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Geneviève Thibault CARACTÉRISTIQUES D'UN PÈLERINAGE ANDIN : LE CAS D'OTUZCO. PÉROU Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'université Laval pour l'obtention du grade de maître ès arts ( M.A.) Département de Sociologie Faculté des Sciences Sociales Université Laval NOVEMBRE 1997 @ Geneviève Thibault, 1997

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Geneviève Thibault

CARACTÉRISTIQUES D'UN PÈLERINAGE ANDIN : LE CAS D'OTUZCO. PÉROU

Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures

de l'université Laval pour l'obtention du grade de maître ès arts ( M.A.)

Département de Sociologie Faculté des Sciences Sociales

Université Laval

NOVEMBRE 1997

@ Geneviève Thibault, 1997

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À ma famille,

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Les caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent

leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca.

Le pèlerinage dYOtuzco est un bon exemple de ce syncrétisme

religieux. Pour étudier ce phénomène religieux, je soulignerai d'abord

les éléments principaux du pèlerinage selon la théorie d'Alphonse

Dupront, un des auteurs importants dans le domaine. Ensuite,

j'exposerai un tableau latino-américain et andin des particularités du

pèlerinage dans cette région du monde.

Dans un deuxième temps, je trace l'historique de l'endroit et du .- - 4

cuite ainsi que la symbolique des groupes qui participent à la fête

pèlerine de la Vierge de la Porte. Je passerai ensuite à l'observation

proprement dite du pèlerinage et de la fête qui l'accompagne.

Finalement, j'analyse le pèlerinage d90tuzco à l'aide des lignes

directrices de Dupront.

En conclusion, j'explique comment le mélange culturel observé à

Otuzco est significatif et je démontrerai certains liens qui peuvent être

faits entre les deux cultures. En dernier lieu, je situe le pèlerinage

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d'Otuzco parmi la panoplie de pèlerinages latino-américains, andins et européens.

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Plusieurs personnes sont pour quelque chose dans

l'aboutissement de ce mémoire de maWise. J'aimerais remercier

chaleureusement quelques personnes en particulier. Tout d'abord, le

professeur Jacques Zylberberg qui a su diriger les corrections de ce

mémoire avec respect et attention. Également, le professeur Denise

Veillette qui m'a encouragé et aidé dans cette longue entreprise.

J'aimerais remercier tout spécialement la famille Chacon et

Sandoval de Trujillo ainsi que la famille Mas Maldonado dYOtuzco.

Sans ces deux familles, ma compréhension du sujet n'aurait pu me

permettre de compléter ce mémoire. Je les remercie pour avoir

grandement facilité ma recherche sur le terrain et surtout pour avoir

partagé avec tant de générosité leur amour de la Vierge de la porte, de

leur culture, de leur folklore et de leur patrie.

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TABLE DES MATIÈRES

Résumé

Remerciements

Table des matières

Index des mots

Liste des cartes

Liste des photos

Liste des figures

Avant-propos

XI

xvi

xvi i

xviii

xix

INTRODUCTION GÉNÉRALE: Pourquoi choisir le pèlerinage de la ................................................................ Vierge de la Porte. ..1

....................................................... Objet d'étude. 1 .

............................................................ Méthode.. .5

1. ÉLÉMENTS POUR UNE ANALYSE THÉORIQUE DU ....................................................................... PELERINAGE. -8

1.1. Non-différenciation entre sacré et profane ........... 8

1.2. Immanence du divin ................... .I......m...........I 0

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1.3. Culture panique ............................................. 11

1.4. Culture de masse ........................................... 13

1.5. Le besoin de pèlerinage .......................m........... 15

1.6. La thérapie anti-débordement de Dupront .......... 24

.......... . 2 LES PÈLERINAGES LATIN0 AMERICAINS ET ANDINS 30

2.1. Le religieux inca ....................~.............m......... 30

2.2. Les pèlerinages latino-américains .................... 33

2.3. Principales caractéristiques des pèlerinages andins ....................m..........................mm........ 42

2.4. Le début du culte marial en Amérique ............. 50

2.5. Comparaison entre la théorie de Dupront et celle ............. des spécialistes de l'Amérique latine 52

3 . LE PROFIL LOCAL DU PÈLERINAGE D'OTUZCO ................ 56

........ 3.1. Historique du culte à la Vierge de la Porte 56

3.2. Historique d'Otuzco ....................m.................. 64

................... 4 . LA FÊTE PELERINE ..... ..................m..... ..6 7

4.1. Organisation de la fête .....................m............ 68

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6 . CONCLUSION : LE PÈLERINAGE D'OTUZCO: UN PHÉNOMÈNE CULTUREL REPRÉSENTATIF .............. ...w......a~....mm.~....~am . . IO2

...... Un melange de mode et de culture traditionnelle 102

La fonction thérapeutique en Occident et au Pérou ... 105

La place dYOtuzco par rapport aux pglerinages andins. latino-am6ricains et européens ............................... 110

Index des auteurs ....................m............................................ 113

Bibliographie ....................................................................... 114

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INDEX

Bandas : Groupe musicaux de type fanfare; ils sont en compétition durant le pèlerinage dYOtuzco.

Balada : Littéralement ''descente". Pour le cas d'Otuzco, bajada signifie le jour de la descente de la Vierge vers le peuple.

Caserios: Unité plus petite que le village comprenant généralement trois ou quatre familles.

Castillo : Château, en français, est utilisé pour désigner un montage de quelques centaines de cuetes. Une fois terminé, le produit final ressemble à un château illumine et en mouvement puisque certaines parties du montage tournent ou s'envoient.

Cajamarca : Ville de quelques milliers d'habitants située à environ 6 heures de route à l'Est d'Otuzco. C'est à cet endroit que Pizarro fit exécuter Atahualpa.

Couete : Petit pétard fait maison dont on se sert pour faire du bruit lors des fêtes. On peut aussi en rassembler plusieurs sans qu'il y ait du bruit, tout simplement pour illuminer un castillo ou un coin de la ville.

Cusco : Ancienne capitale de l'empire inca situé au sud-est du Pérou.

Hermandad : Littéralement "fraternité". Groupe de paroissiens réélus taus les deux ans qui s'occupent d'organiser les différentes fêtes, de mettre en valeur la Vierge de la porte et qui est chargé d'administrer

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ses biens. Ils allègent en quelque sorte la tâche du prêtre tout en travaillant en collaboration avec lui.

Huanchaco : Village situé sur la côte à environ 5 km au nord de Trujillo.

Huayno : Danse autochtone qui utilise beaucoup de zapateo et qui est originaire de la partie centrale des Andes péruviennes, soit le département de Huancayo. Elle est donc populaire à Otuzco qui n'est qu'à environ huit ou dix heures au nord.

Imago : Pour Dupront, l'imago est l'image sacrée, l'image du sacré qui devient sacré par ce qu'il représente.

Kjarkas : Groupe bolivien très populaire surtout au Pérou et en Bolivie et qui a la particularité de chanter des thèmes folkloriques et de les rendre accessibles entre autre, par des arrangements musicaux radiophoniques.

Locus sacral : Littéralement lieu sacré. Terme utilisé par Dupront signifiant l'endroit marqué par le sacré. Souvent l'endroit ou le sacré s'est manifesté au tout début. L'endroit qui est aussi le but du pèlerin.

Marinera : Danse originaire de la côte et d'inspiration nettement espagnole.

Mochica : Groupe précolombien du nord péruvien.

Puno : Ville importante du sud-est péruvien situé sur les bords du lac Titicaca. Elle est également une référence culturelle pour les populations quechua et ayrnara.

Sayas : Danse folklorique issue de la jungle bolivienne et qui, grâce aux Kjarkas, est devenue nouvellement populaire un peu partout dans les Andes péruviennes et boliviennes.

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Subida : Mot espagnol qui signifie montée. Le jour de la montée veut aussi dire pour Otuzco que la fête tire à sa fin puisque la Vierge de la porte retourne tout au haut de l'église.

Syncrétisme religieux : Mélange de plusieurs éléments de religions différentes.

Zapateo : Mouvement saccadé du pied qui frappe par terre. L'enchaînement de ces coups de pied est appelé zapateo.

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Liste des cartes

Carte no. 1 :Situation géographique d'otuzco.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . P-2

Carte no. :Carte du département de La Libertad ....... .... .. .... p.3

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Liste des photos

Photo no . 1 p :La Vierge durant la procession .......... ... ...... p.57

............. Photo no . 2 :La descente de la Vierge vers le peuple P-77

Photo no . 3 :La danse des gitans ....................................... p.81

.......................................... Photo no.4 :Le défile des noirs p.84

................ Photo no.5 :La pharmacie de la Vierge de la Porte p.94

Photo no . 6 :Prières sur la Place d'armes ........................... p.100

............................. Photo no.7 :Tambour et flûte ..............p. 1 03

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Liste des figures

Figure n0.1. Relation entre le sentiment d'appartenance et le . . .......................................................................... religieux.. .p. 1 9

Figure no. 2 :Situation de la religion populaire par rapport à la culture et .............................................. à la religion institutionnalisée.. .p.21

Figure no. 3 :Production de sens et de normes par le pèlerinage: ....................................... véhicule de croyance et de culture.. .p.22

................. Figure no. 4 :Mouvement de la sucialité vers le sacré. p.23

............................ Figure no. 5 :Thérapie anti-débordement.. ....p. 25

Figure no. 6 :Production de sens par la réorganisation de la .............................................................................. réalité. p -28

.. Figure no. 7 :Le pèlerinage par rapport au profane et au sacré.. .p.39

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Avant-propos

Lors d'un premier voyage en Amérique Latine en 1991, mon

attention a été immédiatement attirée vers la dualité de la culture à la

fois si proche et si loin de la nôtre. Mon premier contact avec

"l'Extrême Occident" a été pour moi un éveil en même temps que le

début d'une orientation scolaire. En effet, à la suite de mon premier

voyage, j'ai complété mon baccalauréat en science politique en me

spécialisant sur l'Amérique Latine. Cependant, à la fin du baccalauréat,

j'ai senti qu'il y en avais encore trop à apprendre. J'ai donc décidé

d'élargir mon champ d'étude en optant pour la sociologie et en

continuant à la maîtrise.

Par conséquent, je suis entrée au département de sociologie

avec une bonne formation académique acquise durant ces trois

années universitaires à travailler sur différents sujets touchant

l'Amérique Latine. J'avais également une expérience personnelle

importante vu mes quatre voyages au sud du Rio Grande. Au début de

la maîtrise en 1995, j'avais déjà visité le Mexique centrai, le

Guatemala, le Saivador, le Honduras, la République Dominicaine et le

Pérou. Lors de mon avant-dernier voyage au Pérou en décembre 1 994

et janvier 1995, je voyais donc les choses tout autrement. Je m'arrêtais

davantage aux liens et aux conclusions possibles qu'aux détails qui

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m'avaient d'abord frappés. Bref, je me suis sentie prête à entreprendre

un travail de longue haleine et plus précis sur cette région du monde

qui me passionne tant : l'Amérique Latine.

J'ai toujours été intéressée par la manière dont les cultures se

rencontrent, s'entremêlent, coexistent, souvent même jusqu'à former

une nouvelle culture. Au Pérou, ce phénomène est particulièrement

remarquable. Le pays étant très diversifié au niveau géographique, il

est étonnant de voir des cultures si différentes coexister dans le même

pays. Tout au long de ce mémoire, je laisserai volontairement de côté,

la culture des noirs péruviens de la côte ainsi que celle des habitants

de la jungle pour me concentrer sur la culture andine et ses influence

métisses.

Le folklore est aussi une véritable passion pour moi. J'ai donc

choisi la religion populaire comme champ d'étude puisqu'elle couvre

une si grande variété d'expressions folkloriques. De plus, il est

particulièrement intéressant d'observer le mélange des cultures à

travers les rites religieux.

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INTRODUCTlON : Pourquoi choisir le pèlerinage de la Vierge de la

Porte

Derrière le choix de ce pèlerinage, il existe plusieurs raisons.

Évidemment l'intérêt mais surtout la surprise qu'une si grande et belle

région ne soit pratiquement pas connue du reste du monde. Je tente

donc d'expliquer ces raisons dans les quelques lignes qui suivent.

Cette partie permettra également au lecteur de situer le sujet dans un

cadre géographique, culturel et social.

Objet d'étude

Le Pérou est le troisième pays d'Amérique latine avec le

plus grand nombre de lieux de pèlerinages, soit 106, après le Brésil et

ses 121 sites, et, finalement, le Mexique avec le plus grand nombre de

sites, soit 223.

La religion populaire étant si forte au Pérou, il semblait évident

que ce domaine représentait un enjeu important et devenait par le fait

même, un terrain de recherche très intéressant. À l'intérieur de la

religion populaire, j'ai choisi de travailler sur les pèlerinages parce qu'ils

représentent pour moi l'apogée de la religion populaire, également

pour le côte irrationnel des pratiques qui la composent. Je parle bien

sur du pèlerinage au sens large, c'est à dire accompagné de la fête et

de la procession, sans quoi le pèlerinage ne serait pas complet.

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Le pèlerinage en Amérique latine occupe une place très

importante au sein de la culture. II existe au moins un site de

pèlerinage dans chaque région. Le locus sacral représente, comme

nous le verrons plus tard, le centre de la vie religieuse de ces régions.

Le pèlerinage devient donc un élément incontournable dans la

compréhension de la culture latino-américaine.

Carte no.1

Carte géophysique du Pérou.

Sociedad geografica de Lima

2

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Le pèlerinage que j'ai choisi d'étudier a lieu en décembre de

chaque année, la ville d'Otuzco située dans le département de La

Libertad qui lui, est situé au nord du Pérou et couvre une partie de la

région de la côte et une partie des Andes. Évidemment, au fil de ma

recherche, il m'a semble impératif de considérer l'histoire de ce

morceau du nord péruvien, ainsi que l'histoire du culte que l'on voue à

la précieuse Vierge de la Porte. J'ai choisi ce coin de pays pour

plusieurs raisons.

Carte no.2.

Carte politique du département de La Libertad.

Sociedad geografica de Lima.

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Premièrement, Otuzco est très peu touristique. Mis à part les

jours de fête, cette bourgade reste tranquille et peu connue. Elle est

située dans les Andes, à environ 2600 m. au-dessus du niveau de la

mer et à 75 km à l'est de Trujillo. Sa situation géographique favorise

les contacts entre les autochtones et les métis. D'ailleurs, Otuzco est

un bon exemple de la situation culturelle des villes andines du nord du

Pérou. C'est-à-dire une ville où domine la culture autochtone mais

avec un degré de métissage élevé et de fortes influences de la côte.

On y parle espagnol mais le quechua y est également répandu.

La raison principale qui a fait arrêter mon choix sur Otuzco est le

culte impressionnant que l'on voue à la Vierge de la Porte et qui

culmine durant le pèlerinage de décembre. On vient de très loin pour

rendre hommage à la Vierge mais surtout pour lui demander des

faveurs. Lors de mon premier passage en 1994, je ne pouvais décoder

la gestuelle compliquée des pèlerins. ce qui a vraiment piqué ma

curiosité. Je voyais tous les rites et autres symboliques sans toutefois

en comprendre le sens. Un autre élément qui m'a impressionné est la

façon dont les gens perçoivent la Vierge, c'est-à-dire comme étant tout

à fait vivante et faisant partie de la vie et du peuple.

Au fur et à mesure que je complétais mes lectures, je n'ai pu

m'empêcher de remarquer un élément qui s'est confinné lors de ma

recherche sur le terrain. Cet élément c'est la force avec laquelle la

religion populaire existe par les croyants et pour les croyants. De plus,

elle constitue un ensemble qui touche plusieurs sphères de la vie. Elle

comble particulièrement le manque de sens crée par la routine et la

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monotonie qu'apporte la vie quotidienne. En plus de donner un sens à

la vie, la religion se doit de donner un sens aux pratiques qu'elle sous-

entend. C'est précisément ce premier niveau de sens qui sera l'objet

de la présente étude.

Le besoin de cadrer les non-sens de la vie quotidienne dans une

logique qui leur donne du sens est si fortement comblé par la religion

populaire, particulièrement par le pèlerinage, qu'il me semble impératif

d'expliquer le lien qui existe entre le pèlerinage et la production de

sens pour les croyants. Cet aspect de la religion populaire me paraît

fascinant puisque le questionnement sur le sens de la vie représente

un des questionnement fondamental pour nous qui sommes mortels.

D'un autre côté, dans notre univers de sédentaire, le pèlerinage peut

nous sembler absurde. C'est pourquoi, il est impératif de donner un

sens à ce geste qui semble illogique.

Méthode

Pour la partie théorique de ce mémoire, je débuterai par les

grandes lignes de la pensée d'Alphonse Dupront, cet auteur important

en ce qui concerne la religion populaire, et plus particulièrement, les

pèlerinages. Je dégagerai dans ce chapitre, les grandes lignes qui

constitueront la base du cadre théorique que j'utiliserai lors de l'analyse

du pèlerinage dlOtuzco. J'ai tenu à souligner également certaines

notions de Dupront qui m'ont paru importantes. La première est la

notion de besoin et la seconde, la thérapie anti-débordement. Je

terminerai ce chapitre par une confrontation entre la théorie de Dupront

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et celle développée par les spécialistes de la région des Andes.

Ensuite, au deuxième chapitre, je ferai un résumé des études qui ont

été menées sur les pèlerinages latino-américains et andins, pour en

dégager les caractéristiques principales.

Au troisième chapitre, nous verrons le côté historique du culte et

de l'endroit ou il a lieu; la petite ville d'otuzco. Je soulignerai ensuite

les caractéristiques de la fête proprement dite puis au chapitre cinq,

j'appliquerai le cadre d'analyse de Dupront sur les données recueillies

sur le terrain. Nous verrons en conclusion les raisons pour lesquelles le

pèlerinage est une institution signifiante. Nous verrons également le

lien qui peut être fait entre te guérisseur et le saint qui guérit.

Finalement, je situerai le pèlerinage dYOtuzco par rapport aux autres

pèlerinages andins et européens.

Bien entendu, pour réaliser ce mémoire, mes références ont été

nombreuses. Les lectures et les travaux que j'ai fais tout au long de

mon baccalauréat ainsi que mes voyages dans ce coin de planète ont

été pour moi une base solide de connaissances et de références. 1

L'oeuvre qui aura marqué le plus mon mémoire est certainement

celle de Dupront, plus particulièrement son livre Du sacré qui traite tout

spécialement de religion populaire et des pèlerinages sous un aspect

socioculturel et théorique entrecoupé de questionnements et de

confrontations nécessaires. Cet auteur m'a fait comprendre

' Entre autres, le premier voyage que j'ai fait à Ohizco, en décembre 1994, m'a beaucoup s w i e pour sûisir k cuiture et me faire des contaas. Lors du deuxième voyage en 1996, j'ai doncété en menire d'approfondir mon sujet

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l'importance de la notion de besoin; surtout du besoin de sens.

L'oeuvre de N.Ross Crumrine et dYAlan Morinis, Pilgn'age in Latin

Arne-, ainsi que l'oeuvre de Michael Sallnow, Pilgrims of the Andes.

ont été très précieuses pour moi puisqu'elles touchent la région latino-

américaine et andine plus particulièrement. Elles constituent entre

autres, la base du chapitre qui va suivre.

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CHAPITRE 1.

