Gregoire Palamas Emile - Eglise Orthodoxe · 4!!! Héraultde!lagrâce!déifiante! «!…!Pour que...
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ÉCOLE DE THÉOLOGIE SAINT HILAIRE DE POITIERS
Mémoire de fin d’études présenté par
Émile Meunier
Sous la direction de Monseigneur Grégoire
Grégoire Palamas
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Hérault de la grâce déifiante
« … Pour que nous entrions dans la communion divine (2P4) »
« Ta naissance O Christ notre Dieu, a fait resplendir dans le monde la
lumière de ta connaissance… » (Rite des Gaules - Antienne du cantique de notre Dame - vêpres de l’épiphanie-)
Introduction :
« Je dois avoir le courage de vous dire tout ce que je pense, je crains que vous n’ayez minimisé votre Christ en insistant sur le caractère unique des affirmations de Jésus, cette absolutisation des conditions dans lesquelles il s’est manifesté ajouté au manque d’intériorité réelle qui a affecté la majorité des chrétiens, constitue pour nous la principale pierre d’achoppement. Lorsque vous aurez découvert le Christ intérieur à la lumière de l’Esprit qui est en lui, alors c’est avec joie que nous viendrons vous faire part de notre expérience de l’intériorité de Dieu » (lettre de Sivendra Prakash au pasteur Murray Rogers)
Grégoire Palamas est un père de l’Église de l’Orient byzantin de la première moitié du XIVe siècle qui a synthétisé et formulé théologiquement le fruit d’une longue tradition et expérience spirituelle remontant aux pères du désert dénommé hésychasme. Il a voulu éclairer la grande affirmation chrétienne que dans son Agapè infinie le Dieu trine se communique, faisant participer à sa vie sans pour autant cesser d’être en son essence même radicalement incommunicable (dans son « être profond »). Face à un humanisme rationnel « agnostique » naissant il va développer la question de la possibilité et les moyens d’appréhender Dieu… il va affirmer l’impossibilité pour la raison de définir et d’appréhender Dieu demeurant le TOUT AUTRE (le Saint) et en même temps paradoxalement il fonde la possibilité d’une communion de l’homme à Dieu en raison de sa grâce. Sa réflexion théologique s’enracine dans sa méditation de l’Ecriture et du mystère de l’incarnation de Dieu en Jésus Christ et du don de l’Esprit.
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PREMIÈRE PARTIE
Eléments constitutifs de la spiritualité orthodoxe : héritage de Grégoire Palamas
1 L’hésychasme :
Le cœur du message est : le royaume de Dieu est en nous trésor caché dans le champ du cœur. Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu. L’Esprit donateur de vie ouvre à chacun la voie de la déification. L’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu. Nous sommes de la race de Dieu, l’homme est apparenté à Dieu.
Cette tradition spirituelle qui prend racine chez les pères du désert a eu ses foyers de vie dans les monastères du Sinaï à partir du VIe siècle, et du mont Athos, surtout au XIVe siècle, puis en Russie… Depuis la fin du XIXe siècle, elle s’est répandue en dehors des monastères grâce à un ouvrage, la philocalie1, publiée en1782 par un moine grec Nicodème l’hagiorite et éditée en russe par Païsi Vélichkovsky. Un autre ouvrage plus récent l’a popularisée, les récits d’un pèlerin russe fin XIXe siècle.
La philocalie ne s’arrête jamais aux observances, aux pratiques de l’homme extérieur, mais insiste sur le réveil de l’homme intérieur. L’humanisme total et vrai c’est seulement lorsque l’homme est transfiguré par l’Esprit. Comment acquérir ce royaume ? Par la prière du cœur, en invoquant le nom du Seigneur (Jésus sauveur), à chaque souffle. Prier, respirer Dieu. Se confier en son Fils l’appeler sans cesse puisqu’aussi bien hors de lui on ne peut rien.
Que cherche cette prière sinon à actualiser la grâce baptismale et la communion eucharistique nous greffer au corps ressuscité de Jésus. Selon l’expression de Paul, le baptême nous a dépouillés du vieil homme pour nous revêtir de l’homme nouveau créé dans la sainteté. Au fond de son être, l’homme a retrouvé la condition paradisiaque et il est réconcilié avec Dieu, avec lui-‐même et avec ses frères. Elle ouvre à la communion, à la louange et à la joie. Le chrétien unit intérieurement et à tout être. Cette unification produit la paix ; l’hésychia.
L’appel du désert pour retrouver l’hésychia
Le monachisme athonite de Grégoire Palamas s’enracine dans la spiritualité des pères du désert vivant dans la solitude le dépouillement, la prière perpétuelle… Nous pouvons décrire ces lignes de force à travers cet appel d’Arsène, un des grands Pères du désert 2:
Arsène (quatrième siècle) étant encore au palais, demande au Seigneur de le conduire sur la voie du salut. Il
entend une voix lui dire : « Arsène, fuis les hommes et tu seras sauvé ». Et encore : « Arsène, fuis, tais-‐toi ; fuis,
tais-‐toi et garde le recueillement. »
Fuir : retrait, sortir du monde et de ses mondanités, fuir le mal, le monde au sens johannique, fuir le monde des
villes, de l’agitation des affaires, des querelles, des plaisirs de l’argent, le monde de la cour impériale…
Fuir ce qui entraîne au péché… C’est-‐à-‐dire retrouver le chemin de Dieu (péché= oubli de l’être, passé à côté du
but).
1 Philocalie signifie amour de la beauté/bonté . 2 Le premier des moines du désert a été le célèbre Antoine.
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La tradition hésychaste va développer le thème de la mémoire du souvenir de Dieu… (Tradition biblique)…
Invocation du nom.
Le monachisme du désert est un refus de l’Église établie avec ses privilèges un refus d’identifier le royaume de
Dieu avec un empire théocratique… le royaume de Dieu est la Présence même de Dieu et non une entité
sociologique ou politique.
Tais-‐toi : Fuir dans le désert (physique et intérieur) pour être à l’écoute.
« Ecoute Israël… »
« Ecoute ô mon fils, le précepte du maître, et incline l’oreille de ton cœur, recueille avec amour l’avertissement
d’un père qui écoute… » (Prologue de la règle de saint Benoît).
« Un jour, il entend le début d’un psaume : « Seigneur j’ai mis une garde à ma bouche… »Il partit au désert et
revint dix ans plus tard ; maintenant dit-‐il je peux continuer à entendre le reste du psaume… »
« Celui qui domine sa langue domine son corps » (Jacques3, 2).
Dialogue entre un moine et un ancien :
« -‐ va me chercher un dindon ! -‐ Le jeune homme en trouva un, il le présente à l’ancien : « Maintenant, plume-‐
le ! » Il obéit ; une fois le dindon plumé, l’ancien demanda au novice : « Maintenant remet lui ses plumes ! » le
jeune homme étonné demande : « mais comment est-‐ce possible, on ne remet pas ses plumes à un dindon qu’on
vient de plumer… ? Justement, ajouta le vieillard, on ne refait pas la réputation de quelqu’un qu’on a détruite par
ses paroles… garde-‐toi de médire tes frères ! »
Se taire entraîne au silence intérieur et rapproche de cet abîme intérieur…
On peut se taire avec les lèvres, mais on n’en pense pas moins. Au désert, le silence extérieur est au service du
silence intérieur. Or il suffit de se taire pour que se mettent en route les discours internes, les suggestions, les
instincts… D’où tout ce thème de la lutte contre les pensées, la lutte contre les passions… l’ascèse.
Garde le recueillement : L’hésychia ce n’est pas seulement élimination des pensées c’est accueillir, recevoir la paix
du ressuscité…
Il s’agit de se purifier pour être transformé par l’Esprit.
