Hamevasser - copernic.paris · Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager •3 Religion et modernité....

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Le Messager Trimestriel • 2,50 septembre 2016 / Tichri 5777 n° 197 le magazine des fidèles de l’union libérale israélite de france Hamevasser www.ulif.org Religions & Modernité DOSSIER 500 ans du Ghetto de Venise Les Juifs d'Azerbaïdjan

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Le Messager

Trimestriel • 2,50 € septembre 2016 / Tichr i 5777n°

197

le magazine des fidèles de l’union libérale israélite de france

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www.ulif.org

Religions & ModernitéDOSSIER

500 ans du Ghettode Venise

Les Juifs d'Azerbaïdjan

Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 3

Religion et modernité. Modernité et religion. Ces deux mots peuvent-ils se comprendre, se répondre, se compléter, cohabiter ?

A priori non, et nous le voyons et le vivons tous les jours. Il ne s’agit pas uniquement de la barbarie meurtrière de certains ignorants de leur propre religion. Il s’agit aussi de la pratique pacifique, mais rigoriste des trois principales religions monothéistes qui nous entourent : condition dégradante des femmes, célibat des prêtres, etc. Et plus près de nous, certains mouvements juifs ultra religieux, qui empêchent leurs enfants d’utiliser internet, de regarder la télévision, d’étudier les matières profanes telles que, par exemple, les sciences naturelles et qui en font des handicapés de la vie moderne.

Et pourtant, une pratique ouverte de la religion, juive comme celle que nous pratiquons à Copernic ou ailleurs, chrétienne, musulmane, peut très bien non seulement intégrer ses membres dans la vie moderne, mais lui apporter ses meilleurs fondements.

Ces thèmes et ces antagonismes sont le thème principal de ce numéro d’Hamevasser, qui donne la parole à des intellectuels juifs, mais aussi chrétiens et musulmans. Bienvenue à eux.

Jean-François Bensahel parle d’« ubérisation générale du crime contre l’humanité » et revient sur la notion restrictive de laïcité que nous avons largement débattue dans notre dernier numéro.

Philippe d’Iribarne, chrétien, directeur de recherches au CNRS, nous présente son dernier livre « chrétien et moderne ». Il y développe notamment que la modernité apportée par le droit et les institutions est insuffisante, si elle ne s’appuie pas sur une certaine manière d’habiter la condition humaine.

Ghaleb Bencheikh, que ceux qui regardent l’émission « Islam » sur France  2 le dimanche matin connaissent, nous donne une vision extrêmement claire sur la difficulté qu’a le monde musulman, aujourd’hui (ça n’a pas toujours été le cas), à vivre sa modernité par la conjonction du wahhabisme, des Frères musulmans et de la révolution de Khomeini.

Florence Heymann, chercheur au Centre de recherche français de Jérusalem, nous expose son dernier ouvrage « Les déserteurs de Dieu ». Elle analyse très finement les différents courants du monde orthodoxe et leur acceptation, ou non, de la société moderne.

Notre rabbin, Philippe Haddad, nous parle de son dernier livre « Elie et Jonas, prophètes de l’extrême », partant du constat que le monothéisme pouvait

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engendrer la violence s’il n’était pas encadré par la critique et l’interprétation de ses textes fondateurs.

Notre rabbin Jonas Jaquelin, en nous interpelant sur la nouvelle année qui s’ouvre, nous convie à l’espoir, intrinsèque à notre tradition, face à la montée de la violence. Il souligne également la façon dont Copernic a su évoluer aussi bien dans son dialogue avec les autres religions que dans son propre rite.

Nous abordons également ici, heureuse-ment, d’autres sujets.

Le grand écrivain israélien Amos Oz nous a fait l’honneur de nous présenter, lui-même dans notre synagogue, son dernier roman, Judas. Lucile Simon et Bertrand Granat nous relatent cette soirée unique à Copernic.

Michaël Bar Zvi, notre Rédacteur en chef, a interviewé Karine Tuil au sujet de son livre « l’Insouciance », Ariane Bendavid nous rend compte de l’histoire et de la vie actuelle des juifs en Azerbaïdjan et Keren Ramer nous rappelle l’histoire du ghetto de Venise.

Bien sûr, vous trouverez également dans ce numéro d’Hamevasser vos rubriques habituelles et le recensement de nos nombreuses activités.

A u n o m d u C o m i t é d e r é d a c t i o n d’Hamevasser et en mon nom personnel, je vous souhaite de bonnes fêtes de Tichri et une excellente année 5777, pleine de santé et de bonheur.

Bien amicalement

Richard Metzger,Administrateur et

Directeur de la publication d’Hamevasser

DR

A u s o m m m A i r E

Le Messager - Hamevasser est une publication de l‘Union Libérale Israélite de France - 24, rue Copernic - 75116 Paris - Tél. : 01 47 04 37 27 - Site internet : www.ulif.org - Directeur de la publication : Richard Metzger - Comité éditorial : Jean-François Bensahel, Odette Chertok « z"l », Michael Bar-Zvi, Richard Metzger. Rédacteur en chef : Michaël Bar-Zvi - Photos : ULIF, Patrick Altar, Claire Delfino, DR, sauf mention contraire - Couverture : Photos : Rafael Ben-Ari, Panithan

Fakseemuang, 123 rf et signelements. Illustrations : © Ranson - Conception graphique : Muriel Bloch-Michel - Régie publicitaire : Pierre LEVY - Tél. : 07 85 74 44 32 - [email protected]. Impression : ETC Inn Avenue des Lions Sainte-Marie

des champs - B.P. 198 76196 YVETOT Cedex - Tél. : 02 35 95 06 00 - E-mail : [email protected] - ISSN 0221-346X.

BV/CdC/2108260Remerciements à nos partenaires : AUJF, Casip Cojasor, Castaing Viagers, Herez, KIConseil, KKL, Lamartine, Maison funéraire Rogers Warga, MDA - Maguen David Adom, OSE - Oeuvre de Secours Aux Enfants, Salons Hoche.

Ce numéro de Hamevasser A éTé réAlisé AvEC lE souTiEn dE

Le mot du Président 4 à 5

dossiEr : lEs rEliGions ET lA ModErniTé 6 à 17

• Chrétien et moderneEntretien avec Philippe d’Iribarne 7 à 9

• Islam et la modernitéEntretien avec Ghaleb Bencheikh 9 à 11

• Je ne suis pas prophète mais la société ultra-orthodoxe devra forcément s’adapterEntretien avec Florence Heymann 11 à 13

• Dialogue autour du livre « Elie et Jonas, prophètes de l’extrême »avec le rabbin Philippe Haddad 14 à 15

• Nous ne pouvons pas transiger avec l’espoirEntretien avec le rabbin Jonas Jacquelin 16 à 17

lA fin dE l’innoCEnCE Entretien avec Karine Tuil 20 à 21

lE GHETTo dE vEnisEou le choix de « l’expulsion interne » des Juifs 22 à 23

HEurEux CommE uN JuIf EN azErbaïDJaN 25 à 27

EliE WiEsElLa Nuit 28

l’ulif ACCuEillE AMos oZ 30

BloC-noTEs 32 à 33Hamevasser a sélectionné pour vous

lE MAGEn dAvid AdoM Entretien avec Olivier Kaplan 34 à 35

dE rETour d’AssisE Un choc de conscience 36 à 37

infos CoMMunAuTAirEs 38 à 41• françois Curiel 38• Le premier Shabbat

de la fraternité 38• Talmud Torah 39• Cours et conférences 40 à 41• Les après-midis de Copernic 41• annonces 41

CArnET ET AGEndA 42

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Jean-François Bensahel,Président de l’ULIF

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Le mot du Président

IMPASSE dans la civilisation

L’idéologie de Daech, parce qu’elle est aussi une idéologie

du crime et des sous-hommes, toute arc-boutée contre les « infi dèles » juifs et chrétiens, les musulmans apostats, les occ ident aux s implement heureux de profi ter de la vie, a sans aucun doute libéré cette pulsion de mort. Elle absout et bénit ceux qui commettent en son nom des tueries, en leur donnant un sauf-conduit pour le paradis. Son programme est désespérément simple : faire le mal le plus terrible pour

Sans aucun doute le Père Hamel faisait le Bien. Il en est mort précisément.

on tue donc par tout des i n n o c e n t s : n o u s v i v o n s désormais une ubérisation générale du crime contre l’humanité.

Il faut cependant reconnaître que Daech et autres idéologies de la terreur islamiste ne sont pas les seules responsables de cette propension funèbre au massacre. Aux Etats Unis

Il faut accepter hélas, après cet été si meurtrier, après

ces deux dernières années si meurtrières,

de se rendre à l’évidence : notre si moderne civilisation est dans l’impasse. Dans le combat entre la pulsion de

vie et la pulsion de mort, cette dernière est en passe

de l’emporter. La 6e parole, le 6e commandement, "tu ne tueras pas",

"tu n’assassineras pas", et qu’Israël a apporté au

monde, est en train de céder. On se rappelle l’évidence,

qu’il n’y a rien de plus facile que de tuer un homme, que de tuer au hasard n’importe quel homme.

Par misanthropie pathologique, Céline, dans Voyage au bout de la nuit, avait déclaré que "l’amour

c’est l’infi ni (du bien) mis à la portée des caniches". Mais

c’est en fait l’assassinat, qui est l’infi ni (du mal) mis à la

portée des caniches.

accéder prétendument à la vie éternelle, agir en nihiliste et n’avoir de goût que pour la destruction, à l’opposé de ce que doit être la religion véritable, faire triompher le narcissisme et les ravages que, toujours, il provoque en mettant à bas toutes les règles sur lesquelles reposent la vie en société, jouir de la désolation et de la cruauté, jouir de la mort pornographiée, grâce à la technologie vidéo, à internet et autres supports.

Me revient cette phrase de Sartre, dans le Diable et le bon Dieu, lorsque l’un des protagonistes demande à l’autre « pourquoi faire le Mal ? », ce dernier lui répond : « Parce que le Bien est déjà fait ».

et pour ne donner que ce seul exemple, chaque année, on dénombre 12 000 morts et 25 000 blessés par fusillade. Evidemment le fait que chacun puisse porter une arme vaut explication. Mais le fait que, depuis l’adolescence, chacun puisse se distraire à des jeux vidéo ou internet de massacre, où l’on baigne dans la tuerie et dans le sang, et qui n’ont rien à voir avec nos petites parties bucoliques de soldats de plomb, ceci fi nit par faire sauter les verrous que la société avait posés sur la pulsion de mort.

Non, le bon sauvage n’est pas bon. Ce sont la culture, et les institutions de la vie en société, de la vie en commun, qui seules peuvent domestiquer et

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ot

du

Présidentjuguler la pulsion de mort. Ou

comme le dit le Talmud « s’il n’y avait pas l’Etat, les hommes s’entre-déchireraient ». Or force est de constater qu’aux Etats Unis, il n’y a pas beaucoup d‘Etat… et qu’en France, l’Etat, qui, pourtant, a le monopole de la violence légitime, a beaucoup faibli depuis 40 ans.

Mais l’individualisme absolu de nos sociétés ayant décrété qu’il ne pouvait y avoir de limites à l’hédonisme, à la jouissance de soi, au narcissisme, et la dérision devant toute forme d’autorité, a participé à la libération de la pulsion de mort, d’autant plus facilement que, corollaire, dans certaines familles, l’autorité et la simple éducation ont tout simplement disparu. Ne feignons donc pas d’être surpris et de nous réveiller surpris. Echec donc de l’individualisme comme idéologie et dont l’hédonisme pensait faire identifier la religion à un stade dépassé du développement de l’humanité.

Chassez le naturel, il revient au galop ! En france (mais aussi ailleurs), la question r e l i g i e us e e s t r e d e ve n ue d’actualité. Non seulement parce qu’une certaine partie des musulmans ne sait pas vivre dans notre laïcité, qui n’a cependant jamais été vraiment définie positivement, qui s’est contentée d’instaurer juridiquement la neutralité de l’Etat par rapport aux religions, mais parce que plus largement, chez certains, et regardez dans le monde juif également, et, quoiqu’à une moindre mesure,

dans le monde chrétien, la religion tient lieu de seule identité : toutes les autres identités se sont effondrées, et leur intériorité se réduit à un appartement à une pièce. Quelle pauvreté !

l’Etat et la religion comme fait social sont dans un rapport inversé : quand l’un est faible, l’autre est fort, et vice-versa. Voilà pourquoi, car l’affaiblis-sement de l’Etat en France est un processus historique, dont le surendettement de la puissance publique est l’un des marqueurs, mais non le seul, nous allons devoir réapprendre à vivre en France avec cette question religieuse. La laïcité à la française, qui est pourtant la seule façon de ne pas tenir compte des particularités de chacun, mais de leurs seuls mérites et talents, et qui est donc une pensée de l’universalité de l’homme, est d’autant plus incapable d’endiguer la montée de la température religieuse qu’elle n’a jamais été au fond pensée positivement, mais uniquement dans sa neutralité, dans sa négativité. C ’est à l’évidence un travail urgent à faire.

D’ici là, nous avons nous, juifs libéraux, une obligation : démontrer qu’une religion sait être ouverte, active, engagée dans le monde et dans la société pour qu’y triomphe la pulsion de vie, qu’elle n’est pas une monomanie de l’identité, qu’elle n’est pas régressive, et obnubilée par elle-même comme institution, et par le retour à une origine fantasmée,

opposée au flux de l’histoire qui fait que chaque jour est différent d’hier, qu’elle comprend la nécessité d’actualiser son message, qu’elle doit récuser définitivement toute tentation de monopole et d’exclusive, mais sait vivre dans un contexte de pluralisme, avec un seul objectif : ne pas réduire l’autre à un autre moi-même ou à un ennemi de moi-même, mais savoir lui faire une place et l’aimer pour ce qu’il est. N’est ce pas le projet originel d’Israël ?

C ’est la force du judaïsme libéral que de s’être posé et confronté à ces questions depuis 200 ans. Dans l’urgence absolue qui est la nôtre, en France et ailleurs, ce judaïsme-là peut donner à réfléchir à tous ceux que la question religieuse inquiète ou intéresse. C’est parce que la France a tant besoin de ce judaïsme-là que nous construirons un nouveau Copernic à la hauteur de cette nécessité.

les défis sont donc nombreux. soyons prêts à les relever tous ensemble, et à accepter notre responsabilité historique. nous aurons besoin de beaucoup de force, de détermination et de sérénité.

Puisse cette nouvelle année vous donner à vous et à vos familles une vie pleine, rayonnante, heureuse, paisible. Qu’elle soit pour vous une année de paix et une année d’engagement. ■

Chana tovaGmar ‘hatima tovah

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Président

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André Malraux avait prédit que le vingt-et-unième siècle serait religieux, mais avait-il

envisagé que ce retour se ferait dans le fracas des armes, dans le rejet des acquis sociaux et moraux et dans la sacralisation de la violence ? A l’évidence les religions se fondent sur un absolu, une transcendance, un mystère, qui ne s’accommodent pas forcément avec la modernité dont les principes sont la raison, la réflexion critique, et l’adéquation aux évolutions du monde qui nous entoure. Est-il possible de concilier une vie moderne avec

DOSSIER

Les religions et la modernité

les prescriptions d’une pratique religieuse ? La modernité et la religion sont-elles obligatoirement, par essence, en situation de conflit ou bien y-a-il une voie de dialogue qui permette de les concilier. Telles sont les questions, et bien d’autres, qui nous tourmentent dans la crise morale et spirituelle que nous traversons. Pour y répondre nous avons voulu entendre les voix de personnalités issues des trois grandes religions : Philippe d’Iribarne, Ghaleb Bencheikh, Florence Heymann, les rabbins Philippe Haddad et Jonas Jacquelin.

Michaël Bar-Zvi

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Chrétien et moderne■ Entretien avec Philippe d’Iribarne

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Ingénieur diplômé de l’École Polytechnique (promotion 1955), de l’École des mines de Paris (1960) et de l’Institut d’études politiques de Paris (1960), Philippe d’Iribarne est directeur de recherches au CNRS. Il vient de publier un ouvrage captivant sur la modernité et le christianisme « Chrétien et moderne », (Gallimard). Il a répondu aux questions de la rédaction d’Hamevasser.

Hamevasser : Vous avancez dans votre livre l’idée que la religion et la modernité ne se trouvent plus dans un rapport de conflit mais dans ce que vous appelez une « confrontation fraternelle », pouvez-vous nous expliquer ce concept ?

Philippe d’Iribarne : Je reprends une idée développée par Franz Rosenzweig, dans « L’étoile de la rédemption » à propos des rapports entre judaïsme et christianisme. Dans une telle rencontre il s’agit ni de chercher à détruire l’autre ni de faire preuve à son égard d’une complaisance aveugle, mais d’être à la fois ouvert, intéressé à ce qu’il apporte, et critique quand on estime avoir de bonnes raisons de l’être. Dans cette perspective, « amour et vérité se rencontrent ». Ce n’est pas que la religion et la modernité se trouvent dans un tel rapport, mais je souhaiterais qu’elles le soient plus.

H : Le projet de la modernité est fondé sur l’hypothèse d’une humanité en progrès, aussi bien sur le plan de la réussite personnelle que sur l’égalité dans les sociétés, tandis que la religion chrétienne repose sur la charité, l’amour du prochain et l’espérance d’une vie meilleure dans l’au-delà, comment peut-on concilier ces deux projets, radicalement différents sur le plan des valeurs ?

P.D.I. : Pour différents qu’ils soient, ces projets ont des points de convergence,

en tout cas dans leur élan fondateur. Les Lumières retrouvent le rejet, si présent chez Jésus, des préjugés source d’inhumanité (cf. l’attitude de Jésus face aux samaritains, aux publicains, au sabbat, etc.). Dans leur devenir historique, le christianisme comme la modernité ont été peu fidèles à cette exigence. Ils ont beaucoup à attendre en la matière d’une critique mutuelle les ramenant à leur fondement. Par ailleurs, dans son souci de construire un monde

volonté d’émancipation a dégénéré parfois en régimes de dictature et en idéologies totalitaires, mais de son côté la religion n’a pas toujours servi de bouclier aux pires extrémismes, et même souvent les inspire, comment peut-on éviter ces dérèglements d’idées justes à des fins meurtrières ?

P.D.I. : La capacité des humains à détourner les démarches les plus porteuses d’idéal pour asseoir leurs desseins les plus noirs est infinie. Bien sûr les religions n’y échappent pas. Heureusement, quand ces dérives se produisent, des hommes se lèvent pour appeler à retrouver l’inspiration première. Cela a été, au cours de l’histoire, le cas des prophètes d’Israël

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Philippe d’Iribarne

meilleur, où la fraternité accompagne la liberté et l’égalité, la modernité a trop cru que le droit, les institutions pouvaient suffire. L’expérience a montré combien l’accomplissement de ce projet a besoin de s’appuyer sur une manière d’habiter la condition humaine qui ressemble à celle que Jésus propose. Cela est spécialement vrai pour le regard porté sur ceux qui sont en situation de faiblesse, la mission donnée aux puissants de servir ou encore le rapport à celui que l’on n’aime pas, qui vous fait du mal, qui vous choque, que l’on est tenté de chercher à détruire.

H : Vous pointez à juste titre les échecs nombreux de la modernité, dont la

et des saints chrétiens. Grâce à eux, les chutes se produisent certes, mais ne sont pas irrémédiables.

H : Vous portez un regard très critique sur la postmodernité et la déconstruction identitaire qu’elle engendre, la religion peut-elle aider à reconstruire ces personnalités en perdition ?