ÉLÉMENTS POUR UNE ANALYSE THÉORIQUE DU PÈLERINAGE

Comme son nom l'indique, nous verrons dans ce chapitre, tous

les éléments nécessaires à l'analyse du pèlerinage d'Otuzco. Nous

aborderons les caractéristiques du pèlerinage selon Dupront (Dupront;

1987,461-66). Ensuite nous verrons la notion de besoin de sens et la

construction de sens produite par le pèlerinage. Finalement, nous

examinerons la notion de thérapie anti-débordement élaborée par

Dupront, puisqu'elle est essentielle à la santé 9, et au bon

fonctionnement de la religion populaire et du pèlerinage. Passons

d'abord à la première des quatre caractéristiques du pèlerinage.

1.1. La nomdifférenciation entre le sacré et le profane.

Dupront traite beaucoup dans son ouvrage Du sacré, de la notion

d'images sacrales. II explique comment ces images donnent la force

au pèlerin pour affronter le pèlerinage et l'espace. II explique

également comment la société se crée des supports pouvant s'adapter

à différentes situations et à partir desquels on fait des associations et

des liens de représentations qui reposent sur ces supports: en

l'occurrence, les images des saints thérapeutes >a. En somme, il

existe dans l'image sacrée, une puissance, une crédibilité qui

nourrissent la ferveur religieuse de façon certaine.

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L'image permet également de se rapprocher des puissances

sacrées et surnaturelles, d'en prendre conscience, bref de faciliter le

lien entre la réalité terrestre et divine. Cependant, il existe une certaine

ambivalence autour de l'image sacrale. D'une part, parce que I'image

est tout à fait réelle, palpable et passive, toujours disponible et d'autre

part, parce qu'elle est une image sainte et sacrée donc hors du

commun des mortels.

Autour de I'image religieuse se tissent aussi des liens

organiques. Entre autres, la liaison de vie entre le corps saint et

I'image comme si les deux naissaient de la même source. Elle est

aussi la preuve et la promesse qu'il existe une vie après la mort

puisqu'un saint thérapeute est considéré comme un être vivant dans

l'au-delà. II est déjà mort mais il vit toujours puisqu'il accorde des

faveurs à ceux et celles qui croient en lui ou elle. L'image sacrée

comble un besoin. Elle est source d'émotion, d'exaltation et de piété,

voire de vénération.

Dupront soutient que, dans le cadre institutionnel d'une religion

commune, un vécu religieux différent de la part de certains groupes

peut s'entremêler jusqu'au point de ne constituer qu'un seul culte

composé de deux racines. On parle alors de syncrétisme religieux tel

que vu par les spécialistes de l'Amérique latine. ( Sallnow : 1987,

Cnimrine et Morinis : 1991)

Par contre, même si ['Église catholique inflexible d'Europe ne

faisait aucun compromis au sujet des rites et croyances canoniques,

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l'Église catholique d'Amérique se dissociait de cette pensée en

favorisant parfois le syncrétisme religieux dans la mesure où il pouvait

être inséré dans la structure institutionnelle.

Si I'on considère l'importance accordée par la chrétienté et

Dupront à l'image sacré et si I'on considère l'importance accordée par

les spécialistes des Andes, nous sommes en mesure de constater que

le syncrétisme religieux dans cette région semble bien accepté. En

somme, en tant que résultat de syncrétisme religieux andin, le lieu et

I'image représentent tous deux le sacré.'Si I'on considère que l'image

est sacrée parce qu'elle est plus près de la chrétienté et que le lieu

sacré est un élément profane puisqu'il s'éloigne de la chrétienté, il est

donc tout à fait vrai que le sacré et le profane ne font aucune

différence pour la population andine. Comme le mentionne Sallnow,

(Sallnow : 1987, p. 51,52,70) plusieurs prêtres ont accepté des

éléments des cultes précolombiens dans le cadre de la religion

catholique. La question est maintenant de savoir où commence le

sacré et où commence le profane.

1.2. Immanence du divin

Les rites et les symboles, dont nous parlerons plus tard, sont

omniprésents dans la religion populaire et dans le pèlerinage. Tout

comme le divin, ils sont immanents et ils envahissent le locus sacral,

surtout au moment des célébrations. Pour la région des Andes, le divin

' La Iégitimité du sacré provenant du lieu est davantage une caractéristiqye d'origine autochtone et provenant de i'image, eiie est une caractéristique d'origine européenne.

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est parfois sacré, parfois profane, mais il demeure toujours divin aux

yeux de la population.

II ne peut y avoir de pèlerinage sans un lieu considéré comme

sacré où le divin semble omniprésent. L'équilibre des forces terrestres

qui émane à cet endroit est une évidence du sacré. L'histoire et le

temps se rencontrent donc dans le lieu sacré par l'entremise des

pèlerins dans une sorte de résultat suprême: la certitude de

l'immanence du divin en ce lieu précis.

1.3. La culture panique

Dupront définit la culture panique en lui attribuant deux

composantes essentielles. La première est la participation quasi

païenne à toutes les forces du cosmique. La deuxième est la

conscience ou la subconscience de l'unité de l'univers (Dupront ;1987,

462).

La culture panique est l'élément le plus intéressant ou du moins

le plus spectaculaire des quatre caractéristiques du pèlerinage selon

Dupront. Le différencie panique représente tout élément qui entre dans

la sphère du panique c'est-à-dire de la culture en son sens spirituel,

abstrait, ép hémere, exalté, primaire et instable. D'après lui, les deux

caractéristiques essentielles du pèlerinage sont l'éphémère t le

différencié panique. Le panique est cette folie dont I'humain est

capable lorsqu'il est en groupe. Ce deraisonnement accompagné d'un

soupçon de raison nécessaire à la vie quotidienne. Pour que la culture

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panique puisse exister, la thérapie anti-débordement est absolument

nécessaire. De toute façon, elle est automatique à tout mouvement de

culture panique; comme un réflexe de survie et de saine raison.

En somme, plus la population est satisfaite du sens que donne le

pèlerinage, de la faveur accordée et du bien-être général que lui

apporte le lieu sacré, plus elle est prête à des sacrifices. Plus

l'immanence du divin est présente, plus les fidèles sont portés à se

rapprocher du sacré. Nous pouvons voir ce mouvement comme une

spirale, un mouvement d'enchaînement: "Dans sa pulsion

fondamentale, la société pèlerine est une société d'assouvissement

festif ... plus elle se libère, plus elle est portée encore à se sacraliser - 2 3

( Dupront :1987,409 )

La satisfaction apportée par le côté strictement pèlerin est

augmentée par la fête. L'assouvissement festif est synonyme de

sentiment de liberté acquis par la fête. En d'autres mots, plus la

société se rapproche du profane en se libérant et en se rapprochant de

l'enfant qui se trouve en eux par la fête, plus la croyance et le degré de

participation augmentent. En fait, leur croyance augmente au même

rythme que le degré de satisfaction atteint par le pèlerinage, la

procession et la fête. Voilà un bon sujet de réflexion, vaut-il mieux

privilégier la fidélité à une religion ou la forte croyance au prix de

s'éloigner des doctrines de départ ?

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1.4. Culture de masse

... la religion populaire.. . est l'expression privilégiée des

fondements, des besoins, des latences d'une culture ( Dupront , 1987 :

420).

Selon Dupront, la masse religieuse représente une force

anarchique en mal d'âme commune (Dupront ;1987, 462). La culture

de masse est essentielle à la réussite du pèlerinage. Le pèlerinage,

surtout si on I'additionne à la fête qui l'accompagne généralement, est

à mon avis l'expression la plus vive de la culture religieuse de masse.

Cette caractéristique se retrouve d'ailleurs dans les trois autres

caractéristiques de Dupront. En effet, le groupe est présent à chaque

manifestation religieuse où il y a l'immanence du divin, la culture

panique et la non-différenciation entre le sacré et le profane. Par

contre, le pèlerinage existe avec ces particularités culturelles et sa

cohésion distinctive.

La quantité de pèlerins qui fréquente le lieu sacré constitue une

augmentation de crédibilité pour le site, mais aussi et surtout pour les

pèlerins eux-mêmes qui ont besoin de croire et qui veulent croire.

En Amérique latine, la hiérarchie qui existe en dehors du

religieux, se reproduit dans le religieux comme une preuve de plus de

la vie immanente à l'intérieur de la religion populaire. L'utilisation de

masques, de costumes renforce le sentiment de pouvoir. On se moque

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des colonisateursy on se défoule, on laisse aller sa frustration face à

l'histoire et face à la société présente.

En analysant deux cas de pèlerinage péruvien, (Arnold : Social

Compass, 1 985) Pierre Arnold explique comment les noirs

s'approprient le pouvoir de rester près du Sefior de los milagros durant

la procession. En octobre de chaque année, ils ont donc leur heure de

gloire. D'ailleurs, ce phénomène d'acquisition de prestige se répète a

plus petite échelle, durant le pèlerinage d'otuzco.

On ne peut vraiment définir la religion populaire puisqu'elle est

tellement éclatée et qu'elle a sa démarche propre. La religion populaire

déploie donc les quatre caractéristiques principales que nous venons

d'aborder tout en se nourrissant des particularités culturelles de

chaque groupe et en produisant de nouvelles. Elle vit donc par elle-

même en restant si près de la culture.

La religion populaire vient le plus souvent de petits groupes et

diffère donc énormément d'un coin à l'autre de la planète. On peut

affirmer que la religion populaire est non doctrinale, non ecclésiale et

non éthique. Elle ajuste l'ordre et ies lois envoyées par Dieu. Elle n'est

pas formellement enseignée. C'est donc la collectivité qui la transmet

selon le degré de conformité du groupe.

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1 S. Le besoin de pèlerinage

Pour Dupront, le pèlerinage répond à un besoin. Cette notion est

évidente pour lui. II est important de voir entre autres, à quel point le

besoin de donner un sens à la vie devient un des principaux moteurs

du pèlerinage. La notion de besoin qui est traitée dans ce mémoire fait

donc référence aux besoins spirituels et au besoin de donner un sens

à la vie quotidienne. Nous verrons donc dans cette partie du mémoire,

une foule de besoins satisfaits par le pelerinage et déjà englobés par

ces deux besoins principaux.

Le besoin qui est probablement le plus flagrant lors d'un

pèlerinage est le besoin de s'exprimer, de se laisser aller, de retourner

ne serait-ce qu'un instant en arrière pour toucher à son enfance, de se

donner la permission de vivre la religion à sa façon; tout cela à travers

le pèlerinage, qu'il soit organisé de façon parallèle à l'église-institution

ou autonome. Un autre besoin important qui est comblé par le

pèlerinage est celui de prendre ses distances face au quotidien.

Dupront le formule autrement en disant : "... les formes, attitudes,

actes, gestes par lesquels le pèlerin se détache de la quotidienneté du

stable. ( Dupront, 1 987:88)".

L'humain a aussi besoin de sortir de lui-même. Un des moyens

dont il dispose pour le faire est la fête qui permet de sortir de l'éthique

et des balises dites normales et établies par la société. Avec une

certaine puissance du recours et une confiance en la validité de ce

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recours, l'individu aura l'impression d'avoir vécu la sacralité et d'avoir

vraiment été pardonné puisque finalement, après les efforts du

pèlerinage, il l'a mérité. II devrait également acquérir le sentiment

d'être plus avancé dans sa quête d'absolu. dans son rituel de passage

vers lequel il tend. Ce passage d'un monde à l'autre, vers Dieu, est

effectué à travers I'accomplissement des sacralités du pèlerinage.

Le besoin d'éclatement, de renouveau et de rajeunissement, tant

au niveau personnel qu'au niveau socioreligieux, est également comblé

par le pèlerinage. L'énergie collective et organiquement sacrale qui se

crée comble également un besoin semblable à celui satisfait dans

plusieurs rassemblements de la sorte comme les concerts, les

manifestations, etc. La différence est que le pèlerin obtient en prime,

une croyance accrue qui agit comme un baume en fournissant du sens

aux blessures du quotidien. Ce contact bref mais intense avec une

foule croyante agit sur le pèlerin comme une bouffée de crédibilité, une

confirmation que sa foi est en quelque sorte plausible puisque tant de

gens font la même chose que lui.

Vers I'âge de cinq à sept ans, l'enfant vit ce que l'on appelle I'âge

magique ; c'est à dire un âge où les croyances sont à leur maximum et

où la conscience du religieux n'existe pas encore. Ce côté enfant est

donc plus libre de se manifester pendant le pèlerinage. Le besoin

d'espérer est également très présent en Amérique latine. Espérer une

vie meilleure dans ce continent pauvre et voisin géographique et

culturel de l'occident. Espérer également quelque chose de plus grand

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qu'une bonne vie terrestre ; espérer quelque chose après la rnorL3 La

vie après la mort est un espoir fondamental et omniprésent dans la vie

des latino-américains en général.

L'efficacité du <<saint thérapeute» joue un grand rôle dans la

légitimité du site de pèlerinage. La croyance populaire spécifique à la

région y est également pour beaucoup. Cette croyance compose un

schéma où tout se tient, en même temps que la légitimité

accompagne le geste pèlerin. Ce besoin de sens fait naître le

pelerinage et la distribution de sens, (venant surtout du CC saint

thérapeute a>) fait tourner la roue. En somme, la vie, particulièrement la

vie de tous les jours, se charge de faire naître des non-sens, et

l'humain cherche à combler ce manque de sens. La religion populaire

devient alors une énorme fabrique de sens dont le pèlerinage est

l'exemple le plus flagrant.

En fait, toutes les religions qui prônent la vie après la mort

physique, comblent ce besoin psychique, essentiel à l'individu de se

croire unique et important. Ce sentiment procure une certaine

jouissance puisqu'il apporte tellement d'espoir. II apporte en fait le plus

grand espoir possible pour nous humains ; celui de vivre éternellement.

De plus, la religion populaire est l'expression sensible du

sentiment d'appartenance. Puisque la fête religieuse représente la

célébration des origines d'un peuple, elle resserre donc les liens entre

Ce dernier élément ne vaut probablement pas pour tous les peuples ; certains ne promettant pas nécessairenient i'immortalité.

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les individus. La fête populaire faisant partie intégrante de la religion

populaire et du pèlerinage, le sentiment d'appartenance y est

omniprésent.

Voyons les quatre prochains éléments dans un mouvement

d'ouverture. L'individualisme est immédiatement lié à un sentiment

d'appartenance à soi, de possession de ses moyens. Ce sentiment,

pour les sociétés traditionnelles, n'est qu'une étape vers le sentiment

d'appartenance au groupe. Ce sentiment d'appartenance au groupe

aboutit tôt ou tard vers une philosophie de groupe, un inconscient

collectif, une façon de voir les choses, de penser la culture donc le

spirituel de manière à obtenir une spiritualité culturelle propre au

groupe. Le religieux, en donnant du sens au quotidien et surtout a la

mort, ramène l'individu à considérer sa condition propre, donc à un

certain degré dyindividualisme. J'illustre ce mouvement à l'aide d'une

figure que j'ai développé personnellement.

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Figure no.1.

Relation entre le sentiment d'appartenance et le religieux

A l'intérieur du pèlerinage, la fête et la procession jouent un

grand rôle. La fête remplie de symboles, occupe également une

importante fonction d'identification culturelle. Quelle meilleure façon

pour soulager les frustrations et accepter son sort que la fête. La fête

comble en effet ces deux désirs profonds en plus de représenter la

célébration de I'accomplissement ou tout simplement la célébration de

la liberté de faire la fête, de la cassure du monotone quotidien. Ce

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jour-là, c'était pleinement la fête parce que tous les besoins pouvaient

être assouvis à la fois ... ( Dupront, 1987 : 380 )

En ce sens, la fête contrebalance le "sérieux" du pèlerinage en

tant que tel. Elle apporte l'insouciance et l'échappement aux

contraintes imposées par le religieux et le monde adulte. L'homme a

aussi besoin de moments où il peut dépasser ses limites et sortir de

lui-même ; bref, se donner la permission de vivre la religion comme

son groupe l'entend.

La fête apporte également du désordre ; un désordre qui, en

Amérique latine, représente un contrepoids à la fixation sur l'ordre. En

effet, la religion populaire est un bon compromis entre le respect vital

de la culture populaire et l'adhésion à la religion institutionnalisée et

imposée par l'Espagne. L'acculturation populaire de la religion

catholique a probablement évité beaucoup de drames en Amérique

latine et même ailleurs dans les sociétés traditionnelles. Ce compromis

dont la fête populaire et le pèlerinage en sont les plus ardents

exemples, a persisté jusqu'à aujourd'hui. Chaque pèlerinage se

développe à sa façon. Soit qu'il se développe en lien étroit avec la

culture locale ou plus près de la religion catholique orthodoxe et

institutionnalisée.

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Figure no.2

Situation de la religion populaire par rapport à religion institutionnalisée

la culture et à la

Le pèlerinage est donc un produit en même temps qu'il est un

producteur. C'est-à-dire qu'il est le produit de la culture et de la

croyance en un saint quelconque, mais il est également un producteur

de normes religieuses et de sens. C'est la satisfaction engendrée par

cette production qui permet au pèlerinage de se perpétuer.

La culture fournit des normes qui conviennent au groupe

puisqu'elles sont généralement crées par cette société et pour cette

société. Trop de normes a l'effet d'un manque total de normes. C'est

d'ailleurs à cause de ce besoin de normes que l'humanité tend à

systématiser le sacré. La cuiture produit un certain type de normes tout

comme la croyance produit un certain type de sens ou de non-sens

selon que l'on se trouve au sein de la culture ou à l'extérieur du

groupe.

Dans les deux cas, le résultat est apaisant et rassurant. Le

pèlerinage se situe à l'extrémité de ces deux éléments en ce sens qu'il

est une des expressions les plus flagrantes de la culture et de la

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croyance. Le schéma suivant explique comment la nome est à la

culture ce que la croyance est au sens de la vie

Figure no.3 Production de sens et de normes par le pèlerinage: véhicule de

croyance et de culture

Le pèlerinage se bâtit et s'introduit lentement mais sûrement

dans son champ culturel régional. La religion populaire devient donc la

façon ultime de se sentir unis et solidaires. D'ailleurs, Peter Berger

développe cette idée plus en détail (Berger 1972). Ce sacre devient,

tout comme la menace possible envers le groupe, la force la plus

puissante pour tenir le groupe en une entité solide.

De plus, comme nous l'avons vu auparavant au sujet de la culture, le pèlerinage est une façon de vivre sa religion différemment

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des autres sociétés ; une particularité de plus au niveau culturel. Le

sacré devient également la conscience ultime que le groupe existe. Ce

graphique illustre bien la façon dont la socialité d'un groupe se

transforme en solidarité jusqu'à apporter, dans son expression la plus

forte, la création d'un sacré commun au groupe et auquel le groupe

peut se raccrocher et se référer.

Figure no.4 Mouvement de la socialité vers le sacré

... mémoire ou prémonition en quelque sorte soit d'une société

de l'originel soit d'une société de fin des temps. La société pèlerine

prend ainsi figure d'une société fraternelle de salut commun. ),

( Dupront, 1987 : 394)

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En somme, le pèlerinage avec tous les éléments qu'il comporte,

étant l'expression la plus vivante de la religion populaire, le besoin de

satisfaire ses manques spirituels s'y fait particulièrement sentir.

D'ailleurs, on sent généralement durant les pèlerinages, une certaine

angoisse, une insécurité et une incertitude. On ressent ce malaise

parce qu'en * fait, personne n'est certain que ses voeux seront

exhaussés.

La religion populaire en général et le pèlerinage en particulier

comblent les besoins non satisfaits par la religion institutionnelle. La vie

et la société se chargent constamment de faire naître de nouveaux

non-sens et la religion se charge d'en combler une grande partie. Voilà

précisément pourquoi elle a toujours existé et qu'elle existera toujours.

