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GRANDS SERVICES PUBLICS ET ENTREPRISES NATIONALES

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TH ÉM I S COLLECTION DIRIGÉE PAR MAURICE DUVERGER

D R O I T

JEAN-MARIE AUBY Doyen de la Faculté de Droit

et des Sciences économiques de Bordeaux

ROBERT DUCOS-ADER Professeur à la Faculté de Droit

et des Sciences économiques de Bordeaux

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PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, PARIS

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Dépôt légal. — 1 édition : 1 trimestre 1969 Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays © 1969, Presses Universitaires de France

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INTRODUCTION

Le cours de « Grands services publics et entreprises natio- nales » ne saurait être séparé des enseignements antérieurs, qu'il s'agisse, pour la Licence en Droit, de l'enseignement annuel de deuxième année et de l'enseignement semestriel de troisième année et, pour la Licence de Sciences économiques, de l'enseignement « d'Institutions administratives » de deuxième année.

S'adressant essentiellement aux juristes intéressés par les disciplines du Droit public et des Sciences politiques, il est le parachèvement de leurs études.

On ne peut le considérer comme une matière autonome et les développements qu'il entraîne supposent acquises les connaissances élémentaires des principaux chapitres du Droit administratif dans le domaine des structures des personnes administratives, des règles régissant l'organisation et les pou- voirs des diverses autorités de l'administration, du statut des agents publics, des biens publics, des moyens d'action de l'administration, ainsi que du contentieux administratif.

Cependant, la composition du programme de ce cours est telle qu'il s'agit moins d'un dernier chapitre s'ajoutant aux précédents que d'une description nouvelle de l'activité admi- nistrative d'un point de vue différent et selon une méthode qui — pour n'être pas dénuée de précédents — n'en bénéficie pas moins des progrès de ce qu'on est aujourd'hui convenu d'appeler la science administrative. C'est justement en raison de son originalité que ce cours indispensable aux « publicistes » peut utilement compléter la formation des juristes de droit privé et des économistes.

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Le programme fait, en effet, apparaître deux orientations diverses et complémentaires.

Son premier objectif est de présenter la vie administrative sous la forme la plus proche possible de la réalité.

A cet égard, les rédacteurs de ce programme ont tout d'abord prévu l'étude d'une « théorie générale du service public » et des « modes de gestion des services publics ».

Il s'agit alors d'une sorte de révision synthétique des insti- tutions et des techniques précédemment analysées, en prenant pour fil conducteur l'existence d'une notion qui traduit le mieux la pénétration des interventions administratives dans la vie quotidienne des administrés. L'étude de cette notion de « service public » a paru présenter un double avantage.

En effet, d'une part, elle est intégrée à l'existence même du Droit administratif et de son contentieux. Aucune transition ne pouvait être meilleure entre les études

systématiques des enseignements précédents et la présentation monographique des services et des entreprises qui constituent le secteur public ou semi-public de la vie juridique.

Par le rôle que cette notion de « service public » a joué, par les vicissitudes mêmes qu'elle a subies, elle traduit à mer- veille l'évolution même de l'action administrative qui ne peut mieux être comprise qu'en prenant conscience de cette transla- tion du point de vue organique au point de vue matériel qui marque son histoire, au centre même de la théorie générale du Droit administratif.

D'autre part, en dehors de l'utilité qu'elle a acquise lors de la naissance du Droit administratif moderne, une semblable notion a l'avantage de couronner l'enseignement du « Droit administratif général » et d'introduire l'étude du « Droit administratif spécial ».

C'est cette partie du programme qui exprime l'originalité du cours de « Grands services publics et entreprises nationales », en fournissant l'occasion de connaître l'application des règles du Droit administratif aussi bien dans ses aspects dits classiques que dans son nouveau domaine d'intervention.

La description du régime juridique des grandes administra- tions (Enseignement, Défense nationale, Aide sociale, Santé

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publique, etc.) permet à l'étudiant de saisir sur le vif la mise en jeu des rouages dont chaque pièce a été inventoriée dans les cours précédents.

Il est apparu nécessaire dans cet ouvrage de compléter quelque peu les services administratifs, cités par l'annexe à l'arrêté ministériel du 3 août 1962, sans pour autant prétendre épuiser la liste des services publics et compte tenu de ce que certains sont traditionnellement décrits dans les disciplines du droit privé (tel est le cas pour les services dépendant du ministère de la Justice), cependant que d'autres se rattachent à l'étude de règles du Droit constitutionnel (l'organisation des Pouvoirs publics, par exemple), du Droit financier (les services du ministère des Finances) ou du Droit international (les ser- vices du ministère des Affaires étrangères).

De même, doit-il être tenu compte de ce que certaines activités donnent lieu à des développements dans d'autres matières, telles que « les Libertés publiques », « le Droit commer- cial », « l'Economie politique » ou « la Sécurité sociale ».

A vrai dire, il ne s'agit pas d'une nouveauté, puisque les manuels relativement anciens du Droit administratif (de Ber- thelemy, d'Hauriou et même de Louis Rolland) faisaient une place plus ou moins grande à la description des services publics.

Cependant, le programme actuel présente, par rapport aux enseignements du passé, deux innovations, l'une rendue nécessaire par l'extension des activités publiques, l'autre rendue possible par les progrès de la méthode scientifique.

C'est ainsi que méritent des développements particuliers : « les services publics d'orientation de l'économie et la plani- fication » et « le régime juridique des transports et communi- cations et de l'énergie », cependant que l'étude des modes de gestion des services publics conduirait à décrire les structures et le fonctionnement des divers types d'entreprises publiques.

D'autre part, une pareille étude ne saurait être complète et exacte si elle ne mettait à profit les progrès que les Sciences sociales ont apportés aux diverses disciplines du Droit. On sait, en effet, qu'à côté de certaines matières du Droit,s'est développée une science annexe : la Science politique à côté du Droit cons- titutionnel, la Criminologie à côté du Droit pénal.

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De la même façon est née et se développe la Science admi- nistrative à côté du Droit administratif. Cette partie du pro- gramme du cours de « Grands services publics et entreprises nationales » ne saurait plus être considérée aujourd'hui dans une optique purement juridique et abstraction faite des données de la Science administrative.

Telles sont les idées dominantes qui marquent cet enseigne- ment et lui confèrent sa personnalité, au terme des études de licence.

Il sera donc divisé en deux grandes parties : Première partie : Théorie générale des services publics et des entreprises publi- ques (Compléments de Droit administratif général) ; Deuxième partie : Etudes monographiques des services publics et d'entre- prises publiques (Eléments de Droit administratif spécial).

Ces deux parties composeront chacune un tome de l'ouvrage.

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PREMIÈRE PARTIE

THÉORIE GÉNÉRALE DES SERVICES PUBLICS

ET DES ENTREPRISES PUBLIQUES

Les deux notions de « service public » et « d'entreprise publique » expriment deux aspects systématiques et pourtant bien différents du droit administratif contemporain.

La première constitue une tentative de réduction systé- matique et exhaustive des tâches originales dévolues aux per- sonnes publiques. Elle est née d'une volonté de coordination et de construction des activités publiques soumises à un régime spécifique. C'est dans un souci d'explication moniste de ces activités qu'elle trouve sa justification en même temps qu'elle se fonde sur une observation sociologique et une conception libérale des rapports entre l'Etat et les individus.

La seconde a pour point de départ la même préoccupation de classification. Mais alors que le service public est né de l'interprétation jurisprudentielle et de la prise de conscience d'un régime juridique uniforme apparaissant à travers les problèmes contentieux, la notion d'entreprise publique se dégage difficilement d'une prolifération de statuts légaux et réglementaires d'apparence variée.