P.D.I. : A cet égard, les diverses religions se trouvent actuellement dans des positions très différentes. L’islam est en pleine affirmation identitaire, d’où son pouvoir d’attraction. Le christianisme est, au contraire, dans une débâcle identitaire. Une identité qui prévalait jusqu’au milieu du siècle

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dernier, centrée sur le culte, le dogme, le souci de l’au-delà, s’est profondément effritée. Une nouvelle identité se cherche, fondée sur l’engagement au service des pauvres, le combat pour la justice, l’ouverture à tous les hommes au-delà des cultures et des religions. Mais, sur ce terrain, le christianisme tend à se dissoudre dans un humanisme indifférent à la religion ou du moins une spiritualité post-religieuse.

On voit parfois affirmer que l’identité chrétienne est de ne pas avoir d’identité. Tout ce qu’a de spécifique le message chrétien en matière d’habiter la condition humaine, avec ce qui en résulte pour la vie de la cité, n’est pas perçu. Il me semble que le judaïsme est en situation intermédiaire avec à la fois un fort courant identitaire et un fort courant humaniste postmoderne.

H : La modernité que vous désignez comme le « rêve illusoire d’une société hors-sol » s’est éloignée, non seulement des vertus cardinales et théologales, mais également des valeurs de solidarité envers les pauvres, les démunis, les handicapés, les personnes âgées, la religion peut-elle aider le monde moderne à retrouver le sens de l’humilité ?

P.D.I. : Effectivement, le projet moderne d’émancipation à l’égard de toute forme de dépendance a conduit à jeter un regard cruel sur ceux qui ne ressemblent pas à l’idéal de l’individu émancipé. Même quand une certaine solidarité est mise en œuvre, à travers de multiples prestations, ceux qui sont aidés ne se sentent pas considérés comme des citoyens ordinaires. Il y a dans le projet radical d’émancipation un écho à la parole du tentateur « vous serez comme des Dieux » qui conduit à regarder comme des sous-hommes ceux qui dépendent. L’héritage biblique nous met en garde contre cette tentation. Mais renoncer à une émancipation radicale, y compris à l’égard de Dieu, suppose une forme de deuil que beaucoup de modernes ne sont pas prêts à faire.

H : Peut-on encore aujourd’hui échapper à la puissance de l’économie, et revenir à un monde plus juste, n’est-ce pas un peu naïf ?

P.D.I. : A toute époque, les religions et le christianisme en particulier, ont eu à s’incarner dans des sociétés fondées sur des perspectives qui leur étaient étrangères - songeons déjà au monde romain. Le christianisme n’est jamais arrivé à transformer radicalement les sociétés où il a pris corps. La chrétienté a été tout autre chose qu’une pure incarnation d’un esprit évangélique. Le millénarisme, qui imagine l’avènement d’une société vraiment chrétienne, relève de l’illusion. Mais la perspective chrétienne a travaillé nos sociétés - je pense par exemple à la transformation de la notion d’honneur qui s’est produite dans le monde chrétien, transformation

par la modernité que de trop lui résister. Les prophètes d’Israël ont constamment mis en garde le peuple hébreu contre la tentation de s’adapter au monde et leur leçon n’a pas perdu son actualité. Ceci n’empêche pas que les chrétiens ont besoin, à toute époque, de s’interroger sur leurs propres dérives. Sans doute ont-ils été atteints, spécialement l’Eglise catholique au cours des deux derniers siècles, par une polarisation excessive sur le registre du dogme, s’éloignant ainsi de l’esprit des Evangiles. Mais ces dogmes récents, tels l’infaillibilité pontificale ou l’Assomption, peuvent difficilement être regardés comme des dogmes fondamentaux. Les Apôtres n’en avaient sûrement pas la moindre idée. Si l’on remonte dans l’histoire, la rencontre du monde grec a sûrement incité l’Eglise primitive à développer une activité dogmatique excessive à l’égard du message originel du Christ. De nos jours, le retour à l’Ecriture tend à prêter moins d’attention à ces dogmes.

H : Face à la montée de l’intégrisme, dont elle est aujourd’hui aussi la cible, la religion chrétienne n’est-elle pas aujourd’hui aussi désarmée que le monde démocratique ? Quel rôle peut-elle jouer en ce domaine ?

P.D.I. : Le monde démocratique a trouvé une solution efficace, à l’époque des Lumières, pour sortir des guerres de religion entre catholiques et protestants : la mise en place d’une sphère publique neutre par rapport à la diversité des religions combinée avec une certaine relégation des religions dans une sphère privée. Son erreur a été d’imaginer qu’il y avait là une solution de portée générale à la coexistence entre religions. Certes, le judaïsme s’en est largement accommodé.

Mais il n’en va pas de même pour l’islam, intimement lié à un projet conquérant qui entend s’imposer au monde. La prise de contrôle par les salafistes des populations d’origine musulmane dans les quartiers où elles sont en grand nombre est un moyen au service de ce projet, de même que les intimidations des professeurs dont les enseignements sont peu conformes à la vision du monde

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qui a conduit à lier l’honneur à une attitude responsable et à le délier de la vengeance quand on est insulté. Aujourd’hui, nous n’échapperons pas par magie à la puissance de l’économie. Mais prendre conscience de la forme d’idolâtrie qui alimente cette puissance peut aider à percevoir l’ampleur de ses effets mortifères et donc à s’en détacher progressivement.

H : Est-il possible pour la religion chrétienne de s’adapter à la modernité sans remettre en cause ses dogmes fondamentaux ?

P.D.I. : Le christianisme n’a pas à s’adapter à la modernité, mais à faire preuve de discernement à son égard, en étant attentif à ses lumières comme à ses ombres. Sa tentation actuelle me paraît être plus de se laisser intimider

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propre à l’islam, la défense du droit des musulmans à arborer des tenues islamiques ou encore le terrorisme. Une bonne partie des personnes de tradition musulmane se sont sans doute converties aux idéaux démocratiques, et pratiquent un islam de compromis. Mais une partie significative n’est pas prête à

se détourner de l’islam des origines et considèrent que les tièdes ont apostasié. Le monde démocratique est désarmé car, dans ses catégories politiques et juridiques la religion est une affaire d’individus qui ont des droits. Quant au monde chrétien occidental, il est, pour l’essentiel, tellement désireux d’éviter

d’être accusé de fermeture à l’autre qu’il refuse de regarder l’islam en face, même quand un prêtre est égorgé au nom d’Allah. Il n’est pas prêt à aider les musulmans à s’écarter de l’image qu’ils se font de Dieu. Les mouvements évangéliques sont pour le moment bien seuls dans leur effort missionnaire. ■

Islamologue né à Djeddah, Ghaleb Bencheikh, fils de l’ancien recteur de la Grande mosquée de Paris est docteur en sciences physiques, a étudié également la philosophie et la théologie. Animateur de l’émission Islam sur France 2, puis de Cultures d’islam sur France Culture, il est le président de la Conférence mondiale des religions pour la paix. Il a répondu à nos interrogations sur la façon dont l’islam vit la modernité, à travers ses déchirures et ses luttes internes.

Hamevasser : Nous avons l’impression que de toutes les religions monothéistes c’est l’islam qui a le plus de difficulté avec la modernité, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Ghaleb Bencheikh : Vous avez sans doute raison et sans vouloir débattre sur

L’islam et la modernité■ Entretien avec Ghaleb Bencheikh

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le concept de modernité, si l’on adopte une vision séquentielle de l’histoire il y a plusieurs moments : l’Antiquité, le Moyen-Age, la Renaissance, la rationalité avec l’autonomie du sujet, la raison critique, les Lumières, et les maîtres du soupçon que sont Marx, Nietzsche et Freud. Au cours de ces séquences beaucoup d’idées et de croyances ont été bousculées, et il est clair que la séquence moment Descartes/moment Freud a été totalement ratée en contexte islamique. Au lieu de la rattraper, de l’ingérer, de la dépasser, de la critiquer ou de proposer autre chose, hélas ! Mille fois hélas ! L’islam s’est recroquevillé sur une vision du monde qui considère qu’avant la révélation coranique régnait l’obscurantisme et que depuis l’Hégire en 622 nous sommes

entrés dans une nouvelle ère, éclairée uniquement par la révélation. A mon avis cette vision est mortelle, elle n’est pas comme on dirait en allemand une Weltanschauung mais elle instaure une véritable arriération pour le monde musulman. Tant qu’on ne sort pas de la raison religieuse dévote, de la pensée magique, tant qu’on ne se soustrait pas de l’argument d’autorité et qu’on reste dans une vision superstitieuse de la vie, on continue à patauger dans la non-modernité.

H : Pourtant en son temps, au Moyen-Age l’islam avait su intégrer la philosophie grecque, Aristote, Platon, dans son corpus de pensée ? Pourquoi n’est-ce plus le cas aujourd’hui ?

G.B. : C’est tout à fait vrai et beaucoup de gens l’ignorent. Il faut s’entendre sur le terme modernité, car si je suis l’étymologie du mot, est moderne celui qui suit son mode et non celui qui suit la mode, dont la caractéristique est d’être par définition dépassée à un moment ou un autre. Suivre son mode, se hisser aux exigences de son temps, être en adéquation avec son époque c’est cela pour moi être moderne, et il y a toujours eu, y compris en contexte islamique, une querelle entre les anciens et les modernes. Aujourd’hui la voix des modernes n’est plus prépondérante, ne porte pas assez haut dans le vacarme tumultueux et le tintamarre des fondamentalistes, des extrémistes, des idéologues et des sermonnaires. Ce qui est étonnant, au regard de l’histoire c’est que l’explication par le déphasage de sept siècles (comme si nous étions, en comparaison avec le christianisme, à la veille de l’Inquisition) ne tient pas la route. A une ère de globalisation et de mondialisme, l’idée d’un déphasage dans le temps est absurde, comme si

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demain les musulmans allaient par enchantement s’émanciper de tous ces maux. C’est stupide, car comme vous le dites, il y a eu une civilisation impériale brillante qui s’inspirait d’un esprit moderne au sens où je l’ai indiqué ci-dessus. Cet esprit de modernité s’exprimait par une liberté de conscience, sans faire pour autant de parachronisme. A titre d’exemple, Al Mamoun, fils de Haroun Al Rachid, qui régna de 813 à 833, instaura, suite à un rêve sur Aristote, la Maison de la Sagesse à Bagdad, dans lequel se déroulaient des controverses, où on ne prenait pas ses propres références comme base de discussion, mais on laissait l’arbitrage à l’entendement. Juifs, chrétiens, musulmans et hérétiques débattaient dans ce lieu en toute liberté de conscience. Ce fut le berceau des Banou Moussa, les mathématiciens musulmans. Tout cela a pu se faire parce qu’il y avait un engouement pour la culture classique et une ouverture sur la sagesse grecque, sur la science des Indes et de Chine. L’idée qui présidait lors de ces controverses était de ne pas se replier sur ses propres vérités. Les philosophes néo-platoniciens musulmans Alkindus, Avicenne, Averroès nous avaient appris des choses, comme par exemple l’enseignement d’Alfarabus désigné par Maïmonide comme le second maître, dans la Cité vertueuse, selon lequel le bonheur peut être atteint sans le recours à la révélation. La conquête du bonheur est essentiellement une affaire humaine, il s’agit d’une spéculation purement rationnelle. S’il y avait un antagonisme entre la foi et la raison, celle-ci devait prendre le dessus. Averroès, qui vécut de 1126 à 1198, énonce dans son Traité décisif une fatwa, à savoir un avis ou une réponse de savant et non un anathème comme on l’entend aujourd’hui, selon laquelle s’il devait y avoir une contradiction entre les données révélées dans leur sens obvie et la démonstration philosophique c’est à la révélation de céder le pas à la philosophie, parce que la vérité ne contredit pas la révélation mais l’accompagne et témoigne pour elle. Ce texte est d’une hardiesse particulière, qu’on n’ose même pas imaginer aujourd’hui.

H : Comment expliquer que ces voix-là ne sont plus entendues ou ne s’expriment pas et que l’on n’entend que les voix des fondamentalistes ?

G.B. : Il y a eu malheureusement une régression dans la régression, suite à une apogée civilisationnelle qui a culminé avec Soliman le Magnifique, au xvie siècle en Turquie. Cinq ans après sa mort en 1566, la bataille de Lépante mettra un terme à la thalassocratie musulmane, à savoir le

publié un ouvrage intitulé « pourquoi je suis athée », et que lui est-il arrivé ? L’a-t-on pendu, bastonné ou brûlé ? Pas du tout, il est mort de sa belle mort. On lui répondit par un ouvrage intitulé « pourquoi je suis croyant ». L’Egypte des années 30-40 était le théâtre de débats intellectuels sur les questions de foi. C’est inimaginable maintenant, et on peut dire que par rapport aux années 30-40 la régression s’est encore aggravée. On le constate dans tous les

pouvoir sur les mers, et notamment la Méditerranée. C’est le début du déclin et de la régression du monde musulman, qui va petit à petit développer une aptitude à être colonisé. La colonisation va plonger le monde musulman dans une profonde léthargie. Ce sont les facteurs endogènes de la régression, qui ont été alimentés par des raisons extrinsèques. En dépit de tout cela dans les années 30-40 il allait y avoir, dans le sillage du mouvement de la Nahda, la renaissance (avant que l’expression ne soit récupérée par les mouvements politiques) un véritable intérêt pour les idées modernes, en particulier en Egypte, au Liban et en Syrie. En 1937 un certain Ahmed Adel Adhan a

domaines, y compris les arts. Nous n’avons plus une Oum Kalsoum, un Farid el Atrach, Abel Halil Hafez, au mieux un peu de musique raï. Les âmes ne sont plus flattées par l’élévation spirituelle ou la création artistique.

H : Comment est né l’islam politique ou ce que l’on appelle maintenant l’islamisme ?

G.B. : Le suffixe « isme » étouffe en général la racine et donc l’islamisme étouffe l’islam en réalité. En fait les musulmans pâtissent de trois maux qui sont : le wahhabisme, les Frères musulmans et la révolution de Khomeini. Les trois réunis donnent la situation que nous connaissons. On

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réalise aujourd’hui que le wahhabisme est une secte dangereuse. Lors d’un Congrès, qui s’est tenu en août dernier à Grozny, plus de 200 théologiens musulmans du monde entier ont décrété solennellement que le wahhabisme est une hérésie du point de vue de l’islam, et surtout qu’il ne peut être conforme au sunnisme. Cela a provoqué un tollé en Arabie saoudite et chez le grand Mufti de La Mecque. Les Frères musulmans ont été fondés par un jeune instituteur, Hassan al Bana, qui a vécu, à tort, l’abolition du Califat 1924 comme un traumatisme. Il a voulu réagir quatre ans plus tard, alors qu’au même moment des intellectuels musulmans avaient regretté que l’abolition fût aussi tardive. Il n’avait cure de l’ouvrage d’Ali Abdel Razi, « L’islam et les fondements du pouvoir », qui démontrait avec des arguments théologiques et intellectuels que le Califat n’avait aucune valeur sacrale, qu’il n’est pas institué par le Coran. Les musulmans peuvent être musulmans sans le Calife. Le Califat n’est qu’une construction humaine. Le khomeinisme est tout simplement une escroquerie morale, qui affirme que l’islam est la solution aux maux de la société moderne, et ce discours a même séduit certains intellectuels de gauche en France comme Michel Foucault. Ils nous enjoignaient d’aller écouter le message de ce vieux sage mystique à Neauphle le Château. Il instaura un régime, qui est une pure hérésie par rapport à l’islam, mais surtout il commença à exporter la dite révolution. Cette volonté de propager cette vision de l’islam à travers le monde a crispé les Saoudiens et a réveillé l’antagonisme entre les sunnites et les chiites, et on voit aujourd’hui sur quoi cela aboutit. Contrairement à ce qu’on pourrait croire cette haine est relativement récente. S’ajoute à cela l’état déliquescent du monde arabe et l’idée de gouverner selon ce que Dieu a prescrit, qui est une stupidité terrible, en se fondant sur un passage dans lequel il est dit stricto sensu qu’il faut arbitrer ou juger et non gouverner, et sans tenir compte des circonstances de la révélation ou des relations de filiation avec la législation hébraïque de Moïse. Le khomeinisme a enraciné la devise selon laquelle les gouvernements qui ne gouvernent pas selon la loi islamique

sont mécréants. Dans les constitutions des Etats islamiques, l’article 2 dit que l’islam est la religion d’Etat, or un Etat est aconfessionnel, par définition. La réunion de ces trois facteurs, dont chacun est une tragédie en soi, explique le chaos et la crise actuelle du monde arabo-musulman..

H : On a l’impression que, contrairement au judaïsme qui a donné une large place à l’interprétation et à la tradition orale, l’islam reste figé dans une approche purement « juridique » de la religion, pourquoi est-il si difficile pour les musulmans de faire ce travail ?

G.B. : Vous avez raison et d’ailleurs la Charia, qui ne veut rien dire d’autre que la loi et s’applique à toutes les lois, y compris celles qui ne proviennent pas de l’islam, est une construction humaine. Le fait qu’il y ait quatre écoles juridiques est la preuve flagrante qu’il n’y a pas une approche univoque de la loi coranique. Ces docteurs de la loi s’appuient sur les 200 versets prescriptifs ou normatifs, parmi les 6 236 que comporte le Coran, pour livrer leur interprétation. Le reste du texte est descriptif, cosmogonique, spirituel, épique ou prophétique. La Charia a été élaborée par ces écoles pendant une longue période et cela montre qu’elle est une construction humaine, fruit du travail de réflexion de ces écoles. Les Omeyades ont d’ailleurs gouverné pendant plus d'un siècle d’une manière a-islamique, puisque la Charia n’était pas encore établie. Même si l’on voulait appliquer à la lettre la Charia selon les quatre écoles, elle ne nous dirait rien sur le droit des affaires, les arsenaux militaires, le nucléaire, l’écologie, la bioéthique, mais uniquement sur les personnes, les minorités, la dhimmitude, la tétragynie. Il me paraît important pour accomplir ce travail d’herméneutique de « déjuridiciser » la révélation coranique pour laisser place au droit positif.

H : Comment expliquez-vous l’attirance des jeunes musulmans pour ces idéologies mortifères se réclamant de l’islam ?

G.B. : Le phénomène a plusieurs causes et non une seule. Je n’adhère pas à l’explication sociologisante, mais elle a sa part. Il y a d’autres strates : politique,

géostratégique, psychanalytique, nihiliste, apocalyptique, millénariste et théologique. Aucune de ces strates ne peut expliquer le phénomène dans son ensemble, mais si on les superpose on peut comprendre comment la fascination destructrice s’instaure chez ces jeunes. Plus la violence est mise en scène, théâtralisée, plus elle frappe l’imaginaire de personnes fragiles d’esprit. Il y a une captation des consciences par la culpabilité et la menace d’un châtiment. Pour ces jeunes l’islamisme est un moyen de rupture avec la société et avec leurs familles. Afin de sortir de cette crise je pense qu’il y a trois chantiers à mettre en œuvre : tout d’abord cesser de criminaliser l’apostasie, c’est-à-dire respecter la liberté de conscience, puis lutter pour la reconnaissance de l’égalité fondamentale entre les êtres par-delà les appartenances confessionnelles ou le genre et enfin la désacralisation de la violence, c’est-à-dire cesser de croire à son efficacité à terme et de penser qu’elle est commanditée par la transcendance. ■

Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

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Licenciée de Lettres modernes, de sciences

du langage, d’anthropologie, titulaire d’un

doctorat de sociologie, Florence Heymann est

actuellement chercheur au Centre de recherche

français de Jérusalem. Elle travaille notamment

Je ne suis pas prophète mais la société ultra-orthodoxe devra forcément s’adapter■ Entretien avec

Florence Heymann

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sur les problématiques des cadres familiaux de la mémoire, des constructions et changements identitaires des groupes sociaux et des changements dans les identités religieuses et le rapport au religieux en Israël. Elle vient de publier un ouvrage « Les déserteurs de Dieu » chez Grasset et a accepté de nous faire part de ses réflexions sur les rapports du monde orthodoxe à la modernité en Israël.