2 Le statut de la théologie
La théologie orthodoxe ne spécule pas sur Dieu. Elle part de l’expérience spirituelle. La philosophie occidentale comme quête de la rationalité a influencé la théologie latine. Enracinée dans l’Ecriture et dans la spiritualité des Pères de l’Église, la foi orthodoxe ne se définit jamais en termes d’adhésion intellectuelle. Personne ne peut connaitre Dieu si ce n’est Dieu lui-‐même qui l’enseigne. Il n’y a pas d’autres moyens que de connaître Dieu que de vivre en lui.
« Parler de Dieu est une grande chose, mais il est encore mieux de se purifier pour Dieu » Grégoire le théologien.
« Si tu es théologien, tu pries vraiment et si tu pries vraiment tu es théologien. »
« C’est l’Esprit qui fait d’un érudit un théologien, car il s’agit non de s’instruire intellectuellement sur Dieu, mais de se remplir de Dieu… afin que l’ayant reçu en nous, nous devenions ce qu’il est. » Saint Syméon le nouveau théologien
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« Trouver Dieu consiste à le chercher sans cesse… c’est là vraiment voir Dieu que de n’être jamais rassasié de le désirer. » Grégoire de Nysse.
La théologie est enracinée dans la méditation de l’Ecriture comme Parole de Vie
3 la place de l’Ecriture :
L’Ecriture fondement de toute tradition chrétienne. Elle nous fait découvrir le Dieu vivant et permet un dialogue au cœur à cœur au-‐delà de lettre avec le Dieu Trinitaire. « Découvre le cœur de Dieu dans la Parole de Dieu » Grégoire le Grand. La lecture de l’Ecriture est rencontre avec Dieu et instauration de la communion avec lui comme cela se produit dans le sacrement eucharistique : « Qui ne se nourrit de la parole de Dieu ne vit pas. » (St Jérôme) je considère l’Evangile comme le corps de Jésus… et quand il dit ‘Celui qui mange ma chair’, bien que cela puisse aussi s’entendre du sacrement, c’est cependant le corps et le sang du Christ, en un sens plus exact, qui est la parole de l’écriture » (Origène) Pour saint Isaac « la méditation constante de l’Ecriture est lumière de l’âme »
La parole lue et entendue conduit toujours vers le Christ, comme personne vivante.
Saint-‐Jean Chrysostome prie ainsi :
« Seigneur Jésus-‐Christ ouvre les yeux de mon cœur afin de comprendre et d’accomplir ta volonté… illumine mes yeux, par ta lumière… ».
La parole de Dieu est vivante par l’Esprit qui s’y repose.
Essaye donc, toi qui m’écoutes, d’avoir un puits à toi et une source à toi ; de la sorte, quand tu prendras le livre des
Écritures, mets-‐toi à produire, même selon ta pensée propre, quelque interprétation et, d’après ce que tu as appris
dans l’Église, essaye de boire, toi aussi, à la source de ton esprit. À l’intérieur de toi-‐même, il y a le principe de l’eau
vive, il y a des canaux intarissables et des fleuves gonflés du sens spirituel, pourvu qu’ils ne soient pas obstrués par
la terre et les déblais. (…)
« Purifie donc, toi aussi, ton esprit, pour qu’un jour tu boives à tes sources et puises l’eau vive à tes puits. Car si tu
as reçu en toi la Parole de Dieu, si tu as reçu de Jésus l’eau vive, et si tu l’as reçue avec foi, elle deviendra en
toi source d’eau jaillissant pour la vie éternelle (Jn 4,14). »
Origène (IIIe s.), Homélies sur la Genèse XII, 5, trad. L. Doutreleau (Sources Chrétiennes 7bis, Éd. du Cerf,
Paris 1985, p. 307-‐309), modifiée.
4 Les théologiens mystiques du IVe siècle
Evagre le Pontique (quatrième siècle) : la purification des passions
Originaire d’Ibora, dans la région du Pont (actuelle Turquie), Evagre a été ordonné lecteur par Césarée. L’évêque Grégoire de Naziance l’ayant ordonné diacre, il l’accompagna à Constantinople, où sa prédication connut un grand succès. En 382, Evagre quitta cette capitale et se retira d’abord à Jérusalem, puis en Égypte, où il devint disciple de Macaire de Scété. Il mena jusqu’à sa mort la vie monastique dans le désert de Nitrie, et gagnait sa vie en copiant des manuscrits.
Son œuvre est assez abondante. Il décrit les bases de la vie monastique et de la vie de prière…
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Une de ses œuvres et la « praktikè », transmise en occident par Cassien, il indique une méthode spirituelle qui vise à purifier la partie passionnée de l’âme. C’est un lent travail de purification du cœur conscient et inconscient pour que celui-‐ci retrouve sa beauté première, sa santé ou son salut. Ce traité est un traité de thérapeutique de l’âme dont le but est de permettre à l’homme de connaître sa véritable nature « à l’image et à la ressemblance de Dieu » L’élément essentiel de l’ascèse et une lutte contre les passions, les pulsions, les pensées qui agitent l’être humain. Il s’agit de discerner dans l’homme ce qui fait obstacle à la réalisation de son être véritable, ce qui empêche l’épanouissement de la vie de l’Esprit dans son être. Evagre va distinguer huit passions, huit symptômes de la maladie de l’âme : la gourmandise, la luxure, l’avarice, la tristesse, la colère, l’acédie ; la vaine gloire, l’acédie ainsi que les remèdes pour en guérir.
La finalité de la vie chrétienne est la connaissance (gnose)-‐contemplation (theoria) de Dieu. Le chrétien tend à cette fin au cours d’une progression en plusieurs étapes : la praktiké qui doit amener à la domination des passions qui permet d’accéder à la connaissance de Dieu et cette connaissance suppose un dépouillement de toutes les pensées les plus hautes.
La connaissance dont il s’agit n’est pas une connaissance logique rationnelle. C’est un déchiffrage de toute la création à a lumière du mystère du Christ. Le père Dumitru parle d’une rationalité profonde de l’amour, l’amour communie avec la raison intime des êtres, une rationalité qui a le sens du mystère.
« L’intelligence (noûs) ne verra pas le lieu de Dieu en lui-‐même si elle ne s’est pas élevée au-‐dessus de tout ce qui demeure dans les choses. Mais elle ne s’élèvera pas au-‐dessus si elle ne dépose pas les passions qui la lient aux choses sensibles ; elle déposera les passions par les vertus, les simples pensées par la contemplation spirituelle et celle-‐ci à son tour lorsque se manifeste cette lumière qui au temps de la prière, sculpte le lieu de Dieu. »
Connaissance qui est adoration :
« Quand le noûs, ayant dépouillé le vieil homme, aura revêtu l’homme de la grâce, alors il verra son propre état au moment de la prière, semblable à la couleur du saphir ou du ciel ce que l’Ecriture appelle le lieu de Dieu qui a été vu par les anciens sur la montagne du Sinaï » (Evagre le pontique)
L’anthropologie d’Evagre influencé par la philosophie platonicienne est dualiste (corps-‐âme) concevant l’homme emprisonné dans la matière, le corps ne pouvait pas avoir de place dans la spiritualité pas plus que le Verbe incarné… Ce correctif est apporté par Macaire.
Le pseudo Macaire : la divine vocation de l’homme
La mystique des écrits macariens est fondée sur l’incarnation du Verbe et englobe l’homme tout entier corps-‐âme-‐esprit. La vie mystique est pour lui fondée sur l’incarnation du Verbe. La vie monastique n’est pas la restauration de l’activité propre de l’intellect, mais une réalisation plus pleine en nous de la grâce baptismale. La prière perpétuelle permet à l’homme d’accéder au Royaume de Dieu, qui englobe son esprit et son corps dans la divine communion. L’homme tout entier fut créé à l’image de Dieu et tout entier il est appelé à la gloire divine. « L’inexprimable et l’incompréhensible Dieu s’est abaissé, dans sa bonté ; il a revêtu les membres du corps que voici et a posé lui-même une limite à sa propre gloire ; dans sa clémence, et son amour pour les hommes, il se transforme et s’incarne, il se mélange avec les êtres saints pieux et fidèles et devient un « Esprit » avec eux selon la parole de Paul – âme dans l’âme et hypostase dans l’hypostase, pour ainsi dire- afin que l’être vivant puisse vivre dans sa jeunesse, ressentir la vie immortelle et participer » à une gloire incorruptible ? »(quatrième homélie)
La prière perpétuelle du moine n’a pas pour but de libérer l’âme des entraves charnelles, mais elle permet à l’homme, corps et âme, d’entrer dans la divine communion par la grâce du Christ, l’Esprit, qui accomplit en lui ce qui a été semé au Baptême. Le lieu par excellence de cette grâce est le "cœur", non pas compris comme organe biologique, mais comme centre de l’organisme et siège de l’intelligence.