Alors que la notion de service public visait essentiellement

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l'activité administrative des personnes publiques, la notion d'entreprise publique avait pour point de départ les lois sur les nationalisations.

Mais, de même que la notion de service public a été troublée dès que l'intervention économique et sociale de l'Etat s'est développée, de même la notion d'entreprise publique a-t-elle été compromise dès l'origine par la coexistence de structures aussi différentes que celles de l'établissement public industriel et commercial, de la société nationale et de la société d'écono- mie mixte.

Pour être en quelque sorte congénitale, la crise de la notion d'entreprise publique doit utiliser les leçons de la crise de la notion de service public et mesurer ses ambitions à ses possi- bilités, mieux que ne l'ont fait les théoriciens de l'école de Bordeaux.

Avant tout, il sera nécessaire de marquer les rapports de l'une et de l'autre et de situer l'entreprise publique par rapport au service public. C'est ce qui résultera de l'analyse même de ces deux notions.

Après quoi, il conviendra d'étudier les différents modes de gestion des services publics.

Enfin, on procédera à la description du régime juridique des entreprises publiques.

D'où : Titre I. — Les notions de service public et d'entre- prise publique dans le droit et dans la théorie générale de l'Etat ; Titre II. — Les modes de gestion des services publics ; Titre III. — Le régime juridique des entreprises publiques.

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TITRE PREMIER

LES NOTIONS DE SERVICE PUBLIC ET D'ENTREPRISE PUBLIQUE

Avant d'examiner le régime juridique des services publics et des entreprises publiques, objet essentiel de la partie géné- rale du programme du cours de grands services publics, il est évidemment nécessaire de définir les deux notions en cause. Il s'agit là, du reste, d'un problème difficile, dont l'étude néces- site des développements d'une certaine importance.

C'est ainsi, qu'à propos de la notion de service public, il conviendra d'étudier l'évolution des conceptions (chap. I) avant d'exposer les conceptions actuelles (chap. II). On s'atta- chera enfin à l'examen des conséquences attachées à la notion de service public (chap. III), et enfin à l'état de la notion d'entreprise publique (chap. IV).

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CHAPITRE PREMIER

L'ÉVOLUTION DES CONCEPTIONS SUR LE SERVICE PUBLIC

L'expression « service public » est loin d'être une invention de l'époque moderne. La doctrine et la jurisprudence de la première moitié du XIX siècle l'employaient fréquemment. Cependant, c'est seulement à la fin du XIX siècle et au début du XX qu'elle a cessé de constituer une simple formule au contenu très vague pour correspondre à une véritable concep- tion générale.

Cette conception du service public, telle qu'elle est apparue dans sa forme primitive, ne peut être comprise que si on la compare aux notions généralement admises au moment où elle est apparue.

A cette époque, le fondement du droit administratif sem- blait résider essentiellement dans l'idée de puissance publique.

Le pouvoir politique, incarné dans l'Etat, apparaissait comme détenteur par nature de prérogatives régaliennes, qu'il appartenait notamment à l'administration de mettre en cause. L'activité administrative, correspondant à cet aspect de puissance, d'autorité, était donc soumise à un régime de droit public exorbitant du droit commun.

Cependant, cette activité n'occupait qu'une place assez limitée et, en ce sens, ce fondement commandait des limites importantes. Le plus souvent, en effet, l'administration n'avait pas à mettre en cause la puissance de l'Etat ; ses actes s'éta- blissaient dans les mêmes conditions que ceux des particuliers et à ce titre pouvaient relever du droit privé.

Ces solutions avaient été systématisées sous le Second

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Empire, avec l'opposition des actes « d'autorité » ou de « puis- sance publique » ou de « commandement » (régime de droit public, compétence du juge administratif) et des actes de gestion (régime de droit privé, compétence du juge judiciaire).

Au contraire, les doctrines et les solutions basées sur la conception générale du service public vont aboutir à des points de vue complètement différents de ceux qui viennent d'être exposés.

1° Le fondement du droit administratif ne sera plus recherché dans la puissance publique, mais dans l'utilité publique. La doctrine estime avec Duguit que : « l'idée de puissance publique évoque l'âge métaphysique du droit où l'on semblait croire que l'Etat possède une volonté par essence supérieure à celle des individus ».

L'Etat n'apparaît plus comme un phénomène de force : il incarne le lien qui unit les hommes en société, c'est-à-dire la solidarité sociale. Son rôle est donc d'exprimer et d'intensifier cette solidarité. Sa fonction et sa justification consistent non à dominer les hommes, mais à susciter les moyens destinés à favo- riser leur interdépendance. Le service public, destiné à fournir des prestations sociales, à rendre des services au public, devient l'activité essentielle de l'administration.

2° L'opposition, qui s'établit ainsi sur le terrain du fonde- ment philosophique, n'est pas moins nette sur le terrain du régime juridique.

Dans la conception de la puissance publique, une large part de l'activité administrative étrangère à l'idée de puissance paraissait pouvoir être soumise au droit privé.

Au contraire, dans la conception nouvelle, le service public recouvre la majeure partie, sinon la totalité, de l'activité administrative et à l'époque étudiée ici, doctrine et jurispru- dence vont estimer que le service public appelle, en principe général, un régime juridique de droit public correspondant à sa finalité d'intérêt général.

Dès lors, et en fonction des exigences du service public, le droit public, jusqu'alors cantonné dans les activités de « puissance », va s'étendre à la quasi-totalité de l'activité administrative.

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SECTION I. — Les premières conceptions du service public

1) La jurisprudence Comme il a été déjà indiqué, la jurisprudence du XIX siècle

a employé de bonne heure l'expression « service public ». Cepen- dant, ce n'est qu'à une certaine époque qu'elle a fait du service public une notion juridique en y attachant des conséquences juridiques précises, savoir l'application d'un certain régime. Du reste, pendant cette même période, la jurisprudence n'a pas dégagé de manière très nette le critère permettant de reconnaître le service public.

Le point de départ de cette jurisprudence doit être recher- ché (abstraction faite de quelques décisions annonciatrices) dans le célèbre arrêt Blanco, rendu par le tribunal des conflits le 8 février 1873.

L'espèce soumise au tribunal était la suivante : La jeune Agnès Blanco, qui travaillait à la Manufacture de Tabacs de

Bordeaux, avait été blessée par un wagonnet appartenant à cette Manufac- ture de l'Etat. Son père avait introduit une action en indemnité devant le tribunal civil de Bordeaux sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à savoir contre les ouvriers responsables de l'accident et l'Etat civilement responsable de ceux-ci.

La cour de Bordeaux ayant rejeté, le 17 juillet 1872, le déclinatoire de compétence qui lui avait été présenté, un arrêté de conflit intervint.

Le Tribunal des conflits allait valider l'arrêté de conflit par deux consi- dérants essentiels : « Considérant que la responsabilité qui peut incomber à l'Etat pour

les dommages aux particuliers par le fait des personnes qu'il emploie dans le service public ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil pour les rapports de particulier à particulier ;

« Que cette responsabilité n'est ni générale, ni absolue ; qu'elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l'Etat avec les droits privés.»

Dans ses conclusions (D., 1873.III. 1 ; S., 1873. II .153), le commissaire du gouvernement, David, tout en continuant à employer les notions tradi- tionnelles (Etat personne publique et Etat personne civile), dégagea cepen- dant assez clairement la théorie de service public, en montrant à propos de la responsabilité que le service public activité administrative d'intérêt général, appelait un régime juridique spécifique et ne pouvait être soumis aux règles du Code civil.

