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    Georg Lukcs

    Thomas Mann et lhritage littraire .

    Ce texte est la traduction de lessaiThomas Mann ber das literarische Erbe (1936). Il occupe les pages 69 82 du recueilSchicksalswende, Beitrge zueiner neuen deutschen Ideologie[Tournants du destin, Contributions unenouvelle idologie allemande] (Aufbau, Berlin, 1956). Il a t publi en franaisdans le recueilThomas Mann, Franois Maspero, Paris, 1967, pages 157 170,dans une traduction de Paul Laveau.

    Le combat pour lhritage culturel est une des tches idologiques lesplus importantes de lantifascisme en Allemagne. Le national-socialisme utilisa la puissance gouvernementale, le monopole despublications lgales, pour falsifier sans le moindre scrupule tout lepass politique et culturel de lAllemagne. De luniversit jusqulcole primaire, depuis les gros livres savants jusquaux petitesbrochures populaires et grossirement dmagogiques, ce travail defalsification fut men systmatiquement et grande chelle. Ladmagogie de la propagande de masse transforma simplement et sansaucune gne chaque grande figure du pass en prcurseur du national-socialisme. Lignorance la plus criante, le got le plus vil pour lemensonge caractrisent ce genre de littrature, dont nous pouvonsciter comme exemple scolaire le livre de Fabricius sur Schiller. Cettelittrature table sur le fait que les masses, dans leur ensemble, neconnaissent pas les grandes figures du pass et obtempreront ainsisans sourciller la propagande officiellement fasciste.Le type de falsification du pass plus raffin , scientifique estau moins aussi dangereux. cette fin, le national-socialisme avaitmobilis toute la science universitaire et la littrature libre mise aupas. Ce faisant, cette orientation trouva un nombre non ngligeable dechefs de file rellement volontaires qui, ds avant laccession aupouvoir de Hitler, avaient accompli une telle interprtationractionnaire du pass, rpondant aux vises politiques du fascisme. Ilsuffit dvoquer des crivains comme Spengler, Klages, Baeumler,dont les successeurs ralisrent un travail quantitativementconsidrable dans le sens de la falsification plus raffine et plusdissimule du pass. Chez de tels crivains, il ne sagit pas dunerupture brutale avec les traditions de la littrature et de lhistoire

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    littraire des dernires dcennies. Au contraire. Ils se rattachentconsciemment aux thoriciens connus de la priode imprialiste, Dilthey, Gundolf notamment. La falsification du pass allemand setravestit en rhabilitation de ce pass face sa dprciation rationaliste et librale antrieure. Et la tendance ractionnairene se manifeste ouvertement comme calomnie ou comme oublivolontaire que dans quelques cas prcis ; dans des cas o il sagit depersonnages si nettement rvolutionnaires quil est impossible de les interprter de faon ractionnaire (Heine). L o les courants delpoque, la langue, les particularits individuelles de certaines figuresrvolutionnaires permettent, ne serait-ce que dans une faible mesure,une interprtation dans le sens contraire, la critique littrairefasciste oriente trs nergiquement son travail vers lannexion detelles figures, vers leur incorporation la ligne des anctres dufascisme (Thomas Mnzer, Hlderlin, Georg Bchner). Dans cesconditions le livre de Thomas Mann qui traite, dans une srie dessais,de Goethe, Richard Wagner, Cervants, Platen et Storm (Grandeur etsouffrances des matres Berlin 1934) revt une extrme importance.Dautant plus que le livre parut en Allemagne mme, et non enmigration, de sorte que sa diffusion et son influence ne furentlimites par aucun obstacle policier. La matire du livre est elle ausside la plus brlante actualit. Goethe et Wagner surtout sont en effetdes personnages qui jouent un rle capital dans le mythe national-socialiste de la littrature allemande. Une analyse extrieure aufascisme, une analyse antifasciste de telles figures, la rvlation deleur caractre vritable et de leur signification vritable dans lhistoirede la civilisation allemande ont, justement pour cette raison, uneimportance qui dpasse largement le domaine purement littraire.Il nest absolument pas douteux que les essais de Thomas Mann sontantifascistes. ( lexception de ltude consacre Cervants, qui vitle jour en 1934, ils furent toutefois crits avant laccession au pouvoirde Hitler, dans les annes 1932 et 1933.) Laspiration fondamentale detous ces essais est antifasciste : la ligne gnrale de Thomas Mann est,dans ce livre galement, la dfense de lhumanisme contre la barbarie.Les grands personnages du pass ne sont pas grands aux yeux deThomas Mann principalement cause de leur matrise formelle, mais cause de leur prise de position large et rsolue en faveur du maintien

