Guerle - Milton Vie & Oeuvres.pdf

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  • YORK UNIVERSITY L|BRARIES

    3 9007 0415 3406 6

  • MILTONSA VIE ET SES UVRES

    PAR

    KDMOND DE GUEULE

    /- L>lN 0GiOBl^J^BI BOMOM

    PARISMICHEL LVY FIIKKS, LIBRAIRES DITEURS

    HUE VIVIENNE 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15A LA LIBHAIHIE N0UVELLI5

    1868Droits (le Iraduelion et de repioiluctioii rservs

  • 35!

  • PREFACE

    Quand on apporte, dans un travail semblable celui que j'ose prsenter au public, quelque chosede plus que le dsir de rappeler les circonstancesremarquables de la vie d'un grand homme, on nepeut s'empcher, au terme d'une si longue tude, dedposer la plume avec le profond sentiment de sonimpuissance. Faire connatre de ces tres excep-tionnels ce par quoi ils ressemblent tous les autres,ce serait une tche bien inutile; essayer de com-prendre et surtout de faire comprendre ce qui les endistingue, c'est une entreprise bien tmraire. Peut-tre le gnie ne peut-il tre embrass dans sa sou-veraine grandeur que par le gnie. La lumire dusoleil claire ce qu'il y a de plus humble comme cequ'il y a de plus grand dans la cration, mais il n'estpermis qu' l'aigle de la regarder en face. La critiquene sait, pour ainsi dire, que faire le tour des grandshommes; elle note les attitudes de leur esprit, dis-cerne plus ou moins leurs origines ; elle les classe et lescompare, mais leur pense intime lui chappe, et dans

  • VI PRFACEce qui est l'uvre propre de leur gnie, elle sent plusqu'elle ne comprend. Ne croyons pas toutefois queson oeuvre soit vaine. Il est quelque chose qui, pourl'crivain comme pour le lecteur, survit de ce com-merce prolong avec les plus rares exemplaires de lagrandeur intellectuelle : c'est une impression saineet virile qui fortifie le cur. Vi\Te avec eux, c'estleur emprunter une parcelle de ce qui les rend su-prieurs nous, et nous nous sentons moins petitsen voyant ce que peut tre l'un de nous.

    Milton est l'un de ces nobles privilgis de l'intel-ligence humaine, et sa grandeur intellectuelle estd'autant plus frappante qu'elle emprunte, pour secommuniquer nous, peu de sduction et d'attrait.C'est un roc majestueux au milieu d'un paysage, nonpas aride, mais svre. Aussi ne faut-il gure s'tonner,si le dsir d'tudier de prs l'uvre de ce vaste gniea tentjusqu'ici peu d'crivains. Quelques pages lo-quentes de Chateaubriand et de M. Villemain, deuxarticlesdeM.Vinetsurlatraduction de Chateaubriand,un travail excellent de M, Geffroy sur les pamphletsde Milton , voil tout ce que la critique franaiseavait consacr celui qui dispute Shakespeare lepremier rang parmi les potes de l'Angleterre, jus-qu'au moment o M, Taine prsenta dans tout sonrelief cette grande figure, dans un des chapitres lesplus remarquables de son Histoire de la littrature an-glaise *.

    ' La critique anglaise elle-mme n'a pas encore donn un travail completsur Milton; maisquand le livre de M. Masson {Life of Milton in connexionloith the history of his lime) sera achev, Milton aura enfin son monument;monument peut-tre un peu massif et de proposition dL'mesure, mais im-posant et d'une structure aussi ingnieuse que solide. Sans parier desbiographes et des critiques de l'ancienne cole, nous avons trouv de pr-cieux renseignements dans l'ouvrage de M. Keightley. {Life, opinions andwt'ilings of Milton.)

  • PREFACE VI

    On verra que je me spare sur plus d'un point desopinions de l'minent critique, et, en ceci surtout,que je suis loin de trouver, comme lui, dans Milton,l'exacte reprsentation des ides de son temps. Mil-ton a t, malgr l'clat de sa vie publique et de sesluttes tliologiques, malgr ses attaches avec le partidominant, aussi isol parmi les hommes de son tempsque son pome parmi les uvres du gnie potiquede l'Angleterre. C'est pour cela que je n'ai point voulugrossir ce travail des rapprochements historiques etlittraires que fournissait une poque fconde en do-cuments de toute sorte, et je n'ai cd que dansune limite fort restreinte la tentation naturelled'agrandir le cadre aux dpens du tableau. A monsens, on ne fait pas sa part l'histoire. Elle n'existe,elle ne peut donner l'impression de la ralit quepar le dtail ou la liaison des vnements , desides et des caractres. Au reste, dans une tudebiographique bien faite , l'homme devrait mieuxservir faire connatre son temps que le temps faire connatre l'homme. Rien de plus arbitraire queces tableaux historiques composs l'aide de faitsartificiellement groups, et dans lesquels l'hommedisparat pour faire place la foule. Il n'y a d'har-monie, dans l'histoire comme ailleurs, que l ol'unit donne chaque chose la forme et la place quilui convient. Dans une biographie, cette unit est lapersonne mme du hros, qu'il ne faut pas noyerdans un dluge de rapprochements et de comparai-sons. Il y a, au Louvre, un paysage de Ruysdal,o tout le tumulte , toute la furie d'un orage seconcentrent sur un chne tordu et dpouill, quis'lve seul sur une colline aride et dsole. Aucunartifice, aucune complication n'et pu rendre plussaisissante cette convulsion de la nature. Les vri-tables grands hommes donnent plus leur temps

  • vm PRFACEqu'ils ne lui empruntent, et, sans faire trop de fondsur la thorie de la mission divine des hros, ilest permis de dire que chaque gnration reoitd'eux ses impulsions les plus fcondes.

    Je ne me flatte point d'tre toujours rest fidleau programme que je m'tais trac, mais il y apeut-tre de nos jours quelque mrite rsister l'entranement de l'histoire. J'ai la conscience,du moins, d'avoir cherch reproduire, avec exac-titude et sans parti pris, la physionomie compli-que et particulire de Milton. On verra assez,je pense, que je n'ai pas surfait mon hros; mais jeserais tonn si le rcit de cette vie ne laissait pasdans l'esprit du lecteur le sentiment qui m'a ani-m dans ce commerce prolong avec un grandhomme, celui d'une admiration sans attrait et d'unrespect sans entranement. Peu d'hommes ont en-trevu plus de vrits que Milton; peu d'hommes ontcommis plus d'erreurs. Mais, aprs la vrit saisieet embrasse, ce rare spectacle prsent aux yeuxdes hommes, qu'y a-t-il de plus beau que la vritentrevue? J vais plus loin. Quand on a la triste ex-prience de la vie, on sait qu'il faut encore compterparmi les belles choses de ce monde l'erreur em-brasse avec conviction et dfendue avec courage.

    E. G.

    Le io juillet 1868.

  • MILONSA VIE ET SES UVRES

    ENFANCE ET JEUNESSE

    DE MILTON

    PREMIRES POSIES VOYAGES

    I

    La patience des biographes s'est puise cher-cher des anctres Milton ; mais elle n'a gure russiqu' remplacer l'obscurit par la confusion. Nous ne

    la suivrons pas dans cette recherche ingrate. Qu'im-porte de savoir quels furent les aeux obscurs d'un

    grand homme ? Gomme ces patients voyageurs quipoursuivent sous le soleil du tropique la vritablesource du Nil, espre-t-on retrouver dans ces gnra-tions lointaines les traits pars de son gnie? Le hasardd'ailleurs semble avoir voulu dconcerter toutes lesrecherches; car le nom de Milton se retrouve, comme

    1

  • 2 MILTO.N

    nom de ville et comme nom de famille, sur les points

    les plus opposs de l'Angleterre. Tout ce qu'on peutaffirmer avec certitude, c'est que Milton descendait

    d'une famille dj anciennement tablie dans lecomt d'Oxford; mais cette famille s'tait diviseen plusieurs branches, dont la filiation demeureassez obscure*. Si nous avions choisir des anctres

    Milton, nous aimerions compter parmi eux uncertain Richard Milton de Staunton S. John, citplusieurs fois daus le registre des amendes infliges ceux qui refusrent d'abjurer le catholicisme de-vant des menaces tyranniques. Ce mle courageaurait t, selon la tradition, le seul patrimoine qu'il

    et voulu laisser son fils,le pre du pote

    ,cou-

    pable, son tour, d'avoir embrass les doctrines de larformation. Jean Milton le pre aurait ainsi grossile nombre de ces fils de famille dshrits qui appor-tent dans des professions modestes, avec l'orgueild'une naissance distingue, l'lvation de sentiments

    et d'intelligence qui peut seule le justifier. Afin de

    pourvoir par son travail la subsistance d'une fa-

    mille qui devint bientt nombreuse, il ouvrit, l'en-seigne de l'Aiyle jiloije, un office de notaire qu'il

    transjjortaplus tard dans sa maison de Bread streel,

    (Jii a compt jusqu' vingt villes ou villages du nom de Milton, elplusieurs familles de .Milton ou Mylton, lrangres l'une l'autre, vi-viiient au \\' et au .xvi' sicle, dans diffrents comts de l'Angielirre. V..Mdsson, Life of Milton in counexiou tvith llte hlslonj uf lus lime, vol. I, p 6. Hunier, Critiml nml historicnl Trmh, III, .Millmi. Genealogicol (>i-1 e.:'- lalioH.

    \ uir la note I la fin du volume.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNF.SSE 3

    une des rues les plus frquentes de la cit de Lon-

    dres. Cette enseigne tait emprunte, dit-on, auxarmoiries de sa famille, et l'eml^lme se retrouve en

    effet sur le cachet dont Milton signale contrat conclu

    avec le libraire Symmons, pour la publication du Para-dis perdu ^. Les notaires (ver- /rt^Mpr.s) avaient t jadis devritables crivains publics; mais depuis l'inventionde l'imprimerie, qui avait rendu leurs fonctions pri-mitives en partie inutiles, leur situation avait pris

    plus d'importance, et la plupart des actes de l'Etat

    civil se rdigeaient dans leurs bureaux. La maisonde Bread street ne tarda pas ctre frquente par

    un grand nombre de clients. C'est dans cette maison,dtruite depuis dans le^grand incendie de Londres,

    que naquit Jean Milton, le vendredi, dcem-])re l()8^. Il fut le troisime des six enfants que son

    pre eut deSarah Milton, et dont trois moururent enbas kge'-K Au milieu des confidences intimes assez nom-breuses, qu'on peut recueillir dans les posies latinesdesajeunesse et ses ouvrages de controverse, Miltona rarement mentionn le nom de sa mre. S'il est vraipourtant que l'rae d'une mre est comme le premierberceau du gnie, nous aurions aim connatrela femme qui bera sur ses genoux le plus grandpointe pique des temps modernes. Milton voulaitsans doute entourer d'un voile de dlicate rserve le

    ' Masson, p 3. Himler, p. 7, fail reriianjiit'r qiio l'.iigl. ployce ti

    -

    giiTi! aussi dans los ar. noir.os dr.^ Miliuu, fainillc du Sliro[)sliir'j.- Aiihrov et Worxl' Li;s tiuis sursiv;uil> iiriMil : Aiiiu', l'ai n'O

  • 4 MILTON

    culte respectueux qu'il avait conserv pour sa m-moire ; mais nous aimons penser qu'un souvenirriant du foyer domestique illuminait son me, quandil peignit d'un trait si pur l'hymen de nos premiersparents. Cette beaut presque fminine, si souventclbre parles contemporains, il la tenait sans doute

    de Sarah Milton, et il lui dut srement quelque chosede cette grce austre qui tempra son mle gnie. C'tait, dit-il, une femme d'une vertu svre, etconnue dans le voisinage par ses aumnes*. Voiltout ce que Milton a voulu dire de sa mre, se sou-venant sans doute que Rome paenne et chrtiennen'inscrivit rien de plus sur les tombeaux des plusnobles matrones ^. Milton a t moins sobre dedtails sur son pre, homme d'une intgrit recon-nue, nous dit-il lui-mme^, et clbre, rappoMe son

    petit-fls Philips, par son habilet et sa prudente con-duite des affaires. Le tribut de reconnaissance que

    son fils lui paya dans de nombreuses occasions suf-firait prouver, s'il n'tait appuy par d'autres t-moignages, que Jean Milton le pre n'tait pas unhomme ordinaire. Le labeur professionnel n'absor-bait pas l'me tout entire du notaire de Bread street.Il aimait les lettres et les arts 4, et s'il apportait dans

    ses proccupations littraires un peu de cette pr-

    ' Matre probatissima et eleemosynis per vicinium possiniuni nota. De-fensio secunda.