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L'arrêt Blanco comportait, en ce qui concerne le problème évoqué ici, une signification essentielle : la jurisprudence admet- tait la spécificité de la notion de service public en affirmant la spécificité du régime (de droit public) applicable à ce service.

A la fin du XIX siècle et au début du XX siècle, la juris- prudence devait prolonger cette tendance en décidant de plus en plus largement l'application des règles de droit public aux services publics.

Deux séries d'étapes sont à noter en particulier dans cette évolution. A) Application du droit public (et de la compétence administrative) à

l'activité des personnes publiques autres que l'Etat. — On a considéré long- temps que ces personnes (département, commune, établissement public) étaient, sauf textes contraires, soumises au droit privé. Cette solution va être peu à peu abandonnée. La jurisprudence va admettre l'application d'un régime de droit public (et la compétence de la juridiction administrative) à propos des relations entre les collectivités locales et leurs agents (C.E., 13 décembre 1889, Cadot, S., 1892.III .17, note Hauriou), ou encore à propos de la responsabilité extra-contractuelle des personnes publiques (T.C., 29 février 1908, Feutry, R. 208, concl. Teissier, S., 1908.III.97, note Hauriou), ainsi qu'en diverses autres matières.

B) Application du droit public (et de la compétence administrative) aux contrats de l'administration. — Au XIX siècle, la jurisprudence considérait que les contrats de l'administration constituaient des contrats civils relevant de la juridiction judiciaire. Il n'en allait autrement que si un texte donnait compétence à la juridiction administrative.

Au contraire, au début du XX siècle, la jurisprudence va décider qu'en dehors de tout texte, un contrat conclu par l'administration pour assurer l'exécution d'un service public constitue un contrat administratif relevant de la juridiction administrative (C.E., 4 mars 1910, Therond, R. 193, D., 1912.III.57, concl. Pichat ; S., 1911.III. 17, note Hauriou).

2) La doctrine A la fin du XX siècle et surtout dans les premières années

du XX la doctrine va s'attacher à formuler et à développer la théorie du service public.

A cette théorie s'attachent les noms des maîtres de l'école de Bordeaux (Duguit, Jèze). Il est juste d'ajouter cependant que d'autres auteurs, de tendances différentes, ont participé à cette construction. Tel a été notamment le cas d'Hauriou qui, malgré son attachement à la théorie de la puissance publique, n'en a pas moins été un des premiers à dégager la notion de service public et à signaler son importance (v. Rivero, Hauriou et la notion de service public, Mélanges Mestre, p. 461).

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Le rôle essentiel en ce domaine a été joué par Duguit (L'Etat, le droit objectif, la loi positive 1901, Les transforma- tions du droit public, 1913). Philosophe et sociologue autant que juriste, Duguit s'est attaché à dégager le sens de la trans- formation de l'Etat. Dans l'Etat moderne, les gouvernants n'incarnent plus une hypothétique « souveraineté » : ils sont seulement les « gérants d'affaire de la collectivité », et doivent donner à toute forme d'interdépendance sociale l'organisation et les moyens permettant sa réalisation et son achèvement. L'Etat n'apparaît alors que comme un ensemble de services publics.

L'étude juridique du service public apparaît moins chez Duguit que chez Jèze qui prétend lier à cette notion « pierre angulaire du droit administratif » les principales constructions de ce droit. Ces deux auteurs sont en tout cas d'accord pour formuler une véritable doctrine du service public, qui peut se résumer en deux propositions :

— Toute activité administrative constitue en principe un service public.

— Le service public est soumis à un régime de droit public, son contentieux relève de la juridiction administrative.

Cependant, quelle était à cette époque en doctrine la défi- nition, le critère du service public ?

Il est assez curieux de relever l'imprécision de cette notion dans la doctrine au début du XX siècle. En 1916, le commis- saire du gouvernement, Corneille (concl. C.E., 7 avril 1916, Astruc, S., 1916 .III .41), avouait qu'elle ne comportait pas de « critérium fixe ». Sans doute, les définitions doctrinales étaient nombreuses ; mais elles étaient divergentes et souvent peu précises.

Notamment, ces définitions traduisaient l'ambiguïté de la notion de service public qui comporte un sens matériel (acti- vité) et un sens organique (institution).

Les définitions proposées s'attachaient à l'un ou à l'autre de ces sens. Moreau (Manuel de droit administratif, 1909, n. 57) voyait par exemple

dans le service public « l'ensemble des moyens personnels et matériels par lesquels une personne administrative accomplit sa tâche ». Au contraire, Duguit, attaché aux conceptions matérielles, en faisait

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une « activité dont l'accomplissement doit être assuré, réglé et contrôlé par les gouvernants, parce que l'accomplissement de cette activité est indis- pensable à la réalisation et au développement de l'interdépendance sociale» (Traité, 2e éd., II, p. 55).

La doctrine n'était sans doute pas sensible à cette ambiguïté. Elle consi- dérait que les deux sens du service public coïncidaient, que le service public en tant qu'institution correspondait au service public en tant qu'activité.

Ainsi, au début du XX siècle, la conception du service public communément admise se présentait de la manière suivante : — on considérait que le service public correspondait aux diffé-

rentes structures (ou aux différentes activités) des per- sonnes publiques ; l'administration se décomposait ainsi en services publics ;

— on estimait que le service public appelait un régime juri- dique de droit public (entraînant la compétence de la juridiction administrative), ce qui l'opposait, d'une part aux activités privées, d'autre part aux rares activités de l'admi- nistration qui ne constituaient pas des services publics.

SECTION II. — La mise en cause des conceptions primitives La « crise du service public »

La conception générale du service public exposée ci-dessus et qui représentait, à la veille de la première guerre mondiale, l'essentiel des vues de la doctrine et de la jurisprudence, n'a pas tardé à être mise en cause. Les principes en lesquels se résumait cette conception ont été, en effet, contredits par une double direction de la jurisprudence.

1° D'abord, alors que l'on considérait que le service public appelait un régime juridique de droit public, la jurisprudence a admis de plus en plus largement l'application du droit privé aux services publics, allant jusqu'à décider que certaines caté- gories de services publics étaient soumises, en principe, aux règles du droit privé.

2° Ensuite, alors que le service public était considéré comme correspondant exclusivement aux personnes publiques (soit à leurs structures, soit à leurs activités), la jurisprudence

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allait admettre qu'un service public pouvait être géré par une personne privée.

Ainsi, s'est manifestée la « crise du service public », dont il est nécessaire d'étudier les principaux éléments.

Voir sur cette question : de Corail, La crise de la notion juridique du service public en droit administratif français, 1954 ; Auby, Remarques sur quelques difficultés du droit administratif français, Annales de la Faculté de Droit de Bordeaux, 1951, n 1-2, p. 2 ; L'Huillier, A propos de la crise de la notion du service public, D., 1955.C.22.

§ 1. LE DÉVELOPPEMENT DE LA PLACE DU DROIT PRIVÉ DANS LE RÉGIME JURIDIQUE DES SERVICES PUBLICS

Ce phénomène, dont il suffit d'indiquer les éléments essen- tiels, a comporté deux aspects principaux :

1° La jurisprudence a d'abord admis que, pour l'exécution d'un service public, l'administration pouvait faire appel, sans autorisation particulière d'un texte, à un procédé juridique de droit privé. Elle a ainsi démenti un des points de vue de la « doctrine du service public », selon laquelle le régime juridique du service public était uniquement fait du droit public.

V. C.E., 24 mars 1905, commune de Saint-Géréon, R. 297, T.C., 4 juin 1910, Compagnie d'Assurances Le Soleil, D., 1912.III.89; C.E., 31 juillet 1912, Société des Granits porphyroïdes des Vosges, R. 909, D., 1916.3.35, concl. Blum. Ce dernier arrêt, particulièrement important, décide qu'une ville peut passer un contrat de droit privé pour se procurer les matériaux nécessaires à l'entretien de la voirie.