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    et de la continuation des tendances humanistes, cause de leur combatcontre toutes les tentatives de barbarisation. Thomas Mann ne fait pasla moindre concession au courant fasciste dominant qui transformemensongrement le troisime Reich en une poque qui ne serait plusbourgeoise, qui dcouvre partout dans le pass de telles aspirations dpasser lesprit bourgeois (au sens du fascisme). Il fait enparticulier dcouler lhumanisme de Goethe de sa nature bourgeoise,de sa faon de vivre et de son idologie bourgeoises. Et aussi proposdes grands crivains duXIXe sicle quil analyse, il lutte contre lednigrement ractionnaire et fasciste des importantes aspirations etralisations artistiques de la bourgeoisie auXIXe sicle.

    Ce combat pour lhumanisme et contre la barbarie est sans aucundoute un problme idologique central de la lutte antifasciste, etThomas Mann sest acquis un grand mrite en engageant le combatprcisment cet endroit. Lefficacit et la force de persuasion de soncombat pour le sauvetage de lhumanisme sont cependant diminuespar la confusion trs profonde de sa position centrale. Thomas Mannne voit pas le lien indissoluble entre lhumanisme bourgeois et larvolution bourgeoise.

    Lhumanisme bourgeois a vu le jour dans la priode hroque delmancipation de la classe bourgeoise, et, avec lextinction de laflamme de cet enthousiasme rvolutionnaire, lhumanisme bourgeoisdut aussi perdre son clat et sa chaleur. La grande importancehistorique des crits en prose de Heine, de son analyse de laphilosophie et de la religion en Allemagne, consiste prcisment enceci, quil a donn trs clairement et trs rsolument la place centrale ce lien entre lhumanisme et la rvolution.

    Il serait naturellement exagr et injuste daffirmer que Thomas Mannna rien vu de ce rapport. Mais il commet la faute funeste, et trstroitement lie lvolution de lidologie allemande, de nier cerapport pour lAllemagne, pour la littrature allemande. Thomas Mannvoit dans lhumanisme rvolutionnaire de Schiller quelque chose defranais, tandis quil conoit lhumanisme de Goethe commetypiquement allemand. A partir de ce point de vue, Thomas Manntrace alors un parallle entre Goethe et Schiller qui est si importantpour sa conception fondamentale, que nous devons le citer de faondtaille. Cest le caractre de lesprit littraire franais quil

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    [Schiller] transcrit en peu de mots, ce mlange singulier dlanhumanitaire et rvolutionnaire, de foi gnreuse en lhumanit et depessimisme trs profond, trs amer et mme trs sarcastique en ce quiconcerne lhomme pris en particulier. Il dfinit la passion abstraite,politique et humanitaire par opposition au ralisme sensible dont lessympathies vont lindividu. Il est le patriote de lhumanit lesprithumanitaire et rvolutionnaire... Selon Thomas Mann on peut doncappeler Goethe un non-patriote foncirement allemand , Schillertant par contre un patriote international . Il reprsente lidebourgeoise au sens politique, dmocratique, tandis que Goethe lareprsente au sens spirituel, culturel.

    Malgr toutes les fines remarques de dtail que contient ce parallle, iltraduit une ligne dangereuse qui conduit par ncessit objective, etsouvent contre lintention de Thomas Mann, un jugement faux surlvolution culturelle de lAllemagne, car partir de ces postulatsThomas Mann doit aboutir une apologie spirituelle du conservatismede Goethe et, travers cela, dune certaine nuance de conservatismeen gnral. Thomas Mann poursuit ainsi : Goethe dfendait lasocit au sens conservateur qui est inhrent la notion de dfense.On ne peut pas tre apolitique, on ne peut tre quantipolitique, cest--dire conservateur, alors que lesprit de la politique est humanitaire etrvolutionnaire en soi. 1 Il y a donc dans tout cela, dune part, unesous-estimation des lments progressistes dans la conceptiondensemble de Goethe, que Thomas Mann souligne dailleurs dautres endroits avec une inconsquence digne dloges. Dautre partThomas Mann est contraint dapercevoir dans le conservatisme et lenationalisme allemands ultrieurs une excroissance de cettetendance foncirement allemande justifie, de la tendancefondamentale de Goethe ; il se prive donc lui-mme de la possibilitde critiquer dlibrment et bon droit les tendances ractionnaires dela deuxime moiti duXIXe sicle quil distingue assez clairement.Cette conception errone de lvolution allemande auXIXe sicle anaturellement ses racines sociales profondes. La grande poque defloraison de la littrature et de la philosophie allemandes est unepriode de prparation de la rvolution bourgeoise, cest--dire une1 Prsentation de Goethe la jeunesse japonaise, 1932, in Les Matres, Grasset, cahiers

    rouges, Paris, 1997, page 84.

