Guide de lecture des textes du concile Vatican II- le retentissement de la sensibilité à...

GuidedelecturedestextesduconcileVaticanIIGaudiumetSpes

AbbéRégisMoreau

GUIDEDELECTUREDESTEXTES

DUCONCILEVATICANII

GaudiumetSpes

ARTÈGE

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technique.Ainsi, l’artmédical, le rapport avec le patient, peutvite se transformer, du fait du grand nombre de machinesnécessaires pour les soins dans les hôpitaux, en une séried’actes techniques,mais où le patient n’est pas forcémentprisencomptecommepersonne.Lamentalitétechnicienneacquiertuneprédominancesur l’homme,qu’Heideggeravaitentrevueetqu’il dénonçait comme « l’essence obnubilante de latechnique19. » La même idée se retrouve dans la dernièreencyclique du Saint Père, qui décrit ainsi la mentalitétechnicienneactuelle:

Ledéveloppement technologiquepeutameneràpenserque latechnique se suffit à elle-même, quand l’homme, ens’interrogeantuniquementsurlecomment,ometdeconsidérertouslespourquoiquilepoussentàagir.C’estpourcelaquelatechnique prend des traits ambigus. Née de la créativitéhumaine comme instrument de la liberté de la personne, ellepeutêtrecomprisecommeunélémentdelibertéabsolue,libertéquiveuts’affranchirdeslimitesqueleschosesportentenelles-mêmes.Leprocessusdemondialisationpourraitsubstituerauxidéologies la technologie, devenue à son tour un pouvoiridéologiquequiexposerait l’humanitéau risquede se trouverenfermée dans un a priori d’où elle ne pourrait sortir pourrencontrer l’être et la vérité. Dans un tel cas, tous nousconnaîtrions, apprécierions et déterminerions toutes lessituations de notre vie à l’intérieur d’un horizon cultureltechnocratique auquel nous appartiendrions structurellement,sans jamais pouvoir trouver un sens qui ne soit pas notreœuvre. Cette vision donne aujourd’hui à la mentalitétechniciste tant de force qu’elle fait coïncider le vrai avec lefaisable. Mais lorsque les seuls critères de vérité sontl’efficacité et l’utilité, le développement est automatiquement

nié. En effet, le vrai développement ne consiste pas d’aborddans le “faire”. La clef du développement, c’est uneintelligencecapabledepenserlatechniqueetdesaisirlesenspleinement humain du “faire” de l’homme, sur l’horizon desensdelapersonneprisedanslaglobalitédesonêtre.Mêmequandl’hommeagitàl’aided’unsatelliteoud’uneimpulsionélectronique à distance, son action reste toujours humaine,expression d’une liberté responsable. La technique attirefortement l’homme, parce qu’elle le soustrait aux limitesphysiques et qu’elle élargit son horizon. Mais la libertéhumainen’estvraimentelle-mêmequelorsqu’ellerépondà lafascinationde la techniquepardesdécisionsqui sont le fruitdelaresponsabilitémorale.Ilenrésultequ’ilesturgentdeseformeràlaresponsabilitééthiquedansl’usagedelatechnique.Partant de la fascination qu’exerce la technique sur l’êtrehumain, on doit retrouver le vrai sens de la liberté, qui nerésidepasdansl’ivressed’uneautonomietotale,maisdanslaréponseàl’appeldel’être,encommençantparl’êtrequenoussommesnous-mêmes20.

Sur le temps aussi, l’intelligence humaine étend en quelquesortesonempire:pourlepassé,parlaconnaissancehistorique;pourl’avenir,parlaprospectiveet laplanification.Lesprogrèsdes sciences biologiques, psychologiques et sociales nepermettentpasseulementàl’hommedesemieuxconnaître,maislui fournissent aussi lemoyen d’exercer une influence directesur la vie des sociétés par l’emploi de techniques appropriées.Enmême temps, le genre humain se préoccupe, et de plus enplus, de prévoir désormais son propre développementdémographiqueetdelecontrôler.

Les progrès des différentes sciences, celles dites exactes

comme celles qualifiées d’humaines, se manifestent dans lavolonté,clairementaffichéedanslesannéessoixante:-demaîtriserlaterreetl’espace;-demaîtriserletemps(parlaplanificationéconomiqueetpar

cellesdesnaissances);-demaîtriser l’homme,àtraverslabiologie, lasociologieet

lapsychologie.

Lemouvementmêmedel’histoiredevientsirapidequechacunapeineà lesuivre.Ledestinde lacommunautéhumainedevientun, et il ne se diversifie plus comme en autant d’histoiresséparées entre elles.Bref, le genre humain passe d’une notionplutôt statique de l’ordre des choses à une conception plusdynamiqueetévolutive:delànaît,immense,uneproblématiquenouvelle,quiprovoqueàdenouvellesanalysesetàdenouvellessynthèses.

L’essentielestrésuméencesquelquespropos,quiexpliquentbien des incertitudes de notre temps : le genre humain passed’une notion plutôt statique de l’ordre des choses à uneconceptionplusdynamiqueetévolutive.Lesloisdel’évolutionenbiologie,lameilleureconnaissancedel’histoiredeshommes,deleursociologie,fontquelanaturehumaineestdavantagevuecommeprogressant.

6-Changementsdansl’ordresocial

Dumêmecoup, il seproduitdeschangements,de jouren jourplus importants, dans les communautés locales traditionnelles(famillespatriarcales,clans,tribus,villages),danslesdifférentsgroupes et les rapports sociaux.Une société de type industriels’étend peu à peu, amenant certains pays à une économie

temps»,ininA.A.V.V.,L’Églisedanslemondedecetemps.t.2:commentaires,«Unamsanctam,65b»,Cerf,1967,p.171-172.17. Cf. CONGAR, Y. M.-J., Les signes des temps. Réflexionthéologique,inA.A.V.V.,L’Églisedanslemondedecetemps.t.2:commentaires,op.cit.,p.214.18. Pereña Vicente, dans son commentaire, rappelle quelquesstatistiquesétabliesparun sociologue : entre500avant Jésus-Christet1918,lemondeconnut904conflitsarmés;lapremièreguerre mondiale fit, à elle seule, plus de morts que les 903autresréunis!Cf.PERENAVICENTE,L.,Laconstrucciondelapaz internacional, in A. A. V. V., Concilio Vaticano II.ComentariosalaconstitucionGaudiumetSpessobrelaIglesiaenelmundodehoy,op.cit.,p.601.19.Cf.HEIDEGGER,M.,Laquestiondelatechnique,inEssaisetconférences,Gallimard,1958,p.9-48.20.BENOÎTXVI,Lettre encyclique «Caritas in veritate », n.70.21. TOCQUEVILLE, A. (de), De la démocratie en Amérique,Pocket, 2000, p. 23-24 : « Parmi les objets nouveaux qui,pendant mon séjour aux Etats-Unis, ont attiré mon attention,aucun n’a plus vivement frappé mes regards que l’égalité desconditions. Je découvris sans peine l’influence prodigieusequ’exercecepremierfaitsurlamarchedelasociété;ildonneàl’espritpublicunecertainedirection,uncertain touraux lois ;aux gouvernants des maximes nouvelles, et des habitudesparticulières auxgouvernés.Bientôt, je reconnusque cemêmefaitétendsoninfluencefortau-delàdesmœurspolitiquesetdeslois, etqu’iln’obtientpasmoinsd’empire sur la sociétécivileque sur le gouvernement : il crée des opinions, fait naître dessentiments, suggère des usages et modifie tout ce qu’il ne

produit pas. Ainsi donc, à mesure que j’étudiais la sociétéaméricaine, je voyais de plus en plus dans l’égalité desconditions le fait générateur dont chaque fait particuliersemblait descendre, et je le retrouvais sans cesse devant moicomme un point central où toutes mes observations venaientaboutir.Alorsjereportaimapenséeversnotrehémisphèreet ilme sembla que j’y distinguais quelque chose d’analogue auspectacle quem’offrait le nouveaumonde. Je vis l’égalité desconditions qui, sans y avoir atteint comme aux Etats-Unis seslimites extrêmes, s’en rapprochait chaque jour davantage ; etcettemêmedémocratie qui régnait sur les sociétés américainesmeparutenEuropes’avancerrapidementverslepouvoir.Decemoment, je conçus l’idée du livre qu’on va lire. » Id., p. 285-286:«Jen’ignorepasque,chezungrandpeupledémocratique,ilserencontretoujoursdescitoyenstrèspauvresetdescitoyenstrès riches ; mais les pauvres, au lieu d’y former l’immensemajorité de la nation comme cela arrive toujours dans lessociétésaristocratiques,sontenpetitnombre,et la loine lesapas attachés les uns aux autres par les liens d’une misèreirrémédiable et héréditaire. Les riches, de leur côté, sontclairsemés et impuissants ; ils n’ont point de privilèges quiattirentlesregards;leurrichessemême,n’étantplusincorporéeà la terre et représentée par elle, est insaisissable et commeinvisible.Demêmequ’iln’yaplusderacesdepauvres,iln’yaplusderacesderiches;ceux-cisortentchaquejourduseindelafouleetyretournentsanscesse.Ilsneformentdoncpasuneclasseàpart,qu’onpourraitaisémentdéfiniretdépouiller.Entreces deux extrémités de sociétés démocratiques, se trouve unemultitudeinnombrabled’hommespresquepareils,qui,sansêtreprécisémentnirichesnipauvres,possèdentassezdebienspourdésirerl’ordre,etn’enontpasassezpourexciterl’envie.»

22.Cf.Romains7,14sqq.23. A. A. V. V., Concilii Vaticani II Synopsis. Constitutiopastoralis de Ecclesia in mundo hujus temporis Gaudium etSpes,op.cit.,noteIIIA,p.64.24.Cf.2Corinthiens5,15.25.Cf.ActesdesApôtres4,12.26.Cf.Hébreux13,8.27.Cf.Colossiens1,15.

qu’ilrevientlorsqu’ilfaitretourenlui-mêmeoùl’attendceDieuqui scrute les cœurs et où il décide personnellement de sonpropresortsousleregarddeDieu.Ainsi,lorsqu’ilreconnaîtenluiuneâmespirituelleetimmortelle,iln’estpaslejouetd’unecréation imaginaire qui s’expliquerait seulement par lesconditionsphysiquesetsociales,bienaucontraire, ilatteint letréfondsmêmedelaréalité.

Le second paragraphe a pour but d’exposer la dignité del’âme humaine mais il n’emploie le terme d’âme qu’à la fin,fidèle à la démarche inductive qu’entend promouvoir ledocument. Il constate d’abord que l’homme se perçoit commesupérieur à la matière et ne se réduit pas à son propre corps,contretouslesmatérialismesetbiologismesdenotreépoque;iln’estpasnonplusunsimpleélémentdelanatureniunrouagede la culture, comme le voudrait le socialisme. Par satranscendance,l’hommedépasselanatureetlasociété.Qu’est-cequiluipermetd’êtreainsisupérieuretauxanimaux

etàlasociété?C’estcequenotretexteappellesonintériorité:ce terme, à la fois biblique et philosophique, désigne la viepropreàl’homme,lavieintérieure,lecœurausensbiblique,cecentredetoutelapersonne.L’intérioritéregroupe:-lavieintellectuelle;-laviemorale;-laviespirituelle;-leretentissementdelasensibilitéàl’intérieurdenous.Enfin,GaudiumetSpes14conclutenmentionnant le terme

d’âmequalifiéedespirituelleetd’immortelle,reprenantainsilaTraditionchrétienne.Toutefois,selonlecardinalRatzinger,cepassageneparvient

pastoutàfaitàsonbut:surmonterledualismeâme-corps42.Eneffet,lelienentreâmeetcorpsn’estpastellementexplicité:or,

qu’est-ce qui les unit ? Il faudrait approfondir la notiond’intériorité.

15-L’intelligence

Ce paragraphe traite de la dignité de l’intelligence et dedifférentsthèmesquiluisontconnexes:lavérité,lasagesse.

Participant à la lumière de l’intelligence divine, l’homme araison de penser que, par sa propre intelligence, il dépassel’universdeschoses.Sansdoutesongénieaulongdessiècles,par une application laborieuse, a fait progresser les sciencesempiriques,lestechniquesetlesartslibéraux.Denosjoursilaobtenudesvictoireshorspair,notammentdansladécouverteetlaconquêtedumondematériel.Toujourscependantilacherchéettrouvéunevéritéplusprofonde.Carl’intelligencenesebornepas aux seuls phénomènes ; elle est capable d’atteindre, avecune authentique certitude, la réalité intelligible, en dépit de lapartd’obscuritéetdefaiblessequelaisseenellelepéché.

L’intelligencehumaineparticipeàlalumièredel’intelligencedivine:elleestdoncliéeàl’imagedeDieuennous43.Parelle,l’homme est capable de dépasser l’univers des choses, c’est-à-dire les simples sensations et les phénomènes, pour atteindreune réalité plus profonde : l’universel, et, finalement, l’être etles notions métaphysiques. Notre texte énumère ensuite lesconquêtesde l’esprithumain: lascience, la technique, lesartslibéraux. Nous retrouverons ces thèmes dans les troisième etquatrième chapitres de cette partie, à propos de l’activitéhumaine dans le monde et de la culture, où l’on reparlerad’ailleurs de l’image de Dieu. Mais, en même temps,l’intelligencehumainerecherchequelquechosedeplusprofond

quelasimpleorganisationdumonde.Endépitdelamarquedupéché,ellepeutparveniràunevéritéàlaquelleelleaspire.C’estun paradoxe : si l’esprit de l’homme est tout puissant parrapport aux phénomènes, sa recherche est beaucoup plusdifficultueusequant auxvéritésmétaphysiques, qui demandentunengagementplusgrand.