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II y a deux hommes en l’homme : l’homme extérieur et l’homme intérieur qui ont chacun leurs sens. Pour Macaire le premier est "le vieil homme", le second "l’homme nouveau". Comme Origène aussi, il emploie pour désigner la faculté principale de l’âme, soit le mot "intellect", soit celui de "cœur" pris au sens biblique, surtout dans la collection II. Quant au corps, Macaire s’oppose aux tendances manichéennes et il affirme qu’il n’est pas mauvais en lui-‐même : il est "la belle tunique de l’âme », et celle-‐ci doit se garder de la déchirer par les épines des soucis et de la brûler par le feu de la convoitise (II, 4, 3-‐4), car le corps est destiné à être transfiguré.
Créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, l’homme a donc une parenté avec Dieu, comme l’avaient relevé les Cappadociens). C’est ce qui fait sa dignité "Prends conscience de ta dignité", cette exclamation semblable à celle qui, plus tard, jaillira aussi du coeur de saint Léon, se retrouve encore ailleurs : "Connais ta noblesse, ô homme, ainsi que ta dignité et ta valeur : tu es un frère du Christ, un ami du Roi, l’épouse de l’Epoux céleste". Cependant il n’y a rien de commun entre les natures de Dieu et de l’homme.
Avec Macaire la prière pure est centrée sur le Christ se transforme en prière de Jésus ou tout progrès spirituel était lié non pas à une connaissance d’une Divinité impersonnelle, mais à une communion vivante avec le Sauveur dans l’Esprit. Le rôle du Christ et de l’Esprit sont importants.
Denys l’aréopagite : la théologie apophatique (pseudo-‐Denys)
Nul n’a jamais vu Dieu nous dit saint Jean et l’apôtre Paul nous enseigne que Dieu habite une lumière inaccessible que nul d’entre les hommes n’a vue ni pu voir. La théologie mystique de Denys va influencer les grands théologiens mystiques orientaux et occidentaux : en orient, Grégoire de Nysse, Grégoire de Naziance, Jean Damascène… et en occident Jean de la croix, maître Eckhart… La voie apophatique rappelle la transcendance de Dieu, son altérité, que ne peuvent saisir ni les sens ni l’intelligence.
« S’il arrive que voyant Dieu, on commente ce qu’on voit, c’est qu’on n’a pas vu Dieu lui-‐même, mais quelques-‐unes de ces choses connaissables qui lui doivent l’être. Car en soi il dépasse toute intelligence et toute essence. Il n’existe, de façon suressentielle, et n’est connu, au-‐delà de toute intellection, qu’en tant qu’il est inconnu et qu’il n’existe point. Et, c’est cette parfaite inconnaissance, prise au meilleur sens du mot, qui constitue la connaissance vraie de celui qui dépasse toute connaissance. »3
« Nous disons donc que la Cause universelle, située au-‐delà de l’univers entier, n’est ni matière… ni corps ; qu’elle n’a ni figure, ni forme, ni qualité, ni masse ; qu’elle n’est dans aucun lieu, qu’elle échappe à toute saisie des sens… Nous élevant plus haut, nous disons que cette Cause n’est ni âme ni intelligence ; qu’on ne peut ni l’exprimer ni la concevoir, qu’elle n’a ni nombre, ni ordre, ni grandeur, ni petitesse, ni égalité, ni similitude, ni dissimilitude ; qu’elle ne demeure immobile ni ne se meut ; qu’elle n’est ni puissance ni lumière ; qu’elle ne vit ni n’est vie, qu’elle n’est ni essence, ni perpétuité, ni temps ; qu’on ne peut la saisir intelligiblement ; qu’elle n’est ni science, ni vérité, ni royauté, ni sagesse, ni un, ni unité, ni divinité, ni bien, ni esprit, ni filiation, ni paternité au sens où nous pouvons l’entendre ; ni rien de ce qui est accessible à notre connaissance ni à la connaissance d’aucun être, mais rien non plus de ce qui appartient à l’être ; que personne ne la connaît telle qu’elle est ; qu’elle échappe à tout raisonnement, à toute appellation, à tout savoir ; qu’elle n’est ni ténèbres, ni lumière, ni erreur, ni vérité ; que d’elle on ne peut absolument ni rien affirmer ni rien nier ; que lorsque nous posons des affirmations et des négations qui s’appliquent à des réalités inférieures à elle, d’elle-‐même nous n’affirmons ni ne nions rien : car toute affirmation reste en deçà de la cause unique et parfaite de toutes choses, car toute négation reste en deçà de la transcendance de celui qui est dépouillé de tout et se tient au-‐delà de tout. »4
Dieu n’a pas de nom et il a tous les noms. Il n’est rien de ce qu’il et il est tout ce qu’il est, la connaissance est l’inconnaissance. Toute affirmation, comme toute négation reste en deçà de sa transcendance. Dieu est le mystère ineffable. Jean Damascène écrira « De Dieu il est impossible de dire ce qu’il est en lui-‐même, et il est plus exact d’en parler par le rejet de tout. Il n’est rien, en effet, rien de ce qui est. Non qu’il ne soit d’aucune manière, mais qu’il est, au-‐dessus de l’être même. »
3 Denys l’aréopagite, cité dans Jean-‐Yves Leloup, Ecrits sur l’hésychasme une tradition ancienne oubliée, spiritualités vivantes, Albin Michel, p95-‐96. 4 ibidem
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La voie spirituelle, le chemin vers Dieu sera comparé à la montée de Moïse sur le Sinaï à la rencontre de Dieu.
« Dépassant le monde où l’on est vu et où l’on voit Moïse pénètre dans la Ténèbre véritablement mystique de l’inconnaissance : c’est là qu’il fait taire tout savoir positif, qu’il échappe à toute vision, car il appartient tout entier à Celui qui est au-‐delà de tout, car il ne s’appartient plus lui-‐même ni n’appartient à rien d’étranger, uni par le meilleur de lui-‐même à Celui qui échappe à toute connaissance, ayant renoncé à tout savoir positif, et grâce à cette inconnaissance même connaissant par-‐delà toute intelligence. »5
Nous retrouvons ce thème chez Grégoire de Nysse dans le traité mystique : « La vie de Moïse ou Traité de la perfection en matière de vertu ».
