G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

download G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

of 18

Transcript of G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    1/18

    SUR LE LIEN ULTIME DE LA PSYCHANALYSE LA PHILOSOPHIEGuy Flix DuportailP.U.F. | Revue de mtaphysique et de morale

    2005/1 - n45

    pages 23 39

    ISSN 0035-1571

    Article disponible en ligne l'adresse:

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2005-1-page-23.htm

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Duportail Guy Flix, Sur le lien ultime de la psychanalyse la philosophie,

    Revue de mtaphysique et de morale, 2005/1 n45, p. 23-39. DOI : 10.3917/rmm.051.0023

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Distribution lectronique Cairn.info pour P.U.F..

    P.U.F.. Tous droits rservs pour tous pays.

    La reproduction ou reprsentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorise que dans les limites desconditions gnrales d'utilisation du site ou, le cas chant, des conditions gnrales de la licence souscrite par votre

    tablissement. Toute autre reproduction ou reprsentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manire que

    ce soit, est interdite sauf accord pralable et crit de l'diteur, en dehors des cas prvus par la lgislation en vigueur en

    France. Il est prcis que son stockage dans une base de donnes est galement interdit.

    Documen

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-2

    1/05/201208h34

    .

    P.U.F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    2/18

    Sur le lien ultimede la psychanalyse la philosophie

    RSUM. Il sagit dans ces lignes de montrer comment, partir de ses propresprmisses, la psychanalyse lacanienne est confronte au problme de lineffabilit de lastructure du langage. Cette question est loin dtre mineure, car elle engage la compr-hension du jeu de langage de la psychanalyse, ainsi que llucidation ultime de sonrapport la philosophie.

    ABSTRACT. According to the author, Lacans psycho-analysis is when going outfrom is own premises getting into confrontation with the problem that the structure ofthe language is ineffable. The question is far from being not important because it engagesthe comprehension of the language-game to the psycho-analysis as well as theultimate elucidation of its relation to the philosophical discourse.

    En 1969, dans Logique du sens, Gilles Deleuze crivait : Limportance du

    structuralisme en philosophie et pour la pense tout entire, se mesure ceci :quil dplace des frontires. Et plus loin, il prcisait : Il est agrable quersonne aujourdhui la bonne nouvelle : le sens nest jamais principe ou origine,il est produit. Or, lexemple qui vient immdiatement sous la plume de Deleuzeest celui de Freud : Nous ne cherchons pas en Freud, crit-il, un explorateurde la profondeur humaine et du sens originaire, mais le prodigieux dcouvreurde la machinerie de linconscient par lequel le sens est produit, toujours produiten fonction du non-sens 1. Le dplacement de frontire auquel songeaitDeleuze tait donc celui du sens au non-sens, et le lieu thorique, ou du moins

    un des principaux lieux thoriques o ce dplacement lui apparaissait de manireexemplaire, tait celui de la psychanalyse. Ce choix lectif de la psychanalysentait dailleurs pas, cette poque, le seul fait de Gilles Deleuze. MichelFoucault, dans Les Mots et les Choses (paru en 1966), reconnaissait en effet celle-ci (il est vrai en binme avec lethnologie) une position quasi transcen-dantale dans les sciences humaines, en tant quelle interroge, je le cite, largion qui rend possible en gnral un savoir sur lhomme 2 .

    Aujourdhui encore, le diagnostic de Deleuze nous semble judicieux. Cest

    1. Gilles DELEUZE, Logique du sens, Paris, d. de Minuit, 1969, p. 90.2. Michel FOUCAULT, Les Mots et les Choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 389.

    Revue de Mtaphysique et de Morale, No 1/2005

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    3/18

    pourquoi nous voudrions poser (mais nouveaux frais) la question de lenjeuphilosophique du dplacement de la frontire entre le sens et le non-sens dansle contexte de la psychanalyse. Pour ce faire, nous commencerons par analyser

    quelques thses de Lacan, avant dexaminer le problme central quelles sou-lvent nos yeux.

    DU NON-SENS PSYCHANALYTIQUE

    Par quel bout prendre la question du sens et du non-sens chez Lacan ? Lusagedu langage nous invite chercher la rponse cette question du ct de lexpres-sion. Ordinairement, on associe le phnomne du faire sens au fait de

    sexprimer. Nous disons quune expression dit quelque chose ou encore quelleveut dire quelque chose. Nous isolons par l mme une certaine unit de sonet de sens que lon peut en effet dnommer expression . Cest l une donnelmentaire de toute phnomnologie du langage. Le fondateur de la phnom-nologie, Husserl, ne disait pas autre chose. Ainsi, lorsque Husserl, dans la Premire Recherche logique , commence par tablir des distinctions essen-tielles , il distingue clairement et distinctement les signes qui ont une signi-fication, un sens qui est exprim avec le signe , savoir les expres-sions (Ausdrcke), et les autres signes, les indices (Anzeichen) qui, eux, neremplissent pas une fonction signifiante, mais celle dindiquer une existenceempirique. Cela tant dit, quand pouvons-nous parler dexpression chez Lacan ?Quand y a-t-il expression chez cet auteur ? Ce que Lacan dnomme dans sescrits la passion du signifiant nous donne un premier aperu de son conceptdexpression :

    Cette passion du signifiant devient une dimension nouvelle de la condition humaineen tant que ce nest pas seulement lhomme qui parle, mais que dans lhomme et parlhomme a parle [...] [nous soulignons] 3.

    a parle dans et par lhomme . Il ne sagit pas l dune remarque anecdotique,ni mme simplement de ce qui est devenu un clich, une sorte de photographie

    jaunie par le temps, mais bien galement, de par sa prtention luniversalit,dune thse sur lessence de lexpression. Or, que dit cette thse ? Elle dit ensomme que les phnomnes inconscients dsigns par le mot a ont unrapport troit avec la parole, mais cela sous la forme dune manifestation lan-gagire quasi seconde au sein dune expression premire impute lhomme.