    ' Sarah Milton avait les yeux faibles et portait des lunettes trente ans.' Vire intogerrimo. Defensio secunda.* He did not so far quit liis generous and ingenious inclinations as to

    make liiinself wholly a slave lo the world. Philips.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 8

    tention assez frquente chez les hommes qui cher-chent relever par le culte de l'esprit la modestiede leur condition, il dut sans doute aux lettres quel-que chose de la dignit srieuse qu'elles rpandentsur la vie. Il avait cette pit grave et austre del'homme qui sa foi a cot quelques sacrifices ; maisil n'appartenait pas, proprement parler, " la sectepuritaine, et ne voulut pas proscrire de l'ducation deson fils les nobles dlassements qui rendent la pitplus aimable, sans la rendre moins svre. A cot dela Bible de famille, toujours ouverte et souvent m-dite, les livres profanes avaient aussi leur place.Peut-tre la maison du notaire s'ouvrit-elle souvent quelques-uns des beaux esprits qui se runissaient la Taverne de la Sirne, tablie dans Bread street,et o se rencontraient Shakespeare, Beaumont,Fletcher et Ben Jonson*. Les veilles d'hiver separtageaient entre la lecture des potes anglaiset italiens et la musique, et le pre de Milton allaitsouvent s'asseoir son orgue pour y composer desairs charmants qui furent clbres de son temps -.

  • 6 MI MONses prsents et me rserva l'autre*. La musiquedes sons prparait en lui cette musique de l'mequ'on nomme la posie. Le meilleur ami de la fa-mille tait Henri Lawes, compositeur clbre, et quipassait pour avoir introduit le style italien dans lamusique anglaise. Aussi Milton, dit Aubrey, chantafort jeune, et devint un excellent organiste. Terburget aim reprsenter cet aimable et srieux int-rieur, et ces concerts de famille, o la voix pure etargentine de l'enfant se mlait aux graves accentsde l'orgue. Cornlius Jansen, peintre hollandaisestim, a rendu merveille, dans un portrait de Mil-ton l'cge de dix ans, cette charmante petite tterase la puritaine, sortant d'une large fraise, et qui

    respire l'intelligence et l'honntet. L'enfant vit ainsi

    s'couler les premires annes de sa jeunesse au mi-lieu des aspirations les plus pures. Aussi

    ,

    quand ilparle de la musique, c'est avec le sentiment dlicatd'un artiste, et non avec cette plirasologie vulgairepuise dans les lieux communs de la po.sie. 11 vou-lait qu'elle fit partie des premiers enseignementsde l'enfance, et un j)assage d'un pome de sa jeu-nesse prouve que , rebelle aux prjugs de sontemps, il aimait entendre accompagner avec l'or-

    gue les cantiques sacrs de l'glise ^.

    Le pre de Milton ne se borna point donner sonfils l'exemple d'une vie laborieuse et releve par le

    culte des arts et de 5 lettres ; il mit sa porte tous

    ' KpisluUe familiares.^ Penserj

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 7

    les moyens d'instruction, rservs alors aux familles

    nobles ou riches et aux clients de l'glise. Je fus,

    dit-il, ds mes premires annes, par les soins inces-sants de mon pre, exerc aux langues et aux sciences

    dont ma jeunesse tait susceptible, par divers ma-tres et professeurs; soit la maison paternelle, soitaux coles . M ilton le pre ne craignit pas d'branlerla solide pit de son fils, en mettant Homre etVirgile ct de la Bible, dans la sacoche du jeunecolier. Tu as voulu, pre excellent, dit Milton lui-mme dans une ptre latine, aprs m'avoir ouvertles sources de l'loquence romaine et des grceslatines, aprs avoir form mes lvres ces gran-deurs sublimes de la langue des Grecs, digne de ser-vir aux oracles de Jupiter, tu as voulu m'instruireaussi des beauts de la posie franaise, et de cesgrces affectes, que l'Italie dgnre a fait succder la langue des Romains ^, tmoignant par l del'intluence des tumultes barbares; enfin, tu n'as pasnglig de me faire enseigner la langue que ])arl-rent les prophtes de la Palestine ^. Ainsi Mon-taigne, au souvenir des bonts de son pre, sent sonlangage s'lever et s'attendrir. Milton dut en partiecett ' premire ducation de son esprit aux soins dudocteur Tliomas Young, cossais de naissance, quidevint une des lumires du parti puritain. Son lveprend Dieu tmoin '* qu'il le rvra comme un

    ' lieason of cliurch (jovernmcnt

    .

    ' Ce doux latin btard, comme l'appolle Byron dans Bi-ppo.' Ep. ad palrem.* Epistol familiares, n** 1.

  • 8 MILTON

    pre. C'est sous sa conduite, dit-il, que j'ai pntrdans les retraites des Muses, que j'ai contempl lespentes verdoyantes du Parnasse, que j'ai vid lescoupes des Pirides, et, avec la faveur de Clio,

    tremp trois fois mes lvres heureuses du vin deCastalia *, Le matre demeura galement asseztroitement attach l'lve. Nous voyons qu'il luienvoya de Hollande une Bible en hbreu : c'taientles petits prsents que se faisaient les amis dece temps-l. Ainsi prpar, le jeune Milton arrivadj savant parmi les enfants de son ge. Aucunecole n'tait aussi clbre et aussi frquente quecelle de Saint-Paul, fonde sous Henri VIII par ledoyen Colet, et dirige alors avec clat par Alexan-der Gill. Ce fut celle que chaisit le pre de Milton,sans toutefois lui retirer immdiatement le prcieuxappui du docteur Young. L'enfant y resta quatre ansau moins, depuis l'anne IG20 jusc[u' l'hiver ou auprintemps de 162't -. Ce n'tait pas pour lui qu'avaitt place sur la porte de l'cole cette laconique et

    significative inscription : Aut doce, aut disce, mit dis-

    cede. Enseigne, apprends, ou va-t'en. Il tait djdvor de la soif d'apprendre. Ds ma plus tendreenfance, dit-il lui-mme, mon pre me destina l'tude des lettres. Je m'y livrais avec une telle

    ardeur que, depuis ma douzime anne, je quittaisrarement mes leons avant minuit pour me mettre

    au lit ; ce fut l ce qui altra tout d'abord ma vue,

    ' Elgies latines.* Massoii, 1, p. 60.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 9

    dont la faiblesse naturelle fut encore augmente parde frquents maux de tte *. Mon ardeur pour lascience n'en fut pas ralentie, et mon pre me

    fit instruire, l'cole et la maison, par divers

    matres. Lorsque j'eus appris plusieurs langues,et tmoign un got dclar pour les douceursde la philosophie, il m'envoya Cambridge, une

    de nos deux universits nationales 2. Les douceursde la philosophie 1 ce mot ne fait-il pas frmir dans la

    bouche d'un enfant de seize ans, et ne prsage-t-ilpas lui seul toute une vie de labeur profond, gale-

    ment ferme aux tentations du vice et aux leonsde l'exprience? Milton semble avoir voqu devantson esprit le souvenir des jours austres de son en-fance, quand il met dans la bouche du Christ ces versdu Paradis reconquis ?

    When I was yet achiM, no childi^h playTo me was pleasing; ail my mind was setSerious to learn and know, and thence to doWhat might be pnV)lic good : myself I thoughtBorn to ttiat end, born to promote ail truth

    And righteous things.

    Mais l'esprit libral et clair de son pre lui avait

    mnag, nous l'avons dit, d'intelligentes distrac-tions. Il sembhiit que les circonstances et la volont

    eussent combin dans l'ducation du jeune Milton

    ' Aubioy nous (lit qu'on cluit obli^(= do faire vriller une servante au-prs de lui.

    * Delcmio secutiila.

  • 10 M II, TON

    tout ce qui pouvait fconder un esprit prpar pourune puissante culture. Il s'abreuvait aux sources les

    plus pures du got classique, et quand, aprs letravail obstin de la classe, il rentrait au foyer pater-

    nel, il y retrouvait la saintet et la frveur chr-

    tienne, qui venaient nicler leur parfum sacr celuides fleurs les mieux choisies du gnie antique. Quipourrait rver, pour le berceau d'une imagination

    potique, un milieu plus heureux que cette maisonde Bread street? La Bible, Homre et la musique,n'est-ce pas en effet tout le gnie de Milton? Toutes

    les muses qui avaient souri son enfance restrent

    fidles au foyer du vieillard aveugle et dsabus, etlui rendirent comme une seconde jeunesse, quandil voulut chanter lui-mme la jeunesse du mondeet les joies innocentes de l'den.En ouvrant si libralement son fils l'entre des

    carrires lettres, le modeste notaire comptait bien

    sans doute que le studieux colier tait destin

    jeter sur son nom une autre illustration que celle de laposie. Son second fils, Christophe, dont l'esprit tait

    des plus ordinaires, devint juge de l'un des premierstribunaux de l'Angleterre ; on avait donc le droit derver pour le petit John une destine bien plus haute,

    et, qui sait peut-tre, quelque riche vech. Mais

    l'colier ne voulait pas entendre parler d'autre chose

    que d'loquence et de posie. A cette poque o l'au-torit paternelle ne souffrait pas de contrle, le pre

    de jSIilton eut assez d'lvation et de largeur d'esprit

    pour savoir respecter en jon fils l'indpendance nais-

  • SON KNFANCK ET SA .IKUNKSSE H

    saute du gnie. Que ft-il arriv, s'il et volontaire-ment tari les sources auxquelles s'abreuvait cette

    jeune intelligence, si l'colier n'et pas trouv sur satable les feuilles encore humides de la premire di-tion complte de Shakespeare, s'il n'et pas temprds l'enfance sous l'influence de la grce svre

    de Spencer l'allure grandiose et peut-tre un peu

    pesante de son gnie? Peut-tre n'et-il t que le

    rival de Saumaise, peut-('tre et-il merveill par de

    laborieuses posies latines les pdants de Cam-bridge. Il n'en fut pas ainsi, Ben Jonson, Spencer

    et Shakespeare furent les htes familiers de sa cham-bre d'colier, et il s'essaya, ds ses plus jeunes an-nes, parler cette langue potique qu'il devait

    porter sa perfection. Ds l'ge de dix ans, il s'exer-ait, dit-on, crire en vers anglais ; mais nousn'avons pas de tmoignage de ces premiers bgaie-ments de son gnie. Quelques-unes de ses posieslatines datent de ses dernires annes d'cole, etrvlent dj une grande exprience de la facture])otique. Si nous devons en croire la tradition, c'est

    sa quinzime anne qu'il faut rapporter la para-[)hrase anglaise du psaume cxiv et la traduction dupsaume cxxxvi. Ds lors, un esprit pntrant et puprsager que l'Angleterre pourrait s'enorgueillir bien-

    tt d'un nouveau pote ; car ces imitations se distin-

    guent djpar une ampleur de forme et une nergied'expression, dont Shakespeare semblait avoir em-

    port le secret dans la tombe. Tout porte croire

    que la modestie de Milton nous a drob bien d'au-

  • 12 MILTON

    trs essais de sa jeunesse. Il vivait dans un tempso les potes ne croyaient pas que la terre entiredt s'agenouiller devant les premiers vagissementsde leur gnie, et o on pensait qu'il fallait condam-ner l'oubli les essais juvniles d'un Milton. Onpeut regnjtter toutefois que quelques-uns de cesessais ne nous soient pas parvenus par les soins

    des premiers confidents de sa jeune muse, le jeuneGill, fils du directeur de Saint-Paul, et CharlesDiodati qui demeura l'ami de toute sa jeunesse, etauquel il ne cessa de prodiguer les expressions de la

    plus tendre amiti '.

