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  • Roland Prez

    La gouvernancede lentreprise

    ditions La Dcouverte9 bis, rue Abel-Hovelacque

    75013 Paris

  • Anna et Marie

    Catalogage lectre-BibliographiePREZ, RolandLa gouvernance de lentreprise. Paris : La Dcouverte, 2003. (Repres ; 358)ISBN 2-7071-3499-6Rameau : gestion dentreprise

    gouvernement dentrepriseDewey : 658.14 : Gestion des entreprises. laboration de la politique

    de lentreprise. ManagementPublic concern : Niveau universitaire. Professionnel, spcialiste

    Le logo qui figure au dos de la couverture de ce livre mrite une explication. Sonobjet est dalerter le lecteur sur la menace que reprsente pour lavenir de lcrit, toutparticulirement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le dveloppementmassif du photocopillage.

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    ditions La Dcouverte, Paris, 2003.

  • Introduction

    Les historiens du monde contemporain ont eu tendance, aprs lesattentats du 11 septembre 2001, dater le dbut du XXIe sicle depuiscet vnement, important pour lAmrique et pour la plante.Dautres historiens du prsent ont considr que la faillite du groupednergie Enron, quelques semaines aprs la tragdie prcdente,constituait un vnement tout aussi majeur, pour la Bourse amri-caine et par l pour lconomie mondiale.

    Il a mme t imagin que, si le sige dEnron avait t situ dansune tour du World Trade Center et dtruit avec elle, le scandalefinancier auquel on a assist aurait pu tre masqu derrire la catas-trophe collective. Ce scnario scabreux est peu plausible. Il et fallualors que les Twins Towers abritassent non seulement le sigedEnron, mais ceux de Tyco, de Wordcom, de Xerox de cesdizaines de grandes socits cotes qui ont dfray la chronique aucours de lanne 2002 au point de faire poindre lenjeu dune crisesystmique.

    Nous touchons en effet, avec ces affaires financires, au dispo-sitif central rgissant le fonctionnement du systme capitalistecontemporain, travers les relations entre les responsables desgrandes socits cotes dune part, et lensemble des partiesconcernes par le fonctionnement desdites socits dautre part :leurs actionnaires en premier lieu, mais aussi leurs salaris, leursfournisseurs, leurs cranciers et, plus largement, les diffrentes cat-gories dagents ou dinstitutions impliqus par les dcisions de cesgrandes entreprises.

    Cest ce dispositif institutionnel et relationnel, parfois complexe,pas toujours explicite dans ses modalits de constitution, de fonc-tionnement et de rgulation, que lon appelle la gouvernance de

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  • lentreprise, ou GE (voir encadr), thme dont ltude fait lobjetdu prsent ouvrage.

    Orientation. La crise que connat le systme de GE au tour-nant des annes 2001-2002 constitue un lment important qui doittre, comme tel, analys et replac dans son contexte. Pour autant,les dveloppements qui suivent ne se veulent pas circonstanciels,lis la contingence dune actualit si prgnante soit-elle.

    Au contraire, le point de vue ici privilgi considre que le thmede la GE, mme sil a connu depuis une quinzaine dannes unevogue remarquable, sinscrit dans une interrogation de longuepriode sur le fonctionnement des grandes entreprises, et plus parti-culirement sur le mode de dsignation, le comportement et lecontrle de leurs dirigeants. Au-del des analyses bien connuesdAdolf Berle et Gardiner Means [1932]*, ce questionnementremonte aux premires socits de capitaux. Ainsi, ltude de la GEse situe dans une perspective d histoire longue du capitalisme,comme lont dfinie Fernand Braudel [1967-1979, 1985] et Imma-nuel Wallerstein [2002].

    Lactualit du phnomne nen est que mieux claire. Sa genseest directement lie aux processus de mondialisation des marchsfinanciers et plus largement des rfrentiels stratgiques des firmes, partir dune conomie dominante, celle des tats-Unis. La puis-sance de cette nouvelle conomie-monde , ainsi que les caract-ristiques institutionnelles, politiques et culturelles de la socit am-ricaine expliquent limportance et les aspects spcifiques du dbatsur la GE dans ce pays.

    En parallle, les traits dominants dautres zones gopolitiquesdoivent tre rappels. Sans tomber dans les clichs sur le modlegermano-nippon oppos au modle anglo-saxon, il sagit de mon-trer la contingence du dbat sur la GE et limportance des dispositifsinstitutionnels, des structures sociales, des pratiques collectives quilencadrent et travers lesquels ce dbat sexprime.

    Problmatique. Les points prcdents dessinent la probl-matique de cette tude : la GE est, fondamentalement, une questionde nature sociopolitique, dont la comprhension et linterprtationdoivent faire appel au moins autant aux apports du droit dessocits, de lhistoire conomique et de la sociologie des organisa-tions qu ceux de la finance de march ou des sciences de gestionstricto sensu.

    * Les rfrences entre crochets renvoient la bibliographie en fin douvrage.

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  • Gouvernance ou gouvernementde lentreprise ?

    Lexpression, bien tablie dans lemonde anglo-saxon, de corporate gover-nance a t le plus souvent traduite enFrance par gouvernement de lentre-prise , y compris par les auteurs les plusminents Pastr [1994], Charreaux[1996], Gomez [1996], Peyrelevade[1999], Pesqueux [2000] ou dansdes documents officiels rapportsVienot 1 et 2 (1995 et 1999), loi sur lesnouvelles rgulations conomiques(2001). Cest probablement le numrospcial et prcurseur de la Revuedconomie financire , coordonnpar Olivier Pastr [1994], qui a tablilusage du terme gouvernementdentreprise , ce dernier tant rest entreguillemets quelque temps.

    Mme si comme on le sait lusage fait la langue , nous nepouvons nous rsoudre suivre cettemode, la fois pour des raisons linguis-tiques videntes le mot anglais gover-nance est bien distinct du mot govern-ment , mais galement pour des raisonsde fond : la gouvernance vise comme on tente de le montrer dans leprsent ouvrage un dispositif impli-quant la fois des institutions, des rela-tions, des rgles et des comportementscest--dire bien plus que la seule struc-ture que constitue le gouvernement .

    Cette distinction, ici prsente auniveau de lentreprise, est a fortiorivalable au plan dune nation : la gou-vernance publique ne se ramne pas au gouvernement , mme sil est lgi-time de penser que ce dernier constitueun organe essentiel de la premire.

    La traduction du mot corporate peutgalement tre discute. Le contexteamricain fait implicitement rfrenceaux public corporates, cest--dire auxsocits faisant appel lpargnepublique, en clair les grandes socitscotes en Bourse. Ce point de vue estadopt par certains ainsi Thiveaud[1994] mais il nous parat pouvoir trelargi toute entreprise.

    Aussi, nous traduirons corporategovernance par gouvernance delentreprise (concept dsormais reprpar son acronyme GE), linstar de plu-sieurs auteurs francophones. Ainsi auQubec (cf. la revue internationale Gou-vernance dite par le Centre dtudes engouvernance de luniversit dOttawa).En France, lexpression gouvernance a t utilise notamment par Jean-MarieThiveaud [1994], Michel Aglietta[1997], Franck Bancel [1997] ; ellesemble adopte par le gouvernement issudes lections de 2002 (cf. dclarations duPremier ministre Jean-Pierre Raffarin etdu ministre de lconomie et desFinances, Francis Mer).

    Pour autant, le corpus thorique de ces dernires ne peut tre ngliget il convient den comprendre les fondements, notamment lathorie de lagence et son application aux problmes poss par laGE : asymtrie dinformation, enracinement des dirigeants, proc-dures recommandes pour les discipliner De mme, il estncessaire de matriser quelques instruments danalyse financireutiliss pour valuer les performances de la firme dans une optiquede GE (free cash flow, stock-options, economic value added, fair

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  • value 1) Au plan institutionnel, il parat souhaitable de connatreles principales recommandations qui ont t prsentes diff-rentes priodes, dans diffrents pays notamment en France pour amliorer les systmes nationaux de GE, en fait pour se rappro-cher du modle nord-amricain, considr comme universel. Tou-jours au plan concret, mais en termes de comportements, ceux-cidoivent tre apprcis tant au niveau des dirigeants des entreprises sujets de la GE et suspects potentiels quau niveau des diff-rents autres acteurs participant au systme de GE, notamment dansles institutions financires partenaires et dans celles en charge demissions de contrle et de rgulation.

    Par ailleurs, il convient de prsenter les principales limites et cri-tiques relatives au modle dominant de GE, arguments qui se dve-loppent principalement sur deux plans complmentaires :

    le problme du dveloppement long terme de lentrepriseface au risque de financiarisation et de court-termisme ;

    le problme des parties prenantes (stakeholders) et desexternalits face une approche privilgiant trop exclusivement lesactionnaires (shareholders).

    Les points prcdents dessinent plusieurs orientations a prioridiffrentes, autour desquelles se situe le dbat contemporain sur laGE et son avenir :

    dune part, la thse de la convergence des systmes de GE,porte par la puissance financire nord-amricaine et les adaptationsprogressives des dispositifs et des comportements des autres pays ;

    dautre part, celle de sa mise en cause radicale, compte tenude ses excs et des ruptures que ceux-ci ont entranes, comme lacrise boursire du tournant du sicle semble en montrer lesprmisses ;

    enfin, celle de sa rforme, partir de sa critique interne,notamment aux tats-Unis, avec la mise en place de nouvellesrgles de GE et lapparition de nouveaux comportements commeceux dits socialement responsables .

    Plan. Cette orientation et cette problmatique expliquent leplan dexposition retenu.

    La premire partie, plus gnrale, sera consacre la prsentationde la GE, son double reprage historique et gopolitique dunepart (chap. I), conceptuel et thorique dautre part (chap. II).

    1. Un glossaire, en fin douvrage, rcapitule les diffrentes expressions en langueanglaise utilises, avec un rappel de leur signification en franais.

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  • La deuxime partie, plus analytique, sera consacre la mise enuvre de la GE et, pour cela, prsentera les principaux lmentsconstituant les dispositifs institutionnels (chap. III) et les comporte-ments des acteurs concerns (chap. IV).

    La troisime partie aura une porte plus prospective avec unerflexion sur lvolution des systmes de GE dans la dynamique ducapitalisme contemporain dont la GE constitue une composante,certes importante, mais nanmoins limite. Dans un premier temps,la propagation du modle de GE assis sur les performances bour-sires sera rappele, ainsi que la crise financire qui le met en cause(chap. V). Dans un second temps, des expriences alternatives serontexplores, ainsi que les projets de rforme du systme actuel de GE(chap. VI).

