Gallot, Didier - Les Grâces de Dieu (1993)

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Didier Ga/lot "' liS GRACIS Dl DIEU Albin Michel Le scanclale cles grâces présiclentielles nmx - 2013

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Le président de la République dispose en matière de grâce de pouvoirs discrétionnaires supérieurs à ceux dont bénéficiaient les monarques sous l'Ancien Régime. Il peut, sans avoir à s'en expliquer, sans même que sa décision soit rendue publique, faire pencher dans un sens ou dans l'autre la balance de la justice, effacer une peine, de quelque nature qu'elle soit. Depuis 1981, cette pratique a pris une ampleur encore inconnue, permettant de libérer des milliers de détenus, mais aussi de régler un certain nombre de situations personnelles, qu'il s'agisse de l'incarcération de la jeune milliardaire Christina von Opel ou des amendes impayées d'Harlem Désir, sans oublier le sort de Luc Tangorre, de Knobelspiess, du frère de Jack Lang et de quelques membres du Parti socialiste en difficulté. Juge d'instruction aux Sables-d'Olonne, auteur chez Albin Michel des Fossoyeurs de la justice et des Fossoyeurs de la police, Didier Gallot a entrepris d'explorer cette étonnante dérive, d'en comprendre les origines et d'en décoder les filières. Une enquête inédite au coeur des plus obscures manipulations politico-judiciaires.

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liS GRACIS Dl DIEU

Albin Michel

Le scanclale cles grâces présiclentielles nmx - 2013

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LES GRÂCES DE DIEU

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Du même auteur aux Éditions Albin Michel

LES FOSSOYEURS DE LA JUSTICE

LES FOSSOYEURS DE LA POLICE

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Didier Gallot

A

LES GRACES DE DIEU

Le scandale des grâces présidentielles

Albin Michel

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© Éditions Albin Michel S.A., 1993 22, rue Huyghens, 75014 Paris

ISBN 2-226-06493-1

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« La multitude des crimes en assure l'impunité lorsque l'État dépérit. Les fréquentes grâces annoncent que bientôt les forfaits n'en auront plus besoin et chacun voit où cela mène. »

J .-J. Rousseau, Le Contrat social.

«Ah! tenez, Monsieur, tout cela, c'est trop malin pour moi, et simplement cela ne me plaît pas de voir mon maître faire bande avec ceux qu'on arrête, et défaire avec eux le travail qu'on a fait pour lui. »

André Gide, L'Immoraliste.

« Le président de la République a le droit de faire grâce. »

Art. 17 de la Constitution.

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PRÉAMBULE

Il n'existe aucune statistique connue sur les grâces présidentielles.

L'on sait seulement que le nombre des requêtes a été multiplié par trois en dix ans.

Chaque année, plusieurs centaines de grâces indivi­duelles sont octroyées par le président de la Répu­blique.

Ces mesures ne font l'objet d'aucune publicité officielle.

La direction des affaires criminelles et des grâces est un des postes les plus sensibles de la République française.

Ce service a fait l'objet d'un noyautage complet par les hommes et les femmes de la présidence de la République.

Les dernières péripéties ayant accompagné le refus par François Mitterrand d'entériner la nomination du procureur de la République du Mans, comme direc­teur des affaires criminelles et des grâces illustrent parfaitement le propos de ce livre.

Il faut de toute urgence procéder à l'état des lieux et mesurer l'étendue des dégâts causés en ce domaine.

Cet ouvrage a pour but de lancer un débat qui est particulièrement d'actualité.

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CHAPITRE PREMIER

La grâce et quelques choses que je sais d'elle

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Grâce. Rarement terme de la langue française aura exprimé autant de douceur. Beauté, charme, misé­ricorde, la notion de grâce ne souffre aucune inter­prétation malicieuse. Pardon des offenses, bonté rayonnante, élégance des corps et des mouvements, ce mot a le privilège de posséder une puissance d'évocation d'une force étonnante et mystérieuse. Dieu se penche sur les pécheurs et d'un geste efface tout. La grâce est un don du ciel.