Hamevasser : Comment se pose la question de la modernité dans le monde juif orthodoxe ? S’agit-il d’un rejet pur et simple ou s’efforce-t-il de l’intégrer progressivement ?

Florence Heymann : D’abord, il faut bien voir que le monde orthodoxe est loin d’être uniforme. Par exemple, les « datiim léumiim », les nationaux religieux que l’ont reconnaît à leur kippot crochetées, sont orthodoxes du point de vue de la Halakha, mais sont totalement intégrés dans la vie moderne et dans l’Etat d’Israël. Leurs enfants fréquentent les écoles publiques religieuses, où les matières juives tiennent une place importante, mais le reste du cursus est identique à celui suivi dans les écoles publiques non religieuses. Ils ne pratiquent pas la séparation des sexes dès l’âge le plus tendre. Ils accomplissent leur service national et sont réputés avoir remplacé la jeunesse des kibboutzim des années 50-60 dans les unités d’élite de l’armée. Il s’agit donc d’une catégorie d’orthodoxes, environ 18 % de la population juive d’Israël, qui est à tous points de vue très ouverte sur le monde.

H : Qu’en est-il des autres courants de l’orthodoxie ?

F.H. : Les Haredim ne forment pas non plus un courant homogène. Ils se composent de dizaines voire de centaines de courants qui s’inscrivent sur un spectre qui va de la pratique la plus radicale - avec l’ajout d’interdits toujours plus nombreux - à une observance plus modérée par ceux qu’on appelle les « ultra-orthodoxes modernes ». Si l’on devait classer les

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Florence Heymann

trois groupes principaux de haredim - les Lituaniens, les Hassidim et les Sépharades - dans leur rapport à la modernité, les Lituaniens apparaîtraient comme plus ouverts dans la mesure où ils tendent à accueillir les ultra-orthodoxes venus de l’étranger où la ghettoïsation est moins acceptée et donc moins hermétique. Ils ont eu un certain contact avec la société moderne et importent avec eux cette ouverture dans leur communauté d’adoption en Israël. Pour ce qui concerne les ultra-orthodoxes séfarades, ils ont aussi un pied dans la modernité par le biais de leurs familles souvent très

élargies avec lesquelles le lien n’est jamais rompu, même lorsque le degré de pratique est différent. Le niveau d’observance n’est que très rarement un motif de rupture totale avec la famille, valeur fondamentale et pilier de leur communauté, contrairement à ce que l’on constate dans les communautés à dominante ashkénaze. Ainsi les Hassidim sont de loin les plus réfractaires à la modernité, excluant de manière catégorique toute personne ne se conformant pas à leurs dogmes, comme le firent notamment de nombreux « Hozrim beTchouva1 » dans les années 60 et 70 qui coupèrent

1 Personnes qui décident de suivre l’observance religieuse, soit parce qu’ils l’avaient abandonnée soit parce qu’ils ne l’avaient jamais pratiquée auparavant.

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totalement les ponts avec leur famille.

H : Ces différents courants sont donc proches et différents à la fois. Sont-ils en compétition les uns par rapport aux autres ?

F.H. : Absolument, ils se mènent de véritables guerres internes, qui se répercutent sur tous les moments de la vie : le choix des époux, l’inscription des enfants à l’école, la certification de cacherout, l’entrée dans les yechivot qui se veulent plus ou moins prestigieuses. S’il règne une grande solidarité entre les membres d’une même communauté, ce qui est perçu comme différent est systématiquement rejeté, de sorte que l’ensemble est très compartimenté.

H : La modernité, devenue de plus en plus intrusive par les nouveaux moyens de communication, est certainement perçue comme une agression ?

F.H. : En théorie, l’utilisation des télévisions, ordinateurs et Smartphones est précisément réglementée par chaque communauté et très généralement interdite. La presse généraliste et l’accès à internet sont considérés comme des portes ouvertes sur le péché, source de dégradation morale et spirituelle. Les ultra-orthodoxes communiquent donc par le biais de leur propre presse constituée d’hebdomadaires, mais aussi de feuilles volantes distribuées ou affichées sur le mur de leur quartier. Ont été recensés des cas d’exclusion de jeunes ultrareligieux pour avoir utilisé un Smartphone, et ce après consultation du rabbin de la communauté. Ces jeunes se sont retrouvés à la rue du jour au lendemain, livrés à eux-mêmes.

H : Ne pensez-vous pas cependant que le monde ultra-orthodoxe évolue dans son rapport au monde extérieur ? N’est-ce pas au fond le grand défi des prochaines décennies pour le monde juif ?

F.H. : En effet, on peut observer une grande mutation. Il devient p r e s q u e i m p o s s i b l e d e f a i r e totalement abstraction des moyens de communication modernes. C’est pourquoi la plupart des foyers sont dotés d’ordinateurs et utilisent internet, grâce à des fournisseurs d’accès « cacher » qui

sous le contrôle de rabbins, posent les filtres empêchant l’accès à des sites dont le contenu est considéré comme illicite. À terme, le monde haredi pourrait même constituer son propre réseau internet et un équivalent de facebook. Les « ultra-orthodoxes modernes » sont les pionniers en la matière. S’ils refusent d’être étiquetés comme tels, ils adoptent un mode de vie moins austère, avec une mode vestimentaire recherchée, des perruques stylisées. Ils sortent plus volontiers notamment au restaurant,

les communautés ultrareligieuses et a commencé d’intervenir notamment par l’allocation d’une aide financière de 3 millions de shekel (environ 700 000 euros) à un centre d’accueil - un appartement pour 12 personnes à Jérusalem - géré par l’association Hillel, qui permet de recueillir ces personnes en détresse financière et psychologique totale. C’était une bonne initiative d’autant que, sans pouvoir les dénombrer avec précision, on sait que de nombreuses personnes qui n’adhèrent plus aux conceptions ultra-orthodoxes restent dans leur communauté, faute d’avoir les moyens d’en sortir. Ils mènent une forme de double vie qui tend parfois à la schizophrénie. Malheureusement, aujourd’hui le gouvernement a décidé de procéder au financement d’écoles religieuses dans lesquelles les matières fondamentales ne sont pas enseignées et qui créent des individus sans bagage profane et donc de potentiels marginaux. De plus, c’est un lieu commun, en décalage manifeste avec la réalité observée sur le terrain, que de dire que les études talmudiques constituent une formation de qualité réutilisable pour l’étude de matières cartésiennes. Même intelligents, les « sortants » ont un retard gigantesque à rattraper pour s’intégrer au monde civil. Donc, cette dernière décision n’est pas de nature à encourager l’ouverture à la modernité.

H : Jusqu’où, selon vous, peut aller ce mouvement d’ouverture ?

F.H. : Je ne suis pas prophète, mais le monde haredi doit continuer de s’adapter, ne serait-ce que pour éviter de nombreux départs dus en partie aux conditions de vie très strictes dans leurs communautés et aussi pour ne pas être totalement rejeté par la société israélienne qui ne supportera jamais une théocratie juive. Mais les choses bougent beaucoup et parfois dans des directions surprenantes : un ultrareligieux a ouvert chez lui un sex-shop où les haredim peuvent librement acquérir des sextoys dont la particularité est de ne pas comporter de photo ou de texte « offensants ». Comme quoi, tout est possible ! ■

Propos recueillis par Keren Ramer

les hommes travaillent et les femmes accèdent à des emplois plus qualifiés qu’auparavant. Ces dernières, d’ailleurs plus actives et donc plus intégrées que les hommes dans le monde moderne, sont les principaux moteurs de ce changement.

H : Comment pensez-vous que l’on puisse encourager ce mouvement ?

F.H. : Je ne crains pas de dire que le monde haredi fonctionne comme une secte même si cela est très chargé négativement. Et la démographie joue en sa faveur : les ultra-orthodoxes constituent actuellement 33 % de la population de Jérusalem, 10 % de la population juive du pays et grâce à un taux de fécondité de 7 enfants en moyenne par famille, contre 2,1 dans une famille israélienne moyenne, la place qu’ils occupent dans la société est sans cesse grandissante. Ces dernières années, le gouvernement israélien a pris conscience du problème des « sortants » (un tiers de femmes et deux tiers d’hommes) qui quittent

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Dialogue autour du livre « Elie et Jonas, prophètes de l’extrême »■ avec le rabbin Philippe Haddad

Hamevasser : Rabbin Haddad, vous avez publié un petit ouvrage « Elie et Jonas, prophètes de l’extrême », à quel objectif répondait cette écriture ?

Philippe Haddad : Je suis parti du constat récurent dans l’Histoire que les monothéismes étaient des véhicules d’intransigeance et de violences quand ils n’étaient pas réfrénés par une éthique de compassion et une critique raisonnable des textes fondateurs.

H : D’où vient cette violence ? Le Dieu des trois monothéismes n’est-il pas le bon Dieu ou le Dieu de Miséricorde ?

P.H. : Cette violence procède de la « vérité » révélée. La vérité par définition est intransigeante puisqu’elle refuse tout compromis et toute compromission, avec ceux qui ne la partage pas. Chez Kant, la vérité est un impératif catégorique, et si la gestapo demandait à un paysan français s’il cachait des juifs, au nom de la vérité, le paysan devrait dire « oui ». Pour le judaïsme, cette vérité révélée s’exprime dans le principe du monothéisme, et

s’oppose à toutes formes d’idolâtrie. Tel est le sens du « Dieu jaloux », El kana, mentionné dans le Décalogue qui ne permet aucune représentation imagée ou sculptée, et qui par la bouche de Moïse demande de combattre les idolâtres cananéens. Il existe des propos très durs dans la Torah, et en tant qu’officiant, j’ai toujours eu du mal à psalmodier ces invites de guerre.

H : Mais les monothéismes ne sont-ils pas tous fondés sur une vérité absolue ? Cette violence est-elle donc inéluctable ?

P.H. : Elle est inéluctable dans les lectures littéralistes et fondamentalistes. L’Eternel contre les idoles, Jésus, unique vecteur de Salut, ou le Coran de Mohamed. La seule issue passe par une critique interne au nom d’autres valeurs que la Vérité, et notamment la Paix et l’Amour du prochain. Le midrach affirme que le nom de Dieu est Chalom (Paix) et Émeth (Vérité) son sceau. On peut effacer la signature pour sauver le Nom.

H : La critique interne, c’est la critique biblique ?

P.H. : Pas seulement ! La « critique biblique » déconstruit le texte pour en trouver les différents strates, les différentes origines et influences (comme l’excellent travail que propose notre amie Ariane Bendavid, ou Thomas Römer). Certes un tel travail relativise le texte (ce qui met en rogne les fondamentalistes, car justement ils s’identifient avec leur texte fondateur). Je parle d’une « critique interne », c’est-à-dire que sans utiliser les outils universitaires, je prends le texte in extenso, et j’essaye de trouver des éléments scripturaires qui dénoncent cette violence.

H : Vous voulez dire que la Bible se critique elle-même ?

P.H. : Tout à fait. La différence majeure entre la Bible d’un côté et les Evangiles et le Coran de l’autre est que la Bible raconte, dans son langage, l’histoire d’Israël depuis ses origines (Abraham) jusqu’au retour de l’exil de Babylone au ve siècle avant J.-C. Le héros est l’Israël historique (même s’il y a des aspects mythiques bien sûr). Dans cette longue saga, il ne s’agit pas de démontrer que l’hébraïsme est la voie royale du Salut, mais comment un groupe humain, un peuple, travaillé par un ego collectif, peut se soumettre à une éthique universelle, fondée sur le droit, la justice et l’amour. La question fondamentale de la Bible est le rapport entre morale et religion (ce qu’avait bien compris Bergson). Alors que les Evangiles ou le Coran veulent d’abord démontrer la vérité du fondateur. Et bien entendu ce fondateur est intouchable. Je ne peux ni critiquer la violence de Jésus dans le Temple, ni remettre en cause les guerres de Mohamed.

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H : Mais n’est-ce pas la même chose dans la Bible ?

P.H. : Eh bien non justement. Sans me référer à la tradition orale, qui ira jusqu’à critiquer Dieu (parfois le Talmud ou le Midrach flirte avec le blasphème, mais c’est un flirt kacher parce que nous sommes dans une religion d’adultes, selon l’expression de Levinas), le texte écrit porte en son sein sa critique implicite ou explicite de ses grands héros. Jacob qui préfère Joseph à ses autres enfants, est-ce modélisable comme pédagogie paternelle ? David qui, sous prétexte de son autorité royale, transgresse deux des Dix commandements « tu n’assassineras pas » et « tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain », etc.La force du judaïsme rabbinique a été sa capacité à critiquer le texte qu’il respecte le plus au monde, et qu’il aime, comme l’a chanté le psalmiste.

H : C’est le chemin du judaïsme libéral !

P.H. : Tout à fait, nous sommes très fidèles quoi qu’on en dise.

H : Pourquoi Elie et Jonas ?

P.H. : Parce qu’ils incarnent la violence au nom du monothéisme, (et dans mon livre je relie Elie à Pinhas, qui selon la tradition orale représentent le même personnage), et parce que l’un comme l’autre seront critiqués par Dieu.

H : Commençons chronologiquement par Elie, qu’en dit le texte ?

P.H. : L’essentiel de sa vie est concentré dans les chapitres 17 à 21 du premier livre des Rois, (et le chapitre 2 du deuxième livre des Rois). Elie (Eliahou) vit à l’époque du roi Achab, roi du royaume d’Israël, qui a épousé la fille du roi de Tyr (Liban), Jézabel, une adoratrice du dieu cananéen Baal. Tout le contexte présente une violence insoutenable. La reine pourchasse et égorge les prophètes de Dieu ; en réaction, Elie, qui use de miracles selon son bon vouloir, finira lui aussi par égorger 400 prêtres du Baal (les barbaries ne datent pas d’aujourd’hui). Au final, Dieu donne rendez-vous à Elie au mont Horeb, le Sinaï, le lieu de Moïse, et le texte raconte qu’il y eut un tremblement de terre, un séisme, un

vent puissant, mais l’Eternel n’était pas dans ces manifestations violentes. Alors Dieu se révèle dans « la voix d’un doux silence ». Tout ce récit révèle une haute symbolique, que j’essaye de mettre en exergue verset par verset. Dieu dit non à la violence, non à ses tueries en Son nom. Il prépare ce que dira plus tard le prophète Zacharie (4, 6) « ni par la puissance, ni par la force, mais par Mon souffle/esprit dit l’Eternel Tsébaot ». Mais Elie n’arrive pas à s’élever à ce niveau de non-violence, proposée par Dieu, il sera donc contraint de passer la main à son disciple Elisée (Elichâ), alors que lui-même s’envolera au ciel dans « un char de feu », qui symbolise toute sa fougue passionnelle pour l’Eternel.

H : Je croyais qu’Elie avait bonne presse dans la tradition juive ? On le dit présent aux circoncisions.

P.H. : Ce Elie-là est un repenti. Selon le midrach, Dieu condamne Elie à témoigner que les juifs perpétuent l’alliance d’Abraham, alors qu’il les avait accusés de ne pas garder l’alliance (comme les froum qui disent des libéraux que ce ne sont pas des juifs !). Cet Elie n’est plus annonciateur de guerres, mais de Paix. Selon l’enseignement du Talmud : Elie ne reviendra pas pour résoudre des problèmes de kacherouth, mais pour réconcilier les pères et les fils.

H : Passons à Jonas, un « héros » de Kippour, l’homme avalé par la baleine ?

P.H. : Les synagogues et le Palais des Congrès sont déjà pleins quand nous lisons le l ivre de Jonas ; malheureusement la lecture rapide et en hébreu ne permet pas de découvrir toutes les subtilités de ce texte plein d’actions et d’humour.

H : Jonas est un violent comme Elie ?

P.H. : Jonas est un extrémiste en pensée. Il considère que les habitants de Ninive doivent payer leurs fautes, par la destruction de leur ville, comme la génération du déluge ou Sodome. Pour parler comme les Kabbalistes, il se situe du côté de la rigueur absolue comme quand Dieu envoie le déluge et détruit Sodome. Mais Dieu, depuis le pardon de la faute du veau d’or et après « la voix du doux silence » a révélé son attribut

de miséricorde. « Il ne désire pas la mort du méchant, mais qu’il revienne et qu’il vive » (Ez 18, 32). Jonas refuse les « 13 attributs de miséricorde » que nous égrainons, comme un chapelet oral, durant tout le jour de Kippour.

H : On se demande si Dieu s’intéresse davantage à Ninive qu’à Jonas ?

P.H. : Dieu s’intéresse aux deux. Il s’intéresse aussi aux marins sur le bateau, et d’une certaine mesure à son ricin. Au fond, le texte se situe dans un monothéisme absolu. Dieu s’occupe de son monde en demandant à toutes ses créatures humaines de revenir à une éthique de vie. Comme je le disais plus haut, Jonas, tout prophète qu’il est, doit lui aussi se corriger, faire son tikoun. Le récit de Jonas c’est une contre-histoire du récit du déluge.

H : Ces deux histoires, d’Elie et de Jonas, sont donc d’une grande actualité ?

P.H. : D’une actualité « brûlante » c’est que le cas de le dire. Vous voyez, ce qui est remarquable, c’est que la Bible dénonce en son sein ses propres dérives violentes. Bien entendu le judaïsme rabbinique va amplifier cette critique pour nous offrir une voie de sagesse et de paix. Entre les propos de Moïse qui demande d’exécuter les idolâtres et les maîtres de la michna qui demandaient d’être le premier à saluer, « même un idolâtre au marché » (Michna Avoth de Rabbi Nathan). Quel parcours intellectuel et moral ! Voilà la raison de ce livre : montrer que tout texte fondateur ne s’enferme jamais en lui-même, mais qu’il dépend toujours de son interprétation, dans l’espérance que se multiplie dans toutes religions dite « du livre » ce même désir de sortir des lectures fondamentalistes, pour le bonheur de l’Homme.

H : Merci Rabbin Haddad, et bonne lecture à ceux qui voudront se procurer votre livre, disponible à l’ULIF. ■

Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

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« Nous ne pouvons pas transiger avec l’espoir »■ Entretien avec le rabbin Jonas Jacquelin à la veille du Nouvel An

Hamevasser : L’année qui vient de s’écouler a été marquée par une montée de la violence terroriste en France. Quel message un rabbin comme vous peut-il transmettre au seuil d’une nouvelle année ?

Jonas Jacquelin : En effet, comme l’année précédente, cette année a été marquée par la violence terroriste et comme l’année précédente nous nous apprêtons à redire au moment de passer à une nouvelle année juive, « que finisse l’année avec ses malédictions et que commence l’année avec ses bénédictions »… Et malheureusement, il y a fort à craindre que l’année qui s’ouvre soit elle aussi marquée par cette violence terroriste. C’est du moins ce que laisse imaginer une analyse de la situation politique et géopolitique de la période dans laquelle nous nous trouvons. Dans un sens, les fêtes de Tichri nous invitent à poser un regard, le plus cru possible, sur les faits tels qu’ils sont. Cela vaut bien entendu en premier lieu pour le regard que nous jetons sur nous-même dans le ‘hechbon nefech, l’examen de conscience qu’exige de nous notre tradition dans ce moment de l’année. Mais cela doit s’appliquer aussi au monde qui nous entoure. Il faut savoir regarder la réalité en face, même quand elle n’est pas rassurante, car ce n’est qu’avec une connaissance aiguë des faits qu’un diagnostic et un remède peuvent être apportés à un mal. Je crois que c’est à Billy Wilder que l’on prête l’idée qu’en Allemagne dans les années 1930, les pessimistes ont fait carrière à Hollywood alors que les optimistes ont été tués à Auschwitz. Sans comparer ce qui n’est pas nécessairement comparable, il convient d’être lucide pour faire face à l’adversité et la surmonter. Cependant, à aucun moment cette lucidité ne

doit devenir prétexte au désespoir. L’espoir est certainement la plus grande richesse du peuple juif. Chaque année dans la Haggada de Pessa’h, nous répétons que c’est cet espoir qui nous a maintenu, nos ancêtres et nous, tout au long de l’histoire. Nous ne pouvons nous payer le luxe de transiger avec l’espoir et c’est sans doute l’enseignement que nous devons porter au-delà des frontières de la communauté juive. Tout cela peut se résumer par cette formule de Rabbi Na’hman « le monde entier est un pont étroit et l’essentiel est de ne pas avoir peur ». Dans un sens, la peur est légitime et il existe de nombreuses sources d’inquiétude mais l’essentiel alors est de ne pas se laisser dominer par sa peur et perdre ainsi toute faculté de jugement.