    ' Pcctus amans nostri, famqiie fidle cnput Fp. fain., et Etegies

    Itit'ncs, 1 et 6.

  • SON ENFANGK ET SA JEUNESSE 1

    II

    L'Universit s'ouvrait tout naturellement devantles lauriers classiques du jeune Milton. Sa s BurAnne venait de se marier Edward Philips, qui taitou devint plus tard clerc de la couronne la courde chancellerie. Milton quitta peu de temps aprs cemariage la maison de son pre, et entra le 12 fvrier1625 Ghrist-CoUege, l'un des plus clbres parmiles collges de l'Universit de Cambridge. C'taitcelui dans lequel avaient tudi le rformateur Lati-mer et sir Philip Sidney. La, tradition dsigne encorel'appartement que Milton occupa avec un compagnonde chambre. Il fut admis comme pensionnaire de2'= classe, c'est--dire payant moins que les fellou-commoners, fils de famille qui mangeaient une tablespare \ mais suprieur, dans la hirarchie sociale,aux sizais, ou lves pauvres entretenus aux frais

    de la fondation ou dti leurs camarades. On vou-drait savoir quels furent les sentiments du jeune

    ' Cette distinction s'est perptue jusqu' nos jours. 11 ne faut pas con-fondre les boursiers (scholars), galement entretenus aux frais de la fonda-

    tion, avec les sizan ou lves pauvres, instruits par charit et qui fai-

    saient le servii-e des autres tudiants. Clirist-Collge entretenait 1 matre,

    li fellows et 55 scholars. Les tudiants (students) vivaient leurs frais,

    en louant des chambres dans le collge, et payaient leurs matres elleurs rptiteurs. (Masson, 1,90.)

  • 14 MILTON

    Milton, quand il quitta l'heureuse et paisible demeurede son pre, pour aller se mi'ler aux jeunes hommesde son ge. Sans doute tout chagrin et tout regret

    s'teignirent en lui, quand il se trouva transport aumilieu de ces palais levs la science, oh tout in-

    vite l'austre et calme recherche des choses del'esprit, o l'humble labeur de l'enseignement estrelev par la splendeur et la dignit de la vie com-mune. Milton dut retrouver comme une seconde

    patrie, en se pronienant sous ces arcades gothiques,

    en entendant le son de ces orgues sculaires, sous

    ces votes paisses vers lesquelles tant de gnra-tions avaient lev leurs cantiques et leurs prires.

    Jamais enfant ne sortit plus pur et plus innocent de

    la maison paternelle ; la vie n'avait eu ju.sque-l pourlui que des sourires, mais il allait aujourd'hui setrouver en contact avec les hommes et avec les cho-ses du monde rel, et heurter aux premiers obsta-cles l'indpendance naissante de son gnie et l'om-brageuse fiert de son caractre. La lutte commenapour Milton le jour o il franchit la porte du collge,et avec la lutte commena la souffrance. 11 avait unede ces mes qui semblent faites, comme l'aimant,pour attirer et repousser en mme temps. Des mespareilles doivent s'attendre la contradiction vio-

    lente, et cependant la contradiction est ce qu'ellessavent le moins supporter. L'indpendance estla dernire concession qu'accorde le vulgaire aux

    natures suprieures , et la vie universitaire de

    Milton devait laisser derrire elle un long sillon

  • SON FNFANCE ET SA JEUNESSE 13

    de calomnie, jue Johnson recueillit plus tard,

    en lui donnant l'autorit de son tmoignage. Il valieu de croire, dit-il, que Milton n'tait pas aimdans son collge. Il est certain qu'il n'obtint pas defellowship', mais la svrit avec laquelle il fut traitne fut pas purement ngative. J'ai honte de rappor-ter un fait qui

    ,

    je le crains , est pourtant authen-

    tique, c'est que Milton fut un des derniers tudiants

    de l'Universit qui fut soumis l'indignit d'unecorrection corporelle en public*. Sur quel tmoi-gnage Johnson a-t-il os avancer cette grave allga-tion ?Aubrey, dont il invoque l'autorit et qui tenaitdu frre de Milton ses renseignements sur la jeunesse(lu pote, dit bien que Milton eut se plaindre deson premier matre Chapell et qu'il en choisit unautre, et entre deux lignes, par suite de renseigne-ments ultrieurs, il ajoute que ce matre le ft fouet-ter"^, mais ces deux renseignements ne viennent pasde la mi'me source, et on a le droit de rvoquer endoute l'authenticit du second^. L'interpolation pa-rat donc vraisemblable, et Aubrey s'est fait peut-treun peu la lgre l'cho d'une tradition inexacte. Ungrave dissentiment avait clat entre Milton et sesmatres; c'est tout ce qu'on peut affirmer, et si ce

    grand garon de dix-huit ans eut subir le chti-ment du fouet, sa rputation aurait moins en

    ' Johnson, Lires of Ihn poels.* Aubrey, Ms., Life, of Milton.' Il est vrai de dire que la corrtlion du fouet ('lait ivservt-e pour l 's

    actes d'insubordination et de rsistance, et sous ce rapporl, si Milton no la

    subit pas, il aurait pu du moins, sans honte, la niriter.

  • i MILTON

    souffrir que celle de sou temps et de ses matres.

    Quoi qu'il en soit, ces imputations fcheuses trou-vrent plus tard tant de crdit dans l'opinion pu-

    blique que Milton se crut oblig plusieurs fois de

    protester dans ses crits polmiques de l'innocenceet de la puret de sa vie universitaire. Quand nousn'aurions pas du reste ces protestations, dont l'ner-gie tmoigne d'elle-mme contre les accusateurs deMilton, les succs de sa carrire universitaire suffi-

    raient prouver qu'elle ne fut jamais srieusementinterrompue. Il prit ses degrs dans les dlais ordi-naires, et fut plus d'une fois le hros de ces ftesacadmiques, o son talent dans la posie et la proselatine lui assuraient de faciles succs. Il n'y eut doncpas de troubles bien srieux dans la vie universi-taire de Milton; il n'y eut rien surtout dont il etpu avoir rougir par la suite. Quoi! celui qui Dio-dati crivait en grec: Je n'ai qu'une supriorit sur

    vous, c'est que je sais me modrer dans mon tra-vail*, ce laborieux jeune homme, que l'Universittout entire venait entendre parler en public dansson collge, aurait t honteusement chass desrangs de ses compagnons d'tude ! Que le jeune pu-ritain, fidle aux traditions de sa famille, n'ait pasprofess le respect le plus profond pour le rituelnouveau et les formulaires troits que Laud venaitd'imposer l'glise anglicane, nous n'avons pas depeine le croire

    ;qu'il ait mme parfois regimb

    ' ptre grecque Milion, dans l'dition des uvres de Milton de Pic-kering, I, p. cxciii, cxciv.

  • SON EiNFANCI ET SA JKIJNESSE

    contre la vie clau^;tralo et la routine universitaire,

    nous l'admettrons volontiers. Ce ne fut pas la der-

    nire rsistance l'ordre et aux coutumes qu'inspira

    Milton un indomptable esprit d'indpendance, et,il faut le dire aussi, un intlexi1)le orgueil. Dj sansdoute il laissait percer le germe des qualits qui ontfait l'honneur de sa vie et des dfauts qui l'ont ter-nie.

  • 18 MILTON

    mt-me parmi ses condisciples. Il voulut sans doutefaire tte l'orage, et il le fit avec cette hauteur etcette acrimonie qu'il apporta toujours dans la con-troverse. On retrouve l'cho de ces querelles de col-lge dans un discours prononc par lui devant sesmatres et ses condisciples : Comment, s'crie-t-il,puis-je compter sur votre bienveillance, lorsque,dans cette vaste assemble, tous ces visages que j'aidevant moi sont autant de visages ennemis? Tant estfconde en querelles particulires la rivalit d'colede ceux qui poursuivent des tudes diffrentes, oudes mthodes diffrentes pour les mmes tudes * | Ne saisissons-nous pas dans ces dernires paroles lesecret de ces orages universitaires? Si Milton fut,comme il est vraisemblable , condamn au plus ri-goureux des chtiments acadmiques, la rustkatioriou l'exil, ce fut donc pour une raison qui laissa sanstache sa robe d'tudiant. Pourquoi d'ailleurs ne pasl'en croire lui-mme, quand il raconte si simplementsa disgrce? Je ne me soujie pas, dit-il, dans uneptre latine Diodati, de revoir de sitt la Cam etses roseaux, et je ne gmis point d'tre loign d'unlogis qui m'a t ferm. Je ne me sens pas d'humeur supporter de nouveau les menaces d'un matreirrit, et d'aatres choses auxquelles mon me ne saitse plier. Si c'est l un exil, je ne refuse ni le nomni le sort d'un exil -. 11 y a l l'indice d'un dissen-timent profond entre Milton et ses matres, et je veux

    ' l'iniimioiics onititriw, 1.

    - Ep ad Diod

    .

  • SON EiNFANGE ET SA JEUNF-:SSE i9bien que la rustication ait t le chtiment de sa r-helliou; mais que Milton ait suivi, en les dpassant, lesexemples d'inconduite qui s'talaient sous ses yeux,voil ce que nous ne croirons jamais, ce contre quoiproteste sa vie tout entire. S'il en et t ainsi, l'aus-tre pit de -son ge mr et laiss chapper quel-ques regrets amers, quelques-unes de ces larmesbrlantes qu'arrachaient Racine vieilli les gare-ments de sa jeunesse. Sans doute, il trouva sur sonchemin plus d'une tentation; sa noble et dlicatefigure, ses talents naissants durent exercer autourde lui une sduction qui pouvait remonter jusqu'son cui'. Pourquoi ne le dirions-nous pas

    ,il fut

    tent, et il en convient lui-mme dans une ptrelatine crite l'ge de dix-neuf ans ; mais il en con-vient comme d'une faiblesse innocente et se hted'ajouter (|ue, depuis cette poque, son cur s'estrevtu contre l'amour d'une triple cuirasse de glace,sur laquelle viennent s'raousser ses traits ^ Il avaitaperu, }Kir un beau jour de mai, sur la promenadepublique, une jeune tille, dont la vue embrasa soucur. Il ne la vit qu'une fois, souffrit quelques jours,et l'oublia. Les douleurs qui se rpandent en beauxvers latins ne sont pas inconsolables. Tout amantest dlicieusement misrable, dit-il alors, et il seconsola. Voil toute l'histoire des jeunes amoursdeMiltoa. Peut-tre pouvait-on lui appli!]uer alors ce(ju'il a dit lui-m''rae des ingnues de thtre.

