Georges Lochak - Louis De Broglie et la dualité onde-particule 1987

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Louis De Broglie et la dualité onde-particule, entretien avec Georges Lochak (1987) SC : Mr Lochak en tant que directeur de la fondation Louis de Broglie et ami de ce dernier, vous êtes un des plus qualifiés pour parler de l’œuvre de De Broglie qui nous a quitté en Mars 1987. La première question est de savoir qu’elles étaient les origines des travaux de De Broglie ? Georges Lochak : Je pense qu’on peut résumer les origines comme cela : Quand Louis De Broglie a atteint l’âge de dix-huit ans aux environs de 1910, il n’avait du tout l’idée de faire de la science, et en réalité il faisait de l’histoire et était déjà licencié en histoire et en droit. Son intérêt aux sciences a été éveillé par son frère ainé Maurice De Broglie. Il était un des grands spécialistes dans l’étude des rayons X, et à l’époque il fut le secrétaire scientifique du 1 er congrès de Solvay qui s’est réuni en 1911. La physique à la fin du siècle passé, donc 15 ans seulement avant ce congrès, paraissait pour beaucoup de physiciens comme pratiquement terminé, ce qui est une chose qu’on ne peut plus concevoir aujourd’hui. Les progrès de la mécanique rationnelle, de l’électromagnétisme, de la thermodynamique, et en générale des différentes branches de la physique avaient atteint un tel point de perfectionnement que, par exemple, quand le jeune Max Planck a exprimé à un de ses maitres son désir de faire de la recherche dans le domaine de la physique théorique, il s’est vu répondre par son maitre, qu’il avait raison car il est doué, mais dommage car malheureusement il venait trop tard dans un monde trop vieux où il n’y avait guère que quelques décimales à ajouter par ci par là aux résultats qu’on connaissait déjà et où il n’y avait plus rien d’important à découvrir. Mais en peu d’années d’intervalle, de nombreuses et véritables bombes scientifiques ont explosé, et qu’on peut citer comme étant les suivantes : La principale a été la découverte de l’électron, je pense ; car l’électron était le point de rencontre des théories atomiques et de l’électromagnétisme de Maxwell ; or les théories atomiques à cette époque, je parle de la fin du 19 ème siècle, étaient encore extrêmement controversées et de nombreux éminents physiciens et chimistes n’y croyaient pas du tout. De son côté l’électromagnétisme était loin d’être victorieux, et il était peu enseigné dans certains pays comme la France. Or les deux visions encore controversées de l’atome et de l’électromagnétisme étaient par certains côtés opposées l’une à l’autre, puisque le monde de l’atome est en somme un monde vide dans lequel se promènent des objets petits et localisés : Les points matériels ou disant les atomes ; tandis que le monde de l’électromagnétisme était le début du monde des champs, c’est-à-dire un monde qui est regardé au contraire comme plein, plein d’ondes et de champs et comme continu au lieu d’être discontinu. Curieusement Maxwell était à la fois un des plus grands hommes des théories atomiques et le créateur de l’électromagnétisme moderne ; c’est-à-dire qu’il incarnait dans sa personne la contradiction qui existait entre ces deux visions du monde. La découverte de

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Entretien de 1987 avec le physicien, écrivain et humaniste Georges Lochak sur Louis De Broglie et sa découverte de la dualité onde-particule

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  • Louis De Broglie et la dualit onde-particule, entretien avec Georges Lochak (1987)

    SC : Mr Lochak en tant que directeur de la fondation Louis de Broglie et ami de ce dernier,vous tes un des plus qualifis pour parler de luvre de De Broglie qui nous a quitt enMars 1987. La premire question est de savoir quelles taient les origines des travaux deDe Broglie ?

    Georges Lochak : Je pense quon peut rsumer les origines comme cela : Quand Louis DeBroglie a atteint lge de dix-huit ans aux environs de 1910, il navait du tout lide de faire de lascience, et en ralit il faisait de lhistoire et tait dj licenci en histoire et en droit. Son intrtaux sciences a t veill par son frre ain Maurice De Broglie. Il tait un des grandsspcialistes dans ltude des rayons X, et lpoque il fut le secrtaire scientifique du 1er congrsde Solvay qui sest runi en 1911.

    La physique la fin du sicle pass, donc 15 ans seulement avant ce congrs, paraissait pourbeaucoup de physiciens comme pratiquement termin, ce qui est une chose quon ne peut plusconcevoir aujourdhui. Les progrs de la mcanique rationnelle, de llectromagntisme, de lathermodynamique, et en gnrale des diffrentes branches de la physique avaient atteint un telpoint de perfectionnement que, par exemple, quand le jeune Max Planck a exprim un de sesmaitres son dsir de faire de la recherche dans le domaine de la physique thorique, il sest vurpondre par son maitre, quil avait raison car il est dou, mais dommage car malheureusementil venait trop tard dans un monde trop vieux o il ny avait gure que quelques dcimales ajouter par ci par l aux rsultats quon connaissait dj et o il ny avait plus rien dimportant dcouvrir.

    Mais en peu dannes dintervalle, de nombreuses et vritables bombes scientifiques ont explos,et quon peut citer comme tant les suivantes : La principale a t la dcouverte de llectron, jepense ; car llectron tait le point de rencontre des thories atomiques et de llectromagntismede Maxwell ; or les thories atomiques cette poque, je parle de la fin du 19me sicle, taientencore extrmement controverses et de nombreux minents physiciens et chimistes nycroyaient pas du tout. De son ct llectromagntisme tait loin dtre victorieux, et il tait peuenseign dans certains pays comme la France. Or les deux visions encore controverses delatome et de llectromagntisme taient par certains cts opposes lune lautre, puisque lemonde de latome est en somme un monde vide dans lequel se promnent des objets petits etlocaliss : Les points matriels ou disant les atomes ; tandis que le monde dellectromagntisme tait le dbut du monde des champs, cest--dire un monde qui est regardau contraire comme plein, plein dondes et de champs et comme continu au lieu dtrediscontinu. Curieusement Maxwell tait la fois un des plus grands hommes des thoriesatomiques et le crateur de llectromagntisme moderne ; cest--dire quil incarnait dans sapersonne la contradiction qui existait entre ces deux visions du monde. La dcouverte de

  • llectron a eu, alors, un effet tout fait dramatique puisquil a t regard par Lorentz et parlensemble des physiciens comme la source du champ lectromagntique, autrement dit cet objetpetit et localis, cette particule beaucoup plus petite quun atome devenait indispensable ladescription du monde des champs.