  • PREMIRE PARTIEPRSENTATION ET CADRE DANALYSEDE LA GOUVERNANCE DENTREPRISE

    La GE peut, comme tout phnomne de socit, faire lobjetdune prsentation selon les lunettes multiples quoffrent les dif-frentes sciences humaines : le juriste dtaillerait les dispositifs ins-titutionnels, alors que le psychosociologue sintresserait lvolu-tion des mentalits.

    Lorientation et la problmatique retenues nous amnent privi-lgier les approches en termes dconomie et de gestion, disciplinesqui, au demeurant, sont trs troitement lies aux autres sciences delhomme et de la socit.

    Plus prcisment, cette prsentation de la GE fera appel auxenseignements de lhistoire conomique pour comprendre lmer-gence et lvolution du phnomne (chap. I), puis du managementdes organisations pour disposer dun cadre danalyse pertinent pourtudier le concept (chap. II).

  • I / mergence et volutionde la gouvernance de lentreprise

    La GE est-elle un phnomne rcent deux dcennies aumaximun ou au contraire un trait dorganisation des socitshumaines, trait que ces dernires ont toujours prsent, ft-ce sousdes formes diverses et varies ? Est-elle spcifique la socit am-ricaine ou peut-on la rencontrer dans dautres pays, prsentant descaractristiques conomiques, politiques et socioculturellesdiffrentes ?

    Ces diffrents points de vue ont leur part de vrit. On peut consi-drer cest lapproche qui sera ici dfendue que les pratiquesrelevant de la GE ont des origines anciennes (1), mais que laccep-tion qui est actuellement donne ce terme est trs contingente auxcaractristiques de la socit amricaine contemporaine (2), ce qui,a contrario, explique que, dans dautres pays, la GE corresponde des pratiques trs diversifies (3).

    1. Des origines anciennes

    Les pratiques de GE sont indissociables du concept mmedentreprise, ds linstant que se cre une dissociation entre desparties prenantes, dtentrices de droits sur une entreprise, et desmandataires sociaux en charge de mener les oprations de laditeentreprise. Lhistoire conomique ne manque pas dexemples illus-trant de telles situations.

    Commerce lointain et GE marchande

    Le commerce lointain, quil soit terrestre (les caravanes) ou mari-time (les navires), constitue le domaine par excellence de cette

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  • dissociation entre dtenteurs de droits et oprateurs. Traditionnelle-ment, en raison la fois du temps requis par ces oprations decommerce lointain, des sommes engager, des risques encourus, leresponsable oprationnel de lexpdition ntait en gnral propri-taire ni de la marchandise convoye ni parfois du vecteur utilispour son transport ici la caravane, l le navire.

    Le droit caravanier, sil est rest la plupart du temps coutumieret non crit, aborde ces problmes de responsabilit et par l degouvernance.

    Le droit commercial maritime, progressivement labor au coursdes sicles, est trs explicite sur ces questions, avec des nuancessensibles dun cadre national un autre, mme sil sagit dundomaine o, par excellence, le rapprochement des conceptions etlmergence de rgles internationales sont apparus souhaitables.Malgr ces efforts de clarification, les problmes de GE sont restscomplexes, comme on a pu le voir, ces dernires annes, avec lescontentieux lis des sinistres comme celui de lErika.

    Si le commerce lointain des marchandises appelle invitable-ment des questions de GE, celles-ci ne trouveront des rponsesappropries qu travers ces instruments des tages suprieurs delchange , comme les appelle Fernand Braudel [1985, p. 38],cest--dire les Bourses, le crdit et le dbut des socits de capi-taux. Si, en effet, la Renaissance a marqu limportance des grandsports italiens (Venise, Gnes) dans une conomie-monde trsmditerranenne, les grandes dcouvertes ont permis aux ports delEurope du Nord (Amsterdam, puis Londres) daffirmer leur tourleur suprmatie avec la mise en place dinstitutions nouvellescomme la Compagnie des Indes.

    Le systme de GE la Compagnie des Indes

    au XVIIe sicle

    La plus fameuse de ces socits restela Compagnie anglaise des marchandstrafiquant aux Indes occidentales quireoit lincorporation en 1600 Lorga-nisation se diversifie rapidement et deuxinstances sont en place, autour de 1615 :

    la cour des propritaires, dote despouvoirs de rgulation et dorientation,

    la cour des directeurs, forme demembres lus par la cour des propri-taires et charge de lexcutif de lacompagnie.

    Source : Jean-Marie Thiveaud [1994,p. 270].

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  • Plus que jamais, la dissociation entre les apporteurs de capitaux etles responsables en charge des oprations sur le terrain tait mar-que, faisant de la GE une question majeure de cette poque.

    Propritaires fonciers et GE agricoleCe second courant fondateur des pratiques de GE, au moins aussi

    enracin dans lhistoire que le prcdent, a pris des formes diversesselon la conception relative la terre et son appropriation situa-tion impensable dans certaines civilisations et selon le systmesocial en vigueur. Ainsi la fodalit et les droits seigneuriaux rele-vaient dune logique rgalienne et non de principes de GE. Enrevanche, on retrouve ces principes dans la situation classique desrelations entre les propritaires fonciers dune part, leurs fermiers,intendants, rgisseurs et autres agents locaux dautre part

    Ces relations ont fait lobjet de maints rglements et lois, consti-tuant les codes ruraux ; les pripties de leur mise en uvre, lesconflits invitables ont donn lieu une abondante jurisprudencequi fait de la GE agricole la source la plus nourrie des pratiques tra-ditionnelles de GE.

    Rvolutions industrielles et essor de la GE

    Les rvolutions industrielles successives de la fin du XVIIIe et duXIXe sicle ont constitu un facteur majeur pour le dveloppement ducapitalisme occidental et lui ont donn progressivement les traits quile caractrisent encore aujourdhui. Les besoins en capitaux pourfaire face aux investissements industriels se sont rvls immenseset ont pu tre satisfaits par la gnralisation de ces instruments insti-tutionnels dj expriments au temps du capitalisme marchand : lesbanques, les socits de capitaux, les Bourses des valeurs. Ces ins-truments portent en eux les lments de cette dissociation entredtenteurs de droits patrimoniaux et responsables managriaux,situation constituant le fondement de la problmatique de GE.

    Le droit commercial et notamment le droit des socits ont expli-citement prvu ces situations et ont tent den rguler les effets.Ainsi le concept mme de socit en commandite repose sur la dis-tinction entre ces deux acteurs majeurs de la GE : lapporteur decapitaux (le commanditaire) et lentrepreneur gestionnaire (lecommandit). Les dispositions relatives aux socits anonymes ten-tent de canaliser les conflits potentiels entre ces deux catgoriesdacteurs en prcisant, autant que faire se peut, les prrogatives dechacun, travers le dispositif institutionnel de la GE.

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  • En revanche, elles ne pouvaient fixer les comportements, sauf auniveau dun rappel de principes gnraux. Aussi, cette priode his-torique ce grand XIXe sicle et les deux dcennies qui lenca-drent fut tout la fois celle dune croissance exceptionnelle desconomies occidentales et celle de crises de divers ordres, y comprisdes modes de GE.

    2. La GE, un produit made in USA

    La nouvelle conomie-monde autour des tats-Unis dAmriqueDe mme que Londres a supplant Amsterdam au XVIIIe sicle

    comme cit-centre dominant lconomie mondiale de lpoque,New York et le Nouveau Monde ont rivalis et progressivementsupplant Londres, et plus largement lEurope ramene au statutd Ancien Monde . Cet effacement progressif de la puissanceeuropenne au profit des tats-Unis dAmrique sest accentu toutau long du XXe sicle travers une srie dvnements historiquesqui constituent autant dtapes significatives :

    les guerres mondiales qui ont t pour lessentiel, notam-ment celle de 14-18, des guerres intra-europennes, aboutissant unaffaiblissement, parfois irrmdiable, des nations belligrantes ;

    la dcolonisation qui galement a concern, presque exclusi-vement, les tats europens, au contraire des tats-Unis qui pou-vaient se targuer davoir t parmi les premires colonies accder lindpendance ;

    la chute de lEmpire sovitique qui, aprs avoir incarn pen-dant trois quarts de sicle une hypothse systmique alternative,sest effondr de lintrieur, laissant limperium amricain sansrival direct.

    Cette domination militaire, diplomatique et politique sestaccompagne, comme dans les autres empires auparavant, dunedomination conomique. Dabord par ses productions primaires(agriculture, mines, nergie), puis par ses industries manufactu-rires (notamment constructions automobile et aronautique, mat-riels lectriques et lectroniques), enfin progressivement par sesactivits tertiaires (notamment dans le secteur financier banqueet assurance et dans ceux de lingnierie et des services aux parti-culiers et aux entreprises), la suprmatie des tats-Unis est patente.Les entreprise amricaines nont eu de cesse doccuper les pre-mires places au monde, servies en cela par un march intrieur qui

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  • est devenu lui-mme le march de rfrence dans la plupart des acti-vits marchandes.

    La GE amricaine, un phnomne national et ambivalent

    La domination conomique des tats-Unis est dautant moinssans partage que la civilisation amricaine est, dans ses mythes fon-dateurs, porte mettre en relief la russite matrielle, sanctionmrite de cette pope qua constitue, pour des gnrationsdimmigrants, laventure amricaine ( America, America ! ). Despaysans irlandais aux ptres siciliens, de la rue vers lor la SiliconValley, le mythe glorifiant la prise de risque, le destin individuel,la sanction matrielle, allant dun Rockefeller ou dun Bill Gates iciaux personnages de Steinbeck l, favorise lesprit dentreprise etlacceptation des rgulations par le march.

    On a beaucoup insist, la suite des observations de Max Weber(1904), sur le poids des facteurs religieux, notamment du protestan-tisme qui, plus encore quen Europe, a pu trouver en Amrique unterreau favorisant lesprit dentreprise. Il nous semble plutt que cesont les facteurs gnraux gographiques et historiques de la coloni-sation amricaine qui ont jou ce rle de levain, le mme espritdentreprise sobservant chez les autres catgories dimmigrants(catholiques ou Juifs dEurope centrale, Latino-Amricains catho-liques, Levantins de diverses confessions, Asiatiques bouddhistes,confucianistes, taostes), mme si la premire vague, dorigineanglo-saxonne, a certainement donn une impulsion dcisive et untat esprit qui perdure encore.

