de la santé (OMS) décrivait le handicap comme un désavantage social résultant d’une pathologie induisant une défi cience fonctionnelle ; puis en 2001, la Classifi cation internationale du fonctionne-ment, du handicap et de la santé (CIF) de l’OMS prenait en compte le rôle de l’environnement dans le degré de handicap (c’est-à-dire de désavantage social) qu’engendre une pathologie donnée. Les associations représentatives des personnes handicapées ou de leurs représentants légaux ont joué un rôle très important dans ce mouvement de fond qui transforme peu à peu le statut du handicap et le rôle qui est attendu des États dans ce domaine.

Et comment pourrait-il en être autrement ? Dès lors que l’on prend conscience de ce qu’est réellement la vie quotidienne de ceux de nos conci-toyens qui ont eu la malchance d’être aff ectés d’une pathologie ou d’un traumatisme ayant entravé leur fonctionnement physique ou mental au point de les mettre en situation de handicap, comment peut-on défendre une organisation de la vie en société qui, de fait, les écarte le plus souvent ? Pour ne prendre que quelques exemples, certes un peu simplifi és mais permettant néanmoins de soulever le problème éthique qui sous-tend ces questions : nous payons tous des impôts sous diverses formes mais, pendant longtemps, ils ont servi à faire des trottoirs, subventionner des systèmes de transport, fi nancer la construction de bâtiments publics… adaptés essentiellement aux besoins de ceux qui ont la chance d’avoir deux

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jambes qui fonctionnement bien. Mettons-nous l’espace d’un instant à la place d’une personne touchée par un handicap moteur qui travaille, gagne sa vie, paie des impôts, mais qui chaque jour peut constater que la société s’organise prioritairement pour les autres. Ou bien mettons-nous à la place d’un parent d’enfant polyhandicapé qui, de la même façon, travaille, paie des impôts, participe en somme au fonctionnement d’une société… faite avant tout pour les enfants bien portants : pour ceux-là, on subventionne des crèches, on organise une scolarité, on subventionne des loisirs, on ouvre les musées, mais pour le sien, vulnérable parmi les vulnérables, il a fallu implorer une place parmi les autres à la crèche ou au centre aéré, concevoir soi-même parfois une solution pour qu’il ait accès à une forme d’éducation, et inlassablement se battre pour bénéficier des structures adaptées pour son handicap, trop peu nombreuses par rapport au nombre d’enfants concernés. La devise de notre pays est bien, depuis plus de deux siècles maintenant, « Liberté, Égalité, Fraternité », mais à y regarder de près, si l’on essaie de se mettre à la place d’une personne atteinte d’un handi-cap moteur ou sensoriel, ou encore d’un parent d’enfant touché par un handicap quelconque (au sens courant du terme), on peut se demander si certains ne sont pas « plus égaux que les autres ».

Tous les systèmes philosophiques qui ont tenté de rendre compte des systèmes de valeurs qui fondent nos démocraties occidentales mettent en avant l’égale dignité de tous les êtres humains. Chacun compte autant, quels que soient son âge et son sexe, son statut social, son origine, sa couleur de peau ou son état de santé. Les plaisirs et les peines des uns ne valent ni plus ni moins que ceux des autres lorsque l’on prend une décision collective dans une perspective morale, disait John Stuart Mill dans Utilitarianism, qui est une des tentatives de théoriser des valeurs issues de la révolution anglaise des xviie et xviiie siècles. « Chaque individu a ses propres fi ns », disait Kant après la Révolution française, et adopter une perspective morale requiert cette prise de conscience : voir les fi ns de l’autre comme aussi importantes que les nôtres, ni plus ni moins, et non simplement comme des obstacles ou des supports pour l’accomplissement de nos objectifs. Ainsi, devons-nous faire des choix tels que nos fi ns puissent être des objectifs pour tous, et non simplement le refl et des désirs de quelques-uns. Si l’on regarde notre organisation sociale sous l’angle de nos valeurs universelles issues principalement du siècle des Lumières et qui fondent nos démocra-ties et nos accords internationaux, on comprendra sans doute que cette évolution du statut du handicap à laquelle nous assistons est la seule évo-lution moralement défendable. Tout être humain, pour lequel on a écrit que tous les hommes sont égaux, doit pouvoir revendiquer une place aussi

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respectable que celle des autres dans la société. Cela a été le cas successive-ment des Noirs (l’esclavage n’a pas été aboli durablement immédiatement après la Révolution française, mais une éthique prônant l’égale dignité de tous les hommes n’était pas compatible avec cette pratique), puis des femmes dans les pays développés ; pour les personnes handicapées ou leurs représentants légaux aujourd’hui, certains aspects de notre organisation sociale n’étaient pas acceptables jusque récemment.

La loi de 2005 marque donc bien un pas décisif, et d’une certaine manière irréversible, ou moralement incontournable, dans l’évolution du statut du handicap en France. Mais pour mettre en pratique l’idéal d’égale dignité des hommes qui la sous-tend, quelques étapes, et non des moindres, restaient encore à franchir. Comme le montre ce rapport, la recherche est encore trop embryonnaire en France dans le domaine du handicap. Il y a encore beaucoup à faire pour mieux connaître les populations touchées par des handicaps divers, les causes des pathologies à l’origine de ces handicaps et les traitements possibles, pour développer des formes de compensation basées sur de nouvelles technologies, comparer de façon rigoureuse, en termes d’effi cacité, et relativement aux besoins réels des personnes concernées, les formes d’accompagnement proposées pour tel ou tel type de handicap, etc. En d’autres termes, un eff ort signifi catif de recherche performante devra être fourni si l’on veut passer de l’intention de solidarité aux actes.

