Giorgio Cesarano - Manuel de Survie

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    g fO R g fo C eSQ RQOO

    M A N U E LD E S U R V I Et r

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    LETTRE A L'ESPRESSO (1)

    En depit d'un profond sentiment de degout, car en referer a quelquechose d'aussi infame, meme s'il s'agit de le detruire, ne peut etre quedeprimant pour ceux dont l' attention et la volonte sont tournees al'oppose, nous trouvons necessaire de repondre, pour les revolutionnairesqui auraient lu l 'ar ticle et seulement pour eux (il n' e st pas question pournous d'evoluer sur un terrain qui nous est absolument etranger, celui dessalons mondains), a l 'ignoble texte de M. Valerio Riva et de ses collegues,Flairant lapour lui un morceau a effet, ce malheureux imbecile s'estsenti un devoir de prendre deux poissons au meme appat : la mort deGiorgio Cesarano unie - necrologie propre a eveiller l' a ppetit - a uneconference de recuperation spectaculaire tenue dans lecadre approprie dudepotoir artistique de Brera.Cette miraculeuse coincidence lui fournit en realite l'occasion d'uneenieme et maladroite tentative de liquider le sens vrai de la lutte anti-reformiste contre le capital et ses representations qu' a montre de faconirrevocable Ie Mai francais. Et cette lutte, qui s'est alors affirmee sanspouvoir l'emporter, est bel et bien vivante aujourd'hui, meme en ces tempsnoirs , en depit de toute l 'esperance etde la securite des hauts-parleursde regime. Ces memes hommes du ressentiment, ces intellectuelsnihilistes passifs et contemplateurs, vrais pretres du Dieu Neant pourlesquels rien n'a change, ont su l 'ignorer alors qu' elle les talonnait de pluspres: i ls croient maintenant pouvoir evoquer sur un mode folk1orique lacritique radicale qui l'a sous-tendue et la liquider au plus presse, Mais cecontre quoi se lancent aujourd'hui les rats d'egout deniches par lapenurie,ce sontjustement les depouilles abandonnees par la critique radicale dansson cheminement. La premiere, elle les a laissees derriere elle en refusantla sclerose de formes pas sees en ideologie. Ne pouvant pas freiner sonmouvement present ( . ..) les vautours dujournalisme et de la culture sedechainent contre ses fantomes. (Chronique d'un bal masque - 1974)(2). Sur ceux qui, comme Giorgio Cesarano, choisissent de vivre et demourir sur leterrain de la vraie lutte , hyenes et chacals se ruent a la curee,pour enterrer ensuite leurs cadavres mis en lambeaux. Mais, s 'i ls croienttriompher, ils se trompent. Il est de moins en moins possible de negocier , et c 'est le reve fou qui, en se realisant, contraindra tot outard quiconque se fait ventre des revolutions manquees a appren-dre dans sa chair qu' il n 'y a pas d'utopie revolutionnaire, qu' il n 'y a quecelle du capital.Valerio Riva et ses semblables, deja morts en la vie, qui deblaterent dece vers quoi i ls n 'ont pas fai t un pas etde gens qu'i ls ont toujours evites, nemontrent qu' ignorance (ils ne savent veritablement r ien) et que misere.

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    Leur point faible (3) n'est pas seulement leur compromission institu-tionnalisee, ni leur veulerie d'esclaves de toutes les modes, c'est l 'absenced'unesimple faculte de comprehension allant au-dela des schemasd'usage. Ces pages ont pour elles de resumer quelques uns des traitsfondamentaux et statutaires du miserable style joumalistique :arrogance impuissante, caquetage morbide, niaise balourdise, superfi-cialite liquidatrice, patine de sous-culture, jargon publicitaire (4).Une fois pour toutes:l.M. Riva n'a jamais rnis les pieds dans la Maison de Cesarano, enoutre situee non pas aux alentours de Pise , mais dans la province deLucques; et Cesarano n'a naturellementjamais ete le bon camarade d'hommes comme M. Riva, dans labouche de qui une tel le definition a unparfum d'ceuf pourri. Quant a cela, comme pour d'autres mensonges, lejoumaliste se fait le porte-parole d'un digne informateur, le peintre-philosophe G.E. Simonetti. Cette derniere charogne, ce bluffeur quisans nul doute sait du situationnisme tout ce qu' on peut savoir n'etai tcertes pas l ' ami de Giorgio Cesarano qu' impudemment ilpretend etre,Quoi qu' il en soit, on pourra l ire dans la revue Puzz, no 20 (1975) quel futle dernier jugement de Giorgio sur son compte. .2. Apres son experiencea Classe operaia, (5) le seul groupe auquelCesarano voulut appartenir fut Ludd - Consigli Proletari (1969-70). 11se reconnut dans son activite theorico-pratique non en raison de quelque gout apre , mais pour ce qu'au-dela de ses limites historiques, Ludd apu exprimer de quali tatif : entre autre, la crit ique de la polit ique au sein dela critique de toute separation.

    3. Giorgio Cesarano a publie les livres suivants: L'erba bianca(schwarz, 1959) ; I giomi del dissenso (Mondadori, 1968) ;Apocalisse erivoluzione (ecrit avec G. Collu, Dedalo, 1973); Manuale di soprav-venza (Dedalo, 1974). 11est mort alors qu'il travaillait a une Criticadell'Utopia Capitale (Critique de l'Utopie-Capital), et non comme levoudraitM. Riva a une Critica dell' Utopia: cetoubli significatifn'estpasfortuit.La critique de la litterature et l 'abandon volontaire de ~on milieun' ont pas ete pour Cesarano la negation de l'impulsion radicale audepassernent qui lepoussait dans la recherche poetique : c'est au contrairecette impulsion meme qui, dans un cheminement coherent, l 'a mene a lacritique radicale.4. Eddie Ginosa a mene en 1969 des contacts critiques avec la FAGI(Federazione Anarchica Giovanile ltaliana aujourd'hui dissoute),comme l 'ont fait d' ail leurs d 'autres camarades deLudd. Mais iln'est paspour autant reductible a l 'e tiquette d ' anarchiste; encore moins a-t-i ldisparu au lendemain de l'attentat de Piazza Fontana : sa mort dated'octobre 1971.5. La critique d' art Mirella Bandini, suivant laquelle IeRapport sur laconstruction des situations ecrit par Debord en 1957 a comme pointcentral Ieprojet d 'une revolution culturel le menee de front avec les partis

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    ouvriers (la confusion avec Mao est evidente) et serai t Iedocument Ie~lus imJ?Ortantpour qui veut etudier (sic !) l'evolution et lamise aupointideologique de ce meme mouvement , donne,presque, un compte-renduhonnete de quelques aspects de l'activite situationniste, si l'on compare sacontribution au travail versaillais (forcaiolo) de M. Paolo Mieli. Safiche d' expert industriel en extremisme (rappelons d' autres articles dememe valeur sur ce sujet) se caracterise par ce fait que les qualites dejournaliste moyen deja cites a propos de Valerio Riva y brilIent presqueplus que chez ce dernier. En si peu de lignes, ilsaute aux yeux, en memetemps qu'un cretinisme accentue, nombre de calomnies par trop gros-sieres, Quelques exemples : a propos du feu mis au siege du parti anti-fasciste des herit iers de Noske, emporte par son zele policier, i lanticipelejugement du proces et donne implicitement pour assuree la responsabi-lite des personnes arretees. Quant a Ludd et a Comontismo, seul undetective particulierement obtus peut voir entre les deux une quelconquefi liat ion par necessites de camouflage ou par identite ; etde meme queVaneigem n'etait certainement pas un ideologue situationniste , KarlLiebknecht n 'ecrivait pas avec des tons dannunziens ,En demantelant avec courage Ie moi representationnel et sa cuirasse, enrefusant volontairement toute sorte de compensation ideologique, degratification mondaine' ou de realisat ion heroique , l 'individu acquiertdans sa lutte pour la vraie vie une force et une lucidite nouvelles: mais ilest paradoxalement plus vulnerable que jamais dans ce voyage en terreinconnue. L'absence, dans Iemonde ennemi, de la vraie communaute quine peut pour Iemoment s 'experimenter que de facon sporadique, toujourspartiel le et revocable, et la reapparit ion cyclique de mortiferes fantomesdu passe, pesent terriblement. Mais ces perils litteralement mortels, oil lasolution du suicide ne peutjamais etre vecue comme une immortal isa-tion , sont propres ala lutte de la vie contre la mort, en nous et hors denous. lIs marquent Ie dur mais unique sentier de leur limpide exigence,ainsi que la passion de vivre toujours redecouverte apres chaque epreuvesurmontee : ils caracterisent la vraie guerre pour conquerir l 'au-delaconcret du capital. En se suicidant, Giorgio n' a pas du apprendre quelque chose qu'il n'aurait deja suo Si sa mort est une perte et unemutilation pour qui l' a ime, ce n' est en aucun cas une victoire pOur qui nefait que nourrir en soi Ie desert qui l'a tue.Pieve di Compito, 30 juin 1975

    Nani Cesarano, Piero Coppo, Joe F allisi.(Puzz, sept. 1975)

    (1) Cette lettre, traduite en 1976 dans Invariance (avec deuxnotes reproduites ici :cf. 3 et4), a ete envovee a I'hebdomadaire l/Espresso, qui ne I'a pas publiea. Ellerepondait a un article de ce journal, int itule : Esthetique et delinquance. Lessituationnistes: devant I'autel dudieu Neant. Ony lisait notamment queCesarano

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    etait un personnage des "roaring Sixties" a Milan , auquel il etait passe par lat~tede devenir revolutionnaire en avant unefamille a elever. L'auteur,Valerio Riva,citaitencore ce que Cesaranoecrivait aprss lamort deson camarade Eddie Ginosa : Desuicides comme Ie sien, fruit d'une tourmente rneurtriere, sont certainementmarquees lespremieres pistes qui sefrayent au-dela de la politique ...(Apocalissee rivoluztone, p. 144), concluant: En se suicidant a son tour, Cesarano devaitapprendre qu'il nes'agissait en rien de "premieres pistes..... ; il finissait en lancantavec degoOt que Ie situationnisme donnait acces a la question sociale a lamaniere d'un rossigriol. A l'appui de ses dires, on trouvait un articulet consacre augroupe Comontismo (Com-ontos = Gemeinwesen, cornrnunaute humaine) : plu-sieurs des leurs venaient alors d'llltre arr~tes, suite a unattentat commis ausiege duParti Social-Demccrate. Enfin, un encadre de Mirella Bandini, Poureux la societeest un spectacle , faisait en une demi-page, Ie point sur I'histoire de I'I.S..arbitrairement presentee dans Ie reste de I'article comme 1'heritage recueilli parCesarano et Ie courant italien qu'il a contribue a ouvrir.(2) Cf. traduction francaise dans Invariance, serie III, n 1.(3) /I LatoDebole [ Lepoint faible ] estune rubrique deconseils pour lessnobsdegauche,tenue regulierement parCamillaCedernadansI'hebdomadaire l/Espresso.(4) Note ajoutae en aoOt 1975 : (.. .) Ievirtuose special iste. Ie vendeur de sesqualites spirituelles objectivees et chosifiees (...) prend aussi une attitude contem-plative a I'egarddu fonctionnement desespropres facultes objectivees et chosifiees.Cettestructure semontre sous lestraits lesplusgrotesques dans Iejournalisme, oulasubjsctivite elle-merne, Ie savoir, Ie temperament, la faculte d'expression, devien-nent unmecanisme abstrait, independent tant de la personnalite du proprietaire que de I'essence rnaterielle et concrete des sujets traites, mis enmouvement selondes lois propres. L'absence de contradiction des journalistes, la prostitution deleurs experiences et de leurs convictions personnelles ne peut se comprendre quecomme Ie point culminant de la reification capitaliste (...) (G. Lukacs,Histoire etconscience de ctesse. p. 129).(5) A Classe operaia ont pu participer aussi bien Cesarano, ou D'Este, que defuturspromoteurs d'un stalinisme renove ou heretique (Tronti, Cacciari, Negri).