    Ce drame a commenc avec Max Planck qui a essay de rsoudre un problme dethermodynamique et dlectromagntisme et qui tait sans solution lpoque. Il sagissait desavoir ce quest lnergie du rayonnement lectromagntique qui mane disant dun petit trouperc dans la paroi dun four chauff dune faon rgulire (problme du corps noir). Ceproblme qui parait tre abstrait et sans grandes applications a, en vrit, chang compltementla physique du sicle, car pour rsoudre ce problme Planck sest vu oblig de se servir la foisde llectron et de llectromagntisme. Or se servir de llectron revenait se servir de lamcanique de Newton, et se servir de llectromagntisme revenait se servir de la thorie deMaxwell. Et il sest avr que ces deux thories ne faisaient pas bon mnage ; elles conduisaient des conclusions absurdes. Pour cette raison, Planck a t oblig dintroduire une nouvelleproprit et de distordre les proprits mcaniques que lon prtait llectron. Il est ainsi arriv lhypothse des quanta, cest--dire que le champ lectromagntique change avec la matirede lnergie non pas dune manire continue mais par petits paquets discontinus quil a appel lesquanta. Cest cette ide, qui au dbut na pas tait prise au srieux et qui est reste ignore ,qui a donn Einstein, cinq anne plus tard en 1905, lide gniale disant que si ctait ainsialors il faudrait que la lumire elle-mme et les ondes lectromagntiques en gnral transporte son nergie non pas dune faon continue mais discontinue par grains. Einstein aintroduit cette ide qui tait incomprhensible, et malgr sa gloire naissante et grandissante celana pas t cru pendant plus de vingt ans. Il a introduit lide quil fallait que la lumire soit faitedondes, sinon on ne comprendrait pas les phnomnes dinterfrences et de diffractions quitaient trs bien tudis depuis longtemps, et Einstein disait que les transports dnergie ne sontpas lis ces ondes particulirement, mais des particules qui sont en quelque sorte transportespar ces ondes et qui sont appeles les photons.

    Cette contradiction dans le double aspect quil attribuait la structure de la lumire et dellectromagntisme en gnral a laiss les physiciens incrdules et perplexes, car le problmesoulevait de trs grandes difficults. Quelques annes plus tard, paralllement cela, Bohr qui advelopp la thorie des quanta pour lappliquer la thorie de latome, a mis lhypothse quelatome est une espce de systme plantaire dont le soleil serait le noyau atomique lectrispositivement et lourd, et autour duquel graviteraient des lectrons. Cette image a t modifie parla suite mais enfin nous la conservons dans une large part. Bohr a donc introduit les quanta dePlanck dans la description du mouvement des lectrons autour du noyau et il en a tirdextraordinaires consquences surtout lors de lapplication la spectroscopie o le calcul deslongueurs dondes mises par les atomes tait tout fait remarquable. Cest un petit peu avant ladcouverte de Bohr que lintroduction des quanta paraissait invitable.

  • Et cest ce moment que De Broglie commena sintresser la physique. Il a eu la chanceinestimable du fait que son frre tait le secrtaire scientifique du congrs de Solvay de 1911 etqui a rapport la maison, puisquil tait lditeur, les minutes du congrs toutes fraiches et lesdiscussions auxquelles participaient les plus grandes gloires scientifiques de lpoque commePlanck, Poincar, Mme Curie, Sommerfeld, Lorentz etc. De Broglie a lu avec passion tout celaet il sest mis tudier fivreusement divers livres comme ceux de Poincar ; il sest trouv ainsids le dbut en face du problme des ondes et des particules. Il est lvidence lhomme qui en at le plus frapp lpoque.

    Alors quelle a t sa dcouverte ? Elle na pas t immdiate. 1911 tait une trs mauvaiseanne, ctait trois ans avant la guerre de quatorze. Il sest mis faire dabord des tudesscientifiques et rapidement il a obtenu une licence de science la Sorbonne. Mais cest dans leslivres quil sest plus instruit, car les cours de lpoque ne rapportaient pas ces nouveauxrsultats. Malheureusement, cest ce moment-l, en 1913, quil a t appel au service militaireet a t affect comme physicien au centre de la Radio de larme franaise qui se trouvait lpoque au mont Valrien. Il a servi sous les ordres du colonel devenu marchal par la suite Fermier, qui tait un des grands de la radio en France de lpoque.

    Malgr que la guerre lui ait fait perdre 5 ans, il a eu la grande chance de rester en vie carplusieurs physiciens de gnies ont trouv la mort comme Schwarzschild, par exemple, quicombattait dans les rangs de larme allemande et qui tait un physicien dune qualit rare. DeBroglie est rest donc labri dans les caves de la tour Eiffel et mme si plusieurs annes sontperdues de son travail en physique, il a appris, par contre, ce quest la physique applique et celajoua un grand rle dans sa manire de penser. Car, dornavant, les ondes taient attaches quelque chose de tout fait matrielle, comme il me la dit lui-mme ; les ondes taient attaches des gros alternateurs quon mettait en marche en se salissant les mains et en se faisant du mal ; cause de cela, ma-t-il dit, il na jamais pu croire que les ondes sont des distributions deprobabilits, leur caractre matriel lui tait devenu comme une vidence profonde dont il taitlittralement imbib.

    De Broglie se remit travailler aprs la fin de la guerre, vers 1920, dans les laboratoires de sonfrre. Il est revenu au problme de latome de Bohr, des quanta de lumire dEinstein, dellectromagntisme, de la loi du corps noir1 de Planck.

    1 Un corps noir est un corps qui peut absorber ou mettre toutes les frquences lumineuses possibles et cest le cas prcisment dun simple trou pratiqu dans un four et o tout peut sy perdre ou sen sortir

  • De Broglie a eu la chance que depuis 1913, anne de naissance de latome de Bohr2, lesphysiciens qui travaillaient sur ce problme se sont trouvs dans une situation de crise carpendant la guerre, latome de Bohr a eu le temps de devenir clbre et de se heurter la premirecrise de la physique moderne. En effet, en peu dannes on sest rendu compte que malgr tousles succs remports dans les cas simples et ds que les atomes devenaient plus compliqus etmme ds latome de hlium qui a seulement deux lectrons, les choses commencent ne plusaller. Ainsi les problmes tant thoriques quexprimentaux commenaient saccumuler devantcette thorie naissante des quanta.