Cet effort de recherche devra être couplé, comme la loi elle-même l’annonce , et comme ce rapport l’explique, à un eff ort de formation des professionnels concernés à divers titres par le handicap. On ne peut propo-ser un accompagnement adapté à une personne atteinte d’un quelconque handicap si l’on ne connaît pas, ou mal, de quoi elle est atteinte, et ce que l’on peut lui proposer de plus effi cace à l’heure actuelle pour lui permettre d’accéder à la vie la meilleure possible, avec le plus d’autonomie possible comme le prévoit la loi.

Pour répondre à ces défi s, il a été proposé de créer au sein de l’EHESP, école de formation des hauts cadres de la santé publique, un pôle de for-mation, de recherche et d’expertise dans le domaine du handicap et des inadaptations, qui associerait son action à celle des structures existantes dans le domaine de la recherche et permettrait ainsi d’instaurer un lien plus étroit entre la recherche et la pratique dans le domaine du handicap. L’objectif est que ce lien étroit stimule la créativité et contribue à instaurer une culture de professionnalisme, d’excellence, de rigueur et de qualité de service.

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Ce livre analyse la situation actuelle dans le domaine du handicap en France. Il explique quels sont les acteurs concernés, et montre pourquoi cet esprit de créativité et d’innovation doit être profondément encouragé dans ce domaine orphelin de la recherche européenne. L’EHESP propose ici des pistes et des solutions, et je remercie tous les auteurs de cet ouvrage, qui ont accepté d’apporter, par leurs synthèses et leurs prises de position, un élan d’espérance original et indispensable pour ces millions de nos concitoyens qui aujourd’hui encore souff rent dans leur corps et leur esprit, et attendent, avec leurs familles et leurs proches, au-delà de notre empathie, la mobilisation de l’intelligence et de la technologie du xxie siècle au service de leur cause.

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Introduction

Le sentiment partagé par beaucoup d’acteurs du monde du handicap en France est que la politique de notre pays dans ce domaine est entrée,

avec le xxie siècle, dans une nouvelle ère. Et c’est dans une certaine mesure tout à fait justifi é, puisque dans la dernière décennie, avec notamment la loi de 2005 « pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », mais aussi avec la loi de 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale et quelques autres mesures, l’État français a engagé un mouvement de rénovation de sa politique dans le domaine du handicap. C’est justifi é aussi dans la mesure où cette refonte du droit a été associée à une mobilisation de moyens fi nanciers et humains permettant la mise en œuvre de cette nouvelle politique. Ainsi ont été mis en place, par exemple, une Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), dont le rôle est notamment de mettre en place la nouvelle politique de compensation individualisée, un accompagnement individualisé visant à favoriser l’insertion scolaire d’un nombre plus important d’enfants atteints de handicaps variés, une Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ANESM), un Observatoire national sur la formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (ONFRIH).

Cependant, si l’on prend l’exacte mesure des réformes auxquelles les lois que notre représentation nationale a votées nous engagent , on pour-rait dire aussi que l’essentiel du chemin reste encore à parcourir. Ces lois dessinent en eff et les contours d’une politique de santé publique nouvelle pour le handicap qui, si elle s’inscrit dans une certaine continuité avec les grandes orientations défi nies en 1975, bouscule sur quelques points déci-sifs des façons de voir et des pratiques bien ancrées qui ne peuvent évoluer réellement que par un eff ort durable et soutenu de la société tout entière.

Car nous sommes tous concernés. À titre personnel puisque, loin d’être un problème pour une petite minorité d’entre nous, le handicap porte une dimension incontournable et multiforme de l’existence humaine. À titre professionnel, puisqu’une politique visant à lutter contre l’exclusion sociale

Antoine Flahault, Directeur de l’EHESP

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liée au handicap ne peut être mise en œuvre sans que chacun y contribue : en participant par exemple à l’eff ort de mise en accessibilité des transports ou des bâtiments, en ouvrant l’école à tous et en y développant une péda-gogie adaptée à chacun, en inventant des solutions pour permettre à tous ceux qui le peuvent d’accéder à une vie professionnelle, en faisant respecter le droit, même pour ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes, ou bien encore en contribuant à un eff ort de recherche et de formation indispensable au développement de services de qualité ou de formes d’accompagnement effi caces, de traitements ou de technologies nouvelles susceptibles d’amé-liorer la qualité de vie avec tel ou tel handicap. Cette situation nouvelle et ses enjeux appelaient une initiative de l’EHESP.

L’EHESP, école de formation des cadres de la santé publique, entend jouer un rôle moteur dans l’accompagnement de ce processus par la créa-tion en son sein, et en lien avec les divers organismes concernés par la recherche scientifi que et la formation dans le domaine du handicap, d’un centre de recherche, d’expertise et de formation spécifi quement dédié aux questions que soulèvent les multiples facettes de la réalité des handicaps. Mais avant d’en dire plus sur le rôle qui pourrait être le nôtre, je voudrais expliquer un peu plus en quoi les lois de la dernière décennie modifi ent substantiellement notre approche de la problématique du handicap.