2° Un peu plus tard, la jurisprudence est allée beaucoup plus loin. Elle a décidé que certains services publics étaient soumis dans leur ensemble et sauf exception à un régime juridique de droit privé. Ainsi est apparue la catégorie des services publics à gestion privée opposés aux services publics à gestion publique pour lesquels le régime de principe demeure de droit public.

Les services publics à gestion privée seront étudiés plus loin (v. infra, chap. III). On verra qu'il en existe actuellement plusieurs catégories : — Services publics industriels ou commerciaux ;

— Services publics sociaux concernant des rapports de droit privé ; — Services publics sociaux semblables à des organisations privées similaires ; — Gestion du domaine privé.

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Cette jurisprudence a été inaugurée par la décision du Tribunal des conflits du 22 janvier 1921, Société commerciale de l'Ouest africain, R. 91, S., 1924.III.34), qui a appliqué, pour la première fois, la théorie du service public, industriel ou commercial.

Du fait de cette évolution, le service public a cessé de pou- voir être caractérisé par l'application exclusive et même prédo- minante d'un régime de droit public.

§ 2. LE DÉVELOPPEMENT DE LA GESTION DES SERVICES PUBLICS PAR DES PERSONNES PRIVÉES

La gestion d'un service public par un organisme privé connaît une application ancienne avec la concession du service public. Cependant, la doctrine traditionnelle, qui liait la notion de service public à la personne publique, considérait cette hypothèse comme exceptionnelle.

Cette situation est devenue, par la suite, de plus en plus fréquente. Actuellement, si la gestion du service public par une personne publique constitue toujours le principe, il existe de nombreux cas dans lesquels l'exécution du service est confiée à une personne privée.

1° Il peut arriver que l'administration confie à une personne privée le soin de gérer un service public. Il y a alors mission de service public confiée à un organisme privé.

a) Cette mission peut résulter d'abord de la LOI. Le légis- lateur charge parfois un organisme privé de l'exécution d'une tâche d'intérêt général que la jurisprudence considère comme un service public (v. infra, chap. II).

Cette solution avait été adoptée avant 1939, à propos du service public des assurances sociales géré par des caisses primaires constituant des organismes privés (C.E., 13 mai 1938, Caisse primaire Aide et Protection, D., 1939. III. 65, note Pepy, concl. Latournerie : la solution est toujours valable aujour- d'hui). Elle a été reprise ensuite pendant la guerre à propos de certains services professionnels (ainsi, les organismes corporatifs agricoles créés par la loi du 2 décembre 1940 et chargés « d'assu- rer la gestion d'un service public relatif à l'organisation et au

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contrôle de la profession » : C.E., 28 juin 1946, Morand, S., 1947.III. 19, note P. H.).

A l'heure actuelle, on relève de nombreux exemples d'orga- nismes privés chargés par la loi de gérer un service public.

Il en va ainsi, notamment, dans les cas suivants : — Groupements de défense contre les ennemis des cultures (13 jan-

vier 1961, Magnier, R. 33, A.J.D.A., 1961.11.142, concl. Fournier). — Centres techniques industriels (28 juin 1963, Narcy, A.J.D.A.,

1964.91). — Centres régionaux de lutte contre le cancer (T.C., 20 novembre 1961,

centre régional Eugène Marquis, R. 879, J.C.P., 1962. II. .12572, note Auby ; R.D.P., 1962.964, note Waline ; D., 1962.389, note Laubadère). — Fédération départementale de Chasseurs (4 avril 1962, Chevassier,

R. 244, D., 1962.327, concl. Braibant). — Fédération syndicale patronale chargée par l'administration de la

répartition d'un contingent (6 octobre 1961), Fédération nationale des Huile- ries métropolitaines, R. 544). — Association nationale de la Meunerie (C.E., 30 mars 1962, Association nationale de la Meunerie, D., 1962.630, concl. Michel Bernard).

b) La mission de service public peut résulter d'un ACTE ADMINISTRATIF. Il en va ainsi plus rarement : on cite, par exemple, le service public de la Comédie-Française confié par le décret de Moscou, du 15 octobre 1812, à la Société des Comédiens français (v. Trib. civ. Seine, 8 octobre 1952, Gaz. Trib., 1952. II. 542).

c) Enfin, la mission de service public peut être confiée par l'administration à un organisme privé au moyen d'un CONTRAT. Il en va ainsi dans la concession de service public, dans la convention d'affermage de service public ou dans les contrats innomés comportant le même objet.

On sait que de tels contrats ont, par leur objet même, le caractère de contrats administratifs (C.E., 20 avril 1956, époux Bertin, D., 1956.433, note Laubadère).

2° Certaines activités de personnes privées peuvent être considérées comme constituant en elles-mêmes et en l'absence de toute mission conférée par l'administration des services publics. Il s'agit de ce que l'on a appelé parfois les services publics virtuels.

La jurisprudence a adopté cette solution, du reste très critiquée par la doctrine, à propos de certaines activités s'exerçant sur le domaine public,

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sur la base d'un titre domanial, permission ou concession de voirie. On admet traditionnellement que cette situation peut donner prise à un certain contrôle de l'administration ; mais ce contrôle, en l'absence d'un

texte, ne peut aller très loin et ne peut faire disparaître la liberté commerciale de l'entreprise. Or, le Conseil d'Etat a porté atteinte à ce principe : il a décidé que cer- taines activités, s'exerçant sur le domaine public et présentant un caractère suffisant d'intérêt général, pouvaient être considérées comme des services publics : d'où l'administration dispose à leur égard de droits plus étendus qu'à l'encontre des autres entreprises privées : elle peut notamment : — Soumettre ces activités à des « obligations de service public »; elle peut leur imposer certaines règles de fonctionnement continu et égal, fixer les tarifs, etc. ; c'est ce qu'a admis la jurisprudence pour les bénéficiaires des autorisations d'outillage dans les ports à propos des opérations de charge- ment, déchargement, manutentions, etc. (23 juin 1939, Chambre syndicale des Entrepreneurs arrimeurs, R. 429 ; 5 mai 1944, Compagnie maritime de l'Afrique orientale, R. 129, S., 1945.III. 15, concl. Chenot ; 11 février 1959, Compagnie Maritime de l'Afrique orientale, R. 105). — Modifier les conditions de fonctionnement de cette activité. Le Conseil d'Etat a décidé que les entrepreneurs qui exercent cette activité ne peuvent invoquer de droits acquis et doivent subir les modifications que leur impose l'administration dans l'intérêt général. Ainsi, une entreprise routière peut se voir réduire le nombre de services qu'elle peut exploiter (6 février 1948, Compagnie carcassonnaise de Transports en commun, R. 69, R.D.P., 1948.244, concl. Chenot, note Jèze). — Retirer les autorisations en cas d'inexécution du service. Ainsi, un poste privé de radiodiffusion, ayant cessé d'utiliser les longueurs d'ondes qui lui étaient affectées, peut se voir retirer de ce fait l'autorisation, l'exploi- tation constituant un service public (6 février 1948, Société Radio-Atlan- tique, R. 65, R.D.P., 1948.244, concl. Chenot, note Jèze). La difficulté principale de cette jurisprudence tient au fait que le critère de ces services publics est bien difficile à dégager.

La doctrine (v. Waline, 6e éd., p. 313) estime qu'il y a là une application fâcheuse de ce que l'on a appelé l'existentialisme juridique.