II y aura donc toujours des groupes qui profiteront de la satisfaction de

leurs besoins spirituels "pour se célébrer* comme dirait Durkheim.

1.6. La thérapie anti-débordement selon Dupront

La religion populaire provoque aussi une «puissance de

créativité, spontanée, plus ou moins influencée, lentement auto-

disciplinée, où viennent s'assouvir les besoins plus profonds que ni la

religion établie ni la culture du <c siècle )> ne paraissent pouvoir

satisfaire. ( Dupront, 1987 : 320 )

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Figure no. 5

Le besoin d'éviter le débordement par le non-sens est primordial

dans la vie de tous et chacun. Si la réorganisation de la réalité en un

système logique et pratique des croyances, crée un détachement de la

réalité, la thérapie anti-débordement de I'ceuvre de Dupront, vient

automatiquement réduire la panique et l'abstrait produit par ce

détachement. Elle ramène le croyant dans une piste où le détachement

reste sain. Tout comme son nom l'indique, elle empêche le croyant de

déborder dans sa croyance.

En plus de la thérapie anti-débordement de Dupront, nous

verrons également, à titre de complément à la théorie de Dupront, les

Dans les deux cas, on passe d'une réaiité compiiqyée à une réalité simplifiée.

25

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notions de Lévi-Strauss qui traite de la thérapie anti-débordement à sa

façon (Lévi-Strauss : 1974). Selon lui, la réorganisation de la réalité en

un système logique de croyances prend tout son sens dans le cadre de

la guérison. Nous verrons donc l'importance de la croyance dans la

guérison ainsi que le rapprochement possible avec le saint ou la sainte

que i'on visite lors d'un pèlerinage.

Voyons d'abord en quoi consiste la thérapie élaborée par

Dupront. Cette thérapie apporte un souffle de raison à une réalité qui

peut paraître absurde à prime abord. On crée donc une réalité pour

satisfaire ses besoins spirituels et pour combler le manque de sens

produit par la réalité quotidienne.

En somme, par association, l'humain se crée une série

d'images qui règlent d'elles-mêmes, les trous laissés par le culte

populaire. Comme rappelle Dupront, « le hasard se fait non-hasard a>.

Étant donné que les accidents et les hasards sont propres à une

société, la religion renforce ici sa caractéristique populaire.

Cassociativité est un réflexe de longue durée d'où sa force et son

succès. C'est un critère essentiel pour que la religion soit vécue

populairement. Elle doit être éclatée pour répondre le plus fidèlement

possible aux besoins d'une population précise.

Le deuxième élément de la thérapie est l'induction. C'est-à-dire

dépasser l'empirisme devant une situation donnée, de voir les choses

d'une manière propre au groupe en utilisant les données acquises au

sein de ce groupe. Étant donné que l'inconscient assimile très bien les

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métaphores, ce réflexe est plus souvent inconscient que conscient.

Plus qu'une association, "l'induction consiste à mettre en ordre

l'univers ambiant pour en garder la maîtrise. C'est aussi une façon

pour la population de s'approprier la religion". Cette citation de Dupront

démontre très bien comment l'induction fonctionne.

L'induction se fait induction amplifiante en même temps que

simplifiante, en ce sens qua à partir du cas particulier, elle constitue

des ensembles identiques. II en résulte un univers à la fois maniable et

progressivement déchiffrable : ce qui donne les moyens d'agir en lui"

(Dupront, 1 987 : 290).

Ce schéma simplifie la théorie de Dupront et démontre à quel

point la thérapie est essentielle à la religion populaire et ainsi, au

pèlerinage également. cc L'induction est découverte permanente de la

transcendance dans la chair vive de l'immanence. >> ( Dupront,

1987 :360 ).

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Figure no.6

Vie quotidienne C

Donner du sens à la vie peut avoir des effets négatifs comme la

possibilité de s'éloigner de la réalité. En effet, trop de sens se

rapproche du manque de sens. Un peu comme trop de normes se

rapproche du manque de nomes. Cette réorganisation n'est pas sans

effets secondaires par contre, elle est essentielle au bon

fonctionnement de la religion populaire.

Comme Dupront le dit lui-même, par cette thérapie, l'horizontalité

de la religion s'éclaire et s'ordonne. Pour contrer les effets de cette

ascension ou de pulsions qu'elle crée, la religion populaire contient

automatiquement le réflexe anti-débordement. Cette thérapie

comprend ces deux éléments essentiels que sont I'associativité et

l'induction. L'associativité fonctionne en liant en un système relationnel

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des faits ou des données qui pourraient être tout simplement le résultat

d'un pur hasard. Cette relation apporte un certain apaisement

puisqu'elle place en système, la réalité autant individuelle que

collective.

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CHAPITRE 2:

LES PÈLERINAGES LATINO-AMÉRICAINS ET ANDINS

Comme le souligne Luis Miliones, "même si elles divergent

grandement avant la période de contact avec les Européens, ces

sociétés se sont développées de façon semblable en résultat de leur

expérience commune au sein du système colonial" (Crumrine, Morinis :

1991, p.xiv). Pour cette raison, il est possible de considérer les

pèlerinages latino-américains comme un tout. Quelques notions sur ce

type de pèlerinage s'imposent donc à cette étape du mémoire.

2.1. Le religieux inca.

Le premier culte à s'être installé dans la région andine fut le culte

inca. "Des évidences archéologiques démontrent que le culte Chavin

serait apparut entre 1000 et 800 av. J.C. dans la partie nord des Andes

péruviennes. Ensuite, il se serait rapidement répandu au nord et au

sud par un processus qui s'est probablement complété en

approximativement 100 ans" (Keatinge 1981; Rowe 1967; Willey

1951).

Le culte Chavin représentait le début d'un culte étendu à d'autres

cultures et à d'autres groupes vivants des réalités différentes; un

dénominateur commun, qui stimula considérablement l'activité

économique d'une bonne partie de la région andine (Keatinge; 1981,

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184). Avec l'atténuation de l'influence Chavin, il y eut une baisse des

échanges économiques mais ces échanges ne disparurent jamais

complètement (Sailnow; 1987, 21). Jusque vers 800 ap.J.C., les

différents groupes restaient relativement fragmentés mais c'est vers

cette date, qu'on vit l'apparition de deux cultes dominants. Le premier

groupe; les Wari composés de deux groupes; les Chanka et les

Wankas, établirent leur capitale près de la ville que l'on connaît

aujourd'hui sous le nom d'Ayacucho. Le deuxième groupe, était établis

plus au sud-est, s'étendit entre 500 et 1000 ap. J-C. jusqu'à la Bolivie,

le nord du Chili et le sud du Pérou. Ils avaient pour capitale, la ville de

Tiwanaku. Leurs croyances religieuses tout comme leur façon de

conquérir un territoire, s'apparentait grandement à l'empire inca qui

apparut quelques siècles plus tard.

Des études iconographiques suggèrent que les croyances

religieuses du peuple de Tiwanaku étaient basées sur un dieu soleil,

une déesse de la terre, une déesse de l'eau ainsi que sur un dieu de la

température associé au tonnerre et aux éclairs (Sallnow; 1987, 25).

Durant le vers 1438, un retour en force de la culture Wari culmina

en une grande bataille entre la confédération des Chankas et les Incas

de la vallé de Cusco. Le victoire des lncas relança une conquête

militaire pour tenter de soumettre tous les groupes des Andes. A

mesure que les lncas étendaient leur empire, ils assemblèrent

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graduellement les mythes d'origines et de dynastie à partir des

obstacles qu'ils rencontraient (Sallnow; 1987, 35)?

Les conquêtes militaires ou, comme s'était souvent le cas, les

capitulations paisibles, étaient pour les Incas, l'évidence de la

suprématie de leurs dieux sur ceux de leurs sujets. Le cuite solaire des

Incas fut rendu universel par l'établissement dans les capitales

provinciales, de petites versions du temple du soleil établis à Cusco

(Bandera; (1 557) 1965; 161 ; Cobo (1 653, livre 12. chap.35) 1956,

92: 1 36).

Malgré la fiction de la suprématie religieuse inca, les centres de

pèlerinages régionaux étaient respectés et même craint par les

empereurs de Cusco (Rowe; 1946, 265). La religion inca était centrée

sur la nature et sur la vie apportée par l'agriculture. Ainsi, leur

calendrier était une fusion entre l'ancien calendrier agricole et de

I'ancien calendrier utilisé par les habitants de la vallée de Cusco. Le

calendrier solaire était utilisé seulement pour l'administration de ('État

(Sallnow: 1 987, 38).

L'Empire inca était divisé en quatre suyu ou régions: Le

Chinchasuyu au nord-ouest, I'Anüsuyu au nors-est, le Qollasuyu au

sud-est et le Kuntisuyu au sud-ouest (Sallnow;I 087, 37). Le cosmos

inca et centré sur Cusco était continuellement restmcturé en une série

de rites annuels. Le but de ces rituels était de célébrer la naissance du

' Par exemple, selon Molina de C u x o qui fut un des premiers observateurs du 16- siècle, Les hcas bâtirent un mythe selon lequel le dieu créateur aurait dehuit la première race d'humains à cause de leur désobéissance. Ce mythe était évidemment très utile pour aider à maintenir Pordre.

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soleil. D'autres types de rituels comme le Qhapaq Hucha, avaient pour

but d'expier les fautes du groupe. Ces rites servaient également pour

évaluer les walc'as (sites de pèlerinages) provinciaux et pour réviser

leur rang social commun. Ils étaient souvent tenus avant une guerre ou

durant une fête du solstice (Zuidema; 1982, 425-26).

Lorsque l'on examine l'évolution des différents empires

précolombiens. on note qu'à travers 2500 ans allant des Chavin

jusqu'aux Incas, il y eut une subordination progressive de la religion

face à la politique ainsi qu'une domestication graduelle des cultes et de

la prêtrise afin de servir les intérêts du pouvoir en place (Rowe; 1976).

Vers la fin du 15' siècle, certains problèmes internes comme

l'expansion de la classe exempte de taxes et la tendance à régler les

successions de pouvoir par des guerres civiles ont contribué à affaiblir

l'intégrité de l'empire (Sallnow; 1987, 41). Les Espagnols surent mettre

ces faiblesses à leur avantage, ce qui eut pour effet d'accélérer le

processus de conquête.

2.2. Les pèlerinages latino-américains

L'Amérique latine est parsemée de sites sacrés de

pèlerinages qui attirent des milliers de pèlerins. En examinant de plus

près les différentes études qui ont été faites sur la religion populaire

dans les Andes, on remarque quelques caractéristiques qui sont très

révélatrices. D'abord, le pèlerinage latino-américain s'apparente

généralement aux pèlerinages religieux qui ont lieu un peu partout

dans le monde. Cependant. il est unique par son type de syncrétisme.

En effet, la tradition pèlerine latino-américaine serait le seul

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phénomène du genre à couvrir une telle multitude d'origines différentes

( Cnirnrine et Morini; 1991, 1'4).

D'abord, ces pèlerinages sont officiellement catholiques mais les

pratiques qu'on y observe sont d'origines variées : soit africaines,

précolombiennes ou encore d'autres origines religieuses. Le pèlerinage

tel que nous le comprenons possède différentes significations. II s'agit

généralement d'un voyage entrepris dans le but d'atteindre un site

sacré pour des raisons religieuses. II est important de comprendre la

difficulté que l'on peut rencontrer pour d'élaborer un cadre théorique

susceptible de s'appliquer à tous les pèlerinages. Nous n'avons qu'à

penser aux exceptions culturelles, aux degrés d'intensités qui varient

d'une culture à une autre, etc.

La raison de cette difficulté est donc très simple. Le pèlerinage

ne peut être étudié en dehors de sa base culturelle. Ce n'est pas un

phénomène isolé et indépendant de la culture. II en fait partie. C'est

d'ailleurs pour cette raison que le pèlerinage est autant signifiant pour

la culture. Étant donné qu'il est l'expression d'une culture et d'une

religion populaire, il est très solidement relié à l'environnement culturel

dans lequel il baignee6 Comme le souligne Crumrine, le pèlerinage

ce belongs to the culture (Cnirnrine, Morinis, 1991: 4). 11 appartient en

Le terme . pèlerinage * désigne le pèlerinage dans son ensemble. C'est-à-dire comprenant le voyager les di&renentes activités sur Ie site sacré, la fête et la procession.

34

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fait à une culture religieuse puisque le pèlerinage est la maison des 7 Cieux sur terre >> pour décrire le pèlerinage.

II est bien connu que les religions se fondent, se juxtaposent,

s'entremêlent, se croisent et s'influencent. De nouveaux pèlerinages

diminuent en importance pendant que d'autres grandissent, tout

comme d'autres formes de dévotions religieuses*. Comme le pèlerinage

représente une institution dynamique, il est normal qu'il soit en

constant changement. Toutes les caractéristiques qui englobent le

pèlerinage, en font une institution en soi. Voyons comment Morinis et

Crumrine décrivent le pèlerinage et en soulignent l'importance :

En tant qu'entité institutionnelle ayant ses propres droits, c'est un

tableau de figures géographiques, de processus sociaux, d'artefacts

culturels, de croyances, de rituels, de spiritualité, de psychologie, de

littérature, d'art, d'architecture ainsi que d'autres facteurs. Par le fait

même, les tendances utilisées pour tisser ce tissu social sont tirées de

façons de penser beaucoup plus générales, de comportement, de

communication, d'histoire, de transport, d'administration et de conflit

tirés du contexte social au sens large. Le pèlerinage est une création

humaine plutôt unique, et remarquable. (Cnimrine,Morinis:l991, p.9)

' Traduction libre de Home of heaven on earth. a Traduction libre de cette citaoon originale : As an institutional whole in its own right. L is a rich

tapestry of geographical features, social processes, cultural artifam, belief, ritual, spirituality,

psychology, literature, art, architecture and other factors. Then too, the ttireads woven into this

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Dans ce chapitre, nous verrons d'abord ce que Crumrine et

Morinis ainsi que les auteurs qui ont écrit dans Pilgnimage in Latin

Ametfca ont souligné comme caractéristiques du pèlerinage latino-

américain. Par la suite nous nous pencherons plus précisément sur le

pèlerinage andin avec le livre de Michael J. Sallnow, Piigrims of the

Andes, qui comprend également le travaii de plusieurs autres auteurs.

Nous terminerons par quelques précisions sur le culte à Marie en

Amérique.

Le pèlerinage joue en Amérique latine un rôle particulièrement

important pour la société. D'abord, du point de vue religieux, les sites

qui composent les pèlerinages sont les centres de catholicisme les

plus vénérés de la région. Du point de vue social, le pèlerinage peut

renforcer l'identité du groupe ainsi que l'importante relation qui existe

entre le groupe de croyants et le pouvoir protecteur de Dieu.

Le pèlerinage latino-américain est si important qu'il peut devenir

un symbole national s'il est identifié avec l'État. Par contre, si le

pèlerinage est identifié contre l'État, les pratiques qui l'entourent

peuvent être perçues comme étant subversives pour le pouvoir en

- - .. -- - - -- - - -

cloth are drawn from wider patterns of alought, behavior, communication, history, transport,

administration, and conflict in the broader expanses of the social field. The pilgrimage is a rather

unique, and remarkable, hurnan creation.

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place. En somme, Crumrine et Morinis soulignent que la place du

pèlerinage en Extrême-Occident >>', donne à cette étude, toute son

importance. ( Crumrine, Morinis : 1991, p. 17)

En Amérique latine, la religion gravite entre deux pôles. D'un

côte, I'influence catholique venant d'Europe et de l'autre, l'influence

autochtone. Tous les pèlerinages latino-américains se situent entre ces

deux pôles allant du plus pur catholicisme au paganisme total.

Certaines caractéristiques de la religion précolombienne se sont

greffées, adaptées aux caractéristiques catholiques. Un mélange des

deux religions s'est alors produit sur l'ensemble du continent.

Pour cette raison, même si la réalité andine crée un contexte

religieux spécifique, il est possible de faire certains rapprochements

entre différentes réalités de ce continent. Certains auteurs comme

Mary Lee Nolan, voient surtout des traits espagnols dans les

pèlerinage latino-américains ( Crumrine, Morinis ; 1991, 19-49). Par

contre, d'autres comme H.R. Harvey, font ressortir les elementç

autochtones de ce qu'est devenue la religion populaire au fil des

siècles ( Crumrine, Morinis : 1991). Nous verrons donc un éventail des

caractéristiques communes des pèlerinages latino-américains et

surtout andins, sur lesquelles tous les auteurs s'entendent. Les

caractéristiques de participation d'un groupe au pèlerinage sont

Expression popularisee par Alaui Rouquié dans son livre &ztroduction à l'Extrême-Occident.

37

Page 56: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

généralement un reflet assez exact des structures sociales dominantes

ou en réaction à celles-ci.

En ce qui concerne la région des Andes, la caractéristique qui

demeure la plus constante est l'emplacement sacré. II regroupe en

effet, tous les idéaux collectifs du groupe. Le site du pèlerinage est, par

définition, un site sacré qui a reçu sa légitimité, entre autres, par la

certitude et le consensus social d'une présence sacré en ce lieu précis.

A partir d'une manifestation quelconque du divin, comme une

apparition par exemple, le lieu obtient la présence magnifiée du sacré,

ce qui lui confère une place à part dans la participation à la religion

populaire.

Morinis et Cnimrine apportent plusieurs éléments importants. Le

premier est la place centrale qu'occupe le pèlerinage par rapport au

sacré et au profane. Le terme centrale ne signifie pas le centre d'un

cercle mais bien du milieu sur une ligne médiane entre deux pôles ;

l'un étant le sacré et l'autre le profane. Le pèlerinage joue le rôle

d'intermédiaire entre le divin sacré et le profane sacré. Ce schéma de

Cnimrine et Morinis i'illustre bien.

Page 57: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

Figure no.7

Le pèlerinage par rapport au profane et au sacré

Le profane est au pèlerinage ce que te pèlerinage est au sacré

1 . I . 2 . 3 w 2

(Cnimrine et Morinis:1991, p.11)

Les pèlerinages ne sont pas des rites de passage dans le sens

strict du terne (naissance, mariage, initiation, etc.). Ils font toutefois

partie d'une certaine forme de passage en ce sens qu'ils constituent un

processus de transformation de l'individu. Le croyant ressort du

pèlerinage changé par rapport à sa situation d'avant le pèlerinage.

L'évolution de l'individu lors des rites de passage se produit au niveau

du statut social tandis que la transformation pèlerine se produit sur un

niveau personnel comme la spiritualité, la santé et i'état mental.

Comme Dupront, Crumrine voit le pèlerinage d'un point de vue plutôt

fonctionnaliste.

Par le pèlerinage, les croyants peuvent accéder aux sources de

pouvoir susceptibles de contrôler leur destin. Sur le plan individuel, le

pèlerinage influence la foi ou le futur du croyant. En effet, ils croient

souvent qu'il leur sera impossible d'atteindre leur but sans l'aide du

saint thérapeute. Cette perspective fonctionnaliste a influencé les

différents modèles de pratiques pèlerines et même la nature des sujets

de leur vénération.

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Le pèlerinage possède dans la grande majorité des cas, une

autre fonction : celle de médiateur entre le ciel et la terre. Pour cette

raison et parce qu'ils sont considérés comme des intermédiaires entre

le commun des mortels et Dieu et son fils, Marie et les saints sont

souvent les sujets de la vénération des pèlerîns. II est facile de voir ce

cc sentier d'accès au pouvoir P de Dieu par le pèlerinage comme ayant

quelque chose à voir avec l'accès au pouvoir intérieur. Transformer

son futur passe par la transformation de soi.