H : La religion est souvent utilisée comme prétexte pour justifier la haine de l’autre. Comment agir selon ses principes sans remettre en cause les « dogmes » ou les commandements ?

J. J. : Historiquement, nous ne pouvons pas nier que la religion est à l’origine de nombreuses violences et ce, depuis la nuit des temps. Certains midrachim expliquent que Caïn a tué Abel pour des raisons religieuses. Dans la mesure où le religieux se réfère souvent à une forme d’absolu, il n’est pas difficile de concevoir que certains croyants soient prêts à tout pour atteindre cet absolu. Il serait tout aussi faux de réduire la « religion » (terme qui mériterait d’être discuté) à un vecteur de violence que de la réduire simplement à un message de paix et de fraternité. En réalité, la question qui se pose à nous est de savoir comment distinguer les différentes formes de ce que l’on nomme « religion » : celles qui provoquent la violence et celles qui favorisent l’harmonie. Tout le travail

de l’exégèse et de l’herméneutique consiste à distinguer les enseignements pacifiques des enseignements violents. Dans le texte biblique, on trouve tout autant d’éléments violents que d’éléments pacifiques et c’est ensuite dans le Talmud que les Rabbins se sont attachés à réinterpréter les éléments violents. Cependant, même dans le monde juif, on trouve des éléments discutables qui peuvent favoriser une violence réelle ou symbolique. C’est le cas, par exemple, de certaines coutumes qui confinent les femmes dans un rôle secondaire et marginal de la vie religieuse. D’un point de vue politique, on trouve aussi des gens qui se drapent des habits de la religion pour légitimer, justifier ou encore expliquer des agissements violents. Ceux-là se sont arrêtés à des interprétations figées de textes, ce qui représente une trahison du judaïsme. Le propre de notre tradition a toujours été de lire et relire, d’interpréter et réinterpréter, de voir enfin cette tradition comme une source d’eaux vives et non comme une marre d’eau stagnante. Pour nous, c’est

© Claire Delfino

Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 17Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 17

certainement la fidélité à la vitalité du judaïsme qui est le meilleur antidote contre toute forme de sclérose et de fondamentalisme.

H : Les responsables de la communauté juive appellent au dialogue, notamment avec les musulmans. On n’a pourtant pas le sentiment que cet appel soit entendu, à quelques exceptions près. Qu’en pensez-vous ?

J. J. : Il y a en effet, de notre côté, un véritable désir de dialogue avec les représentants des différents cultes de France. Non seulement parce que nous sommes convaincus que ce dialogue pourrait être un vecteur de paix sociale, mais aussi parce que c’est en échangeant que nous nous enrichirons. Comparer sa tradition religieuse avec celle de ses voisins est un moyen de mieux comprendre sa propre tradition. En France, et plus particulièrement à Copernic, les échanges avec le monde chrétien existent et se développent de plus en plus. Mais, comme vous l’avez souligné, nous n’en sommes pas au même point avec le monde musulman. Les choses avancent plus doucement. Il n’est pas aussi facile d’y trouver des personnalités désireuses de dialoguer publiquement et dans la durée. J’ai le sentiment que la priorité du monde musulman, aujourd’hui en France, est de régler un certain nombre de questions en son sein. Ce n’est qu’après, dans un second temps, qu’il pourra réengager un dialogue avec les autres religions. Il existe néanmoins certaines initiatives, mais celles-ci restent individuelles. Ce que nous espérons, pour l’année qui vient, c’est qu’elles prennent une dimension plus institutionnelle qui lui confèrera une visibilité susceptible d’influer sur notre société et ses problématiques actuelles.

H : L’annonce de l’année à venir est-elle aussi celle d’un renouvellement du culte et des valeurs, ou au moins de certaines évolutions ?

J. J. : Ces deux dernières années ont été marquées par une évolution essentielle dans le culte à Copernic avec l’ouverture de la lecture de la Torah aux femmes. C’est un pas important vers plus d’égalité sur le

plan rituel. Je pense que le degré d’évolution et de maturité d’une religion se mesure notamment par la place qu’elle est capable d’accorder aux femmes au niveau cultuel et dans les postes à responsabilité au sein de ses institutions. Le culte et les valeurs, eux, se renouvellent chaque jour mais toujours dans la fidélité au message initial de la communauté et de l’approche libérale du Judaïsme. Notre communauté aura l’an prochain cent-dix ans. Beaucoup de choses ont changé depuis sa fondation en 1907, tant au niveau du culte que du fonctionnement interne. Il y a fort à

de redonner un sens spirituel dans un monde de plus en plus matérialiste ?

J. J. : Sur cette question, le judaïsme est double. C’est une vieille névrose juive que d’être un peuple tout aussi conservateur que révolutionnaire. D’un côté, notre calendrier liturgique se répète année après année avec des fêtes qui étaient initialement liées au cycle des saisons. De l’autre, la Torah postule dès son premier verset l’idée d’un commencement à l’histoire du monde et la pensée juive dans un sens à cette histoire avec l’idée de l’avènement d’une ère messianique.

De p lus , à l ’époque rabbinique, les fêtes de pèlerinage, initialement liées aux saisons, ont pris une signification historique et sont devenues les symboles de grandes étapes de l’évolution d’Israël. Dans un sens, le judaïsme se place dans une double temporalité. La première décrite par Franz Rosenzweig est circulaire et aide à sortir du temps, à se placer dans une temporalité qui donne du recul et une perspective pour appréhender l e monde. La seconde est décrite par Yosef Hayim Yerushalmi et fait des Juifs les inventeurs de l’Histoire

et de l’idée d’un temps rectiligne. Je pense que c’est en s’enfermant dans l’une de ces deux temporalités que le judaïsme risquerait de perdre de son dynamisme. Mais c’est en continuant de faire le grand écart ou de naviguer entre les deux, qu’il pourra garder une grande fraicheur et beaucoup de dynamisme.

Au moment où s’achève cet entretien, je tiens à souhaiter Chana tova oumetouka, une bonne et douce année aux fidèles de notre communauté et former le vœu que nous soyons tous inscrits dans le Sefer ha’hayim, le Livre de la vie. ■

Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

parier que si, par miracle, l’un des membres fondateurs de ce qui était alors l’Union Libérale Israélite en 1907 pouvait assister à un office aujourd’hui à Copernic ou au Palais des Congrès, il ne reconnaîtrait pas nécessairement sa communauté. Et pourtant, l’essentiel a toujours été préservé : la promotion et la défense d’un judaïsme fidèle à son héritage et ouvert sur la Cité, respectueux des sensibilités et des modes de vie de chacun et désireux d’offrir à tout Juif, quel que soit son degré de pratique, un lieu où il pourra vivre pleinement son identité.

H : Le caractère cyclique du judaïsme n’est-il pas un frein au dynamisme, à l’ouverture sur la jeunesse et à la volonté

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« l’insouciance » est sans aucun doute le roman de la rentrée

littéraire. Dixième livre de Karine Tuil, il est déjà en tête des ventes et encensé par les critiques, qui le considèrent comme son ouvrage le plus abouti, après le succès de « L’invention de nos vies », il y a trois ans. Dans ce roman elle traite avec courage de thèmes inspirés de l’actualité en ne cédant jamais à la tentation du « politiquement correct » ou du cynisme blasé. Ecrivain au style corrosif et à la plume acérée, Karine Tuil aborde les questions identitaires, les blessures et les guerres intimes et collectives comme autant d’épreuves qui marquent notre vie d’un sceau indélébile. Elle a bien voulu répondre aux questions de la rédaction de Hamevasser.

Hamevasser : Votre livre n’est-il pas au fond un roman sur le retour de la guerre ? Pendant très longtemps nous avons vécu avec l’idée que la paix s’était définitivement installée en Europe, or depuis quelques années, elle est réapparue.

Karine Tuil : Le point de départ de mon livre était l’embuscade d’Uzbin en Afghanistan dans laquelle dix soldats français, ainsi que leur interprète afghan, ont été assassinés. Il m’a semblé qu’on parlait peu de cette tragédie-là, et que cet événement avait été presque totalement occulté en France alors que de tels drames sont abondamment traités aux Etats-Unis ou en Israël. La question de la guerre en Afghanistan est très peu présente dans les romans en France et j’ai commencé à travailler sur le sujet des symptômes post-traumatiques de guerre. Au commencement je voulais raconter l’histoire de ce lieutenant qui découvre la perte et aborder la question des effets intimes de la guerre. J’ai voulu décrire comment sa vie se trouve pulvérisée à son retour d’Afghanistan. Peu à peu le livre est devenu une réflexion plus

large sur la guerre en général, c’est-à-dire à la fois les guerres collectives mais aussi les guerres intimes, ou encore les guerres sociales, car nous vivons dans une société où la violence est présente à tous les niveaux, et notamment autour des problèmes identitaires.

H : Vous évoquez souvent le déni de la réalité, la fin de l’insouciance est-ce un réveil, une manière de voir enfin le monde tel qu’il est ?

K. T. : Je ne sais pas si ce déni n’existe plus, et c’est justement la force et la qualité d’un roman de pouvoir librement décrire et questionner la réalité, alors que le discours politique ne permet plus cette liberté. Je ne sais pas si nous sommes sortis de ce déni et j’espère que le roman suscitera des débats et des réflexions sur les sujets importants que j’évoque. Nous sommes dans une période de grande vulnérabilité, et même si mon roman se place dans les années 2008-2010, il raconte déjà cette fin de l’innocence et le début de conflits sociaux en France.

H : Votre livre adopte une position presque fataliste, à savoir que personne ne peut fuir non seulement son destin mais surtout ses origines, qui nous sont renvoyées à chaque instant à la figure. Peut-on échapper à son appartenance ?

K. T. : Nous sommes toujours rattrapés par nos origines et un de mes personnages, François Vély, élevé par une mère catholique, est renvoyé à sa judéité malgré lui et va subir des attaques antisémites très violentes. Un des symptômes de notre société est l’impossibilité d’échapper à cette forme de déterminisme, à notre condition sociale et à notre identité. J’avais déjà abordé cette question dans mon précédent livre « L’invention de nos vies » dans lequel je me demandais si une personne pouvait se réinventer dans une société qui enferme les gens dans un carcan identitaire. Mon roman pose évidemment des questions politiques, mais en tant que romancière je ne peux que soulever les questions, c’est aux hommes politiques de donner les réponses. Dans mon livre, il y a des personnages qui sont confrontés à cette réalité soit dans le monde de la communication et de la politique, comme Osman Diboula, qui cherche à s’imposer par son travail mais est toujours renvoyé à ses origines sociales ou raciales, ou encore comme François Vély dans le monde des affaires.

K a r i n e T u i l ,ecrivain Entretien

Karine Tuil

© F. Mantovani

la Fin de l’innocence

Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 21

H : Pensez-vous que les hommes politiques au lieu de faire de la politique sont manipulés par des conseillers en communication ou en stratégie de marketing ?

K. T. : Dans ce livre j’avais envie de raconter à la fois la violence du pouvoir politique et la difficulté pour quelqu’un qui serait issu des minorités de s’imposer dans ce système clanique, mais je voulais aussi montrer comment ce conseiller pouvait aider une personne lésée, en raison de ses origines. Effectivement les conseillers en communication ont un rôle de plus en plus important dans le monde politique, et mon livre analyse aussi le rapport à l’image. La chute de François Vély commence par une affaire de communication ratée.

H : Tous vos personnages sont animés par des désirs très forts, qui finissent par provoquer leur chute ou leur déchéance, est-ce là une conséquence inéluctable ?

K. T. : Ce qui m’intéresse c’est justement de décrire mes personnages au moment de leur chute. Ils sont tous soumis à une épreuve personnelle et le processus romanesque consiste à raconter les suites de cette rupture, les étapes de cette fracture. Vont-ils se reconstruire ? Vont-ils sombrer ? J’essaie d’entraîner le lecteur dans ce processus. Nous savons très bien que nul ne sort indemne d’une épreuve, et lorsqu’elle nous arrive nous ne sommes pas capables de dire si nous nous en sortirons, ni comment. Lorsque les épreuves surviennent – qu’il s’agisse d’une éviction politique, d’un scandale ou d’un suicide comme dans le roman – mes personnages ne connaissent pas les ressorts de la reconstruction. Il y a un mystère de la réparation. Comment savoir s’il y a en chacun de nous les forces nécessaires pour rebondir tant qu’on n’a pas été soumis à cette épreuve ?

H : Il y a un personnage intéressant pour nous, même d’une certaine façon « familier », c’est Thibault le fils de François Vély qui fait un retour à la religion juive, une techouva, et trouve dans le milieu des Loubavitch une forme de sérénité, pensez-vous que la religion joue ce rôle ?

K. T. : Au départ il a vécu le traumatisme d’avoir assisté à la défenestration de sa mère et son action est animée avant tout par un désir d’opposition à son père, qu’il accuse d’être responsable de ce suicide

parce qu’il l’avait quittée pour une femme plus jeune. Il s’alimente d’une rancœur et d’une haine paternelle profondes. Son retour à la religion commence par une volonté de faire du mal à son père, dont il sait qu’il rejette ses origines juives. Son retour identitaire radical répond à sa volonté de créer une véritable fracture avec son père. Thibault, garçon brillant, est l’élément perturbateur de la vie de François Vély, comme un point noir dans une vie de grand chef d’entreprise parfaitement codifiée et lumineuse. Ce n’est qu’au moment de la chute que le fils et le père se retrouvent et se rapprochent.

K. T. : Je préfère ne pas désigner telle ou telle personne qui m’aurait inspirée, mais j’avais remarqué au lendemain des émeutes de 2005 que des animateurs et travailleurs sociaux s’étaient vu confier des responsabilités politiques, or en France nous savons que les membres des minorités sont sous-représentés dans le monde politique. J’avais envie de décrire le parcours d’un conseiller issu de l’immigration et de montrer la difficulté de la condition noire dans les sphères du pouvoir.

H : Si on ne peut pas échapper à ses origines n’est-ce pas aussi une façon de déresponsabiliser les hommes, qui ne seraient alors plus que les « victimes » de leur condition ?

K. T. : Non je ne crois pas. Tous les personnages de mon livre font des choix, prennent des décisions à des moments clés et assument les responsabilités qui en découlent. Au fil du livre l’attitude de mes personnages change et ils refusent le déterminisme de leur condition.

H : Comment expliquez-vous pourtant qu’en France il existe un tel dénigrement de la fonction militaire, même si ces derniers mois il y a eu une petite évolution, alors que justement c’est sur le terrain de guerre que la notion de responsabilité prend toute sa dimension existentielle ?

K. T. : J’ai voulu rendre hommage à l’action des soldats et faire connaître leurs difficultés. Beaucoup de scènes que je décris dans le livre m’ont été rapportées. Ces derniers mois nous voyons de plus en plus de soldats et je crois qu’il est intéressant de savoir qui ils sont. Ce livre m’a permis d’évoquer une facette méconnue de notre histoire, qui est le rapport à l’armée. Je me suis intéressée au sort des soldats après la guerre, ce qui se passe en eux, dans leur intimité.

H : Vous terminez votre livre par une injonction très juive résumée dans la formule « tu choisiras la vie », pourquoi ? Le désir de vie est-il toujours plus fort que la pulsion de mort ?

K. T. : Oui je crois que c’est un enseignement du judaïsme auquel je m’identifie, la vie est plus forte que tout. Malgré les épreuves, tous mes personnages choisissent finalement la vie. Le judaïsme nous enseigne la transmission. Vivre, c’est donc partager, transmettre et avoir le souci de l’autre.■

Interview réalisée par Michaël Bar-Zvi

H : Le personnage le plus romanesque de ce livre est sans aucun doute le lieutenant Romain Roller, ce soldat que la guerre a détruit. Peut-on dire que l’amour lui permet de se reconstruire. ?

K. T. : Pour moi, au départ, la liaison avec cette jeune journaliste à Chypre dans ce centre de décompression était une aventure purement sexuelle. La sexualité est l’espace de la perte de contrôle, or pour un soldat, comme pour un homme politique, la nécessité d’être sous contrôle doit être permanente. La vigilance est la règle d’or puisque le danger peut venir de partout, à chaque instant. Perdre le contrôle c’est, au fond, pour lui, baisser les armes, et puis, petit à petit, il tombe amoureux d’elle. La nature humaine est faite d’ombres et de lumières et l’amour, dans ce livre finalement assez noir, est une ouverture, une touche de clarté. Pourtant, cette histoire d’amour n’est pas simple, car cette journaliste se trouve face à un véritable dilemme : peut-on construire son propre bonheur sur le malheur d’un autre ?

H : Quel a été votre modèle pour le personnage d’Osman Diboula ? Avez-vous rencontré des hommes ayant ce profil dans la préparation de votre livre ?

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l e t e r m e « ghe t t o » e s t aujourd’hui très librement utilisé, voire galvaudé et désigne parfois les « territoires perdus de la république ». il est donc intéressant de se pencher sur les origines du mot et les conditions d’apparition de ce lieu d’exclusion au xvie siècle dans une venise qui était p o u r t a n t é m i n e m m e n t commerçante, cosmopolite et ouverte sur le monde.

ailleurs, les Etats-Unis ont repris le terme pour parler de Harlem, le quartier des Noirs américains. Puis, adoptant le modèle américain, il a été intégré à la langue française. Autant dire que depuis son apparition, le terme par l’élargissement de son sens - ou catachrèse - a beaucoup voyagé.

Au XVe siècle, les Juifs étaient disséminés dans toute l’Italie et en particulier dans le sud (Calabre, Pouilles, Sicile) et pratiquaient essentiellement des activités de banque et de crédit. Mais l ’hégémonie espagnole est venue transformer le paysage du peuplement juif. L’expulsion des Juifs d’Espagne en 1492 ainsi que de Sardaigne et de Sicile en 1496 fut accompagnée de violences et de conversions forcées qui poussèrent

les Juifs à remonter vers le nord et en particulier vers le royaume de Naples, d’où ils furent également expulsés en 1541. Ainsi, entre 30 et 40 000 Juifs désertèrent fi nalement le sud de la péninsule.

A Venise, les Juifs étaient déjà présents, usant de leurs relations à l’étranger et prêtant d’importantes sommes d’argent à la Sérénissime, qui en avait grandement besoin pour mener ses guerres et développer le commerce international. Celle-ci n’a pas toujours adopté une attitude très cohérente à leur égard, oscillant entre rejet et accueil, signe d’une tolérance hostile, intéressée et suspicieuse.

