Grands monologues du théâtre classique et contemporain – vol. 1

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50 rôles féminins pour un banc d’essai remarquable

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PETITE BIBLIOTHÈQUE DES ARTS

GRANDS MONOLOGUESDU THÉÂTRE CLASSIQUE

ET CONTEMPORAIN

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PETITE BIBLIOTHÈQUE DES ARTSCollection didactique à l’usage des lycéens et des étudiants

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Dominique Taralon

GRANDS MONOLOGUESDU THÉÂTRE CLASSIQUE

ET CONTEMPORAIN

50 rôles féminins pour unbanc d’essai remarquable

GREMESE

GRANDS MONOLOGUESDU THÉÂTRE CLASSIQUE

ET CONTEMPORAIN

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Couverture : Graphic Art 6 s.r.l. – Rome

Copyright de l’édition française :GREMESE2008 (1re éd.), 2010 (2e éd.) © E.G.E. s.r.l. – Rome2012 (3e éd.) © Éditions de Grenelle SASwww.gremese.com

Tous droits réservés. Aucune partie de ce livre ne peut être reproduite,enregistrée ou transmise, de quelque façon que ce soit et par quelquemoyen que ce soit, sans le consentement préalable de l’éditeur.

Achevé d’imprimer en mars 2012 sur les presses deGrafiche del Liri S.r.l.Via Napoli, 8503036 Isola del Liri (FR) – Italia

Dépôt légal : avril 2012

ISBN 978-88-7301-707-3

À Nicole

Mes remerciements vont à Annita Motta

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Sommaire

Avant-Propos.................................................................................................................. 7

Roméo et Juliette (1595) William Shakespeare ...................................... 9 Le Conte d’hiver (1611) William Shakespeare ....................................... 12Horace (1640) Corneille ........................................................................................ 15Le Misanthrope (1666) Molière.......................................................................... 17Les Femmes savantes (1672) Molière ............................................................. 20Phèdre (1677) Racine ................................................................................................ 23Athalie (1691) Racine................................................................................................. 26La Surprise de l’amour (1722) Marivaux .................................................... 29Les Amoureux (1759) Carlo Goldoni .......................................................... 31Penthésilée (1808) Heinrich von Kleist ........................................................ 34Marion de Lorme (1831) Victor Hugo .......................................................... 37 Les Caprices de Marianne (1833) Alfred de Musset........................... 40Mademoiselle Julie (1888) August Strindberg........................................ 43La Mouette (1896) Anton Tchekhov.............................................................. 46Cyrano de Bergerac (1897) Edmond Rostand......................................... 49L’Otage (1911) Paul Claudel .............................................................................. 53Six personnages en quête d’auteur (1921) Luigi Pirandello .......... 56La Savetière prodigieuse (1926-1930) Federico Garcia Lorca ...... 59 Fanny (1931) Marcel Pagnol .............................................................................. 61Intermezzo (1932) Jean Giraudoux ................................................................ 63Grand peur et misère du IIIe Reich (1938) Bertolt Brecht.................. 66Long voyage du jour à la nuit (1941) Eugene O’Neill....................... 70Les Mouches (1943) Jean-Paul Sartre ........................................................... 73Huis clos (1944) Jean-Paul Sartre.................................................................... 76Le Malentendu (1944) Albert Camus ........................................................... 79

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L’Aigle à deux têtes (1946) Jean Cocteau.................................................. 82Les Bonnes (1947) Jean Genet........................................................................... 88Un Tramway nommé Désir (1947) Tennessee Williams................. 93L’Alouette (1953) Jean Anouilh....................................................................... 96Dialogues des Carmélites (1955) Georges Bernanos......................... 99Qui a peur de Virginia Woolf ? (1962) Edward Albee ................... 103Oh les beaux jours (1963) Samuel Beckett............................................... 106Des journées entières dans les arbres (1965) Marguerite Duras... 110Suzanna Andler (1968) Marguerite Duras ............................................. 112Orgie (1968) Pier Paolo Pasolini ..................................................................... 115C’était hier (1971) Harold Pinter ................................................................... 118Calderón (1972) Pier Paolo Pasolini............................................................ 121Madame Marguerite (1973) Roberto Athayde...................................... 126Le Réveil (1975) Dario Fo et Franca Rame........................................... 130Au but (1981) Thomas Bernhard .................................................................. 133Quartett (1982) Heiner Müller ...................................................................... 137

