Gnose Et Gnosticisme Chez Rene Guenon -Par Jean Borella

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    GNOSE ET GNOSTICISME

    CHEZ RENE GUENON

    Jean Borella

    On estimera sans doute que la question de la gnose et du gnosticisme noccupe, chez Ren Gunon,

    quune place trs secondaire. Et cest tout fait exact, si lon sen tient aux textes, puisquil na

    consacr expressment cette question aucun article 1. Pourtant, si lon observe que la gnose ne

    dsigne rien dautre que la connaissance mtaphysique ou science sacre, force est alors dadmettre

    que Gunon ne traite pour ainsi dire que de cela, et quelle reprsente laxe essentiel de toute son

    uvre. Cest de la gnose pure et vritable, telle que Gunon sest efforc de nous en communiquer

    le sens, que nous voudrions ici parler, parce que nous croyons quil ny a pas, en Occident, de notionqui soit plus mconnue, ou plus mal comprise, que celle-l, ce dont nous a convaincu ltude

    attentive de la thologie et de la philosophie europenne.

    Lune des raisons majeures de cette incomprhension presque totale tient au fait, comme nous

    lavons dj signal 1 bis, que le terme de gnose fut demble discrdit par lusage dvi quen

    firent certaines coles philosophico-religieuses du IIe sicle aprs J.C. qui, pour cette raison, ont t

    ranges sous la dnomination gnrale de gnosticisme. Au regard de la foi chrtienne, les deux

    choses paraissent ce point lies quon ne saurait concevoir lune sans lautre, et lon affirmera quil

    ny a pas en ralit dautre gnose que celle dont le gnosticisme aux cents visages nous donne

    lexemple. Mais, par une consquence qui na au fond rien dtonnant, les adversaires du

    christianisme adopteront la mme attitude, et revendiqueront dans le gnosticisme, quils identifient la gnose vritable, la possession dune tradition antrieure et suprieure toute religion rvle.

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    Ce ne sont dailleurs pas seulement christianisme et anti-clricalisme qui professent la confusion de

    la gnose et du gnosticisme ; Gunon lui-mme, dans la premire partie de sa vie adulte ne sest-il pas

    employ ressusciter le gnosticisme, du moins sous sa forme cathare, en participant la constitution

    dune Eglise gnostique, dont il fut (validement ou non) lun des vques ? Lui qui semble toujours

    vouloir distinguer la puret de la gnose des impurets du gnosticisme, na-t-il pas t membre dune

    organisation no-gnostique, hritire prtendue dune ancienne tradition, anime au demeurantdun anti-catholicisme sans quivoque ?

    Y a-t-il eu changement dans lattitude gunonienne ? Ou bien faut-il admettre que, comme il lcrivit

    lui-mme Nolle Maurice-denis Boulet, il ntait entr dans ce milieu de la Gnose que pour le

    dtruire 2 ? Nous verrons qu sen tenir aux textes, il y a bien eu changement, certains gards, ce

    qui ne saurait exclure toute continuit, tant sen faut. Nous estimons en effet que, pour ce qui est de

    la doctrine essentielle, de la mtaphysique pure, Gunon na jamais vari, pour la raison quune telle

    variation est tout simplement impossible : ce que lintellect peroit est, dans son essence la plus

    radicale, immuable vidence. On ne stonnera mme pas quune telle perception apparaisse chez

    un tout jeune homme ; tout au contraire, cest l chose normale : lme jeune est ouverte quasi

    naturellement aux lumires qui rayonnent de lEsprit-Saint 3 tandis quavec lge viennent presquetoujours le durcissement et loubli. En revanche, les formes dans lesquelles on tente dexprimer ces

    intuitions peuvent varier considrablement, car tout langage est tributaire dune culture, et donc

    dune histoire, cest--dire dune dialectique et dune problmatique, ventuellement inadquate et

    toujours compliquantes . Le choix des expressions relve alors dun calcul dopportunit o il est

    presquimpossible de gagner, et qui dpend lui-mme de la connaissance que lon prend de cette

    cette culture et de cette histoire. Une telle connaissance, portant sur des faits, ne peut tre que

    progressive et empirique ; elle dpend aussi, et ncessairement dune certaine affinit du sujet

    connaissant avec lobjet connu. Si bien que, en dehors de lorthodoxie religieuse qui est garantie par

    lautorit de la Tradition magistrielle, la signification daucune forme culturelle ne saurait tre

    immuablement dfinie ; elle change avec lexactitude de nos informations et nos prdispositions

    individuelles, ou peut mme tre dfinitivement suspendue lorsque, dcidment, la question esttrop embrouille. Et lon sait de reste que Gunon ne sest jamais attard l o il ne lui paraissait pas

    possible dobtenir une lumire suffisante 4.

    Les considrations prcdentes nous dictent notre plan. Avant toute chose, nous devons nous

    interroger sur la nature vritable de ce phnomne historique que fut la gnose et le gnosticisme, car,

    en ce domaine tout particulirement, les passions partisanes le disputent trop souvent lignorance.

    Nous pourrons alors mieux apprcier ce que fut la priode gnosticisante de Ren Gunon, entre

    1909 et 1912, qui nous retiendra en second lieu. Enfin nous nous efforcerons de montrer pourquoi la

    gnose gunonienne nest prcisment pas du gnosticisme, car cest l, au fond, tout lessentiel, et

    peut-tre ne la-t-on encore jamais bien expliqu.

    I. La gnose dans son histoire

    Notre intention nest nullement de traiter ici de lhistoire du gnosticisme. Le dossier est si vaste et si

    complexe quil faudrait lui consacrer un volume entier. Il existe par ailleurs de bons exposs sur cette

    difficile question 5. Nous voudrions seulement proposer un point de vue sur la gense de ce

    phnomne religieux qui permette den acqurir une intelligibilit synthtique, ce qui suppose que

    nous rappelions dabord quelques donnes historiques lmentaires. Quelles que soient en effet les

    rserves quil convient de faire lgard de certaines de ses conclusions, nous tenons cependant, en

    cette affaire, la connaissance de lhistoire pour rigoureusement indispensable, dautant que nous

    lavons soulign ailleurs 6, lhistoire du gnosticisme est insparable de son historiographie (ou parfois

    mme sy rduit). Cette historiographie est dailleurs fort rcente les plus anciennes tudes neremontent pas au-del du XVIIe sicle 7 et ne se constitue vritablement quau XIXe, surtout grce

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    aux travaux de lhistorien allemand Harnak (1851-1930). Depuis les rudits les plus considrables

    nont cess de se passionner pour cette question, devenue lun des problmes majeurs de lhistoire

    des religions. En 1945 cet intrt devait bnficier de lune des dcouvertes les plus extraordinaires

    de larchologie chrtienne, celle dune bibliothque Nag Hammdi (khnoboskion) en Haute-

    Egypte 8 : en dterrant par hasard une jarre ensable, on aperut lintrieur 13 volumes en

    forme de codex (cest--dire de cahiers assembls et non de rouleaux ou volumen 9) runissant autotal selon les plus rcentes valuations cinquante trois crits en majorit gnostiques 10, ce qui

    permet dsormais davoir accs directement aux textes. Jusqualors, en effet, tout ce quon savait de

    ceux quon appelle gnostiques se rduisait aux citations et aux rsums quen avaient fait les

    hrsiologues (principalement S. Irne et S. Hippolyte) ou quelques fragments dinterprtation

    malaise 10 bis. Il sen faut, pour autant, que la question du gnosticisme soit dfinitivement claire

    ou quelle en ait t fondamentalement transforme.

    De quoi sagit-il ?

    A vrai dire, il nest pas possible de rpondre cette question. On le pourrait sil existait vritablement

    des coles de pense se donnant elles-mmes le titre de gnostiques et caractrises par un corps

    de doctrines bien dfini. Il nen est rien. Le terme de gnosticisme est de fabrication rcente et neparat pas antrieur au dbut du XIXe sicle. Celui de gnostique (gnostikos) adjectif grec

    signifiant, au sens ordinaire, celui qui sait , le savant , nest employ que fort rarement pour

    caractriser techniquement un mouvement philosophico-religieux : seuls, parmi toutes les sectes

    gnostiques, les Ophites se sont ainsi dnomms 11. Cest on a pu conclure : Il ny a aucune trace,

    dans le christianisme primitif de gnosticisme au sens dune vaste catgorie historique, et lusage

    moderne de gnostique et gnosticisme pour dsigner un mouvement religieux la fois ample

    et mal dfini, est totalement inconnu dans la premire catgorie chrtienne 12. Assurment

    lorsque les historiens appliquent cette catgorie religieuse telle ou telle doctrine, ce nest pas

    absolument sans raison : on retrouve ici ou l, des lments et des thmes religieux communs, dont

    les deux plus constants paraissent tre la condamnation de lAncien Testament et de son Dieu, dune

    part, et celle du monde sensible, dautre part. Cependant, lusage quils en font est ncessairementdpendant de lide quils sen forment, cest--dire, au fond, de la conception de la gnose elle-mme

    et de ce quils peuvent en comprendre. Dans la mesure o la gnose connote galement les ides de

    connaissance mystrieuse et salvatrice, ne se communiquant quelques uns que sous le voile des

    symboles, mettant en jeu une cosmologie et une anthropologie extrmement complexes, et ne se

    ralisant qu travers une sorte de tho-cosmogonie dramatique, dans cette mesure, le concept de

    gnose prend une extension considrable. Les historiens seront alors fonds en dcouvrir en des

    domaines assez inattendus. En dfinitive, cest la religion elle-mme, quelle quen soit la forme, qui

    sidentifiera la gnose.

    Est-il possible de trouver cependant un point de repre fixe et incontestable ? Le mot de gnsis ne

    pourrait-il nous le fournir ?

    Ce terme, en grec, signifie la connaissance. Mais il est trs rarement employ seul, et, presque

    toujours, exige un complment de nom (la connaissance de quelque chose), tandis qupistm

    (science) peut tre employ absolument. Cest pourquoi, on admettra avec R. Bultmann, que gnsis

    signifie, non la connaissance comme rsultat, mais plutt lacte de connatre 13. Contrairement

    dailleurs ce quaffirment quelques ignorants, il nest pas le seul nom dont dispose la langue pour

    exprimer la mme ide 14. Platon et Aristote utilisent aussi, en des sens voisins, outre pistm (et

    les verbes pistastha ou eidena), dianoa, dianosis (et dianoestha), gnom, mathma, mathsis (et

    manthane), nosis et (noen), noma, nous, phronsis, sophia, sunsis, etc. A ct de cet usage

    ordinaire du terme, peut-on parler, comme le fait Bultmann 15, dun usage gnostique , dans

    lequel il serait employ absolument, au sens de la connaissance par excellence , cest--dire de la

    connaissance de Dieu ? Les exemples que fournit la littrature paenne ne sont gure

    probants. Ce nest plus le cas avec la littrature sapientale de lAncien Testament dans sa version

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    gnsis, toutes ne dsignent pas un tat spirituel. Cependant elles ont chaque fois un sens religieux

    (sauf pour la 1er Eptre de S. Pierre, III, 7) et si le sens gnostique est surtout paulinien 23, il nous

    parat galement prsent chez S. Luc, lorsque le Christ dclare : Malheur vous, Docteurs de la Loi,

    parce que vous avez t la clef de la gnose ; vous-mmes ntes pas entrs, et ceux qui entraient

    vous les avez chasss (XI, 52), surtout si lon admet que la clef vritable, cest la gnose elle-mme,

    qui sidentifie en ralit au Royaume des Cieux comme le prouve le passage parallle en S.Matthieu (XVI, 19). Il nous parat donc certain que, sil a exist une gnose (ainsi nomme), elle a

    dabord t chrtienne, et plus encore christique . Il faut rellement tre aveugle au

    phnomne du Christ pour ne pas sapercevoir du prodigieux effet spirituel quil dut produire sur

    ceux qui en furent les tmoins (effet qui, deux mille ans plus tard, ne sest pas encore puis).