Malgré les progrès remarquables de la médecine et des sciences qui ont marqué le siècle passé, nombreux sont encore les pathologies ou événements qui peuvent occasionner un handicap : accidents vasculaires cérébraux, accidents de la route, maladies inflammatoires chroniques, tumeurs ou autres phénomènes pathologiques entravant le développement ou détruisant une partie d’un organe clé pour notre fonctionnement… la liste est longue malheureusement. Ce fait n’est pas nouveau ; ce qui l’est en revanche, c’est que la défi nition donnée au handicap dans la loi de 2005 prend en compte cette réalité médicale. C’est en eff et une défi nition très inclusive selon laquelle « toute limitation d’activité ou restriction de partici-pation à la vie en société subie dans un environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou défi nitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques » constitue un handicap. Elle met donc un terme à des débats concernant, par exemple, la façon dont devraient être abordées certaines pathologies mentales et nous amène aussi, autre exemple, à considérer les conséquences de toutes sortes de maladies chroniques ou liées au vieillissement sous un même angle (ce qui n’empêche pas des approches plus spécifi ques par ailleurs bien sûr) : tout handicap ainsi défi ni doit dorénavant donner droit à une forme de compensation adaptée aux besoins spécifi ques de la personne

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concernée, et lui permettant ainsi de vivre une vie décente dans laquelle interviennent des choix personnels ; aucune forme de handi cap n’autorise désormais une exclusion injustifi ée de la vie en société. Nous reviendrons bientôt sur la philosophie générale des lois de 2002 et 2005, mais arrêtons-nous auparavant un instant encore sur ce que signifi e cette conception très inclusive du handicap.

Cette notion, telle qu’elle est défi nie dans la loi de 2005, s’appuie sur le travail le plus récent de l’OMS et refl ète l’état actuel des connaissances scientifi ques et médicales. Ainsi défi ni, il apparaît que le handicap touche environ 10 % de la population européenne. En sachant que ces situations ont souvent un impact sur la vie des proches, on en déduira que beaucoup plus d’un Européen sur 10 est aujourd’hui confronté aux problématiques qu’elles suscitent. Le handicap apparaît alors comme ce qu’il est : non plus un malheur qui touche une petite minorité malchanceuse, que nous pré-férerions ignorer pour ne pas nous confronter à la vulnérabilité de notre condition humaine, mais une dimension incontournable et multiforme de l’existence, de notre vie à tous. Car chacun d’entre nous peut s’y trouver confronté, un jour ou l’autre, directement ou à travers un proche, avec la naissance d’un enfant, à l’adolescence, dans l’âge adulte ou avec la vieillesse. Nous avons donc certes un devoir altruiste, mais aussi un intérêt person-nel à nous soucier de la politique qu’adopte notre pays dans ce domaine. C’est une question de politique sociale et de santé publique, aussi impor-tante – même si elle n’a pas toujours été traitée comme une question de société de premier plan – que de savoir, par exemple, de quel système d’as-surance chômage nous souhaitons nous doter. Encore peut-on éventuel-lement ne pas se sentir concerné par le chômage si l’on travaille dans un secteur protégé ou riche en emplois, si l’on a une bonne formation adaptée à l’un de ces secteurs, ou si l’on approche de la retraite… Mais rien ne nous garantit, pas même une excellente hygiène de vie, ni l’accès au meilleur de la médecine, de ne jamais être concernés de près par les problématiques du handicap.

Que l’on naisse paralysé ou aveugle du fait d’un dysfonctionnement survenu dans le cours normal du développement, ou bien qu’on le devienne à l’âge adulte à la suite d’un cancer ou d’un accident de la route ; que l’on soit confronté à la fragile complexité de l’esprit humain à travers les diffi -cultés d’un enfant atteint d’un trouble envahissant du développement, d’un adolescent brisé dans ses projets de jeunesse par le développement d’une tumeur aff ectant le système nerveux central ou d’une schizophrénie, ou encore à travers les désordres de la maladie d’Alzheimer, le combat sera le même : il faudra, comme le dit Denis Piveteau (qui nous livre ses réfl exions

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sur les questions que soulève notre nouvelle politique dans cet ouvrage) inventer à la fois des moyens de lutter contre la maladie et de vivre avec.

Au cours du siècle passé, le handicap avait peu à peu été reconnu dans notre pays comme l’une des injustices vis-à-vis desquelles devait se mani-fester la solidarité de l’État. C’est avec la loi de 1945 instaurant la sécurité sociale qu’est devenue possible une telle solidarité, organisée à l’échelle de la nation tout entière. Auparavant, l’État n’agissait dans ce domaine que dans le cadre d’une logique ponctuelle de réparation (pour les inva-lidités causées par la guerre notamment) ou de prévention, comme l’ex-plique Jean-Yves Barreyre. Entre la fi n du xixe siècle et le début du xxe, ont été menées, par exemple, de grandes campagnes de lutte contre la tuber-culose ou la syphilis. L’État français a commencé aussi à se soucier du handicap, mais dans une logique très diff érente de celle qui est la nôtre aujourd’hui : les institutions étaient alors destinées indiff éremment à des enfants handicapés ou en situation familiale diffi cile (en « danger moral », disait-on). On ne juge plus optimaux ces regroupements à la lumière des connaissances scientifi ques actuelles. La logique consistant à aborder ces deux types de problématiques sous un même angle (logique qui amène par exemple à former de la même façon les éducateurs travaillant dans ces deux domaines) a pourtant perduré longtemps, comme le rappelle Jean-Yves Barreyre (voir p. 231).

Avec l’instauration de la sécurité sociale, une autre approche est devenue possible – mais ne s’est développée que très progressivement. Le handicap devenait l’un des aléas de l’existence dont nous pouvions nous protéger mutuellement en concevant des solutions permettant d’améliorer la qualité de vie des personnes concernées.