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    priode dans laquelle les conditions objectives de la rvolutionntaient pas encore runies. Le subjectivisme fougueusementimpatient, parfois mme aveugle et dogmatique de quelques-unes desgrandes figures de cette priode nest donc nullement une importationde France, mais au contraire le produit ncessaire de cette situationallemande. Et, faisant pendant cela, les aspirations conservatricesdautres grands personnages de cette priode (en premier lieu Goetheet Hegel) sont des tentatives rptes pour faire adopter par des voiesnon rvolutionnaires le contenu social et culturel de la rvolutionbourgeoise, lhumanisme de cette priode. En classant tout bonnementGoethe parmi les conservateurs, Thomas Mann fait une concessioninconsquente et inadmissible aux idologies rgnantes de son temps.Ces idologies reposent sur la dfaite de la rvolution de 1848, causepar la trahison de classe de la bourgeoisie allemande lgard de sapropre rvolution, ainsi que sur la solution ractionnaire apporte laquestion centrale de la rvolution bourgeoise en Allemagne, savoirltablissement de lunit nationale par la Prusse de Bismarck. Labourgeoisie allemande, qui a approuv lvolution politique delAllemagne aprs 1870, devait de ce fait se crer une idologie qui sespart de plus en plus fortement de lhumanisme rvolutionnaire dela priode prcdant 1848. Ainsi se creuse un profond foss danslvolution culturelle allemande, et les reprsentants les plus rsolusde lhumanisme rvolutionnaire essaient den tirer les consquencessous les formes les plus diverses. Je renvoie seulement un exemple,celui de Heinrich Mann, le frre de Thomas Mann qui, pour resterfidle son radicalisme politique et culturel, a cherch lhritageactuel de lAllemagne dans lvolution littraire de la France, en serattachant aux traditions sociales, politiques et culturelles delvolution allant de Voltaire Zola et Anatole France.Dans sa critique de lidologie allemande rgnante, Thomas Mann neva jamais aussi loin que son frre. Cest pourquoi sa position quantaux questions centrales de lvolution historique, qui dterminent lechoix et lvaluation de lhritage dcisif, est galement plus hsitanteet plus contradictoire que celle de Heinrich Mann. Cette contradictionsexprime directement en ceci que Thomas Mann considre le

    caractre bourgeois des grands crivains duXIXe

    sicle comme lefondement de leur originalit. Mais sa conception justifie et exacte

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    souffre de ce que sa notion de caractre bourgeois est extrmementcontradictoire. Cest un trait important de lhumanisme de ThomasMann quil conoive que la socit bourgeoise puisse ne pas tre laforme dfinitive de lvolution humaine. Il a galement raison de faireressortir chez le Goethe de la vieillesse des traits qui se rencontrentavec certaines aspirations des grands utopistes, et de mettre les effortsde Goethe pour une littrature universelle en rapport avec cesaspirations sociales. Lorsque nous soulignons limportance de cesconceptions de Thomas Mann, nous mettons laccent sur cetteaspiration dpasser lhorizon bourgeois et nous ne considrons pas sinous pouvons tre daccord avec ses analyses quant au fond et lamthode. Citons ce propos un passage important de son livre Dansles thories utopiques techniques et rationnelles, lesprit bourgeoisdbouche sur luniversalisme, dbouche, si lon veut bien prendre leterme en un sens assez large et non dogmatique, sur le communisme...Le bourgeois est perdu et perd le contact avec le monde nouveau enpleine gestation, sil ne se rsout pas se sparer des facilitscriminelles et des idologies hostiles la vie qui le dominent encore,et prendre hardiment le parti de lavenir. Le monde nouveau, lemonde social, le monde organis, centralis et planifi, dans lequellhumanit sera libre des souffrances inhumaines, inutiles et quiblessent le sens de lhonneur de la raison, ce monde viendra... Ilviendra, car il faut quun ordre extrieur et rationnel, correspondant auniveau atteint par lesprit humain, soit cr ou bien que, dans le piredes cas, il stablisse par un bouleversement violent, pour que lesvaleurs de lme puissent alors obtenir nouveau le droit de vivre etune bonne conscience lchelle humaine. Par de telles faons de voir, Thomas Mann reprsente le meilleurhritage de lhumanisme allemand. Malheureusement il ne reste paspartout fidle ces faons de voir. Son jugement sur lvolutiondaprs 1848 et sur les reprsentants principaux de celle-ci le conduit une notion tout fait diffrente de lesprit bourgeois, desconcessions trs scabreuses lidologie ractionnaire de la priodeimprialiste.Mann aperoit trs clairement bien des aspects discutables du

    personnage de Richard Wagner. Mais il ne se rsout nulle part critiquer sans mnagements lattitude de son hros aprs 1848. Il

