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t. sy *

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(A

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C*. Eisen invcnU .Ve la.fosse sctilpsit.

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LES

BEAUX ARTSREDUITS

A

UN MÊME PRINCIPE-£x noto fîcium fequar.

Hor. Ait. Poe'c.

A PARIS,Chez DURAND , Libraire , rue S. Jacques ,

à S. Landry & au Griffon.

M. DCC. XL VI.

Avec Approbation & frivilége du Roi*

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MONSEIGNEURLE DAUPHI

-=gl

ONSEIGNEUR,

C* E S Tfous les dufpices des

beaux Arts que cet Ouvrage afc

aij

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paroître devant vous. Cette recom*

mandation nepeut êfre indifférente

auprès des Grands Princes,qui

doivent aux Arts les premières le-

çons de vertu , le goût de la vraie

gloire , ejr fefpérance de vivre dans

la Pcflérité. Ce qui redouble ma.

confiance, MONSEIGNEUR,c'ejl que l'Ouvrage , en lui-même

,

co ititnt des principes que vous

aïmez, par préférence. Tout s'y ré-

duit au goût du vrai , dujtmple >

au goût de la Nature parée de/es

grâces, fans la moindre ajfcla-

tion. Ce goût qui contient le ger-

me de toutes les vertus , vousJii

ami des Arts , des que vous pâles

les connoure. Vous les avez, culti-

vés avec le plusgrandfut ces ,@*

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-vous continuez, de les regarder

toujours avec une honte,quiprou*

<ve que Camour que vous avez,pour

eux, cfidans votre caractère, Ainfi^

MONSEIGNEUR , tandis

quun Père augufie va fe couvrir

dune nouvelle gloire > pour forcer

l'Europe a recevoir la paix ; vous

vous faites un plaifir ci animer

tous les Arts a célébrer fes ex?

ploits , & à les retracer dans des

monumens durables. BieK-lot, fi

pour fat isfaire votre ardeur hé-

roïque , il vous cft libre de le fui-

vrc au milieu de fes victoires,

vous irez, profiter encore de fes

grands exemples ; ejr faire voir

aux Nations,que vous êtes- digne

Fils d'un Rot, quifcait en même-

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tems 'vaincre fes Ennemis x & fi-

faire adorer defes Sujets*

Je fuis avec le plus profond

refpecl,

ONSEIGNEUR

Votre très-humble 6c très-

obéiiTant ferviteur j**

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AVANT-PROPOS.

\J N fe plaint tous les jours de

la multitude des régies : elles em-

baranent également Se l'Auteur

qui veut compofer,& l'Amateur

qui veut juger. Je n'ai gard.e de

vouloir ici en augmenter le nom-

bre. J'ai un deflein tout différent :

c'eft de rendre le fardeau plus lé-

ger , &: la route fimple.

Les Régies fe font multipliées

par les obfervations faites fur les

Ouvrages ; elles doivent fe Am-plifier , en ramenant ces mêmesobfervations à des principes com-

muns. Imitons les vrais Phyli-

ciens,qui amaûent des expétien-

* a

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îj Avant-propos.ces , &: fondent enfuite fur elles

un fyftême, qui les réduit en prin-

cipe.

Nous fommes très -riches en

obfervations : c'eft un fonds qui

s'eft grofli de jour en jour depuis

la naiflance des Arts jufqu'à nous.

Mais ce fonds li riche , nous gêne

plus qu'il ne nous fert. On lit5on

étudie , on veut fçavoir : tout s'é-

chappe ; parce qu'il y a un nombre

infini de parties,qui , n'étant nul-

lement liées entr'elles , ne font

qu'une mafle informe , au lieu de

faire un corps régulier.

Toutes les Régies font des bran-

ches qui tiennent à une mêmetige. Si on remontoir jufqu'à leur

fource , on y trouveroit un prin-

cipe allez fimple,pour être faifi fur

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A V ANT-VRO PO s. iij

Je champ , & afTez étendu,pour

abforber toutes ces petites régies

de détail,qu'il fuflk de connoitre

par le fentiment , & dont la théo-

rie ne fait que gêner l'effrit , (ans

l'éclairer. Ce principe fixerait

tout d'un coup les vrais génies , Se

les affranchirait de mille vains

fcrupules,pour ne les foumettre

qu'à une feule loi fouveraine,qui,

une fois bien comprifè , ferait la

bafe , le précis &: l'explication de

toutes les autres.

Je ferois fort heureux , fi ce

defTein fe trouvoit feulement

ébauché dans ce petit Ouvrage,

que je n'ai entrepris d'abord que

pour éclaircir mes propres idées.

Ceft la Poëfie qui l'a fait naître.

J'avois étudié les Poètes com-aii

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îv Avant-propos.me on les étudie ordinairement

,

dans les éditions où ils font ac-

compagnés de remarques. Je mecroyois affez inftruit dans cette

partie des belles Lettres,pour

paner bientôt à d'autres matières.

Cependant avant que de changer

d'objet ; je crûs devoir mettre en

ordre les connoiflances que j'avois

acquifes , & me rendre compte à

moi-même.

Et pour commencer par une

idée claire & diftin&e, je me de-

mandai, ce que c'efl: que la Poëfie,

&: en quoi elle diffère de la Profe ?

Je croyois la réponfe aifée : il

eft fi facile de fentir cette diffé-

rence : mais ce n'étoit point afTez,

de fentir,je voulois une défini-

nition exa&e.

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Vque

Avant -propos.

Je reconnus bien alors

quand j 'avois jugé des Auteurs,

c'étoit une forte d'inftintt qui

m'avoit guidé,plutôt que la raifon:

je fentis les rifques que javois

courus , &: les erreurs où je pou-

vois être tombé,faute d'avoir réuni

la lumière de l'efprit avec le fen-

timent.

Je me faifois d'autant plus de

reproches, que je m'imaginois que

cette lumière & ces principes dé-

voient être dans tous les ouvrages

où il eft parlé de Poétique ; &que c etoit par diltraclion

,que je

ne les avois pas mille fois remar-

qués. Je retourne fur mes pas :

j'ouvre le livre de M. Rollin :

je trouve , a l'article de la Poëfie

,

un difcours fort fenfé fur fon

aiij

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vj Avant-propos.origine ôc fur fa deftination

,qui

doit être toute au profit de la

Vertu. On y cite les beaux en-

droits d'Homère : on y donne la

plus jufte idée de la fublime Poë-

fîe des Livres faints : mais c'étoit

une définition que je demandois.

Recourons aux Daciers , aux

le Bofïus , aux d'Aubignacs : con-

fultons de nouveau les Remar-

ques , les Réflexions , les Differ-

tations des célèbres Ecrivains :

mais partout on ne trouve que

des idées femblables aux répon-

fes des Oracles : obfcuris vera

involvcns. On parle de feu divin

,

d'enthoufïafme , de tranfports,

d'heureux délires , tous grands

mots, qui étonnent l'oreille & ne

difent rien à l'efprit.

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ÀV ANT-PROPOS, Vij

Après tant de recherches inu-

tiles , &c n'ofant entrer feul dans

une matière qui , vue de près,pa-

roiflbit fi obfcure ; je m'avifai

d'ouvrir Ariftote dont j'avois ouï

vanter la Poétique. Je croyois

qu'il avoit été confulté 6c copié

par tous les Maîtres de l'Art : plu-

fleurs ne l'avoient pas même lu, &:

prefque perfonne n'en avoit rien

tiré : à l'exception de quelques

Commentateurs , lefquels n'ayant

fait de fyftême,qu'autant qu'il en

falloit,pour éclaircir à peu près

le texte , ne me donnèrent que des

commehcemens d'idées ; & ces

idées étoient fi fombres , fi enve-

loppées , fi obfcures,que je défef-

pérai prefque de trouver en aucun

endroit , la réponfe précife à la

aiv

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VÎij AVANT-PROÏ>OS.queftion que je m'étois propofée

,

& qui m'avoit d'abord paru fi fa-

cile à réfoudre.

Cependant le principe de l'i-

mitation, que lePhilofopheGrec

établit pour les beaux Arts , m'a-

voit frappé. J'en avois fenti la

juftelfe pour la Peinture,qui eft

une Poëfîe muette. J'en rappro-

chai les idées d'Horace , de Boi-

leau , de quelques autres grands

Maîtres. J'y joignis plufieurs traits

échappés à d'autres Auteurs fur

cette matière ; la maxime d'Ho-

race fe trouva vérifiée par l'exa-

men:/^/ Piffura Poefis. Il fe trouva

que la Poëfîe étoit en tout une

imitation , de même que la Pein-

ture. J'allai plus loin : j'effayai

d'appliquer le même principe à

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Avant-propos. ïtf

la Mufique Se à l'Arc du Gefte ,&je fus étonné de la juitefTè avec

laquelle il leur convenoit. C'eft

ce qui a produit ce petit Ou-

vrage , où on fent bien que la

Poefie doit tenir le principal

rang ; tant à caufe de fa dignité

,

que parce qu'elle en a été l'oc-

cafion.

Il eft divifé en trois parties.

Dans la première , on examine

quelle peut être la nature des

Arts,quelles en font les parties

&: les différences elTentielles ; &on montre par la qualité mêmede l'efprit humain

,que l'imita-

tion de la Nature doit être leur ob-

jet commun ; &: qu'ils ne différent

entr'eux que par le moyen qu'ils

employent,pour exécuter cette

Page 24: gri 000033125008530772

x Avant-propos.imitation. Lesmovens de la Pein-

ture , de la Mufique , de la Danfe

font les couleurs , les fons , les

geftes ; celui de la Poëfie eft le

difcours. De forte qu'on voit d'un

côté , la liaifon intime &: l'efpèce

de fraternité qui unit tous les

Arts5 ( a ) tous enfans de la Na-

ture , fe propofant le même but

,

fe réglant par les mêmes prin-

cipes : de l'autre côté , leurs dif-

férences particulières , ce qui les

féparé &: les diftingue entr'eux.

Après avoir établi la nature

des Arts par celle du Génie de

l'Homme qui les a produits ; il

(a) Etenim omnes

Artes qtu ad humani-tatem pertinent , hâ-

tent qttoddam com-

mune vincttlnm, &

quafi cognettione qnâ~

dam inter fe continen-

tur. Cic. pro Archia,

Poëca.

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Avant-propos, xj

étoit naturel de penfèr aux preu-

ves qu'on pouvoit cirer du fenti-

ment ,. d'autant plus,que c'eft le

Goût qui eît le juge-né de tous

les beaux Arts , &: que la Raifon

même n'établit Tes régies,que

par rapport à lui 6c pour lui plaire ;

&: s'il fe trouvoit que le Goût

fût d'accord avec le Génie , &qu'il concourût à prefcrire les mê-

mes régies pour tous les Arts en

général & pour chacun d'eux

en particulier ; c'étoit un nou-

veau degré de certitude & d'évi-

dence ajouté aux premières preu-

ves. C'eft ce qui a fait la matière

d'une féconde Partie , où on prou-

ve,que le bon Goût dans les Arts

effc abfolument conforme aux

idées établies dans la première

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xij Avant-propos.Partie ; &: que les régies du Goût

ne font que des conféquences du

principe de l'imitation : car fi les

Arts font efTentiellement imita-

teurs de la belle Nature ; il s'en-

fuit que le Goût de la belle Na-

ture doit être efTentiellement le

bon goût dans les Arts. Cette

conféquence fe développe dans

plufieurs articles,où on tâche d'ex-

pofer ce que c'eft que le Goût,

de quoi il dépend , comment il fè

perdj&c. 6c tous ces articles fe

tournent toujours en preuve du

principe général de l'imitation,

qui embrarTe tout. Ces deux Par-

ties contiennent les preuves de

raifonnement.

Nous en avons ajouté une troi-

fiéme,qui renferme celles qui fe

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Avant-propos, xiij

tirent de l'exemple &: de la con-

duite même des Artiftes ; c'eft la

Théorie vérifiée par la Pratique.

Le Principe général eft appliqué

aux efpèces particulières , 6c la

plupart des régies connues font

rappellées à l'imitation , & for-

ment une forte de chaîne,par

laquelle Fefprit faifit à la fois

les conféquences & le principe,

comme un tour parfaitement lié,

& dont toutes les parties fe fou-

tiennent mutuellement.

C'eft ainfi qu'en cherchant une

feule définition de la Poéfie , cet

Ouvrage s'eft formé prefque fans

deflein , & par une progreffion

d'idées , dont la première a été le

germe de toutes les autres.

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TABLEDES CHAPITRES.

Première Partie.

Ou l'on e'tablit la nature desArts pajï celle du Ge^nie

qui les produit.

CHap. I. Divijîon & Origine des

Arts , pag. v.

Chat. II. Le Génie napu produire les

Arts que par l'imitation : ce que ccjl

au imiter , X.

Chap. III- Le Génie ne doit point imi-

ter la Nature telle quelle e(l , xxij.

Chap. IV. Dans quel état doit être le

Génie pour imiter la belle Nature s

xxx.

Chap. V. De la manière dont les slrts

font leur imitation , xxxvij.

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DES CHAPITRES.Ch ap. VI. En quoi l'Eloquence& l'Ar-

chiteclure différent des antres Arts ,

\1.

Seconde Partie.

Ou on Etablit le Principe del'Imitation par la nature et

PAR LES LOIX DU GoUT*

Chap. I. Ce que ceft que le Goût. liij.

Chap. II. L'objet du Goût ne peut être

que la Nature. Preuves de Rai/bnne-

ment , lx.

Chap. III. Preuves tirées de l'Htjloire

même du Goût

,

Ixvj.

Chap. IV. Les loix du Goût n'ont pour

objet que l'Imitation de la belle Na-ture , lxxvj.

I. Loi générale du Goût: J£u 'ils imitent

la belle Nature , Ixxvij.

Chap. V. II. Loi générale du Goût.

£>ue la belle Nature foit bien imitée y

lxxxviij.

Chap. VI. Jëhtily a des relier particu-

lières pour chaque Ouvrage , ef- que le

Goût ne les trouve que dans la Na-ture , lxxxxvij.

'

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TABLEChap. VIL I. Confluence. jQjfil nj

a quun bon Goût en général , & quil

peut y en avoir plufieurs en parti-

culier ,cij.

Chap. VUI. IL Conféquence. Les Arts

étant imitateurs de la Nature , ceft

par la comparaifon qu'on doit juger des

Arts. Deux manières de comparer^ix

Chap. IX. III. Conféquence. Le Goût

de la Nature étant le même que celui

des Arts , il n'y a quunfeul Goût qui

s étend à tout , & mêmefur les mœurs y

cxvij.

Chap. X.IV. & dernière Conféquence.

Combien il efl important de former le

Geût de bonne heure , & comment on

devroit leformer ,cxxij.

Troisième Partie.

ou le principe de limitation

EST VERIFIE^ PAR SON APPLICA-

TION AUX DIFFERENS ArTS.

Section

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DES CHAPITRES.

Section Première.

±*Art Poétique est renferme*dans l'Imitation de la belleNaturel, cxxxiv

CHap. I. Ou on réfute les opinions

contraires au prinicipe de l'Imi-

tation y CXXXIV.

'Chap. II. Les Divifions de la Pcefie (i

trouvent dans l Imitation , cx!v.

Chap. III. lès Règles générales de la

Po'èfie des chofes font renfermées dans

l'imitation , cxlvii}.

Chap. III. Les règles de la Pocfe ,4:t

flyle font renfermées dans l'imitation

de la belle Nature, clxvji

Chap. IV. L'Epopée a tomes fesreqles

dans l Imitation , CXciL

Chap. V. Sur la Tr^ioédie^ ccx.

Chai>, VI, Sur la Comédie , ccxv'ïj^

Chap. VII. Sur la Paflorale , ccxxiv->

Chap. VII L. Sur tApologue , ccxxviij,

Ckap. IX. Sur la Po'éfie Ijriquei ccx&y.w«,

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TABLE DES CHAPITRES.

Section Seconde.

Sr/R LA Pe/XTURE. Cxlvîj,

Section Troisième.

Sur la Musique et sur la -Danse.ccl

Chap î On doit connaître la nature de

lu Atufique & de la Danfe ,par celle

des Tons & des Gefles , ccliij.

Ch àp. II. Toute Muficjuè& toute Dan-

fe doit avoir unefortification , unfens y

cclx.

Chap. III. D:s qualités que doivent

avoir Us exprejjî ns de la Mufiqûe, &celles de la Danfe. cclxx.

Chap. IV. Sur l'Vnion des beaux Arts y

ccxcij.

Fin de la Table des Chapitres.

LES

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L^

Il

LES BEAUX ARTSREDUITS

A UN PRINCIPE.imma—

,

unie——

m• "—^»—^— '

I I ! I II —

*

WIII I III I 1.^

Première Partie.

Où' z'ûN ETABLIT LA NATURE DESArts par celle du Ge^nie

qui LES PRODUIT*

jL régne peu d'ordre dans la

^v; manière de traiter les beauxArts. Jugeons-en par la Poëfie, On

.* A

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2 I eaix Artscroit er onner des idées juftes endifani .» elle embrafïe tous les Arts :

c'eft , it-on , un compofé de Pein-

ture , de Muiique & d'Eloquence.

Comme l'Eloquence , elle parle :

elle prouve : elle raconte. Commela Mufique , elle a une marche ré-

glée , des tons , des cadences dontle mélange forme une forte de con-

cert. Comme la Peinture , elle def-

fine les objets : elle y répand les

couleurs : elle y fond toutes les

nuances de la Nature : en un mot

,

elle fait ufage des couleurs & du pin-

ceau : elle emploie la mélodie & les

accords : elle montre la vérité } Se

fait la faire aimer.

La Poëfie embraffe toutes fortes

de matières : elle fe charge de ce

qu'il y a de plus brillant dans l'Hif-

toire : elle entre dans les champs de

la Philofophie : elle s'élance dans

les deux, pour y admirer la marche

des Aftres ; elle s'enfonce dans les

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REDUITS A UN PRINCIPE. ^

àbymes ,pour y examiner les fecrets

de la Nature : elle pénètre jufque

chez les morts ,pour y voir les ré-

compenfes des jultes & les fupplices

des impies : elle comprend tout l'U-

nivers. Si ce monde neluifuffit pas,

elle crée des mondes nouveaux ,

qu'elle embellit de demeures en-

chantées ,qu'elle peuple de mille

habitans divers. Là , elle compofe

les êtres à fon gré : elle n'enfante

rien que de parfait : elle enchérit

fur toutes les productions de la Na-

ture : c'eft une efpece de magie :

elle fait illufion aux yeux, à l'imagi-

nation , à Tefprit même , & vient à

bout de procurer aux hommes , des

plaifirs réels , par des inventions chi-

mériques. C'eft ainfi que la plupart

des Auteurs ont parlé de la Poëfie.

Ils ont parlé à peu près de mêmedes autres Arts. Pleins du mérite de

ceux auxquels ils s'étoient livrés

,

ils nous en ont donné des deferip--

Aij

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4 Les bea ux Artstions pompeufes

,pour une feule

définition précife qu'on leur deman-

doit ; ou s'ils ont entrepris de nous

les définir . comme la nature en cil

d'elle-même très-compliquée , ils

ont pris quelquefois l'accelfoire pour

leffentiel , & l'effentiel pour l'ac-

cefîbire. Quelquefois même entraî-

nés par un certain intérêt d'Auteur,

ils ont profité de l'obfcurité de la

matière , & nous ont donné des

idées , formées fur le modèle de

leurs propres ouvrages.

Nous ne nous arrêterons point ici

à réfuter les différentes opinions ,

qu'il y a fur l'effence des Arts , &fur-tout de la Poefie : nous com-

mencerons par établir notre princi-

pe , & s'il eft une fois bien prouvé ,

les preuves qui l'auront établi , de-

viendront la réfutation des autres

fentimens.

fë&âè&â

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REDUITS A UN PRINCIPE. f

CHAPITRE I.

Divifion ejr Origine des Arts.

J L n'efl: pas nécefTaire de commen-cer ici par l'éloge des Arts en gé-

néral. Leurs bienfaits s'annoncent

allez d'eux-mêmes : tout l'Univers

en eft rempli. Ce font eux qui ont

bâti les villes,

qui ont rallié les

hommes difperfés,qui les ont polis

,

adoucis, rendus capables de fociété.

Deflinés les uns à nous fervir , les

autres à nous charmer,quelques-

uns à faire l'un & l'autre cnfcmble

,

ils font devenus en quelque forte

pour nous un fécond ordre d'élé-

mens, dont la Nature avoit réfervé

la création à notre induftrie.

On peut les diviier en trois es-

pèces par rapport aux fins qu'ils fe

proposent.

A iij

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6 Les beaux ArtsLes uns ont pour objet les bcfoïns

de l'homme , que la Nature femble

abandonner à lui-même dès qu'une

fois il eft né : expofé au froid , à la

faim, à mille maux , elle a voulu

que les remèdes & les préfervatifs

qui lui font néceflaires , fufîent le

prix de fon induftrie & de fon tra-

vail. C'eft: de-là que font fortis les

Arts mécaniques.

Les autres ont pour objet le plai-

fir. Ceux-ci n'ont pu naître que dans

le fein de la joie & des fentimens que

produifent l'abondance & la tran-

quillité : on les appelle les beaux Arts

par excellence. Tels font la Mufique

,

la Poëfie, la Peinture, la Sculpture,

& l'Art du gefte ou la Danfe.

La troifiéme efpéce contient les

Arts qui ont pour objet l'utilité &l'agrément tout à la fois : tels font

l'Eloquence & l'Architeclure : c'cfl

le befoin qui les a fait éclore , & le

goût qui les a perfectionnés : ils

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REDUITS A UN PRINCIPE. ?tiennent une forte de milieu entre les

deux autres efpéces : ils en partagent

l'agrément & l'utilité.

Les Arts de la première efpéce

employcnt la Nature telle qu'elle efr,

uniquement pour l'ufage. Ceux de

la troiiiémc , l'employent en la po-

liiTant,pour l'ufage & pour l'agré-

ment. Les beaux Arts ne l'employait

point , ils ne font que l'imiter chacun

à leur manière ; ce qui a befoin d'ê-

tre expliqué , Se qui le fera dans le

Chapitre fuivant. Ainfi la Nature feu-

le eft l'objet de tous les Arts. Elle

contient tous nos befoins & tous

nos plaifirs ; & les Arts mécaniques

6c libéraux ne font faits que pourles en tirer.

Nous ne parlerons ici que des

beaux Arts , c'eft-à-dire , de ceux

dont le premier objet cfl: de plaire;

Se pour les mieux connoître remon-tons à la caufe qui les a produits.

Ce font les hommes qui ont fait

Aiv

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8 Les beaux Arts;les Arts ; & c'efl pour eux-mêmes

qu'ils les ont faits. Ennuyés d'une

jouiflance trop uniforme des objets

que leur offroit la Nature toute fim-

plc , & fe trouvant d'ailleurs dans une

fituation propre à recevoir le plai-

fir ; ils curent recours à leur génie

pour fe procurer un nouvel ordre

d'idées & de fentimens qui réveillât

leur efprit & ranimât leur goût. Mais

que pouvoit faire ce génie borne

dans fa fécondité & dans fes vues

,

qu'il ne pouvoit porter plus loin que

la Nature ? & ayant d'un autre côté

à travailler pour des hommes dont

les facultés étoient reiïerrées dan.1;

les mêmes bornes ? Tous (es efforts

durent néceilairement fe réduire à

faire un choix des plus belles par-

ties de la Nature pour en former un

tout exquis,qui fut plus parfait que

la Nature elle-même , fans cependant

ceffer d'être naturel. Voilà le prirH

cipe fur lequel a dû néceffaircmenv

Page 41: gri 000033125008530772

déduits a un Principe: pTe dreiïer le plan fondamental des

Arts , & que les grands Artiftes ont

fuivi dans tous les fiécles. D'où je

conclus.

Premièrement,que le Génie ,

qui

eft le père des Arts , doit imiter la

Nature. Secondement ,qu'il ne doit

point l'imiter telle qu'elle eft. Troi-

sièmement,que le Goût pour qui les

Arts font faits & qui en eft le Juge,

doit être fatisfait quand la Nature

eft bien choiiie & bien imitée par

les Arts. Ainfï, toutes nos preuves

doivent tendre à établir l'imitation

de la belle Nature, i °. Par la nature

& la conduite du Génie qui les pro-

duit. 2°. Par celle du Goût qui en

eft l'arbitre. C'eftla matière des deux

premières Parties. Nous en ajoute-

rons une troifiéme, où fe fera l'ap-

plication du principe aux différentes

efpéces d'Arts , k la Poëfie , à la

Peinture j à la Mufique & à la Danfe.

Page 42: gri 000033125008530772

io Les beaux Arts

CHAPITRE IL

Z<? G//z/<? na pu produire les Arts

que par £imitation : ce que cefi

qu imiter.

J.^'E sprit humain ne peut créer

qu'improprement : toutes fes pro-

ductions portent l'empreinte d'un

modèle. Les monftrcs mêmes, qu'u-

ne imagination déréglée fe figure

dans fes délires , ne peuvent être

compofés que de parties prifes dans-

la Nature. Et fi le Génie ,par caprice,

fait de ces parties un affemblage con-

traire aux loix naturelles , en dégra-

dant la Nature , il le dégrade lui-mê-

me , & fe change en une efpéce de

folie. Les limites font marquées, dès

qu'on les pane on fe perd. On fait unchaos plutôt qu'un monde,& on cau-

fe de l'horreur plutôt que du plaifir.

Page 43: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PrTN^IPE. I !'

Le Génie qui travaille pour plaire,

ne doit donc , ni ne peut fortir des

bornes de la Nature même. Sa fon-

ction confîfte, non à imaginer ce qui

ne peut être , mais à trouver ce qui

eft. Inventer dans les Arts , n'eft point

donner l'être à un objet , c'eft le re-

connoître où il eft, & comme il eft. Etles hommes de génie qui creufent le

plus , ne découvrent que ce qui exi-

floit auparavant. Ils ne font créateurs

que pour avoir obfervé , & récipro-

quement, ils ne font obfervateurs que

pour être en état de créer. Les moin-

dres objets les appellent. Ils s'y li-

vrent : parce qu'ils en remportent

toujours de nouvelles connoiflances

qui étendent le fonds de leur efpiït,

& en préparent la fécondité. Le Gé-nie eft comme la terre qui ne produit

rien qu'elle n'en ait reçu la femence.

Cette comparaifon bien loin d'ap-

pauvrir les Artiftes , ne fert qu'à leur

faire connoître la fource & l'étendue

Page 44: gri 000033125008530772

Ï2 Les beaux Artsde leurs véritables richcfles

, qui , par-

là, fontimmenfes; puifque toutes les

connoiiTances que l'efprit peut ac-

quérir dans la nature,devenant le ger-

me de Ces productions dans les Arts,

le Génie n'a d'autres bornes, du côte

de Ton objet,que celles de l'Univers.

Le Génie doit donc avoir un ap-

pui pour s'élever & fe foutenir , &cet appui cft la Nature. 11 ne peut la

créer , il ne doit point la détruire; il

ne peut donc que la fuivre & l'imi-

ter , & par conséquent tout ce qu'il

produit ne peut être qu'imitation.

Imiter , c'eil copier un modèle. Ceterme contient deux idées. i°. le

Prototype qui porte les traits qu'on

veut imiter. 2°. la Copie qui les ré-

prefente. La Nature , c'ell-à-dire tout

ce qui cft , ou que nous concevons

aifément comme poŒble , voilà le

prototype ou le modèle des Arts. 11

faut , comme nous venons de le dire,

que l'induftrieux imitateur ait tou-

Page 45: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 13jours les yeux attachés fur elle, qu

J

il

la contemple fans celle : Pourquoi?

C'ell qu'elle renferme tous les plans

des ouvrages réguliers, &les defleins

de tous les ornemens qui peuvent

nous plaire. Les Arts ne créent point

leurs régies : elles font indépendan-

tes de leur caprice , & invariablement

tracées dans l'exemple de la Nature.

Quelle eft donc la fonction des

Arts ? C'eft de tranfporter les traits

qui font dans la Nature , & de les

préfenter dans des objets à qui ils ne

font point naturels. C'eft ainfi que

le cifeau du Statuaire montre un hé-

ros dans un bloc de marbre. Le Pein-

tre par fes couleurs , fait fortir de la

toile tous les objets vifibles. Le Mufi-cien par des fons artificiels fait gron-

der l'orage , tandis que tout cil cal-

me ; & le Poète enfin par fon inven-

tion & par l'harmonie de (es vers

,

remplit notre efprit d'images feintes

& notre coeur de fentimens factices,

Page 46: gri 000033125008530772

14 Les beaux Artsfouvent plus charmans que s'ils

étoient vrais & naturels. D'où je

conclus, que les Arts, dans ce qui

eft proprement Art , ne font que des

imitations, des reiTemblances qui ne

font point la Nature , mais qui pa-

roiffent l'être ; & qu'ainfi la matière

des beaux Arts n'eft point le vrai

,

mais feulement le vrai - femblable.

Cette conféquence eft allez impor-

tante pour être développée & prou-

vée fur le champ par l'application.

Qu'eit-ce que la Peinture ? Uneimitation des objets vifibles. Elle n'a

rien de réel , rien de vrai , tout eft

phantôme chez elle, & fa perfection

ne dépend que de fa reffemblance

avec la réalité.

La Mufique & la Danfe peuvent

bien régler les tons & les geftes de

l'Orateur en chaire , & du Citoyen

qui raconte dans la converfation ;

mais ce n'eft point encore là, qu'on

les appelle des Arts proprement*

Page 47: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. l£

Elles peuvent auifis'égarerj'une dans

des caprices , où les fons s'entrecho-

quent fans deilein ; l'autre dans des

fecouifes Se des fauts de fantaific :

mais ni Tune ni l'autre , elles ne font

plus alors dans leurs bornes légiti-

mes. Il faut donc pour qu'elles foient

ce qu'elles doivent être, qu'elles re-

viennent à l'imitation : qu'elles foient

le portrait artificiel des pâmons hu-

maines. Et c'eft alors qu'on les re-

connoît avec plaifir, & qu'elles nous

donnent l'efpéce & le degré de fen-

timent qui nous fatisfait.

Enfin la Poefie ne vit que de fî-

clion. Chez elle le Loup porte les

traits de l'homme puiiTant & injufle ;

l'Agneau , ceux de l'innocence op-

primée. L/Eglogue nous offre des

Bergers poétiques qui ne font quedes reffemblances , des images. LaComédie fait le portrait d'un Har-pagon idéal

,qui n'a que par emprunt

les traits d'une avarice réelle.

Page 48: gri 000033125008530772

;i6 Les beaux ArtsLa Tragédie n'eftPoëfie que dans

ee qu'elle feint par imitation. Gciar.

a eu un démêlé avec Pompée , ce

n'eft point poëiîe , c'eft hiftoire. Mais

qu'on invente des difcours , des mo-tifs , des intrigues , le tout d'après

les idées que donne lTîiftoire des

caractères & de la fortune de Céfar

•Se de Pompée ; voilà ce qu'on nom-me Poéfie

,parce que cela feul cil

l'ouvrage du Génie & de l'Art.

L'Epopée enfin n'eft qu'un récit

d'actions poffibles, préfentées avec

tous les caractères de l'exiflence. Ju-

non & Enée n'ont jamais ni dit , ni

fait ce que Virgile leur attribue ;

mais ils ont pu le faire ou le dire

,

c'eft allez pour la Poëfie. C'eft unmenfonge perpétuel, qui a tous les

caractères de la vérité.

Ainfi , tous les Arts dans tout ce

qu'ils ont de vraiment artificiel, ne

font que des chofes imaginaires , des

êtres feints , copiés & imités d'après

les

Page 49: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 17les véritables. C'en: pour cela qu'on

met fans cefïe l'Art en oppofition

avec la Nature : qu'on n'entend par-

tout que ce cri , que c'eft la Nature

qu'il faut imiter : que l'Art eft par-

fait quand il la repréfente parfaite-

ment : enfin que les ehefs-d'oeuvres

de l'Art , font ceux qui imitent fi

bien la Nature , qu'on les prend pour

la Nature elle-même.

Et cette imitation pour laquelle

nous avons tous une difpofition fi

naturelle,puifque c'eit l'exemple qui

inftruit & qui régie le genre-humain,

vivimus dâ exempta , cette imita-

tion , dis-je , eft une des principales

fources du plaifir que caufent les

Arts. L'efprit s'exerce dans la compa-raifon du modèle avec le portrait ; &le jugement qu'il en porte , fait fur

luiuneimpreffiond'autant plus agréa-

ble, qu'elle lui eft un témoignage de

fa pénétration & de fon intelligence.

Cette do&rine n/eft point nou-

Page 50: gri 000033125008530772

ïS Les «eau.x Artsvcile. On la trouve par -tout chez

les anciens. Anftote commence fa

Poétique parce principe : que la Mu-fique , la Danfe , la PoéTie , la Pein-

ture, font des Arts imitateurs. (*)

C'eft-là que fe rapportent toures les

régies de fa Poétique. Selon Platon

pour être Pbëte il ne fuffit pas de

raconter , il faut feindre & créer l'a-

ction qu'on raconte. (£) Et dans fa

( a } IJteczd Tiiyjj*»-

i r ' i

yoaJJK cvJ".' ftlfCHtritS TffutoXiv. Poei.ccp. I.

M. Remond de S.

Mard qui a beaucoup

réfléchi fiir l'eflèncc de-

là Poéfie } & qui n'é-

crivant que pour les

plus délicats n'a dû

prendre que-la fleur de

l'on fujet , dit formel-

lement dans une de fes

Notes que les beaux

Arts ne confîftent que

dans l'imitation. Voici

Tes termes : On n'y

fbngc pa-s aiïsz , la

Poé'iîc y la Mufique

,

la Peinture , font trois

Arts confacrés au plai-

nt , tous trois fait?

pour imiter la nature ,

tous trois deftinés à

imiter les mouvemeusde Pâme : les tirer de

là j c'eft les déshono-

rer , c'eft: les montrer

par leur endroit foi-

ble.

(b ) Eum-ffus 'on tc9

mi t?,v t toi îtvnp f/.i>\tt

vrtu.T', 1; uiat , mm* t u-

Qov;x>,\ 'u X«2?of' -Dit*'

log. FbA-fou.M. de FontcncHc a

exprimé la même pen-

Page 51: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE ip

République , il condamne la Poëfie ;

parce qu'étant eilcntiellement une

imitation , les objets qu'elle imite

peuvent intéreiTer les mœurs.

Horace a le même principe dans

fon Art poétique :

Si fauteris eges au!»a manentis ....

JEtatis cujufqtte noiandi [mit tibi mores,

Mobilibufque décor maturrs dandus & annis.

Pourquoi obfervèr les moeurs , les

étudier ? N'eil-ce pas à deflein de les

copier?

Refpicere excmplar morum vit&que jnbebo

Docium imitarorem , & vivas htnc ducere

voces.

Vivas voces ducere , c'efl: ce que

fée que Platon dans fa I

lettre aux Auteurs du

Jouru. des Sçavans,

Tom. y. de la dernière

édition : Un grand

te, qui crée. La vraie

Poète , dit-il , fi onentend par ce mot ce

que l'on doit , eft ce-

lui qui fait ,qui inveu

Poëfie d'une pièce de

théâtre , c'eft toute fa

constitution inventée

& créée & Po-

lieuctc ou Cinna en

profe ferpient encore

d'admirables produc-

tions d'un Poète.

Bij

Page 52: gri 000033125008530772

20 Les beaux Artsnous appelions peindre d'après na-

ture. Et tout n'efl-il pas dit dans ce

feul mot : ex noto fiètumcarmen ft-

quar. Je feindrai , j'imaginerai d'a-

près ce qui eft connu des hommes.

On y fera trompé , on croira voir la

nature elle-même , & qu'il n'efl rien

de fi aifé que de la peindre de cette

forte : mais ce fera une fiction , unouvrage de génie , au-deiïus des for-

ces de tout efprit médiocre,juckt

multùm fruflràque laboret.

Les termes mêmes dont les An-

ciens *fe font fervis en parlant de

Poëfie,prouvent qu'ils la regardoient

comme une imitation : les Grecs di-

foient TroiHiv & fxifxoiv- Les Latins tra-

duifoient le premier terme parfacere->

les bons Auteurs difent jacere Poe-

ma, c'efl-à-dire , forger, fabriquer,

créer:& le fécond ils l'ont rendu , tan-

tôt parfiagere, & tantôt par imitari,

qui lignifie autant une imitation ar-

tificielle , telle qu'elle eft dans les

Page 53: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 21

Arts, qu'une imitation réelle & mo-

rale , telle qu'elle efl: dans la fociété.

Mais comme la lignification de ces

mots a été dans la fuite des tems

étendue , détournée , reiTerrée ; elle

a donné lieu à des méprifes , & ré-

pandu de robfcurité fur des princi-

pes qui étoient clairs par eux-mêmes,

dans les premiers Auteurs qui les ont

établis. On a entendu par iitiion-,

les fables qui font intervenir le mi-

niilere des Dieux , & les font agir

dans une aftion ; parce que cette

partie de la fidion efl: la plus noble.

Par imitation , on a entendu nonune copie artificielle de la Nature

,

qui confifle précifément à la répré-

iënter , à la contrefaire , vttovlpivuv:

mais toutes fortes d'imitations en

général. De forte que ces termes

,

n'ayant plus la même lignification

qu'autrefois , ont ceffé d'être pro-

pres à caraftérifer la Poëfie , & ont

rendu le langage des anciens inin-

Biij

Page 54: gri 000033125008530772

22 Les beaux Artstelligible à la plupart des Lecteurs.

De tout ce que nous venons de

dire , il réfulte, que la Poëfie nefub-

fifte que par l'imitation. Il en eft de

même de la Peinturç , de la Danfe

,

de la Mufique : rien n'eft réel dans

leurs Ouvrages : tout y eft imaginé

,

feint, copié , artificiel. C'eftce qui

fait leur caractère eiTentiel par op-

pofition à la nature.'

CHAPITRE III.

Le Génie ne doit point imiter l&

Nature telle quelle eft.

X_>E Génie & le Goût ont une

liaifon fi intime dans les Arts ,

qu'il y a des cas où on ne peut les

unir fans qu'ils paroifTent fe confon-

dre , ni les féparer , fans prefque

leur ôter leurs fondions. C'eft ce

qu'on éprouve ici , où U n e(t pas

Page 55: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 2}poffible de dire ce que doit faire

le Génie , en imitant la Nature , fans

fijppofer le Goût qui le guide. Nousavons été obligés de toucher ici au

moins légèrement cette matière ,

pour préparer ce qui fuit ; mais nous

réfervons à en parler plus au long

dans la féconde Partie.

Ariftote compare la Poëfie avec

l'Hiftoire : leur différence , félon lui

,

n'eft point dans la forme ni dans le

fHIe , mais dans le fonds des chofes.

Mais comment y eft-elie ? L'Hiftoire

peint ce qui a été fait. La Poëfie, ce

qui a pu être fait. L'une eft liée au

vrai , elle ne crée ni actions , ni Ac-

teurs. L'autre n'eft tenue qu'au vrai-

femblable : elle invente : elle imagine

à fon gré : elle peint de tête. L'Hii-

torien donne les exemples tels qu'ils

font , fouvent imparfaits. Le Poète

les donne tels qu'ils doivent être.

Et c'efl pour cela que , félon le mêmePhilofophe , la Poëûe eft une leçon

Biv

Page 56: gri 000033125008530772

24 Les beaux Artsbien plus inftru clive que l'Hiftoi-

re (a ).

Sur ce principe , il faut conclure

que fi les Arts font imitateurs de la

Nature ; ce doit être une imitation

fage & éclairée, qui ne la copie pas

fervilement ; mais qui choififfant les

objets & les traits, les préfente avec

toute la perfection dont ils font fuf-

ceptibles. En un mot , une imita-

tion , où on voye la Nature , non telle

qu'elle e(l en elle-même , mais telle

qu'elle peut être , & qu'on peut la

concevoir par Tefprit.

Que fit Zeuxis quand il voulut

peindre une beauté parfaite ? Fit-il le

portrait de quelque beauté particu-

lière, dont fa peinture fût Thiftoire?

Non : il raffembla les traits féparés

de plufieurs beautés exiffantes. 11 fe

forma dans Tefprit une idée fa&ice

qui réfulta de tous ces traits réunis :

(a) AÙ >£ QtXofeÇc- I m>tjtris Wcqa»? ichv.

Page 57: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 1%Se cette idée fut le prototype , oule modèle de fou tableau

,qui fut

vraifemblable & poétique dans fa to-

talité, & nemtvrai&hiiïorique que

dans fes parties prifes féparément.

Voilà l'exemple donné à tous les Ar-

tifles : voilà la route qu'ils doivent

fu ivre , & c'efl la pratique de tous

les grands Maîtres fans exception.