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    II est temps d'aller au-dela de l'aversion degoutee qui connote lasurvie ; ilfaut depasser laphase de l'exorcisme et rendre visibles leslignes deforce de la vraie guerre. La survie a pris, dans la critiqueradicale, une signification d'horreur - organisation des apparences,non vecu, irrealite quotidienne - qu'il est hors de question de refuter: ils'agit, bien au contraire, deprendre cetteconnaissance de l'horreur de lasurviepour point de depart de la vraie gu er re . I I incombe alors a la luttepour la survie, a l 'effort qu'il faut mobiliser pour ne pas succomberphysiquement, d'etre a meme de traverser lequotidien etses deserts sansceder aux lieux communs du desemparement existentiel. Quiconque atente, dans l'immediatete et l'isolement, de se conquerir une conditionde vie. - depassement irreversible d'une non-essence tout aussiirreversiblement reconnue- saitdesormais, s'il n'y apas laisse sapeau,combien une tel le i llusion est empoisonnee, et a quel point, de lapresomption de se liberer , l'ennemif aitson arme depredilection pourconvertir enfaiblesse tout lieu-force, tout lieu d'intentions.Dans Apocalypse et revolution, Gianni Collu et moi avonsebauche les termes essentiels d'une critique de la politique , qui, touten reconnaissant dans la politique les structures reifiees de l'ide

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    que , Comme nous l'avons indique, c'etait III un ecrit d'occasion;provoque par un certain Rapport 'duML T. (Les lirnites du develop-pement), mystification des sciences lesplus nouvelles du capital quianticipait quand meme lapartition qui allait etrejouee unpeu plus tardsur la scene de l'histoire , ety etresouvent reprise.Dans ceManuel deSurvie, lediscours sepoursuit, pour mapart, sur une lignequi, malgre laposition de retrait rendue necessaire en cette occasion, entend que s'yconfirme une continuite coherente,non seulement avec lepamphlet etsesthemes, mais encore avec tout ce qui a pu emerger de crit iquement.,radical, autour de nous ethors de nous, que celaait ete remarque ou soitreste semi-clandestin. Ce texte est encore lui-meme Ilcourt terme ..et sonoccasion est ce queje souhaite au /ecteur de trouver en lui,' Ielien quicombine sa condition et sa revolte contre l' etat des choses en traind'emerger dans la dimension genera/e.Gianni Emilio Simonetti m'a apporte une aidefructueuse, tant pourdefinir la structure du livre que pour revoir Iemanuscrit, dans Iecoursd'une relecture critique et de sa discussion commune. Beaucoup dethemes traites icisontpar ailleurs undeveloppement de contributions quime sont venues de lafrequentation et de l'amit ie de Gianni Collu, endepit desraisons contingentes qui, durant la redaction meme du texte, luiont interdit un apportdirect et une confrontation critique. Enfin; ce quej'expose ici - je saisis l'occasion d'en renouveler l'engagement - seraapprofondi et elargi dans cette Critique de l'Utopie-capital *, Illaquelle je travaille depuis longtemps et qui, vu les conditions guereaisees de mon processus propre, ne se profile que comme objectij 'relativement lointain."Critlca dell'utopia capitale, vol. I a cura di Nani e Guido Cesarano, Piero Coppo,Matteo Deichmann, Joe Fallisi, Vsrsni Editore, Milsn, 1979. .

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    CRITIQUEDE LA PASSIVITED e ' S lors que l'homme ne vient point au monde avec unmiroir, ni en philosophe fichteen (Je suis Moi), dans unpremier temps, il se reflete en un autrehomme. L'hommePierre s'en rapporte a lui-meme comme a un hommeseulement a travers sa relation a l'homme Paul commeson semblable. Mais c'est egalement ainsi que Paul,dans sa corporeitepaulienne, compte pour lui en tant queforme phenomena le du genus homme. Marx

    1Ce qu'ils ne vouspardonnerontjamais,c'est que vous ne voulez etre ni voleurs,ni reveurs. Vous meprisez autant cemonde odieux dont la realite vousoppresse, que le monde ideal qui jus-qu'ici, a servi de refuge aux ames pures,contre les infamies de la realite.

    Bakounine

    1.Jamais la society ne fut aussi absorbee par leceremonial du proble-me , etjamais elle ne fut si democratiquement uniforme, dans chaquesphere de la survie socialement garantie. Tandis que les differenciationsentre les classes tendent graduellement a s'estomper, de nouvellesgenerations fleurissent sur une meme tigede tristesse etde stupeur quise commentent, dans l'eucharistie publicitee et generalisee du proble-me. Et tandis que le gauchisme leplus dur - sous sa forme la plus'coherente - revendique le salaire pour tous, Ie capital caresse avec demoins enmoins de pudeur lerevede lui donner satisfaction: s'epurer delapollution de la production au point d'abandonner les hommes a la libertede seproduire simplement comme ses formes emplies de vide, comme sescontenants, dynamises par une meme enigme : pourquoi sont-ils la ?

    2 .

    Les avant-gardes l'experimentent deja: la force comprimee duvideles anime a se faire vehicules de la circulation de la marchandise-probleme, tourisme du malaise qui realise le temps des vacances comme la verification et la mise en scene de son sens etymologique,comme le manque represente a lui-meme. A l'unisson capital d'avant-garde et avant-gardes revolutionnaires songent a une civilisation dutemps libre qui vidangerait definitivement des pretextes de la productionl'archaique alienation humaine au temps objective, de sorte que lacommunaute totale de l'espece tarderait Ie plus possible a ressentirl'epuisement du temps de la survieet de la fuitedevant lamort, l'explosionprochaine, dans l'horlogerie 'de l'objet-ennui, d'un temps subjectif del'etre, auquell'interdit n'est plus desormais que ce velarium ou l'ennui, lefetiche quidoitmourir, reussit a semaintenir filme , en faisant parler delui comme de la vie, cependant que l'exigence de vivre se trahit ens'argumentant dans les formes vides du probleme ,

    3.La conjuration est celle du silence sur le continuum vide de l'ennui.C'est pourquoi la brisure bruyamment dechirante de l'ennui, la passion,apparait dans son explosion pour ce qu'elle est: un acte iconoclaste. 11n'est permis a personne de faire voler en eclats, de I'interieur, le masqueauquel ilest enchaine contractuellement Oser le faire brise dans lernememouvement le masque de tous les contractants. Le cercle public en est

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    blesse. C'est pourquoi il secrete aussi vite la bave restauratrice de lacalomnie : ce n'est qu'en ridiculisant la rebellion, en la recouvrant de laneige carbonique du sarcasme, qu'il peut dissimulerde passage oil s'est faitjour l 'obscenite de I 'ennui. Tel une amibe, ce cerveau co'Iectif qu'estlaconjuration de l'ennui absorbe dans son corps de mots digestifsl 'evenement neuf et se l 'assimile, I 'evacuant dans l' incredulite blasee detout fait advenu. Personne :ne croit moins it la revolution, que leshebephrenes qui s'ennuient it mourir en parjant de revolution. Per-sonne mieux qu' eux ne produit le doute en tant que contenu reel de lapersonnalite depressive, l' antidote le plus efficace contre Ie desir et lavolonte, La probabilite d'un sursaut revolutionnaire est plus grande chezla menagere, it tu et it toi avec Ietourbillon de sa machine it laver, et chezqui sa vie et la vie de sa famille sont posees comme unereproduction cyclique de salete en opposition speculaire it la cataracte desdetergents, que dans l 'atrabilaire auto-ironie avec laquelle le gauchistecontemple ses esperances en-allees en fumee de haschisch. La masturba-t ion, entre volupte et tristesse, de la teen-ager qui se refuse it troquerles reyes passionnes de la privation contre une liberte de copuler dans lemanque de passion, est plus pres du cceur de la necessaire colere, que nepourra jamais l 'e tre la revendication feministe d'une castrat ion genera-l isee : la part it ion egalitaire du role d'eunuque bourreau.

    4.La personnali te depressive est Ieproduit f inal du capital de l' opu-lence , une fois que cette opulence s'est revelee comme le masque debeaute de la pollution l 'arc-en-ciel syncretique oil sont dissimiles lespoisons de l'egalitar isme dans la pauvrete et de la penitence socialisee,Comment mieux se cacher la difficulte d 'aimer un etre, qu' en debattantsans fin la necessite de les aimer tous? Comment mieux se cacher lamesure de l'entreprise qu'il y a dans l'affrontement, pour la vie et pour lamort-en-Ia-vie d'un couple, qu'en postulant l'exigence de depasser la

    rnisere du couple? Quand l'imperatif social est un deprimez-vous ,chacun est contraint a voir le possible et Iedesirable dans ce qu' il n 'apas, supprimant des lors, chez lui et chez les autres (com-promis) toutepossibili te concrete et reelle de vivre le present comme seullieu oil nait Iesens d'une lutte qui ne soit pas imaginaire. Le papotage oil se consommentles problematiques surgelees de l'etre-la, dit surtout, dans l'opaciteuniforme de son timbre - et dans ses postures, contractees, de constipe,ou bien lasses, jusqu' it la pamoison -Ie caractere jaculatoire, onaniste, eti terat if , du ceremonial: une eucharistie de l 'absence, celebree avant toutpour exorciser la terreur du present Sans doute Ie couple est-il aussi uneprison. Mais pour en sortir, il faut d'abord sy trouver. II est necessairequ'une prison contienne, cloitre des etres virtuels qui, en tant que teIs,

    pourront se decouvrir reellement en mesure de s'en evader, et le desirerreellem~nt. Et pour se trouver (materiel lement : y etre) dans la prison ducouple, il faut d'abord se trouver, dans la prison du soi.5 .

    , ~ul ne doi~ plus 'pens~r.i t ,ramour s 'i l ne s 'aime pas lui-meme assez.L amour d~ SOl ~'plIque ICII accompIissement total du corps, dans sesplus.,et replis ~xteneurs, dans sa plenitude, dans ses zones d'ombre et delumle~e, implique aussi l 'experience de tout I 'Interieur du corps: i l fautco~artre Ie mouve~ent de l'intestion, entendre Ie son de I'ecoulementur~tral dans la ve~sIe~se?~,le sang dans chaque ventricule. C'est alorsqu a~ec U?e quasi-objectivits, ayant etudie son corps it la maniere d'unp~ysI?logIste, on pourra, dans un mouvement qui est amour de soi, endetruire Ie,,~o~~~men~ge . C' est totalement qu' on doit se penetrerde la possibilite ? ejaculation du penis o,u d,u clitoris. (David Cooper,Mo,! de la f~mllle, p. 43). Avant de reagir avec la violence voulue itl'anrm:ue frOldeur, quasi-objective avec laquelle Cooper prescrit decond~Ire la reconnaissance du corps, ilconvient de voir combien de travail social a du etr~ debite, subsume par Iecapital, pour que lacorporez'te etson sen! apparalsse,nt, .it, chacun tel. un. tiers monde qu'il s'agit derec~~artre ave~ la v~lIelte toute estudiantine du missionnaire porteur delumieres. La dialectique radicale doit se contraindre it reconnaitre surquelles bassesses se braque son projet de conquete essentielle : avoir lesyeux sur la gueule de la misere est la maniere la plus violente de la luicasse~, d~s lors que preside au rituel social de la mortification I'interdit des,e voir reell~~en~ en dehors de toute degringolade dans les latrines deIuto-commiseration.