Enfin,lanatureintelligentedelapersonnetrouveetdoittrouversa perfection dans la sagesse. Celle-ci attire avec force etdouceurl’espritdel’hommeverslarechercheetl’amourduvraiet du bien ; l’homme qui s’en nourrit est conduit du mondevisibleàl’invisible.

Lasagesseestlaperfectiondel’intelligencehumaine,quines’épuise donc pas dans la raison scientifique ou technicienne.Elle attire l’homme vers la recherche du bien, vers les réalitésinvisibles.

Plusquetouteautre,notreépoqueabesoind’unetellesagesse,pourhumanisersespropresdécouvertes,quellesqu’ellessoient.L’avenirdumondeseraitenpérilsiellenesavaitpassedonnerdessages.Pourquoinepasajoutercetteremarque:denombreuxpays, pauvres en biens matériels, mais riches en sagesse,pourrontpuissammentaiderlesautressurcepoint.

Cette sagesse est encore plus nécessaire de nos jours, oùl’hommea tendanceàse laisserobnubilerpar la technique.Lemonde est à conquérir, et cette domination alimente notrevolonté de posséder. Il nous faut prendre du recul, pour vivrepleinementtouteslesdimensionsdenotreviehumaineetluttercontre cette fascination, qui ne remplit par le cœur, lesaspirationslesplusprofondes.Heidegger lui-mêmel’avaitnoté

L’Église,fidèleàlafoisàDieuetàl’homme,nepeutcesserderéprouver avec douleur et avec la plus grande fermeté, commeellel’afaitdanslepassé57,cesdoctrinesetcesmanièresdefairefunestesqui contredisent la raison et l’expérience communeetfontdéchoirl’hommedesanoblessenative.

L’athéisme est présenté comme « contraire à la raison et àl’expériencehumaines»età la«noblessedel’homme.»Riendemoins!Ilestcontraireàl’essencedel’homme.

Elle s’efforce cependant de saisir dans l’esprit des athées lescausescachéesdelanégationdeDieuet,bienconscientedelagravité des problèmes que l’athéisme soulève, poussée par sonamourpourtousleshommes,elleestimequ’illuifautsoumettrecesmotifsàunexamensérieuxetapprofondi.

Voilàl’attitudenouvelle,inspiréeparlavolontédePaulVIdedialogue (thème central de son encycliqueEcclesiam suam) :devant le développement du phénomène, on ne saurait secontenterdecondamnationsd’ordre intellectuel, il fautessayerde comprendre. C’est une nouvelle attitude de l’Église, touteempreinte de miséricorde58 : l’Église entrevoit les choses deplushaut,dupointdevuedeDieu.

L’Église tient que la reconnaissance de Dieu ne s’oppose enaucune façon à la dignité de l’homme, puisque cette dignitétrouveenDieului-mêmecequilafondeetdequil’achève.Carl’hommeaétéétabliensociété,intelligentetlibre,parDieusonCréateur. Mais surtout, comme fils, il est appelé à l’intimitémême de Dieu et au partage de son propre bonheur. L’Égliseenseigne, en outre, que l’espérance eschatologique ne diminuepas l’importance des tâches terrestres, mais en soutient bien

plutôt l’accomplissement par de nouveauxmotifs. À l’opposé,lorsque manquent le support divin et l’espérance de la vieéternelle, la dignité de l’homme subit une très grave blessure,commeonlevoitsouventaujourd’hui,etl’énigmedelavieetdelamort,delafauteetdelasouffrancerestesanssolution:ainsi,tropsouvent,leshommess’abîmentdansledésespoir.

Il n’y a pas d’opposition entre Dieu et l’homme car Dieuappelle l’homme à une vie plus haute. Nous retrouvons l’idéequel’hommesansDieuestincomplet.L’espérance en Dieu ne détourne pas l’homme des réalités

terrestres:nousverronsl’articulationentrelesdeuxplusavantdans le texte conciliaire, mais il s’agit là d’une réponse aumarxisme et à un certain individualisme chrétien un peupessimiste restreignant la vie de foi à un idéal monastique.L’enjeude laconstitutionestde retrouver lavéritédes réalitésterrestres,leurplénitude,conformémentàlapenséedesPèresetdesaintThomas,assezoptimisteenlamatière.

Pendantcetemps,touthommedemeureàsespropresyeuxunequestion insoluble qu’il perçoit confusément. À certainesheures, en effet, principalement à l’occasion des grandsévénements de la vie, personne ne peut totalement éviter cegenred’interrogation.Dieu seulpeutpleinementy répondre etd’unemanière irrécusable, lui qui nous invite à une réflexionplusprofondeetàunerechercheplushumble.

L’homme demeure unmystère pour lui-même : il n’a pas laclef de sa propre condition. Mais il le sent obscurément àcertains moments privilégiés de sa vie, où les questionsfondamentales le tentent : il perçoit alors sa petitesse et sonouvertureàl’absolu.

Néanmoins, le nombre croît de ceux qui, face à l’évolutionprésente du monde, se posent les questions les plusfondamentales ou les perçoivent avec une acuité nouvelle.Qu’est-cequel’homme?Quesignifientlasouffrance,lemal,lamort, qui subsistent malgré tant de progrès ? À qui bon cesvictoirespayéesd’unsigrandprix?Quepeutapporterl’hommeà lasociété?Quepeut-ilenattendre?Qu’adviendra-t-ilaprèscettevie?59Quant au remède à l’athéisme, on doit l’attendre d’une partd’une présentation adéquate de la doctrine, d’autre part de lapureté de vie de l’Église et de ses membres. C’est à l’Églisequ’ilrevienteneffetderendreprésentsetcommevisiblesDieulePèreetsonFils incarné,enserenouvelantetensepurifiantsanscesse,souslaconduitedel’EspritSaint.Ilyfautsurtoutletémoignage d’une foi vivante et adulte, c’est-à-dire d’une foiforméeàreconnaîtrelucidementlesdifficultésetcapabledelessurmonter.D’une tellefoi,de trèsnombreuxmartyrsontrenduet continuent de rendre un éclatant témoignage. Sa féconditédoit se manifester en pénétrant toute la vie des croyants, ycompris leur vie profane, et en les entraînant à la justice et àl’amour, surtout au bénéfice des déshérités. Enfin ce quicontribue le plus à révéler la présence de Dieu, c’est l’amourfraternel des fidèles qui travaillent d’un cœurunanimepour lafoidel’Évangileetquiseprésententcommeunsigned’unité.

Lameilleureprésentationde ladoctrine,d’unemanièreplusadaptéeànotretemps,étaitlesouhaitdeJeanXXIIIaumomentde la convocation du concile60. On rappelle la nécessité d’untémoignageplusvrai.

L’Église, tout en rejetant absolument l’athéisme, proclametoutefois,sansarrière-pensée,quetousleshommes,croyantset

voieslogiquesdelapensée,lesquelles,biensouvent,rejoignentles itinéraires de notre école classique. Contre la volonté deceux-làmêmesqui pensaient forger par là une arme invinciblepourleurathéisme,cettedémarche,parsaforceintrinsèque,sevoit finalement entraînée à une affirmation nouvelle du Dieusuprême, au plan métaphysique comme dans l’ordre logique.N’y aura-t-il personne, parmi nous, par l’aide duquel ceprocessus obligatoire de la pensée, que l’athée politico-scientifique arrête volontairement à un certain point, éteignantainsi la lumière suprême de la compréhension de l’univers,puisse déboucher dans la conception de la réalité objective del’universcosmique,quiramèneàl’espritlesensdelaprésencedivine et sur les lèvres les syllabes humbles et balbutiantesd’uneprièreheureuse?Lesathées,nous lesvoyonsaussimuspar de nobles sentiments dégoûtés de la médiocrité et del’égoïsme de tant de milieux sociaux contemporains, etempruntant fort à propos à notre Évangile des formes et unlangagedesolidaritéetdecompassionhumaine:neserons-nouspas un jour capables de reconduire à leurs vraies sources, quisontchrétiennes,cesexpressionsdevaleursmorales?»59.GaudiumetSpes10,§1.60.JEANXXIII,Discoursd’ouvertureduconcileVaticanII, inDocumentationcatholique59(1962)1383:«Il fautquecettedoctrinecertaineetimmuable,quidoitêtrerespectéefidèlement,soit approfondie et présentée de la manière qui répond auxexigencesdenotreépoque.Eneffet,autreestledépôtdelafoilui-même,c’est-à-direlesvéritéscontenuesdansnotrevénérabledoctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sonténoncées,enleurconservanttoutefoislemêmesensetlamêmeportée.»61. Sur la collaboration entre catholiques et non-catholiques

dansledomaineéconomiqueetsocial,voirDiviniRedemptoris58 (cité en note 8) ; Mater et Magistra 237 atténue lacondamnation:«Lescatholiquesquis’adonnentàdesactivitéséconomiques et sociales se trouvent fréquemment en rapportavec des hommes qui n’ont pas lamême conception de la vie.Que, dans ces rapports, Nos fils soient vigilants pour restercohérents avec eux-mêmes, pour n’admettre aucun compromisenmatièredereligionetdemorale;mais,qu’enmêmetemps,ilssoient animés d’esprit de compréhension, désintéressés,disposésàcollaborerloyalementendesmatièresquisontensoibonnesoudontonpeuttirerlebien.Ilestcependantclairque,dèsquelahiérarchieecclésiastiques’estprononcéesurunsujet,les catholiques sont tenus de se conformer à ses directives ;puisque appartiennent à l’Église le droit et le devoir nonseulementdedéfendre lesprincipesd’ordremoralet religieux,mais aussi d’intervenir d’autorité dans l’ordre temporel,lorsqu’il s’agitde jugerde l’applicationdecesprincipesàdescasconcrets.»62.Cf.A.A.V.V.,Concilii Vaticani II Synopsis. Constitutiopastoralis de Ecclesia in mundo hujus temporis Gaudium etSpes,op.cit.,p.154,noteA.63.Cf.TERTULLIEN,PL2,802(848);CSEL,47,p.33,1.12-13 : «Tout ce que le limon (dont est forméAdam) exprimait,présageaitl’hommequidevaitvenir,leChrist.»64.Cf.CONCILEDECONSTANTINOPLEII,can.7:«SansqueleVerbesoittransformédanslanaturedelachair,niquelachairsoit passée dans la nature du Verbe. » Cf. CONCILE DECONSTANTINOPLEIII:«Cardemêmequesachairtoutesainte,immaculéeetanimée,n’apasétésuppriméeparladivinisation,mais qu’elle est demeurée dans son état et dans sa manièred’être. » Cf. CONCILE DE CHALCÉDOINE : « Nous devons

reconnaître en deuxnatures, sans confusion, sans changement,sansdivision,sansséparation,»Denz.148(302).65. Cf. CONCILE DE CONSTANTINOPLE III : « De même savolontéhumainen’apasétésupprimé»,Denz.291(556).66. C’est bien ce que précisent les modi, pour quil’interprétation des passages des hymnes de saint Paul (cf.Colossiens1,15)quiconsidèrequel’imageduPèreestleVerbeavantl’Incarnationn’est«pasassezfondéeexégétiquement.»67.Ici,ils’agitplutôtdelaressemblance,l’imageétantsouventconsidéréeparlesPèrescommeladonnéedebaseinamissible.68. Voir la définition de l’Église de Lumen Gentium 1 :«L’Égliseétant,dans leChrist,enquelquesorte lesacrement,c’est-à-direàlafoislesigneetlemoyendel’unionintimeavecDieuetdel’unitédetoutlegenrehumain…»69.Cf.LumenGentium16.70. Voir LUBAC, H. (de), Surnaturel. Études historiques,«Aubier théologie, 8»,Aubier, 19461 (1946) et la polémiquequis’ensuivitdanslesannéescinquante.71.Cf.Liturgiepascalebyzantine.

Lebiencommunestauservicedelapersonne,commeJésuslui-même l’a suggérépour le sabbat.Lecontraireest leproprede l’idéologie collectiviste, qui subordonne la personne à lasociété.

L’EspritdeDieuqui,paruneprovidenceadmirable,conduit lecoursdestempsetrénovelafacedelaterre,estprésentàcetteévolution.Quantaufermentévangélique,c’estluiquiasuscitéet suscite dans le cœur humain une exigence incoercible dedignité.

Ce phénomène de la mondialisation n’est pas purementhumain : il est guidé par l’Esprit Saint.On retrouve la grandeintuitiondessignesdestemps.

27-Lerespectduprochain95

Pourenveniràdesconséquencespratiquesetquiprésententuncaractèred’urgenceparticulière,leconcileinsistesurlerespectde l’homme :quechacunconsidère sonprochain, sansaucuneexception, comme « un autre lui-même », tienne compte avanttout de son existence et des moyens qui lui sont nécessairespourvivredignement,etgarded’imitercerichequinepritnulsoucidupauvreLazare.