Comme le pèlerinage reste un bon moyen de transformation, il

est logique d'affirmer que le fonctionnalisme et la spiritualité du

pèlerinage ne sont pas séparés. L'accès au pouvoir intérieur passe par

le pèlerinage. Dans un contexte de rituel, le pèlerinage socialise donc

cet accès et le rend malléable.

R.H. Harvey est un des auteurs qui a participe à Pilgrimage in

Latin America, (Crumrine et Morinis : 1991 , p. 91 -1 08). 11 apporte des

précisions sur l'analyse du fait pèlerin dans cette région du globe, plus

précisément sur les populations autochtones qu'il étudie au Mexique. II

souligne entre autres que les groupes autochtones qu'il étudie sont

catholiques mais seulement dans la mesure où les rites et dogmes

catholiques se rapprochent de leurs anciennes croyances. II fait aussi

remarquer que si la principale motivation pour participer à un

pèlerinage est religieuse, cependant les païens autant que les

chrétiens, demandent des faveurs et participent au pèlerinage puisque

la présence sacré ne discrimine pas.

Page 59: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

De son côté, Walter Randolph Adams note l'importance des

informations extra-religieuses qui peuvent être tirées des pèlerinages.

... un pèlerinage et les performances qui le composent,

établissent des faits politiques, sociaux et économiques qui peuvent

être décodés pour en tirer de l'information historique sur les cultures en

questions durant le pèlerinage (Adams pour Crumrine et Morinis;

W9I,l2O)

De son côté, Mary Lee Nolan, dans sa contribution au même

ouvrage, affirme que les racines européennes des pèlerinages latino-

américains sont évidentes et que l'on peut apercevoir de fortes

ressemblances entre les deux régions ( Crumrine et Morinis : 1 991,20).

Les légendes et les types de cultes sont également très similaires dans

les deux régions. Les ccclienteles pèlerines" sont aussi semblables

quant au sexe, aux classes sociales et à l'âge. L'adoration des reliques

et l'importance accordée à la vénération du site naturel ainsi que les

histoires, légendes et apparitions sont communes aux deux régions.

Elle note également que la Vierge Marie fut l'objet premier de dévotion

dans la majorité des sites de culte au sud du Rio Grande.

Peu après la conquête espagnole, les missions religieuses

européennes toléraient les pratiques religieuses qu'ils jugeaient

suffisamment proches du culte chrétien. Pour cette raison, certaines de

ces pratiques païennes se confondent aujourd'hui avec des pratiques

chrétiennes.

Page 60: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

Même si le culte marial est moins populaire en Amérique latine

qu'en Europe, il n'en reste pas moins qu'il est le culte le plus populaire

dans les deux régions. En effet, le culte à la Vierge s'est développé

plus rapidement dans l'Ouest de l'Europe que dans l'Est. Plusieurs

sites de pèlerinage qui étaient voués à la dévotion des saints et qui

dataient d'avant 1100, sont devenus des sites de pèlerinage

marianistes après cette date.

2.3 Principales caractéristiques des pèlerinages andins

II est certain que la conception différente que nous avons du

temps et de l'espace rend la compréhension du pèlerinage andin plus

difficile. Pour mieux comprendre, nous verrons d'abord un bref

historique du syncrétisme religieux dans la région des Andes.

Avant l'arrivée des Espagnols et avant le début du syncrétisme

religieux au Pérou, le système religieux inca était très semblable à son

système politique. C'est-à-dire qu'il était centralisé avec une diffusion

uniforme des Rtes et de l'idéologie inca à travers tout le royaume. En

fait, les sites de pèlerinage constituaient des ressources politiques

d'une importance telle que les groupes aspirant au pouvoir se devaient

de les considérer.

Le système artificiellement unifié des sites de pèlerinage

étatiques, provinciaux et locaux était un grand exploit pour les Incas,

mais aussi une source permanente de faiblesse. Cette faiblesse joua

évidemment en faveur des Espagnols. En effet, les Incas laissaient tel

Page 61: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

quel les sites de pèlerinage des différentes ethnies déjà en place. Cet

élément de liberté culturelle incitait les membres à regagner de

I'autonornie dans ce domaine.

ia rencontre entre le catholicisme et la religion inca a donné lieu

vers le milieu du seizième siècle, à de nouvelles représentations

religieuses qui se sont affirmées et renforcées avec le temps.

J'ajouterai que le besoin de religion et de culte, autant du côté inca que

du côté catholique, ont facilité l'intégration et l'assimilation de l'un dans

l'autre.

L'autonomie régionale qui régnait avant l'invasion espagnole mit

du temps à disparaître après l'invasion. Cette autonomie subsista

même après la deuxième vague d'invasion espagnole. Au lieu de briser

les anciens cultes par la centralisation, les Espagnols utilisèrent en

plus la rivalité inter-régionale et la compétition en implantant leurs

saints et leurs saintes. En effet, il y avait, une grande rivalité, voir

même une compétition entre les différentes divinités allouées à chaque

village.

II existait un énorme fossé entre ces divinités et les anciens lieux

sacrés précolombiens. La religion devint donc très liée au social et au

politique. Le statut du village dépendant grandement de la popularité

du patron ou de la patronne du village ainsi que de l'importance de la

fête qui y était rattachée. C'était en résumé les résultats du choc des

deux religions qui se produisit avec l'arrivée des Espagnols au Pérou.

Page 62: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

Voyons maintenant les caractéristiques du pèlerinage andin

proprement dites.

Première caractéristique

Une première caractéristique repose dans la motivation des

pèlerins à faire le voyage. Contrairement aux autochtones des Andes,

le concept de purification des péchés représente une motivation très

importante pour les chrétiens. La notion de péché existait pour les

autochtones mais, pour eux, le pèlerinage était davantage une réunion,

une rencontre ayant comme prétexte la fête.

La solidarité d'une telle rencontre est exprimée dans l'échange

de biens matériels, dans les sentiments intenses et dans les relations

avec les entités auxquelles ils demandent une faveur ou qu'ils

remercient pour une faveur déjà ac~ordée.'~(luis Millones pour

Crurnrine et Monnis : 1991 , p. xv).

Deuxième caractéristique

Une deuxième caractéristique importante est la dualité qui existe

entre la proximité culturelle entre le pèlerinage et le pèlerin versus la

pression d'efficacité qui est exercée par le pèlerin sur le site sacré ;

surtout sur l'image sacrée." Parce que les pèlerins deviennent si

familiers avec le pèlerinage, ils sont en mesure de manipuler certaines

10 11 est à noter que radon de demander et de remercier ne sont pas des éléments exdusivement andins. Ils font égaiement partie du pèlerinage cathoiique. Dans cette citation, l'accent est mis sur l'importance de k rencontre- 11 L'image sacrée d'un pèleiinage Iatïno-américain peut tout a& bien représenter Marie, le Christ, un saint ou une sainte. Il existe plusieurs autres images sacrées comme des éléments de la nature, mais qui ne sont pas l'objet de pèierinages.

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ficelles culturelles du centre sacré. Par contre, l'image sacré doit

toujours rester efficace et se différencier suffisamment des autres

images sacrées pour se faire accepter et gagner la légitimité d'un site

de pèlerinage exceptionnellement saint. Ces tendances opposées sont

surtout remarquables en ce qui concerne l'image sacrée puisqu'elle est

le début et le centre du site sacré.

Troisième caractéristique

II est typique en Amérique latine, de trouver un site sacré qui soit

né d'une apparition ou d'une image de bois ou de pierre qui prenne

soudainement vie. Ces sites de pèlerinage sont souvent centrés sur un

fait en particulier, celui de la réalité vitale et omniprésente du divin à

cet endroit précis. Le sacré y est immanent comme le souligne

Dupront. Les pèlerins de ce site peuvent donc clamer la sacralité et

l'efficacité de leur site. Ces croyances sont la source d'une foule de

légendes qui font planer une auréole de merveilleux autour de chaque

divinité.

La tradition pèlerine précolombienne ne faisait pas exception à la

fameuse théorie. de Durkheim. En effet, cette tradition consistait

principalement en la célébration des origines du peuple ou de la nation.

Ces peuples croyaient en la puissance de la nature et à son pouvoir de

décision sur le déroulement des événement^.'^ Leurs sites sacrés se

composaient de lacs, de montagnes, de rivières et de terres sacrés.

U Cet élément s'est kmsposé par la suite sur les saints e t les représentantes de Marie. On a dors a-ué aux images saaées emmenées d'Europe, un pouvoir typiquement andin que ces divinités ne possédaient même pas sur leur propre territoire. On leur a en effet attribué ce pouvoir de changer Le futur d'une collecîivité.

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Quatrième caractéristique

Les séries de contes, poèmes, chansons, récits de guérisons et

de miracles, est une caractéristique très importante pour les pèierins.

Cette forme de légitimation agit comme un lien entre la population et le

centre sacré. De plus, elle représente une base culturelle et religieuse

locale à laquelle le groupe peut se référer.

Cinquième caractéristique

Une cinquième caractéristique est la provenance de la légitimité.

En effet, les sites de pèlerinages andind3 sont historiques en ce sens

qu'ils doivent leurs origines à un événement spécial, souvent un

moment de danger social, mais surtout parce qu'ils sont en mesure

d'affecter radicalement le destin de la communauté ou d'un individu et

ce, positivement ou négativement.

Sixième caractéristique

La popularité du site de pèlerinage à l'extérieur de la

communauté est à l'origine des conflits entre les cultes. Cette forme de

compétition est en effet inévitable étant donné la structure même du

système religieux. Le citoyen considère généralement le saint de son

village comme étant le plus efficace de tous les saints. À partir de ce

moment, il tente de faire grandir sa popularité à l'extérieur du village,

ce qui entre en conflit avec l'orgueil et la fierté des habitants des

villages voisins et ainsi de suite. C'est du moins ce qui se passait

U Dans la notion de * site de pèlerinage m, on sous-entend un environnement saaé, faiçant partie de la nature.

Page 65: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

durant la période qui suivit l'arrivée des Espagnols. Avaient-ils imaginé

que ce système ferait grandir les tensions interethniques à l'intérieur de

l'Empire et faciliterait ainsi leur suprématie ? En effet, les fidèles ainsi

occupés aux rivalités interrégionales tardaient davantage à se rebeller

contre le pouvoir étatique.

Ces caractéristiques valent encore de nos jours. Par exemple,

l'objet sacré de plusieurs sites latino-américains de pèlerinages est

d'abord légitimé par un lieu sacré tout comme pour l'ancien culte

précolombien ou la nature était sacrée d'abord et avant tout. Même au

niveau du groupe proprement dit, une certaine rivalité s'installe. La

hiérarchie qui prévaut au sein des fidèles crée des divisions de nature

ethnique, économique ou autre."

Pour cette raison, il fut très difficile pour les prêtres, à tout le

moins au début de la conquête, d'avoir une influence significative sur

les croyances des Incas. En effet, même en détruisant et en brûlant les

momies incas, les sites et les objets sacrés, ils ne pouvaient rien faire

contre une montagne ou un lac.

"Cela, les conquérants n'ont pu arriver à le faire. Les campagnes

contre l'idolâtrie avaient commencé tard, plus de 50 ans après la

'' A Otuzco, par exemple, la a hennandad est un groupe privilégié qui reste très près des affaires de la Vierge et par le fait même, qui jouit d'un prestige certain.

Page 66: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

conquête, les habitudes de pluralisme religieux avaient déjà commencé

à établir'^" (Sallnow : 1 987, 51 ).

Malgré cela, le modèle andin de pèlerinage fut remplacé en

grande partie par le modèle catholique de pèlerinage. On retrouve

donc après la grande crise de 1560, un chambardement complet du

système religieux mis en place par les Incas

En effet, les constituantes ethniques furent coupées, les

autochtones déplacés, l'administration relocalisée et les dévotions

religieuses en sont arrivées à se centrer sur un saint patron du village

ou de la paroisse. Les différentes communautés cultivèrent avec

ardeur leur culte à cette nouvelle divinité distribuée arbitrairement, ce

qui devint par la suite l'indice de leur rang social et de leur prestige.

La stratégie des prêtres ne fut donc pas d'essayer de changer les

divinités précolombiennes mais bien de les adapter, de leurs donner un

nouveau nom, de plaquer un nouveau modèle d'idolâtrie sur l'ancien.

Pour ce faire, ils utilisèrent un langage connu de la population locale

des liens entre les divinités d'avant et d'après la conquête. Ainsi,

Pachamama devint Marie, Pachatata devint Dieu, etc.

Par conséquent, une septième caractéristique des sites de

pèlerinages andins est de posséder des éléments catholiques tout en

'S Traduction libre de ce texte original : This the extirpaton signally failsd to do. The concerted campaigns against idolatry had begun late, more Vian fifty years after the conques and a habit of

religious pluralism had already begun to establish itseif.

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restant typiquement andins par l'emplacement du site sacré. Par

exemple, les symboles religieux, l'engagement clérical et les icônes

peuvent très bien sembler catholiques, quand l'emplacement du site

est historiquement sacré, unique et reconnu; on a ici un parfait

exemple de site de pèlerinage andin où des autochtones païens

croient pratiquement autant que les métis catholiques.

Pour le fidèle, la différence devient mince et imprécise entre une

source catholique de croyance comme la Vierge de la Porte et une

source andine de croyance comme le Cholocday, la montagne qui

surplombe Otuzco. Cette différence n'existe pratiquement pas. Cet

ensemble a informé, au fil des siècles, les croyances andine.

II décrit même la façon dont un paysan utilisait des sites

catholiques pour expliquer un espace religieux pré-inca. Comme on

peut le constater après avoir lu ces caractéristiques, les deux facettes

des sites catholiques et andins sont constamment reliées. Par

exemple, on additionne une icône chrétienne avec un décor significatif

pour le paysan, et c'est la naissance du site sacré andin.

Le pèlerinage andin est un bon moyen d'explorer le sentiment

d'identité et la résistance culturelle d'une population. En effet, à travers

ses allégeances et ses engagements, on peut plus facilement retracer

l'idéologie, les valeurs et les croyances de la société andine.

Page 68: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

2.4. Le début du culte marial en Amérique

Un premier facteur de la popularité de Marie en Amérique est

l'identification syncrétique que les autochtones ont faite des divinités

espagnoles sur leurs divinités. Cette identification qui s'établit dès les

premières années donne à la Vierge Marie une place religieuse toute

spéciale au sein de la population andine. Un exemple commun

d'identification syncrétique, est l'image de Dieu tel que nous

l'entendons dans la chrétienté qui fut rapidement associé au soleil.

Marie, quant à elle, fut associée en Amérique comme en

Espagne, aux esprits de la nature comme les montagnes, les lacs, les

rivières, les sources. II n'y a aucun doute que l'utilisation de ces images

fut encouragée par le clergé, surtout par les Augustins pour qui leur

fondateur avait laissé les bases d'une telle stratégie d'évangélisation

(Gilbert 1980, 12).

Reportons-nous une fois de plus au milieu du XVIe siècle. Le

deuxième élément qui ressort lors de la première phase de la

régionalisation des cultes dans les Andes centrales est que la grande

majorité des cultes est basé sur des images de Marie. On explique ce

phénomène entre autres par la popularité croissante qu'obtenaient les

images de Marie en Espagne à l'époque et ce, depuis le deuxième

siècle. ( Lee Nolan pour Crumrine et Morinis: 1991, p.26 ). Par contre,

d'autres auteurs comme Turner et Turner affirment que la première

dévotion mariale associé à un site de pèlerinage s'est produite au 5'

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siècle ( Turner et Turner; 1978, 155). Entre autre à cause du

mouvement de population de ['Espagne vers l'Amérique latine, la

popularité de Marie s'est grandement propagée au nouveau monde.

En fait, la popularité de la dévotion mariale était devenue une force

révolutionnaire de changement du modèle pèlerin en Europe de l'Ouest

( Sallnow; 1987, 27). Cette popularité fut accentuée avec le vide que

laissa le départ de la population arabe de l'Espagne (Christian; 1976,

61). La dévotion toute particulière que lui portaient les Espagnols

donnait à Marie un prestige tout spécial aux yeux des autochtones.

En fait, durant la période allant de 1530 à 1779, 730h des sites de

pèlerinage formés en Europe étaient dédiés à la Vierge Marie (Lee

Nolan pour Crumrine et Morinis; 1991, 31). Les sites de pèlerinage

latino-américains sont encore les plus nombreux de nos jours (Sallnow;

1987, 49). Malgré le symbolisme universel de la vierge dans la

théologie chrétienne, le champ andin dans lequel elle est entrée était

non-impérial c'est-à-dire que le statut régional de la religion autochtone

était relié à des paysages particuliers et habités par des peuples

specifiques16 (Sallnow : 1 987, 71 ).

Les images mariales furent acculturées dans un champ culturel

autochtone. En somme, elles furent adoptées par la population plus

rapidement que les images du Christ parce qu'elles étaient plus près

'' Tradudon libre de ce texte original : Despite the universal symbolism of the virgin in the chnstian theology, therefore, the synsyncretic field that she entered in the Andes was the non- imperial, regional stratum of native religion, that attaching to parücular landscapes inhabited by specific peoples.

Page 70: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

du peuple et de leurs croyances." Comme le dit MacKay : "He came

as the Lord of Death and of the life that is to be; she came as the

Sovereign Lady of the life that now is" (Mackay, 1932, 102). Dans cette

perspective, le pèlerinage d'Otuzco est donc tout à fait de son temps

puisqu'il date du début de la colonie et qu'il est dédié à la Vierge Marie.

2.5. Comparaison entre ia théorie de Dupront et celle des

spécialistes de l'Amérique latine

Pour Dupront, comme pour les spécialistes de l'Amérique latine,

il est évident que la nature représente une source importante de la

religion populaire ( Sallnow 1987 : 75-99 ). La seule différence sur ce

point entre le pèlerinage européen chrétien et le pèlerinage autochtone

péruvien est l'importance du degré de légitimation que la nature a

conservé avec les siècles.

Pour certains auteurs comme Sallnow et Arnold, le pèlerinage est

vu comme un rapport de force entre différents groupes; une façon

d'exprimer les conflits. Pour d'autres comme Lee Nolan, les grandes

tendances pèlerines observables à travers l'Amérique latine sont la

preuve que les autochtones, et ensuite les métis, ont réagit de façon

très semblable face au christianisme.

V II était facile et logique de trouver des ressembhces entre Marie et N Pachamama ., la terre mère.

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Le catholicisme et les croyances incas partent tous deux d'un lieu

spécialement sacre. Par contre, pour les autochtones, le lieu demeure

sacré principalement par la nature, même après plusieurs décennies,

voire plusieurs siècles. Pour la religion catholique, le personnage

religieux prend davantage d'importance avec les années et ce, même

si la source du sacré a débuté avec un événement qui a transmit le

sacré de la nature à l'objet.

En somme, les sociologues spécialisés sur la région des Andes

ainsi que Dupront ne se contredisent pas vraiment, ils traitent tout

simplement d'aires culturelles différentes. Certains éléments culturels

ou historiques produisent une expérience religieuse différente. Par

exemple, la relation que les peuples andins et européens,

entretiennent avec le pouvoir est totalement différente. L'appropriation

du pouvoir dont nous avons déjà discuté est primordiale dans la région

andine. En Europe, cette notion s'applique plutôt au niveau personnel

et non pas au niveau du pouvoir du groupe.