C'est tout naturellement que ce droit de rémission est devenu le plus bel attribut de la souveraineté.

Le Prince, qui a délégué le droit de punir et de faire justice, a conservé celui d'accorder le pardon. Quelles que soient les raisons pour lesquelles l'indulgence s'impose, le souverain, dont la mission est de veiller au bien public, se doit de pardonner quand l'intérêt général le commande. L'utilité publique est en effet la mesure ultime des peines et des sanctions.

Le droit de grâce, « exécuté avec sagesse », est une admirable possibilité qui permet de remédier aux rigueurs excessives, voire aux errements d'une insti­tution judiciaire dont le fonctionnement est assuré par des êtres faillibles appliquant des lois souvent bien rigides.

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C'est la raison pour laquelle le président de Belliè­vre s'était opposé avec force et dignité au roi Louis XIII qui voulait être juge au procès du duc de La Valette.

« Votre Majesté voudrait-elle voir sur la sellette un homme devant elle, qui par son jugement irait dans une heure à la mort ? Alors que bien au contraire, la vue seule des rois portait les grâces et levait les interdits des églises. La rigueur de la justice est entre les m~ins des juges, mais le droit de pardonner appartient au monarque. »

La grâce c'est aussi cette clause que les cours criminelles ajoutaient jadis au bas de leurs terribles sentences, ordonnant que le condamné soit rompu vif, son corps mis sur une roue ... mais aussi que ses souffrances soient abrégées. Le bourreau devait alors porter ce fameux« coup de grâce »sur la poitrine de l'homme martyrisé afin de l'empêcher de languir plus longtemps. Combien de malheureux, après avoir entendu la lecture de leur condamnation, n'atten­daient plus que ces mots leur assurant une mort plus douce.

C'est à la civilisation romaine que nous dey ons, entre autres, le droit de grâce. Transmis par l'Eglise aux rois francs, il fit sa réapparition au xne siècle après une éclipse de près de trois cents ans.

C'était le temps où s'affirmait le pouvoir royal. P~ndant quelques siècles, la monarchie capétienne et l'Eglise catholique se disputèrent encore le droit de pardonner. En 1498, pourtant, l'ordonnance de Blois permet à Louis XII de le classer définitivement dans les accessoires de la monarchie. Les évêques

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d'Orléans conservèrent cependant longtemps le pou­voir de donner des lettres de grâce à tous les criminels qui venaient se rendre dans les prisons d'Orléans à l'occasion de leur entrée solennelle dans le diocèse.

La Grande Encyclopédie nous apprend que, si dans les premiers temps, il ne s'en trouva que deux ou trois, les choses se gâtèrent rapidement. En 1707, ils étaient 900 vauriens à solliciter la clémence de leur pasteur; en 1733, 1200 chenapans et malandrins profitèrent de l'aubaine épiscopale.

Aussi, un édit royal de 1753 devait-il préciser utilement la répartition des prérogatives de chacun : il n'appartient qu'à la puissance souveraine de faire grâce. Les rois de France, reprenant les traditions des empereurs chrétiens, ont coutume de faire droit aux demandes des évêques, mais il ne s'agit là que d'une dérive des indulgences accordées aux pécheurs par les autorités religieuses.

Le monarque, constatant que l'usage ne puise pas sa source dans des titres d'une indiscutable autorité, en fixe désormais des limites aussi étroites territoria­lement que substantiellement. Dorénavant, seuls les crimes ou délits commis dans le diocèse d'Orléans seront pardonnables par l'évêque lors de son entrée solennelle. De plus, un certain nombre de faits graves tels que l'assassinat, le meurtre, ou les atteintes portées à l'autorité judiciaire sont exclus du bénéfice de cette mesure.