« Que signifient l’entrée de Moïse dans la ténèbre et la vision que dans celle-‐ci il eut de Dieu ? Plus l’esprit, dans sa marche en avant parvient, par une application toujours plus grande et plus parfaite, à comprendre ce qu’est la connaissance des réalités et s’approche davantage de la contemplation, plus il voit que la nature divine est invisible. Ayant laissé toutes les apparences, non seulement de ce que perçoivent les sens, mais ce que l’intelligence croit voir, il va toujours plus à l’intérieur, jusqu’à ce qu’il pénètre, par l’activité de l’esprit, jusqu’à l’Invisible et l’Inconnaissable et que là il voie Dieu. La vraie connaissance de celui qu’il cherche, en effet et sa vraie vision consiste à prendre part par son incompréhensibilité comme par une ténèbre. C’est pourquoi Jean le mystique, qui a pénétré dans cette ténèbre lumineuse dit que « personne n’a jamais vu Dieu » définissant par cette négation que la connaissance de l’essence divine est inaccessible non seulement aux hommes, mais à toute nature intellectuelle. Donc lorsque Moïse a progressé dans la gnose, il déclare qu’il voit Dieu dans la ténèbre, c’est-‐à-‐dire qu’il connaît que la divinité est essentiellement ce qui transcende toute gnose et qui échappe aux prises de l’esprit. « Moïse entre dans la ténèbre où Dieu se trouvait », dit l’histoire. Quel Dieu ? « Celui qui a fait de l’obscurité sa retraite »… Tout concept formé par l’entendement pour essayer d’atteindre et de cerner la nature divine ne réussit qu’à façonner une idole de Dieu, non à le faire connaître. »
Nous pourrions penser que Denys nie la possibilité de l’expérience spirituelle, mais il n’en est rien. Denys reste chrétien, car il ne nie pas la révélation. . Dieu mû par son amour sort de lui-‐même et se proportionne à l’homme ; il faut que la créature sorte de ses propres limites, ne reste pas enclose dans sa propre nature et accueille en elle la grâce divine. « En Dieu, l’éros est extatique. Grâce à l’éros, les amants ne s’appartiennent plus… Ce Dieu lui-‐même qui est cause universelle, par un amour passionné à la fois beau et bon envers tous les êtres, à cause de son amoureuse bonté sort de lui-‐même par ses providences à l’égard de tous les êtres qu’il a séduits par sa bonté, sa charité et son amour passionné. »6
Conclusion
Comme l’exprime si justement le manifeste de l’Église orthodoxe des Gaules : la foi de l’Eglise n’est pas une adhésion intellectuelle à des vérités à croire, mais l’expérience des mystères qu’elle confesse. Au cœur de tout et avant tout, il ya Quelqu’un : la Présence active du Christ pascal, mort et ressuscité, qui vivifie, dynamise et donne sens jusqu’au détail de notre vie quotidienne. C’est de cela dont Grégoire Palamas va rendre compte.
5 Ibidem p 98 6 Denys l’aréopagite, les noms divins, cité dans Les homélies spirituelles de Saint Macaire, spiritualité orientale n°40, abbaye de Bellefontaine, p33
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DEUXIÈME PARTIE
Vie et œuvre de Grégoire Palamas
1 Contexte social et politique
Depuis deux siècles l’Église d’Orient et l’Église d’Occident (« les latins ») sont séparées.
En 1296, l’Empire byzantin est extrêmement affaibli. Il ne s’est guère remis de l’occupation latine (1204-‐1269). Le commerce est contrôlé par Gènes et Venise qui le paralysent et le rendent vulnérable aux attaques des Turcs. Dans cet épuisement, la volonté centralisatrice du pouvoir en s’appuyant sur la haute aristocratie et les grands propriétaires terriens, accentue les inégalités sociales et s’oppose à de nombreuses révoltes. Le fossé s’est creusé entre une Église officielle inféodée au pouvoir et les mouvements des zélotes (mouvement de révolte sociale) forts d’un profond soutien populaire déniant à la hiérarchie établie toute légitimité. Dans ce contexte une réforme interne à l’Église est urgente7. La source en a été le mouvement hésychaste8 : vivant à l’écart des monastères décadents, enracinés dans une expérience contemplative (centrée sur l’unique essentiel) les hésychastes commencent à promouvoir une réforme dans les monastères byzantins mettant en avant la pauvreté évangélique et s’attaquant aux biens ecclésiastiques. Voici les grandes orientations de cette réforme :
-‐ L’importance du service social -‐ Insistance sur le partage des biens -‐ Indépendance de l’Eglise par rapport au pouvoir -‐ Renouveau liturgique et refus de la pesanteur ritualiste -‐ Purification du culte de l’icône -‐ Accent porté sur la valeur du baptême et de l’eucharistie pour la vie du croyant donc une vie spirituelle
personnelle.
Nous retrouverons cette spiritualité hésychaste avec cette volonté de réforme chez Nil de la Sora dans la Russie orthodoxe du XVe siècle.
2 Les étapes de la vie de Grégoire Palamas
C’est dans ce contexte qu’apparaît Grégoire Palamas.
Né en 1296, Grégoire reçut à la cour du pieux empereur Andronic II une éducation aristocratique (rhétorique, grammaire, philosophie…). Vers 1316, il décida d’interrompre ses études profanes pour répondre à un appel à la vie monastique. Grégoire fut initié à l’hésychasme au mont Athos. Les incursions turques l’obligent à quitter le mont Athos vers 1325. Le jeune moine séjourne à Thessalonique où il fut ordonné prêtre. Il se retire avec une dizaine de moines dans un ermitage des environs de Berrhée. En 1331, à cause des invasions serbes, il retourna à l’Athos où il s’installera dans l’ermitage de Saint Sabbas proche de Lavra. C’est la période de ses premiers écrits. Entretemps, vers 1336, un Grec de Calabre du nom de Barlaam étant arrivé à Constantinople avait très vite acquis une réputation de grand philosophe se donna pour tâche de remettre en question et de dénigrer l’expérience
7 Je ne puis m’empêcher d’y voir une analogie dans l’Occident latin chrétien au XIIIème siècle avec les mouvements de pauvreté évangéliques (dont est issue le mouvement franciscain) et autres mouvements hérétiques (cathares). 8 Hésychasme : « hésychia » signifiant paix…désigne une forme de vie contemplative monastique recherchant la paix intérieure et le royaume de Dieu dans la solitude et la pauvreté dans la prière continue. Cette vie contemplative prend racine chez les pères du désert au IVème siècle. Cette forme de vie rejaillira chez les moines du mont Athos…
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spirituelle de la tradition hésychaste. Grégoire Palamas devra donc répondre de l’expérience spirituelle reçue de la tradition face à un humanisme philosophique rationnel renaissant.
Grégoire Palamas vécut aussi au cœur du tourment politique et religieux de l’Empire byzantin. A la mort de l’empereur Andronic III en 1341, l’héritier Jean le Paléologue n’a que neuf ans. Ce fut le déclenchement d’une guerre civile qui opposa Jean de Cantacuzène, Grand Domestique (sorte de premier ministre) à un gouvernement provisoire présidé par Anne de Savoie, la veuve de l’empereur Andronic III, qui dura jusqu’à la victoire de Jean Cantacuzène. Durant cette période, le patriarche Jean Calécas persécuta Palamas en raison de sa sympathie politique pour Jean Cantacuzène, et accorda son soutien à Grégoire Akindynos (qui avait pris le relais de Barlaam), lequel s’empressa de réfuter la théologie palamite. Grégoire fut même excommunié. En 1347, un synode convoqué par l’impératrice Anne déposa le patriarche Calécas et réhabilita Grégoire Palamas. Dès l’arrivée au pouvoir de Jean VI Cantacuzène, Palamas fut sacré archevêque de Thessalonique.
Une révolte des zélotes avait éclaté depuis 1342 dans cette ville. Elle empêcha Palamas de rejoindre son siège épiscopal avant le début de 1350. En attendant, un groupe mené par le savant Nicéphore Grégoras (en continuité avec la controverse avec Barlaam) continuait de s’opposer à la doctrine de Grégoire Palamas.
L’arrivée de Palamas sur son siège épiscopal ne fut pas de tout repos. Il fut un pasteur zélé voulant rétablir la paix sociale dans la ville. En 1354, il fut capturé par les Turcs lors d’un voyage à Constantinople. Là, il put rencontrer les chrétiens et dialoguer en profondeur avec les docteurs de l’Islam. Ce fut le moment où Jean V le Paléologue accéda au pouvoir supplantant son ancien tuteur.
Sa rançon ayant été payée aux Turcs, il revint à Constantinople en 1355, où il rencontra le légat du pape réticent à l’égard de sa doctrine. En présence de l’empereur et du légat du pape fut organisée une discussion théologique entre Grégoire Palamas et Nicéphore. Cette discussion n’apporta rien. Palamas retourna à Thessalonique où il réfuta son adversaire Nicéphore dans quatre traités. Il mourut à 63 ans en 1359 et fut canonisé en 1361.