Ces différentes solutions ont rendu impossible l'assimilation réalisée par la doctrine ancienne entre le sens matériel et le sens organique du service public. Dans le cas du service public géré par la personne privée, il ne peut y avoir service public qu'au sens matériel.

Ainsi, les conceptions classiques se sont trouvées remises en cause. La jurisprudence et la doctrine ont été ainsi conduites à dégager une nouvelle conception du service public.

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CHAPITRE II

LA NOTION ACTUELLE DE SERVICE PUBLIC

Prédominance du sens matériel de la notion de service public

On a déjà signalé l'amphibologie de l'expression service public qui peut être prise aussi bien au sens organique (insti- tution, organisme administratif), qu'au sens matériel (activité). Le sens organique a été probablement le premier utilisé : c'est en ce sens que le commissaire du gouvernement David employait l'expression dans ses conclusions sur l'affaire Blanco. Par la suite, la doctrine mit également l'accent sur le sens matériel que certains auteurs (Duguit) proposèrent d'utiliser de manière exclusive ou tout au moins prédominante.

Actuellement, la double signification se retrouve toujours dans le langage courant et même dans certains arrêts. Cepen- dant, il est préférable de s'en tenir au sens matériel et de voir dans le service public une activité. En effet, le service public, comme on l'a vu, apparaît non seulement dans l'activité des personnes publiques, mais également dans celle des personnes privées ; dans ce deuxième cas, il ne peut être pris que dans un sens matériel, alors que pour les personnes publiques il est utilisable dans les deux sens. Dès lors, si l'on veut rendre comparables la notion de service public appliquée aux personnes publiques et celle appliquée aux personnes privées, il faut bien adopter une perspective commune aux deux cas, c'est-à-dire un sens matériel.

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Cette raison permet de dépasser l'objection formulée par certains auteurs qui critiquent le sens matériel du service public en lui reprochant son impré- cision (Morange, Le déclin de la notion juridique de service public, D., 1947.C.45; Liet-Veaux, La théorie du service public, crise ou mythe, R. adm., 1961.256 ; Liet-Veaux, Dans quelle mesure la présence d'une opération de service public peut-elle qualifier globalement une série d'actes ?, R. adm., 1961.513).

On remarquera, du reste, que la jurisprudence emploie de plus en plus l'expression« mission de service public» qui suppose, sans confusion possible, le sens matériel (v. Leclercq, La mission de service public, D., 1966.C.9).

La notion de service public qu'il convient d'examiner maintenant doit être recherchée, d'une part, dans l'activité des personnes publiques ; d'autre part, dans l'activité des personnes privées.

SECTION I. — Le service public dans l'activité des personnes publiques

On peut considérer qu'en principe les activités des personnes publiques constituent des services publics, qu'il y a une présomp- tion en faveur du caractère du service public (v. en ce sens Laubadère, Revalorisations récentes de la notion de service public en droit administratif français, A.J.D.A., 1961.1.591). Cependant, il n'en va pas ainsi de toutes les activités des personnes publiques : il faut donc rechercher quels éléments de ces activités permettent de les qualifier ou non de services publics.

1° Le but de l'activité Selon une conception qui fait l'objet d'un accord à peu près

général, le service public se caractérise par son but d'intérêt général. Il en va ainsi de tous les services publics ; le service industriel ou commercial, même s'il correspond à certaines fins de rentabilité, doit nécessairement comporter une finalité d'intérêt général.

La conception selon laquelle le service public se caractérise par son carac- tère d'intérêt général est celle de la plupart des auteurs ; les commissaires du gouvernement s'y réfèrent fréquemment (p. ex. concl. Guldner s. C.E., 31 mai 1957, Girard,D., 1957.430; concl. Laurent s. C.E., 16 novembre 1956,

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Union syndicale des Industriels aéronautiques, D., 1956.759); elle figure dans d'innombrables arrêts qui emploient parfois l'expression activité d'intérêt général (p. ex. C.E., 25 mai 1925, Décatoire, R. 535, Paris, 4 mars 1958, D., 1958, Som. 113), ou font allusion à un but déterminé cor- respondant à l'intérêt général (v. pour la préparation militaire instituée dans un« but de défense nationale», T.A., Oran, 19 novembre 1956, Berto- lila, A.J.D.A., 1957.II.124; ; pour les colonies de vacances établies par des administrations dans un but d'intérêt social : T.C., 22 janvier 1955, Naliato, R. 614).

Il en résulte que les activités des personnes publiques, qui ne comportent pas une finalité d'intérêt général, ne constituent pas des services publics.

Il en va du reste assez rarement ainsi, car l'administration agit normale- ment dans l'intérêt général.

La jurisprudence offre comme exemple les courses de chevaux organisées par une commune (C.E., 30 octobre 1953, Bossuyt, R. 466, R.D.P., 1954.178, note Waline), ou le transport par un véhicule communal des membres d'une association sportive (T. Adm. Lille, 11 mai 1955, D., 1956.462). Elle donnait jadis la même solution pour les théâtres appartenant à une personne publique (jusqu'à l'arrêt du C.E., 27 juillet 1923, Gheusi, R.D.P., 1923.560, concl. Mazerat).

La doctrine cite encore l'activité des associations syndicales de proprié- taires ou encore celle des entreprises industrielles ou commerciales apparte- nant à l'administration et qui, faute de destination d'intérêt général, n'appar- tiennent pas à la catégorie des entreprises publiques.

De nombreux auteurs y font rentrer encore la gestion du domaine privé qu'ils prétendent dépourvue de finalité d'intérêt général. Cette conception paraît contestable (v. infra et Auby, Contribution à l'étude du domaine privé de l'administration, E.D.C.E., 1958, p. 35) ; cette gestion peut être considérée comme un service public.

2° L'objet de l'activité Faut-il considérer, pour qualifier un activité comme ser-

vice public, l'objet de cette activité ? Cette thèse a parfois été soutenue. C'est ainsi que, selon une certaine conception, ne seraient

services publics que les activités inhérentes aux fonctions de la puissance publique à l'exclusion des activités pouvant être exercées par des particuliers. Il est à peine besoin d'indiquer que l'extension des interventions de la puissance publique, et notamment l'apparition des services publics industriels ou commerciaux, ont rendu insoutenable cette thèse.

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Cette conception, exposée par certains auteurs (Hauriou qui s'y est référé dans une note au S., 1893.III. 17 s. C.E., 20 février 1891, Chemins de Fer du Midi, Matter, concl. s. T.C., 22 janvier 1921, Compagnie commerciale de l'Ouest africain, S., 1924.III.34), a joué un certain rôle dans la jurispru- dence judiciaire (v. Cadart, Les tribunaux judiciaires et la notion de service public : la notion judiciaire de service public, 1954, p. 20, Cass. civ., 10 dé- cembre 1929 ; D.H., 1930.82). La jurisprudence administrative ne s'y est référée que d'une manière exceptionnelle (v. note Gonidec, S., 1954.III.41).

L'idée a parfois été émise également que le service public se caractérisait par son objet, consistant à fournir des presta- tions au public, et qu'il s'opposait ainsi aux activités de police agissant par voie de prescriptions et non de prestations. Cette opposition semble, à la vérité, assez factice. Le service public ne suppose pas nécessairement des prestations (service fiscal), ou tout au moins le terme prestations doit être pris au sens large (p. ex. cas des services de la défense nationale). La police doit être conçue comme un service public ou, si l'on préfère, comme un moyen d'action du service public.