    3. Jacques LACAN, crits, Paris, d. du Seuil, 1966, p. 689.

    24 Guy-Flix Duportail

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    4/18

    Lexpression selon Lacan apparat donc comme sensiblement diffrente du faire sens tel que nous lavons initialement pos. Il appartiendrait lessencede lexpression dinclure la dimension du signifiant, soit celle dune dimension

    langagire en souffrance, qui la fois disparat et transparat dans le signifi.Bref, dire que a parle dans et par lhomme revient penser quil y a undire insu du Je qui sentrelace de faon singulire et quelque peu subversive la parole intentionnelle du sujet. Un autre dire, voire un dire Autre, viendraitdoubler lhumaine expression : cest bien l la dfinition standard de lincons-cient depuis la lecture lacanienne de Freud.

    Or, il ny a l apparemment rien qui puisse provoquer lide dune rupturede lexpressivit et impliquer une quelconque ide de non-sens. Le a sembledire quelque chose, et il russit se faire entendre, au moins des psychanalystes.

    Le seul trait qui a priori le distingue de manire vidente de lusage de lexpres-sion en premire personne est son indiffrence au contexte et, par consquent,son caractre foncirement impertinent par rapport ce que lhomme est entrain de dire. cet gard, le choix du terme a nest videmment pas d auhasard. Il sagit, comme on le sait, dun concept de la psychanalyse et, plusprcisment, dun concept freudien appartenant au contexte dit de la premiretopique et repris de louvrage de Groddeck, das Ich und das Es . En outre,dans lexpression a parle dans et par lhomme , le a , traduction fran-aise du Es allemand, est plac en position du sujet grammatical, et destitue dece fait le Ich comme sujet de lacte de parole. Cest prcisment cette substi-tution du a parle au je parle qui rvle ce fait troublant que nos expres-sions peuvent tre divises eu gard leur sujet dnonciation et connatre parl mme une certaine polyphonie. Le pronom personnel je est remplac parle dmonstratif neutre cela abrg en a . Il y a ce que je dis et il y a ceque a dit dans et par ce que je dis, si bien que lon peut supposer que Je eta ne seront pas toujours en harmonie lun avec lautre. Dire a parle danset par lhomme implique que la parole puisse, dans certains cas, tre impute

    au a , cest--dire, selon le systme conceptuel freudien, la partie obs-cure, inaccessible de notre personnalit 4 .En conjuguant ainsi expression verbale et tendance la satisfaction des pul-

    sions, il sensuit que la thorie de lexpression lacanienne modifie notre appr-hension quelque peu aseptise du sujet de lnonciation. La meilleure faon de

    4. Comme lcrit encore S. Freud : [...] le peu que nous sachions de lui [le a] nous lavonsappris par ltude du travail du rve et de la formation du symptme nvrotique, et la plus grandepartie de ce que nous connaissons a un caractre ngatif, ne peut se dcrire que par opposition au

    moi ; enfin, le a ne produit pas de volont densemble, mais seulement laspiration procurersatisfaction aux besoins pulsionnels, en observant le principe de plaisir (La Dcomposition de lapersonnalit psychique, Paris, Gallimard, 1984, p. 102).

    25Sur le lien ultime de la psychanalyse la philosophie

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    5/18

    rendre sensible ce phnomne est sans doute de jouer sur lhomophonie trans-linguistique que le terme Es autorise. Comme Lacan nous y invite lui-mmedans sa confrence La chose freudienne , prononce Vienne en 1954 5, le

    mot Es, rendu sa robe signifiante, peut sentendre la fois comme la premirelettre du mot Sujet en franais, mais aussi comme le sujet neutre dun verbeimpersonnel, comme dans la petite phrase allemande Es regnet (il pleut).La signification conceptuelle de ce Witz est transparente : le Es, la vie psychiquesubpersonnelle, constituerait pour ainsi dire le vrai sujetde lexpression, et nonpas le Ich.

    Pour ne pas sen remettre uniquement au jeu de mots, qui est pourtant ici derigueur, on dira galement que cest en tant que la vie pulsionnelle est toujours-dj articule dans les rseaux du signifiant, en tant quelle doit emprunter les

    dfils du signifiant , quil y a possibilit pour la motion pulsionnelle deproduire un message, et que le a en vient prendre la parole, dans et parlhomme, la faon dun vritable sujet dnonciation.