Or la guerre de la Ligue de Cambrai en 1509 opposant Venise, les Etats

Le ghetto de Venise

ou le choix de « l’expulsion interne » des Juifs

Le mot getto existait déjà au XIVe siècle et désignait dans toute l ’Italie

l’endroit où étaient jetés les déchets des fonderies qui étaient alors des fabriques de bombardes. Il vient du verbe gettare qui signifie affiner le métal avec une getta. Son sens a ensuite évolué pour désigner les quartiers où les Juifs étaient contraints de vivre en Europe. Ainsi, le lien souvent cité avec le terme hébreu « Guet » (autorisation de divorce) n’est que phonétique et ne peut être sérieusement établi, d’autant qu’un « divorce » aurait nécessité un « mariage » préalable entre les Juifs et la société italienne, mariage qui vraisemblablement n’a pas été célébré... Après les ghettos tristement célèbres créés par les nazis pendant la Seconde guerre mondiale en Pologne, en Lituanie et

Le ghetto de Venise

Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 23

pontifi caux et la France est venue amplifi er le mouvement de transfert des Juifs vers la République dominée par le christianisme. C ’est pourquoi le 25 mars 1516, le Sénat vénitien décréta, sur proposition de l’aristocrate Zaccaria Dolfin, avec l’accord du patriarche Antonio Contarini et malgré les virulentes protestations des Juifs qui seront dépossédés des échoppes si chèrement acquises, que tous les Juifs résidant dans la ville, soit environ 700 personnes, devaient s’installer dans un quartier séparé, appelé « Ghetto nuovo ». L’option suburbaine de les établir dans une des îles périphériques, la Giudecca ou Murano, n’a fi nalement pas été retenue.

S’il s’agissait bien d’une mesure d’enferme-ment, elle constituait cependant un compromis moins sévère qu’une expulsion pure et simple. Alliant la nécessité de garder les Juifs à la volonté de les exclure, cette mise à l’écart peut être qualifiée d’« expulsion interne  ». Des propositions d’expulser à véritablement les Juifs de Venise furent certes émises par la suite, mais les notables de la ville s’y sont toujours opposés, arguant de l’erreur stratégique des rois catholiques qui, ce faisant, ont perdu une source féconde de compétences et de capitaux.

Le dispositif vénitien apparaît cependant moins rude que celui mis en place par le pape Paul IV dans la bulle Cum nimis absurdum en 1545 applicable au territoire pontifi cal et qui comportait un ensemble de mesures très discriminatoires. Les Juifs y étaient considérés comme des ennemis internes à combattre à tout prix et à convertir par la force si nécessaire, dans une lutte à dimension idéologique et eschatologique.

Le ghetto de Venise, qui visait plus à une séparation physique et symbolique, était la concrétisation géographique de mesures d’exclusion.

Il était situé sur un îlot excentré auquel on accédait par deux ponts fermés d’un portail à leur extrémité et surveillés par des gardiens. Les Juifs devaient payer des loyers majorés du tiers aux propriétaires chrétiens. Travaillant soit sur place soit à l’extérieur du ghetto, ils devaient impérativement, sous peine d’amende et de prison, se signaler en portant une rouelle jaune sur la poitrine, ou un chapeau jaune - couleur considérée au

Moyen-Âge, comme infamante, signe de folie et de crime. Les sorties nocturnes étaient interdites, excepté pour les médecins qui pouvaient se rendre au chevet de leurs malades, à condition d’avertir les gardiens. De plus, les Juifs ne pouvaient puiser de l’eau que dans les puits situés à l’intérieur du ghetto, les Vénitiens craignant qu’ils n’empoisonnent l’eau des puits situés à l’extérieur... Très rapidement, trois synagogues clandestines, car interdites, furent créées à l’intérieur du ghetto dans de vastes espaces situés aux étages supérieurs de maisons privées : d’une part la Scuola Tedesca (allemande) et la Scuola Canton (dans un « coin ») pour les Ashkenazes, et la Scuola italiana de rite séfarade d’autre part.

Mais aussi paradoxal que cela puisse paraître, le ghetto offrait une forme de protection contre l’antisémitisme, la ghettoïsation comportant un revers de médaille positif et perçu comme tel par les assujettis. Ville dans la ville, lieu relativement clos constituant une forme de rempart contre les violences qui menaçaient de s’exercer sur eux à l’extérieur, le ghetto a permis le développement de l’identité et de la culture juives, grâce notamment à la cour commune appelée Corte di case autour de laquelle étaient construits les maisons, boutiques et entrepôts et où l’on prenait

De sorte que le ghetto est devenu un lieu de vie par excellence, avec une âme particulière décrite par de nombreux voyageurs et visiteurs.

Ce fut également le lieu d’apparition d’ inst itut ions de gouvernance et d’assistance communautaires (Università degli Ebrei) mises en place afi n d’organiser la vie ensemble dans des conditions diffi ciles, contraignantes et de promiscuité. Des règlements intérieurs sont rédigés et entérinés par les autorités, les confréries et les groupes d’habitants. Apparaît aussi la nécessité de protéger les Juifs démunis soumis soit aux propriétaires chrétiens cherchant à s’enrichir à leurs dépens soit aux Juifs aisés sous-louant des appartements à leurs coreligionnaires. Le « jus cazaca » est un ensemble de règles de droit destinées à limiter les abus. On en veut pour exemple l’interdiction d’évincer un Juif au profi t d’un autre Juif qui aurait accepté de payer un loyer plus élevé. Les archives regorgent de procédures judiciaires sans fi n sur cette question.

Mais la population ne cesse d’augmenter, notamment sous l ’ef fet de vagues migratoires. On dénombre 1600 personnes en 1589. Les conditions de vie s’aggravent, densité, promiscuité et manque d’hygiène deviennent intolérables. L’expansion verticale des bâtiments, jusqu’à 8 étages - ce qui est notable pour l’époque- est inévitable. Une division des appartements en plus petites surfaces s’opère à l’aide de cloison de fortune, pour séparer les familles entassées. Aussi les autorités sont-elles contraintes d’élargir le ghetto en 1541 avec l’ajout d’un quartier appelé Ghetto Vecchio et en 1633 avec l’ouverture du Ghetto Nuovissimo, petite aire à l’est du Ghetto Nuovo (initial). Par ailleurs, les travaux de construction d’une muraille encerclant le ghetto n’ont jamais eu lieu et malgré les interdictions, des ouvertures sur les rives ont été eff ectuées afi n de donner accès à des embarcations maritimes.

Ainsi l’exclusion interne des Juifs vénitiens, partenaires commerciaux et acteurs du rayonnement de la Sérénissime, leur a permis de survivre, de s’organiser et parfois de s’enrichir, mais elle a aussi certainement contribué au développement du sentiment d’un peuple nation qui une fois réuni et même cloisonné dans des conditions exécrables, parvient à faire de l’or. ■

Keren RamerNous remercions Michaël Gasperoni

qui a contribué à la rédaction de cet article.

plaisir à se retrouver. Là se développaient des solidarités entre et au sein de communautés juives venues d’horizons différents (Al lemands, Levant ins, Espagnols, Grecs etc.). Là avaient lieu les fêtes, les cérémonies mais aussi des représentations théâtrales et musicales.

Le fronton de la synagogue

Plaque commémorative de la déportation

Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 25

shiite accueille en son sein des communautés juives épanouies et d’autres minorités également protégées par un gouvernement attaché au multiculturalisme et à la lutte contre l’antisémitisme, le radicalisme et tout type de racisme. Actuellement, nombre de pays dans le monde assistent impuissants à la montée des extrémismes.

En 2015, des milliers de Juifs ont quitté la France pour faire leur alyah vers Israël alors que les communautés juives Azerbaïdjanaises prospéraient.

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!L’ A s s o c i a t i o n VALISKE, dont les deux directeurs, André et Lloica, sillonnent le monde à la recherche des

communautés juives, nous a emmenés cette fois dans un pays étonnant, attachant, et trop méconnu, l’Azerbaïdjan. Ce pays musulman laïc (oui, ça existe !) abrite plusieurs communautés juives qui vivent en parfaite harmonie avec leurs voisins. Les juifs sont

Le multiculturalisme azerbaïdjanais d’hier à aujourd’hui

L’origine du multiculturalisme azerbaïdjanais s’inscrit dans le

palimpseste de l’histoire et des valeurs forgées au fil des siècles, y compris sous le régime soviétique, dans les domaines culturels, religieux, sociaux et artistiques.

Le vivre-ensemble dans le respect mutuel étonne nombre de visiteurs étrangers, ahuris de constater qu’un pays à majorité musulmane

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présents dans la région depuis l’époque perse, l’Azerbaïdjan ayant été une partie de la Perse jusqu’à la conquête russe au début du 19e. La séparation Eglise-Etat y est totale depuis que l’Union soviétique y a laissé cette empreinte en 1918, la République démocratique d’Azerbaïdjan a mis en place le premier régime laïc du monde musulman. Depuis son indépendance, l’Azerbaïdjan a d’excellentes relations avec Israël et tous ceux que nous avons rencontrés nous ont affirmé qu’ils n’avaient jamais connu l’antisémitisme.

Les juifs du pays se sont constitués en divers groupes : les « juifs des montagnes », les ashkénazes et les géorgiens. Certains d’entre eux descendraient des juifs Khazars

Heureux comme un juif

installés là après la chute du royaume Khazar au xe siècle. D’autres ashkénazes s’y sont installés à l’époque moderne, sous le régime tsariste d’abord, plus ou moins contraints pour, selon le souhait des Tsars, diffuser la culture russe dans la région, puis à l’ère soviétique. La première maison de réunion juive à Bakou, construite en 1832, est devenue une vraie synagogue en 1896. Si aujourd’hui la majorité de ces 10 000 juifs vit à Bakou (une ville magnifique), il reste encore une ville entière de 3 500 habitants,

Quba (v. photos), exclusivement peuplée de juifs. Synagogues en activité, mezouzas aux portes, et jeunes portant parfois la kipa, qui étudient l’après-midi dans une yeshiva, vont régulièrement en Israël et parlent hébreu… Quant à Bakou, elle compte dix à quinze organisations juives, un centre communautaire avec oulpan, et depuis 2002 une école Habad gratuite, avec un programme scolaire laïc conforme aux écoles publiques. Nous avons été reçus par deux communautés pour les offices, et le repas de shabbat a été un grand moment d’émotion. Chanter Ha-Tikva et des zmirot de shabbat en toute liberté dans un pays musulman a de quoi surprendre aujourd’hui, et pourtant…

Ariane Bendavid

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La synagogue de Quba - intérieur

La synagogue de Quba - extérieur

Azerbaïdjan

26 • Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager

Le film documentaire « Shalom Bakou » réalisé par une cinéaste française Murielle Abitbol évoque la vie actuelle de ces communautés.

L’histoire de l’Azerbaïdjan elle-même et des peuples qui l’ont composé au fil du temps est multiculturelle. L’histoire des Juifs est exemplaire à ce titre car ils viennent d’horizon et d’origines différentes. Certains viennent de Byzance, d’autres de Perse, certains de Géorgie et d’autres enfin, d’Europe Centrale. Les Juifs des montagnes sont peu connus dans le monde…

Aujourd’hui, plus de 9 000 Juifs vivent en parfaite harmonie avec les musulmans et avec les autres confessions en Azerbaïdjan (chrétiens, oudin, moloques, catholiques romains, protestants, orthodoxes russes, zoroastriens pour ne citer qu’eux). Le pays est laïc et la séparation entre la religion et l’Etat est réelle.

Les Juifs des montagnes, auto-désignés Juhuros, seraient, selon une légende, descendants des 10 tribus exilées du Royaume d’Israël par le roi Assyrien Shalmaneser 5 au 8e siècle avant JC. Les historiens s’accordent toutefois sur une présence de communautés juives dans le Caucase oriental dès le 3e siècle. Fuyant les persécutions en Perse, ou soldats de garnisons perses installés à la frontière, les Juifs des montagnes se sont établis dans la région et ont été peu à peu coupés de leurs racines persanes au cours des siècles. Ainsi, aux 7e et 8e siècles après JC, leur nombre augmente dans le Caucase du Nord et sur le territoire de l’actuel Azerbaïdjan car ils fuient la menace arabe au Sud, contenue par le royaume Khazar, qui s’étend alors de la Crimée aux rivages de la mer Caspienne. A la même époque, une partie des élites Khazars se convertit au judaïsme caraïte, créant des conditions favorables à une croissance de la population juive de la région. C’est à cette époque-là que Krasnaïa Sloboda gagne en importance. Surnommée la « Jérusalem du Caucase », Quba (région au Nord Est du pays) reste aujourd’hui encore la principale localité d’origine des Juifs des montagnes. L’arrivée des Russes au 18e siècle, a créé des contacts avec les communautés juives russes. Les Juifs des montagnes de Quba entretiennent des relations avec ceux du Daghestan, du Caucase occidental ou de l’émigration (notamment en Russie actuelle). Ils utilisent une langue commune, le Juhuri.

Appelé aussi judéo tat, le juhuri est une langue d’origine iranienne du 12e siècle, mâtinée d’hébreu, qui s’écrit en hébreu, quoiqu’elle ait été affectée régulièrement par des changements d’alphabets.

Actuellement les relations de coopération entre Israël et l’Azerbaïdjan sont au beau fixe

Cette situation surprend car ce pays à majorité musulmane shiite a une mission diplomatique israélienne à Bakou. Ces liens sont renforcés par le fait que de nombreux azerbaïdjanais attachés à leurs origines ont émigré vers Israël et qu’ils continuent à se sentir azerbaïdjanais. Les relations économiques, culturelles, militaires, politiques entre les deux pays sont excellentes.

En août 1997, les relations bilatérales entre Israël et l’Azerbaïdjan sont entrées dans une nouvelle phase lors de la visite du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu à Bakou lors de laquelle le président Heydar Aliyev a déclaré : « Les Juifs ont vécu pendant des siècles en paix en Azerbaïdjan. Ils sont des citoyens à part entière de la République d’Azerbaïdjan et l’Azerbaïdjan est leur patrie. Tout cela crée des conditions favorables pour notre coopération mutuelle ».

En 2015, les échanges entre Israël et l’Azerbaïdjan ont atteint 5 milliards de dollars, faisant de l’Azerbaïdjan le premier partenaire commercial d’Israël au sein de la Communauté des Etats Indépendants (CEI). L’approvisionnement énergétique constitue l’un des piliers de la coopération stratégique israélo-azerbaïdjanaise. L’Azerbaïdjan fournit du pétrole et du gaz et assure la sécurité énergétique d’Israël vu qu’il est exclus que ses voisins proches le connectent à leurs réseaux d’approvisionnement. 40 % du pétrole consommé en Israël vient d’Azerbaïdjan.

L’avenir de cet héritage multiculturel ?Heydar Aliyev, (1923-2003), le président d’Azerbaïdjan a choisi de développer le multiculturalisme comme axe politique prioritaire, au détriment de l’assimilation ou de l’exclusion (modèle américain de la soupe aux légumes finement coupés plutôt que modèle français de la soupe aux légumes moulinés). Son leitmotiv était « la composition multi-ethnique de la

population azerbaïdjanaise est notre richesse et immense avantage. Nous l’apprécions et la protégeons. »

La conservation des traditions de coexistence pacifique est passée par le canal législatif, notamment par la Constitution de la République. Ainsi le principe de respect des différences est stipulé explicitement dans plusieurs articles de la Constitution comme « le droit à l’égalité » (article 25, alinéa 3), le « droit à l’identité nationale » (article 44, alinéa 1 et 2), « le droit à l’utilisation de la langue maternelle » (article 45, alinéa 1 et 2) pour ne citer qu’eux.

Le leader national a considéré cette politique comme une condition sine qua non du développement démocratique du pays après la chute de l’Union Soviétique. Il a affirmé que la protection des droits et des libertés des minorités nationales habitant en Azerbaïdjan, ainsi que les valeurs religieuses, ethniques et culturelles constituent le principe premier de la démocratie, garant d’un contexte respectueux des Droits de l’Homme.

La République d’Azerbaïdjan a assuré l’égalité des droits pour tous les citoyens quelle que soit leur religion, leur langue et leur origine (musulmans, Lesbiens, Avariens, Kurdes, Arméniens, Talishs, Juifs, Chrétiens, Ondines, Zoroastriens…

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!Heureux comme un juif en Azerbaïdjan !

Cette politique a été poursuivie par son successeur, Ilham Aliev qui valorise le multiculturalisme comme priorité politique absolue et attache une grande importance aux coopérations avec les organisations internationales comme l’ONU, l’OSCE, le Conseil de l’Europe, l’UE, l’OCI pour la mise en oeuvre de cette politique.

Depuis 2011, Le Forum international Humanitaire se tient à Bakou. Lors de la dernière séance d’ouverture, le président azerbaïdjanais a souligné l’importance

Office religieux dans la synagogue de Quba

Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 27

de renforcer et de développer toutes les tendances du multiculturalisme dans l’ensemble du monde, en affirmant la coexistence pacifique comme une variante sans alternative et plus appropriée pour le futur.

Le 28 février 2014, le poste de Conseiller d’Etat de l’administration présidentielle pour le s que st ions ethnique s, multiculturelles et religieuses a été créé. Le pas suivant a été la création du Centre international du multiculturalisme à Bakou le 15 mai 2014 (centre de recherches et de mises en application pratique). La fondation Heydar Aliyev joue un rôle capital dans l’aide et la promotion de ces valeurs de coexistence pacifique au niveau national et mondial, en finançant des projets comme « l’élargissement

Said MUSAYEV

Said Musayev est un jeune doctorant de l’Institut des Droits de l’Homme de l’Académie nationale des Sciences d’Azerbaïdjan. Il consacre sa recherche à la coexistence entre juifs et musulmans dans son pays. Le sujet de sa thèse est la Lutte européenne contre l’antisémitisme, l’islamophobie et la radicalisation des jeunes. Il est diplômé de Sciences politiques de l’Université Montesquieu Bordeaux IV et de l’Université de Reims Champagne-Ardenne.

du rôle des femmes dans le dialogue interculturel » ou « le rôle de la culture dans un contexte de globalisation » ou « Azerbaïdjan pays de tolérance ».

2016 a été désignée comme l’année du multiculturalisme en AzerbaïdjanLast but not least, en avril 2016 s’est tenu à Bakou le forum global de l’alliance des civilisations de l’ONU autour de la thématique du vivre ensemble dans des sociétés inclusives : défis et perspectives. Enfin en 2017, Bakou accueillera le Congrès mondial du Scoutisme, dont les méthodes d’éducation informelle sont porteuses de valeurs de tolérance et de respect…

non seulement, l’Azerbaïdjan entouré de pays comme l’iran, la Turquie et la russie fait de la laïcité et de l’interculturalité ses chevaux de bataille mais surtout il offre un exemple de lutte contre la radicalisation dont s’inspire notamment nathalie Kosciuscko-Morizet dans ses suggestions de bonnes pratiques de lutte contre le terrorisme envoyées à Manuel valls en août 2016.

Ce petit pays sans antisémitisme, où il n’y a jamais eu de pogroms a peut-être ce point commun avec Israël d’être un îlot démocratique et laïc (ce qui ne signifie ni faible, ni laxiste face aux extrémismes). La coexistence multiculturelle en Azerbaïdjan revitalise les espoirs de la plupart européens, qui tombaient au pessimisme sur l’échec du concept de multiculturalisme dans les sociétés occidentales modernes. Certainement la démocratie c’est impossible de l’imaginer sans la diversité, la laïcité et la coexistence. ■

Famille juive d'Azerbaïdjan

DR

28 • Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager

Elie

Wie

sel

« Seuls ceux qui ont connu Auschwitz savent ce que c’était. Les autres ne sauront jamais.  » Ces mots sont tirés de la préface de Nuit et placent le déporté comme le seul témoin possible, la seule personne apte à produire un discours total relatant l’expérience d’Auschwitz. C’est ce que l’on appelle un argument d’autorité. Personne ne peut, éthiquement et moralement, le contredire. Le simple fait de nuancer ce propos paraîtrait criminel, comme une remise en question de l’Horreur endurée par d’autres que soi.

il existe néanmoins un autre discours possible, qui permet de garder espoir quant à la perpétuation de cette mémoire terrible qu’est celle de l’extermination des Juifs d’Europe dont les témoins nous quittent peu à peu. D’un côté il y avait Wiesel, Levi, Kertész, Antelme et d’autres encore. De l’autre, il y a ceux qui ne se sont pas trouvés en première ligne. Les dommages collatéraux. Parmi eux, Marguerite Duras.