C’est sous l’impulsion des associations de parents de personnes handi-capées qu’ont été conçues, à partir des années 1960, une très grande partie des structures spécifi quement dédiées à l’accueil, aux soins et à l’éducation des enfants et adolescents handicapés – c’est ce qui explique qu’aujour-d’hui 87 % de l’activité du secteur médico-social est gérée par des associations à but non lucratif, ainsi que par quelques fondations, comme le souligne Jean-Yves Barreyre. Avec ce mouvement général de création de structures dédiées spécifi quement aux personnes handicapées, se sont aussi déve-loppés des foyers de vie et des structures de travail protégé pour adultes.

Ce n’est, peut-être, pas la partie de l’histoire de la politique française du handicap qui relève le plus de la mobilisation de l’État lui-même, car il faut bien admettre que, si le fi nancement de ces structures est devenu possible grâce aux lois de 1945, elles se sont construites avec l’énergie de la souff rance, pour reprendre les mots d’Hervé Heinry (que Denis Chastenet cite dans ce

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rapport, p. 47). Ce sont les personnes concernées elles-mêmes qui ont dû, le plus souvent, concevoir et gérer (bénévolement) des établissements desti-nés à leurs proches. On concevrait diffi cilement qu’il faille soi-même mettre en place puis gérer une clinique pour la prise en charge du cancer de son conjoint ou une école pour permettre à ses enfants d’accéder à l’éducation.

C’est en 1975 que la France a voté pour la première fois une loi défi nissant les grandes lignes d’une politique du handicap. Les lois de 1975 ont ainsi affi rmé le principe de la solidarité nationale face au handicap, annoncé un droit à l’éducation (autant que possible en milieu ordinaire, disait la loi), aux soins et à la formation professionnelle ; elles ont aussi séparé deux domaines, celui de la santé à proprement parler, et le secteur médico-social d’autre part. Trente ans plus tard, et soixante-dix ans après l’instauration de la sécurité sociale, la loi de 2005 réaffi rme un principe général de solidarité face au han-dicap et en décline à nouveau les modalités : l’accès à l’éducation, à la santé, à la vie professionnelle, aux loisirs, doit être possible pour tous ; des services spécifi ques et adaptés aux besoins des personnes en situation de handicap doi-vent leur être accessibles ; la recherche doit être encouragée et la formation des professionnels du secteur médico-social adaptée à l’évolution des connaissances. Quelles sont les diff érences d’orientation entre la politique défi nie dans les lois de 1975 et celle annoncée par les lois de ces dix dernières années 1 ?

Les lois de 2002 et 2005 prennent acte du fait qu’une personne en situa-tion de handicap n’est pas simplement l’objet de politiques publiques mais un citoyen, sujet de droits tels que le droit à l’information et à la liberté de choix face à une proposition de prise en charge, le droit au respect des liens familiaux, etc. (ces droits sont décrits dans la loi rénovant l’action sociale et médico-sociale de 2002). En tant que citoyen, une personne en situation de handicap est aussi un usager des services publics qui lui sont dédiés, et la qualité de ceux-ci doit être évaluée depuis 2002. La loi de 2005 nous rappelle aussi que les services proposés doivent répondre aux besoins réels des personnes concernées (dans cet esprit, les prestations ont par exemple été repensées pour s’adapter à la variété des situations) et favoriser leur autonomie. Les mesures visant à favoriser l’éducation en milieu ordinaire, l’accès aux études, l’accessibilité du cadre bâti et des trans-ports, l’accès à une vie professionnelle pour le plus grand nombre, tout cela est l’expression d’une même philosophie générale : tout doit être accessible à tous, autant que possible (dans divers domaines, les obligations légales

1. Sur ce sujet, on pourra consulter, outre l’article de Michel Borgetto dans ce rapport, celui de Philippe Didier-Courbin et Pascal Gilbert, « Éléments d’information sur la législation en faveur des personnes handicapées en France : de la loi de 1975 à celle de 2005 ».

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ont été renforcées, entre autres), et chacun doit pouvoir accéder à autant d’auto no mie que possible.

Tout cela peut paraître aller de soi : pourquoi en effet vivre confiné lorsque l’on est atteint d’un handicap physique ? On doit tous être capables d’étudier, de travailler et de vivre sa vie comme on l’entend. Comment jus-tifi er que les enfants bien portants puissent accéder par l’éducation à une vie qui ait un sens alors que les enfants atteints de handicaps resteraient cantonnés à une vie très limitée sans une éducation appropriée qui leur permette réellement de développer leurs capacités et leurs intérêts ? Tout cela peut paraître évident, comme certains des droits décrits dans la loi de 2002, mais en réalité les changements de mentalité et de pratique que requiert l’application des lois de 2002 et 2005 impliquent de profonds changements dans le secteur médico-social, et dans la société française tout entière.

Le problème du handicap nous concerne bien tous, non seulement direc-tement (parce que le handicap est un des risques de la vie auquel chacun d’entre nous peut se trouver confronté un jour) mais aussi indi rec tement, parce que la solidarité telle qu’elle se conçoit aujourd’hui ne consiste plus simplement à consacrer une partie des ressources de notre système de pro-tection sociale 2 au fi nancement de structures dédiées aux personnes handi-capées mais à mettre en place des formes d’organisation de la vie collective qui permettent à chacun d’accéder au maximum d’autonomie dont il est capable et de prendre sa place dans la vie en société.