    Comment douter un seul instant que ce Jsus-Christ qui tait plus quun prophte ne

    communiqut ceux quIl rencontrait et qui accueillait sa parole, une gnose, un tat de connaissance

    intrieure et difiante sans commune mesure avec rien de ce quils avaient expriment jusque l ?

    cest cet tat spirituel que S. Paul dsigne du nom de gnsis, et dans laquelle il voit la perfection de la

    foi 24. Cest lui que nous retrouverons dans des crits dinspiration paulienne, comme lEptre de

    Barnab parfois compte au nombre des textes no-testamentaires dont lauteur dclare que, sil

    crit ses interlocuteurs qui abondent dj en foi, cest afin que, avec la foi que vous possdez,vous ayez une gnose parfaite 25. Voil pourquoi aussi S. Paul peut dire, quelques lignes

    dintervalles (1 Co., VIII, 1-7) : Nous avons tous la gnose et tous nont pas la gnose , selon

    quelle est simple connaissance thorique qui comme telle, est un savoir ignorant et plein de lui-

    mme, ou bien ralisation effective de sa nature transcendante et divine qui la met labri de toute

    atteinte extrieure (la docte ignorance).

    Resterait se demander pourquoi S. Paul est pour ainsi dire le seul crivain notestamentaire

    parler de gnsis, et pourquoi S. Jean ignore totalement ce nom 26, bien quon puisse avec raison le

    considrer comme lauteur le plus gnostique du Nouveau Testament ? Sans doute on rpondra

    quil faut voir l une preuve de linfluence de la Bible des LXX, laquelle, nous lavons vu, est la

    premire avoir confr ce terme une connotation essentiellement religieuse. A cet influence, unhomme aussi vers dans la science rabbinique que ltait S. Paul devait tre particulirement

    sensible. Plus certainement quun S. Jean, dont la connaissance prend sa source dans la vision directe

    de la Gnose incarne, Jsus-Christ, et, pour sexprimer, use essentiellement des grands symboles

    traditionnels, plutt que de concepts 27. Cependant, cette situation particulire de S. Paul ne

    suffirait pas expliquer la quasi-absence de gnsis dans les Evangiles. Nous croyons quil faut y

    ajouter une autre raison, plus profonde et moins circonstancielle. Cest que, parmi les autorits

    fondatrices de la Rvlation reconnues par la dogmatique chrtienne, S. Paul occupe une place tout

    fait curieuse. Il est certes une autorit majeure, lune des colonnes de lEglise , dpositaire du

    message authentique, et pourtant il na jamais connu le Christ dans la chair ! Tout chrtien doit

    croire que la totalit de la Rvlation a t donne en Jsus-Christ et que les Aptres nen sont les

    dpositaires autoriss que parce quils lont reue. Etant donn le caractre surnaturel de cette

    Rvlation, elle vient ncessairement de lextrieur : fides ex auditu, dit S. Paul lui-mme. Par

    rapport cette Rvlation directe (crite ou orale) qui seule fait autorit, il ne peut y avoir que des

    rvlations prives (dnues de lautorit de foi) ou des commentaires thologiques qui explicitent le

    donn rvl. Que S. Paul ait lui aussi, comme nimporte quel autre chrtien, reu un enseignement

    des Aptres, cest incontestable. Toutefois, parmi tous ceux qui sont dans ce cas, il est le seul dont la

    parole ait valeur de rvlation. Cest quil reut en outre la rvlation de lEvangile directement du

    seigneur (I Co., XI, 23). Elle confirme ou complte la tradition apostolique, mais le mode de sa

    communication ne peut tre quintrieur 28. La dogmatique chrtienne admet donc quil puisse y

    avoir au moins une rvlation qui ne vienne pas uniquement du Christ historique mais aussi du

    Fils intrieur que Dieu, nous dit S. Paul : a rvl en moi-mme (Galates, I, 17). Autrement dit, elle

    admet quil puisse y avoir une exprience spirituelle qui vaille rvlation, un mode de

    connaissance par lequel lintellect pneumatis participe la connaissance que Dieu prend de Lui-

    mme en son Verbe. Il est vrai que, chez S. Paul, cette exprience revt un caractre exceptionnel ;

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    elle est voulue par Dieu comme norme et rfrence doctrinale de la foi chrtienne, sans constituer

    une seconde rvlation . Nanmoins, lexistence mme dun tel mode de connaissance prouve

    que la religion chrtienne nen carte pas a priori le principe. Eh bien, ce mode de connaissance qui

    ralise la perfection de la foi (compatible avec ltat humain), cest lui que S. Paul donne le nom de

    gnose. Il ne prsente videmment pas en tout gnostique , ni le degr de la gnose paulienne, ni

    surtout son caractre (extrinsque) de norme objective pour une collectivit traditionnelle (ce quifait de S. Paul une colonne de lEglise ), mais il dcoule ncessairement de cette possibilit de

    principe. Et cest pourquoi il est tellement important que le christianisme compte prcisment S. Paul

    au nombre des colonnes de lEglise, lui qui ne connat pas le Christ selon la chair 29.

    Toutefois, il ne faudrait pas considrer la gnose chez S. Paul sous son seul aspect charismatique et

    intrieur. Cen est assurment la dimension la plus profonde et la plus dcisive, mais non lunique.

    Comme son nom lindique, la gnsis paulienne est aussi une connaissance au sens premier du

    terme, qui implique donc une activit proprement intellectuelle, capable ventuellement de se

    formuler et de sexprimer de faon claire et prcise. De ce point de vue, S. Paul oppose la glossolalie,

    le parler en langues , indistinct et inarticul, au parler en gnose , qui utilise les articulations

    signifiantes du langage, pour transmettre un savoir, une doctrine, et, par consquent, pour difier la communaut (1 Co., XIV, 6-19). La gnose est la fois ineffable et intrieure, un tat spirituel, et

    aussi formulable et objective, un corpus doctrinal. De ce point de vue, elle est transmissible et peut

    tre lobjet dune tradition. Allons plus loin. La spcificit de la gnose rside prcisment dans la

    conjonction de ces deux aspects. Elle nest, la gnose vritable, ni thorie abstraite, conceptualit

    vaniteuse et qui se contente illusoirement de ses propres formulations, ni mysticisme confus,

    facilement retranch dans lincommunicable. On comprend lvidence limportance que ce terme

    ne pouvait manquer de revtir aux yeux des premiers chrtiens, et plus tard, des premiers Pres de

    lEglise. En lui se formulait quelque chose dirremplaable et dinfiniment prcieux : laffirmation

    dune sorte de vrification interne de la doctrine extrieurement rvle et crue, la possibilit

    pour la thologie 30, dtre autre chose quun simple exercice rationnel, et daccder une

    exprience intellective et savoureuse de la vrit dogmatique, bref, une intellectualit sacre.

    Telles sont les raisons qui engagent les premiers Pres faire usage de ce terme, bien quils eussent

    leur disposition dautres mots pour exprimer lide de connaissance. Cest le cas, au premier chef, de

    S. Clment dAlexandrie, le plus grand docteur de la gnose chrtienne (ainsi nomme), qui nous la

    prsente la fois comme une tradition secrte enseigne par le Christ quelques aptres 31, comme

    consistant dans linterprtation des Ecritures et lapprofondissement des dogmes 32, enfin comme la

    perfection de la vie spirituelle et laccomplissement de la grce eucharistique 33. Cest le cas

    dOrigne, qui, pourtant, dans le Contre Celse, utilise aussi des termes tels que dogma, didaskalia,

    pistm, logos, sophia, thologia, etc., mais qui maintient lusage de gnose et de gnostique ,

    alors mme quil combat un gnosticisme hrtique, ce qui a fait dire que les chrtiens nont pas

    craint demployer le mme vocabulaire que les gnostiques 34. Nous voyons la mme attitude chezS. Irne de Lyon, dont lAdversus Haereses combat la gnose au faux nom pour tablir la gnose

    vritable . Et de mme chez S. Denys lAropagite ou S. Grgoire de Nysse. Cest ainsi quil a exist

    incontestablement une gnose authentiquement chrtienne 35. Et sans doute fut-ce un grand

    malheur pour lOccident que la langue latine ne comportt aucun terme quivalent pour traduire

    gnsis, car ni agnitio ou cognitio ni scientia ou doctrina navaient reu de leur usage biblique, puis

    paulinien, la signification sacre du vocable grec 36. Cette infriorit smantique devait videmment

    favoriser lapparition et le dveloppement dun rationalisme thologique qui conduit ncessairement

    aux ractions anti-intellectuelles de la thologie existentielle et, finalement, la disparition de la

    doctrina sacra.

    Mais, aprs lemploi biblique et paulino-patristique du mot gnsis, il nous faut en venir son emploi

    hrtique, puisque cest lui qui a donn naissance ce quon appelle gnosticisme . Cet emploi

    apparat dj chez S. Paul, lorsquil dnonce la gnose au faux nom (1 Tim., VI, 21). De mme, chez

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    fragments doctrinaux de toute provenance et dorigine souvent pr-chrtienne. Enfin, elle repose

    essentiellement sur la prise en compte du caractre puissamment gnostique de la manifestation

    christique, ce dont, nous semble-t-il, on sest trop peu avis jusquici 40.

    On le voit, lenjeu de cette redoutable question nest pas mince, et cest pourquoi nous devions nous

    tendre sur son histoire. Il est hautement significatif que la premire hrsie chrtienne ait t legnosticisme et dune certaine manire, toute lhistoire de lOccident en a t change. Car le

    gnosticisme hrtique, sil a disparu au Ve ou VIe sicle, peu prs compltement, a au moins russi

    une chose : cest discrditer dfinitivement le vocable notestamentaire de gnose et, par l,

    occulter presque entirement la simple ide dune intellectualit sacre. Et nous croyons que si

    luvre de Ren Gunon a un sens, cest non seulement de rhabiliter la notion de gnose, mais, plus

    profondment, de nous en redonner lintuition vive et lumineuse. Cependant, avant de montrer

    quelle est effectivement la situation et la fonction de la gnose vritable chez Gunon, nous devons

    nous interroger sur les raisons qui lont dabord conduit adhrer au no-gnosticisme le plus

    contestable, et quelle fut la signification de cet pisode assez droutant.