L'Église avait en effet usé et abusé d'un « droit d'intercession » qu'elle tenait de la lointaine époque où elle seule assurait un semblant de continuité au milieu du chaos institutionnel. Ses interventions s'étaient multipliées et avaient abouti à de nombreux

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excès. L'on se rappelle ce fameux droit d'asile dans les églises du royaume qui était généralement suivi de la grâce de celui qui avait ainsi réussi à échapper aux sergents du roi.

Mais le droit de grâce était aussi devenu le moyen idéal de soustraire un coupable bien entouré et soigneusement protégé au sort commun des délin­quants et criminels ordinaires. Les choses n'ont au demeurant guère changé, comme nous allons le découvrir plus loin. , Le peuple n'appréciait pas ces passe-droits. Les Etats généraux tenus de 1560 à 1614 dénoncèrent à quatre reprises les pratiques royales.

Les lettres d'abolition étaient l'institution la plus critiquée. Il existait sous l'Ancien Régime une multi­plicité de possibilités offertes au souverain d'accorder ~a grâce. La grande ordonnance criminelle d'août 1670 distingue l'abolition de la rémission et du pardon, le tout étant regroupé sous le terme généri­que de grâce.

La lettre de pardon permet d'exonérer de toute responsabilité un homme qui s'est trouvé mêlé à une affaire criminelle sans en être ni l'auteur ni le complice. Tout juge connaît encore de nos jours ces cas de bagarres généralisées, à l'issue desquelles un cadavre demeure sur le terrain. Le Prince, jadis, pouvait accorder son pardon au participant s'il n'était pas le responsable direct du meurtre et s'il n'y avait point aidé.

La rémission était octroyée à celui qui avait commis un homicide involontaire ou se trouvait en état de légitime défense ou bien pouvait bénéficier d'un autre fait justificatif.

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Mais l'abolition s'appliquait aux crimes qui n'étaient pas de nature à être remis. La grâce était alors accordée et ne visait que la peine, laissant subsister la culpabilité.

Toute une procédure relativement lourde fut orga­nisée par l'ordonnance de 1670 et ménageait un rôle important à l'institution judiciaire. Le bénéficiaire de la lettre d'abolition devait se constituer prisonnier en attendant que se déroule la procédure d'entérinement devant le Parlement. Celle-ci prévoyait la présenta­tion des lettres à l'audience, à genoux et tête nue, puis la reconduite du gracié en prison jusqu'à l'enregistre­ment par la juridiction de la mesure de clémence.

La grande ordonnance criminelle excluait formelle­ment certains crimes du champ de l'exercice du droit de grâce. Si la procédure d'entérinement faisait appa­raître que la bonne foi du souverain avait été surprise et que le condamné n'avait obtenu la mesure que par mensonges ou dissimulations fautives, la sentence était exécutée. Et, selon la jolie formule du Diction­naire de l'Académie française de 1772, « il avait exposé faux et il a été pendu avec sa grâce au cou ».

Le ro~ avait donc tenu compte des critiques émises par les Etats généraux et avait fixé des limites à son pouvoir. La procédure d'entérinement en constituait une, de même que l'exclusion de certains forfaits et des récidivistes du bénéfice de la clémence royale. Cela dit, le souverain ne respectait pas toujours les règles qu'il s'était imposées.

La contestation générale de l'institution monarchi­que dans ce qu'elle avait de sacré se déchaîna au XVIIIe

siècle. Elle n'épargna pas le droit de grâce. Les incorrigibles optimistes estimaient que les lois deve-

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nant plus douces, la clémence était de moins en moins nécessaire. Montesquieu, pour sa part, considérait que le droit de grâce étai~t étroitement lié à la nature du gouvernement. Un Etat modéré use de la clé­mence ; le gouvernement despotique ne repose que sur la terreur. Vue admirable et prémonitoire. Dans la Grande Encyclopédie se trouve une critique mesquine et rageuse de la prérogative royale qui annonce bien les diatribes glacées de Pauvre Bitos 1•