    De Broglie pris par son gnie scientifique sans doute, mais probablement aussi par la situationquelque peu marginale dans laquelle lavait mise son origine aristocratique et le fait que la guerrelavait mis part et en dehors des laboratoires de recherches de lpoque et cest grce sonfrre quil garda un contact direct avec la recherche scientifique du plus haut niveau. Cettesituation tout fait particulire lui donnait un certain recul par rapport aux vnements parcequil ntait pas li la fivre quotidienne des laboratoires et navait pas le nez dans leursdifficults ; cela lui permettait de les regarder de lgrement plus loin. Il faut ajouter tout celale fait que De Broglie avait la formation dhistorien, et si De Broglie, contrairement ce qui estdit souvent, se dfendait dtre un philosophe, par contre ses connaissances historiques et saconception de lhistoire des sciences ont jou un rle tout fait dterminant dans les ides quil advelopp pendant toute sa vie. Sa position dhistorien la fait rflchir en gnral sur lesproblmes des ondes et des particules travers lvolution de toutes les ides en physique, cest--dire quil rflchissait sur les particules littralement partir de Dmocrite, partir des pointsmatriels de Newton, partir des thories atomiques dveloppes au 18me sicle et surtout au19me sicle, de mme quil rflchissait aux ondes aussi bien travers les conceptionsdAnaxagore qui sopposait celles atomiques de Dmocrite de la Grce antique, de mme quilse rattachait aux thorie de Huygens, de Fresnel en optique qui lun et lautre un sicledintervalle avaient fait triompher la thorie ondulatoire de la lumire ; il connaissait aussiquelques points essentiels tel que les rapprochements quon peut faire entre le principe dechemin minimum en optique daprs Fermat et le principe des chemins minimums en mcaniquedaprs Maupertuis et Hamilton, il savait en somme des choses que les jeunes de son ge nesavaient pas en gnral ou navaient pas lide dapprendre.

    Grce cette vision historique de lvolution de la pense en physique, il est arriv lide quonne pouvait rsoudre les problmes des quanta et de la physique atomique quen prenant sous uneforme trs gnrale et bras le corps le problme des ondes et des particules ; et cest comme aquil a donc propos lide, tout fait extraordinaire, que toute particule matrielle et passeulement les quanta de lumire dEinstein, mais nimporte quelle particule, devait treaccompagne dans son mouvement par une onde et par consquent toute particule matrielle

    2 Latome de Bohr cest lHydrogne qui a un seul lectron qui tourne autour du noyau atomiquequi est le proton en loccurrence.

  • pouvait se diffracter comme se diffracte une onde sonore ou lumineuse. Ici il faut prciser lasignification de ce qui prcde, car on peut se demander si une balle de tennis se diffracte, il estnotoire que non. En gnral les corps lourds qui nous entourent ne se diffractent pas et le calculque De Broglie avait fait l-dessus donne une rponse extrmement simple et montre que lescorps qui sont trop lourds ou qui ont des masses leves ne peuvent pas se diffracter ou du moinsse diffractent dune faon si ngligeable quil est impossible dobserver leffetexprimentalement parce que la longueur donde calcule et qui porte le nom de De Broglie esttrop courte pour que le phnomne soit observable ; donc ne pourront tre observs comme sediffractant effectivement que les corps suffisamment petit et lger pour que la longueur dondede De Broglie soit suffisamment grande et permettre dobserver la diffraction. La principaleparticule pour laquelle cest vrai est llectron ; cest comme cela quil a annonc la diffractionpossible de llectron et aprs trois ans seulement cela a t dmontr exprimentalement, leslectrons se diffractaient et se comportaient comme des ondes.

    Cest la dcouverte majeure de De Broglie. lpoque, elle a donn naissance desdveloppements mathmatiques tout fait fondamentaux et deux ans plus tard Schrdinger acrit lquation laquelle doivent obir les ondes de De Broglie ; et toute une nouvelle branchede la physique est ne et qui est la mcanique ondulatoire qui a par la suite fondu dans les autresbranches de la microphysique sous le nom de mcanique quantique, mais on peut dire que danslensemble de la microphysique les proprits ondulatoires de la matire joue un rledterminant.

    SC : Quelles sont les consquences pratiques de ces travaux qui peuvent paraitre sans liendirecte avec notre vie quotidienne ?

    G. L. : Les consquences pratiques sont dune extrme importance. Il est important de souligneraux lecteurs quelles sont absolument quotidiennes, cest une chose que les gens ignorent tout fait. La physique moderne est entoure dune telle aurole de mystres par les mathmatiquescompliques quelle emploie, par les expriences difficilement comprhensibles qui sont encours dans les grands laboratoires que les gens finissent par attacher cette physique unesignification un petit peu abstraite, plus ou moins cosmique ou mme parfois philosophique sansse rendre compte que le monde qui nous entoure est totalement baign dans cette physique l etpar ses consquences. Je vais essayer donc de les numrer.

    La premire consquence est la moins vidente, et pourtant cest une qui a le plus de rsultatsrvolutionnaires sur notre vie ; cest linvention du microscope lectronique. On a pu montrer la fin du sicle dernier, et cela rsulte de bases exprimentales incontournables, quunmicroscope optique, tel que ceux utiliss jusqu l et qui continuent dtre utiliss aujourdhui,ne pouvaient obtenir des grossissements suprieurs 2500 fois, cette limite absolue est due auxproprits ondulatoires de la lumire. Et si lon essaye de faire un microscope qui grossit plusfort on se heurte ce qui est appel laberration de diffraction . Donc le caractre ondulatoirede la lumire nous interdit un grossissement trop grand ; or llectron a une longueur donde et

  • est par consquent ondulatoire, il est donc aussi soumis aux mmes limites que la lumire maisses limites sont plus lointaines, cest--dire que la longueur donde de llectron est de lordre decelles des rayons X et mme des rayons X durs ; dans beaucoup de cas cest une longueur dondetrs petite et donc les effets de diffraction y sont beaucoup plus faibles que pour la lumire. Celaveut dire que si on fabrique un microscope en utilisant des rayons non plus optiques maislectroniques, ce microscope donnera un grossissement suprieur au microscope optique.Linfluence de la dcouverte de De Broglie a t conteste dans ce domaine parce que Rouska,linventeur du microscope lectronique en 1931, ignorait en fait la mcanique ondulatoire etquand il a effectu les premiers essais sur la microscopie lectronique, il ne savait pas du toutque llectron tait ondulatoire. Il tait ingnieur et ne lisait pas les revues de physique thoriqueet ce nest quen cours de route quil avait appris la dcouverte de De Broglie, ce qui lavait fortennuy car il sest dit quil va avoir les mmes problmes quavec la lumire. Maisheureusement on a vite compris que ce ntait pas le cas et on a pu obtenir des grossissementsplus grands. Il nen demeure pas moins que mme si Rouska a eu lide du microscopelectronique avant mme davoir su lexistence des travaux de De Broglie, cest la mcaniqueondulatoire qui nous permet de connaitre les limites de la microscopie lectronique, ce qui estessentiel pour connaitre les bases de son fonctionnement.