Par contre, lorsque l'on traite de la spécificité d'un cas comme

Otuzco où même d'un lieu plus général comme la région des Andes,

les différences sont si grandes que les auteurs des deux camps ne

traitent tout simplement pas des mêmes facteurs culturels. Par

exemple, le syncrétisme religieux omniprésent dans les Andes est

énormément réduit en Europe si l'on compare les deux régions.

Page 72: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

On ne peut évidemment pas analyser chaque région de

pèlerinage de la même façon. Aussitôt que l'on dépasse le niveau

théorique, la spécificité de chaque région, voire de chaque pèlerinage

prend le dessus. Pour le pèlerinage d'Otuzco, j'ai procédé de façon

très typique étant donné quYOtuzco est l'archétype du pèlerinage andin,

c'est-à-dire marqué de syncrétisme religieux.

Personnellement, mon opinion par rapport à Dupront et aux

spécialistes latino-américains et andins, se place quelque part entre les

deux théories, tout comme mon sujet. En effet, le cas d'Otuzco étant

un paifait mélange de culture européenne et autochtone, les deux

écoles de pensée me sont également utiles. Indépendamment du

relativisme culturel, Dupront nous offre une saisie remarquable de la

religion populaire à la base. De leur côté, Sallnow, Crurnrine, Morinis et

Lee Nolan offrent les éléments essentiels à la compréhension des

particularités culturelles régionales.

Otuzco subit de plus fortes influences occidentales qu'un lieu de

pèlerinage de la zone de Cuzco ou Puno à cause de sa proximité avec

la côte. II n'est toutefois pas complètement côtier comme, par exemple,

au département de Piura. Ce village occupe donc une position

statégiquement intéressante.

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Ce phénomène de religion populaire implique le pèlerinage

comme moyen d'identification du groupe. C'est justement ce qui est

intéressant dans l'idée de construction de sens : elle se présente

universellement et peut s'appliquer à toutes les populations puisque

toutes les populations cherchent à donner du sens à leurs actions. Le

besoin de donner un sens à la vie, et surtout à la mort, est en quelque

sorte un réflexe de santé mentale propre à l'être humain en général.

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CHAPITRE 3. LE PROFIL LOCAL DU PÈLERINAGE D'OTUZCO

Nous verrons dans ce chapitre, les parties historiques

nécessaires à la compréhension du pèlerinage. C'est-à-dire l'historique

du culte à la Vierge et l'historique de la fête qui ne sauraient être traités

séparément. Nous verrons ensuite l'évolution de la ville d 'Otuzco.

3.1. Historique du culte à la Vierge de la Porte

I I est si surprenant de voir qu'une si petite statue puisse être

l'objet de tant de demandes, de croyances et d'histoires. La statue de

la Vierge de la porte est très petite. Elle ne mesure pas plus d'un mètre

et cinq centimètres. Ce qui fait sa grandeur, c'est le piédestal sur

lequel elle se tient et qui est haut de deux mètres quatre-vingt. Elle

possède un grand clou de fer pour soutenir ses mains et les faire

bouger, selon les objets qu'elle tient. En dedans de la statue de cèdre

serait placée une image de la vierge. Mais cela, personne n'ose encore

le vérifier. Le croissant qu'elle a devant elle et qui est le symbole

propre aux images de Marie, est fait d'argent pur. Elle en possède

plusieurs sans parler de ses 500 manteaux (au minimum) et de ses

innombrables bijoux et perruques.

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Photo no.1

La Vierge de la Porte durant la procession

Durant la procession, la vierge est illuminée et accompagnée

d'odeurs d'encens et d'une grande fanfare. On se presse pour la voir

de plus près et on se bouscule pour pouvoir la porter puisqu'on croit

que ces efforts seront certainement récompensés.

L'historique et la légende qui entourent la Vierge sont

définitivement les éléments Iégitimateurs de son pouvoir. L'historique

de la Vierge de la Porte est plutôt compliqué à cause des nombreux

noms qu'elle et sa prédécesseur, la vierge de l'Immaculée-Conception,

ont portés. Pour s'y retrouver, nous devons nous référer à la vierge

ayant pour nom les mots Porte, Porteria ou encore Inter. C'est que la

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vierge de l'Immaculée-Conception existait avant la Vierge de la Porte.

On a parfois superposé leurs noms, ce qui a brouillé quelque peu les

cartes. Le culte parallèle des deux vierges débuta vers 1570, année de

la première fête de la Vierge de la Porte, et se tenina vers 1940,

année où I'on célébra pour la dernière fois, le huit décembre, la fête de

1'1 mmaculée-Conception.

À l'époque du début de l'influence espagnole au Pérou, la

coutume héritée de l'Espagne était que chaque village devait se choisir

une patronne ou un patron afin d'obtenir sa protection. II était

également très fréquent que la statue du protecteur ou de la protectrice

ait un substitut qui puisse être emmené en procession durant les jours

de fête. Les gens dYOtuzco choisirent la vierge de I'lmmaculée-

Conception peu après la fondation du village. Les premiers écrits sur la

vierge de l'Immaculée-Conception datent de 161 1 où I'on rencontre

dans le livre de baptême de la paroisse, l'énoncé suivant : "En la villa

de la lmmaculada de Otuzco, bauticé, ..." Ce sont les pères augustins

qui, au cours des siècles, ont su organiser et perpétuer le culte à la

Vierge de la Porte.

Le culte à la Vierge de la Porte est donc très influencé par la

culture espagnole et par l'Église catholique. Toutefois, les symboles

païens et les rites éloignés de la religion institutionnalisée qui

composent ce culte qui est l'objet de mon étude, démontrent qu'il s'agit

ici d'un mélange de croyances et de traditions. Par exemple, il existe

une légende pour expliquer la naissance de la vierge de I'lmmaculée-

Conception.

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Elle serait apparue près d'une petite lagune de la rivière. On

l'emmena dans le temple du village mais la nuit elle revenait toujours

près de la lagune. Les habitants du village ont alors pense qu'elle

aimait ce site et une nouvelle église fut construite à cet emplacement.

Pendant la construction, la lagune s'est asséchée peu à peu. C'est

ainsi que I'on raconte la légende selon laquelle la Vierge serait

devenue <c magique 3,.

Selon la courte histoire davantage plausible que I'on peut lire

dans certains manuscrit^'^, le début du culte à la vierge a plutôt

commencé de la façon suivante. Une église a bel et bien été construite

pour Notre-Dame de l'Immaculée-Conception entre 1545 et 1550. 11 y a

même eu une confrérie de I'lmmaculée-Conception jusqu'en 1 940. En

1570, l'Espagne fit don d'une nouvelle statuette représentant

1' l mmaculée-Conception. Cependant, cette image était très espagnole

dans ses traits et son style.lg

On lui fit donc une remplaçante toute latino-américaine que I'on

appela Inter. Selon ce que I'on en sait, des pirates seraient venus vers

1600, par l'Océan Pacifique depuis les côtes de l'Équateur jusqu'à

celles du Pérou. Sachant que les pirates étaient arrives à Trujillo, la

population d'Otuzco, inquiète, prit I'lnter (ou remplaçante) de la vierge

de l'Immaculée-Conception qui était à l'intérieure de l'église pour

'" Dont la Reseiia historica de Fidei Homa- " Feuiiiet historique et programme officiel de la Hermandad.

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l'emmener sur le dessus de la porte de l'église où elle resta pendant

trois jours. Ils croyaient ainsi se protéger."

Les pirates, pour une raison que l'on ignore, sont alors repartis

vers le large en laissant la population de la région de Trujillo, dont fait

partie Otuzco, saine et sauve. On construit donc une enclave spéciale

pour que I'lnter de la vierge puisse rester au-dessus de la porte de

l'église, étant donné qu'il existait déjà une vierge, celle de I'lmmaculée-

Conception, qui occupait déjà la place centrale à l'intérieure de l'église.

L'Inter, comme ont l'appelait à l'époque, reçut plusieurs noms par la

suite dont Notre-Dame de la Conception de la porte, Vierge de la

porteria puis plus tard, de Vierge de la Porte.

De cette façon, le culte à la Vierge de la Porte débuta lentement

mais sûrement en se développant toujours jusqu'à devenir ce qu'il est

aujourd'hui. Peu après ce qui fut considéré comme le miracle des

pirates, on construit une nouvelle église pour adorer I'lnter de

I'lmrnaculée-Conception qui avait sauvée toute la région contre les

envahisseurs. Lentement, la vierge de l'Immaculée-Conception perdit

de I'importance et le culte à la Vierge de la Porte grandit de plus en

plus, à mesure que se multipliaient les miracles.

En 1664, l'évêque du diocèse, Juan de la Calle y Heredia émit un

décret stipulant que la fête officielle de la Vierge serait le 15 décembre

de chaque année et qu'elle serait précédée par I'octavaine2'.

a Feuillet historique de k hermandad ainsi que la Reseiia historica de Fidel Horna. n L'octavaine est exactement comme la neuvaine avec un jour en moins. C'est une tradition qui avait lieu en décembre de chaque année à Otuzco j u q e vers les années 1950.

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Cependant, cette octavaine avait débuté bien avant d'être reconnue de

la sorte, soit vers 1570. Le culte prit alors de la force et c'est en 1943,

lors du troisième congrès eucharistique national du Pérou, que la

Vierge reçut le couronnement canonique et le titre de reine de la paix

universelle qui vint s'ajouter à celui de patronne du Nord du Pérou. La

Vierge de la porte est l'une des 18 vierges au monde à avoir reçu le

couronnement pontifka" tout comme la vierge de Lourdes en France

et celle de Guadalupe au Mexique. Depuis ce 27 octobre 1943, on

célèbre chaque année le couronnement de la vierge.

Aujourd'hui, l'authentique vierge de l'Immaculée-Conception, qui

date de 1550, a été placée au fond du cœur de l'ancienne église qui

sert maintenant de Musée de la Vierge de la Porte. On célébra la fête

de l'Immaculée-Conception pour la dernière fois le huit décembre

1940. Cette extinction du culte à l'Immaculée-Conception ne laissa que

la Vierge de la Porte comme représentante de la ville dYOtuzco ainsi

que comme objet de culte.

Cette fête en l'honneur de la Vierge est devenue la troisième plus

importante après celle du quinze décembre et la semana santa

(pâques). L'image de la Vierge de la Porte est la seule au monde à

posséder un chapitre spécial à la Basilique Saint-Pierre-de-Rome. Cet

événement eut un grand retentissement dans tout le Pérou mais

surtout un impact certain sur la croyance des fidèles qui ne cessait

d'augmenter. La popularité de la Vierge prit également beaucoup

n Le couronnement pontifical est accordé par le Pape à une vierge qui est i'objet d'une forte aoyance et que l'on croit Ia source de plusieurs mirades. Dans ce cas-ci, Pévêcpe de l'endroit fut d&igné en remplacement du Pape pour l'obtention du titre et de la couronne.

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d'ampleur à cette époque. C'est également à partir de ce moment que

débuta la célébration de I'octavaine ayant pour but de se rappeler les

proches décédés durant l'année. Cette fonction a perdu de

l'importance avec les années pour s'éteindre complètement vers le

milieu du XX' siècle.

Le premier épisode qui démontra la force de la Vierge et qui fait

maintenant partie de la légende eut lieu durant le passage à

l'indépendance du Pérou. Les habitants dYOtuzco s'étaient déclarés

depuis le début en faveur de l'indépendance du Pérou. Ne voulant pas

faire cause commune avec les rebelles, ils durent affronter en 1821 les

troupes régulières du colonel Santa Cruz venu pour les soumettre. Les

habitants d'Otuzco implorèrent l'aide de leur Vierge et plusieurs se

réfugièrent dans l'église où des prêtres lui dirigeaient des prières. On

croit que plusieurs des tirs dirigés vers la porte principale n'avaient

aucun effet, ce qui permit aux troupes Otuzcaines de remporter la

bataille. Ce fut une grâce que les gens ont attribuée à la Vierge de la

Porte.

Plus tard, en 1868, la ville dYOtuzco devint le centre des

opérations du général Jose Balta lorsque ce dernier prit la décision de

vaincre le gouvernement Prado. Il promit de donner un superbe

manteau a la Vierge si celle-ci lui accordait la victoire. Finalement, le

colonel Balta l'emporta les troupes du gouvernement Prado. Par la

suite, il remplit sa promesse et donna un magnifique manteau à la

Vierge pour la remercier de la faveur accordée.

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Plus près de nous, le pape Jean Paul II a également visité la

Vierge en 1985. En 1986, les festivités de la Vierge de la Porte sont

passées au calendrier religieux du pays. II existe autre part, plusieurs

répliques de la Vierge de la Porte. Les villes d'Arequipa au Pérou,

Chimbote, Trujillo et Cajabamba ont également une réplique de la

vierge.

On croit que le secret du pouvoir de la Vierge réside dans son

regard et dans ses mains. En fait, tout ce qui n'est pas recouvert de

tissu est considéré comme étant le corps de la Vierge, donc plus

puissant. C'est logique puisque les manteaux de la Vierge sont

changés presque tous les jours et parfois même, pendant les festivités,

deux fois par jour. Malgré cela, plusieurs pèlerins pratiquent le rituel du

manteau. C'est-à-dire que le croyant fait la file derrière l'endroit où est

située la Vierge. II s'agenouille sur un banc entre deux rangées de

cierges dédiés à la Vierge et on lui met sur les épaules un des

manteaux que la Vierge a récemment portés. La personne se

recroqueville complètement sous le manteau, la tête baissée et elle

prie. On croit que les prières ont de biens meilleures chances d'être

entendues de cette façon.

Le pèlerinage vers Otuzco ne se fait pas à longueur d'année

comme par exemple en Europe. On vient plutôt à Otuzco en

décembre, dans le but précis d'assister à la fête et à la procession,

comme s'il s'agissait d'une récompense pour les efforts fournis.

Page 82: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

Dans cette région où la foi évangéliste se propage de plus en

plus, les fidèles se font un peu moins nombreux à chaque année.

Toutefois, cette baisse est très lente. On note que quelques dizaines

de fidèles de la région dYOtuzco optent pour la foi évangéliste à chaque

année. Cependant, en ce qui concerne le pèlerinage, le principal

résultat de ce phénomène est la baisse des fonds venant des caserios

23 voisins. La fête de la Vierge doit compter de plus en plus sur le

financement privé de compagnies ou de familles venant, par exemple,

de Trujillo qui est situé à l'extérieur des zones responsables du

financement des festivités.

3.2. Historique dYOtuzco

CC L'histoire légendaire est la logique même de I'irrationneb.

( Dupront, 1987 : 41 6 )

Otuzco détient la réputation de ville religieuse étant donné

l'ancienneté et l'importance du culte que l'on voue à la Vierge. Cette

petite ville est située au pied du Cholocday, à 2638 mètres au-dessus

du niveau de la mer et à 75 kilomètres à l'Ouest de Trujillo, capitale du

département de La Libertad.

Pour les habitants dYOtuzco, le Cholocday est considéré comme

leur montagne protectrice. Comme Dupront et Sallnow l'ont mentionné

précédemment, cette montagne qui fait partie de la chaîne des Andes

" Regroupement de maison de fermiers. Un peu comme un minuscule village. Phsieurs casmos entourent généraiement un f i g e .

Page 83: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

constitue une

rivière Mochic

sacrée.

partie de l'espace sacré des environs. Par contre, la

qui traverse la ville n'est pas perçue comme une entité

Toute l'histoire d'Otuzco est marquée par plusieurs échanges

avec d'autres cultures. La culture Gallinazo (500 ans av. J-C.) de Viru

sur la côte et la culture Mochica (O à 500 ans ap. J-C.) ont influencé

des les débuts, le développement d'otuzco. En 1480, la ville dJOtuzco

fut incorporée à l'empire inca mais cette période ne dura que 55 ans.

En 1525, les Espagnols prirent le contrôle de la ville. II est très

intéressant de remarquer qulOtuzco est encore de nos jours, influencé

par la culture de la côte. Cet élément est d'ailleurs très évident durant

le pèlerinage de décembre.

Les quatre fondateurs sont Juan de San Pedro, Juan del Canto,

Juan Ramirez et Antonio Lozano. Puisque ces Augustins venaient

d'Orozco en Espagne, on en déduit que de là viendrait le nom

dYOtuzco qui se serait déformé avec les siècles. Ces mêmes religieux

fondèrent également l'autre ville importante de la région, Huamachuco,

quelques années plus tard, soit en 1953."

L'Ermite qui fut le premier bâtiment d'importance érigé à Otuzco

fut également la cellule germinale du village. Elle fut évidemment

construite par les Augustins, confrérie dominante à l'époque dans cette

région. Cependant, avant la fondation d'Otuzco en 1545, il existait au

sud-ouest de l'actuelle ville. un petit regroupement de maisons de

" TÏré de la Resefia historica de Fiel Horna.

55

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briques de boue qui étaient reliées par des rues tortueuses. Des

siècles plus tard, soit en 1890, il fut confirmé par une loi qu90tuzco

devenait la capitale de la province dYOtuzco, divisant ainsi la grande

province de Huamachuco en deux parties: la province de Huamachuco

et la province de Marcabal y Otuzco qui porte maintenant le nom de

province d' Otuzco.

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CHAPITRE 4.

LA FETE PÈLERINE

La religion, bien qu'elle ne soit pas le seul, est un instrument de

reproduction et de légitimation du système de normes que la société se

donne ( Zylberberg : Social Compass IWO, 1 ). La religion populaire

bouleverse les normes déjà établies et, souvent, les sociétés hésitent

devant le changement. C'est pourquoi on voit, comme dans le cas

d'Otuzco, une situation de syncrétisme religieux qui fait surface. Ce

syncrétisme est surtout évident au niveau des symboles.

Calendrier des fêtes d'Otuzco :

27 octobre : Fête du couronnement de

la Vierge de la porte.

Du 1 au 11 décembre : Préparation

logistique et spirituelle pour la fête.

12 et 13 décembre : Arrivée des

pèlerins et début des activités.

14 décembre : Jour de la bajada.

15 décembre : Jour de la procession.

Aussi le jour le plus important de

l'année

Du 16 au 18 : Départ des pèlerins et fin

des activités.

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Du 19 au 30 : Quelques marchands

restent à Otuzco.

31 décembre et 1 janvier : Fêtes du

Jour de l'An. La Vierge est emmenée

sur son piédestal au-dessus de la porte

de l'église.

Première semaine de mai : Fête

d10tuzco

4.1. Organisation de la fête

Otuzco rend hommage à la Vierge de la Porte depuis 1570

, mais la fête officielle date de l'autorisation de l'évêque de Trujillo,

monseigneur Juan de la Calle y Heredia qui fut donné en décembre

1664. En 1996, l'année de ma recherche sur le terrain et de la

rédaction de mon mémoire, nous en étions donc à la 426' édition de la

fête à la Vierge de la Porte. Avant, la neuvaine avait beaucoup

d'importance, mais depuis une vingtaine d'années, c'est la fête qui

prend toute la place. En effet, comme je le mentionne plus haut, on

participe au pèlerinage dans le but précis d'assister à la fête et à la

procession. D'ailleurs, comme Dupront le fait remarquer, le pèlerinage

à pied se fait de plus en plus rare. De nos jours, on vient à Otuzco

surtout en autobus.