  • 20 MILTOX

    jeune fille tonne de ses nouvelles sensations nesait pas encore ce que c'est que l'amour, et quoiquene le sachant pas, elle aime dj. L'innocence de sesmurs lui avait fait donner au collge le surnom deMademoiselle Milton, et dans un de ses discours aca-dmiques, sem de traits d'un got contestable, il seconsolo, par l'exemple de plusieurs grands hommes,d'avoir reu ce sobriquet de ses condisciples. Il ne

    prtendait pas nanmoins tre insensible la beaut. Combien de fois, dit-il, ai-je aperu les merveillesd'une forme gracieuse digne de rveiller la vieillessede Jupiter ! (^^ombien de fois ai-je vu des yeux plusbrillants que les pierres prcieuses, et que les astres

    qui roulent autour des deux ples! Aux vierges dela Grande-Bretagne la palme de la beaut ! ' Cetenthousiasme de Milton pour les beauts de son payssuffit prouver qu'il consentait parfois dtournerles yeux de ses livres. S'il fallait en croire la lgende,une aventure romanesque aurait pu lui donner uneassez bonne opinion de ses propres avantages. Ildormait, dit-on, sous un arbre. Une jeune femmetrangre passait en ce lieu en voiture avec une com-pagne plus ge. merveille de la beaut du jeunetudiant, elle s'arrta pour le contempler, crivitquelques vers en italien et les glissa dans la main ducharmant dormeur. Milton n'tait pas, comme AlainGhartier, un pote gaulois. Il ne sut pas se rveiller

    temps ; mais quand il ouvrit les yeux, ce beau

    " latines.

  • SON ENFAxNGE KT S\ JEUNESSE 21

    rove, dont tmoignaient les vers qu'il trouva dans

    sa main, le poursuivit longtemps, et il devint perdu-

    ment amoureux de l'inconnue. Cette lgende gra-

    cieuse ne serait -elle point l'emblme du gnie po-tique, et la posie est-elle autre chose que l'ternelle

    beaut entrevue dans un rve ?Ainsi s'coulrent pour Mil ton ces annes paisi-

    bles, o sou gnie ne se rvlait encore lui que pard'phmres inspirations. Temps de labeur sain etvigoureux, qui runissait comme en faisceau toutes

    les forces vives de son nie I II sentait dj commeun enivrement de l'esprit, qui l'entranait dans les

    rgions encore nouvelles pour lui de la haute po-sie. Je n'ai jamais, dit-il, trouv rien de plus nour-rissant pour mon gnie, rien de plus propre le

    maintenir en bonne sant que des loisirs studieux etlibraux.... J'appelle en tmoignage les bois, les ri-vires et les ormes chris de nos villages, sous

    lesquels, l't dernier (s'il est permis de divulguer le

    secret des desses), je me souviens d'avoir joui sidlicieusement de la socit des Muses, et o, au mi-lieu des scnes rustiques et des forets obscures, il

    me semblait que j'aurais pouss moi-mme et vgtcomme au travers d'une mystrieuse ternit *. Voil le ton o se montait naturellement l'loquenced'un tudiant de vingt ans parlant un auditoire

    d'tudiants. Les esprits clestes, dit-il ailleurs,

    trouveraient dlicieuse cette manire de vivre, et

    ' Prolusionea oratoti.

  • 'il >J!LTi)\

    il aurait voalu voir, suivant sa potique expression,

    ses annes s'exlialer ainsi en rve (dreani away myyears). Il allait prendre cong de ses matres. Peut-treceux-ci entrevoyaient-ils dj la gloire que pouvaitjeter sur leur collge le gnie qui ne s'tait d'abordrvl eux que par son indpendance. Milton a ttoute sa vie, et je dirais mme aprs sa mort, un de cesliommesqui arrachent, pour ainsi dirj,de haute luttel'admiration de leurs semblables et qui tonnentbien avant de charmer. Il n'tait pas destin

    vieillir dans les murs d'un collge, et s'teindre

    doucement, charg de lauriers acadmiques. Lavie lui rservait d'autres luttes et d'autres victoires.

    Lorsqu'il eut obtenu le grade de matre es arts, ildit adieu pour jamais ITuiversit de Cambridge.Il avait alors vingt-trois ans : Avec quelle rapidit,

    dit-il, dans un sonnet crit cette poque, le Temps,ce subtil larroi de jeunesse, a-t-il emport sur sesailes ma vingt -troisime anne. Mes jours prcipitss'enfuient pleine carrire, mais mon dernier prin-temps n'apporte plus de boutons ni de fleurs *. Quelle pense de tristesse venait assombrir ainsil'ardente esprance de sa jeunesse! Cet ge demandela ni la vie qu'il lui semble toujours n'avoir rienobtenu, et Milton n'est pas le dernier pote qui ait

    rpt depuis Horace :

    Eheu, fugaces, Poglume, Poslinne,Liibimtur aiiiii,

    ' SoHuels.

  • SON ENKAXCK !: T SA JKUNKSSE 2;J

    Miltoii avait-il dono employ si mal ces sludi(>uxloisirs de l'cole, auxquels il adressait ce mlanco-

    lique adieu? Il ne le croyait pas sans doute lorsque,

    dix ans plus tard, il rpondait la calomnie par une

    noble apologie de ses annes de jeunesse et de tra-vail. Ses auteurs favoris avaient t, dit-il, les douxpotes lgiaques. Ayant observ depuis ce tempsqu'ils considraient comme la gloire principale de

    leur gnie, celle qui donnait de la force leur juge-ment et leur louange, celle qui les rendait,

    leurs propres yeux, plus dignes d'aimer ces per-

    fections suprieures qu'ils avaient voulu cl-

    brer sous un nom ou sous un autre, je pensai,

    avec l'instinct de la nature qui ne trompe gure,

    que ce qui les enhardissait dans cette tche pouvait,

    en y consacrant la mmo ardeur, m'enhardir moi-mme, qu'enfin tout ce qui pouvait m'etre chu en.partage de jugement, d'esprit ou d'lgance, para-trait avec d'autant plus d'clat et de valeur, (jue je

    choisirais avec plus de prudence et d'amour de la

    vertu, n'eu dplaise aux oreilles grossires, l'objet de

    ces justes loges En me confirmant dans cettepersuasion, je fis, s'il m'en souvient, tant de progrs

    que, lorsque je trouvais dans ces auteurs (Horace et

    Ovide, par exemple) d'inconvenantes allgations sureux-mmes, ou de coupables allusions ces nomsqu'ils avaient tant prns, je n'en ressentais qu'un

    effet : c'tait, tout en applaudissant encore leur ta-

    lent, de mpriser ces hommes et de leur prfrerentre tous ces deux fameux chantres de Batrix et

  • 24 MILTON

    de Laure, qui n'avaient jamais cess d'honorer celles qui ils consacraient leurs vers, rpandant sansreproche de pures et sublimes penses.

    Je ne tardai pas me persuader que celui quivoulait ne pas voir frustrer son esjDoir d'crire deschoses dignes de louange, devait tre lui-mme unvritable pome, c'est--dire un compos et unmodle de toutes les choses les meilleures et les plusrespectables ; ne prtendant pas chanter les louan-ges des hros et des cits fameuses, s'il n'avait lui-mme l'exprience et la pratique de toutes les gran-des vertus. Ces raisonnements, soutenus par une

    certaine dlicatesse de nature, et une hauteur d'hon-

    ntet, une opinion leve de ce que j'tais ou devais

    tre (l'envie peut appeler cela de l'orgueil, s'il lui

    plat), et enfin par cette modestie que je n'insre pasau frontispice, mais dont j'ai quelque droit de meprovaloir, ces raisonnements, dis-je, s'appuyant les

    uns sur les autres, m'ont maintenu au-dessus deces affaissements de l'esprit, par lesquels il se vautre

    et se plonge dans la prostitution et la vnalit. Ensuite, car il faut que vous me permettiez, lec-

    teurs, de retrouver les traces de mes jeunes annes,je me livrai ces fables et ces fantaisies sublimes(pli racontent en chants solennels les hauts faits dela chevalerie, fonde par nos rois victorieux, et dontla renomme s'tendit dans toute la clirtient. Jelisais, dans le serment de tout chevalier, qu'ildevait dfendre, au prix du i)lus pur de son sang etde sa vie mme, s'il le fallait, l'honneur et la chas-

  • SON KXFANCK ET SA JEUNKSSK 2o

    tet de sa dame ou damoiselle. Je pensais qu'il fallaitque la chastet ft une grande vertu, pour que tant

    de preux eussent consacr leur vie sa dfense. Si

    je trouvais, dans le roman, que quelqu'un d'entre

    eux et viol ce serment par parole ou par action,

    je faisais au pote le reproche qui a t adress

    Homre , celui d'avoir mal parl des dieux. Monesprit se persuadait que tout tre libre et dli-

    cat tait n chevalier , et n'avait besoin ni desperons dors , ni de la conscration de l'pe, pour

    vouer son bras et son cur la dfense et la pro-

    tection de la chastet outrage. Ainsi ces livres

    mmes, qui pour tant d'autres ont t un alimentd'inconduite et de perversit, ont t pour moi, par

    la grce de Dieu, autant d'excitations l'amour et

    la fidle observation de cette vertu, qui abhorre la

    socit des mauvais lieux. Ainsi , du commerce fraternel des potes il-

    lustres, mes annes plus mres et le cercle toujourss'largissant de mes tudes et de mes lectures me

    conduisirent aux sentiers ombreux del philosophieet surtout aux divines uvres de Platon et de son

    contemporain Xnophon. Vous dirai-je ce que j'ytrouvai de chastet et d'amour, j'entends de cetamour vritable dont le breuvage enchant est lavertu, breuvage qu'elle verse ses dignes adeptes,laissant aux autres ce breuvage enivrant, que porteavec elle une enchanteresse qui profane le nom de

    l'amour ! Vous dirai-je comment le premier et prin-cipal office de l'amour commence et se termine dans

  • 2o M IL Ton

    l'me, par la n-pnratiou de c^-^ jumeaux divins,la science et la vertu ! Oui, il vaudrait pour vous

    la peine d'couter ces sublimits abstraites... Ce

    que j'ai relat, juf-qu'ici, est pour prouver que,

    quand j'aurais eu une instruction chrtienne in-complte, une certaine rserve naturelle, une dis-

    cipline morale puise dans la plus noble philoso-

    phie, auraient suffi me tenir loign de toute

    incontinence. INIais j'avais reu, en temps opportun,les doctrines de l'criture qui rvlent ces chastes etpurs mystres; je savais que le corps est pour leSeigneur, et le Seigneur pour le corps, et je medisais moi-m'me, que si l'impuret est chez lafemme, que saint Paul appelle la gloire de l'homme,un tel scandale et un tel dshonneur, dans l'hommequi est l'image et la gloire de Dieu, elle doit rtre, quoiqu'on en puisse penser communment, encore plusavilissante et dshonorante et je me suis tendusur ce sujet dessein, afin que si on a eu raisonde m'accuser de ce crime, la honte en retombe surmoi, aprs cette confession, avec dix fois plus depoids * .