    La microscopie lectronique sert lobservation des cellules vivantes et de leurs dtails, et lobservation des virus et des bactries. Donc les consquences sur la biologie et la mdecinesont tout fait extraordinaire, et comprendre ce sujet dramatique la mode qui est le Sida se fait laide du microscope lectronique. Et rcemment, on a invent un nouveau microscopelectronique qui lui est le fils des thories de De Broglie parce quil est purement ondulatoire. Ilrepose sur ce quon appelle leffet tunnel qui est une proprit ondulatoire des lectrons, ce qui avalu aux deux physiciens qui lont conu, un allemand et un suisse, le prix Nobel 1986 enphysique. Ce microscope atteint actuellement le 1/10 dangstrm, cest le 1/10 dun diamtreatomique ; ce qui signifie que pour la premire fois on photographie les atomes et quon estcapable de prendre une surface cristalline, une face dun cristal, et par des photographies aumicroscope lectronique de voir comment les atomes sont rangs ; cest--dire que ce que lesphysiciens et les cristallographes avaient imagin il y a presque deux sicles comme unehypothse audacieuse se vrifie pour la premire fois et que nous pouvons voir ainsi comment serangent les atomes sur les faces cristallines.

    On a pu photographier des virus, et maintenant on va photographier leurs dtails et connaitreleurs constitutions comme on connait la composition des bactries ou des cellules. Inutile de direque pour la virologie et certainement pour la cancrologie lavenir est ouvert grce cestechniques rsultant des proprits diffractoires de llectron.

    Il y a aussi dautres applications industrielles ces proprits et il faut bien se dire que tous lesmatriaux de qualit, toutes les inventions de molcules nouvelles en pharmacologie, toutes lesinventions de mtaux, des tudes de surface, donc tous les matriaux qui servent lindustrie de

  • pointe se servent un moment donn de la microscopie lectronique ou de la diffractionlectronique.

    Un autre domaine qui est peut-tre plus spectaculaire : On sait que les lectrons entrent dans lacomposition des atomes et que le courant lectrique est un mouvement dlectrons, parconsquent pour connaitre la proprit de conductivit et de conductibilit lectrique des corpson doit connaitre les proprits ondulatoires des lectrons. Autrement dit la conduction lectriqueordinaire, la supra conductivit cest--dire cette proprit extraordinaire qu parfois la matirede ne plus avoir de rsistance lectrique ce qui permet par exemple de crer un anneau de ferconducteur qui dans certaines circonstances laisse circuler un courant lectrique sans faiblir etsans le besoin de lentretenir pendant des annes et le calcul montre que cela peut durer descentaines de milliers dannes !

    Une autre proprit est la semi-conductivit, ce qui veut dire que la conductibilit dun milieumatriel peut changer selon les actions exerces sur lui de lextrieur ; et toutes ces propritssont lies aux proprits ondulatoires de llectron. Or si on prend le cas le plus classiqueaujourdhui qui est la semi-conductivit, on sait que les semi-conducteurs sont la base dutransistor, dans les circuits intgrs qui entrent dans tous les dispositifs micro-lectroniques. Sion veut continuer lnumration, il faut numrer tout le monde moderne car lautomation reposel-dessus, que a soit un appareil photographique moderne ou une montre quartz,linformatique, la radio, la tlvision, laviation etc., on trouve toujours lapplication deproprits ondulatoires des lectrons. Voil donc les applications principales.

    *** ***

    SC : Aprs avoir parl des origines et du contenu des travaux de Louis De Broglie, jevoudrai aborder maintenant le problme de la dualit onde-corpuscule elle-mme. On saitque De Broglie se rangeait avec Einstein et tous ceux qui voulaient que la physiquecontinue de donner des images claires et objectives de la nature, tandis quune autre colequi est celle de Bohr, de Heisenberg et dautres disait que la science ne peut plus nousfournir cette image mais quau contraire, la nouvelle image est teinte de subjectivitPeut-on rentrer plus en dtail dans ce problme ?

    G. L. : Oui et cest facile. Mais il faudrait prciser quhistoriquement la position que vous ditestre dEinstein et De Broglie tait la position de la physique classique, donc au dpart des genscomme Planck, Einstein, Lorentz, Sommerfeld et tous les autres considraient que la physiqueest faite pour donner ces images et quelle a russi le faire depuis trois sicles alors pourquoiva-t-elle sarrter maintenant ? Et en fait, celui qui a rompu ce cours traditionnelle de la physiqueest Bohr avec son cole. Il est un peu simpliste de dire que cest Bohr car les ides sont toujoursdans lair du temps, mais enfin Bohr en tant que chef dcole et un des physiciens dominant dece sicle a jou un rle dterminant. Et il est intressant de noter que la position de Bohr est

  • devenue dominante en physique au moins chez les thoriciens. Mais au dpart elle tait tout fait minoritaire.