Quand Molière voulut peindre la

Mifantropie, il ne chercha point dans

Paris un original , dont fa pièce fut

une copie exa&e : il n'eût fait qu'une

hiftoire,qu'un portrait : il n'eût in-

struit qu'à demi. Mais il recueillit

tous les traits d'humeur noire qu'il

pouvoit avoir remarqués dans les

hommes : il y ajouta tout ce que

l'effort de fon génie put lui fournir

dans le même genre ; Se de tous ces

traits rapprochés Se affortis , il en

figura un caraftere unique , qui ne

fut pas la repréfentation du vrai

,

mais celle du vraifemblable. SaCo-

Page 58: gri 000033125008530772

26 Les beaux Artsmédie ne fut point Thilloire d'Al-

cefte, mais la peinture d'Alceftefur

l'hiftoire de la Mifantropie prife en

général. Et par là il a inflruit beau-

coup mieux que n'eût fait un Hifto-

rienfcrupuleux,qui eût raconté quel-

ques traits véritables d'un Mifantro-

pe réel (a).

Ces deux exemples fuffifent pour

donner, en attendant, une idée clai-

re & difliucle de ce qu'on appelle la

(a) « Platon.,*//* Ma-xime de Tyr, Dijfert.7.

33 a ùk dans fa ilépu-

« bîique de même quex) les Statuaires, qui

raflènablçrtt les plus

sa le choix, le concert,

33 la régularité de tou-

3> tes (es parties. « Ondifoit chez les anciens:

il eft beau comme une

ftatuc. Et c'eft dans un>3 beaux traits de diffé-

j

pareil fens que Juve-

33 rens corps pour en I nal pour exprimer tou-

wcotirpofçr un feul]

tes les horreurs poffi-

• blés d'une tempête >

l'appelle , Tempête

33 d'une beauté parfai-

30 ts , & donr aucune

« beauté naturelle ne

i> peut approcher pour

poétique.

Omnia fiunt

Talia , lamgr.iviter , fi quando Po'ética furgit

Tmfejlas. Sat. XII.

Page 59: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 27belle Nature. Ce n'eft pas le vrai qui

eft ; mais le vrai qui peut être, le beau

vrai,qui eft repréfenté comme s'il

exiftoit réellement , & avec toutes

les perfections qu'il peut recevoir (**).

Cela n'empêche point que le vrai

& le réel ne puifTent être la matière

des Arts. Ceft ainlî que les Mules

s'en expliquent dans HcTiode (&).

Souvent par fes couleurs l'adrçflc de notre

Art,

Au menfonge du vrai fait donner l'appa-

rence ,

Mais nous (avons auffi par la même puif-

fance

,

Chanter la vérité fans mélange & fans

fard.

Si un fait hifloriqucfe trouvent tcl-

( a ) La qualité de

l'objet n'y fait rien.

Que ce foit un hydre,

un avare , un faux dé-

vot , un Néron , dès

<ju'on les a préfentés

avec tous les traits qui

peuvent leur convenir

on a peint la belle Na-ture. Que ce foit les

Furies ou les Grâces 3

il n'importe.

Page 60: gri 000033125008530772

2$ Les beaux Artsîement taillé qu'il put fervir de plan

à un Poëme , ou à un Tableau ; la

Peinture alors Se la Poëfie l'employé

-

roient comme tel , & uferoient de

leurs droits d'un autre côté , en in-

ventant des circonftances , des con-

trafles , des fltuations , &c. QuandLe Brun peignoit les Batailles d'A-

lexandre , il avoit dans 1*1 IifToire

,

le fait, les Acteurs, le lieu de la Scè-

ne ; cependant quelle invention !

quelle Poefie dans fon Ouvrage î

la difpofition , les attitudes , l'ex-

preflion des fentimens , tout cela

était réfervé à la création du génie.

De même le combat desHoraces ,

cTHiftaire qu'il étoit , fe changea en

Poëme dans les mains de Corneille

,

& le triomphe de Mardochée , dans

celles de Racine. L'Art bâtit alors

fur le fond de la vérité. Et il doit la

mêler fi adroitement avec le men-fonge

, qu'il s'en forme un tout de

même nature :

Page 61: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 2<?

Atque ita mentitur , fie verisfalfa remifeet ,

Primo ne médium , medio ne diferepet imum.

Ceft ce qui fe pratique ordinaire-

ment dans les Epopées , dans les

Tragédies , dans les Tableaux HiPtoriques. Comme le fait n'eft plus

entre les mains de l'Kiftoire , mais

livré au pouvoir de i'Artifte , à qui

il eft permis de tout ofer pour arri-

ver à fon but ; on le pétrit de nou-

veau , fi j'ofe parler ainfi ,pour lui

faire prendre une nouvelle forme :

on ajoute, on retranche, on tranf-

pofe. Si c eft un Poème , on ferre les

noeuds, on prépare lesdénouemens,

&c car on fuppofe que le ger-

me de tout cela eft dans l'Hiitoire

,

& qu'il ne s'agit que de le faire éclo-

re : s'il n'y eft point , l'Art alors jouît

de tous fes droits dans toute leur

étendue , il crée tout ce dont il a

befoin. C'eft un privilège qu'on lui

accorde,parce qu'il eft obligé de

plaire.

Page 62: gri 000033125008530772

30 Les beaux Arts

CHAPITRE IV.

Dans quel état doit être le Génie

pour imiter la belle Nature.

L,Es Génies les plus féconds ne

fentent pas toujours la préfence des

Mufes. Ils éprouvent des tems de

féchereffe & de flérilité. La verve

de Ronfard qui étoit né Poëte , avoit

des repos de plufieurs mois. La Mulede Milton avoit des inégalités donc

fon Ouvrage fe reflent ; & pour ne

point parler de Stace , de Clau-

dien , & de tant d'autres , qui ont

éprouvé des retours de langueur Se

de foibleffe , le grand Homère ne

fommeilloit-il pas quelquefois au

milieu de tous fes Héros & de (es

Dieux ? Il y a donc des momens heu-

reux pour le génie , lorfque Tameenflammée comme d'un feu divin fe

Page 63: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PrINCÎPÈ. 3 I

repréfente toute la nature , & répancî

fur tous les objets cet efprit de vie

qui les anime , ces traits touchants

qui nous féduifent ou nous ravifc

Cent.

Cette fituation de l'ame fe nom-me Enthoufiafme , terme que tout

le monde entend aflèz, Se que pref-

que perfonne ne définit. Les idées

qu'en donnent la plupart desAuteurs

paroiffent fortir plutôt d'une imagi-

nation étonnée & frappée d'enthou-

fial'me elle-mjême, que d'un efprit

qui ait penfe ou réfléchi. Tantôt

c'ell une vifion célefte, une influen-

ce divine , un efprit prophétique :

tantôt ceft une yvreffe, une extafe,

une joie mêlée de trouble & d'ad-

miration en prélence de la Divinité.

Avoient-ils delïein par ce langage

emphatique de relever les Arts , Se

de dérober aux Prophaues les Mys-

tères des Mufes ?

Pour nous qui cherchons à éclair-1

Page 64: gri 000033125008530772

32 Lés beaux Artscir nos idées, écartons tout ce fafte

allégorique qui nous offufque. Con-fierons l'Enthoufiafme comme un

Philofophe conlidere les Grands ,

fans aucun égard pour ce vain éta-

lage qui l'environne & qui le cache.

La Divinité qui infpire les Au-

teurs excellens quand ils cômpo-fent , ell femblable à celle qui anime

les Héros dans les combats :

Sua cuique Dcusjfo dira Cupido.

Dans les uns , c'eft l'audace, l'intré-

pidité naturelle animée par la pré-

sence même du danger. Dans les au-

tres , c'eft un grand fonds de génie

,

une juitefle d'efprit exquife , une

imagination féconde, & fur-tout un

cœur plein d'un feu noble , & qui

s'allume aifément à la vue des ob-

jets. Ces âmes privilégiées prennent

fortement l'empreinte des chofes

qu'elles conçoivent , & ne manquent

jamais de les reproduire avec un

nouveau

Page 65: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 33houveau cara&ere d'agrément & de

force qu'elles leur communiquent.

Voilà la fource & le principe de

rEnthoufiaiTne. On fent déjà quels

doivent en être les effets par rapport

aux Arts imitateurs de la belle Natu-re. Rappelions nous l'exemple de

Zeuxis. La Nature a dans (es tréfors

tous les traits dont les plus belles

imitations peuvent être compofées :

ce font comme des études dans les

tablettes d'un Peintre. L'Artiile qui

e(î eifentiellement dbiervateur , les

reconnoît , les tire de la foule , les

afTemble. Il en compofe un Toutdont il conçoit une idée vive qui le

remplit. Eientôt fon feu s'allume , à

la vue de l'objet : il s'oublie : Ion amepafle dans les chofes qu'il crée : il eft

tour à tour Ginna , Augufte , Phèdre

,

Hippolyte , & fi c'eft La Fontame , il

efl le Loup & l'Agneau , le Chêne &le Rofeau. C'eff dans ces tranfpo^ts

qu'Homère voit les chars & les cour-

* G

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34 Les beaux Artsfiers des Dieux : que Virgile entend

les cris affreux de Phlegias dans les

ombres infernales : & qu'ils trouvent

l'un & l'autre des choies qui ne font

nulle part , & qui cependant font

vraies :

.... Voèta cum tabulas eepit fibi ,

O u&rit quod nufquam cjl genîium , reppe-

rit tamen.

C'elt pour le même effet que ce mê-

me enthoufiafme e(t néceffaire aux

Peintres & aux Muficiens. Ils doivent

oublier leur état , fortir d'eux-mê-

mes , & fe mettre au milieu des cho-

fes qu'ils veulent repréfenter. S'ils

veulent peindre une bataille ; ils fe

tranfportent , de même que le Poète

,

au milieu de la mêlée : ils entendent

le fracas des armes, les cris des mou-

rans : ils voyent la fureur , le carnage

,

le fang. Ils excitent eux-mêmes leurs

imaginations , jufqu'à ce qu'ils ie fen-

tent émus, faifis, effrayés : alors,

Page 67: gri 000033125008530772

REDUifs a un Principe. 35"

Deus ecce Deus : qu'ils chantent *

qu'ils peignent , c'eft un Dieu qui les

infpire :

. . . . Bella borrida, beîla,

JE/ Tibrim multofpumantemfanguïne cerno*

C'eft ce que Ciceron appelle , men-tis vin-bus excitari , divino fpiritu

afflari. Voilà la fureur poétique :

voilà rEnthoufiafme : voilà le Dieu

que le Poète invoque dans l'Epopée

,

qui infpire le Héros dans la Tragé-

die ,qui fe transforme en fimple

Bourgeois dans la Comédie , en Ber-

ger dans l'Eglogue, qui donne la rai-

ion & la parole aux Animaux dans

l'Apologue. Enfin le Dieu qui fait les

vrais Peintres , les Muficiens & les

Poètes.

Accoutumé que Tonefl: à n'exiger

l'Enthoufiafmc que pour le grand feu

de la Lyre ou de l'Epopée, on eft

peut-être furpris d'entendre dire qu'il

eft néceiTaire même pour l'Apolo-

Cij

Page 68: gri 000033125008530772

â

3 6 Les beaux Arts.gue. Mais

,qu'eft-ce que l'Enthou*

fiafme ?11 ne contient que deuxcho-

fes : une vive repréfentation de l'ob-

jet dans Telprit , & une émotion du

coeur proportionnée à cet objet, (<*)

Ainfi de même qu'il y a des objets Am-ples , nobles , fublimes , il y a auili

des enthoufiafmes qui leur répon-

dent, & que les Peintres, les Mufî-

ciens , les Poètes fe partagent félon

les degrés qu'ils ont embraiïes ; &dans lefquels il eil nécefiaire qu'ils fe

mettent tous , fans en excepter au-

cun ,pour arriver à leur but qui eil

TexprefTion de la Nature dans fou

beau. Et ccft pour cela que la Fon-

taine dans fes Fables,& Molière dans

fes Comédies font Poètes , & auilt

(a) Dans les fujcts

qui demandent de l'en-

thouiiamie , le Dieun'enlevé pas le Poète

,

dit Plutanpe , il nefait cjuc lui donner des

idées vives > lesquelles

idées produifent des

fentimens qui leur ré-

pondent. <jvà 'tpfùti

tstp /aÇ>ofitvo'» y

ceftet

ipavtx :<xï Off*i)V «sjy—

put. Vie de Coriol.

Page 69: gri 000033125008530772

HFDUÏTS A UN PRINCIPE. 37grands Poètes que Corneille dans fes

Tragédies , & RoufTeau dans {es

Odes.

CHAPITRE V.

De la manière dont les Artsfontleur imitation,

JUsqu'ici on a tâché de montrer

que les Arts confiftoient dans l'imi-

tation ; & que l'objet de cette imi-

tation étoit la belle Nature repréfen-

tée à l'efprit dans i'enthounafme. Il

ne relie plus qu'à expofer la manière

dont cette imitation fe fait. Et par-

là, on aura la différence particulière

des Arts dont l'objet commun efl

l'imitation de la belle Nature.

On peut divifer la Nature par rap-

port aux beaux Arts en deux parties :

l'une qu'on faifit par les yeux , 6c

l'autre, par le miniïlere des oreilles î

Ciij

Page 70: gri 000033125008530772

38 Les beaux Artscar les autres fens font ftériles pour

les beaux Arts. La première partie

eft l'objet de la Peinture qui repré-

fente fur un plan tout ce qui eft vi-

fible. Elle eft celui de la Sculpture

qui le repréfente en relief ; & enfin

celui de l'Art du gefte qui eft une

branche des deux autres Arts que je

viens de nommer , & qui n'en diffè-

re , dans ce qu'il embraffe , que parce

que le fujet à qui on attache les ge-

lies dans la Danfe eft naturel & vi-

vant , au lieu que la toile du Pein-

tre & le marbre du Sculpteur ne le

font point.

La féconde partie eft l'objet de

la Mufique confidérée feule & com-

me un chant ; en fécond lieu de la

Poëfie qui employé la parole , mais

la parole mefurée & calculée dans

tous fes tons.

Ainfi la Peinture imite la belle Na-

ture par les couleurs , la Sculpture

par les reliefs , la Danfe par les mou-'

Page 71: gri 000033125008530772

reî5Uits A un Principe. 39vemens & par les attitudes du corps.

La Mufique l'imite par les ions inarti-

culés , 6c la Poëfie enfin par la parole

mefurée. Voilà les caractères diltin-

difs des Arts principaux. Ht s'il arri-

ve quelquefois que ces Arts fe mê-lent & fe confondent , comme

, par

exemple , dans la Poëfie , fi la Danfefournit des geftes aux A&eurs fur le

théâtre ; fi la Mufique donne le tonde la voix dans la déclamation ; fî

le pinceau décore le lieu de la fcéne ;

ce font des fervices qu'ils fe rendent

mutuellement , en vertu de leur fin

commune & de leur alliance récipro-

que , mais c'eiî fans préjudice ù leurs

droits particuliers & naturels. UneTragédie fans gefles , fans mufique

,

fans décoration , eft toujours un Poè-me. C'eft une imitation exprimée par

le difeours mefuré. Une Mufique fans

paroles eft toujours mufique. Elle ex-

prime la plainte & la joie indépen-

damment des mots , qui l'aident , à,

Civ

Page 72: gri 000033125008530772

40 Les beaux Artsla vérité ; mais qui ne lui apportent,

ni ne lui ôtent rien qui altère fa na-

ture & ion cfTence. Son expreflion

effentielle eft le fon , de même quecelle de la Peinture eft la couleur

,

êc celle de la Danfe le mouvementdu corps. Cela ne peut être contefté.

Mais il y a ici une chofe à remar-

quer : C'eft que de même que les Arts

doivent choifir les defTeins de la Na-ture & les perfectionner , ils doivent

choifir aufîï & perfectionner les ex-

preiïions qu'ils empruntent de la Na-ture. Ils ne doivent point employer

toutes fortes de couleurs , ni toutes

fortes de fons : il faut en faire unjufte choix & un mélange exquis : il

faut les allier, les proportionner, les

nuancer , les mettre en harmonie.

Les couleurs 8c les fons ont entreux

des fympathies 8c des répugnances.

La Nature a droit de les unir félon

fes volontés , mais l'Art doit le faire

felpn les régies, Il faut non-feule«

aaiHÈHM

Page 73: gri 000033125008530772

déduits A un Principe. 41inent qu'il ne bleiïe point le goût,

mais qu'il le flatte , & le flatte au^

tant qu'il peut être flatté.

Cette remarque s'applique égale-

ment à la Poefie. La parole qui eft

fon infiniment ou fa couleur, a chez

elle certains dégrés d'agrément qu'el-

le n'a point dans le langage ordinai-

re : c'eft le marbre choifi , poli , &taillé , qui rend l'édifice plus riche,

plus beau ,plus folide. 11 y a un cer-

tain choix de mots , de tours , fur-

tout une certaine harmonie réguliè-

re qui donne à fon langage quelque

chofe de furnaturel qui nous charme

& nous enlevé à nous-mêmes. Toutcela a befoin d'être expliqué avec

plus d'étendue , & le fera dans la

troifiéme Partie.

Définitions des Arts.

Il eft aifé maintenant de définir

les Arts dont nous avons parlé juf-

Page 74: gri 000033125008530772

42 Les beaux Arts•qu'ici. On connoît leur objet , leur*

fin , leurs fonctions , & la manière

dont ils s'en acquittent ; ce qu'ils ont

de commun qui les unit; ce qu'ils

ont de propre ,qui les fépare & les

diitingue.

On définira la Peinture , la Scul-

pture y la Danfe, une imitation de

îa belle Nature exprimée par les

couleurs , par le relief , par les at-

titudes. Et la Mufique & la Poëfie „

l'imitation de la belle Nature expri-

mée par les fons , ou par le difeours

mefuré.

Ces définitions font (impies ,

elles font conformes à la nature dugénie qui produit les Arts , commeon vient de le voir. Elles ne le font

pas moins aux loix du goût , on le

verra dans la féconde Partie.. Enfin

elles conviennent à toutes les efpé-

ces d'ouvrages qui font véritable-

ment ouvrages de l'Art. On le verra

dans la troifïcme.

Page 75: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 43

CHAPITRE VI.

En quoi CEloquence & l'Archite*

Bure différent des autres Arts,

J L faut fe rappeller un moment, la

divifïon des Arts que nous avons pro-

pofée ci-defîus. Les uns furent inven^

tés pour le feul befoin; d'autres pour

le plaifir ; quelques-uns durent leur

nahTance d'abord à la nécefTïté , mais,

ayant fçu depuis fe revêtir d'agré-

mens , ils le placèrent à côté de ceux

qu'on appelle beaux Arts par hon^

neur. Ceit ainfi que l'Architedure

ayant changé en demeures riantes Se

commodes , les antres que le befoin

avoit creufez pour fervir de retraite

aux hommes , mérita parmi les Arts,

une diftinction qu'elle n'avoit pas

auparavant.

H arriva la même chofe à l'Elo-

Page 76: gri 000033125008530772

44 Les Beaux Artsquence. Le befoin qu'avoicnt les

hommes de fe communiquer leur.s

penfées & leurs fentimens , les fit

Orateurs& Hiftoriens , dès qu'ils fu-

rent faire ufage de la parole. L'ex-

périence , le tems , le goût ajoutèrent

à leurs difcours, de nouveaux dégrés

de perfection. 11 fe forma un Art

qu'on appella Eloquence , & qui

,

même pour l'agrément , fe mit pref-

que au niveau de la Poéfie : fa proxi-

mité , & fa reiTemblance avec celle~

ci, lui donnèrent la facilité d'en em-

prunter les ornemens qui pouvoient

lui convenir , & de fe les ajurter. De-là vinrent les périodes arrondies, les

antithèfes mefurées , les portraits

frappés , les allégories foutenues : de-

là, le choix des mots , l'arrangement

des phrafes , la progreiTîon fimmé-

trique de l'harmonie. Ce fut l'Art qui

fervit alors de modèle à la Nature ;

ce qui arrive fouvent : ( a ) mais à une

( a) Voyez le cliap. 7. de la 2. part.

Page 77: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 4^condition

, qui doit être regardée

comme la bafe eflentielle & la régie

fondamentale de tous les Arts :

C'efl que , dans les Arts qui font

pour l'ufage , l'agrément prenne

le caraclere de la néceflité même :

tout doit y paroître pour le beloin.

De même que dans les Arts qui font

deftinés au plaifir, l'utilité n'a droit

d'y entrer, que quand elle eftdeca-

radere à procurer le même plaifir ,

que ce qui auroit été imaginé uni-

quement pour plaire. Voilà la régie.

Ainfi de même que la Poëfie, oula Sculpture, ayant pris leurs fujets

dans l'Hiiloire , ou dans la Société

,

ie juitifieroient mal d'un mauvais

ouvrage,par la vérité du modèle

qu'elles auroient fuivi ; parce que ce

n'efl pas le vrai qu'on leur deman-de , mais le beau : De même auffi

l'Eloquence & l'Architeclure méri-

teroient des reproches , fi le delTein

de plaire y paroilToit. Ceit chez elles

Page 78: gri 000033125008530772

q.6 Les beaux Artsque l'Art rougit quand il eft apper-

çu. Tout ce qui n'y eft que pour

l'ornement , eft vicieux. Ce n'eft pas

un fpectacie qu'on leur demande ,

c eft un fervice.

11 y a cependant des occafions

,

où l'Eloquence& l'Architecture peu-

vent prendre l'efTor. Il y a des Hé-ros à célébrer , & des Temples à

bâtir. Et comme le devoir de ces

deux Arts eft alors d'imiter la gran-

deur de leur objet , & d'exciter l'ad-

miration des hommes ; il leur eft:

permis de s'élever de quelques dé-

grés , & d'étaler toutes leurs richef-

Jes : mais cependant, fans s'écarter

trop de leur fin originaire ,qui eft

le befoin Se l'ufage. On leur deman-

de le beau dans ces occafions , mais

un beau qui foit d'une utilité réelle.

Que penferoit-on d'un édifice

fomptueux qui ne feroit d'aucun

ufage ? La dépenfe comparée avec

l'inutilité , formeroit une difpropor-

Page 79: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 47tîon defagréable pour ceux qui le

Verroient , & ridicule pour celui qui

I'auroit fait. Si l'édifice demande de

la grandeur, de la majefté , de l'élé-

gance , c'eft toujours en confidéra-

tion du maître qui doit l'habiter. S'il

y a proportion, variété , unité , c'eft

pour le rendre plus aifé, plus folide,

plus commode : tous les agrcmens

pour être parfaits doivent fe tour-

ner à l'ufage. Au lieu que dans la

Sculpture les chofes d'ufage doivent

fe 1 ourner en agrémens.

L'Eloquence eftfoumife aux mê-

mes loix. Elle eft toujours , dans (es

plus grandes libertés , attachée à

l'utile Se au vrai; & fi quelquefois le

vraifcmblable ou l'agrément devien-

nent Ion objet ; ce n'eft que par rap-

port au vrai même,qui n'a jamais

tant de crédit que quand il plaît , &qu'il eft vraifemblable.

L'Orateur ni l'Hiftorien n'ont rien

à créer , il ne leur faut de génie que

Page 80: gri 000033125008530772

48 Les beaux Artspour trouver les faces réelles qui

font dans leur objet : ils n'ont rien à

y ajouter , rien à en retrancher : à pei-

ne ofent-ils quelquefois tranfpofer :

Tandis que le Poëte le forge à lui-

même les modèles , fans s'embaraiTer

de la réalité.

De forte que fi on vouloit défi-

nir la Poëfie par oppoiition à la

Profe ou à l'Eloquence ,que je prens

ici pour la même choie ; on diroit

toujours que la Poëlie eft une imi-

tation de la belle Nature exprimée

par le diicours mefuré : & la Profe

ou l'Eloquence , la Nature elle-mê-

me exprimée par le difcours libre.

L'Orateur doit dire le vrai d une ma-nière qui le fa (Te croire, avec la force

& la {implicite qui perfuadent. LePoète doit dire le vrai-femblable

d'une manière qui le rende agréable

,

avec toute la grâce & toute l'éner-

gie qui charment & qui étonnent.

Cependant comme le plaifir prépare

le

Page 81: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 49Je coeur à la perfuafion , & que l'u-

tilité réelle flatte toujours l'homme *

qui n'oublie jamais fon intérêt ; il

s'enfuit, aue l'agréable & l'utile doi-

vent fe réunir dans la Poëfie& dans

la Profe : mais en s'y plaçant dans

un ordre conforme à l'objet qu'on

fe propofe dans ces deux genres d'é-

crire.

Si on objecloit qu'il y a des Ecrits

en profe qui ne foiitl'expreiîïon que

du vraiferr,blable;& d'autres en vers

qui ne font que l'expreiîion du vrai :

on répondroit que la Profe & la Poe-

lie étant deux langages voifins , &dont le fond eft prefque le même

,

elles fe prêtent mutuellement tantôt

la forme qui les diflingue , tantôt

le fond même qui leur eft propre :

de forte que tout paroît travefti.

Il y a des fictions poétiques qui

fe montrent avec l'habit fimple dela profe : tels font les Romans &tout ce qui eft dans leur genre. Il

* D

Page 82: gri 000033125008530772

$o Les beaux Arts,&c.y a de même des matières vraies

,

qui paroifient revêtues & parées de

tous les charmes de l'harmonie poé-

tique : tels font les Poèmes didacti-

ques (a) & hifïoriques. Mais ces ri-

dions en profe & ces hiftoires en vers,

ne font ni pure Profe ni Poëfie pure :

C'eft un mélange des deux natures

,

auquel la définition ne doit point

avoir égard : ce font des caprices

faits pour être hors de la régie , Se

dont l'exception elt abfolnment fans

conféquence pour les principes.

(a) On entend par

poëmc didactique,

celui qui ne contient

qu'une fuite de pré-

ceptes expofés ouver-

tement & fans nulle

fiction : tels font les

Ouvrages & les Jours

d'Héfiode , les Geor-

giyttes àt: Virgile, les

Arts .poétiques d'Ho-

race , de Vida , deBoileau. Ces Polîmes

n'ont le plus fouvent

que le ftyle de la

Pocfie , & quand ils

ont la fiction , ils de-

viennent , dans ces en-

droits , de vrais Poè-

mes dans la rigueur

du terme.

r^-i^-^MM

Page 83: gri 000033125008530772

Ki(.>,.-;t .lfrt

LES BEAUX ARTSREDUITS

A UN PRINCIPE.

Seconde Partie.

Ou on Etablit le Principe del'Imitation par la nature et

PAR LES LOIX DU GoUT.

\ t I tout eft lié dans la Nature

,

ll^v-jf parce que tout y efl: dans tor-

dre : tout doit l'être de même dans

Dii

Page 84: gri 000033125008530772

£2 Les beaux Artsles Arts

, parce qu'ils font imitateurs

de la Nature. 11 doit y avoir un point

d'union , où le rappellent les parties

les plus éloignées : de forte qu'une

feule partie, une fois bien connue,

doit nous faire au moins entrevoir

les autres.

Le Génie & le Goût ont le mê-me objet dans les Arts. L'un le

crée , l'autre en juge. Ainfi , s'il efl

vrai que le Génie produit les ou-

vrages defArt par l'imitation de la

belle Nature , comme on vient de

le prouver ; le Goût qui juge des

productions du Génie , ne doit être

fatisfait que quand la belle Nature

efl bien imitée. On fent la juilelTe &la vérité de cette conféquence : mais

il s'agit de la développer & de la

mettre dans un plus grand jour. C'efl

ce qu'on fe propofe dans cette Par-

tie , où on verra ce que c'eil que le

Goût : quelles loix il peut preferire

aux Arts : & que ces loix fe bornent

Page 85: gri 000033125008530772

UEDUITS A UN PRINCIPE. f $

toutes à l'imitation , telle que nous

venons delà cara&ériferdans la pre-

mière Partie.

CHAPITRE I.

Ce que c'efi que le Coût.

J L eft un bon Goût. Cette propo-

sition n'elt point un problême : &ceux qui en doutent , ne font point

capables d'atteindre aux preuves

qu'ils demandent.

Mais quel efl-il , ce bon Goût ?

Eft-il potïïble qu'ayant une infinité

de régies dans les Arts , & d'exemples

dans les ouvrages des Anciens & des

Modernes , nous ne puiflions nous

en former une idée claire & précife ?

Ne feroit-ce point la multiplicité de

ces exemples mêmes , ou le trop

grand nombre de ces régies qui of-

fufqueroit notre efprit, & qui , en lui

Diij

Page 86: gri 000033125008530772

54 Les beaux Artsmontrant des variations infinies , à

caufe de la différence des fujets trai-

tés , l'empêcheroit de fe fixer à quel-

que chofe de certain , dont on pût

tirer une jufte définition.

11 eil un bon Goût, qui eft feu!

bon. En quoi confifie- t'il ? De quoi

dépend-t'il ? Eft-ce de l'objet , ou

du génie qui s'exerce fur cet objet ?

A-tH des régies , n'en a-tJ

il point ?

EfKce Tefprit feul qui eiî fon orga-

ne , ou le cœur feul , ou tous deux

enfemble ? Que de queflions fous ce

titre fi connu , tant de fois traité ,

& jamais affez clairement expliqué.

On diroit que les Anciens n'ont

fait aucun effort pour le trouver :

& que les Modernes au contraire ne

le faifiiTent que par hafard. Ils ont

peine à fuivre la route ,qui paroît

trop étroite pour eux. Rarement ils

s'échappent fans payer quelque tri-r

but à Tune des deux extrémités. Il y

a de Taffe&ation dans celui qui écrit

Page 87: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. $Javec foin ; & de la négligence , dan£*>"{=>*

celui qui veut écrire avec facilité.

Au lieu que dans les Anciens qui

nous relient, il femble que c'eft unheureux Génie qui Iqs mène commepar la main : ils marchent fans crain-

te & fans inquiétude , comme s'ils

ne pouvoient allerautrement.Quelle

en eit la raifon ? Ne feroit - ce pas

que les Anciens n'avoient d'autres

modèles que la Nature elle-même

,

& d'autre guide que le Goût : & que

les Modernes fe propofant pour mo-dèles les ouvrages des premiers imi-

tateurs, & craignant de blcflér les rè-

gles que l'Art a établies , leurs copies

ont dégénéré& retenu un certain air

de contrainte, qui trahit l'Art, & met

tout l'avantage du côté de la Nature,

Ç'eft donc au Goût feul qu'il ap-

partient de faire de:-: chefs-d'œuvres,

& de donner aux ouvrages de l'Art

,

cet air de liberté & d'aifance qui en

fait toujours le plus grand mérite.

Div

Page 88: gri 000033125008530772

$6 Les beaux ArtsNous avons allez parlé de la Na-

ture & dts exemples qu'elle fournit

au Génie, llnous relie à examiner le

Goût & Tes loix. Tâchons d'abord

de le connoître lui-même, cherchons

fon principe : enfuite nous confidé-

rerons les régies qu'il preicrit aux

beaux Arts.

Le Goût eft dans les Arts ce que

l'Intelligence eft dans les Sciences.

Leurs objets font difrérens à la véri-

té ; mais leurs fondions ont entre

elles une fi grande analogie , que

l'une peut fervir à expliquer l'autre.

Le vrai eft l'objet des Sciences.

Celui des Arts eft le bon & le beau.

Deux termes qui rentrent prefque

dans la même lignification , quand

on les examine de près.

L'intelligence confidere ce que

les objets font en eux - mêmes , fe->

Ion leur effence , fans aucun rapport

avec nous. Le Goût au contraire ne

s'occupe de ces mêmes objets que

j>ar rapport à nous.

Page 89: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. f 7Il y a des perfonnes , dont l'cf-

prit eft fai'x, parce qu'elles croyent

voir la vérité où elle n'efl: point réel-'

lement. Il y en a anfîi qui ont le goût

faux ,parce qu'elles croyent lentir

le bon ou le mauvais où ils ne font

point en effet.

Une intelligence eft donc par-

faite,quand elle voit fans nuage

,

& qu'elle distingue fans erreur le

vrai d'avec le faux , la probabilité

d'avec l'évidence. De même le Goûteft parfait aufîi, quand, par une im-

preflion diftin&e , il fent le bon &le mauvais , l'excellent & le médio-

cre , fans jamais les confondre, ni

les prendre l'un pour l'autre.

Je puis donc définir l'Intelligen-

ce : la facilité de connoître le vrai

& le faux, & de les diflinguer l'un

de l'autre. Et le Goût : la facilité de

fentir le bon , le mauvais , le médio-

cre , & de les diflinguer avec certi-

tude.

Page 90: gri 000033125008530772

58 Les beaux ArtsÂintft j vrai & bon , connoiftancc

& goût , voilà tous nos objets &toutes nos opérations. Voilà les

Sciences& les Arts.

Je laiffe à la Métaphyfique pro-

fonde à débrouiller tous les reiîorts

fecrets de notre ame, & à creufer les

principes de Ces opérations. Je n'ai

pas belbin d'entrer dans ces difcuf-

fions fpéculatives , où Ton elt aufïï

obicur que fublime. Je parts d'un

principe que peribnne ne contefte.

Notre ame connoît , & ce qu'elle

connaît produit en elle un fenti-

ment. La connoifiance efl: une lu-

mière répandue dans notre ame : le

ientiment eft un mouvement qui IVgite. L'une éclaire : l'autre échauffe.

L'une nous fait voir l'objet : l'autre

nous y porte , ou nous en détourne.

Le Goût elt donc un fentiment.

Et comme , dans la matière dont

il s'agit ici , ce ientiment a pour ob->

jet les Ouvrages de l'Art; & que les

BÉMOi

Page 91: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 5"p

Arts , comme nous l'avons prouvé

,

ne font que des imitations de la belle

Nature; le Goût doit être un fenti-

ment qui nous avertit fi la belle Na-ture eft bien ou mal imitée. Ceci iç

développera de plus en plus dans la

fuite.

Quoique ce fentiment paroiffe

partir brufquement «Se en aveugle ; il

eft cependant toujours précédé au

moins d'un éclair de lumière , à la

faveur duquel nous découvrons les

qualités de l'objet. Il faut que la

corde ait été frappée , avant que de

rendre le fon. Mais cette opération

efl 11 rapide, que fouvent on ne s'en

apperçoit point : & que la raifon ,

quand elle revient fur le fentiment, a

beaucoup de peine à en reconnoître

lacaufe. C'eft pour cela peut-être

que la fupériorité des Anciens fur les

Modernes eft fi difficile à décider*

Ç eft le Goût qui en doit juger : &à fon tribunal , on fent plus qu'on

ne prouve.

Page 92: gri 000033125008530772

€o Les beaux Arts

C H A PITRE IL

L'objet du Gont ne peut être que

la Nature.

FreuvesdeRaisonnement.

N Otre ame efr. faite pour con-

noitrc le vrai , & pour aimer le bon.

Et comme il y a une proportion na-

turelle entre elle & ces objets , elle

ne peut fe refufer à leur imprclîîon.

Elle s'éveille aufii-tot , & fe met en

mouvement. Une proportion Geo-métrique bien compriie emporte né-

ccflaircmcnt notre aveu. Et de mêmedans ce qui concerne le Goût , c'eft

notre coeur qui nous mène prefque

fans nous : & rien neft fi ailé que d'ai-

mer ce qui.efl: fait pour Terre.

Ce penchant fi fort & fi marqué

,

prouve bien que ce n eft ni le capri-

Page 93: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 6l

ce ni le haiard qui nous guident dans

nos connoiffances& dansnos goûts.

Tout eit réglé par des loix immua-

bles. Chaque faculté de notre amea un but légitime, où elle doit fe

porter pour être dans Tordre.

Le Goût qui s'exerce fur les Arts

n'efï point un Goût faclice. C'eit

une partie de nous-même qui eil née

avec nous , & dont l'office e(t de

nous porter à ce qui e11 bon. Laconnoiflance le précède : c'efr le

flambeau. Mais que nous ferviroit-il

de connoitre, s'il nous étoit indif-

férent de jouir ? La Nature étoit trop

fage pour féparer ces deux parties :

«Se en nous donnant la faculté de

connoître, elle ne pouvoit nous re-

fufer celle de fentir le rapport de

l'objet connu avec notre utilité , &d'y être attiré par ce fentiment. C'efl:

ce fentiment qu'on appelle le Goûtnaturel, parce que c'efl: la Nature

qui nous La donné. Mais pourquoi

Page 94: gri 000033125008530772

62 Les beaux Artsnous Ta-telle donné ? Etoit-ce pou?

juger des Arts qu'elle n'a point faits ï

Non : c'étoit pour juger des chofes

naturelles par rapport à nos plaifns

ou à nos befoins.

I/Induflrie humaine ayant enfuite

inventé les beaux Arts fur le modèle

de la Nature , & ces Arts ayant eu

pour objet l'agrément & le plaifir

,

qui font , dans la vie , un fécond or-

dre de befoins ; la reffemblance des

Arts avec la Nature , la conformité

de leur but , fembloient exiger que

le Goût naturel fut aufîi le Juge des

Arts : c'eft ce qui arriva. Il fut re-

connu , fans nulle contradiction : les

Arts devinrent pour lui de nouveaux

Sujets , fi j'ofe parler ainfi , qui fe

rangèrent paifiblement fous fa Jurif-

diction , fans l'obliger de faire pour

eux le moindre changement à fes

loix. Le Goût refta le même conf-

tamment : & il ne promit aux Arts

fon approbation , que quand ils lui

Page 95: gri 000033125008530772

beduits a un Principe. 63

feroient éprouver la même impreP-

fion que la Nature elle-même; &les chefs-d'oeuvres des Arts ne l'ob-

tinrent jamais qu'à ce prix.

Il y a plus : comme l'imagination

des hommes fait créer des Etres, à

fa manière ( ainil que nous l'avons

dit ) & que ces Etres peuvent être

beaucoup phis parfaits que ceux de

la fimple Nature'; il efr arrivé que le

Goût s'eft établi avec une forte de

prédilection dans les Arts ,pour y

régner avec plus d'empire & plus

d'éclat. En les élevant & en les per-

fectionnant , il s'eft éle^é & perfec-

tionné lui-même : & fans ceffer d'être

naturel , il s'eft trouvé beaucoup

plus fin , plus délicat , & plus parfait

dans les Arts , qu'il ne l'étoit dans la

Nature même.Mais cette perfection n'a rien

changé dans fon elïence. Il en1 tou-

jours tel qu'il étoit auparavant : in-

dépendant du caprice. Son objet eîl

Page 96: gri 000033125008530772

t>4 Les beaux Artséfi'entièllement le bon. Que ce foi?:

l'Art qui le lui prélente , ou la Na-ture , il ne lui importe ,

pourvu qu'il

jouiiie. C'eft (a fonction. S'il prend

quelquefois le faux bien pour le vrai

,

c'eil l'ignorance qui le détourne ou

le préjugé : c'étoit à la raifon à les

écarter , & à lui préparer les voies.

Si les hommes étoient aiïez at-

tentifs pour reconnoître de bonne

heure en eux-mêmes ce Goût natu-

rel , & qu'ils travaillaffent enfuite à

Tétendre , à le développer , à l'aigui-

fer par des obfervations , des com-

paraifons , des réflexions , &c. ils au-

foient une régie invariable & infail-

lible pour juger des Arts. Mais com-

me la plupart n'y penfent que quand

ils font remplis de préjugés ; ils ne

peuvent démêler la voix de la Na-

ture dans une fi grande confufion.

Ils prennent le faux Goût pour le

vrai : ils lui en donnent le nom : il

en exerce impunément toutes les

fonctions.

Page 97: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 6$fondions. Cependant la Nature eit

fi forte ,que fi, par halard,quelqu'un

d'un goût épuré s'oppofe à Terreur,

il fait bien fonvent rentrer le goût

naturel dans ks droits.

On le voit de tems en tems : le

peuple même écoute la réclamation

d un petit nombre , & revient de fa

prévention. Eft-ce l'autorité des

hommes, ou plutôt n'efr.- ce point

la voix de la Nature qui opère ces

changemens ? Tous les hommes font

prefque à l'uniiTon du côté du coeur.

Ceux qui les ont peints de ce côté

,

n'ont fait que fe peindre eux-mêmes»

On leur a applaudi ,parce que cha-

cun s'y eft reconnu. Qu'un homme,qui ait le goût exquis 9 foit attentif

à l'impreffion que fait fur lui l'Ou-

vrage de l'Art, qu'il fente difrinfte-

ment , & qu'en conféquence il pro-

nonce : il n'efl: gueres pofùble que

les autres hommes ne fouferivent à

fon jugement. Ils éprouvent le mê-

Page 98: gri 000033125008530772

66 Les beaux Artsme fcntiment que lui , fi ce n'effc au

même degré, du moins fera-t'il de

la même efpece : & quels que foient

le préjugé & le mauvais goût , ils fe

foumettent , & rendent fécrétement

hommage à la nature.

pmnini mi unn—BWiTTWiTwrirHiI

iiiitit^t^^'b

CHAPITRE III.