Quai Ouest (1985) Bernard-Marie Koltès............................................... 141Venise Zigouillée (1986) Jean-Michel Ribes............................................ 144Le Temps et la chambre (1988) Botho Strauss ........................................ 149La Chance de sa vie (1988) Alan Bennett .................................................. 152God Save The Queen (1989) Kado Kostzer............................................ 156Oleanna (1992) David Mamet ......................................................................... 160J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne (1994)

J. L. Lagarce.............................................................................................................. 163L’Affaire Ducreux (1995) Robert Pinget.................................................... 167

Médée Kali (2003) Laurent Gaudé................................................................ 171

Bibliographie ................................................................................................................. 176

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Avant-Propos

Le propos de ce petit manuel est de donner quelques pistesoriginales aux jeunes comédiennes qui veulent seprésenter à une audition. C’est dans ce but que le choix demonologues extraits d’œuvres théâtrales classiques etcontemporaines s’est équilibré entre auteurs français etétrangers, de la fin du XVIe siècle à nos jours. Le terme“classique” désigne bien sûr ici le théâtre du Grand Siècle,mais aussi le théâtre de toujours, celui qui a définitivement« passé la rampe », et s’offre, intact sur l’aile du temps, àl’avidité du spectateur.

C’est ainsi que dans ce recueil, le XVIIIe et le XIXe sièclesproposent des « morceaux choisis » de grands dramaturges,et que le XXe siècle est largement représenté par desauteurs incontournables tels que Claudel, Pirandello,Lorca, Giraudoux, Brecht, Sartre, Camus, TennesseeWilliams…

Deux pièces charnières, Qui a peur de Virginia Woolf ?d’Edward Albee (1962) et Oh les beaux jours de SamuelBeckett (1963), ouvrent sur le théâtre contemporain, quidonne la parole aux personnages de Pasolini, Pinter,Bernhard, Müller, Koltès, Ribes, et bien d’autres encore.

Dans la période qui va du début du XXe siècle aux toutderniers contemporains, les Européens dominent, sanspour autant que les Américains manquent à l’appel. Bienentendu tous ces extraits doivent être idéalement replacésdans leur contexte, et l’on ne saurait trop recommander delire les pièces dans leur intégralité.

On sait que certains rôles féminins furent longtemps

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classés en “caractères”, ce qui dut souvent stéréotyper lejeu des comédiennes. D’où ce commentaire d’un numérodu Nouvel Astrologue parisien de l’année 1823, à proposd’une comédienne du Théâtre français : « On demandera àMademoiselle* plus de fermeté dans le débit, moinsd’exagération dans certains passages, et moins de larmesdans la voix ». Aujourd’hui, les grands rôles de femmessont de plus en plus nombreux et variés, et l’interprétationse colore de nuances et d’inflexions infinies. Au moins,maintenant, si on récite son texte comme une leçon bienapprise, c’est parce qu’on le veut bien.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui comme hier, que le jeuthéâtral requis soit “expressif“, ou “furtif”, le tonchatoyant ou monocorde, les comédiens sont des passeursqui entraînent le spectateur dans le pur plaisir du théâtre.

Dominique Taralon

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William Shakespeare (1564-1616)

Roméo et Juliette (1595)

Drame de la passion fatale et irrépressible, Roméo et Juliettefait partie du cycle “italien” de Shakespeare. Comme le

chœur nous l’annonce dans le prologue, les deux jeunesprotagonistes sont condamnés à un destin irrévocable. Bravantdes interdits insurmontables, leur amour ne peut les réunir quedans la mort.

Dans la Vérone de la Renaissance, cité idéale gouvernée parun prince plein d’équité, la haine de deux familles rivales, lesCapulet et les Montaigu, trouble l’ordre public. Roméo, unMontaigu, se rend subrepticement avec quelques amis à une fêtedonnée chez les Capulet. Il y rencontre Juliette, la fille de lamaison et ils se vouent aussitôt une passion réciproque etimpossible. Le Frère Laurent les marie secrètement mais au coursd’une rixe, Tybalt, cousin de Juliette, tue Mercutio, le meilleurami de Roméo. Instrument d’une destinée qu’il ne contrôle plus,celui-ci se bat alors avec Tybalt et le tue, ajoutant du sang ausang déjà versé. Il est banni de Vérone et se réfugie à Mantoue.Entre-temps, le père de Juliette l’a promise en mariage au comteParis et veut hâter la cérémonie. Pour échapper à ce mariageforcé, le Frère Laurent procure à Juliette un narcotique qui luidonnera l’apparence de la mort pendant quarante-huit heures.Un courrier doit avertir Roméo du subterfuge, pour qu’ilaccoure au moment où Juliette se réveillera dans son tombeau.Mais Roméo n’est pas prévenu à temps. Revenu à Vérone, il setue près de Juliette qu’il croit morte. Celle-ci s’éveille peu aprèset se poignarde sur le corps de Roméo.