Nousdevonsrespecternotreprochaincommeunautrenous-mêmes: telleest larègled’ordel’Évangile(cf.saintMatthieu7,7),repriseparKant:«Traitetoujoursautruidanssapersonnetoujourscommeunefinetjamaiscommeunmoyen96.»Ceciestvrai non seulement dans son existence mais encore dans sesmoyens(contrel’individualismelibéral).

De nos jours surtout, nous avons l’impérieux devoir de nousfaireleprochainden’importequelhommeet,s’ilseprésenteànous, de le servir activement : qu’il s’agisse de ce vieillardabandonné de tous, ou de ce travailleur étranger,méprisé sansraison, ou de cet exilé, ou de cet enfant né d’une unionillégitimequisupporteinjustementlepoidsd’unefautequ’iln’apascommise,oudecetaffaméquiinterpellenotreconscienceennousrappelant laparoleduSeigneur :«Chaquefoisquevousl’avezfaitàl’undecespluspetitsdemesfrères,c’estàmoiquevousl’avezfait»(Mat.25,40).

Ce respect est d’autant plus vrai qu’il s’adresse aux plusfaiblesetauxpauvres.Onnotelaforteexhortation:leconcileparle d’impérieux devoir, de servir activement et dresse unepetite liste : vieillard, travailleur immigré, exilé, enfantillégitime,victimedelafamine.

Deplus, toutcequis’opposeà lavieelle-même,comme touteespèce d’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie etmêmelesuicidedélibéré;toutcequiconstitueuneviolationdel’intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, latorture physique ou morale, les contraintes psychologiques ;tout ce qui est offense à la dignité de l’homme, comme lesconditions de vie sous-humaines, les emprisonnementsarbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, lecommercedes femmesetdes jeunes ;ouencore lesconditionsde travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang depurs instrumentsderapport,sanségardpour leurspersonnalitélibreetresponsable:toutescespratiquesetd’autresanaloguessont, en vérité, infâmes. Tandis qu’elles corrompent lacivilisation, elles déshonorent ceux qui s’y livrent plus encorequeceuxquilessubissentetinsultentgravementàl’honneurdu

Créateur.

Ontrouveiciunelisted’actesintrinsèquementmauvais,c’est-à-direqu’ilnefautjamaisfaire,sousaucunprétexte97:mêmesile terme n’apparaît pas, telle est la qualification qu’on voulaitdonneràdetellespratiques.Ilssontdetroistypes:1/atteinteàlavie(avecunelégèrenuancesurlesuicide,qui

peutêtredûàdesproblèmespsychologiques);2/actescontrairesàl’intégritédelapersonne;3/actescontrairesàladignitédelapersonnehumaine.Lesconséquencesnégativessontprécisées :corruptionde la

civilisation(ons’habitueaupire),dégradationdeladignitédescoupableseux-mêmes,offensefaiteàDieu.

28-Respectdesadversaires98

Lerespectetl’amourdoiventaussis’étendreàceuxquipensentouagissentautrementquenousenmatièresociale,politiqueoureligieuse.D’ailleurs, plus nous nous efforçons de pénétrer del’intérieur, avecbienveillance et amour, leursmanièresdevoir,plusledialogueaveceuxdeviendraaisé.

Notre foi nous demande de respecter tous les hommes, ycompris ceux qui sont séparés de nous par les différencessociales,politiques,oureligieuses.L’ordreestdumoinsprofondauplussignificatif:onpassedesdésaccordsenmatièresociale,quipeuventencoreêtreassezténus,auxdivergencespolitiquespuis religieuses, qui peuvent s’avérer plus passionnelles. Labienveillance est une condition préalable au dialogue, quisupposeunevraieconnaissancedel’autre.

endéfinitive,quel’humanitémême,vivifiée,unifiéeparl’EspritduChrist»(LUBAC,H.(de),Catholicisme,op.cit.,p.175).82.NostraAetate1,§2.83.Cetteaffirmationestcorroboréepar:GaudiumetSpes22,§5:«[…]lavocationdernièredel’hommeestréellementunique,àsavoirdivine…»84. SETIEN, J. M., La comunidad humana, in A. A. V. V.,ConcilioVaticano II.Comentariosa la constitucionGaudiumetSpes sobre la Iglesia enelmundodehoy,op. cit., p. 230 :«Elestudiode lanaturalezahumananosofreceunebasedereflexion que vendra luego enriquecida por la reflexionsobrenatural.Enelespiritudelhombresehacemanifestaunaexigenciaconstitutivadecomunionamorosa,sinlacualnoesposible realizarse plenamente. Vivir en comunion es tanimportanteyesencialparaserpersonahumanacomoafirmarla propia individualidad. […] Exigencia natural : aun debeafirmarse con vigor a fin de que no se haga de la etica unconjuntodeimposicionesformalistasoalienadoras.»85.CeparadoxeestprésentéainsiparlepapeBenoîtXVIdanssonencycliqueDeuscaritasest(n.16):«L’amournepeutpassecommander;c’estendéfinitiveunsentimentquipeutêtreounepasêtre,maisquinepeutpasêtrecrééparlavolonté.»Ilyrépond de lamanière suivante (n. 17) : «Dieu n’est pas restépour nous simplement inaccessible. Dieu nous a aimés lepremier,ditlaLettredeJeanquivientd’êtrecitée(cf.Jn4,10)etcetamourdeDieus’estmanifestéparminous, ils’estrenduvisiblecarIl«aenvoyésonFilsuniquedanslemondepourquenousvivionsparlui»(1Jn4,9).Dieus’estrenduvisible:enJésusnouspouvonsvoirlePère(cf.Jn14,9).Enfait,Dieuserendvisibledemultiplesmanières.Dansl’histoired’amourquela Bible nous raconte, Il vient à notre rencontre, Il cherche à

nous conquérir – jusqu’à la dernière Cène, jusqu’au Cœurtranspercé sur la croix, jusqu’aux apparitions duRessuscité etaux grandes œuvres par lesquelles, à travers l’action desApôtres,Ilaguidélechemindel’Églisenaissante.Etdemême,par la suite, dans l’histoire de l’Église, leSeigneur n’a jamaisétéabsent:ilvienttoujoursdenouveauànotrerencontre–pardes hommes à travers lesquels il transparaît, ainsi que par saParole, dans les Sacrements, spécialement dans l’Eucharistie.Danslaliturgiedel’Église,danssaprière,danslacommunautévivante des croyants, nous faisons l’expérience de l’amour deDieu, nous percevons sa présence et nous apprenons aussi decette façon à la reconnaître dans notre vie quotidienne. Lepremier,ilnousaaimésetilcontinueànousaimerlepremier;c’estpourquoi,nousaussi,nouspouvonsrépondreparl’amour.Dieunenousprescritpasunsentimentquenousnepouvonspassusciter en nous-mêmes. Il nous aime, il nous fait voir sonamour et nous pouvons l’éprouver, et à partir de cet « amourpremier de Dieu », en réponse, l’amour peut aussi jaillir ennous.»86.WRIGHT,A.,inDocumentationcatholique63(1966)1806,citéparHAUBTMANN,P.,Lacommunautéhumaine,inA.A.V.V.,L’Églisedanslemondedecetemps,op.cit.,p.267.87.LUBAC,H.(de),Catholicisme,op.cit.,p.175.88.Sourcesdecenuméro:MateretMagistra59-67(étudedelasocialisation,considéréecommeundessignesdestemps).«Le fait de la socialisation. :Undes traits caractéristiquesdenotre époque est, sans aucun doute, la socialisation : cesinterdépendances, chaque jour plus nombreuses, qui ontentraîné dans la vie et dans l’action des hommes demultiplesformesdelienssociaux,reconnuesgénéralementendroitpublicouprivé.Onpeutenattribuer l’origineàuncertainnombrede

facteurs propres à notre temps : progrès scientifique ettechnique, accroissement de la productivité, progrès de lacivilisation.Cesdéveloppementsdelaviesocialesontàlafoisindiceetcausedel’interventioncroissantedel’étatquipénètrede plus en plus dans des matières touchant à l’intime de lapersonne,doncimportantesetdélicates:protectiondelasanté,formation et éducation de la jeunesse, orientationprofessionnelle, rééducation et réhabilitation des sujetsdéficients physiques ou mentaux. Cette évolution résultecependant aussi d’une tendance naturelle et presqueincoercible : celle-ci porte les hommes à s’associerspontanémentpour atteindredesbiensdésirablespour chacun,mais hors de portée des individus isolés. Sous l’effet de cettetendance, spécialement dans ces derniers temps, ont surgi detoute part, dans le cadre national ou international, desgroupements, des sociétés et des institutions de caractèreéconomique,social,culturel,récréatif,sportif,professionneloupolitique.Avantagesetinconvénients.Àn’enpasdouter,untelprogrèsdela socialisation comporte bien des avantages et rend bien desservices. Elle permet de satisfaire, surtout dans le domaineéconomiqueetsocial,ungrandnombrededroitsdelapersonnehumaine, entre autres, ceux qui concernent les moyensd’existence,lessoinsmédicaux,ladiffusionetleprogrèsd’uneculture de base, la formation professionnelle, le logement, letravail,unreposconvenableetdesainsloisirs.Enoutre,grâceàlameilleureorganisationdesmoyensmodernesdediffusiondelapensée–presse,cinéma,radio,télévision–ilestpossibleentout lieudumonded’assister,pourainsidireenpersonne,auxévénements mondiaux, si éloignés soient-ils. Mais ledéveloppementdeslienssociauxentraîne,danspresquetousles

Cet enseignement vaut aussi pour les activités les plusquotidiennes. Car ces hommes et ces femmes qui, tout engagnantleurvieetcelledeleurfamille,mènentleursactivitésdemanière à bien servir la société, sont fondés à voir dans leurtravail un prolongement de l’œuvre duCréateur, un service deleurs frères, un apport personnel à la réalisation du planprovidentieldansl’histoire.

Ces affirmations sont vraies pour le travail quotidien : ilpermetdeservirDieuetconstitueunmoyendesanctification.Ilest « un prolongement de l’œuvre du Créateur », ce qui nousfournit une définition positive du travail, que reprendra JeanPaulIIdanssonencycliquesurletravailLaboremexercens:letravail concourt à la réalisation du plan providentiel dansl’histoire.L’hommecollaboreavecDieu.Nousretrouvonsunteldiscoursdanslesexposéssurlerôledeslaïcsdanslasociété119.

Loin d’opposer les conquêtes du génie et du courage del’homme à la puissance de Dieu et de considérer la créatureraisonnablecommeunesortederivaleduCréateur,leschrétienssont au contraire bien persuadés que les victoires du genrehumainsontunsignedelagrandeurdivineetuneconséquencede son dessein ineffable. Mais plus grandit le pouvoir del’homme, plus s’élargit le champ de ses responsabilités,personnellesetcommunautaires.Onvoitpar làque lemessagechrétien ne détourne pas les hommes de la construction dumonde et ne les incite pas à se désintéresser du sort de leurssemblables:illeurenfaitaucontraireundevoirpluspressant.

Voilàlerefletd’undébatimportantdanslesannéessoixante,surtout avec le marxisme : le christianisme, en promettantd’obtenirunparadiscéleste,nedétourne-t-ilpasleshommesde

laconstructiondelacitéterrestre?L’idéedel’hommerivaldeDieuestdirectementempruntéeauphilosopheallemandLudwigFeuerbach (1804-1872), auteur deL’essence du christianisme,quioppose,demanièreirréductible,l’hommeàDieu:commelerésumeraSartreàsasuite,«siDieuexiste,l’hommen’estrien;sil’hommeexiste120…»Laréponseestsansambiguïté:lafoinedétachepasl’hommedesréalitésterrestres,carceseraitalorsunemauvaisefoi.Onopposel’hommeàDieu!Or,lesvictoireshumainespeuventêtresignesdeDieu121.

35-L’activitéhumainedoitêtreordonnée

Demêmequ’elleprocèdedel’homme,l’activitéhumaineluiestordonnée. De fait, par son action, l’homme ne transforme passeulement les choses et la société, il se parfait lui-même. Ilapprendbiendeschoses,ildéveloppesesfacultés,ilsortdelui-mêmeetsedépasse.Cetessor,bienconduit,estd’untoutautreprix que l’accumulation possible de richesses extérieures.L’hommevautplusparcequ’ilestqueparcequ’ila.Demême,tout ce que font les hommes pour faire régner plus de justice,une fraternité plus étendue, un ordre plus humain dans lesrapportssociaux,dépasseenvaleurlesprogrèstechniques.Carceux-cipeuventbienfournir labasematérielledelapromotionhumaine,maisilssonttoutàfaitimpuissants,pareuxseuls,àlaréaliser.

Le numéro précédent parlait de la bonté ontologique del’activitéhumaine,danslesillagedelaCréation.Ceparagraphetraitedesavaleurmoraleetdesnormesselonlesquelleselledoitêtreordonnéeàl’hommecommeàsafinpropre122.Le terme activité humaine désigne plutôt une activité

transitive qu’une activité immanente, comme nous venons del’établir. Mais cette activité extérieure à l’homme a desconséquences sur son intériorité : elle augmente sesconnaissances, développe ses facultés, l’aide à sortir de lui-même et à se dépasser parce qu’il se donne. Elle n’est passeulement de l’ordre de l’avoir mais de l’être et c’est le plusimportant, parce que les richesses humaines sont plusimportantes que les richesses matérielles, et le développementhumainplus fondamental que le simple essordes richesses123.Cesdernièressont impuissantesà réaliser ledéveloppementdel’humain : elles en sont simplement la base. Il faut donchumaniserleprogrès.