Preuves tirées de l 'Hifioire mêmedu Coût.

L E goût des Arts a eu (es com-

mencemens , fes progrès , fes révo-

lutions dans l'univers ; & (on Hif-

toire d'un bout à l'autre, nous mon-

tre ce qu'il eft , & de quoi il dépend.

11 y eut un tems , où les hommes,

occupés du feul foin de foutenir ou

de défendre leur vie , n'étoient que

Laboureurs ou Soldats : fans loix ,

fans pnix , fans mœurs , leurs focié-

tés n'étoient que des conjurations.

Page 99: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 6jCe ne fut point dans ces tems de

trouble & de ténèbres qu'on vit

éclore les beaux Arts. On fent bien

par leur caraclere,qu'ils font les en-

fans de l'Abondance & de la Paix.

Quand on fut las de s'entrenuire ;

& ,qu'ayant appris par une funefte

expérience , qu'il n'y avoit que la

vertu & la juftice qui pulTent rendre

heureux le genre humain , on eut

commencé à jouir de la protedion

des loix ; le premier mouvement du

cœur fut pour la joie. On fe livra

aux plaifirs qui vont à la fuite de

l'innocence.Le Chant & la Danfe fu-

rent les premières exprefîions du fen-

timent : & enfuite le loifir , le be-

foin , l'occafion , le hafard } donnè-

rent l'idée des autres Arts , & en ou-

vrirent le chemin.

Lorfque les hommes furent unpeu dégrofhs par la fociété , & qu'ils

eurent commencé à fentir qu'ils va-

loient mieux par l'efprit que par le

Eij

Page 100: gri 000033125008530772

6$ Les beaux Artscorps ; il fe trouva fans doute quel-

que homme merveilleux , qui , infpi-

ré par un Génie extraordinaire, jetta

les yeux fur la Nature. Il admira cet

ordre magnifique joint à une va-

riété infinie , ces rapports Ci juftes

dçs moyens avec la fin , des parties

avec le tout, des caufes avec les ef-

fets. 11 fentit que la Nature étoit (im-

pie dans fes voies, mais fans mono-tonie ; riche dans ics parures , mais

fans affedation ; régulière dans [es

plans , féconde en reflbrts , mais fans

s'embarraiïer elle-même dans (es ap-

prêts & dans Ces régies. Il le fentit

peut-être fans en avoir une idée bien

claire ; mais ce fentiment fufïiioit

pour le guider jufqu'à un certain

point, & le préparer à d'autres con-

noiffances.

Après avoir contemplé la Nature,

il fe confidéra lui-même. 11 recon-

nut qu'il avoit un goût-né pour les

rapports qu'il avoit obfervés s qu'il

Page 101: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 6<?

en étoit touché agréablement. Il

comprit que Tordre, la variété, la

proportion tracées avec tant d'é-

clat dans les Ouvrages de la Nature,

ne dévoient point feulement nous

élever à la connoilTance d'une Intel-*

ligence fuprême ; mais qu'elles pou-

voient encore être regardées com-me des leçons de conduite , & tour-

nées au profit de la fociété hu-

maine.

Ce fut alors , à proprement par-

ler, que les Arts fortirent de la Na-

ture. Jufques-là , tous leurs élémens

y avoient été confondus & difper-

fés comme dans une forte de cahos.

On ne les avoit gueres connus quepar foupçon , ou même par une forte

d'inftind. On commença alors à en

démêler quelques principes. On fit

quelques tentatives qui aboutirent

à des ébauches. Cetoit beaucoup :

il n'étoit pas aifé de trouver ce dont

on n'avoit pas une idée certaine k

Eiij

Page 102: gri 000033125008530772

70 Les beaux Artsmême en le cherchant. Qui auroît

cru que l'ombre d'un corps , envi-

ronné d'un fimple trait , pût deve-

nir un tableau d'Apelie , que quel-

ques accens inarticulés puilent don-,

ner nailTance à la Mufique telle que

nous la connoiflfons aujourd'hui ?

Le trajet eft immenfe. Combien nos

Pères ne firent-ils point de courfcs

inutiles , ou même oppofécs à leur

terme? Combien d'efforts malheu-

reux , de recherches vaincs , d'épreu-

ves fans fuccès ? Nous jouiffons de

leurs travaux ; & pour toute recon-

noiffance, ils ont nos mépris.

Les Arts en naiflant étoient com-

me font les hommes. Ils avoient be-

foin d'être formés de nouveau par

une forte d'éducation. Us fortoient

de la barbarie : c'étojt une imita-

tion , il eft vrai , mais une imitation

grofhere , Se de la Nature groffiere

elle-même. Tout l'Art confiftoit à

peindre ce qu'on voyoit , & ce qu'on

Page 103: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 71

fentoit. On ne favoit pas çhoifir.

La confufion régnoit dans le def-

fein , la difproportion ou l'unifor-

mité dans les parties , l'excès , la

bizarrerie , la grofîiereté dans les or-

nemens. C'étoit des matériaux plu-

tôt qu'un édifice. Cependant on imi-

toit.

Les Grecs doués d'un génie heu-

reux faifirent enfin avec netteté \gs

traits efTentiels& capitaux de la belle

Nature ; & comprirent clairement

qu'il ne fuffifoit pas d'imiter les cho-

fes ,qu'il falloit encore les choifir.

Jufqu'à eux les Ouvrages de l'Art

n'avoient gueres été remarquables ,

que par l'énormité de la mafie ou de

l'entreprife. C'étoient les Ouvrages

des Titans. Mais les Grecs plus éclai-

rés fentirent qu'il étoit plus beau de

charmer l'efprit , que d'étonner ou

d'éblouir les yeux. Ils jugèrent que

l'unité , la variété , la proportion ,

dévoient erre le fondement de tous

E iv

Page 104: gri 000033125008530772

72 Les beaux Artsles Arts ; & fur ce fonds fi beau ,

(1 jufte , fi conforme aux loix duGoût & du Sentiment , on vit chez

eux la toile prendre le relief & les

couleurs de la Nature , le bronze

& le marbre s'animer fous le cifeau.

La Mufique , la Poëfie , l'Eloquence

,

rArchitecture , enfantèrent aulfitôt

des miracles. Et comme l'idée de

la perfection , commune à tous les

Arts , fe fixa dans ce beau fiécle ;

on eut prefque à la fois dans tous

les genres des chef- d'oeuvres qui

depuis fervirent de modèles à toutes

les Nations polies. Ce fut le premier

triomphe des Arts.

Rome devint difciple d'Athènes,

Elle, connut toutes les merveilles de

la Grèce. Elle les imita : & fe fit bien-

tôt autant eftimer par ^s ouvrages

de Goût , qu'elle s'étoit fait craindre

par (ts armes. Tous les Peuples lui

applaudirent:& cette approbation fie

voir que les Grecs qui avoient été

Page 105: gri 000033125008530772

KEDUITS A UN PRINCIPE. 73imités par les Romains étoient d'ex-

cellens modèles , & que leurs régies

n'étoient prifes que dans la Nature.

Il arriva des révolutions dans l'U?

nivers. L'Europe fut inondée de

Barbares , Jes Arts & les Sciences

furent enveloppés dans le malheur

des tems. Il n'en relia qu'un foible

crepufcule, qui néanmoins jettoit de

tems en tems allez de feu , pour faire

comprendre qu'il ne lui manquoit

qu'une occafion pour fe rallumer.

Elle fe préfenta. Les Arts exilés de

Conflantinople vinrent fe réfugier

en Italie : on y réveilla les mânes

d'Horace , de Virgile , de Ciceron.

On alla fouiller jufques dans les tom-

beaux qui avoient fervi d'azile à la

Sculpture & à la Peinture. Bientôt

,

on vit reparoître l'Antiquité avec

toutes les grâces de la jeunefTe : elle

faifit tous les coeurs. On reconnoif-

foit la Nature. On feuilleta donc les

Anciens : on y trouva des régies

Page 106: gri 000033125008530772

74 Les beaux Artsétablies , des principes expofés , des

exemples tracés. L'Antique fut pour

nous , ce que la Nature avoit été

pour les Anciens. On vit les Artiftes

Italiens & François,qui n'avoient

point iaifTé que de travailler, quoi-

que dans les ténèbres , on les vit

réformer leurs ouvrages fur ces

grands modèles. Ils retranchent le

faperflu , ils remplirent les vuides

,

ils tranfpofent , ils deflïnent , ils po-

fent les couleurs , ils peignent avec

intelligence. Le Goût le rétablit peu

à peu : on découvre chaque jour de

nouveaux dégrés de perfection ( car

il étoit ailé d'être nouveau fans cef-

fer d'être naturel). Bientôt l'admi-

ration publique multiplia les talens :

l'émulation les anima : les beaux

Ouvrages s'annoncèrent de toutes

parts en France & en Italie. Enfin

le Goût cil: arrivé au point où ces

Nations pouvoient le porter. Sera-»

ce une fatalité de defeendre , & de fe

Page 107: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PrINCITE. 7Jrapprocher du point d'où Ton eft

parti ?

Si cela eft , on prendra une au-

tre route : les Arts fe font formés &perfectionnés en s'approchant de la

Nature ; ils vont fe corrompre & fe

perdre en voulant lafiirpalTer. Les ou-

vrages ayant eu pendant un certain

tcms lemême degré d'affaifonnement

& de perfection , &le goût des meil-

leures chofes s'émouflant par l'ha-

bitude , on a recours à un nouvel

Art pour le réveiller. On charge la

Nature : on l'ajufte : on la pare au

gré d'une fauiîe délicatefTe : on ymet de l'entortillé , du myftère , de

la pointe : en un mot de l'affecta-

tion, qui eft l'extrême oppofé à la

groifiereré : mais extrême , dont il eft

plus difficile de revenir que de la

grofïiereté même. Et c'eft ainiî que

ïe Goût Se les beaux Arts périffent

en s'éloignant de la Nature.

Ce fut toujours par ceux qu'on

Page 108: gri 000033125008530772

76 Les beaux Artsappelle heaux efprits que la déca-

dence commença. Ils furent plus

funeftes aux Arts que les Goths, qui

ne rirent qu'achever ce qui avoit été

commencé par les Plines & les Se-

neques , & tous ceux qui voulurent

les imiter. Les François font arrivés

au plus haut point : auront-ils des

préfervatifs affez puiffants pour les

empêcher de defcendre ? L'exemple

du bel-efprit eft brillant , & conta-

gieux d'autant plus, qu'il eli peut-

être moins difficile à fuivre.

Ki'taaBMi r rriiwfli

CHAPITRE IV.

Les loix du Goût rtont pour objet

que l'imitation de la belle

Nature,

JLE Goût eft donc comme le Gé-

nie, une faculté naturelle qui ne peut

avoir pour objet légitime que la Na-»

Page 109: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 77ture elle-même , oucequiluireiTem-

ble. Tranfportons-le maintenant aumilieu des Arts , & voyons quelles

font les loix qu'il peut leur di&er.

I. Loi GENERALE DU GoUT.

Imiter la belle Nature,

Le Goût efl la voix de l'amour

propre. Fait uniquement pour jouir,

il elt avide de tout ce qui peut lui

procurer quelque fentiment agréa-

ble. Or comme il n'y a rien qui nous

flatte plus que ce qui nous appro-

che de notre perfedion, ou qui peut

nous la faire eipérer; il s'enfuit, quenotre Goût n'en

1jamais plus fàtis-

fait que quand on nous préfente des

objets, dans un degré de perfection,

qui ajoute à nos idées, &femble nous

promettre des imprefllons d'un ca-

ractère ou d'un degré nouveau ,qui

tirent notre coeur de cette efpèce

d'engourdiiiément où le laiilént les

Page 110: gri 000033125008530772

78 Les beaux Artsobjets auxquels il eft accoutumé;

C'ell pour cette raifon que les

beaux Arts ont tant de charmes pour

nous. Quelle différence entre l'émo-

tion que produit une hiftoire ordi-

naire qui ne nous offre que des

exemples imparfaits ou communs ; 8c

cette extafe que nous caufe la Poé-

fie , lorfquelle nous enleye dans ces

régions enchantées , où nous trou-

vons réalifés en quelque forte les

plus beaux fantômes de l'imagina-

tion ! L'Hiftoire nous fait languir

dans une efpece d'efclavage : & dans

la PoèTie , notre ame jouit avec com-

plaifance de fon élévation & de fa

liberté, (a)

(a) Res gfJÎA &eventus qui vers, hif-

torla. fubjiciunttir } non

funt ejus emplitndinis

in quâ anima humana

fili fatiifaciat ; pr&fto

eft Po'ejis qu<z facia

m.igis heroïca confin-

gat Qum hijioria

vera , ohvià rerum fa~

tietate & fimilitudine

anima human&jcftidio

jit , reficit eam po'ejis ,

inexpecîata & varia

& vicijfitudmum ple-

nacanens. Bacon. Oi-

gani. lib. 4.

Page 111: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 7pDe ce principe il fuit non-feule-

ment que c'eft la belle Nature que

le Goût demande ; mais encore que

la belle Nature eft, félonie Goût,

celle ,qui a i °. le plus de rapport

avec notre propre perfe&ion , notre

avantage , notre intérêt. 2°. Celle

qui eft en même-tems la plus par-

faite en foi. Je fuis cet ordre , parce

que c'eft le Goût qui nous mène dans

cette matière : idgêneratim-pulcrum

eji , quod tum ipfius naturœ, turn nof-

tra convenit.

Suppofons que les régies nexi-

fient point : & qu'un Artifte philo-

fophe foit chargé de les reconnoître

& de les établir pour la première

fois. Le point d'où i: part eft une

idée nette & précife de ce dont U

veut donner des régies. Suppofons

encore que cette idée fe trouve dans

la définition des Arts , telle que nous

( a ) AvBor Dijfert. \ tnâine. Delcft. epigr.

de vera &> j'alfâ pulcri-|

Page 112: gri 000033125008530772

8o Les beaux Artsl'avons donnée : Les Ans font VUmitaùon âe la belle Nature, II fe

demandera enfuite,quelle eft la fin

de cette imitation ? Il fentira aifé-

ment que c'eftde plaire , de remuer,

de toucher , en un mot le plaifir. Il

fait d'où il part : il fait où il va : il

lui eft aifé de régler fa marche.

Avant que de pofer (es loix , il

fera long-tems obfervateur. D J

un

côté il confidérera tout ce qui eft

dans la Nature phyfique & morale :

les mouvemens du corps & ceux de

Tarne , leurs efpéces , leurs dégrés ,

leurs variations , félon les âges , les

conditions , les fituations. De l'au-

tre côté , il fera attentif à Timpref-

fion des objets fur lui-même. Il ob-

fervera ce qui lui fait plaifir ou peine

,

ce qui lui en fait plus ou moins ,

& comment , & pourquoi cette im-

preffion agréable ou défagréable eft

arrivée jufqu'à lui.

Il voit dans la Nature, des êtres

animés

,

Page 113: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 8i

animes , & d'autres qui ne le font

pas. Dans les êtres animés , il en voie

qui raifonnent, & d'autres qui ne rai-

fonnent pas. Dans ceux qui raifon-

nent , il voit certaines opérations

qui fuppofent plus de capacité , plus

d'étendue, qui annoncent plus d'or-

dre Se de conduite.

Au-dcdans de lui-même il s'ap-

perçoit i°. Que plus les objets s'ap-

prochent de lui,plus il en effc tou-

ché : plus ils s en éloignent , plus

ils lui font indifférens. 11 remarque

que la chute d'un jeune arbre l'in-

térefle plus que celle d'un rocher :

la mort d'un animal qui lui paroif-

foit tendre & fidèle , plus qu'un arbre

déraciné : allant ainfi de proche en

proche , il trouve que l'intérêt croît

à proportion de la proximité qu'ont

les objets qu'il voit, avec l'état où il

cil lui-même.

De cette première obfervation

notre Légiflatcur conclut , que la

*F

Page 114: gri 000033125008530772

82 Les beaux Artspremière qualité que doivent avoir les

objets que nous préfentent ies Arts,

c'en1

, qu'ils foient intéreiïans ; c'elt-

à-dire , qu'ils ayent un rapport inti-

me avec nous. L'amour propre eftle

reiîbrt de tous les plaifirs du cœurhumain. Ainfi il ne peut y avoir rien

de plus touchant pour nous , que

l'image des pallions & des actions

des hommes ; parce qu'elles font

comme des miroirs où nous voyons

les nôtres , avec des rapports de dif-

férence ou de conformité.

L'Obfcrvatcur a remarqué en fé-

cond lieu,que ce qui donne de l'e-

xercice & du mouvement à fon ef-

prit & à fon coeur, qui étend la fphe-

re de (ts idées & de (es fentimens

,

avoit pour lui un attrait particulier.

Il en a conclu que ce n'étoit point

affez pour les Arts que l'objet qu'ils

auraient choifi, fût intéreflant , mais

qu'il devoit encore avoir toute la

perfedion, dont il eft fufceptible :

Page 115: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 8$

'd'autant plus que cette perfection

même renferme des qualités entière-

ment conformes à la Nature de no-

tre ame & à l'es befoins.

Notre ame cil un compofé de

force & de foiblefle. Elle veut s'é-

lever , s'agrandir ; mais elle veut le

faire aifément. Il faut l'exercer , mais

ne pas l'exercer trop. C'eft le dou-

ble avantage qu'elle tire de la per-

fection des objets que les Arts lui

préfentent.

Elle y trouve d'abord la variété,

qui fuppofe le nombre & la différen-

te des parties ,préfentées à la fois

,

avec des pofitions , des gradations,

des contraftes piquans. ( Il ne s'agit

point de prouver aux hommes les

charmes de la variété ) L'efprit eft re-

mué par rimprciîion des différentes

parties qui le frappent toutes enfem-

ble , & chacune en particulier , & qui

multiplient ainii (es fentimens & fes

idées.

Fij

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$4 Les beaux ArtsCe n'eft point allez de les multi-

plier , il faut les élever &les étendre.

C/ed pour cela que l'Art eft obligé

de donner à chacune de ces parties

différentes , un degré exquis de force

& d'élégance,qui les rende fingulie-

res, & les faffe paroître nouvelles.

Tout ce qui eft commun , eft ordinai-

rement médiocre. Tout ce qui eft

excellent , eft rare , fmgulier & fou-

vent nouveau. Ainfi , la variété 6c

l'excellence des parties font les deux

refïbrts qui agitent notre ame , & qui

lurcaufeat le plaifir qui accompagne

le mouvement & l'aétion. Quel état

plus délicieux que celui d'un hom-me qui reffentiroit à la fois les im-

preilions les plus vives de la Pein-

ture , de la Mufique , de la Danfe

,

de la Pocfie , réunies toutes pour le

charmer ! Pourquoi faut-il que ce

plaifir foit fi rarement d'accord avec

la vertu ?

Cette fituation qui feroit délicieu-

Page 117: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 8jfe , parce quelle exerceroit à la fois

tous nos fens & toutes les facultés

de notre ame , deviendroit défa-

gréable , Il elle les exerçoit trop. Il

faut ménager notre foiblefTe. Lamultitude des parties nous fatigue-

roit , fi elles n'étoient point liées

entr'elles par la régularité,qui les dif-

pofe tellement , qu'elles fe réduifent

toutes à un centre commun qui les

unit. Rien n'eft moins libre que l'Art,

dès qu'il a fait le premier pas. UnPeintre qui a choifi la couleur & l'at-.

titude d'une tête , fi c'eft un Raphaël

ou un Rubens , voit en même-temsles couleurs & les plis de la draperie

qu'il doit jetter fur le relie du corps.

Le premier connoifTeurqui vit le fa-

meux Torfe (a) de Rome reconnut,

Hercule filant. Dans la Mufique le

premier ton fait la loi , & quoiqu'on

( a \ Torfe , terme

ck fculpturc qui fe die

d'une figure tronquée

qui n'a qu'un corps

(ans tête ou fans bras,

ou fans jambes.

Fiij

Page 118: gri 000033125008530772

$6 Les beaux Artsparoifle s'en écarter quelquefois

,

ceux qui ont le jugement de 1 oreille

Tentent aifément qu'on y tient tou-

jours comme par un fil fecret. Cefont des écarts pindariques (*) qui

deviendraient un délire, fi on perdoit.

de vue le poinp d'où Ton cfî parti s

& le but où on doit arriver.

L'unité ce la variété produifent la

fymmétrie & la proportion : deux

qualités qui fuppofent la diftinftion

Se la différence des parties , Se en mê~

me-tems un certain rapport de con-

formité entr elles. La fymmétrie par-

tage ,pour ainfi dire , l'objet en deux.

(a) Un écart efr.,

lorfcju'on palfc brus-

quement d'un objet à

un autre qui en pa-

roît entièrement fér

paré. Ces deui ob-

jets fc font trouvés liés

dans l'efprit par des

idées qu'on pourroit

appcllcr médiantts.

Mais comme ces idées

ont paru peu impor-

tantes , & d'ailleurs

aifez faciles àfuppléer v

le Po'éte ne les a point

exprimées , & a faifi

fans préparation l'ob-

jet qu'elles ont amené:

ce qui fait paroirre

une forte de vuide

qu'on appelle Ecart.

Page 119: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 8jplace au milieu les parties uniques

,

& à côté celles qui font répétées :

ce qui forme une forte de balance

& d'équilibre qui donne de Tordre ,

de la liberté , de la grâce à l'objet.

La Proportion va plus loin , elle en-

tre dans le détail des parties qu'elle

compare entr'elles «Se avec le tout

,

& préfente fous un même point de

vue l'unité , la variété, & le concert

agréable de ces deux qualités en-

tr'elles. Telle eft l'étendue de la loi

du Goût par rapport au choix & à

l'arrangement des parties des objets.

D'où il faut conclure,que la bel-

le Nature , telle qu'elle doit être pré-

fentée dans les Arts , renferme toutes

les qualités du beau & du bon. Elle

doit nous flatter du côté de l'efprit,

en nous offrant des objets parfaits

en eux-mêmes, qui étendent & per-

fectionnent nos idées; c'efr. le beau.

Elle doit flatter notre cœur en nous

montrant dans ces mêmes objets des

F iv

Page 120: gri 000033125008530772

88 Les beaux Artsintérêts qui nous foicnt chers

, qui

tiennent à la confervation ou à la

perfection de notre être, qui nous faf-

fent fentir agréablement notre pro-

pre exidence : & çcïï. le bon ,qui, fc

réunifiant avec le beau dans un mê-

me objet préfente , lui donne tou-

tes les qualités dont il a befoin poui'

exercer & perfectionner à la fois no ?

tre cceur & notre efprit.

CHAPITRE V.

IL Loi générale du Goût.

£>hc la, belle Nature fit bitn

imitée.

C^Ette Loi a le même fonder

ment que la première. Les Arts imi-r

tent la belle Nature pour nous char-

mer , en nous élevant à une fphere

plus parfaite que celle où nous forn-.

Page 121: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 89rnes : mais fi cette imitation cft im-

parfaite , le plaifîr des Arts eft nécef-

ïairement mêlé de déplaifir. On veut

nous montrer l'excellent , le parfait

,

mais on le manque & on nous laiiTe

des regrets. J'allois jouir d'un beau

fonge , un trait mal rendu m'éveille

& me ravit mon bonheur.

L'imitation,pour être auilï parfaite

qu'elle peut l'être , doit avoir deux

qualités : l'exactitude & la liberté,

L'une régie l'imitation, & l'autre Va.-*

nime.

Nous fuppofons en vertu de la

première Loi, que les modèles font

bien choifis, bien compofés , & net-?

tement tracés dans l'efprit. Quand,

une fois l'Artifte eft arrivé à ce point,

l'exactitude du pinceau n'eft plus

qu'une efpèce de méchanifme. Les

objets ne fe conçoivent même bien,

que quand ils font revêtus des cour

leurs avec lefquelles ils doivent pa^

fpître au dehors :

Page 122: gri 000033125008530772

€)D Les beaux Arts

Ce <pe Ton conçoit bien s'énonce clairement,

Et les mots , pour le dire , arrivent aifément.

Ainfi tout efl prefque fini pour l'é-

xa&itude, quand le tableau idéal efl

parfaitement formé. Mais il n'en efl

pas de même de la liberté, qui efl

d'autant plus difficile à atteindre ,

qu'elle paroît oppofée à I'exaditude.

Souvent Tune n'excelle qu'aux dé-

pens de l'autre. Il femble que la Na-

ture fe foit réfervée à elle feule de les

concilier,pour faire par-là recon-

noître fa fupériorité. Elle paroît tou-

jours naïve , ingénue. Elle marche

fans étude & fans réflexion,parce

qu'elle eft libre. Au lieu que tes Arts

liés à un modèle portent prefque

toujours les marques de leur fervi-

tude.

Les A&eurs agiflent rarement fur

la fcéne comme ils agiroient dans la

réalité. Un Augufte de Théâtre eft

tantôt embarailé de fa grandeur, tan-

Page 123: gri 000033125008530772

KEDUÏTS A UN pRUTCIP*. <? I

tôt de tes fentimens. Et fi dans la

Comédie Crifpin eft plus vrai ; c'eft

que fon rôle fabuleux approche da-

vantage de fa condition réelle. Ainfï

le grand principe pour imiter avec

liberté dans les Arts , feroit de fe

perfuader qu'on eft à Trezêne, qu'-

Hippolyte eft mort , & qu'on eft

réellement Theramene. Alors Ta-r

âfion aura un autre feu & une autre

liberté :

Vaulum interejfe cenfes ex animo omnit

Ut fert natur* facitts , An de induftria.

C'eft pour atteindre à cette liberté

que les grands Peintres laiflent quel-

quefois jouer leur pinceau fur la toi-

le : tantôt , cJ

eft une fymmétrie rom-

pue ; tantôt, un défordre affecté dans

quelque petite partie ; ici, ceft unornement négligé ; là , un défaut mê-

me , laïiTé à deiTein : c'en1la loi de

l'imitation qui le veut;

Page 124: gri 000033125008530772

9 2 Les beaux Arts

A ces petits défauts marqués dans la Peinture,

L'eiprit avec plaiiîr reconnoît la Nature.

Avant de finir ce Chapitre,qui

regarde la vérité de l'imitation , exa-

minons d'où vient que les objets qui

déplaifent dans la Nature font fi

agréables dans les Arts : peut-être en

trouverons-nous ici la raifon.

Nous venons de dire que les Arts

affectaient des négligences pour pa-

roître plus naturels & plus vrais.

Mais ce rafinement ne fuffit pas en-

core,pour qu'ils nous trompent au

point de nous les faire prendre pour

la Nature elle-même. Quelque vrai

que foit le tableau , le cadre fcul le

trahit : in omni re procùl âubio vin-

cit imitation em veritas. Cette ob-

fervation fuffit pour réfoudre le pro-

blême dont il s'agit.

Pour que les objets plaifent à

notre efprit, il fuffit qu'ils foient par-

faits en eux-mêmes. 11 les enviiage

Page 125: gri 000033125008530772

KEDUITS A UN PRINCIPE, O?fans intérêt : & pourvu qu'il y trouve

de la régularité , de la hardieffe, de

l'élégance , il eft fatisfait. Il n'en effc

pas de même du coeur. 11 n'eft tou-

ché des objets que félon le rapport

qu'ils ont avec l'on avantage propre.

C'efi: ce qui régie fon amour ou fa

haine. De-là il s'enfuit, que l'efprit

doit être plus fatisfait des ouvrages

de l'Art , qui lui offre le beau ; qu'il

ne l'ed ordinairement de ceux de la

Nature, qui a toujours quelque chofe

d'imparfait : & que le cœur au con-

traire , doit s'intéreifer moins aux ob-

jets artificiels qu'aux objets naturels,

parce qu'il a moins d'avantage à en

attendre. Il faut développer cette

féconde conféquence.

Nous avons dit que la vérité l'ern-

portoit toujours fur l'imitation. Par

conféquent, quelque foigneufement

que foit imitée la Nature , l'Art s'é-

chappe toujours , & avertit le cœur,que ce qu'on lui préiénte n'eft qu'un

Page 126: gri 000033125008530772

£4 Les beaux Artsfantôme , qu'une apparence ; 3c

qu'ainfi il ne peut lui apporter rien

de réel. C'efr ce qui revêt d'agrément

dans les Arts les objets qui étoient

défagréables dans la Nature. Dansla Nature ils nous faifoient craindre

notre deflruclion , ils nous caufoient

une émotion accompagnée de la

vue d'un danger réel : & comme Té-

motion nous plaît par elle-même

,

& que la réalité du danger nous dé-

plaît , il s'agilToit de féparer ces deux

parties de la même impreflion. C'eft

à quoi l'Art a réufli : en nous pré-

fentant l'objet qui nous effraye , &en fe lailTant voir en même-tems lui-

même , pour nous ralTurer & nous

donner, par ce moyen, le plaifïr de

l'émotion , fans aucun mélange des-

agréable. Et s'il arrive par un heu-

reux effort de l'Art ,qu'il foit pris

un moment pour la Nature elle-mê-

me, qu'il peigne par exemple un Ser-

peut , allez bien pour nous caufer

Page 127: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE- O Ç

les allarmes d'un danger véritable ;

cette terreur cil auflitôt fuivie d'un

retour gracieux , où famé jouit de

fa délivrance comme d'un bonheur

réel. Ainfî l'imitation elt toujours la

fource de l'agrément. C'efl: elle qui

tempère l'émotion , dont l'excès fe-

roit défagréable. C'efl: elle qui dé-

dommage le cœur , quand il en a

fouflert l'excès.

Ces effets de l'imitation fi avan-

tageux pour les objets défagréablcs,

fe tournent entièrement contre les

objets agréables par la même raifon.

L'imprelîion elt affoiblie : l'Art qui

paroît à côté de l'objet agréable ,

fait connoître qu'il eft faux. S'il efï

aiïez bien imité,pour paroître vrai

,

& pour que le cœur en jouiffe uninftant comme d'un bien réel ; le

retour , qui fuit , rompt le charme &rejette le cœur , plus trille , dans fon

premier état. Ainfi , toutes chofes

égales d'ailleurs , le cœur doit être

Page 128: gri 000033125008530772

96 Les beaux Artsbeaucoup moins content des objets

agréables dans les Arts, que des des-

fagréables. Aufîi voit-on que les Ar-

tiites réulîilTent beaucoup plus aifé-

ment dans les uns que dans les au-

tres. Dès qu'une fois les Acteurs font

arrivés à un bonheur confiant , on

les abandonne. Et fi on efl: touché

de leur joie dans quelques fcénes qui

paflent vite , c'eit parce qu'ils ibr-

tent d'un danger , ou qu'ils font prêts

d'y entrer. Il efl: vrai cependant qu'il

y a dans les Arts des images gracieu-

ies qui nous charment ; mais elles

nous feroient incomparablement

plus de plaifir , fi elles ctoient réa-

lifées : & au contraire, la peinture qui

nous remplit d'une terreur agréable

,

nous feroit horreur dans la réalité.

Je fais bien qu'une partie de l'a-

vantage des objets trilles dans les

Arts , vient de la difpofition naturelle

des hommes, qui, étant nés foibles &

malheureuxjfont très-fufceptibles de

crainte

Page 129: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. CjJ

crainte & de triftefTe ; mais je n'ai

point entrepris démontrer ici toutes

les raiibns que peuvent avoir les Ar-

tiftes,pour choifir ces fortes d'objets:

il me fuffifoit de faire voir , que cJ

eft

l'imitation qui met les Arts en état

de tirer avantage de cette difpofi-

tion, qui eft defavantageufe dans la

Nature; i

CHAPITRE VI.

£)uily a des règles particulières

pour chaque Ouvrage , ejr que le

Gont ne les trouve que dans là

Nature.

L E Goût eft une connoiffance des

Règles par le fentiment. Cette ma-nière de les connoître eft beaucoupplus fine & plus fure que celle de Tef-

prit : & même fans elle, toutes les lu-

mières de Tefprit font prefque inuti-

* G

Page 130: gri 000033125008530772

98 Les beaux Artsles àquiconque veut compofer.Vousfavez votre Art en Géomètre. Vouspouvez dire quelles en font les loix.

Vous pouvez même tracer un plan

en général : mais voici t?n terrain

avec quelques irrégularités , don-

nez-nous le plan qui lui convient

le plus , eu égard aux tems, aux per-

fonnes , &c. Votre fpéculation eft

déconcertée.

Je fais quel'cxorde d'un difçours

doit être clair , modefee & intéref-

fant. Mais quand je viendrai à l'ap-

plication de la régie ; qui me dira fi

mes penfées , mes expreffions , mes

tours remplirent cette régie ? Qui

me dira, où je dois commencer uneimage , où je dois la finir , la pla-

cer? L'exemple des grands Maîtres ?

Le fujet eft neuf, ou s'il ne l'eft pas,

les circonftances le font.

Il y a plus : vous avez fait un ex-

cellent ouvrage : les ConnoiiTeurs

l'ont approuvé : l'efprit & le cœur

mr -— -'-—

Page 131: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. ppont été également contents. Eft-ce

affez ? Sera-ce un modèle pour un

autre ouvrage ? Non : la matière eft

changée. Là , Oedipe mouroit dé

douleur : ici,Orefte vangé revit par la

joie. Vous retiendrez feulement les

points fondamentaux,qui font, Tor-

dre & la fymmétrie. Mais il vous faut

une autre difpofitiôn, un autre ton,

d'autres régies particulières , qui

foient tirées du fonds même du fu-

jet. Le Génie peut les trouver , les

préfenter à TArtiite : mais qui les

choifira, qui les faifira? Le Goût

,

& le Goût feul. C'eft lui qui guidera

le Génie dans l'invention des par-

ties , qui les difpofera, qui les unira

,

qui les polira : celt lui , en un mot

,

qui fera l'Ordonnateur , & prefque

l'Ouvrier.

Ces Régies particulières vous ef-

frayent : où les trouver ? Vous êtes

Poète , Peintre , Muficien ; vous

avez un talent fumatufel : Ingi-

G.j

Page 132: gri 000033125008530772

iôô Les beaux Artsnium ac mens divinior : vous fa-

vez interroger le grand Maître : les

idées que vous devez exécuter font

quelque part ; 6c fi vous voulez les

trouver :

Refpiccre exempUr morv.m vit&quejubelo.

C'eft: ce livre dans lequel il faut fa-

voir lire : c'ell la Nature. Et fi vousne pouvez y lire par vous-même

,je

pourrois vous dire : Retirez-vous

,

le lieu efi (acre* Mais fi l'amour dela gloire vous emporte ; lifez aumoins les Ouvrages de ceux qui ont

eu des yeux. Le fentiment feul vousfera découvrir ce qui avoit échappé

aux recherches de votre efprit. Li-

fez les Anciens : imitez-les , fi vousne pouvez imiter la Nature.

Quoi ! toujours imiter , dites-

vous y toujours être efclave ? Créezdonc , faites comme Homère, Mil-

ton, Corneille : montez fur le Tré-pied facré pour y prononcer des Ora-

Page 133: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. TOI

des. Le Dieu eft lourd, il n'écoute

point vos vœux? Réduifez-vous

donc à être , comme nous , Admira-

teur de ceux que vous ne pouvezatteindre ; & fouvenez-vous , qu'un

petit nombre fuffit pour créer des

modèles au refte du genre humain.

On connoît la nature du Goût& (es loix : elles font , comme onvient de le voir , entièrement d'ac-

cord avec la nature & les fondions

du Génie. Il ne s'agit pins que d'en

faire l'application détaillée aux dif-

férentes efpeces d'Arts. Mais qu'on

me permette de m'arrêter ici aupa-

ravant,pour tirer des conféquences

de ce que nous venons de dire fur

le Goût : elles ne peuvent être étran-

gères à notre fujet.

G îîj

Page 134: gri 000033125008530772

102 Les beaux Arts

CHAPITRE VIT.

I. Conséquence.

Jg_uilny a quun bon Gont en gé-

néral : ej? qu'il peut y en avoir

plufieurs en particulier.

L A première Partie de cette con-

féquence eft prouvée par tout ce

qui précède. La Nature eft le fcul

objet du Goût: donc il n'y a qu'un

feul bon Goût , qui eft celui de la

Nature. Les Arts mêmes ne peuvent

être parfaits qu'en reprefentant la

Nature : donc le Goût qui régne

dans les Arts mêmes , doit être en-

core celui de la Nature. Ainfi il ne

peut y avoir en général qu'un feul

bon Goût ,qui eft celui qui approu-

ve la belle Nature : & tous ceux qui

ne l'approuvent point, ontnéceffai-

rement. le Goût, mauvais.

Page 135: gri 000033125008530772

iieduits a un Principe. ioj

Cependant Sn voit des Goûts dif-

férens dans les hommes & dans les

Nations qui ont la réputation d'être

éclairées& polies. Serons-nous afTez

hardis, pour préférer celui que nous

avons à celui des autres , &pour les

condamner? Ce feroitune témérité,

& même uneinjuftice ; parce que les

Goûts en particulier peuvent être

tlifFércns , ou même oppoiés, fans

ccfTer d'être bons en foi. La raifon

en eft, d'un côté , dans la richeflé de

la Nature : Se de l'autre , dans les

bornes du cœur & de l'efprit humain.

La Nature eft infiniment riche en

objets, & chacun de ces objets peut

être confideré d'un nombre infini de

manières.

Imaginons un modèle placé dans

une faite de defleing. L'Artifte peut

le copier fous autant de faces , qu'il

y a de points de vue d'où il peut l'en-

vifager. Qu'on change l'attitude Se

la polition de ce modèle : voilà un

Giv

Page 136: gri 000033125008530772

104 Les beaux Artsnouvel ordre de traits & de coin-

binaifons qui s'offre au Deffinateur.

Et comme cette pofition du mêmemodèle peut fe varier à l'infini , Se

que ces variations peuvent encore fe

multiplier par les points de vue qui

font auili infinis ; il s'enfuit que le

même objet peut être repréfenté

fous un nombre infini de faces tou-

tes différentes , & cependant toutes

régulières & entièrement confor-

mes à la Nature & au bon Goût.

Ciceron a traité la conjuration de

Catilina en Orateur , & en Orateur-

Conful, avec toute la majefté &toute la force de l'éloquence jointe

à l'autorité. Il prouve : il peint : il

exagère : fes paroles font des traits

de feu. Sallufte eft dans un autre

point de vue. C'eitun Hiftorien qui

confidere l'événement fans paillon ;

fon récit eft une expoûtion fimple,

qui n'infpirc d'autre intérêt que ce-

lui des faits

Page 137: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. I0£

La Mufique Françoife & Tlta-»

lienne ont chacune leur caractère.

L'une n'eft pas la bonne Mufique :

l'autre , la mauvaife. Ce font deux

foeurs , ou plutôt deux faces du mê-me objet.

Allons plus loin encore : la Na-ture a une infinité de defieings que

nous connoiffons; mais elle en a aufii

une infinité que nous ne connoif-r

fons pas. Nous ne rifquons rien de

lui attribuer tout ce que nous concc-^

vons comme poiiible félon les loix

ordinaires, là ejt maxime naturale >

dit Quintilien , quodfieri naturel opti-

mè patitur. On peut former par l'es-

prit des Etres qui n'exiftent pas , Se

qui cependant foient naturels. Onpeut rapprocher ce qui eft féparé

,

& féparer ce qui eft uni dans la Na-ture. Elle fe prête, à condition qu'on

faura refpecter fes loix fondamen-

tales; & qu'on n'ira pas accoupler les

ferpens avec les oifeaux , ni les bre*

Page 138: gri 000033125008530772

io6 Les beaux Artsbis avec les tigres. Les mcnftres

font eflfrayans dans la Nature, dans

les Arts ils font ridicuîcs.U fuffit doncde peindre ce qui eft vraifemblable ;

on ne peut mener un Poète plus

loin.

Que Théocrîte ait peint la naïve-

té riante des Bergers : que Virgile yait ajouté feulement quelques dé-

grés d'élégance & de politelTe ; ce

n'éroit point une loi pour M. de

Fontenelle. 11 lui a été permis d'al-

ler plus loin, &defe divertir par unejolie mafcarade , en peignant la Couren bergerie. 11 a fu joindre la déli-

cateffe & Tefprit avec quelques guir-

landes champêtres , il a rempli fon

objet. 11 n'y a à reprendre dans fon

Ouvrage que le titre,qui auroit dû

être différent de ceux de Théocrite

& de Virgile. Son idée eft fort belle :

fon plan eft ingénieux : rien n'ed fi

délicat que l'exécution : mais il lui

a donné un nom qui nous trompe.

Page 139: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 107Voilà la richeiïe de la Nature , ce

me femble , aflez établie.

Le même homme pouvoit-il faire

ufage à la fois de tous ces tréfors ?