Malgré tout, selon mes estimations, il reste environ 7% des

pèlerins qui se rendent encore à Otuzco à pied. Le reste des pèlerins

se rend en autobus. II s'agit de soixante quinze kilomètres dont environ

Page 87: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

les derniers cinquante kilomètres composent l'ascension dans les

Andes. Les pèlerins mettent en général deux jours à se rendre à

Otuzco ce qui les contraint à passer une nuit à la belle étoile. Comme

plusieurs pèlerins sont sur le chemin durant cette période, trouver de

l'hébergement devient très difficile. De plus, les nuits sont encore

fraîches en ce début d'été et peuvent même devenir froides si on se

trouve à dormir le moindrement en altitude. La difficulté du chemin est

accentuée par le passage de nombreux autobus et camions qui

parcourent à une vitesse de tortue cette route très dangereuse, étroite

et non pavée à 70%. En fait, presque chaque année à l'époque du

pèlerinage, la route d'Otuzco fait des victimes.

Toutefois, l'ambiance de la fête est toujours très intense,

chaleureuse, et la qualité des activités varie très peu d'une année à

l'autre. Plusieurs comités et clubs participent à I'organisation de la fête.

Fidèle à la tradition bureaucratique espagnole, chaque personne au

sein de chaque groupe possède des tâches précises et chaque groupe

s'occupe de sa propre série de tâches au sein de cette grande

hiérarchie compliquée. Cependant, il existe trois groupes principaux

organisateurs. D'abord le comité des caserios, ensuite le comité de la

Hermandad puis, finalement le Comité central.

II est important de signaler d'abord que chaque caserio ou petit

groupe de fermiers de la province d'Otuzco participe à tour de rôle à la

fête. Un caserio est une unité plus petite que le village et regroupe

quelques familles. Généralement, de six à huit caserios participent a

l'organisation de la fête chaque année. La province d'Otuzco comptant

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35 caserios, chacun devant mettre la main à la pâte environ à tous les

cinq ou six ans.

Évidemment, certains caserios sont plus riches ou plus peuplés

que d'autres. La qualité de chaque fête joue grandement sur ce

facteur. Pour la partie de la population qui n'est pas particulièrement

croyante ou dévote et qui participe à la fête davantage pour le plaisir

que pour l'aspect religieux, le fait de savoir quels caserios organiseront

la fête cette année-là est très important puisque c'est l'indice le plus

révélateur de la qualité de la fête. Par exemple, la deuxième fois que

j'ai assisté à la fête en 1996, les organisateurs étaient des caserios

plus pauvres et les gens se plaignaient, les commerçants surtout, du

peu de gens qui étaient venus cette année-là et des mauvaises

recettes qu'ils avaient réalisées.

Les caserios s'occupent généralement d'engager les bandas et

d'organiser certaines activités qu'ils choisiront durant l'année précédant

la fête. Mis à part les caserios, la Hermandad est un autre groupe

organisateur qui joue un rôle relativement important pour la Vierge et

pour Otuzco. Ce groupe existe depuis 1950 et a joué un grand rôle

dans l'amélioration de l'environnement religieux de la ville, autant au

niveau de l'architecture qu'au niveau spirituel. C'est ce groupe qui a fait

les pressions nécessaires pour que soit construit l'imposante église

actuelle à la gloire de la Vierge de la Porte, qui peut contenir jusqu'à

trois mille fidèles. Plusieurs y dorment également durant les jours de

fête.

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La Hermandad s'occupe également de gérer les biens de la

Vierge comme l'argent qui lui est donné, ses manteaux et les ex-votos

qui sont parfois d'une grande valeur. Une nouvelle Hemndad est élue

chaque deux ans et est composée d'environ onze membres. Ceux-ci

ont d'abord pour mission de promouvoir l'évangélisation dans toute la

province, de faire connaitre la Vierge de la Porte et de promouvoir ses

bienfaits et sa gloire et, finalement, d'aider à l'organisation des trois

fêtes importantes qui se déroulent à O t u ~ c o ~ ~ . En somme, ils donnent

un appui à la paroisse. Finalement, le Comité central des festivités est

composé chaque année de la Hemandad en place, des représentants

des caserios désignés, du prêtre et parfois de la municipalité.

La fête de la Vierge serait toutefois de bien moindre qualité sans

tous les dons qui sont faits. En effet, par amour de la Vierge mais

surtout pour s'attirer ses faveurs, presque la moitié des pèlerins offre

des cadeaux à la Vierge de maintes façons. Le cadeau le plus

prestigieux est très certainement d'offrir un manteau. Elle ne le portera

qu'une journée, parfois même en temps de fête qu'une demi-journée.

La famille qui fait confectionner un manteau et qui l'offre en 1997 devra

souvent attendre deux ou trois années avant de le voir sur les épaules

de la Vierge. Plusieurs d'entre eux sont exposes au musée de la

Vierge situé dans l'ancienne église juste à côté de l'actuelle église. Ils

sont recouverts de pierres semi-précieuses ou même précieuses et le

travail qui est mis pour chacun est très méticuleux et impressionnant.

La fête du printemps en mai, la Pte du couronnement en octobre et k fête principale en décembre.

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On peut aussi offrir un casüiI8, ce qui est moins coûteux. Les

autorités ne pourraient pas se payer autant de casüiios s'il n'y avait pas

les dons des particuliers. On peut également payer une bandas pour

les quelques jours de festivité tout comme on peut acheter un petit

ballon gonflable avec ou sans publicité dessus. Ces ballons sont

souvent des confections faites à la main qui s'envolent à l'aide d'une

flamme importante à la base du ballon et qui finit souvent par brûler le

chef d'œuvre avant qu'il n'aille bien loin. En fait, plusieurs ne volent

pas très loin. On en brûle près de dix par soir de fête. Finalement, la

dernière façon d'offrir un présent à la Vierge est cette fois beaucoup

plus populaire. C'est à dire qu'on offre ça force en portant la Vierge

durant un certain moment de la procession. II faut même se battre pour

pouvoir porter la Vierge tellement il y a de gens désireux d'assurer

cette honorable souffrance.

Un nombre impressionnant d'activités se déroule durant la fête.

Certaines sont donc relativement nouvelles, certaines autres

n'apparaîtront au programme qu'une fois. II faut mentionner que

plusieurs groupes sociaux ou sportifs profitent de la quantité

impressionnante de gens qui se réunissent à Otuzco durant la fête

pour organiser leur événement et ainsi bénéficier d'un plus grand

retentissement. Pour éviter la confusion, je ne parlerai que des

Castillo signifie château en espagrtoL Les châteaux du pèlerinage d'Otuzco sont constitués de bambous assemblés et articulés de f-on à pouvoir bouger lorsqu'on les brûle le soir venu. Ils sont également remplis de petits feux d'artifices qui illuminent la Place d'armes et qui partent dans tous les sens. ils sont généraiexnent haut d'environs 10 mètres et on en brûie de huit a douze chaque soir du 13 au 15 décembre ainsi qu'au jour de i'an et à la fête d'octobre. Cette pratique n'est pas exclusive à Otuzco.

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activités religieuses et des autres activités qui sont bien implantées

dans le programme de la fête, c'est-à-dire depuis plus de dix ans.

La fête en honneur à la Vierge de la porte se déroule

principalement du 12 au 16 décembre. Je précise principalement parce

que du premier au 1 1 décembre, certaines activités sont organisées

dans le but d'affirmer la foi catholique dans la ville. La neuvaine de la

Vierge a également lieu du quatre au 12 décembre. II s'agit davantage

d'un restant de l'histoire puisque auparavant cette neuvaine gagnait

beaucoup plus de fidèles qui maintenant s'en tiennent à la fête et au

pèlerinage.

De même, les 17 et 18 décembre, alors que la très grande

majorité des fidèles ont quitté le site, le peu de gens qui reste participe

à des prières comme par exemple un saint rosaire que l'on complète

sur l'autel de la Vierge. On participe également à une messe spéciale

appelée Action de grâce pour apporter le bonheur à tous les pèlerins

qui ont participé à la fête. La fête se termine en principe le 16

décembre, cependant quelques activités peu importantes sont au

programme jusqu'au 18 décembre, après quoi la vie reprend son cours

normal. Voyons maintenant comment se déroule la fête en détail.

4.2. Déroulement de la fête

Comme le mentionnait Dupront précédemment, lorsque le pèlerin

aboutit au locus sacral, il voit toutes sortes d'imagos qui caractérisent

ce lieu et qui font reconnaître au pèlerin qu'il y a bel et bien des formes

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extraordinaires en ce lieu qui unit le commun des mortels et le

surnaturel ou divin.

Le terme locus sacral désigne l'endroit où s'accomplit le but du

pèlerin. II est reconnu pour avoir été le site d'une manifestation

surnaturelle, légendaire ou d'un miracle. Quant au terme "imago", il

désigne la représentation de l'objet sacral. C'est par l'imago que la

communication passe. Souvent cette image est idolâtrée et c'est

précisément ce qui en fait un culte vertical. Plusieurs portent sur eux

une image de la Vierge de la porte et ce, tout au long de l'année. Que

ce soit dans un porte monnaie ou comme pendentif, au devant de la

voiture ou de l'autobus, dans le salon de la maison ou dans un

commerce, la Vierge de la Porte représente la chance. Ces images de

la Vierge sont considérées comme étant sacrées.

4.2.1.12 décembre : début de I'atrivée des pèlerins.

La fête proprement dite commence sans aucun doute le 12

décembre qui est également le dernier jour de la neuvaine. Quelques

activités sont organisées, surtout en soirée. C'est aussi le jour où les

pèlerins qui désirent assister à toute la fête, arrivent. Plusieurs

personnes sont déjà arrivées pour pouvoir participer à toutes les

activités du lendemain. Les prix des billets d'autobus pour se rendre à

Otuzco commencent à augmenter et les cris des vendeurs de cierges

se font entendre de plus en plus fort. Ils profitent en effet d'une

compétition encore faible alors que la majorité des vendeurs n'arrive

que le treize décembre.

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4.2.2.13 décembre : le jour de l'aube.

Le treizième jour de décembre est le premier jour où des activités

se déroulent pratiquement sans arrêt. II s'agit d'une journée à

caractère musical où chaque banda se présente. Un des éléments

important de la fête est le fameux concours de bandas qui dure du

début à la fin et pendant lequel chaque groupe tente de jouer plus fort

et mieux que les autres pour augmenter son prestige et sa

rémunération lors d'éventuels événements futurs. C'est à la banda qui

pourra faire danser le plus de pèlerins, animer le plus la foule, se faire

entendre en des endroits et des moments inusités pour faire parler

d'elle le plus possible.

C'est aussi le premier jour où l'on brûle des castillos ou des feux

d'artifices qui sont sans aucun doute la marque de la fiesta un peu

partout en Amérique latine. Tôt le matin, on procède au début d'une

série de messes données en l'honneur de la Vierge. Quelques activités

sportives comme le marathon au Chologday et la finale de soccer ont

aussi lieun. Ces épreuves sportives apportent une autre dimension au

pèlerinage. Le marathon se déroule tout autour de l'immense

montagne du Chologday. Puisque qu'Otuzco est située en altitude, ces

épreuves sont plutôt éprouvantes

t Ces épreuves sporîives apportent une autre dimension au pèierinage. Le marathon se déroule tout autour de Yimense montagne du Chologday. Otuzco étant situé en altitude, cette épreuve est plutôt éprouvante.

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Les organisateurs profitent également du nombre important de

fidèles pour disputer la finale régionale de soccer. En plus du marathon

et de la finale de soccer, le concours de danse fait maintenant partie

de la fête. En effet, la popularité croissante des troupes de danse

folkloriques s'est répercutée sur le programme de la fête et depuis

maintenant quelques années, les danses folklonque~ font partie de la

compétition.

Durant I'après-midi du 13 décembre, il y a le Grand défilé de

l'Aube où toutes les bandas qui participent au concours défilent en

jouant dans les rues pour terminer à la Place d'armes. Le soir venu, un

spectacle avec animation a lieu sur cette même Place d'armes. Au

même moment, on fait brûler des couetes, on lance des petits feux

d'artifices et des petits ballons dirigeables. Vers onze heures, on

commence à brûler les castilos qui se consumeront jusque très tard

dans la nuit et quelques bandas font danser la foule. Le dia del alb#

est aussi le jour où a généralement lieu la Grande Danse ou Gran

baile.

Mot espagnol signtaant ' le jour de l'aube."

76

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4.2.3.14 décembre : jour de la bajada.

Photo no.2

La descente de la Vierge vers le peuple

Cette photo représente le premier grand événement des

festivités : la descente de la Vierge vers le peuple. Ici, elle touche

presque la foule après avoir descendu tranquillement pendant environ

3 heures. On voit très bien la porte de laquelle elle est partie et qui est

également à l'origine de son nom. Un deuxième élément d'intérêt

observable sur cette photo sont les fameux castillos de bambous qui

seront brûlés quelques heures plus tard.

Le jour de la bajada est le deuxième jour plus important après le

jour central, le lendemain. Le mot bajada signifie descente. L'activité

principale de la journée est donc la descente de la Vierge vers le

peuple c'est-à-dire qu'à l'aide d'un mécanisme de poulie, on fait

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descendre la Vierge de son abri vitré situé en plein milieu de la partie

supérieure de la façade de l'église. Elle y restera trois jours en tout. ce

qui constitue le plus long séjour de la Vierge parmi le peuple. La Vierge

sort deux autres fois par année. Une première fois lors de la Semana

Santa, une deuxième fois lors de la fête de son couronnement en tant

que vierge reconnue par le saint père qui se déroule le 27 octobre et,

une dernière fois, durant la fête de la Vierge en décembre.

Le jour de la bajada est aussi celui où les différents groupes

foiklorÏques et musicaux se rencontrent sur la Place d'armes. La

bajada dure environ de trois à quatre heures. Pendant tout ce temps,

les différentes bandas jouent pour la Vierge et les différents groupes

folkloriques comme les gitans et les noirs dansent devant la Vierge, à

tour de rôle. On vient en quelque sorte saluer la Vierge. C'est le

moment où la Place d'armes est remplie à craquer.

Le quatorze décembre est généralement le jour du fameux

Burrocrofl qui a lieu depuis maintenant plus de trente ans. Pour cet

événement. la foule se réunit sur la colline pour assister à cette course

à dos d'âne. C'est une course assez comique à la fin de laquelle on

désigne I'âne le plus rapide et I'âne le plus lent. C'est aussi un

événement très populaire auprès des autochtones. La nuit tombée, on

brûle à nouveau une vingtaine de castillos et les différentes bandas

font de leur mieux pour attirer le plus de danseurs et d'intéressés

possibles. Elles alternent les marineras et les huaynos pour faire voler

les mouchoirs tout le tour de la Place d'armes.

29 Burro veut dire âne en espagnol La course d'âne est donc la traduction EttéraXre du Bwocros.

78

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4.2.4. 15 décembre : jour central. Le jour central est évidemment le

jour le plus important de la fête puisque c'est le jour de la procession.

La journée commence par des prières et la messe puis c'est le tour

des bandas de s'exécuter sur la Place d'armes." En fin d'après-midi on

célèbre la messe la plus importante de fête à laquelle les autorités sont

invitées. Vers trois heures de l'après-midi, tous les groupes présents à

la fête et plusieurs pèlerins ainsi que des religieux se rassemblent sur

la Place d'armes d'où partira la procession. Elle durera jusque vers

minuit. Parmi les groupes présents on trouve les gitans et les noirs, les

colla&', les cusquefioç, différentes bandas et plusieurs fidèles désireux

d'obtenir une faveur.

4.2.5. 16 décembre : jour de la vénération. Le jour de la vénération

est un jour plutôt triste et vide. La ville est très sale, la majorité des

gens sont partis ou partiront tôt. Les gens font la file pour embrasser la

Vierge puisque la foule est beaucoup moins nombreuse et qu'il ne

reste que quelques heures avant de replacer la Vierge en haut de la

porte centrale. On en profite pour la toucher, surtout aux mains, et pour

l'embrasser. On apporte aussi plusieurs objets pour les faire toucher à

la Vierge (photo, mouchoir, chapelet). Ils auront ainsi un pouvoir

spécial.

' Les bandas sont des fanfares qui sont très populaires, du moins au Pérou. mes sont très présentes pendant Le pèlerinage et ce, jour et nuit. Leur but est de se faire remarquer le plus possible pour gagner le concours pour ainsi augmenter la valeur du prodiain contrat

Les collas sont un groupe qui imite les Collas de i'époque précolombienne.

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En après-midi, c'est la subida ou remontée de la Vierge vers son

emplacement habituel. À peine le dixième des gens qui ont assisté à la

bajada sont également présents lors de la subida ce qui est très

significatif. II est en effet normal que l'on s'intéresse bien davantage à

la descente de la Vierge vers soi et à son rapprochement plutôt qu'à

son départ, son retour vers le monde intouchable et abstrait.

4.3. La symbolique des groupes présents

La notion de symbole de Lévi-Strauss est facilement associable à

la même notion vue par Dupront. De plus, les résultats de mes

recherches sur le terrain m'ont permis de découvrir l'importance du

symbole dans l'explication des différents phénomènes pèlerins dont fait

partie le cas dYOtuzco.

Ce qui frappe d'abord l'étranger qui assiste à un pèlerinage, c'est

la quantité de symboles qui lui semblent incompréhensibles, que ce

soit des symboles associés au folklore, aux danses, au visuel, aux

n'tes, etc. Celui qui comprend les symboles du pèlerinage est

davantage en mesure de faire des liens plus subtils et plus pertinents.

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4.3.1. Les gitans

Photo no.3

La danse des gitans

Les groupes de gitans comme celui que I'on voit ici sont les

groupes les plus nombreux. Leurs costumes aux couleurs voyantes et

leurs danses simples sont présentés en offrande à la Vierge, tout

comme les chants du groupe des noirs.

Au Pérou, il n'existe pas de groupe que I'on peut considérer

comme des gitans. L'idée que I'on se fait des gitans nous vient

d'Espagne et ne correspond pas à une réalité locale. Les noirs existent

au Pérou mais surtout dans la région de Piura, sur la côte au nord de

Trujillo. Les noirs qui se présentent à Otuzco sorit des métis ou des

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autochtones qui se déguisent en noirs avec du cirage a chaussure et le

costume s'apparentant à celui des esclaves noirs du siècle passé.

Offrir son enfant n'est bien sûr qu'un symbole ayant souvent peu

de conséquences en dehors des fêtes et du pèlerinage d'otuzco.

L'enfant qui s'est fait offrir à la Vierge restera gitan ou noir toute sa vie

et se déguisera de la même façon à chaque fête. Mais dans les deux

cas, il s'agit de métis, le plus souvent dans le besoin, pour qui les

parents ont cru bon d'attirer les faveurs de la Vierge en lui offrant leur

enfant. II peut s'agir aussi de familles qui ont plusieurs enfants ou

d'une mère qui élève seule son ou ses enfants. Ainsi la Vierge

protégera cet enfant comme s'il s'agissait du sien.

Pour la remercier, ils portent le costume de gitans ou de noirs

selon ce que leurs parents ont décidé, et défilent, dansent et chantent

pour la Vierge pendant toute la fin de semaine. Devenus adultes, ces

gens vont souvent lui offrir à leur tour, leurs propres enfants. Les noirs

et les gitans sont également présents dans d'autres occasions durant

l'année mais dans une proportion tres minime comparativement à la

fête de décembre.

Les gitans forment un groupe tres organisé de danseurs et de

chanteurs qui fut fondé il y a environ quarante ans. La caractéristique

première de cette fête n'est pas la danse comme par exemple, à la fête

de La Virgen de la Candelada =. C'est à dire que leurs pas sont

Cette fête se tient en février de chaque année à Puno, sur les bords du lac Titicaca. C'est le plus grand festival de danses autochtones de toutes la région andine.

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simples et davantage conçus pour la marche en procession. Leurs

chants tout comme ceux des noirs sont davantage élaborés et très

révélateurs. La première fois que l'on a vu des gitans à la fête c'était en

1942. Ils étaient de Laredo, une petite ville au nord-ouest de Trujillo et

qui vit principalement de l'industrie de cannes à sucre.