Dans le monologue suivant (Acte IV, scène III), Juliette acongédié sa mère et sa nourrice et s’est retirée dans sa chambre,

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à la veille de ses noces avec le comte Paris. Elle s’apprête à boirela potion donnée par Frère Laurent. Elle s’imagine déjà glacéepar la mort. Des doutes l’assaillent : si le narcotique ne faisaitpas son effet, elle se poignarderait. Et si Frère Laurent lui avaitdonné un véritable poison... si elle devait enfin se réveiller dansle tombeau de ses ancêtres, entourée de spectres hideux, avantl’arrivée de Roméo... l’angoisse le dispute au délire, mais sadécision est irrévocable : « C’est à toi que je bois, Roméo »...

Juliette : 14 ans.La scène se situe dans la chambre de Juliette, à Vérone, au XVIe siècle.

JULIETTE

Adieu ! – Dieu sait quand nous nous reverrons.J’ai une frayeur froideEt vague, qui circule dans mes veinesEt glace presque la chaleur de vie.Je vais les rappeler pour me rendre courage.Nourrice ! – Ah pourquoi faire ?Ma scène horrible il faut la jouer seule. –Viens, fiole. –Et si la drogue ne produisait rien ?Serais-je alors mariée demain matin ?Non, non, – voilà qui l’empêchera, – toi reste là.

(Elle, pose près d’elle un poignard.)

Et si c’était un poison, que le frèreM’aurait donné par tromperie pour m’avoir morteCraignant par ce mariage être déshonoréParce qu’il m’a mariée avant à Roméo ?Je le crains ; et pourtant ça ne peut pas être, il me semble,Il a toujours été connu comme un saint homme.

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Et si quand je serai couchée dans le tombeauJe m’éveillais avant le temps où RoméoViendra me délivrer ? C’est une horrible idée.Ne vais-je pas être étouffée dedans la tombeDont la hideuse bouche ne respire jamais d’air sainEt là mourir suffoquéeAvant que vienne mon Roméo ?Ou si je vis n’est-il pas bien possibleQue l’horrible pensée de la mort et de la nuitTout ensemble, avec l’épouvante du lieu,Un caveau, un réceptacle où depuis des centaines d’annéesLes os des ancêtres ensevelis sont entassésOù Tybalt ensanglanté encore tout frais à la terreSe tient pourrissant dans son suaire ; où, à ce que l’on dit,A certaines heures de la nuit, reviennent les esprits !Hélas hélas, n’est-il pas possible que moiRéveillée trop tôt dans ces odeurs infectes,Et ces cris comme ceux de la mandragore arrachée de terreQui font que les vivants, les entendant, deviennent fous !Oh si je me réveille, je perde la raison,Environnée par toutes ces hideuses frayeurs ?Et follement je jouerai avec les ossements des ancêtres ?J’arracherai le Tybalt mutilé de son linceul ?Et dans ma rage, avec les os de quelque ancien parentServant de massue, je fracasseraiMa cervelle désespérée ? Oh regardez :Il me semble que je vois l’ombre de mon cousinPoursuivant partout RoméoQui a embroché son corps sur la pointe d’une épée ! –Arrête, Tybalt, arrête ! –Roméo, je viens ! C’est à toi que je bois, Roméo !

(Elle tombe sur le lit entre les rideaux.)

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William Shakespeare (1564-1616)

Le Conte d’hiver (1611)

Shakespeare nous rappelle que cette pièce est un conte, par labouche du jeune prince Mamilius, s’apprêtant à raconter un

“conte d’hiver”, et aussi par l’entremise d’un courtisan qui, enrésumant à la fin toutes les péripéties de l’histoire, use deraccourcis et élude les invraisemblances, “lors même que lacrédulité sommeille”.

Drame de la jalousie aussi terrible qu’Othello par la violencequ’il déchaîne et la vengeance qu’il réclame, il finit bien, àl’encontre de ce dernier, pour obéir à sa définition de conte, danslequel les caprices du hasard et les malédictions sontheureusement conjurés.