Il est important de souligner aussi les tentatives d’union entre l’Église d’Orient et l’Église d’Occident. Vers 1335, Grégoire Palamas écrivit à l’occasion de pourparlers d’union des Eglises, ses traités apodictiques9 sur la procession du Saint-‐Esprit, un ouvrage sur la trinité destiné à repousser toute tentative de compromis doctrinal avec les Latins sur le thème de la procession de l’Esprit (querelle du filioque). Il désirait éviter une union doctrinale facile dont l’enjeu n’était pas vraiment théologique, mais politique. Certains de ses contemporains étaient prêts à sacrifier la foi orthodoxe pour bénéficier de l’appui militaire de l’Occident contre les invasions turques. Il s’opposa ainsi au « relativisme » doctrinal de Barlaam affirmant les limites de la raison qui ne peut percevoir le divin.
Toute l’œuvre de Palamas est donc dominée par cette controverse sur la possibilité ou non de faire l’expérience du divin, les limites de la raison et la place de la révélation chrétienne. Ces controverses théologiques interfèrent avec les luttes politiques. Chaque parti théologique cherchait un appui politique, mais les rivalités politiques étaient sans motivation spirituelle.
3 La controverse
Au XIVe siècle, s’opposent le mysticisme orthodoxe et le rationalisme de la scholastique médiévale représentée par Barlaam un philosophe grec de Calabre pénétré de la renaissance italienne, de la philosophie aristotélicienne et nominaliste. Barlaam vint à Constantinople pour étudier les écrits originaux des philosophes grecs. Dans son enseignement, il commente le pseudo-‐ Denys. Barlaam était sceptique quant aux possibilités propres de l’intelligence humaine dans le domaine de la connaissance de Dieu. Pour lui, toute connaissance même de Dieu n’a d’autre origine que la perception des sens (Aristote) et en second lieu que Dieu est inconnaissable puisqu’il transcende toute expérience sensible (Pseudo-‐Denys). Il réfuta et dénigra l’expérience spirituelle des moines hésychastes. L’expérience des moines du mont Athos n’était donc que pure illusion. Barlaam était un agnostique rationaliste. C’est ailleurs que dans le domaine théologique, vers les sciences profanes (et la philosophie grecque) que se portaient ses intérêts. Pour Barlaam, l’Ecriture Sainte n’était pas le moyen d’une communion vivante de l’Esprit de Dieu, les philosophes seuls pouvaient féconder l’activité réelle de son intellect et lui fournissaient les critères permanents de sa pensée. Pour lui, s’appuyant sur la pensée de Denys, Dieu reste inconnaissable, inaccessible. La raison reste séparée et autonome. Dieu se fait connaître à travers des symboles, toute
9 Apodictique : ce qui peut être démontré.
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participation réelle au divin reste impossible. C’est dans cette pensée qu’il trouvera le fondement métaphysique de l’union entre les Eglises (qui n’a pas abouti). Puisque Dieu est inaccessible, faut-‐il encore discuter sur la procession du Saint-‐Esprit ? Les Grecs affirment que l’Esprit procède du Père seul ; et les Latins répondent qu’il procède du Père et du Fils… Ce n’est là que présomption. Toute chose qui échappe à l’intelligence n’existe pas. Pétri de néoplatonisme (où le corps est considéré comme la prison de l’âme et de l’intellect), Barlaam était scandalisé d’apprendre que les moines de l’Athos pensaient que le corps participait à la prière comme l’intellect. « J’ai été initié par eux, écrit-‐il, à des monstruosités et à des doctrines absurdes qu’un homme ne peut dignement énoncer s’il a de l’esprit ou seulement un peu de raison, des produits d’une croyance erronée et d’une imagination téméraire. Ils m’ont livré leurs enseignements sur des séparations merveilleuses et des réunions de l’esprit et de l’âme, sur les commerces qu’ont les démons avec cette dernière, sur les différences qui existent entre les lumières rousses et blanches, sur des entrées et des sorties intelligibles qui se produisent par les narines simultanément à la respiration, sur des boucliers qui se réunissent autour du nombril, et enfin sur l’union de notre seigneur avec l’âme qui se produit à l’intérieur du nombril d’une façon sensible en pleine certitude du cœur… » (Lettre V à Ignace, cité dans Saint Grégoire Palamas, de Jean Meyendorff, coll. maîtres spirituels p. 91). Est-‐ce une mauvaise interprétation de la garde du cœur de Nicéphore l’Hésychaste, une corruption populaire de ces enseignements ou une caricature satyrique de Barlaam lui-‐même ? Pour Barlaam, l’expérience ‘directe’ de Dieu est impossible : « S’ils consentent à dire, écrit Barlaam, que la lumière intelligible et immatérielle dont ils parlent est le Dieu suressentiel lui-‐même et s’ils continuent en même temps à reconnaître qu’il est absolument invisible et inaccessible aux sens, ils se trouvent devant une alternative : en déclarant voir cette lumière, ils doivent la considérer soit comme un ange, soit comme l’essence même de l’intellect, lorsque purifié à la fois des passions et de l’ignorance ; l’esprit se voit lui-‐même et, en lui-‐même voit Dieu dans sa propre image. Si la lumière dont ils parlent s’identifie avec l’une de ses deux réalités, il faut considérer leur pensée comme parfaitement correcte et conforme à la tradition chrétienne ; mais s’ils disent que cette lumière n’est ni l’essence suressentielle, ni une essence angélique, ni l’esprit lui-‐même, mais que l’esprit la contemple comme une hypostase, je ne sais, en ce qui me concerne, ce qu’est cette lumière, mais je sais qu’elle n’existe pas. » (cité dans Saint Grégoire Palamas, de Jean Meyendorff, coll. maîtres spirituels p.94).
Barlaam s’inscrit dans la ligne de la théologie apophatique du pseudo-‐Denys, Dieu est au-‐delà de tout ce qu’on peut penser et imaginer au-‐ delà des concepts tout en niant la possibilité d’une expérience spirituelle et érige la raison en seul instrument pour penser Dieu.
Tel est l’enjeu de la question. Face à cette remise en question d’une authentique expérience spirituelle au nom de la rationalité, Grégoire Palamas va puiser sur la tradition biblique, son expérience spirituelle et la relecture des pères de l’Église pour répondre de sa foi : à savoir que seul le Christ illumine le cœur de l’homme et lui donne la vraie connaissance de Dieu.
4 L a doctrine de la grâce déifiante de Grégoire Palamas
Sagesse profane – sagesse surnaturelle
Pour Barlaam donc, la connaissance des êtres, la philosophie10 est la meilleure chose que nous possédions, elle est un don de Dieu et les sciences philosophiques seraient supérieures aux divines écritures, car elles purifient l’intelligence (la raison) des opinions fausses, condition préalable pour atteindre la pureté et la perfection. C’est par les méthodes de raisonnement et de l’analyse que l’être humain est un vivant et acquiert la ressemblance au Créateur. La sainteté est assimilée à la perfection de la connaissance purifiée par les sciences philosophiques. Ce rationalisme aboutira à reléguer la religion chrétienne dans le domaine de la morale et à faire de Dieu un concept inaccessible qui aboutira au théisme et à l’athéisme du siècle des lumières. La religion de Voltaire (philosophe du XVIIIe siècle) est philosophique, il croit en un Dieu – premier moteur-‐ et sa religion est une religion sans dogmes – ni péché, ni incarnation, ni révélation, ni rédemption –, mais fondée sur une morale. Pour Voltaire les ‘dogmes’ ne peuvent être vérifiés et sont donc des chimères qui plongent les hommes dans une nuit profonde.
Face à cela, Palamas va répondre de son espérance. Palamas distingue la philosophie, don divin naturel provenant de l’éducation profane que Dieu accorde à tous (l’homme est « un animal rationnel ») et la sagesse de Dieu, don
10 Notons que la science ne se distingue pas de la philosophie.
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divin surnaturel. Cette sagesse, c’est l’Esprit Saint que Dieu a accordé aux prophètes et aux apôtres. La question est : quelle sagesse procure le salut ?