    Le problme consiste mon avis quau dpart et jusqu l on avait des images pour dcrire lesparticules. Ctait la mcanique de Newton o trottaient les particules comme si ctaient despoints matriels ou de trs petits objets et dcrivaient ainsi des trajectoires, donc des trajectoiresdans lespace avec des vitesses et des acclrations. Il a fallu tout le gnie de la mcaniqueclassique pour parvenir cette description. cette poque-l, la mcanique classique tait pourlessentiel paracheve et cette image ne posait plus de problmes fondamentaux mme si lamcanique continuait son dveloppement. Dautre part la notion donde tait trs bien connue.On savait ce qutait une onde sur leau, ce que sont les ondes acoustiques etc., mais les ondeslectromagntiques posaient, quand mme, un problme car comme on lavait dit dune faonplaisante, au sicle dernier, on avait besoin dun sujet pour le verbe onduler. Et lther dont lesconceptions remontent Huygens et Newton et dont limage avait t propose par Fresnel,avait t imagin pour rpondre cette question. Les problmes que posait lther de Fresnelallaient donner naissance une grande rvolution scientifique qui est la dcouverte de larelativit. Mais disons que mme si on ne savait pas dans le fond dans quoi ondulent les ondeslectromagntiques ou mme sil y avait un milieu o elles ondulaient, une ondelectromagntique tait une chose matrielle quon savait bien dcrire et imaginer.

    La question du dualisme est une autre affaire, cest bien beau de dire avec Einstein que lalumire est la fois onde et corpuscule et de gnraliser cela avec De Broglie toute la matire,ou bien de dire quelle est tantt onde, tantt corpuscule avec Bohr et Heisenberg, mais ladiffrence est capitale entre les deux groupes. Pour Einstein et De Broglie, les deux aspects ondeet corpuscule coexistent chaque instant et il sagissait de savoir comment les accorder et lesdcrire, tandis que pour Bohr et Heisenberg il fallait seulement dcrire les expriences, qui enfait, font apparaitre tantt un aspect tantt lautre et cela dcoule de la constatation que lesexpriences que nous faisons ne font pas surgir simultanment les deux aspects et quellesnimposent pas la description simultan des ondes et des corpuscules. Cest sur cette dissensionde base, que nous venons deffleurer, entre les deux points de vues quest partie la grandequerelle de la physique du sicle. Demble Einstein et De Broglie ont dit quils ne comprenaientpas. On se trouvait, leur avis, devant cette circonstance trs trange, cest quon savait se servirde ces notions et faire des prvisions thoriques et obtenir des rsultats exprimentaux tout faitremarquables, et mme raliser des applications pratiques comme celles dont nous avons parl,mais sans connaitre le lien entre la particule et londe.

    Alors trs rapidement aprs sa thse et avant lquation de Schrdinger et tout le dveloppementde la mcanique moderne, De Broglie a propos quune particule nest quune rgion plusintense que dautres de londe. On peut donner une reprsentation de cette ide et qui est latrombe qui se forme sur locan, o locan avec ses vagues sont assimilables ce que nousappelons onde et la trombe qui soulve leau une certaine hauteur et qui donne une rgionsingulire sur locan serait donc la particule. Cette image date de 1925, elle a t rapidement

  • appuye par une image parallle quEinstein avait dvelopp dans la relativit gnrale, o dunemanire analogue il a conu que la matire nest pas diffrente du champ de gravitation, maisquelle est ce champ mme et que l o il y a matire le champ est tellement intense que cettergion apparait comme si elle tait singulire et dure.

    Einstein et De Broglie avaient donc deux descriptions quasi-identiques dans leur essence parlimage quils proposaient et dveloppaient dans deux thories trs diffrentes : la relativitgnrale et la mcanique ondulatoire, mais qui par la suite se sont beaucoup rapproches.

    On pouvait esprer amliorer cette image mme si on ne savait pas bien sen servir,malheureusement la mcanique quantique sest dveloppe autrement par la suite. Il faut biensavoir que sil y a un domaine o le guide politique essentiel est celui du pragmatisme et dupossible cest bien celui de la science. La science ne se dveloppe selon les vux desscientifiques. Elle se dveloppe, en ralit, selon ce quon est capable de faire devant lesdifficults poses par la comprhension de la nature un moment donn.

    Schrdinger, qui dans le fond avait des ides qui au dpart ne diffraient pas tellement de cellesde De Broglie, a crit une quation dont les consquences ont t tout fait extraordinaires maisdont les particules taient exclues. Cest--dire quon ne dcrit l-dedans que des ondes maisavec qui on sait prvoir ce que les particules deviennent. Il ne faut pas oublier ce point essentielque mme si on adopte le point de vue de Bohr, on peut affirmer quon ne voitexprimentalement que laspect corpuscule. Personne ne connait des compteurs dondes, on naque des compteurs de particules et cest ce que lon voit et cest uniquement linterprtation desexpriences pralables lenregistrement des particules qui nous fait dire quelles se sontcomportes en chemin dune manire ondulatoire. Ceci pour dire que la mcanique quantique, ensomme, dcrit le mouvement des particules en se servant des ondes comme objets thoriques.Cest une autre forme de la dualit, si lon peut dire, entre les deux. Cela signifie en particulierquil est tout fait possible et cest pour cette raison que la mcanique quantique marche dedcrire les propagations dondes et de sen servir pour faire des prvisions qui en somme portentsur les endroits o les exprimentateurs devront apercevoir les particules. Donc le fait que lonne sache pas comment londe peut agir sur la particule nempche pas de faire au moins uncertain nombre de prvisions thoriques intressantes. On est alors on droit de penser que si onsavait tablir ce lien, alors des prvisions nouvelles seraient possibles et la physique seraamliore.

    ce point se placent deux conceptions radicalement diffrentes : ceux qui comme Einstein, DeBroglie et Schrdinger se sont dit que la tche primordiale de la physique thorique estdarriver comprendre ce dualisme ou plutt le supprimer de sorte quil ny ait plus de dualismeonde-corpuscule, mais une sorte dtroite coexistence dont on dcrirait le fonctionnement ; etceux qui comme Bohr, Heisenberg et en gnral les physiciens de lcole de Copenhague ontdit que tant donn que nous navons pas la possibilit denregistrer la fois les ondes et lesparticules ou leurs proprits, nous ne sommes pas tenus dexpliquer ce que nous observons et

  • nous pouvons affirmer que les particules et les ondes nexistent que pour autant que nous lesobservons et quen dehors de notre observation il ny a pas de sens dire que les choses existent.Il faut dire quon ne peut formuler aucune objection logique cette position dite positiviste et quiest tout fait dfendable logiquement. Mais lobjection massive que lon peut faire, cest quelobjet de la science est de chercher, quand mme, ce quon ne voit pas encore et que si on seborne dcrire ce que lon voit dj on se condamne ne jamais voir ce qui nest pas encore vu,faute de lavoir imagin. Un exemple clbre, les opposants aux thories atomiques du 19me

    sicle soutenaient un point de vue analogue celui de Bohr ; ils disaient les atomes ne se voientpas, ce qui tait exact, et quils ne voyaient que les consquences que les partisans des thoriesatomiques tirent de leur hypothse. Alors, disaient-ils, tudions ces consquences qui sont lathermodynamique, la thorie des gaz et dautres domaines de la physique ; mais pourquoisembarrasser dimages atomiques qui ne correspondent pas des observations ? Lhistoire a finipar donner raison ceux qui se sont obstins pendant des dizaines dannes dcrire les atomessans tre capables de donner la preuve de leurs existences. Cest ce reproche que jadresse pourma part la position de Bohr et de lcole de Copenhague. Mais il faut, quand mme, avoirconscience du fait que ce nest pas une position logique, cest une position de prise de parti apriori , cest un pari, pari quon pourrait dcrire lunion des ondes et des particules un jourproche ou lointain.