Les lois de la dernière décennie ne sont donc pas une simple reformulation des précédentes ; elles donnent une orientation véritablement nouvelle par certains aspects à notre politique en matière de handicap – orientation que nous avons résumée par l’idée que le handicap apparaît désormais comme l’aff aire de tous. Nous avons encore beaucoup à faire pour mobiliser notre énergie, notre intelligence et notre créativité dans les directions indiquées par nos lois. Inventer ensemble des formes de vie collective qui fassent une place à chacun, quels que soient ses potentiels et ses limites, développer des technologies, des méthodes de rééducation, de nouveaux traitements permettant d’améliorer la qualité de vie avec un handicap donné, tout cela ne se fait pas en un jour. Mais la créativité et l’innovation sont les seules réponses possibles face à de tels défi s. On peut aujourd’hui entendre grâce à des implants cochléaires, réapprendre parfois le langage après un accident vasculaire cérébral (Scania de Schonen nous en apprend plus sur ces sujets

2. Nous parlons ici de « protection sociale » dans un sens élargi, car une partie importante du financement des structures dédiées aux personnes handicapées est assurée par les conseils généraux, par exemple, depuis les lois de décentralisations de 1983.

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dans l’article qu’elle a écrit pour ce livre), et nos petits enfants peuvent aller à l’école avec de très jolis sacs au design fashion fabriqués dans un ESAT par des personnes autistes 3. La créativité doit être tout à la fois scientifi que, médicale, sociale et culturelle. La créativité a été la réponse de Matisse à la maladie, à la fi n de sa vie, lorsque, rivé à son lit, il a imaginé une autre façon de faire des tableaux en collant des papiers de couleur découpés à l’aide d’une grande perche. Cette période de sa vie, marquée par un handicap physique profond, a donné naissance à de très belles œuvres d’art et lancé une technique peu utilisée par les peintres jusque-là.

C’est dans le nouveau contexte de santé publique que nous venons de décrire, que l’EHESP a voulu mettre en place un pôle pluridisciplinaire de recherche, d’expertise et de formation dans le domaine du handicap. En s’appuyant sur le travail déjà réalisé avec les équipes de l’École, et sur la base de multiples données de sources diverses (rapports, textes de lois, entretiens…), Denis Chastenet (CNRS, EHESP) a procédé pendant dix-huit mois à une recherche concernant les enjeux (humains, juridiques, scientifi ques, économiques) et les défi s (mise en place de nouveaux services en réponse à des besoins encore mal connus, investissement plus important dans la recherche et dans la formation) de la politique actuelle du handicap dans notre pays.

Son rapport, que vous pourrez consulter avec la parution de ce livre, dresse donc un état des lieux que nous voulions synthétique et multidimen-sionnel de ce qu’est aujourd’hui la réalité du handicap en France. Pour aller au-delà des simples constats, il propose aussi des solutions concrètes pour que l’EHESP puisse jouer le rôle moteur que l’on attend d’elle dans le changement des mentalités, des cultures et des pratiques auquel les lois que nous avons votées nous engagent. Le domaine du handicap n’échappe pas aux principes généraux qui prévalent dans les autres secteurs de l’acti-vité humaine, nous rappelle-t-il : c’est par un investissement en recherche et en formation à la hauteur des enjeux réels que l’on favorise l’innovation, la créativité, la qualité du service et l’effi cacité. Mais ce rapport ne se limite pas à des préconisations générales. Après une analyse de la nature des défi s qui nous attendent, il propose de structurer le travail du pôle handicap de l’EHESP autour de trois axes pour nourrir les progrès des connaissances et des pratiques :

– droit, éthique et politique comparée du handicap,– accompagnement, développement et autonomie des personnes,– économie et gestion, management et gouvernance des services.

3. Je fais référence ici à la marque « Les Petits Parisiens ».

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L’expérience montre en eff et qu’il ne nous suffi ra pas d’affi rmer par la loi – même si le rôle des textes de loi définissant les contours d’une politique est évidemment essentiel – une volonté de solidarité, une déter-mination à lutter contre toutes les formes de maltraitance (y compris les moins évidentes, qui peuvent consister par exemple à ne proposer à une personne handicapée que des formes d’accompagnement inadaptées à ses besoins réels, ou ineffi caces) et un idéal de société qui donne une place véritable à chacun et respecte en tous ses membres leur première qualité de citoyen. La volonté de solidarité devra s’assortir de la meilleure gestion des ressources toujours limitées (humaines, fi nancières) que nous dédions à notre politique car les enjeux sont de taille, étant donné la prévalence du handicap sous ses multiples formes et la variété des professions concernées. La bientraitance exige avant tout la compétence et, face à l’immense diver-sité des situations de handicap et à l’évolution rapide des techniques et des connaissances scientifi ques et médicales à notre époque, cette compétence des professionnels concernés d’une façon ou d’une autre par le handicap exige un eff ort continu de formation, et une libération des conditions de créativité et d’innovation.