Si la raison peut-‐être utile pour sortir de notre animalité, la raison doit être purifiée par la grâce divine. La philosophie naturelle est rendue folle parce qu’elle est détournée de Dieu. En cela Grégoire Palamas rejoint Grégoire de Nysse dans son traité de la perfection :
Pour cela, la personne qui s’engage dans cette voie (de transformation spirituelle) doit prendre des précautions et se nourrir des aliments convenables. Il s’agit de l’éducation, de la culture profane, mais elle ne doit pas être coupée de la vie de l’Église… Grégoire de Nysse utilise l’image de la fille du pharaon qui devient sa mère adoptive, cette fille est stérile et sans enfant (culture profane) et l’image de sa mère qui devient sa nourrice (L’Église)… « Ceci nous apprend que si nous fréquentons la culture profane, au temps de notre éducation, nous ne devons pas être sevrés du lait de celle qui nous a nourris et qui est l’Église. Ce lait se sont les sacrements qui alimentent notre âme, la fortifient et lui donnent des forces pour monter plus hauts… » (GN, VM, naissance spirituelle, 328A-‐332C). Dans cette progression spirituelle, le chrétien ne peut pas se passer de l’Église et des sources apostoliques.
La philosophie en elle-‐même est insuffisante à se procurer le salut sinon pourquoi avons-‐nous eu besoin non pas d’un professeur de philosophie, mais de celui qui enlève le péché du monde et qui donne une sagesse véritable et éternelle. Barlaam n’envisageait pas le rôle de la grâce dans la connaissance de Dieu et s’appuyant sur la foi chrétienne Palamas explique que cette grâce du Christ est une nécessité pour l’homme, car depuis la ‘faute’ (le péché d’Adam) des origines, le péché obscurcit cette connaissance. Le fils de Dieu en s’incarnant a inauguré une humanité nouvelle où par la grâce de l’esprit la nature humaine est restaurée et invitée à participer à la vie divine. Notons que Barlaam est chrétien et ayant quitté Constantinople sera évêque dans l’Église latine.
« Mais si, selon le grand Denys, la déification c’est de s’assimiler à Dieu et de s’unir à lui, comment alors nous-‐mêmes admettrons nous que la déification soit une imitation naturelle ? Car nous avons besoin de la ressemblance11 pour nous trouver en harmonie avec cette unification par laquelle la divinisation s’accomplit pleinement, tandis que sans l’unité, la ressemblance ne suffirait point pour la divinisation. La ressemblance que je dis nécessaire, celle qui procède de la mise en pratique et de l’observation des préceptes divins, ne se réalise pas simplement par une imitation naturelle, mais par la puissance de l’Esprit, laquelle au moment de notre sainte régénération, vient en volant du haut du ciel se poser ineffablement sur les baptisés. Par elle ceux qui sont nés, non pas du sang, ni du vouloir des hommes, ni du vouloir de la chair, mais de Dieu (Jn 1 : 13) tels des enfants nouveaux nés peuvent parvenir à la plénitude du Christ. Personne par conséquent, ne saurait jamais comprendre, est-‐il écrit, ni moins encore mettre en pratique, les vérités reçues de Dieu, s’il ne lui a pas été donné d’abord de subsister divinement. Apprends donc d’entrée de jeu, comme on dit, cher ami, ce qu’il ya d’extraordinaire dans la divinisation ; elle dont la nature ne produit pas, d’elle-‐même, le principe, comment son terme pourrait-‐il être naturel et créé ? Et si selon son principe propre, elle dépasse largement l’imitation naturelle, comment poussée à son terme, pourrait – elle être une imitation naturelle ? Jean, fils de Zacharie baptise dans l’eau ; Jésus, Fils de Dieu, dans l’eau et dans l’Esprit. En quoi consiste le progrès de l’un à l’autre ? Seulement dans le nom ? Certes pas : mais bien dans la grâce agissante et la puissance divinisante dans l’Esprit Saint ? Non point répandu selon son essence sur le baptisé, mais fortement adhérant à lui selon la grâce de sanctification qui lui est propre. Mais si elle est une créature, et si, nous qui y avons part, c’est à quelque chose de créé que nous avons participé, alors comment l’Esprit Saint serait-‐il incréé ? » (Saint Grégoire Palamas, de la déification de l’être humain, éd. l’âge d’homme)
C’est ici que se départagent l’orient et l’occident. Barlaam suit la théologie de Saint Thomas , seuls les arguments de la raison sont valables et toute pénétration intuitive de nature mystique est déclarée source d’erreur ; l’illumination intérieure est même accusée de matérialisation de Dieu et Saint Thomas rejette la doctrine augustinienne de la connaissance par illumination divine et par intuition représentée par l’école franciscaine (Saint Bonaventure) et plus tard (au XVIe siècle) par l’école française de spiritualité (saint Vincent de Paul, Pierre de Bérulle et Saint François de Sales). (Notons que la mystique occidentale chrétienne du moyen âge reste proche des pères de l’Église et de la tradition orthodoxe).
11 L’enseignement de G.P. sur la déification de l’homme repose entre autre sur la base biblique de la création de l’être humain à l’image et à la ressemblance de Dieu.
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Grégoire va puiser sa réflexion dans l’Ecriture et la Tradition vivante de l’Église (au travers des pères de l’Église et des saints hésychastes). Le danger que perçoit Grégoire Palamas est que Dieu devient un concept abstrait qui n’a plus rien à voir avec la vie. Sa théologie s’enracine dans l’expérience et la méditation de la Parole de Dieu. Sa théologie prend sa source dans cette parole de Saint Jean l’évangéliste : « Dieu personne ne l’a jamais vu, le Fils unique, celui qui est dans le sein du Père nous l’a révélé. ». Cette affirmation met en évidence les deux affirmations bibliques fondamentales :
-‐Dieu personne ne l’a jamais vu. Elle témoigne du mystère inaccessible du Dieu transcendant (Saint) de la Bible. Dieu est insaisissable à l’esprit humain. Ce qui représente la théologie apophatique que nous retrouvons chez les Pères cappadociens (Denys l’aréopagite, Grégoire de Nysse, Grégoire de Naziance…)
-‐ Dieu se révèle en Jésus-‐Christ dans l’Esprit Saint. Le Christ, le Dieu incarné, révèle au monde et aux hommes la sainte et vivifiante Trinité.
Grégoire Palamas va donc distinguer afin d’indiquer les deux pôles de la relation à Dieu-‐ inconnu, mais connu, caché, mais révélé-‐ entre d’une part l’essence, la nature ou l’être intime de Dieu, et d’autre part les énergies, ses opérations ou les manifestations de sa puissance. Par essence, il faut entendre la transcendance radicale de Dieu et par les énergies, sa présence et son action vivifiante. Ces énergies ne désignent pas une émanation de Dieu ou des intermédiaires entre Dieu et l’homme, mais Dieu lui-‐même dans son activité. Ces énergies ne sont pas autre chose que la grâce déïfiante. Celui qui connaît les énergies divines ou qui y participe connaît Dieu lui-‐même et participe à Dieu lui-‐même, autant qu’un être humain le peut. Il n’y a pas deux parties en Dieu, l’essence renvoie à Dieu tel qu’il est en lui-‐même et ses énergies renvoient à Dieu dans son intégralité rendu accessible à l’homme dans le mouvement extérieur de son Amour. En raison de cette distinction entre essence et énergies divines, les mystiques orthodoxes affirment la possibilité d’une expérience spirituelle, d’une union mystique, d’une participation (d’une communion et non fusion) à la vie divine. « Dieu est par son essence en dehors de tout, mais il est en tout par ces actes de puissance » (Saint Athanase)
Cette distinction entre essence et énergie provient de la philosophie aristotélicienne selon laquelle chaque nature (physis) a une énergie (energeia) c’est-‐à-‐dire une manifestation perceptible existentiellement. Cette terminologie sera utilisée chez les pères grecs, en particulier Basile et Grégoire de Nysse pour montrer que la Trinité transcendante agit au niveau immanent. Pour Saint Maxime le Confesseur, les deux natures du Christ (humaine et divine) présupposent les deux énergies ou volontés.