Car il existe un savoir des témoins du Retour des déportés, celui de l’attente de la persécution, de l’annonce, ou du Retour, justement.

Elie Wiesel a écrit sur la vie après, mais ce n’est pas La Douleur de Duras. Dans tous les écrits qui suivront la Nuit (et qui ne rencontreront jamais le même succès), on ne retrouve pas la nudité obscène de La Douleur. Ce regard acéré de chirurgien qui constate que rien ne peut plus entrer dans un corps qui a vécu les camps sans en ressortir vicié, vert de pourriture. Un corps rescapé des camps ne peut plus rien ingérer. Ne peut plus rien recevoir. Ni nourriture, ni eau, ni amour, ni violence… Il faudra des mois, des années pour que les organes recommencent à fonctionner, à commencer par la peau qui ne sent plus.

Verba volent, scripta manent. les hommes meurent, les écrits restent, voilà comment on pourrait adapter, de façon optimiste, l ’axiome latin à la mémoire littéraire. «  Chaque mot écrit est une victoire contre la mort  » disait Michel Butor, disparu le 24 août. Ce fut le cas pour Elie Wiesel plus encore que pour les autres. ■

Lucile Simon

Nuit, récit paru, à force d’efforts, en 1958 grâce à François Mauriac (vis-à-vis duquel Elie Wiesel se détachera par la suite) aux éditions de Minuit. Un livre que nous devrions tous avoir lu, que certains ont étudié au lycée, que d’autres ont lu d’eux-mêmes, sur le tard, parce qu’ils ont été amenés à rencontrer son auteur ou parce qu’après avoir lu Primo Levi, ils ont été pris dans une sorte de tourbillon funeste, dans une boulimie de lecture sur ce que l’on appelle communément Shoah et que Elie Wiesel préférait nommer Holocauste.

Nuit, je ne l ’ai lu qu’à l ’univers ité. Personne ne m’en avait parlé jusqu’alors et ce n’est qu’à l’occasion d’un séminaire optionnel de Master intitulé « La Mémoire des archives » que je me suis mise à le remarquer un peu partout. Il était dans la bibliothèque de ma grand-mère, dans celle de mes parents, des parents de mes amis... Ce petit livre était partout, mais toujours rangé à une place un peu particulière, jamais mêlé au reste de la littérature « commune ».

Quand on parle de cette Nuit, il y a toujours, avant toute autre chose, de la passion. Passion pour le livre, pour son style, pour l’histoire, pour l’homme qui l’a écrite. Nuit fait partie de ces monstres sacrés de la littérature qui changent quelque chose en nous et nous font dire qu’ils nous ont rendus différents, plus riches, davantage conscients du monde qui nous entoure, de la force souvent injuste de cette vie qui nous balaie et de l’Histoire à laquelle nous appartenons, bien souvent malgré nous.

Dans les librairies, pourtant, il fallait toujours le commander. Et, évidemment, après le 2 juillet, il a fallu à nouveau faire inscrire son nom dans un serveur pour en récupérer une copie. Bien des exemplaires prêtés n’ont jamais été restitués. Et pour cause, on ne peut pas rendre ce livre sans laisser partir un bout de soi avec l’objet. Alors on le garde comme un talisman, un objet presque sacré qui nous rappelle celui que l’on était avant et dont l’existence nous fait espérer que ça ne se reproduira jamais. Franz-Olivier Giesbert a eu ces mots, dans l’hommage qu’il a rendu à celui que l’on considérait comme un survivant perpétuel, un chêne impossible à abattre : « Si vous n’avez pas encore lu ce livre, je vous plains et je vous envie en même temps. » Dualité, schizophrénie caractérist ique de la littérature de la Shoah dont la lecture est autant une chance qu’un malheur.

ELIE WIESEL

Qu’est-ce qu’un revenant ? C’est évidemment une personne qui revient ; mais c’est aussi un fantôme, une apparition. C’est donc en un sens une personne qui ne revient pas parce qu’elle n’en est plus capable. Le paradoxe fondamental du revenant consiste en ce qu’il revient et qu’il ne revient pas, ou que celui qui revient n’est plus celui qui est parti. (« littérature de l’holocauste et éthique de la lecture » Colin davis études littéraires, vol. 31, n° 3, 1999, p. 57-68)

30 • Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager

Amos

oz 19 h 45, samedi 10 septembre.

Amos oz arrive accompagné de son épouse, shalom, lance-t-il, le sourire plein du soleil d’israël, à ceux qui croisent son chemin. son regard bleu, d’une tendresse perçante, décuple son aura. on rencontre rarement, dans une vie, un auteur aussi intimidant.

de l’auteur dans ses personnages, ainsi qu’une part de son imagination. Mais de noter, non sans sourire, que si Judas ce n’est pas tout à fait lui, il est bel et bien entouré de Yehudas, à savoir son père et son fils. Le public rit, la conférence est lancée.

Judas (titre original en hébreu : L’Évangile selon Judas) n’est pas un personnage du dernier livre d’Amos Oz. Il est un prétexte, comme il le fut pour ostraciser, persécuter et massacrer les Juifs. Dans une maison hiérosolomyte durant l’hiver 1959-1960, nous assistons à un huis clos entre Shmuel (un étudiant hypersensible, perpétuellement dans l’hésitat ion), Gershom (vieil homme meurtri dans son corps et son âme, cloîtré, rude dans ses paroles) et Atalia, jeune et séduisante veuve, reine d’un palais déserté. A travers des dialogues ciselés, l’écriture d’une lettre ou la description d’un café, Amos oz, tout en associant humour, sensualité, poésie et perspective géographique, nous offre son regard de profiler pour épier ses héros, mais aussi pour enquêter sur le personnage de Judas. Sa perspective de citoyen, de

politique nous fait partager sa vision de l’histoire. Son style précis et riche, sa maîtrise des mots n’obèrent nullement le message que l’écrivain veut faire passer : la rencontre de ces trois êtres, qui cherchent chacun(e) un ailleurs peut-être, cette relation triangulaire, révèlent, autour de deux disparus (Shaltiel, le père d’Atalia - celui qui est qualifié de traître - et Micha, le mari d’Atalia) un univers de déchirement, à l’image de Jérusalem, ville divisée.

Livre dense, porté par le souffle du romancier et par la respiration des protagonistes, cet ouvrage est un défi multiple. Son objet, ses sujets, c’est-à-dire ses acteurs, son décor et sa musique (2), nous donnent à réfléchir sur des questions que nombre de lecteurs ignorent : les coulisses de la création de l’Etat d’Israël, le débat sur les origines du christianisme, les rapports aujourd’hui fraternels entre la grande majorité des Chrétiens et des Juifs et surtout sur le mythe antijuif de Judas. C’est avec une souplesse digne des plus grands esprits que l’écrivain israélien nous a prouvé qu’il ne saurait y avoir de littérature sans histoire et que l’histoire ne saurait exister et perdurer sans littérature. Il ne saurait y avoir de futur dans un monde qui renie son passé. Amos Oz avait tenu à préciser, en préambule, que ce serait l’écrivain qui parlerait ce soir et non l’homme, le militant. On ne peut être moins d’accord avec lui : aucune étiquette ne lui sied mieux que celle d’écrivain militant. ■

Lucile Simon et Bertrand Granat

L’ULIF accueille Amos Oz

Amos Oz n’est pas un romancier comme les autres. C’est un érudit

militant, qui défend sa langue, un hébreu littéraire qui sonne comme une petite mélodie qui nous ensorcelle et dont on finit inévitablement par perdre le fil, bercé par le timbre de cette voix qui ne se fait jamais entendre en vain. Pas de verbiage, pas de fioriture, Amos Oz ne se perd pas en circonvolutions.

Quand Amos Oz monte à la teba, il est acclamé, comme de juste. Le président, Jean-François Bensahel, le rejoint pour remercier les équipes de Copernic et de la librairie Lamartine qui se sont investies dans ce projet et qui ont permis à cette conférence de voir le jour.

Le rabbin Jonas Jacquelin interroge l’écrivain : pense-t-il, à l’instar de Flaubert, que Judas, c’est lui ? La réponse ne tarde pas : il y aura toujours quelque chose

Photos : © Claire Delfino

Amos Oz

Rabbin Jonas Jacquelin, Amos Oz et Margit Lipsker (l'interprète)

L’ULIF accueille Amos Oz

Bloc-notes/Hamevasser a sélectionné pour vous

32 • Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager

Hamevasser a sélectionné pour vous

Personne n’est jamais prêt à affronter la déchirure,

la séparation, personne n’en fait jamais assez

dans ces moments-là.

Anne Goscinny©

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en partenariat avec

LE SOMMEIL LE PLUS DOUXAnne GoscinnyÉditions Grasset

Jean-Paul Enthoven que nous avions reçu à Copernic, lecteur et critique littéraire d’exception, avait eu une phrase très forte : « il y a des livres qui rendent meilleurs ».Mais que peut bien signifier « être

rendu meilleur », sinon gagner en bonté, en humanité, en compréhension de la condition humaine et des épreuves qui la constituent, et d’abord de l’épreuve princeps : la mort, et au premier rang, la mort de nos parents ? Voilà le dernier roman de notre si chère amie, Anne Goscinny, lumineux, transperçant et écrit avec le cœur. Et que tout être humain digne de ce nom devrait avoir lu. Il donne du contenu, du sens, à ce 5e commandement dont l’énoncé à l’apparence bien trop simple enfouit à l’évidence des trésors de signification qu’il faut aller déterrer. « Honore ton père et ta mère », c’est à dire, en hébreu, donne leur du poids, glorifie les. A dire vrai c’est aussi et peut être surtout quand ils sont faibles, quand ils vont nous quitter, qu’il faut les honorer, les glorifier, les aimer.Peut-être est-ce à ce moment précis que se noue, vraiment et en profondeur, cette relation d’honneur, de gloire et d’amour, car seul le tragique peut donner à la vie son sérieux ; seul le tragique fait de l’existence une épreuve métaphysique.Personne n’est jamais prêt à affronter la déchirure, la séparation, personne n’en fait jamais assez dans ces moments-là. Toujours, l’on regrette et l’on porte comme un poids de n’avoir pas fait ce que l’on aurait voulu, pu, et dû faire dans ces moments terribles, de n’avoir pas fait infiniment plus que notre devoir, par bêtise, sécheresse, peur de l’épreuve, volonté stupide et si orgueilleuse de se préserver, peur de sa propre solitude…Anne Goscinny raconte l’histoire de Jeanne et de sa mère, avec la finesse du sculpteur de l’âme humaine qu’elle est, et montre qu’il est possible d’être à la hauteur et à hauteur du tragique, qu’il est possible d’être fidèle à leurs histoires, d’en reprendre à notre compte la perspective, et d’en tisser à notre manière un vêtement pour notre vie à nous. Roman d’initiation à la vie et à la mort, qui en fait partie. A lire d’urgence. ■

Jean-François Bensahel

ALBERT LE MAGNIFIQUEBrigitte Benkemoun Éditions Stock

Brigitte-la-journaliste a 55 ans quand elle se lance dans une enquête ambitieuse : découvrir qui a dénoncé son arrière-

grand-oncle, le diamantaire puis rentier Albert Achache, né le 28 février 1888 à Tlemcen – en Algérie – et assassiné à Auschwitz.Depuis qu’elle est petite, elle entend parler de cet homme devenu légende familiale, aussi mystérieux que flamboyant, jamais marié mais adopté par un certain M. Roux. D’Abraham Albert Achache en Algérie, il devient Albert Achache-Roux à Nice, dans la France occupée.Une question surgit rapidement : qui est donc ce septuagénaire au nom de personnage de Cluedo qui adopte un homme juif de vingt ans de moins que lui à la veille de la promulgation des lois antijuives ? Serait-il le dénonciateur dont elle guette le nom à chaque ligne des rapports, sur chacun des dos de photographies héritées ?Plus qu’un pèlerinage, ce roman – qui n’en est pas vraiment un tant la part fictionnelle, quasi inexistante, fait la part belle au récit – prend la forme d’une quête de « lui », sans cacher la curiosité de soi. En dépouillant les registres et en écumant les forums généalogiques, Brigitte Benkemoun remonte le temps et part à la conquête de sa propre histoire. Histoire qu’elle a besoin de reconstituer pour découvrir d’où elle vient, mettre le doigt sur le détail qui lui permettra enfin de comprendre qui elle est. ■

Lucile Simon

VERA KAPLAN Laurent Sagalovitsch Éditions Buchet

Chastel

Vera Kaplan a existé. Elle s’appelait Stella Goldschlag, elle était berlinoise, et juive.

En 1943, quand elle a commencé à travailler pour le compte de la Gestapo, elle avait vingt et un ans et un but précis : éviter la déportation de ses parents. Son rôle était de reconnaître ou de se faire reconnaître des Juifs qui avaient réussi à échapper aux rafles et autres contrôles pour les faire remonter à la surface et les faire arrêter, déporter.Le roman de Laurent Sagalovitsch est fort, aussi brillant que Les Bienveillantes de Jonathan Littell, bien que dans une autre veine. Vera Kaplan est l’ennemi de l’intérieur, celui qu’on ne peut soupçonner, celui auquel on ne peut que céder, puisqu’on ne peut l’envisager comme tel.Dans le roman éponyme, elle prend les traits de la grand-mère ignorée du narrateur, celle qu’il n’a jamais connue, dont il n’a jamais entendu parler. Celle dont il apprend l’existence à la réception d’un courrier du notaire adressé à sa mère à lui, tout juste décédée. Mais ce courrier ne vient pas seul. Il est accompagné d’un journal dans lequel on plonge la tête la première et qui ne nous lâche pas facilement. Le journal de Vera, celui qui retrace son itinéraire de dénonciatrice.Le narrateur (et l’auteur avec lui) pose une question essentielle à laquelle pourtant, on l’espère, personne ne pourra plus jamais répondre : et nous, à sa place qu’aurions-nous fait ? ■

Lucile Simon

Journal de la délation

JOURNAL D’ANNE FRANCKL’Annexe : notes de journal du 12 juin 1942 au 1er août 1944 Roman graphiqueRécit complet par Ozanam et Nadji Éditions Soleil

Ozanam (scénariste) et Nadji (dessinateur) sont inconnus du grand public, Anne Frank est, elle, un monument international. Le Journal fait le tour du monde depuis des décennies, on le connaît sinon par cœur, du moins de nom. Pas besoin d’être allé à Amsterdam visiter la maison des Franck pour penser connaître l’histoire et le destin tragique de la jeune fille.

Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 33

et pour avoir cette étrange impression dont on a parfois un peu honte : celle de savoir ce que c’était que de vivre caché, à seulement quatorze ans, dans une annexe de bureaux en compagnie de sa famille, d’une autre et d’un homme aigri.Et pourtant, on ne sait par quel truchement, ce roman graphique nous transporte là-bas. Dans cette petite maison cachée et à cette époque-là. Le journal intime publié par le père d’Anne à son retour, seul, des camps, marque un tournant dans la vie d’une partie des adolescents qui l’aborde au collège, peut-être un peu trop tôt. Cette adaptation toute en légèreté et en finesse offre un nouveau moyen de transmettre cette histoire qui, à elle seule, donne à lire et à vivre une partie majeure de la grande Histoire.Ce livre, à mi-chemin entre le roman et la bande dessinée, était une brillante idée de ses auteurs. C’est désormais un merveilleux outil pédagogique qui permettra sans doute à de nombreux adolescents peu portés sur la lecture de découvrir une page sombre mais essentielle de notre histoire. ■

Lucile Simon

Anne Franck en bande dessinée

COMMENT TU PARLES DE TON PÈREJoann SfarÉditions Albin Michel

Comme on dit qu’il n’y a pas plus sourd que celui qui ne veut pas entendre, il n’y a certainement pas plus aveugle que celui qui ne veut pas voir. Joann Sfar, père divorcé, est en vacances en Grèce avec ses enfants quand sa vue commence à se troubler. Le médecin (grec, donc) qu’il

consulte lui prescrit un collyre bourré d’amphétamines qu’il finit par prendre et qui ne lui offre rien d’autre qu’un mauvais trip. Regrettant l’absence de sa fiancée qui, à défaut d’un remède, lui aurait sans doute apporté du réconfort, il commence à se creuser la caboche.Le roman part de là, de cette soudaine et bien embêtante cécité. Le responsable, pour une fois, ne serait pas la mère mais le père. André Sfar, fraîchement disparu. Un père qui a élevé son fils seul, après la mort brutale de la mère. Alors que Joann n’était encore qu’un tout petit garçon.Fils unique par la force des choses, le fils rêveur s’est accroché à son père, un peu mère juive et un peu macho en même temps. Les belles-mères défilaient, plus sexys les unes que les autres. Mais si André a eu du mal à trouver un nouvel ancrage amoureux, la disparition de sa femme l’a aussi, et paradoxalement, rendu pratiquant. Lui qui n’avait jamais été religieux se met tout à coup à pratiquer cette religion juive qu’il semblait avoir oubliée. Et aujourd’hui, sur Héraklion, Joann s’en veut d’avoir fui Nice, sa synagogue et la promesse que son père lui avait soutirée : « ne pas louper un office pendant l’année qui suit sa mort ».Comme tout enfant se sentant coupable vis-à-vis de ses parents, le dessinateur/scénariste/réalisateur se livre à une introspection compensatoire. Son père n’était pas

blanc comme neige, refusant de lui avouer que sa mère n’était pas vraiment « partie en voyage ». Il avait eu le sang chaud. Il avait souvent manqué de tolérance, dénigrant les fiancées non-juives de son fils.En 150 pages, Joann Sfar rend un émouvant hommage à ce père-courage qui, malgré tous ses défauts, ne l’a jamais laissé tomber et l’a guidé, souvent malgré lui, vers l’homme qu’il devait devenir. D’anecdotes professionnelles en drame familial, la question de la « judéité » se dessine et, une fois la dernière page tournée, il ne fait aucun doute que, pour l’auteur-narrateur, rien ne sera jamais plus comme avant. ■

Lucile Simon

Œdipe était juif

LES BUS DE LA HONTE Jean-Marie Dubois et Malka Marcovich Éditions Tallandier

En mars 2014, J.-M. Dubois assiste à l’enterrement de son cousin. Durant la cérémonie revient le nom de son grand-père, Lucien Nachin, qu’il n’a pas connu mais que tout le monde encense. Une légende, l’ami du général De Gaulle. Après deux années de recherches pour percer

le mystère du passé trouble de ce grand-père sous l’occupation, Dubois et sa compagne Malka Marcovich font une découverte cinglante. Le lieutenant-colonel Nachin fut un maillon discret de la collaboration. Directeur du personnel de la STCRP, qui deviendra la RATP, il s’est mis au service du gouvernement de Vichy et des allemands. 95 % des déportés juifs, mais aussi de très nombreux résistants et communistes, ont été convoyés en bus durant cette période pour être ensuite acheminés en train vers les camps d’extermination et de concentration. Au moment de l’épuration, il évitera habilement toute réelle condamnation à la différence des autres dirigeants de STCRP. Historienne et consultante internationale spécialiste des droits de l’homme, Malka Marcovich est l’auteur de nombreux documentaires. Jean-Marie Dubois, historien de l’art, spécialiste des jardins cubistes, dirige la revue Paris Capitale et société de promotion culturelle Palmyre & co. Une enquête inédite sur un chapitre méconnu de la seconde guerre mondiale. ■

Les transports de la collaboration

LA POIGNÉE D’ÉLUS Maristella Botticini et Zvi Eckstein Éditions Albin

Michel

Comment l’éducation a façonné l’histoire juive de 70 à 1492 ? A l ’ é p o q u e d u