Quant à l’idéal démocratique exprimé dans nos lois – l’idéal d’une société faite d’individus libres et disposant des moyens d’accéder, autant que possible, à une vie choisie –, sa réalisation concrète soulève de pro-fondes questions. Comment faire, par exemple, pour respecter et faire respecter la liberté et la dignité de chacun d’entre nous, même lorsqu’une maladie nous enlève la possibilité d’exprimer verbalement des choix ou de prendre soin de notre personne par nous-même ? Quels sont les ressorts de l’exclusion sociale ? La peur en est certainement un, mais pourquoi la peur de notre vulnérabilité face à la maladie nous amène-t-elle à ignorer, voire a cacher parfois ceux qui en sont atteints ? Pourquoi ne faisons-nous pas tout pour que la vie, même avec une pathologie grave, puisse être bonne à vivre ? Sommes-nous ignorants de notre condition humaine, de la réalité des faits épidémiologiques, lorsque nous oublions de nous soucier suffi samment du sort qui nous sera réservé si une maladie invalidante nous frappe un jour ? Sommes-nous à ce point insensibles au sort de ceux qui affrontent ces réalités aujourd’hui ? Ou bien est-ce un sentiment d’impuissance qui nous fait fuir ces questions sérieuses auxquelles nous devons faire face –  et aux-quelles certains d’entre nous n’ont pas eu la chance de pouvoir échapper ? Comment faire du handicap une cause « à la mode », comme l’est devenu l’environnement par exemple ? Imposer la mise en accessibilité des bâti-ments et des transports, imposer une scolarisation plus systématique pour tous les enfants quel que soit leur état de santé et favoriser l’accès à une vie

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professionnelle pour tous ceux qui le peuvent… tout cela est rendu pos-sible lorsque la volonté de le faire est partagée. Les multiples facettes de la réalité des handicaps, et les défi s que nos lois nous posent, soulèvent des questions non seulement biologiques, médicales, juridiques et économiques, mais aussi éthiques, anthropologiques et sociologiques.

Pour engager dès aujourd’hui une dynamique de réfl exion collective qui nous permettra d’identifi er les orientations les plus pertinentes du travail de recherche qui se fera dans le pôle handicap de l’EHESP, Denis Chastenet a procédé à un premier repérage des potentiels existant en France dans les divers domaines de recherche concernés par le handicap. Nous donnons donc ici la parole à quelques-uns de ces chercheurs qui, dans des domaines variés tels que le droit, la philosophie, la sociologie, l’anthropologie ou les neurosciences, ont déjà commencé à travailler dans des directions qui ouvrent des pistes pour l’avenir. Nous donnons aussi la parole à divers acteurs du monde du handicap qui, chacun depuis la position où il est, ont quelque chose d’essentiel à nous apprendre sur les besoins auxquels nous allons devoir répondre si nous voulons réellement mettre en pratique les choix politiques que nous avons faits en votant une série de lois – inno-vantes, nous l’avons vu –, concernant le handicap dans la première décennie du siècle qui commence.

Les premières personnes à qui nous avons voulu donner la parole sont celles qui sont les plus directement concernées par toutes ces questions. Elles ont évidemment beaucoup à nous apprendre sur leurs besoins réels que nous connaissons mal ; mais leurs témoignages et leurs réfl exions nous emmènent en fait bien au-delà. Ainsi Hervé Heinry nous fait découvrir le double regard d’un adulte exerçant une vie professionnelle dans le secteur du handicap et d’un enfant confronté aux réalités de la vie dans un éta-blis sement de soin destiné aux personnes handicapées. On ne peut pas se passer d’une réfl exion plus approfondie sur le rôle attendu des profes-sionnels dans le secteur du handicap ni sur nos pratiques de management. En eff et, les services mis en place pour répondre aux besoins des enfants handicapés doivent non pas simplement redresser leur posture ou réédu-quer leur cerveau au prix de tristes séjours dans des endroits laids et sans âme, mais avant tout leur permettre de vivre, au-delà du handicap, une vie épanouie d’enfant. Hervé Heinry, Marcel Nuss (qui nous présente une réfl exion à deux voix en s’associant au philosophe Pierre Ancet) et Marina Vidal-Naquet nous font découvrir combien les réalités de la vie avec un handicap sont diverses. Pour les uns, le premier des combats n’est peut-être pas celui que l’on croit (vivre avec un corps plus fragile qu’un autre par exemple), mais plutôt celui qui consiste à nous faire comprendre que

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la dépendance (à l’égard d’une aide humaine ou technique) qu’engendre un corps obéissant moins bien qu’un autre à nos commandes n’est après tout qu’une des formes de l’inter dépendance dans laquelle nous vivons. Nous utilisons tous des outils qui décuplent le pouvoir de notre simple corps. D’ailleurs, aurait-on envie d’ajouter, si certains d’entre nous commandent leur corps effi cacement, nous dépendons tous beaucoup du fonctionne-ment de l’esprit des autres pour vivre. Un architecte ne se considère pour-tant pas handicapé du simple fait qu’il ne pourrait pas vivre la vie qu’il vit si des chercheurs n’avaient pas mis au point les ordinateurs qu’il utilise et les médicaments qui soignent ses maux de tête. Un chercheur ne survivrait pas sans l’assistance quotidienne que les élus de sa commune et les divers représentants de l’État lui apportent en construisant des ponts, en entre-tenant des routes, en faisant respecter la loi pour assurer sa sécurité… Vivre avec un handicap, ça n’est donc pas simplement se battre avec un corps ou un esprit qui ne nous obéit pas tout à fait comme on le voudrait, c’est sans doute aussi se battre avec des idées fausses sur ce qu’est la vie en général.

Sur ce sujet majeur, notamment, Pierre Ancet et Marcel Nuss ouvrent des champs nouveaux d’observation, de réfl exion et de recherche, entre philosophie, anthropologie et neurosciences.

Ils ouvrent le regard et l’intelligence sur les capacités et les compétences par-delà le handicap.