    II. La rencontre des no-gnostiques

    Force est de constater que lintrt de Gunon pour le gnosticisme et la gnose semble commencer

    par correspondre assez exactement celui de son temps, cest--dire lide que sen forme une

    certaine mode culturelle entre 1880 et 1914. Remarquons le bien, cest aussi cette poque que

    slabore lhistoriographie scientifique du gnosticisme, avec ses deux grandes tendances, celle de

    Harnarck dune part, qui voit dans le gnosticisme une hellnisation radicale et prmature du

    christianisme 41, hellnisation que russira la Grande Eglise avec plus de sagesse et de lenteur,

    celle de Bossuet et de Reitzenstein dautre part, qui, frapps par la ressemblance du gnosticisme

    chrtien avec des manifestations religieuses gyptiennes, babyloniennes, iranienne, hermtiste,

    parlent dune gnose prchrtienne et voient dans le gnosticisme de Valentin, de Basilide ou de

    Marcion, une sorte de rgression dun christianisme hellnis vers ses origines orientales 42,bref, une orientalisation 43 non moins radicale que lhellnisation de Harnack. Or, cet essor de

    lhistoriographie gnostique va de pair avec une certaine mode de la gnose, qui apparat dj au XVIIIe

    sicle, mais qui prcise ses traits essentiels surtout dans la premire partie du XIXe. Cest alors que se

    prcise la signification plus ou moins occultiste de ce terme, signification quil gardera dsormais

    dans lusage quen font la plupart des cercles pseudo-sotristes. Tel nest pas le cas au XVIIe sicle.

    A cette poque, Fnlon peut encore tenter de reprendre le vocabulaire parfaitement orthodoxe de

    Clment dAlexandrie et didentifier la mystique du pur amour la gnose des Pres de lEglise. Sans

    doute son opuscule, La gnostique de saint Clment dAlexandrie, dans lequel il fournit un magistral

    expos de la doctrine du grand Alexandrin, restera-t-il longtemps indit, Bossuet en ayant

    videmment interdit la diffusion 44. Nanmoins Bossuet lui-mme ne soffusque point de lemploi du

    terme et sefforce seulement den ramener la signification sur le plan de la thologie commune : Jene vois point, dit-il, quil faille entendre dautre finesse ni, sous le nom de gnose, un autre mystre

    que le grand mystre du christianisme, bien connu par la foi, bien entendu par les parfaits, cause

    du don dintelligence, sincrement pratiqu et tourn en habitude 45. Semblablement, Saint-Simon

    nous atteste que le terme de gnose dsignait, la cour de Louis Xiv, la doctrine de Fnelon 46,

    toutefois, le caractre compromettant du terme nous parat saccentuer avec le temps. Les

    raisons nen sont pas difficiles supposer.

    Lchec de Fnelon dans son effort pour redonner vie la gnose de S. Clment dAlexandrie, en la

    rapprochant de la mystique thrsienne et sanjuanienne ainsi que de la doctrine du pur amour, ne

    laisse subsister quun seul sens de ce terme, le sens condamn. De fait, les dictionnaires de lpoque,

    celui de Moreri, ou le clbre Dictionnaire de labb Bergier 47, ne comportent aucun article sur lagnose, mais seulement sur les gnostiques o lon traite principalement des hrtiques de ce nom. Le

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    sens ordinaire est peine voque. Sans doute le catholicisme officiel est-il ainsi persuad quil a

    partie gagne contre la gnose, et qu bannir le terme, il sassure une victoire dfinitive sur la chose

    quil dsigne. Il nen nest rien. La condamnation de toute gnose naurait eu defficace qu la

    condition de simposer une socit rsolument chrtienne. Au contraire, un tel acharnement qui

    ne reculait devant aucune calomnie, particulirement pour ce qui est des murs ne pouvait servir

    qu dsigner lhrsie lattention des libertins et des malveillants. Cest ce qui advint. Peu peu,les hrsiarques prennent figure de hros de la libre pense. On voit en eux ou bien des philosophes

    chrtiens qui cherchent dj secouer le joug de la discipline dogmatique et que ne saurait satisfaire

    la crdulit du vulgaire, ou bien des philosophes paens soucieux dappliquer aux images obscures de

    la foi les exigences de la raison. Au demeurant, llitisme sotrisant de la gnose flatte la vanit du

    libertin. Plus la socit dancien rgime se dchristianise en profondeur, plus la religion se ramne

    une simple faade, encore omniprsente, mais dont on supporte de moins en moins la grossire

    duperie . Bonne pour les simples, comme laffirme Voltaire qui, le dimanche samuse jouer le cur

    de campagne devant ses paysans, son pouvoir est sans effet sur lesprit suprieur qui se tourne, avec

    un sentiment de connivence, vers les anciens hrtiques, et mme, par del le christianisme, vers le

    paganisme antique. De ce point de vue, tout sotrisme ne peut tre quhtrodoxe et porteur des

    espoirs du genre humain dans son long combat vers la lumire . Survient alors la rvolutionfranaise dont le satanisme dchan porte lEglise catholique, la plus ancienne institution de

    lOccident, les coups les plus terribles de son histoire. En un an, entre 1793 et 1794, cette institution

    a compltement disparu du sol franais 48, et ne recouvrera jamais son ancienne splendeur. La

    faade abattue, dans le dsert spirituel dune poque sinistre entre toutes, que ne parviennent pas

    remplir les clats dune rhtorique extrmement insane, un certain no-paganisme mystique

    retrouve quelques chances.

    Un peu plus tard, se dveloppe en Allemagne un courant, le romantisme, qui, par certain cts, est

    lantipode de lathisme rvolutionnaire, mais qui finira par se conjuguer avec lui pour constituer une

    sorte dsotrisme ventuellement anti-chrtien. Ce romantisme, en redcouvrant Matre Eckhat et

    Jakob Boehme, a remis en honneur lide dune connaissance spirituelle purement intrieure, laquelle il donnera volontiers le nom de gnose. Le meilleur exemple, cet gard, est sans doute celui

    de F. X. Baader, qui distingue dailleurs nettement entre une pseudo-gnose, dorigine diabolique, et

    la vritable gnose chrtienne : Il est vrai quil y a une pseudo-gnose, dit-il, et luvre (de L. CL. de

    Saint Martin) () nous parle assez clairement dune telle cole de Satan se rpandant terriblement

    parmi nous, mais voil pourquoi il y a et il y eut toujours une vraie gnose 49. De mme chez Hegel,

    luvre boehmienne est dfinie comme une gnose, mais qui doit, pour devenir parfaite, se

    transformer en philosophie pure 50. On conoit alors que, dans lintense circulation des ides qui

    sopre en Europe, en cette premire moiti du XIXe sicle, la gnose en vienne peu peu dsigner

    une connaissance sotrique, suprieure celle de la dogmatique chrtienne, et qui rend inutile

    toute religion officielle parce quelle dissipe le mystre. Cette gnose, fondement mystique de

    lidologie anti-clricale, est persuade de renouer avec une tradition secrte, victime exemplaire de

    la haine ecclsiastique, et de retrouver ainsi la terre nourricire de nos plus authentiques racines

    culturelles, celles que le judo-christianisme navait pas empoisonnes, ou que le centralisme romain

    navait pas russi extirper. Tmoignage indubitable de cette conception, larticle que le

    GrandDictionnaire Universel de Pierre Larousse consacre gnosticisme (le terme est dj reu) : On

    se tromperait () en croyant que la gnose est essentiellement un fait chrtien. Par son origine, son

    but, et ses efforts, elle est beaucoup plus large quune religion quelconque naurait pu ltre ; cest la

    libre pense cherchant expliquer la fois le monde, la socit, les croyances, les murs, le tout

    laide de la tradition ; ce qui montre quil ne faut pas confondre ici pense libre avec rationalisme .

    Puis, aprs avoir affirm que sa ressemblance avec le bouddhisme prouve son origine indienne, il

    dclare : La gnose ne fut point une hrsie, mais bien la philosophie du christianisme lui-mme ;

    () aux chrtiens la gnose disait : votre chef est une intelligence de lordre le plus lev, mais ses

    aptres nont pas compris leur matre, et, leur tour, leurs disciples ont altr les textes quon leur

    avait laisss 52.

  • 8/14/2019 Gnose Et Gnosticisme Chez Rene Guenon -Par Jean Borella

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    Telle est, approximativement, lide que se font de la gnose ceux que nous avons appels les

    mystiques anti-clricaux , et avec lesquels le jeune Gunon est entr en contact. Ils en parlent avec

    dautant plus dassurance quils ddaignent de sen informer historiquement, persuads dtre les

    seuls savoir vraiment de quoi il retourne. Pour universelle que soit leur conception de la gnose, ils

    entendent bien cependant se situer dans la continuit doctrinale de ce qui commence sappeler le

    gnosticisme, cest--dire les coles hrtiques chrtiennes. On prsente gnralement cette doctrinecomme une raction affective au scandale, que constitue lexistence du mal. Cest indniable, mais

    insuffisant. Le mal objectif, prsent dans la cration, qui leur en parat irrmdiablement souille,

    nest si vivement ressenti comme injustifiable quen corrlation avec la suraccentuation dramatique

    de lintriorisation salvatrice : ces deux excs, lun objectif, lautre subjectif, se conditionnent

    rciproquement. Le devoir dintriorit rpute toute cration matrielle comme mauvaise, et la

    dchance de la cration ne laisse dautre salut que dans la fuite intrieure. Il en rsulte comme nous

    lavons montr ailleurs 53, un anglisme anti-crationiste qui saccompagne ncessairement dun

    doctisme christologique : comment Dieu aurait-il pu se faire vraiment chair, si la chair est

    entirement mauvaise ? En consquence, le crateur biblique nest quun dmiurge, un mauvais

    dieu, quil convient de rejeter avec tout lAncien Testament et le rabbinisme thologique de S. Paul.

    Ces thmes sont connus. Ils rvlent, au regard de la doctrine mtaphysique, telle que Gunon lui-mme nous la enseigne, non seulement une pense plus bhaktique que jnnique, mais encore une

    incomprhension radicale du mystre de limmanence divine dans lextriorit cosmique, car,

    comme lenseigne le Koran : Il est le Premier et le Dernier, et lExtrieur et lIntrieur, et Il connat

    infiniment toute chose (LVIII, 3) 54. On le voit, selon le Koran, la gnose infinie de Dieu consiste

    prcisment dans lunit radicale et la rigoureuse implication de limmanence et de la transcendance,

    de lextrieur et de lintrieur. Pourtant, ce sont certaines de ces ides que lon retrouve dans les

    tout premiers textes de Gunon-Palingnius, et lon comprend pourquoi il a pu laisser entendre un

    jour quil navait plus rien de commun avec celui qui les avait exprims 55.