    Un pareil langage emporte avec lui la convic-tion. Jamais nature ne sortit plus ferme et plus engarde au-devant des orages de la vie. Cette innocencen'tait point celle que donne la concentration dela pense sur un ol)jet dtermin, ou l'ignorancemme du mal ; c'tait la Heur mrme de l'me, pa-

    ' Ajiulo(jii fur Sinctiijiinmits,

  • SON ENFANCK KT SA .1 K U NKSSK 27

    nouio SOUS le souffle fcond du christianisme et de lahaute posie. Mais si Milton tait, selon sa magni-fique expression, uu pome vivant, il n'tait pas unpome sans erreur et sans tache. La lpre des mesfortes, l'orgueil, avait dj fait ses ravages dans lasienne, et dvelopp' cette irrital)ilit qui bondit sousl'injure, et qui y rpond par la violence. L'innocencede sa vie tait donc le fruit d'une volont dj mre,et non la fragile quitude, dont les passions bercentparfois la jeunesse, en attendant leur jour. Libredans ses lectures comme dans ses actions, c'tait, pourainsi dire, aprs avoir effleur de ses lvres la coupe

    du mal qu'il s'en tait loign jamais. La fortuneallait lui donner le temps de recueillir toutes sesforces. Il avait fallu renoncer faire de lui unlgiste; mais le modeste notaire se tlattait sansdoute que son fils irait cultiver dans quelque hon-nte prbende les dons merveilleux qui s'panouis-saient dj tous les regards. Les Milton avaientalors pour les puritains une sympathie, qui s'ap[)li-quait plutt leurs tendances qu' leurs opinions.C'tait au reste le temps oii ce* parti avait con-quis un tel ascendant sur les esprits

    ,

    qu'il obli-

    geait mme ses ennemis compter avec lui. Ceuxqui devaient combattre la Rvolution arme et triom-phante subissaient, comme la noblesse de Franceau dbut du rgne de Louis XVI

    ,l'entranement

    commun. Buckingham, qui coquetait avec les partiscomme avec les femmes, avait essay de se rappro-cher des puritains et ce fut un ministre de cette secte,

  • 23 MILTON

    i.j;'i;ent dans son i)arti, le docteur Preston, qui fut

    l'intermdiaire de ces ngociations que son indiscr-

    tion fit avorter*. Rien ne prouve que ni le pre nile lils eussent encore adhr la confession de foide l'glise indpendante. Si le libre gnie de Milton'.ait dj agit cette poque des doutes tholo-giques qu'il a candidement exposs dans son Traitreligieux, il est probable qu'il les renfermait encore

    au plus profond de son cur, et sa conscience lui

    et sans doute permis de signer les trente-neufarticles, au point de vue doctrinal. Mais la cor-ruption de l'glise tablie , et les tendances quila poussaient alors , sous l'inspiration de Laud

    ,

    sur les confins du catholicisme,

    lui inspiraient

    dj cette invincible rpugnance qu'il exprimaitdix ans plus tard avec une nergique conviction : L'intention de mes parents m'avait consacr dsmes plus jeunes annes au service de l'glise

    ,

    vers laquelle m'entranaient mes propres rsolu-tions

    ,

    jusqu'au moment o, arriv un ge plusmr, et voyant quelle tyrannie se glissait dansl'glise, en sorte que celui qui prenait les ordres sevouait l'esclavage, et que celui qui prtait le ser-ment devait, moins d'obir une conscience aveu-gle, se condamner nu parjure ou l'abjuration, jepensai qu'un sileuce lionnete tait prfrable auministre sacr de la prdi(mtion, s'il fallait l'ache-ter au prix de la servitude et du parjure 2. Le no-

    Vie de Preston. dans Clialmcrs Bioiiriijiltiail Dictlonnnj.' lieason ofchurch goconimeul.

  • SON ENFANCb: ET SA JKUNKSSR 29

    taire de Bread street avait acquis par son travail uneaisance, qui permettait Milton de prendre sontemps pour choisir une carrire. La destine (pii

    voulait faire de lui un pote lui rservait doncencore quelques annes de rverie et de loisirs stu-dieux. Il en profita pour amonceler dans son espritdes trsors de connaissances qui en faisaient une en-cyclopdie vivante. Heureux temps, au point de vuedes pures jouissances littraires, que celui o lenombre restreint des grandes uvres de l' intelli-gence humaine permettait encore aux esprits c iri'^uxd'en embrasser l'ensemble I Heureux temps surtout,011 la raret des publications contemporaines laissaitaux esprits dlicats le loisir de se retremper sanscesse aux sources les plus pures du got classique!Nous gmissons aujourd'hui sous le poids de nos tr-sors intellectuels, et notre esprit sollicit de toutesparts n'a pas de choix entre l'isolement et la disper-sion de ses forces. Alors il paraissait peine on Angl -

    terre cent cinquante ouvr.iues par an; aujourd'hui lenombre moyen est de cinq mille, et pour la littra-ture d'un seul pays * I Milton aurait pu, la rigueur,connatre tout ce qui s'imprimait en An ^'ot^nTe. Iln'tait question si ardue qui ne ft un jeu pour cetesprit laborieux et profond. Milton le pre venait devendre son tude et sa maison de Bread street, etd'acheter de ses pargnes un bien situ au villaged'Horton dans le Buckinghamshire. 11 s'y retira, et

    ' Masion, I, 51 1.

  • 30 MILTON

    emmena avec lui sou fils, charg de ses lauriers uni-versitaires. A la rsidence de campagne de monpre, dit celui-ci, o il s'tait retir pour y passerses vieux jours, j'eus tout loisir de me distraire enparcourant toute la srie des auteurs grecs et latins.

    Je quittais nanmoins quelquefois le sjour de lacampagne pour celui de la ville, soit pour aller yacheter des livres, soit pour y apprendre quelquechose de nouveau dans la musique et les mathma-tiques, sciences qui me ravissaient*.

    C'est l que Milton jeta les dernires assises decjtte science presque universelle, qui avait fini pariaire corps avec son imagination, et qui dbordaitjusque dans ses uvres les plus phmres. Le tempsa dtruit les derniers vestiges de la maison danslaquelle vcut Milton, mais la tradition montra long-temps le pommier sous lequel il allait tudier etcomposer ses pommes. Le sjour d'Horton fut commela veille- des armes de ce vigoureux lutteur. Sansabandonner les lettres grecques et latines, qui n'-taient plus pour lui une tude, mais une distraction,il parcourait, comme en se jouant, tout le cercle desconnaissances humaines. Mais ce qui confond bienplus que cette soif insatiable d'apprendre

    ,c'est

    qu'elle n'ait en rien comprim l'essor de son gniepotique. C'est au milieu de ce recueillement presquesolennel que naquirent ses premires posies. Miltontait arriv cet ge de la vie o les dons naturels se

    ' Ui'ffiisUi Si'CUmlil.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 31

    dgagent pour ainsi dire de leurs langes,et font

    irruption au dehors. Dans cette nie ne pour le su-blime, le torrent de la posie antique et celui dela posie sacre taient venus se confondre commeces livires de l'Amrique qui, nes dans les flancsde ses hautes montagnes, forment en se runissantdes fleuves immenses, et baignent de leurs eaux ac-cumules une vgtation gigantesque. Le temps taitvenu o il allait aborder d'autres sujets que les lieuxcommuns de la mythologie ou de l'loquence an-tiques, ou les thmes populaires qu'aimait son temps,la conspiration des poudres

    ,

    par exemple, sur la-quelle son talent d'colier s'tait exerc jusqu'quatre fois^ Les tristesses de la vie allaient lui four-nir d'autres sujets d'lgie que la mort des pdantsde collge, ou celle du voiturier de l'Universit, dontil clbra dans deux morceaux successifs la vertevieillesse et l'immense popularit ^. Jusque-l iln'avait eu sous les yeux aucun spectacle digne deson gnie naissant. Mais si l'on veut comprendre quelle hauteur il avait dj plac son idal, il fautl'entendre parler son ami Diodati des devoirs sa-crs du pote : L'homme, dit-il, qui aborde dessujets levs, tels que le cieJ ou la grandeur deJupiter, les hros pieux et les demi-dieux , celuiqui chante soit les saintes assembles des dieux,soit les royaumes souterrains dfendus par le chienfroce, celui-l doit vivre sobrement, connue le

    ' lu Proililionem Boniljurdicim. Kjiinidiiimatutn liber.' On llic Univer.-iily Carrier.

  • 32 MlLToN

    matre de Samos; des herbes doivent suffire son

    rgime svre ; l'eau limpide puise dans une coupede bois est ses cots; qu'il puise ce sobre breu-

    vage dans les claires fontaines. Qu'il joigne celaune jeunesse chaste et pure de tout crime, une mo-rale austre et des mains innocentes! C'est ainsi que,revtu de la robe sacre, et purifi par les eaux lus-

    trales, on peut se lever, et paratre comme un pontife

    sacr en la prsence des dieux. . . ; car le pote est con-sacr aux dieux; il est leur prtre, et son cur et sa

    bouche aspirent le souffle cach de Jupiter*. Ainsiparle dj le chantre futur des chastes plaisirs del'den. Ne nous y trompons pas. Sous cet appareilet ces rminiscences mythologiques, c'est un senti-ment rel et profond qui inspire de tels accents. Ndans un temps o la posie ne jaillit plus de la sourcevive d'une inspiration spontane, Milton n'eut pas,comme Homre, la rare fortune de trouver unelangue parfaite pour exprimer des sentimentsrudes et nafs; il cra sa langue comme sa pen-

    se. Il se tient toujours sur les hauteurs del'Olympe ou du Sina : il transporte dans l'clair etsous la nue les humbles affections de la terre. Laposie n'est pas pour lui une effusion naturelle del'me, mais la langue savante des sentiments fortset levs. Il devait jamais rester fidle l'idalpotique que lui imposrent la fois son ducationet le caractre particulier de son gnie.

    ' Elegia sexla. Ad. Deod.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 3$

    III

    Au moment o retentissaient ces graves etnobles paroles, l'Angleterre assistait aux derniers

    jours d'une grande poque de son histoire littraireet politique, et l'esprit des temps nouveaux com-menait peine se faire jour. Entre ce dclin etcette aurore peine entrevue, la littrature, commefatigue d'un prodigieux effort, semblait reprendrehaleine. Le peuple

    ,d'ailleurs

    ,

    pensait plus sa

    libert qu' ses plaisirs : or la posie craint le tu-multe de la place publique. Messager du dsir et del'esprance , le pote se tait, quand retentit le tu-multe des rvolutions. Ce n'est pas que Shakespeare,mort en 1616, et emport avec lui dans la tombetout l'clat littraire de la Renaissance. Si Spenceravait vu sa noble carrire se terminer par une mortprmature, l'enfance de Milton avait t contem-poraine de la gloire de Beaumont et Fletcher, BenJonson, Massinger et de tous ces potes drama-tiques que la splendeur de leur grand contempo-rain a pu seule rejeter dans l'ombre. Mais l'gevraiment hroque et crateur de la Renaissancen'tait plus. D'une part l'esprit des temps nouveauxtait devenu trop troit et trop positif pour cetteposie chevaleresque dont Spencer et sir Phi-

    3

  • 34 MILTON

    lip Sidney avaient t les derniers reprsentants.

    Aprs Don Quichotte, les rves dors de la Reine desFcca avaient cess d'tre possibles. Avec Shakes-

    peare, d'autre part, tait descendue dans la tombecette verve populaire, cette j)osie de chair et de

    sang dont il avait t l'interprte sublime. Ben Jon-

    son luttait avec plus d'nergie que de succs contre

    les dfaillances de l'esprit public. Il avait conquis la

    plus haute renomme littraire, sans que ses uvrespussent atteindre la popularit : il tait, a-t-on dit,

    de ces hommes dont la posie plat mieux au rebondqu'au premier coup *. Il combattait en vain ; l'exub-

    rante richesse du xvi^ sicle tait puise. L'esprithumain, au moment mme o il allait rclamer dansl'ordre politique les fruits lgitimes de ses conqutes,

    rentrait partout dans ses frontires naturelles. La

    posie, descendue des hauteurs idales du mysti-cisme et de la passion, errait la recherche d'une

    inspiration qui lui chappait. Jamais peut-tre ellen'avait eu son service une telle arme de talentsdans tous les genres. On a recueilli la liste de deux

    ' Fuller. Woiihies of England. Il avait si Lien dclar la guerre son temps, qu'aprs la chute d'une de sts comdies, il la fit imprimersous ce titre :

    New Inn, or the light Heart, a comedy never acted, but most negli-gently played Ly some the king s servants, and more squeamishly beheidand censured by others, the king's subjects. 16i9. Now at last set at li-berty to the readers, bis Majesty's servants aiid subjects, to be judged,{631. ..

    l faisait suivre cette comdie d'une ode qui dbutait ainsi :

    Corne, leave the loathed stage

    \w\ the more loalhsome ge. >

  • SON KNFANCE ET SA JEUNESSE 33

    cent trente-trois potes connus dans l'espace de cin-

    quante-deux ans , sans compter les crivains de

    thtre*, et sur ce nombre M. Taine dcerne qua-rante auteurs un brevet de gnie ou de talent^. Pour-quoi tant de dons heureux taient -ils dpenss enpure perte? 'C'est que l'inspiration s'alanguissait ets'teignait. En vain Ben Jonson essayait-il de rame-ner son temps au respect des formes svres de l'an-tiquit ; svrit bien relative , il est vrai, et dont lasauvage hardiesse eiit encore offens l'oreille de lagnration, qui reconnut en Dryden son matre etson pote. La joyeuse rpublique que Shakespearerassemblait autour de lui la Mermaid avait vu lamort claircir ses rangs, et avait fait place la mo-narchie de la Taverne du Diable, dont Ben Jonsontenait le sceptre d'une main dj dfaillante ; labrillante fantaisie de la Renaissance avait jet sesdernires tincelles dans le pome de la Reine desFes, ce testament de la chevalerie expirante, desrves dj assombris du platonisme chrtien, choaffaibli de cette ivresse d'esprances qu'veilladans les mes la dcouverte du nouveau monde.Chass des glises, et perscut par les puissancesdu sicle , le puritanisme envahissait de toutesparts l'esprit public. La posie dramatique elle-mme, menace par lui dans son existence, deve-nait, pour lui plaire, dogmatique et sentencieuse.Ben Jonson, le pote dont l'humeur querelleuse

    ' Nathan Drake. Shakespeare and his Unies.* Ilistuirc de lu lUrature anglaise, I, 31 1.