    Par suite, il est clair que le sujet de lexpression nest pas toujours celui quoncroit. Si a parle dans et par lhomme , la raison en est que le sujet de lactednonciation est divis par la coupure qui spare le signifiant du signifi.Celle-ci ne concerne donc pas seulement, comme chez Saussure, la langue, maisaussi, chez Lacan, lusage expressif de la parole. Comme premire personne dusingulier, le sujet de lnonciation est le sujet du signifi, mais comme a impersonnel, le sujet de lnonciation est le sujet du signifiant. Comme lcritLacan :

    Si a parle dans lAutre, que le sujet lentende ou non de son oreille, cest que cestl que par une antriorit logique tout veil du signifi, il trouve sa place signifiante.La dcouverte de ce quil articule cette place, cest--dire linconscient, nous permetde voir au prix de quelle division [Spaltung] il est ainsi constitu 6.

    Nous voyons ainsi quune certaine forme de non-sens, celle du signifiant pur,participe de la vie des expressions. Le non-sens lacanien ne serait donc paslautre absolu du sens, mais pourrait bien au contraire, suivant une sorte dinver-sion des signes et des valeurs, prtendre tre la condition du sens. Car, si,comme le dit encore Lacan, cest de lAutre que le sujet reoit son propremessage, tout laisse penser que cest le non-sens qui gouverne le sens et,corrlativement, que le a est le vrai sujet de lnonciation.

    Il est alors tentant, et une certaine doxa structuraliste naura pas manqu desuccomber cette tentation, den tirer argument contre toute approche faisant

    5. crits, p. 401.6. Ibid., p. 689.

    26 Guy-Flix Duportail

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    6/18

    de lexpression une prestation intentionnelle de la conscience sur un modesignificationnel, comme cest le cas chez Husserl. En fait, pour en revenir autexte de Lacan, une simple lecture du fameux graphe du dsir dans les crits,

    graphe que lon peut considrer comme la schmatisation de sa thorie delexpression, permet de relever que lintention de signification ny est nullementrature. Elle y figure en toutes lettres sous lespce du vecteur S I (A). Il convientdonc den conclure que, dans la perspective lacanienne, le primat du signifiantsur le signifi nimplique aucunement labolition des prestations intentionnelles,mais seulement celle du primat des prestations intentionnelles dnommes goques par Husserl (cest--dire celles qui sont imputes la premirepersonne). Ce qui, notons-le, na rien dextravagant au plan des recherchesphnomnologiques, puisque Husserl lui-mme, notamment dans ses indits,

    thmatisera plusieurs autres formes dintentionnalit que les intentionnalitsgoques 7. Les choses sont donc plus compliques quon a bien voulu le croire une certaine poque, sagissant de lopposition de la pense des structures la phnomnologie 8. Ce qui est en jeu est manifestement dun autre ordre.Comme on peut le constater sur le grand graphe du dsir, la conception laca-nienne de lexpression nous prsente en fait une tension entre deux orientationscontraires (celle du libidinal et celle du smantique), dont aucune ne peut existersparment lune de lautre, et qui se croisentau lieu de lexpression verbale :la pulsion y a forme de demande acphale et le fantasme interfre dans lasignification du besoin. Le graphe du dsir 9 symbolise explicitement cette prisede parole de la pulsion par le mathme qui notifie la demande pulsionnelle.

    Pour nous en tenir ce point de repre quest le graphe du dsir, on voit quelappui anticipatif pris par lintention de signification sur la structure signifiante(entendue comme double jeu de la connexion et de la substitution des signi-fiants), joint limmixtion du pulsionnel qui apparat dans les croisements devecteurs au niveau suprieur du grand Graphe, induit un effet en retour sur lasignification exprime, un effet de sens rtroactif et supplmentaire qui subvertit

    lexpression en la rendant quivoque au plan de lnonciation.Un exemple, extrait des crits, permettra de faire mieux comprendre ce dontil sagit dans cette quivocit foncire de lexpression chez Lacan. Dans lesnoncs tu es mon matre ou tu es ma femme , le supplment dnon-ciation vient de lactualisation de lquivocit des signifiants mmes qui com-posent la locution et qui laissent alors entendre une nonciation et donc un dsir

    7. Pour faire justice Husserl, sur ce point on verra louvrage de R. BERNET, La Vie du sujet,Paris, PUF, 1994.

    8. Voir, par exemple, les critiques de F. WAHL dans Quest-ce que le structuralisme ?, Paris,Points Seuil, 1973.9. crits, p. 817.

    27Sur le lien ultime de la psychanalyse la philosophie

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    7/18

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    8/18

    de lexpression qui est ici en question, puisque tuez mon matre est aussibien form que tu es mon matre , mais le sujet du vouloir-dire. Dessaisi desa position de matrise, le sujet personnel est eo ipso dpossd de lui-mme.

    Celui-ci est littralement alin un peu la faon du personnage du Horla, dansla fiction de Maupassant. Chose remarquable et remarque par la psychanalyse,le vouloir-dire saline et se perd. Si lon doit donc parler de non-sens dans cecontexte, il faudra alors en parler comme dune forme tout fait particulire,celle de la ngation de lintent du locuteur, du speaker meaning et non du linguistic meaning , pour reprendre une distinction classique des analystesdu langage. Le non-sens isol par la psychanalyse dsignerait par consquentlalination du sens du locuteur.