« La nature même des lettres d'abolition a quelque chose qui outrage l'humanité. Différentes en ceci des lettres de pardon ou de rémission, elles ne s'accordent qu'à de vrais criminels. Et c'est moins les circons­tances de fait que la qualité du coupable qui en détermine la concession. Elles seraient accordées à l'homme puissant pour le même crime qui conduirait l'homme du peuple au gibet. S'il fallait mettre une différence entre deux criminels, ce devrait être pour aggraver la peine de celui qui tient dans la société un rang plus considérable. Il paraît donc que les lettres d'abolition s'éloignent du but de toute législation, qui veut que le crime soit puni sans faire acception du criminel. »

L'abolition du droit de grâce était inscrite dans la logique de ces quelques lignes.

Il est vrai que les fraudes étaient fréquentes, et le Prince imposait parfois sa grâce dans des conditions détestables. Le rôle joué aujourd'hui par le lobby d'obtention des grâces présidentielles était alors

1. Célèbre personnage d'Anouilh. Symbolise parfaitement un certain « homme de gauche ». S'adonnerait aujourd'hui aux joies de la fausse facturation.

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assuré par le système relationnel existant au sem d'une société inégalitaire.

Le système procédural mis en place par la grande ordonnance de 1670 présentait de réelles insuffi­sances. La mesure de clémence était en effet accordée avant toute enquête. Ce n'est qu'après cet octroi que la procédure d'entérinement permettait de vérifier si le bénéficiaire y avait réellement droit.

Or, parmi les grâces accordées, certaines, dites « obreptices », l'avaient été sur des exposés menson­gers; d'autres, dites « subreptices », en fonction d'une argumentation très incomplète. De plus, la mesure avait un champ d'application extrêmement vaste et complexe. Les lettres de rémission rendaient possible, en fait, une individualisation des peines que ne permettait pas la loi pénale en vigueur. Celle-ci punissait le fait, indépendamment des conditions de son déroulement et de la personnalité de l'auteur.

La grâce remplaçait donc aussi bien les circons­tances atténuantes que la légitime défense, l'excuse de provocation ou les causes d'exonération de notre droit pénal.

Elle assurait également le rôle joué de nos jours par les lois d'amnistie en dispensant de sanction l'auteur d'une infraction, voire une catégorie d'habitants du royaume, avant toute condamnation.

Cette complexité amenait inévitablement un empiétement du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire. La juridiction qui allait devoir examiner la cause savait, en effet, avant même d'avoir ouvert le dossier, quelle était la décision royale.

Si le Parlement se refusait à enregistrer la décision du Prince, celui-ci pouvait l'y contraindre, en lui

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enjoignant de se contenter du serment du gracié comme seul moyen de preuve de non-culpabilité.

L'Assemblée constituante de 1791 s'attacha à sup­primer le droit de grâce, suivant en cela le rapport de Le Peletier de Saint-Fargeau.

La volonté de rabaisser le pouvoir royal dans ce qu'il avait de sacré, et d'en finir avec la monarchie absolue avait certes inspiré le législateur, mais il est évident que l'étendue des domaines dans lesquels s'exerçait le droit de grâce, et les inévitables abus qui en découlaient avaient également joué un rôle dans l'adoption de cette mesure excessive, qui allait être suivie par bien d'autres!

Mettant fin au vertige du néant qui s'était à l'époque (déjà!) emparé d'un pays légal paralysé par la corruption et l'incapacité de ses dirigeants, Bona­parte s'empressa de rétablir le droit de grâce par le sénatus-consulte du 16 thermidor an X. Dès lors, il e'ancra définitivement dans nos institutions.

La Constitution adoptée le 27 octobre 1946 par le peuple français consulté par référendum maintint le droit de grâce mais elle l'assortit de sévères restric­tions. Le président de la République n'exerçait plus cette prérogative qu'en Conseil supérieur de la magis­trature, se contentant, en cas de partage, de disposer d'une voix prépondérante.

La Constitution de 1958 rétablit, bien entendu, le chef de l'État dans la plénitude de ses pouvoirs régaliens.