  • 36 MILTOX

    avait tant de fois arm le bras, employait les der-niers jours d'une existence mine par la paralysieet les excs de vin des Canaries, chtier de sa

    rude main les vices de son temps. Dj l'ardente sa-tire de Prynne, VHistriomastix, prsageait le sort qui

    attendait le thtre, le jour o le pouvoir tomberaitaux mains des j)uritains. Cette brillante pliade dra-matique qui avait compt dans ses rangs, avec Shakes-peare, Beaumont et Fletcher, Webster, Ford, Mas-

    sincfer allait voir s'teindre, au milieu mme dutriomphe, cet enthousiasme pour la posie drama-tique quine devait renatre qu' la restauration, pour

    se voir dshonorer par la licence et le dvergondage.Les survivants de cette grande poque essayaient vai-nement d'en perptuer la tradition. Les deux Flet-cher (Giles et Phinas) faisaient encore parler envers les bergers de cette Arcadie idale ne de l'imi-tation italienne, ennoblie par le gnie de Spencer, etdont le Cornus de Hilton devait tre comme le slo-rieux testament. La pastorale anglaise n'avaitjamaisprtendu rendre l'cho potique des sensations dela nature; elle n'tait pas mme, comme la posiede nos jours, l'expression mlancolique du contrastedes agitations de la vie humaine avec l'apparenteimmutabilit de la nature : elle avait t la confi-dente discrte des aspirations de l'iiomme vers unidal social plus rapproch de la loi naturelle. LaRenaissance avait voulu mettre dans la bouche deshumbles et des petits de ce monde le langage de lavrit : elle faisait donner i)arla chaumire du ptre

  • SON ENFAxNCK ET SA JKU.NESSE 37

    cette leon de recueillement laque que le moyen cjen'avait su demander qu'au clotre. Mais la pastoraleelle-mme tait devenue sermonneuse et puritaine.En vainBrowne, dans ses Britannia s Pastorah, publiesen 1625, avait essay de la ramener sa source pri-mitive et charg sa palette des plus riches couleursdel naturelle sermon pntrait partout, etPhinasFletcher, le cousin du pote dramatique, avait fait deses bergers et de ses pcheurs de vritables prdi-cateurs rustiques. La posie religieuse commenaitau reste devenir populaire. Shirley avait fait un

    pome en douze chants sur le jugement dernier, etDrummond avait publi une collection de posiesspirituelles sous le titre de Fleurs de Sion. Donne et

    Hall, celui-l mme qui devait tre, comme vque,l'adversaire le plus redoutable de Milton, avaientinaugur le rgne de la satire : c'tait encore unmoyen de faire des sermons. Wither avait inondle public d'un dluge de chants sacrs. L'inten-tion et mme la prtention morale peraient danstoutes les uvres , et Ben Jonson, l'homme desanciens temps et des anciennes murs

    ,avait

    tourn en ridicule cet engouement du public,

    et

    la manire dont Wither y avait rpondu. Withers'tait veng en couvrant de ridicule la cheva-lerie avine de Jonson ; ce jeune moraliste de-vait tre l'un des majors-gnraux de Cromwell.Donne, le doyen et l'orateur populaire de Saint-Paul,abandonna lui-mme la satire pour la posie didac-tique et religieuse, et il en avait fait, par la prci-

  • 38 MILTON

    sioii des dtails, une vritable gymnastique intellec-tuelle. Cowley, qui n'avait pas encore publi lesposies, qui firent de lui le pote favori de sontemps, devait tre le type le plus accompli de cetteplatitude correcte, qui cherche son idal dans l'habilearrangement des mots. Lui aussi fut, son temps,

    moraliste et sermonneur. Dj chacune des grandessectes qui divisaient l'Angleterre, avait ses potesattitrs. Wither tait le barde des calvinistes purs,Quarles du Puritanisme *, Donne de l'Anglicanismeprimitif, Herbert de la Haute glise, Habington, filsd'un catholique condamn mort pour participationauGunpowderPlot, reprsentait l'opinion catholique.Ce n'taient pas les petits vers gracieux de Carew,

    de Herrick et de Suckling qui pouvaient faire con-tre-poids l'abdication de la grande posie. Aumoment o Milton entrait sur la scne potique, lespotes, dont la renomme devait longtemps faireplir la sienne, Cowper et Waller, ou n'avaient rienpubli, ou n'avaient pas encore conquis une vri-table popularit. Cleveland n'tait encore connu,comme Cartwright, que par des succs de collge.Il tait temps qu'une grande voix s'levt au milieudes reprsentants indignes de cette noble gnra-tion de potes, qui avaient fait l'orgueil de l'Angle-terre. Entre cette posie de cour ou de collge, et cedvergondage de la nmse thtrale, que va frapperla rudp main des puritains, qui lvera la voix au

    ' Il uit du mme collge que iMillon et avait quarante ans en 1632.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 39

    nom de ces classes srieuses et lettres, qui rventen ce moment l'affranchis

  • 4) MILTUN

    que dont Arthur et t le hros. Pourquoi ce rve de

    sa jeunesse ne fut-il point ralis? C'est qu'entre sajeunesse et son ge viril clata une rvolution, danslaquelle parurent sombrer tous les souvenirs, toutes

    les lgendes de la vieille Angleterre. La posie de

    la chevalerie ne pouvait survivre longtemps la re-

    ligion de la chevalerie.

    Dj, pendant les dernires annes de son sjour l'Universit, il avait compos un Hymne sur laNativit, que M. Hallam regarde comme le chef-

    d'uvre de la posie lyrique de son pays *, et cethymne avait t suivi d'un Ode sur la Circoncision,de pices diverses sur le Temps , sur un concertsacr, d'un fragment sur la Passion : enfin un son-

    net sur Shakespeare avait t imprim avec d'autreshommages rendus la mmoire du grand pote, eiitte de l'dition de ses oeuvres compltes publie en1632. Il convenait en effet que le premier potepique de l'Angleterre entrt dans la vie littraire, ense dcouvrant respectueusement devant son premierpote tragique. Ds que cette voix se fait entendre,on sent que la posie vient de recevoir un baptmede rgnration. Tout ce qui est touch par ce gniesrieux, se revt de grandeur et de majest. Pour-quoi ne le dirions-nous pas, la premire rencontrede l'esprit avec cette grave posie laisse une impres-sion qui tient autant de l'tonnement que de l'admi-ration. La posie juvnile de Milton ne connat pas

    ' Uist.de la Hllhature euroju'enne aux x\', xvi' et xxii' sicles.

  • SUN ENFANCE ET SA JEUNESSE il

    ces molles langueurs qui l'avaient ravi lui-mmedans les lgiaques de l'antiquit. Le regard s'arrte

    sur des titres gracieux, tels que VAllegro et le Pen-

    seroso, et sous ces noms mlodieux emprunts l'Italie, apparat bientt une posie d'airain. Milton

    cherche la fantaisie, et rencontre le sublime. Il y a

    daus YAllegro et le Penseroso quelque chose de plusque la description des plaisirs de la gaiet et de la

    mlancolie, plaisirs nobles et purs, tels que Milton

    peut les rver ici-bas, il y a un tableau saisissant desdeux faces de la destine humaine, condamne osciller sans cesse de la joie la tristesse : d'un ctles riantes images que l'me demande aux chosesqui l'entourent et qu'elle leur rend du centre de sapropre joie, de l'autre la sombre influence de lanature, conspirant avec la nuit de l'me et la ren-

    dant plus profonde. La vertu saurait faire, dit-il

    ailleurs,

    ce qu'exige la vertu,

    par le rayonne-

    ment de sa propre lumire, quand bien mme lesoleil et la lune seraient ensevelis dans les profon-

    deurs de la mer. La sagesse aime parfois s'enfuiraux douces solitudes, o sur le sein de sa chrenourrice, la contemplation, elle lisse ses plumes etlaisse pousser ses ailes, qui dans le tumulte dumonde ont t froisses, et parfois mutiles. Celuiqui possde la lumire dans son cur illumin,peut se placer au centre, et jouir de l'clat bril-lant du jour; mais celui qui cache une me som-bre et de coupables penses, trouverait la nuit imp-ntrable en plein soleil de midi, prisonnier dans

  • 42 .MILTON

    son propre donjon *. Milton ne semble-t-il pasjuger d'avance, du haut de sa mle pense, cettepassion maladive de la nature et de la solitude, qui

    est devenue presque la seule inspiration de notre

    posie, et dont nous avons fait une vertu I Sans

    doute , en vrai pote, il s'est pris de solitude et

    de contemplation ; mais s'il veut tre seul, ce n'est

    pas pour raconter la nature tout entire ses souf-

    frances vraies ou imaginaires, c'est pour lever et

    affermir son inspiration. Milton n'est pas un gnie

    lumineux, et Johnson a eu raison de dire que si on

    ne trouvait pas de gaiet dans sa mlancolie, on

    rencontrait toujours un peu de mlancolie dans sagaiet-. On lui a mme reproch, sur la foi d'uneplaisanterie de Diodati, de n'avoir jamais vu lanature que dans les livres "^ Ce reproche me semblepeu mrit ou tout au moins fort exagr. Je nesoutiendrai pas que dans ses lgies latines , un

    > Cornus :

    Virtue could see to do whal virtiic wouldBy lier own radiant light, thougli mooii and sun,Were in llie flat see sunk. AnJ wisdom's selfOft seeks to s\veet retired solitude

    Where, wilh her liest nurse, conteraplalion,Slie plumes her feathe'"s, and lets grow her wings,That in ihe various bustle of resortWere ail too ruITled, and sometinies impaireil.He lliat lias light wilhin his own clear hreast,May sit in the centre, and enjoy hright day;But he that hides a dark sol and foui thougfisBeniglited walks under the rnid day suuIlimself in his own dungeon.

    ' Johnson, Lit'es of llie pola.' Eptre grecque de Diodati.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 43

    sentiment intime et personnel de la nature ait ins-

    pir cette forte et solide posie; alors Milton tait

    cet ge o la nature tout entire ne nous semblepas mriter de nous un regard ou une pense,parce que l'me , trop riclie de sensations

    ,d-

    borde sur tout ce qui l'entoure,

    et communiquela vie la nature bien loin de la recevoir d'elle.