Marina Vidal-Naquet, la troisième des personnes directement concer-nées par le handicap qui ont pris part à la rédaction de ce livre, nous ouvrira les yeux sur la vie qui pourrait être la nôtre si nous étions frappés de la mala-die qui a envahi progressivement celle de sa mère. Que pourrions-nous sou-haiter si nous étions à sa place, si cette maladie ou une autre analogue nous confrontait aux problèmes que son témoignage évoque ? Quelles formes de soutien sont véritablement pertinentes pour une personne confrontée à une situation comme celle-ci et pour sa famille ?

La force de ces témoignages nous rappelle à quel point la diversité et la complexité des situations de handicap imposent l’humilité et la rigueur dans l’approche professionnelle de ces questions.

Nous avons voulu aussi que les débats que susciteront ces articles soient introduits par un des acteurs importants du monde du handicap, repré-sentant à la fois du monde associatif et de l’État. Patrick Gohet, inspecteur général des aff aires sociales, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées et ancien délégué interministériel aux personnes handicapées, est en eff et aussi l’ancien directeur général de l’UNAPEI – l’une des grandes associations françaises représentant les personnes handi-capées et leurs proches.

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Après la parole des personnes les plus directement concernées par le handicap, viendront les réfl exions des chercheurs. Florence Weber, qui introduit le témoignage de Marina Vidal-Naquet, nous montrera comment un travail d’observation issu des méthodes de l’anthropologie, associé à l’éco-nomie, peut nous permettre d’aborder de façon plus rigoureuse les pro-blématiques du handicap. Avant de prétendre répondre à des situations que l’on ne connaît pas toujours, encore faut-il chercher à comprendre en quoi elles consistent exactement. Jean-Yves Barreyre nous expliquera comment s’est construit le secteur médico-social en France et comment se font les recherches de terrain qui nous permettent par exemple de savoir quels services existent en réponse à quelles situations de handicap dans telle ou telle région, quels sont les manques ou quelles représentations nous nous faisons des problèmes.

Michel Borgetto, professeur de droit à l’université Paris 2, complétera ces points de vue par une analyse précise de ce que la loi de 2005 a apporté par rapport à celle de 1975. Son travail nous a été d’une aide précieuse pour la préparation de ce livre.

Enfi n, nous avons voulu donner la parole aux neurosciences, l’un de ces domaines de la biologie qui a eff ectué des progrès spectaculaires au cours du siècle passé. Scania de Schonen, de l’Institut des neurosciences et de la cognition, nous emmène donc dans un voyage fascinant qui nous fera découvrir comment les progrès des connaissances – concernant le déve lop-pement et le fonctionnement du cerveau en l’occurrence – peuvent contribuer à l’amélioration des traitements ou des formes de rééducation proposées aux personnes atteintes de certains handicaps. Scania de Schonen nous rappelle que les CHU ont été créés pour favoriser le lien entre la recherche et la pratique en médecine et fait remarquer que la façon dont est structuré le secteur médico-social (séparé des hôpitaux depuis les lois de 1975 comme nous l’explique Jean-Yves Barreyre) n’est sans doute pas favorable à l’adé-quation entre connaissances et pratiques, ni à la créativité – ce contre quoi nous œuvrerons par la création d’un pôle handicap à l’EHESP.

Les réfl exions des chercheurs seront mêlées à celles des acteurs de terrain, car la recherche scientifi que et pluridisciplinaire dans le domaine du handi-cap doit pouvoir, in fi ne, déboucher sur des améliorations des conditions de vie des personnes concernées. Ainsi Jean-François Ravaud et Vincent Boissonnat, qui évoquent ici le travail eff ectué par l’ONFRIH, prennent la parole après deux chercheurs en sciences humaines. Les membres de l’EHESP déjà impliqués dans la formation des cadres des établissements et services médico-sociaux ou dans un domaine de recherche les ayant amenés à s’intéresser aux problématiques du handicap – Jean Marc Gilbon,

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Jean-Marc Lhuillier, Michel Legros et Bernard Lucas – ont pris la parole pour expliquer ce qu’est l’EHESP et quel travail a déjà été accompli en son sein dans le domaine qui nous concerne.

Évelyne Sylvain et Pascale Gilbert s’exprimeront toutes deux au nom de la CNSA, et fortes de leurs observations sur ce que la loi de 2005 implique comme changements dans le secteur médico-social, dans nos pratiques professionnelles et dans les organisations en santé, donnent tout son sens au partenariat à bâtir par l’EHESP entre professionnels et chercheurs.

Marie-Aline Bloch, précédemment directeur scientifi que de la CNSA, en ayant beaucoup contribué à la qualité de ses travaux dans les domaines de la dépendance et de l’autonomie, vient de rejoindre l’EHESP pour en assurer la direction de la recherche ; elle nous expose sa conclusion et le cadre ouvert dans lequel elle situe les orientations de la recherche.

Nous laisserons le mot de la fi n à Denis Piveteau, conseiller d’État, pré-sident du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, et précédem-ment directeur de la CNSA. Il nous montrera que les choix que nous avons faits en votant ces lois qui ont changé l’orientation de notre politique en matière de handicap soulèvent des problèmes techniques et des questions de fond qui sont en fait communes à de nombreux domaines d’intervention de l’État : quelle place fait-on à la fragilité dans une société orientée vers la performance ? Comment l’État peut-il agir effi cacement dès lors que cette action implique la coordination d’acteurs multiples ? Peut-on, à l’échelle d’une société tout entière, répondre au défi que constitue la mise en place de formes de solidarité individualisées ?

Nous remercions très chaleureusement tous ceux qui ont bien voulu contribuer à cet ouvrage et espérons que la diff usion de ce rapport et des articles qui le complètent sera le prélude à de riches débats, féconds pour la recherche dans le domaine du handicap et stimulants pour tous ceux qui, de façon plus générale, contribuent activement à l’intense eff ort de créativité auquel nous appellent les problématiques actuelles du handicap.