    6 .

    Comme t?ute i~surrection, ,I'ex~se, ou Ie fait plus simplement d'ytendre: est d~scontin~e : cette ~egati~n de la duree est elle-meme niee parI~ ~~ree~ qUIe st toujours - c est bien dans toujours provisoire queI alienation perdure - le temps d'une negativite souterrainement it~'reuvre . . C'est lit ce qui separe I'insurrection erotique, comme toutem~urrection, de la revolution: prevaut, it un niveau global, la mise enmiettes de la torpeur et de la gangrene sur I 'auto-affirmation, au positifd'une ,conquete irr~versible. Toute insurrection connait sa propre limite:et doit la reconnaitre, dans toute son exceptionnalite c'est-a-dire sareversibili te de fait : la breche ouverte au depart ne rest enfin que pour unreto~~ it la Astase de la norme, Inconsciente predisposition, dans samaniere meme de prendre forme, de s'organiser , dans ses pointsd' appui concrets ou la faiblesse s' agrippera pour preparer la scene de lareddition. L'immanquable reddition. C'est lit toute la limite de ladimension individuelle de la lutte pour etre, Ce n'est qu'a un niveau de

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    generalite, done de communaute totale, d'espece, que Ie sens de chacunedes luttes individuelles se cumule et se. multiplie dans la puissanceirreversible duprocessus.N OTE: Ici Ie d iscou rs (et non seu lem ent Ie m ien ) sem ble de voir sep ar ta ge r e n d e ux n et te s sp he re s , l'u ne q ui b ie n m a lg re m o i su bi t lad e fi n it io n d e micro un iver s ind iv iduel , l 'a u tr e qu i h is to r iq u emen t s ed e fi ni t c omm e m ac ro -u n iv er s s oc ia l , J'ai la fe rm e c on vi ctio n q uel'a uto no mie a pp are nte d e te lle s sp he re s e st u n resultat culturel;qu 'elle n 'est que Ie f ru it d e ce trava il sym bo lique qu i vo ile au xh om m es Ie sens vivant d e l eu r p re se nc e- en -p ro c es d a ns I em o n d e e n l al eu r fa is an t s em b le r e tr e u n e s or te d e m e ta ph or e i ne xp li qu ee . C e q ui e stpercu comme in d iv id u e l e st I e pr od u it p ro du is an t de ce qu i val 'e tr e c omme so c ia l , e t i nv er sem en t; c e pe n da n t, l a m i se e n l um i er e(Aufklarung) de cette bana lite d e base ne peu t proceder que dud epa sse men t vec u de l'in terd it qu i la cond am ne. U ne c ritique qu ip re t en d ra it l a r ea l is er s u r I e t e rr a in d 'u n e pu re t h eori s at ion n 'echap-p e ra i t p a s a l a ch u te d a n s l 'i d eo l og i e : l 'a n ti ci pa t io n fi c ti ve , r e pr e se n ta -t io n ne ll e, d e c e q ui n e s e s e ra i t pa s e n co re s ai si d e s on e tr e v ra i" , l efa u xm e ta ph or iq ue p ar e xc e ll en c e. C 'e st a in si q ue , d a ns c e q ui v a suivre; le discours p re se nte u ne sc issio n e n d eu x p ar tie s, d on t la d eu xi em e, In su r re c ti on e r ot iq u e contient , sans qu'il y ait eu 3 cela volontespecifique, u n to ut p ou r Ie m om en t p riso nn ie r d u te rra in d es a rg u-ments du micro -un iver s ind iv iduel ,Le lecteur qu i ne cra indrait pas de se vo ir sedu it dans quelqued e v el o pp emen t p seu d o- n at u ra l is te d u d is co u rs (de l' ind ividuel au social , s an s qu 'a i en t b e so i n d 'e tr e s ou l ig n e s l es sau ts qua l ita -tift c a no n is es p ar l es theor ies rad ica les) peu t lire Insurrectionerotique a v an t l es t h e se s q u i s ui ve nt i mme d ia tem en t: Q u an t a m o i, q uim e tr ou ve d u c ote d e l 'e cri tu re , q u'i l so it c om pr is q ue je n 'e nt en ds n ip re te r l a m a i n a u ne l ec tu re naturaliste d u t ex te , n i fa i re p a ss er p ourd e ja d o nn e u n t el d ep as sem en t d e l a m e ta ph o re , a u qu el c e t e xt e v e ut t ou tj u st e p lu to t , foumir u n e co n tr ib u ti on qu i n e s oi t p a s pu remen tf orm e ll e.

    "tnversto: Le verbe inverarsi semble avoir ete forge par Dante, dans les vers :e quel lo avea la f iamma pil i s inceracui men distava la favi ll a puracredo, per6 che pili d i lei s' invera(Paradiso, XXVIII, 37)( tr . Masseron :((et celui-ta avait laf lamme laplus ardente. dont lapure etincel le etaitIemoins 6Ioignee. parce qu'il etait , je pense. Ieplus penetre de saver ite ) . II sagit.chez Dante. comme Ie notent ses commentateurs. d'un ((davantage voir et connaitrelaver ite de ladivine essence ; et pour Cesarano. dusujet-objet de lavraie gnose sesaisissant en procas de cequi Ierend vrai. Lerationalisme de I'epoque des lumi~res adonne a inverarsi Ie sens de ( (para it re vrai, avoir quelque apparence de veri te(Dictionnaire Alberti di Villanuova .,796). IIl 'appauvrissait en Ie laicisant; CesaranoIe remet sur ses pieds .

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    7.L'annihilation de la volonte et du desir procede de deux aveuglements(deux scotomisations ) enchaines entre eux dont I 'un est Ie reflet,interactif et retroactif 3 la fois, de I'autre: se meconnaitre meconnaitrel'autre. Sij'affirme qu'il s'agitd'aveuglements - d'inhibitio~s 3 voir- cen'est pas que je dissimule, ou que je me dissimule, qu'il y a aussiemoussement du sentir, inhibition 3 percevoir sensoriellement et emo-tionnellement, 3 tous niveaux de la conna is sance cons cien te . Mais c'estfait evident que l'anesthesie de la faculte de sentir connexe 3 lacompulsion de presence-absence, 3 ce qui fait participerde la liturgie duspectacle (Cf. quy D~bord, L a so ci ete d u sp ec ta cl e, Champ libre)*,~oncentrant ~urI exercice de la vue la chargemaximale de l'introjec-tion des~od~l~s d~valeur, en est arrivee 3 somatiser reellement unprimatde I~ ~lsuahte )~~ travers .Iequelest contrainte 3passer, pour Ieminer etIe detruire, la critique radicale de la presence alienee. Le capital s'est

    ~ynthetise dans la representation. La voie qui mene 3 la conquete deIessence, elle ne la trouvera pas sans transpercer l'image.8 .

    A travers la progressive decorporeation operee des siecles durant parles ideologies religieuses, I'univers sensoriel s'est sclerose en se symboli-sant Tout symbole grave pour toujours dans Ie cortex cerebral est unefaculte des sens perdue pour toujours it I'experience sensible du monde.Et, allant de pair, c'est Ie monde qui disparait de fait Le mode de seproduire de la personne sociale , la somatisation de l'alienation et dumanque (1), ont toujours ete simultanes dans I' interiorite et 1'exte-riorite , la vie sauve restant aux possibles de synthetisation, et par 1 3 desubversion, de la passion interdite. Ce n'est qu'au-dela du mouvementd'annihilation complete du capital 3 l'encontre du soma et du mondeaujourd'hui totalement derealises et symbolifies, que lesindividus- et e~eux I'espece - peuvent conquerir leurrealite enacte, dans lapassion d'unmonde en acte.9 .

    La perte dans Iesoi,cette stase oul'ons'est perdu aux sens etou l'onaperdu son sens, est alors la perte de la faculte de se voir - de sereconnaitre - comme corporeite en mouvement C'est Iemoment ou larepresentation duoMOi.a impregne chaque geste, chaque mode d'appa-r81tre.:en les reduls~tJustement itune apparence symbolique, et done 3Ianegation Iaplusmanifeste dumateriau quiIes realise, comme it seproduitnecessairement dans tout systeme symbolique . Reduite au simplesupport d'une connotation symbolique, la corporeite echappe aux sens. Etde meme, quant a eux, les sens abandonnent la corporeite. Quiconque seCest la reference franj :ais8 qui est donnee dans I'original.

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    sent autre - defini en tant qu'i l est percu par d 'autres et pour d'autres- sent combien sa propre faculte de sentir appart ient a l'autre. Le bris, parle jeu de mots ou de phrases , de revolution individuelle dans lamondanite, dans le cycle horaire d'une journee vouee a la famille - autravail- a laconsommation, sepeint, comme chacun sait par theorisanteexperience, dans un blanc absolu d' absence. 11n'est de presence a soique par Iedesarroi, (Quant a Sartre, neanmoins, ilserait temps pour lui dese trouver.)10.

    Lapersonnalite depressive, moment qualitatif de l'apparition du capitaldominant, est avant tout deprimee de se savoir fragmentee, et de s'ycomplaire. Conditionnee au contexte parune rigueur.carcerale. Vissee alarepetition et a l'obeissance. Taillee et retaillee a la mesure millimetriquedes divers roles, deflnie sans zones d'ombre par Ia scenographie oil lapresence est connotee, Dans le reve, quand une residuelle etincelle derevolte a permis que cela ne soit pas efface, la somme catastrophique de lafragmentation de soi retrouve, pour la:p leurer avec un cri sans voix, latorture de l'enfance. Cependant la corporeite est unitaire et continue,presente a elle-meme, sans equivoque par essence. Mais de quel corecommencer a lesavoir ? Un presage est ce qui fait parler siobstinement dela privation d'amour ceux qui sont incapables d'aimer. Ils continueront, enetres scindes, a en parler, tant que n' aura pas surgi, avec la capacite de sepercevoir corporellement, celle de s 'aimer et alors d 'aimer.11.