    Revenons la position historique des annes vingt. On sest trouv devant une mine dor, et unmoment on avait vritablement le sentiment quil suffisait de se baisser pour ramasser desrsultats, cest un petit peu comme aujourdhui dans certains domaines de la biologie molculaireo de toute part les rsultats affluent. Il rgnait donc cette poque une euphorie extraordinaireet chaque fois que la mcanique quantique sattaquait un problme de microphysique, elle sensortait gagnante. Cela a continu des annes, et ceux qui disaient quil ntait pas intressant deregarder en arrire avaient plus de chance dtre cout, car ils dbarrassaient les esprits duncertain souci et de certaines questions susceptibles de les arrter.

    Alors Einstein, selon un mot mchant quil avait vis--vis de lui-mme, cachait sa tte sous lesable de la relativit pour ne pas voir les vilains quanta et il a consacr tous ses efforts, pendantdes annes, la relativit gnrale et il a cess peu prs dcrire quoi que ce soit sur lathorie des quanta, sauf de temps autre pour lancer une objection aux conceptions de Bohr.Schrdinger tait dans une position qui ressemblait celle dEinstein. Tout comme Einstein, il aquitt lEurope larrive des nazis au pouvoir mais pour une raison diffrente celle dEinstein.Einstein a t chass par les nazis en tant que juif de lAllemagne, mais Schrdinger ntait pasjuif et il a fui parce quil ne supportait pas loccupation de lAutriche par les nazis, donc il sesttrouv en recul par rapport lactivit scientifique europenne, malgr ses contributionsessentielles de nouveaux problmes en physique.

    Quant De Broglie sa situation tait diffrente et il na pas quitt la France. Mais si, comme onla vu, sa jeunesse lui a permis davoir du recul par rapport aux vnements, maintenant cest finiil tait dans les vnements. Il tait devenu un chef dcole ce quil naimait pas et le

  • physicien le plus clbre de son pays et il a t nomm professeur la Sorbonne et il fallait quilenseigne la physique quantique mais laquelle ? Allait-il enseigner deux physiques quantiques,une pour la France et lautre pour le monde ? Cest impensable. Il y en avait une qui marchait quelque critique quon puisse lui faire sur le plan des principes , donc il fallait quil enseignecelle-ci. De plus, tous les essais de De Broglie avaient chou. Il avait essay dtablir cettedescription du dualisme des ondes et des corpuscules en construisant ce quil avait appel lathorie de la double solution, mais cela na pas march malgr quelques remarquables rsultatsprometteurs ; et au congrs de Solvay de 1927 on lui avait oppos des objections physiquesauxquelles il na pas pu rpondre dailleurs on narrive toujours pas rpondre certaine trsbien cause de difficults mathmatiques. Il faut dire quil manque toujours une quationfondamentale cette thorie, car la physique mathmatique repose un moment donn sur lacapacit quon a dcrire une quation de base do lon dduit certaines prvisions quon vrifieou infirme par lexprience. Donc la thorie de De Broglie reste inacheve ce jour.

    Alors pendant de longues annes De Broglie a enseign la mcanique quantique et il a poursuivi faire des travaux de premire importance sur la thorie de la lumire, surtout, mais aussi sur lamicroscopie lectronique, sur des problmes de thermodynamique, de relativit, de statistiqueetc. Aprs avoir termin sa thorie de la lumire quil avait appel la mcanique ondulatoire de lalumire, il a eu limpression quil avait fait le tour de ce quil savait faire. Alors malgr certainesdifficults qui demeuraient dans la thorie, De Broglie pensa quil fallait sattaquer denouveaux problmes, ctait videmment le problme des noyaux atomiques. Aprs avoirdblay les problmes de la physique atomique et molculaire durant la premire moiti du sicleo de grands succs ont t et continuent tre remportes, le pas suivant tait la physiquenuclaire et ce que nous appelons la physique des particules dont on connaissait lpoque deuxou trois contre des centaines aujourdhui. Mais mme deux ou trois, cest dj trop ! Le problmeest de savoir pourquoi elles sont l et comment sont-elles faites. De nouveaux problmes sontns. De Broglie sest rendu compte quil ne savait pas faire mieux que les autres, il ntait passatisfait et considrait que les problmes de la physique nuclaire ntaient pas rsolus. Cestalors, vers 1951, quil a commenc se demander si la mcanique quantique ntait pas arriveau bout de son pouvoir explicatif. Aprs tout, je vous disais quon peut trouver beaucoup dechoses en prvoyant o vont les particules, en sachant seulement ce que font les ondes, et sans sedemander comment agissent-elles les unes sur les autres, mais partir du moment o la thoriepitine on peut revenir en arrire et se demander si cela nest le fait davoir laiss sur le chemince problme crucial.

    Cest ce que De Broglie a commenc se demander, quand arrive soudain deux articles dunjeune physicien amricain qui tait jusque-l connu pour dexcellents travaux sur la thorie desplasmas et qui travaillait Princeton, ctait David Bohm. David Bohm sort deux articles qui ltonnement dEinstein, qui il les a fait lire avant leur publication, racontaient exactement ceque De Broglie racontai il y a 25 ans en y a ajoutant de nouvelles choses. Bohm tait jeune etnavait jamais lu les travaux de De Broglie et il avait retrouv indpendamment cette tentative de

  • dcrire le mouvement des particules dans une onde et qui sappelait la thorie de londe-pilote.Einstein lui conseilla denvoyer ses papiers De Broglie. Ce dernier rpond qu premire vuea ne lintresse pas car il pensait que les objections quon lui avait adresses restaient exactes etquil fallait dvelopper la thorie dune faon totalement diffrente. Mais Bohm a cart cesobjections et ne leur a pas attribu autant de poids que De Broglie leur en a attribu. Ladiffrence entre les deux hommes cest que Bohm a poursuivi sur cette voie, tandis que DeBroglie est parti dans une direction un peu diffrente avec les quations non-linaires. Mais lefait que quelquun repose cette question avec beaucoup dacuit et beaucoup dintelligencecomme la fait Bohm, mme si lon nest pas daccord avec son analyse, a donn De Broglie ledclic qui la ramen ce type de problmes.