Voicidonclarègledel’activitéhumaine:qu’ellesoitconformeaubienauthentiquedel’humanité,selonledesseinetlavolontéde Dieu, et qu’elle permette à l’homme, considéré commeindividuoucommemembredelasociété,des’épanouirselonlaplénitudedesavocation.

Larègledel’activitéhumaineestdonclaconformitéaubienauthentiquedel’homme:cebienauthentiqueestobjectif,ilseréaliseselonledesseinetlavolontédeDieu.Elleconsistedoncen cette centralité de l’homme. Comme le travail est fait pourl’hommeetnonl’hommepourletravail,demême,touteactivitéhumaineestenvuedel’homme,etnonl’inverse124.

36-Lajusteautonomiedesréalitésterrestres

Pourtant, un grand nombre de nos contemporains semblentredouterunlienétroitentrel’activitéconcrèteetlareligion:ilsyvoientundangerpour l’autonomiedeshommes,dessociétés

intégraledel’hommeici-bas.Aucoursdel’histoire,l’usagedeschoses temporelles a été souillé par de graves aberrations.Atteintsparlafauteoriginelle,leshommessonttombéssouventendenombreuseserreurssurlevraiDieu,lanaturehumaineetlesprincipesdelaloimorale:alorslesmœursetlesinstitutionshumaines s’en sont trouvées corrompues, la personne humaineelle-mêmebiensouventméprisée.Denosjoursencore,certains,se fiant plus que de raison aux progrès de la science et de latechnique, sont enclins à une sorte d’idolâtrie des chosestemporelles : ils en deviennent les esclaves plutôt que lesmaîtres.C’est le travaildetoutel’Églisederendreleshommescapablesdebienconstruirel’ordretemporeletdel’orienterversDieuparleChrist.»120.SARTRE,J.P.,LediableetlebonDieu,Mondadori,1976,p.162.121.THILS,G.,Théologiedesréalités terrestres.Prélude, t.1,DescléedeBrouwer, 1946, p. 171-172 : «Onvoitmaintenantpourquoi, dans la vision chrétienne du monde, le progrèstechniqueest,d’après les fortesexpressionsduR.P.Malevez,«unaspectintrinsèqueduChristtotaletdelalenteélaborationmystérieuse des cieux nouveaux et de la terre nouvelle ». Lechristianisme,eneffet,n’estpasunedoctrined’évasion.Iln’estpas non plus lié aux retours éternels et aux cycles sans fin. Ils’insère dans une philosophie ouverte à un développementprogressif du monde dans le temps. Il tend à faire croîtrel’humanité dans le Christ et l’Esprit et, par là-même, doitvouloirnécessairementquelesmanifestationsterrestresdecettehumanitéportentenelleslamarqued’unecroissanceintérieureprogressive. Il s’en suit que, prise en elle-même, la maîtrisecontemporaine de la matière, l’organisation politique, l’art, lapensée, et toute technique complètent le Christ, et, en le

complétant, le glorifient. […] Le catholicisme accueille leprogrès humain, dans toutes ses dimensions, comme unecondition et même comme une composante de sa perfectionpropre.Etparlà,onenlèvetoutfondementàl’unedesaversionslesplusprofondeséprouvéesparlasensibilitéphilosophiqueetscientifiquemoderneàl’endroitducatholicisme».122.GUIXFERRERES,J.M.,Laactividadhumanaenelmundo,in A. A. V. V., Concilio Vaticano II. Comentarios a laconstitucionGaudiumetSpessobrelaIglesiaenelmundodehoy,op.cit.,p.286.123.JEAN-PAUL II,Lettreencyclique«Laboremexercens»,n.20:«[…]afinqueletravailleurnonseulementpuisse«avoir»plus,maisaussietsurtoutpuisse«être»davantage,c’est-à-direqu’ilpuisseréaliserpluspleinementsonhumanitésoustoussesaspects.»124.Cf.Laboremexercens6et9.125.Cf.ApostolicamActuositatem 7 : «Tout ce qui composel’ordretemporel:lesbiensdelavieetdelafamille,laculture,les réalités économiques, les métiers et les professions, lesinstitutions de la communauté politique, les relationsinternationales et les autres réalités du même genre, leurévolutionet leurprogrès,n’ontpasseulementvaleurdemoyenpar rapport à la fin dernière de l’homme. Ils possèdent unevaleur propre, mise en eux par Dieu lui-même, soit qu’onregarde chacun d’entre eux, soit qu’on les considère commepartiesdel’ensembledel’universtemporel :«EtDieuvit toutce qu’il avait fait et c’était très bon» (Gn1, 31).Cette bonténaturellequiestleurreçoitunedignitéparticulièreenraisondeleurrelationaveclapersonnehumaineauservicedelaquelleilsont été créés. Enfin il a plu à Dieu de rassembler toutes lesréalités,aussibiennaturellesquesurnaturelles,enunseultout

dansleChrist«pourquecelui-ciaitlaprimautéentout»(Col1, 18). Cette destination, loin de priver l’ordre naturel de sonautonomie, de ses fins, de ses lois propres, de sesmoyens, desonimportancepourlebiendeshommes,rendaucontraireplusparfaitessaforceetsavaleurpropre.»126.Cf.MARITAIN, J.,Distinguerpourunirou lesdegrésdusavoir,Paris,1932.127.CONCILE VATICAN I,Constitution Dei Filius, ch. 4, DS3017.128.Id.,DS3020.129. Cf. GUIX FERRERES, J. M., La actividad humana en elmundo, inA.A.V.V.,ConcilioVaticanoII.Comentariosa laconstitucionGaudiumetSpessobrelaIglesiaenelmundodehoy,op.cit.,p.310.

dans les religions non-chrétiennes. L’Église approuve leslégitimesaspirationsducœurhumain:toutcequ’ilyadevrai,de bon, de juste dans les institutions humaines143. C’est lefondement de sa position sur l’ONU et les organismesinternationaux qui apparaissaient au moment du concile (cf.GaudiumetSpes84-90).

43-Aidequel’Églisechercheàapporteràl’activitéhumaine

Leconcileexhorteleschrétiens,citoyensdel’uneetdel’autrecité,àrempliraveczèleet fidélité leurs tâches terrestres,enselaissantconduireparl’espritdel’Évangile.Ilss’éloignentdelavéritéceuxqui, sachantquenousn’avonspoint ici-basdecitépermanente, mais que nous marchons vers la cité future144croientpouvoir,pourcela,négligerleurstâcheshumaines,sanss’apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation dechacun, leur en fait un devoir plus pressant145.Mais ils ne setrompent pas moins ceux qui, à l’inverse, croient pouvoir selivrerentièrementàdesactivitésterrestresenagissantcommesiellesétaienttoutàfaitétrangèresàleurviereligieuse–celle-cise limitant alors pour eux à l’exercice du culte et à quelquesobligationsmoralesdéterminées.Cedivorceentrelafoidontilsse réclament et le comportement quotidien d’un grand nombreest à compterparmi lesplusgraveserreursdenotre temps.Cescandale, déjà dans l’Ancien Testament les prophètes ledénonçaient avecvéhémence146 et, dans leNouveauTestamentavecplusdeforce,Jésus-Christlui-mêmelemenaçaitdegraveschâtiments147. Que l’on ne crée donc pas d’oppositionartificielle entre les activitésprofessionnelles et socialesd’une

part,laviereligieused’autrepart.Enmanquantàsesobligationsterrestres, le chrétien manque à ses obligations envers leprochain, bien lus, envers Dieu lui-même, et il met en dangerson salut éternel.À l’exemple duChrist quimena la vie d’unartisan,queleschrétiensseréjouissentplutôtdepouvoirmenertoutes leurs activités terrestres en unissant dans une synthèsevitale tous les efforts humains, familiaux, professionnels,scientifiques, techniques, avec les valeurs religieuses, sous lasouveraineordonnancedesquellestoutsetrouvecoordonnéàlagloiredeDieu.

Leconcilecondamneàlafoisunfauxspiritualismeéloignantdelacitéterrestreetlaséparationentreactivitésterrestresetviechrétienne, où il voit une des plus grandes erreurs de notretemps, déjà dénoncée dans Mater et Magistra148. Il entendfavoriser une synthèse harmonieuse, sans confusion, dans lerespectdel’autonomie.

Auxlaïcsreviennentenpropre,quoiquenonexclusivement,lesprofessions et les activités séculières. Lorsqu’ils agissent, soitindividuellement, soit collectivement, comme citoyens dumonde, ilsaurontdoncàcœur,nonseulementde respecter lesloispropresàchaquediscipline,maisd’yacquérirunevéritablecompétence. Ils aimeront collaborer avec ceux qui poursuiventles mêmes objectifs qu’eux. Conscients des exigences de leurfoi et nourris de sa force, qu’ils n’hésitent pas, au momentopportun, à prendre de nouvelles initiatives et à en assurer laréalisation.C’estàleurconscience,préalablementformée,qu’ilrevient d’inscrire la loi divine dans la cité terrestre. Qu’ilsattendent des prêtres lumières et forces spirituelles. Qu’ils nepensentpaspourautantqueleurspasteursaientunecompétencetelle qu’ils puissent leur fournir une solution concrète et

immédiateà toutproblème,mêmegrave,quiseprésenteàeux,ou que telle soit leur mission. Mais plutôt, éclairés par lasagesse chrétienne, en prêtant fidèlement attention àl’enseignement du magistère149, qu’ils prennent eux-mêmesleursresponsabilités.

Aux laïcs, dont on parle en premier, conformément à laconstitution sur l’Église, reviennent les tâches séculières,puisque leur domaine est le domaine temporel (indolessæcularis150), c’est-à-dire, qu’ils vivent au milieu du siècle,c’est-à-dire engagés dans tous les divers devoirs et travaux dumonde, dans les conditions ordinaires de la vie familiale etsociale dont leur existence est comme tissée151. On leurdemanded’être compétents etdeprendre leurs responsabilités,c’est-à-dire d’agir conformément à l’Évangile et à la vertu deprudence,parcequetoutn’estpascontenudansleMagistèredel’Église ! Ils seront guidés par leurs pasteurs sur le planspirituel,sur leplandeladoctrineetdesconseils,maisil leurreviendra d’incarner, grâce à leur prudence personnelle, cesenseignementsetàprendrelesbonnesdécisions.

Fréquemment, c’est leur vision chrétienne des choses qui lesinclineraàtelleoutellesolution,selonlescirconstances.Maisd’autres fidèles, avec une égale sincérité, pourront en jugerautrement, comme il advient souvent et à bondroit.S’il arriveque beaucoup lient facilement, même contre la volonté desintéressés, les options des uns ou des autres ave le messageévangélique,onsesouviendraenpareilcasquepersonnen’aledroitderevendiquerd’unemanièreexclusivepoursonopinionl’autoritédel’Église.Quetoujours,dansundialoguesincère,ilscherchentàs’éclairermutuellement,qu’ilsgardententreeuxla

- de la communauté internationale et de la paix (cinquièmechapitre)Touscespointsavaientétéplacésdansdesannexes,quiont

finalementétéintégréesaudocumentfinal.

165. A. A. V. V., Concilii Vaticani II Synopsis. Constitutiopastoralis de Ecclesia in mundo hujus temporis Gaudium etSpes,op.cit.,p.366.

C

Chapitre1Dignitédumariageetdelafamille

e chapitre débute par un bilan très général de lasituation du mariage et de la famille au moment duconcile (n. 47) : on entrevoit déjà certaines

conséquencesde la fameuserévolutionsexuelle commencéeaumilieudesannéessoixante.Malgrécesdifficultés,leconcilevas’attacheràuneprésentationrenouveléedelavisionchrétiennedelasexualitéetdumariage,à telpointqu’onapuécrirequeces quelques numéros forment une véritable « bombe àretardementpourlefutur»,susceptiblederépondreauxdéfisdusiècle.Lemariageestd’abordenvisagéselonlacatégoriebibliquede

l’alliance (n. 48), dont on tire des conséquences théologiquesparrapportauxpropriétésdumariage(unitéetindissolubilité),ausacrementetàsaspiritualité,puisqu’oninsistesurlasaintetédeviequesupposecetétat.On examine ensuite l’amour conjugal (n. 49), cause du

mariage, qui est analysé dans son déroulement à partir de sesprémisses(lesentimentamoureux)jusqu’àsonépanouissementdansledondesoidelavieconjugale.Letextevaallerloindansle souci de formation humaine et prend assez longuement encomptelasexualité.Laquestiondelaféconditéestaussiabordée(n.50)enraison

descontestationsliéesà l’apparitiondelapilulecontraceptive,qui se généralise dans les années soixante, mais égalementcommeunélément intrinsèquedumariage.Le lienentreuniondes époux et fécondité est particulièrement souligné : l’amour

humain est incomplet s’il n’est pas volontairement ouvert à lavie.Uneffortest faitpourmieux réfléchiraudélicatproblèmedelarégulationdesnaissances,maisonsentquetoutn’étaitpasmûr:ilfaudraattendrel’encycliqueHumanaeVitaedePaulVI,enjuillet1968,pourquelaquestionsoitmieuxtraitée.Onconclutsurl’importancedelafamillepourtoutel’Église

(n. 52), en appelant à une action pastorale renforcée ;l’éducationdesenfantsestenfinbrièvementévoquée.