Voir dans le sens de la théorie qui vient d'être évoquée : Bonnard, Précis, 4e éd.. p. 53 ; Berthelemy, La notion de service public, Mélanges Hauriou, 1929.817 ; Vedel, Les bases constitutionnelles du droit administratif, E.D.C.E., 1954.25. Voir pour la critique de ce point de vue : Waline, Droit adm., 8e éd., n. 1054 ; L'Huillier, D., 1955.C. 120.

3° Le régime juridique applicable à l'activité Il peut sembler surprenant de rechercher le critère du service

public dans le régime juridique de celui-ci : ce régime n'est-il pas la conséquence de la qualification plutôt que sa cause ? Il convient, cependant, d'observer que souvent, avant d'opérer la qualification juridique d'une activité, on dispose de quelques éléments concernant son régime juridique : il existe, par exemple, des textes applicables. La question se pose donc de savoir si ces éléments peuvent servir à dégager la nature de l'activité.

Selon une certaine conception exposée par Jèze, le service public se caractérise par l'application d'un régime juridique exorbitant du droit commun. Le service public se reconnaîtrait donc à l'intention des gouvernants d'appliquer un tel régime et notamment à l'existence, dans le régime, d'éléments exor- bitants du droit commun.

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Cependant, ce point de vue se heurte à une objection. Il existe, comme on le verra, des services publics (services à gestion privée) dont le régime juridique est de droit privé, les éléments exorbitants étant sinon absents du moins très limités. D'autre part, il est possible que des activités administratives sans caractère de service public soient soumises à des règles de droit public. La présence dans le régime juridique d'éléments exorbitants ne peut donc, en aucune manière, fournir un critère.

Pourtant, il est possible de trouver dans ces éléments des indices du caractère de service public d'une activité adminis- trative. Le juge pourra, par exemple, tenir compte en ce sens du fait que l'exécution du service s'opère au moyen de préro- gatives de puissance publique (C.E., 20 avril 1956, consorts Grimouard, R. 168), ou de ce que l'acte de création ou d'orga- nisation du service contient des dispositions dérogeant au droit privé (C.E., 26 mai 1933, Silly, R. 572). Ces indices permettent au juge de dégager l'intention de créer un service public, mais à la différence des critères, ils sont d'application relative et non absolue.

Sur cette utilisation des indices du service public, v. Laubadère, Revalo- risation récente de la notion de service public en droit administratif français, A.J.D.A., 1961.I.591 ; Latournerie, Sur un Lazare juridique. Bulletin de santé de la notion de service public : agonie, convalescence ou jeunesse, E.D.C.E., 1960, p. 61 s. (v. notamment p. 120).

En conclusion, le critère du service public dans l'activité des personnes publiques paraît devoir être cherché dans le but d'intérêt général de l'activité, la qualification pouvant s'appuyer également sur des indices tirés des règles exorbitantes applicables à l'activité.

L'intérêt de la qualification de service public est considérable. De nom- breuses notions du droit administratif comportent le service public comme élément de leur définition (contrat administratif, travail public, domaine public, etc.). De même, le fait qu'un litige porte sur un service public cons- titue la condition nécessaire de la compétence du juge administratif. V. notamment Laubadère, Revalorisations récentes, A.J.D.A., 1961.591; Blaevoet, Influence relative de la notion de service public sur le champ du droit administratif et de la compétence administrative, D., 1957.C.37.

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BIBLIOGRAPHIE L'ouvrage fondamental demeure celui de DE CORAIL, La crise de la notion

juridique du service public en droit administratif français, 1954 ; v. aussi LOP, Essai sur la notion de service public en droit administratif français, th., Grenoble, 1949, D.

Parmi les études plus récentes, v. notamment : L'HUILLIER, A propos de la crise de la notion de service public, D., 1955.C.22 ; Nouvelles réflexions sur le service public, D., 1957.C.91 ; RIVERO, Hauriou et l'avènement de la notion du service public, in L'évolution du droit public, 1956, p. 461 ; CHARLIER, Encycl. Dalloz, Droit adm., v° Service public ; LIETVEAUX, La théorie du service public : crise ou mythe, R. adm., 1961.256 ; LAUBADÈRE, Revalorisations récentes de la notion de service public en droit adminis- tratif français, A.J.D.A., 1961.I.591 ; LATOURNERIE, Sur un Lazare juri- dique : Bulletin de santé de la notion de service public : agonie, convales- cence ou jeunesse, E.D.C.E., 1960.61 ; NIZARD, A propos de la notion de service public : un juge qui veut gouverner, D., 1964.C. 147 ; LECLERCQ, La mission de service public, D., 1966.C.9.

On mettra à part deux analyses publiées récemment qui, toutes deux, s'efforcent de définir dans une construction systématique les emplois res- pectifs du critère de « puissance publique » et du critère de « service public ».

CHAPUS, Le service public et la puissance publique, R.D.P., 1968, 235 et AMSELEK, Réflexion autour d'une étude récente, A.J.D.A., 1968, 492.

SECTION II. — Le service public dans l'activité des personnes privées

L'activité d'une personne privée peut constituer un service public. Il n'en va ainsi, cependant, que d'une manière excep- tionnelle. Contrairement au cas des personnes publiques, on peut estimer qu'en principe, l'activité d'une personne privée ne constitue pas un service public.

Dans quels cas une telle activité est-elle, par exception, un service public ? Il en va ainsi dans deux séries de cas qui ont été déjà examinés (v. supra, chap. I).

D'abord, la jurisprudence décide que certaines activités privées s'exerçant sur le domaine public en vertu d'une auto- risation domaniale, ont, par elles-mêmes, le caractère de ser- vice public. Cette conception, dite des services publics virtuels, a été vivement critiquée et son application par la jurisprudence demeure limitée. La qualification de service public correspond,

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sans doute, au fait que ces activités présentent un caractère accusé d'intérêt général et qu'elles postulent un régime de service public assurant leur continuité et un traitement égal pour les usagers. C'est en vue d'aboutir à ce résultat (difficile à atteindre s'il s'était agi d'une simple activité privée) que le Conseil d'Etat y a vu des services publics (à qui l'administration peut imposer le respect des obligations fondamentales de conti- nuité et d'égalité).

En second lieu, il arrive qu'une personne publique charge une personne privée d'exercer une activité considérée comme un service public. Cette mission de service public peut trouver sa source dans un acte législatif ou réglementaire : le plus sou- vent, elle est la conséquence d'un contrat, concession de service public ou affermage.

Comment reconnaître dans cette hypothèse que l'on est en présence d'un service public ? Il semble que plusieurs éléments sont pris en considération.

1° Il faut un acte d'une personne publique chargeant une personne privée d'assurer une certaine activité lui conférant une « mission ».

Il n'y a pas service public si l'administration s'est bornée à une appro- bation (transport en temps d'inondation avec l'approbation du maire : C.E., 16 mai 1951, Vves Pintal et Crochard, D., 1951.511, note F. M.), ou a donné des facilités matérielles (transport d'enfants par une association privée à l'aide de bons de transport gratuits délivrés par la préfecture ; C.E., 22 mai 1954, dame Cuvelier, R. 688, concl. Landron).

Il faut encore que la personne privée ait « pris en charge » cette activité, qu'elle en assume la direction, l'exécution, le financement, la responsabilité.

Cette idée de « prise en charge » (Vedel) permet de distinguer le cas où la personne privée assure l'exécution du service public et celui où une personne privée apporte sa collaboration à l'exécution, par une personne publique, d'un service public (v. p. ex. C.E., 21 octobre 1949, La Mutuelle du Mans, D., 1950.162, note Waline).

2° L'activité en cause doit présenter un caractère d'intérêt général.

La jurisprudence entend assez largement cette condition. Elle considère, par exemple, que la concession d'exploitation d'un casino municipal cons-

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titue une concession de service public (C.E., 25 mars 1966, ville de Royan, R. 237).