Le fondateur de ce groupe de gitans est monsieur Mantilla33 qui

a tout simplement eut l'idée de se déguiser de cette façon et, par la

suite, la tradition s'est perpétuée. Maintenant, on compte en moyenne

vingt groupes différents de gitans qui portent sensiblement les mêmes

vêtements aux couleurs brillantes de rouge et de bleu ciel. Ils sont

surtout originaires de Trujillo, de Powenir (en banlieue), de Laredo, de

Chimbote et aussi d'otuzco. Les gitans sont d'abord et avant tout des

danseurs tandis que les noirs sont surtout des chanteurs. Les femmes

sont un peu plus nombreuses dans les groupes de gitans et les

hommes un peu plus nombreux dans les groupes de noirs.

Le détail qui m'a le plus frappé chez les gitans est ce fameux

miroir qu'ils portent tous, hommes et femmes, en plein au milieu du

front. Ce miroir a la forme d'un soleil, ce qui n'est pas sans rappeler

l'ancien objet du culte des Mochicas, présents dans la région, puis des

Incas également présents avant que les Espagnols conquièrent le

Pérou.

" Monsieur Mantiila était très actif dans la municipalité de Laredo dans les années 1970.11 a décidé de former un groupe de gitan original et dans les années qui suivirent, plusieus autres groupes l'imitèrent tout simplenient

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4.3.2. Les noirs

Photo no.4

Le défilé des noirs

On aperçoit sur cette photo un des groupes de noirs qui défile très près

de la Vierge. Le visage noir, le chapeau noir et l'habit de jute sont les

principaux éléments du costume.

Dû au fait qu'ils étaient enchaînés à l'origine, le groupe des noirs

se démarque surtout par leurs chants. Les estimations que l'on est en

mesure de faire par rapport à leurs débuts se basent justement sur

leurs chants. Le groupe des noirs n'est pas le plus ancien groupe

participant à la procession, mais il est plus ancien que celui des gitans.

Page 103: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

Grâce aux chansons qu'ils chantent toujours et qui se sont

relativement bien conservées, on estime qu'ils sont en fait apparus

vers 1860-6V. À l'époque, les noirs qui étaient encore esclaves, se

battaient pour leur libération. La date du début de la participation des

noirs au pèlerhage correspond à l'application de la loi sur l'esclavage.

Etant croyants et dévots à la Vierge de la Porte, ils lui ont attribué ce

mi racle.

C'est pourquoi maintenant, on peut les voir défiler vêtus de leur

sac de jute retenu par une chaîne. Ils ont aussi souvent une chaîne

aux mains. Dans cette région, contrairement au département de Piura

plus au nord, les noirs sont pratiquement inexistants. Chacun doit donc

se peindre le visage avec du noir à chaussure et ce, au minimum

pendant les deux jours principaux de la fête, soit le 14 et le 15

décembre. Se peindre en noir et en être fier dans un pays où cette

couche de la population est perçue comme la plus basse est très

surprenant.

De plus, un peu comme pour le Sefior de los Milagros à Lima, les

noirs sont ceux qui défilent le plus près de la Vierge. (1s sont un peu

ses protecteurs et ne laissent aucun autre groupe danser près d'elle.

Ceux qui sont près de la Vierge durant la procession marchent a

reculons. Ils chantent et sifflent en marchant à reculons, des chants qui

racontent la gloire de celle qui les a sauvés.

34' EIement emmené par Fidei Horna qui se base sur i'époque de l'acceptation de la loi abolissant, du moins judiciairement, i'exlavage au Pérou.

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Voici un exemple de quelques couplets qui sont encore chantés

sur un ton monotone, par les noirs, durant la procession du 15

décembre:

Petite vierge immaculée

tu possèdes mon amour

dans mon cœur bien gardée

je remmène partout où je vais

Petite vierge immaculée

Bénie es-tu Marie

Bénie es-tu chère dame

en ce jour glorieux

Vierge Marie de la Porte

reine de tout le Pérou

aux aveugles tu donnes la vue

aux malades la santé

Vierge mère de la Porte

nous te demandons par grande

nécessité

que le travail ne nous manque

point

c'est l'existence du pauvre

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4.3.3. Les autres groupes

Les Collas sont du point de vue du coup d'oeil, les plus

impressionnants. C'est aussi le groupe le plus ancien que I'on

connaisse ayant participé aux festivités. Au tout début, ils portaient

tous des pièces d'argent et d'or, autant sur leur costume que dans leur

coiffure. Ces pièces ont été remplacées par des pièces de monnaies

habituelles. Ils étaient également très organisés. Leur mission était de

rappeler aux gens la capture, et la mort d'Atahualpa. La majorité des

gens croit que le nom Collas venait d'un groupe portant le même nom

et vivant dans la région de Puno. Cependant, à Otuzco, on croit plutôt

que le nom Collas viendrait en fait du nom que portaient les maîtresses

ou femmes d'Atahualpa qui a d'ailleurs été exécuté à Cajamarca à

environ 80 kilomètres au nord dYOtuzco. Aujourd'hui, ce groupe

contient également des hommes et ils s'en tiennent aux chants. Leur

tenue vestimentaire est nettement d'influence inca.

Plusieurs autres groupes folkloriques participent au pèlerinage ou

ont jadis joué un rôle important. Les Huanchaqueras étaient un groupe

de dévotes qui ont participé jusqu'en 1924 aux pèlerinages dYOtuzco.

Elles venaient depuis Huanchaco à dos d'âne. Ce voyage prenait au

moins deux jours puisque Huanchaco est situé un peu plus loin que

Trujillo, sur la côte. II y avait aussi les Caiiasteros qui se consacraient

à danser avec leurs fameuses couronnes de plume paon. Pour ce qui

est des groupes que I'on peut voir présentement, il y a les Pieles rojas

(peaux rouges) apparus depuis peu et qui jouent le rôle de demi-

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autochtones, demi-diables. C'est le groupe le plus récent à participer à

la fête puisqu'ils n'y sont que depuis environ trois ans. Ils ont

l'apparence des Incas traditionnels, ils chantent et dansent peu. Du

point de vue esthétique, ils sont toutefois intéressants.

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CHAPITRE 5.

ANALYSE DU PÈLERINAGE D'OTUZCO SELON LES ÉLÉMENTS

THÉORIQUES DE DUPRONT

Les quatre caractéristiques du pèlerinage selon Dupront sont

évidemment tirées d'exemples à caractères européens. Le cas

dYOtuzco fait partie de la longue liste de pèlerinages latino-américains

où le syncrétisme religieux donne un mélange culturel de chrétienté et

d'américanisme autochtone. II s'agit donc d'un cas assez typique où le

cadre opératoire de Dupront, même s'il est adéquat, ne suffit pas à

encadrer la totalité des éléments importants du pèlerinage. Ces

éléments suivront donc le cadre théorique qui englobe tout de même la

très grande majorité des caractéristiques dYOtuzco.

5.1. Non-différenciation du sacré et du profane

J'ai remarqué des exemples concrets dont parlait Alphonse

Dupront lorsqu'il traitait de la perception qu'ont les fidèles à l'égard de

la Vierge. La très grande majorité des gens qui participent aux

pèlerinages voient la Vierge comme étant vivante. On lui refait une

beauté à chaque matin. On lui met une nouvelle perruque, on la

débarrasse de toutes les offrandes sur son manteau, on la change de

tenue, on la nettoie tout comme s'il s'agissait d'un être vivant.

Lors de la procession, les porteurs de chaque côté alternent le

ballant l'un après l'autre dans un but tout à fait pratique. Ce

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mouvement crée l'impression que la Vierge marche réellement. On

sent vivement que plusieurs personnes sont fortement touchés

lorsqu'elle passe près d'eux. Un autre facteur accentuant le caractère

vivant de la statue et qui était nouveau en cette année 1996 c'est

l'ajout d'un animateur durant tous les événements où la foule était

rassemblée. Lors de la bajada par exemple, un animateur muni d'un

micro et d'énormes amplificateurs parlait de la force et de la gloire de

la Vierge. Entre chaque intervention, il répétait Si, se siente, la

viergen esta presente m. 35

Pour ce qui est de la fête en général, nous pouvons remarquer

que le matin de chaque jour de fête est consacre à la prière en groupe

et à la messe. Comme si le côté religieux organisé avait été repoussé

aux petites heures où peu de gens sont debout. En fait, un peu moins

du tiers des fidèles qui participent au pèlerinage de façon sérieuse et

consciente participe aux activités religieuses matinales.

Pour les peuples occidentaux qui sont surtout chrétiens, la non-

différentiation du sacré et du profane est plus facilement ciblée. C'est-

à-dire que tout ce qui n'est pas chrétien ou qui s'y rapproche en portant

d'autres noms, est profane. Pour les autochtones, le sacré et le

profane font partie du même ensemble religieux. Le sacré agissant

pour le bien et le profane agissant contre le mal.

Dans le cas dYOtuzco, la non-differentiation du sacré et du

profane s'applique très bien au cadre de Dupront en ce sens que tous

Mots espagnol pour : Oui. on le sent, la vierge est présente.

90

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les gestes et symboles qui meublent le pèlerinage et qui semblent

profanes, pour nous chrétiens se mêlent avec des gestes et coutumes

typiquement chrétiens hérités des Espagnols. En fait, la religion

chrétienne est davantage détachée de la vie quotidienne que la

croyance d'origine autochtone. La religion populaire est donc

entrelacée et indissociable de la vie quotidienne de la région ; elle en

fait partie. Par exemple, la photo de la Vierge agit comme un fer à

cheval ou une patte de lapin. Elle est croyance populaire en même

temps que croyance institutionnalisée. On l'accroche au rétroviseur, on

porte son médaillon au cou. On lui adresse une prière avant

d'entreprendre un voyage, petit ou grand, etc.

Le sacré et le profane se confondent à l'extérieur du pèlerinage

comme nous venons de le voir mais aussi et surtout durant le

pèlerinage. II existe plusieurs exemples pour illustrer davantage cette

caractéristique. Tout au long de la fête, on peut voir des femmes

pleurer face à la Vierge, on peut entendre des histoires de superstition

qui n'ont rien à voir avec la représentation dogmatique de la religion

catholique.

En fait, la majorité des religions allient un certain nombre de

superstitions avec un culte supposé strictement religieux. " En somme,

la non-différenciation du sacré et du profane touche autant le

pèlerinage que la vie quotidienne hors du pèlerinage. En ce sens, la

non-différenciation n'est que la continuation des habitudes de tous les

jours. Elle est surtout rattachée à la superstition et touche, à l'intérieur

36 La question ici est de savoir ou commence et ou finit le syncrétisme religieux.

91

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du pèlerinage, la perception de la Vierge ainsi qu'une partie des

symboles et des rites."

5.2. Immanence du divin

Pour Dupront comme pour Lévi-Strauss, une des fonctions de la

religion populaire est d'approvisionner le groupe en objet, en images et

en adaptations de croyance capable de rapprocher le sacré vers le

commun des mortels. L'importance de voir, de sentir et de toucher la

religion à travers les objets ou les sites sacrés prend tout son sens

dans la religion populaire. C'est ce que Dupront appelle lui-même une

cc nécessite de chair et d'os .(Dupront ; 1987, 91). C'est aussi un

besoin et une exigence de la société que la religion populaire réussit

bien à remplir. Même si la religion populaire est entre autres basée sur

ce besoin, elle est aussi beaucoup plus que cela.

Dans le cas d'otuzco, on croit en l'immanence du divin à cet

endroit pour plusieurs raisons. D'abord, à cause de la légende

miraculeuse de la Vierge qui revenait constamment à la source une

fois la nuit venue. Cet épisode est le premier élément qui est resté très

présent dans l'esprit des gens. Il sert un peu de naissance 1, de la

Vierge. Ensuite, i l y eut l'épisode des deux victoires de guerres. L'une

contre les pirates et la deuxième contre les troupes du général Prado.

Ces épisodes font maintenant partie de la légende à cause de la

participation de la Vierge à la victoire.

Nous pouvons indure dans les rites, tous les efforts qui sont faits pour plaire à la Vierge pour attirer ses faveurs. Par exemple, celui de se déguiser en noir ou en gitan, de protéger la Vierge durant k procession, de lui O& une panoplie de cadeaux, etc.

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En troisième lieu, il y a tous les petits épisodes plus récents de

faveurs accordées par la Vierge. On souligne généralement quelques

cas en particulier dont on note soigneusement le nom, la date et

d'autres détails susceptibles d'augmenter la légitimité du cc miracle >S.

Dans chaque brochure, chaque fascicule, chaque programme et

chaque livret qui parte de la Vierge ou de la fête, ces faveurs

accordées sont relatées jusque dans les moindres détails."

De cette façon, ii est pratiquement impossible de douter du

pouvoir de la Vierge. Elle devient définitivement miraculeuse aux yeux

de tous. Ceux qui n'étaient pas au courant de ses exploits récents

augmentent leur croyance. En somme, l'immanence du divin depuis le

début du culte est produite dans ce cas par l'image sacré autant que

par le lieu. L'immanence du divin et l'historique qu'elle comporte,

devient donc la source de la croyance.

-- - -- - - - -

3a Dans le programme du pèlerinage de 1996, on peut lire à la page. ..

93

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Photo no. 5

La pharmacie de la Vierge de la Porte

Le nom

plusieurs

pharmacie

sortes se

Porte.

de la Vierge représente

un porte-bonheur. Comme

, plusieurs commerces de

donnent le nom de Vierge

Par exemple, les ventes qui augmentent considérablement durant

le pèlerinage ne sont pas sans attirer bon nombre de gens qui,

autrement, n'auraient pas fait le voyage. Que ce soit les dizaines et les

dizaines de vendeurs de cierges ou de feuillets de programmation ou

de chants, que ce soit les résidents dlOtuzco qui possèdent une

boutique, que ce soit les vendeurs informels qui offrent les chaînes ou

le cirage noir à chaussure dont tout les noirs ont besoin pour se

PC ce'

tout

de

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peindre la peau," les vendeuses de sucreries typiques qui multiplient

par dix le chiffre de leurs ventes habituelles, iI y a beaucoup d'argent à

faire avec un tel pèlerinage. Souvent même, les besoins économiques

passent avant cette fameuse vertu que l'on vient aussi chercher dans

le pèlerinage.

A la lumière de ces éléments économiques, on serait porté à

croire que l'immanence du divin à Otuzco, est relative. II semblerait

cependant que malgré les bénéfices hors du religieux comme le pur

plaisir de la fête ou les gains économiques, qu'il est évident pour tous

que le site d'Otuzco est sacré. D'une part parce que la vierge de

l'Immaculée-Conception a choisi de s'y manifester au tout début,

d'autre part, parce que les deux sauvetages favorisés par la Vierge de

la Porte ont suscité une multitudes d'autres miracles reconnus.

L'endroit où se trouve la Vierge est donc légitimé et reconnu comme

étant sacré. II est sacré par le lieu en tant que tel et sacre par la

présence de la Vierge.

Mis a part la manifestation de la Vierge à cet endroit précis et les

deux miracles principaux touchant la communauté entière d'otuzco,

une troisième raison de considérer Otuzco comme sacré selon moi est

l'abondance de pèlerins et de croyants qui participent, ce qui augmente

la crédibilité du culte et du lieu de façon moderne et concrète. Plus il y

a de gens, plus il y a de possibilités de réaliser d'autres miracles qui

contribueront à faire tourner la roue. Nous n'avons qu'à penser à ce qui

-- - -

La grande majorité des gens qui participent comme gitans ou noirs sont en fait des métis de la côte ou des autochtones. Chacun doit donc se peindre le visage.

Page 114: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

se produirait si pour une raison ou pour une autre, plus de la moitié des

pèlerins ne se présentaient pas lors de l'une de ces fêtes. La

population en général tendrait à croire que l'cc efficacité a> de la Vierge

diminue.

Quoi que très autochtone dans ses coutumes et dans son

caractère culturel, le pèlerinage d'Otuzco me semble fortement

influencé par son patrimoine religieux relativement récent. Ce

phénomène nous est plus clairement révélé par cette deuxième

caractéristique de Dupront qu'est l'immanence du divin. II est clair pour

les saciologues andins que le sacré vient de l'historique du lieu plus

que tout. Or, dans le cas dYOtuzco, il est certain que cet élément joue

un très grand rôle mais !e sacré dans ce cas-ci vient bel et bien de la

Vierge. Sans la Vierge de la Porte, la place d'armes dYOtuzco

n'attirerait probablement pas de pèlerins. II est certain que le

Cholocday possède une signification spéciale pour la population, mais

il est vu davantage comme un protecteur passif que comme un lieu

sacré proprement dit. II existe bel et bien un mélange de deux sources

de légitimation et de croyances au sujet du pèlerinage dYOtuzco.

La dimension religieuse vient donc davantage de la Vierge, de sa

légende et surtout des miracles dont elle est capable selon les

croyants. C'est surtout cet aspect du divin à Otuzco qui rapproche ce

culte de ses cousins catholiques européens.

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5.3. Culture panique

Rappelons d'abord que la culture panique est la folie dont

l'humain est capable lorsqu'il est en groupe. En d'autres mots, un

besoin de déraisonnernent spirituel qui est propre au groupe et à sa

culture et qui est si évident à l'intérieur de la religion populaire.. II existe

une foule de symboles qui piquent la curiosité de quiconque n'est pas

initié et qui font partie de cette fête. Ces symboles se retrouvent dans

les vêtements, les décorations, la musique, les chants, les gestes, les

activités en général et même dans les personnes qui participent à cette

fête. J'expliquerai donc dans cette partie, les symboles les plus

pertinents et les plus révélateurs de la fête en général. Ensuite, je

parlerai des symboles que portent avec eux les différents groupes qui

font partie de la fête d'Otuzco.

La fête dure généralement toute la nuit pour recommencer très

tôt le matin. On peut donc affirmer sans trop se tromper qu'elle est

continuelle du 12 jusqu'au 15 décembre au soir. II y a toujours

quelqu'un pour jouer de la musique dans les rues, ne serait-ce que du

traditionnel tambour et la flûte qui l'accompagne. II y a toujours

passablement de monde dans les rues à toute heure du jour et de la

nuit.

Évidemment, la foule devient suffisamment dense à certains

moments au point que personne ne puisse aller dans quelque direction

que ce soit. Tout cela fait en sorte que l'ambiance qui s'installe dans la

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ville est quasi hystérique. Même les gens les plus raisonnables sont

poussés à vivre dans cette ambiance qui les touche jusque dans leur

maison. En effet, presque toutes les maisons d'Otuzco se transforment

en auberge une fois la fête venue. II règne donc une certaine

désorganisation tout au long de la fête. Pratiquement aucun horaire

n'est respecté, certaines activités mineures de la fête sont reportées et

parfois même annulées, d'autres s'y rajoutent.

Chaque sens est sollicité durant la fête qui clôture le pèlerinage.

L'ouïe sert pour la musique presque constante et pour les typiques

couetes qui sont le signe latino-américain que c'est jour de fête.