    Ainsi, dune faon gnrale, on dira que pour tout dsir inconscient qui insiste,

    il existe une expression qui lexprime malgr lintention du locuteur.Reste que nous navons pas encore voqu un des aspects essentiels de cette

    prise de parole intempestive du a , savoir le phnomne de la censure. Ilest clair en effet que, sauf contextes tout fait particuliers, lorsque nous essayonsde nous faire comprendre des autres, nous ne jouons pas dordinaire sur lqui-vocit des mots et mme, surtout, nous ne devons pas le faire. Lexpression du a , lorsquelle a lieu, a donc toutes les chances denfreindre les maximespragmatiques de la communication, et au-del mme toutes les normes sociales.Lexemple du tuez mon matre est cet gard loquent. Par suite, le seulrapport qui puisse exister entre le Je et le a est un rapport dopposition oudexclusion rciproque. Lopposition est comme on dit diamtrale entre lasignification vise par le locuteur et leffet de sens impersonnel qui le subvertit.

    Lapproche psychanalytique de lexpression selon laquelle a parle danset par lhomme ne peut donc prendre ici toute son ampleur que rapporte un arrire-plan de mise hors parole du a. Il nous faut ainsi comprendre que lechamp de lexpression maintient lextrieur de lui-mme ce qui nest pasdigne dtre exprim, et auquel appartient manifestement ce qui relve, par

    exemple, du dsir de meurtre. Or, si le domaine du a nest pas celui delespace public, alors il ne peut tre que celui de la non-apparition, ou plusexactement encore de lapparition interdite. En termes linguistiques, cela signifieque le site ordinaire du a est celui du non-dit , de la parole explicitementferme lautre et soi-mme. Par suite, ce que le a dit sur un modeimpersonnel apparatra toujours ncessairement dans lunivers du sens et de lacommunication comme cela que Je ne veux pas dire et qui contrarie par essencemon vouloir-dire. On comprend ds lors aisment pourquoi la prise de paroledu a provoque le dessaisissement et-ou lalination du vouloir-dire du locuteur.

    Le non-sens tel que nous le donne penser la psychanalyse consisterait donctrs exactement en lirruption intempestive du non-dit dans la sphre du dit.

    29Sur le lien ultime de la psychanalyse la philosophie

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    9/18

    Ainsi, pour complter notre premire formule, on dira que, dune faongnrale, pour tout dsir qui insiste, il existe une expression qui le ditet qui nele dit pas et qui ralise ainsi lidentit du dit et du non-dit dans le champ de

    lexpression.Le phnomne de lalination du sens du locuteur nous dvoile par l mme

    un peu plus de son mystre. Cest lidentit dialectique entre le dit et le non-ditqui produit leffet dinquitante tranget. En effet, ce qui est exclu du champde la parole publique, ce qui est explicitement non-dit, ne prsente, de ce faitmme, aucun lien logique avec la sphre du dire et du dit, si bien quil ne peuty transparatre que de manire indirecte, par une sorte de ruse de linconscient.Cette ruse est cependant bien connue des locuteurs que nous sommes, elleconsiste simplement en une mdiation dialectique par la ngation. Cela mme

    qui exclut, le dit oppos au non-dit, selon une sorte didentit smiotique descontraires, laisse entendre cela mme quil dnie : tu es mon matre / tuez monmatre !

    Lexemple canonique de cette identit dialectique du dit et du non-dit estcelui de la demande. La demande est comme on le sait lacte de langageparadigmatique de la psychanalyse, puisque le dsir sbauche dans la margeo la demande se dchire du besoin . Le dsir se situe ainsi en de ou au-delde la demande, grce laquelle il peut se sparer du besoin. Mais, dun autrect, comme lexpression du dsir doit ncessairement passer par la formulationdune demande adresse lAutre, ce sont les mmes signifiants, car il ny ena pas dautres, savoir ceux de la demande, qui serviront la fois la publicitdu dsir et sa censure. La demande comme acte de langage est donc double :elle dit et ne dit pas le dsir, de sorte que cest davantage travers ses checs,ses ratages et autres lapsus, que la voix du dsir se fera entendre. Linsuccsde la demande est ici en mme temps le succs de lexpression du dsir.

    Par suite, le rapport du sens au non-sens dans le contexte de la psychanalysepeut tre maintenant prcis comme tant celui du dit au non-dit, et plus par-

    ticulirement encore comme rapport au non-dit qui fait retour dans le direcomme cela qui est littralement inter-dit. Ainsi, le vouloir-dire se perd en raisondu fait que les demandes du sujet et, par contagion, tous ses actes de langagenexpriment pas vritablement son dsir et que, inluctablement, ce dsir inter-dit, tt ou tard, fera retour dans et par la ngation dialectique du vouloir-dire.Comme le dit Lacan : Lhomme peut ne pas mconnatre que ce quil dsirese prsente lui comme ce quil ne veut pas 11.

    11. Jacques LACAN, crits, p. 815.

    30 Guy-Flix Duportail

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    10/18

    LA QUES TION P HILOS OP HIQUE S OULEVEPAR LA THSE D U NON-SENS P SYCHANALYTIQUE

    cet gard, le premier intrt philosophique de lapproche psychanalytiquedu langage est de ne pas rduire lalination du sens du locuteur laporiedune seconde volont derrire la volont, comme on la cru trop rapidement,ou encore labsurdit dune seconde premire personne. Cest ici la structuremme du langage qui engendre la division du sujet entre son dsir et sa volont,entre le a et le je . Cest ce que souligne justement Vincent Descombesdans LInconscient malgr lui, lorsquil crit, dans une perspective trs prochesur ce point de celle de Lacan :

    La faute ou le dfaut de lAutre est davoir lentendement limit [...]. En quoi limit ?Sa limite est le langage lui-mme [...] qui, ayant fait surgir ce qui manque la chosedite pour satisfaire, ne permet pourtant pas de nommer lautre chose [cest--dire cellequi donnerait satisfaction au dsir G.-F. D.] que sous un nom qui la prsente commeimprsentable 12.