Une vision biblique et évangélique
La théologie de Grégoire Palamas est une théologie enracinée, comme je l’ai déjà souligné, dans la tradition biblique et chez les Pères de l’Église. Le Dieu de Grégoire Palamas est le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, des saints prophètes, des apôtres… C’est le Dieu biblique de la révélation et du salut, c’est le Dieu révélé en Christ par la puissance de l’Esprit Saint dont l’ultime dessein est la divinisation de l’homme par la grâce de l’Esprit.
La pensée théologique de Grégoire Palamas vise à intégrer l’homme au mystère du Christ par la grâce de l’Esprit. La vision de Palamas est trinitaire et existentielle. Dieu ne peut être identifié avec aucun concept créé. Lorsqu’il se manifeste, Dieu reste inconnaissable dans son essence, car une révélation de l’essence divine mettrait Dieu au niveau des créatures et ferait de l’homme « un Dieu par nature »… la théologie de Palamas intègre donc deux axiomes de la patristique : Dieu inconnaissable, essence inabordable même par la raison, mais Dieu vivant désirant se révéler à l’homme dans son Fils et accorder à l’humain sa propre existence incréée… Il fait écho à la tradition spirituelle apophatique des pères de L’Église et je me plais à citer cette prière d’un de nos pères des Gaules qui exprime cette antinomie (Dieu insondable, mais qui se révèle).
Dieu tout-‐puissant, selon l’apôtre Paul ton Esprit Saint « scrute et connaît les profondeurs de ton être » (1Co 2,10-‐11), et il intercède pour moi, te parle à ma place par des « gémissements inexprimables » (Rm 8,26)… Rien en dehors de Toi ne scrute Ton mystère ; rien qui soit étranger à Toi n’est assez puissant pour mesurer la profondeur de Ta majesté infinie. Tout ce qui pénètre en Toi est de Toi ; rien de ce qui est extérieur à Toi n’a le pouvoir de Te sonder…
Je crois fermement que Ton Esprit Saint vient de Toi par Ton Fils unique ; même si je ne comprends pas ce mystère, j’en garde la conviction profonde. Car dans les réalités spirituelles qui sont ton domaine, mon esprit est
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borné, comme l’assure Ton Fils unique : « Ne t’étonne pas si je t’ai dit : Il vous faut naître d’en haut. Car l’Esprit Saint souffle où il veut ; tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient, ni où il va. Ainsi en est-‐il de quiconque est né de l’eau et de l’Esprit ».
Je crois à ma nouvelle naissance sans la comprendre, et je tiens bon dans la foi ce qui m’échappe. Je sais que j’ai le pouvoir de renaître, mais je ne sais pas comment cela s’accomplit. L’Esprit n’est limité par rien ; II parle quand Il veut, Il dit ce qu’Il veut et où Il veut. La raison de son départ et de sa venue me reste inconnue, mais j’ai la conviction profonde de sa présence. (Hilaire de Poitiers)
Pour Palamas, s’inscrivant dans l’expérience et la pensée des pères du désert et de pères de l’Église, Il s’agit de se transformer, de naître à une vie nouvelle accordée par le Christ dans l’Esprit. C’est l’être tout entier (nous y reviendrons) qui doit être régénéré corps -‐ âme (raison et sentiments)-‐ esprit. La vocation de l’homme est de participer à la communion divine. Cette vie nouvelle est l’incorporation réelle de l’être humain au ressuscité, existence dans l’Eglise et dans l’Esprit. La pensée de Palamas est l’expression non d’un système conceptuel, mais d’une expérience spirituelle.
5 Enseignement de Grégoire Palamas sur la divinisation de l’humain
Son enseignement sur la divinisation de l’homme (à la suite des pères) repose sur les bases suivantes :
-‐ la création de l’humain à l’image de Dieu.
-‐ l’incarnation du verbe de Dieu (incarnation et passion).
-‐ la capacité de communion de l’être humain avec Dieu dans l’Esprit Saint.
La création de l’humain à l’image de Dieu
La tradition patristique, s’appuyant sur la méditation de la Bible, affirme l’idée que le privilège de l’homme par rapport aux autres créatures est sa participation à Dieu. L’homme est créé à l’image et à la ressemblance. Dieu a créé Adam, sans aucun vice, outre l’âme, il lui avait insufflé la grâce de l’Esprit qui le conservait dans la nouveauté et cultivait pour lui la ressemblance divine, mais par sa désobéissance Adam perdit ce don. « Tout homme est à l’image de Dieu, mais éventuellement aussi à sa ressemblance. La ressemblance à Dieu, cependant qu’elle constitue le but de l’existence humaine, ne lui pas été imposée de force : elle lui a été confiée et mise à sa libre disposition ; ainsi l’homme, librement orienté à la volonté de Dieu et constamment guidé par sa grâce, se plaisait à cultiver et à développer ce présent libéral du « à l’image », à en faire une acquisition personnelle, solide et durable, et ainsi à devenir semblable à Dieu. Mais inversement l’homme avait le pouvoir de méconnaître Dieu et sa volonté et de faire échouer le dessein de sa création, oubliant la signification de sa vie et de son existence même. C’est ce qu’Adam fit en écoutant le diable ; « c’est ainsi qu’il fut déchu de la grâce de Dieu et c’est ainsi que-‐ privé de la splendeur divine qu’il portait comme une glorieuse parure avant sa transgression-‐ il perdit le privilège d’être à la ressemblance »-‐ ce qu’il avait cultivé dans la lumière de la grâce divine. » (Saint Grégoire Palamas de la déification de l’être humain ; la doctrine de st Grégoire Palamas sur la déification de l’être humain-‐ l’âge d’homme). Par la chute, l’homme a été frustré de la possibilité de communier à la vie divine, or la vie de l’homme prend sa source dans sa participation à la vie de Dieu. Cette mort spirituelle n’est pas une vengeance de Dieu, mais une conséquence de l’éloignement de Dieu. « Plus l’homme s’éloignait de la vie, plus il se rapprochait de la mort ; or la vie est Dieu lui-‐même, et la mort est sa privation. (Grégoire Palamas) » Par la désobéissance de l’homme le péché a fait son apparition dans le monde avec ses conséquences : le péché qui règne en l’homme par la puissance du diable et de la mort suscite la peur, l’angoisse, et somme toute l’instinct de conservation : ainsi par l’anxiété et l’arbitraire, Satan enfante dans l’homme le péché et s’entremet l’échec de sa vocation première (GP) »
La participation de l’homme à la vie divine est un appel, l’homme est appelé à croître dans la vie divine. Elle est à fois un don et une tâche à accomplir. Palamas développe une conception expérientielle de la connaissance de Dieu. Dieu n’est pas connu à travers un processus de pensée intellectuelle, mais implique un processus de transformation. L’homme n’est pas un être autonome, il n’est libre et réalise sa vocation d’homme que lorsqu’il est en communion avec Dieu. L’homme est une image de Dieu ouverte vers le haut (ressemblance) possède la
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potentialité de se transcender et d’atteindre le divin. Cette potentialité n’est pas seulement intellectuelle, mais implique une purification de l’homme tout entier, un détachement ascétique et une évolution éthique « il est impossible de posséder Dieu soi-‐même, ou d’avoir l’expérience dans la pureté, ou d’être uni sans mélange, à moins de se purifier par soi-‐même par la vertu, de sortir de soi-‐même ou plutôt de s’élever au-‐ dessus de soi. »
L’incarnation du Verbe de Dieu (incarnation-‐ passion)