    Trop longtemps les compilateurs de l'amour ont repandu leur fiel facilesur le reflet reciproque, dans Ie couple, de deux N arcisses. 11faut'etreun homme" pour vivre pleinement la femme que nous sommes. 11faut etreplus qu'un homme, un "homme mur", pour vivre pleinement la reali te deI'enfant que nous sommes. L'homme mur est Ie veri table homme-enfantpuisque, lorsqu'il remonte suffisamment loin dans son enfance et saprenaissance, il decouvre fmalement en lui-meme une vieill~ et sagefemme - homme qui temoigne de l'experience de la maturite, Cettematurite peut tres facilement pourrlr en nous sic'est notre heure -I'heurepropice -, iiinous sommes sur le point de devenir ble~. (Cooper, op.cit, p. 91). Comme c'est lecas pour nombre des affirmations du chamaneCooper, ce qui est devoile ici est exact et insuffisant a la fois. C'est vrai :vrai dans l'emergence historique oil nous sommes amenes a nous trouver,c'est phenomenologiquement vrai, et c' est en meme temps, dans laperspective d'une mise ajour authentique, ledemier mythe possible d'unepsychanalyse destinee a voler en eclats, au vent de la revolte, en memetemps que lapsyche, cette galere dont le voyage n'a que trop dure et ou lacorporeite est contrainte a voguer contre le courant d'une presence

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    intolerable: sa propre presence etrangere, 11 faudra les dechirer, lesmasques de ces dramatis personae, plus pour longtemps atroces. Lavieille et sage feriune-homme repechee a reculons dans le crepuscule oilvacllie un Moi decrepit , et enfantin ... Elle s 'evanouira, elle mourra enfin,nous la tuerons, quelque masque qu'elle revete alors. Pour que la fin soitorigine, naissance d'une communaute - espece realisee, permanentenaissance de la presence coherente, affmnation de l'etre non-objectif,subiectivite vivante au-dela de l'avoir. De l'avoir un Moi , une mere, unpere, des heritiers, d' avoir soi, du posseder, De sorte qu' enfin la pertetrouve sa fm.12.

    II ne s 'agit pas de liberer IeM oi, mais dese l iberer du M oi, etde l ibererainsi l'histoire de ses origines. Et cela, des maintenant. Sans rienattendre. Le moment est maintenant, Ie temps de la f in de la souffranceest Ietemps O U la souffrance sefait intolerable. Pour tous, quand ilsemblea chacun que c' est pour personne d'autre que lui. Mais il n' e st pas moinsvrai que, pour detruire efficacement IeMoi, ilfaut ledepasser en dechirantl'hymen du Moi. Ne pas tolerer que l'alterite acheve de le desagreger, 11est vrai par consequent que nous pas s ons par les mauvais cheminsprovisoires indiques en de nombreux passages du livre equivoque deCooper. Mais pour finalement les avoir derriere nous. Pour voir, pourconnaitre autre chose que ces asphyxiantes miseres. Le paradoxe est danscette.necessaire strategie : empecher par tous les moyens que le capital(1 ' alterite parvenue a son point maximum de pouvoir reel) desagregedefinitivement la faible et insuffisante central ite du Moi, lui arracher lefetiche des mains, de vive force, le lui disputer seconde par seconde, nejamais accepter de lacher prise. Pour apprendre en combattant que lefet iche estpour nous inutil isable, alors que dans ses mains (dans lesnotres, si nous lui laissons la voie: nous sommes nous-memes l 'autre) ifest l'arme meurtriere de l 'autodestruction. Decouvrir enfm, alors que nousne disposons pas d'un espace-temps autre que celui putride du Moi danslequel nous rencogner, et que done, prives de lieu et de temps, il ne nousreste qu'a mourir , que lel ieu et Ietemps historiques oil nous menera cettelutte sont absolumentautres que ceux du Moi, qu'i ls sont sans la moindreequivoque au-dela et ail leurs. La fin du Moi sera la genese de lapresence.Pour que cela advienne, ce devra etre a nous, a nous en personpe, enmasques de primitifs, sous les masques sanglants et monstrueux de lanaissance-mort, de nous venger, de venger I 'horrible peine de la prehis-toire, et de durer au-dela de notre sacrifice.13..

    L' insurrection erotique est une prise d' armes. L'amour est un duelcontre la mort quotidienne, contre le sacrif ice perpetuel a l'alterite - au

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    Moi, L'extase, l'irruption hors de soi, est la conquete momentanee del'espace-temps au-dela du Moi, l 'anticipation corporellement vecue de ladimension oil chacun en viendra a ses fins: ledebut d'une naissance. Nousconnaissons la possibilite d' autres insurrections v~tales, mais nous savonstout aussi bien que leur relative rarete dans l 'histoire - relat ive surtout eu-egard au cloisonnement d'une peripetie individuelle, et a I'authenticite deleurs manifestations, au-dela de la funebre celebration de I'absence qu' estune manifestation de rue politique - les verse fatalement dans cettemythologie de la subversion, ~tdu ,soi su?vers~f, qui ~s~~armi les moye~.sles plus efficaces d'eluder Ievecu revolutionnaire, Precisemen~ parce qu 11est une affaire domestique, quelque chose de proche, depourvu dequalite sociale, denigre et devalorise, l'amour est Ie,Ch~v.a~de T~~ie grac~auquel la subversion - la revolte armee contre 1alterite - s introduitdans le necrotique continuum de la survie. (L'amour, et la nevrose vue etvecue comme revolte, soumise a la connotation humiliee de soi, a laquelleeUe se dispute. Mais de cela, c 'est ail leurs que j 'entends parler .)

    14.Le processus de la revolution est en cours d~s .l~ dimensi~n s~pra-individueUe de la generalite, dont chaque sort individuel est separe ~arla meme limitation et la meme misere qui le separe de la perceptioncoherente de son sens, en le recrutant dans la vision d'u~ de,stinparticulier qui lui voile sa participation pratique et c~ncrete a. laconstruction des destins generaux. Cependant, apres une msul!~ctiontenue en echec, personne ne revient a son point de d~pa~ ~a re~dlt iOn neramene pas a la tombe d' auparavant. II ne, s 'agit J.ama.lsque, dereculer au-dela . Ce n'estpas unjeu de mots. L ap~eshlst~n.que, ou severifie la retombee, trouve sa confirmation dans la v~me SO~IC!~?e ave~laquelle on veut restaurer l'aupa~a~ant',La compulsion de repetition, quiest toujours l 'imperatif d 'une recelebration de no~e .mort.~ux sens, ne severifie jamais dans une identite du contexte. L identite ,se, dement

    d'autant plus elle-meme qu' elle met d~chale~r dans son ~ffort a.s.a,ffi~ercomme Ieretour cyclique d'un temps immobile, co~e immobili te ~U.Iserepete. Chaque scene de la reddit ion trouve des victimes ~t des geober~differents. Quelque chose s'est passe: Ia lutte, le choc qUI a transformechacun. Transformation minime? Jamais le mouvem~D:t ne fut unequestion de quantite. L'i llusionisme de I' irrealite quotidienne, auquelapparemment re-conduit chaque reddit ion, ne peut tromper personne surla realite des changements effectivement advenus.

    15.Chacun est paradoxalement prive du sens prehistorique de sa propre histoire . C' e st le produit supreme de l' expropriation, et l' eternelterrain de regenerescence de la propriete privee, cette privation d'une

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    Gemeinwesen occultee par la possession de soi en tant que res rerum.Mais malheur a qui, devant la traumatique revelation de cette banalite,reagit en fuyant la terre d'asphyxie de son destin. Malheur a Qui.vaincu aussitot par la plus banale des nausees, se vomit lui-meme dansI 'inanite du s 'avoir, et se delivre, aussi rapidement qu' il lusoirement, del'identite a son manque propre. Celui- la ne cessera plus de semanquer ; itne cessera plus de se trouver lui-meme par ses mendigoteries sans fin,continueUement reconduit a son portrait robot, reconnu avec une horreuret une desolation toujours davantage pre-jugees dans chaque jeton depresence qu'insinuent entre ses doigts les professionnels de la trai te desombres. Politiciens, boutiquiers de l'esprit, psychiatres ne fmirontjamaisde se l'echanger.16.

    Les plus cruels sicaires du nihilisme sont ceux qui t'arrachent a toi, pourte pousser, comme une tete de betail, dans Ie wagon du manqueprogramme. Groupes politiques, communes psycho-psychedeliques,communautes psychiatriques: le train toume en rond, comme la ma-quette plast ique oil les obsessions de peres brulant de s 'y reconnaitreretombes en enfance parquent des reves de fuite et de vision du monde.D' ordinaire, les enfants cas sent Ie train et ses elements de plastique, sepreparant a casser mieux et davantage. Mais qu'ils prennent garde: le plastique les poursuivra longtemps et sans treve, Qu' est-ce en effet quetoute ideologie, sinon la miniature plastique du monde, du mouve-ment ? Sinon une maquette pour tuer le temps? Tue le temps, tu mourrasau-dedans du temps. Tue prematurernent ta subjectivite prisonniere deI'ennui, tu tueras, en et pour toi, le temps de l'histoire. Tout suicide estmort it contre-temps: alerte transmise par les courts-circuits de l 'imme-diat isme oil s'evanouissent , en abandonnant la lutte qu' il y a a durer, ceuxqui s' abandonnent a l'absence, toujours provisoire, de leur propre sens querien n'autorise a porter absent de l'ici-etant,17.

    Qui au moins une fois ne s'est senti enfoncer, dans les regions glacees ducoeur, Iecouteau plus froid de celui qui lui enjoignait de sortir de soi pourvenir se conjuguer aux destins generaux ? Et, du moins a partir de 68,quel individu radical n'est pas sorti de soi , sans obeir qu'a son proprecoeur, dans Ie chaud moment de l'emeute, en une conjugaison irrefuta-blement reelle , corporeIle, totalisante, de sa destinee part iculiere it lageneralite des destinees ? Une insurrection est determinee historique-ment, etj'ai parle de ses limites. Mais une insurrection vecue, jusque dansI' etroitesse de tout ce qui la rend provisoire et reversible, apprend demaniere inoubliable quelle difference s'opere entre la miniatureideologique, et Ie moment d 'evidence effective de la dimension supra-individuelle. Cependant, Ie mode sur lequel Ie souvenir de la bataille

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    affieure a la commemoration - au milieu des reliefs du diner et desverres : ceci est mon absence de corps, ceci est mon absence de sang - endit long sur cette aptitude melancolique de l'euphorie oil fai t si ~an-quablement fond le pouvoir des chefs de rackets. Toute eucharistie del'absence passe par le ceremonial de l' evocation: c' est ainsi que lamemoire du moment oil tout pouvoir a ete detruit, tout pouvoir de l 'autresur une subjectivite propre, se transforme en lien assujettissant .unepresence gregaire au pouvoir de qui s'en nourrit . L 'autre sait se deguIse~,sait apparaitre comme quelque chose d' assimilabl~ au mieux que toi,tandis qu'il t'enjoint de renoncer totalement a etre tot, et de le contemplercomme la garantie incarnee de ton futur marie a 1' histoire .

    18.Comment conquerir un rapport au reel, sans conquete simultanee d'unal i '? Lerapport reel a sa presence propre, entendue co~e tot ite ? . sboutiquiers d'al ienation parlent sans fin de rapports reels . L~ VO~IS-sure a la gueule, pas de suiveur, de disciple, ,d~ co~~e~e qU! puissecontester de n'en avoir point Une secousse legere d ideologie, et lavomissure giclera tel un geiser: geiser oil s 'evacue le sentiment doul?u-reux combattu du vide de soi, vidant le catechumene de toute perceptionreelle de soi . Rien, avant le coup de crocs suivant de l 'angoisse, ne sauralui faire sentir son embrigadement dans l'organisation et la programma-tion du rien. L'automatisme impeccable qui, aux communautes fictives dunihilisme, fait agiter en premier plan des details secondaires, ~t tout deleur fonction: fausser la perspective, devier un regard radical de lapenetrat ion qui lui fai t reconnaitre, dans la solitude et l' absurdite oil il prend source la racine et le secret de sa convergence reelle avec latotalite (2) du pro~es, la revolte vivante de l'~sp~ce contre 1'0rg~s~tionde la non-essence et la production de fausse Vie,a laquelle toute vie reelle

    est subsumee dans sa negation.