Léontès, roi de Sicile et Polixénès, roi de Bohême, sont amisd’enfance. Polixénès et Hermione, femme de Léontès, éveillentsans raison la jalousie féroce de ce dernier. Polixénès parvient às’enfuir dans son pays, mais la reine, accusée d’adultère estemprisonnée et accouche d’une fille que Léontès renie et faitabandonner dans un lieu sauvage. Pendant son procès,Hermione oppose une plaidoirie émouvante (Acte III, scène II) àLéontès, pour clamer son innocence. Sa dignité et son honneurla soutiennent devant l’horreur de la situation. L’oracle appelé deDelphes pour se prononcer, déclare qu’elle est sans tache, quePolixénès est innocent, et le roi sans héritier, jusqu’à ce que l’onretrouve l’enfant perdue. Mamilius, fils de Léontès etd’Hermione meurt, et ce coup fatal tue sa mère.

Perdita, la petite fille abandonnée, a été recueillie par unberger en Bohême. Florizel, héritier du royaume, tombeamoureux d’elle. Pour fuir la colère de son père hostile à cemariage, il se rend avec sa fiancée à la cour de Léontès, où la

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princesse est reconnue. Les deux rois se réconcilient et Hermioneapparaît aux yeux de tous sous la forme d’une “statue vivante”.En effet, la reine avait survécu, car l’oracle lui avait fait espérerque Perdita était vivante. Léontès, assailli de remords, accueilleavec joie sa femme et sa fille retrouvées.

Hermione : 20-25 ans, reine de Sicile.La scène se situe dans un tribunal, en Sicile au XVIIe siècle.

HERMIONE Du moment où ce que j’ai à dire ne peut êtreque le contrepied de mon accusation ; du moment oùl’unique témoignage à ma décharge ne peut venir que demoi-même, il ne me servira guère de plaider « non cou-pable » ; l’intégrité qui est en moi, étant tenue pourfausseté, sera reçue pour telle quand je l’exprimerai. Maisquoi qu’il en soit : si les puissances divines abaissent leursregards sur nos actions humaines – et elles le font – alorsje ne doute pas que l’innocence ne fasse rougir unementeuse accusation et trembler la tyrannie devant lapatience. Vous, mon seigneur, savez mieux que personne,encore que vous vous donniez l’air de le savoir le moins,que ma vie passée a été aussi réservée, aussi chaste, aussiloyale, que je suis aujourd’hui malheureuse ; et je passe enmalheur les tableaux de l’histoire, même arrangés pour lethéâtre afin d’émouvoir un public ; car regardez-moi,compagne du lit royal, maîtresse de la moitié du trône, filled’un grand roi, mère d’un prince plein d’espérances, mevoici, là, à pérorer, à plaidailler pour ma vie et monhonneur, devant n’importe quel passant à qui il plaised’entrer pour l’entendre. La vie, elle pèse pour moi ce quepèse un chagrin dont je me voudrais délivrée : maisl’honneur, c’est un titre que ma postérité recevra de mes

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mains ; à cause de lui seulement je me tiens ici debout. J’enappelle à votre propre conscience, sire, avant quePolixénès ne vînt à votre cour, combien n’étais-je pas dansvos grâces, combien ne méritais-je pas d’y être ; depuisqu’il y est venu, en quoi ma conduite s’est-elle écartée dudroit chemin, au point de m’amener ici : si j’ai dépassé desi peu que ce soit la limite de l’honneur, si en action ou enpensée je me suis laissée aller sur cette pente, que les cœursde tous ceux qui m’écoutent deviennent insensibles, etque mon plus proche parent vienne crier sur ma tombe :« Infamie ! ».

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Corneille (1606-1684)

Horace (1640)

Cette pièce au souffle patriotique, inspirée de l’histoire desHoraces, rapportée par Tite-Live, laisse une grande part aux

sentiments personnels des héros, enfermés dans un terribledilemme. L’implacable Horace incarne les vertus martiales surlesquelles Rome bâtit un empire, illustre exemple pour la Francedu XVIIe siècle, qui voulait étendre son hégémonie sur l’Europe.