L'odorat sert pour l'odeur de cierges durant le jour et l'odeur de feu

durant la nuit à cause de tous ces castillos qui brfilent. Le goût sert

pour déguster les fameuses pâtisseries d'otuzco qui sont identifiées

avec le souvenir de la Vierge, même si elles sont confectionnées à

longueur d'année. Le toucher est sollicité précisément lorsque le

pèlerin peut enfin toucher la Vierge après une longue attente de

plusieurs heures. Finalement, la vue qui sert à graver dans sa

mémoire, l'image réelle de la Vierge. Léo Moulin souligne l'importance

des cinq sens dans l'expérience sociale (Moulin; 1975)

La culture panique est omniprésente à Otuzco comme dans la

grande majorité des fêtes, surtout des fêtes religieuses. La dureté de la

vie quotidienne est en proportion inverse avec l'intensité du paniquea lors de la fête. Il semble que le pèlerinage et la fête qui s'ensuit se

40 Dans ce contexte, paniqye est pris au sens ou Dupiont Yentend, c'est-à-dire comme un déraisonnement spmtud propre au groupe et à sa dture.

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complètent dans la production de sens pour le pèlerin. Le pèlerin a

autant besoin de religion qu'il a besoin de fête. Les deux servent en fait

à donner du sens à la vie quotidienne. La religion donne du sens plus

abstrait, spirituel et global tandis que la fête sert à décrocher de la

monotonie et de la misère, tout cela dans un but très concret de

célébrer et de vivre les rares excès permis.

Sur la photo suivante, on peut remarquer que la foi touche autant

les autochtones que les métis. En effet, la foule est composée presque

autant d'autochtones des alentours que de métis venus de la côte. On

les voit ici qui prient tous ensemble au milieu des grands cierges qui

brûlent.

Page 118: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

Photo no.6 Prières sur la Place d'armes

5.4. Culture de masse

En ce qui concerne cet aspect, la culture religieuse catholique et

la culture autochtone se ressemblent beaucoup. En fait, toutes les

religions ont besoin d'une foule pour avoir l'impression de consensus et

de célébrations (Canetti ;1986). Au risque de me répéter, le pèlerinage

est le plus fidèle exemple, le plus fidèle rassemblement des

caractéristiques religieuses d'un peuple et en particulier de la religion

Page 119: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

populaire. Bien qu'il existe des pèlerinages qui s'exercent tout au long

de l'année, on vient généralement chercher davantage qu'une

rencontre avec le sacré.

La rencontre avec ses semblables qui expérimentent les

mêmes sentiments, les mêmes épreuves et les mêmes

questionnements est egalement importante. Pour cette raison, le

pèlerinage est profondément dépendant de la culture de masse. Dans

le cas d'otuzco, l'aspect culture de masse est d'une importance telle

que le pèlerinage devient conditionnel à cette caractéristique. Cette

importance est due au fait que la fête est au centre de cette expérience

pèlerine. Encore ici, la fête, bien qu'elle soit religieuse et dédiée à la

Vierge de la Porte, reste une fête avec son côté célébration du

peuple et cc cassure du quotidien 3). La non-différentiation s'y fait

donc particulièrement sentir.

Page 120: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

CONCLUSION : LE PÈLERINAGE D'OTUZCO: UN PHÉNOMÈNE

CULTUREL REPRÉSENTATIF

II est bon de rappeler encore une fois que le pèlerinage est le

plus fidèle représentant de la religion populaire. La religion populaire vit

avec le peuple, elle en fait partie intégrante. Puisque c'est une

institution vivante et qu'elle est si représentative de la culture

religieuse, elle est extrêmement susceptible de changements.

Le mélange de mode et de culture traditionnelle

La mode est un des éléments qui influence beaucoup le pèlerinage.

Puisque le pèlerinage est une institution populaire, il est vivant et vit au

rythme des influences qui le composent et qui changent constamment.

Cela malgré des éléments d'une stabilité impressionnante comme les

légendes qui forment la légitimité du culte ou certains rites qui existent

depuis fort longtemps. À Otuzco, le rite des Collas est un bon exemple.

Comme nous l'avons vu plus haut, les Collas furent parmi les premiers

groupes à figurer à la procession.

La mode musicale affecte également le pèlerinage. Le groupe

folklorique les Kjarkas a composé depuis quelques années, plusieurs

sayas4'qui étaient suffisamment radiophoniques pour être diffusées sur

les postes de radio à la mode et non pas seulement durant les

émissions folkloriques. Plusieurs autres groupes andins se sont donc

mis à composer des sayas. Ce rythme se danse si bien que

'l Musicpe folkbrique au rythme originaire de la jungle bolivienne.

102

Page 121: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

groupes de folklore se multiplient. Ce phénomène ne se produit pas à

un rythme effarant mais on peut apercevoir un regain d'intérêt certain

pour les groupes de danse et de musique folklorique. J'ai noté que ce

phénomène était fort, surtout dans le département de La Libertad.

Nous avons ici un exemple de tradition musicale qui a traversé

les modes. I l s'agit du traditionnel tambour et flûte de la région. La

coordination est de mise puisque les deux instruments sont joués

simultanément par la même personne.

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Un aspect de la danse qui est également un bon exemple de

tradition qui traverse les modes est la relation et la popularité entre la

marinera et le huayno. Ces danses sont égaiement un exemple sans

pareil du mélange culturel qui existe durant cette fête. En effet, la

marinera et le huayno sont les deux danses les plus populaire à

Otuzco. Elles sont cependant tres différentes et elles ne se côtoient

que très rarement. La marinera est une danse de style très espagnol

qui vient de la côte péruvienne. Elle a deux branches, soit la marinera

limefia (de Lima) et la marinera trujillana (de Trujillo). Otuzco étant

situé près d'un des deux noyaux où l'influence de la marinera est fort

c'est-à-dire Trujillo. li est fort surprenant de voir que I'on danse la

marinera dans les Andes. En fait, je n'ai jamais vu la marinera dansée

ailleurs que sur la côte.

Quant au huayno, il est originaire de la région de Huancayo,

située au sud du département de La libertad. C'est une danse très

autochtone avec beaucoup de zapateo (coup de pied) que I'on a

adaptée puisqu'elle se danse à Otuzco sur la même musique que la

marinera dont on a modifié le rythme. Cette version Otuzcaine du

Huayno se danse également avec le fameux mouchoir normalement

utilisé pour danser la marinera. Cette alternance de huaynos et de

marineras est tres représentative d'Otuzco en ce sens que la grande influence de la côte, représentée par la marinera, se mélange avec la

culture andine représentée par le huayno, qui prédomine normalement

à Otuzco.

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II existe aussi le côté vestimentaire de la mode. Voici un exemple

qui explique bien comment le pèlerinage est vivant et comment il

évolue rapidement. En 1991, un chef de groupe de gitans respecte

s'était blessé aux yeux peu avant les festivités. II a donc été obligé de

porter des verres fumés tout au long de la fête pour ménager ses yeux

le plus possible. Cannée suivante, quelques chefs de groupe de gitans

l'ont imité et cet accessoire est bientôt devenu l'accessoire des chefs

de groupes de gitans. À la fête de 1996, près de 90 % des chefs de

groupes de gitans portaient des verres fumés avec leurs costumes.

La mode touche même la Vierge elle-même. En effet, elle avait

l'habitude de porter le traditionnel manteau rouge. Cependant, depuis

environ vingt ans, elle porte de plus en plus souvent des manteaux

d'autres couleurs. Par exemple, durant les festivités de 1996, elle a

porté durant le jour de la procession, un superbe manteau vert clair. Le

lendemain, elle a porté un manteau jaune tout aussi joli. C'était plutôt

surprenant puisque la plupart des images, les statues, les pendentifs

que l'on possède de la Vierge sont encore tous rouges. On ne s'y

attend donc pas.

La fonction thérapeutique en Occident et au Pérou

Que ce soit la croyance au sein de la religion populaire, de la

religion institutionnalisée ou de la croyance en un chaman ou en un

guérisseur, la croyance reste la croyance avec son même pouvoir de

donner un sens à ce qui n'en aurait pas autrement.

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La croyance est le moteur du pèlerinage. C'est elle qui donne du

sens aux rites et aux actions symboliques qui ont lieu durant

l'événement. Elle est élaborée selon une histoire propre à chaque

société et elle est perpétuée par la société à mesure que le temps

ajoute de la crédibilité au culte.

Dans la région des Andes, la magie et les croyances

precolornbiennes s'entrecroisent et se fondent avec le 'culte chrétien

pour créer l'omniprésence du syncrétisme religieux. Elles ont une

même fin et font partie d'un même processus de création et de

perpétuation.

Puisque l'efficacité d'une pratique ou d'une autre se trouve

souvent dans la croyance que le fidèle ou le patient possède envers le

guérisseur ou le saint thérapeute, il est tout à fait plausible de penser

que le même mécanisme s'opère dans les deux situations.

En effet, le phénomène de la magie est en quelque sorte,

dépendant du consensus collectif. Sans ce consensus qui produit une

certaine pression sur le groupe et qui, du même coup, règle et stabilise

la vie du groupe, la magie perdrait sa force. Cette croyance en certains

mythes répond à des questions qui ne pourraient trouver de réponse

autrement. Elle réduit donc le stress causé par le non-savoir, le néant

et le non-sens. Elle rend la vie plus acceptable et la souffrance plus

tolérable.

Certaines expériences collectives, comme la guerre par exemple,

peuvent devenir intolérables pour l'humain et sa conscience. Le but de

la construction collective d'un schéma pouvant expliquer ces

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expériences négatives est de finir par les tolérer. II n'est donc pas

question pour quiconque de ne pas participer à ces schémas comme

celui de la croyance religieuse.

Pour certaines sociétés traditionnelles, cela signifie la croyance

aux sorciers. Lévi-Strauss démontre bien que l'important dans le

domaine magique n'est pas l'acte magique en tant que tel mais bien

les moteurs te màgiques )B des actions. L'acte magique n'est rien, sans

la source du magique. D'un point de vue plus scientifique, disons que

ces gestes font naître la croyance qui est souvent source de guérison.

Que le patient croit que le chaman se sert de la magie pour guérir ou

qu'il sache que sa croyance en des pouvoirs externes peut l'aider,

l'important dans les deux cas est de croire.42

La société devient alors collaboratrice du guérisseur et, en

échange, ce dernier lui fournit une satisfaction créée par un système

qui donne au groupe la vérité, leur vérité : le sens.

L'attitude du groupe est plus importante que les échecs et les

succès du sorcier aux yeux de la reconnaissance du malade. La même

chose vaut pour le saint thérapeute. Pour cette raison, les fois où les

requêtes ont échouées ont peu d'importance. C'est la population qui

décide en quelque sorte si le saint thérapeute ou le guérisseur est

efficace.

La reconstruction d'une partie de la vérité par le groupe pour la

survie sains des esprits qui le composent fait en sorte que tous y - -

rai effectivement remarguer que plusieurs personnes durant le pèlerinage sont convaincues que c'est la foi qu'ils ont en la vierge qui les sauvera ou qui fixa en sorte que leun faveurs seront accordés. Ils sont très conscients que la vierge ne peut rien pour eux si iis n'y croient pas.

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croient et que tous veulent y croire. C'est ce que Lévi-Strauss appelle

le processus de reconnaissance ou le consensus social. Le fait de ne

pas croire constituerait une attaque contre le groupe, une attaque

contre le bon fonctionnement spirituel et moral du groupe. Voilà

pourquoi ce système se maintient par lui-même. Le sorcier ou le saint

thérapeute n'ont même pas besoin de se justifier tellement le groupe

veut croire en lui. On a besoin d'eux pour constamment faire tenir en

place les morceaux du casse-tête reconstitué.

Ce sont les représentations que le chaman véhicule qui

déterminent la modification des fonctions organiques. Chaque individu

accumule ses expériences antérieures et les organise dans une

structure particulière remplie de lois, qui brouillent la réalité. Ici, la

structure est beaucoup plus importante que le vocabulaire.

L'homme exige de la croyance qu'elle lui fournisse un système

de référence. La valeur dépendra du sentiment de sécurité et de

satisfaction apportée au groupe. J'ajouterai que puisque la pensée

magique peut se comparer à la religion populaire, celle-ci a la même

fonction de fournir un système de référence. De plus, le pèlerinage

joue le même rôle que la cure chamanique en répondant à une

demande par l'entremise du saint thérapeute. En fait, l'univers du

groupe est reconstruit et réaffirmé à chaque cure ou encore à chaque

pèlerinage ou les faveurs ont été accordées.

La pensée magique nous paraît incongrue parce qu'elle cherche

à faire tenir ensemble des éléments qui ne tiendraient pas dans une

structure dite logique. Elle a du sens pour une société qui veut y croire

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mais non pour une autre. En somme, la pensée magique ou le

système de référence religieux qui prévaut dans une société peut

paraître tout à fait insensé pour une société voisine parce qu'elle ne

possède pas le même système de référence.

Le fidèle comme le patient ont tous deux besoin de voir l'objet de

leur croyance. Que ce soit le guérisseur ou le saint thérapeute, le

besoin de visualiser la religion est primordial.

La satisfaction intellectuelle peut être fournie par le guérisseur

comme par le saint thérapeute. La visualisation de l'objet de croyance

compte parmi les éléments de la satisfaction religieuse. Dans les deux

cas, la source ou I'objet de la croyance, ( il s'agit ici du saint ou du

guérisseur), ne sont que des accessoires dans le processus de

croyance. Dans la religion populaire, c'est en fait le groupe qui

organise sa croyance. Le saint ou le guérisseur en restent le centre

mais demeurent tout à fait passifs. A la merci de la réussite de ce

qu'on leur demande mais le plus souvent des signes ou des symboles

que personne ne contrôle et, surtout, de l'interprétation qu'on en fera.

On est également en mesure de noter un peu partout dans le monde

qu'une situation économique défavorable joue en faveur du saint

thérapeute ou du guérisseur.

La seule différence importante entre les deux thérapeutes est le

rôle davantage actif du guérisseur. II donne des explications au groupe

contrairement à la statue sacrée qui ne parie pas. Le groupe joue donc

un rôle d'interprétation beaucoup plus grand dans le cas du saint

thérapeute.

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La place du pèlerinage d90tuzco par rapport aux pèlerinages

andins, latino-américains et européens

Comme nous avons vu plus tôt, Otuzco possède très

certainement des caractéristiques tout à fait andines. Toutefois, sa

situation géoculturelle, l'importance du culte et son histoire font

ressortir plusieurs éléments qui placent le cas d'Otuzco assez près des

pèlerinages européens. Le but de ce mémoire n'est évidemment pas

de donner une étiquette à ce pèlerinage. Par contre, il est intéressant

de classer les différents éléments qui font dYOtuzco un pèlerinage tout

à fait syncrétique. Selon moi, ce cas particulier représente un exemple

très balancé de syncrétisme religieux.

Dans leur cadre local respectif, les sites de pèlerinages important

tendent à émerger et à se développer de façon distinctive du saint

patron ou de la sainte patronne.

Cet exemple de caractéristiques du pèlerinage andin démontre

une fois de plus qu'otuzco n'est pas uniquement tournée vers ses

racines précolombiennes lorsqu'il s'agit de puiser dans ressources

culturelies. Par exemple, la Vierge de la Porte est bel et bien l'objet de

culte. Deuxièmement, l'emplacement du haut lieu saint se situe dans

l'église même et non pas dans la nature près d'un lac ou d'une

montagne sacrée. Troisièmement, il y a bel et bien des activités hors

du sentier religieux prescrit ainsi que des croyances reconnues comme

étant hors des doctrines catholiques, mais la proximité des autorités

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religieuses chrétiennes tout comme le déroulement général de la fête

fait avantage référence au catholicisme qu'aux traditions typiquement

andines.

Un des buts importants de ce mémoire, tout comme son titre

l'indique, est d'attirer l'attention sur le sens de la vie et de la

quotidienneté qui est donné partiellement mais tout de même de façon

importante, par le pèlerinage même. Peu importe certaines

ressemblances avec le culte catholique lui-même ou avec les

traditions religieuses précolombiennes, l'important est la fonction de

production de sens que remplit le pèlerinage. Cette fonction peut très

bien se produire à travers un pèlen'nage, que se soit dans la foi

catholique ou animiste, en autant que la croyance soit présente.

Comme nous l'avons déjà exposé pour le cas dlOtuzco, la

croyance prend sa source davantage dans la foi catholique. Des

indices comme l'emplacement du centre du culte (l'église ou locus

sacral), l'importance de la Vierge et de ses images ( ou imago selon

Dupront ) et des messes. Par contre, la légende des débuts magiques

de la Vierge, le grand respect du peuple pour le Chologday, protecteur

naturel du village et souvent mentionné dans les textes religieux ainsi

que la présence non négligeable d'autochtones participants au

pèlerinage ou même à la procession nous rappelle qu'il y a plus que le

catholicisme institutionnel lors de cet événement.

Je

coupure

me dois de mentionner l'importance sociale du pèlerinage et la

concrète du quotidien qu'un tel événement représente pour un

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fidèle. II s'agit d'un aspect important du pèlerinage et qui le deviendra

sans doute encore plus avec les années. Effectivement, on remarque

en consultant les horaires de fêtes des années passées, que les

compétitions sportives ainsi que les danses qui ont lieu chaque soir ont

prit énormément d'importance par rapport au but principal qui est de

visiter la Vierge et de s'abandonner aux dévotions en lui demandant

des faveurs ou en la remerciant.

Malgré tout, la bajada et la grande procession sont les activités

principales et elles le resteront sans doute pour plusieurs décennies

même si le côté social du pèlerinage qui s'est développé durant le

dernier quart de siècle, est appelé à se développer encore davantage.

Puisque la religion populaire est le résultat de la croyance, la suwie du

pèlerinage comme producteur de sens est assurée.

En fait, le pèlerinage peut rendre service de deux façons.

D'abord, il agit pour les pèlerins comme une source de croyance

fournie à travers le saint ou la sainte qu'ils viennent visiter ou adorer.

Cette croyance est probablement la source de plusieurs guérisons

physiques ou mentales. Ensuite, le pèlerinage produit pour tous ceux

qui y croient, un sens à la vie et une coupure dans leur quotidien. De

plus, le pèlerinage latino-américain représente une excellente

mosaïque d'éléments qui forme un tout et qui est le seul à pouvoir

exprimer la culture ambiante de façon si évidente.

Page 131: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

Index des auteurs

Adams, Walter Randofph: 41.

Arnold, Pierre: 14.

Berger,Peter: 22.

Canetti, Elias: 100.

Crumrine, Ross et Monnis, Alan: 7,9,30,34-41,44,45,51,54.

Dupront, Alphonse: 5,8,1 1-13,15,20,24-28,39,52,54,86190,92,96,1 11.

Durkheim, Émile: 45.

Harvey, H.R.: 37,40.

Homa Cortijo, Fidel Honorato: 59,60,65,86.

Lee Nolan, Mary: 50,60.

Lévi-Strauss, Claude: 26,80,92,107,108.

Millones, Luis: 30, 44.

Moulin, Léo: 98.

Sallnow, Michael J.: 6,9,10,31-33,36,47,48,51,52,54.

Zylberberg, Jacques: 67.

Page 132: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

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Page 135: Geneviève ThibaultLes caractéristiques culturelles et religieuses du Pérou prennent leurs sources dans -la culture espagnole ainsi que dans la culture inca. Le pèlerinage dYOtuzco

Documents divers

J'ai également utilisé une série de documents n'ayant pas d'auteurs particuliers ni de maison d'éditions si ce n'est que quelques commanditaires. Les titres de ces fascicules sont les suivants:

lnmaculada Viruen de la Puerta: Bodas de Oro de su Coronacion Canon ica: Prog rama oficial.

Programa general; Gran feria regional 1996 en honor a la lnmaculada Virgen de la puerta.

Vamos cantando al Sefior.

Otuzco capital de la fe y la feria regional del norte 1996.

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2/ & Sb-

O 1993. Applied Image. Inc. All Rlghts Rese-