Grandeurs et servitudes du métier denseignant-chercheur en sciences de gestion Pr. Gérard CLIQUET...
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Grandeurs et servitudes du métier d’enseignant-chercheur
en sciences de gestionPr. Gérard CLIQUET
Président de la CIDEGEFCentre de Recherche en Économie et Management
CREM, UMR CNRS 6211
IGR-IAE, Université de Rennes 1, FRANCE
Sommaire
1. Introduction
2. Un monde peut disparaître…
3. Un autre monde apparaît…
4. Quelques grandeurs encore…
5. Beaucoup de servitudes déjà…
6. Conclusion
1. Introduction• Jamais l’humanité n’aura autant investi (ou songé à investir) dans le
savoir et ses institutions que sont les universités• Des basculements géopolitiques sans précédents se font jour à
une allure jamais vue. La Chine explose, l’Inde est comme en embuscade
• Quelle peut être la place de communautés de pays comme l’Europe ou la communauté francophone dans ce nouveau concert de nations et de blocs de nations?
• Question difficile, hors de propos ici, mais question qui sera sans doute en filigrane dans nos débats sur l’avenir des sciences de gestion à l’Université et de notre métier car cet ensemble de disciplines semble jouer aujourd’hui un rôle essentiel dans le monde actuel et dans la crise que nous vivons
• L’objectif de cette conférence est de présenter l’évolution (trop) rapide que connaissent les universités en France et de discuter les conséquences pour les pays attachés à la francophonie
2. Un monde peut disparaître…• Être professeur des universités en sciences de
gestion en France… entre 1977 (1ère agrégation de sciences de gestion) et 1984 (loi Savary), c’était:– Faire 3 cours par an de 25 heures chacun– Diriger des travaux de recherche– Publier un article de temps en temps– Connaître toute la littérature de sa discipline– Publier « l’ouvrage » de cette discipline avec ses
multiples éditions successives– exercer souvent des responsabilités dans son
université ou au ministère– Parfois un peu de conseil…
Un autre est apparu qui disparaît…
• Avec la loi Savary (1984), être professeur des universités en sciences de gestion en France, c’était jusqu’en 2006 (date des premières évaluations):– Faire 128 heures de cours par an comme tout le
monde dans l’Université française– Diriger des travaux de recherche– Publier un article de temps en temps dans une revue
scientifique– Participer aux congrès de sa discipline– Publier un ouvrage général dans sa discipline avec
ses multiples éditions successives– Parfois même exercer de responsabilités– Parfois un peu de conseil…
Le métier de professeur de gestion aux USA et en France!
• Être professeur de business aux USA =
– Gagner de US$ 70000 par an à… ??? Avec une forte pression
– Finance: on débute à US$ 180000 dans les grandes universités
– Faire des cours avec des manuels très bien étudiés
– Faire de la recherche avec des budgets conséquents et un soutien logistique
– Bénéficier d’un mécénat et d’un soutien fort mais pesant des entreprises
• Être professeur de sciences de gestion en France =
– Gagner de 25000 € à 75000 €– Être obligé souvent de devoir
« compléter son salaire » surtout à Paris
– Faire des cours sans vrais supports
– Faire de la recherche « en amateur »
– Courir après les contrats et les gérer soi-même
– Le tout avec pour le moment une pression « raisonnable »
Le monde des écoles de gestion est toujours là!
• L’Université française dans les sciences de gestion:– forme des doctorants qui
commencent à publier– forme des collègues qui
publient– fournit encore le gros des
publications dans cette discipline
• Elle semble être au cœur du nouveau dispositif gouvernemental de mise en avant de la recherche
• Le mot « Université » est une marque internationalement reconnue
• Les écoles de commerce se réveillent en mettant la recherche au premier plan (mais cela coûte très cher!)
• Les écoles de management recrutent:– …nos doctorants à des
salaires jamais vus dans la fonction publique française
– … nos collègues (idem pour les salaires)
• Eh! Eh! « Sciences Po » est arrivée…!:– Les IEP demandent et
OBTIENNENT des postes de professeurs en sciences de gestion!!!