La théologie de Palamas s’inscrit donc dans sa foi en un Dieu trinitaire qui se communique par le Père en Jésus Christ et dans l’Esprit. Si la philosophie est ce qui nous procure le salut en quoi aurons-‐ besoin du salut offert par Jésus-‐Christ ? Dans son homélie sur l’incarnation, Palamas souligne « la grandeur de l’amour de Dieu qu’il a richement déversé sur nous ! Il nous a régénérés dans l’Esprit et nous sommes devenus un seul esprit avec lui, comme l’écrit Paul : celui qui s’unit au Seigneur est un seul Esprit avec lui12… « Tous nous avons connu le Fils par la voix du Père qui nous annonçait d’en haut cet enseignement, et l’Esprit Saint lui-‐même, la lumière indicible elle-‐même, nous a montré que voici assurément le Bien-‐aimé du Père ; et le Fils lui-‐même nous a manifesté le nom du Père et a promis en remontant au ciel de nous envoyer l’Esprit-‐Saint, afin qu’il demeure avec nous à jamais ; et l’Esprit saint lui-‐même est descendu, est demeuré avec nous, nous annoncé et enseigné toute la vérité. »13
« Le Fils de Dieu est devenu homme, il assume notre nature humaine pour créer un homme nouveau et transformer les hommes en Fils de Dieu : « car Dieu a modelé de sa main notre nature, à partir de la terre, et insufflé en elle la vie venant de lui-‐même, Lui qui avait amené tout le reste en un seul mot, et il l’a créée rationnelle et maîtresse de sa conscience, libre même de gouverner ses propres pensées selon son propre mouvement ; or une fois laissée seule, elle fut abusée par le conseil du malin, et ne put tenir tête à ses machinations ; elle ne garda pas ce qui est naturel, mais glissa vers ce qui est contre nature, mais la contient en Lui ; il ne l’assume pas seulement pour l’arracher à la déchéance, mais la revêt ineffablement, en s’unissant sans séparation avec elle, enfanté comme Dieu et homme à la fois d’une femme, pour assumer la même nature, qu’il avait modelée en nos ancêtres d’une vierge, pour créer un homme nouveau ;car s’il était né d’une semence, il n’aurait pas été un homme nouveau ; étant de l’ancienne frappe, et héritier de la faute, il n’aurait pu recevoir en Lui la plénitude de la divinité intacte, et devenir une source intarissable de sanctification…. Et les mages se prosternèrent, présentant de l’or, de l’encens, de la myrrhe à Celui qui par la mort nous gratifiés de la vie divine,-‐dont l’encens était une image-‐ et de la divine illumination, -‐ que représentait l’or offert au dispensateur de la gloire éternelle14… »
Toute l’œuvre de la rédemption est ainsi conçue comme une sanctification, une nouveauté, une délivrance du péché en vue de participer à notre vocation originelle, notre vraie nature, qui est la communion divine.
« Donc Le Fils de Dieu s’est fait homme afin de montrer à quel sommet il nous porterait ; afin d’éviter que nous ne nous vantions d’avoir par nous-‐mêmes, regagné le combat perdu ; afin que formé de deux natures, il fût vraiment médiateur, adapté à chacune des deux, pour sa part ; afin de délier le lien du péché ; afin de purifier du péché la souillure de la chair ; afin de montrer l’amour de Dieu pour nous ; afin de nous faire connaître à quelle profondeur du mal nous étions tombés, pour que fût rendue nécessaire l’incarnation de Dieu ; afin qu’il devînt pour nous un exemple d’humilité que peuvent supporter la chair et la passion, et un remède pour soigner l’orgueil ; afin de nous montrer la noblesse de la nature créée par Dieu ; afin qu’il fût l’initiateur de la résurrection et de la vie éternelle et leur preuve et que fût aboli le désespoir ; afin que devenu Fils de l’Homme et partageant leur mortalité il portât les hommes à leur perfection de fils de Dieu et les fît participer à l’immortalité divine ;afin qu’il leur apprît comment la nature humaine a été seule de toutes les créatures faites à l’image de Dieu et tellement semblable à Dieu qu’elle a pu s’unir à lui en une hypostase ; afin que fût honorée la chair, même mortelle ; afin que les esprits superbes ne se jugent point et ne soient point jugés plus honorables que l’homme et ne s’imaginent point qu’ils seront eux-‐mêmes divinisés grâce à leur état incorporel et à l’immortalité qu’il suppose ; afin que fussent réunies en lui les natures séparées, celle des hommes et celle de Dieu, et que par sa double nature, il en devint médiateur. »15
12 Grégoire Palamas, Homélie sur l’incarnation, YMCA-‐PRESS/O.E.I.L, coll. L’échelle de Jacob. 13 Grégoire Palamas contre les messaliens, cité dans Jean Meyendorff, Introduction à l’étude de la Pensée de Grégoire Palamas.p224 14 Grégoire Palamas, Homélie sur l’incarnation, YMCA-‐PRESS/O.E.I.L, coll. L’échelle de Jacob 15 Grégoire Palamas, homélie du samedi saint cité dans « la doctrine de saint Grégoire Palamas sur la déification de l’être humain » , Georges Mantzaradis, éd. l’âge d’homme.
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La capacité de communion de l’être humain avec Dieu dans l’Esprit Saint.
La nature humaine, ointe par son union hypostatique avec le Fils, reçoit la plénitude des énergies incréées de la nature trinitaire. Chaque don fait par Dieu envers la création et, par excellence, le mystère de la déification de l’humanité en Christ, est un événement dont l’axe est la Sainte Trinité. Dieu le Père, par le Fils dans le Saint-‐Esprit, dispose avec bienveillance du mystère de la déification-‐onction, lequel est réalisé par le Christ en personne tandis que l ’Esprit-‐Saint l’assiste d’une manière particulière. La grâce divine, richesse inépuisable d’énergie de la divinité trinitaire, par l’action du Saint-‐Esprit – lequel « achève » l’énergie trinitaire en l’insérant dans l’existence créée en dépassant ainsi sa séparation de la vie de Dieu – descend sur terre et réside à jamais dans la nature humaine du Christ, puisque cette dernière est enhypostasiée par le Verbe même de Dieu. Le Christ, donc, est la nouvelle existence, le « deuxième homme » qui, en recevant la plénitude de la divinité incréée, est devenu une source inépuisable de sainteté et de grâce. De ceci témoignent de manière décisive la Nativité paradoxale, le Baptême, l’Enseignement et les Miracles, la Transfiguration et enfin la Croix, la Résurrection et l’Ascension, qui sont des événements qui révèlent progressivement l’œuvre de l’économie divine : par le biais de l’unicité de l’hypostase, l’humanité du Christ égale la divinité et devient, elle aussi, la source des énergies et des forces incréées. Jacques Lison dans son ouvrage « l’Esprit répandu, la pneumatologie de Grégoire Palamas’ met en avant cet aspect trinitaire en y intégrant le rôle de l’Esprit. Dans le mystère trinitaire, les relations des personnes sont toujours simultanées. Il n’y a aucun décalage, aucune dégradation, aucune transition de l’un à l’autre ; aucune subordination de l’un à l’autre. C’est vraiment important de voir que chaque personne divine est à la fois unique et qu’elle porte les deux autres en elles. Le Père, non seulement engendre le Fils et fait procéder l’Esprit Saint, mais il les porte en lui ; il les porte en lui de telle manière que le Fils et l’Esprit sont dans le Père. Le Père est dans le Fils et le Fils est dans le Père. Et de même nous pouvons dire, le Fils porte en lui le Père et l’Esprit Saint. Le mouvement d’Amour infini du Père, va du Père au Fils et le Père donne et transmet au Fils tout ce qu’il est, toute sa vie divine, toute sa plénitude, toute sa sainteté, tout son Amour, tout son être. Il le fait dans l’Esprit Saint. Les missions divines du Fils et de l’Esprit sont indissociables.
Saint Grégoire le signale lors de ces homélies pour chaque fête :
-‐ L’annonciation :
Le Fils a été engendré mieux « il s’est lui-‐même abaissé par la bienveillance du Père et la coopération de l’Esprit »16. « L’Esprit viendra sur toi et pour un