La multitude nauroit fait que le

diflraire & l'empêcher de jouir. Ceil

pourquoi la Nature , ayant fait des

provisions pour tout le genre hu-

main, devoit, par prévoyance, diflri-

bucr à chacun des hommes en parti-

culier, une portion de goût, qui le

déterminât principalement à certains

objets. C'eit ce qu'elle a fait, en for-

mant leurs organes , de manière qu'ils

fe portalTent vers une partie,plutôt

que furie tout. Les âmes bien con-?

formées ont un Goût général pour

tout ce qui eft naturel , & en même-?

tems , un amour de préférence , qui

les attache à certains objets en par-

ticulier : & c'eil cet amour qui fixe

les talens , & les conferve en les fi-

xant.

Qu'il foit donc permis à chacun

Page 140: gri 000033125008530772

i o8 Les beaux Artsd'avoir fon Goût : pourvu qu'il folt

pour quelque partie de la Nature.

Que les uns aiment le riant , d'au-

tres le férieux ; ceux-ci le naïf, ceux-

j le grand , le majeftueux, &c. Ces

objei s font dans la Nature,& s'y relè-

vent par le contrafte. 11 y a des hom-mes allez heureux pour les embraf-

fer prefque tous. Les objets mêmesleur donnent le ton du lentiment.

Ils aiment le férieux dans un fujet

grave ; l'enjoué , dans un fujet ba-

din. Ils ont autant de facilité à pleu-

rer à la Tragédie ,qu'ils en ont à

rire à la Comédie : mais on ne doit?

point pour cela me faire , à moi , uncrime, d'être refferré dans des bornes

plus étroites. 11 feroit plus jufte dç

me plaindre.

Page 141: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. ÎOp

CHAPITRE VIII.

II. Conséquence.

Les Arts étant imitateurs de là

Nature y ccft par la comparai]ron

' quon doitjuger des Arts.

Deux manières de comparer.

S I les beaux Arts ne préfentoient

qu'un fpectacle indifférent, qu'une

imitation froide de quelque objet

qui nous fut entièrement étranger ;

on en jugeroit comme d'un portrait :

en le comparant feulement avec Ion

modèle (a). Mais comme ils font

( a ) On ne veut traits , qui font dire

qu'un portrait rciTèm-

ble ; mais encore tout

ce que l'art du Peintre

employé ou peut em-ployer , afin que fbiv

ouvrage (oit pris pour

la nature même.

point dire ici que tout

le mérite d'un portrait

confîfte dans fa rcrTem-

blancc avec (on mo-dèle : à moins que le

mot de rcjfemblance ne

comprenne non-feule-

aient les principaux

Page 142: gri 000033125008530772

I

lio Les beaux Artsfaits pour nous plaire, ils ont befoîni

du fuffrage du coeur aufïi-bien que

de celui de la raifon.

H y a le beau , le parfait idéal de

la Poëlie, de la Peinture, de tous les

autres Arts. On peut concevoir par

refprit la Nature parfaite & fans dé-

faut , de même que Platon a conçu

fa République , Xenophon fa Mo-narchie , Ciccrdn fon Orateur. Com-me cette idée feroit le point fixe de

la perfection ; les rangs des Ouvra-

ges feroient marqués par le degré de

proximité ou d'éloignement qu'ils

auroient avec ce point. Mais s'il étoit

neceffaire d'avoir cette idée ; com-me il faudroit l'avoir , non feulement

pour tous les genres , mais encore

pour tous les fujets dans chaque ge ri-

te ; combien compteroit-on d'Arif-

tarqnes ?

Nous pouvons bien fuivreun Au-

teur , ou même courir devant lui dans

fa matière, jufqu'à un certain points

Page 143: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. III

Le fujet bien connu, nous fait entrer

Voir du premier coup d'oeil certains

traits qui font fi naturels 3c fi irap-

pans,qu'on ne peut les omettre dans

la compofition : l'Auteur les a mis en

oeuvre , & nous lui en fçavons gré.

11 en a employé d'autres, que nous

n'avions pas apperçus : mais nous \e3

avons reconnus pour être de la Na-ture : & en conféquence , nous lui

avons accordé un nouveau degré

d'eftime. Il fait plus, il nous montre

des traits que nous n'avions pas cru

poilibles , 8c il nous foçce de les ap-

prouver encore , par la raifon qu'ils

font naturels , & pris dans le fujet :

c'eil Corneille qui a peint de tête :

il avoit des mémoires fecrets fur la

fublime Nature : nous avouons tout :

nous admirons. Il nous*\ élevé avec

lui, Remporté dans la fphere qu'il

habite : nous y fommes. Qui de nousfera afiez hardi pour afTurer qu'il eft

encore des- dégrés au-delà ? que le

Page 144: gri 000033125008530772

ii2 Les beaux ArtsPoète s'eft arrêté en chemin : qu'il

n'a pas eu les ailes allez fortes pour

arriver au but. Il faudroit avoir me-

furé l'efpace au moins des yeux.

Cet Ouvrage a des défauts : c'efl:

un jugement qui eft à la portée de

la plupart. Mais , cet Ouvrage n'a

-pas toutes les beautés dont il eft

fufceptible : c'en eft un autre ,qui

n'efl: réfervé qu'aux eiprits du pre-

mier ordre. On fent , après ee qu'on

vient de dire , la raifon de l'un & de

l'autre. Pour porter le premier juge-

ment , il fuffit de comparer ce qui a

été fait , avec les idées ordinaires qui

font toujours avec nous, quand nous

voulons juger des Arts , & qui nous

offrent des plans,au moins ébauchés,

où nous pouvons reconnoître les

principales toutes de l'exécution. Aulieu que pour le fécond, il faut avoir

compris toute l'étendue poiTiblc de

l'Art, dans le fujet choifi par l'Auteur.

Ce qui efl à peine accordé aux plus

grands Génies. li

Page 145: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PfxINCIFE. I I 3

Il y a une autre efpèce de compa-

raison,qui n'en

1point de l'Art avec

la belle Nature. C'eft celle des diffé-

rentes impreffions que produifent en

nous lés différens Ouvrages du mê-me Art, dans la même efpèce. C'efr.

une comparaison qui fe fait par le

Goût fetil : au lieu que l'autre fe fait

par l'eiprit. Et comme la décifion du

Goùt,aufîi-bien que celle de l'efprit,

dépend de l'imitation , & de la qua-

lité des objets qu'on imite ; (a) on

a dans cette décifion du Goût, celle

de l'efprit même.Je lis les Satyres de Defpréaux. La

première me fait plaifif. Ce fenti-

ment prouve qu'elle eft bonne : mais

il ne prouve point qu'elle foit excel-

lente. Je continue : mon plaiiir s'aug-

mente à mefure que j'avance. Lé gé-

nie de l'Auteur s'élève de plus en

plus, jufqu'à la neuvième : mon Goûts'élève avec lui. L'Auteur n'a pu s'é-

( a) Voyez les çhap. 4. & j.

* H

Page 146: gri 000033125008530772

iî4 Les beaux Artslever plus haut : mon Goût eft refté

au même point que fon Génie. Ainfï

le degré de fentiment que cette Sa-

tyre m'a fait éprouver , efî ma régie

,

pour juger de toutes les autres Sa-

tyres.

Vous avez l'idée d'une Tragédie

parfaite. Il n'y a point de doute que

ce ne foit celle qui touche le plus vi-

vement, & le plus long-tems le Spec-

tateur. Liiez le moins parfait de tous

les (Edipes que nous avons. Vousl'avez lu , & il vous a touché. Pre-

nez-en un autre , & allez ainfi par

ordre , jufqu'à ce que vous foyez arri-

vé à celui de Sophocle , qu'on re-

garde comme le chef-d'œuvre de la

Mufe tragique , & le modèle des ré-

gies mêmes.

Vous avez remarqué dans l'un,des

hors d'oeuvres, qui vous détournent :

dans l'autre , des déclamations qui

vous refroidiflent : dans celui-ci , unftyle bouffi & une fauiTe majeité :

MME** BVlMi FS»,

Page 147: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. II£

dans celui - là , des beautés forcées

pour tenir place de celles qu'on a

rejettées , crainte detre copifte.

D'un autre côté, vous avez vu dans

Sophocle une aclion qui marche pres-

que feule & fans art. Vous avez fenti

Témotion qui croît à chaque Scène r

le Ityle qui eft noble & fage vous

élevé , fans vous diftraire. Vous êtes

attaché au fort du malheureux Œdi-

pe : vous le pleufez , & vous aimez

votre douleur. Souvenez -vous de

Tefpèce Se du degré de fentiment

que vous avez éprouvé : ce fera do-

rénavant votre régie. Si un autre Au-

teur étoit aiîez heureux pour y ajou-

ter encore , votre Goût en devien-

drait plus exquis Se plus élevé : mais

en attendant , ce fera fur ce degré,

que vous jugerez les autres Tragé-

dies ; Se elles feront bonnes oumauvaifes

,plus ou moins , félon le

degré de proximité ou d'éloigne-

fnent qu'elles auront avec ces de-

Hij

Page 148: gri 000033125008530772

iiô" Les beaux Artsgrés, & cette fuite de fentimens que

vous avez éprouvés.

Faifons encore un pas : tâchons

d'approcher de ce beau idéal qui eft

la loi fuprême. Lifons les plus ex-

cellens Ouvrages dans le même gen-

re. Nous Tommes touchés de l'en-

thoufiafme & des emportemens

d'Homère , de la fagefie & de la pré-

cifion de Virgile. Corneille nous a

enlevé par fa nobàeffe , Se Racine

nous a charmés par fa douceur. Fai-

fons un heureux mélange des quali-

tés uniques de ces grands Hommes :

nous formerons un modèle idéal fu~

périeur à tout ce qui eft ; & ce

modèle fera la règle fouveraine Se

infaillible de toutes nos décidons.

Ceft ainlî que les Stoïciens avoient

la mefure de la fagelïe humaine dans

le Sage qu'ils imaginoient : Se que

Juvenal trouvoit les plus grands Poè-

tes , au-deifous de l'idée qu'il avoit

conçue de la Poëfie par un fenti-

Page 149: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE- II7

ment que fes termes ne pouvoient

exprimer.

Qjialem nequee monftrare, &fentio tantum,

CHAPITRE IX,

III. Conséquence.

Le Goût de la Nature étant le mêmeque celui des Arts, il hy a quun-

feulGout qui s'étend à tout , &même fur les mœurs,

J_ 'Esprit faifit fur le champ la

juftefle de cette conféquence. Eneffet , qu'on jette les yeux fur i'hif-

toire des Nations , on verra tou-

jours l'humanité & les vertus civi-

les , dont elle eit la mère , à la fuite

des beaux Arts. C'eft par-là qu'A-

thènes fut l'école de la délicateffe ;

que Rome , malgré fa férocité origi-

naire , s'adoucit ; que tous les peu-

Hiij

Page 150: gri 000033125008530772

ïi8 Les beaux Artspies , à proportion du commercequ'ils eurent avec les Mufes , devin-

rent plus fenfibles & plus bien-

faifans.

Il n'eft pas poiTible que les yeux

les plus groiîiers, voyant chaque jour

les chef-d'oeuvres de la Sculpture

& de la Peinture , ayant devant eux

des édifices fuperbes & réguliers ;

que les Génies les moins diipofés à

la vertu & aux grâces , à force de

lire des ouvrages penfés noblement,

& délicatement exprimés , ne pren-

nent une certaine habitude de l'or-

dre , de la nobleffe , de la délicatefTe.

Si THiftoire fait éclore des vertus ;

pourquoi la prudence d'Ulyiïe , la

valeur d'Achille n'allumeroient-elles

pas le même feu ? pourquoi les grâ-

ces d'Anacréon , de Bion^ de Mof~chus n'adouciroient - elles pas nos

moeurs ? Pourquoi tant de fpe&a-

cles, où le noble fe trouve réuni avec

le gracieux, ne nous donneroient-ih

Page 151: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 1 1£pas le Goût du beau , du décent, dudélicat ? (*) Nos pères , & nos pères

favans , battoient des mains aux re-

préfentations comiques de nos faints

Myftéres , un Payfan aujourd'hui en

fentiroit l'indécence.

Tel eft le progrès du Goût : le

Public fe laifîe prendre peu à peupar les exemples. A force de voir

,

même fans remarquer , on fe forme

infenfiblementfur ce qu'on a vu. Les

grands Artiftes expofent dans leurs

(*) Va homme j

dit Plutarque, qui aura

appris dès fon enfance

la vraie Mufique, telle

qu'on doit l'cnfeigner

à Ja jeune (fe ; ne peut

manquer d'avoir ungoût ami du bon , &par conféquent enne-

mi du mauvais , mê-me dans les choies qui

n'appartiennent point

à la Mufique ; il ne fe

déshonorera jamais

par une baiTcfle. Il

fera aufïi utile à fa pa-

triej,

que réglé dans

la conduite privée : &il n'y aura pas une de

fes actions , ni de Tes

paroles qui ne (oit me-furée, & qui n'ait dans

toutes les circonftan-

ces des tems , &. des

lieux , le caraclere de

la décence , de la mo-dération , de l'ordre.

Xpa/titvcç à>Hfftaçf c%~

£*» ùia *&j xttyi*x«o

W Ktc/ntot. de Mufica.

Hiv

Page 152: gri 000033125008530772

120 Les beaux ArtsOuvrages les traits de la belle Na-ture : ceux qui ont eu quelque édu-

cation, les approuvent d'abord ; le.

peuple même en eft frappé. On s'ap-

plique le modèle fans y penfer. Onretranche peu à peu ce qui eft de

trop : on ajoute ce qui manque. Les

façons , les difcours , les démarches

extérieures ie fentent d'abord de la

réforme : elle pane jufqu'à l'cfprit.

On veut que les penfées ,quand el-

les fortiront au-dehors , paroiiïcnt

jufles , naturelles , & propres à nous

mériter l'eftime des autres hommes.Bientôt le cœur s'y foumet aufïi , onveut paraître bon , fimple , droit :

en un mot , on veut que tout le Ci-

toyen s'annonce par une expreÏÏion

vive Se gracieufe, également éloignée

de la groffiereté & de l'affectation :

deux vices auffi contraires au goût

dans la fociété, qu'ils le font dans

les Arts. Car le Goût a par-tout les

mêmes régies. Il veut qu'on ôte tout

Page 153: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 121

ce qui peut faire une imprefiion fâ-

cheufe , & qu'on offre tout ce qui

peut en produire une agréable. Voir

là le principe général.' C'efc à cha-

cun à l'étudier félon fa portée , & à

en tirer des concîufions pratiques :

plus on les portera loin, plus le

goût aura de fineilè & d'étendue.

Si on pratiquoit la Religion chré-

tienne comme on la croit : elle fe-

roit,en un moment, ce que les Arts

ne peuvent faire qu'imparfaitement,

& avec des années & quelquefois des

fiécles. Un parfait Chrétien efl unCitoyen parfait. 11 a le dehors de la

vertu, parce qu'il en a le fonds. 11 ne

veut nuire à qui que ce foit , & veut

obliger tout le monde ; & en prend

efficacement tous les moyens pof-

fibles.

Mais comme le plus grand nom-bre n'ef] chrétien que par l'efprit ;

\\ efl: très-avantageux pour la vie

civile , qu'on infpire aux hommes

Page 154: gri 000033125008530772

122 Les beaux Artsâes fentimens qui tiennent quelque

iieu de la chanté évangélique. Orces fentiniens ne fe communiquent

que par les Arts , qui , étant imita-

teurs de la Nature , nous rappro-

chent d'elle , & nous préfentent pour

modèles, fa (implicite, fa droiture,

fa bienfaifance qui s'étend également

à tous les hommes.

«assiîacssaB^saffl&'j

CHAPITRE X.

IV. ET DERNIERE CONSEQUENCE.

Combien il efi important déformerle Goût de bonne heure, & corn*

ment on devroit le former.

j L ne peut y avoit de bonheur pour

l'homme,qu'autant que fes goûts

font conformes à fa raifon. Un cœurqui fe révolte contre les lumières de

Fefprit , un efpiït qui condamne les

Page 155: gri 000033125008530772

îiEduits a un Principe. 123mouvemens du cœur , ne peuvent

produire qu'une forte de guerre in-

teftine, qui empoifonne tous lésina

tans de la vie. Pour aiTurer le con-

cert de ces deux parties de notre

ame , il faudroit être aufîï attentif

à former le Goût,(a) qu'on l'efl:

à former la raifon. Et même, com-

me celle-ci perd rarement (es droits

,

& qu'elle s'explique prefque toujours

aiTez , lors même qu'on ne l'écoute

point ; il femble que le Goût de-

vroit mériter la première & la plus

grande attention ; d'autant plus, qu'il

eft le premier expofé à la corrup-

tion , le plus aifé à corrompre , le

plus difficile à guérir, & enfin qu'il a

(a) Nous prenons ici

Je Goût de même que

dans le chapitre précé-

dent , c'eft-à-dirc, dans

fa plus grande étendue:

comme un fentiment

qui nous porte a ce

qui nous paroît bon,

au nous détourne de

ce qui nous paroît

mauvais. En ce fens il

peut s'appeller, Goût,dans lès commence-mens ; Paflîon , dans

fes progrès ; & Fureur

ou Folie , dans fes ex

ces.

Page 156: gri 000033125008530772

124 Les beaux Artsle plus d'influence fur notre con-

duire.

Le bon Goût eft un amour ha-

bituel de Tordre. 11 s'étend , com-me nous venons de le dire , fur les

mœurs auûi bien que fur les ouvra-

ges d'efprit. ]La fyrnmétrie des parties

entr elles & avec le tout , eft auifï

pséceffaire dans la conduite d'une

a&ïon morale que dans un tableau.

Cet amour eft une vertu de l'ame

qui fe porte à tous les objets, qui ont

raj port à nous , «Se qui prend le nomde Goût dans les chofes d'agrément,

6c redent celui de Vertu lorsqu'il s'a-r

I es moeurs. Quand cette partie

eft négligée dans l'âge le plus ten-

dre , on fent allez quelles en doi-

vent être les fuites.

Si on jugeoit des goûts ôc des

pallions des hommes, moins par leur

c bjet & par les forces qu'elles font

mouvoir pour y arriver, que par le

trouble qu'elles portent dans l'ame i

Page 157: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 12

J

on verroit que les âges n'y mettent

pas plus de différence que les con-

ditions. La colère d'un homme pri-

vé n'eit pas , de foi , moins violente

que celle d'un Roi : quoique les ef-

fets extérieurs en foient moins ter-

ribles. Un Père rit des dépits , de

l'ambition , de l'avidité d'un enfant

qui fort du berceau : ce n'en1 qu'une

étincelle , il ei\ vrai , mais une étin-

celle j à qui il ne manque que la ma-tière

,pour être un incendie. L'im-

prelTïon fe fait fur les organes : le

pli fe prend : & quand on veut le

réformer dans la fuite , on y trouve

une réfiftance qu'on rejette fur la

Nature , & qu'on devroit imputer à

l'habitude.

Que dans les premiers jours de la

vie , l'ame comme étonnée de fa pri-

fon , demeure quelque-tems dans

une efpece de flupidité & d'engour-

diiTement ; ce n'efl" pas une preuve

qu'elle ne s'éveille que quand elle

Page 158: gri 000033125008530772

126 Les beaux Artscommence à raifonner. Elle s'agîtc

bientôt par les defirs qui naiffent dubefoin : les organes l'avertiffent dedonner fes ordres : & le commercedu corps avec l'ame s'établit parles

impreflions réciproques de l'un fur

l'autre. L'ame reconnoît dès-lors en

filence toutes fes facultés : elle les

prépare & les met en jeu. Elle amafie

par le miniftére des yeux , des oreil-

les , du tad, & des autres fens , les

connoifTances & les idées qui font

comme les provifions de la vie. Et

comme dans ces acquittions , c'eft le

fentiment qui régne & qui agit feul;

il doit avoir fait déjà des progrès in-

finis, avant que la raifon ait fait feu-

lement le premier pas.

Peuvent-ils être indirTérens ces

progrès,qui font fi fouvent contrai-

res aux intérêts de la raifon , qui

troublent fans cefle fon empire , &ont aifez de force , ou pour la rendre

efclave , ou pour la dépouiller d'une

Page 159: gri 000033125008530772

"REDUITS A UN PRINCIPE. I27

partie de fes droits ? Et s'ils ne font

rien moins qu'indifférens ; feroit~il

poffible,qu'il n'y eût pas de moyen

pour les régler , ou pour les prévenir ?

On le croiroit prefque, à en juger par

le peu de loin qu'on donne ordi-

nairement aux quatre ou cinq pre-

mières années de l'enfance. Toutel'attention fe termine aux befoins ducorps. On ne fonge point que c'eil

dans ce tems que les organes achè-

vent de prendre cette conflitence,qui

prépare les caractères & même les

talens : & qu'une partie de la con-^

formation de ces organes dépend des

ébranlemens & des impreilions qui

viennent de l'ame.

Tant que l'ame ne s'exerce que

par le fentiment , c'eft le Goût feul

qui la mène : elle ne délibère point;

parce que l'impreiTion préfente la

détermine. C'eft de l'objet feul qu'el-

le prend la loi. Il faudroit donc lui

préfenter dans ces tems une fuite

Page 160: gri 000033125008530772

128 Lesbeaux Arts; *

cTobjets,capables de ne produire quedesfentimens agréables & doux,

(a)Se lui dérober la connoiffance detous ceux dont on ne pourroit la

détourner, qu'en la jettant dans la

triltefle ou l'impatience : & par-là

,

on formeroit peu à peu dans l'hom-me , dès fa plus tendre enfance , l'ha-

bitude de la gayeté, qui faitfon pro-pre bonheur, & celle de la douceur,qui doit faire celui des autres.

Quand l'homme commence à for-

tir de cet état de fervitude ou il eft

retenu par les objets extérieurs , Se

qu'il entre en poiTeihon de lui-mê-

me par la raifon Se par la liberté,;

on ne fonge d'ordinaire qu'à lui cul-

tiver l'efprit. On oublie encore en-

( a ) La joie ac-

compagne toujours unçceur bienfaifant, c'eft

par elle que l'ame s'é-

panouit en quelqueforte, & répand, fur cequi l'environne, lebon-

heur dont elle jouît.

Au lieu que la trifteiTe,

qui ronge le cœur , le

porte à fe venger fur

les autres,de la douleur

qu'il retient.

tiérement

Page 161: gri 000033125008530772

REDUits A un Principe. 12^tiérement le Goût : ou fi Ton y penfe,

c'eft pour le détruire en voulant le

forcer. On ne fait point que c'eft la

partie de notre amè qui efl la plus

délicate , celle qui doit être maniée

avec le plus d'art. Il faut feindre de

le fuivre lors même qu'on veut le

redreffer : & tout eft perdu, s'il fent

la main qui le réduit :

Tune faHère filer s

Appofita intortoi exîenAit régula mores.

Ç'étoit le grand & très-rare talent

de celui que Perfe avoit eu pourmaître.

Auflitot qu'un enfant ouvre les

yeux de l'efprit , & qu'il voit l'Uni-

vers ; le Ciel , les Affres , les Plan-

tes , les Animaux , tout ce qui l'en-

vironne le frappe , il fait mille quê-

tions : il veut favoir tout. C'eft. la

Nature qui le pouffe, qui le guide :

& elle le guide bien. 11 eft jufle que

le nouveau Citoyen qui arrive dans

*I

Page 162: gri 000033125008530772

t}0 Les beaux Artsle monde , connoiffe d'abord fà de-

meure, & ce qu'on y a préparé pour

lui. 11 faudroit fuivre ce rayon de

lumière , fatisfaire cette curiofité ,

la piquer de plus en plus par le fuc-

cès. Mais on l'arrête , on l'étouffé

en naiflant , pour lui fubftituer une

trifte contrainte qui jette l'efprit dans

des travaux que le dégoût rend in-

fructueux , & qui éteignent quelque-

fois pour toujours , cette curiofité

que la Nature avoit deftinée à être

l'éguillon de l'efprit & le germe des

fciences.

On met à l'entrée des études pré-

cifément ce qui peut en détourner

les enfans , ou les en dégoûter: des

régies abfïraites , des maximes fé-

ches , des principes généraux , de la

métaphyfique. Sont-ce là les jouets

de l'enfance ? Les Arts ont deux par-

ties : la Spéculation & la Pratique,

l'une peut aller avant l'autre , pour-

vu qu'on ne les fépare point pour

Page 163: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. I 3 I

toujours. Que ne leur donne-t/on

d'abord celle qui eil le plus à leur

portée,qui eft ]a plus conforme à

leur caraclère & à leur âge : celle

qui a le plus d'objets ienfibles , qui

donne le plus de jeu & de mouve-ment à Tefprit , en un mot celle qui

promet le moins de peine & le plus

de fuccès ?

Car c'eft le fuccès qui nourrit le

goût : & le fuccès & le goût an-

noncent le talent. Ces trois cho-

fes ne fe féparent jamais. De for-

te que fi après avoir effayé d'une

route pendant quelque-tems , ïc[-

prit ne s'y plaît pas ; c'eft une mar-

que qu'elle neft point faite pour le

mener à la gloire. Envain employé-

iroit-on la contrainte ; elle ne feroit

que diminuer encore le goût , & en-

laidir les objets. La feule reflburce,

ii on ne veut point y renoncer ab-

folument , c'elt de les préfenter fous

une autre face. Et sus ne plaifent

I

Page 164: gri 000033125008530772

t^i Les beaux Artspoint encore , il vaut beaucoup

mieux les abandonner pour toujours,

que d'occaflonner par l'obftinatioii

une fuite de fentirrîens qui pourroit

faire perdre à Famé fa gayeté «Se fa

douceur , deux vertus qu'aucun ta-

lent de l'efprit ne fauroit payer.

On peut tenter un autre voye.

Les taïens font aufli variés que les

befoins de la vie humaine ; la Nature

y a pourvu : & en mère bienfaifan-r

te , elle ne produit aucun homme

,

fans le doter de quelque qualité uti-

le, qui lui fert de recommandation

auprès des autres hommes. C'eft cet-

te qualité qu'il faut reconnoître &cultiver , fi on veut voir fructifier les

foins de l'éducation. Autrement, on

va contre les intentions de la Nature

qui réfifte conflamment au projet,

Sç le fait prefque toujours échouer*

Page 165: gri 000033125008530772

LES BEAUX ARTSREDUITS

A UN PRINCIPE.

Troisième Partie.

Ou LE PRINCIPE D F. LIMITATIONEST VERIFIE* PAR SON APPLICA-

TION AUX DIFFERENS ArTS.

P Et te Partie fera divifée en

V; "trois Se&ions , dans lefquelles

on prouvera que les Régies de la

Page 166: gri 000033125008530772

ï 34 Les beaux ArtsPoeiîc , de la Peinture , de la Mu-fique & de la Danle , font renfer-

mées dans l'imitation de la bellemees

Nature

SECTION PREMIERE.

j?Art Poétique est renferme'*DANS lI M IT AT 1 ON DE LA

belle Nature.

CHAPITRE I.

Ou on réfute les opinions con-

traires au principe de l'i-

mitation.

O I les preuves que nous avons don-

nées jufqu'ici ont été trouvées fuffi-

fantes pour fonder le principe de

l'imitation ; il eft inutile de nous

arrêter à réfuter les différentes opi-

nions des Auteurs fur Teifence de la

Page 167: gri 000033125008530772

keduîts a un Principe. 135Poëfie : & fi nous nous y arrêtons

un moment , ce fera moins pour les

combattre en régie , que pour endonner un court expofé , qui furrîra

pour lever tous les fcrupules qu'elles

auroient pu faire naître dans refpric

du Ledeur.

Quelques-uns ont prétendu que

l'effence de la Poëfie étoit la fi&ion.

Il ne s'agit que d'expliquer le terme,

& de convenir de fa lignification. Si

par fiëlion , ils entendent la mêmechofe que findre, oufing ère chez

les Latins ; le mot de fiction ne doic

fignifier que l'imitation artificielle

des caractères , des mœurs , des ac-

tions , desdifeours, &c. Tellement

que feindre fera la même chofe que

refrefenter , ou plutôt contrefaire ;

alors cette opinion rentre dans celle

que nous avons établie.

S'ils refferrent la lignification de

ce terme , & que par ficiion , ils en-

tendent le mïniftere des Dieux que

I iv

Page 168: gri 000033125008530772

136 Les beaux Artsle Poëte fait intervenir pour mettre

en jeu les reiïbrts fecrets de fon Poè-

me ; il e(t évident que la fiction n'efl

pas eiïentielle à la Poèïie ; parce

qu'autrement la Tragédie, la Comé-die , la plupart des Odes cefferoient

d'être de vrais Poèmes , ce qui feroit

contraire aux idées les plus univer-

Tellement reçues.

Enfin fi yai fiftion on veut ligni-

fier les figures qui prêtent de la vie

aux chofes inanimées , & des corps

aux chofes infenfibles,qui les font

parler & agir , telles que font les mé-taphores & les allégories ; la fi&ion

alors n'efl plus qu'un tour poétique

,

qui peut convenir à la Profe même.

C'eft le langage de la pafîion qui

dédaigne l'exprefïion vulgaire : c'efl

la parure & non le corps de la

Poëfie.

D'autres ont cru que la Poëfie

confiftoit dans la vérification.

Le Peuple frappé de cette mefure

Page 169: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. l^Jfenfible qui cara&érifc l'expremon

poétique & la fépare de celle de la

Profe , donne le nom de poëme à

tout ce qui eft mis en vers : Hifloire,

Phyfique, Morale, Théologie, tou-

tes les Sciences , tous les Arts qui

doivent être le fonds naturel de la

Profe , deviennent ainfî des fujets de

Poëme. L'oreille touchée par des

cadences régulières , l'imagination

échauffée par quelques figures har-

dies & qui avoient befoin d'être au-

torifées par la licence poétique ,

quelquefois même Fart de l'Auteur

qui, né Poète, a communiqué unepartie de fon feu à des matières lè-

ches , & qui paroiiïbient réfifter aux

grâces , tout cela féduit les efprits

peu inftruits de la nature des cho-

fes ; Se dès qu'on voit l'extérieur

de la Poëfie , on s'arrête à l'écorce ,

fans fe donner la peine de péné-

trer plus avant. On voit des vers

,

§c on dit 3 voilà un Poëme ; parce

Page 170: gri 000033125008530772

I3& Les beaux Àkts«nie ce n'eu* point de la profe.

Ce préjugé e(t auflî ancien que hFoëfie même. Les premiers Poèmesfurent des Hymnes qu'on chantoît

,

Se au chant dçfquels on affocioit la

Danfe, Homère & Tite - Live endonneront la preuve, (a) Or pourformer un concert de ces trois ex-

yreflions, desparoles , du chant , Se

de la danfe ; H falloit neceffaire-

ment qu'elles eu lient une mefure

çomrnune qui les fit tomber toutes

trois enfemble : fans quoi l'harmonie

eût été déconcertée. Cette mefureétoit le coloris : ce qui frappe d'a-

bord tous les hommes. Au lieu quelimitation qui en étoit le fonds 6c

comme le deiîeing , a échappé à la

CaJ ... IIoXvs ê'vp't)izct(&' opatptt y

Ko~fot à'àpx^S^ss tJma» h à clpec toum ,

A'uÀet QtpftiyyfS 7t /3«>iv t%e», Iliad. îS,

Et Tir. Liv. lib. t. I. Dec Ver urbem ire e&*nentes carmina cum tripudtis folemnie^tte faltxtsé

jtiflit.

Page 171: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 130plupart des yeux qui la voycnt , fans

la remarquer.

Cependant cette mefure ne con-

ftitua jamais ce qu'on appelle un vraî

Poëme :

. . . Neque enhn concludere verfum P

Dixeris ejfe fatis.

Et fi cela fuffifoit , la Poëfie ne fe-

roit qu'un jeu d'enfant,qu'un frivole

arrangement de mots que la moin-

dre tranfpofition feroit difparoître :

Eripias ft

Temporel certa wodofque & quod prius ordine

verbum eji 3

Poflerius facias ,pr&ponens ultimaprimis.

Alors le mafque eft levé : on recon-

noît la Profe toute fimple & toute

nue , le Poëte n'eft plus.

Il n'en eft pas ainfi de la vraîc

Poëfie. On a beau renverfer l'ordre,

déranger les mots 3 rompre la mefure:

elle perd l'harmonie , il eft vrai ;

mais elle ne perd point fa nature,

Page 172: gri 000033125008530772

140 Les beaux ArtsLa poëfie des chofes refte toujours,

on la retrouve dans fes membres

dïfperfés,

Inventas etiatn disjecîi membra To'ét*.

Cela n'empêche point qu'on ne

convienne qu'un Poème fans véri-

fication , ne feroit pas un Poème,

Nous i'avons dit, les mefures & l'har-

monie font les couleurs , fans lelquel-

les la Poëfie n'eft qu'une efiampe. Le

tableau repréfentera , fi vous le vou-

lez , les contours ou la forme , Se

tout au plus les jours & les ombres

locales ; mais on n'y verra point le

coloris parfait de l'Art.

La troifiéme opinion ert celle qui

met l'effence de la Poëfie dans l'En-

thoufiafme.

Nous l'avons défini dans la pre-

mière Partie , & nous en avons mar-

qué les fonctions, qui s'étendent éga-

lement à tous les*beaux Arts. Il

convient même à la Profe ;puifque

Page 173: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. T4I

la paillon avec tous l'es degrés ne

monte pas moins dans les tribunes

que fur les théâtres. Ciceron veut

que TOrateur foit ardent comme la

foudre , véhément comme un orage

,

rapide comme un torrent, qu'il fe

précipite , qu'il renverie tout par fon

impétuofité. Vthtmms ut procelia,

excitants ut torrens , incenjus utfui-

men , tonat , fulgurat , & rapidis

eloquentiœ fluflibus cunHa -promit

& proturbat : l'Enthoufiafme poéti-

que a-til rien de plus emporté oude plus violent ? £t quand Periclés

"Tonnoit & foudroyoit & renverfoit la Grèce ,

l'Enthoufiafme régnoit-il dans (es

difeours avec moins d'empire quedans les Odes Pindariques ?

Mais ce grand feu ne fe fontienc

pas toujours dans l'Oraifon : fe fon-

dent- 1 dans la Poëfie ? Et s'il falloir:

qu'il fe foutînt , combien de vrais

Poèmes ceiléroient d'être tels ?

Page 174: gri 000033125008530772

1^2 Les beaux ArtsOn cite en faveur de l'Enthoufiai^

me le fameux paflage d'Horace :

Ingenium eut fit , eut mens divinior atque os

Magnafonaturum , des nomints hujus honorent.

Ce paflage ne décide point la que-

ftion : il ne s'y agit point de la na-

ture de la Poëfie j mais des qualités

d'un Poète parfait. Deux chofes aulïi

différentes que le font le Peintre &fon tableau. En fécond lieu,fuppofé

que ces vers doivent s'entendre de

la nature de la Poëfie , ils n établit-

fent pas néceflairement l'opinion

dont il s'agit. Ariftote ,qui fait

confifter l'elïence de la Poëfie dans

l'imitation , n'exige pas moins qu -*

Horace , ce Génie, cette fureur di-

vine (a).

Horace n'avoit pas deflein dans

cet endroit de définir exa&ement la

Poëfie. Il a pris une partie fans vou-

(b) E<w» hiatus * imÀ-nx-n w p.*n*w. Voit.

cap. 17.

Page 175: gri 000033125008530772

EEDU1TS A UN PRINCIPE. 143ioir embrafler le tout. C'ell une de

ces définitions qui ne font ni toutes

vraies ni toutes faillies , & qu'on

employé quand on veut fermer la

bouche à ceux qu'on ne daigne pas

réfuter férieufement : & c'étoit pré-

cifément le cas où fe trouvait le

Poëte Latin.

Quelques Cenfeurs d'un mérite

médiocre , que l'intérêt perfonnel

avoit, peut-être , animés contre fes

Satyres , lui avoient reproché d'être

un Poëte mordant. Horace leur ré-

pond à la manière de Socrate, moinspour les infîmire que pour leur

montrer leur ignorance. 11 les arrête

dès le premier mot : & veut leur

faire entendre -qu'ils ne favent pas

même ce que c'eft que Poëfie ; &pour cela , il en trace un portrait qui

ne convient nullement à ce qu'ils

avoient appelle Poëfie mordante*

Pour confirmer cette idée & aug-

menter leur embarras 3 il cite l'opi-

Page 176: gri 000033125008530772

i44« "Lxs beaux Artsnion de quelques-uns qui ont mis eiï

queftion , fi la Comédie étoit un jujts

Poëme , quidam quœfivêre. Cela po-

fé : il eft clair qu'Horace ne penfoit

à rien moins qu'à définir rigoureufe-

ment la Poëfie ; mais feulement à

marquer ce qu'elle a de plus grand

& de plus éblouiiTant , & qui conve-

noit le moins kics Satyres : & qu'ain-

fi , ce feroit s'abufer que de vouloir

mefurer toutes les efpeces de Poè-

mes fur cette prétendue définition.

Mais, dira-t'on , rEnthoufiafmc

& le fentiment font une même cho-

fe , & le but de la Poëfie eft de pro-

duire le fentiment , de toucher , de

plaire. D'ailleurs le Poëte- ne doit-il

pas éprouver lui-même le fentiment

qu'il veut produire dans les autres l

Quelle conclufion tirer de-là ? Queles fentimens & rEnthoufiafmc font

le principe & la fin de la Poëfie : en

fera-ce l'efTence ? Oui , fi l'on veut

que la caufe & l'effet , la fin & le

moyen'

Page 177: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. I4Çmoyen foient la même chofc ; car il

s'agit ici de précifion.

Tenons -nous- en donc à l'imi-

tation, qui eft d'autant plus proba-

ble, qu'elle renferme l'enthouiiaf-

me, la ficlion , la verfification même

,

comme des moyens néceiTaires pourimiter parfaitement les objets. Onl'a vu jufqu'ici , & on le verra deplus en plus dans le détail qui vafuivre.

CHAPITRE II.

Les Divifions de la Poèfiefe trou -

nient dans £ Imitation.

LA vraie PoeTie confiflant efTen-

tiellement dans l'Imitation ; c'efl

dans l'Imitation même que doivent

fe trouver fes différentes Divifions.

Les hommes acquièrent la con-

noiiïancc de ce qui eft hors d'eux-

Page 178: gri 000033125008530772

t^6 Les beaux Arïsmêmes , par les yeux ou par les oreil-

les : parce qu'ils voyent les chofes

eux-mêmes , ou qu'ils les entendent

raconter par les autres. Cette dou-

ble manière de connoître, produit

la première divifion de la Poëfie,

& la partage en deux efpèces , dont

Tune eft. Dramatique , où nous

voyons les chofes repréfentées de-

vant nos yeux , où nous entendons

les difeours directs des perfonnes qui

agiffent ; l'autre Epique , où nous ne

voyons ni n'entendons rien par nous-

mêmes directement , où tout nous

eft raconté :

Attt agitur res in [cents , aut acîa refertur.

Si de ces deux efpèces on en forme

une troifiéme qui foit mixte , c'eft-

à-dire, mêlée de l'Epique & du Dra-

matique , où il y ait du fpectacle Se

du récit ; toutes les régies de cette

troifiéme efpèce feront contenues

dans celles des deux autres.

Page 179: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. I47

Cette Divifion ,qui n'eft fondée

que fur la manière dont la Poëfie

montre les objets, efl fuivie d'une

autre ,qui ell prife dans la qualité

des objets mêmes que traite la Poëfie.

Depuis la Divinité jufqu'aux der-

niers infectes , tout ce à quoi on peut

fuppofer de Faction , tout efl fournis

à la Poëfie ,parce qu'il l'eft à l'imi-

tation. Ainfi , comme il y a des Dieux,

des Rois , de fimples Citoyens , des

Bergers , des Animaux , & que l'Art

s'ett plu à les imiter dans leurs ac-

tions vraies ou vraifemblablcs ; il ya aufîi des Opéra , des Tragédies

,

des Comédies , des Pafiorales , des

Apologues. Et c'eft la féconde divi-

fion , dont chaque membre peut

être encore fousdivifé , félon la di-

verfité des objets,quoique dans le

même genre.

Toutes ces efpèces ont leurs ré-

gies particulières , que nous exami-

nerons en détail par rapport à nos

Ki)

Page 180: gri 000033125008530772

148 Les beaux Artsvues. Mais comme il y en a aufîï cmï

leur font communes , foit pour le

fonds des chofes , foit pour la forme

du flyle poétique ; nous commence^rons parles générales, & nous prou-

verons qu'elles font toutes renfer-

mées dans l'exemple de la belle Na-ture.

CHAPITRE III.

Les Règles générales de la Poefie,des chofesfont renfermées dans

l'Imitation.

^ I la Nature eût voulu fe montrer

aux hommes dans toute fa gloire, je

veux dire , avec toute fa perfe&ion

poilible dans chaque objet ; ces ré-

gies qu'on a découvertes avec tant

de peine , & qu'on fuit avec tant de

timidité , & fouvent même de dan-

ger , auroient été inutiles pour la for-

Page 181: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 145?

mation & le progrès des Arts. Les

Artiftes auroient peint fcrupuleufe-

ment les faces qu'ils auroient eues

devant les yeux , fans être obligés de

choifir. L'imitation feule auroit fait

tout l'ouvrage , & la comparaifon

feule en auroit jugé.