    19.L' etre, desormais, en premier plan. L'etre de l'espece et done celu~del 'individu indissociablement, en tant que perspective enfin concrete,definit ive~ent soustraite aux boites a miroirs des mythes religieux et auxlabyrinthes de la morale philosophique, des l'instant oil le developpementdes moyens de production, a part ir des moyens de production de l 'especeen tant que telle, etde son monde, a atteint son but historique, la conq~etede la totalite de la biosphere comme habitat (Umwelt) natur~I (a~-deI~ del 'alienation a la nature) et la garantie potentielle dela survie biologique(au-dela de l'alienation au travail, it Ia misere~ e~~u profit). ~a do~a?onreelle du capital (3) est le seul obstacle qUI s interpose desormais ala

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    realisation par l 'espece de son destin, de liberation du regne du besoin, etde victoire dans la plenitude de l'etre. Un obstacle puissant, si l'onconsidere qu'il totalise et perpetue en lui l'ensemble des raisonsdictees, tout au long de la prehistoire, par la necessite de survivre aubesoin; il les totalise et les perpetue dans la ratio oil est demonteetoute volonte d' e ire a u-d ela d u be so in ; dans la cellule necrotique dechaque soi. Le capital est ce cancer dont l 'espece risque de mourir avantde commencer a vivre reellement, En ce sens, la revolution est biologique(Voir Apocalisse e rivoluzione). En ce sens, son objectif est uneaffirmation de la vie, du bios, de I'etre comme naturali te , au-dela de toute .segregation dans la dimension animale et mecaniste du bios, desormaisdepassee de facto, sinon dans la conscience et la connaissance pragma-tique, oil un perdurer artificiellement prolonge de l' a lienation la faits'attarder.

    20.Le rapport de determination reciproque qui a depuis toujours uniproduction de la machine sociale ou communaute fictive et production delapersonne ou etre fictif, est plus operant quejamais. La se situe la racined'une connexion effective entre perception vitale ( cri tique , dans lesens d'une subversion) d'un etre individuel propre et vision reelle

    ( cri tique , dans le rneme sens) du contexte inter- et supra-individueldans lequel chacun se determine et denie ce qui Ie nie, se connait pourn' e tre pas tout en reconnaissant en lui les premisses actives de l' etrepossible, identiques en lui et en chacun, en lui en tant qu' elles sont enchacun. Reste alors a Ia dialectique radicale la tache de devoilereffectivement l'evidence vitale d'une telle connexion, d'en realiser dans laIutte les contenus latents, d' en experimenter la charge de force dans unprojet de subversion. Pour Iefaire, elle doit part ir ab imis". Elle ne peut sepermettre le luxe de neutral iser l'angoisse. Elle ne peut non pluss' allier au christianisme d'un BataiIle (4), grace auquel on arrive itregarder Ie spectacle atroce de l 'emprisonnement dans la non-essencecomme un donne ontologique, une immobilite dans Ie spasme par-dessus laquelle l'angoisse se donne pour la gemme oil la splendeurdivinisee de l'Absence miroite pour I'eternite. La theorie est capable desaisir les masses des qu' elle demontre ad hominem, et elle demontre adhominem des qu' elle devient radicale. Etre radical, c'est saisir les choses ala racine, et Ia racine pour l'homme est I'homme lui-meme. Dans ceslignes de Marx, se noue Ieparadoxe que la crit ique radicale est appelee ittrancher.*Ab imis fondsmentis: des fondements les plus caches.

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    21.Pas davantage 1a dia1ectique radicale ne saurait se concilier avecl'existentialiste et phenomenologique habilete d'un Cooper. L'apoca-1yptique chretienne de Batail le , qui dans l 'erotisme (5) ne sait et ne veutreconnaitre rien de plus qu'une necrotique symetrie entre l 'horreur et lafascination de laviolence et de la mort ni, dans l'esprit de la passion, autrechose que le mecanisme qui, de l'interdit, faitjaillir la transgression, ilnefait pas de doute que l'apocalyptique du capital s'est appliquee a labousculer, a quelques annees de laredaction de l'ouvrage, quand elle a misen scene l'infame spectacle de la liberation du sexe. Le passage du sexeinterdit au sexe obligatoire est le raccourci que le capital opere avec latransgression, pour lui faire changer de signe et la court-circuiter. Lemoyen, maintenant, de transgresser les commandements? Eut-il vecuencore quelques annees, un week-end touristique a Amsterdam ou aCopenhague aurait crucif ie Bataille a ses contradictions. A moins qu' on

    ne l' eut enrole dans l'equipe de mise en scene de La vie sexuelle duChrist , dans un elementaire esprit de survie, pour qu' a tout prix I'Espritpuisse se survivre.

    22.La regression dans l'enfance est la marque distinctive du babyish ducapital: des dessins animes des court-metrages publicitaires a la fantas-magorie de gigantesques bites et chattes, baillantes et ecumantes, dans leporno-show, la subtil ite de la difference phenomenologique est lameme que celle qui separe, suivant Melanie Klein (6), l'aspect char-mant dujeu enfantin de son aspect demoniaque , La queue exhibeed'un kiosk a l'autre est celle que ta famille t'a arrachee. On te la

    redevoile de facon que le contre-coup de la repugnance t' e loigne avecmelacolie de ton penis reel . Dans l 'evacuation social isee de la sexualiteexhibee, se renverse le secret viole de la tienne, paralysee. Chatre-toidone, alors, pour eviter I'humiliation dans l'orgie oil sont photographies etfilmes les songes par lesquels tu as elude lapresence de ta corporeite. Il ya probablement six ou huit facons de castrer un homme. Les deuxpremieres n'ut il isent pas le couteau, mais ce sont les plus importantes.Vous pouvez retirer son dard a un homme ou vous pouvez arracherI'homme a son penis , (D. Cooper, lb. p. 149). La liberation sexuelle lessynthetise dans un mouvement unique. Ce mouvement unique est cehiid'une regression dans l'enfance, realisee par tous les moyens de larepresentation spectaculaire, et brutalement socialisee.

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    23.Le capital autocrit ique ne peut se dispenser d 'etre auto-analytique.Quand la valeur rend a se concentrer toujours davantage dans lareproduction d'~ Moi fictif - forme ult ime et sarcast ique de la proprietepnvee, dans l'unmanence de la societe civile de la penurie - laperpetuation de sa conservation ne saurait etre mieux assuree que siun telM~i est attele a sapropre genese, et donne comme fait ontologique, au-dela duquel toute demarche est rendue phenomenologiquement impossible. Geree par la fruste violence de l' offre et de la demande1' auto-analyse sauvage effectuee par l 'industr ie imprime un portrai t-robot du Moi qui le cloue de toutes parts a une croix orthogonale oil ledoute vient s'accorder avec le desespoir. Cloue a ta naissance-mort, tu nepourras jamais etre rien de plus que ce Moi-enfant , tu ne pourras avancerqu' en regressant toujours davantage, tu ne pourras te connaitre que dansune horreur toujours accrue de te reconnaitre. Lapollution s'etend partout

    d'un Enfant Jesus ithyphallique, que d'avoir et e enfante par un vibro-masseur plonge dans l'affliction. Plus l'ennui annihile ton desir, et plus lapenitence de l' auto-analyse le ressuscite comme besoin primaire: la faim terrorisee de l'enfant qui apprend que jamais il ne pourra lacontenter.24.

    Toute nourriture est polluee et notre mere la terre annonce deja letarissement de sa derniere seve. Te revoici cependant devant la grandefaim de maman-biberon, la faim par definition inguerissable, de sorte quela penurie soit devant toi comme le resultat cumule d'une fataliteoriginelle. A l'o ffre lisible dans les icones publicitaires, point d' autrecontenu desormais que celui , manifeste, du sourire de la privation. Tu saisbien que tu ne pourras plus avoir le merveilleux corps-de-maman dont telproduit te parle et te console, ni le terriblement doux penis-de-papa sisuggestivement evoque de Iii. Tu sais bien que tu ne peux etre que cetenfant qui pleurait sur ses jouets dormants. Soutiens-toi done it lamisericordieuse melancolie qui refai t des jouets sur quoi pleurer .

    25.Une vraie phenomenologie de l'etre se fonde sur la conscience de sanon-apparition, conscience issue d'une experience critique de l'absence.Autrement dit , leMoi est toujours lel ieu d'O U nous venons et celui oil nousallons, mais l 'apparit ion de notre venue est la dispari tion de ce lieu qui esttoujours laisse sans existence dans Iepasse, dans le futur et evidemmentdans Ie present (D. Cooper, op. cit., p. 96) A 1agrossterete de l'auto-

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    analyse sauvage distribuee par le capital pragmaeste parait repondre, dela part de Cooper, l 'e legance de cette dialectique , Mais qu'on prennegarde : oil trouver le mouvement qui peut mener l'experience critique au-del a du cercle vicieux (quoiqu' ilen soit, Ie cercle vicieux n'est autreque celui qu'incarne concretement le cerc1e.social des peres et fils vicieuxet oiseux de la problematique ), oil trouver la negation, commentetTectuer 1a negation de la negation, vers quel depassement tendre ? Apeine Cooper devoile-t-i l t riomphalement l 'arme destinee a resoudre et asauver qu' il montre la pauvrete de sa vision critique . Entre les mainsd'un radical dont les racines sont Iesalon psychiatrique, nepeut surgir ,quand on appelle a croiser le fer, que la cravache d'ecuyer de l ' ironie. Cette ironie peut etre definie a deux niveaux: il y a, premierement, unereconnaissance totale et douloureuse du probleme ; en second lieu, ce quiimporte, c' e st seu1ement cette conscience de la problematique, et nonl'immaterialite du Moi qui se 1amente sur tous les problemes, Le problemedoit etre vu, mais cette vision est indissolublement liee au regard quitraverse leMoi. Et nous rions, nous rions avec celui qui voit a travers nouset qui voit que nous regardons a travers notre MoL La douleur demeure,mais elle peut, sans perdre sa valeur en tant que douleur, devenir l' objetd 'une joyeuse partie de ballon. (lb., p. 97). Cette hyene qui rit sur lecadavre de sa propre presence est connue de quiconque a parcouru aumoins une fois ladescente aux enfers de larecusation de soi. Le regard quipasse a travers le rire de lahyene, la reconnaissance dans lerire de l 'autrequi voit a travers notre Moi et a travers notre regard a travers notre Moi,ne signifie rien d' a utre que de tomber dans un jeu de miroirs chez lebarbier, oil le rasoir sur la gorge prend la consist:ance de notre peur, quis 'eveil le comme faute ... De reflet en reflet , la scene rappetisse a l 'infini,jusqu' a etre reduite a la miniature la plus infime d'un sacrif ice originel .. .tout cela en. vain, l'objet n'est autre que la va leur de la douleur, prixsordide de tout ce trafic d 'images, d' images d'images.