    Le paradigme socio-conomique dominant, dans le contexteidologique et culturel amricain, est celui de lentrepreneur qui, partir de rien ou dune base modeste (le garage des start-up califor-niennes), connat, en quelques annes, voire quelques dcennies,une russite fulgurante. Aprs le temps de laccumulation montaire( devenir riche ), viennent celui du pouvoir politique ( tre puis-sant ) et enfin celui de la considration morale ( se faire aimer ),ce triptyque simposant comme les degrs successifs de la recon-naissance sociale, itinraire suivi par les plus anciens (les Rocke-feller, les Kennedy) et dans lequel sont engags les plus rcents(B. Gates, G. Soros).

    Rgulation du march et GE

    Lorsque le chef dentreprise en est le fondateur et, dans la quasi-totalit des cas, lunique ou le principal actionnaire, les problmes

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  • de gouvernance ne se posent pas, sinon marginalement. Mmelorsque ces aventures entrepreneuriales ont abouti la constitutionde trs grandes entreprises et, corrlativement, dimmenses for-tunes, une telle situation ne choque pas.

    Plus exactement, si la russite personnelle est considre commejustifie, voire exemplaire, le seul souci de la socit civile et desautorits qui la reprsentent est que ces grandes entreprises nedeviennent pas leur tour un obstacle au libre dveloppement desmarchs sur lesquels elles oprent et, par l, lpanouissement denouvelles aventures entrepreneuriales.

    Cette vigilance, parfois obsessionnelle, relative au libre accsau march explique limportance prise par les autorits de rgula-tion limitant ou rprimant les ententes et/ou les concentrationsjuges abusives, comme on a pu le constater dans le pass (dmant-lement dATT) ou ces dernires annes (procs Microsoft). Maiscette rgulation, si elle dnote une volont de gouvernance dumarch , ne relve pas stricto sensu de la GE.

    En revanche, la situation est radicalement diffrente lorsque appa-rat une dissociation entre la direction de lentreprise et les ayantsdroit lgitimes que reprsentent les propritaires. Deux principesmajeurs, lun et lautre bien ancrs dans les valeurs de la socit am-ricaine, peuvent tre mis en avant et, loccasion, sopposer.

    Dune part, le culte de lesprit dentreprise amne faciliter latche de ces dirigeants dans leurs initiatives visant poursuivre etdvelopper le projet entrepreneurial des fondateurs de la firme et confronter celle-ci aux nouveaux dfis de son temps.

    Dautre part, le respect de ce droit fondamental que constitue ledroit de proprit conduit mettre en place un dispositif visant sassurer que ces droits ne sont pas lss et que les activits delentreprise se dploient leur profit.

    Ces deux tendances contradictoires, lune et lautre congruentesavec les caractristiques idologiques, politiques et culturelles de lasocit amricaine, expliquent que la GE dans ce pays constitue la fois un phnomne national naturel cest--dire induit par les-dites caractristiques et ambivalent cest--dire mettant enavant lune ou lautre de ses faces selon les priodes historiquesconsidres. Lvolution des dernires dcennies illustre cetteambivalence.

    Lre des managers

    Rendue clbre par les travaux de A. Berle et G. Means [1932],J. Burham [1941], A. Chandler [1977], lemprise croissante des

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  • Lentreprise managriale*selon A.D. Chandler

    Lentreprise managriale se dis-tingue de lentreprise entrepreneurialepar le fait que les dirigeants salaris plein temps y occupent aussi bien lespostes les plus levs que ceux du niveauintermdiaire. Lentreprise nest plusadministre par ses propritaires. Lespatrons les plus expriments qui contri-burent faire aboutir les fusions et, engnral avec laide dun ou deux finan-ciers, rationalisrent la structure des

    nouvelles units se sont retrouvs au seinde la direction gnrale. En outre, ilsconfirent la direction des nouveaux ser-vices gnraux et des nouveaux sigessociaux des responsables quils avaientrecruts et promus et qui navaient pas oupeu dactions de ces entreprises.

    A.D. Chandler (p. 460 de ld. fr.).* Le traducteur parle d entreprise

    gestionnaire .

    dirigeants salaris dans la vie des grandes entreprises amricainescorrespond une ralit incontestable.

    Historien de rfrence des grandes firmes amricaines, AlfredD. Chandler relie cette monte en puissance aux nombreuses opra-tions de concentration que ce pays a connues dans les premiresdcennies du XXe sicle.

    Le Retour de lactionnaire (titre emprunt celui de louvragede S. LHlias [1997])

    Lirrsistible ascension du pouvoir managrial, que lon pouvaitconsidrer comme acquise au milieu du sicle dernier, a connu auxtats-Unis mmes une spectaculaire mise en cause, aboutissant ladfinition et la mise en uvre de principes de GE traduisant unretour en force de lactionnaire.

    Divers travaux ont analys ce retournement historique [Tunc,1994 ; Thiveaud, 1994 ; Aglietta, 1997 ; LHlias, 1997]. Ils met-tent laccent sur limportance prise, dans ce pays, par la financiari-sation de lconomie et par le poids croissant des investisseursinstitutionnels.

    La financiarisation se manifeste la fois par le rle majeur desmarchs financiers dans le financement de lconomie destats-Unis, par louverture internationale de ce pays la fois pre-mier investisseur et premier dbiteur, par limportance que les op-rations sur ces marchs ont prise auprs des diffrentes catgoriesdagents (mnages et entreprises), par les structures de bilans etpatrimoines de ces agents

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  • Le poids des principaux fondsde pension amricains en 2001

    Nom du fonds tat Actifs(Md $)1 Calpers Cal. 1442 NYSCRF NY 1063 Calif. Teachers Cal. 964 Federal RTIB DC 935 Florida SBA Flo 896 General Motors NY 837 Texas Teachers Tex 758 NY Teachers NY 759 General Electric Con. 69

    10 New Jersey DI NJ 67Source : Pensions & Investments (2002) site pioline.com

    Comme on le voit, ces fonds de pen-sion, regroupant les salaris dun tat,dune ville, dune profession ou dunegrande entreprise, grent des volumes

    importants dactifs, plus de 1 000 mil-liards de dollars pour lensemble desdouze premiers.

    Les investisseurs institutionnels refltent lintermdiationcroissante de lpargne des mnages, laquelle est de moins en moinsgre directement par les pargnants eux-mmes pour tre confie des organismes disposant de moyens importants et grs profes-sionnellement. Cela concerne diffrents types de placements,notamment ceux concerns par les retraites par capitalisation (pen-sion funds), lesquelles comme on le sait constituent le rgimede base aux tats-Unis.

    Ces deux mouvements se conjuguent pour faire des investisseursinstitutionnels, au sein dune conomie amricaine de plus en plusfinanciarise, des acteurs majeurs des marchs financiers.

    Les investisseurs institutionnels, et tout particulirement lesfonds de pension, ont progressivement eu grer des volumesconsidrables dactifs financiers, ce qui les a amens diversifierleurs portefeuilles afin den rduire les risques. Ils sont par l pr-sents, souvent pour des montants significatifs, dans le capital duncertain nombre de grandes socits, notamment celles qui consti-tuent les indices de rfrence.

    Cette contrainte de prsence les a conduits sintresser la ges-tion desdites socits, demander leurs directions les informations

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  • quils estimaient ncessaires, intervenir enfin auprs de ces direc-tions pour obtenir des claircissements sur les activits passes etleurs performances, puis sur les stratgies envisages et leur impact.La GE, dans sa forme contemporaine refltant un retour delactionnaire , tait ne, et il est significatif que les premiers prin-ciples of corporate governance exprimant cette tendance aient tdits par le fonds californien Calpers qui a jou un rle de pionnieren la matire (cf. site calpers-governance.org).

    Le mouvement sest ensuite rapidement gnralis ; les fondsdinvestissement, dune part, les associations de dfense des action-naires individuels, dautre part, ont rivalis dans ce quil estconvenu dappeler l activisme actionnarial , visant mettre endemeure les dirigeants des socits cotes pour obtenir plus dinfor-mations sur leur gestion et inflchir cette dernire dans un sens plusfavorable aux actionnaires.

    Cest cette mme socit amricaine, terre dlection de la GE,qui connatra galement les excs et les dviations du modle derfrence, ainsi que sa critique interne et des propositions en vue desa rgulation (cf. infra, troisime partie).

    3. Des pratiques diversifies en Europe et dans le monde

    Si la GE est dsormais souveraine aux tats-Unis, quen est-il dela situation des autres pays du monde contemporain et notammenten Europe ? Sans entrer dans une tude exhaustive, il est possiblede dresser un tat rappelant les caractristiques essentielles de la GEselon les principaux pays et zones gopolitiques.

    LEurope anglo-saxonne

    LEurope du Nord-Ouest est, traditionnellement, la plus prochehistoriquement et culturellement des tats-Unis dAmrique. Dansdes pays comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas, on retrouve descaractristiques comparables : existence de grandes firmes multina-tionales, internationalisation de lconomie, importance desmarchs financiers qui, sajoutant la tradition sculaire rap-pele supra, ont favoris le dveloppement de dispositifs de GE etdes comportements qui les accompagnent. Le rapport Cadbury[1992] a, pour le Royaume-Uni, codifi les pratiques souhaitablesqui sont, par ailleurs, relayes par les autorits de rgulation(cf. infra).

    17

  • Les pays scandinaves, bien que proches des prcdents, sontmoins financiariss et, par ailleurs, plus marqus par les traditionssociales-dmocrates. La GE tient compte de ce contexte et du rlehistorique des familles (par exemple, les Wallenberg en Sude).

    Le modle rhnan

    LAllemagne a longtemps reprsent une situation trs spci-fique, tenant lhistoire conomique de ce pays et ses traditionspolitiques et culturelles. Les relations banque-industrie y sont fortes,tant en termes de financement des investissements quen termes departicipations et de contrle. Corrlativement, les marchs finan-ciers y jouaient un rle plus modeste que dans les pays anglo-saxons. La Rpublique fdrale avait mis en place un systme decogestion avec une participation des syndicats de salaris auxconseils de surveillance des entreprises. Ltat fdralismeoblige y est moins interventionniste que dans un pays comme laFrance (cf. affaire Bolsman), mme sil trouve des relais au niveaudes Lnder (par exemple, participation de 25 % du Land de West-phalie au capital de Volkswagen). Toutes ces circonstances expli-quent que la GE y a reprsent une situation originale que MichelAlbert [1991] a pu dnommer modle rhnan .

    Les spcificits mditerranennesLa rgion mditerranenne na pas attendu que le modle

    contemporain de GE vienne doutre-Atlantique pour pratiquer desformes de GE adaptes son histoire, ses structures sociales, sesniveaux de dveloppement, ses mentalits.