Mais comme elle s'eft fait un jeu

de mêler fes plus beaux traits avec

une infinité d'autres ; il a fallu faire

un choix. Et c'erl pour le faire , ce

choix , avec plus de fureté , que les

régies ont été inventées & propo-

fées par le Goût. Nous en avons

établi les principes dans la féconde

Partie. Il ne s'agit ici que d'en tirer

les conféquences , & de les appli-

quer à la Poëfie.

I. Règle générale de la Poésie,

Joindre rutile avec l'agréable.

En effet , fi dans la Nature & dans

les Arts les chofes nous touchent à

Kiij

Page 182: gri 000033125008530772

150 Les beaux Artsproportion du rapport qu'elles ont

avec nous; (a) il s'enfuit que les

ouvrages qui auront avec nous le

double rapport de l'agrément & de

l'utilité , feront plus touchans que

ceux qui n'auront que l'un des deux.

C'eft le précepte d'Horace :

Omne tulit punclum qui mi[cuit utile dulci

,

Lecîorem deleciando,pariterque monendo.

Le but de la Poëfie efl: de plaire : &de plaire en remuant les pallions.

Mais pour nous donner un plaifu

parfait & folide ; elle n'a jamais dû

remuer que celles qu'il nous eft im-

portant d'avoir vives , & non celles

qui font ennemies de la fagelTe.L'hor-

reur du crime , à la fuite duquel mar-

chent la honte, la crainte , le repen-

tir , fans compter les autres fuppli-

ces : la compaffion pour les malheu-

reux , qui a prefque une utilité auflî

étendue que l'humanité même : l'ad-

( a ) Voyez le chap, 3 . de la %. part.

Page 183: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. Iflmiration des grands exemples , qui

laiffent dans le coeur l'aiguillon de

la vertu : un amour héroïque, & par

confequent légitime : voilà , de l'a-

veu de tout le monde , les pallions

que doit traiter la Poéfie,qui n'efl

point faite pour fomenter la corrup-

tion dans les coeurs gâtés ; mais pour

être les délices des âmes vertueufes,

La vertu placée dans de certaines (i-

tuations , fera toujours un fpeclacle

touchant. 11 y a au fond des coeurs

les plus corrompus une voix qui parle

toujours pour elle , & que les honnê-

tes-gens entendent avec d'autant

plus de plaifir,qu'ils y trouvent une

preuve de leur perfeclion.

Aulli les grands Poètes n'ont-ils

jamais prétendu que leurs Ouvrages,

le fruit de tant de veilles Se de tra-

vaux , fuiTent uniquement deftinés à

amufer la légèreté d'un efprit vain ,

ou à réveiller l'aiToupiiTement d'un

Midas defoeuvre. Si c'eût été leur

Kiv

Page 184: gri 000033125008530772

î<y2 Les beaux Artsbut , feroient-ils de grands Hommes ?

On doit avoir une bien autre idée

de leurs vues. Les Poëfies Tragiques

6c Comiques des Anciens , étoient

des exemples de la vengeance terri-

ble des Dieux, ou de la juflc ceniurc

des hommes. Elles faifoient com-prendre aux Spectateurs que , pour

éviter l'une ôc l'autre , il falloit non

feulement paroître bon , mais l'être

en effet.

Les Poëfies d'Homère & de Vir-

gile ne font point de vains Romans

,

où l'efprit s'égare au gré d'une folle

imagination. Au contraire , on doit

les regarder comme de grands corps

de doefrine,comme de ces Livres de

Nation , qui contiennent lTiiftoire

de l'Etat , l'efprit du Gouvernement,

les principes fondamentaux de la

morale , les dogmes de la Religion ,

tous les devoirs de la fociété : & tout

cela , revêtu de ce que l'exprelTion

& l'art ont pu fournir de plus grand,

Page 185: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 153de plus riche , & de plus touchant à

des Génies prefque divins.

L'Iliade & l'Enéide font autant

les tableaux des nations Grecque &Romaine ,

que l'Avare de Molière

eft celui de l'avarice. Et de mêmeque la fable de cette Comédie nciï

qu'un canevas préparé pour rece-

voir , avec un certain ordre,quan-

tité de traits véritables pris dans la

fociété : de même auffi la colère

d'Achille, & l'établifTement d'Enée

en Italie, ne doivent être confidé-r

tés que comme la toile d'un grand

& magnifique tableau , où on a eu

l'art de peindre des moeurs, des ufa-

ges , des loix , desconfeils, &c. dé-

guifés tantôt en allégories , tantôt

en prédictions,quelquefois expofés

ouvertement : mais en changeant

quelqu'une des circonftances , corn-;

me le lieu , le tems , l'Acteur, pour

rendre la chofe plus piquante , &donner au Lecteur le plaifir de cher-

Page 186: gri 000033125008530772

1^4 Les beaux Artscher un moment, & de croire que ce

n'elr qu'à lui-même qu il eit redeva-

ble de fon inilruction.

Anacréon, qui étoit favant dans

îr

Art de plaire , & qui paroît n'avoir

jamais eu d'autre but , n'ignorait

pas combien il efî important de mê-

ler l'utile à l'agréable. Les autres

Poètes jettent des rofes fur leurs pré-

ceptes , pour en cacher la dureté.

Lui ,par un rafinement de déliea-

telle , met toit des leçons au milieu

de les rofes. Il favoit que les plus

belles images , quand elles ne nous

apprennent rien , ont une certaine

fadeur ,qui lahTe après elle le dé-

goût : qu'il faut quelque chofe de

folide pour leur donner cette force

,

cette pointe qui pénétre : & enfin ,

que fi la fageffe a befoin d'être

égayée par un peu de folie; la folie

,

à fon tour , doit être afiaifonnée d'un

peu de fagefîe. Qu'on life YAmour-piqué par une abeille 9 Mars perce

Page 187: gri 000033125008530772

BEDUITS A UN PRINCIPE. I J f

d'une fiêche de l'Amour , Cupid menchaîné par les Mufes , on fent

bien que le Poëte n'a point fait ces

images pour inftruire : il y a mis de

Linltrucîion pour plaire. Virgile efl:

affurcment plus grand Poète qu'Ho-

race. Ses tableaux font plus beaux

& plus riches. Sa vérification eft

admirable. Cependant nous lifons

beaucoup plus Horace. La princi-

pale raifon eft, qu'il a le mérite d'ê-

tre aujourd'hui plu.-; inflruclif pour

nous, que Virgile,qui

,peut-être l'é-

toit plus que lui autrefois pour les

Romains.

Ce n'eft pas cependant que la

Poefîe ne puiffe fe prêter à un aima-

ble badinage. Les Mufes font rian-

tes, & furent toujours amies des Grâ-

ces. Mais les petits Poèmes font plu-

tôt pour elles des délaffemens,que

des Ouvrages. Elles doivent d'au-

tres fervices aux hommes , dont la

vie ne doit pas être un amufemçnl

Page 188: gri 000033125008530772

%<yG Les beaux Artsperpétuel. Et l'exemple de la Na-ture , qu'elles fe propofent pour mo-dèle, leur apprend à ne rien faire de

confidérable , fans un deffein fage,

& qui tende à la perfe&ion de ceux

pour qui elles travaillent. Ainfi de

même qu'elles imitent la Nature

dans (es principes , dans ks goûts

,

dans (es mouvemens : elles doivent

aufii l'imiter dans les vues , & dans

la fin qu'elle fe propofe.

IL Règle.JZuily ait une action dans un

roeme.

Les chofes fans vie peuvent en-

trer dans laPoëfie. Il n'y a point de

doute. Elles y font mêmeanffi eflen-

tielles,que dans la Nature. Mais elles

ne doivent y être que comme accef-

foires , & dépendantes d'autres cho-<

fes plus propres à toucher. Telles

font les actions , qui étant tout à la

Page 189: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 1 57fois l'ouvrage de l'efprit de l'hom-

me , de fa volonté , de fa liberté, de

fes pallions , font comme un tableau

abrégé de la nature humaine.

C'eil pour ceia que les grands

Peintres ne manquent jamais de jet-

ter dans les payfages les plus nuds,

quelques traces d'humanité; ne fut-

ce qu'un tombeau antique, quelques

ruines d'un vieil édifice. La grande

raifon > c'efl: qu'ils peignent pour les

hommes.Toute a&ion eft un mouvement:

par conféquent fuppofe un point

d'où l'on part , un autre où l'on

veut arriver , & une route pour yarriver : deux extrêmes Se un milieu :

trois parties , qui peuvent donner à

un Poëme une julte étendue , félon

fon genre , pour exercer aûez l'ef-

prit, & ne pas l'exercer trop, (a)

La première partie ne fuppofe rien

avant elle; mais elle exige quelque

{a ) yoyez le chap. j. de la -s., part.

Page 190: gri 000033125008530772

158 Les beaux Artsehofe après : c'eftce qu'Ariftote ap-

pelle le commencement. La féconde

ïuppofe quelque chofe avant elle ,

& exige quelque chofe après : c'eil

le milieu. La troiiiéme fuppofe quel-

que chofe auparavant , & ne deman-

de rien après : c'eil la fin. Uneentre-

prife , des obftacles , le fuccès mal-

gré les obftacles. Voilà les trois par-

ties d'une a&ion intércffante par

elle-même. Voilà laraifon d'un pro-

logue, ou expofition du fujet, d'un

nœud , & d'un dénouement. C'eft la

mefure ordinaire des forces de notre

efprit , & la fource des fentimens

agréables.

III. R E G L E.

iJaction doit ètrefingtilierc , une >

/impie , variée.

Pour ne nous offrir que des ac-

tions ordinaires , il n'étoit point né-

eeflaire que le Génie appellât la Poe-

Page 191: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. I Jpfie au fecoms de la Nature. Toute

notre vie n'efl: qu'action : toute la

fociété neft qu'un mouvement con-tinuel de perfonnes, qui fe remuent

pour quelque fin.

Ainfi , fi la Poëfic veut nous atti-

rer , nous toucher , nous fixer ; il faut

quelle nous préfente une adion ex-

traordinaire , entre mille qui ne le

font point.

La fingularité confifle , ou dans

la chofe même qui fe fait ; commequand Auguftc dans Corneille déli-

bère avec Cinna & Maxime , tous

deux conjurés contre lui , s'il quit-

tera l'Empire : ou dans les reflbrts

qu'on employé pour arriver à fon

but ; comme quand le même Au-gufte pardonne à (es ennemis pour

les défarmer. Ces reflbrts font de

grandes vertus , ou de grands vices

,

une finefle d'efprit , une étendue de

génie extraordinaire , qui fait pren-

dre aux évènemens un tour tout-à-

Page 192: gri 000033125008530772

160 Les beaux Artsfait différent de celui qu'on devoit

attendre. Cette fingularité nous pi-

que , & nous attache, parce qu'elle

nous donne des imprefîions nouvel-

les , & qu'elle étend la fphère de nos

idées.

Ce n'efr pas affez qu'une a&ion

foit finguliere , le Goût demande en-

core d'autres qualités. Si les refTorts

font trop compliqués, comme dans

Heraclius , l'intrigue nous fatigue.

D'un autre côté , s'ils font trop (im-

pies , Tefprit languit , faute de mou-vement : comme dans la Bérénice

de Racine. Il faut donc que l'aclion

foit fimple , & en méme-tems qu'elle

ne le foit pas trop. Si les fituations,

les caracleres , les intérêts avoient

trop de conformité , ils cauferoient

le dégoût ï d'un autre côté , fi l'ac-

tion étoit traverfée par un incident

abfolument étranger , ou mal coufu

avec le relie , fut-il un lambeau de

pourpre ; le plaifir feroit moins vif.

L'ame

Page 193: gri 000033125008530772

déduits a un Principe. i6t

L'ame une fois mife eh mouvement

,

n'aime point à être arrêtée mal-à-

propos , ni éloignée de fon but. Il

faut donc que Tadion foit en même-tems variée, & une, c'eft - à -dire ,

que toutes fes parties,quoique dif-

férentes entre elles , s'embraiTenf

mutuellement , pour compofer untout qui paroiffe naturel.

Ces qualités fe trouveroient dans

Une action hiftorique , fi on la fup-

pofoit avec toute fa perfection pof-

fible ; mais comme ces adions ne fe

trouvent prefque jamais dans la Na-ture , il étoit réfervé à la Poëfie de

nous en donner le fpectacle & le

plaifir.

IV. Règle."touchant les caractères , la con~

duite dr le nombre des Acteurs*

Il y a dans la Nature , ou dansl

la fociété commune , ce qui efl: ici

* L

Page 194: gri 000033125008530772

%6i Les beaux Artsla même chofe , des actions où les

Acteurs font multipliés fans befoin.

Ils s'embarraifent plus qu'ils ne s'en-

traident : ils agiffent fans concert :

leurs caracleres font mal décidés ,

ou plutôt ils n'en ont point : leurs

opérations font lentes & ennuyeu-

fes : leurs penfées communes & fauf-

fes : leurs difcours impropres , ou

foibles , ou remplis d'inutilités. Deforte que fi c'elt un Tout , c'eft un

Tout bizarre , irrégulier , informe

,

où la Nature eft plutôt défigurée

,

qu'embellie. Que diroit - on d'un

Peintre qui repréfenteroit les hom-mes, petits , maigres , bolTus , boi-

teux , &c. comme ils font fouv^nt

dans la Nature.

Les premiers Artiftes eurent be-

foin de la raifon des contraires pour

tirer de tant de défauts,les principes

du beau, de Tordre , du grand , du

touchant : & peut-être qu'il leur fut

plus aifé de procéder par cette mé-

Page 195: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE, ï6%tliode,que par le choix du meilleur ;

nous fentons plus diftindement le

mauvais que le bon.

En conféquence de ces obferva-

tions , il a été décidé , i °. que le nom-bre des Adeurs feroit réglé furie be-

foin, je ne dis pas de la pièce , mais

de l'action, (a) Le befoinde la piè-

ce eft fouvent celui du Poëte ,qui

,

pour remplir un vuide , ou écarter

urt obftacle , fait paroître ou difpa-

roître un Acleur , fans que la vrai-

femblance de Taftion l'exige. C'efl:

Virgile qui fait emporter Creiïfe par

Un prodige , pour donner lieu à unfécond hymen , fans lequel tomboit

tout l'édifice de fon poëme. 'C'elT:

quelque Poëte moderne , qui > pour

(a) Pour faire fèntir

la différence qu'il y a

entre le befoin de la

Pièce &- le befoin de

l'Action, il furfit dejetter les yeux fur les

Horaces de Corneille.

Le befoin de TAÛioQfe bornoit à trois Ac-tes , ou à quatre tout

au plus 5 & le befoin

de la Pièce a conduis

le Poëte jufqu'à ciaq.

M

Page 196: gri 000033125008530772

364 Les beaux Artséviter de trop longs ou de trop fré-*

qliens monologues, introduit tan-

tôt un confident inutile au mouve-ment de l'action , tantôt une autre

petite action épifodique, pour ra^

mener ou attendre les Acteurs de

l'action principale , dont l'intérêt fe

trouve ainfi partagé , & par confé-

quent affoibli.

2°. Les Acteurs auront des carac*

teres marqués,qui feront le prin-

cipe de tous leurs mouvemens : ver-

tus ou vices , il n'importe à la Poè-

fie. Agamemnon fera orgueilleux

,

Achille fier , UlyfTe prudent ; & s'ils

pèchent , ce fera plutôt par excès

,

que par défaut. Agamemnon ira juf*

qu'à l'outrage ; Achille ,jufqu'à la

fureur; & UlyfTe touchera prefque à

la fourberie.

3°. Us feront ce qu'ils doivent

faire , & ne feront que ce qu'ils doi-

vent. Il s'agifToit d'aller à la décou-

verte dans lecampTroyen. Il falloir

Page 197: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 165:

y envoyer deshommes munis de pru-

dence & de courage pour prévoir

les dangers, &fe tirer de ceux qu'ils

nauroientpas prévus. Ulyffe &Dio-mede font choifîs : l'un voit tout ce

que peut voir la prudence humaine :

l'autre exécute tout ce qu'on peut

attendre d'un courage héroïque.

Chacun fait fon rôle. On reconnoît

les A&eurs à leurs a&ions , c'ell: la,

belle manière de les peindre.

4°, Enfin , les caractères feront

contraires : c'efi-à-dire , que chacun

aura le lien , avec une différence fen-

fible ; & qu'on les montrera , de forte

que la comparaifon les falTe fortir

mutuellement. Il y a mille exemples

du contrafle dans tous les Poètes,

& dans tous les Peintres. Ce font

deux frères , dont l'un eft trop indul-

gent , l'autre trop dur : c'ell le père

avare vis-à-vis un fils prodigue : c'eft

le mifantrope vis-à-vis l'homme du

monde,qui pardonne au genre hiH

L iij

Page 198: gri 000033125008530772

i66 Les beaux Artsmain : c'efl le vieux Priam aux pieds

du jeune Achille , & qui lui baife les

mains . teintes encore du fang de fes

fils. Si les cara&eres ne différent

point par Tefpèce, ils doivent diffé-

rer par les dégrés. Horace& Curiace

font deux Héros , dont le caraclere

eft la valeur ; mais l'un eft plus fier

,

l'autre plus humain.

* h i i

CHAPITRE III.

Les règles de la To'èfie dufiylefont

renfermées dans rimitationde la belle Nature.

I . A Poëfie, qu'on appelle du ftyle,

par oppofîtion à celle des chofes

,

qui confiftc dans la création & la

difpofitiondes objets, contient qua-

tre parties : i °. les penfées. 2 . les

mots. 3 . les tours. 4 . l'harmonie.

Tout cela fe trouve dans la profe

Page 199: gri 000033125008530772

KEDUITS A UN PRINCIPE. l6j

même ; mais comme dans les Arts

il s'açit non feulement de rendre la

nature , mais de la rendre avec tous

{es agrémens & (es charmes poffi-

bles ; la Poëfie ,pour arriver à la fin

,

a été en droit d'y ajouter un degré

de perfeftion,qui les élevât en quel-

que forte au-deffus de leur condition

naturelle.

Ceft pour cette raifon que les

penfées , les mots , les tours ont dans

la Poëfie une hardieiïc , une liberté

,

une richefle qui paroîtroit excefîive

dans le langage ordinaire. Ce font

des comparaifons foutenues , des

métaphores éclatantes, des répéti-

tions vives , des apoflrophes fingu-

lieres. Ce 11: YAurore fille du matin ,

qui ouvre les portes de l'Orient avec

Jes doigts de rofes. Cefr. un fleuve

appuyé fur fon urne -penchante >

qui dort au bruit flatteur de [on

onde naijfante : ce font les jeunes

Zephirs qui folâtrent dans les prau

L iv

Page 200: gri 000033125008530772

i£8 Les beaux Artsries èmaïllêes , ou les Nayades qui

je jouent dans leurs palais de cry-

ftal. Ce neft point un repas , c'en;

yne fête :

Qji&Jitique décent cuit us mugis atque colores

lnfoliti }nec erit t/into ars deprenfa pudori.

Cette licence eft cependant réglée

parles loix de limitation : ceft l'état

$c la fituation de celui qui parle ,qui

marque le ton du d'tfcours :

Si dicentis erunt fortunis abfonct diSttt^

Romani tollent équitéspeditefque cachinnutn.

L'Ode même dans fçs écarts , & l'E-

popée dans fo.n feu , ne font auto-

riféesque par ryvreije dufentiment „

ou par la force de l'infpiration , dans

lefquelles on fuppofe le Poëte : fans

cela , l'Art fe feroit tort à lui-même,

& la Nature feroit mal imitée.

Nous ne nous arrêterons pas da-

vantage à ces trois parties de la Poë-

fie du ftyle ; parce qu'il eft aifé d«

Page 201: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 1^9s'en former une idée jufte par la feule

lecture des bons Poètes : il n'en eft

pas de même de la quatrième , qui

eft l'harmonie :

Non quivis videt immodulata poemata judex»

L'Harmonie , en général , eft unrapport de convenance , une efpèce

de concert de deux ou de plufieurs

chofes. Elle naît de l'ordre, & pro-

duit prefque tous les plaifirs de l'efr

prit. Son refTort eft d'une étendue

infinie ; mais elle eft fur-tout l'ame

des beaux Arts.

Il y a trois fortes d'Harmonie dans

la Poëfie : la première eft celle duftvle

, qui doit s'accorder avec le fu-

jet qu'on traite,qui met une jufte

proportion entre l'un & l'autre. Les

Arts forment une efpèce de républi-

que , où chacun doit figurer félon

fon état. Quelle différence entre le

ton de l'Epopée , & celui de la Tra-

gédie ! Parcourez toutes les autres

Page 202: gri 000033125008530772

170 Les beaux Artsefpèces , la Comédie , la Poëfie ly-

rique , la Paftorale , &c. vous fen-

tirez toujours cetre différence, (a)

Si cette Harmonie manque à quel-

que Poëme que ce foit , il devient

une mafearade : c'eft une forte de

grotefque qui tient de la parodie.

Et fi quelquefois la Tragédie s'ab-

bailTe , ou la Comédie s'élève ; cefr.

pour fe mettre au niveau de leur

matière,qui varie de tems en tems;

& l'objection même fe tourne en

preuve du principe.

Cette Harmonie eft effentielle :

mais on ne peut que la fentir , &malheureufement les Auteurs ne la

fentent pas toujours affez. Souvent

les genres font confondus. On trou-

ve dans le même ouvrage des vers

(a) Itaque <& in îrct-

gœdiâ comicum vitio~

fum ejl, & in coms.diâ

turpe tmgicum, & in

(4teris [hus efi cH]uf~

que certus fonus , &qu&dam intelligentibus

nota, vox. Cic. de in-

vent, cap. 1.

Page 203: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 171tragiques , lyriques , comiques , qui

ne font nullement autorifés par la

penfée qu'ils renferment. Pourquoi

donc vous mêlez vous de peindre

,

puifque vous n'entendez rien au co-

loris ?

Defcriptas fervare vices operumque colores

dur egofi nequeo ignoroque , Poeta falutor.

Une oreille délicate reconnoît pref-

que par le cara&ère feul du vers ,

le genre de la pièce dont il eft tiré.

Citez-nous Corneille , Molière , la

Fontaine , Segrais,RoufTeau , on ne

s'y méprend pas. Un vers d'Ovide fe

reconnoît entre mille de Virgile. Il

n'efl: pas néceffaire de nommer les

Auteurs : on les reconnoît à leur

Ityle , comme les Héros d'Homèreà leurs aftions.

La féconde forte d'Harmonie con-fiée dans le rapport des fons & des

mots avec l'objet de la penfée. Les

Ecrivains en profe même doivent

Page 204: gri 000033125008530772

172 Les beaux Artss'en faire une régie : à plus forte rai-

fon (*) les Poètes doivent-ils Tobfer-

ver ! Auflî ne les voit-on pas expri-

mer par des mots rudes, ce qui eft

doux ; ni par des mots gracieux , ce

qui eft défagréable & dur :

Carminé non levi dicenda efl feabra creftdo.

Rarement chez eux l'oreille eit encontradiction avec l'efprit.

La troifiéme efpèce d'Harmonie

dans la Poëfie peut être appellée ar-

tificielle , par oppofition aux deux

autres qui font naturelles au dif-

cours & qui appartiennent égale-

ment à la Poëfie & à la Profe. Celiez

ci confifte dans un certain Art , qui

,

outre le choix des expreilions & des

fons par rapport à leur fens , les af-

fortit entr'eux de maniere,que toutes

(a) Aures,vel animus

tturiitm nuncio,natura

longioraQp brevioraju-

dicat. . . Mutila fentit

lem quandam iufe con - quidam quafi deeurta

tinet vocttm omniumjta

, &c. Cic. in ora~

mmfionem. Itaque & \ tore.

Page 205: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 175les fyllabes d'un vers

, prifes enfem-

ble , produifent par leur fort, leur

nombre , leur quantité , une autre

forte d'expreihon qui ajoute encore

à la lignification naturelle des mots.

Chaque chofe a fa marche dans

l'Univers. Il y a des mouvemens qui

font graves & majeflueux : il y en aqui font vifs & rapides : il y en aqui font fimples & doux. De même,la Poëfie a des marches de différentes

efpèces, pour imiter ces mouvemens^& peindre à l'oreille par une forte

de mélodie , ce qu'elle peint à Tefprit

par les mots. C'efr une efpèce dechant mufical, qui porte le caractère

non-feulement du fujet en général

,

mais de chaque objet en particulier.

Cette Harmonie n'appartient qu'à la

Poëfie feule : & c'eft le point exquis

de la verfification.

Qu'on ouvre Homère & Virgile ,

on y trouvera prefque partout uneexprefTion îmifïcale de la plupart des

Page 206: gri 000033125008530772

i74 ^ ES beaux Artsobjets. Virgile ne l'a jamais manquee?

on la fent chez lui , lors même qu'on

ne peut dire en quoi elle confifte.

Souvent elle eft fi fenfible qu'elle

frappe les oreilles les moins atten-

tives :

Continuo venusfurgentibus , aut fréta ponti

Incipiunt agitata tumefeere,©> aridus altis

Montibus audiri fragor } aut refonantia longé

Littora mifeeri , & nemorum increbrefeere

murmur.

Et dans TEneïde , en parlant du trait

foible que lance le vieux Priam :

Sic fatus fenior : telumque imbellefine iBu

Conjecit , rauco quod protinus Are repulfum

Et fummo clypei nequicquam umbone pe-

pendit.

Je ne puis omettre cet exemple tiré

d'Horace :

Ouâ pinus ingens t attaque populus

Umbram hofpitalem confociare amant

Ramis y & obliquo laborat

Limpha fugax trepidar* riveê

Page 207: gri 000033125008530772

keduits a un Principe. 17 jAu relie , s'il y a des gens à qui la

Nature a rcfufé le plaifir des oreilles,

ce n'eft point pour eux que ces

remarques ont été faites. On pour-

roit leur citer les autorités des Grecs

&des Latins, qui font entrés dans le

plus grand détail par rapport à l'har-

monie du langage ; (*) mais je mebornerai à celle de Vida ; d'autant

plus ,qu'il donne en même-tems le

précepte & l'exemple :

llaud fatis efi Mis (poetis) utcumque claudert

•verfum ,

Et res -verborum propriâ vi reddere cloras.

Omnia fed numeris vocum concordibus aptant j

Atque fono quxcunque canunt imitantur 3 &apta

Verborum facie , & quarto carminis orc.

Ham diverfa opus efi veluti date verfibus ora

{a) Voyez Ciceron

dans Ton Orateur &dans (on dernier Liv.

de Orat. Denis d'Ha-

licarnafTe dans Ton trai-

te de l'Arrangement

des mots. Quintilien

liv. 9. & Vofïîusdans

fes Inftitutions Ora-

toires, & dans fon trai-

té de la Grammaire.

Page 208: gri 000033125008530772

176 Les seaux ArtsJ)iverfofque habitus : ne qualis prirhus & alter i

Talis & inde aller vultUque incedat eodem.

Hic melior motuque pedum & pernicibus alis 3

Molle z/iam tacito lapfu per levia radit.

llle autem membris ac mole ignavius ingens

Jncedit tardo molimine fnbfidendo.

Ecce aliquis fubit egregio pulcherrimus ore ,

Qui Utum membris Venus omnibus afflat hs-

norem.

Contra alius riidis informes ojlendit & artus ,

Hirfutùmque fupercilium , ac caudamfinuofam ,

Ingratus x-ifu fonitu UUtabilis ipfo :

JSlec verb h&fine lege data. ,fine mente figurt

Sed faciès fua pro meritis , habitufque fonuf-

que

Cunfiis cuique fuus vocum difcrimine certoy &c*

La fuite en eft aufîi agréable qu'in-

ftrudive , & elle forme pour nous

une preuve fans réplique.

Telle efl l'harmonie qui régne

dans les Poètes Grecs & Latins.

Cette harmonie peut-elle fe trou-

ver dans nos Poètes ? Il y a une opi-

nion établie en faveur des Anciens

murarif » -r - «^

Page 209: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE, fff& entièrement contraire aux Mo-dernes. Voyons fur quoi elle eiî fon-

dée , & fuppofé qu'elle foit injufte,

ofons prendre modeflement ce qui

nous appartient.

Les Langues ne fe font point faites

par fyflême : & dès qu'elles ont leur

fource dans la nature même des

hommes , il e(t néceffaire qu'elles fé

relTemblent toutes par bien dts en-

droits.

Si e'eft la Mefure qui produit l'har-

monie dans les Vers latins ; nous

avons le même avantage dans les nô-

tres. L'Alexandrin a douze tems, de

même que l'Hexamètre des Latins.

Le vers de dix fyllabes en a dix , de

même que le Pentamètre. Nousavons ceux de huit & de fept : nous

en avons au befoin de plus petits ,

qui répondent au vers Gliconique

& Adonique , Se qui fe prêtent à la

Mufique aufii bien qu'eux.

Si c'eft le ion même des mots Se

* A*

Page 210: gri 000033125008530772

178 Lis beaux Artsdes fyllabes dont les vers font com-pofés : n'avons-nous pas auili bien

que les Anciens des fons , graves &aigus , doux Se rudes , éclatans &fourds , fimples , nombreux , maje-

ftueux ? Cela n'a pas befoin de

preuves. Y a-t'il moins d'harmonie

dans quelques-uns de nos bons Ecri-

vains en profe , que dans les Ora-

teurs & dans les Kiftoricns Grecs

ou Latins ï

Ce font les brèves , dira-t'on ,

& les longues qu'avoient les Latins

,

& que nous n'avons pas. Il cft vrai

que nous faifons prefque toutes nos

fyllabes égales dans la converfation.

Cependant , fi on y prend garde , ontrouvera que , fuppofé même que

nous les falTions toutes brèves dans

le difeours familier , il y en a au

moins que nous faifons plus brèves;

& en comparaifon defqueiles les

autres font longues. Et il y a appa-

rence que les Latins en ufoient à peu

Page 211: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 179

près de même que nous , dans Tufage

ordinaire des converfations. Et li

dans la prononciation foutenue , ils

marquoient davantage les longues&les brèves ; nous ne le faifons pas

moins qu eux. M. l'Abbé d'Olivet Ta

démontré dans fon Traité de la Pro-

fodie Françoile. 11 ne faut que lire*

avec quelque attention pour s'en

convaincre. Nous avons des longues,

des plus longues , des brèves , des

plus brèves , & des muettes qui font

très-brèves , dont le mélange peut

produire & produit réellement , dans

les bons Verfificateurs , le même effet

pour une oreille attentive & exercée

,

que dans la vérification latine. Onen peut juger parquelquesvers qui lui-

vent , & qu'on regarderoit peut-être

danslesAncienscomme des exemples

frappans de l'harmonie poétique :

Cadences marquées four VImitation.

Ses murs dont le fommet le dérobe à la vue-

Mij

Page 212: gri 000033125008530772

iSo Les beaux ArtsSur iâ cime d'un roc s'allongent dans la nue. . . .

Ses aïs demi pourris que l'âge a relâchés

,

Sont à coups de maillets unis & rapprochés.

Sous les coups redoublés tous les bancs reten-

tiflent.

Les murs en font émus , les voûtes en mu-

gi lient.

' Et l'orgue même en poufle un long gémif-

fcment.

Que fais -tu Chantre hélas ! dans ce trille

moment.

Tu dors d'un profond fomme :

On admire le procumMt de Virgile,

cette chute eil-elle moins heureuiè?

Sa croupe le recourbe en replis tortueux. Rxc.

Un jour fur fes longs pieds alloit je ne fais où,

Un Héron au long bec emmanché d'un long

cou :

Il côtoyoit une rivière. Lnïont.

Cadence frejfée.

Le Prélat & fa troupe à pas tumultueux

Le Prélat hors du lit , impétueux s'élance. Boit

Page 213: gri 000033125008530772

KEDU7TS A UN PRINCIPE. l8l

Cadence dottce.

II eft un heureux choix de (ons harmonieux B.

Source délicieufc en mi 1ère féconde. Corn.

Cadence dure.

Cardez qu'une voyelle à courir trop hâtée

Ne ibit d'une voyelle en Ion chemin heurtée...

D'une fubite horreur fes cheveux fe hérifTent.

Cadence grave.

Quatre bœufs attelés d'un pas tranquille& lent

Promenoient dans Paris le Monarque indolent.

Traçât à pas tardifs un pénible iîllon. Boil.

Cadence légère.

Tient un verre de vin qui rit dans la fougère...

Il fait jaillir un feu qui pétille en fortant . .

.

Qu'à fon gré déformais la fortune me joue

,

On me verra dormir au branle de fa roue.

Cette cadence fi marquée ne fe fou-

tient pas toujours dans nos meilleurs

Verfifîcateurs , il cft vrai : mais fe

foutient-elle davantage dans les La-tins ? Ils fe font un plaifir , de même

Miij

Page 214: gri 000033125008530772

182 Les beaux Artsque nous d'exprimer avec foin cer-

taines penfées auxquelles les motsde leur langue paroifTent fe prête

i

de meilleure grâce ; mais dans les

autres occafions , ils fe contentent

d'une cadence fimple & ordinaire ,

qui confifte à rendre le vers coulant,

& à écarter avec foin tout ce qui

pourrait choquer une oreille déli-

cate.

Quand on dit que les Vérifica-

teurs fe font un plaifir de faire cer-

taines cadences plus fenfibles ; ce

n'efl: pas qu'on veuille dire que Def-

préaux , Racine, ni les autres, ayent

compté , pefé , & mefuré chacune

de leurs fyllabes. „ Je ne les en foup-

„ çonne pas , dit M. l'Abbé d'Oliver,

„ non plus qu'Homère ni Virgile

,

„ quoique leurs Interprètes foient en

„ polleiïion de le dire. Mais ce que

„ je croirois volontiers , c'efl: que la

„ Nature, quand elle a formé un

,, grand Pocte , le dirige par des ref-

Page 215: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 18?

„ forts cachés ,qui le rendent docile

„ à un Art dont il ne le doute point ;

„ comme elle apprend au petit en-

„ faut du Laboureur, fur quel ton il

„ doit prier , appeller , carelfer , fe

„ plaindre.

C'eft par cet infrincl: que nos Poè-

tes lyriques employent à propos les

grands & les petits vers , qui font le

môme effet , & peut-être plus heu-

reufement & plus conftamment que

dans le Latin. Le grand vers a plus

de majefté : le petit a ordinairement

plus de feu ou de douceur. Qu'onfaife attention à Tufage que nos

Poètes lyriques en.ont Içu faire:

Ont-ils rendu I'efprit , ce n'eft plus cjueponf-

fiere

Que cette Majefté fi pompeufe & fi fiere

Dont l'éclat orgueilleux ctonnoit l'Univers,

Et dans ces grands tombeaux où leurs âmes

hautaines

Font encore les vaines ,

Ils font mangés des vers. M/ilher&e.

Miv

Page 216: gri 000033125008530772

184 Les eeaux Arts

Et Rouffcau :

Conti n'cfl: plus : ô Ciel ! Tes vertus , fan cou-

rage,

La fublime valeur , le zèle pour Ton Roi

N'ont pu le garantir au milieu de Ton âge

De la commune Loi.

Il n'eft plus : & les Dieux en des tems fî fu-

neftes

N'ont fait que le montrer aux regards des

mortels.

Soumettons nous : allons porter ces triftes reftes

Au pied de leurs Autels.

Elevons à fa cendre un monument célèbre ,

Que le jour de la nuit emprunte les couleurs :

Soupirons,gémifïbns fur ce tombeau funèbre

Arrofé de nos pleurs, (a)

II faut fe fouvenir dç ces vers de

M. de la Mothe.

( a ) On vante ce I fe du verbe rejette à

vers de Virgile, à eau- I l'autre vers :

Extincïum Nympha crudeli funere Dapbnim

^lebant.

Page 217: gri 000033125008530772

Réduits A un Principe. ï8j

Les vers font enfans de la Lyre:

On doit les chanter , non les lire.

A peine aujourd'hui les lit-on.

Examinons maintenant fi c'étoît

un avantage pour la Poëfie des An-ciens , que les pieds fuiTent mefurés

& réglés pour chaque efpcce de vers :

Car dans les langues modernes ils

ne le font point. Et lorfque les dac-^

îyles& les fpondées font employés;

ce n'eft point la loi du vers , mais

le goût de l'oreille qui l'ordonne,

Il efl certain que dans ce vers :

Nemorum increbrefeere murmur ,

ce n'efl point le daclyle , mais le fon

même des fyllabes qui en fait la

beauté harmonique. Portez le dac-

tyle fur d'autres mots : quant un-

gala campum , ce n'eft plus forage

qui frémit. Ce ne font point nonplus les brèves qui expriment mieuxque les longues : murmur efl auiï?

exprefîif que increbrefeere.

Page 218: gri 000033125008530772

ïS6 Les beaux ArtsD'ailleurs fi le dadyle & les au-

tres pieds produiraient l'harmonie

du vers ; comme il paroît certain

que cette harmonie n'eft qu'un con-

cert des fons avec la penfée qu'ils

c ; pi iment, (à moins qu'on ne veuille

dire que des fons rapides expriment

bien ce qui cil lent ) il s'enfuivroit

que c'étoit un inconvénient dans la

poofic des Latins , que d'y avoir ré-

glé la place des brèves& des longues:

& qu'il devoit en réfuker néceffai-

rcment autant de défauts que de

beautés» Si ce n'eft encore, qu'on

prétende que la penfée pouvoit être

chez eux toujours conforme à la

marche réglée de la Verfification.

Je fuppofe jpar exemple , une

pièce en vers Alcaïques ou Afcle-

piades , dont toutes les fyllabes font

réglées : fi on veut que la beauté

harmonique qui réfulte de l'accord

des fons avec la penfée , s'y trouve

d'un bout à l'autre ; il eft néceiTairo

Page 219: gri 000033125008530772

keduits A un Principe. 187que le même caractère des objets yrégne du commencement à la fin: &û elle ne s'y trouve point dans quel-

ques endroits ; c'elt un défaut, par

la raifon que c'eft une beauté dans

ceux où elle fe trouve.

Les Grecs & les Latins ont (1 bien

fenti cette difficulté , que dans les

Ouvrages de longue haleine , ils ont

réglé plutôt les tems que les pieds.

Dans les vers hexamètres , de fix

pieds , il y en a quatre qui font libres.

Et c/elt de cette liberté que ce vers

tire prefque toutes les beautés qu'il

a, du côté des longues & des brèves :

& la contrainte du cinquième & dufixiéme pourroit bien n'être qu'une

beauté arbitraire,qu'une efpece de

rime de quantité, qui répond à la

rime de fons , dans nos vers Fran-

çois. De forte que dans les vers he-

xamètres & alexandrins , les chofes

font à peu près égales : & que dans

les Lyriques , les Grecs & les Latins

Page 220: gri 000033125008530772

i $8 Les beaux Art?avoient peut-être moins d'avantage

que nous n'en avons.

Me permettra-t'on de le dire pournous juitifier en quelque forte ? L'o-

reille a fes préjugés aufli-bien que

Fçfprrt. Et pour peu que l'habitude

s'y mêle , Terreur a autant de cré-

dit qu'une vérité démontrée.

La première fois qu'on nous par-

la d'harmonie ; ce fut à propos de

vers latins. On nous fit connoître

les pieds : enfuite on nous fit fcander :

Ouadrupedante putrem fonitu quant ungttlo.

campum.

Et pour nous en faire mieux fentrr

la cadence , on la compara avec

celle-ci :

Olli inter fcfe magna vl brachia toïïunt.

Et on nous fit entendre que les vers

étoient plus ou moins harmonieux

,

félon qu'ils approchoient plus oumoins , de ce cara&ère mufical 3

Page 221: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. i'8$

qui a tant de rapport avec l'objet

de la penféc. On nous laiiTa croire

en même-tems , que cette beauté

venoit des dactyles «Se des fpondées

,

plutôt que des longues & des brè-

ves. Allez long-tems après,quand

nous entrâmes dans nos Poètes,

fans nous être préparés à cette lec-

ture par aucune réflexion fur les

loix de notre Grammaire ni fur le

génie de notre Langue ; ne voyant

plus ni dactyles ni fpondées , ne

foupçonnant même ni longues ni

brèves ; il n'eft point étonnant quenous ayons fait & que nous fatfions

encore fi peu de cas de notre bien,

que nous ne connoiffons pas ;& quenous eftimions tant celui des étran-

gers , dont nous nous fommes nour-

ris uniquement, & occupés depuis

notre enfance. 11 étoit bien permis

d'avoir ces idées dans le tems de la

renaiiïance des Lettres ; lorique la

Langue Françoifc étok encore in-

Page 222: gri 000033125008530772

ipo Les beaux Artsforme. Mais aujourd'hui qu'elle efl

devenue une des plus polies & des

plus belles Langues du Monde ; &qu'elle a produit des chef-d'oeuvres

dans tous les genres ; cette queftion

mérite au moins d'être examinée ;

& c'eil être doublement injufte, que

de décider pour la négative , fans y

avoir auparavant mûrement réfléchi.

