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3833. LES ANNES DES RSISTANCES ISLAMIQUES

voir. De la mme faon, pour prendre un exemple similaire, onne saurait mettre sur le mme plan, au nom dun quelconqueabsolutisme moral, le racisme anti-Blancs, qui a pu se dve-lopper parmi certains groupes militants noirs des Etats-Unis etle racisme anti-Noirs de fermiers blancs, dans ces mmes Etats-Unis du dbut du xxe sicle, qui attribuaient la dgradationinexorable de leurs conditions conomiques et sociales auxNgres quils pourchassaient pour les lyncher.

DE LAFFAIRE GARAUDY LAFFAIRE AHMADINEJAD :UNE INSTRUMENTALISATION NGATIVEDE LA MMOIRE DE LA SHOAH

Plus limage dIsral dans lopinion publique occidentale sedgradait pour cause de guerre du Liban, puis dIntifada, etplus Isral et ses partisans inconditionnels en Europe et auxEtats-Unis voir lexcellent ouvrage de Peter Novick, TheHolocaust in American Life, paru en 1999 prouvaient le besoinde ressourcer la lgitimit et lintouchabilit de lEtat juif.Cest dans ce contexte que linstrumentalisation politique dela mmoire de la Shoah atteint son apoge, accompagne dun

dluge de productions littraires et audiovisuelles qui ajou-trent lunicit de la Shoah une dimension nouvelle : aucungnocide dans lhistoire na t lobjet dune telle considra-tion, ce qui na pas manqu de susciter une forte exacerbationde la concurrence des victimes.

Cette instrumentalisation de la Shoah fit des mules, dautresEtats prdateurs jugeant que la recette isralienne pouvait leurtre utile. Que de nouveaux Hitler nont pas ressurgi depuis lafin de la guerre froide, produisant une banalisation inquitante

du nazisme et de la Shoah : Saddam Hussein fut mme qualifide pire que Hitler par George Bush pre en 199133, avant que

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384 III. LE TEMPS DE LA NAKBA

son fils ne reprenne cette comparaison onze ans plus tard34, lui-mme dtenant vraisemblablement le triste record davoir tle prsident amricain le plus compar Hitler dans lhistoire.Lanalogie Hitler/Juifs/Allis pour Milosevic/Kosovars/otanfut consomme sans modration durant la guerre du Kosovo en1999, suscitant mme lindignation dun Claude Lanzmann :

Je constate dailleurs que ce phnomne de comparaisonautomatique est nouveau : les intellectuels nont pas eurecours cette rfrence la Shoah aux pires priodes de laguerre dAlgrie, quand les combattants du fln taient assas-sins en masse, torturs, et de vastes zones entirement videsde leurs habitants. Idempour la guerre du Vietnam quand descentaines de villages, des forts, des rizires taient rass aunapalm. Mme pendant la guerre du Biafra, qui a vu natrela pratique et lidologie de lhumanitaire, on se passait de lacomparaison avec le nazisme. []Ces rfrences perptuelles la Shoah, cest une faon

de museler toute parole. Interdiction de parler. Plus dedbat35.

Bien vu. Lanzmann ne pensait certainement pas Isral, maiscest l, en effet, le but premier de linstrumentalisation de laShoah par lEtat sioniste, comme le soulignait Idith Zertal : Aumoyen dAuschwitz devenu au fil des ans la principale rf-rence dIsral dans ses relations avec un monde dfini de faonrpte comme antismite et hostile tout jamais Isral sestimmunis contre toute critique et sest rendu impermable un dialogue rationnel avec le monde qui lenvironne36. Undiagnostic que confirme mot pour mot Avraham Burg, qui at prsident de lAgence juive et du Mouvement sioniste mon-dial, vice-prsident du Congrs juif mondial et prsident de laKnesset, et qui va mme plus loin dans lexploration de la faondont le souvenir de la Shoah est utilis par Isral :

Toute mort se transforme pour nous en assassinat, toutassassinat en pogrome et tout attentat en acte antismite.Chaque nouvel ennemi est un Hitler en puissance, et chaque


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danger qui se profile une Shoah potentielle. Nous, avec bonnombre de nos dirigeants, croyons que le monde est dresscontre nous et veut nous anantir. Nous croyons tre perp-tuellement entours dennemis et de perscuteurs prts nous liminer. Cest la raison pour laquelle nous tuons enpremier. []Du fait de la Shoah, nous voulons une arme toujours pluspuissante, une augmentation des aides financires ext-rieures, le pardon continuel pour les fautes que nous com-

mettons, et nous ne supportons aucune critique37.