Second Temple de Jérusalem, en 70 de notre ère, le peuple juif qui vivait en majorité en Palestine et en Mésopotamie travaillait la terre et ne savait ni lire, ni écrire. En 1492, date de son expulsion d’Espagne, il est devenu un modèle de communauté citadine et éduquée, particulièrement dynamique dans les domaines de l’artisanat, du commerce, de la banque. Comment expliquer un tel changement ? Pour Botticini et Eckstein, il existe une corrélation entre le niveau d’alphabétisation des populations juives et leur degré de fidélité au judaïsme. Urbains et lettrés, les Juifs perdurent ; ruraux et analphabètes, ils disparaissent. Revisitant quinze siècles d’histoire, les auteurs montrent que ce ne sont pas les contraintes extérieures qui ont poussé les Juifs à se lancer dans les professions liées à l’argent, mais que le processus s’est amorcé auparavant, notamment grâce à l’usage de l’hébreu et aux fortes ramifications de réseaux juifs marchands à une échelle internationale. En effet, l’éducation favorise non seulement l’écriture, mais aussi la maîtrise des questions juridiques, notamment dans l’établissement des contrats. Ce livre original apporte une contribution remarquable à l’histoire juive, revue sous l’angle économique et démographique et réfute bien des idées reçues. ■

Le secret de la transmission

JUIFS ET MUSULMANS EN PALESTINE ET EN ISRAËL, DES ORIGINES À NOS JOURS Amnon Cohen Éditions Tallandier

La Palestine, berceau du judaïsme et du christianisme, est un pays qui a connu toutes les grandes civilisations de l’histoire. Les trois principales religions o n t l o n g t e m p s cohabité et ce dans une relative harmonie. A la proposition de création de deux Etats distincts, l’un arabe et

l’autre juif, par les Nations Unies, cette paix s’arrête brutalement. Depuis lors les deux peuples ne cessent d’être en conflit, qui apparaît comme l’un des plus longs de l’histoire contemporaine. Juifs et arabes sont-ils condamnés à une guerre sans fin ? Grâce aux archives des minutes du tribunal islamique de Jérusalem, Amnon Cohen, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, retrace l’histoire de la Palestine depuis la conquête du territoire par les arabes musulmans au VIIe siècle jusqu’à la création de l’Etat d’Israël en 1948. Sans parti pris, il démontre qu’en prenant la voie du compromis au lieu de la confrontation, la coexistence entre Juifs et Arabes peut être rétablie. Cet ouvrage est publié dans le cadre d’une collection intitulée « Histoire partagée » consacrée aux relations entre Juifs et musulmans en terre d’islam. Douze ouvrages seront présentés qui devront permettre aux jeunes générations d’avoir accès au patrimoine religieux culturel commun de ces deux grandes civilisations. Cette collection s’inscrit dans le projet Aladin, parrainé par l’UNESCO et soutenu par la Fondation pour la mémoire de la Shoah. ■

La guerre n'est pas irrémédiable

34 • Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager

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Le Magen David Adom (MDA) est l’une des organisations de

secours les plus importantes au monde. On en voit malheureuse-ment des images à la télévision à chaque attentat en Israël. Hamevasser a interviewé Olivier Kaplan, son Vice-Président Monde et Trésorier pour la France, qui a personnellement et familialement des liens très forts avec cette organisation, en plus de ses fonctions dans le monde des médias et de l’enseignement.

Hamevasser : Pouvez-vous nous dire ce qu’est le Maguen David Adom aujourd’hui ?

Olivier Kaplan : Chacun est aujourd’hui familier de ces images d’actualité en Israël où les secours médicaux sont présents immédiatement en cas d’attentat ou de crise. Les gilets des secouristes, l’étoile rouge de david sur leurs uniformes, sur les ambulances, les motos médicalisées, méritent que l’on s’y arrête. Car derrière ces images d’actualité, i l y a une organisation exceptionnelle, qui repose sur une information en temps réel grâce à des technologies de pointe et un réseau de volontaires, avec une capacité d’intervention immédiate. Il m’a semblé qu’au moment où l’on cherche à tirer des leçons de la réactivité et de la résilience de la société israélienne, confrontée sur longue période

à des actes de terreur, le rôle majeur du MDA est rarement cité alors qu’il constitue l’une des pierres angulaires de la mobilisation de la société civile, faite de valeurs communes et d’élans de solidarité. Derrière les images qui peuvent paraître anodines, l’exceptionnalité du MDA, par ses valeurs, son organisation, son efficacité, doit être soulignée.

H : Quel est votre rôle au sein du MDA ?

O.K. : J’interviens dans l’association française des amis du MDA, d’abord comme militant, et depuis quelques années comme trésorier et administrateur. Je suis également vice-président de l’IMDAC qui réunit l’ensemble des sociétés amies du MDA dans le monde, qui travaillent sur des projets tels que la construction d’une nouvelle banque du sang sécurisée face aux attaques de missiles. Lors de la dernière réunion de cette instance, la soirée d’inauguration a été interrompue par un attentat dans une gare routière. J’ai pu assister en direct à la mobilisation de tous les échelons de l’organisation du MDA pour gérer en urgence cette situation de crise. Lors de l’attentat de Sarona, j’ai

voulu rappeler le caractère symbolique de ce lieu dans un article publié

par le site de l’Express, qui oppose précisément les objectifs de la terreur aux principes d’universalisme qui guident l’action du MDA.

H : Quelles sont les missions du MDA ?

O.K. : Le MDA (« bouclier de David ») a une mission exclusive :

sauver des vies. Cette organisation regroupe 15 000 volontaires en Israël, des hommes et des femmes, bénévoles et « paramedics », formés aux gestes des premiers secours, équipés, prêts à intervenir à tout moment lorsqu’une vie est en jeu, sur le lieu d’un attentat, en cas d’accident ou d’alerte médicale, pour transporter les victimes, les blessés, tous ceux qui ont un besoin médical urgent dans l’hôpital le plus proche.

H : Par rapport à d’autres organisations, quelles sont les particularités du MDA ?

O.K. : Tout d’abord, le MDA est la seule organisation au monde à être chargée nationalement à la fois des urgences et

O l i V i e r K a P l a n,Vice-Président de MDa Monde Entretien

le Magen DaViD aDOM

secours médicaux d’une part et de la collecte du sang d’autre part. L’autre particularité du MDA est son financement, qui repose entièrement sur les dons, sans recevoir de subventions de l’Etat d’Israël. C’est pour cela que nous faisons appel à votre générosité, en donnant au MDA, nous avons le privilège de servir une cause universelle. L’un des messages du MDA est bien connu : « qui sauve une vie sauve un monde ».

De gauche à droite : Michel Ktorza (président MDA France), Valentine Kaplan (adhérente), Lazare Kaplan (vice président du MDA France et ex-président), Olivier Kaplan (trésorier MDA France et vice président IMDAC) et Victor Wintz (DG MDA France)

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Nous avons en France et partout dans le monde l’occasion de pouvoir aider ceux qui s’engagent pour cette cause par nos dons. Plus qu’ailleurs, pour le MDA l’argent est « le nerf de la paix ».

H : En quoi consiste le rôle de l’association française des Amis du MDA dont vous êtes le trésorier ?O. K. : L’engagement de l’association française est particulièrement important et s’inscrit dans une histoire. La co-fondatrice du MDA en France était ma grand-mère, Fanny Kaplan, avec le soutien de mon grand-père, le grand Rabbin de France, Jacob Kaplan, ceci dès la création de l’Etat d’Israël. Mon père, le Docteur Lazare Kaplan en a pris la présidence et s’est engagé avec succès dans le développement du MDA, reconnu aujourd’hui comme l’une des grandes associations du monde juif. Il est maintenant vice-président et Michel Ktorza lui a succédé, et poursuit avec les équipes du MDA, Victor Wintz, son Directeur Général, le développement partout en France de l’association. Pour ma part, c’est donc un engagement personnel, en ligne avec les valeurs du judaïsme ainsi qu’avec les valeurs universelles et humanitaires, qui sont les mêmes et sont portées par le MDA.

H : Concrè tement comment ag i t l’association française des amis du MDA ?

O. K. : Nous équipons des ambulances et des scooters médicalisés indispensables à l’intervention rapide du MDA. Il faut savoir qu’un appel est pris en charge par le MDA en Israel en moins de 4 secondes, qu’un volontaire du MDA est présent en moins de 4 minutes, et que le transport à l’hôpital se fait en moins de 10 minutes. Cette efficacité remarquable, sans doute l’une des plus rapides au monde, nous pouvons y contribuer en finançant par nos dons ce matériel médical.

Nous avons aussi équipé des stations médicales complètes dans les villes de Raanana et Guedera.

En France, nous assurons des formations aux gestes de premier secours, que faut-il faire notamment en cas d’attentat, nous formons les enfants en été avec « la caravane de la vie », nous installons avec l’Institut du Coeur des défibrillateurs. Vous pouvez nous contacter pour mettre en place ces actions.

Enfin, cas unique parmi tous les pays qui dans le monde soutiennent le MDA, nous avons mis en place une « unité internationale » formée de 100 médecins français, formés aux premiers secours, et prêts à se rendre en Israël pour aider les équipes du MDA sur place. Nous l’avons déjà fait et certains de nos médecins ont pu ainsi sauver des victimes d’attentat !

H : Vous avez mentionné les valeurs humanitaires du MDA. Pouvez vous nous en dire plus ?

O. K. : D’une part, les équipes du MDA représentent toutes les composantes de la société israélienne, religieuses, ethniques, culturelles. C’est l’une de ces institutions où la coexistence existe, au service d’un seul objectif, sauver des vies et constitue la matrice de la paix de demain. D’autre part, la priorité du MDA pour ses interventions est de secourir la blessure la plus grave sans autre considération, conformément au droit humanitaire ; Enfin, dès qu’il le peut, le MDA envoie ses équipes ailleurs dans le monde pour apporter son assistance, par exemple lors du tremblement de terre au Népal. Enfin, le MDA est affilié à la Croix Rouge, reconnaissant le rôle incontournable du MDA.

H : Quel message souhaitez vous nous communiquer à la veille des fêtes de Tichri ?

O. K. : Le MDA est une assurance pour tous ceux qui se rendent en Israël. Si vous faites un don, vous recevrez une carte qui constitue cette assurance. Le MDA est à la pointe de la technologie et a développé une application, « MyMDA » qui permet d’échanger en temps réel des données médicales et de rendre les interventions encore plus efficaces. Tous les jours, les volontaires répondent oui par leur engagement à la question : « Suis-je le gardien de mon frère ? » au sens de tout homme ou femme. Nous pouvons ici et maintenant « liker » et partager sur Facebook, retweeté nos « posts », participer à nos formations, venir à nos dîners, soutenir financièrement le MDA, et aider ainsi à notre tour ceux qui, par leur engagement humanitaire et universaliste, sont « les gardiens de nos frères ». ■

Propos recueillis par Michaël Bar-Zvi

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nce C ’était, cette année,

le 30e anniversaire de la prière pour la paix que le pape Jean Paul II avait inaugurée à Assise en 1986 sous l’égide de la congrég at ion S a n t ’ E g i d i o , e t à laquelle participaient des leaders religieux de la planète (plus de 300), toutes religions confondues y compris asiatiques, ainsi que des personnalités laïques et du monde de la culture. Parmi les représentants du judaïsme français avaient été invités le grand rabbin de France, Haïm Korsia, empêché, et votre ser v i teur. A noter une très forte délégation musulmane de nombreux pays, n o t a m m e n t n o t r e ami Anouar Kbibech, président du CFCM, ainsi qu’une délégation très fournie d’israéliens juifs, mais aussi arabes, c h r é t i e n s c o m m e musulmans.

le Pape françois avait dé cid é d e passer la journée avec nous, et de l’animer.

Ch o c d e c ons ci e nce donc parce que, d’abord, toutes les religions sont venues dire avec

force d’âme et d’une même voix que chacun de nous est fait à l’image de dieu et est donc inviolable et sacré. La terreur est la marque infaillible de la sortie de la religion, qui ne peut tolérer aucune violence sur autrui. Elle doit être inlassablement condamnée. Chacun a souhaité faire une introspection sur lui-même pour éradiquer ce qui dans ses textes, dans son histoire, est un adjuvant explicite ou implicite à la violence.

Choc de conscience aussi parce que c’est la première fois que j’assistais à la confection d’un monde à la recherche de son unité, non pas par la pensée, mais par la pratique de la différence. L’un des rabbins invité, rescapé de la Shoah et israélien, eut une formule tranchante : « tous différents mais tous ensemble ».

C ’est sans aucun doute le grand défi de nos générations que de vivre dans un monde qui se mondialise, qui

amène chacun de nous à rencontrer l’autre et un autre différent. Quand Montesquieu écrivait en 1721 les Lettres Persanes pour illustrer le relativisme des cultures, c’était un exercice théorique car personne ne côtoyait, ne vivait avec ces persans. Il n’en est plus de même aujourd’hui, et il faut reconnaître qu’à Assise, nous avons tous été obligés de nous livrer à un exercice de décentrement, tant les visages étaient inconnus, tant les habits, parfois haut en couleur, étaient insolites. Nous avons réalisé, comme une évidence, que la rencontre n’était pas antagonisme mais qu’elle pouvait et devait être collaboration, rapprochement, élévation. Dans notre monde en voie de mondialisation, de globalisation, les religions sont des forces mondiales, car elles irriguent le monde entier. Ce sont, elles aussi, des multinationales, non pas de la richesse matérielle, mais de la richesse spirituelle. Elles doivent être des multinationales de la paix. Elles doivent être les promoteurs d’une culture de la paix.

De retour d’Assise : un choc de conscience

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En un sens, la rencontre a une valeur prophétique : elle indique la flèche des temps messianiques quand nous ne serons plus un jour que des enfants du même Père, différents, singuliers, irremplaçables, mais réunis dans le sein d’une humanité pacifiée.

Choc de conscience enfin car lorsque Andréa Riccardi fonda la communauté catholique de Sant’Egidio en 1968, il changea la façon de « faire religion ». Sant’Egidio nous montre le chemin pour que nos religions ne soient pas des institutions qui ne se soucient que d’elles-mêmes, tournées, recroquevillées sur leur quant-à-soi, et ce qui, à différent titres, les frappent toutes, mais pour qu’elles soient aussi des institutions en dialogue avec tout homme, quel qu’il soit. Car au bout du dialogue, au bout de la volonté de dialogue, il y a la paix.

A l’imitation de la grande oeuvre d’Andrea Riccardi, chaque religion doit être un maillon de cette politique de la fraternité universelle que le monde appelle de ses vœux.

Nous n’avons pas le choix, nous n’avons plus le choix. Sinon ce sera la guerre de tous contre tous. Oui, aujourd’hui il peut, il doit y avoir une parole religieuse forte pour rappeler la nécessité de cette fraternité, et pour agir concrètement dans le monde pour que reculent les préjugés, la volonté de puissance, le goût de la domination, l’injustice, la pauvreté, le mal. Nous pouvons intervenir ensemble sur et dans le monde, notre Maison commune, et dans le temps présent.

En un sens c’était le programme du grand Hillel : « Si je ne suis pas pour moi, qui le sera ? Mais si je ne suis que pour moi, que suis-je ? ». Le grand défi posé aujourd’hui au judaïsme est de s’engager dans ce projet pour le monde. Oui, nous ne pouvons pas être que pour nous. Nous devons être aussi pour les autres. C’est notre avenir qui est en jeu. Et c’est de notre fidélité à l’esprit même du judaïsme qu’il s’agit.

En un sens, et similairement, les Pirke Avot fixaient d’ailleurs un programme pour notre action dans le monde, en rappelant que le monde repose sur trois piliers, sur la Torah, c’est à dire sur l’étude, sur l’exercice de l’intelligence, sur l’Avodah, sur le culte, sur la prière, et sur les « gmilout hassadim », sur les actions de bienfaisance, les actions de paix, de justice, d’espérance du monde à venir.

Merci Sant’Egidio ! ■

Jean François Bensahel

Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager • 37

38 • Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager

Infos communautairesFranÇOiS Curiel , COMManDeur De la lÉgiOn D’HOnneur

Il est rare d’être fait commandeur de la Légion d’honneur. Il est encore plus rare

d’être aussi un pilier de Copernic.

C’est pourtant la distinction qui vient d’être remise à notre si cher ami François Curiel.

François a la simplicité et la discrétion des grands, tel qu’on les rêve, et tels que, hélas, on en rencontre si peu. Il est de ceux là. Toujours disponible, malgré une vie professionnelle trépidante qui l’a conduit à être l’un des dirigeants de Christie’s, et actuellement le patron de Christie’s en Asie, il est devenu l’un des plus grands spécialistes mondiaux du marché de l’art, doté d’une énergie d’entrepreneur, armé d’un humour très « british », disposant d’une intelligence extrêmement aiguisée. Malgré son emploi du temps et son éloignement géographique, nous avons la chance de l’avoir toujours

avec nous à Tichri. Il ne m’est d’ailleurs pas possible de m’imaginer passer nos fêtes, sans sa présence attentive et bienveillante.

Il est rentré dans notre Talmud Torah en 1958, a fait sa Bar-Mitsvah en 1961, s’est marié en 1973, a eu 2 filles, Alexandra et Stéphanie qui ont fait leur Bat-Mitzvah en 1988, et, toujours à Copernic, Alexandra s’est mariée avec Franck Joffo en 2005.

Surtout il a un intérêt permanent pour notre communauté. Soucieux de son avenir, de son développement, il en incarne la tradition – ne se définit-il pas comme un enfant d’Emile Kaçmann?-, mais sait aussi qu’une institution ne dure et se développe que si elle sait, dans la fidélité à elle même, se réinventer. J’ai la chance de bénéficier de son expérience et de ses réflexions sur notre devenir.

On peut être un homme du monde, un nomade, vivre dans plusieurs endroits à la fois, et savoir qu’il nous faut aussi quelques points fixes sur lesquels prendre appui, et Copernic est pour lui l’un de ceux là. Il ne peut imaginer notre petite institution que florissante, et pleine de projets.

Du fond du cœur, mille mercis, cher François pour ce que tu es, ce que tu fais et pour l’intérêt passionné que tu nous portes, que tu portes à l’une de tes maisons. ■

Jean-François Benshael

le PreMier SHaBBaT De la FraTerniTÉ fut un grand succèsA l’heure où la société française vit une crise sans

précédent depuis la deuxième guerre mondiale, l’identité de chacun, liée aux héritages culturels et constituant notre richesse nationale se referme sur elle-même, laissant au communautarisme une place disproportionnée au sein de la République Française.

La méconnaissance et le rejet de l’autre sont à l’origine d’une violence sociale sans précédent dans notre pays. Le détournement des valeurs universelles des grandes religions est aujourd’hui au cœur des conflits du monde et se retrouve par ricochet au cœur de ceux de la société française.

Le racisme et l’antisémitisme sous toutes ses formes ont marqué une nette recrudescence ces dernières années.

La marche symbolique de la Fraternité « Je suis la Colombe », fut l’occasion de prendre de la distance vis-à-vis des stéréotypes, des préjugés, et de permettre la naissance de nouvelles relations en apprenant à connaître et respecter ses voisins, pour favoriser la paix dans la cité.

C’est dans cet esprit, que s’est tenue la toute première marche de la Fraternité les 23, 24 et 25 septembre dernier à Paris.

Plan Vigipirate oblige et pour des questions de sécurité évidentes, la marche fut « symbolique » pour éviter tout mouvement de foule sur la voie publique.

Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées dans différents lieux de la capitale : synagogue, mosquée, temple, église, mairie, cirque, avec au programme des conférences, tables rondes, des verres de la Fraternité, un pique-nique, un dîner, un déjeuner, et de belles rencontres.