Il relie une objeélion à réfoudre :

Quand le vers François auroit ,

dit-on , les longues & les brèves

comme le Latin , il ne pourroit-les

faire fentir dans la prononciation :

parce que , ayant autant de fyllabes

que de tems , douze fyllables par

exemple,pour douze tems dans le

vers alexandrin ; il faudrait ou pro-

noncer toutes les fyllabes égales , ou

fi on les prononce inégales , la régie

du mouvement fera rompue.

11 y a un milieu qui réfout la dif-

ficulté : Ceft qu'il fe fait , en pro-

nonçant régulièrement , une corn-

Page 223: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE, ïpl

penfation entre les brèves & les lon-

gues. Comme nous avons des lyl-

labes longues , & de très-longues ,

des brèves & de très-brèves ; les lon-

gues, fur lefquelles on appuyé en

prononçant, portent une partie de

la durée des brèves. Et afin que cette

compenfation , le fafie à peu près

dans le lieu où doit être la meiure

du tems ; on a voulu que dans les

grands vers , il y eût un hemiiliche

,

lequel féparât en quelque forte les

intérêts communs des fix premiers

tems ; de peur qu'ils ne fuflènt con-

fondus avec ceux des fîx autres. Et

par là on a trouvé le moyen de con-

ferver la mefure du vers , & la quai>

tité fyllabique , fans que l'un lalîè

le moindre tort à l'autre.

Jeme garderai bien de croire, que

tout ce que je viens de dire , foit fans

difficulté pour bien des perfonnes :

mais au moins , û on veut fe donner

la peine d'y faire attention , je puis

Page 224: gri 000033125008530772

192 Les beaux ArtsaÎTurer que ce ne fera qu'à l'avantage

& à la gloire d'une langue que

nous devons aimer , nous fur tout

,

puifqu elle fait les délices des autres

Peuples.

PafTons maintenant aux régies

particulières de chaque efpèce de

Poëfie.

CHAPITRE IV.

I]Epopée a toutes fes régies dans

limitation*

J^ E terme à'Evofée pris dans fa

plus grande étendue convient à tout

récit poétique : & par conféquent

à la plus petite Fable d'Efope , S7roç

figriifie récit, &7roiïa>, faire , feindre,

créer.

Mais félon la fignification ordi-

naire , Se qui eft établie par Tufage ;

il ne fe donne qu'au récit poétique

de

Page 225: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. ip£de quelque grande adion , qui inté-

reOb toute une Nation , ou mêmetout le Genre humain. Les Homeres& les Virgiles en ont fixé l'idée

,

jufqu'à ce qu'il vienne des modèles

plus accomplis.

L'Epopée eft le plus grand ou-

vrage que puiiTe entreprendre refprit

humain. C'eft une efpèce de créa-

tion qui demande en quelque forte

un Génie tout-puiffant. On embraffe

dans la même aclion tout l'Univers :

le Ciel qui régie les deftins , & la

Terre où ils s'exécutent.

On peut la définir : Un récit en

vers d'une adion vraifemblable , hé-

roïque , & merveilleufe. On trouve

dans ce peu de mots , la différence

de l'Epopée avec le Romanefque

,

qui eft au-delà du vraifemblable ;

avec l'Hiftoire,

qui ne va pas juf-

qu'au merveilleux \ avec le Dra-matique

,qui n'eft pas un récit ; avec

les autres petits Poèmes , dont les

* N

Page 226: gri 000033125008530772

fi*V-'?

194 Les beaux Artsfujets ne font pas héroïques.

Il s'agit de trouver toutes les ré-

gies de chacune des ces parties dans

l'imitation.

Le merveilleux , qui paroît le plus

éloigné de ce principe , coniilte à

dévoiler tous les refïbrts inconnus

des grandes opérations. Le Poëte

n'a pour cela d'autre moyen que le

vraifemblable. C'efl: ici fa régie ,

comme ailleurs : & le Lefteur intel-

ligent ne manque point de l'y ra-

mener , quand il s'en écarte.

Tous les hommes font naturelle-

ment convaincus qu'il y a une Divi-

nité qui régie leur fort. C'efl de cette

convi&ion que part le Poëte, hommecomme nous , ayant les germes des

mêmes idées que nous. Il fe déclare

infpiré par un Génie , qui aflifte au

confeil des Dieux ; où il a vu le prin-

cipe & les caufes fecretes des chofes

,

que les hommes ne connoiffent que

quand elles font arrivées.

Page 227: gri 000033125008530772

jreduits A un Principe, ip£

Voilà donc deux moyens de nous

faire croire le Merveilleux quJ

ilnous

annonce : le premier , c'eft qu'il nous

préfente des chofes qui reiîemblent

à celles que nous croyons. Le fé-

cond, qu'il nous les dit d'un ton

d'autorité & de révélation. Le ton

d'Oracle rnebranle , & la vraifem-

blânce des chofes me convainc. J'en-

tends une voix fublime : je fens unfeu divin qui m'embrafe : je recon-

nois les idées que j'ai de la conduite

de la divinité par rapport aux hom-mes : je vois outre cela des Héros,

des aftions , des mœurs peintes fous

des traits que je connois : j'oublie

la fi&iont

je l'embrafle comme là

vérité , j'aime tous ces objets : s'ils

nexiftent point , ils méritent dJé-

xifter : & la Nature y gagneroit ; fi

elle étoit auffi belle que l'Art. Ainfi

je crois volontiers que c'eft: la Na-ture elle-même : & ne puis-je pas dire

que c'eft elle,puifque je le crois ?

Nij

Page 228: gri 000033125008530772

ip6 Les b e a ux A rt s

En effet ce Merveilleux plairoit-il

,

s'il n'étoit point conforme au vrai

& qu'il ne fut que l'ouvrage d'une

imagination égarée ? Rien n'ejl beau

que le vrai. Homère m'enchante ,

mais ce n'eft point quand il me mon-

tre un fleuve qui fort de fon lit pour

courir après un homme , & que Vul-

cain accourt en feu pour forcer ce

fleuve à rentrer dans fes bords. J'ad-

mire Virgile , mais je n'aime point

ces Vaiifeaux changés en Nymphes.

Qu'ai-je affaire de cette Forêt en-

chantée du Taffe , des Hippogriffes

de l'Ariofte , de la Génération du

Péché mortel dans Milton ? Toutce qu'on me préfente avec ces traits

outrés & hors de la Nature , mon ef-

prit le rejette : incredulus odi. LaNature n'a pas guidé le pinceau.

Cependant j'aimerois mieux ces

écarts , pourvu qu'ils fuffent d'un

moment ; que la retenue toujours

glacée, & la trille fageffe d'un Auteur

MWV^'^,^

Page 229: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 197qui n'abandonne jamais le rivage &qui y échoue par timidité.Eji quodam

prodire tenus , Ji non datur ultra.

Quand on a lu les chef-d'oeuvres

de la Mule épique ; chacun , félon

fa portée , a fenti un degré de fen-

timent , au-deiïbus de quoi tout ce

qui refte , eft cenfé médiocre; parce

qu'il ne remplit pas la mefure , je ne

dis pas du parfait, qui n'a peut-être

jamais exifté , mais de ce qui nous

en tient lieu , eu égard à notre ex-

périence.

L'Epopée doit donc être merveil-

leufe : puifque les modèles de la

Poëfie épique nous ont émus par ce

refïbrt. Mais comme ce Merveilleux

doit être en même-tems vraifembla-

b!e , & que , dans cette partie com-me dans les autres , le vraifemblable

& le pofîible ne font point toujours

la même chofe ; il faut que ce Mer-

veilleux foit placé dans des avions

& dans des tems , où il foit en quel-

que forte naturel, N iij

Page 230: gri 000033125008530772

IpS Les beaux ArtsLes Payens avoient un avantage :

leurs Héros étoient des enfans des

Dieux , qu'on pouvoit fuppofer en

relation continuelle avec ceux dont

ils tçnoient la naiiTance. La Religion

Chrétienne interdit aux Poètes mo-dernes toutes ces refîburces. Il n'y a

gueres que Milton , qui ait fu rempla-

cer le Merveilleux de la Fable , par le

Merveilleux de la Religion Chrétien-

ne.La fcéne de fon Poëme eft fouvent

hors du monde ,& avant les tems. Larévélation lui a fervi de point d'ap-

pui : & de-là, il s'eft élevé dans ces fic-

tions magnifiques ,qui réunifient le

ton emphatique des Oracles , & le

fublime des vérités chrétiennes.

Mais vouloir joindre ce Merveil-

leux de notre Religion avec une his-

toire toute naturelle , qui eft pro-

che de nous : faire defcendre des

Anges pour opérer des miracles ,

dans une entreprife dont on fait

tous les noeuds Se tous les dénoue-

Page 231: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. ip£

mens ,qui font (impies & fans myf-

teres ; c'eft tomber dans le ridicule,

qu'on n'évite point , quand on man-que le merveilleux.

Pour faire un Poème épique , il

faut donc commencer par choifïrun

fujet qui puiife porter le Merveilleux:

6c ce choix fait , il faut tellement

concilier les opérations de la Divi-

nité avec celles des Héros, que fac-

tion paroiife toute naturelle , & quele fpeftacle des caufes fupérieures

& celui des effets , ne faffent qu'un

Tout. I/a&ion eft une. Ce n'eft pas

aifez : il faut que les A&eurs yjouent des rôles variés , chacun fé-

lon leur dignité , leur état , leur in-

térêt , leurs vues. Ce qui demandedu jugement , de Tordre , & un Gé-nie fécond en refforts.

Il s'agit de plaire par un naturel

bien choifi, bien ordonné, bienpré-

fenté. Les idées que nous avons dela Divinité guident le Poëte pour le

Niv

Page 232: gri 000033125008530772

200 Les beaux ArtsMerveilleux. L'Hiftoire , la Renom-mée , les préjugés , les obfervations

particulières du Poète , fon cœur

,

pour la conduite des Héros. Touteft réglé dans le Ciel : tout eft in-

certain fur la Terre. C'eft un jeu de

théâtre perpétuel pour le Lecleur. (a)

Ajoutez à cela l'intérêt des noeuds,

& l'ignorance des moyens pour arri-

ver au dénouement. C'eft fur ce plan

qu'on doit dreiïer ce qu'on appelle

la Fable , ou , fi je lofe dire , la char-

pente de l'Epopée.

Pour établir l'ordre , il faut qu'il

y ait un but , où tout fe porte com-me à fa fin. Le Père le Bolfu pré-

tend qu'on doit prendre une maxi-

me importante de morale , la revêtir

d'abord d'une aftion chimérique ,

dont les Aéteurs foient A & B : cher-

(*) Il y aune forte

de Jeu de théâtre qui

eft , quand le Specta-

teur , Tachant ce qui fe

paife, jouit de l'erreur

ou de l'ignorance d'un

Acteur qui ne le fait

pas.

Page 233: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 201cher enfuite dans l'Hifloirc quelque

fait intéreiïant , dont la vérité mife

avec le fabuleux ,puifTe ajouter un

nouveau crédit à la vraifemblan-

ce ', & enfin impofer les noms aux

A&eurs,qu'on appellera , Achille ,

Minerve , Tancrede , Henri le Grand.

Ce fyftême peut s'exécuter : per-

sonne n'en doute. De même qu'on

peut dépouiller un fait de toutes Tes

circonftances , & le réduire en ma-xime ; on peut auffi habiller unemaxime , & la mettre en fait. Cela

fe pratique dans l'Apologue , & peut

fe pratiquer de même dans tous les

autres Poëmes. Je crois même quece fyftême , tout métaphyfique qu'il

eft , ne doit être ignoré d'aucun

Poète , & qu'on peut en tirer degrands fecours pour l'ordre & la

diftribution d'un ouvrage. Mais quedans la pratique , il faille commencerpar le choix d'une maxime ; cela efl

d'autant moins vrai , que l'efTence

Page 234: gri 000033125008530772

202 Les beaux Arts.de l'action ne demande qu'un but

,

quel qu'il foit. Ce fera, fi Ton veut,

de mettre un Roi fur le Trône , d'éta-

blir Enée en Italie , de gronder unFils défobéiiTant. La maxime de mo-rale ne manque point de fe trouver

au bout ; puifqu'elle fort naturelle-

ment de tout fait, hiitorique ou fabu-

leux , allégorique ou non. (<*)

(a) Il y a deux for-

tes d'Allégorie : l'une

qu'on peut appel 1er

Morale , & l'autre

Oratoire. La première,

cache une vérité , une

maxime : tels font les

Apologues : c'eft uncorps qui revêt une

ame : L'autre eft un

mafcjue qui couvre un

corps ; elle n'eft point

deftinée à envelopper

une maxime ; mais feu-

lement une choie qu'on

ne veut montrer qu'à

demi , ou au travers

d'une gaze. Les Ora-teurs & les Poètes fe

fervent de celle - ci

quand ils veulent louer

ou blâmer avec fînelle.

Ils changent les nomsdes choies , les lieux

,

les perfonnes } & lail—

fent au Lecteur intelli-

gent à lever l'envelop-

pe , & à s'inftruire lui-

même. La première

elpèce d'allégorie peut

être mife enufagedans

l'Epopée; mais elle eft,

comme nous l'avons

dit,peu vrailcmbla-

blc & peu conforme

à la nature de l'efprit

humain. La féconde

efpèce entre avec beau-

Page 235: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 203

La première idée qui fe préfente

à un Poète ,qui veut entreprendre

un Poëmè épique , c'eil de faire un

Ouvrage qui immortalife le Génie

de l'Auteur : voilà la difpofition du

Poète. Elle le conduit naturelle-

ment au choix d'un fujet qui inté-

relïe un grand nombre d'hommes

,

Se qui foit en même-tems fufeepti-

ble de toutes les grandes beautés de

coup de grâce dans

un Poème ; mais elle

n'eft point de fon cC-

fence. C'eft un me. ne

qui tient à l'Ouvrier

plutôt qu'a l'ouvrage

,

& qu'on reconnoît par

THiftoire,plutôt que

par le Poème même.Enée ne feroit pas l'i-

mage d'Augufte, que

Ton tableau n'en (eroit

pas en foi moins beau.

Tous les jours les Pein

très nous donnent des

portraits dans leurs ta-

bleaux d'biftoire. Ces

portraits font un dou-

ble pîaifir aux fpecla-

teurs qui en anioif-

fenr les modelés : mais

ils ne laiflent point

d'en faire , comme ta-

bleaux , à ceux qui ne

les connoillcnt pas ;

pourvu qu'ils expri-

ment la belle Nature.

Il en eft de même de

l'a-' k'goric dans l'Epo-

pée : Elle y jette un a-

gremenc de plus, mais

elle n'en fait point l'ef-

(entiel. L'épopée n'eft

eiTentiellement, que le

récir d'une grande ac-

tion & de fes caufes.

Page 236: gri 000033125008530772

204 Les beaux Artsl'Art. Pour dreffer ce fujet , & le ré-

diger en un feul corps , il fait com-me les hommes qui agiffent : il fe

propofe un but , où aillent toutes les

parties de fon ouvrage , & tous les

mouvemens de fon Action. Ce but

fera , fi on veut , une maxime im-

portante ; mais beaucoup mieux , un

événement extraordinaire , dont ,

par réflexion , on tirera une maxime.

Ces préparatifs étant faits :

Le Poë'te,qui fait que c'eftune ac-

tion qu'il va peindre, & qu'il doit la

montrer auffi parfaite,qu'il eft pof-

iïble qu'elle le foit dans fon genre ,

fait valoir fur fon fujet tous les pri-

vilèges de fon art. 11 ajoute : il re-

tranche ; il tranfpofe : il crée : il

dreiTe les machines à fon gré : il pré-

pare de loin des reiforts fecrets, des

forces mouvantes : il deffine d'après

la belle Nature les grandes parties :

il détermine les caractères de (es per-

fonnages : il forme le labyrinthe de

Page 237: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 20J1-intrigue : il difpofe tous Tes ta-

bleaux , félon l'intérêt général de

l'ouvrage : & , conduifant fon Lec-

teur de merveilles en merveilles , il

lui laifle toujours appercevoir dans

le lointain , une perfpective plus char-

mante , qui féduit fa curiofité , &l'entraîne , malgré lui

,jufqu'au dé-

nouement & à la fin de la pièce.

Voilà , ce femble , la manière dont

on peut drelïer la fable , ou le plan

de l'action épique,

C'eit la nature même qui propofe

ce plan. Ce font fes idées qu'on fuit.

C'cfl elle qui demande , comme des

qualités eiTentielles , l'importance ,

l'unité , l'intégrité : c'eil elle qui

donne l'exemple du beau dans les

caractères, dans les mœurs, &dansles fituations : ceit elle qui fe plaint

des défauts , & qui approuve les

beautés : elle enfin, qui eft le mo-

dèle , Se le juge , ici , comme dans

tous les autres Arts.

Page 238: gri 000033125008530772

2o6 Les beaux ArtsIl elr vrai cependant que ni l'Hîf-

toire , ni la Société n'offrent point

aux yeux , des Touts (1 parfaits & fî

achevés. Mais il fuffit qu'elles nous

en montrent les parties, &que nous

ayons en nous-mêmes les principes

qui doivent nous guider dans la com-pofitionduTout. L'Artifte obferva-

teur a deux chofes à confidérer , nous

l'avons (a) dit, ce qui eft hors de lui,&ce qu'il éprouve en lui. Il a fenti que

l'unité, la proportion, la variété, l'ex-

cellence des parties étoient laiburce

de ion plaifir ; c'eft donc à l'Art à

arranger tellement les matériaux que

la Nature lui fournit,que ces quali-

tés en réfultent ; on attend cela de

lui , & on ne le quitte pas à moins.

Nous avons dit que l'Epopée em-

ployoit deux moyens pour nous tou-

cher : la vraifemblance des chofes

qu'elle raconte , & le ton d'oracle

qui annonce la révélation : nous ne

(a) Voyez le chap. 4. t.part»

Page 239: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 2O7nous arrêterons qu'un moment fur

ce fécond article.

Dans les autres Poèmes , la Poëfie

du flyle doit être conforme à l'état

des Acteurs : dans l'Epopée elle doit

l'être à l'état du Poste : quand il par-

le j c'ell un efprit divin qui l'infpire :

Cui taliafanti

. . . fubito non vultus , non color unus ,

Et rabie fera corda tument } majorquevideri

Nec mortaie fonans,afflata eft numine quando

Jampropriore Dei . . . Tros Anchifiade ....

La Mufe épique efi autant dansle Ciel que fur la Terre. Elle paroit

toute pénétrée de la Divinité; & nenous parle qu'avec un enthoufiafme

célefte, qui , fe précipitant par les

détours d'une flclion hardie , relTern-

ble moins au témoignage d'un His-

torien fcrupuleux ,qu'à l'extafe d'un

Prophète : Non enim res geftœ ver-

fibus comprehendendœ funt .... fedper ambages , deorumque minifferia,

& fabulofum Jententiarum tormen-

Page 240: gri 000033125008530772

2o8 Les beaux Artstum pracipitandus efl liber fpiri*

tus , ut potiùs furentis animi va-ticinatio appareat , quam religions

oratïonh fub tejlibus fides. Elle ap-

pelle par leurs noms les chofes qui

n'exiftent pas encore : hœc tum no-

mma erunt. Elle voit plufieursfiécles

auparavant la Mer Cafpienne qui

frémit , & les fept embouchures duNil qui fe troublent dans l'attente

d'un Héros.

C'efl pour cette raifon que,dès le

commencement,le Poëte parle com-me un homme étonné , & élevé au~

defïus de lui-même. Son fujet s'an-

nonce enveloppé de ténèbres myfté-

rieufes,qui infpirent le refped , Ôc

difpofent à l'admiration : ** Je chante

•„ les combats , & ce Héros, que les

„ Deftins ennemis forcèrent d'aban-

„ donner le rivage Troyen : il fut

„ long-tems expofé à la vengeance

,, des Dieux , &c.

La Lyrique a une marche libre &déréglée :

Page 241: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 209déréglée : ce (ont des élans du cœur,

des traits de feu qui jailliffent. L'épi-

que a un ton toujours foutenu , une

majefté toujours égale à elle-même:

c'eft le récit que fait un Dieu , à des

Dieux comme lui. Tout s'annoblit

dans fa bouche, les penfées, les ex-

prelhons , les tours , l'harmonie :

tout eiï rempli de hardiefié & de

pompe. Ce nefi point le tonnerre

qui gronde par intervale , qui éclate

,

& qui fe tait. C'eft un grand fleuve

qui roule fes flots avec bruit, & qui

étonne le voyageur qui l'entend de

loin dans une vallée profonde. Lemurmure des ruiiTeaux n'ell bon que

pour les Bergers. Comparez le cha-

lumeau de Virgile avec fa trompette:

Tityre tupatuh recubans fub tegminefagi

Sylveflrem tenui mufatnmeditftris àvenâ.

Rien n'cfl fi doux : Tharmonie 8c le

ton de l'Enéide ont une autre force :

Arma virum^ue «*no , &c.

* o

Page 242: gri 000033125008530772

2io Les beaux ArtsVix e confpeclu SicuU tellur'ts in altum

Vêla dabant Uti , & fpumasfaits &re ruebttnt.

Chacun peut fentir par la feule lec-

ture, cette différence. On la trouvè-

rent encore plus fenfiblc, fi on com-

paroit Théocrite avec Homère. Lalangue Grecque, plus riche que les

autres , a pu fe prêter avec plus de

facilité à la nature des fujets ,& pren-

dre plus ou moins de force , félon-

ie befoin des matières. J'en appelle

à ceux qui ont lu les deux Poètes

par comparaifon.

CHAPITRE V.

Sur la Tragédie.

LATragédie partage avec l'Epopée

îa grandeur & l'importance de Fac-

tion : & elle n'en diffère que par le

Dramatique feulement. On voit l'ac-

tion tragique , & celle de l'Epopée

fe raconte.

Page 243: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PrINCIFE. 211

Mais comme il y a dans l'Epopée

deux fortes de grands : le Merveil-

leux & l'Héroïque ; il peut y avoir

aufïi deux cfpèces de Tragédie , Tune

héroïque, qu'on appelle Amplement

Tragédie: l'autre merveil!eufe,qu'on

a nommée Speftacle Lyrique ou O-

pera. Le merveilleux eft exclus de la

première efpcce , parce que ce font

des hommes qui agifient en hom-mes ; au lieu que dans la féconde

,

les Dieux agi fiant en Dieux , avec

tout l'appareil d'une puiiïance fur-

naturelle ; ce qui ne feroit point

merveilleiiXjCefleroit en quelque for-

te d'être vraifemblable. Ces deux

cfpèces ont leurs régies communes :

& fi elles en ont de particulières ;

ce n'eft que par rapport à la condi-

tion des Afteurs qui eft différente.

Un Opéra eft donc la repréfenta-

tion d'une acïion merveiîleufe. (a)

( a ) On ne définitf

oppofiàon à la Tra-

Opcra c uc par] gédie.

Oii

Page 244: gri 000033125008530772

2i2 Les beaux ArtsC'eft le divin de l'Epopée mis en

fpe&acle. Comme les Acteurs font

des Dieux , ou des Héros Demi-dieux ; ils doivent s'annoncer aux

Mortels par des opérations, par unlangage

,par une inflexion de voix,

qui furpaflent les loix du vraifembla-

blc ordinaire. i°. Leurs opérations

refiembicnt à des prodiges. C'en1 le

Ciel qui s'ouvre ,une nue lumineuie

qui apporte un Etre céleife : c'eil unPalais enchanté ,

qui dilparoît au

moindre ligne , & fe transforme en

défert, Sec. 2°. Leur langage eft en-

tièrement lyrique : il exprime Tex-

tafe , l'enthoufiafme , ryvrefîe du

fentiment. 3 . C'eiî la Mufique la

plus touchante qui accompagne les

paroles , & qui par les modula-

tions, les cadences, les inflexions,

les accens , en fait fortir toute la for-

ce Se tout le feu. La raifon de tout

cela eft dans L'imitation. Ce font des

Dieux qui doivent agir Se parler en-

Page 245: gri 000033125008530772

HEDUITS A UN PRINCIPE. 21

3

Dieux. Pour former leurs caractères

,

le Poète choifit ce qu'il connoît de

plus beau & de plus touchant dans

la Nature , dans les Arts , dans tout

le genre humain ; Se il en compofe

des Etres qu'il nous donne , Se que

nous prenons pour des Divinités.

Mais ce font toujours des hommes :

c'eft le Jupiter de Phidias. Nous ne

pouvons fortir de nous-mêmes , ni

cara&érifer les choies d'imagination

que par les traits que nous avons

vus dans la réalité. Ainfl c'en1tou-

jours l'imitation qui commande Se

qui fait la loi.

L'autre efpèce de Tragédie ne

fort point du naturel. Ce qu'elle a

de grand, ne va que jufqu'à l'héroïf-

me. C'eft une repréfentation de

grands hommes , une peinture , untableau ; ainfi fon mérite confiite

dans fa reffemblance avec le vrai.

De forte que pour trouver toutes les

régies de la Tragédie, il ne faut que

Oiii

Page 246: gri 000033125008530772

214 Les beaux Artsfe mettre dans le parterre, &iuppofer que tout ce qu'on va voir fera

vrai: mais le plus beau vrai poiïible

dans ce genre, & dans lefujet choifi.

Tout ce qui concourra à me perfua-

der , fera bon : tout ce qui aidera à

me détromper, fera mauvais.

Si on change le lieu où fe paffc

Faction , tandis que le Spectateur efr.

toujours refté au même endroit : il

reconnoît l'art : l'imitation efl faufife.

Si l'action que je vois dure un an

,

un mois, plufieurs jours : tandis que

je fens que je l'ai vue commencer 8c

finir, à peu près en trois heures : je

reconnois l'artifice. A peine peut-on

me faire croire que j'aye été Specta-

teur pendant un jour entier ; & la

chofe iroit beaucoup mieux , fi l'ac-

tion ne duroit qu'autant de terris

qu'il eii faut,pour la repréfenter : il

feroit plus aifé de me tromper.

Je vois des Acteurs qui agifîcnt

pour être vus , qui fe préfentent da

Page 247: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 21

J

manière qu'ils paroiiTent adreffer la

parole au parterre. La Nature ne s'y

prend pas de la forte : elle agit pour

agir. Ici on a d'autres vues , je re-

connois la Comédie.

On joue une Tragédie Romaine :

je connois par Hiiftoire un Brutus

,

un Caiïius, ces fiers Conjurateurs,

que la Renommée me montre dans

réloignement des tems , comme des

Héros d'une taille plus qu'humai-

ne : je vois , fous leurs noms , une

figure médiocre , une taille pincée

,

une voix grêle & forcée , je dis fur

le champ : Non , tu n'es pas Brutus.

Je ne parle point des Epifodes

inutiles , des caractères équivoques

,

ou mal foutenus , des fentimens foi-

bles ou guindés Tantôt c'eft

un étalage de phrafes dans le goût

de Séneque ; quelquefois une def*

cription plus qu'épique ; une autre-

fois , c'en1 un enthoufiafme plus que

lyrique. C'efl un Hiilorien que j'en-

Oiv

Page 248: gri 000033125008530772

i\Ç> Les beaux -Artstends , un Philofophe , un Orateur ;

le Théâtre le change en Tribune.

Ici , c'eit un Acleur qui prend feu

tout à coup , & ians préparation :

là , c'en eft un autre qui écoute une

confidence importante , avec un air

diftrait. 11 elt fàr de fa réponfe. Enun mot , ce fera le gefte , la parole

,

le ton de la voix , une de ces trois

expreffions ,qui ne s'accordera pas

avec les deux autres , & qui démaf-

quera l'art en déconcertant l'har-

monie.

Les Chœurs amenèrent autrefois

la Tragédie fur le Théâtre ; & ils s'y

maintinrent long-tems avec elle. Us

étoient fondés fur l'ufage , & auto-

rifés par l'exemple dugouvernement,

qui étoit démocratique. Mais les

grandes affaires , dans la fuite , ne fe

décidant plus en public ; ils furent

obligés d'en defeendre. D'ailleurs

,

comment allier cette publicité théâ-

trale avec les refforts des grandes

Page 249: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 217pâmons

,qui font ordinairement ic-

crets ? Phèdre pouvoit-elle avouer à

tout un peuple , ce qu'CEnone ne

pouvoit lui arracher qu'avec effort?

Mais peut-être audi, que (I l'Art y a

gagné en rendant l'imitation plus

exacte , !e Spectateur y a perdu ducoté des fentimens.Le chant lyrique

du Choeur exprimoit dans les En-tractes les mouvemens excités

par l'Acle qui venoit de finir. LeSpectateur ému en prenoit aifément

TuniiTon , & fe préparoit ainfi à re-?

cevoir l'impreilion des Actes fui-

vans ; au lieu qu'aujourd'hui le vio-

lon ne femble fait que pour guérir

l'amc de fa bleiïure , & éteindre le

feu qui s'allumoit. On guérit un in-

convénient par un autre. Il y a pour-

tant des fujets où tout pourroit fe

concilier.

Si on demande maintenant pour-

quoi les pafTions doivent être ex-

traordinaires , les caractères toujours

Page 250: gri 000033125008530772

2i8 Les beaux Artsgrands

, le nœud prefque infolubïe,

le dénouement l'impie & naturel ?

Pourquoi on veut que les feenes ail-

lent toujours en croiilant , fans lan-

guir? Ceft quec'eft la belle Naturequ'on a promis de peindre , & qu'ondoit; lui donner tous les dégrés deperfection connus : c'eft que l'Art

fait uniquement pour le plailir , eft

mauvais, dès qu'il cil médiocre. En-fin, c'elt que le cœur humain rieil

pas content, quand on lui lailTe de

quoi délirer.

CHAPITRE VI.

Sur la Comédie.

X A Tragédie imite le beau , le

grand : la Comédie imite le ridicule.

L'une élevé l'ame , & forme le cœur :

l'autre polit les mœurs , & corrige

le dehors. La Tragédie nous huma-nife par la compaffion , & nous re-

Page 251: gri 000033125008530772

HEduits h un Principe. 119

tient par la crainte , <&q£oç nj \Xtoç :

la Comédie nous ôte le mal'que à

demi , & nous préfente adroitement

le miroir. La Tragédie ne fait pas

rire ,parce que les fotifes des Grands

font des malheurs :

Ouidquid délirant Txcgcs,plccîuntur Achivi,

La Comédie fait rire , parce que les

fotifes des petits ne font que des fo-

tifes ; on n'en craint point les fuites.

On définit la Comédie : Une ac-

tion feinte , dans laquelle on repré-

fente le ridicule à deifein de le cor-

riger. L'Action tragique tient le plus

fouvent à quelque chofe de vrai. Les

noms, au moins , font hifloriques ;

mais dans la Comédie , tout y efl

feint. Le Poète pofe pour fonde-

ment la vraifemblance : cela furHt :

il bâtit àfon gré : il crée une AcYion,

des A&eurs , il les multiplie félon Ces

befoins , & les nommecomme il juge

à propos , fans qu'on puiiTe le trouver

mauvaise

Page 252: gri 000033125008530772

220 Les beaux ArtsLa matière de la Comédie efl la

vie civile , dont elle elt l'imitation :

„ elle efl comme elle doit être , dit

„ le P. Rapîn ,quand on croit fe

„ trouver dans une Compagnie du

3 ,quartier étant au Théâtre , & qu'on

„ y voit ce qu'on voit dans le mon-„ de. 11 faut ajouter à cela

, qu'elle

doit avoir tout i'affaifonnement pof-

fîblc, & erre un choix de paifante-

rics fines & légères ,qui présentent

le ridicule dans le point le plus pi-

quant.

Le ridicule confifte dans les dé-

fauts qui caufent la honte , fans eau-

fer la douleur. C'eit , en général , un

mauvais aflbrtiment de choies qui

ne font point faites pour aller en-

femble. La gravité ftoïque feroit ri-,

dicule dans un enfant , & la puéri-

lité dans un Magiftrat. C'elt une dif-

eordance de l'état avec les moeurs.

Ce défaut ne caufe aucune douleur

où il elt : & s'il en caufoit , il ne pour-

M

Page 253: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 221

roit faire rire ceux qui ont le cœurbien fait : un retour ïecret fur eux-

mêmes leur feroit trouver plus de

charmes dans la compafiion.

Le Ridicule dans les mœurs eft

donc Amplement , une difformité qui

choque la bienféance, l'ufage reçu,

ou même la morale du monde poli.

C'eft alors que le Spectateur caufîi-

que s'égaye aux dépens d'un vieil

Harpagon amoureux, d'un Monfieur

Jourdain Gentilhomme * d'un Tar-

tuffe mal caché fous fon maique.

L'amour-propre alors a deux plaï-

firs : il voit les défauts d'autrui , &croit ne point voir les fiens.

Le Ridicule le trouve par tout j

dit La Bruyère : il eft fouvent à côté

de ce qu'il y a de plus férieux : mais

il eft rare de trouver des yeux qui

fâchent le reconnoître où il eft , &plus rare encore de trouver des Gé-nies qui fâchent l'en tirer avec déli-

cateffe , & le preienter de manière

Page 254: gri 000033125008530772

2.22 Les beaux Artsqu'il plaife & qu'il inftruife , fans quel'un fe faffe aux dépens de l'autre.

La Comédie fe divife félon les fu-

jets qu'elle fe propofe d'imiter.

Il y a dans la fociété , un ordre

de Citoyens, où régne une certaine

gravité , où les fentimens font déli-

cats , & les converfations afîaifon-

nées d'un fel fin : où eft , en un mot

,

ce qu'on appelle le ton de la bonne

compagnie, C'eft le modèle du haut

comique , qui ne fait rire que l'ef-

prit : tels font les principaux Carac-

tères des grandes pièces, de Simon,

de Chrêmes dans Terence , d'Or-

gon , de Tartuffe , de la Femme fa-

vantedans Molière.

11 y a un autre ordre plus bas :

c'eft celui du peuple , dont le goût

efl conforme à l'éducation qu'il a

reçue. C'eft l'objet du bas comi-

que qui convient aux Valets , aux

Suivantes, & à tout ce qui fc remue

par l'imprcffon des perfon nages fu-

Page 255: gri 000033125008530772

BEDUITS A UN PRINCIPE. 22 3

jpérieurs. Cet ordre ne doit point

admettre la groifiereté , mais la naï-

veté , la /implicite ; & s'il admet l'ef-

prit; il faut qu'il l'oit naturel, &ians

aucune étude. C'eft la qu'on par-

donne les petits jeux de mots , les

tours de îbupleffe , les proverbes

,

Sec. parce que tout cela eiî autorifé

par la condition de ceux qu'on imite.

On pourroit compter une troisiè-

me efpèce de comique, s'il méritoit

ce nom : ce l'ont les farces , les gri-

maces, Sz tout ce qui n'a, pour alfai-

fonnement} qu'un burlefque grof-

fier, quelquefois mêlé d'ordure.

Mais ces imitations, qui charment la

vile populace , ne font point du goûtdes honnêtes-gens.

Offenduntur enzm quilus ejl equus & pœtcr

& rcs.

Il efl évident, par ce précis de la

nature delà Comédie, que l'imita-

tion fait fon cllence & fa régie. Et

Page 256: gri 000033125008530772

224 Les beaux Artsle mot feul de miroir qui lui con-

vient fi parfaitement , fait une dé-

monllration : Mac confiëîa arbitrer

à Po'éîis efje , lit efficlos nqfiros mores

in alienis -perfonis , exfrejfamque

imaginem nofira vita quotidiana vi-

deremus.. Cic. pro Sext. Rofc.

CHAPITRE VIL

Sur la Taftorale*

A Poeïie Paftorale peut être mife

en fpectacle ou en récit : c'eft une

forme indifférente pour le fonds.

Son objet effehtiel eft la vie cham-

pêtre, repréfentée avec tons (es char-

mes pofïibles. Ceft la fimplicité des

mœurs , la naïveté , Tefprit naturel,

le mouvement doux & paifible des

paffions..Ceft l'amour fidèle & ten-

dre des Bergers ,qui donne des foins,

& non des inquiétudes , qui exerce

allez

Page 257: gri 000033125008530772

REDUITS A UN ^RINCIPE^ 2.2$

aflcz le cœur, & ne le fatigue point.

Enfin , c'efl: ce bonheur attaché à la

franchife , & au repos d'une vie qui

ne connoît ni l'ambition, ni le luxe,

ni les emportemens , ni les remords :

Heureux qui vit en paix du lait de fes brebis ,

Et qui , de leur toifon voit filer fes habits j

Et bornant fes defirs au bord dé fon do-

maine ,

Ne connoît d'autre mer que la Marne ou la

Seine. Raarn.

L'homme aime naturellement la

campagne ; & le Printems y ap-

pelle les plus délicats. Les prés fleu-

ris , l'ombre des bois , les vallées

riantes , les ruifleaux , les oifeaux

,

tous ces objets ont un droit na-

turel fur le cœur humain. Et lors-

qu'un Poëte fait , dans une ac-

tion intérefTante , nous offrir la fleur

de ces objets , déjà charmans par

eux-mêmes, & nous peindre, avec

des traits naïfs , une vie femblablé à

celle des Bergers j nouscroyons jouir

* P

Page 258: gri 000033125008530772

226 Les beaux Artsavec eux. Qu'on nous peigne leurs

trifteffes , leurs foucis , leurs jalou-

fies , leurs dépits ; ces partions font

des jeux innocens , au prix de celles

qui nous déchirent. C'eft le fiécle

d'or qui fe rapproche de nous ; Se

la comparaifon de leur état avec le

nôtre, fimplifie nos mœurs , &nousramène infenfiblement au goût de la

Nature.

Dans ce genre , comme dans les

autres , il y a un point au-delà & en-

deçà duquel on ne peut trouver le

bon. Ce n'eft point allez de parler

de ruifleau , de brebis , de Tityre ; il

faut du neuf & du piquant dans l'i-

dée , dans le plan , dans l'action , dans

les fentimens. Si vous êtes trop doux

& trop naïf , vous rifquez d'être fa-

de ; &: fi vous voulez un certain dé-

gré d'affaifonnement , vous fortez

de votre genre, & vous tombez dans

TarTeclation. Ne donnez à une Ber-

gère d'autres bouquets que ceux de

Page 259: gri 000033125008530772

KEDUITS A UN PRINCIPE. 22?fes prés ; d'autre teint , que celui

des rofës & des lis ; d'autres miroir

qu'un clair ruifîeau. Regardez la Na-ture , & choiiifîez : c'eit l'abrégé des

préceptes. Lifez les grands Maîtres :

liiez Théocrite , il vous donnera le

modèle de la naïveté; Mofchus ôc

Bion , celui de la délicateffe. Vir-

gile vous dira , quels ornemens onpeut ajouter à la (implicite. Lifez

Segrais, &Madame Des-Houlieres

,

vous y trouverez une exprefîïon

douce & continue des plus tendres

fentimens : mais fi vous lifez M. dé

Fontenelle , fouvenez-vous que fon

Ouvrage fait un genre à part , &qu'il n'a rien de commun que lé

hom,avec ceux que je viens de citer.

oj^Jr ^rfo

ÎUj

Page 260: gri 000033125008530772

£•28 Les beaux Arts

^

fc———^—————^t»

CHAPITRE VIIL

Sur VApologue,

L/A P o l o g u e eft le fpedacle des

Enfans. Il ne diffère des autres que

par la qualité des A&eurs. On ne

voit , fur ce petit Théâtre , ni les

Alexandres , ni les Céfars ; mais la

Mouche & la Fourmi ,qui jouent les

hommes à leur manière , & qui nous

donnent une Comédie plus pure, &peut-être plus inflruciive , que ces

Acteurs à figure humaine.

L'imitation porte (es régies dans

ce genre , de même que clans les au-

tres. On fuppofe feulement que tout

ce qui eft dans la Nature , eft doué

de la parole. Cette fuppofition a

quelque chofe de vrai ; puifqu'il n'y

a rien dans l'Univers qui ne fe faffe

au moins entendre aux yeux,& qui ne

Page 261: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 229porte dans refprit du Sage des idées

aulli claires,que s'il fe faifoit enten-

dre aux oreilles.