Introduction:lesenjeuxavantleconcile

a-Quelenseignementsurlemariage?

Cepremierchapitreentendpromouvoirunrenouvellementdela théologie catholique du mariage ; il se présente en effetcomme l’union entre une perspective personnaliste nettementdominanteetuneapprocheplusjuridique.Letexteadonnélieuàdesdébatsassezvirulentsmaissurtout

à de nombreuses manœuvres en sous-main. En fait, il metbeaucoupl’accentsurl’amourconjugal,maissemblelaisserunpeudecôtélaféconditédumariage,pourlaisserlaporteouverteà une éventuelle reconnaissance de la contraception par leMagistère (qui n’eut pas lieu) : le Saint Père s’était en effetréservé le thème de la régulation des naissances, qu’il avaitconfiéàunecommissionadhoc,indépendanteduconcile.Maiscertains voulaient préparer le terrain166… Paul VI demandadoncpersonnellementqu’onajoutâtdifférentesprécisions:-mentionnerlesmoyensanti-conceptionnels,conformémentà

CastiConnubii,danslalistedel’actuelnuméro47:«puisqu’ilest terni par la polygamie, l’amour libre, les moyens anti-conceptionnelsetautresdéformations»;

authentique. Ce don du Christ demeure dans toute la vieconjugale : si les époux lui sont fidèles et l’entretiennent, ilassurera leur fidélité à travers tous les changements, toutes lesépreuves…Lebutfinaldusacrementestdoncl’édificationdesconjointsl’unparl’autre,lasainteté;lemariageapparaîtainsicommeunevéritablevocation.

Précédés par l’exemple et la prière commune de leurs parents,lesenfants,etmêmetousceuxquiviventdanslecerclefamilial,s’ouvrirontainsiplusfacilementàdessentimentsd’humanitéettrouveront plus aisément le chemin du salut et de la sainteté.Quantauxépoux,grandispar ladignitédeleurrôledepèreetdemère,ilsaccomplirontavecconscienceledevoird’éducationquileurrevientaupremierchef,notammentauplanreligieux.

Onpassedumariageentantquetelauxenfantsetaudevoird’éducation des parents. Celle-ci comprend deux aspects :éducation humaine, qui sera favorisé par un climat de sécuritéaffective et morale, et éducation chrétienne, qui représente lepremier devoir d’apostolat des parents. La paternité et lamaternité entraînent un développement humain, un progrèspersonnel dans le cœur des parents : lorsqu’on se donne, ongrandit.Elleestuneréponseàunevocation(naturelle).

Membres vivants de la famille, les enfants concourent, à leurmanière,àlasanctificationdesparents.Parleurreconnaissance,leurpiétéfilialeetleurconfiance,ilsrépondrontassurémentauxbienfaitsdeleursparentset,enbonsfils,ilslesassisterontdanslesdifficultésdel’existenceetdanslasolitudedelavieillesse.Leveuvage,assuméaveccouragedans lesillagede lavocationconjugale, sera honoré de tous189. Les familles secommuniqueront aussi avec générosité leurs richesses

spirituelles.Alors, lafamillechrétienne,parcequ’elleest issued’unmariage, image et participation de l’alliance d’amour quiunit le Christ et l’Église190, tant par l’amour des époux, leurfécondité généreuse, l’unité et la fidélité du foyer, que par lacoopérationamicaledetoussesmembres.

Onrécapituleàceniveaulesdevoirsdesenfantsvis-à-visdesparents. On comprend aussi pourquoi ils constituent un bienexcellentdumariage:ilspermettentauxparentsdedévelopperetd’approfondirleuramourconjugal,dontilssontlatraductionvisible, et ils font aussi partie de la vocation des parents. Lafamillechrétienneaunrôlesocialàjouer.

49-L’amourconjugal

A plusieurs reprises, la parole de Dieu a invité les fiancés àentreteniretsoutenirleursfiançaillesparuneaffectionchaste,etlesépouxleurunionparunamoursansfaille191.Beaucoupdenoscontemporainsexaltentaussil’amourauthentiqueentremariet femme, manifesté de différentes manières, selon les sainescoutumes des peuples et des âges. Éminemment humainpuisqu’il va d’une personne vers une autre personne en vertud’un sentiment volontaire, cet amour enveloppe le bien de lapersonne tout entière ; il peut donc enrichir d’une dignitéparticulièrelesexpressionsducorpsetdelaviepsychiqueetlesvaloriser comme des éléments et les signes spécifiques del’amitiéconjugale.Cetamour,parundonspécialdesagrâceetde sa charité, le Seigneur a daigné le guérir, le parfaire etl’élever.Associantl’humainetledivin,untelamourconduitlesépoux à un don libre etmutuel d’eux-mêmes qui semanifestepardessentimentsetdesgestesdetendresseetilimprègnetoute

leurvie192 ; bienplus, il s’achève lui-mêmeetgranditpar songénéreux exercice. Il dépasse donc de loin l’inclinationsimplement érotique qui, cultivée pour elle-même, s’évanouitviteetd’unefaçonpitoyable.

LaprésentationdecepassagedeGaudiumetSpesesttoutàfaitneuvedansleMagistèredel’Église:siPieXIavaitunpeuouvertlavoiedansl’encycliqueCastiConnubiienparlantpourla première fois d’amour conjugal (cité dans le texte),l’empreinte personnaliste est nettement plus marquée dansVatican II. L’amour conjugal, réalité naturelle assumée ensuitepar le Christ en charité conjugale, est la cause et l’origine del’uniondesépoux(causeformelle);ilestàlabasedumariage.Les fiançailles sont ainsi décrites comme une « affectionchaste»,procédantdoncdel’amour,etlesrelationsentreépouxsontqualifiéescommed’amour.L’amourconjugalestuneformeparticulièred’amitiépuisqu’ilestdécritcommeun«sentimentvolontaire (affectus voluntatis) qui va d’une personne à uneautre personne. » Le but du mariage est donc d’être capabled’aimer l’autre pour lui-même, de rechercher son bien (il«enveloppelebiendelapersonnetoutentière»).Iln’estdoncpasunsimpleattraitérotiquemaisquelquechosedevolontaire,depersonnel, quiveut lebiende l’autre. Il n’estpasnonpluspurement spirituelmais englobe différents aspects : corporels,psychologiques… Il comprend toute la vie, l’imprégnant enprofondeur,ets’achèvedansledondelavie.Iln’estdoncpascoupéde la fécondité.Assumépar leChrist, ildevientvoiedesalutets’épanouitencharitéconjugale.

Cette affection a sa manière particulière de s’exprimer et des’accomplirparl’œuvrepropredumariage.Enconséquence,lesactesqui réalisent l’union intimeet chastedesépoux sontdes

175. Cf. SAINT ALPHONSE-MARIE DE LIGUORI, Theologiamoralis, imprimeriesaintAndrédesarts,Besançon,1839,vol.7,dist.927.176. Cf. MARC, C., Institutiones morales alphonsianae,imprimerieGuggiani,Rome,18873,t.2,n.2099.177. Dans le code de droit canonique de 1917 :Codex iuriscanonici,can.1013,§1.178.PIEXI,Lettreencyclique«CastiConnubii»,20-22.179.PIEXII,Discoursauxparticipantsducongrèsdel’unioncatholique italienne des sages femmes, inA.A. S. 43 (1951)835.180.Cf.SAINT1AUGUSTIN,Debonoconiugali(PL40,375-376et 394). – SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique,Supplément,q.49,a.3à1.–DecretumproArmenis,Denz.702(1327).–PIEXI,Encyclique«CastiConnubii»,inA.A.S.22(1930)543-555;Denz.2227-2238(3703-3714).181.Cf.SAINT1AUGUSTIN,Debonoconiugali(PL40,375-376et 394). – SAINT THOMAS D’AQUIN, Somme théologique,Supplément,q.49,a.3à1.–DecretumproArmenis,Denz.702(1327).–PIEXI,Encyclique«CastiConnubii»,inA.A.S.22(1930)543-555;Denz.2227-2238(3703-3714).182.Cf.Osée2;Jérémie3,6-13;Ezéchiel16et23;Isaïe54.183.Cf. Évangile selon saintMatthieu 9, 15 ; Évangile selonsaint Marc 2, 19-20 ; Évangile selon saint Luc 5, 34-35 ;Évangile selon saint Jean 3, 29 ; Deuxième lettre auxCorinthiens11,2;LettreauxÉphésiens5,27;Apocalypse19,7-8;21,2et9.184.Cf.LettreauxÉphésiens5,25.185. Cf. Constitution dogmatique sur l’Église « LumenGentium»,n.11,35et41.

186.Cf.PIEXI,Encyclique«CastiConnubii»,inA.A.S.22(1930)583;Denz.2231(3706).187.Cf.Osée2-3.188.Cf.LettreauxÉphésiens5,25-32.189.Cf.PremièrelettreàTimothée5,3.190.Cf.LettreauxÉphésiens5,32.191. Cf. Genèse 2, 22-24 ; Proverbes 5, 18-20 ; 31, 10-31 ;Tobie8,4-8;Cantique1,1-3;2,16;7,8-11;PremièrelettreauxCorinthiens7,3-6;LettreauxÉphésiens5,25-33.192. PIE XI,Encyclique « Casti Connubii », in A. A. S. 22(1930)546-547,Denz.2231(3706).193.PremièrelettreauxCorinthiens,7,5.194.PIEXII,Allocution«Tralevisite»,20janvier1958,inA.A.S.50(1958)91.195.§2:Dansledevoirquileurincombedetransmettrelavieet d’être des éducateurs (ce qu’il faut considérer comme leurmissionpropre)…Voir aussiLumenGentium 35, § 3.Cf. PIEXI,Encyclique«CastiConnubii»,inA.A.S.22(1930)559-561;Denz,2239-2241(3716-3718);PIEXII,Alloc.ConventuiUnionis Italicae inter Obstetrices, 29/10/51, in A. A. S. 43(1951) 835-854 ; PAUL VI, alloc. ad Em. mos PatresPurpuratos, 23/06/64, in A. A. S. 56 (1964) 581-589. « Parordre du Souverain Pontife, certaines questions qui supposentd’autres recherches plus approfondies ont été confiées à unecommissionpourlesproblèmesdelapopulation,delafamilleetde la natalité pour que, son rôle achevé, le Pape puisse seprononcer. L’enseignement du Magistère demeurant ainsi cequ’il est, le concile n’entend pas proposer immédiatement desolutionsconcrètes.»196.Cf.LettreauxÉphésiens5,16;LettreauxColossiens4,5.

197.Cf.LettreauxRomains5,15et18 ;6,5-11 ;LettreauxGalates2,20.198.Cf.LettreauxÉphésiens5,25-27.

constituant une sorte de contre-société ! C’est déjà cequ’affirmait, dans les premiers temps de l’Église, l’auteuranonymedelaLettreàDiognète.Àcertainesépoques,unetelleattitudepeutreleverdel’héroïsme.

Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par lepays,niparlelangage,niparlesvêtements.Ilsn’habitentpasde villes qui leur soient propres, ils ne se servent pas dequelquedialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a riendesingulier.Cen’estpasàl’imaginationniauxrêveriesd’espritsagitésqueleurdoctrinedoitsadécouverte;ilsnesefontpas,comme tant d’autres, les champions d’une doctrine humaine.Ilsserépartissentdanslescitésgrecquesetbarbaressuivantlelotéchuàchacun;ilseconformentauxusageslocauxpourlesvêtements, la nourriture et lamanière de vivre,mais leur viecommunautaire a vraiment quelque chose d’étonnant et deproprementparadoxal.Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme desétrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs decitoyens,etsupportenttoutesleschargescommedesétrangers.Toute terre étrangère leur est une patrie et toute patrie uneterreétrangère.Ilssemarientcommetoutlemonde,ilsontdesenfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ilspartagent tous la même table, mais ne partagent pas leurépouse.Ils sont dans la chair, mais ne vivent pas selon la chair. Ilspassent leur vie sur la terre, mais sont citoyens du ciel. Ilsobéissentauxloisétabliesetleurmanièredevivrel’emporteenperfectionsurleslois.[…]Enunmot,cequel’âmeestdanslecorps,leschrétienslesontdanslemonde.L’âmeestrépanduedanstouslesmembresducorps comme les chrétiens dans les cités du monde. L’âme

habitedanslecorpsetpourtantellen’estpasducorps,commeles chrétiens habitent dans le monde mais ne sont pas dumonde. Invisible, l’âme est retenueprisonnièredansun corpsvisible ; ainsi les chrétiens, on voit bien qu’ils sont dans lemondemaislecultequ’ilsrendentàDieudemeureinvisible211.