Cest cette mme instrumentalisation quotidienne du grandmassacre par la classe politique isralienne que dnonait ga-lement Pierre Vidal-Naquet :

Du coup, le gnocide des Juifs cesse dtre une ralit his-torique vcue de faon existentielle, pour devenir un ins-trument banal de lgitimation politique, invoqu aussi bien

pour obtenir telle ou telle adhsion politique lintrieur dupays que pour faire pression sur la Diaspora et faire en sortequelle suive inconditionnellement les inflexions de la poli-tique isralienne. Paradoxe dune utilisation qui fait du gno-cide la fois un moment sacr de lhistoire, un argument trsprofane, voire une occasion de tourisme et de commerce38.

Comment stonner ds lors que cette instrumentalisa-tion de la mmoire de la Shoah par Isral ait suscit une

recrudescence en flche de linstrumentalisation ngative decette mme mmoire dans le monde arabe ? Dautant queles raisons mmes pour lesquelles linstrumentalisation isra-lienne sintensifia, cest--dire les crimes de guerre commispar larme dIsral qui entranrent la dtrioration de sonimage, ces mmes raisons portaient le ressentiment arabe son paroxysme. Et dautant que les prventions intellectuellescontre cette instrumentalisation sont naturellement bien plusfaibles dans le monde arabe quen Isral et en Occident, tantpour des raisons politiques videntes que pour des raisons dediffusion des connaissances.


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Deux affaires, ces dernires annes, ont t loccasion duntalage de proclamations ngationnistes au sujet de la Shoah dansle monde arabe : laffaire Garaudy et laffaire Ahmadinejad.

Laffaire Garaudy clata en 1996 avec le procs pour nga-tionnisme et provocation la haine raciale intent RogerGaraudy, ex-philosophe officiel du Parti communiste franais,converti au catholicisme, puis lislam, avant de devenir unefigure de proue du ngationnisme et de lantismitisme. Le

procs visait louvrage dj voqu de Garaudy, Les Mythes fon-dateurs de la politique isralienne, publi en 1995 par une officinengationniste. Cest un ouvrage de facture ngationniste, quirduit considrablement les chiffres du gnocide juif et nielutilisation des chambres gaz des fins dextermination,dans un contexte gnral empreint dun antismitisme vident,mlant critique du judasme et critique du sionisme.

Le procs qui fut intent contre Garaudy sappuyait sur la loi

franaise dite loi Gayssot, du nom du dput communiste quila prsenta au Parlement en 1990. Cette loi pnalise la remiseen cause de lexistence des crimes contre lhumanit reconnuscomme tels par le tribunal militaire international qui sigea Nuremberg en 1945-1946. Elle est controverse en Francemme, notamment par des historiens prestigieux au premierrang desquels figurait Pierre Vidal-Naquet, pourtant connu pourses crits contre les assassins de la mmoire ngationnistes39.

Comme pour donner raison aux opposants la loi, le procsintent Garaudy profita grandement ce dernier, tant au sensfigur quau sens propre. uvre sans intrt, qui serait proba-blement reste quasi confidentielle, comme la grande masse despublications ngationnistes, si elle navait t lobjet dun scan-dale public, le livre acquit une clbrit extraordinaire et connutune circulation massive, en partie la manire dun samizdat.Lauteur put se prsenter comme victime dune violation de lalibert dexpression, inflige par ceux qui recourent la rpres-sion des ides parce que selon ce que ses partisans soutinrentinvitablement ils craignent un dbat qui dvoilerait ce quils


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cherchent cacher. Argument fallacieux, bien entendu, puisqueles thses ngationnistes sont librement exprimes en dehorsdes quelques pays o elles sont bannies par la loi, et quelles ontt dailleurs largement dcortiques et rfutes40.