    A Horton, il en est autrement ; l'heure de la contem-plation solitaire est venue. La voix grave de la des-tine a dj jet quelques notes tristes au milieu dece concert joyeux que la jeunesse se donne elle-mme, et dj les deux faces de la vie se sont prsen-tes Milton, avec leur cortge riant ou funbre.Son premier salut la nature a t le sonnet aurossignol, dans le mtre de Ptrarque. Dj Miltona prt l'oreille aux mille bruits dont les tresvivants peuplent les solitudes des champs ; ilsait que le chant du rossignol prcde dans lanuit celui du coucou, et par un retour de l'es-prit sur les vicissitudes de la destine, le rossignoldevient pour lui le hraut de l'amour et de la posie,et le coucou l'emblme de la haine et du malheur.L'alouette et le soleil levant figureront devant sapense le gai rveil de l'me, le clair de lune et lerossignol seront associs la mlancolie ^ Si cen'est pas un ple amant de la nature, c'est dumoins un pote ouvert aux sensations et auxjouissances agrestes que celui qui a crit la chanson

    ' Allegro, Penseroso, Lycidas, Arcades.

  • 44 MILTON

    de Mai : L'toile brillante du matin, messagre dujour, arrive enliondissant de l'Orient, escortant Maifleuri qui laisse tomber de son sein le jaune cou-cou et la ple primevre. Salut, joyeux Mai, toiqui apportes la gaiet, la jeunesse et les dsirs ar-dents. Les bois et les prairies sont ta verte parure.

    La colline et la valle s'enorgueillissent de ton re-

    tour, et nous aussi nous voulons te saluer de notrechant matinal, te souhaiter la bienvenue et te con-server longtemps parmi nous'. Peut-tre Miltonse laisse-t-il aller trop souvent, au dbut de VAlle-gro et du Penseroso

    , voquer les souvenirs an-

    tiques, et risque-t-il d'alourdir au dbut par ces allu-sions classiques la libre allure de son pome; mais ilne tardepas laisser lace cortge de convention pourparler la nature. Cowper a-t-il quelque chose deplus vrai, de plus simplement agreste que la frachedescription du matin dans VAllegro^^. Milton n'a pas

    ' No\v Ihe brighl morning star, day's harbingerCornes dancing from ihe East, and leads wilh lierThe flovery May, who from her green lap tlirowsThe yellow cowslip, and tlie pale priinrose.Hail, bounteous May, that dost inspireMirth and youth and warm dsire

    ;

    "Woods and groves are of ihy dressing,llill and dale doth boast thy blessing.Thus ue salulc thee with oiir early song,And weicome thee, and wish thee long.

    * To hear the lark begin his flight,And singing startle the dull night,From his watrh tower in the skies,Till the dappled dawn dotli rise,Then to corne in spite of sorrow,And at niy window bid good morrow,

  • SON RNFANCE ET SA JEUNESSE 43

    besoin des priphrases savantes de Delillepour pein-dre le rveil de la campagne et les rudes travaux deschamps. Il appelle par son nom le coq matinal, etles produits rustiques de la ferme. L'Aie fumante del'Angleterre ne dshonore pas plus que le lait de lafermire cette mle posie. C'est que les paysans deMilton semblent avoir toujours vcu dans les palais :il ennoblit tout ce qu'il touche. Il sait demeurer vraisans descendre la familiarit parfois enfantine deWordsworth. Plus grave, plus compass, plus em-preint d'imitation classique, le Penseroso n'en a pas

    moins ses images vraies et naturelles. Sans doute, ony voit poindre dj le go lit du pote pour les imagesterribles. L'origine del mlancolie y est rattache

    Tlirough llie swcet briar, or the vino,

    Ov tlic iwisted eglantine :Wliile ihe cock wiih lively dinScalters ihe rear of darkness tliin.

    And to the stack, or Ihe barn door,Sloully struls his dames before :Oft lislening how the bounds and hoinCbcerly rouse the sluiiibering morn,

    From the side of soine hoar hillThrough the bigh wood ecboing sbrill :Some time walking not uiiseenliy hedge row elms, on billocks green,Hight against llie eastern gte,W'bere the great sun begins his state,

    Robed in fimes and amber light,The clouds in thousand liveries digh;,Wliile the ploughman near at handWhislles o'er tlie furrowed iand.And the milkmaid singiHb blitbe,And the mower whets his scylhe,And every shephord tills his taie,Under the iiawtliorn in the dale...'

  • 46 MILTON

    un inceste mythologique (jui fait frmir, et qui

    annonce dj les horribles amours de la Nuit et duChaos- dont le Prt/Y/J/s perdu nous raconte l'histoire.

    On voit que cette me se plaira dans la contempla-tion des spectacles lugubres. Mais, jusqu'aux imagesrebutantes, tout s'agrandit sous la main deMilton.Il importe donc peu de savoir si l'ide de ces deuxcompositions a t, comme on le dit, emprunte un chant d'une pice de Beaumont et Fletcher

    [Nice Valoiir). Si c'est une imitation, il est curieux

    de voir comme Milton sait imiter, et dans quelle

    rgion il transporte les lieux communs de la

    posie. Les conceptions les plus vulgaires s'impr-

    gnent au contact de son gnie d'un spiritualisme

    majestueux. Qu'on ne croie pas cependant que cespiritualisme se contente, comme celui de Michel-

    Ange,

    quand il se traduit en posie , d'un vte-ment sobre et presque incolore en son austrit.Non, la- posie deMilton marche accompagne duriant cortge des plus brillantes images terrestres

    ;

    elle rassemble sur son chemin tout un monde d'im-pressions vivantes et personnelles. C'est un paysagegrandiose oh l'il peut plonger dans l'infini, sansperdre de vue les premiers plans resplendissants defracheur et de lumire. N'y cherchez pas cette grce la fois nave et lgante des pomes antiques ; ne luidemandez pas la nonchalance affecte des pastoralesitaliennes

    ; mais transportez la Sulamite sous le cielde la Grce; temprez parla mlancolie chrtienneles ardeurs de la vierge du dsert, et vous aurez un

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 47

    clio de cette inspiration austre et grandiose.

    Aussi, voyez ce que deviennent la ferie et l'all-

    gorie entre les mains de Milton I La comdie allgo-rique (Mask) tait devenue, depuis les derniers tempsdu rgne d'Elisabeth, la forme principale des diver-tissements d la cour et des grands. Quand le roivisitait un de ses sujets, quand un seigneur ramenaitune jeune pouse dans ses domaines, ou venait pren-dre possession d'un grand commandement, c'taitla coutume de l'accueillir avec une fte demi-cham-petre, o sa bienvenue tait place sous l'invocationde toutes les divinits de la Fable, et clbre par

    des allgories plus ou moins transparentes. Shakes-peare

    ,sans sacrifier compltement au got du

    ternies, avait, pour ainsi dire, atteint du premiercoup la forme idale de ce drame fantastique dansle Songe d'une nuit d't et la Tempte. La pastorale,

    que Spencer avait leve la perfection que com-

    porte ce genre, avait fait depuis alliance avec la

    mascarade italienne, pour donner naissance cedrame allgorique

    ,

    qui fit les beaux jours de lacour de Versailles, et dans lequel Louis XIV lui-mme aimait a figurer. Ben Jonson n'avait pointddaign ce divertissement la fois aristocrati-que et populaire. Auteur lui-mme d'une pasto-rale gracieuse et allgorique le Berger Triste,

    il estimait haut prix l'loquence des feries.

    Il se brouilla mme avec Inigo Jones,

    parce

    que le nom de l'illustre architecte avait t plac

    avant le sien sur le titre du livret. Whitelocke

  • 48 MILTON

    lui-mme, le pesant Whitelocke, avait fait lamusiqued'une courante, et figur avec Bacon et Selden dans

    un CQmit qui organisa une grande reprsentationferique, o ils eurent imaginer les devises, rglerles entres et les sorties. Vers l'anne 1633, la publi-

    cation de la satire de Prynne contre les thtres

    (Histriomastix), dans laquelle on avait cru trouver

    des allusions injurieuses au got de la reine pour cegenre de divertissement, avait excit un vritable

    soulvement de l'opinion publique contre ce purita-nisme outr, et inspir aux membres des cours judi-ciaires d'Angleterre, dont Prynne faisait partie,

    l'ide de tmoigner au roi leur dvouement par l'or-ganisation d'un immense divertissement dramatique.Les bourgeois de Londres se souvinrent longtempsde cette splendide exhibition, et du pompeux cortgequi traversa les rues pour se rendre au palais de Whi-tehall. Le frre de Milton, Christophe, aloi-s tudiantd'Inner-Temple, avait d figurer de droit dans le cor-tge, et Milton avait sans doute quitt sa solituded'Horton pour assister la reprsentation. Le Roivoulut remercier les cours judiciaires de ce pom-peux tmoignage de dvouement, en figurant lui-mme dans un divertissement royal, qui runit aveclui dans une sorte d'Olympe britannique [ClumBritannicum) la Reine et un grand nombre des prin-cipaux seigneurs, ainsi que quatorze jeunes gens dela noblesse. De ce nombre taient les deux fils ducomte de Bridgewater, le vicomte Brackley et Tlio-mas Egerton, lves tous deux du musicien Lawes,

  • 9,0N ENFANGI-: ET SA JEUNESSE 49

    l'ami des Milton. Les deux jeunes gens et dent pa-rents, par suite d'une double alliance, de la comtessedouairire de Derby, alors parvenue un cage avanc,et qui, par sa situation comme par son esprit, per-

    sonnifiait toutes les grandeurs et toutes les illustra-tions du sicle d'Elisabeth. Parente de Spencer, quilui avait ddi plus d'un pome, elle avait vu Shakes-peare jouer lui-mme toutes ses pices, et il lui taitrserv de recueillir encore avant sa mort les pr-mices d'un gnie non moins clatant. Ses jeunes pa-rents avaient voulu rendre hommage son augustevieillesse, en lui offrant dans son chteau de Hare-fied un divertissement dramatique. Ils en avaientdemand la musique Lawes, le compositeur lamode, et celui-ci avait eu recours pour le pome,au talent alors peu prs inconnu de Milton. Ainsic'tait Lawes, qui introduisait Milton en cette grandecompagnie, et cette condescendance lui a mritl'honneur de passer derrire son protg la pos-trit. Milton dut, en cette circonstance, s'accom-

    moder au got du temps, en adoptant la forme dela pastorale mythologique. Mais quels bergers queses Arcadiens, et quel divertissement que sa pasto-

    rale I Milton ne s'arrte pas longtemps des louangesbanales enfles de comparaisons mythologiques. Ilvoque bientt le gnie des Bois, et celui-ci sort desa retraite pour esquisser bientt larges traits toute

    une philosophie de la nature. Il chante le travailsecret de la germination, et l'immense mouvementintrieur qui agite les entrailles de la terre. Je

    4

  • 50 MILTON

    reus, dit-il de Ju^Diter, la puissance sur ces belles

    forets;je vis dans l'ombre des chnes, pour nour-

    rir la sve des arbres, pour donner aux gazons leurs

    boucles gracieuses, et leurs courbes capricieuses. Je

    sauve toute ma vgtation des atteintes nocturnes

    des vents contraires, et je congle les vapeurs er-

    rantes *. Il y a loin de l ces fades compli-

    ments dans lesquels les potes contemporains

    auraient clbr l'ternelle jeunesse de la douai-rire de Harefield, et les gloires de son antique

    maison.Les Arcadiens^ ne sont que le premier essai de Mil-

    ton dans le domaine de l'allgorie dramatique. Il de-vait y marquer son passage par une uvre impris-

    sable. Le comte de Bridgewater venait d'tre nommprsident du conseil de la principaut de Galles etdes Marches, et aprs deux annes de non-rsidence,il venait prendre possession du sige de cette vice-royaut, le chteau de Ludlow, dans le comt deSalop. L'installation du noble magistrat donna lieu une srie de ftjtes splendides auxquelles taient con-

    vies la noblesse et la yentnj du pays. Les jeunes filsdu comte pensrent renouveler sur une plus grandechelle la reprsentation dramatique qui avait eulieu Harefield Ce fut encore Lawes qui fut chargde la musique, et il daigna demander un libretto son premier collaborateur. Nous savons par lce que pensrent du pote les nobles htes de lord