    26.Et qui saurait rmeux se valoriser que la vraie hyene, l'opaque,l'impenetrable gerant de l'aneantissement, l 'administrateur fidele de tousles martyres, le maitre d'oeuvre de l'absence, antique et pourtant toujoursnouveau? D'une partie rien moins que joyeuse, oil chacun s' entraine aufootball d'Etat , la soutTrance est en etTetl 'objet, Si les etres "relatifs"sont ceux qui soumettent leur propre regard a celui que les autres posentsur eux, les etres "relations" donnent 1apriorite a une fausse alterite eneux, au detriment de leur propre identite veritable. Nous reflechissons surnons-memes, de sorte qu' il yale moi reflechissant , et le moi sur lequellemoi reflechissant reflechit ; de plus, on peut reflechir sur le moi reflechis-sant et d'une facon reflechie decider de l' e liminer et, simultanement,annuler la decision en tant que tel le. L'efTetfmal de ce cercle vicieux est

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    d' engendrer un moi unique et illusoire, espece d'objet ballotte en tous sensdans unjeu totalement passif et tr is te . A travers une ironique reconnais-sance, on peut se demander quel est Ie moi qui est affecte par cetteproblematique et qui s'atTecte Iui-meme de cette facon, et quelle est ladifference entre ces deux moi . Sinous posons cette question de la seulefacon possible, c'est-a-dire dans un esprit paradoxal, en nous aimant nous-meme et avec une absurdite amusee, nous la masquons de ce fait meme :c'estla liberation ironique dans 1averitable unite interieure. (lb., p. 98).L'amour de lui-meme avec lequel Cooper s'amuse de sa propre absurditene 1a masque guere, et toute l'ironie tient en ce qu'il montre a quelle liberation mene une veritable unite interieure quand elle estpoursuivie a travers l 'apologie desesperee de la desagregation, Brieve-ment et autrement dit : comment, en combattant toute forme de refractionhallucinatoire, reconnaitre Ies uj et r e el d u p ro c es su s h is to r iq u e qui doit , atravers un tel jeu de labyrinthe des destitutions, nous mener a unfondement materiel a part ir duquel puisse s 'engager la dialectique fusionrevolutionnaire de lapresence avec la libre creation de so n s en s ?

    27.Si nous posons cette question de 1a seule facon possible, c 'est-a-direcontre et hors de tout usage du paradoxe et en coherence avec lematerial isme dialectique, nous demasquons de ce fait meme la vacuite,nullement gratuite, du nihilisme qui se niche dans le messianismeneotherapeutique de phenomenologues existentialistes tels que Cooper etson triste collegue Laing. Ce a quoi il faut donner une affirmationcoherente est ce fait que la subjectivi te revolutionnaire est d 'ores et dejapresente dans les conditions memes qui la nient comme subjectivite reelle,af!n de s 'en subsumer 1apresence corporelle en tant qu'energie, produc-trice de l'irrealite generalisee. Le Moi est sans aucun doute un produitfictif et social, dans lequel le sens vivant d'une presence particuliere

    s' a liene a sa propre particularite individuelle (indivisee) et perd toutepossibilite de se realiser immediaternent comme son propre depassement,en se fondant dans la Gemeinwesen de la coherence supra-individuelle.Mais de meme que tout reformisme du Moi (la therapie progressiste ),heritier reflexif d'un terrorisme psychiatrique defait (la marginalisation-reclusion), ne peut guere que parer de mystifications plus subtiles ladramaturgie deja historiquement surchargee de la crise du Moi, Ienihilisme d'avant-garde (l'autogestion socialisee de la therapie pheno-menologico-existentielle) ne trouve guere qu' a faire masse activement avecIeprojet d 'interdire toute sortie a la volonte radicale en desagregeant sesfondements materiels , projet qui definit la substance nihiliste du capitalautocritique.

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    28.C' e st sur ce terrain que, toujours davantage, le pouvoir gere une revolution qui a pour fin ladepossession, de l'anne de la critique, pourla desincarner de sa charge subversive et la convert ir en force propulsivede la centre-revolution, en deplacant, dans le ceremonial de l'auto-critique, ses propres contradictions de leur site nature 1,afin de les projeter,denaturees en problematique, dans l'affabulation hollywodienne des lendemains meilleurs . L'ironie dont Cooper fai t l 'apologie ( Dansune vie individuelle, le sentiment le plus revolutionnaire entre tous estl'ironie ) est le contre-poids therapeutique du serieux avec lequel lesministres memes du pouvoir d'Etat mettent sur le tapis la question desdysfonctions de l'Etat,

    29.Cependant que la messe chantee du mensonge televise triche sur lacomptabilite des cadavres, le Corriere della Sera, O U il est significatif devoir le lexique et les tons propres a l 'obsolete nouvelle gauchereconnaitre leur legitime sujet historique, s'en prend a la trivialite d'unedissimulation conservatrice, au nom d'une dissimulation autrementcompetente, qui consiste a etaler le tout, brode it plat sur la tapisserieproblematique, Voici beau temps que nous succombons tous a quelquecholera, sans doute sous des formes differentes de celles que dechaine levibrion, mais suivant une similaire modalite cyclique: le poison quiintoxique run conflue dans les egouts oil grossissent les fruits qui serventde nourriture a tous. Car leraisin vert de la parole par quoi l'enfant recoittrop tOtd'un pere l'authentification du neant de l'existence, et la grappe decolere qui repond aux mots de fausse esperance dont sa mere l'a leurre enle nourrissant au lait de son vrai desespoir, agacent plus ses dents qued'avoir ere sevre d'une jouissance imaginaire ou meme d'avoir ete prive detels soins reels. (Lacan, La chose freudienne; in Ecrits, I, p. 245).

    30 .Sur ces entrefaites, sur la scene oil, mitraillette au poing, les pigsdetruisent les fetiches du mal, tels qu'ils ont pu etre identifies dans lesviviers oil de miserables mollusques synthetisent dans leur organisme tousles miasmes deverses par les egouts ou degorge, malgre la proximite du plus beau golfe du monde , la composition organique du capital, unecinquantaine de femmes portant des enfants dans leurs bras, leszi'Maestaen tete, les meneuses du Pallonetto, grimpent sur les barques des pecheursdu Borgo Marinaro et s' emparent des quatre derniers bidons laisses la,avec leur contenu de moules, aux fins de l 'enquete judiciaire. Aux cris de

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    Nos enfants ont toujours mange des moules, et voyez comme ils sontbeaux et sains , les femmes ouvrent les fruits de mer et les donnent amastiquer a la chair de leur chair . Un motoscafo de la capitaineriedu port a disperse ces manifestantes inconscientes. {article de LeonardoVergani dans le Corriere della Sera du 8 septembre 1973). Au-dela deleur devotion sous-proletarienne a la fatalite, ces meres de colereportaient a son extremite, en un seul geste, leur coherence de nourricesmortiferes et leur conscience d'etre elles-memes les mediatrices et lesfilles de cette mort qui venait se refleter dans le golfe de Naples depuis Iefond des ages. L'eucharistie administree a leurs enfants etai t vraiment unvaccin surgi d 'une antique gnose. La mort produite par l 'alambic social nes' exorcise pas dans une risible chasse aux sorcieres donnee a unmollusque : ils' agit au contraire de la defier en pass ant au-dela, en mettantenjeu au premier plan, et avec la rage de la vraie cognit ion, la survivancememe de sa propre presence, totalement assumee pour qu'i l soit possiblede risquer totalement sa conquete au-dela de la preuve.31.

    Comme chamanes et sorciers l' ont depuis toujours su, la mort est unproduit social . I l n 'existe pas de mort naturelle , pas plus que de mort naturellement accidentelle : on est ass as sine, des lors qu' o n est vivant , par une volonte violemment contraire a son etre vivant Lamort naturelle , la simple cessation de l 'existence, est le sort des animaux.Chez les hommes, la mort est le fait complexe de succomber a unegeneralisation des conditions de non-vie.

    32.Le mollusque Moi grace auquel Cooper echafaude ses travaux est laboite a merde* dans laquelle la negativite pond, entre les valves del'absence, les germes de tous les virus qui assassinent la presence. Nous

    sombrons ainsi en divers etats d'intoxication qui, par certains cores dumoins, se rapprochent de l'amour et nous meurtrissent, a moins que nousn'ayons lachance d'etre aimes pour ces etats memes. Mais, a un moment,la separation qui ouvre au monde le couple quasi-monogame devientnecessaire, Toute forme de monogamie se reduit it la pretention de lamonogamie. Un acte libere des pretentious pourrait it la fois supprimer laduperie et susciter, d'une facon que j' appellerais revolutionnaire, lanaissance de l'Amour et celle de la bombe, mais pas leur bombe (lb.p.99). Il vaut mieux s'intoxiquer jusqu'au bout dans la boite it merded'une conjugaison pretendument telle (qui se pretende conjugaison reelle)que de perdre pour toujours toute possibilite de s e c o nna it re endelayant le centre focal de sa presence dans le vide oecumerique des*En fran~ais dans Ie texte.

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    communautes auto-therapeutiques, oil l 'eucharistie d 'une humiliat ionanti-biotique (au sens etymologique du terme) tient lieu de substitutreformiste a l 'empoisonnement mutuel d 'amour indenie qui pousse tout couple quasi-monogame a devenir bombe, a engendrer des bombes, etle dispose toujours plus concretement, non point a s'ouvrir au mondede l'annihilation, mais a y exploser en dispersant a la ronde ce pretendredavantage de l 'amour qui est lapretention d'etre. Toute forme d'acte sanspretention ne peut guere mener qu' a la collusion de tous ceux qui nedesirent plus. Et rien ne saurait mieux tuer le desir, ce mouvement paressence dialectique, qu'un satisfaction social isee, trop semblable ausalaire pour tous et a lamedecine mutualiste pour nepas naitre dela memeapproche de formalisation sociologique : un neo-christianisme socialiste.

    33.Qui, desormais, est dispose a defendre la famille, qui la definiraitcomme noyau de bonheur ? Mis a part les reactionnaires - qui sonttels precisement en ce qu' ils reagissent, au nom de valeurs proscrites, alaproduction de valeurs rlambant neuves, communiquant ainsi un frissond'heresie a la devalorisation, cette necessaire fonction de la croissance duCapital- assurement personne. A ladifference de Martin Luther King, citepar lui, qui se sentait comme une merde dans le divin anus, prete a etreevacuee en ce bas monde (p. 104), Cooper est une merde prise de lahateretardataire d'etre evacuee par l 'anus d'une centre-revolution laquelle ,pour etre omnivore, defeque en monotones series les fruits de toutes lesfloraisons ou revolutions culturel les. Et le voici qui cartonne a tout vasur une famille que lecapital a deja dans sa substance mise en liquidation.Quel profit tirerait-il, le capital, de la perpetuation de I'institutionfamiliale, quand les avant-gardes lui fabriquent des structures deremplacement autrement adaptees au projet d'autogerer massivement dessatisfactions fictives sur lesquelles recueillir les contributions reelles qui

    garantissent sacroissance? Le capital nedemande pas mieux que de sortirdu cocon pollue de la famille patr iarcale et d 'effectuer la metamorphosegrace a laquelle it devient l'insecte psychedelique de la Grande F amille O Utout le monde s' a ime , se confesse, se guerit du malaise du non-etre,s'unit en monopoles multinationaux de l'Industrie Problematique etevacue le probleme concret de l'etre dans la logorrhee d'un temps libreenvahi par la culture, livre comme leur nouvel espace aux modes deproduction de la consommation de soi ; qu' on se suicide rituellement, quedes ghettos se forment spontanement, qu' on revolutionne sans fin lesformes de la centre-revolution eecumerique, mais que I'on cache surtout,que 1'on contribue a ce que soit socialement cache le proces reel de larevolution en cours.