    Nous nexposerons pas en dtail lhistoire du gnosticisme rnov tel quil se manifeste en France la

    fin du XIXe sicle. Cette histoire est encore crire. On en trouve cependant les lments principauxdans les divers ouvrages consacrs Gunon et qui nous expliquent comment Gunon fut men

    entrer en relation avec ce gnosticisme 56.

    Vers 1880, lady Cathness, duchesse de Pomar, membre de la socit thosophique et sotrique

    chrtienne 57, organisait en son htel particulier de la rue Brmontier, Paris, des sances spirites

    o lon aimait voquer les mnes des grands disparus : Simon le Magicien, pre du gnosticisme

    selon S. Irne, Valentin, Apollonius de Tyane, etc. A ces sances assistaient parfois un archiviste et

    homme de lettres au temprament impressionnable et quelque peu instable, nomm Jules Doinel.

    Un soir dautomne 1888 58, se manifeste lesprit de Guilhabert de Castres, vque cathare de

    Toulouse 59, qui donne J. Doinel la mission de restaurer lEglise gnostique, et qui, pour cela,

    linvestit de la fonction de patriarche 60. Dautres rvlations et quelques vrifications, convainquentJ. Doinel de lauthenticit de son initiation. A linstigation dun ami, Fabre des Essarts, se tient Paris

    une assemble gnostique qui reconnat Doinel comme patriarche sous le nom de Valentin II. Plus

    tard il confre lui-mme la dignit piscopale Fabre des Essarts (Synsisus) 61, Grard dEncausse,

    fondateur du martinisme, et quelques autres. Doinel, cependant, semble avoir toujours t

    dsireux de rapprocher lEglise gnostique de lEglise catholique. En 1894, il va mme jusqu abjurer

    et remettre entre les mains de Monseigneur dOrlans son pallium piscopal 62 . cest pourquoi, en

    1895, Synsius lui succde comme patriarche de lEglise gnostique, et confre son tour la

    conscration piscopale Lon champrenaud, Albert de Pouvourville 62 bis, Patrice Genty, etc. Cest

    au cours du Congrs spiritualise et Maonnique de 1908 que Gunon rencontrera Fabre des Essarts.

    Il demanda entrer dans cette Eglise gnostique, et en 1909, il est sacr vque dAlexandrie sous le

    nom de Palingenius 63. Synsius fonde alors une revue La Gnose, dont il confie la direction Gunon

    et dont la publication sarrtera en fvrier 1912. Tels sont les faits, autant que nous avons pu les

    reconstituer.

  • 8/14/2019 Gnose Et Gnosticisme Chez Rene Guenon -Par Jean Borella

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    Quant la doctrine de lEglise gnostique, elle est en tout point conforme aux thses du gnosticisme

    des premiers sicles : anti-judasme et anti-jhovisme, accusations renouveles contre les Pres de

    lEglise qui ont tortur de mille faons les enseignements quils ont reus , anti-clricalisme, etc

    64. Incontestablement, ces thses sont en contradiction avec lenseignement ultrieur de Gunon.

    Comment donc pouvait-il les faire siennes ? On explique gnralement les affiliations successives ou

    simultanes de Gunon diverses organisations pseudo-sotriques comme une enqute destine vrifier leurs prtentions initiatiques 65. Au reste, Gunon lui-mme a prsent les choses ainsi et

    parle des : investigations que nous avons d faire ce sujet , cest--dire au sujet de la rgularit

    initiatique 66. Il est vrai quen un autre texte il affirme que : Si nous avons d, une certaine

    poque, pntrer dans tels ou tels milieux, cest pour des raisons qui ne regardent que nous seul

    67, ce qui ne contredit point laffirmation prcdente, mais est assurment moins explicite. Nous

    avons rappel, dautre part, la dclaration quil avait faite Nolle Maurice Denis-Boullet, selon

    laquelle il tait entr dans lEglise gnostique pour la dtruire 68. Comme il nous semble impossible de

    contester la signification convergente de ces assertions, nous admettrons que Gunon, par esprit de

    srieux, enqutait sur les prtentions sotriques des organisations en question, et sefforait, pour

    cela, de pntrer lintrieur de chacune de leurs associations ? Un examen critique de leurs

    doctrines dclares, manifestement anti-traditionnelles, ntait-il pas suffisant ? Sans doute faut-ilsupposer que certaines apparences peuvent tre ce sujet trompeuses ou droutantes 69.

    Il faudrait donc conclure que Gunon na jamais fait siennes les doctrines en question, contrairement

    notre supposition prcdente, et quil na paru sen accommoder que le temps ncessaire ses

    investigations. Conclusion que semblent confirmer certains textes de Palingenius qui, par exemple,

    dclare en 1911 : nous ne sommes point des no-gnostiques () et, quant ceux (sil en subsiste)

    qui prtendent sen tenir au seul gnosticisme grco-alexandrin, ils ne nous intressent aucunement

    70. De mme est-il certain que dans bien des articles de cette poque tout le monde la soulign

    on trouve des lments doctrinaux identiques ceux que formule le Gunon de la maturit. Plus

    encore, Gunon lui-mme dclare, en 1932, la suite du texte cit plus haut sur les raisons

    personnelles quil avait de pntrer dans tels ou tels milieux : quelles que soient les publicationso aient paru des articles de nous, que ce soit en mme temps ou non, nous y avons toujours

    expos exactement les mmes ides sur lesquelles nous navons jamais vari 71.

    Et pourtant, il est bien difficile de concilier certaines affirmations de la priode 1909-1913, avec celle

    de luvre ultrieure. Si nous croyons, comme nous lavons dit au dbut, que sur lessentiel, cest--

    dire sur la mtaphysique pure (ou la gnose) Gunon, et pour cause, na jamais vari, nous sommes

    dans lobligation de constater que son jugement sur ce que nous appellerons globalement les formes

    traditionnelles a chang.

    Il y a dj quelques annes, dans un article en tout point judicieux, Jean Reyor avait soulign

    combien la publication de certains textes antrieurs 1914, pouvait drouter le lecteur de Gunon,lequel, en son ge mr, entendait ne plus se solidariser avec toutes les positions prises dans ses

    crits de jeunesse 72. Quand il affirme, par exemple, dans la revue La Gnose que la Tradition

    nest nullement exclusive de lvolution et du progrs , que le but du Grand-uvre est

    laccomplissement intgral du progrs dans tous les domaines de lactivit humaine , que les

    Maons nont pas reconnatre lexistence dun Dieu quelconque 73, que dailleurs le Dieu des

    religions () est non seulement irrationnel mais mme anti-rationnel , et que le dieu

    anthropomorphe des chrtiens ne peut tre assimil Jhovah (), lhirogramme du Grand

    Architecte de lUnivers lui-mme dont le nom peut tre remplac par celui de lHumanit 74, et

    autres bizarreries, on est en droit de se demander sans malveillance, si ces propos sont conciliables

    avec ceux quon trouve dans La crise du monde moderne ou dans Le rgne de la quantit et les

    signes des temps. Il est impossible de rpondre oui, mme si Gunon prcise que, par humanit, il

    faut entendre lHomme universel , et mme si la raison peut tre considre comme raison

  • 8/14/2019 Gnose Et Gnosticisme Chez Rene Guenon -Par Jean Borella

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    suprieure , selon une expression augustinienne, ce qui est galement le cas du mot manas chez

    shankara ou dans le Samkhy 75.

    A vrai dire, dailleurs, ces divergences portent plus sur un ton gnral, rvlateur dune attitude, que

    sur des points doctrinaux particuliers. Lutilisation du vocabulaire du rationalisme anti-clrical prouve

    surtout que Gunon ne sest pas encore dgag de certaines influences et de certains milieux dont iladopte quelques gards, le langage. Ce quil ne fera plus par la suite, partir de 1911-1912, date

    laquelle il rompt dfinitivement avec les organisations occidentales auxquelles il appartenait, ou

    procde lui-mme leur dissolution. Ce changement dattitude ne concerne pas seulement les

    notions de progrs, dvolution, de rationalisme, que lon caractriserait assez bien comme

    idologie de la libre pense . Il concerne aussi quelque chose de beaucoup plus important, savoir

    lattitude de Gunon lgard de la religion en gnral et du christianisme en particulier. Sans doute,

    cette attitude restera-t-elle trs critique. Mais on peroit, chez le jeune Gunon, une indiffrence

    pour ne pas dire un mpris lgard des religions et de leur Dieu, qui nous parat absente des

    grandes uvres de la maturit. Ce qui fait dfaut Palingenius, cest, non pas la notion, mais peut-

    tre le sens vivant et concret de la Tradition, et donc le respect des formes sacres dans lesquelles

    elle sest exprime. Assurment, le contenu doctrinal des grandes uvres est-il dj plusquesquisse dans les articles de La Gnose, et lon a raison de le souligner. Mais latmosphre de la

    pense a quelque peu chang. En 1911, Palingenius affirme : nous ne pouvons concevoir la Vrit

    mtaphysique autrement que comme axiomatique dans ses principes et thormatique dans ses

    dductions, donc exactement aussi rigoureuse que la vrit mathmatique dont elle est le

    prolongement illimit 76. En 1921, Ren Gunon crit : La logique et les mathmatiques sont,

    dans le domaine scientifique, ce qui offre le plus de rapports rels avec la mtaphysique ; mais, bien

    entendu, par l mme quelles rentrent dans la dfinition gnrale de la connaissance scientifique

    () elles sont encore trs profondment spares de la mtaphysique pure 77. Entre temps, la

    transcendance de la mtaphysique sur tout le reste sest considrablement accentue parce que sa

    nature de tradition sacre et son origine primordiale, dj explicitement affirmes, ont conduit

    Gunon, peut tre la suite dun certain vnement, prendre une conscience plus nettementhirarchique de sa surminence principielle 78.

    Un dernier exemple achvera de nous convaincre de ce changement de ton et de lloignement de sa

    pense relativement au gnosticisme de sa jeunesse. Il nous est fourni par le clbre article Le

    Dmiurge, considr comme la premire uvre doctrinale de Gunon, prouvant quen 1909, il est,

    comme on dit, en pleine possession de sa doctrine. Or, ce nest pas exact, et, si on lit attentivement

    ce texte, on observe une divergence considrable avec les textes ultrieurs, au moins sur un point,

    vrai dire significatif.

    Nous ferons dj remarquer que le titre mme de Dmiurge et lvocation, au dbut de larticle, du

    problme du mal, auquel ce Dmiurge est charg dapporter une solution, relvent typiquement dugnosticisme : le Dmiurge est le crateur du monde mauvais. En vrit, quand on prend connaissance

    du dtail de lexpos, on saperoit que lide centrale, au fond orthodoxe, pourrait se passer du

    langage dont elle est revtue. Ce qui le prouve, cest la complte disparition de ce personnage

    dans les uvres ultrieures 79. Si, en 1909, il identifie le domaine de ce mme Dmiurge et ce

    quon appelle la Cration si Tous les lments de la Cration sont contenus dans le Dmiurge lui-

    mme qui peut donc tre considr comme le Crateur 80, en 1921 lidentification du

    Dmiurge au Dieu crateur est regarde comme une hrsie thologique et un non-sens

    mtaphysique 81. Ce non-sens est dailleurs propre au gnosticisme : on ne doit pas, dit Gunon,

    assimiler (le Grand Architecte de lUnivers qui nest quun aspect de la divinit ) la conception

    gnostique du dmiurge , ce qui lui donnerait un caractre plutt malfique () 82. Entre le

    Crateur et le Dmiurge il faudrait au moins choisir 83.