3° Il faut enfin que la personne privée soit soumise, en raison de la mission qui lui est conférée, à un certain régime de droit public. Il en va ainsi, par exemple, si des prérogatives de puissance publique lui sont conférées, ou encore si elle se trouve placée sous un contrôle de l'administration.

Voir sur ce point à propos des Centres techniques industriels : C.E., 28 juin 1963, Narcy, R.D.P., 1963.1186, note Waline. Voir également à propos des Sociétés d'Aménagement foncier et d'Etablissement rural : Randier, Les S.A.F.E.R., Dr. social, 1964.1.

On notera enfin que la forme juridique, revêtue par l'orga- nisme qui gère le service, n'est pas à considérer.

Il y a, par exemple, service public dans le cas d'un patronage laïque créé par une commune sous forme d'association de la loi de 1901 (C.E., 17 avril 1964, commune d'Arcueil, D., 1965.45, concl. Long).

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CHAPITRE III

LES CONSÉQUENCES ATTACHÉES A LA NOTION DE SERVICE PUBLIC :

LE RÉGIME JURIDIQUE DES SERVICES PUBLICS

Les activités qui, selon la méthode déjà exposée, reçoivent la qualification de service public, sont soumises à certaines règles de droit, à un régime juridique. Il conviendra de se demander si, et dans quelle mesure, il existe un régime commun à tous les services publics, un « régime de service public ». On examinera ensuite les règles applicables aux deux grandes caté- gories de service public qui s'opposent quant à leur régime : les services publics à gestion publique et les services publics à gestion privée. Il faudra enfin étudier les conséquences atta- chées à la notion de service public appliquées à l'activité d'une personne privée.

SECTION I. — La question de l'existence de règles communes aux différents services publics

Le régime du service public § 1. GÉNÉRALITÉS

1° Le régime du service public, régime juridique applicable au service public, semble devoir être la conséquence de la qualité de service public reconnue à une activité. En réalité, cette idée,

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sans être fausse, se révèle, comme on le verra un peu plus loin, incomplète.

En quel sens peut-on parler d'un régime du service public ? A quel régime juridique correspond la qualification de service public ?

Il est bien évident qu'il n'existe pas un régime juridique commun à tous les services publics (comme l'avait prétendu l'École du service public, v. supra). Des différences profondes séparent à cet égard les services et, notamment, les services publics à gestion publique et les services publics à gestion privée obéissent à des règles non seulement dissemblables mais presque opposées.

Existe-t-il, cependant, entre les régimes applicables aux différents services un fonds commun, un dénominateur com- mun ? Il paraît difficile de ne pas l'admettre, et pourtant la détermination de ce régime commun du service public est des plus difficiles.

Selon une certaine conception, le régime du service public est un régime juridique exorbitant du droit commun, réduit à quelques règles, qui s'ap- pliquerait dans tous les services, complété par des règles variables. Il est, cependant, difficile de dégager le contenu de ce régime minimum. D'autres auteurs (Latournerie) voient dans le régime du service public un régime mixte, fait à doses variables, du droit public et du droit privé. Cette conception, qui peut paraître acceptable, n'aboutit cependant qu'à un résultat assez mince.

Effectivement, si l'on cherche à dégager des règles juridiques précises qui constitueraient l'élément commun de tous les services publics, on aboutit à un échec. Le service public apparaît peut-être comme la source virtuelle de diverses règles ; mais, selon les services, ces règles sont ou non adoptées.

On est donc conduit à estimer que le régime du service public se traduit simplement par l'existence de principes géné- raux, qui peuvent susciter pour chaque catégorie de services des règles juridiques sans en entraîner nécessairement l'appli- cation ni leur donner un caractère identique. Ces principes fondamentaux du service public, qui correspondent à la nature essentielle du service public, n'expriment donc que des virtua- lités de règles qui peuvent revêtir des aspects assez différents.

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Ces principes sont parfois dénommés lois de Rolland (du nom du juriste contemporain qui les a formulées).

Rolland distinguait trois lois du service public : — loi de continuité, — loi d'égalité, — loi d'adaptation.

On adoptera ici une présentation un peu différente en distinguant seu- lement les deux premiers principes et en y rattachant le troisième.

2° Avant d'étudier les principes du service public, il convient d'indiquer que le régime du service public n'est pas uniquement la conséquence de la qualité de service public.

Le régime du service public apparaît d'abord parfois comme la cause de la qualification de service public. En effet, le juge, pour rechercher si une activité constitue un service public, peut trouver des indices dans les règles applicables à ce service et notamment dans les textes qui les régissent (v. supra et Leclercq, La mission du service public, D., 1966.13). A cet égard, par conséquent, la démarche se trouve inversée : c'est la considération du régime qui sert à déterminer la qualité du service public.

La considération du régime n'est pas uniquement la cause déterminante de la qualification du service public : elle peut en être la cause finale. Le juge qualifie une activité service public pour qu'elle soit soumise à un régime du service public.

C'est là, semble-t-il, le mécanisme intellectuel qui a joué à propos de la jurisprudence sur le « service public virtuel» (v. supra). Telle est, sans doute, également l'explication de l'arrêt Bertin (20 avril 1956, D., 1956.433, note Laubadère ; R.D.P., 1956.864, note Waline, concl. Long). L'activité d'un particulier assurant l'hébergement de ressortissants soviétiques a été déclarée service public pour que soit applicable un régime de droit public.

§ 2. LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DU SERVICE PUBLIC

La généralité d'application de ces principes a été proclamée par la jurisprudence et notamment dans le cas où le service est accompli par une personne privée : on voit alors l'autorité administrative utiliser ses pouvoirs pour imposer leur respect dans les limites de l'activité de service public de l'entreprise privée.

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Ces principes peuvent être regroupés en deux catégories : — le principe de continuité du service public et son corollaire,

le principe d'adaptation constante du service ; — le principe d'égalité devant le service public et son corollaire,

le principe de neutralité du service.

A) Le principe de continuité du service public Lorsqu'une activité est érigée en service public, c'est qu'elle

répond à un besoin impérieux d'intérêt général, soit pour la vie nationale, soit pour la vie locale. Sa continuité trouve alors sa justification à la fois dans un principe constitutionnel et politique, la permanence de l'Etat et dans une préoccupation sociologique, la nécessité d'éviter le désordre social.

Cette continuité s'exprime au niveau des autorités administratives, du personnel de l'administration et de ses cocontractants.

Le principe de continuité n'est inscrit formellement dans aucun texte : la jurisprudence y fait souvent référence depuis que, dans ses conclusions de l'arrêt du Conseil d'Etat du 7 août 1909, Winkell, le commissaire du gouvernement Tardieu, a affirmé : « La continuité est de l'essence du service public. »

1° La continuité du service public au niveau des autorités administratives. — C'est, en premier lieu, au niveau des auto- rités administratives que s'applique ce principe qui leur impose de fournir ponctuellement aux usagers la satisfaction de leurs besoins par la création et le bon fonctionnement d'un service public, sous peine de mise en cause de leur responsabilité.

a) L'OBLIGATION D'AGIR. — L'obligation d'agir qui pèse sur l'autorité administrative dans le sens d'un fonctionnement continu du service public s'exerce de différentes manières.

L'autorité doit ainsi prendre toutes mesures nécessaires pour assurer le fonctionnement régulier et ponctuel des services publics.