    Les cultures dentreprise, forcment diverses, des socits mdi-terranennes sexpriment autant quelles en sont produites parmaintes composantes [Prez, 1994] :

    les localisations et les dterminants gographiques opposantla Mditerrane des rivages celle de lintrieur ;

    le poids de lhistoire, par exemple avec la tradition marchandeet le rle des diasporas ;

    les niveaux de dveloppement scientifique, technologique etconomique opposant le Sud au Nord ;

    les options de systme relatives lorganisation de lco-nomie et au rle de ltat ; options diffrant dans lespace et dans letemps.

    Malgr ces facteurs de diffrenciation, il existe un fonds communde ces cultures qui influence, voire dtermine les modes de GE.

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  • Les cultures dentreprise mditerranennes, en dehors de leurdiversit, restent empreintes du poids que reprsentent les relationsinterpersonnelles notamment la famille largie et ressortentdune conomie de la relation qui complte et se distingue delconomie pure de la transaction fonde sur les seuls mcanismesdu march et sur leur intriorisation dans les organisations (ibid.,p. 164).

    Ce fonds commun, bas sur la relation interpersonnelle et le liensocial, a pu sembler archaque par rapport aux modes de GE domi-nants. Ce jugement a priori apparat de nos jours un peu simpliste,lorsque lon redcouvre limportance des facteurs comme laconfiance et la rputation dans le processus de GE.

    La GE la franaiseExiste-t-il un modle franais de GE ? Et, si oui, quelles en sont

    les caractristiques ?On pouvait, jusqu la fin du XXe sicle, rpondre par laffirmative

    la premire question. La nation franaise, depuis des sicles, sestconstruite autour de son tat et la socit franaise est, dans presquetoutes ses dimensions (organisation des pouvoirs, systme ducatif,sant, culture), marque par cette empreinte sculaire.

    Son conomie nchappe que partiellement ce dterminisme, etce que lon a appel le colbertisme constitue lexpression cono-mique de ce primat du pouvoir dtat sur lconomie du pays.Certes, une volution sensible a pu tre observe durant le derniertiers du XXe sicle, en raison notamment de louverture grandissantede lconomie franaise linternational et de ldification progres-sive de lUnion europenne. Si nous nen sommes plus un systmede prix administrs entirement rgi par une Direction gnrale desprix, le poids de ltat et plus particulirement de son bras scu-lier que constitue le ministre de lconomie et des Finances nen reste pas moins essentiel.

    Les systmes de GE en France nont pu qutre influencs par cetenvironnement institutionnel et culturel :

    la rglementation concernant les socits commerciales etleurs modalits de fonctionnement fait lobjet de textes nombreux,simposant tous (code de commerce, lois, dcrets et arrts) ;

    les contrles, quils soient rguliers ou occasionnels, se fontau titre dune composante des pouvoirs publics (Direction desimpts, Direction de la concurrence, rpression des fraudes) etdans le but essentiel de sassurer dune conformit la rglementa-tion en vigueur ;

    19

  • Le pantouflage , une spcialit du GE la franaise

    Traditionnellement en France, le sys-tme de production des lites est tournvers le service de ltat : ainsi, lcoledingnieurs la plus rpute lX ,outre son statut militaire, garde sonfronton pour la Patrie, la Science et laGloire . Ses meilleurs lments int-grent les grands corps techniques et sonttrs vite sollicits, immdiatement ouaprs quelques annes, par des ancienscondisciples des secteurs semi-public oupriv, soucieux dtoffer leurs structuresde direction par lembauche de cama-rades plus jeunes dans une perspective derelve.

    De telles rorientations de carrire(surnommes pantouflages , car les-dites carrires deviennent plus confor-tables, du moins en termes de rmunra-tion) concernent, peu ou prou, la plupart

    des filires de formation des cadrespublics (ENA notamment), au point quela priode de formation et de servicepublic a minima peut tre considrecomme un investissement rentabiliser partir de la nouvelle tape prive.

    Comme on le sait, il arrive que cestransferts concernent directement desentreprises qui taient sous le contrledes intresss, au titre de leurs responsa-bilits dtat (par exemple la Directiongnrale de larmement et industriesconcernes). Malgr linstauration declauses plus restrictives et dunecommission de dontologie, ces pra-tiques, si elles sont moins apparentes,nont pas cess.

    les dirigeants des entreprises sont, sauf exception, formsdans les mmes systmes de production des lites que les cadrespublics et, souvent, ont commenc leur carrire au service de ltatavant de gagner le secteur priv (cf. encadr) ;

    limportance du domaine public et parapublic, avec les natio-nalisations successives (1936, 1945, 1981), notamment dans les sec-teurs des produits de base, de lnergie et des transports dune part,de la banque et de lassurance, dautre part, a accentu le rle deltat comme interlocuteur privilgi des dirigeants des entreprisesprives ;

    les vagues de privatisations qui ont suivi les prcdentes nontpas toujours fait disparatre ces dpendances, par exemple le sys-tme des groupes dactionnaires de rfrence (dits noyaux durs )apparaissant comme une construction pilote par lautorit poli-tique, au profit des oligopoles dj en place ;

    corrlativement, limportance des marchs financiers, malgrun dveloppement certain au cours de la dcennie 1980, est, linstar de lAllemagne, sensiblement moindre que dans les paysanglo-saxons ;

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  • les choix de systmes concernant le rgime de retraite (parrpartition et non par capitalisation), les orientations de lpargnedes mnages, traditionnellement plus dirige sur les valeurs revenu fixe notamment les titres dtat que sur le march desactions, ne sont pas de nature transformer les marchs financiersen lieu privilgi de la vie des entreprises.

    Le systme de GE franais, tel quil apparat la fin desannes 1980-1990, donne alors limage dun systme largementautocentr, en symbiose avec le systme dtat, rgul par unensemble de rgles et de pratiques dans lesquelles les signes dereconnaissance et le lien social sont au moins aussi importants queles facteurs de rationalit mis en uvre.

    Les modes de GE dans le reste du monde

    Dans ce dernier point, nous ne feronsquesquisser les orientations des modesde GE dans le reste du monde. Non pasque ces modes nexistent pas, puisquetout systme dentreprise, voire tout sys-tme dorganisation, implique un modede gouvernance, mais parce quil asembl souhaitable de se centrer sur lacomparaison Amrique-Europe.

    Par ailleurs, certaines des orientationsobserves ont t dj constatesprcdemment.

    Ainsi, lconomie et la socit japo-naises prsentent des caractristiques(imbrication des banques et des groupesindustriels, attachement lemploi,implication du personnel) qui ne sontpas sans rappeler la situation allemande,au point que lon a pu parler un peurapidement de modle germano-nippon pour caractriser les modes de

    GE rapprochant ces deux pays, par oppo-sition au modle anglo-saxon.

    De mme, un certain nombre dobser-vations, prsentes au sujet des culturesdentreprise mditerranennes et mettantlaccent sur limportance des familleslargies et du lien social accompagnant larelation dchange, sont galementvalables et parfois accentues pour uncertain nombre dconomies et desocits africaines et asiatiques.

    Il convient, ce sujet, de se mfierdun excs dethnocentrisme, comme lefont, parfois, certains commentateurs.Les modes de GE les plus implicites reposant non pas sur un quelconquedocument mais sur des pratiques coutu-mires sont, de ce fait, souvent plussophistiqus que pourrait le laisser croireun premier examen desdites pratiques.

  • II / La gouvernance de lentreprise :un cadre danalyse

    Aprs avoir prsent lmergence et lvolution de la GE commephnomne historique, il parat souhaitable den proposer un cadredanalyse conceptuel, tout en tant conscient que, en sciencessociales, ces rfrentiels thoriques sont eux-mmes contingents,trs dpendants des conditions historiques et idologiques par rap-port auxquelles ils ont t produits.

    Avant daborder le champ spcifique des modes de GE (2), onprsentera quelques observations gnrales sur les systmes de gou-vernance des organisations (1).

    1. Observations gnrales sur les systmes de gouvernancedes organisations. Esquisse dune thorie de la gouvernance

    Une dfinition provisoireTelle que nous lavons ci-dessus aborde, la GE se rfre au dis-

    positif institutionnel et comportemental rgissant les relations entreles dirigeants dune entreprise plus largement, dune organisa-tion et les parties concernes par le devenir de ladite organisa-tion, en premier lieu celles qui dtiennent des droits lgitimes sur celle-ci.

    Mme formule si gnralement et dans le simple but dclairerprovisoirement lanalyse, une telle dfinition appelle des prcisionset par l un premier dbat :

    quels dirigeants ? et de quelles organisations ? quels dispositifs institutionnel et comportemental ? quelles parties prenantes ? et quels droits lgitimes ?

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  • Les sujets de la gouvernance : les dirigeantsLa gouvernance est focalise sur une catgorie dacteurs cls de

    toute organisation : les dirigeants de cette organisation, catgorieparfois rduite une personne, le plus souvent reprsente par unpetit groupe fortement hirarchis autour du leader, quelquefoisexprime par un rseau semi-hirarchis et aux contours mal dfinis(avec, par exemple, des reprsentants dorganisations associes, departenaires, voire des organismes de contrle).

    Quelles que soient les difficults pour la dfinir exactement et lacirconscrire ces difficults faisant elles-mmes partie de la pro-blmatique de la GE , cest cette catgorie dacteurs dirigeantsqui polarise lattention dans un systme de gouvernance : qui lesnomme et comment ? quels sont leurs pouvoirs et les limites deceux-ci ? qui doivent-ils rendre compte et sous quelle forme ?comment sassurer que ce quils disent reflte bien ce quils font etque ce quils font correspond bien aux missions qui leur ont talloues ?

    noncer ces questions, cest rappeler une problmatique etclairer un premier point en dbat.

    Lobjet de la gouvernance ou le management du management La problmatique est celle, familire tout juriste, du rle et du

    contrle des mandataires sociaux au sein des personnes morales.Les dirigeants dune organisation finalise socit commerciale,tablissement public, association but non lucratif sexpri-ment et agissent au nom de cette organisation : ce titre, ils peu-vent signer des contrats, acheter et vendre, faire des oprationsfinancires, embaucher et licencier Ils disposent pour cela desmoyens financiers, matriels et humains de lorganisation, moyensqui peuvent tre considrables, souvent dmesurs par rapport ceux dont ils disposeraient titre priv.

    Les questions relatives leur nomination comme mandatairessociaux, aux conditions dexercice et de contrle de leurs mandatssont, par l, lgitimes et font de la gouvernance des organisations unpoint essentiel des systmes de management de ces dernires.