    Ainsi et pendant 25 autres annes De Broglie, aid par un groupe de jeunes physiciens parmilesquels je me suis trouv presque au dbut et cest pourquoi je peux vous en parler aujourdhui, a essay de dcrire lunion qui doit exister entre les particules et les ondes en considrant laparticule comme une singularit ou une rgion intense de londe comme on la vu. Et des progrsont t faits dans ce sens. Notre quipe a pu montrer par exemple que quand un lectron passedans un dispositif dinterfrence comme un rseau, cest le mme problme que celui qui se posequand on regarde le soir les rverbres allums travers un voile ou un rideau de tulle, alors onvoit de loin que limage du rverbre est entoure dune croix irise aux couleurs de larc-en-ciel, et cette croix est due simplement la forme de la trame du tissu qui est forme de deuxrseaux croiss de fils. Ce phnomne remarquable est une des preuves les plus simples que lonpuisse donner dans la vie courante de la diffraction de la lumire. De mme on peut produire lemme phnomne avec les lectrons quoique plus difficilement ; et on a montr que lestrajectoires lectroniques prvues par la thorie de De Broglie vont rellement dans la directiondes endroits clairs de limage. Donc on a montr quon peut calculer des trajectoireslectroniques qui saccordent avec lexprience.

    Malheureusement on nobtient pas de nouveaux phnomnes physiques avec ce procd. On nefait que donner une description plus satisfaisante des phnomnes connus. Le problme est detrouver une quation nouvelle, comme je lavais dit. Nous sommes dans la mme situation queles atomistes du 19me sicle. Voil o on est donc. On essaye dans tous les phnomnes quenous tudions de dtecter lide nouvelle qui pourrait suggrer lquation tant attendue. Cest laloterie de la science.

    Quat au dbat philosophique lui-mme, je ne lui attribue pas une trs grande importance. Jepense que le vritable problme est un problme de physique qui sera rsolu quand on connaitrade nouveaux faits physiques qui suggreront de nouvelles hypothses et donneront naissance une nouvelle thorie physique. Aucun interdit philosophique nest valable pour la science. Jepense que la chasse est ouverte et quon a le droit de tout faire par les procds rigoureux de lascience pour essayer de gagner. Tout ce que je souhaite cest que les objections philosophiquesne nuisent pas la recherche.

  • Alors le grand problme philosophique agit est celui des paramtres cachs. La question est desavoir si derrire la physique quantique existent des paramtres cachs. En effet la thoriequantique est probabiliste, elle prvoit les phnomnes sous forme probabiliste et ne dit pas quellectron sera vu ici ou l, mais quil a telle probabilit pour tre dtecter un endroit. Donc lacertitude pour elle est quivalente la plus grande probabilit. Do la notion dincertitude quisy est introduite. Ce caractre probabiliste permet de regarder le pass et se demander encoreune fois si on nest pas dans la mme position des thories du sicle dernier o on a dcouvertque derrire les effets de la thermodynamique ou de la physique des gaz, qui taient desphnomnes de caractre statistique, il y avait les atomes. Alors existe-t-il de mme pour laphysique quantique des grandeurs physiques caches qui ne seraient pas les atomes commectait avant sur lesquelles les effets statistiques aboutiraient aux mmes rsultats quantiquesconnus ? Exemple : Si on suppose, comme De Broglie, que llectron a une trajectoire lintrieur de londe, alors cette trajectoire est un paramtre cach puisque personne ne la encorejamais vu. Peut-on alors expliquer la physique quantique par des paramtres cachs ?

    Ce problme a donn lieu dinnombrables polmiques auxquelles je me suis senti tenu deprendre part, car au nom de ce problme on tirait contre nous des interdits. mon avis on nepeut montrer ni le pour ni le contre dans le cas gnral. Car pour cela et pour poser le problmeon est oblig de dfinir ces paramtres cachs et la seule rponse quon pourra donner est que cesparamtres sont bons ou ne le sont pas, mais cela ne veut pas dire quil ny en a pas dautres.Beaucoup de temps et dnergie se perdent dans ces polmiques striles qui ne touchent pas laphysique.

    SC : Et vous faites ce travail de dveloppement dans le cadre de linstitut ?

    G. L. : La fondation a t cre dabord pour poursuivre luvre de Louis De Broglie, mais aserait un point de vue bien troit si nous nous contentions, en somme de dvelopper les ides deDe Broglie, parce que la libert de lesprit exige aussi davoir prsent en mmoire le fait que DeBroglie peut avoir tort, nest-ce pas ? Et tant quon na pas fait triompher son point de vue, il nefaut pas carter de nos hypothses lide quil puisse stre tromp. Donc on ne peut pasconstruire toute une fondation et axer ses travaux sur cette seule activit, cest extrmementdangereux. Dautre part, mme si ce point de vue allait triompher, on ne sait apriori par quellevoie cela se fera. Ceci veut dire que les activits de la Fondation Louis De Broglie sorientent envrit vers les problmes fondamentaux de la physique et qu nos sminaires, dans les colloquesque nous organisons et dans les ouvrages collectifs que nous publions sexpriment deschercheurs qui en majorit sont plutt hostiles nos points de vue. Cest normal puisque notrepoint de vue est minoritaire et on veut des discussions saines des problmes gnraux de laphysique.