57-Lerapportentrelafoietlaculture

Leschrétiens,enmarcheverslacitécéleste,doiventrechercheretgoûterleschosesd’enhaut212,maiscelapourtant,loindeladiminuer,accroîtplutôtlagravitédel’obligationquiestlaleurdetravailleravectousleshommesàlaconstructiond’unmondeplus humain. Et, de fait, le mystère de la foi chrétienne leurfournit des stimulants et des soutiens inappréciables : ils leurpermettentdes’adonneravecplusd’élanàcettetâcheetsurtoutde découvrir l’entière signification des activités capables dedonneràlaculturesaplaceéminentedanslavocationintégraledel’homme.

Lafoinedétournepasdesréalitésdelaviedeshommes:ellene doit pas enfermer dans une sorte de monde parallèle, quiserait purement spirituel. Elle accroît plutôt la gravité del’obligationdetravailleravectousleshommesàlaconstructiond’unmondeplushumain.Lechrétienapourrôle,deparsafoi,d’orienter les réalités terrestres vers leur véritable fin qui estDieu. Telle est la tâche des fidèles laïcs en cemonde, commel’affirmelaconstitutionsurl’Église:

Les fidèles doivent donc reconnaître la nature profonde detoute la création, sa valeur et sa finalité qui est la gloire deDieu ; ils doivent, à travers les travaux même temporels,

s’aider en vue d’une vie plus sainte, afin que le mondes’imprègnedel’EspritduChristetdanslajustice,lacharitéetla paix atteigne plus efficacement sa fin. Dansl’accomplissement universel de ce devoir, les laïcs ont lapremière place. Par leur compétence dans les disciplinesprofanesetparleursactivitésquelagrâceduChristélèveau-dedans,qu’ilss’appliquentdetoutesleursforcesàobtenirqueles valeurs de la création soient cultivées dans l’intérêtabsolumentdetousleshommes,selonlesfinsduCréateuretlalumière de son Verbe, grâce au travail de l’homme, à latechniqueetàlaculture213.Quelesfidèleslaïcss’efforcentd’accorderlesunsetlesautresentre eux, harmonieusement, se souvenant que la consciencechrétiennedoitêtreleurguideentousdomainestemporels,caraucuneactivitéhumaine,fût-elled’ordretemporel,nepeutêtresoustraiteàl’empiredeDieu214.

Lachariténouspousseàprendresoindetous:elleoffreunstimulantetunsoutiendanscesoucid’autrui.

Eneffet,lorsqu’ilcultivelaterredesesmainsouavecl’aidedemoyenstechniques,pourqu’elleproduisedesfruitsetdevienneune demeure digne de toute la famille humaine, et lorsqu’ilprendpartconsciemmentàlaviedesgroupessociaux,l’hommeréaliseleplandeDieu,manifestéaucommencementdestemps,de dominer la terre215 et d’achever la création, et il se cultivelui-même.Enmêmetemps,ilobéitaugrandcommandementduChristdesedépenserauservicedesesfrères.

DanslelivredelaGenèse,Dieucommandeàl’hommeetàlafemme qu’il vient de créer de soumettre la terre et de la

diversitédesélémentsculturels,danslemêmetempss’amenuisela faculté pour chaque homme de les percevoir et de lesharmoniser entre eux, si bien que l’image de « l’hommeuniversel » s’évanouit de plus en plus.Cependant continuedes’imposeràchaquehommeledevoirdesauvegarderl’intégralitéde sa personnalité, en qui prédominent les valeursd’intelligence,devolonté,deconscienceetdefraternité,valeursqui ont toutes leur fondement enDieuCréateur et qui ont étéguériesetélevéesd’unemanièreadmirabledansleChrist.

Leprogrèsdesdifférentesdisciplinesfaitquelesavoirestdeplusenplusmorcelé:chacunestspécialisédanssondomaine,qu’il lui faut beaucoup de temps pour acquérir, et a dumal àconnaîtreautrechosequecequirelèvedesastrictecompétence.Établir une synthèse devient une entreprise ardue à notreépoque.

La famille est au premier chef comme la mère nourricière decette éducation : en elle, les enfants, enveloppés d’amour,découvrent plus aisément la hiérarchie des valeurs, tandis quedesélémentsd’unecultureéprouvées’imprimentd’unemanièrepresque inconsciente dans l’esprit des adolescents, au fur et àmesurequ’ilsgrandissent.

La première éducation est fournie par la famille qui nousdonnelesrudimentsdelaculture;maiscesbasesdemeurerontnotreviedurant.Noussommesredevablesànosparentsdetoutelaformationinitialereçued’eux:lafamilleestlasourceinitialedelaculture.

Pourcettemêmeéducation, lessociétésactuellesdisposent,enparticulier grâce à la diffusion croissante des livres et aux

nouveaux moyens de communication culturelle et sociale, deressources opportunes qui peuvent faciliter l’universalité de laculture.Eneffet,avec ladiminutionplusoumoinsgénéraliséedu tempsde travail, les occasionsde se cultiver semultiplientpour la plupart des hommes. Que les loisirs soient bienemployés,poursedétendreetpourfortifierlasantédel’espritetdu corps : en se livrant à des activités libres et à des étudesdésintéressées ; à l’occasion de voyages en d’autres régions(tourisme) qui affinent l’intelligence et qui, de surcroît,enrichissent chacun par la connaissance de l’autre ; égalementpardesexercicesphysiquesetdesactivitéssportivesquiaidentà conserver un bon équilibre psychique, individuellement etaussicollectivement,etàétablirdesrelationsfraternellesentreleshommesdetoutesconditions,detoutesnationsouderacesdifférentes. Que les chrétiens collaborent donc auxmanifestationsetauxactionsculturellescollectivesquisontdeleur temps, qu’ils les humanisent et les imprègnent d’espritchrétien.

Lesmédiapeuventêtredesrelaispuissantsdediffusiondelaculture, dans le bon comme dans le mauvais sens, d’ailleurs.L’universalitédelaculturedontilestquestioniciestunaspectde lamondialisation,même si le terme n’apparaît pas ici : unmodèle culturel dominant tend à se diffuser, et les pèresconciliaires en étaient les premiers témoins. La diminution dutemps de travail devrait permettre d’avoir davantage de tempsdisponible et de favoriser un essor des loisirs ; ceux-ci,comprenantunepartculturelle,devraientàleurtourstimulerundéveloppement de la culture parmi le plus grand nombre.Uneréflexionestdoncàmenerquantauxloisirs.

Cependant tous ces avantages ne sauraient parvenir à réaliser

l’éducationculturelle intégralede l’hommesi,enmême temps,on néglige de s’interroger sur la signification profonde de lacultureetdelasciencepourlapersonnehumaine.

Nous sommes invités à percevoir l’enjeu de la culture, às’interrogersurelleetàl’intégrerdansnotreexistence.

62-Réaliserl’harmonieentrelafoietlaculture

Bien que l’Église ait largement contribué au progrès de laculture, l’expérience montre toutefois que, pour des raisonscontingentes, il n’estpas toujours facilede réaliser l’harmonieentrelacultureetlechristianisme.

L’harmonie entre la foi et la culture est à construire : ellen’est pas une donnée immédiate. Elle s’est réalisée à certainsmomentsdupassé;elleestplusdifficileactuellement.

Ces difficultés ne portent pas nécessairement préjudice à lavitalitédelafoi,etmêmeellespeuventinciteràuneplusexacteet plus profonde intelligence de celle-ci. En effet, les plusrécentesrecherchesetdécouvertesdessciences,ainsiquecellesde l’histoire et de la philosophie, soulèvent de nouvellesquestionsquicomportentdesconséquencespourlaviemême,etexigentdenouvellesrecherchesdelapartdesthéologienseux-mêmes.Dès lors, tout en respectant lesméthodes et les règlespropres aux sciences théologiques, ils sont invités à cherchersanscesse lamanière laplusaptedecommuniquer ladoctrineauxhommesdeleur temps:carautrechoseest ledépôtmêmeou lesvéritésde la foi,autrechose la façonselon laquellecesvéritéssontexpriméesàconditiontoutefoisd’ensauvegarderlesens et la signification234. Que, dans la pastorale, on ait une

encorel’informatique),unemeilleureorganisationéconomique,la multiplication des relations (avec les débuts de lamondialisation), l’intervention croissante des pouvoirspolitiquesenmatièreéconomique–devenuedepuisplusréduite.Tout cela, du au contexte économiquement porteur des trenteglorieuses, a contribué à une meilleure satisfaction de nosbesoins.

Pourtant les sujets d’inquiétude ne manquent pas. Beaucoupd’hommes,surtoutdanslesrégionsdumondeéconomiquementdéveloppées, apparaissent comme dominés par l’économique :presque toute leur existence personnelle et sociale est imbued’un certain « économisme », et cela aussi bien dans les paysfavorables à l’économie collectivistequedans les autres.Àunmoment où le développement de l’économie, orienté etcoordonné d’une manière rationnelle et humaine, permettraitd’atténuer les inégalitéssociales, ilconduit tropsouventà leuraggravationetmême,icioulà,àunerégressiondelaconditionsociale des faibles et au mépris des pauvres. Alors que desfoulesimmensesmanquentencoredustrictnécessaire,certains,même dans les régions moins développées, vivent dansl’opulenceougaspillentsanscompter.Leluxecôtoielamisère.Tandisqu’unpetitnombred’hommesdisposentd’untrèsamplepouvoir de décision, beaucoup sont privés de presque toutepossibilitéd’initiativepersonnelleetderesponsabilité;souventmême, ils sont placés dans des conditions de vie et de travailindignesdelapersonnehumaine.

De semblables déséquilibres économiques et sociaux seproduisent entre le secteur agricole, le secteur industriel et lesservices, comme aussi entre les diverses régions d’un seul et

mêmepays.Entrelesnationséconomiquementplusdéveloppéeset les autres nations, une opposition de plus en plus aiguë semanifeste,capabledemettreenpériljusqu’àlapaixdumonde.

Le concile présente maintenant les aspects négatifs :essentiellement, la domination de l’économie dans les paysdéveloppés (qualifiée d’économisme), avec l’esprit de gain oul’absorptionde l’humaindans l’organisationéconomique,et lecreusement des inégalités avec les pays en voie dedéveloppement. Quelques chiffres peuvent nous aider àmieuxprendre conscience de cette réalité du déséquilibre aumomentduconcile240:46 % de la population mondiale ne détenait que 7 % des

richesses,etvivaitavecmoinsdecentdollarsparan;10 % de la population mondiale possédait 50 % des

richesses.

Leshommesdenotretempsprennentuneconsciencedeplusenplusvivedecesdisparités:ilssontprofondémentpersuadésqueles techniquesnouvelleset les ressourceséconomiquesaccruesdontdisposelemondepourraientetdevraientcorrigercefunesteétat de choses. Mais pour cela de nombreuses réformes sontnécessairesdanslavieéconomico-sociale;ilyfautaussi,delapart de tous, une conversion des mentalités et des attitudes.Dans ce but, l’Église, au cours des siècles, a explicité à lalumière de l’Évangile des principes de justice et d’équité,demandés par la droite raison, tant pour la vie individuelle etsociale que pour la vie internationale ; et elle les a proclaméssurtoutcesdernierstemps.Comptetenudelasituationprésenteleconcileentendlesconfirmeretindiquerquelquesorientationsen prenant particulièrement en considération les exigences dudéveloppementéconomique.

Ceschangementssupposentuneconversiondesmentalitésetdescœurs:cesontdesproblèmeshumains,àrégleràunniveauhumain et pas seulement technique. L’aide que l’Église peutapporter,cesontlesprincipesdesadoctrinesociale.Notons,aupassage,quecettedoctrinesociale–letermen’est

pas mentionné dans le concile – est présentée d’une manièrenouvelle:commeuneréflexionàpartirdel’Évangile,puisdeladroiteraison,donccommeunéclairagedelafoisurlesréalitésdecemonde,undiscernementparrapportauxsignesdestemps.

64-Ledéveloppementéconomiqueauservicedel’homme:lacentralitédelapersonnehumaine

Letitreemployéestdéjàsignificatif:onparledeprogressioeconomica,cequipeutse traduireparprogrèséconomiqueoudéveloppementéconomique.Lesdeuxtermesnesontpastoutàfait équivalents : la croissance économique est une donnéetechnique, qui dépend de nombreux facteurs (situation d’unpays à un moment donné, bonne santé des entreprises et desacteurs économiques, capacités technique et d’innovation,éducation des citoyens, etc.), tandis que le développement estplus large, et embrasse tout l’aspect humain, moral. Les deuxnotions sont imbriquées l’une dans l’autre : un pays serad’autantplusperformantéconomiquementquesescadresserontbienforméset«motivés»;lacroissanceéconomiquepeutaussiêtreunmoyend’êtredébarrassédepréoccupationsplus terreàterre(parexemple,subsister,senourrir,trouverdel’argentpourquelesenfantss’instruisent,etc.)pourgrandirenhumanité,encultureetenvertu241.

Aujourd’hui plus que jamais, pour faire face à l’accroissement

Entreletiers-mondeetlespaysdéveloppés,lesméthodesderedistributiondesrichessessontdiverseset tiennentcomptedela situation économique, mais le but est le même : la justicedistributive, ou justice sociale. Pour autant, il faut veiller auxexcèsetnepasfavoriserl’assistanatetlapassivité!