3. Un autre monde apparaît…• Une concurrence mondiale sur le marché universitaire entre pays,
entre disciplines, celui des sciences de gestion (= marché de pénurie):
– L’Amérique du Nord (+ Australie): le « modèle »?– L’Europe occidentale: l’éternel « challengeur »?– L’Extrême-Orient (Japon, Corée, Taiwan et Chine = « nouveaux challengeurs »– L’Afrique + l’Europe de l’Est, l’Amérique du Sud, le reste de l’Asie…!
• Le monde anglo-saxon et … le reste– Anglais ou français?– Anglais = le langage de la science (et des affaires sciences de gestion)?
• Les sciences de gestion entre deux chaises:– Une chaise juridique et une chaise économique: la 1ère est plus confortable, la
2ème plus dynamique (… et plus « dure »)– Les sciences de gestion: finance et marketing « plus dures que les autres
disciplines de gestion et de management???• L’évaluation des « produisants » (et non plus des « publiants »)
– L’AERES– Le CNU
• Et que vont faire les présidents d’université avec leur pouvoir?
Qu’est-ce qu’un « produisant »?• Est considéré comme chercheur ou enseignant-chercheur
"produisant en recherche et valorisation", celui qui, dans le cadre d'un contrat quadriennal, satisfait à un nombre minimal de « publications ». Ce nombre est à pondérer en fonction du contexte défini par sa situation dans la carrière et son engagement dans des tâches d’intérêt collectif pour la recherche. La mesure chiffrée de cette production est complétée par d'autres indicateurs tels que : le rayonnement scientifique (la possibilité de sa mesure à partir du nombre total de citations des travaux, ou d’indices comme le facteur H, sera testée au fur et à mesure que seront constituées des bases bibliométriques pertinentes pour les différents domaines, notamment celles incluant les ouvrages en SHS), la participation active à des réseaux et programmes nationaux et internationaux, la prise de risque dans la recherche (notamment aux interfaces disciplinaires), l'ouverture vers le monde de la demande sociale, les responsabilités dans la gestion de la recherche (nationales, internationales) ou dans la publication de revues (rédacteur en chef) ou de collections internationales (directeur), l'investissement dans la diffusion de la culture scientifique, la recherche appliquée ou l’expertise.
… dans une « fonction publique new look »
• La fin des concours de recrutement:– Dans la fonction publique en générale– Dans l’enseignement en particulier– Dans l’Université… évidemment!
• Opposition des présidents d’universités autonomes• Ravissement des syndicats• Accord silencieux des autorités (surtout sur le plan budgétaire!)• Jubilation contenue de certains collègues• … et mise au pas des juristes!• + respect des règles européennes de recrutement public
• La dernière « petite » agrégation (ou agrégation interne) en sciences de gestion n’a pas eu lieu car … les présidents d’université n’ont pas mis de postes à ce concours!
• C’est la fin du système sino-napoléonien • A quand le tour du baccalauréat? Et la sélection à
l’entrée des universités
Dans un nouveau cadre européen
• Tout part d’une réunion à la Sorbonne le 25 mai 1998 pour célébrer le 800ème anniversaire de cette Université à l’initiative de C. Allègre alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche avec l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Italie
• En 1999, un traité est signé et commence alors le processus de Bologne qui doit mener à la création d’un espace européen de l’enseignement supérieur avant 2010 en 3 points:– LMD: licence – master – doctorat– Crédit ECTS– Mise en place du « supplément au diplôme »
Le « supplément au diplôme »• Le supplément au diplôme est un outil développé dans le cadre du
processus de Bologne et est destiné à faciliter la compréhension des études accomplies. Il ne contient pas de jugement de valeur. Il est délivré par les établissements nationaux selon un modèle élaboré conjointement par un groupe de travail réunissant la Commission européenne, le Conseil de l’Europe et l’Unesco.
• Le supplément au diplôme se compose de huit parties :– informations sur le titulaire, – informations sur le diplôme, – informations sur le niveau de qualification, – informations sur le contenu et les résultats obtenus, – informations sur la fonction de la qualification, – informations complémentaires, – certification du supplément, – informations sur le système national d’enseignement supérieur.
• En janvier 2005, le Supplément au Diplôme a été rattaché au dispositif Europass, "cadre communautaire unique pour la transparence des qualifications et des compétences" en Europe.