    Llment en dbat, ainsi clair, concerne justement ce dernierpoint. Une large dfinition de la GE, portant la fois sur les sys-tmes de finalisation, dorganisation et danimation des organisa-tions, pourrait en tendre les limites jusqu se confondre aveclensemble du systme de gestion, ce dernier pouvant se dclinerdans les sous-systmes prcdents [Tabatoni et Jarniou, 1971]. Une

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  • telle conception extensive, assimilant GE et management, ne seraitpas pertinente car elle occulterait la focalisation sur les dirigeants delorganisation. Certes, le fonctionnement des organisations et leursrsultats sont affects par le mode de GE, mais pas directement, parle biais des actions et dcisions prises par ces mandataires sociauxque constituent les dirigeants.

    Pour paraphraser Edgard Morin, on peut dire que la gouver-nance est, en quelque sorte, le management du management .Cette autorfrence explique peut-tre une part importante delengouement, ml dun peu de mystre, que suscite ce concept ensciences des organisations.

    Les constituants des systmes de gouvernance : le paradigme SPC

    Un systme de gouvernance comprend divers lments consti-tutifs que lon peut, en simplifiant, regrouper en trois sries decomposantes : des structures (S), des procdures (P), descomportements (C).

    Ces trois sries de composantes et leurs interactions dfinissentles systmes de gouvernance, leurs modes de fonctionnement et dergulation.

    Les structures (S) mobilises par les systmes de gouvernancesont varies. Certaines sont propres lorganisation concerne :assemble gnrale, conseil dadministration, comits ad hoc encharge de tel ou tel aspect de la GE (par exemple, rmunrationsdes dirigeants). Dautres sont externes et interviennent sur la base demissions contractuelles (auditeurs comptables, agences de nota-tion) ou dans le cadre de missions dintrt gnral (autorits dergulation).

    Les procdures (P) sont galement trs diverses et plus ou moinsexplicites dans des codes ou des recueils simposant aux acteursconcerns (plan comptable, code de commerce). Elles peuventconcerner tant les modalits de collecte et de diffusion de linforma-tion utile sur le fonctionnement des entits concernes que les voieset moyens pour effectuer telle ou telle opration (par exemple,modification du primtre de la structure, cotation sur le marchfinancier).

    Lensemble S-P (structures-procdures) dfinit le contenu institu-tionnel du dispositif de GE.

    Les comportements (C) compltent le diptyque prcdent en luiapportant une dimension sans laquelle il resterait, pour lessentiel,formel. Ces comportements sont ceux des agents les personnesphysiques et non la fiction juridique constitue par les personnes24

  • morales concerns par le dispositif institutionnel S-P et chargsde le mettre en uvre et de lanimer. Leurs bonnes pratiques ,leur dontologie ou, loppos, leur absence de scrupules et leursdviations, ont une part majeure dans lefficacit des systmes degouvernance, linstar de tout systme humain.

    Lharmonisation des systmes de gouvernance :le rle du dispositif de rgulation

    Cette composante dun systme de gouvernance est importante,car elle constitue, en quelque sorte, le management de lagouvernance .

    Trois types dinstitutions, de natures diffrentes profession-nelle, administrative, judiciaire , participent ce dispositif dergulation ; elles lui sont parfois spcifiquement ddies.

    Les organisations professionnellesCes organisations professionnelles ont un statut et des missions

    diffrents dune profession lautre et dun pays lautre. Dans cer-tains cas, elles ne constituent que des amicales, regroupant les pro-fessionnels concerns, parfois une partie seulement, dans un but deconvivialit et dchanges informels. Leur rle en matire de rgu-lation est alors trs faible et reste au niveau du climat professionnel.

    Dans dautres cas, lorganisation est plus structure et vritable-ment reprsentative de la profession concerne. Ses responsablesont alors un rle de reprsentants de ladite profession auprs desautorits de tutelle et participent par l au dispositif de rgulation.

    Enfin, certaines de ces professions sont riges en ordres ,cest--dire regroupes au sein de structures reconnues commetelles par les autorits de tutelle. Laffiliation ces ordres est obliga-toire pour exercer la profession concerne. Les recommandations,les prescriptions, telles que le respect dun code de dontologie,voire les sanctions la plus grave tant la radiation de lordre ,sont des armes au service de ces organisations professionnelles quiparticipent alors directement au dispositif de rgulation, voire qui lecogrent avec les autorits de tutelle.

    Les tutelles administratives

    Contrairement aux prcdentes, elles ne sont pas directementissues des milieux professionnels auxquels elles sadressent, ce qui

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  • peut poser des problmes dordre culturel. Leur mission tant deveiller au bon fonctionnement du secteur dactivit concern,elles adoptent parfois une attitude hautaine, notamment dans despays forte culture rgalienne comme la France. Le plus souvent,cependant, leur tutelle du secteur professionnel se fait dans uneoptique de rgulation dudit secteur, afin que son fonctionnementsoit compatible avec lintrt gnral du pays. Les organesconcerns deviennent alors des pices essentielles du dispositif dergulation.

    Les instances ddies : les autorits de rgulation

    Dans un certain nombre de secteurs dactivit, les pouvoirspublics ont souhait se dgager dune tutelle administrative troptatillonne et parfois suspecte de soumission au pouvoir politique,sans cependant envisager dabandonner ces secteurs et les profes-sions qui les reprsentent une totale libert ou leurs seules orga-nisations professionnelles. Les instances ddies, dites autoritsde rgulation , rpondent ce double objectif dautonomie et decontrle, cest--dire de gouvernance.

    ct de secteurs considrs comme politiquement sensibles(audiovisuel) ou manant danciens monopoles publics (lectricit,tlcommunications), le secteur financier prsente toutes lescaractristiques pour relever dune telle problmatique, ne serait-ceque par son poids conomique et, par l, politique.

    Les instances juridictionnellesSi le rle et les missions de ces autorits de rgulation sont parfai-

    tement compatibles avec ceux des organisations professionnellesdes oprateurs, lesquelles sont reprsentes au sein des instancesmises en place, et avec ceux initialement exercs par les tutellesadministratives quelles remplacent, en revanche, le point est plusdlicat pour ce qui concerne les instances juridictionnelles.

    Le recours juridique est, en effet, dans un tat de droit, la voieouverte toute personne insatisfaite des faits et dcisions dont ellepense, tort ou raison, quils lui portent prjudice. Les systmesde gouvernance sont amens prvoir de tels recours, au niveau desdispositifs de rgulation, y compris envers les dcisions et arbitragesrendus par les instances spcifiquement ddies la rgulation.

    Les autorits de rgulation ont d admettre cette possibilit etadapter en consquence leurs structures internes et les procdures desaisine et de traitement des dossiers quelles avaient connatre.

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  • Selon les situations rencontres et le statut des instancesconcernes, des voies de recours peuvent tre exerces, soit auprsdes juridictions relevant du droit priv, soit auprs des instancestraitant du contentieux administratif, avec parfois un problme pra-lable pour identifier la bonne procdure. In fine, pour un payscomme la France, ce sont la Cour de cassation dune part, le Conseildtat dautre part, voire le Conseil constitutionnel, qui participent,au sommet des instances juridictionnelles, aux dispositifs de rgula-tion. Ceux-ci rejoignent alors les principes rgissant lorganisationglobale de la nation, elle-mme insre dans des traitsinternationaux.

    Les parties prenantes aux systmes de gouvernanceet leurs droits respectifs

    Cette dernire srie de questions prliminaires nest pas lamoindre, dans la mesure o elle introduit le dbat majeur quidomine toute la thorie de la gouvernance, notamment la GE. Quidtient la lgitimit du pouvoir dans une organisation et qui, cetitre, peut donner mandat tel ou tel agent, contrler ses actions enlui demandant de rendre compte , en tirer toutes consquencessur le destin de lorganisation et, en premier lieu, sur celui desagents mandats ?

    Pour rpondre ces questions de base, il faut de nouveau recouriraux fondements du droit et aux rponses quil donne, soit traversdes dispositions lgislatives ou rglementaires, soit travers unejurisprudence labore au fur et mesure des contentieux.

    Une vidence simpose alors tout observateur : la diversit,voire lhtrognit de ces dispositifs lgislatifs et rglementaireset de ces positions jurisprudentielles sont telles quil ne saurait trequestion dune rponse unique et, par l, universelle. Mme pourune catgorie dorganisations apparemment homognes commedes firmes multinationales appartenant un mme secteur dacti-vit , les situations vcues peuvent tre trs contrastes :

    ici la flexibilit de lemploi sera trs largement admise alorsquelle sera trs encadre ailleurs ;

    l ce sont les questions relatives lenvironnement ou cellesrelatives aux discriminations de toute nature race, sexe, reli-gion qui feront lobjet dune vigilance attentive tant des pouvoirspublics que des personnes concernes.

    Plus largement, les articulations entre les sphres de comptencepubliques et prives, la propension juridiciariser les conflitsseront trs diffrentes dun pays lautre, dune poque lautre.

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  • Ainsi les parties prenantes pouvant arguer de droits lgi-times pour intervenir dans le systme de gouvernance dune orga-nisation peuvent tre trs diverses : cantonnes aux dtenteurs dundroit spcifique (par exemple, titres de proprit) ou largies dautres catgories dacteurs, lies lorganisation par une relationcontractuelle (salaris, clients et fournisseurs, prteurs) ou, plus lar-gement, concernes par les effets de son activit (associations co-logiques, collectivits publiques).

    Conclusion

    Ce bref rappel permet de comprendre combien les questions rela-tives la GE sont contingentes aux socits humaines au sein des-quelles elles sexpriment. On ne peut les tudier dune manireutile, et a fortiori envisager les conditions dune convergence desystmes de GE, sans prendre en compte explicitement les diffrentsfacteurs historiques, juridiques, politiques et culturels qui concou-rent leur production.

    En rsum, un systme de gouvernance : a pour objet central les dirigeants dune organisation, la gou-

    vernance reprsentant, en quelque sorte, le management dumanagement ;

    sexprime par un dispositif institutionnel (ensemble de struc-tures S et de procdures P) et par des comportements C ;

    est rgul par un dispositif impliquant, selon les situations,des organisations professionnelles, des autorits administratives etdes instances juridictionnelles ;

    sexerce au profit de parties prenantes dtentrices de droitsdfinis dune manire contingente par les socits politiques au seindesquelles les organisations concernes sont insres.

    Le schma ci-aprs synthtise cette organisation gnrale des sys-tmes de management et larticulation des diffrents dispositifs degouvernance.

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  • Lencastrement des systmes de managementet de gouvernance

    la manire des poupes russes ,les systmes de management des organi-sations sont encastrs successivement vialeurs dispositifs de gouvernance et dergulation.

    Ainsi, la gouvernance a-t-elle tdfinie comme un second degr du mana-gement : aprs celui de lentreprise parses managers, celui des managers par lesystme de GE, soit le management dumanagement .