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    Mais le point qui nous parat le plus significatif concerne ce que Gunon appelle dans Le Dmiurge le

    monde pneumatique , distingu du monde hylique et du monde psychique . Rapprochant

    ces dnominations gnostiques (et pauliennes) de la doctrine du Vdnta, il crit ; Celui qui a pris

    conscience des deux Mondes manifests, cest--dire du Monde hylique, ensemble des

    manifestations grossires ou matrielles, et du Monde psychique, ensemble des manifestations

    subtiles, est deux fois ns, Dwidja ; mais celui qui est conscient de lUnivers non-manifest ou duMonde sans forme, cest--dire du Monde pneumatique, et qui est arriv lidentification de soi-

    mme avec lEsprit universel Atm, celui-l seul peut tre dit Yogi, cest--dire uni lEsprit universel

    84 . Et, quelques lignes plus loin, il tablit la correspondance de ces trois mondes avec les trois

    tats de veille, de rve, de sommeil profond. Dans une telle cosmologie, la manifestation ne

    comprend donc que deux mondes, corporel et psychique, le monde pneumatique tant non-

    manifest, et le Plrme, ni manifest ni non-manifest . Or, comme on le sait, selon Lhomme et

    son devenir, la manifestation universelle comprend trois monde, le troisime tant constitu par

    les ralits intelligibles ou informelles. Par rapport la conception gnosticisante du Dmiurge,

    lunivers manifest saccrot ainsi dun degr supplmentaire, celui que lInde appelle Mahat ou

    Buddhi. Ds lors, ltat de sommeil profond (sushuptasthna), qui est ltat de Prjna (le

    connaissant ), ne correspond plus seulement au degr non-manifest de lEtre pur, mais englobeaussi la manifestation informelle : il faut inclure dune certaine faon Buddhi dans ltat de Prjna

    85 .

    Toutefois, ce quil convient surtout de remarquer, cest que ladjonction dun degr de ralit la

    manifestation universelle en change compltement la signification : le pessimisme cosmique du

    gnosticisme est rcus, car, si la cration renferme du pneumatique ou de lintelligible, alors il y a au

    moins un degr de lunivers qui resplendit dans la beaut de sa perfection cre, et ou se rvle sa

    bont foncire. Les essences, en tant que ralits informelles ne sont en dfinitive pas autre chose

    que lexpression mme dAtm dans la manifestation 86, et rciproquement, dirons-nous,

    lexpression de la manifestation, sinon dans Atm, du moins dans sa plus immdiate proximit :

    cration paradisiaque illumine directement par le Soleil divin 87.

    On voit toute limportance, vrai dire dcisive, de laffirmation du monde intelligible qui, seul, peut

    sauver le cosmos de la dispersion indfinie dans les tnbres extrieures, en mme temps quil sauve

    la connaissance humaine de son miettement dans linsignifiance du nominalisme. Aristote, qui nie la

    ralit propre des essences, est le vritable pre dOccam.

    Nous en avons assez dit, maintenant, sur les rapports de Gunon avec le gnosticisme. Dsormais son

    attitude ne variera plus et mme ne fera que se renforcer. Nous pourrions la rsumer dans les deux

    points suivants : 1 condamnation et rejet dfinitif des no-gnostiques, 2 distinction prjudicielle et

    invariable entre gnose et gnosticisme. Et si la gnose est dfinie comme la connaissance mtaphysique

    par excellence, le gnosticisme, avec quelques diffrences selon les textes, est dfini de manireplutt pjorative, comme lensemble des coles hrtiques que les historiens dsignent de ce nom.

    Le texte le plus explicite que Gunon lui ait consacr se trouve dans Orient et Occident. Il dclare, en

    particulier : Il est assez difficile de savoir aujourdhui dune manire prcise ce que furent les

    doctrines assez varies qui sont runies sous cette dnomination gnrique de gnosticisme , et

    parmi lesquelles il y aurait sans doute bien des distinctions faire ; mais, dans lensemble, il apparat

    quil y eut l des ides orientales plus ou moins dfigures, probablement mal comprise par les

    Grecs, et revtues de formes imaginatives qui ne sont gure compatibles avec la pure intellectualit ;

    on peut assurment trouver sans peine des choses plus dignes dintrt, moins mlanges

    dlments htroclites, dune valeur beaucoup moins douteuse et dune signification beaucoup plus

    sre 88.

  • 8/14/2019 Gnose Et Gnosticisme Chez Rene Guenon -Par Jean Borella

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    Si maintenant on sinterroge sur lvnement auquel nous avons fait allusion prcdemment et qui

    aurait jou un rle de catalyseur dans lattitude de Gunon lgard du pseudo-sotrisme des

    formes religieuses, nous rpondrons quil est trs probablement constitu par son rattachement au

    Soufisme. Cest en 1912, selon les indications que fournit la ddicace du Symbolisme de la croix, date

    confirme par une lettre, que Gunon reut linitiation 89. Nous croyons cet vnement dcisif, non

    du point de vue doctrinal, mais du point de vue spirituel, cest--dire pour ce qui regardelengagement de ltre tout entier dans la Vrit. Comment, en effet, ne pas remarquer que cest

    cette date que Gunon rompt dfinitivement avec les marginaux de lsotrisme pour adhrer

    une ligne initiatique rgulire ? Cest aussi cette initiation qui lui communique une conscience plus

    vive et plus concrte des exigences du point de vue traditionnel, puisquil semble bien que, selon le

    titre excellent du livre de Jean Robin, Ren Gunon nait jamais voulu tre autre chose quun

    tmoin de la Tradition . Il y aurait sans doute encore dautres concidences relever (par exemple

    labandon du pseudonyme Palingenius pour celui de sphinx ), non moins significatives. Quoi

    quil en soit, cet vnement nous parat analogue celui qui surviendra en 1930 avec son dpart

    pour Le Caire, et qui lui donnera de se plonger autant que sa nature le permettait dans une

    ambiance rellement traditionnelle. Bienheureux ceux qui nont pas vu et qui ont cru ! . Mais il y a

    des choses que lon ne comprend quaprs les avoir vues90.

    III. Le Mystre de la Gnose infinie

    La distinction de la gnose et du gnosticisme, laquelle Gunon se tient dsormais, est devenue de

    rgle. On sait en effet que les participants au Colloque international de Messine sur les origines du

    gnosticisme sont convenues de dfinir ce terme comme dsignant un certain groupe de systmes

    du IIe sicle ap. J.-C. que tout le monde saccorde nommer ainsi , tandis que la gnose signifie

    connaissance des mystres divins rserve une lite 91. Il sen faut cependant que cette

    distinction suffise faire entendre ce quest la vritable gnose et la dgager de sa corruption

    gnosticiste. Au demeurant, si les considrations prcdentes navaient pour rsultat que de

    confirmer la perspicacit du jugement de Gunon en la matire, elles nauraient quun fort mdiocreintrt. En ralit, ce qui est de beaucoup le plus important, cest la conception mme de la gnose,

    cest--dire de la connaissance mtaphysique (jnna), que Gunon a expose et dveloppe, plus

    encore, quil a fait exister sous nos yeux, et dont, par consquent, il nous a redonn le sens.

    Pour montrer en vrit, quelle est la signification de la gnose orthodoxe, telle que Gunon la

    formule, et quelle est son importance et sa fonction, il faudrait en fait retracer toute lhistoire de la

    philosophie occidentale 92 , depuis son origine grecque jusqu ses formes contemporaines les plus

    curieuses. Seule, croyons-nous, cette histoire, qui est aussi, certains gards, celle de la thologie

    chrtienne, au moins depuis la fin du Moyen Age, permettrait de saisir quel est lenjeu de cette

    question. A dfaut, nous nous contenterons dune brve caractrisation.

    Lide de la gnose est celle dune connaissance surnaturelle et unifiante de la Ralit divine. Ces trois

    lments sont en effet ncessaires pour sa dfinition : 1 Ralit divine ou Ralit infinie et parfaite,

    parce que toute connaissance est spcifie par son objet et que celui de la gnose nest autre que

    lObjet par excellence, labsolument rel ; 2 unifiante ou identifiante, parce que, la diffrence de

    toute autre connaissance, il ny a gnose que sil y a transformation du sujet connaissant et union

    lObjet connu : alors que, dordinaire, la connaissance, oprant par abstraction, laisse en dehors

    delle ltre mme du connaissant, ici elle na prcisment lieu que dans une participation difiante

    ce quelle connat ; 3 connaissance surnaturelle, ou mtaphysique, ou supra-rationnelle, ou sacre,

    parce que, tout en tant de la connaissance, comme nimporte quel acte spculatif, elle sen

    distingue radicalement par son mode qui est celui de lintellect pneumatis (ou spirituel) ; vrai dire,

    elle se distingue des autres modes dans la mesure o, en elle, se ralise la perfection de toute visecognitive.

  • 8/14/2019 Gnose Et Gnosticisme Chez Rene Guenon -Par Jean Borella

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    Cette conception dune intellectualit sacre, cest, au fond, celle que Platon et le no-platonisme

    mettent en uvre : une connaissance qui est une conversion et engage tout ltre, de telle sorte que

    les degrs de la connaissance son autant dtats de ltre, hirarchiquement ascendants. Le symbole

    de la Caverne nous lenseigne, aussi bien que la doctrine plotinienne des hypsotases. Et telle est, trs

    explicitement, la dfinition que Platon donne de la philosophie, conception qui allait se heurter

    deux sortes de contestations, les unes au nom de lintellectualit, les autres au nom du sacr.

    Les objections concernant lordre spculatif sont le fait dAristote qui inaugure, dans lhistoire de la

    pense occidentale, ce quon peut appeler la science profane , cest--dire un fonctionnement

    exclusivement abstrait de la connaissance 93. Sans doute la science est-elle chez lui encore rattache

    objectivement la mtaphysique, tout au moins quelques principes dordre ontologique. Mais ce

    qui vient en premier lieu, cest ltude de la logique (les Analytiques) dont Aristote est linventeur. La

    mtaphysique, ici, na dautre intrt que de fonder la physique. Et physique, ou mtaphysique, la

    connaissance est une et ne se diffrencie quen fonction des diverses modalits selon lesquelles elle

    abstrait le rel connu 94. On voit tout ce qui spare une telle conception de celle de Platon. Pour

    Platon, connatre, cest connatre ce qui est. La vrit de la connaissance varie en fonction de la

    ralit de son objet. Il y a donc essentiellement des degrs de connaissance correspondantrigoureusement aux degrs de ralit, de telle sorte que tout degr infrieur est ignorance au regard

    du degr suprieur : il ne saurait y avoir connaissance vritable de ce qui nest pas vritablement,

    cest--dire du devenir. Seule la connaissance de lAbsolu (lInconditionn, Anhypotheton) est

    absolument connaissance. Cest celle du Bien suprme, au-del de ltre (pkena ts ousia,

    Rpublique, VI, 509 b), mais qui requiert lactualisation de lintellect (nous) et labandon de la

    connaissance discursive (dianoa). Autrement dit, parce que toute connaissance vritable est dsir

    dtre, lintellect ne peut rien connatre (vritablement) de ce quoi il ne peut sidentifier. Or

    lhomme peut-il devenir pierre, arbre ou chat ? Non. En consquence il ny a pas de connaissance

    parfaite de la pierre, de larbre ou du chat (en tant qutres sensibles et physiques).