    Si on na pas constamment loreille attentive aussi lopinion de lautre on na aucune chance detrouver un jour le moindre atome de vrit. Quand je polmique avec dautres chercheurs cesttoujours en mon nom personnel et on peut trouver ainsi dans notre revue des articles qui me

  • contredisent. Deux mots peuvent caractriser lesprit de la Fondation. Le premier est Pourlavenir , il nest pas l par hasard ctait la devise des De Broglie depuis le 17me sicle et LouisDe Broglie a fait cadeau de cette devise la fondation qui porte son nom. Le deuxime mot, noncrit mais qui est prouv chaque jour par notre activit est la libert de lesprit . Ainsi moi-mme je dveloppe des thories dont je sais que certaines nauraient pas t approuves par DeBroglie, mais cest lexprience qui dcide et non la vnration. Je pense que Louis De Broglieavait approuv cette attitude.

    SC : Ma dernire question concerne le paradoxe EPR (dEinstein, Podolsy et Rosen) quiagite depuis des annes la pense physique et consiste, en gros, dire que si deux particulesont eu des liens causales un moment donn alors mme si par la suite les sparent desannes lumires, elles garderont une sorte de liaison instantane qui dpasse, selon certains,nos concepts de temps et despace. Quelle est votre position ?

    G. L. : Vous venez de donner un excellent rsum du paradoxe qui est celui que presque tout lemonde admet et avec lequel je ne suis pas daccord. Car il nest pas vrai que la mcaniquequantique sous sa forme orthodoxe dit cela. Elle dit seulement que si nous effectuons desmesures sur deux grandeurs physiques choisies notre gr et appartenant deux objets qui ontinteragi un moment donn et puis se sont spars alors nous obtiendrons des corrlations entreces mesures.

    Il vaut la peine ici douvrir une parenthse. Il est normal que deux objets qui ont interagi gardentle souvenir de leur interaction. Et tout joueur de billard sait trs bien que son jeu obt certaineslois physiques qui permettent de prvoir que linteraction entre les boules est bien dtermine.Mais ce qui est remarquable ici cest que la corrlation est dun type particulier dans le sens quesi lon essaye de se faire une image nave et classique en dcrivant par exemple les particulescomme si ctaient des boules de billard alors on obtiendra des rsultats faux.

    On dit en gnral que si les deux particules ont interagi alors si nous effectuons une mesure surune certaine grandeur sur lune des particules alors cela influencera la mesure de la mmegrandeur sur lautre particule. Et cest l que je cesse dtre daccord. Comme nous lavons vu,les lois de la mcanique quantique sont probabilistes et ne prvoient donc que des probabilitssur nos deux mesures. Donc nous ne sommes capables de vrifier ces lois que dune faonstatistique en refaisant la mme mesure un trs grand nombre de fois. Et il savre que lamcanique quantique a tout fait raison, comme la montr par exemple la brillante expriencedAlain Aspect qui a t ralis Orsay. Cette exprience tait trs difficile prparer et lesrsultats ne sont pas vidents. Elle a port sur lobservation de milliards de photons isols lunaprs lautre.

    Ainsi on a dmontr que les statistiques de la mcanique quantique sont vraies pour deux objetsextrmement loigns lun de lautre et en loccurrence ctait une dizaine de mtres. Cela estremarquable surtout si lon sait que les lois statistiques en question comportent des hypothses

  • concernant le niveau atomique et rien ne disait quelles pouvaient toujours sappliquer pour lesobjets loigns les uns des autres.

    Mais ce quon dit sur les actions instantanes distance est une autre affaire. Ce nest pas parcequune loi statistique est vrifie quon est capable pour autant den dduire de faon univoque lecomportement des particules individuelles. Un exemple amusant que je cite souvent et qui meparait bien illustrer le problme est le suivant : On sait quun d jouer est toujours grav de lamme faon, cest--dire que le 1 et le 6 sont toujours sur deux faces opposes, et de mme pour(2,5) et (3,4). Ainsi la somme de deux faces opposes est gale 7. Imaginons maintenant deuxjoueurs munis chacun dun d. Ils sont loigns lun de lautre et ne savent pas ce que fait lautre.On leur demande de lancer chacun son d et de noter chaque fois la face qui apparait. Cela estrpt un trs grand nombre de fois. la fin si on ajoute toutes les faces qui sont apparues et ondivise par le nombre de lancers, on obtient pour chaque joueur part 3,5. La somme des deux est7, qui est le nombre moyen des points obtenus par les deux joueurs. On voit que cest la sommedes deux faces opposes. La raison est fort simple. On a 6 faces : 1, 2, 3, 4, 5, 6 leur moyenneest de 3,5 et chaque face a la probabilit 1/6 dapparition. Ce rsultat ne nous permet pas de direque si un des joueurs a trouv 2 par exemple alors a provoque chez lautre lapparition de 5 ouaussi si lun est 3 alors lautre est 4.

    La diffrence entre les ds et la mcanique quantique est que nous connaissons le secret des dsmais pas celui de la mcanique quantique. Autrement dit il y a dans les deux jets de ds unsystme paramtres cachs, puisque chacun des joueurs ne voyant pas ce que fait lautre estpour lui ce systme. Mais de lextrieur nous savons que cela obit des lois simples et quil nya pas une action distance. Rsultat : il nest pas obligatoire que si on observe un rsultatstatistique remarquable de pouvoir lexpliquer par une proprit individuelle qui se rpte chaque coup. Donc malgr tout lintrt de lexprience on na pas prouv ni lexistence nilinexistence des actions distance, ni limpossibilit ou la possibilit des paramtres cachs.

    En gnral, je ne crois pas beaucoup la vertu du paradoxe. Un paradoxe, pour moi, est unemanire intressante de soulever une question au cours dune discussion. Et le paradoxe EPR estun des nombreux paradoxes quEinstein a propos dans son dialogue avec Bohr, mais il est desplus bizarres. Ceci dit, il y en a dautres aussi tonnants que ce paradoxe, comme le paradoxe duchat de Schrdinger. Mais je pense que cest seulement la notorit moins grande de ce dernierqui a donn son paradoxe un succs mdiatique moins grand.

    Donc quel que soit les aspects positifs de ce paradoxe, je ne suis pas sr quon arrivera un jour le rsoudre. Il peut trs bien arriv que, comme pour dautres paradoxes connus dans le pass, onloublie, parce quun jour on aura trouv une thorie nouvelle qui alimentera la rflexion desphysiciens avec de nouveaux rsultats positifs et des points ngatifs qui seront le nouveau sujetdamusement des physiciens des temps futurs et cette occasion on aura oubli lancienparadoxe sans le rsoudre. Cela peut trs bien arriver et pour ma part je ne crois pas que laphysique en mourra !