    Lexplication de la division du sujet en sujet volontaire de lnonc et sujetdsirant de lnonciation, telle que nous la proposent Lacan ou encore, dune

    autre manire, Descombes, nous met cependant face la question ultime dunelimite immanente au langage.Do peut bien venir en effet une telle limitation interne du langage, sur

    laquelle manifestement lapproche psychanalytique du sens est tout entirefonde ?

    Dans luvre de Lacan, la premire rponse possible cette question, larponse classique pourrait-on dire, est bien sr celle que nous avons demblementionne, celle de la barre qui spare radicalement le signifi du signifiant.Au fil des sminaires, dautres rponses seraient bien sr ici envisageables. Par

    exemple, ltude de la logique de la sexuation, dans le sminaire XX (Encore),nous conduirait poser la question du rapport du sens au non-sens comme tantcelui du langage ce que Lacan dnomme lalangue en un seul mot. Unetroisime approche nous renverrait au nud borromen, et la position du senset de son antonyme sur cet objet topologique.

    Comme la prsentation de cette volution me conduirait bien au-del de monpropos, je ne retiendrai par commodit mais aussi par mthode que linvariantde toutes ses figures de la limite : savoir la position dun impossible dire

    12. Vincent DESCOMBES, LInconscient malgr lui, Paris, d. de Minuit, 1977, p. 65.

    31Sur le lien ultime de la psychanalyse la philosophie

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    11/18

    d la structure mme du langage identifie celle de linconscient. Cetterduction se trouve exprime par Lacan lui-mme, dans Ltourdit , en 1972,o il crit :

    Cette dit-mention dun impossible [...] cest dailleurs ce quon appelle la structure.La structure, cest le rel qui se fait jour dans le langage 13.

    Ainsi, toute censure dans le discours, toute formation dun non-dit pouvant faireretour dans le dit, par o sexplique lalination du sens du locuteur, nousrenverrait en dernire instance la structure comme dit-mention 14 du reldans le langage, soit ce que jappellerai avec Maurice Blanchot dans Lcrituredu dsastre, un sens absent, un sens radicalement manquant dans le langage,

    un sens qui ne peut pas y tre dit. Sil y a interdiction de dire le dsir,littralement inter-dit, ce serait ainsi cause de cette limitation interne lastructure du langage qui se rvle pour le coup dcomplte et antinomiquequant au sens exprimable. Inutile ds lors den appeler une cause externe, Dieu, la Raison, ltat. En fait, la censure serait due au langage lui-mme,et linter-dit ne serait que la faon dont nous codifions socialement limpossible dire, soit le propre de la structure selon Lacan.

    Quoi quon pense de ces dernires propositions, on peut dj en conclure queG. Deleuze avait incontestablement raison sur un point. Il y a bien dans la

    psychanalyse une positivit accorde ce qui chappe lordre du sens. Il y adonc bien eu dans les annes soixante un changement dattitude radical parrapport la question du non-sens mme si, en toute rigueur, le terme est, bien des gards, inappropri de par son imprcision. De mauvaise valeur, le non-sens est devenu bonne valeur de la pense. Telle tait donc la bonnenouvelle du structuralisme dont Gilles Deleuze se voulut le hraut.

    Mais, au-del de ce premier constat, on ne peut manquer dtre frapp parune aporie dont la rsolution conditionne malgr tout la validit du diagnostic

    deleuzien et, du mme coup, celle de la rponse lacanienne au problme de ladivision du discours et de son sujet. Cette aporie consiste en ceci que, pourparler du dplacement de la frontire entre le sens et le non-sens ou entre lesens prsent et le sens absent, il faut bien se donner la possibilit de se situeren mme temps des deux cts de la frontire. Par exemple, lorsque je mereprsente un triangle, la reprsentation du triangle est une limite, mais cette

    13. Ltourdit , Scilicet, no 4, Paris, d. du Seuil, p. 33.14. Le jeu de mots dit-mension renvoie la restructuration de lespace quimplique lincons-

    cient lacanien. Cest quil y a trois dimensions de lespace habit par ltre parlant, et que cestrois dit-mensions, telles que je les cris, sappellent le Symbolique, lImaginaire, et le Rel ( Lesnon-dupes errent , indit, sance du 13 novembre 1974).

    32 Guy-Flix Duportail

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    12/18

    limite doit tre en mme temps dpasse par la position du champ gomtriquedans lequel le triangle sinscrit. Or, cette possibilit me semble problmatiquedans le contexte de la psychanalyse. Je veux dire par l que si le non-sens

    thmatis par la psychanalyse nous renvoie, comme nous venons de le voir, lalination de lintent du locuteur, si celle-ci nous renvoie au retour dialectiquedu non-dit dans le dit, et si le non-dit nous renvoie in fine limpossible dire,il sensuit que, lorsque nous parlons du non-sens thmatis par la psychanalyse,nous prtendons, en fait, parler de limpossible dire.