    De mme, les dispositifs de rgulationrenvoient un troisime degr du mana-gement : celui du systme de gouver-nance par ces dispositifs de rgulation,soit le management de la gou-vernance .

    On peut continuer lexercice et envi-sager un quatrime degr, concernantlharmonisation des dispositifs de rgula-tion, que lon pourrait appeler la gou-vernance de la gouvernance , voire uncinquime, se rfrant aux principes fon-damentaux rgissant lorganisation de lavie collective, au sein des tats (Consti-tutions et instances du type Conseilconstitutionnel) ou au plan international(traits internationaux et instances dutype Cour des droits de lhomme), niveauultime que lon pourrait qualifier de mtagouvernance ; au-del duquel onquitte le domaine des organisations pourentrer dans celui de la philosophie poli-tique (cf. schma de synthse).

    Schma rcapitulatifOrganisation des systmes de management

    et articulation des dispositifs de gouvernanceNiveau 1

    Management des organisations par leurs dirigeants.

    Niveau 2Gouvernance ou management du management par les instances propres chaqueorganisation (cf. statuts ; par exemple conseil dadministration, assemblegnrale).

    Niveau 3Rgulation ou management de la gouvernance par des dispositifs spcifiques :

    organisations professionnelles (ordres), autorits administratives (autorits ddies), instances juridictionnelles.

    Niveau 4Harmonisation des dispositifs de rgulation ou gouvernance de la gouvernance :

    par la voie politique (lois et rglements), par la voie juridictionnelle (instances dappel).

    Niveau 5 Mtagouvernance : principes fondamentaux concernant lorganisation de la viecollective :

    au niveau des tats : cf. Constitutions, au niveau international : cf. traits internationaux.

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  • 2. Cadres conceptuels de la GE

    Comment reprsenter un systme de gouvernance applique cette catgorie spcifique dorganisation que constitue lentreprise ?

    De nombreux auteurs ont apport une contribution cette ques-tion. On en retiendra les plus significatifs en ayant soin de replacerleurs analyses dans leur contexte.

    Aprs un rappel de la forme canonique de la firme noclassique,on prsentera successivement la thse managriale, la raction queconstitue la thorie de lagence, sa gnralisation et les tentativesmenes pour son dpassement.

    La forme canonique de la firme : lentrepreneurLes pres fondateurs de lconomie politique dAdam Smith

    J.-B. Say ont conceptualis une reprsentation de la firme fortloigne des thories actuelles, en ne traitant pas de cette firmecomme dune organisation, mais en considrant concrtementlentrepreneur, agent actif, dont justement lactivit cre la firme.Cet agent entrepreneur vend un produit sur son march et, pour pro-duire cette marchandise, achte des moyens de production sur leursmarchs respectifs.

    Lentrepreneur est la fois le chef dentreprise et lentrepriseelle-mme, le concept de parties prenantes au sens actuel duterme ntait pas, lpoque, conceptualis.

    Ce chef dentreprise est considr, par hypothse, commelapporteur en fonds propres. En engageant ceux-ci dans laventureentrepreneuriale, il prend le risque des affaires (business risk).

    Lentrepreneurselon Jean-Baptiste Say

    Les entrepreneurs dindustrie nesont, pour ainsi dire, que des interm-diaires qui rclament les services pro-ductifs ncessaires pour tel produiten proportion de la demande que lonfait de ce produit. Le cultivateur,le manufacturier et le ngociant

    comparent perptuellement le prix que leconsommateur veut et peut mettre telleou telle marchandise avec les frais quiseront ncessaires pour quelle soitproduite.

    Source : J.-B. Say [1803], p. 53.

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  • La mfiance dAdam Smithenvers les directeurs

    Les directeurs de ces sortes decompagnies tant les rgisseurs delargent dautrui plutt que de leurargent, on ne peut gure sattendre cequils y apportent cette vigilance exacteet soucieuse que des associs apportentsouvent dans le maniement de leursfonds.

    Source : A. Smith [1776], p. 401.

    Note : Cette phrase souvent cite notamment par Berle et Means[1932] a t place en exergue delarticle de Jensen et Meckling [1976],afin de souligner la continuit des propo-sitions de ces derniers. Les prmisses dela thorie de lagence sont, en effet,contenues dans cette observation et onremarquera la rfrence au statut foncier(utilisation du terme rgisseur ).

    Cette conception, qui part de la personne physique en situation,reste trs prgnante tant en termes institutionnels cf. les codesde commerce qui reposent sur la dfinition du commerant ,quau plan des ralits conomiques : en France, par exemple, 90 %des entreprises restent individuelles et, sur les 10 % qui sont sous laforme de socits, 90 % dentre elles restent des affaires familiales.

    Les questions de GE sont par l rduites a minima. Cependant seposaient, ds cette poque, des cas pour lesquels la responsabilitdes oprations devait tre dlgue des oprateurs distincts despropritaires. Les pres de lconomie politique expriment alorsleurs rticences (cf. encadr).

    La dissociation proprit-pouvoir et la constructiondune thorie managriale de la firme

    Le dveloppement de la grande industrie, rendu possible par lacration de socits faisant appel lpargne publique (public cor-porate), sest affirm partir du milieu du XIXe sicle en Europecomme aux tats-Unis, amenant une sparation de plus en plus mar-que entre les dirigeants de ces grandes units et un actionnariat dis-pers (cf. supra).

    Si limportance de cette dissociation a t rvle par louvrageclbre de A. Berle et G. Means [1932], ce sont des auteurs commeWilliam J. Baumol [1959], Edith T. Penrose [1964], Robin Marris[1964] et Oliver Williamson (dans ses premiers travaux [1964])qui ont conceptualis la question et tent de construire une thoriemanagriale de la firme [Marchesnay, 1969].

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  • Le modle de GE de Marris

    Dans son essai de thorisation du capitalisme managrial , RobinMarris sintresse aux motivations strat-giques des dirigeants des grandessocits cotes et leurs relations avecles actionnaires. Il formalise leur fonc-tion objectif par une fonction dutilitlexicographique, dont lexpression sim-plifie est du type U = U (v, g) danslaquelle :

    v reprsente le taux dvaluation desactions par le march financier, cest--dire le rapport market value/book value(correspondant, pour lessentiel, aufameux ratio Q de Tobin) ;

    g reprsente le taux de croissance de lafirme, exprim travers un indicateursignificatif (par exemple, le chiffredaffaires).

    Le mcanisme de cette fonction duti-lit lexicographique est le suivant : tantque v est infrieur une valeur v*

    considre comme satisfaisante eugard par exemple au risque dOPA ,les dirigeants tentent de relever ce ratio etleur fonction objectif est du type U = U(v). En revanche, lorsque v atteint oua fortiori dpasse v*, les dirigeants,dbarrasss de la contrainte de valorisa-tion, soccupent de ce qui leur tient leplus cur, cest--dire la croissance dela firme quils dirigent : leur fonctionobjectif devient du type U = U (g).

    Source : R. Marris [1964].

    Malgr son simplisme, ce modleexprime clairement un mode de GEcentr sur les managers et ramenant lecontrle exerc par les actionnaires unesimple contrainte quil convient deprendre en compte en fonction desrisques potentiels quelle peutreprsenter.

    Pour ces auteurs, lentreprise tend devenir une entit spcifique,distincte de ses propritaires. Par l, les questions de GE prennenttoute leur importance, les dirigeants de lentreprise lesmanagers pouvant lgitimement dvelopper une stratgie dontles objectifs ne sidentifient pas ou en partie seulement avecceux des actionnaires. Ces derniers tendent devenir des fournis-seurs, parmi dautres, des ressources de la firme, voire descontraintes plus ou moins rigides dont il faut tenir compte. Lemodle propos par Robin Marris [1964] illustre bien cette concep-tion (cf. encadr).

    Cette conception de la firme managriale a eu beaucoup desuccs, notamment on les comprend auprs des cadres diri-geants des grandes socits par actions.

    Dans un pays comme la France, dont on a rappel limportancede ltat dans la vie conomique, elle a pu conforter lide que lesdirections des grandes entreprises, quel que soit leur statut, partici-paient en quelques sorte des missions de service public dansla tradition saint-simonienne et que, en consquence, les marchsfinanciers ne devaient pas jouer un rle majeur. cet gard, onnobservait pas de diffrences sensibles dans les orientations

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  • fondamentales des directions gnrales entre des entreprisespubliques comme EDF, des constructeurs automobiles pourtantlun priv, lautre public , des constructeurs aronautiques galement lun priv, lautre public , ou enfin un groupe ali-mentaire purement priv comme le BSN dAntoine Riboud(cf. infra).

    La priode dite des trente glorieuses 1945-1974 , qui acaractris lconomie franaise et plus largement celles delEurope occidentale, a, sans aucun doute, favoris cette visionmanagriale dune firme oriente principalement vers des objectifsde croissance.

    Aux tats-Unis mmes, cette approche a t dautant mieux reueque la priode de croissance quasi ininterrompue correspondant la phase ascendante dun cycle long de Kondratief a commenc,ds la fin des annes 1930, avec la sortie de la grande dpression etla mise en place du New Deal.

    La thorie de lagence au service du retour de lactionnaire

    Devant le succs des approches managriales de la firme, le peuple des actionnaires ne pouvait rester indiffrent et devaitchercher une riposte approprie. En plus des initiatives en prove-nance dactionnaires individuels ou regroups en associations, et decelles manant des institutions dpargne telles que les fonds depension (cf. supra), il fallait reconstruire un argumentaire thoriquelgitimant lesdites initiatives. La thorie de lagence rpondit cetteattente.

    Cette thorie sest manifeste, au milieu des annes 1970, parplusieurs contributions majeures, notamment celles de MichaelC. Jensen et William H. Meckling [1976] dont les propositionssappuient sur plusieurs courants de recherche : les travaux delcole de Chicago en finance de march notamment le matrede Jensen, Eugen Fama , ceux de lanalyse des organisations[Alchian et Demsetz, 1972], ceux lis au renouveau de lanalyse desdroits de proprit [Furubotn et Pejovich, 1972] et, enfin, les pre-miers travaux sur lagence [Ross, 1973]. Linnovation principale deM. Jensen et W.H. Meckling est davoir rapproch ces courants,connus mais jusqualors bien distincts, pour construire un nouveauparadigme que lon a pu appeler celui de la finance organisation-nelle [Charreaux, 1996 ; Hirigoyen, 1997].