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    cherche partout non seulement des excuses, mais mme des raisons desublimer la capitulation de Richard Wagner, qui, en 1848, tait unrvolutionnaire et participa aux combats sur les barricades de Dresde,devant le rgime triomphant des Hohenzollern. Wagner taitsuffisamment fin politique pour lier sa cause celle du Reichbismarckien : il voyait un succs sans pareil, il y associa le sien, etlhgmonie europenne de son art est devenu laccessoire culturel delhgmonie politique de Bismarck. Cela semble n tre pour linstant que la constatation de certains faits.Mais Thomas Mann y ajoute malheureusement une thorie de soninvention. Il dit de Wagner : Il a suivi la voie de la bourgeoisie

    allemande ; de la rvolution la dsillusion, au pessimisme et unevie de lesprit rsigne, sous lgide du pouvoir. Cette vie delesprit sous lgide du pouvoir est lessai daccorder lhritageculturel de la priode ascendante de la bourgeoisie allemande avec lergime bismarckien, avec la capitulation devant le rgime bismarckienet ses successeurs. A travers le mot pouvoir , on reconnat dunepart tacitement que la forme donne par Bismarck la fondation duReich Allemand ne rpond ni politiquement ni socialement aux vieuxidaux de la bourgeoisie allemande ; mais dautre part on fait devantcette idologie qui approuve sans rserve la nouvelle re une courbettequi nest pas que terminologique. (Idologie de l tat fort chezTreitschke, dans lcole de Ranke, etc.) La rduction de lhritageculturel cette vie de lesprit toute intrieure caractrise, quant elle, le penchant conserver seulement de lhritage du classicismeallemand ce que lon peut accorder avec lindividu isol, retir de lapolitique, de laction sociale, et donc avec la capitulation de labourgeoisie devant le rgime bismarckien, avec la trahison de labourgeoisie vis--vis de sa propre rvolution bourgeoise.Lapprobation dune telle vie de lesprit sous lgide du pouvoir est le ct faible de toute la conception de la culture chez ThomasMann et cela soppose violemment sa large perspective surlvolution future que nous avons dj analyse. Une telle positionouvre la porte tout compromis avec le pouvoir rgnant quelquepoque que ce soit, toute capitulation devant lui, unrenouvellement prsent de la misre allemande .

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    Naturellement, Thomas Mann a parfaitement raison quand il ne veutpas faire le procs de lvolution de Richard Wagner aprs 1848 enquelques formules sarcastiques et tranchantes, comme bien despartisans fanatiques de Nietzsche ont lhabitude de le faire.Mthodologiquement il ne prend cependant pas le bon chemin quandil tente dexpliquer les faiblesses de lidologie de Wagner la fin desa vie, sa capitulation devant la religion chrtienne et devant lenationalisme des Hohenzollern, par le fait que des lments de pensereligieuse et nationaliste sont perceptibles chez Wagner mme avant1848. Que le Wagner extrmiste en politique et disciple de Feuerbachait encore port en lui, avant la Rvolution de 1848, de forts lmentsdidologie religieuse quil navait pas surmonts, ou bien quil aitaussi glorifi dans son art, en mme temps que la capitulation devantle rgime bismarckien, la religion catholique, cela est en effetfondamentalement diffrent. Que le rvolutionnaire Wagner, mme defaon trs imprcise, ait parl avec des accents patriotiques de laquestion centrale de la rvolution bourgeoise en Allemagne, celle delunit nationale, ou bien que ce patriotisme se soit mis aprs 1870 auservice de la monarchie des Hohenzollern, il y a l galement unediffrence de principe. Cette faon de dfendre une figure historiqueimportante mais tragiquement brise doit ncessairement conduire des valuations thoriquement fausses sur lvolution historiquedensemble, ds que la ligne dune telle dfense est approfondie etgnralise thoriquement, comme malheureusement Thomas Mann lepratique. Pour expliquer Wagner la fin de sa vie, il se fonde sur lefait historiquement incontestable que le thtre et le drame ont uneorigine religieuse. Mais dans son ardeur dfendre Wagner, il sefonde sur le fait historiquement incontestable que le thtre et ledrame ont une origine religieuse. Mais dans son ardeur dfendreWagner, il retourne compltement le sens de lvolution. Il dclare : Je crois que laspiration secrte, lambition dernire de tout thtreest le rite, dont il est issu chez les paens comme chez les chrtiens.Lart scnique, cest dj en soi le baroque, le catholicisme, lglise ;et un artiste qui, comme Wagner, tait habitu manier des symboleset brandir des ostensoirs, devait croire finalement quil tait frre duprtre, et mme prtre.