    Or, comme cela peut dj tre sensible qui simplement respecte les mots,soutenir cette prtention revient ipso facto tomber dans une contradictionperformative entre ce que nous disons et ce que nous faisons. Pour autant que

    je vois juste et donc si cela est bien le cas, comment alors est-il possible de

    dire la structure telle que lentend Lacan ?Pour donner un tour comparatif ma question, et ainsi mieux me faire

    comprendre, je dirai que la contradiction performative entre la structure delinconscient et son nonciation ressemble la question de lineffable dans leTractatus du jeune Wittgenstein. Car, bien que les conceptions du langage dupremier Wittgenstein et de Lacan soient naturellement fort diffrentes lune delautre, nous sommes pourtant en prsence dun mme problme : celui de la

    possibilit de lnonciation dun lment mystique du langage. Le Tractatus amis en effet en lumire le fait que la possibilit de parler du Tout de la signi-fication ou du langage sans adopter une attitude dextriorit par rapport celui-ci est impossible 15. Autrement dit, pour prtendre pouvoir dire la limitedu sens, il faut se situer ncessairement au-del du sens. Ce que ne renieraitpas Lacan. Mais, ajouterait Wittgenstein, parler du langage et du sens commedun Tout, cest certes tre en dehors du langage, mais cest aussi, du mmecoup, se poser, tout comme les mystiques, dans le registre de lindicible. Duct de Wittgenstein, toujours titre de comparaison, on sait que la distinctionfameuse entre dire (sagen) et montrer (zeigen) fut la solution thico-logique

    prconise afin de pouvoir symboliser ce qui, bien que se montrant dans lelangage, ne pouvait tre exprim par le langage. Or, du ct de la psycha-nalyse, il na pas t encore ma connaissance propos de rponse dune clartet dune rationalit quivalentes. Bref, la question est bien de savoir sil nousest possible de parler de limpossible dire sans opter pour une attitude, commeon dit, mystique , en ceci que lon prtend pouvoir aller au-del du langageet du sens, ds lors que lon affirme pouvoir dire leur limite.

    Par suite, la difficult nous semble tre la suivante : comment russir dduire un discours qui franchit apparemment la frontire du sens et qui

    15. 4.121 : Ce qui sexprime dans le langage, nous ne pouvons lexprimer par le langage.

    33Sur le lien ultime de la psychanalyse la philosophie

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    13/18

    revendique haut et fort ce franchissement (puisquon prtend y parler de ce quimanque au tout du sens) dans les conditions de la raison contemporaine, quisont celles prcisment dune critique du sens immanente au sens, cest--dire

    dune rflexion sur la priori logico-linguistique qui forme le noyau de toutethorie moderne de la connaissance ? Comme on le voit, avant mme de discuterde la scientificit de la psychanalyse, et afin mme de pouvoir entamer conve-nablement toute controverse pistmologique, cest la question prliminaire deson rapport au sens qui me semble devoir tre pose.

    En outre, la ncessit pratique de cette dduction grammaticale du non-sens de linconscient dans les conditions contemporaines de la critique du sensnest pas moins forte que son apparente absurdit. Comment en effet rejeter endehors du cercle du sens une pratique qui a travers le XXe sicle et qui sest

    implante sur les cinq continents ? Une critique externe de la psychanalyse,mene au nom dune thorie philosophique de la signification, ne serait-elle pasplutt lexpression dun orgueil philosophique finalement symtrique celui decertains psychanalystes lacaniens qui, malheureusement, regardent de haut laraison ?

    Entre ces deux impasses symtriques, nous pensons quil existe une solution laporie de lnonciation de la structure, et donc un passage, une synthsepossible entre les exigences apparemment contradictoires du discours analytiqueet du discours philosophique. Cest du moins ce que nous allons essayer dedmontrer pour terminer.

    LA S OLUTION

    En prenant ici pour guide lintuition du second Wittgenstein, historiquement lorigine de la critique du sens, nous supposerons que la solution laporiede lnonciation de limpossible dire ne peut tre trouve quen procdant

    un retour au sol de lusage, tel quil se donne effectivement dans la cure ana-lytique. Car si Freud a bien invent quelque chose, et si Lacan a bien reu cemme quelque chose en hritage, cest lvidence un dispositif communica-tionnel concret, rgi comme chacun le sait aujourdhui par la rgle du toutdire pour lun, dnomm lanalysant, ladresse dun autre qui se tait et quilcoute, le psychanalyste. Tel est bien ce que lon peut appeler le jeu delangage de la psychanalyse, et que rsume fort bien Lacan par ce bref com-mentaire sur le discours de lanalyste , donn lors de ses confrences dansles universits nord-amricaines, en 1975 :

    34 Guy-Flix Duportail

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    14/18

    Le jeu de langage de la psychanalyse :

    Silence ce quil nonce

    Mi-dire de la vrit ce quil ne dit pas

    Dans ce schma ( gauche), le silence et le mi-dire de la vrit caractrisentlattitude du psychanalyste quand il coute (pour le silence) et quand il interprte(pour le mi-dire de la vrit), et les locutions ce quil nonce et ce quilne dit pas ( droite) caractrisent lactivit de lanalysant lorsquil parle libre-ment sur le divan.