Dans un cadre d’autonomie
• La loi LRU 2007: Liberté et Responsabilité des Universités
• Autonomie financière dans le cadre déjà existant de la LOLF (loi organique de la loi de finance votée en 2001)
• Réduction de la taille du Conseil d’administration
• Renforcement des pouvoirs du président
Avec une recherche « nouvelle »
• L’entrée en force de l’expérimentation en finance et en marketing:– Suite aux travaux de V. Smith (Nobel 2002) en économie
expérimentale– La finance comportementale se développe rapidement– Le Journal of Consumer Research ne publie plus qu’un seul
modèle de recherche présentant 2, 3 voire 4 expériences mises bout à bout
• Cela aboutit à des thèses de type « trois articles »• La « mathématisation » systématique des travaux de
recherche qui s’oppose à une recherche qualitative souvent de piètre qualité (= « miroir aux alouettes » pour collègues et doctorants en quête de reconnaissance…)
Et en attendant une nouvelle pédagogie…
• L’usage des NTIC… pour quoi faire?– L’innovation pédagogique consiste-t-elle seulement à
« powerpointiser » et à « internetiser » les cours?– Faut-il utiliser des supports spécifiques (DVD, …) qui
auront disparu dans deux ou trois ans?• La place du livre?
– Y aura-t-il encore des librairies?– Y aura-t-il encore des livres papier?
• La place des revues scientifiques dans la pédagogie
• Heureusement, nos collègues et amis canadiens vont nous aider à répondre (partiellement) à cette question
Le professeur de sciences de gestion de demain en France?
• Il faudrait dire les professeurs…:– Grands « produisants » avec un service réduit
d’enseignement– « produisants » honorables– Non « produisants » avec un service plein…
d’enseignement la fin du statut unique
• Pourront-ils éviter le passage de nos disciplines vers un statut de :– « matière utilitaire » comme l’informatique ou
l’anglais?– « accessoire » indispensable à toute bonne
formation… de physique, de biologie, …• Seule, semble-t-il, une recherche de qualité
reconnue peut empêcher ces dérives
4. Quelques grandeurs encore…
• Un métier qui laisse encore de grandes libertés• Le métier de professeur de sciences de gestion attire de
nouveau: souvenons-nous des DEA des années 80…!• Nos formations doctorales attirent des étudiants du
monde entier• La recherche française en sciences de gestion a
quelques atouts• Les congrès français en sciences de gestion attirent des
collègues étrangers• Les collègues étrangers apprécient une invitation à
enseigner dans nos universités• Nos doctorants sont appréciés à l’étranger et il n’est pas
trop difficile de leur trouver des stages doctoraux ou post-doctoraux
Et même quelques grandeurs nouvelles…
• L’Université intéresse les Pouvoirs Publics français!– L’ANR qui distribue des budgets de recherche depuis 2006– Un effort financier sans précédent (comme dans d’autres pays
comme l’Allemagne)– L’AERES pour évaluer l’utilisation des fonds publics et conseiller
pour mieux manager les unités et les équipes: rien de plus normal!
– Un grand emprunt avec une bonne partie réservée à la recherche et aux universités
• L’Université intéresse les entreprises françaises!– Les contacts et les contrats se multiplient y compris en gestion
car les entreprises apprécient les opinions « indépendantes »– Elles sont également très présentes dans les conseils
d’administration des universités mais jusqu’à quel point?
5. Beaucoup de servitudes …
• L’absence de soutien scientifique– où sont nos « RA »?– « RA » = Research Assistant
• L’absence de soutien administratif depuis déjà très longtemps: les départs en retraite ne sont plus compensés et le personnel est très mal payé donc la rotation est croissante de même que l’incompétence
• L’absence de soutien pédagogique– Absence d’une politique de manuels universitaires: « le livre
coûte cher et ne sert à rien!!! », mais les étudiants ont tous une voiture et le jeudi soir, ils ne semblent pas « manquer… »
– Des politiques incohérentes concernant l’usage des NTIC– Pas d’incitation à développer une pédagogie nouvelle
• L’absence d’une politique incitative: l’autonomie y changera-t-elle quelque chose?
Et les nouvelles sont déjà là…!
• La pression pour la publication:– Aujourd’hui: 2 « publis » dans des revues classées
par l’AERES tous les 4 ans– Demain: combien?