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    Cette ligne dvolution du drame est sans doute exacte pour Wagnerpersonnellement et pour lvolution de lAllemagne aprs 1848 engnral (Hebbel, Hauptmann, Hofmannsthal, Paul Ernst). Mais latche de Thomas Mann aurait justement d tre de dcouvrir et dedgager les raisons particulires qui ont dtermin cette volution enAllemagne. La gnralisation peu critique de cette ligne dvolutionallemande moderne le conduit des conclusions historiquementfausses, car les deux plus grandes poques du thtre, lpoquegrecque et lpoque shakespearienne, suivent prcisment la voieoppose. Elles vont de leurs origines religieuses et rituellesdirectement lirrligion et mme jusqu la lutte dramatique ouvertecontre les ides religieuses. Et cette tournure antireligieuse napparatpas dans ces grandes poques seulement au terme de lvolution ;mais au contraire, ds ses dbuts, le drame vritable contientfoncirement de telles tendances ; que lon songe seulement auPromthe dEschyle ou Marlowe.De telles objections critiques contre la mthode de jugement et contrela conception de lhistoire de Thomas Mann ne signifient pas que sonintention dtudier avec comprhension et de ne pas rejeter en blocdes figures aussi importantes que Richard Wagner serait fausse. Nousrptons que nous sommes daccord avec cette intention de Mann, quenous la considrons mme comme trs fconde pour lanalyse delhritage culturel. Mais pour raliser cette intention de faon vraimentfconde, il est ncessaire de voir clairement cette situationobjectivement tragique dans laquelle les crivains importants delAllemagne, qui vcurent la Rvolution de 1848 comme gnrationmontante, se trouvrent aprs sa dfaite, aprs la trahison de labourgeoisie allemande lgard de sa propre rvolution. Lhistoire dela littrature allemande de cette priode contient toute une srie detragdies bouleversantes, de tragdies de grands crivains quichourent cause de cette volution, qui, cause de cette cassure,natteignirent jamais les hauteurs dont ils auraient t capables etauxquelles ils auraient t appels si lon en croit leur talent. OutreWagner, je renvoie Hebbel, Otto Ludwig ; Heine, la fin de sa vie,subit aussi certaines modifications, la carrire de Gottfried Keller sentrouve galement modifie. La grandeur de ces personnages nerecevrait lclairage exact que si la critique littraire tudiait ces

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    tragdies, les expliquait partir des conditions objectives et desparticularits subjectives de chaque crivain, cela avec unecomprhension aussi dlicate et une pntration aussi intime quecelles de Thomas Mann quand il dfend le dclin de Wagner. Laconception de la vie de lesprit sous lgide du pouvoir , lideselon laquelle, sur la base du compromis idologique avec lamonarchie des Hohenzollern, une grande littrature (ou une grandephilosophie) serait possible, empche Thomas Mann de dire ici deschoses dcisives, bien quil distingue clairement travers quelquessignes isols les tendances dcadentes de Wagner.Les consquences de cette conception de Thomas Mann pour le

    problme du ralisme sont particulirement importantes quant au jugement sur la littrature elle-mme. Une fois encore, lintention estlouable lorsque Thomas Mann compare constamment Wagner avec lesralistes importants de la deuxime moiti duXIXe sicle, surtout avecZola et Ibsen. Il dpasse ainsi dheureuse faon cette simplificationvulgairement sociologique du problme du ralisme qui prsentait desdangers, en particulier, pour lapprciation de la littrature allemande,une conception qui niait tout ralisme chez tous les personnagesreprsentant des tendances fortement irralistes, voire antiralistes.(Que lon pense surtout au mot dordre bas Schiller , aussi biendans le naturalisme allemand qu une certaine tape de lvolutionthorique en Russie.)Thomas Mann a raison quand il souligne limpossibilit de donner savraie valeur artistique Wagner, mme dans sa vieillesse, sans tenircompte de ces lments ralistes de sa mthode cratrice.Malheureusement, la mise en uvre de cette aspiration juste devient

    chez lui inconsquente un double titre. Dune part il ne sarrte pasaux conditions particulires de lvolution de Zola et dIbsen etnglige ainsi la prdominance plus marque des tendances ralisteschez eux en comparaison avec Wagner. Et cette prdominance plusmarque du ralisme nest naturellement pas quun simple surcrotquantitatif, mais signifie au contraire des mthodes cratricesqualitativement diffrentes. Dautre part la comparaison de ThomasMann sappuie sur les faiblesses, les penchants mystiques et

    symboliques de la mthode cratrice de Zola et Ibsen. Comme ildfend Richard Wagner et ne lanalyse pas en tant que victime