Au VIIe siècle av. J.-C. Albe et Rome sont deux villesennemies, bien que leurs origines soient indissolublement liées– Romulus, fils d’Albe y fit enlever les Sabines afin de peupler laville qu’il venait de fonder. Horace, l’un des trois fils d’une grandefamille romaine, est marié à Sabine, originaire d’Albe, alors queCamille, sœur d’Horace, est sur le point d’épouser l’un des troisCuriaces, frères de Sabine. Pour éviter de faire encore couler « lemême sang de deux villes », leurs rois décident de faire s’affronteren combat singulier, trois jeunes Romains contre trois Albans. Àl’issue de la bataille, la cité vaincue deviendra sujette de l’autre. Lesort tombe sur les Horaces et les Curiaces. Camille et Sabine sontdéchirées entre leur amour fraternel qui va de pair avec l’amour deleur patrie, et l’amour qu’elles portent respectivement à leur fiancéet à leur mari. Horace fait prévaloir la raison d’état sur sessentiments et considère désormais le fiancé de sa sœur comme unennemi, alors que le sensible Curiace honnit cette rencontrefratricide. Relatant le combat auquel elle croit avoir assistéjusqu’au bout, Julie, une suivante, décrit la lâcheté d’Horacefuyant devant les trois Curiaces, après la mort de ses frères, et ladéfaite de Rome. Mais la véritable issue du combat est bientôtrévélée : Horace a simulé la fuite pour diviser les Curiaces blesséset les achever l’un après l’autre. Loin de célébrer la victoire

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d’Horace, Camille inconsolable, laisse éclater sa douleur dans unmonologue (Acte IV, scène V). Dans l’implacable crescendo de sacolère, elle maudit Rome qui honore son frère d’avoir tué sonamant et dans une sorte de rage visionnaire lui prédit les luttesintestines et les invasions qui causeront sa chute, dont ellevoudrait être la cause et le dernier témoin. Exaspéré, Horace tue sasœur. Durant son procès, le jeune romain demande au roi lapermission de se donner la mort pour expier son crime. Mais cedernier lui est redevable de deux sceptres et prononce sonacquittement. Camille à qui un oracle avait prédit la paix pour Albeet Rome et une union éternelle avec Curiace est ensevelie avec lui.

Camille : 15-17 ans, jeune patricienne.La scène se situe dans un palais romain de la Rome antique.

CAMILLE Rome, l’unique objet de mon ressentiment !Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon Amant !Rome, qui t’a vu naître et que ton cœur adore !Rome, enfin que je hais parce qu’elle t’honore !Puissent tous ses voisins ensemble conjurésSaper ses fondements encor mal assurés !Et si ce n’est assez de toute l’Italie,Que l’Orient contre elle à l’Occident s’allie,Que cent Peuples unis des bouts de l’UniversPassent pour la détruire, et les monts, et les mers !Qu’elle-même sur soi renverse ses murailles,Et de ses propres mains déchire ses entrailles :Que le courroux du Ciel allumé par mes vœuxFasse pleuvoir sur elle un déluge de feux.Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre :Voir le dernier Romain à son dernier soupir,Moi seule en être cause, et mourir de plaisir.

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Molière (1622-1673)

Le Misanthrope (1666)

Créée en 1666, un an après Dom Juan, cette pièce s’ordonneautour d’Alceste, jeune seigneur intransigeant, qui voudrait

opposer une sincérité sans concessions aux bassesses de l’hommedu monde. Sa haine de la dissimulation le porte à direbrutalement son fait à Oronte, personnage de la Cour, qui luidemande son avis sur des vers de mirliton dont il est l’auteur.Une querelle s’ensuit et aboutit à un procès qu’Alceste perdra.Pourtant ce misanthrope aime une coquette dont il se croit aimé,Célimène, laquelle cultive l’art de tourner son prochain endérision, et en particulier ses adorateurs, dont elle ridiculise lestravers, jusqu’à la lecture d’une lettre qui révélera la duplicité dela jeune femme aux soupirants désappointés.

Célimène, alias Armande Béjart-Mademoiselle Molière,créatrice du rôle, était une vraie coquette, entouréed’admirateurs, et Molière a peut-être transposé dans sa pièce ledrame intime d’être le mari d’une toute jeune femme trèscourtisée. Alceste, l’”homme aux rubans verts”, ne peuts’empêcher de pardonner à Célimène les défauts qu’il condamnedans le genre humain.

Dans ce monologue (Acte III, scène IV), véritable chef-d’œuvre de persiflage contrôlé, Célimène répond avec unecourtoisie cinglante et sur le même ton à la prude Arsinoé, qui,sous le couvert de l’amitié, vient l’avertir “charitablement” descommérages répandus sur son compte. Au terme de cet échangemeurtrier qui les voit s’assener leurs vérités par le biais des “on-dit”, Célimène proposera à sa rivale une “transparence”réciproque consistant à se dire les médisances dont elles sontl’objet. Défi qui est un peu le pendant mondain de la volonté

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incoercible d’Alceste de dire la vérité coûte que coûte, et se révèletout aussi impossible.