    Cest dans le domaine physique, au contraire, quAristote veut obtenir une certitude scientifique. Onvoit en quel sens il faut comprendre la formule du De anima que Gunon aime citer : lme est

    tout ce quelle connat 95. elle ne peut avoir la signification dune union entitative de lme avec

    ses objets de connaissance. On ne saurait non plus la considrer comme une rvlation inconsciente

    dAristote qui signifierait plus quil ne croit exprimer. La formule exacte, en effet, comporte toujours

    ladverbe ps, en quelque manire (quodammodo) 96. Et si lme, dans lacte de connaissance,

    peut tre, quodammodo, toutes les choses (pierre, arbre ou chat), cest prcisment parce que lacte

    de connaissance opre une sparation radicale de ltre et de lintellect ; autrement dit, cest parce

    quelle nest rien, entitativement, de ce quelle connat, que lme peut, intentionnellement,

    sidentifier tout connu. La connaissance, pour Aristote, se ralise par un processus dabstraction qui

    dsexistencie la forme intelligible, larrache ltre rel et concret, et lui permet ainsi dexister

    dans lme laquelle elle sunit en l informant . La forme intelligible nest alors pas autre choseque ce quon appelle un concept 97. Mais, si en ce qui concerne le monde sensible, lanalyse

    aristotlicienne ne fait quexprimer la pure et simple vrit, il nen va plus de mme pour la

    connaissance des intelligibles (dont Aristote nie lexistence propre) et surtout du Suprme Intelligible

    quest Dieu, ce que le philosophe reconnat en quelque sorte, sans pourtant en tirer toutes les

    consquences. Cette difficult de la pense aristotlicienne se manifeste clairement dans le

    problme trs classique de savoir sil y a, pour elle, deux philosophies premires (lontologie ou

    mtaphysique gnrale) et la thologie (ou mtaphysique spciale) : ltre en tant qutre, est-ce

    ltre en gnral ou Dieu ?

    Quoiquil en soit, en Occident, cest la philosophie dAristote qui fournit la conception gnrale de ce

    que doit tre une science, en mme temps que cette science fournit le modle de toute

    connaissance vritable. Connatre, cest connatre un objet, cest--dire quelque chose qui, dans son

    tre, est radicalement autre que ltre du sujet connaissant. Toute connaissance implique cette

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    distinction ontologique, sous peine de mettre en cause lobjectivit de la science 98. Or, voil que

    cette conception parat saccorder merveilleusement avec la Rvlation chrtienne. Nous

    rencontrons ici les deuximes sortes dobjections que nous avions annonces plus haut, celles qui

    concernent le sacr.

    Nous ne pouvons nous tendre prsentement sur les changements considrables quentranalirruption du christianisme dans le champ culturel de lAntiquit, et sur lesquels on na pas fini de

    rflchir. Disons au moins que cette irruption eut pour effet de modifier en profondeur la notion

    mme de sacr et de salut. Dans la mesure mme o le salut (quil ny a pas lieu de distinguer ici de

    la dlivrance) sopre dans la foi au Christ qui communique sa grce, levant ainsi la nature humaine

    sa perfection difiante, dans cette mesure la simple connaissance intellective est dpouille de sa

    dimension salvifique. Cette connaissance ne saurait plus donc concerner que lintelligence, et non

    ltre lui-mme, la personne immortelle qui, elle, relve uniquement de la religion. Do

    lopportunit dune doctrine qui neutralise ontologiquement et lacise la connaissance, et qui

    laisse la religion lexistence humaine. Ainsi saccordent, par un partage de leur comptence

    respective, la science et la foi, la philosophie et la religion, la nature et la surnature, la raison et la

    grce.

    Cet quilibre qui spanouit exemplairement dans luvre de S. Thomas dAquin, est cependant

    fragile, et cela deux points de vue quasi antinomiques, lun qui refuse la distinction relle de la

    science et de la foi, lautre qui laccentue jusqu la contradiction, ces deux points de vue dailleurs

    interfrant lun avec lautre. Au reste, il ne sagit pas vritablement de deux points de vue,

    ventuellement comparables, mais plutt dune exigence de la nature des choses dans le premier

    des cas et dcoulant de leur culture , dans le second. Le point de vue de la non-distinction, en

    effet, ne rsulte pas dune dcision thorique, mais simpose ncessairement : la foi est connaissance

    dans son essence mme, et la connaissance comporte invitablement une dimension de foi, en tant

    quadhsion de ltre ce quil ne voit pas encore. On constate ainsi, dans la science comme dans la

    foi, la prsence dun commun et irrductible noyau de gnose. Rien ne saurait modifier durablementcette donne fondamentale. Quant au second point de vue, il ne fait que dvelopper, selon lhistoire

    mme de la pense occidentale, en la radicalisant, la sparation mthodique de la science et de la

    foi, autant que le permet, videmment, la nature des choses. Cela signifie que la science est

    progressivement dfinie comme une non-foi, et la foi, comme une non-science.

    La foi proclame comme une non-foi, cest dabord ce que ralise le cartsianisme, qui, malgr

    quelques rserves, marginalise dfinitivement la thologie. Il faut cependant attendre Kant pour que

    cette exclusion soit philosophiquement intgre lacte conceptuel comme tel, ce qui signifie, non

    point un rejet des proccupations religieuses, acquis depuis longtemps, mais un rejet a priori de la

    dimension ontologique de la connaissance, dans la mesure o toute foi est adhsion un tre cach.

    Autrement dit, le kantisme rige en principe la neutralisation ontologique de toute connaissance.Ltre, le rel par dfinition, cest ce qui ne peut tre connu.

    Les retombes thologiques du kantisme, en dpit ou cause de la raction pseudo-gnostique de

    Hegel, conduiront la dmarche bultmanienne et aux prtendues thologies de la mort de Dieu :

    tout concept est abstraction alinante, mme celui de Dieu (ou celui dun dogme quelconque, Trinit

    ou Incarnation) ; la foi est un pur vcu qui na dautre fin que de susciter lexistence humaine la

    conscience de son irrmdiable contingence.

    Telle est la situation intellectuelle de lOccident chrtien (Europe et Amrique) laquelle, croyons-

    nous, la manifestation providentielle de la gnose gunonienne vient porter remde. Cest ce que

    nous voudrions montrer pour terminer.

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    Cette situation peut en somme se dcrire comme un divorce progressif de ltre et de la

    connaissance, divorce que lon finit par riger en principe. Quil ne soit pas facile dy remdier, cest

    ce que prouve lchec de la gnose hglienne ou teilhardienne, la premire se proposant de

    rconcilier la connaissance et ltre, la seconde la science et la foi (ou inversement selon les points de

    vue) 99. Il ne suffit mme pas daffirmer la thse contraire pour que soient rsolues toutes les

    questions que ne manquera de soulever la critique philosophique et thologique. Pour laphilosophie, il ny a pas de connaissance qui ne pose son objet comme une ralit distincte, et le

    thme de la co-naissance na dintrt que potique. Pour la thologien, unir ltre au connatre, ou

    parler dun salut pour la connaissance, cest vacuer la rvlation et la grce, donner dans la gnose

    abhorre et tomber immanquablement dans le panthisme. Pourtant le lecteur de Gunon na pas

    du tout ce sentiment. Nul plus que Gunon na mis en valeur lide de Tradition et rattach la

    connaissance vritable sa source divine. Jamais sauf dformer sa pense on ne pourra tirer

    Gunon du ct dune rduction intellectualiste de la doctrine mtaphysique. La mtaphysique est

    une science intrinsquement sacre. Elle transcende toutes les formulations quon en donne et tous

    les rceptacles humains qui la reoivent. Elle est trs prcisment le Verbe divin lui-mme comme

    lumire illuminant tout homme qui vient en ce monde , cest--dire tout tre qui accde ltat

    humain.

    Mais ce nest pas tout. Si lon tudie attentivement la doctrine gunonienne, on saperoit que la

    connaissance mtaphysique, outre cette situation remarquable qui larrache dcisivement au monde

    profane et la restaure dans son ordre propre, se trouve caractrise en elle-mme comme

    conscience effective du rel, de telle sorte que nest rel pour lhomme que ce dont il a pris

    effectivement conscience, tout le reste ne pouvant tre dfini que comme possible. La connaissance

    est ainsi ralisante , non au sens idaliste o elle crerait le rel, mais au sens o, par elle

    seulement, il y a, pour ltre humain, du rel. Le rel est rigoureusement corrlatif de lacte par

    lequel on en prend connaissance. Il nest point pos contradictoirement en soi par une affirmation

    thorique qui oublie que lautonomie et lindpendance du rel quelle pose est ncessairement et

    prcisment dpendante de lacte par lequel elle le pose, ce que la critique philosophique se fera unmalin plaisir de souligner. Autrement dit, et pour nous exprimer moins abstraitement : toute

    affirmation du Rel absolu et infini semble pcher par excs et par dfaut : par excs puisqutant

    relative, elle dit plus quelle na droit ; par dfaut, puisque cet Absolu nest rien de plus quune

    affirmation 100. A la deuxime difficult, Gunon rpond en montrant trs classiquement que ce

    nest pas lintellect humain qui affirme le divin Absolu, mais lAbsolu lui-mme qui saffirme en

    chaque intellect : le Verbum illuminans. A la premire difficult, la rponse est plus originale , ou,

    tout au moins, plus explicite quil nest dordinaire. Et, vrai dire, il ne semble mme pas quelle ait

    jamais t formule ainsi, encore quelle soit prsuppose par toute gnose vritable, et, au premier

    chef, par le jnna shankarien. Cette explication nouvelle est videmment exige par la profonde

    obscuration mtaphysique de la prsente fin cyclique, priode durant laquelle le prodigieux

    dploiement de lhabilet mentale a touff progressivement lintuition intellective des vrits

    implicites. Nous sommes lpoque o il faut mettre les points sur les i cela soit dit sans la moindre

    illusion.

    Cest dans Les tats multiples de ltre que Gunon expose cette rponse. Essayons de le montrer.