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    tragique des circonstances particulires lAllemagne, ces ctsfaibles et inconsquents du ralisme de Zola, par exemple, lui offrentmomentanment des arguments efficaces, mais qui compliquentencore plus la ligne thorique fondamentale de ses analyses etlamnent tirer des consquences fausses.Il compare Zola et Wagner de la faon suivante : Ce nest passeulement lambition du gigantisme, le got artistique pour legrandiose et le massif qui les rapproche, ce nest pas non plusseulement, au point de vue technique, le leitmotiv homrique, cestavant tout un naturalisme qui atteint au symbolisme et culmine dans lemythe ; car qui pourrait mconnatre dans luvre de Zola le

    symbolisme et le penchant mythique qui lvent ses personnages au-dessus du rel ? Cette Astart du Second Empire appele Nana, nest-elle pas un symbole et un mythe ? Do tire-t-elle son nom ? Cest unson originel, un balbutiement antique et voluptueux de lhumanit;Nana, ctait un surnom de lIshtar de Babylone. Zola la-t-il su ?Mais sil ne la pas su, cest dautant plus remarquable etsignificatif. Cette conception de Thomas Mann nest pas seulement trs

    importante quant la mthodologie de lhistoire littraire, ne lest passeulement quant au jugement sur Wagner et ses contemporains, maisencore comme position de principe de Thomas Mann sur le problmedensemble du ralisme contemporain. Mann tire galement toutes lesconsquences de cette conception en considrant le mythe, la crationet la mise en forme de mythes contemporains, comme un principelgitime et actuel du ralisme contemporain. Il combat lide selonlaquelle le mythe et la psychologie seraient des principes

    incompatibles de la cration raliste et ramne ainsi, sans lexprimerclairement, et mme vraisemblablement sans en tre conscient, lesprincipes de cration du ralisme la psychologie. Sans esprit critiqueil se rallie ainsi dans ses thories cet appauvrissement du ralismemoderne qui devint une tendance dominante dans la deuxime moitidu XIXe sicle.La propension unir le mythe et la psychologie le conduit faire, travers la dfense de la synthse wagnrienne, de larges concessionsaux pseudo-ralistes qui dominent aujourdhui. Il dclare propos delunion de la psychologie et du mythe : On veut nier leur

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    compatibilit. La psychologie apparat comme quelque chose de sirationnel que lon pourrait se rsoudre ny voir par exemple aucunobstacle insurmontable sur le chemin du pays des mythes. Elle passepour loppos du mythe, comme elle passe pour loppos de lamusique, bien que prcisment ce complexe de psychologie, de mytheet de musique se prsente nos yeux aussitt dans deux casimportants, celui de Nietzsche et de Wagner, comme ralitorganique. Ce propos de Mann nest pas une dclaration fortuite, cest ce que lonpeut constater aussi nettement dans ses considrations sur le nouveaucycle romanesque mythique Joseph et ses frres2 que dans son

    activit de critique. Lorsquil juge des contemporains importants, ilsuccombe galement la faiblesse que nous dmes constater dans sonapprciation de Wagner. Dans larticle quil crit pour saluer lesoixante-dixime anniversaire de Gerhart Hauptmann, Thomas Mannsaperoit trs clairement que Hauptmann sest de plus en plus loignde la ligne de critique sociale quil suivit dans sa jeunesse. Mais Mannne constate pas seulement ce fait, il le glorifie en mme temps. Il parlede laspect profondment et lgitimement allemand et potique dans la nature de Hauptmann, qui, malgr tout son rpublicanismedclar et malgr le socialisme naturaliste des "Tisserands" et des"Rats", est plus son aise dans le monde de linfini et du cosmiqueque dans le monde social... Cest pour cela que la critique sociale,telle que la pratiquent dans les pays latins des crivains du rang deHauptmann, dvie chez cet homme au regard quelque peu imprcisvers la mtaphysique et le mythe. Mais, demande Thomas Mann,le germanisme mtaphysique et la profession de foi sociale, est-ce quecela sexclurait par hasard ? Et particulirement chez Hauptmann ? ( Neue Rundschau, novembre 1932).Cependant on a pu voir clairement o cette lgre dviationmtaphysique a conduit. Toutefois ce nest pas lerreur de Manndans le cas de Hauptmann qui est ici dterminante mais son utilisation,malheureusement consquente, de cette conception de lhistoire quiaperoit dj dans la lutte politique passionne de Schiller pour lalibert une tendance franaise , pas authentiquement allemande, et2 Les Histoires de Jacob, le jeune Joseph, Joseph en gypte, Joseph le nourricier .