    La firme ny est plus reprsente travers lentrepreneur, commedans sa forme canonique, mais comme un nud de contrats . Lesdiffrentes parties prenantes (apporteurs de capitaux, salaris,

    33

  • clients et fournisseurs) sont lies dans ce nud de contrats grce cette fiction juridique que le droit commercial a autorise en crantces personnes morales que sont les socits. Pour chaque partie,les termes du contrat spcifient plus ou moins en dtail on nepeut toujours tout prvoir, do l incompltude des contrats les droits et devoirs rciproques.

    La primaut de lactionnaire sur le dirigeant. Deux catgoriesde parties prenantes occupent une position particulire :

    dune part, les actionnaires, car leurs droits patrimoniaux nesexercent quen dernier ressort, aprs que les autres ayant droit(prteurs, fournisseurs, salaris) ont pu faire valoir leurs crances.Ils prennent par l un risque financier spcifique qui justifie, encontrepartie, lappropriation exclusive du profit de lexercice et delactif net rsiduel en cas de cessation dactivit ;

    dautre part, les dirigeants, car ils disposent dune informa-tion privilgie par leur position dans lorganisation ils sont desinsiders , et ils peuvent tre tents den profiter pour saccorderdes avantages particuliers ou, plus gnralement, pour conduire lafirme dans une direction qui leur est favorable et qui ne lest pas for-cment pour les actionnaires.

    Ainsi sont mis de nouveau face face les acteurs principaux de lapice traditionnelle sur le thme de la GE.

    Sur ce thme ancien, la thorie de lagence (cf. article de 1976,mais aussi, parmi de nombreux autres, E.F. Fama [1980],M.C. Jensen et M. Ruback [1983], M.C. Jensen [1984], E.F. Famaet M.C. Jensen [1983]) apporte plusieurs lments novateurs :

    le concept de cots dagence (agency costs), relatifs auxdpenses que doivent accepter dengager les actionnaires pour pou-voir contrler les dirigeants, ces derniers pour rendre compte de leuractivit, enfin des pertes rsiduelles pouvant rsulter de limparfaiteadquation de lactivit des dirigeants aux intrts des actionnaires ;

    le concept de march du contrle des firmes (market ofcorporate control), travers les OPA-OPE et autres oprations deprises de contrle ; menaces constituant une pe de Damocls surles socits cotes comme lavait dj bien not R. Marris[1964] ;

    le march des dirigeants , sur lequel les managers sappr-cient ou se dprcient en fonction de leurs performances ;march qui complte le prcdent dans le dispositif concourant discipliner les dirigeants ;

    le concept de flux de trsorerie disponible (free cashflow), indicateur permettant dapprcier les marges discrtionnaires34

  • Les cots dagenceselon Jensen et Meckling

    Nous dfinissons les cots dagencecomme la somme :

    (1) des dpenses de contrle (monito-ring expenditures) engages par leprincipal ;

    (2) des dpenses dexposition

    (bonding expenditures) engages parlagent ;

    (3) de la perte rsiduelle (residualloss).

    Jensen et Meckling [1976], p. 308.

    dont disposent les dirigeants, degr de libert quil conviendra derduire (cf. infra, chap. III).

    La porte de la thorie de lagence. Il serait schmatique dersumer lapport de la thorie de lagence ces lments nova-teurs ; car on serait alors tent de dire, pour rester aux mtaphoresdu thtre, que le changement de dcor ne modifie pas, dunemanire substantielle, la qualit de la pice.

    Il parat plus utile de replacer cette nouvelle thorie dans soncontexte, celui de la mise en cause du statut traditionnel de la firmepar la thorie managriale.

    cet gard, la thorie de lagence, dveloppe par M.C. Jensenet al., a t larme de la contre-offensive suscite par les cono-mistes ultralibraux pour lgitimer leur vision dune firme apparte-nant exclusivement ses actionnaires, sans autre considration.

    On observera que la priode durant laquelle cette thorie sestforge et rpandue le quatrime quart du XXe sicle correspond une modification des tendances longues de lconomie amricaine plus largement occidentale , avec une baisse relative des tauxde croissance posant, en termes plus aigus quauparavant, les arbi-trages entre rentabilit et croissance.

    En termes caricaturaux, on peut dire que Jensen accepte lemodle de Marris, U = U (v, g) cf. supra , mais dit auxmanagers : le niveau de valorisation des capitaux propres par lemarch ne sera jamais assez satisfaisant il y aura en effet tou-jours un raider qui rdera et promettra plus aux actionnaires,( greeding is good ). Aussi, vous ne pourrez pas mettre en uvrela seconde branche de votre fonction dutilit lexicographique, soitU = U (g). En consquence, restez-en la premire branche, soitU = U (v). CQFD.

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  • Comme on le verra, ce raisonnement na pas de limites ; plusexactement ces limites sont celles qui ont t franchies par les dvia-tions auxquelles on a assist au tournant du sicle (cf. infra,chap. V).

    La gnralisation de la thorie de lagence aux parties prenantes

    La thorie de lagence, dans sa forme simple, cantonnait le dbatrelatif la GE au simple face--face entre lactionnaire et le diri-geant, le premier jouant le rle de principal et le second dagent,dans la pure tradition du rgisseur de largent dautrui voquepar Adam Smith.

    Cette vision de la GE a pu paratre quelque peu caricaturale et afait lobjet de nombreuses critiques. La plupart dentre elles repo-saient sur largument suivant : les actionnaires ne sont pas les seuls tre concerns par lvolution de lactivit de la firme. Dautresacteurs sont parties prenantes , soit par des relations contrac-tuelles (salaris, clients et fournisseurs, banquiers et autres cran-ciers), soit tout simplement par limpact des activits de la firmesur son environnement (par exemple, au niveau dun bassindemploi ou dune collectivit publique).

    Largument majeur du risque encouru, en cas de mauvaisesaffaires pouvant entraner la faillite de lentreprise, doit tre lui-mme rvalu. Si lactionnaire court le risque, indniable, deperdre sa mise, les autres parties prenantes sont susceptibles gale-ment de subir des prjudices plus ou moins importants :

    le salari sur son emploi voire sur sa retraite ; le fournisseur, en particulier le sous-traitant, sur ses rsultats

    dexploitation et/ou sur sa trsorerie en cas de crances irrcou-vrables (pouvant entraner dautres faillites en chane) ;

    le banquier, dans sa fonction de fournisseur de crdits, gale-ment sur ses rsultats et sur sa trsorerie ;

    les collectivits publiques, notamment au plan local, sur leniveau dactivit dans les bassins demploi concerns et sur lesrevenus attachs ces activits (taxes fiscales et parafiscales).

    De proche en proche, selon limportance de lentreprise et dumilieu industriel dans lequel elle insre ses activits, cest toutelconomie dun bassin demploi, dune rgion, dun pays qui peuttre atteinte.

    Les conomistes (ainsi R.E. Freeman [1984]) qui avaient prisconscience de cette multiplicit de parties prenantes ont opposune approche pluraliste multivarie stakeholders theory la

    36

  • conception moniste de la GE privilgiant lactionnaire (shareholderou stockholder).

    Le problme de la GE sen trouve par l mme modifi et rendusensiblement plus complexe.

    La contestation du modle dominant et la recherchede nouveaux cadres conceptuels

    Plusieurs voies ont t explores pour tenter dapporter une solu-tion praticable la prise en compte dune approche multipartenairesde la GE.

    La premire a consist rester dans le cadre de la thorie delagence, mais en largissant les paramtres, passant du modlesimple un principal (lactionnaire), un agent (le manager) un modle largi plusieurs principaux (les parties prenantes), unagent (le manager). Des essais de modlisation, rejoignant une lignede travaux familire la thorie des jeux, ont tent dapporter unecontribution positive au dbat [Brandenburger et Stuart, 1996].

    Dautres propositions ont t prsentes, sloignant un peu plusde la conception dominante. Ainsi B. Cornell et A.C. Shapiro[1987] avancent le concept de capital organisationnel form descontrats implicites passs avec les diffrentes parties prenantes, cequi leur permet dlargir considrablement lapproche traditionnellede la structure financire. De mme, S.L. Barton et P.J. Gordon[1988] prnent une conception largie de la structure de finance-ment, intgrant une perspective stratgique.

    En France, les recherches sur la finance organisationnelle fontgalement lobjet de travaux acadmiques, au sein de plusieursquipes universitaires (Bordeaux, Dijon, Paris).

    Ainsi Grard Charreaux et Philippe Desbrires [1998], tout en seplaant dans le cadre des approches contractuelles de la firme, ontpropos un modle danalyse de la GE reposant sur le concept de valeur partenariale , largissant aux diffrentes parties prenantesle concept de valeur actionnariale jusqu prsent dominant(cf. encadr).

    Jos Allouche, Grard Hirigoyen et al. [2000] se placent dans untout autre contexte, en se centrant sur la firme patrimoniale fami-liale qui apparat, maints gards, avoir un comportement en termesde GE bien diffrent de celui des socits cotes (cf. Mignon [1998,2000] et encadr).

    Christian Hoarau et Robert Teller [2001] sinspirent du renou-veau de la thorie de la firme auquel a correspondu l approchefonde sur les ressources (resource-based) B. Wernefeld

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  • Des regards novateurs sur la GE

    La GE en termes de valeur partenariale La mesure que nous proposons la

    valeur patrimoniale sappuie sur unemesure globale de la rente cre par lafirme en relation avec les diffrentsstakeholders et non les seulsactionnaires [].

    La gnralisation de cette dmarche lensemble des clients et des diffrentspartenaires apporteurs de ressources(dont les salaris, les dirigeants, lesactionnaires) conduit mesurer lavaleur cre par diffrence entre lesventes values au prix dopportunit etla somme des cots dopportunit pourles diffrents apporteurs de ressources.

    Le rsidu non affect peut sinterprtercomme le slack managrial, cest--dire lexcdent reprsentant la latitudedont dispose le dirigeant dans sesngociations avec les diffrentsstakeholders.

    Source : G. Charreaux et Ph. Des-brires [1998].

    Le cas des entreprises familialesprennesCaractristiques :

    gestion guide par des objectifs deprennit,

    fidlit et valorisation des res-sources humaines.

    Conclusion : Une structure de proprit familiale,

    si elle noffre pas toutes les vertus, pr-sente nanmoins une alternative intres-sante dans la mesure o elle permet de sesoustraire aux sanctions du march finan-cier et de poursuivre des objectifs strat-giques dans une plus grande libert.

    Source : S. Mignon [2000], p. 188-189.

    Le concept de valeur substantielle

    Lapproche fonde sur les res-sources complte les approches orientessur les positions de march. Les deuxperspectives conduisent la gestion dunportefeuille dactivits.