    Louvrage commence par un chapitre consacr la clbre distinction de lInfini et de la Possibilit

    universelle, distinction qui, du reste, na de ralit que de notre point de vue, puisque, du point de

    vue du Principe suprme, la Possibilit universelle nest rien dautre que lInfini, mais qui, pourtant,

    nest pas non plus arbitraire, puisquelle rpond deux aspects du Suprme, un aspect

    analogiquement actif, et un aspect analogiquement passif. Ce nest pas le lieu de rechercher ici

    lorigine de cette distinction 101, laquelle est plutt tantrique que shankarienne 102, mais nous

    devons nous demander pourquoi Gunon introduit le concept de Possibilit universelle. Quel en est

    lintrt ? A quoi sert-il ? Celui dInfini nest-il pas suffisant ? Gunon donne une premire rponse en

    dclarant que le point de vue de la Possibilit universelle constitue le minimun de dtermination

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    qui soit requis pour nous () rendre actuellement concevable lInfini. En somme, nous ne pouvons

    pas actuellement concevoir lInfini en lui-mme. Quand nous pensons lInfini, nous pensons en fait

    possibilit universelle , autrement dit ce qui peut tre absolument nimporte quoi , ce dont la

    ralit ne peut tre limit absolument par rien et cest au fond une autre manire de parler de la

    non-contradiction absolue de lide dInfini, puisque, ce qui est impossible, cest ce qui implique

    contradiction 103. Nous apprenons ensuite que cette dtermination minimale rpond un aspect objectif de lInfini, que Gunon identifie la Perfection passive. Quoi quil en soit, la Possibilit

    universelle englobe ncessairement ce qui dpasse lEtre, puisque lEtre ou la dtermination

    principielle, se contrepose invitablement ce qui nest pas, et donc se trouve contredit par lui 104.

    Ainsi lEtre nest pas au-del de toute contradiction, il ne ralise pas la non-contradiction absolue,

    autre dnomination de la Possibilit universelle. Pour que le Suprme puisse tre absolument non-

    contradictoire, tel que rien ne puisse le contredire, il faut donc quIl dpasse la premire de toutes

    les dterminations et quil embrasse ce qui est au-del de lEtre. Cest pourquoi, pouvoir tre tout

    , pour Lui, cest pouvoir tre aussi le Non-Etre. Telle est la logique de lInfini. Il apparat ainsi que le

    point de vue de la Possibilit universelle est peine une dtermination, laquelle ne commence

    vritablement quavec lEtre, mais quil faut plutt la considrer comme luniverselle dterminabilit

    du Principe, en Lui-mme absolument non-dtermin (ou sur-dtermin) ft-ce de la dterminationprincipielle de lEtre.

    Toutefois lexpression mme de possibilit recle une ambigut dans la mesure o elle prend sens

    de sa distinction davec celle de ralit. Ce qui est possible, cest ce qui peut tre , cest--dire ce

    dont la notion nenveloppe aucune contradiction (comme celle dun cercle-carr, dun bouc-cerf, ou

    dun vertbr gazeux), mais qui nest pas actuellement ralis, ou tout au moins que lon considre

    part de sa ralisation actuelle ou de sa non-ralisation 105. Nul doute que la philosophie scolastique

    nenvisage les possibles comme dsignant les essences des cratures en tant quelles sont seulement

    en Dieu, et antrieurement toute existenciation. Adopter ce point de vue, cest affirmer quil ny

    a que des possibilits de cration (dont lexistenciation dpend de la Volont divine) dune part, et

    dautre part, que les possibles nont de sens quen vue de leur ralisation. Ds lors, on ne sauraitvidemment parler de la suprme Ralit comme de la Possibilit universelle, ce qui entranerait

    quElle nest pas actuellement relle, ni non plus parler de possibilits de non-manifestation. Cest

    pourquoi Gunon affirme que la distinction du possible et du rel, sur laquelle maints philosophes

    ont tant insist, na aucune valeur mtaphysique 106. Mais alors, a quoi bon parler de possibilits ?

    Et surtout de possibilits de non-manifestation ? Pourquoi ne pas parler tout de suite de ralits non-

    manifestes ? puisque certes il y a identit mtaphysique du possible et du rel, et quavec le Non-

    Manifest nous sommes, par excellence, au niveau mtaphysique. Le terme de possibilit garde-t-il

    un sens quand il sagit du Mtacosme divin, o tout se trouve dans une permanente actualit ?

    Possibilits de manifestation offre une signification claire, relativement la Manifestation, pour

    indiquer le rapport dune essence ternelle son existenciation dans un monde dtermin. Mais

    comment pourrait-il y avoir existenciation au niveau du Non-Manifest ? A moins quon nentende

    seulement par l des possibles que Dieu ne veut pas raliser ? Mais Gunon repousse cette

    interprtation : les possibilits de manifestation dfinissent tout le manifestable, quil soit ou non

    manifest.

    On le voit, la difficult est patente, et il faut bien admettre que la simple expression de possibilits

    de non-manifestation a quelque chose dtrange. Il est non moins surprenant de constater

    quaucun gunonien de stricte obdience ? notre connaissance na soulev cette difficult, ou

    na attir lattention sur la solution que Gunon nous en propose. Car il nous en propose une, mais

    de manire assez discrte. La note 7 au bas de la page 23 annonce que le mot rel recevra par

    la suite une signification beaucoup plus prcise . Et cest tout. Il faut alors attendre la page 92

    (presque la fin du livre) pour lire la phrase suivante : Et cest ici le lieu de prciser, un peu () la

    faon dont il faut entendre lidentit mtaphysique du possible et du rel . Nous ne pouvons

    commenter, comme il conviendrait le texte qui suit et qui constitue lenseignement essentiel de ce

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    dclarant sainte Bernadette : Je suis lImmacule Conception 110. Lvnement de la

    connaissance est donc ternel. Il a lieu dans la permanente et universelle actualit de lIntellect

    suprme (surontologique) ou Perfection active, lequel embrasse en lui la relativit innombrable des

    prises de conscience particulires, en tant quelles sont comprises dans la Perfection passive. Cest l

    lauto-rvlation de Dieu Lui-mme, le trsor cach que Dieu tait et pour la connaissance

    duquel Il a cr le monde. Car Dieu dsire tre connu et les myriades dintellects qui souvrent Sonmystre sont, en ralit, autant de modes innombrables sous lesquels Il prend connaissance de Lui-

    mme. Dans cet innombrable participation des intellects crs la Connaissance de Soi

    (Atmbhoda), se ralise lidentit infinie de la Perfection active et de la Perfection passive, non pour

    Lui, le Suprme, qui est cette Identit mme ternellement accomplie, mais pour les myriades de

    miroirs intellectifs en qui Elle devient enfin ralit. Et cest parce quElle est ternellement accomplie

    quElle peut se raliser tout instant en chaque intelligence qui souvre sa permanente irradiation.

    Il en va pour lintellect humain comme de sphres opaques qui souvrent soudain lOcan de

    lumire dans lequel elle sont depuis toujours plonges. En un clair elles deviennent ce quelles

    taient, sphres cristallines, toiles scintillantes, lumires dans la Lumire. Chaque fois que nat ainsi

    une intelligence toile au sein de la divine Connaissance, chaque fois que se produit ainsi un

    vnement gnostique , qui nest rien dautre quune possibilit de lInfini Lui-mme, chaque fois laSuprme Tharchie ralise le mystre de sa nouvelle et ternelle naissance Elle-mme, chaque fois

    le Pre engendre son Verbe et Fils unique et bien-aim dans lunit de son Esprit.

    Texte publi dans le Dossier H (LAge dHomme) consacr Ren Gunon en 1984.

    NOTES

    1) Les rfrences essentielles ces deux termes sont les suivantes (nous donnons les titres dans

    lordre alphabtique, lordre chronologique nayant pas de signification pour les recueils posthumes,et selon la pagination de ldition indique) :

    Apercus sur lsotrisme chrtien (Ed. Traditionnelles, 1954), p. 50.

    Comptes Rendus (Ed. Traditionnelles, 1973), pp. 119, 120-121.

    Les tats multiples de ltre (Ed. Vega, 1980), p. 30, n 10.

    Etudes sur la Franc-Maonnerie et le Compagnonnage (Ed. Traditionnelles,

    1964) t. I., pp. 119, 181, 243, 249 ; t. II, pp. 87, 170, 257-261.

    Formes traditionnelles et cycles cosmiques (Gallimard, 1978), p. 77, 83.

    Lhomme et son devenir selon le Vdnta (Ed. traditionnelles, 1974), p.84, n2.

    Mlanges (Gallimard, 1976), pp. 18, 176-178.

    Symboles fondamentaux de la science sacre (Gallimard, 1976), p.18, 176-178.

    Ces indications ne sont pas exhaustives, mais un peu plus compltes que celles qua donnes AndrDsilets, Ren Gunon. Index, bibliographie. Les presses de lUniversit Laval, Bibliothque

    Philosophique , Qubec, 1977, 183 p. Tel quel, cet ouvrage rendra les plus grands services tout

    lecteur gunonien.

    1 bis. La charit profane, Ed. du Cdre, p. 387.

    2) Lsotriste Ren Gunon. Souvenirs et jugements, publi dans la Pense Catholique, n 77, 1962,

    p. 23. Cette tude, que publient les numros 77, 78, 79, 80, non seulement constitue une source de

    renseignements prcieux sur la vie de Gunon, mais encore reprsente leffort de comprhension le

    plus attentif quun philosophe thomiste ait donn de sa doctrine. Il est regrettable cet gard, que le

    livre de Marie-France James (Esotrisme et christianisme autour de Ren Gunon, 1982, N.E.L., 479

    p.), qui se veut si rigoureux sur le plan de la science historique et qui reprsente coup sr une

    somme considrable de recherches, tmoigne par ailleurs dune incomprhension peu prs totale

    des doctrines mtaphysiques, en particulier de celle des tats multiples de ltre, incomprhension

    telle quelle rend de nombreuses pages de ce livre tout fait inintelligibles. Par exemple, (p. 158),

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    diverses coles du gnosticisme sont elles-mmes sujettes caution (cf. J. Doresse, La gnose dans :

    Histoire des religions, Encyclopdie de la Pliade t. II, 1972, p. 378). Les crivains chrtiens les

    dsignent toujours du nom de leur fondateur (suppos) : Nicolates, Marcionites, Valentiniens, etc.

    12) R.P Casey, The Study of Gnosticism, dans The Journal of Theological Studies, 36, 1935, p. 55.

    13) Article ginsk dans Theologisches Wrterbuch zum Neuen Testament, herausgegeben von

    Gerhard Kittel, Verlag W. Kolhammer, stuggart, 1966, t. I, pp. 688-715, p. 689. On peut suivreBultmann dans son enqute philosophique, lorsquil tudie lusage terminologique grec

    (griechischer Sprachgebrauch). Mais il nest plus possible de le faire lorsquil traite de lEcriture Sainte

    et quil chafaude les hypothses les plus dlirantes sur telle ptre de S. Paul ou sur lvangile de S.

    Jean.

    14) Cet argument, en effet, a t utilis, rcemment encore, pour disculper les crivains no-

    testamentaire et les Pres grecs de lavoir employ, parce que, nen ayant pas dautre leur

    disposition, ils sont ainsi lav dun infmant soupon.

    15) Op. cit., pp. 692-693, qui renvoie en particulier Platon, Rpublique, VI, 508e.