Si cette obligation n'est pas respectée, la responsabilité de l'administra- tion peut être engagée. Ainsi, en a-t-il été souvent jugé en matière de travaux publics :

C.E., 11 avril 1924, Chapuis, R. 400 (absence de signalement des travaux de réfection d'une route) ; C.E., 18 décembre 1931, Robin, R. 1137, D., 1932.III.33, concl. Ettori, note Appleton (défaut de balisage maritime et

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fluvial) ; C.E., 5 février 1954, Mascret, R. 86 (défaut de curage d'un ruisseau). Dans d'autres domaines, on citera : — des cas où le service a mal fonctionné : C.E., 20 avril 1934, Le Meut, R. 463 ; accident dû à l'état défectueux de l'outillage fourni à un candidat à un examen professionnel, C.E., 25 octobre 1946, D., 1946. J. 231, note Waline, et C.E., 5 décembre 1947, Ruel, S., 1948. III. 6 (préjudices causés par des contre-ordres donnés par l'administration à l'occasion de mesures d'écono- mie dirigée) ; — des cas dans lesquels le service n'a pas fonctionné : C.E., 24 juillet 1936, Syndicat des Vins de la Côte-d'Or, D., 1937.III.41, note Waline (abstention d'un ministre d'assurer le respect des appellations d'origine) ;

— des cas dans lesquels le service a fonctionné avec retard : C.E., 25 no- vembre 1925, Malou et Dupré, R. 75 (retard dans la transmission de la récla- mation concernant un chien mis en fourrière) ; C.E., 13 février 1942, ville de Sarlat, R.D.P., 1943.349 (retard à réparer un monument historique); C.E., 14 février 1945, consorts Jourdan-Dor, R. 33 (retard apporté par le service de ravitaillement au moment de la Libération), C.E., 15 juin 1955, Courtial, R. 327 (retard dans la transmission de renseignements médicaux).

L'autorité est encore tenue de prendre les mesures néces- saires pour assurer l'exécution des lois et règlements.

Elle doit, notamment, prendre les règlements nécessaires à l' application des textes supérieurs : C.E., 27 février 1948, Soc. Vie, R. 99 ; C.E., 27 no- vembre 1964, Vve Renard, R. 590, R.D.P., 1965.716, concl. Galmot.

Voir Barthelemy, R.D.P., 1907.305 ; Montane de La Roque, L'inertie des Pouvoirs publics, th., Toulouse, 1950 ; Auby, L'obligation gouverne- mentale d'assurer l'exécution des lois, J.C.P., 1953.1.1080, et notes, D., 1962. J.7 et D., 1965. J.632.

Elle doit, par l'exercice de ses pouvoirs de tutelle, pallier la carence ou l'inertie des autorités locales (par ex. : substitution en matière de police).

b) L'OBLIGATION D'ADAPTER LE SERVICE PUBLIC. — La continuité du service suppose logiquement son adaptation constante aux circonstances et notamment à l'évolution des besoins du public.

Cette adaptation se traduit à la fois par un devoir pour l'administration de modifier le service en fonction des circons- tances de fait et par un droit qui en découle au profit des usagers.

L'administration a d'abord le devoir de modifier le régime du service public en fonction des changements dans le droit ou dans les faits.

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Il peut, en premier lieu, se produire un changement dans le régime juridique, changement imputable à un texte de loi ou de règlement hiérarchiquement supérieur qui modifie le fonc- tionnement du service. Un recours est alors ouvert pour faire abroger le règlement ancien devenu illégal par rapport au cadre juridique nouveau (C.E., Ass., 10 janvier 1964, Syndi- cat national des Cadres des Bibliothèques, R. 17, R.D.P., 1964.459, concl. Questiaux, S., 1964.236, note Auby).

Il peut aussi y avoir un changement des circonstances de fait qui devra aboutir à une modification des dispositions réglemen- taires en quelque sorte infléchies par l'évolution économique et sociale. Dans ce cas, également, il existe pour les autorités administratives une obligation d'adapter le règlement affecté par les circonstances.

Les administrés peuvent, à cet égard, utiliser le recours pour excès de pouvoirs (exercé contre le refus d'abroger ou modifier le règlement) en vue d'obliger l'administration à transformer la réglementation ancienne devenue désuète. Cette jurisprudence avait longtemps été limitée aux arrêtés muni- cipaux de police (C.E., 10 février 1933, abbé Lefebvre, R. 180), puis aux textes des autorités locales réglant les fermetures hebdomadaires des maga- sins (C.E., 1 avril 1936, Syndicat des Epiciers détaillants de Toulon, R. 435), avant d'être appliquée aux règlements pris en matière économique, à condition que l'élément nouveau ait été hors de prévision, indépendant de la volonté des intéressés et ait fait disparaître la base légale du règlement en cause (C.E., Ass., 10 janvier 1964, Min. de l'Agric.-Simonnet, R. 19, R.D.P., 1964,182 et 455, concl. Braibant et note Waline; A. J.D.A., 1964.239, note Auby).

L'administration peut encore imposer des adaptations à l'usager du service public. Il est admis par exemple que l'usager du service public, industriel ou commercial, peut se voir imposer une modification des tarifs.

V. Req., 4 mai 1921, D., 1922.1.41. Toutefois, cette modification des tarifs n'est plus applicable lorsque la situation juridique est devenue une situation subjective de débiteur (C.E., 25 juin 1948, Soc. Journal de l'Aurore, S., 1948.III.69, concl. Letour- neur ; J.C.P., 1948.II.4427, note Mestre, D., 1948.J .437).

2° La continuité du service public au niveau du personnel des services publics. — Le principe général se décompose ici en deux obligations : celle d'assurer le service et celle d'accepter les modifications qu'impose sa gestion :

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a) L'OBLIGATION D'ASSURER LE SERVICE s'applique à l'en- semble des agents de l'administration et même au personnel des entreprises privées qui assurent la gestion d'un service public. C'est ainsi que, pour toutes ces catégories, la loi du 31 juillet 1963 apporte des restrictions dans l'exercice du droit de grève.

Le principe de continuité entraîne également des conséquences à propos de collaborateurs bénévoles des services publics. On sait par exemple : — que ces collaborateurs peuvent, à certaines conditions, être traités comme les agents de l'administration en cas d'accident subi dans l'exercice de

la collaboration (responsabilité sans faute de l'administration) ; — que les actes juridiques qu'ils ont pris alors qu'ils ont été obligés de se

substituer aux autorités régulières défaillantes peuvent être considérés comme des actes administratifs valables (C.E., 5 mars 1948, Marion, R. 113). b) L'OBLIGATION D'ACCEPTER LES MODIFICATIONS IMPOSÉES

PAR L'ADAPTATION DU SERVICE. — C'est principalement aux fonctionnaires qu'incombe cette obligation, mais elle n'en est pas moins étendue à certains membres du personnel non fonc- tionnaires des services publics.

Les fonctionnaires n'ont aucun droit acquis au maintien des avantages qui leur étaient reconnus. Du fait de leur situation statutaire, les modifications apportées à leurs statuts leur sont immédiatement applicables (C.E.,24 mars 1944, Toutée, R. 104).

De même, les agents non fonctionnaires sont soumis à cette loi d'adaptation. L'agent lié à l'administration par un contrat administratif ne peut s'opposer aux modifications résultant d'une réorganisation et même d'une suppression du service (C.E., 4 novembre 1942, Association nationale des Officiers, R. 302).

3° La continuité du service public au niveau des cocontractants de l'administration. — On retrouve à ce niveau, d'une part, l'obligation d'assurer le service et, d'autre part, celle de subir les conséquences de son adaptation.

a) L'OBLIGATION D'ASSURER LE FONCTIONNEMENT DU SER- VICE pèse sur le cocontractant de l'administration, par exemple sur le concessionnaire du service public. Celui-ci doit continuer son exploitation, sauf cas de force majeure, quels que soient les

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