La conversion lislam de Roger Garaudy en avait dj faitun exemple abondamment cit par ceux qui aimrent y voirune confirmation de la supriorit de la religion islamiquesur le marxisme. Le procs qui lui fut intent en France et sa

condamnation finale achevrent den faire un hros aux yeuxdes intgristes musulmans, des ultranationalistes et autres anti-smites du monde arabe, mais aussi dune masse de nationalistesse solidarisant avec un Garaudy victime de la propagande sio-niste. Tous chantrent ses louanges des degrs divers, devantun public largement ignorant des donnes de la question etprincipalement motiv par lanimosit contre Isral. Le livre deGaraudy fut, bien sr, immdiatement traduit en arabe et publi

Beyrouth, dabord, ds 1996, puis au Caire en 1998 avec, onla dj vu, une prface de Mohamed Hassanein Heikal.Garaudy fit une tourne triomphale dans plusieurs pays

arabes. Il fut invit par des nationalistes au Liban et en Jordanie,par le ministre de lInformation (sic) en Syrie, par les minis-tres de la Culture (re-sic) du Qatar et dEgypte dans ce der-nier pays, il fut reu par le Grand Imam de la mosque Al-Azharet recteur de luniversit qui lui est associe, principale institu-

tion thologique de lislam sunnite , sans parler du soutienchaleureux des autorits iraniennes. Lpouse du prsident desEmirats arabes unis fit don Garaudy de plus du double delamende laquelle la justice franaise le condamna. Il fut citou interview par un grand nombre de mdias, et continue tre cit comme une autorit sur le sionisme et la Shoah. Denombreux intellectuels arabes dclarrent leur solidarit aveclui, quelques-uns au nom de la libert dexpression, beaucoupen souscrivant ses thses41.

Laccueil que reut Garaudy dans le monde arabe fut toutsimplement catastrophique. Il fut le symptme dun mal


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beaucoup plus profond et plus important que la question dungationnisme lui-mme : la formidable rgression intellec-tuelle en cours dans le monde arabe depuis plusieurs dcennies,produite par la dgradation de lenseignement, ltouffementdes liberts intellectuelles qui, l o elles sont tolres par lesgouvernements, sont asphyxies par linfluence croissante delintgrisme religieux, et labrutissement des populations pardes tlvisions qui, dans le meilleur des cas, refltent la btise

ambiante et, le plus souvent, laggravent considrablement.On ne prendra ici o il ny a ni le got ni la place pour les

talages obscnes quun seul exemple rvlateur : un ouvrageconsacr au contexte historique du procs de Roger Garaudy,paru Beyrouth en 1998, qui revendique un caractre univer-sitaire, lauteur arborant firement en couverture le titre dedocteur42. En couverture galement, une fusion des drapeauxnazi et isralien avec au centre une toile de David bleue sur

croix gamme noire. Reprenant tous les poncifs de la littraturengationniste antismite europenne, lauteur situe le procsGaraudy la confluence du sionisme chrtien de France avecle sionisme nazi dAllemagne et le sionisme juif dIsral.

Tout cela serait sans intrt autre que pathologique silauteur navait plac en annexe de son ouvrage un florilge dedclarations et darticles de soutien Garaudy et ses thses,publis au Liban et dans quelques pays arabes. On y trouve

les prises de position de dignitaires religieux parmi lesquelsMuhammad Hussein Fadlallah, qui ntait pas encore aya-tollah, le chef du Conseil islamique chiite suprme du Liban etle Mufti de Syrie, ainsi que celles des Unions des crivains duLiban, de Syrie et de Jordanie, de lOrdre des avocats syrienset de lUnion des avocats arabes. Sy trouvent galement repro-duits un compte-rendu dune runion de juristes, politicienset journalistes, tenue Beyrouth en janvier 1998 en solidaritavec Garaudy, ainsi que plusieurs articles de divers auteurs etpersonnalits, dont un ministre libanais de lEnseignementtechnique et professionnel43.

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