    Pour comprendre la ncessit de ce dispositif, il faut toutefois le rapporter

    sa fonction premire et essentielle, savoir celle de sortir le patient de limpassenvrotique dans laquelle il se trouve, et dont la souffrance la motiv entre-prendre une cure de parole. Car, comme lexplique Lacan, le dispositif freudien,dans sa forme mme, a pour but prcisment de dsamorcer le pige qui rsidedans un certain usage de la parole, celui o, justement, la distinction de lademande et du dsir ne se fait pas. Citons-le :

    Le ressort dont il sagit, celui qui est la fois le b-a-ba, lenfance de notre exprience[...] est ceci, savoir le croisement, lchange naf qui se produit dans la dimension

    de lAutre entre le dsir et la demande. Sil y a, vous le savez, quelque chose quoion peut dire quau dpart le nvros sest laiss prendre, cest ce pige ; et il essaierade faire passer dans la demande ce qui est lobjet de son dsir, dobtenir de lAutre,non pas la satisfaction dun besoin, pour quoi la demande est faite, mais la satisfactionde son dsir; savoir den avoir lobjet, cest--dire prcisment ce qui ne peut sedemander et cest lorigine de ce quon appelle dpendance dans les rapports dusujet lAutre de mme quil essaiera plus paradoxalement encore de satisfaire parla conformation de son dsir, la demande de lAutre 16.

    Par suite, la non-rponse de lanalyste aux demandes du nvros, son silence,apparat comme la seule rponse thrapeutique possible et mme souhaitableface la confusion alinante faite par le patient entre sa demande et son dsir.Seule la non-rponse de lanalyste la demande donne en vrit la possibilit lanalysant de ne pas sgarer quant la ralit de son dsir.

    Or, comme cela est patent, la condition dun tel jeu de langage est dassumerla transgression des rgles de la conversation qui stipulent, notamment, que londoit tre pertinent dans son emploi des actes de langage et, par consquent, quelon doit rpondre aux demandes qui nous sont adresses. Le jeu de langage

    16. Dans Lidentification , indit.

    35Sur le lien ultime de la psychanalyse la philosophie

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    15/18

    psychanalytique, de par de sa rgle fondamentale et les consquences quimpli-que son observation, nest donc pas un jeu de langage tout fait comme lesautres. Cest un jeu dans lequel lusage ordinaire est, non pas ni, mais suspendu

    ou mis entre parenthses. Bref, on dira que le jeu de langage de la psychanalyse,dans le temps et lespace de la sance, prsuppose une poch des rgles de lacommunication.

    La question du sens et de la validit du jeu de langage analytique ds lors seprcise. Elle est maintenant de savoir comment une telle poch de la commu-nication est elle-mme possible dans le jeu mme de la communication. Nest-cepas l en effet la source premire de toutes les confusions faites propos de lapsychanalyse, aussi bien par ceux qui ftichisent le non-sens en confondantlpoch analytique avec une ngation relle de la communication, que par ceux

    qui, symtriquement, et en raison de la mme erreur, lexcluent du sens ?Sortir de ce faux dilemme nest pas chose facile. Car aux yeux de la critique

    du sens issue de Wittgenstein, lpoch (attache au paradigme phnomnolo-gique) ne fait-elle pas partie de cet usage vide du langage propre la philo-sophie ? Suspendre la communication dans le silence de lcoute, neutralisertoutes les prtentions la validit de la parole du patient, nest-ce pas l nouveau un cas quasi philosophique de dpassement des possibilits offertespar la grammaire de lusage ?

    En fait, les ressources du second Wittgenstein, si elles nous ont t utilespour orienter notre recherche dans la bonne direction, se rvlent ici nanmoinsinsuffisantes pour claircir le jeu de langage de la psychanalyse. Comme nouslindiquait dj implicitement le terme poch, il ny a en fait quun seul jeude langage qui puisse satisfaire aux rquisits prsupposs par le dispositif psy-chanalytique, savoir celui que K. O. Appel, dans Transformation der Philo-sophie ( Transformation de la philosophie ), dnomme le transzendentaleSprachspiel , le jeu de langage transcendantal 17. Pour ce qui concerne notrepropos, la pertinence des analyses de Apel vient de ce quelles mettent prci-

    sment en lumire les prsuppositions non rflchies du second Wittgenstein,celles-l mmes dont nous avons justement besoin pour intelliger le fonction-nement du jeu de langage de la psychanalyse.

    17. Nous ne partageons pas cependant le point de vue critique de Apel sur la phnomnologiede Husserl. En fait, la priori communicationnel de Apel largit la priori subjectif husserlien, maisne le supprime pas, comme lattention porte par Husserl lui-mme lintersubjectivit (Husser-liana XIII, XIV, XV) nous le montrait dj. Cet a priori subjectif-intersubjectif (li aux questionsde mthode) vient ds lors complter la priori objectif (duel : formel et matriel) qui se rapporte,

    lui, lontologie phnomnologique. Par exemple, dans ce numro, les textes de J. Benoist et deB. Waldenfels se rfrent plutt cet aspect de la phnomnologie, alors que nous nous rfrons,pour notre part, davantage laspect subjectif de la priori phnomnologique.

    36 Guy-Flix Duportail

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    16/18

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    17/18

    rapporte en dernire instance cette possibilit de droit quest la distanciationrflexive immanente la dimension mme de lusage du langage.