    Limaginaire Gallimard, Paris, 2001.

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    qui a approuv sans vritable critique lvolution allemande depuis1848, la tournure mythique donne aux problmes sociaux ethistoriques.

    Mais, lorsquil sagit de dfendre les grandes traditions de laphilosophie humaniste et du ralisme littraire contre la barbariefasciste, contre le pseudo-ralisme et lantiralisme dmagogiques desnationaux-socialistes, Thomas Mann se retrouve de la sorte dans uneposition difficile, parfois mme extrmement faible. Car le mythe,surtout sous la forme quil reoit chez Wagner et Nietzsche, estprcisment un des points capitaux de la justification thorique dumythe par les fascistes allemands. Quels que soient la haine et le

    mpris de Thomas Mann pour la fausset et la duplicit, pour labarbarie dcadente du fascisme allemand, il lui est donc impossible, partir de ces points de vue thoriques, de combattre efficacement lespoints capitaux de la barbarie culturelle du fascisme. Pour toutes lesquestions politiques, culturelles et littraires essentielles, il sopposersolument au fascisme ; mais sa conception de lhistoire et lesconsquences de celle-ci pour sa conception des mthodes ralistes decration rduisent normment la force de sa polmique.

    Cela sexprima clairement dans les discussions sur Joseph et ses frres,le roman de Thomas Mann qualifi de mystique. La critique fascisteflaira avec un instinct sr les contradictions du fond et tenta derabaisser autant que possible la nouvelle uvre de Thomas Mann.Cependant, les dfenseurs de Mann se retrouvrent par force dans uneposition thoriquement fausse, car ils furent contraints dopposer le mythe de Mann aux mythes fascistes, au lieu de dmasquer sansmnagements le caractre mensonger de toute la conception fasciste

    du mythe. Un de ces critiques, E.H Gast, souligne ainsi que lescritiques des fascistes montrent quel point la rencontre avec levieux mythe drange les inventeurs du nouveau, du "mythe duvingtime sicle". Et il conclut dans sa comparaison du mythe deMann avec celui des fascistes, quil y a entre eux les mmes rapportsquentre la mentalit ou "lopinion" et linspiration, quentre ce qui estfabriqu et ce qui est cr . ( Die Sammlung, Amsterdam, janvier1934.) Gast oppose donc dune faon trs clectique au bon mythe

    de Mann le mauvais mythe de Rosenberg.

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    Dans cette position thoriquement faible de ses dfenseurs, laresponsabilit de Thomas Mann lui-mme nest pas entirement nulle.La ligne dvolution de la littrature allemande, quil trace dans celivre, va de Goethe Wagner et Nietzsche en passant parSchopenhauer. Et Nietzsche devient ainsi pour Thomas Mann, malgrles critiques de dtail, le thoricien principal de lvolution rcente.Tant quil sagit l dune constatation des faits jalonnant lvolutionde la littrature et de la philosophie bourgeoises en Allemagne,Thomas Mann a raison. Nietzsche est effectivement le penseur etlcrivain le plus influent des dernires dcennies en Allemagne. Laquestion est alors de savoir dans quelle direction linfluence deNietzsche se fait sentir, qui sont les continuateurs consquents etlgitimes de son uvre. Il nest pas question ici du niveau intellectuelou des capacits stylistiques de Nietzsche. Que lon ne peut rgler lecas de Nietzsche dun geste de la main ou bien en quelques phrases,cest ce que jai moi-mme essay de montrer ( Nietzsche comme prcurseur de lesthtique fasciste, contribution lhistoire delesthtique, dit par Aufbau-Verlag). Mais jai galement montrque le point central de la philosophie nietzschenne est la justificationphilosophique de cette barbarisation qui devint, lpoque dufascisme, une terrible ralit politique et culturelle. La possession delhritage classique par Nietzsche ne lui servit qu barbariser cethritage grce de puissants moyens intellectuels, qu couperradicalement les ponts entre lhumanisme rvolutionnaire de lapriode classique de lvolution humaine et lidologie imprialiste.Lorsque Thomas Mann cherche chez Nietzsche un support thoriquepour ses aspirations humanistes, pour sa lutte contre la barbariefasciste, il se tourne donc vers une source o il ne pourra trouver riendefficace pour les buts quil poursuit. Quant lesprit, la culture, autalent, au discernement et lhonntet, Thomas Mann est cent piedsau-dessus de toute idologie fasciste, mais de Nietzsche on pourratoujours tirer plus logiquement des consquences fascistesquantifascistes.Cest un trait particulier intressant et significatif de Thomas Mannque son volution saccomplisse sans -coups sous la forme dunecroissance organique. Nous devons cette particularit ses uvresralistes importantes. Mais une fois dj cette particularit la entran

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    GEORGLUKCS: THOMASMANN ET LHRITAGE LITTRAIRE.