70-Lecapital

Les investissements, de leur côté, doivent tendre à assurer desemplois et des revenus suffisants tant à la population actived’aujourd’huiqu’àcellededemain.Tousceuxquidécidentdeces investissements, comme de l’organisation de la vieéconomique(individus,groupes,pouvoirspublics)doiventavoirces buts à cœur et se montrer conscients de leurs gravesobligations;d’unepart,prendredesdispositionspourfairefaceaux nécessités d’une vie décente, tant pour les individus quepour lacommunauté toutentière ;d’autrepart,prévoir l’aveniret assurer un juste équilibre entre les besoins de laconsommation actuelle, individuelle et collective, et lesexigencesd’investissementpourlagénérationquivient.Ondoitégalement avoir toujours en vue les besoins pressants desnations et des régions économiquement moins avancées. Parailleurs,enmatièremonétaire,ilfautsegarderd’attenteraubiende son propre pays ou à celui des autres nations. On doits’assurerenoutrequeceuxquisontéconomiquementfaiblesnesoientpasinjustementléséspardeschangementsdanslavaleurdelamonnaie.

Pourunchefd’entreprise,ladifficultéestd’agiràcourttermeetàlongterme:dansunesituationdecrise,parexemple,ilfautréagir vite, et, quelquefois, licencier ; mais si l’activité

redémarre, il faudra peut-être réembaucher. Il doit se posercommequestion :Et l’avenir de cette personne ?N’est-ce pastrès dommageable pour elle d’être au chômage ? Le bien del’entreprise semble parfois en contradiction avec le bien del’employé!Onnepeutenvisageruneréponsesurlecourtterme,sans prévoir aussi à plus longue échéance : sinon, on est unmauvais gestionnaire. Dans l’investissement du capital, ilconvient donc d’être à la fois prudent et précautionneux, enpensantaufutur,maispaspusillanimeouintéressé,ensongeantauxautres.Toutinvestissementestenvuedutravail.

71-Lapropriété

Lapropriétéet lesautresformesdepouvoirprivésur lesbiensextérieurs contribuent à l’expression de la personne et luidonnentl’occasiond’exercersaresponsabilitédanslasociétéetl’économie. Il est donc très important de favoriser l’accessiondes individusetdesgroupesàuncertainpouvoirsur lesbiensextérieurs.

Leconcilesoulignel’importancedelapropriété:-ellepermetàlapersonnedes’exprimer;- elle permet aussi de responsabiliser chacun (« Le système

communiste,partoutoùilaétéappliqué,aaboutiàunepertedusensdubiencommun,àunedéresponsabilisationdesgenscarchacunfinitparsereposersurl’état252.»)

Lapropriétéprivéeouuncertainpouvoirsurlesbiensextérieursassurent à chacun une zone indispensable d’autonomiepersonnelle et familiale ; il faut les regarder comme unprolongement de la liberté humaine. Enfin, en stimulant

l’exercice de la responsabilité, ils constituent l’une desconditionsdeslibertésciviles.

Le droit à la propriété privée est un indicateur précieux –mêmes’iln’estpasleseul–dudegrédelibertéd’unesociété.

Les formes d’un tel pouvoir ou propriété sont aujourd’huivariées ; et leur diversité ne cesse de s’amplifier. Toutescependantdemeurent,àcôtédesfondssociaux,desdroitsetdesservices garantis par la société, une source de sécurité nonnégligeable. Et ceci n’est pas vrai des seules propriétésmatérielles, mais aussi des biens immatériels, comme lescapacitésprofessionnelles.

La propriété présente aussi l’avantage de favoriserl’autonomiepersonnelleetfamiliale(subsistanceetsécurité).

Lalégitimitédelapropriétéprivéenefaittoutefoispasobstacleà celle des divers modes de propriétés publiques, à conditionqueletransfertdesbiensaudomainepublicsoiteffectuéparlaseuleautoritécompétente,selonlesexigencesdubiencommun,dans les limites de celui-ci et au prix d’une indemnisationéquitable. L’Etat a, par ailleurs, compétence pour empêcherqu’on abuse de la propriété privée contrairement au biencommun.

On rappelle les conditions classiques de la propriétépublique:-autorité;-conformémentauxexigencesdubiencommun253;-avecuneindemnisationéquitabledesancienspropriétaires.Lerôleminimaldel’étatparrapportàl’économieestdefaire

conçu d’une manière dynamique), conformément à un ordrejuridiquelégitimementétabliouàétablir.Alorslescitoyenssonten conscience tenus à l’obéissance. D’où, assurément, laresponsabilité, la dignité et l’importance du rôle de ceux quigouvernent.

Troisconditionssontdoncmisesenavant:- l’action de l’état doit s’inscrire dans les limites de l’ordre

moralobjectif,c’est-à-direrespecterlaloinaturelle;-elledoitviserlebiencommun;-ellerespectelesprincipesd’unordrejuridique(constitution

etloispositives)263.Àproposde l’ordonnancement juridiquede l’état,Pacem in

terris fournit d’intéressantes précisions sur la distinction destroispouvoirs,devenueclassiquedepuisMontesquieu:

Nous estimons conforme aux données de la nature humainel’organisation politique des communautés humaines fondéessur une convenable division des pouvoirs, correspondant auxtroisfonctionsprincipalesdel’autoritépublique.Eneffet,dansce régime, sont définis en termes de droit non seulement lesattributions et le fonctionnement des pouvoirs publics maisaussi les rapports entre simples citoyens et représentants del’autorité, ce qui constitue, pour les premiers, une garantiedans l’exercice de leurs droits et l’accomplissement de leursdevoirs.

Toutefois,pourqu’unsystèmejuridiqueetpolitiquedecegenreprocure lesavantagesescomptés, il fautque,dans leuractionet leursméthodes, lespouvoirspublicssoientconscientsdelanatureetdelacomplexitédesproblèmesqu’ilssontappelésà

résoudre conformément aux conjonctures du pays. Et il estindispensableque chacund’eux exercede façonpertinente saproprefonction.Celasupposequelepouvoirlégislatifs’exercedansleslimitesprescritesparl’ordremoraletparlesnormesconstitutionnellesetqu’ilinterprèteobjectivementlesexigencesdu bien commun dans l’évolution continuelle des situations ;que le pouvoir exécutif fasse régner partout le droit, à lalumière d’une parfaite connaissance des lois et d’uneconsciencieuse analyse des circonstances ; que le pouvoirjudiciaire administre la justice avec une impartialité pénétréedesenshumainet soit inflexibleen facedespressionsdictéesparl’intérêtdespartiesencause264.

Si l’autorité publique, débordant sa compétence, opprime lescitoyens, que ceux-ci ne refusent pas ce qui est objectivementrequis par le bien commun ; mais qu’il leur soit cependantpermis de défendre leurs droits et ceux de leurs concitoyenscontrelesabusdupouvoir,enrespectantleslimitestracéesparlaloinaturelleetlaloiévangélique.

Sil’étatnerespectepascesprincipes,commentleschrétiensdoivent-ils réagir ? D’abord, par une résistance passive,pacifique : c’est l’objection de conscience. Elle est formuléepourlapremièrefoisdansPaceminterris:

L’autoritéexigéepar l’ordremoralémanedeDieu.Sidoncilarrive aux dirigeants d’édicter des lois ou de prendre desmesures contrairesà cet ordremoral et, par conséquent, à lavolonté divine, ces dispositions ne peuvent obliger enconsciencecar«il fautobéiràDieuplutôtqu’auxhommes».Bien plus, en pareil cas, l’autorité cesse d’être elle-même et

dégénère en oppression. « La législation humaine ne revêt lecaractère de loi qu’autant qu’elle se conforme à la droiteraison ; d’où il appert qu’elle tient sa vigueur de la loiéternelle.Mais,danslamesureoùelles’écartedelaraison,onladéclare injuste, elle ne vérifie pas lanotionde loi, elle estplutôtuneformedelaviolence»265.

Ensuite, on peut, dans certains cas, en mesurant lesconséquences, qui doivent être proportionnées, adopter uneattitudederésistanceactivequandtoutestperdu:cettedoctrinesefondesurlanotiondetyrannicideprésentedanslapenséedesaintThomas.Leschrétiensontlapossibilitédedéfendreleursdroitsàdeuxconditions:-nepasrefusercequerequiertlebiencommun;-respecterlaloinaturelleetlaloidivine(nepasemployerde

moyensquileursoientcontraires).

75-Lescitoyensparrapportàlasociétépolitique:laparticipation

Si le numéro 74 analyse la communauté politique en soi etparrapportauxcitoyens,lenuméro75s’intéresseauxcitoyensetàleursrapportsvis-à-visdelacommunautépolitique.Ilétudieun concept-clef de la pensée politique contemporaine : laparticipation.L’hommecontemporainaunniveauculturelplusélevéetaspiredoncàparticiperaugouvernement.Cetterequêteestlégitimecarl’hommeestunêtrelibre,dufaitdesaCréationà l’image de Dieu, et liberté signifie maîtrise de soi-même,comme l’expose saint Thomas dans le fameux prologue de laPrima-Secundae. Si l’homme est capable de se gouverner soi-même, il est logique qu’il aspire à participer au gouvernement

254.MARTIN-ARTAJO,A.,Lavidaenlacomunidadpolitica,inA.A.V.V.,ConcilioVaticanoII.ComentariosalaconstitucionGaudiumetSpessobrelaIglesiaenelmundodehoy,op.cit.,p.553:Eltemacentraldelcapituloeséste.255.ToutelasourcedeceparagraphesetrouvedansPacem inTerris19.256. À dessein, cette partie n’emploie pas le terme état, maisparle de communauté politique etde communauté sociale, oucivile:l’étatesteneffetuneformeparticulière,historiquementdéfinie, de communauté politique ; en plus, le terme est pluslargeetenglobedirigeantsetdirigés,citoyensetautorité,dansun même ensemble. Voir A. A. V. V., Concilii Vaticani IISynopsis. Constitutio pastoralis de Ecclesia in mundo hujustemporisGaudiumetSpes,op.cit.,p.598,noteIIIA.MARTIN-ARTAJO,A.,Lavidaenlacomunidadpolitica, inA.A.V.V.,ConcilioVaticano II.Comentariosa la constitucionGaudiumetSpes sobre la Iglesia enelmundodehoy,op. cit., p. 552 :«EscosacuriosaqueenlaconstitucionconciliarGaudiumetSpessehabiasiemprede«comunidadpolitica»ynoaparecepara nada el termino Estado. La expresion « comunidadpolitica » aparece dieciseis veces, y una vez se emplea comosinonima la expresion « comunidad civil ». Este termino hasido, sin duda, utilizado de modo consciente por los padresconciliares,precisamenteporquesusignificadoesmasamplioqueeldeltermino«Estado»,dadoqueaquelabarcademodoinequivoco los dos protagonistas de la vida politica : elestamento gobernante y el comun de los ciudadanos. Lacomunidad politica es la integracion de ambos bajo elprincipio del bien comun. En la preferencia que se da a estaexpresiontalvezhainfluidotambienelpropositodeacentuarelcaracternaturalyoriginariodela«comunidadpolitica»,a

diferencia del caracter derivado y formal que se atribuye al« Estado », en cuanto configuracion concreta que recibe lacomunidadpoliticaencadapais.Elpropioconcilioafirmaquela comunidad politica, como la familia, responde de modoinmediato a la naturaleza profunda del hombre ; que lacomunidad politica y la autoridad publica se fundan en lamismanaturalezahumanaypertenecen,porlotanto,alordenprevisto por Dios. En expresion de Pio XII, la comunidadpoliticaingenerepertenecealordenabsolutedelosseresydelosfines,cosaquenopuedeafirmarsedelasformassingularesque el Estado, identificado con el estamento gobernante,adoptaencadasituaci6ncontingentegeograficaehistorica.»257. A. A. V. V., Concilii Vaticani II Synopsis. Constitutiopastoralis de Ecclesia in mundo hujus temporis Gaudium etSpes, op. cit., p. 598, note II : « 1/ Imprimis exponiturnecessitassocietatispoliticae,quaenititur innaturapersonaehumanae, et tanquam corpus morale ex bono communiprocurando exhaurit ius suum proprium et originarium. 2/Deinde explanatur necessitas auctoritatis, quae similiterexoriturexnaturahumanaetconsequenterexDeiordinatione,quamvis formae sub quibus auctoritas exercetur ab hominelibere determinatur 3/ Inquibus fundatur obligatio proauctoritate ordinem moralem observandi et fines suos nonpraetergrediendi,etprocivibuspraestandioboedientiam.»258.TUCCI,R.,Laviedelacommunautépolitique,inA.A.V.V.,L’Églisedanslemondedecetemps.t.2:commentaires,op.cit., p. 549 : « Une présentation traditionnelle quant à ladoctrine mais nouvelle quant à la manière de poser leproblème.»259.Id.Cf.PaceminTerris19.260.LettresauxRomains13,1-2.