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    34..L e capital n 'a pour nouveau dessein rien d'autre, ni de plus, que de sefarr~ le gerant cybernetique et quantificateur de 1' Autre , dans lebouillon de culture d~s communes auto-analytiques oil chacunautogere sa restructuration decentrahsee (soit Ie terminal biologique

    d~ computer qui le r~uit statistiquement a l'echelle de ce quantum d ~nergIe affectee ~u il est sans meme plus Ie savoir) , et oil personne nepuisse plus, sous peme d'etre sur I 'heure depece eucharist iquement par lesgardes rouges de quelque service d'o rdre du neo-christianisme oser seperc~~oir co~e indivi~u qui pretende acceder, en tant que 'tel, it la~tah~ et qUIs .ache pratiquement que, pour le faire, it faudra avant toutde~lr~ avec violence toutes les formes fict ives prises par la communiontotalitaire dans le Grand N eant,

    35. La liberte ~ait de la separation des individus poussee a l'infini (7)(

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    point ab imis, comme nous Ie verrons - a la subjectivite reelle de lapresence-corps (1 ' enfant dans sa total ite sensoriel le encore en suspens,toute evolutivement orientee qu' elle soit deja par Ietrauma de la naissanceirtunature), d'un complexe corps de normes qui la contraignent, nonsans combat nidouleurs memorables, a se meconnattre graduellement entant que corps concret, plonge dans la corporeite concrete de l'universsensoriel , et a ne se reconnaitre jamais que comme objet-symbole, en unmonde compose d'objets symboliques, fonctionnant telle une machinequi reproduit en elle - dans lasubjectivite assujett ie - une fonctionnalitesyncretique a son finalisme.

    37 .Le Moi qui tatonne et titube dans la sphere du monde familial, tantreel qu'imaginaire, puis va trebuchant dans le monde exterieur a lafamille (8) est deja un produit historique, travaille par I 'init iation aulangage et par les necessites imposees d'un comportement qui Ieconditionnent a se reproduire en tant qu' o bjet symbolique, dans un monde d'objets et de rapports symboliques. Le lien de determinationreciproque qui engrene la roue dentee de la societe determine Ie

    rapport (dans un sens moteur) existant entre Ie mouvement du Moi,qui s'y trouve pris comme une chaine entre dent et dent , et Iemouvementde la subjec t iv i te ree l le , formellement niee par la finali te de la machinecomme en soi signicatif, mais qui, en tant qu' elle est pour soi; nie lamachine et la representat ion symbolique de sa presence propre, qu' elle nereconnait pas dans Ie Moi. Le rapport premier, qui determine tous lesautres rapports , est celui, par essence dialectique, qui s' instaure entre lasubjectivite reelle niee et Ie Moi representationnel, oil eUe se trouvecomme la presence prisonniere qui en refuse I' authenticite, tout en endevant subirle pouvoir. L'identite de substance ne se trouve done pasentre la famille et Iemonde exterieur a la famille , pas plus que I'espaceoil quiconque - non pas Ie Moi, mais bien sa negation toujours latente - tatonne et titube n'est Ie monde familial, tant reel qu'imaginaire :elle est entre I'architecture - la construction symbolico-representation-nelle - du Moi et I'architecture du monde , reflets entre lesquelss'exerce une dynamique speculaire (dans Iemouvement historique qui lesconnecte en une mutuelle et progressive adequation) de I 'un au devenir deI 'autre. Et l 'espace oula presence depossedee de son sens tatonne ett i tubeest la blessure (la beance") , ouverte entre l 'i rreali te oil se realise le Moi,comme chose parmi les choses, et la non-realisation douloureuse danslaquelle le desir d' e tre se sait nie, En francais dans Ie texte.

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    38.Et c'est la beaucoup : c 'est laque convergent, depuis les diverses stratesetles versants de l'affabulation psychiatrlque, poetique et religieuse (dansl'ordre, point du tout fortuit, car ils'agitde depots geologiques remontant adifferentes epoques, et remis en usage par une regression coherente vers ce' !u' il y a de plus lointain du mouvement reel, de plus enseveli) , les diverslieux ~ommuns de la conversion du se ns v iv an t, exprime dans lad,ynanuql;le ~es emotions et de l'epos, en cristallisations esthetiques, quis en assuietnsssent Ie mouvement dans la fixite de l'auto-contemplation.Ce n' est pas un hasard - tout au plus un hasard historique - siCooper ne s'occupe point de distinguer entre Mo i , p e rs o nn e , i n di v id u . LeMoi n'est jamais affirme, ni nie, par Cooper, comme different de lapersonne (etymologiquement : masque, faux-semblant) ou de I 'individu(etre indivise) : c' e st le regne de la con-fusion. Mais tout Ie discours deCooper est une con-fusion des divers etats dans lesquels la subjectivi tealienee, et parfois la subjectivite reelle, saisie dans sa tendance a semanifester comme negation de la negation qu' elle rencontre dans la personne et dans Ie Moi , est confrontee a son non-etre convulse,qui ne coincide nulle part avec aucune representation de son site et deson moment, et que Cooper decrit comme l'action de sedebattre d 'unlabyrinthe oriente vers un aboutissement sur le neant (Ie desert, etc.).C'est un neant larvaire et crepusculaire, dans lequel on hypothetise sur lapossibilite, non sans quelque rapport avec une ligne historico-politique,d'~n, vague commencement a partir de communes auto-analytiques,guidees par des therapeutes de reserve, durant une periode de transitionqui devra mener a la disposition generalisee de chacun a s'auto-analyser eta autogerer sa therapie personnelle. C' est sans aucun doute un sympto-matique hasard historique si, par dela une si touchante imagerie de petitssaints voues a eduquer le peuple a son auto-castration, apparaissent ensurplomb les statues glaciales de Mao Tse-toung et de Fidel Castro, si lesconvives de pierre de cet avant-demier souper sont la a attendre que les revolutionnaires du premier monde tels que Cooper aient fini dedecouvrir , dans Iedesert oil i ls partent fonder leurs communes, Iederniermonde de l'ideologie penitentiaire.

    39.Si tant est qu'i l en soit besoin, I 'appari tion de ces idoles funestes ( Cesont des hommes comme Fidel Castro et Mao Tse-toung qui incament Ievrai principe du commandement; i ls commandent en refusant pratique-ment d'etre des chefs, en ce sens qu'ils exteriorisent leurs qualites decommandement de facon que le cerveau de milliers de gens s' anime deleurs propres qualites de commandement et que chaque personnedevienne source unique de combat. lb., p. 80) dit assez oil debouche la

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    perspective indiquee par Cooper. Neanmoins, cette aberrat ion optiqueresulte d'une interruption illegitime du discours critique. Lorsque lacritique n'atteint pas son objet reel dans sacible historique, elle se retoumecontre elle-meme et l'intelligence devient intelligence de l 'ennemi. Letort de Cooper n'est pas tant celui de mentir, que celui de se laisserepouvanter par la veri te qu'i l exprime, et de nepas oser poursuivre jusqu' aun au-dela des horreurs. En depit de son age, it partage avec lesgenerations les plus juveniles leur insouciance toute psychedelique vis-a-vis de la resistance a la negativite et des temps historiques de la lutte . Decette hate pleine d'anxiete tous les nihilismes font leur prix, qui s'inoculententre deux spasmes d'angoisse immediatiste. I l est objectivement exactque les temps s' accelerent, mais pas au point d' amener a coincidence letransformisme desormais apoplectique du capital et de son spectacle etl 'oubli force du moment subjectif d'une experience reelle .

    40.Que lemoment d'une lutte reellement vecue s 'arrete au point leplus basde sa phase negative, il court le risque alors de venir se conjoindre al'horlogerie de l'apocalyptique officielle. L'heure est venue de voir lemouvement reel comme l 'avancee concrete de l 'individu, et de l 'espece,vers l' affirmation de son etre, au-dela de toute compulsion d' auto-destruction. Mais I'heure est surtout venue de connaitre dans sa presencepropre la presence materielle et historique du possible. La r e vo l ut io np ar t d u c or ps: de la corporeite du desir qui se connait comme materiel-lement possible. La barbarie spontanee du capital ravage l' e space et letemps en une tentative desormais desesperee d' arreter le temps etd' aneantir l'espace. Avec une poesie qui a beaucoup a envier a celie deCooper, l'urbanisme du capital cree Ie desert visible oil toutes lesperspectives menent it l' egarement et a la perte, La publicite le pare destableaux d'un eden qui y ajoutent la touche catastrophique de la derision.Ici, la chose advient

    41.Ville, pays, oil que s'enchaine et se devide le noeud coulant qui relie it lanon-essence, lecheminement quotidien oil chacun seperd (etqui, remonterageusement it reculons, peut devenir til d'Ariane, reconduire au noyaud'une centrali te propre, unique source d'un possible elan d'audace),toutes les routes menent au neant, tout site est lieu de reddition. La

    reali te , c 'est le desert du reel . Et d 'autant plus elle confirme son vide,d'autant plus elle se pare et dans l 'instant se donne. La viabilite est leprogres de plus en loin de l'effort et de la volonte, L'ordonnancement deI'urbanisme et de l'architecture, en-dehors et au-dedans des sujets qui

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    y investissent la faiblesse croissante de leur elan vital, c'est toujours pluspalpablement l'alignement emousse de choses dans une perspective dela choseite qui reconduit it elle-meme : au tout , qui severif ie comme laremise du tout a la quantif icat ion egali taire, au pullulement du neant, Enun tel ordre, toute chose est donnee, donnee en tant qu' objet de reddition.Laviabilite tientdans cette absence frauduleuse de sens etde victoire :unecessation forcee de la resistance opposee au desir par les choses.L'objectification, la reification n'ont pour teleologic - a la significativeapparit ion spontanee, des lors que le capital assume toutes les formes debaisse de qualite, comme moments de manifestation de la valeur - qued' emprisonner le desir dans un simple jeu de miroirs d' objet a objetL'objet dont a parle la philosophie, it partir de l' objet d' amour que lamystif ication romantique couvrait d 'oripeaux et de pendeloques, pourmieux voiler le proces de reification en cours, sur ces entrefaites, derriereces parements, est passe, dans la plus drast ique reduction par absurde -du point de vue focal que le desir avait pour mire: rien d'autre n 'est promisit la subjeetivite que de saisir son etre vrai - it la forme du vide oil lasubjectivite onepeut que se perdre, une fois que son desir s'est trouve dansla perte de qualite de sa fratemisation avec les choses.