    Cest travers ces activits que lescomptences centrales et les capacitsorganisationnelles sexpriment.

    Cette vision intgre peut servir decadre de rfrence la valeur substan-tielle par opposition une valeur pure-ment financire.

    Source : C. Hoarau et R. Teller [2001],p. 13.

    La GE comme idologie

    Cest toujours la lumire des cat-gories de la philosophie politique quelon peut alors parler de la vocation ido-logique de lentreprise universaliser lalogique de lefficience toutes lesorganisations.

    Cette poque va donc marquer la con-cidence entre une idologie politiquelibrale et la manire dont lentreprisepense le march. Le march y est vucomme une alternative quitable la cit.Lieu dexercice du principe de libert, lemarch quitable y est galement vucomme celui du principe de justice.

    Source : Y. Pesqueux [2000], p. 139 etp. 173.

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  • [1984] pour proposer une valeur substantielle allant au-delde la simple valeur financire (cf. encadr).Yvon Pesqueux [2000, 2002] dmonte le concept mme de GE quilconsidre comme une idologie tudier dans une triple perspectivepistmologique, anthropologique et politique. Il met laccent surlthique des affaires et sur la responsabilit socitale de lentreprise(cf. encadr).

  • DEUXIME PARTIELA MISE EN UVRE

    DE LA GOUVERNANCE DENTREPRISE ORIENTE ACTIONNAIRE

    Si un systme de GE mobilise, comme tout systme de gouver-nance, un ensemble de structures, de procdures et de comporte-ments, il convient dtudier sa mise en uvre travers ces troissries de composantes et leur interaction dynamique.

    Dans un premier temps (chapitre III) on tudiera les deux pre-mires sries constituant le dispositif institutionnel de la GE, ainsique les principaux instruments oprationnels utiliss.

    Dans un second temps (chapitre IV) on abordera les aspectscomportementaux, au niveau des diverses catgories dacteursconcerns : les dirigeants des entreprises et leurs partenaires finan-ciers (grants de fonds dinvestissement, analystes et conseils, auto-rits de rgulation).

    Lanalyse sera focalise sur la GE oriente actionnaire qui aconstitu le modle de rfrence vers lequel les diffrents systmesde GE devaient tendre, du moins jusqu la crise financire desannes 2000-2002. Cette dernire, ainsi que les tentatives de dpas-sement ou de rforme du modle dominant seront examines dans latroisime partie.

  • III / Les dispositifs institutionnels de la GE

    Les diffrents pays qui se sont impliqus dans les processusdamlioration de leurs systmes de GE lont fait sur la base de rap-ports officiels proposant un certain nombre de modifications desdispositifs institutionnels en vigueur (cf. infra, chap. V).

    Par ailleurs, ces rapports ont recommand linstauration de bonnes pratiques , reposant sur lutilisation dinstruments opra-tionnels adapts.

    Sagissant de cerner les relations entre les dirigeants dune part,les actionnaires et plus gnralement les parties prenantes dautrepart, la plupart des lgislations ont codifi, dune manire souventdtaille, les organes concerns et les procdures respecter. Ainsi,un pays comme la France, pays ancien et de droit crit, dispose detout un arsenal de dispositions rparties, selon leur objet ou leurnature, dans les textes constitutifs du droit des socits, du droitsocial, du code des impts, du plan comptable Les grands paysoccidentaux possdent un dispositif institutionnel comparable, avecles nuances dues lhistoire et aux murs juridiques par exemplequant aux rles respectifs de la loi et du rglement par rapport lacoutume et la jurisprudence. Une des difficults de la constructioneuropenne difficults accrues si on se situe au niveau mon-dial est justement dharmoniser ces dispositifs institutionnelspour les rendre compatibles, dfaut de les fondre en un seulensemble homogne.

    Les observations suivantes concernent respectivement : les organes et procdures internes constituant le dispositif

    propre lentreprise ; les organes et procdures externes constituant le dispositif

    dappui ;

    41

  • les organes et procdures de tutelle, dappel et darbitrageconstituant le dispositif de rgulation ;

    les instruments oprationnels utiliss par ces diffrentes ins-tances dans les procdures touchant la GE.

    1. Le dispositif propre lentreprise

    Quelques questions essentielles peuvent tre poses par rapportau dbat sur la GE : lAG des actionnaires est-elle vraiment souve-raine ? Le CA a-t-il plutt vocation administrer la socit ou contrler son administration ? Le prsident doit-il tre aussi le prin-cipal manager ?

    La souverainet de lassemble gnrale des actionnaires

    Dans la Rpublique des actionnaires selon lexpressionemploye par P.-Y. Gomez [2001] , la souverainet appartientnominalement au peuple form de lensemble des actionnaires,sur la base de la rgle fondamentale : une action = une voix .Lassemble gnrale, convoque pour examiner chaque anne lasituation de la socit AG ordinaire ou sur un ordre du jourad hoc AG extraordinaire , exprime cette souverainet dont lesseules limites sont les dispositions rglementaires dictes dans lepays daccueil.

    De nombreuses drives avaient progressivement modifi cetteforme canonique. Certaines dentre elles, pointes par A. Berle etG. Means [1932], taient dues lmiettement des actionnaires et aurecours excessif des pouvoirs en blanc, systmatiquement endossspar les banques qui les collectaient au profit des dirigeants en place.

    Dans dautres cas, des dispositions statutaires, linitiative desdirigeants le plus souvent, confortaient certaines situations parexemple le droit de vote double attach aux actions conservesdepuis deux ans ou, au contraire, restreignaient les droits desactionnaires par exemple la limitation des droits de vote un cer-tain pourcentage.

    Le dispositif institutionnel recommand par les diffrents rap-ports en faveur dune meilleure GE oriente actionnaire pro-pose de faire disparatre ces clauses prfrentielles ou restrictivesafin daugmenter la fluidit de lactionnariat et de permettre celui-ci dexercer intgralement ses droits.

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  • Par ailleurs, les recommandations portent sur une meilleure infor-mation des actionnaires, afin quils puissent dcider en touteconnaissance de cause.

    Tout particulirement, une attention spciale est porte auxactionnaires minoritaires qui, tant moins informs que les action-naires principaux en gnral reprsents au conseil , peuventfaire les frais doprations menes par ces derniers ou avec leuraccord. Le principe dquit amne mettre ces deux catgoriesdactionnaires sur le mme plan, notamment en cas dOPA ou OPE.

    Dans le mme sens, les dispositions anti-OPA, tendant rendredifficile, voire impossible, une prise de contrle, sont galementcondamnes, comme portant atteinte la souverainet delactionnaire.

    Enfin, une rhabilitation du rle de lAG des actionnaires, au-del des dispositions institutionnelles dcides ou prconises, estvenue du changement des comportements des actionnaires eux-mmes, tout particulirement en liaison avec la monte en puis-sance des fonds dinvestissement et la prise de parole (voice 1)des reprsentants des actionnaires minoritaires, tant il est vrai quunsystme de GE ne prend sens que si le dispositif institutionnel estanim par les acteurs concerns.

    Le rle ambivalent du conseil dadministration

    Entre la souverainet des actionnaires sexprimant traverslassemble gnrale et la direction gnrale de lentreprise uvrantau quotidien, le conseil dadministration et ses membres jouent unrle charnire et ambivalent.

    Dune part, les administrateurs, lus par lAG sauf disposi-tions particulires comme celles prvoyant des reprsentants du per-sonnel lus par leurs pairs , sont les dlgus des actionnaires,leurs dputs en quelque sorte.

    Dautre part, le CA participe l administration de la socitet, ce titre, non seulement doit suivre ses affaires, mais explicite-ment donner son accord pour un certain nombre de dcisions impor-tantes touchant la vie de cette socit. Ses membres, qui portent letitre dadministrateurs, peuvent tre mis en cause s qualits.

    1. Les analystes opposent cette attitude active (voice) celle plus passive que repr-sente le choix de sortir de la socit (exit) en vendant ses actions. Lconomiste AlbertHirschman est lorigine de cette terminologie (en 1970).

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  • Un exemple de dispositif anti-OPA :le BSN dAntoine Riboud

    Initialement constitu de capitauxappartenant aux familles des socitsfondatrices en 1964-1966, le capitalsocial de BSN sest progressivementfragment au fur et mesure des tapesmarquant la constitution du groupe. En1986, aucun actionnaire ne possdait unefraction significative du capital le plusimportant tait la Caisse des dpts avec1,7% , le flottant tant estim 72 %.

    La direction de BSN lpoque a prisconscience du danger que faisait courir lentreprise une telle dilution de soncapital, surtout lorsque la vague des OPAa repris ; mouvement auquel BSN lui-mme participait. Linquitude a surtoutt ressentie lgard du groupe DeBenedetti qui avait exprim le projetdentrer dans le capital de BSN. Le risquetait grand de voir ce dernier groupepasser sous contrle du premier et tredmantel.

    Devant ce danger potentiel, le prsi-dent Antoine Riboud a mis en place plu-sieurs lignes de dfense, visant assurerun meilleur contrle du capital :

    constitution dun groupementdactionnaires stables men parLazard Frres, banque-conseil de BSN,avec la participation de groupes fami-liaux devenus partenaires via les opra-tions de croissance externe (notammentAgnelli). Ce groupement dtenait 20 %des actions et 30 % des droits de vote ;

    mission dOBSA (obligations bons de souscription dactions), placesauprs dun club de banquiers amis ,la GEMOFIN galement conduite parLazard , et permettant de lever tout

    moment 1,2 million dactions, soit 23 %du capital de lpoque ;

    mise en place dune piluleempoisonne (poison pill) sous laforme de lachat dune petite banque, coquille vide , mais dont le statutdtablissement financier obligeait toutassaillant ventuel obtenir une autorisa-tion pralable des autorits franaises. Leprsident Riboud escomptait bien que,dans cette hypothse, lesdites autorits nelauraient pas abandonn ; il navait pashsit, lpoque, considrer que lesgrandes firmes franaises faisaient partiedu patrimoine national, allant mmejusqu comparer BSN et la cathdrale deChartres !

    Ultrieurement au dbut des annes1990 A. Riboud a durci ce dispositifanti-OPA et, craignant que ses parte-naires financiers sentendent sur son dos,a tout simplement fait voter par lAG desactionnaires une autolimitation 5 % desdroits de vote de chaque actionnaire, quelque soit le nombre dactions dtenues ;mesure tendue aux actionnaires pou-vant tre considrs comme agissant deconcert.

    Il a par ailleurs fait voter une droga-tion lge limite du prsident, afindavoir le temps de prparer sa succes-sion en faveur de son fils (bien que lafamille Riboud ne soit plus un action-naire