    ' Arcades.' Arcades.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 51

    Bridgewater, Us auraient bill la reprsentationdes Arcadiens, qu'on ne pourrait gure leur en vouloir

    ;

    car s'ils taient venus de si loin pour se divertir, rienn'tait moins divertissant que cette grave allgorie.Ils tmoignrent de la dlicatesse de leur got, enapplaudissant les beaux vers, dont la vivante harmo-nie se sentait encore sous la musique de Lawes, eten s'estimant heureux de recourir cette fois encoreau jeune auteur. S'il faut en croire une tradition plusou moins vraisemblable, une aventure romanesqueaurait fourni Milton le sujet de cette nouvelle com-position. Le fils et la fille de lord Bridgewater se ren-daient comme lui au chteau de Ludlow; ils furentsurpris par la nuit dans une foret, et perdirent leurchemin. Cette histoire, raconte Milton, lui auraitdonn la premire ide du Cornus; mais quel chemince thme fragile ne fait-il pas dans l'imagination dupoc>te ! Il croit imiter sans doute ; il appelle son se-cours tout l'essaim des souvenirs antiques ; il vo-que la fantaisie brillante de Spencer et la verve ita-lienne du xvi" sicle. Il emprunte mme, dit encorela tradition, qui semble ne lui vouloir laisser que lemrite d'avoir fait de beaux vers, l'ide principaledu pome la pastorale de Fletcher, la Fidle Ber-grCy et le nom mrme de sa pice un personnagede l'allgorie de Ben Jonson : Le vice rconcili avec lavertu. Mais eut-il multipli encore les imitations et lesemprunts*, qu'on compare la copie avec les origi-

    ' Warton, en donnant un spcimen de la comdie du limer-TempleMask de Will Browne, prtend qu'elle contient une invocation au somuie

  • 32 MILTON

    naux, et qu'on dise s'il n'y a pas aussi loin du Cornus

    de Jonson celui de Milton que du Cid de Guilliem

    de Castro celui de Corneille, De cette inspiration

    multiple sort un pome o l'originalit profonde deMilton se trahit en traits irrcusables. Il veut crire

    une ferie ; il entonne un liymne dialogu la chas-

    tet. Cornus, fils de Circ, hritier des artifices de sa

    mre, enchante tous les mortels qui s'garent dansla foret qu'il habite ; il leur verse, dans son palais

    magique, un breuvage dlicieux qui les change en

    animaux de toute sorte, vous dsormais son ser-vice. Une jeune vierge s'gare dans la fort, tandisque ses deux frres surpris avec elle par la nuit,cherchent pour elle quelque nourriture ; Comus en-tend sa plainte, et, prenant la forme et le vtementd'un berger, il exerce sur elle tous ses artifices, et

    l'entrane, par d'insidieux mensonges, dans son pa-lais habit par ses compagnons de dbauche. Lajeune fille rsiste toutes les sductions

    ,refuse

    le breuvage qui doit sceller sa perte, et accable deson mpris le demi-dieu, dont les traits semblentl'bauche du grand archange dchu du Paradisperdu. Une divinit bienfaisante guide les deuxfrres de la jeune fille jusqu'au palais de Comus :ils brisent dans les mains du magicien la coupeenchante; mais il leur faut l'aide de la nymphe dela Severn, Sabrina, pour rompre le charme qui tientla jeune fille enchane, et le pome se termine par

    qui rappelle quelques-uns des passages favoris du Comus de Milton, au-quel elle a peut-tre, selon lui, donne naissance.

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 33

    un pilogue rcit par la divinit bienfaisante.

    Telle est la donne du drame ferique de Cornus. 11n'y faut chercher ni intrt ni action. Johnson a rai-son : les personnages ont un caractre tout idal, qui

    carte toute' appropriation relle de cette posie aucun temps, aucun lieu dtermin. Ils viennentl'un aprs l'autre protester, dans un langage magni-fique, contre le triomplio du vice et de la sensualitgrossire. Mais cette posie presque didactique ra-masse, chemin faisant, les fleurs les plus exquises etles plus varies*. Le sentiment de la nature, quoiquemoins personnel, moins intime que dans YAllegro etle Penseroso, la pntre de toutes parts, et sous lestraits de la nymphe Sabrina, il exalte et fortifie lalutte morale contre le mal-. Cet entassement degrandes images et de grave loquence entrane etlve le cur. Je ne dis point que l'effort ne se sente

    parfois dans cette posie d'airain que tente d'assou-plir une main habile et exerce

    ;je ne dis point que

    cette forte peinture ne fasse parfois clater son cadre

    fragile. Jonson a dit du Cornus : Les chants sontvigoureux et pleins d'images; mais ils sont rudesdans la diction, et d'une harmonie peu musicale. Entout, les figures sont trop hardies, et le langage trop

    luxuriant pour un dialogue ; c'est un drame en posiepique, inlgamment splendide, et ennuyeusement

    ' C'est une siiccossion d'odes magnifiques, comme le fait remarquer

    avec raison sir Henry Wotton, dans la lettre qu'il adressa Milton ; l'oc-

    casion (le ce pome.' iM. l'aine a eu raison ddire que les pajsaj^es de .N|ilion sont une

    cole de vertu.

  • 54 iMILTON

    instructif. Rctrancliez de ce jugement la partialitet la malveillance ; il sera bien prs de la vrit. Fal-

    lait-il, pour se conformer au got du sicle, queMilton empruntt Guarini la subtilit prcieuse duP(htor Fido, ou au Tasse mme l'aisance affecte del'Aminta, et n'a-t-il pas mieux fait, comme le dit Ma-caulay, de mettre sa noble loquence dans la bouche d'une vigoureuse fille d'Angleterre au corps souple

    etsolide, Fme simple et forte i. Prtemdre, commeon l'a fait, qu'il y a de la grce dans le Com

  • SON liiNFANCli ET SA JEUNESSE 55

    L'Angleterre n'avait pas entendu encore une voixaussi majestueuse ; mais la modestie de Milton n'a-voua qu' moiti une uvre qui l'et elle seuleplac bien haut parmi les potes anglais, si le Paradisperdu ne lui et, ct de Shakespeare, donn lepremier rang.

  • 56 MI LION

    IV

    Nous arrivons au temps o Milton va prendre pourlongtemps cong de la posie. Cette premire effu-sion d'une muse qui allait se taire dans les sombres

    heures de la guerre civile, se termine par un pomeque Johnson a jug avec une extrme svrit, et quine trouve en Angleterre mme qu'un petit nombred'admirateurs; je veux parler du Lycidas. Un condis-ciple de Milton Cambridge, Edward King, fit nau-frage sur les ctes de l'Irlande, o il allait rendrevisite son pre, sir John King, secrtaire d'tatdans ce pays. Il perdit la vie dans ce naufrage, et la

    mort de cet infortun jeune homme laissa une im-pression si douloureuse dans le public universi-taire, que Cambridge voulut honorer sa mmoireen publiant un volume de posies consacres salouange. A ct de Beaumont et d'autres potesaujourd'hui oublis, Milton ])aya son tribut au sou-venir de son ami dans un pome allgorique, oil le pleurait sous le nom du Ijerger Lycidas. Lesentiment naturel et l'amertume du regret sem-blent se noyer, il est vrai, dans cette vocationde toutes les divinibVs de la P'al^le, et la pasto-rale se prte par elle-mme faiblement l'expres-sion d'une douleur simple et touchante. Miiis

  • SON ENFANCE ET SA JEUNESSE 57

    Milton tait cet ge o rimagination, encore enve-loppe dans les langes de l'rudition classique, en

    mle les souvenirs trop prsents aux impressions lesplus sincres, et l'exemple de Virgile et d'AndrChnier pourrait suffire le justifier. Mais en admet-

    tant ces rserves sur le procd de composition duLycidas, nous trouvons singulirement exagrs lesreproches qui lui ont t adresss. Nous irons mmeplus loin, et nous dirons que nous voyons dans ce

    pome une plus grande varit de ton, et une allureplus libre que dans les prcdents. La facture po-tique y atteint une telle perfection que le langage

    semble s'y dpouiller de son enveloppe grossire, et

    rsonne nos oreilles comme un doux cho de Vir-gile et de Thocrite. Toutefois, au milieu du pome,le lecteur s'arrte tonn. Que vient faire dans cethommage rendu au jeune Lycidas par les divinitspaennes et champtres, le rude langage de l'aptrePierre tonnant contre les abus de l'glise*? Nesemble-t-il pas qu'on entende gronder tout coupdans ce ciel pur le murmure grossissant de la guerrecivile, semblable ces premiers clats du tonnerrequi viennent interrompre les danses champtresdes paysans, dans la Symphonie pastorale de Beetho-ven. L'me de Milton commenait se trouver l'troit dans ces rivages paisibles de la posie. Iltait temps qu'une distraction violente vnt mettre

    un intervalle entre les dernires rveries de son ima-

    ' l.lJ'-'ldS.

  • 58 .MILTON

    gination juvnile et les sombres tableaux que laguerre civile et religieuse allait drouler devant lui.

    La lyre de ]\li]ton se tait, comme le chant des oiseaux

    aux premires gouttes de l'orage. Le pote ne devait

    se rveiller dans toute sa force qu'aprs avoir vu

    s'crouler toutes ses esprances patriotiques, pour

    chanter les douleurs et les regrets du Paradis perdu.Jusque-l Milton n'avait vcu que par la pense

    avec la posie et l'loquence antiques. Il brlait

    d'aller visiter les terres classiques, qui taient deve-

    nues pour lui comme une seconde patrie. Tant que

    sa mre avait vcu, il avait respect les alarmes na-turelles de sa vieillesse; mais Sarah Milton mourutle 3 avril 1637. Il semblait que cette mort diit atta-

    cher Milton plus que jamais au foyer paternel,devenu dsert ; mais le second fils du vieillard,Christophe, dont la vie tait destine s'coulerdans les. sentiers battus, achevait au mf'^me momentses tudes de droit Inner-Temple, et venait d'pou-ser, vingt-deux ans, la fille d'un citoyen de Londres.

    Les jeunes poux vinrent prendre Horton la placeque le dpart de Milton laissait vide. Il n'y avait doncplus de raison pour qu'il ajournt plus longtemps cevoyage tant dsir. Le pre pourvut libralementaux dpenses. Accompagn d'un domestique et munide bonnes lettres de recommandation, Milton ditadieu aux solitudes d'Horton, au moment oi^ile prin-temps leur rendait leur parure verdoyante. Il avaitalors trente et un ans.

    Il fallait traverser la France [)Our se rendre en

  • SON ENFANCE ET SA JECNKSSK 59

    Italie, et nous aimerions savoir quelle impression

    laissa dans l'esprit du jeune homme la vue du rgneexpirant de Richelieu, oli l'odieux le disputait la

    xrandeur. Il arriva Paris au moment o Tattentede la naissance d'un dauphin rendait aux peuplesopprims une lueur d'esprance, et o se levait l'au-rore de ce grand sicle littraire dont Milton fut lecontemporain. Descartes venait de publier le Discours

    (le la Mthode, et Corneille , de faire reprsenter le

    Cid; mais ces deux grandes dates de notre histoire

    intellectuelle n'avaient point encore rvl leur im-mense porte. L'auteur futur du Paradis perdu taitfait pour comprendre Corneille qu'il rencontra peut-tre : il entendit du moins, dans les salons qui luifurent ouverts, l'cho des controverses ardentes que

    venait de soulever le jugement port sur le Cid parl'Acadmie franaise fonde depuis trois ans. Ilvit