• Que vont faire les présidents de ces collègues « non produisants » = coût d’opportunité nous diraient nos amis économistes
• La pédagogie n’est plus du tout adaptée au monde d’Internet et à une jeunesse qui vit « sur écran »
Servitudes et statut de part et d’autre de l’Atlantique
• Devenir professeur de gestion aux USA, c’est:– Bachelor of Arts– 3 ans d’expérience
professionnelle– MBA– Programme doctoral– Assistant professor on tenure
track– Tenure après 5 à 7 ans– Associate professor– Full professor– Avec des salaires confortables
mais pas assez pour attirer d’où un nombre incroyable de professeurs indiens, chinois… français parfois
• Devenir professeur de gestion en France, c’est:– LMD– Sans expérience
professionnelle exigée– Qualification au CNU (thèse +
une publication AERES)– Recrutement local
fonctionnaire d’Etat– Maître de conférences– Agrégation (à 30 ans)– « Professeur des Universités »– Avec les salaires et les
moyens que l’on sait un système pernicieux
d’heures complémentaires
Les servitudes s’étendent aux étudiants
• Etudier la gestion aux USA, c’est:– MBA: au minimum US$
15000 et jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars
– Un système de bourses complexe mais complet (mérite + social)
– 12 heures de cours par semaine
– Des manuels très bien faits mais très chers (jusqu’à US$ 200)
– La quasi-obligation de travailler « à côté » mais aussi dans leur université
• Etudier la gestion en France, c’est:– Master
• 300 € en université• De 8000 à 12000 € en
école– Un système de bourses
réservé aux situations d’urgence!
– 25 heures de cours par semaine
– Pas de vrais manuels– L’obligation de travailler « à
côté » pour les moins riches et très rarement dans leur université
Le cercle vicieux des servitudes
Faibles salaires, faibles moyens
Heures complémentaires
Recherches insuffisantes
Peu d’incitation, peu d’engagement
L’Etat est ravi
Les écoles qui sont ravies
Les étudiants s’en moquent
L’Etat s’en moque
BOLOGNE + SHANGHAI
Et du côté des étudiants…
Faibles droits d’inscription, faibles moyens
Beaucoup d’heures de cours
Impossible d’avoir des exigences donc peu d’implication dans l’institution
Des diplômes moins cotés
L’Etat est ravi
GLOBALISATION
Pour le plus grand profit des écoles
Pour le plus grand « profit »
des universitaires
L’Etat s’en moque
Le cercle peut-il devenir vertueux?
• Processus de Bologne + classement de Shanghai + globalisation des emplois
• Il faut ouvrir les portes et les fenêtres!• La France n’est pas la seule concernée en Europe de
l’Ouest (+ Allemagne, Italie, Espagne, Portugal…)• L’UE a proposé une augmentation raisonnable des droits
universitaires (500 € par semestre)• Aujourd’hui, avec la loi LRU et une ministre qui n’a pas
voulu trancher concernant les droits, … c’est l’anarchie (U. Dauphine: jusqu’à 4000 €) et ce n’est pas fini
• Nous sommes sans doute partis pour un processus de type britannique (dans un premier temps…):– 3000 € maximum de droits dans un premier temps (malgré les
protestations d’Oxford et de Cambridge qui contournent– Suppression du tenure (comme en Australie)– Financement des salaires par les entreprises…
6. Conclusion
• Notre métier évolue plus en ce moment qu’il ne l’a jamais fait depuis… « fatigué »!
• La figure du chercheur remplace peu à peu celle du savant ou du lettré. Mais les lettrés n’avaient-ils pas contraint l’empereur à fermer la Chine?!
• Aujourd’hui, la Chine est de nouveau ouverte et elle semble montrer le (un) chemin qui sent fort l’Amérique qui elle semble avoir perdu le sien…
• Et pendant ce temps, des pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal ou l’Irlande s’effondrent sous nos yeux
• … « Think global, act local! » qu’ils disaient…
7. Débat
• A vous la parole…• Quelques questions:
– Que pensez-vous de ces évolutions?– Qu’en est-il dans votre pays?– Sont-elles adaptées aux sciences de gestion
et à toutes les sciences de gestion?– Y a-t-il vraiment une alternative crédible?– Que proposeriez-vous?
• Et merci pour votre attention