Célimène : veuve, 18-25 ans.

La scène se situe dans un salon parisien au XVIIe siècle.

CÉLIMÈNE Madame, j’ai beaucoup de grâces à vous rendre.Un tel avis m’oblige et, loin de le mal prendre,J’en prétends reconnaître, à l’instant, la faveur,Par un avis aussi qui touche votre honneur ;Et, comme je vous vois vous montrer mon amieEn m’apprenant les bruits que de moi l’on publie,Je veux suivre, à mon tour, un exemple si douxEn vous avertissant de ce qu’on dit de vous.En un lieu, l’autre jour, où je faisais visite,Je trouvai quelques gens d’un très rare mérite,Qui, parlant des vrais soins d’une âme qui vit bien,Firent tomber sur vous, Madame, l’entretien.Là, votre pruderie et vos éclats de zèleNe furent pas cités comme un fort bon modèle :Cette affectation d’un grave extérieur,Vos discours éternels de sagesse et d’honneur.Vos mines et vos cris aux ombres d’indécenceQue d’un mot ambigu peut avoir l’innocence,Cette hauteur d’estime où vous êtes de vous,Et ces yeux de pitié que vous jetez sur tous,Vos fréquentes leçons et vos aigres censuresSur des choses qui sont innocentes et pures,Tout cela, si je puis vous parler franchement,Madame, fut blâmé d’un commun sentiment.« A quoi bon, disaient-ils, cette mine modeste,Et ce sage dehors que dément tout le reste ?

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Elle est à bien prier exacte au dernier point ;Mais elle bat ses gens et ne les paye point.Dans tous les lieux dévots elle étale un grand zèle ;Mais elle met du blanc et veut paraître belle.Elle fait des tableaux couvrir les nudités ;Mais elle a de l’amour pour les réalités. »Pour moi, contre chacun je pris votre défense,Et leur assurai fort que c’était médisance ;Mais tous les sentiments combattirent le mien,Et leur conclusion fut que vous feriez bienDe prendre moins de soin des actions des autres,Et de vous mettre un peu plus en peine des vôtres ;Qu’on doit se regarder soi-même un fort long tempsAvant que de songer à condamner les gens ;Qu’il faut mettre le poids d’une vie exemplaireDans les corrections qu’aux autres on veut faire ;Et qu’encor vaut-il mieux s’en remettre, au besoin,A ceux à qui le Ciel en a commis le soin.Madame, je vous crois aussi trop raisonnablePour ne pas prendre bien cet avis profitable,Et pour l’attribuer qu’aux mouvements secretsD’un zèle qui m’attache à tous vos intérêts.

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Molière (1622-1673)

Les Femmes savantes (1672)

Sous les ressorts de la comédie, cette pièce ne laisse pasd’évoquer des sujets graves, comme le droit des femmes au

XVIIe siècle à débattre de questions élevées, et le privilègeinaliénable de suivre leurs inclinations dans le choix d’un mari.Les deux filles de Chrysale, bourgeois parisien, ont desaspirations divergentes : Henriette souhaite se marier, Armandeprofesse au contraire la haine du mariage et exhorte sa sœur àdevenir ”femme savante”, comme elle-même et leur mèrePhilaminte. Mais quel n’est pas son dépit, lorsqu’elle apprendque le futur époux d’Henriette n’est autre que Clitandre, unancien soupirant qu’elle voulait maintenir au rang d’adorateur,sans rien lui accorder de plus. Cependant Henriette frôle lemariage forcé, car Philaminte qui régente tout dans la maison etne tient aucun compte de l’avis contraire de Chrysale, son faibleépoux, a décidé de lui faire épouser Trissotin, rimailleur etcoureur de dot qu’elle admire. Seule la fausse nouvelle de la ruinede la famille dissuade Trissotin d’unir son sort à celuid’Henriette, contrairement à Clitandre, plus que jamais décidé àl’épouser. Cette grandeur d’âme touche Philaminte, enfinconsciente du manège du parasite. Les deux jeunes gens vontpouvoir convoler, laissant à Armande la consolation de laphilosophie.

L’affrontement cocasse de “clans” adverses dont l’enjeu est lamain d’Henriette, est aussi prétexte à une sorte d’état de laquestion de l’instruction féminine, avec d’un côté lemilitantisme caricatural des précieuses et de l’autre le point devue rétrograde de Chrysale et de la servante Martine, arbitréspar Clitandre qui, en admettant qu’une femme « ait des clartés

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