    16) Bultamann, op. cit., p. 699.

    17) Cest la conclusion laquelle se range Dom Jacques Dupont, aprs une longue analyse des textes

    et des hypothses, dans son ouvrage Gnsis. La connaissance religieuse dans les ptres de saint Paul,Gabalda, Paris, 1949, pp. 357-365.

    18) Fondements mtaphysiques du symbolisme sacr, tome I, chap. I, art. I, sect 23.

    19) Nous avons expos la doctrine chrtienne de la pneumatisation de lintellect, dans notre livre La

    charit profane, Editions du Cdre, 1979, pp. 131-163, 387, 398, 401-405.

    20) Est-ce galement le cas pour le judasme alexandrin pr-chrtien ? La question exigerait une tude

    particulire. Mais, de toutes manires, les textes qui nous en restent sont presque toujours

    postrieurs au Nouveau Testament et Philon dAlexandrie, qui en est contemporain, emploie peu

    gnsis et, en bon platonicien, lui prfre pistm ou thoria (Dm J. Dupont, op. cit., p. 361).

    21) Nous reprenons ici, avec une assise historique plus dveloppe, la thse que nous avons propose

    dans Gnose chrtienne et gnose anti-chrtienne (La Pense catholique n 193).

    22) Cest le cas, en particulier, de Reitzenstein et de bultmann.

    23) Gnsis se trouve 2 fois chez S. Luc, 1 fois chez S. Pierre et 26 fois chez S. Paul. On constate une

    certaine volution de la terminologie de la gnose, dune ptre lautre. S. Paul emploie dailleurs

    aussi epignosis. Sur tout ceci, voir E. Prucker, Gnsis Thou. Untersuchungen zur Bedeutung eines

    religisen Begriffs beim Apostel Paulus und bei seiner Umwelt, Cassiciacum, IV, Wurzbourg, 1937, et

    le rsum quen a donn Dom. J. Dupont, op. Cit., pp. 48-49.

    24) Ainsi que le prouvent un certain nombre de passages : Rom., XV, 13-14, Eph., I, 15-18 ; III, 16-19

    (nous avons comment ce texte dans La charit profane, pp. 233-239) ; Col. I, 14 ; etc. Tous ces

    textes donnent la prminence la gnose sur la foi. Mais dautres textes donnent aussi la premire

    place la charit. Il ny a aucune contradiction : pas de connaissance sans amour, et pas damour qui

    ne soit, dans son essence, connaissance.

    25) I, 5. cf. Les crits des Pres apostoliques, Cerf, 1963, p. 242.

    26) Il ny a dailleurs, dans les crits johanniques, aucun substantif pour dsigner la connaissance. En

    revanche, cest chez lui que se trouvent les occurrences les plus nombreuses de ginsk et oda

    (edna linfinif). Rappelons que nous nous appuyons toujours sur les donnes fournies par

    Concordance de la Bible. Nouveau Testament, Ed., du Cerf et D.D.B., 1970, 673 p.

    27) Prcisons, toutes fins utiles, que nous acceptons, comme une vidence, lidentification

    traditionnelle de lauteur du IVe vangile laptre S. Jean. Les arguments contraires de la critique

    moderne sont dune telle indigence intellectuelle, du genre : comment un pcheur gallilen peut-il

    faire uvre si hautement thologique ? quelles ne sexpliquent que par le dsir doriginalit tout

    prix. Le souci majeur des exgtes modernistes nest dailleurs pas de commenter lEcriture, mais de

    se faire un nom (Babel) au dtriment de lEcriture.

    28) Car je vous le dclare, frres, lvangile que je vous ai prch na rien de lhomme ; car ce nest

    pas dun homme que moi je lai reu ou appris, mais par une rvlation de Jsus-Christ , Galates, I,

    11.

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    29) Selon un enseignement de F. Schuon, les phnomnes religieux ressortissent deux principes : le

    principe transmission apostolique et le principe mandat du ciel . Le premier se rfre la

    continuit de la tradition, le second la discontinuit des interventions prophtiques . Ainsi le

    Bouddhisme amidiste au Japon. Le Paulinisme au sens strict relve videmment de laspect mandat

    du ciel , do une certaine opposition ou divergence relativement la transmission apostolique .

    Au reste, la gnose a presque toujours quelque chose de discontinu et de vertical ce qui nexclutnullement, bien au contraire, quelle puisse ventuellement faire lobjet dune tradition. Assurment,

    le privilge de recevoir la rvlation de vrits nouvelles par la grce du Christ glorieux parlant

    directement lintellect pneumatis, nest pas propre S. Paul : tous les Aptres en ont bnfici,

    puisque la Rvlation nest close qu la mort du dernier dentre eux. Mais il reste que S. Paul na pas

    connu le Christ historiquement .

    30) Le mot nacquiert le sens actuel que tardivement (aprs le XIIIe sicle). Primitivement, chez les

    chrtiens, il dsigne lcrivain sacr (St jean, par ex.), ou encore le pur contemplatif.

    31) Hypotyposes, frgt. 13.

    32) Stromates, VII, 57, 3.

    33) Stromates, V, 66, 1-5 : Car la gnose de la substance divine est manducation et boisson du Logos

    divin .34) Marguerite Harl, Origne et la fonction rvlatrice du Verbe incarn, Seuil, p. 419.

    35) Louis Bouyer, Gnsis. Le sens orthodoxe de lexpression jusquaux Pres alexandrins, publi dans

    Journal of Theological Studies, N.S. 4, 1953, pp. 188-203.

    36) On trouve dailleurs parfois la transposition pure et simple du grec en latin. Ainsi dans la version

    latine de lAdversus Haereses de S. Irne, I, 29, 3, qui cependant est traduit gnralement par

    agnitio, plus rarement par scientia. Signalons que les traducteurs latins du pote juif no-platonicien

    Ibn Gabirol on rendu lhbreu yedah par sapientia qui serait en effet, pensons-nous, le plus appropri,

    dans la mesure o il exprime lunit du savoir et de la sagesse.

    37) Simone Ptrement, Sur le problme du gnosticisme, Revue de Mtaphysique et de Morale, n2,

    1980, p. 152.

    38) R-capitulation = ana-kephalaosis, cf. Eph., I, 10. Ce terme signifie aussi : ramener la tte, au

    Principe, et cest le vritable sens de rcapitulation (caput = tte).

    39) Nous commentons ici librement : Rm., XI, 17-24. On a soulign le paradoxe de S. Paul qui inverse

    le processus normal de la greffe. Mais cest que lordre surnaturel, certains gards, est au rebours

    de la lordre naturel. Le Christ est larbre vritable, lolivier franc, par rapport auquel toutes les

    traditions prcdentes, paennes ou mme juives. Nous ne pouvons que nous transplanter en Lui. Du

    fait mme de lapparition de la tradition christique, toutes les autres traditions, ft-ce les plus

    anciennes, sont comme dcentres et dracines. Voil ce que veut dire S. Paul.

    40) Nous navons prsent quune esquisse. Il conviendrait de montrer en dtail comment notre thse

    rend compte de la plupart des caractres que les historiens reconnaissent au gnosticisme.

    41) Lehrbuch der Dogmengeschichte, Tbingen, 1886, t. I, p. 162 ; H.C. Puech, ibid., 143.

    42) H. Lietzmann, Geschichte der alten Kirche, I, Die Anfnge, 1932, p. 317 ; H.C. Puech, Ibid., p. 144.

    43) Reitzenstein-Schaeder, Studien zum antiken Synkretismus aus Iran und Griechenland, 1926, p. 141

    ; H.C. Puech, ibid., p. 144.

    44) Publi avec une introduction par le P. Paul Dudon, s.j., Etudes de Thologie historique ,

    Beauchesne, 1930, XI-299 p. Le texte de Fnelon occupe les pages 163 256. Il sagit dun cahier

    manuscrit demeur inconnu jusqu sa dcouverte par le P. Dudon dans la bibliothque de St. Sulpice.

    Ni Fnelon, ni Bossuet, dans leur querelle publique, ny ont jamais fait la moindre allusion. Bossuet

    cependant la cit et rfut dans sa Tradition des nouveaux mystiques, mais sans nom dauteur.

    Fnelon stant soumis, Bossuet renona dailleurs publier son ouvrage qui ne vit le jour quen 1753.

    Est-il besoin de prciser que nous ne partageons nullement les conclusions ngatives du prsentateur

    en ce qui concerne lexpos fnelonien de la gnose clmentine ? Fnelon sait de quoi il parle.

    45) Tradition des nouveaux mystiques, ch. III, sect.1., Dubon, ibid., p. 25.

    46) Citation dans Littr , s.v. Ce texte de Saint-Simon ne prouve t-il pas que la dnomination de

    gnose pour le quitisme tait plus courante quon ne le pense dordinaire ?

  • 8/14/2019 Gnose Et Gnosticisme Chez Rene Guenon -Par Jean Borella

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    martinisme papusien, reoit de lau-del , de la part de Jacques de Molay, la mission de rnover

    lOrdre du Temple et den tre le chef. Cet ordre du Temple Rnov (O.T.R.) utilise abondamment les

    moyens de communication mdiumnique. Il poursuit ses travaux au milieu de nombreuses querelles

    et excommunications (notamment avec les papusiens qui accusent Gunon de manuvres

    tnbreuses). A la fin de 1911, sur lordre de ses matres , Gunon proclame la dissolution de

    lO.T.R. (M.F. James, Esotrisme et christianisme, p. 99). J. Robin voit dans cet O.T.R. une solutionpossible au problme des sources de luvre gunonienne (op. cit, p. 50 sq).

    64) M.F. James, op. cit., p. 82 ; J.P. Laurant, op. Cit., p. 45, p. 135, etc.

    65) P. Chacornac, op. cit., p. 33 ; Robin, op. cit, p. 45, p. 135, etc.

    66) Aperus sur linitiation, p. 41.

    67) Etudes sur la F.M, t. I, p. 197.

    68) Supra, n 2. Pour J. Robin, cette dclaration ne signifie pas un dsaveu de Gunon lgard de la

    rgularit de lEglise gnostique, mais seulement le souci dempcher que cette organisation,

    authentique mais agonisante, ne tombe, ltat de cadavre psychique, entre les mains du sataniste

    Bricaud, transfuge de lEglise gnostique et fondateur dune Eglise schismatique sous le nom de Jean II,

    op. cit., pp. 196-198.

    69) Nest-ce pas le cas de la Maonnerie, ou du moins de certaines de ses obdiences dont lidologieathe et progressiste, au regard des critres gunoniens, devrait tre immdiatement condamnable ?

    A vrai dire, les errements initiatiques de Gunon ne nous tonneraient pas outre mesure si lon

    admettait quun destin humain peut connatre des contradictions et des revirements : une vie ne se

    droule pas comme un thormes de mathmatiques. Mais il faut bien avouer quun certain

    gunonisme veut confrer certaines discordances, invitables dans lexistence dun homme, la

    valeur dun enseignement infaillible, au prix dune ingniosit hermneutique vraiment excessive (par

    ex. Robin, o