261. SAINT JEAN CHRYSOSTOME, Homélie sur l’épître auxRomains,23(PG60,615),citéparJEANXXIII,Paceminterris,18.Mater etMagistra 118 rappelle finement que le but n’estpasdeconstitueruneoligarchieenmettantl’industrieauxmainsdequelques-uns,cequiseraitcontraireaubiendupays.262.Surlemêmesujet,lirePaceminTerris19.263.Surcetteapprobationdel’étatconstitutionnel,voirPaceminTerris31.264.PaceminTerris28.265.PaceminTerris19.266.Cf.PaceminTerris31.267.Cf.l’attitudedeM.ValéryGiscardd’Estaingquantàlaloisurl’avortement,quiinvoquauneéthiquederesponsabilité:leresponsablepolitiquealedroitd’avoiruneopinionpersonnelle,mais, en tantque représentant lepeuple, il doit suivre ledésirexprimédelamajorité.268.VoirPaceminTerris68-70.269. PIE XII, Radiomessage de Noël 1944, in A. A. S. 37(1945)5-23.270. Dans ce discours, le pape affirme d’ailleurs qu’après lavocationdeprêtre, dans l’ordrenaturel, la plushautevocationau service du prochain, la plusméritante et la plus digne, estcelledelapolitique.271.Enlatin,letermeest:caritaspolitica.272.Lebutdecenuméroestdeprécisercettedistinction:voirA.A.V.V.,ConciliiVaticaniIISynopsis.ConstitutiopastoralisdeEcclesiainmundohujustemporisGaudiumetSpes,op.cit.,p.618,noteII,89a.273.ÉvangileselonsaintLuc20,25.

queleconcilearefusédecondamnerapriorilaguerre.Pourlaproscrire totalement, il faudrait des instances internationalesd’arbitrage ; sinon, on est naïf. L’Église attend donc que cesinstitutionsexistent;d’icilà,ellerecommandelanégociation:il faut éviter la guerre au maximum. Mais elle reste possibledans certains cas. Le concile rejette aussi les états quidéclenchentlesconflitsarmés.

Quant à ceuxqui se vouent au service de la patrie dans la viemilitaire,qu’ilsseconsidèrenteuxaussicommelesserviteursdela sécurité et de la liberté des peuples ; s’ils s’acquittentcorrectementdecettetâche,ilsconcourentvraimentaumaintiendelapaix.

80-Laguerretotale

Le progrès de l’armement scientifique accroît démesurémentl’horreur et la perversion de la guerre. Les actes belliqueux,lorsqu’on emploie de telles armes, peuvent en effet causerd’énormesdestructions,faitessansdiscrimination,qui,ducoup,vont très au-delà des limites d’une légitime défense. Qui plusest,sil’onutilisaitcomplètementlesmoyensdéjàstockésdansles arsenauxdesgrandespuissances, il n’en résulterait riendemoins que l’extermination presque totale et parfaitementréciproquedechacundesadversairesparl’autre,sansparlerdesnombreusesdévastationsquis’ensuivraientdanslemondeetdeseffetsfunestesdécoulantdel’usagedesesarmes.

Le progrès des armements a doté l’homme de capacitésterriblesdedestruction.Lesdégâts peuvent être énormes et nesontniprévisibles,ni contrôlés ; ils incluentbien souventdescivils,quidevraientresterendehorsdelaguerre.Lescapacités

de destruction sont donc sans discrimination.Une telle guerrepourrait avoir des conséquences à l’échelle de la planète :l’homme a désormais le pouvoir de dévaster entièrement lemonde, et donc, une responsabilité énorme, àmesurer (voir lecasduprésidentKennedyetdelacrisedesmissilesdeCubaoula mission de l’académie pontificale des sciences auprès deBrejnev289).

Tout cela nous force à reconsidérer la guerre dans un espritentièrement nouveau. Que les hommes d’aujourd’hui sachentqu’ils auront de lourds comptes à rendre de leurs actes deguerre.Carlecoursdesâgesàvenirdépendrapourbeaucoupdeleursdécisionsd’aujourd’hui.

Detelleshorreursprévisiblesfontregarderlaguerresousunjournouveau.

Dans une telle conjoncture, faisant siennes les condamnationsde la guerre totale déjà prononcées par les derniers papes, cesaint synode déclare : tout acte de guerre qui tendindistinctement à la destruction de villes entières ou de vastesrégionsavec leurshabitantsestuncrimecontreDieuetcontrel’homme lui-même, qui doit être condamné fermement et sanshésitation.

Lavoilà,lacondamnationtantattendue.Mais,surprise:elleneportepassurlenucléaireentantquetel.Iln’yapasderejetabsolu de l’arme nucléaire. On peut rechercher différentsmotifs : les théologiens conciliaires n’avaient pas une opinionunanime, le thèmen’était pas encoremûr.Cette condamnationn’est pas prononcée parce qu’elle n’est pas vraie dans lescirconstances actuelles. La condamnation porte sur la guerre

totale : celle qui tue sans discrimination civils et militaires.Celle-ciesttrèsimportante:onleperçoitdanslasolennitédelaformulechoisie.C’estl’uniquecondamnationvraimentnouvelleduconcile, avec legénocide.Maiselleestde taille : laguerretotale(autrementdit,utilisantdesarmesdedestructionmassive)estprésentéecommeuncrimecontreDieuetcontrel’humanité.Ilfautnoter:- qu’on ne précise pas les moyens (bombe atomique,

bombardements…)parcequ’ilssonttousvisés;- qu’on ne condamne pas possession et usage, cette

distinctionn’apparaissantpas.

Lerisqueparticulierdelaguerremoderneconsisteencequ’ellefournit pour ainsi dire l’occasion à ceux qui possèdent desarmesscientifiquesplus récentesdecommettrede telscrimes ;et, par un enchaînement enquelque sorte inexorable, elle peutpousserlavolontéhumaineauxplusatrocesdécisions.Pourquejamais plus ceci ne se produise, les évêques dumonde entier,rassemblés et ne faisantqu’un, adjurent tous leshommes, toutparticulièrement les chefs d’état et les autorités militaires, depeser à tout instant une responsabilité aussi immense devantDieuetdevanttoutel’humanité.

Le risque que font courir les armes modernes oblige lesdirigeantsàyréfléchiràdeuxreprisesavantdedéciderlaguerreouleuremploi.

81-Lacourseauxarmements

Les armes scientifiques, il est vrai, n’ont pas été accumuléesdanslaseuleintentiond’êtreemployéesentempsdeguerre.Eneffet, comme on estime que la puissance défensive de chaque

mondial,cequiserabienfacilitésichacunrenonceàsesproprespréjugésetseprêtesansretardàundialoguesincère.

Différentsdangersmenacentcettecoopération:-l’attraitdesrichesses;-lesambitionsdeconquêtes;-lesidéologies(lecommunismeoulenationalisme).

86-Quelquesrèglesopportunes

En vue de cette coopération, les règles suivantes paraissentopportunes : a) Les nations en voie de développement auronttrès à cœur d’assigner pour fin au progrès le pleinépanouissementhumaindeleursproprescitoyens,etcelad’unemanièreexpliciteetnonéquivoque.Ellessesouviendrontqueleprogrès prend sa source et son dynamisme avant tout dans letravail et le savoir-faire des pays eux-mêmes ; car il doits’appuyernonpassur lesseulssecoursétrangers,maisen toutpremier lieu sur lapleinemiseenœuvredes ressourcesdecespays ainsi que sur leur culture et leurs traditions propres. Encettematière,ceuxquiexercentlaplusgrandeinfluencesurlesautresdoiventdonnerl’exemple.

Onprécise ensuite quelques règles communes : le progrès apour but le développement humain ; il faut donc mettre lapersonneaucentre(etnonl’idéologieoulepouvoiroul’intérêt)et que les pays en voie de développement ne comptent passeulementsurl’aidedespaysriches.

b)Lesnationsdéveloppéesontletrèspressantdevoird’aiderlesnations en voie de développement à accomplir ces tâches.Qu’elles procèdent donc aux révisions internes, spirituelles et

matérielles, requises pour l’établissement de cette coopérationuniverselle. Ainsi, dans les négociations avec les nations plusfaibles et plus pauvres, elles devront scrupuleusement tenircomptedubiendecelles-ci;eneffet,lesrevenusqu’ellestirentde la vente de leurs produits sont nécessaires à leur propresubsistance.

Lespaysrichesontledevoird’aiderlespluspauvresetsontinvitésàunsérieuxexamendeconscience.Enoutre,ilsdevronttenir compte de la pauvreté de certains états dans lesnégociations pour ne pas opprimer davantage des nationspauvres.

c)C’estlerôledelacommunautéinternationaledecoordonneret de stimuler le développement, en veillant cependant àdistribuerlesressourcesprévuesaveclemaximumd’efficacitéetd’équité. En tenant compte, assurément, du principe desubsidiarité, il lui revient aussi d’ordonner les rapportséconomiques mondiaux pour qu’ils s’effectuent selon lesnormesdelajustice.Quel’onfondedesinstitutionscapablesdepromouvoir et de régler le commerce international – enparticulier avec les nations moins développées – en vue decompenser les inconvénients qui découlent d’une excessiveinégalitédepuissanceentrelesnations.Unetellenormalisation,accompagnéed’uneaidetechnique,culturelleetfinancière,doitmettreàladispositiondesnationsenvoiededéveloppementlesmoyensnécessairespourpoursuivrel’essorharmonieuxdeleuréconomie.

Un travail en commun en vue du développement estinstamment requis ; il aura pour but premier de veiller à ladistribution des ressources et d’établir un ordre économique

juste. Pour cela, on recommande de fonder des institutions envue du commerce international pour corriger les inégalités etapporteruneaidetechnique,culturelleetfinancièreefficace.Teldevrait être le rôle de l’Organisation mondiale du commerce(OMC)récemmentfondée.

d)Dansbiendescasilesturgentdeprocéderàunerefontedesstructures économiques et sociales.Mais il faut se garder dessolutions techniques insuffisamment mûries, toutparticulièrement de celles qui, tout en offrant à l’homme desavantagesmatériels,s’opposentàsoncaractèrespiritueletàsonépanouissement. Car « l’homme ne vit pas seulement de pain,maisaussidetouteparolequisortdelabouchedeDieu»(Mat.4,4).Ettoutélémentdelafamillehumaineporte,enlui-mêmeet dans sesmeilleures traditions, quelque élément de ce trésorspirituelqueDieuaconfiéà l’humanité,mêmesibeaucoupenignorentl’origine.

Onappelleencoreàune refontedes structureséconomiqueset sociales mais en respectant la personne humaine, sansmatérialisme ! Le problème du développement n’est passimplement une question de moyens matériels et techniques,mais quelque chose de beaucoup plus vaste, à la fois humain,moral, et technique : l’approche ne saurait donc se contenterd’être matérialiste, il faut une perspective beaucoup plusglobale.Lespaysenvoiededéveloppementontdesressourcescachées : les pays riches ne doivent pas se contenter du touttechnique,c’est-à-dired’uneaidepurementmatérielle.

87-Coopérationinternationaleetdéveloppementdémographique

45-LeChrist,alphaetoméga

Secondepartie:Dequelquesquestionsplusurgentes

46-Introduction

Chapitre1:DignitédumariageetdelafamilleIntroduction:lesenjeuxavantleconcile47-Introduction48-Lemariage49-L’amourconjugal50-Lafécondité51-Lafécondité(suite:lesatteintescontreelle)52-Lapromotiondumariageetdelafamilleestle

faitdetous

Chapitre2:L’essordelaculture53-Introduction54-Nouvellesformesdevie55-L’homme,auteurdelaculture56-Difficultésetdevoirs57-Lerapportentrelafoietlaculture58-Nombreuxrapportsentrel’Évangileetla

culture59-Lesdiversesraisonsàcomposeravecsoindans

lescultureshumaines60-Reconnaîtreledroitàlacultureetse

préoccuperdesondéveloppement61-L’éducationàlacultureintégraledel’homme62-Réaliserl’harmonieentrelafoietlaculture

Chapitre3:Lavieéconomico-sociale63-Introduction:lasituationdesannées64-Ledéveloppementéconomiqueauservicede

l’homme:lacentralitédelapersonnehumaine65-Ledéveloppementéconomiquesouslecontrôle

del’homme66-Lesdéficiencesduesàl’économie67-Letravail68-Laparticipationdansletravail69-Ladestinationuniverselledesbiens70-Lecapital71-Lapropriété72-L’activitééconomiqueparrapportauChrist

Chapitre4:Laviedelacommunautépolitique

73-Lestendancesaumomentduconcile74-Lanaturedelacommunautépolitique75-Lescitoyensparrapportàlasociétépolitique:

laparticipation76-LesrelationsÉglise-état

Chapitre5:Lasauvegardedelapaixetlaconstructiondelacommunautédesnations

77-Introduction79-Mettreunfreinàl’inhumanitédesguerres80-Laguerretotale81-Lacourseauxarmements82-Versl’absolueproscriptiondelaguerre83-Éliminerlescausesdediscorde84-Lacommunautédesnationsetlesinstitutions

internationales85-Lacoopérationinternationaledansledomaine

économique86-Quelquesrèglesopportunes87-Coopérationinternationaleetdéveloppement

démographique88-Lerôledeschrétiensdanslacommunauté

internationale

89-Lerôledel’Églisedanslacommunautéinternationale

90-Rôledeschrétiensdanslesinstitutionsinternationales

Conclusion91.RôledechaquefidèleetdesÉglises

particulières92.Ledialogueentretousleshommes93.Unmondeàconstruireetàconduireàsafin

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