Nous tenons à remercier en particulier Marie-Sophie Desaulle, directrice générale de l’ARS des Pays-de-la-Loire, dont les réfl exions ont for tement alimenté les travaux de Denis Chastenet. Elle a pleinement approuvé son rapport avec ses constats, analyses et propositions. Son expérience et ses responsabilités nous encouragent sur la voie ainsi ouverte pour construire à l’EHESP un Centre pluridisciplinaire et international sur les handicaps.

Il nous reste à remercier Denis Chastenet qui a su conduire un monumen-tal travail d’investigation qui est ici rapporté. Sans son apport, la réfl exion de l’EHESP n’aurait pas pu être menée à la maturité qu’elle a acquise aujourd’hui

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dans ce domaine. Denis Chastenet a conduit ses entretiens avec persévérance, intelligence et avec le cœur qu’on lui connaît. Il est le maître d’œuvre de cet ouvrage, il en a dessiné les contours, empli les espaces, facilité les analyses : il doit aujourd’hui recevoir tous les fruits de notre gratitude collective.

Enfi n, nous terminerons nos remerciements par le ministre Jean-François Mattei qui a accepté de rédiger la préface de cet ouvrage collectif. Il pré-side aujourd’hui la Croix-Rouge française et l’EHESP. Il est largement à l’origine de tout l’arsenal législatif contemporain de premier ordre qui a construit l’ossature de toute la politique publique en matière de handi-cap en France et que nous discutons dans ce livre. Sa vision conduisant à faire se rejoindre les secteurs sociaux et de la santé irrigue aujourd’hui les destinées de l’EHESP et permet de comprendre les orientations quasi « militantes » qu’elle est en train de prendre sur l’ensemble de ces sujets. Comme le répète souvent le professeur Mattei, le handicap mérite au moins autant que d’autres grands problèmes de notre société, de disposer d’un investissement en matière de recherche et de formation attirant les meilleurs talents de la communauté scientifi que et médicale. Le pédiatre, généticien, homme de lettres et homme politique qu’il est tout à la fois, est exigeant comme on peut l’imaginer : il attend de ses collaborateurs de l’excellence, du professionnalisme, de la prise de risque, mais avant toute chose, du cœur à l’ouvrage. Ce livre lui est bien sûr dédié.

Si la voie est ouverte, comme nous l’avons souligné en entrée de ce volume, l’essentiel du chemin reste à parcourir !

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Table des matières

Liste des auteurs ........................................................................................................................................................ 3

Préface, Jean-François Mattei ......................................................................................................................... 5

Introduction, Antoine Flahault ..................................................................................................................... 11

Partie 1

Rapport pour la création d’un Centre interdisciplinaire et international sur les handicaps au sein de l’EHESP : formation, recherche et expertise,

Denis Chastenet ........................................................................................................................................................ 25

Partie 2

Une politique pour tous, Patrick Gohet ................................................................................................ 111

Le handicap, vecteur de sens ?, Denis Piveteau ............................................................................ 119

La loi du 11 février 2005. Une avancée décisive pour les personneshan dicapées, Michel Borgetto .................................................................................................................... 127

Comment intégrer le « changement de regard » appelé par la loi de 2005 dans nos pratiques professionnelles et dans les organisations en santé ?, Évelyne Sylvain, Pascale Gilbert ................................................................................................................ 141

Partie 3

La cohérence de l’accompagnement : pour qui ?, Hervé Heinry ................................. 155

Le corps vécu chez la personne handicapée, dialogue entre Pierre Ancet et Marcel Nuss .................................................................................................................................................................. 167

Écouter, observer : des clés pour comprendre, Florence Weber, MarinaVidal-Naquet .............................................................................................................................................................. 179Une approche ethnographique des handicaps, F. Weber ................................................. 180Le lit, M. Vidal-Naquet ..................................................................................................................................... 189

Partie 4

Plasticité cérébrale et développement des activités mentales chez l’enfant, Scania de Schonen .................................................................................................................................................. 205

Dérive des territoires sociaux et recherche appliquée, Jean-Yves Barreyre ... 229

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La question du handicap. Réponses d’une école de santé publique,Jean-Marc Gilbon, Jean-Marc Lhuillier, Michel Legros, Bernard Lucas ............... 261ENSP, EHESP, handicaps : travelling arrière, M. Legros ................................................ 262De l’ENSP à l’EHESP : quarante ans d’engagement pour la formation et la qualifi cation des directeurs d’établissements et services sociaux et médico-sociaux, J.-M. Gilbon ......................................................................................................................................... 265Les causes de la judiciarisation dans le secteur social et médico-social et particulièrement du handicap, J.-M. Lhuillier .......................................................................... 267Quelle place pour le handicap dans une école de santé publique ? B. Lucas 270

Développer la recherche française en sciences humaines et socialessur le handicap. Les propositions de l’Observatoire national surla formation, la recherche et l’innovation sur le handicap (ONFRIH), Jean-François Ravaud, Vincent Boissonnat .................................................................................... 273

Une recherche qui n’a pas fi ni de s’inventer…, Marie-Aline Bloch ........................... 283

Maquette couverture : V. HélyeConception, réalisation : Presses de l’EHESP

Achevé d’imprimer sur les pressesde l’imprimerie Jouve à Mayenne

Dépôt légal : septembre 2010N° d’impression :

Imprimé en France

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