    Ainsi, si notre hypothse est exacte, la critique psychanalytique du sens que

    G. Deleuze avait parfaitement identifie et nomme comme telle ne consisteraitpas toutefois en un dplacement de frontire foncirement anti-philosophique,puisquil sagirait, tout au contraire, pour le psychanalyste, dactualiser unepossibilit qui appartient de plein droit au jeu de langage pratiqu par les

    philosophes (et, plus particulirement, de faon consciente, par les disciples deHusserl).

    Avant de tirer les consquences de cette participation commune un mmejeu rflexif utilis en indivision par les uns et les autres, il me faut toutefoisrpondre une objection qui pourrait tre mise du point de vue de Lacan.

    On pourrait en effet nous objecter que, pour Lacan, ce qui est postul par larflexion critique sur le sens des expressions, ce nest pas une communaut decommunication idale la Apel ou Habermas, mais bien plutt, comme on lesait maintenant, lobjet du dsir structurellement situ au-del de la demande.Cest donc in fine le manque pur, ce que Lacan dnomme encore das Ding, lachose hors signifi, qui est le point le plus haut de la critique psychanalytiquedu sens. Or, ce caractre hors sens du manque nexclut-il pas la psychanalyse en droit comme en fait de tout jeu de langage, ft-il transcendantal ?

    Lobjection serait ici dvastatrice si elle ne confondait la forme et le contenudu jeu de langage transcendantal, ou mieux, pochal 19. Car, quels que soient lecontenu et le postulat poss par le jeu de la critique rflexive du langage, celui-cireste identique dans sa forme et, en ce sens, quoi quil dise ou ne puisse dire,cest en effet toujours en vertu de la rflexion sur le langage dans le langageque le discours critique est possible dans sa forme. Il convient donc de maintenirnotre thse : cest par sa mdiation avec le jeu de langage pochal que ledispositif analytique peut satisfaire aux exigences de la critique philosophiquecomme critique immanente au langage.

    Cela tant, le mrite de cette objection est de faire apparatre que le discoursanalytique, sil est conditionn dans sa forme, ne lest pas pour autant dans soncontenu. Ce dernier constat, loin de reprsenter un inconvnient, rvle aucontraire lapport spcifique de la psychanalyse et son irrductibilit. Dans cetteperspective, les postulats propres la critique psychanalytique du sens peuventtre intgrs sans rien perdre de leur spcificit dans une conception philoso-phique densemble du langage (comme ensemble des grammaires pures dulangage) qui transcende et unifie tous les apports des sciences humaines. Pour

    19. Par jeu de langage pochal, nous voulons dire que la rduction ne se pratique pas au-deldu langage, mais bien partir de lui. Nous sommes en dsaccord sur ce point avec K. O. Apel.

    38 Guy-Flix Duportail

    Docum

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    PUF

  • 7/27/2019 G.F. Duportail, Le Lien Ultime Entre Psychanalyse Et Philoso

    18/18

    esquisser brivement ce que cela signifie pour la psychanalyse, nous dirons quelapport de Lacan aura t de rvler la priori littral 20, soit la grammaire pure(au sens de Husserl) de la supplance littrale au rel .

    C ONC LUS ION

    Quoi quil en soit de ce programme de recherche, les points suivants noussemblent, pour conclure, devoir tre souligns.

    La psychanalyse structurale, en tant quelle pose un lment mystique aucur de la structure du langage identifie celle de linconscient, est confronteau problme de lineffabilit de son objet : le rel de la structure.

    Pour rsoudre cette difficult, sans tomber dans une sorte de mystique irra-tionnelle de linconscient, le rapport de la psychanalyse la philosophie doittre repens. Il est possible et lgitime de critiquer radicalement le sens duneexpression au nom du rel, si (et seulement si) lon reconnat nanmoins lamdiation ncessaire de cette critique du sens avec le jeu de langage pochalet, par suite, si lon reconnat le lien ultime de la psychanalyse la philosophie.

    Ainsi, si lon suppose, comme je le crois, que les rquisits de cette thse sontjustifis 21, alors la critique lacanienne du langage mene au nom du rel de lastructure ne reviendrait absolument pas verser dans lau-del du sens communet de la raison. Quil soit de cette manire possible de ne plus forclore un certain non-sens en lhomme, sans abandonner les prtentions du Logos, telle serait,au fond, avec et contre Deleuze, la vraie bonne nouvelle du structuralisme.

    Guy-Flix DUPORTAILUniversit de Paris I

    20. Nous avons dj prsent cette notion dans la revue de psychanalyse Htrit, no 2, ditepar lInternationale des Forums du champ lacanien. La conception de la structure de linconscientque nous y dfendons est alors directement inspire de la Troisime Recherche logique deHusserl. Autrement dit, nous considrons la structure du signifiant pur comme un a priori synth-tique matriel, et le nud borromen comme une forme de synthse passive .

    21. Nous renvoyons, pour une justification dtaille de notre point de vue, notre ouvrage : LApriori littral, une approche phnomnologique de Lacan, Paris, d. du Cerf, coll. Passages ,2003.

    39Sur le lien ultime de la psychanalyse la philosophie

    en

    ttlc

    harg

    depu

    iswww.c

    airn.i

    nfo--

    -195

    .98

    .231

    .115-

    21/05/201208h34

    .

    P.U.

    F.

    Dmegdswcrnno

    19212020

    P