Sur ce principe , les inventeurs de

1 Apologue ont cru qu'on leur paf-

feroit de donner des difcours & des

penfées aux Animaux d'abord,qui,

ayant à peu près les mêmes orga-

nes que nous , ne nous paroilfent

peut-être muets, que parce que nous

n'entendons pas leur langage : en-

fuite aux Arbres,qui , ayant de la

vie , n'ont pas eu de peine à obtenir

aufTi des Poètes le fentiment : & enfin

à tout ce qui fe meut, ou qui exifte

dans l'Univers. On a vu non feule-

ment le Loup & l'Agneau, le Chêne& le Rofeau , mais encore le Pot de

fer Se le Pot de terre jouer des per-

fonnages. Il n'y a eu que Dom Juge-

ment Se Demoifelle Imagination ,

& tout ce qui leur reffemble , qui

n'ont pas pu être admis fur ce Théâ-

tre , parce que , fans doute , il eft

Piij

Page 262: gri 000033125008530772

a 30 Les beaux Artsplus difficile de donner un corps ca-

ra&énfé à ces Etres purement lpiri-

tuels , que de donner de l'ame & de

l'efprit à des corps qui paroiiTent

avoir quelque analogie avec nos or-

ganes.

Toutes les régies de l'Apologue

font contenues dans celles de l'E-

popée & du Drame. Changez les

noms , la Grenouille qui s'enfle , de-

vient le Bourgeois Gentilhomme

,

ou , 11 vous voulez , Céfar , que fon

ambition fait périr , ou le premier

homme , qui eft dégradé , pour avoir

voulu être femblable à Dieu :

. . . . Mutato nomine , de te

fabula narratur.

Il ne faut point s'élever au-dejfus

de fon état : voilà une maxime qu'il

falloit apprendre aux Enfans , au

peuple , aux Rois , à tout le Genre

humain. La Sageffe, par le fecours

de la Poèiie , prend toutes les for-

—"«»«"»=

Page 263: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 23?mes néceflaires pour s'infirmer : ôc

comme les goûts font différens , fé-

lon les kgcs ôc les conditions; elle

veut bien jouer avec les Enfans :

elle rit avec le Peuple : elle parle en

Reine avec les Rois , & diftribue ainfi

fes leçons à tous les hommes : elle

joint l'agréable à l'utile , pour atti-

rer à elle ceux qui n'aiment que le

plaifir, & pour récompenfer ceux,

qui n'ont d'autre vue, que de s'in-

ftruire.

L'Apologue doit donc avoir une

adion, de même que les autres Poè-

mes. Cette a&ion doit être une , in-

téreffante : avoir un commencement,un milieu, une fin ; par conféquent

un prologue , un nœud, un dénoue-

ment : un lieu de la fcène , des Ac-

teurs , au moins deux , ou quelque

chofe qui tienne lieu d'un fécond.

Ces A&eurs auront un caractère éta-

bli , foutenu , ôc prouvé par les dif-

cours ôc par les moeurs ; ôc tout cela

Piv

Page 264: gri 000033125008530772

£32 Les beaux Artsà l'imitation des hommes , dont les

Animaux deviennent les copiftes , Sç

prennent les rôles chacun , iuivant

une certaine analogie de caractères :

Un Agneau fê défalteroit

Dans le courant d'une onde pure :

Voilà un Afteur avec un caractère

connu, & en même-tems le lieu de

la fcène. :

Un Loup (ùrvint à jeûn , qui chcrchoic

avanture

,

Et que la faim en ces lieux attiroit :

Voilà l'autre A&eur , aufïï avec fon

caractère , & outre cela , fa difpofi-

tion aduelle. L'avion & le nœudcommencent :

Qui te rend fi hardi de troubler moiî

breuvage

,

Dit cet animal plein de rage,

Tu feras châtié de ta témérité.

Le cara&ère duLoup fe foutient dans

Page 265: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 23$'

te difcours , de même que celui de

l'Agneau dans le fuivant.

Sire , répond l'Agneau ,que votre Majefté

Ne fe mette point en colère,

Mais plutôt qu'elle confîdére ,

Que je me vas défaltérant

Dans le courant ,

Plus de vingt pas au-deflbus d'elle ;

Et que par conféquent , en aucune façon

Je ne puis troubler fa boiiïbn.

On remarque allez le contraire des

caractères & des mœurs exprimées

par le difcours ; l'action continue :

Tu la troubles , reprit cette bêce cruelle &c.

Là-deflus au fond des forets

Le Loup l'emporte,puis le mange

Sans autre forme de procès.

Le dénouement eft arrivé : &il eft,

tel qu'il devoir être ,pris dans le

principe de l'action même , qui eft

l'injuftice & la cruauté qui accom-

pagnent la force. Cette petite Tra-

Page 266: gri 000033125008530772

234 Les beaux Artsgédic excite à fa manière la Ter-

reur oc la Pitié. On plaint l'Agneau

,

on dételle TAiTamn. Le ftile eft con-

forme au caractère & à l'état des

deux Acteurs. Ceft la matière qui

donne [c ton. Quand c'eft le Chêneorgueilleux qui parle , il dit :

Cependant que mon front au Caucafe pareil

,

Non content d'arrêter les rayons du Soleil

,

Brave l'effort de la tempête &c.

La Cigale va crier famine

Chez la Fourmi fa voifine.

Le Villageois fe plaint de l'Auteur

de tout cela, & prétend,

Qu il a bien mal placé cette Citrouille là.

Hé parbleu je l'aurois pendue

A l'un des Chênes que voilà.

Ainfi du refte. La Fontaine a fenti

toutes les différences : il a faifi par-

tout le riant , le gracieux , le naïf,

l'enjoué. Et comment ? en imitant

la Nature : en fe mettant précifé-

Page 267: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 23

f

ment à la place de fes Adeurss &

en parlant pour eux & comme eux.

Ccft ainfi qiiïl a beaucoup mieux

peint que tous fes Maîtres , & qu'il

s'efl: rendu peut-être beaucoup plus

grand homme en fon genre , que

plufieurs autres que nous admirons,

& que la grandeur de leur matière

nous fait paroître plus grands que

lui.

CHAPITRE IX.

Sur U Po'éfie lyrique.

V^Uand on examine fuperficielle-

ment la Poëfie lyrique , elle paroît

fe prêter moins que les autres efpèces

au principe général qui ramène tout

à l'imitation.

Quoi ! s'écrie-t'on d'abord ; les

Cantiques des Prophètes , les Pfeau-

mes de David , les Odes de Pindare

Page 268: gri 000033125008530772

236* Les beaux Arts& d'Horace ne feront point de vrais

Poèmes ? Ce font les plus parfaits.

Remontez à l'origine. La Poèfïe

n'euVelle pas un Chant , qu'infpire

la joie , l'admiration , la reconnoif-

fance ? N'eft-ce pas un cri du coeur,

un élan , où la Nature fait tout , &l'Art , rien ? Je n'y vois point de

tableau , de peinture. Tout y eft feu,

fentiment , yvreffe. Ainfi deux chofes

font vraies : la première , que les

Poëfies lyriques font de vrais Poë-

mes : la féconde,que ces Poëfies

n'ont point le cara&ère de l'Imi-

tation.

Voilà l'objection propofée dans

toute fa force.

Avant que d'y répondre ,je de-

mande à ceux qui la font , fi la Mu-fique , les Opéra , où tout eft ly-

rique , contiennent des partions réel-

les , ou des pallions imitées ? Si les

Choeurs des Anciens ,qui retenoient

la nature originaire de la Poëfie a

Page 269: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. I37Ces Chœurs qui étoient l'exprefïîon

du feul fentiment , s'ils étoient la

Nature elle-même , ou feulement la

Nature imitée f Si Roufïeâu dans {es

Pfeaumes étoit pénétré auflî réelle-

ment que David? Enfin,fi nos A cteurs

qui montrent fur le Théâtre des paf-

fions fi vives , les éprouvent fans le

fecours de l'Art , & par la réalité deleur fituation ? Si tout cela eft feint,

artificiel , imité ; la matière de la

poefie lyrique, pour être dans les

fentimens , n'en doit donc pas être

moins foumife à l'Imitation.

L'origine de la Poëfie ne prouve

pas plus contre ce principe. Chercher

la Poëfie dans fa première origine

,

c'eft la chercher avant fon exiflence.

Les Elémens des Arts furent créés

avec la Nature. Mais les Arts eux-

mêmes , tels que nous les connoif-

fons, que nous les définiffons main-

tenant , font bien différcns de ce

qu'ils étoient, quand ils commen-

Page 270: gri 000033125008530772

538 Les beaux Artscèrent à naître. Qu'on juge de la

Poëfie par les autres Arts , qui 1 en

naiiTant , ne furent ou qu'un cri in-

articulé , où qu'une ombre crayon-

née , ou qu'un toît étayé. Peut-on

les reconnoître à ces définitions ?

Que les Cantiques facrés foient

de vraies Poëfies fans être des imi-

tations ; cet exemple prouveroit-il

beaucoup contre les Poètes , qui

n'ont que la Nature pour les infpirer !

Etoit-ce l'Homme qui chantoit dans

Moyfe , n'étoit-ce point l'Efprit de

Dieu qui dicloit ? Il eft le maître : il

n'a pas befoin d'imiter , il crée. Aulieu que nos Poètes dans leur yvrefle

prétendue , n'ont d'autre fecours que

celui de leur Génie naturel , qu'une

imagination échauffée par l'Art ,

qu'un enthoufiafme de commande.

Qu'ils ayent eu un fentiment réel de

joie : c'eft dequoi chanter , mais un

couplet ou deux feulement. Si on

Veut plus d'étendue ; c'eft à l'Ait à

Page 271: gri 000033125008530772

heduits A un Principe. 239coudre à la pièce de nouveaux fen-

timens qui reffemblent aux premiers.

Que la Nature allume le feu; il faut

au moins que l'Art le nourriile ôc

l'entretienne. Ainli l'exemple des

Prophètes, qui chantoient fans imi-

ter , ne peut tirer à conféquence

contre les Poètes imitateurs.

D'ailleurs,pourquoi les Canti-

ques facrés nous paroiilent-ils , à

nous , fi beaux ? N'eft-ce point parce

que nous y trouvons parfaitement

exprimés les fentimens qu'il nousfemble que nous aurions éprouvésdans la même fituation où étoient

les Prophètes ? & fi ces fentimens

netoient que vrais , & non pas vrai-

femblables,nous devrions les refpec-

tef ; mais ils ne pourroientnous faire

rimprefïion du plaifir. De forte que,pour plaire aux hommes, il faut, lors

même qu'on n'imite point * faire

comme fi l'on irnitoit , & donner à la

Vérité les traits de la vraifemblance,

Page 272: gri 000033125008530772

240 Les beaux ArtsLa Poëfie lyrique pourroit être

regardée comme une efpèce à part ;

fans faire tort au principe où les au-

tres fe réduifent. Mais il n'eft pas

befoirt de la féparer : elle entre na-

turellement & même néceflairement

dans l'imitation ; avec une feule dif-

férence ,qui la cara&érife & la dif-

tingue : c'eft fon objet particulier.

Les autres efpèces de Poëfie ont

pour objet principal les Actions : la

Poëfie lyrique eft toute confacrée

aux fentimens , c'eft fa matière , fon

objet efTentiel. Qu'elle s'élève com-

me un trait de flamme en fréiniffant

,

qu'elle s'infinue peu à peu , & nous

échauffe fans bruit >que ce foit un

Aigle , un Papillon , une Abeille ;

c'eft toujours le fentiment qui la

guide ou qui l'emporte.

Il y a des Odes facrées , qu'on

appelle Hymnes, ou Cantiques : c'efl

l'expreiTion du cœur , qui admire

avec tranfport la grandeur 5 la

toute-

Page 273: gri 000033125008530772

BEDUITS A UN PRINCIPE. 141toute-puifïancc , la bonté infinie de

l'Etre fuprême , & qui s'écrie dans

renthoufiafme : Cœli enarrant glo~

riam Dei , & opéra ejus annuntiat

firmamentiim %

Les Cieux inftruifenc la Terre

A révérer leur Auteur }

7'out ce que leur globe enferre

Célèbre un Dieu Créateur.

Quel plus fublime Cantique

Que ce concert magnifique

De tous les céleftes Corps î

Quelle grandeur infinie !

Quelle divine harmonie

Réfulte de leurs accords ï

11 y en a qu'on appelle Héroïques

,

qui font faites à la gloire des Héros :

Le Poëte

Mène Achille fanglant aux bords du Simoïs,

Ou fait fléchir l'Efcaut fous le joug de Louis.

Telles font les Odes de Pindare , &plufieurs de celles d'Horace , de

Malherbe 6c de KoufTeau.

Page 274: gri 000033125008530772

çl%i Les beaux ArtsIl y en a une troifiéme forte quî

peut porter le nom d'Ode philofo-

phique ou morale. Ce font eelles où

le Poëte épris de la beauté de la

vertu , ou effrayé de la laideur du

vice, s'abandonne aux tranfports de

l'amour ou de la haine que ces ob-

jets font naitrc.

Fortune , dont la main couronne

Les forfaits les plus inouis

,

Du faux éclat qui t'environne

Serons-nous toujours éblouis? &c.

Enfin la quatrième efpèce ne doit

éclore que dans le fein des plaifirs :

Elle peint les feftins , les danfes &. les ris.

Telles font les Odes Anacréonti-

ques , & la plupart des Chanfons

Françoifes.

Toutes ces Efpèces , comme on

le voit , font uniquement confacrées

au fentiment. Et c'eft la feule diffé-

rence,qu'il y ait entre la Poëfie ly-

Page 275: gri 000033125008530772

réduits \ un Principe. 24.3

rîque & les autres genres de Poëfie.

Et comme cette différence eft toute

du côte de l'objet , elle ne fait au-

cun tort au principe de l'imitation.

Tant que l'a&ion marche dans le

Drame ou dans l'Epopée , la Poëfie

èft épique ou dramatique ; dès qu'elle

s'arrête , & qu'elle ne peint que la

feule fituation de l'ame , le pur fcn-

liment qu'elle éprouve , elle efl de

foi lyrique : il ne s'agit que de lui don-

ner la forme qui lui convient , pour

être mife en chant. Les monologuesde Polieuéte , de Camille, de Chi-

mene , font des morceaux lyriques :

& fi cela eft;pourquoi le fentiment

qui eft fujet à l'imitation dans unDrame , n'y feroit-il pas fujet dans

une Ode ? Pourquoi imiteroit-on la

paillon dans une Scène , & qu'on nepourroit pas l'imiter dans un Chant ?

Il n'y a donc point d'exception.

Tous les Poètes ont le même objet

,

& ils ont tous la même méthode à

iuivre. Q ij

Page 276: gri 000033125008530772

244 Les beaux ArtsAinfi , de même que dans la Poefie*

épique & dramatique , où il s'agit

de peindre les a&ions, le Poëte doit

fe repréfenter vivement les chofes

dans l'efprit , & prendre auflitôt le

pinceau ; dans le lyrique , qui eft

livré tout entier au fentiment , il

doit échauffer Ton cœur, & prendre

auffitôt fa lyre. S'il veut compofer

un Lyrique élevé , qu'il allume un

grand feu. Ce feu fera plus doux

,

s'il ne veut que des fons modérés.

Si les fentimens font vrais & réels ,

comme quand David compofoit ies

Cantiques , c'eft un avantage pour

le Poëte : de même que c'en efl un

,

lorfque dans le Tragique, , il traite

un fait de l'Hiftoire tellement pré-

paré ,qu'il n'y ait point , ou qu'il y

ait peu de changemens à faire, com-

me dans l'Either de Racine. Alors

l'imitation Poétique fe réduit aux

penfées , aux expreffions , à l'har-

monie , qui doivent être conformes

Page 277: gri 000033125008530772

réduits A un Principe. 24.J

au fonds deschofes. Si les fentimens

ne font pas vrais & réels , c'eft-à-

dire , Ci le Poète n'en1pas réelle-

ment dans la fituation qui produit

les fentimens dont il a befoin ; il

doit en exciter en lui , qui foienç

femblables aux vrais , en feindre qui

répondent à la qualité de l'objet. Et

quand il fera arrivé au jufte degré de

chaleur qui lui convient;qu'il chante:

il eft infpiré. Tous les Poètes font

réduits à ce point : ils commencent

par monter leur Lyre : puis ils en ti-

rent des fons.

C'eft ainfi que fe font faites les

Odes facrées , les héroïques , les mo-rales , les anacréontiques ; il a fallu

éprouver naturellement ou artificiel-

lement , les fentimens d'admiration

,

de reconnoiflance , de joie , de trif-

teflfe , de haine , qu'elles expriment :

& il n'y en a pas une d'Horace ni de

Roufléau , fi elle a le véritable ca-

ractère de l'Ode 3 dont on ne puifle

Page 278: gri 000033125008530772

aâfi Les beaux Artsle démontrer ; elles font toutes untableau de ce qu'on petit fentir de

plus fort ou de plus délicat dans la

fituation où ils étoient.

Demême donc que dans la Pocfie

épique & dramatique on imite les

actions &les moeurs , dans le lyrique

on chante les (entimens ou les paf-

fions imitées. S'il y a du réel , il fe

mêle avec ce qui efr. feint,pour faire

un Tout de même nature : la fiction

embellit la vérité , & la vérité donne

du crédit à la fiction.

Ainfi que la Poëfie chante les

mouvemens du coeur, qu'elle agiffe

,

qu'elle raconte , qu'elle fafie parler

les Dieux ou les Hommes ; c'elt

toujours un portrait de la belle Na-ture, une image artificielle, un ta-

bleau , dont le vrai & unique mérite

confifte dans le bon choix, la difpo-

fition , la reiTemblance : ut PiBura

Boefis.

Page 279: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 247

Section Seconde.

Sur la Teinture.

Ç^ Et article fera fort court , parce

que le principe de l'imitation de la

belle Nature, furtout après en avoir

fait l'application à la Poëfïe , s'ap-

plique prefque de lui-même à la

Peinture. Ces deux Arts ont entr'eux

une fi grande conformité ; qu'il ne

s'agit, pour les avoir traités tous

deux à la fois,que de changer les

noms , & de mettre Peinture , Def-

feing , Coloris , à la place de Poëfie ,

de Fable , de Verfification. C'eft le

même Génie qui crée dans Tune Se

dans l'autre : le même Goât qui di-

rige l'Artifte dans le choix , la dif-

pofition , l'ailortiment des grandes &des petites parties : qui fait les group-

pes & les contrafr.es : qui pofe , & qui

Qiv

Page 280: gri 000033125008530772

248 Les beaux Artsnuance les couleurs : en un mot , qui

régie laCoinpolition , le Defïeing , le

Coloris. Ainfi , nous n'avons qu'un

mot à dire fur les moyens , dont Je

fert la Peinture pour imiter & expri-

mer la Nature.

En iiippoiant que le tableau idéal

a été conçu félon les régies du Eeau

,

dans l'imagination du Peintre : fa

première opération pour l'exprimer,

ou le faire naître , efl le trait : c'eft

ce qui commence à donner un être

réel & indépendant de l'efprit , à

l'objet qu'on veut peindre , qui lui

détermine un efpace jufle , & le ren-

ferme dans tes bornes légitimes :

c'eft le DeiTeing. La féconde opéra-

tion , eft de pofer les ombres & tes

jours,pour donner de la rondeur

,

de la faillie , du relief aux objets ,

pour les lier eniemble , les détacher

du plan , tes approcher , ou les éloi-

gner du Spectateur : c'eft le Clair-

obfcur. La troifiéme eft d'y répan-

Page 281: gri 000033125008530772

recuits A un Principe. 245)

idre les couleurs, telles que ces objets

les porteroicnt dans la Nature, d'u-

nir ces couleurs , de les nuancer ,

de les dégrader félon le befoin, pour

les faire paroître naturelles : C'eft le

Colons. Voilà les trois dégrés de

l'expreiTion pittorefqne : & ils font

fi clairement renfermes dans le prin-

cipe général de l'imitation,qu'ils ne

laiffent lieu à aucune difficulté mê-me apparente. A quoi fe réduifent

toutes les régies de la Peinture ? à

tromper les yeux parla reiTembîance,

à nous faire croire que l'objet eft

réel , tandis que ce n'eft qu'une

image. Cela eft évident. Paiïons à

la Mufique & à la Danfe. Noustraiterons ces deux Arts avec un peu

plus d'étendue ; mais cependant fans

fortir de r)otre objet, qui eit de prou-

ver que la perfection des Arts dé-

pend de l'imitation de la belle Na-ture.

Page 282: gri 000033125008530772

2$o Les beaux Arts

Section Troisième,

Sur la Musique et sur la Danse.

J A Mufique&voit autrefois beau-

coup plus d'étendue , qu'elle n'en a

aujourd'hui. Elle donnoit les grâces

de l'Art , à toutes les efpèces de Tons,

& de geftes : elle comprenoit le

Chant , la Danfe , la Vérification ,

la Déclamation ; Ars decoris in vo-

tibm & notibus. Aujourd'hui , que

la Verfification & la Danfe ont for-

mé deux Arts féparés , & que la Dé-clamation,abandonnée {a) à elle-mc-

( a ) Nous avons a-

bandonné l'Art de la

déclamation. Scroit-ce

parce que nous nous fe-

rions crus allez riches

du côté du langage ?

Si cela étoit, les Grecs

& les Latins auraient

dû, à plus forte rai Ton,

la négliger. Cependant

le feul gefle pouvoit

faire chez eux un dif-

cours fuivi. O.n fçait

l'hiftoirc des Panto-

mimes. Quand on (e

plaint de la foiblclle

de notre éloquence,on

la rejette quelquefois

fur la forme des Gou-vernemens. Mais fi

Page 283: gri 000033125008530772

réduit.'; a un Principe. 2^1me, ne fait plus un Art, la Mufique

proprement dite fe réduit au feul

les matières d'Etat ne

font plus traitées au-

jourd'hui par nos Ora-

teurs , n'ont-ils point

celles de la Religion ?

Bourdaloue avoir.- il

moins d'avantage du

côté de la matière ,

que Démoithène ? Lacrainte d'une éternité

malheureufe cft-elle

moins vive que celle

d'un Tyran? Nos Ora-teurs n'ont-ils point de

tems en tems des Mi-Ions à défendre , des

Verres à attaquer , des

Ce fars à louer ? N'a-

vons nous pas des Dif-

cours dont la ledure

nous fait autant de

plaifir,que ceUe de

quelques-uns des An-ciens ? Cependant nouscroyons ceux des An-ciens fupéricurs à tous

ceux que nous avons.

Us ne rétoien't peut-

jetre que par la décla-

mation; qui feule con-

tenoit prefque les deux,

tiers de l'expreflion : je

veux dire , le ton & le

gefte. Démofthène yréduifoit même touc

l'art Oratoire , & il

en parloit fur fa pro-

pre expérience. Ondemande où eft l'en-

droit dans rOraifon

pour Ligarius,qui fit

tomber l'arrêt des

mains de Céfar. Onne le demanderont pas

,

fi on a voit pu nous

transmettre fes tons &lès geftes , de mêmeque les paroles. Mais

nous n'avonsde ce Dis-

cours que le corps ,

l'amc n'y e-t plus : &:

nous ne jugeons de ce

qu'elle pouvoit être ,

que par notre expé-

rience & notre foi-

bleffe. Quelle confian-

ce que celle d'un jeune

Orateur,qui paroiflanc

Page 284: gri 000033125008530772

H

252 Les eeaux Artschant ; ceiT: l : faïence des Sonx.

Cependant comme la réparation

cfl venue plutôt des Artiftes , que

des Arts mêmes , qui font toujours

relLs intimement liés entreux ; nous

traiterons ici la Mufique & la Danfe

fans les féparer. La comparaifon ré-

ciproque que Ton fera de Tune avec

l'autre , aidera à les faire mieux con-

noître : elles fe prêteront du jour

dans cet Ouvrage , comme elles fe

prêtent des agrémens fur le Théâtre.

en public avec des

mots. & des phrafes

préparées , simagiûe

que les tons & les gef-

tes qui doivent accom-

pagner & animer ces

phrafes , kù lêront te-

nus tous prêts, dans le

degré exquis de force

& de grâce que cha-

que penfée exige. Tout

ce qui peut être tantôt

bon , tantôt mauvais >

a beloin de régies ^

& quelque heurcule

qu'on itippofe la Na-ture , elle a toujours

befoin du (ccours de

TArt pour être parfai-

te : nihil credimus cjfs

ferfecium , nifi ubi na~

tura, cura juvetur-,

Page 285: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 2$$

CHAPITRE L

On doit connoîtYe la nature de la

Mujique & de la Danfe 9par

celle des Tons & des Gejles,

JL Es Hommes ont trois moyenspour exprimer leurs idées & leurs

fcntimens ; la Parole , le Ton de la

voix , & le Gefte. Nous entendons

par Gefre, les mouvemens extérieurs,

Se les attitudes du corps : Gejtus t

dit Ciceron , eji conjormatio quœdamÙ'figura totius oris & corjoris.

J'ai nommé la Parole la première,

parce qu'elle ell en poïTeiTion du pre-

mier rang ; & que les hommes y font

ordinairement le plus d'attention.

Cependant les Tons de la voix & les

Celles , ont fur elle plufieurs avanta-

ges : ils font d'un ufage plus natu-

rel : nous y avons recours quand les

Page 286: gri 000033125008530772

2^4- Les beaux Artsmots nous manquent ; plus étendu :

c'efl: un Interprète univerfel qui nous

fuit jufquaux extrémités du monde,qui nous rend intelligibles aux Na-tions les plus barbares , & même aux

animaux. Enfin ils font confacrés

d'une manière fpéciale au fentiment.

La parole nous initruit , nous con-

vainc , c'eft l'organe de la raifon :

mais le Ton & le Gefte font ceux

du coeur : ils nous émeuvent, nous

gagnent , nous perfuadent. La Pa-

role n'exprime la paftion que par le

moyen des idées auxquelles les fen-

timens font liés , & comme par ré-

flexion. (<*) Le Ton & le Gefte ar-

rivent au coeur directement & fans

(a) Les Paroles peu-

vent exprimer les paf-

fions en les nommant :

on dit , je vous aime,

je vous bais\ mais il on

n'y joint ni le Ton ni

le Gefte , on exprime

une idée,plutôc qu'un

fentiment. Au lieu

qu'un mouvement , unregard montre la paf-

fion elle - même fur

le champ. Qu'on life

froidement l'impréca-

tion de Camille_,fans

aucune inflexion de la

Page 287: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PillNClPE. 2, 5 J

aucun détour. En un mot la Parole

efl: un langage dmflitution, que les

hommes ont fait pour fe communi-

quer plus diitin&ement leurs idées :

les Celles & les Tons font commele Dictionnaire de la limple Nature ;

ils contiennent une langue que nous

favons tous en naifTant , & dont

nous nous fervons pour annoncer

tout ce qui a rapport aux befoins 5c

à la confervation de notre être : aulli

eft-elle vive,courte, énergique. Quel

fonds pour les Arts dont l'objet eil

de remuer Pâme ,qu'un langage dont

toutes les expreiîïons font plutôt

celles de l'humanité même , que

celle des hommes !

La Parole , le Gefle & le Ton de

voix & fans aucun

gçfle ; le cœur demeu-rera froid , ou s'il s'é-

chaufte, ce ne fera que

parce qu'on imaginera

les Tons &i les Geftes

qui dévoient accom-

pagner ces Paroles

dans une perfonne fu-

rieufe. Affeaits vmn et

languefcant nccejfe ,

nijî'voce , vultu, iotïui

prope habitu corporii

inarde rcant.

Page 288: gri 000033125008530772

i

2^6 Les beaux Artsla voix ont des dégrés , où ils ré-

pondent aux trois eipèces d'Arts que

nous avons indiqués. (<) Dans le pre-

mier degré , ils expriment la Nature

fimple,pour le befoin feul : c'eft le

portrait naïf de nos penfées & de nos

îentimens : telle cft , ou doit être

la converfation. Dans le fécond dé-

gré , c'elt la Nature polie par le fe-

cours de l'Art,pour ajouter l'agré-

ment à l'utilité : on choifit avec

quelque foin , mais pourtant avec

retenue & modeftic , les mots , les

tons , les geftes , les plus propres &les plus agréables : c'efl l'Oraifon &Je récit foutenu. Dans le troifiéme

,

on n'a en vue que le plaifir : ces

trois expreilîons y ont non-feule-

ment toutes les grâces & toute la

force naturelle , mais encore toute

la perfedion que l'Art peut y ajou-

ter,je veux dire la mefure , le mou-

vement , la modulation & l'harmo-

(aj Chap. i . de la première Partie.

nie 3

Page 289: gri 000033125008530772

KEEUITS A UN PRINCIPE. i$Jrie , & c'efl: la Verfifïcation , la Mu-fîque & la Danfe , qui font la plus

grande perfection pofïible des Paro-

ks , des Tons de la voix , & des

Celles, (a).

( a) Il fuit de ce

principe , que dans les

Arts qui font faits pour

Je plailir , tout devant

être dans l'a plus gran-

de perfe&ion pollible,

les tons 8ç les geltes

de la Déclamation

théâtrale devraient e-

tre mefurés , de mêmeeue la parole, & notés

par un Compofiteur.

Les Anciens àvoient

été jufqu'à cette con-

{équence , & ils s'en

ctoient fait une ré-

gie dans la pratique.

Voyez la fçavanteDif-

ienation de M. l'Abbé

Vatry fur cette matiè-

re Tom. 8. des Mém.de lAcad.des Infcript.

Mais parmi nous,l'ha-

bitude & le préjugé s'y

oprofent. Je dis le pré-

jugé , car la vrai-fcm-

blauce n'y perdroit

rien , parce que d'an

côté , la belle Nature

demande non - feule-

ment une action par-

faite , mais encore unlangage & une pro-

nonciation qui ayent

toute leur beauté pof-

fible , eu égard à la

condition des Acteurs

& à leur fituation ; 8c

que de l'autre côté la

Danfe & la Mufique

déclamatoires, pren-

droient le caractère

même & l'expreflion

de la déclamation na-

turelle. La mefurc ne

détruit tien , elle ne

fait que régler ce qui

ne l'était pas , en le

laiffant tel qu'il étoit

auparavant. Nos plus

* R

Page 290: gri 000033125008530772

258 Les beaux ArtsD'où je conclus i°. Que l'objet

principal de la Mufique ôc de la

Danfe doit être l'imitation des fen-

îimens ou des pallions : au lieu que

celui de la Poëfie elr. principalement

l'imitation des aclions. Cependant,

comme les pallions ôc les actions font

prefque toujours unies dans la Na-

ture,& qu'elles doiventaufîï fe trou-

ver enfemble dans les Arts ; il y aura

cette différence pour la Poëiie , &pour la Mufique ôc la Danfe : que

dans la première , les pallions y fe-

ront employées comme des moyens

ou des relions qui préparent l'action'

ôc la produifent ; & dans la Mufique

ôc îa Danfe, l'action ne fera qu'une

efpèce de cannevas defîiné à porter,

beaux Récitatifs en

Mufique n'ont pour

bafe ik pour fonde-

ment de leur chant

,

eue la déclamation

naturelle. Quand Lulli

eompoCoh les usas } il

prioit quelquefois la

Chammcfîé de lui en

déclamer les paroles :

il prenoit rapidement

fes tons , & enluite il

les réduifoit aux ré-

gies de l'Art.

BAlUilMfe; ,;t/

:'

Page 291: gri 000033125008530772

réduits À un Principe. 2J9foutenir , amener, lier, les différen-

tes paillons que TArtifle veut expri-

mer.

Je conclus 2 . Que il le Ton de

la voix & les Geiles avoient une fi-

gnification avant que d'être mefurés

,

ils doivent la conferver dans la Mufi-

quc & dans la Danfe , de même que

les Parolesconferventlaleur dans la

Verfification ; 3c par conféquent ,

que toute Mufique 3c toute Danfe

doit avoir un fens.

3 . Que tout ce que l'Art ajoute

aux Tons de la voix Se aux Gefles

,

doit contribuer à augmenter ce fens

,

& à rendre leur expreffion plus éner-

gique. 11 ne paroît pas que la pre-

mière conféquence ait befoin d'être

prouvée , nous allons développer

les deux dernières dans les Chapi-

tres qui fuivent.

M

Page 292: gri 000033125008530772

260 Les beaux Arts

CHAPITRE IL

Toute Mujtque é* toute Danfe doit

avoir une figniji:cation

yunJe;?s.

JN O u s ne répétons point ici que

les chants de la Mufique & les mou-vemens de la Danfe ne font que des

imitations , qu'un tifîii artificiel de

Tons & de Geftes poétiques ,qui

iVont que le vraifemblable. Les par-

iions y font aufii fabuleufes que les

a&ions dans la Poëfie : elles y font

pareillement de la création feule du

Génie & du Goût : rien n'y eft vrai

,

tout eft artifice. Et fi quelquefois il

arrive que le Muficien , ou le Dan-feur, foient réellement dans le ien-

timent qu'ils expriment ; c'eft une

circonftance accidentelle qui n'eft

point du deiïein de TArt : c'eft une

peinture qui fe trouve fur une peau

Page 293: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PkINCIPE. 2<>I

vivante, Se qui ne devroit être que

fur la toile. L'Art n'eft fait que pour

tromper , nous croyons l'avoir allez

dit. Nous ne parlerons ici que des

expreiïions.

Les expreflîons , en général , nç

font d'elles-mêmes, ni naturelles,

ni artificielles : elles ne font que des

(ignés. Que l'Art les employé , oula Nature , qu'elles foient liées à la

réalité , ou à la fiftion , à la vérité ,

ou au menfonge , elles changent de

qualité, mais fans changer dénature

ni d'état. Les mots font les mêmesdans la converfation & dans la Poë-fie ; les traits & les couleurs , dans les

objets naturels & dans les tableaux ;

& par conféquent , les tons & les

gefles doivent être les mêmes dans

les paffions , foit réelles , foit fabu-

leufes. L'Art ne crée les expreflions

,

ni ne les détruit : il les régie feule-

ment , les fortifie , les polit. Et de

même qu'il ne peut fortir de la Na^Riij

Page 294: gri 000033125008530772

262 Les beaux Artsture pour créer les chofes; il ne peut

pas non plus eu fortir pour les ex-

primer : c'eft: un principe.

Si je difois que je ne puis me plaire

à un Difcours que je ne comprends

pas , mon aveu n'auroit rien de fin-

gulier. Mais que j'ofe dire la même,

chofe d'une pièce de mufique; vous

croyez-vous , me dira -ton , affez;

connoiiTeur pour fentir le mérite

d'une mufique fine & travaillée avec

foin ? J'ofe répondre : oui, car il s'a-

git de fentir. Je ne prétends point

calculer les fons , ni leurs rapports

,

foit entre eux , foit avec notre or-

gane : je ne parle ici , ni de trémouf-

femens, ni de vibrations de cordes,

ni de proportion mathématique. J'a-

bandonne aux favans Théorises

,

ces fpéculations , qui ne font que

comme le grammatical fin , ou la

dialectique d'un Difcours , dont je

puis fentir le mérite , fans entrer dans

ce détail. La Mufique me parle pat

nm

Page 295: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 263

des tons : ce langage m'eil naturel :

fi je ne l'entends point , l'Art a cor-

rompu la nature , plutôt que de la

perfectionner. On doit juger d'une

mufique , comme d'un tableau. Je

vois dans celui-ci des traits & des

couleurs dont je comprends le fens;

îl me flatte , il me touche. Que di-

roit-on d'un Peintre , qui Te conten-

teroit de jetter fur la toile des traits

hardis , & des maiTes des couleurs

les plus vives , fans aucune reflem-

blance avec quelque objet connu ?

L'application fe fait d'elle-même à

la Mufique. II n'y a point de difpa-

rité ; & s'il y en a une , elle fortifie

ma preuve. L'oreille , dit -on , eft

beaucoup plus fine que l'œil. Doncje fuis plus capable de juger d'une

mufique, que d'un tableau.

J'en appelle au Compofiteur mê-

me : quels font les endroits qu'il apr

prouve le plus ,qu'il chérit par pré-

férence , auxquels il revient fans cefTe

Riv

Page 296: gri 000033125008530772

———

264 Les beaux Artsavec une complaifance fecrete ? Nefont-ce pas ceux où fa mufique efl

,

pour ainli dire ,parlante , où elle a

un fens net , fans obfcurité , fans

équivoque ? Pourquoi choiiit-on cer-

tains objets, certaines pafTions, plu-

tôt que d'autres ? C'eft parce qu'el-

les font plus aifées à exprimer, &que les Spectateurs en faififfent avec

plus (Je facilité rexprefïion. (a)

Ainfi , que le Muficien profond

s'applaudiffe , s'il le veut , d'avoir

(a) Nqus avons

comparé la Mufique

avec le Difcours ora-

toire. Or voici ce que

Ciceron dit de celui-

ci : Hoc etiam mira-

bilius débet videri ( in

eloquentiâ ) quia c&-

ierarum Attiuinfiudia

fere reconditis , atque

abditis è fontibus h.iu-

riuntur : dicendi an-

tem omnts ratio in me-

dio pofita , commuai

quodam in ufu, atque

in hominurn more &fermon e verfatur : ut

in c&teris id maximeexcellât

,quod longif-

finie fil ab imperitorum

intelligentiâ, fenfuque

disjunEbum : indicen-

do autem vitium vel

, maximum fit à vul-

gari génère orationis

atque a. confuetudine

communis fenfus ab-

horrere. L'application

. eft aifée.

Page 297: gri 000033125008530772

UEDUITS A UN PRINCIPE. 2.6$

concilié,par un accord mathémati-

que , des fons qui paroifloient ne de-

voir fe rencontrer jamais ; s'ils ne

Signifient rien,je les comparerai à

ces geftes d'Orateurs , qui ne font

que des (ignés de vie; ou à ces vers

artificiels,qui ne font que du bruit

mefuré ; ou à ces traits d'Ecrivains

,

qui ne font qu'un frivole ornement.

La plus mauvaife de toutes les mu-fiques ell celle qui n'a point de ca-

raclère. Il n'y a pas un fon de l'Art

qui n'ait fon modèle dans la Nature,

& qui ne doive être , au moins , uncommencement d'expreflion , com-me une lettre ou une fyllabe l'eil

dans la parole, (a)

(a) Cela eft égale- i

ment vrai & du Chant|

fimple , & du Chantj

harmonique : ils doi- I

vent avoir l'un & l'au-j

tre un fens , une figni-|

fîcation : avec cette

différence cependant

,

que le Chant fïmplei

cft comme un Dit-

cours adrefïe au peu-

ple , & qui ne fuppofe

point d'étude pour être

compris •> au lieu que

le Chant harmonique

demande une forte d'é-

rudition muficale , des

oreilles inftruit.es &

Page 298: gri 000033125008530772

266 Les beaux Arts11 y a deux fortes de Mufique :

l'une qui n'imite que les fons & les

bruits non-paiTionnés : elle répond

au payfage dans la Peinture : l'autre

qui exprime les (ons animés , & qui

tiennent aux fentimens : c'eft le ta-

bleau à perfonnage.

Le Muficien n'en1pas plus libre

que le Peintre : il e(l par-tout , &coniïamment fournis à la comparai*-

fon qu'on fait de lui avec la Nature.

S'il peint un orage , un ruiiïeau, unZéphir; (es tons font dans la Natu-

re, il ne peut les prendre que là. S'il

peint un objet idéal , qui n'ait jamais

eu de réalité , comme feroit le mu-gilTement de la Terre , le frémilTe-

rrtent d'un Ombre qui fortiroit du

exercées. C'eft pref-

qiie un Difcours fait

pour des Savins , il

fuppo-iè dans (es Audi-teurs certaines con-

Jioi (Tances acquifès ,

fans lefqucllcs ils ne

feroient point en état

de juger de fon mé-rite. Reftcà fçavoir G.

un Difcours qui n'eft

que pour les Savans

peut être vraiment é-

loquent.

Page 299: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 1^tombeau; qu'il falTe comme le Poëte:

Aut fzmtun fequere } aut fibi convenientia

jmge.

Il y a des fons dans la Nature qui

répondent à fon idée , fi elle efl mu-ficaie ; & quand le Compofiteur les

aura trouvés , il les reconnoîtra fur

le champ : c'eft une vérité : dès qu'on

la découvre , il femble qu'on la re-

çonnoiiïe , quoiqu'on ne Tait jamais

vue. Et quelque riche que foit la.

nature pour les Muficiens . fi nous

ne pouvions comprendre le fens des

exprefiions qu'elle renferme , ce ne

feroit plus des richeffes pour nous.

Ce feroit un idiome inconnu, & par,

conféquent inutile.

La Mufique étant fignificative

dans la fymphonic, où elle via qu'une

demi-vie , que la moitié de fon être ,

que fcra-t'elle dans le chant , où elle

devient le tableau du cœur humain l

Tout fentiment , dit Ciceron 3 a un

Page 300: gri 000033125008530772

———

f

26% Les beaux Artston y un gefte propre qui l'annonce,"

e'efî comme le mot attaché à l'idée :

Omnis motus animi fuum quem-

dam à naturâ babet vultum & fo-

mern & çreflum, Ainfi leur continui-

té doit former une efpèce de dif-

cours fuïvi : & s'il y a des ex pre fiions

qui m'embarraffertt , faute d'être pré-

parées ou expliquées par celles qui

précèdent ou qui fuivent , s'il y en a

qui me détournent, qui fo contredis

fent; je ne puis être fatisfait.