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    Tout cequ'il y a eujusqu'a present, n'estrien ; nous Ie supprimons. Ce que nousallons faire, nous n'en savons rien en-core. La chose commencera a se voirlorsque la destruction .de tout ce qui seconserve aura libere le terrain pour noscreations.Rosenkranz

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    42. ...il apparaitra alors que Iemonde possede depuis longtemps Iereved'une chose dont itlui manque seulement la conscience pour la possederrecllement (Marx, lettre it Ruge, Septembre 1843). Cette chose sepresente aujourd'hui, au-dela de tout reve, comme Iecombat vecu contreun ordonnancement carceral de cauchemars entierement petris de ma-tiere. Cette vive lutte ne peut en aucune maniere se limiter it la simpleidentification des formes dans lesquelles s'organise la destruction dudesir, avec les conditions historiques dans lesquelles i1 est denie toutespace reel au desir. Le desert n'est justement pas Ie desert scenogra-phique et poetique de Cooper, oilcelui-ci imagine que la subjectivite,deracinee de sonterrain historique (dans Iesens aussi bien de 1'histoire que de I'histoire individuelle), ne se reconnait que pour sanctionner samisere. Le desert est au contraire, dans une parfaite materialite etconcretude, cequi, pour Cooper, est la scene que Ie moi fuitapres

    s'etre conjugue avec soi - apres avoir fait retomber sur soi-meme touteimpulsion radicale vers la conquete d'un rapport avec l'alterite de sessemblables. C'est lamultiplication de l ' in ter ieur ' fami l ier (Ienumerateur)dans Yexterieur urbain ' (Ie denominateur), Ie vecu du rapport deconnexion qui unit ces paysages terrorisants it l'architecture interieure du Moi fictif(Ie chiffre). C'est Iedesert reel: la piste sombre ou les pasquotidiens perdent la memoire et Ie sens de leur mouvement Les choses doivent etre vues pour ce qu'elles sont: la matiere-symboled'un sort queIe pouvoir imprime. Fuir est inutile. IIn'existe pas de sort quieluderait les choses et la choseite. Rien ni personne n'offre en cadeauune aventure alternative: itn'est d'aventure possible que de se conquerirun sort Tu ne pourras mener cette conquete qu'en partant du site spatio-temporeI oil tes choses t'impriment comme une des leurs. II n'y a delutte qu'a faire voler en eclats la choseite qui te lie en lui refusant toutmouvement etjusqu'au moindre pas; que ta pretention d'etre s'affirme icimeme, oiltout se liguepour te I'interdire. Reconnaitre la volonte radicale,depuis. Ie ciment oil s 'enfoncent tes racines historiques. Exiger deschoses : des objets d'amour, de haine, d'indifference frauduleuse,exiger meme des pauvres objets de la richesse inanimee, d'etre avectoi, en tant que tu es vivant, que tu veux I'etre, Avec tout ce que celacomporte. La pretention d'etre est une irruption du qualitatif qui franchitd'un bond lee tranchees creusees entre toi et I'autre avec la puissancecreatrice d'un assaut au palais d'hiver. Quiconque s'en trouve investi estimmediatement contraint it un choix radical. Que va-t-it defendre ? Lamort des desirs, oil it se trouve congele, ou la verite rendue fulgurante desa faim?

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    43.Que sur Ie desert quotidien pleurent donc, si l'envie leur en reste poetes et toute la litterature, Belle harmonie, qui mele a leurs sanglotsceux que versent les clercs de I' apocalypse! Les hommes commencent aapprendre qu' ales attendre, Ierisque est grand que ne les attendent bientotplus que des larmes et des cendres. Quiconque se sent dans Ie quotidiencomme enun desert , n 'est pas sieloigne du coeur detous. IIn 'enest qu'a unpas, celui qui lui reste a franchir vers son propre coeur, II ne s' agit pas derester la, de s 'asseoir et de pleurer , pas plus de rnacerer dans I 'abstinenceque de se construire une oasis. Plutot employer ce qui reste de force a cepas, cette manoeuvre d'approche, cet embrassement d 'amour et de luttequi, de ce que Ie quotidien semble desert, n' en parait que plus absurde.C' est en ce mouvement que chacun pourra, en se retrouvant la oil perdure .Ie desir qui resiste a l'aneantissement objectuel, decouvrir en lui lapresence de ce programme historique que consti tue la passion, et se sentirpret,

    44.Et tu trouveras alors ceux qui, en meme temps que toi, sont prets, Lamarque honteuse que scelle sur chacun Iesecret dePolichinelle d 'etre ne ala mort du plaisir , est Ie signe de reconnaissance d'une identi te prete it seconfronter . Vaneigem parle d 'un reflexe d'identi te , La subjectivi te

    radicale est le front commun de I'identite retrouvee. Ceux qui sontincapables de reconnaitre leur presence chez les autres se condamnent aetre toujours etrangers a eux-memes. ( . ..) La connaissance n'a de valeurque si elle debouche sur la reconnaissance du projet commun; sur lereflexe d'identite , (Traite de savoir-vivre a l 'usage desjeunes genera-tions, p. 257). Sous peine de materialiser l'auto-destruction physique queprefigure a peu de distance toute mort au sens de lapresence, ilimporte dene pas s'enfermer en ce point geometrique (la recession nevrotique) oilnaissance et mort semblent appelees a coincider ontologiquement, maisplutot, en l'emportant sur la fascination necrophilique du gouffre, et lamort fermement cantonnee dans la fin des desirs, de risquer sur-le-chample par-dela, de remonter vers le but vivant L'o rigine ne se tient pas dansces enfers, mais a la surface oil , chacune depuis sa basse-fosse domesti-que, emergent et semaintiennent les presences exemplaires. IIn'est que deles voir, pour les visibiliser, toutes. Et pour les voir autrement qu'en leurapparence de formes rendues en tout semblables a des choses, il aura falluremonter de ce fond qui est celui de chacun, en serrant dans ses poings Iesecret de tous. Et Ie montrer, dans un cri qui soit d'amour et de guerre.

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    45.Puisque telle est l'evidence materielle qui emerge du projet qualitatif: lapression de I'interdit d'etre est si absolue et generalisee qu'elle rendimpossible it quiconque de marcher vers sa realisation qualitative sansengager une guerre totale a l 'organisation de la non-essence, cependantque nul ne peut se rever qualitat ivement comble sans impliquer dans cetteguerre les individus qu'il appelle a partager son projet qualitatif. En amontde toute problematique connexe au rapport d'objets, sepose lepartagede fait d'un dessein commun. Malgre Ie jeu statique de toutes lesapparences, la possibilite n'est laissee a personne de l imiter ce qu'il est asa f igure d'objet. Comme Ie savent depuis toujours les femmes (bienqu'elles semblent vouloir l 'oublier, dans cette assumation par certainesd'entre elles du point de vue misogyne, qu'est le feminisme), au-dela d 'unpositionnement formel d 'objet, derriere les roles mecaniques et l'opacitedes traditions , commence la dialectique reelle, Malheur a qui, au-dedans et au-dehors de lui, ne voit que la rigidite risible des protocoles

    comportementaux. Qu' on demande seulement a une femme, pourvuqu'el le soit encore capable d'aimer, Yimportance qu'elle donne (et dequellemaniere. etpourquoi) au texte des recitatifs rituels, dont elle souriratoujours en elle-meme, it cette sorte de danse d'approche, survivance denotre dimension instinctuelle, qu' est la disposition mutuelle des figures al 'interieur des roles prescri ts. Tout aussi bien qu'au-dela de l 'objectiveprison d'un epiderme, peut et doit commencer un monde, un rapport reelpeut et doit prendre forme au-dela de la prison des roles. Ne pas savoirreconnaitre, derriere l'obeissance apparente aux stereotypes rituels,l'emergence passionnee, et par fa insurrectionnelle, de la qualite qui secherche et se cree, c'est de condarnner a nejamais connaitre les hommes niles femmes dans leur realite substantielle. IIfaut se defaire au plus vite dece pessimisme psycho-sociologique dans lequel survit tout Iecynisme quia preside a la compilation des casuistiques, nees dans la penombre desconfessionnaux et des commissariats de police.46.

    Vaneigem affirme dans Ie T ra ite : II faut debarrasser I'amour de sesmythes, de ses images, de ses categories spectaculaires ; renforcer sonauthenticite, le rendre a sa spontaneite . IIn 'y a pas d'autre facon de luttercontre sa recuperation dans Ie spectacle et contre son objectivation.L'amour ne supporte ni l'isolement ni Ie morcellement, il deborde sur lavolonte de transformer l'ensemble des conduites humaines, sur lanecessite de construire une societe oil les amants se sentent partout enliberte (Ibid, p. 262). Le contenu radical, la transcendance palpable dela passion amoureuse est ici revelee, dans la necessite claire de trans-former Ie monde pour parvenir a etre, lei aussi, son impulsion retombe :dans l 'apparente absurdite de ce desir.

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  • 8/3/2019 Giorgio Cesarano - Manuel de Survie

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    47.Et, en depit de tout, ce desir est Ie desir, a b i mi s. Cette necessi te de lapassion est fa verite de la passion. Dans chaque naissance tumultueused'un amour, renait Iedesir fondamental de se transformer en transformantle monde. La haine et la suspicion que les amants suscitent autour d'euxsont lareponse automatique etdefensive ala guerre qu' ils font , du seul fai tde s'aimer, a un monde ou toute passion doit se meconnaitre et mourir.Peu importe que tout cela prenne sisouvent fin dans une miserable victoirede la haine etde l'humiliation. IIne sauraitjamais y avoir la qu'une victoirede 1' interpretation sur la transformation advenue: interpretat ionparanoiaque de la volonte d'etre elle-rneme, qui se renverse en faute et enhonte. Le souvenir de cequi s 'est passe n'en brule pas moins pour toujoursdans le secret de chacun. Sa capitulation l'avilit? Sans doute, maiscomment ne pas savoir Ieprix que coute, lepoids que pese cet enrolementamer du cote de lahaine de la vie? Et, cequi importe plus, comment nepasvoir la fragilite croissante de telles desertions, a mesure que le plat delentilles se fait plus toxique et plus nauseabond ? La honte ne dissimulejamais que la connaissance la plus douloureuse des rendez-vous manques.Chaque visage parle de ce qui n'a pas ete, Cela aussi se trouve dans lacommunication et les yeux qui ne veulent pas etre aveugles ont pour lesaisir une penetration instantanee. La defaite patente des autres apprend a celui qui ne veut pas mourir toute l 'horreur ou tombe la veulerie .

    48. Qu' est-ce qui assure la parfaite communication amoureuse ? L'unionde ces contraires : - plus je me detache de l' objet de mon desir, et plus jedonne de force objective a mon desir , plus je suis un desir insouciant de sonobjet; - plus je me detache de mon desir en tant qu'objet, et plus je donnede force objective a l'objet de mon desir, plus mon desir tire sajustificationde l'etre aime. {Vaneigem, op. cit, p. 261). Qu'est-ce qui assure it cetacte dialectique de ne pas se court-circuiter dans l'oscillation perpetuelledu doute egocentrique ? Le fait que celle-ci se rencontre dans levecu d'unedialectique e n a cte a p ar ti r d e l 'a ut re , de I 'interaction avec laquelle i l nepe.ut se dispenser; en d' autres termes, il n' e st pas d'objet d' amour, pourreif ie et aliene qu' il puisse apparaitre , dont il soit possible de dissimuler,concretude vivante, la subjectivite mise en etre. Je suis , c'est lemessage de celui qui aime, et ce message necessite immediatement derencontrer, dans l 'autre, ce qui fai t sa substance. Dans cet assaut l ivre aunon-etre, ou chacun se connait comme different de soi , neuf , vrai , meconnaissable , comme celui qui n'y comprend plus rien , l'effrac-tion de ce continuum quotidien ou il est contraint de vivre sa presencecomme une cellule d 'isolement, prend corps, violente et supra-indivi-duelle. Mais la presence de l' autre importe davantage encore, une

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    presence qui doit etre conquise dans le mouvement meme ou l'on se rendmaitre, en se liberant, du sens de la sienne. Ainsi s'exprime-t-il dans lapassion amoureuse un modele miniature, mais irreductible, du mouve-ment vers la total ite ; potentiellement, 1 'autre n 'est jamais que Iepremierp ar mi le s a utr es. Par del it la f igure de l'etre aime, sitot brise le fetiche del'appropriat ion exclusive (ou l 'autre dispar