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    idologiquement dans une situation dangereuse lorsque, lpoque dela guerre mondiale, cette lente croissance organique ne put suivre lerythme de lvolution tumultueuse de lhistoire, et que Thomas Mannne retrouva le contact avec les courants dmocratiques de son tempsquavec un certain retard. Il nous semble que lvolution de ThomasMann est, aujourdhui encore, menace par un danger semblable. Ledpassement de ces lments dexprience et de connaissance, quiproviennent dun pass plus ancien, saccomplit chez lui trslentement, parfois un rythme organique pratiquement vgtal. Il tireles consquences de la nouvelle situation mondiale beaucoup pluslentement sur le plan idologique et critique que dans le domainepolitique et dans celui de la cration. Des signes dune telletransformation, dune telle refonte, sont certes galement contenusdans ce livre. Nous avons cit prcdemment le passage intressantsur le dveloppement de lhumanisme bourgeois au- del des mursbourgeoises. Et dans son essai sur Cervants, crit aprs laccession aupouvoir de Hitler, nous trouvons dj un indice que Thomas Manncommence prendre, en particulier lgard de Nietzsche, uneposition plus critique quil ne lavait fait jusque-l. A la fin de lessai,il compare Nietzsche Don Quichotte, et cette comparaison pourrait loccasion conduire Thomas Mann rviser toute son attitude vis--vis de Nietzsche et, en rapport avec cela, vis--vis des problmes delvolution allemande auXIXe sicle. Dans lessai lui-mme, cettecomparaison nest quun aperu. Mais prcisment lvolutionorganique de Thomas Mann peut donner au lecteur lespoir quil nenrestera pas cet aperu.Il est comprhensible, et mme presque invitable, que le combatantifasciste des humanistes bourgeois importants se soit dabordpresque toujours limit une attaque contre lactivit politiqueimmdiate des nationaux-socialistes. La barbarie hitlrienne tait siinoue, quen comparaison avec elle toute tape passe de lvolutionallemande apparaissait comme une poque hautement civilise, quelon croyait pouvoir dceler dans le fascisme la rupture radicale avectout pass allemand. Mais un jour ou lautre les penseurs importantsdu mouvement antifasciste ne se contentent plus de sarrter lasurface immdiate des manifestations du fascisme. Cette dernireattitude nest en effet quune adaptation culturelle de la conception qui

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    voit dans le Troisime Reich la domination sur la bourgeoisie et lestravailleurs dune couche barbare et brutale de petits-bourgeois entreen fureur Mais ds que le caractre capitaliste et monopoliste dunational-socialisme se rvle aux antifascistes honntes et clairvoyants,alors souvre pour eux aussi sur le plan culturel la voie permettant dese faire une ide exacte des rapports entre le fascisme et les tendancesractionnaires du pass.Ce processus a dbut ces dernires annes. Cest pourquoi le grandmouvement antifasciste international commence se lancer dans lacritique de la culture capitaliste en gnral, de la culture de la priodeimprialiste en particulier. Ce faisant, on prend dj parfois une

    position plus critique justement lgard de ces penseurs que lonrvra autrefois aveuglment, chez lesquels on commence maintenant apercevoir les tendances ractionnaires et celles conduisant aufascisme. Dsormais les reprsentants les plus minents du frontantifasciste se soumettent ce processus difficile et compliqu de larvision de leur propre bagage idologique. Parmi eux, Thomas Mann.Que chez lui aussi la position tranche quant aux questionsdirectement politiques prcde la rvision du pass au point de vuephilosophique et historique, voil qui ne doit pas surprendre. On doitau contraire y voir une saine possibilit dvolution. Car seule laposition cratrice juste vis--vis du prsent peut permettre decomprendre galement de faon juste les tenants et aboutissants dupass.Les crits de Thomas Mann comments ici doivent eux aussi treconsidrs comme produits dune telle transition. Lorsque nouscomparons leur mthode et leurs rsultats aux dclarations politiques

    isoles et beaucoup plus avances de leur auteur, nous nen oublionspas pour autant que la plus grande partie de ces essais ft crite avantla prise du pouvoir par Hitler et que Thomas Mann a parcouru depuisun long chemin. Nous souhaitons seulement, dans lintrt delefficacit du combat antifasciste, dans lintrt de la cultureallemande, que Thomas Mann puisse lui aussi prendre de plus en plusconscience de ce dcalage, que cette cohsion organique si belle detoutes les ides, qui est la sienne, puisse se parfaire en salignant sur

    ses points de vue les plus avancs.1936.