Il cil vrai , dira-t'on , qu'il y a des

paflions qu'on reconnoît dans le

chant muiical , par exemple , l'a-

mour , la joie , la triftefte : mais pour

quelques expreflions marquées , il yen a mille autres , dont on ne fçau-

roit dire l'objet.

On ne fauroit le dire, je l'avoue;

mais s'enfuit-il qu'il n'y en ait point ?

il fuffit qu'on le fente , il n'eft pas

néceflaïre de le nommer. Le cœura fon intelligence indépendante des

Page 301: gri 000033125008530772

fcEBOTTS a un Principe. z6$mots ; & quand il efi touché , il atout compris. D'ailleurs , de mêmequ'il y a de grandes chofes, auxquel-

les les mots ne peuvent atteindre;

il y en a aufli de fines , fur lefquelks

ils n'ont point de prife : & ceA fur-

tout dans les fentimens que celles-ci

fe trouvent.

Concluons donc que la Mufiquela mieux calculée dans tous lès tons,

îa plus géométrique dans tes ac-

cords, s'ilarrivoit, qu'avec ces qua-

lités , elJe n eut aucune lignification ;

on ne pourroit la comparer qu'à unPrifme

, qui préfente le plus beau co-loris , & ne fait point de tableau. Ceièroit une efpèce de clavecin chro-matique

, qui offriroit des cou-leurs & des palfages

, pour amuferpeut-être les yeux , & ennuyer fûre-

Jment Yefprit.

«K>

Page 302: gri 000033125008530772

270 Les beaux Arts

CHAPITRE III.

Des qualités que doivent avoir Uscxj,refjions de la Mufique , &

celles de la Danfe.

J L y a des qualités naturelles qui

conviennent aux tons Se aux .^cftes

confédérés en eux-mêmes , & feule-

ment comme expreilions : il y en a

qûeTArt y ajoute pour les fortifier

& les embellir. Nous parlerons ici

des unes & des autres.

Puifque les fons dans la Mufique

,

& les geftes dans la Danfe , ont une

lignification , de même que les mots

dans la Poëlle , Texpreflion de la

Mufique & de la Danfe doit avoir

les mêmes qualités naturelles ,que

TElocution oratoire : & tout ce que

nous dirons ici , doit convenir égale-

ment , à la Mufique , à la Danfe :&

à l'Eloquence.

Page 303: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PniNCItÈ. 2JÏToute expreffion doit être con-

forme aux chofes qu elle exprime :

c'eft l'habit fait pour le corps. Ainfi

comme il doit y avoir dans les fu-

jets poétiques ou artificiels de l'u-

nité & de la variété , l'expreflion

doit avoir d'abord ces deux qualités.

Le cara&ère fondamental de Tex-

preilion eft dans le fujet : c'eft lui

qui marque au ftyle le degré d'élé-

vation ou de fimplicité , de douceur

ou de force qui lui convient. Si c'eft

la joie que la Mufique ou la Danlè

entreprennent de traiter, toutes les

modulations , tous les mouvemensdoivent en prendre la couleur rian-

te ; & fi les chants & les airs qui fe

fuccédent , s'altèrent & fe relèvent

mutuellement, ce fera toujours lans

altérer le fonds,qui leur cil commun :

voilà l'unité, (a) Cependant com-

( m ) Souvent nos Expreffion de l'amc

Muiickns facriaent ce ! qui doit être répandue

Ton général , cettej dans tout un morceau

Page 304: gri 000033125008530772

a~j2. Les beaux* Artsme une pafîion n'efl jamais feule , 8c

que ,quand elle domine , toutes les

autres font, pour ainfi dire , à fes

ordres , pour amener , ou repoufler

les objets qui lui font favorables ,

ou contraires; le Compofiteur trou-

ve dans l'unitémême de fon fujet , les

moyens de le varier. Il fait paroitre

tour à tour , l'amour , la haine , la

crainte , la triflefle , l'efpérance. 11

imite l'Orateur ,qui employé toutes

les figures & les variations de fon

Art , fans changer le ton général de

fon ftyle. Ici , c'eft la dignité qui ré-

gne , parce qu'il traite un point gra-

ve de morale , de politique , de droit.

de Mufique , à une

idée accefîbire & pref-

que indifférents au Su-

jet principal. Us s'ar-

rêtent pour peindre un

Ruilleau , un Zéphir ,

ou quelqu'autre motqui fait image mufi-

cale. Toutes ces ex-

prefîîons particulières

doivent rentrer dans

le Sujet : Se fi elles yconfervent leur ca-

ractère propre , il

faut que ce foit en fe

fondant,

pour ainfi

dire , dans le caractère

général du fentmient

qu'on exprime.

Page 305: gri 000033125008530772

REDUITS A L'N PrÎNCÎPE. Ù.j^

Là . c'efl: l'agrément qui brille, parce

qu'il fait un payfage , & non un ta-

bleau héroïque. Que diroit-on d'une

Oraifon, dont la première partie fe-

roit bien dans la bouche d'un Magif1

trat ; & l'autre , dans celle d'un va-

let de Comédie ?

Outre le ton général de l'expref-

fion , qu'on peut appeller comme le

ftyle de la Mufique & de la Danfe 5

il y a encore d'autres qualités , qui

regardent chaque expreiïion en par-

ticulier.

Leur premier mérite efî d'être

claires : Prima virtus perfpicuitas.

Que m'importe qu'il y ait un bel édi-

fice dans cette vallée , fi la nuit le

couvre ? On n'exige point qu'elles

préfentent , chacune en particulier

,

un fens : mais elles doivent chacune

y contribuer. Si ce n'efl: point une

période ; que ce foit un membre

,

un mot , une fyllabe. Chaque ton

chaque modulation , chaque reprife

,

* S

Page 306: gri 000033125008530772

274 Les beaux Artsdoit nous mener à un fentiment, ounous le donner.

2°. Les expreffions doivent être

juftes : ii en eit des fentimens, com-me des couleurs : une demi-teinte

les dégrade , & leur fait changer de

nature , ou les rend équivoques.

3 °. Elles feront vives , fouvent fi-

nes & délicates. Tout le monde con-

noît les pallions, jufqu'à un certain

point. Quand on ne les peint quejufques-là , on n'a guéres que le mé-rite d'un Hiftorien , d'un imitateur

fervil. Il faut aller plus loin , fi oncherche la belle Nature. Il y a pourla Mufique Se pour la Da nfe , de

même que pour la Peinture , des

beautés, que les Artiftes appellent

fuyantes Se paiTagèrcs ; des traits fins,

échappés dans la violence des paf-

fîons , des foupirs , des accens , des

airs de tête : ce font ces traits qui

piquent, qui éveillent , Se qui rani-

ment Tefprit.

Page 307: gri 000033125008530772

m on

réduits À un Principe. 27^

4 . Elles doivent être aifées &fimples : tout ce qui fent l'effort nous

fait peine & nous fatigue. Quicon-

que regarde , ou écoute , ëft à l'unif-

fon de celui qui parle , ou qui agit :

& nous ne fommes pas impunément

les Spéculateurs de fon embarras , oùde fa peine.

5 . Enfin j les exprefîions doivent

être neuves , fur-tout dans la Mufi-

que. Il n'y a point d'Art où le Goûtfoit plus avide & plus dédaigneux :

Judicium aurium fuperbïfjimum. Laraifon en eft , fans doute , la faci-

lité que nous avons à prendre l'im-

prefîion du Chant : Naturâ ad nu-

méros ducimur. Comme l'oreille

porte au coeur le fentiment dans

toute fa force ; une féconde impref-

fion eft prefque inutile , & laifTe no-

tre ame dans l'inaclion & l'indiffé-

rence. Delà vient la nécefïité de va-

rier fans ceffe les modes, le mou-vement, les pallions. Heureufement

Page 308: gri 000033125008530772

2.-j6 Les beaux Artsque celles-ci fe tiennent toutes en-

tre elles. Comme leur caufe eft tou^

jours commune , la même paffion

prend toutes fortes de formes : c'efl:

un lion qui rugit : une eau qui coule

doucement : un feu qui s'allume &qui éclate ,

par la jaloulie , la fureur,

le défcfpoir. Telles font les qualités

naturelles des tons de la voix & des

geftes , confiderés en eux-mêmes ,

& comme les mots dans la proie.

Voyons maintenant ce que l'Art peut

y ajouter dans la Mufique , & dans

la Danfe proprement dites.

LesTons & les Geftes ne font pas

aufli libres dans les Arts ,qu'ils le

font dans la Nature. Dans celle-ci,

ils n'ont d'autres régies qu'une forte

d'inftincl: , dont l'autorité plie aifé-

ment. C'efl: lui feul qui les dirige,

qui les varie , qui les fortifie , ou les

affoiblit à fon gré. Mais dans les

Arts , il y a des régies auftères , des

bornes fixes, qu'il n'eit pas permis de

Page 309: gri 000033125008530772

• :''''y

réduits A un Principe. 277pafTer. Tout eft calculé , i°. par la

Mefure, qui régie la durée de cha-

que ton & de chaque gefte; 2 . par

le Mouvement,qui hâte ou qui re-

tarde cette même durée , fans aug-

menter ni diminuer le nombre des

tons , ni celui des geftes , ni en chan-

ger la qualité ; 3 . par la Mélodiequi unit ces tons & ces geftes , &en forme une fuite; {a) 4 . enfin ,

par l'Harmonie qui en régie les ac-

cords, quand pluficurs parties diffé-

rentes fe joignent pour faire un Tout.Et il ne faut point croire que ces

régies puiffent détruire ou altérer la

lignification naturelle des tons &des geftes : elles ne fervent qu

J

à la

fortifier en la poliffant , elles aug-

mentent leur énergie en y ajoutant

des grâces : Cur ergo vires ipfas

(a) La mélodie eft ne fignifie qu'une fuite

piife dans un fens Me- : concertée & harmont-

taphorique par rap- I que des mouvemens.

port à la Danfe ; elle |

S iii

Page 310: gri 000033125008530772

tf-^;<t'sr->-;-(>v-'^'

278 Les beaux Artsfpecie Jolvi putent , quando nec ulla

res fine artefatis valeat (a) ?

La Mefure , le Mouvement , la

Mélodie , l'Harmonie , peuvent ré-

gler également les mots , les tons

,

les geftes , c'eft-à-dire , qu'elles con-

viennent à la Verfification, à la Dan-fe, à la Mufique. Elles conviennent à

la Verfification ; nous l'avons (b)

prouvé. Elles conviennent à la Dan-ie : qu'il n'y ait qu'un Danfeur , ouqu'il y en ait plufieurs, la mefure efl:

dans les pas : le mouvement dans la

lenteur ou la vîteffe : la mélodie

dans la marche ou la continuité des

pas : & l'harmonie dans l'accord de

toutes ces parties avec rinftrument

qui joue , & fur-tout avec les autres

Danfeurs : car il y a dans la Danfe

des Solo , des Duo , des chœurs ,

des reprifes,des rencontres, des re-

tours, qui ont les mêmes régies, que

le concert dans la Mufique.

(#) Quintil.ix. 4. {b) Chap. 5. de la ?.. part.

Page 311: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 2J$LaMefure& le Mouvement don-

nent la vie. pourainfidire,àla com-

pofition muficale : c'eft par là que le

Muficicn imite la progrefTion & le

mouvement des fons naturels , qu'il

leur donne à chacun rétendue qui

leur convient,pour entrer dans l'é-

difice régulier du chant mufical : ce

font comme les mots préparés &mefurés,pour être enchalTés dans unvers. Enfuite la Mélodie place tous

ces fons chacun dans le lieu & le voi-

fmage qui lui convient : elle les unit,

les fépare , les concilie , félon la na-

ture de l'objet , que le Muficien fe

propofe d'imiter. Le ruifïeau mur-mure : le tonnerre gronde : le papil-

lon voltige. Parmi les pallions, il yen a qui foupirent , il y en a qui éclat-

tent , d'autres qui frémiflent. La Mé-lodie

,pour prendre toutes ces for-

mes, varie à propos les tons, les in-

tervales , les modulations , employé

avec art les diifonances mêmes. Car

S iv

Page 312: gri 000033125008530772

28© Les beaux Artsles diffonances, étant dans la nature,

auffi-bien que les autres tons , ont

le même droit qu'eux , d'entrer dans

la Mufique. Elles y fervent non-feule-

ment d'aflaifonnement& de fel ; mais

elles contribuent d'une façon parti-

culière à cara&érifer l'expreflîon mu~ficale. Rien n'eft fi irrégulier que la

marche des paffions, de l'amour, de

la colère , de ladifeorde : fouvent,

pour les exprimer, la voix s'aigrit &détonne tout-rà-coup : & pour peu

que l'art adoucifle ces défagrémens

de la nature , la vérité de l'expref-

fion confole de fa dureté. C'eft au

Compofiteur à les préfenter avec

précaution, fobriété, intelligence.

L'Harmonie enfin , concourt à

i'expreffion mufiçale. Tout fon har-

monique elc triple de fa nature. Il

porte avec lui , fa Quinte & fa Tier-

ce-majeure : ceft la doclrine com-

mune de Defcartes, du Père Mer-

fenne , de M. Sauveur, & de M. Ra~

Page 313: gri 000033125008530772

SEDUITS A UN PRINCIPE. 28 1

meau qui en a fait la bafe de fon

nouveau fylïême de Mufique. D'oùil fuit qu'un (impie cri de joie a ,

même dans la Nature , le fonds de

fon harmonie & de Ces accords. C'efl

le rayon de lumière qui , s'il efl: dé-

compofé avec le prifme , donnera

toutes les couleurs dont les plus ri-

ches tableaux peuvent être formés.

Décompofez de même un fon , de la

manière dont il peut l'être ; vous ytrouverez toutes les parties diffé-

rentes d'un accord. Suivez cette dé-

compofition dans toute la fuite d'un

chant qui vous paroît fimple, vous

aurez le même chant multiplié 6c

diverlîfié en quelque forte par lui-

même : il y aura des Dellus & des

BafTes, qui ne feront autre chofeque

le fonds du premier chant dévelop-

pé , & fortifié dans toutes (es par-

ties féparées , afin d'augmenter la

première exprciîîon. Les différentes

parties , qui s'accompagnent réci-

Page 314: gri 000033125008530772

2$z Les beaux Artsproquement , reffemblent aux gef~

tes , aux tons , aux paroles, réunies

dans la déclamation : ou , fi vous

voulez , aux mouvemens concertés

des pieds , des bras , de la tête , dans

la Danfe. Ces exprefïïons font diffé-

rentes , cependant elles ont la mêmelignification , le même fens. De forte

que fi le chant fimple eft Texpref-

fïon de la Nature imitée , les Baffes

& les Deffus ne font que la mêmeexpreffion multipliée, qui, fortifiant

& répétant les traits , rend l'image

plus vive , & par conféquent rimi-

tation plus parfaite.

CHAPITRE IV.

Sur r\}nïon des beaux Arts.

O U o i q u e la Poèfie , la Mufique

& la Danfe fe fcparcnt quelquefois

pour fuivre les goûts & les volontés

Page 315: gri 000033125008530772

réduits a un Principe. 283des Iiommes ; cependant comme la

Nature en a crée les principes pourêtre unis , & concourir à une mêmefin , qui eft de porter nos idées &nos fentimens tels qu'ils font , dans

l'efprit & dans le cœur de ceux à

qui nous voulons les communiquer;ces trois Arts n'ont jamais plus de

charmes, que quand ils font réunis :

Cumvaleant multùm verba per fe,

& vox propriam vim adjiciat ré-

bus, & geftus motufque fignificet

alicjuid , profeèld perfeâïum quid-

dam , cum omnia contint fieri ne-

cejfe efi. Quintil. x. 3.

Ainfi lorfque les Artiftes féparè-

rent ces trois Arts pour les cultiver

& les polir avec plus de foin , cha-cun en particulier ; ils ne durent ja-

mais perdre de vue la première infti-

tution de la Nature , ni penfer qu'ils

piaffent entièrement fe palier les unsdes autres. Ils doivent être unis , la

Nature le demande, le goût l'exige :

Page 316: gri 000033125008530772

284 Les beaux Artsmais comment : & à quelle condi-

tion ? C'en1 un traité dont voici la

bafe , & les principaux articles.

11 en eft des différens Arts ,quand

ils s'unifient pour traiter un mêmefujet , comme des différentes parties

qui fe trouvent dans un fujet traité

par un feul Art : il doit y avoir un

centre commun , un point de rap-

pel, pour les parties les plus éloi-

gnées. Quand les Peintres & les Poè-

tes représentent une action ; ils ymettent un Acteur principal qu'ils

appellent le Héros , par excellence.

C'eft ce Héros qui eft dans le plus

beau jour,qui eft Tarne de tout ce

qui fe remue autour de lui. Quelle

multitude de Guerriers dans l'Ilia-

de ! que de rôles différens dans Dio-

mede, Ulyfle , Ajax , Hector, &c.

il n'y en a pas un qui n'ait rapport à

Achille. Ce font des dégrés que le

Poëte a préparés,pour élever notre

idée jufqu'à ta fublime valeur de fou

Page 317: gri 000033125008530772

enduits A un Principe. 28$Héros principal : Tintervale eût été

moins fenfible , s'il n'eût point été

mefuré par cette efpèce de grada-

tion de Héros , & Tidée d'Achille

moins grande & moins parfaite fans

la comparaifon.

Les Arts unis doivent être de mêmeque les Héros. Un feul doit excel-

ler , & les autres refier dans le fé-

cond rang. Si la Poëfie donne des

Spectacles ; la Mufique & la Danfe

(a) paraîtront avec elle ; mais ce

fera uniquement pour la faire va-

loir, pour lui aider à marquer plus

fortement les idées & les fentimens

contenus dans les vers. Ce ne fera

point cette grande Mufique calcu-

lée , ni ce gefte mefuré & caden-

cé qui offufqueroient la Poëfie , &lui déroberoient une partie de l'at-

tention de (es Spectateurs ; mais une

(a) La Danfc ne fi- i efl: pris dans fa plus

gnific ici que l'Arc duJgrande étendue.

Gefte j ainfi ce terme I

Page 318: gri 000033125008530772

m

286 Les beaux Artsinflexion de voix toujours fimple, Se

réglée fur le feul befoin des mots ;

un mouvement du corps toujours

naturel , qui paroît ne rien tenir de

l'Art.

Si c'eft la Mufique qui fe montre ;

elle feule a droit d'étaler tous fes

attraits. Le Théâtre eft pour elle.

LaPoëfie n'a que le fécond rang , Se

la Danfe le troifiéme. Ce ne font

plus ces vers pompeux & magnifi-

ques ices deferiptions hardies , ces

images éclatantes ; c'eft une Poëfie

fimple , naïve , qui coule avec mo-leffe Se négligence * qui laiffe tom-

ber les mots. La raifon en efl , que

les vers doivent fuivre le chant , Se

non le précéder. Les paroles en pa-

reil cas ,quoique faites avant la Mu-

fique , ne font que comme des coups

de force qu'on donne à l'expreiïion

Muficale , pour la rendre d'un fens

plus net Se plus intelligible. C'eft:

dans ce point de vue qu'on doit

Page 319: gri 000033125008530772

;'-v'-

, " ,

- ;

" fît!?!*.. i>--&;v'

kïduits A un Principe. 287juger de la Poëfie de Quinaut ; & fî

on lui fait un crime de la foiblefTe

de {es vers , c'eft à Lulli à l'en ju-

ftifier. Les plus beaux vers ne font

point ceux qui portent le mieux la

Mufique , ce font les plus touchants.

Demandez à un Compofiteur lequel

de ces deux morceaux de Racine efl

le plus aifé à traiter : voici le pre-

mier :

Quel carnage de toutes parts !

On égorge à la fois les enfans, les vieillards,

Et la fille & la mère , & la fecur & le frere

,

Le hls dans les bras de ion père:

Que de corps entafles ! que de membres épars

Privés de fépulture !

Voici l'autre qui le fuit immédiate-

ment dans la même fcéne :

Hélas ! fî jeune encore,

Par quel crime ai je pu mériter mon malheur?

Ma vie à peine a commencé d'éclorc ,

Je tomberai comme une fleur

Qui n'a vu qu'une Aurore.

Page 320: gri 000033125008530772

288 Les beaux ArtsHélas ! fi jeune encore

,

Par quel crime ai-je pu mériter mon malheur ?

Faut-il être Compoliteur pour îen-

tir cette différence ?

La Danfe eft encore plus modefte

que la Pocfie : celle-ci au moins eft

mefurée , mais le Celle ne fait pref-

que pour la Mufique que ce qu'il

fait pour les Drames ; & s'il s'y

montre quelquefois avec plus de

force , c'eft qu'il y a plus de pailiou

dans la Mufique que dans la Poéfie;

& par conféqilent, plus dé matière

pour l'exercer ; puifquè , commenous l'avons dit , le Gefte & le Tonde la voix font confacrés d'une fa-

çon particulière au fentiment.

Enfin fi c'eft la Danfe qui donné

une fête; il ne faut point que la Mu-fique y brille à fon préjudice ; mais

feulement qu'elle lui prête la main

,

pour marquer avec plus de précifion

fon mouvement & fon caractère. Il

faut

Page 321: gri 000033125008530772

REDUITS A UN PRINCIPE. 289faut que le violon & le Danfeur

forment un concert ; & quoique le

violon précède ; il ne doit exécuter

que l'accompagnement. Le fujet ap-

partient de droit au Danfeur. Qu'il

foit guidé ou fuivi ; il a toujours le

principal rang , rien ne doit l'obf-

curcir : & l'oreille ne doit être oc-

cupée, qu'autant qu'il le faut, pour

ne point caufer de diftra&ion aux

yeux.

Nous ne joignons point ordinai-

rement la Parole avec la Danfe pro-

prement dite ; mais cela ne prouve

point qu'elles ne puifTent s'unir : elles

ï'étoient autrefois , tout le monde enconvient. On danfoit alors fous la

Voix chantante , comme on le fait

aujourd'hui fous rinfirument , & les

paroles avoient la même inclure que

les pas.

C'eft à la Poëfie, à la Mufique,

à la Danfe , à nous préfenter l'image

des a&ions & des paffions humai-

*T

Page 322: gri 000033125008530772

2po Les beaux Artsnés ; mais c'eft à l'Archite&ure , à la

Peinture , à ïa Sculpture , à préparer

les lieux & la fcéne du Speclacle,

Et elles doivent le faire d'une ma-nière qui réponde à la dignité des

A&eurs Se à la qualité des fujets

qu'on traite. Les Dieux habitent

dans l'Olympe , les Rois dans des

Palais , le Ilmple Citoyen dans fa

maiion , le Berger cil aflis à l'ombre

des bois. C'eli à l'Architeclure à

former ces lieux , & à les embellir par

le fecours de la Peinture Se de la

Sculpture. Tout l'Univers appar-

tient aux beaux Arts. Ils peuvent

difpofer de toutes les richeiTes de

la Nature. Mais ils ne doivent en

faire ufage que félon les loix de la

décence. Toute demeure doit être

l'image de celui qui l'habite , de fa

dignité, de fa fortune , de fon goût.

C'eft la régie qui doit guider les Arts

dans la conilru&ion Se dans les or*

nemens des lieux. Ovide ne pouvoit

Page 323: gri 000033125008530772

WSBmm Rn '$?^a '^fiïp MWr*

REDUITS A UN PRINCIPE. 2pl

rendre le Palais du Soleil trop bril-

lant , ni Milton le Jardin d'Eden

trop délicieux : mais cette magni-

ficence feroit condamnable mêmedans lin Roi ,

parce qu'elle eft àu-

defïus de fa conditon :

Singulu qH&c[ue locum tene/mt fmitn dtcwtef,

FIN.

ïïi

Page 324: gri 000033125008530772

TABLEDES MATIERES.

A CTTON, nécefTaire dans un Pocme. i$6

Combien clic doit avoir de parties. ibid.

Elle doit être fînguliere , fîmple , variée.

Allégorie } n'efl: pas efïèntielle à l'Epopée. 102.

Anacréon donne des leçons dans fes Odes,

pourquoi. ij4

Apologue y fpeétacle des enfans. 2x8

A Tes régies contenues clans celles de l'E-

popée & du Drame. 130Doit avoir une action , un commencement

,

un milieu , &c. 2.32.

Son iîyle réglé par les loix de l'imitation.

Architecture , comment elle s'eft annoblie. 45Architecture , Peinture , Sculpture , doivent

orner les lieux où les beaux Arts doivent (c

montrer , & comment. 190Art de la Déclamation , abandonné. 150

Eft cependant nécefTaire. ibid.

Art j fert quelquefois de modèle à la Nature.

44A quelle condition. 45

Page 325: gri 000033125008530772

TABLE DES MATIERES.Arts de trois efpcccs. 6

Arts inventés par les hommes & pour les hom-mes ,

quelles conféquences tirer de ce prin-

cipe. S

Arts , doivent choiiîr les exprefïïons aufîï- bien

que les objets. 40Leurs définitions. 41

Arts , en naiflànt avoient befoin d'éducation

,

de même que les hommes. 70Comment ils périiTent. 7J

B

ÏEan idéal de la Poèïîe. iro

Difficile à atteindre. ibid.

Comment on peut en approcher. 116

Beaux Arts , ont tous un même principe qui

eft fimple. Avant propos

Sont faits pour être unis. i.x%

A quelle condition Hs doivent l'être. ï8jBelle Nature , félon le goût, préfente i«\ des

objets intérefTans , i Q . parfaics en eux-

mêmes. 79Pourquoi. 80Comment. 8z

Elle renferme le beau & le bon. S 7Bon Goût exifte. 5 5

Eft difficile à définir. 34Les anciens l'avoicnt. 55

Lui feul peut faire les beaux ouvrages, ibid.

Sa comparaifon avec l'intelligence. 56

Sa définition. 58

11 eft toujours précédé d'une idée. cj>

Tiij

Page 326: gri 000033125008530772

TABLEïl s'appelle vertu dans ce qui regarde les

maurs & goût amplement dans les Arts,

Il triomphe tôt ou tard. 6f

\^J Antiques Jarres , ne nous paroi n'en t beaux

que parce qu'ils ont le caiaetère de l'imi-

tation. 2-39

Caraftè>es , feront marqués dans la Toëfie. 164

prouvés par la conduite. • ibid.

Contraftés. 16 y

Chœurs autrefois en ufage, pourquoi. x\6

Pourquoi ils n'y font plus aujourd'hui. %ij

Comédie , fa différence avec la Tragédie. 1 19

Sa, définition<

ibid.

Sa divifion félon les fujets qu'elle fe pro.

pofe d'imiter. !*•*<

Contrainte , ne peut donner du goût. 1 3 1

D

X^jEfauts affedés dans les Arts ,pourquoi.

S»1

Définitions des Arts. 4 Z

Différences principales des Arts. 3?

Différence de la Poëfie avec l'Hiftoire. 2.

3

Différence du ton de l'Epopée avec celui de

l'Ode.^

108

Difficulté qu'ont eu les Inventeurs à fe faire

une idée nette de ce qu'ils cherchoient. 70

Dijfonances } ont droit d'entrer dans la Mu-{ique 2-So

M

Page 327: gri 000033125008530772

DES MATIERES.jyivifioK I, de fa Poe'fic en Epique & Dra-

matique , fur quoi fondée. 1+6Divijion II. fondée fur le même principe.

»47

XZ-> Curt y ce que c'eft.

Eloquence , s'ell annoblfe , & comment.Doit cacher le deïîein de plaiie.

Quand elle doit s'élever.

Emhonfî'ifme , n'ell pas toujours préfent.

Souvent mal défini.

Comparé avec celui des guerriers.

N ce/ ta ire à tous les Aniftes.

Epopée y fa définition.

%$444*4630

Î4195

Elle a toutes fes réçles dans l'imitation.

I94Son met vei lieux doit être vraifemblable.

ibid.

Comment il Peft. 206Manière d'établir Tordre dans l'Epopée, zoo

Exemple' de la Nature , a inftruit les pre-

miers Artiftes. 68Exprejftons , en général ne (ont d'elles-mêmes

ni naturelles , ni artificielles. z6i

Exprejfion muficale , doit les mêmes qualités

naturelles que lelocution oratoire. 270Unité, 271. variété, 272. clarté, 27 j. juf-

telle , 274. vivacité & délicatcfïe , ibid.

fimp'icité & aifance 275. nouveauté;, ibid.

Ses qualités artificielles. 277La Mefure , ibid le mouvement, 278. la mé-

lodie , 279. l'harmonie. 280Tiv

Page 328: gri 000033125008530772

TABLE

VX Iclion en Vrofe , hiftoire en vers : ce quec'eft. 50

Fonds de Vo'éfie , fubhfte fans Vérification.

139

G Ente , Pcre des Arts. 5iNe crée que par imitation. 10

Ne peut lortir de la Nature fans fe dé-

grader, uEft femblable à la Terre , & en quoi. ibid.

Eft lié étroitement avec le Goût. 11

Goût, Juge des Arts. 52,

Eft la man ère la plus fine de connoître

les régies. 97Son objet. 60Pourquoi donné par la Nature. 6iA quelle condition il approuve les Arts. ibid.

Eft le même pour les mœurs & pour les

Arts , 5ç comment. 117

Commence avec la vie. 115S'exerce avant la raifon. \i6

Eft aifé à corrompre. 113

Comment le difpofer de loin à la vertu. 118

Il guide bien les enfans. 1 z$

Eft nourri par le fuccès. 131

Annonce le talent. ibid,

S'élève avec les Ouvrages. 1 1 j

Coûts , bons quoique differens: pourquoi. 105

Richcfle de la Nature : I. raifon. ibid.

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DES MATIERE S.

Bornes du coeur & de l'cfpriï humain :

ic7II. raifon.

Grecs , formèrent les beaux Arts. 7?

HH

irmonie , ce cjue c'eiï en général. \6$

Trois fortes d'harmonie dans Ja Poçfie. ibid.

i. Du ftyle avec le fujet. 170EiTciuiclle. ibid.

Rarement obfervée. 171

1. Des Ions avec les objets. ibid.

3. Artificielle : e(l le point exquis delà Véri-

fication. 17}Exemples cités 175Même harmonie peut Ce trouver dans les

Poe'tes Français que dans les Latins 177Preuves détaillées 178

Exemples cités. 17?Objection réfutée. 190

Harmonie , dans les vers Latins n'efl pas pro-

duite par les pieds. i8£

Pourquoi fi peu connue dans les vers Fran-

çois. 188

Horace cité. 168 & 17t.

I De'e de l'Iliade & de l'Enéide. ijrImitation, objet unique des beaux Arts, ij

Eft une des principales fources du plaifir

dans les Arts. 1 8.

Doit être parfaite : pourquoi. 89Comment. ibid.

Page 330: gri 000033125008530772

T A BImiter , ce que c'efL

}etc de Tf é, re,

Jtrvenal y ci-té.

L E

zoo

117

M'M

<3Uere 3 ché pour exemple. a?

Mafujue , contenait autrefois la Dante , la

Vérification, L» Déclamation. zjoElle doit toujours avoir un fens. r6xElle a des exprefïiorre qu'on ne peut nom-ma. i-6g

On h peut comparer au drfeours. i f, j

Deux fortes de Mufique. %66Toutes deux comparées à la Peinture: i&id.

Mefître , Mouvement _, Mendie , Harmonie ,

s'uniiTent également sv%c les paroles , les

tons, les geftes , & forment la Veriïfïca-

tion , la vraie Mufique & la Danfe. j£

NN

ttare , part erre divifée en deux pâmespar rapport aux Arts. 37

Nombre des Acteurs. 165

oo

B/ets désagréables dans la Nature ,

plaifent pins dans les Arts,que les ob-

jets agréables : pourquoi. 97,

Occajton,qui fît naître les Arts, £7

Opéra, ce qu'il doit être. m

Page 331: gri 000033125008530772

^M $M& p^-Ml ;£*££

11 +

2-47

: !c

DES MATIERE S.

Ouvrages des Arts , ne font que des re/îem-

blanccs. 14P

X Afftons , objet principal de la Mufiquc &de la Danfe. 1 5 8

Elles (ont Goût , dans leurs commcncc-mens ; & fureur ou folie , dans leurs

excès. 1 % }

Elles ont leurs caufes communes. 276Tarolc

}eft l'organe de la raifon.

Vaftorale , quel eft fon objet.

Quels en font les modèles.

Teinture , femblable à la Poe'fie.

Elle a trois moyens pour exprimer

Deffeing , le Clair-oblcur, le Coloris. 148

Tere le Boffus }- réfuté. 210

Vlaute , cité. 34To'efie , qu'on décrit plutôt qu'on ne définit. 5

Elle ne confifte point dans la fiction piïfe

dans !e fens ordinaire.

Ni dans la Vérification.

Ni dans l'Enthoufiafine.

To'ejîc dn ftyle , en quoi elle confifte

Sur quoi elle eft fondée.

Sa licence reconnoît des régies.

To'tjie lyrique , a pour objet les lsmimens

240Elle ne fubfiffe que par l'imitation

Différentes efpèces d'Odes.

Odes fanées.

Héroïques,

Philofophiques ou morales

,

iJ5

'??140

\66

167168

137

24914c

Page 332: gri 000033125008530772

i Bjttgg BBaB

TABLEAnacréomïques. ibid,

Pourquoi Virgile a fait emporter Creufe par anprodige, 16}

T'rjj'e , définie par oppofition à la Poe'fic. 147

Q

\_jfValités de la belle Nature.

De i'expreflion mufîcale.

87Z70

RR

Egles des Arts ,pourquoi néceflaircs. 4S

I. Régie générale de la Poè'fie.

Joindre l'utilité a, l'agréable. 149La raifon de cette régie. ibid.

II. Régie 3.4. #v. & la raifon de ces régies.

1 f ? <&c.

"Rime de quantité' chez tes Latins , répond à la

rime des fans chez les François. 187

I Erence cité. .•r

Tout lié dans les Arts comme dans îa Nature.

Ton de ta voix <&> Gcfte 3 organes du fenti-

ment. iJ4Devraient être mefurés dans la déclama-

tion Théâtrale. M 7

Tragédie , ne diffère de l'Epopée que par le

Dramatique. 4io

Deux fortes de Tragédies. ibid.

Page 333: gri 000033125008530772

DES MATIERES.La i. merveilleufe , c'eft l'Opéra, mLa r. héroïque , nommée Amplement Tra-

gédie. 2.13

Régies de l'une & de l'autre dans rimita-

tion. xix <& 1J 4-

V Ida , cité. 168... 171Virgile , cité. 3 yFrai , peut être objet des Arts , & comment.

*7

JLu Euxts. *5

APPROBATION.

J'A1 lu par ordre de Monfeigneur le Chan-

celier un Manufctit qui a pour titre : Les

leaux Arts réduits a un même Principe , il m'aparu que cet Ouvrage contenoir les vrais Prin-

cipes des beaux Arts ; & qu'ainn" la lecture en

pouvoit être très -utile. A Paris , ce n. Mars174*.

Y A T R Y.

Page 334: gri 000033125008530772

PRiyiLEGE DU ROI.

TO U I S,par la Grâce de Dieu , Roi fie

^ France & de Navarre -, A nos Ames &Féaux Confeillers les Gens renans nos Cours

de Parlemcns , Maîtres des Requêtes ordinai-

res d: notre Hôtel , Grand Confeil , Baillifs ,

Sénéchaux , leurs Lieutenans-Civils , & aurres

nos Justiciers qu'il appartiendra ; Salut : No-tre Amé Laurent Durand, Libraire

à Paris , Nous a fait ex; ofer qu'il defireroie

faire imprimer & donner au Public un Ouvrage

qui a pour titre : Le: beaux Arts réduits a un-

même Principe , s'i' nous plaifoit 'ui accotder

nos Lettres de Privilège pour ce néceflaires :

A ces Causes , voulant favorablement

traiter l'Expofant , Nous lui avons permis Se

permettons par ces Préfentes, de faire impri-

mer ledit Ouvrage en un ou plufieurs volumes,

& autant de fois que bon lui feinblera , & de

le vendre , faire vendre & débiter par tout no-

tre Royaume pendant le tems de fix années

confécutives , à compter du jour de la datte des

Préfentes ; faifons défenfes à toutes perfonnes ,

de quelque qualité & condition qu'elles foienr,

d'en introduire d'imprefïîon étrangère dans

aucun lieu de^ notre obéiiïance , comme auffi

â tous Libraires & Imprimeurs d'imprimer ou.

faire imprimer , vendre , faire vendre , débi-

ter ni contrefaire ledit Ouvrage , ni d'en faire

aucun Extrait , fous quelque prétexte que ce

foit , d'augmentation , changement , ou au*

Page 335: gri 000033125008530772

m

très , fans la penniffion exprefTe & par ècrk

«dudic Fxpofànr , ou de ceux qui auront drok

de lui , a peine de conrifeanon des Exemplai-

res contrefaits , de trois nulle livres d'amende

contre chacun des Contrevenans , dont un tiers

à Nous , un tiers a l'Hôtel- i". ieu de Paris , Se

l'autre tiers audit Expo fa ne , ou à celui qui aura

droit de lui , oc de tous dépens , dommages &intérêts, a 1a charge que ces Préfentes feront

enregiftrées rcut au long fur le Regiftre de la

Communauté' des Libraires & Imprimeurs de

Paris dans trois mois de la datte d'iceiles uue

l'impreflion dudit Ouvrage fera faite dans no-

tre Royaume & non ailleurs en bon papier &beaux caractères, conformément à la feuille

imprimée & attachée pour modèle fous ie co:'-

tre-Scel des Préfentes ,qmj l'Impétrant fe con-

formera en tout aux Keglemens de la Librairie,

et notamment à celui du 10. Avril 171 \. qu'a-

vant de l\xpofer en vente , le Manufcrk qui

aura fervi de copie à j'impreffion dudir Ou-vrage , fera remis d.ins le même état cri l'Ap-

probation y aura été donnée es mains de no-

tre très cher &. féal Chevalier le Sieur Da-

fueffeau , Chancelier de France , Commandeure nos ordres, & qu'il en fera enfuite remis

deux exemplaires dans notre Biblicthcque pu-

blique, un dans celle de no.ie Château duLouvre , & un dans celle de notre très-cher &.

féal Chevalier le Sieur Dagueflc-u , Chance-

lier de France ; le tout à peine de nul i té des

Pïéfentes , du contenu defquclles vous man-dons & enjoignons de faire jouir ledk Expo-

Page 336: gri 000033125008530772

tant & fcs ayans caufcs pleinement & paift-

blement , fans fourïrir quil leur foit fait au-

cun trouble ou empêchement ; Voulons que la

copie des Préfentes,qui fera imprimée tout

au long au commencement ou à la fin dudit

Ouvrage , foit tenue pour duëment fignifice,

& qu'aux copies collationnées par l'un de nos

amés féaux Confeillers Se Secrétaires , foi (oit

ajoutée comme à l'original. Commandons au

premier notre Huiflicr ou Sergent fur ce re-

quis de faire, pour l'exécution d'icel es , tous

actes requis & néceflaires , fans demander au-

tre permifiion , & nonobftant Clameur de Ha-ro Chartre Normande , & Letues à ce con-

traires. Car tel eft notre plaifir. Donne' à

Paris , le vingtième jour du mois de Mai , l'art

de Grâce mil fept cent quarante- fil , & de no-

tre Règne le trente-unième. Par le Roi en fou

Confeil.

S A I N S O N.

Regifîré fur le Repftre 11. de la ChambreRoyale des Libraires <& Imprimeurs de Paris 3

N . 6 z 6. fol. 553. conformément aux anciens

Réglcmens confirmés par celui du xi. février

17x3. A Taris ce 18. Mai 1746.

Vincent, Syndic

i

De l'Imprimerie de Ch. J. B. Delesïini,Imprimeur-Libraire ord. du Roi.

Page 337: gri 000033125008530772

MiEAIMJÊLjaBa

EXPLICATIONDU FRONTISPICE

et des Vignettes.

frontispice.

PHedre & Socrate aiïîs fous un plane,

lifent une Diflertation fur le Beau ïiift

x*mv. Suie: tiré de Plat. Dial. Phcdr.

FLEURON.Deux Enfans qui fe regardent dans un mi-

roir avec des fentimens dirFérens. Fable 8. tic.

Phèdre , Liv. j

.

J. VIGNETTE, pag. i.

La Sculpture qui regarde avec complaifancc

ïe.Ealtc d'un jeune Héros qu'elle vient de finir.

II. VIGN.ETTE. pag. 51.

Horace dans les Jardins de Prenefte , écrit

i. Lollius, qu'Homère enfeigne mieux ce que

c'eft que le bon Goût ,que les Philofophes :

Plenihs ac meliùs Chryfippo.

III. VIGNETTE. p*g. iji.

Callioppe chante des vers 5 un petit Génie

en marque la cadance.

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Page 342: gri 000033125008530772

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