Merci à l’ulif-Copernic, qui a organisé le premier shabbat de la fraternité. l’objectif était d’offrir à toutes et à tous, l’occasion d’engager un dialogue et une réflexion autour de la laïcité, clef de voûte de notre société.

Ce fut une occasion de plus de discuter en présence d’imams, de prêtres, de pasteurs, et de nombreux invités, sur l’échange et le partage des cultures, des valeurs qui sont nos richesses et nos armes pour lutter contre les extrémismes de tous bords. ■

Pierre LEVY Association La marche d’Abraham

www.jesuislacolombe.org

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H : Est-ce que l’entrée ou non dans l’Union européenne a une infl uence sur la relation à la modernité, à la laïcité, à l’islam ?

P.L. : Je crois que ce sont deux choses différentes, même si au niveau des hommes politiques on invoque souvent ces questions comme un obstacle. A mon avis, la raison principale pour laquelle le dossier de candidature de la Turquie n’avance pas c’est le peu de progrès réalisé par les autorités turques pour satisfaire le cahier des charges de l’Union Européenne, c’est-à-dire leur manque d’empressement

à réaliser les réformes économiques, sociales et juridiques requises pour tous les pays candidats à l’accession à l’UE. N’oublions pas que, la Turquie est très loin de satisfaire les critères en matière de libertés et de droits de l’homme de l’UE.- il y a aujourd’hui plus de 600 journalistes en prison- et qu’elle ne reconnait toujours pas l’Etat chypriote (grec), un Etat membre de l’Union. Je ne suis pas sûr par ailleurs que les hommes d’affaires turcs soient prêts à se soumettre aux règles de concurrence et de droit du travail beaucoup plus strictes de l’UE. ■

ErratumDans le numéro précédent de Hamevasser 196, une petite erreur technique s’est produite dans l’interview de Pierre Lazar sur la laïcité en Turquie. Nous vous prions de nous excuser et nous publions ci-dessous le passage manquant à la fi n de l’interview :

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TalMuD TOraH

Dès cette rentrée, David Dokhan co-dirigera le Talmud-Torah avec Ariane

Bendavid. Depuis de très nombreuses années, il a été à ses côtés pour en porter les différents projets et préparer les Bnei-Mitzvah. L’importance de notre Talmud-Torah mérite bien deux directeurs, chacun ayant ses propres attributions. Ariane Bendavid restera chargée de l’accueil et de la relation avec les familles, ainsi que des contenus pédagogiques et du suivi des Bnei-Mitzvah. David quant à lui, se chargera du "management" du corps enseignant. Il veillera à l’application des programmes et s’assurera tout au long de l’année que ceux-ci sont bien acquis par les enfants. Il chapeautera également le E-Talmud pour les enfants de 2e année qui auront la chance, comme les 1res années de l’an dernier, d’en bénéficier.

N’oubliez pas que l’identité juive de vos enfants se forge dès le plus jeune âge : notre GAN (jardin d’enfants) les accueille dès 4 ans, pour des activités ludiques, autour d’une enseignante exceptionnelle : Anne Cohen, par ailleurs chargée du E-Talmud des 1res années. Ce Gan offre en outre un tarif tout à fait attractif de 100 euros l’année. Aucune raison d’hésiter !

Le Tamud-Torah n’a pas pour unique vocation de préparer les jeunes à la Bar ou Bat-Mitzvah, et en tout état de cause, cette préparation, pour avoir un sens, ne saurait se faire en moins de deux ans ! inscrivez-les dès le primaire !

Par ailleurs, nous vous informons de l’ouverture, en remplacement du Centre Malraux (Copernic Rive Gauche), d’un nouveau centre, situé au 104 rue de Vaugirard, soit à deux pas de Malraux. Ce nouveau centre offrira aux enfants un meilleur confort, et surtout, la possibilité de bénéficier de l’enseignement numérique du E-Talmud comme les enfants de Copernic. Les cours y seront dispensés par la même équipe enseignante, le mardi de 18 h 15 (accueil dès 17 h 45) à 19 h 45.

Dernier point : Francine Zylberberg étant partie à la retraite, nous souhaitons la bienvenue à notre nouvelle assistante, Monique Goldberg, qui est à votre disposition pour toute information.

les inscriptions sont ouver tes au 01 47 04 37 27. nous vous espérons très nombreux et vous souhaitons d’excellentes fêtes de Tichri. ■

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Ariane Bendavid et David Dokhan

le PreMier SHaBBaT De la FraTerniTÉ fut un grand succès

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PrOgraMMe DeS COnFÉrenCeS 2016 -2017 / 5777• Ariane BENDAVID

« Du Roi David à Massada, Israël entre Histoire et légende »

• « Le Seigneur dit à Samuel : donne leur un Roi » (I Sam 8, 22). 8 novembre

• De Saül à David, une difficile passation de pouvoir (22 novembre)

• Le royaume de David : gloire, intrigues et trahisons (6 décembre)

• Salomon : grandeur et décadence (3 janvier)

• Le regard de l’Histoire (17 janvier)

• Où est la vérité ? (31 janvier)

• Omri – le nouveau Salomon ? (21 février)

• La chute de Samarie et l’essor du royaume de Juda (7 mars)

• De la réforme de Josias à la destruction du premier Temple (21 mars)

• L’exil et le retour : la naissance du judaïsme. (28 mars)

• La période du Second Temple Athènes et Jérusalem. (18 avril)

• De la conquête romaine à Massada. (2 mai)

Un mardi sur deux de 14h30 à 15h45.1ère conférence : mardi 8 novembre 2016

INSCRIPTION POUR L’ANNÉE (12 conférences) : MEMBRES ULIF : gratuit / NON MEMBRES 175 €

Renseignements : 01 47 04 37 27 - [email protected]

Novembre 2016 8 22

Décembre 2016 6 13

Janvier 2017 10 24

Février 2017 21 28

Mars 2017 7 21 28

Avril 2017 25

Mai 2017 9 23

Juin 2017 6 20

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COurS D 'HÉBreu B iBl iQue 2016 -2017 / 5777L e p r o f e s s e u r L i l i a n e V a n a , Docteur ès sciences rel ig ieuses, spéc ia l i s te en d ro i t héb ra ïque , talmudiste, philologue, donne un cours d’hébreu biblique de 2 heures, tous les quinze jours, le mardi de 12 h à 14 h.

Pour tous renseignements et inscriptions: 01 47 04 37 27 - [email protected] Copernic 24 rue Copernic 75116 Paris

INSCRIPTION POUR L’ANNÉE MEMBRES ULIF : gratuit NON MEMBRES 350 €

Infos communautairesin

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CYCle De COnFÉrenCeS proposé et animé par le raBBin JOnaS JaCQuelinTout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le judaïsme** sans jamais oser le demander

Le mardi à 20h00

• Qui est juif ?15 Novembre 2016

• Sommes-nous tous assimilés ?13 Décembre 2016

• Y a-t-il une sexualité casher ?10 Janvier 2017

• Comment transmettre le judaïsme à nos enfants ?7 Février 2017

• Pourim : un regard juif sur l’antisémitisme7 Mars 2017

• Pessa’h : manger pour ne pas oublier4 Avril 2017

• Les juifs et la politique2 Mai 2017

• Les tabous du judaïsme13 Juin 2017

COurS De PenSÉe JuiVe 2016-2017 / 5777 par le raBBin PHiliPe HaDDaD«La pensée d’Israël : ses exégètes et ses philosophes, d'hier et d'aujourd'hui »

Septembre 2016 7 14 28

Octobre 2016 5 26

Novembre 2016 9 16 23

Décembre 2016 7

Janvier 2017 4 11 25

Février 2017 1 22

Mars 2017 1 15 22

Avril 2017 19

Mai 2017 3 10 24

Juin 2017 7 14 28

INSCRIPTION POUR L’ANNEE

Le mercredi de 19 h 30 à 21h00

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LE DIMANCHE MATIN de 10 h à 12 hun soutien scolaire de la 6e à la 1re

avec des étudiants formés au tutorat et encadrés par des professeurs de l’enseignement publicMathématiques - Physique - ChimieFrançais - Anglais - Espagnol - Hébreu moderneÉconomie - Histoire - Géographie

PAF : 5 € par matinéeRens.: 01 47 04 37 27 – [email protected]

SOUTIEN SCOLAIRE

ouverte aux élèves de 1re et Terminaleavec des professeurs spécialisés aux concours d’entrée des Ecoles de Paris et de ProvinceLe dimanche matin de 10 h à 12 h à l’ULIF(hors vacances scolaires)PAF : 5 € par matinéeRens. : 01 47 04 37 27 – [email protected]

PRÉPARATION À SCIENCES-PO

Professeur : Éric ROUXDiplômé du brevet d’Etat 3e DANTous les mercredis* de 17h20 à 18h40*Hors fêtes juives, jours fériés et vacances scolaires

Adulte: 260� / Enfant : 230�Rens. : 01 47 04 37 27 – [email protected]

➤ PERMANENCE JURIDIQUEUn soir par mois de 18 h à 21 hProchaines permanences• Mercredi 9 novembre 2016• Mercredi 7 décembre 2016Inscriptions obligatoires : 01 47 04 37 27 – [email protected]

LIEN SOCIAL

➤ COPERNIC VOUS AIDEDeuil, précarité, isolement, souffranceNotre lien social et communautaire propose :• Des permanences sociales• Des visites aux maladesSylvie Trèves, Assistante de Service Social,reçoit sur rendez-vousTel: 01 47 04 37 27 ou [email protected]étion, écoute, accueil, solidarité

KRAV MAGA

leS aPrÈS-MiDiS De COPerniCA.C.A.J.I.F. Association des Clubs de l’Amitié Juifs de l’Ile-de-FranceDans le cadre de ses activités communautaires et en collaboration avec la Coopération féminine, l’U.L.I.F vous propose :

• Richard David Sitbon nous présentera son livre" La France peuple élu de l'Europe"

3 novembre, 14 h 30

• Samy Brochner nous parlera de son livre "Iconoclastie du Moyen Orient 1916-1917-Des accords Sykes Picot à la Déclaration Balfour"

10 novembre, 14 h 30

• Joëlle Allouche Benayoun. Pour son livre "Les Juifs d' Algérie - Une histoire de rupture"

17 novembre, 14 h 30

• Michèle Kahn nous fera découvrir son nouveau roman "Un soir à Sanary"

24 novembre, 14 h 30

• Brigitte Stora nous parlera de son livre "Les Juifs, Charlie puis tous les nôtres "

1er décembre, 14 h 30

• Élise Benhaim raconte…8 décembre, 14 h 30

• Chants Yiddish interprétés par Claude Berger accompagné au piano

15 décembre, 14 h 30

PAF : 10 € Réunion suivie d’un goûterPour les visites à l’extérieur, adressez d’avance

votre chèque à l’ordre de : U.L.I.F. 24, rue Copernic 75116 Paris.

Réservations/contact : Katty Loterre Hadida06 37 20 51 55 ou [email protected]

• COURS DÉBUTANTSJEUDI 20 h 15 à 22 hDébut des cours : jeudi 13 octobre 2016

• 2° ANNÉEMARDI 19 h 45 à 21 h 30Début des cours : mardi 20 septembre 2016

• 3° ANNÉEMERCREDI 18 h 30 à 20 h 15Début des cours : mercredi 14 septembre 2016

• 4E ANNÉEMERCREDI 20 h 15 à 22 hDébut des cours : mercredi 14 septembre 2016

• 5E ANNÉEMARDI MATIN EXCLUSIVEMENT 10 h 30 à 12 h 15début des cours : mardi 20 septembre 2016

• AVANCÉS (conversation/lecture journaux)JEUDI 18 h 30 à 20 h 15Début des cours : jeudi 15 septembre 2016

OulPan - COurS D ’HeBreu POur aDulTeS Du 14 septembre 2016 à fi n Juin 2017

Les cours sont donnés à l’ULIF par Esther Piekner - MalinskyAncien professeur de l’Oulpan Akiva en IsraëlRéputée pour ses cours très vivants, elle fait parler ses élèves dès le 1er cours et revient vers la grammaire en fin de cours.

Son objectif : répétition des mots, attention focalisée sur le groupe et sur l’individu, le tout sans aucun stress.

Résultat : atmosphère conviviale, relation d’amitié entre les élèves, instauration d’un vrai dialogue.

Ainsi, chaque élève peut s’exprimer quel que soit son niveau.

Renseignements : 01 47 04 37 [email protected]

ULIF - 24, rue Copernic 75116 Paris

INSCRIPTION POUR L’ANNEE : MEMBRES ULIF : 375 € NON MEMBRES 415 €

Ariane BENDAVID, Maitre de Conférences en études juives à la Sorbonne, Directrice du Talmud-Torah de l'ULIF-Copernic, ainsi qu'un guide spécialisé, vous accompagneront pendant ces 7 jours. A. BENDAVID, ponctuera ce séjour inédit de conférences liées à l’histoire de Jérusalem et aux écrivains qui l’évoquent.

Jérusalem « autrement », un séjour d’exception25 OCTOBRE-31 OCTOBRE

Beaucoup d’entre vous croient sans doute que Jérusalem n’a plus de secrets pour eux, mais est-ce bien la réalité ? En dehors de la vieille ville et de certains quartiers très fréquentés, cette ville mythique et ses environs cachent des trésors méconnus des touristes.

C’est pourquoi nous avons choisi de vous faire découvrir la ville et ses environs, hors des sentiers battus, loin des circuits touristiques classiques. Un séjour réservé aux initiés !

Grottes de Sédécias, Musée Rockfeller, Musée d'art islamique, Ein Kerem, Couvent des soeurs

de Sion, Beit Gouvrin, Beit Gemal, Abou Gosh, Beit Ticho, quartier russe, Beit Thabor, Eglise Ethiopienne, Ketef Hinnom, Maison d'Agnon, site de Ramat Rahel...

Tarif tout compris (vols réguliers, hôtel PRIMA KINGS, repas, visites,

conférences ...) : 1980 euros

VOYAGE ORGANISÉ PAR L'AGENCE CONTINENTS5.

RENSEIGNEMENTS, PROGRAMME DÉTAILLÉ ET

INSCRIPTIONS: [email protected] ou

[email protected]

VOYAGE avec

Ariane Bendavid

VOYAGE ORGANISÉ PAR L'AGENCE CONTINENTS5.

RENSEIGNEMENTS, PROGRAMME DÉTAILLÉ ET

INSCRIPTIONS:

VOYAGE avec

Ariane Bendavid

SAMEDI 9 JUILLET 2016

Franck FREOA

SAMEDI 16 JUILLET 2016

Ethan ELBEZ

SAMEDI 11 JUIN 2016

Naomi SALOMON

SAMEDI 23 JUILLET 2016

Joseph DARMON

SAMEDI 30 JUILLET 2016

Anouk BOUHADANA

SAMEDI 6 AOÛT 2016

Nathan WEISMAN du MJLF Emmanuel LUCAS du MJLF

SAMEDI 26 AOÛT 2016

Emmanuel CHEKROUN Samy BALOUI Jérémy SERFATI Raphaël MILLION-BRODAZ

SAMEDI 17 SEPTEMBRE 2016

Raphaël MANDELCWAJG Raphaël EDERY

SAMEDI 24 SEPTEMBRE 2016

Paul TIMSIT, fi ls de Rosine TIMSIT administratrice de l’ULIF Copernic

MARDI 5 JUILLET 2016

Fanny MICHAU et Yossi MAMAN

DIMANCHE 10 JUILLET 2016

Audrey CARLOS et Michaël SEBAN

Sarah AMARI et David BELHASEN

JEUDI 14 JUILLET 2016

Rebecca MAIZEL et Maxime ALLOUCH

Justine ATTAL et Jonathan KHALIFA

DIMANCHE 17 JUILLET 2016

Katia HAZIZA et Stéphane BLEMUS Yael GOZLAN et Romain LACOU

LUNDI 18 JUILLET 2016

Céline OIKNINE et Michaël BENDECON

LUNDI 22 AOÛT 2016

Virginie PERC et Joachim MODERN

JEUDI 25 AOÛT 2016

Sarah ABOULAFIA et Maxime ERNST

DIMANCHE 28 AOÛT 2016

Pauline ILLY et Pascal MELLUL

Aliza PATRON et Noé CARUSO

Stéphanie LUISET et Laurent BELLAÏCHE

DIMANCHE 4 SEPTEMBRE 2016

Victoria RECHNER et Jérome ABOUCAYA

DIMANCHE 11 SEPTEMBRE 2016

Marilyne SEBBAN et Morgan FELLOUS

JEUDI 15 SEPTEMBRE 2016

Léa ROBERT et David CHOUCHANA

DIMANCHE 18 SEPTEMBRE 2016

Eliza et Hervé GAUTRON Liliane VERCHEREZ et Serge SKROBACKI

DIMANCHE 25 SEPTEMBRE 2016

Stephanie BENAMARA et Jonathan DJOURNO

JEUDI 29 SEPTEMBRE 2016

Laurence BARANES et Maximilien BARRET

Un grand Mazel tov aux familles de la part de l’ULIF.

✡ Colette FLORENTIN née AUSCHER

✡ Denise SASSON née MEHREZ

✡ Jean Raphaël HIRSCH

✡ César DAHAN

✡ Denise AMEDEE-MANNHEIM née MICHEL-LEVY

L’ULIF présente ses sincères condoléancesà leurs familles et à leurs proches.

ROCH HACHANAVeille de Rosh Hachana• Dimanche 2 octobre

à 19 h 00 (Palais des Congrès et Copernic)

ROCH HACHANA

1er jour• Lundi 3 octobre à 10 h 00(Palais des Congrès et Copernic)

2e jour• Mardi 4 octobre à 10 h 00

(Uniquement Copernic)

YOM KIPPOURKol nidré• Mardi 11 octobre 2016

à 19 h 00 (Copernic et Palais des Congrès)

YOM KIPPOUR• Mercredi 12 octobre 2016

à 10 h 30(Copernic et Palais des Congrès)

Fin du jeûne à 19 h 54

SOUCCOT• Dimanche 16 octobre 2016

à 18 h 30• Lundi 17 octobre 2016 à 10 h

au dimanche 24 octobre 2016 (Uniquement Copernic)

SIM’HAT TORAH ET CHEMINI ATSERETE

• Dimanche 23 octobre 2016 à 18 h 30

• Lundi 17 octobre 2016 à 18 h 30 au dimanche 24 octobre 2016 à 10 h 00 (Uniquement Copernic)

HANOUKA

• Du samedi 24 décembre allumage de la 1re bougie a 18 h 30

• Au dimanche 1er janvier allumage de la 8e bougie

FÊTES DE TICHRI 5777Les places sont en vente auprès de Madame Tamar COHEN, du lundi au vendredi de 10 h. à 12 h. et de 14 h. à 17 h.Si vous n’avez pas la possibilité de vous déplacer, vous pouvez réserver vos places par téléphone (01 47 04 97 37) et régler par carte bancaire.

42 • Septembre 2016 - n° 197 /Le Messager

SOUCCOT• Dimanche 16 octobre 2016

à 18 h 30• Lundi 17 octobre 2016 à 10 h

au dimanche 24 octobre 2016 (Uniquement Copernic)

SIM’HAT TORAH ET CHEMINI ATSERETE

• Dimanche 23 octobre 2016 à 18 h 30

• Lundi 17 octobre 2016 à 18 h 30 au dimanche 24 octobre 2016 à 10 h 00 (Uniquement Copernic)

HANOUKA

• Du samedi 24 décembre allumage de la 1re bougie a 18 h 30

• Au dimanche 1er janvier allumage de la 8e bougie

Les plus belles émotions de votre vie...Au coeur de Paris...

En formule tout compris...

[email protected] 53 53 93 939 avenue Hoche, Paris 8ème