« Le président de la République a le droit de faire grâce. »

Si, depuis le Consulat, tous les régimes ont sans

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exception conservé cette institution, c'est parce que celle-ci a une valeur universelle. On la retrouve du reste dans toutes les nations évoluées.

De tout temps et sous toutes les latitudes, il est apparu nécessaire de maintenir un espace d'humanité dans l'exécution des décisions frappant un condamné. La grâce constitue une indispensable soupape de sécurité, qui permet l'humanisation du fonctionne­ment de la machine judiciaire. Le procès pénal, lorsqu'il est lancé, se déroule mécaniquement et l'erreur est toujours possible. Quand la peine de mort existait encore, le caractère définitif et irrémédiable de la sanction imposait l'existence d'un ultime recours.

Des éléments nouveaux peuvent surgir dans une affaire qui imposent, avant toute révision du procès, la suspension de l'exécution de la sanction.

La peine devrait avoir, n'en déplaise à ceux que les seules notions d'interdiction et de sanction font frissonner d'horreur, un double but : l'expiation, certes, mais aussi cette exemplarité tant niée et contestée de nos jours. Or, la libération discrète d'un homme qui se trouve en voie de reclassement s'inscrit parfaitement dans le cadre d'un ensemble répressif cohérent.

La Constitution de 1958 ne fixe pas de limites au droit de grâce. Ses auteurs ont de toute évidence fait référence à la tradition française réintroduite par le Premier Consul, mais légèrement éclipsée par la Constitution du 27 octobre 1946; reflet d'une époque où le législateur se méfiait des hommes forts, qu'ils fussent maréchal et âgé, ou général et nettement plus vigoureux.

Le décret de grâce signé par le président de la

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République doit, pour acquérir force exécutoire, obtenir le contreseing du Premier ministre et celui du garde des Sceaux.

Certains ont reproché à ce droit son caractère antidémocratique et son aspect de vestige de la monarchie. En réalité, si les légistes de l'Ancien Régime ont élaboré la théorie des « cas royaux », ce n'était pas pour affirmer l'autorité royale face au peuple mais bien pour renforcer le pouvoir central corttr:e les empiétements des grands féodaux et ceux de l'Eglise. Il s'inscrit donc bien dans cette évolution qui se traduit, tant par la formule de Bonaparte -«Je me sens solidaire de tout, depuis Clovis jusqu'au Comité de salut public » - que par celle de notre Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple, aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice. »

Cela pose donc le problème de l'étendue du ch3:,mp d'application d'un droit qui permet au chef de l'Etat de modifier, par sa seule volonté, les effets et les conséquences d'une décision de justice.

Il faut évoquer ici les préoccupations de François Mitterrand qui en dénonçait le caractère excessif lors de la campagne présidentielle de 1981.

Valéry Giscard d'Estaing avait en effet, en 1980, décidé une grâce collective, ce qui était tout à fait novateur puisqu'il était le premier président de la République à user de cette mesure depuis Vincent Auriol.

Plus grave, selon les partisans du candidat à la magistrature suprême, le droit ,de grâce permettait de fausser le cours de la justice. A l'époque, ils avaient abondamment critiqué cette fameuse et très excep-

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tionnelle décision de Valéry Giscard d'Estaing de gracier un policier, coupable de violences à l'égard d'un Maghrébin. Le président de la République avait en effet dispensé le coupable de l'exécution d'une peine de deux ans d'emprisonnement dont quatre mois fermes.

Que le pouvoir exécutif ait pu ainsi remettre en cause une décision de justice avait provoqué une vive agitation dans les milieux de la gauche judiciaire, qui y avait vu une atteinte grave à la séparation des pouvoirs laissant planer une « lourde menace sur la démocratie tout entière ».

C'était une époque où les jeunes gens du syndicat de la magistrature n'avaient pas peur des mots et se montraient fort sourcilleux sur tout ce qui concernait l'indépendance de la justice.

Le droit de grâce recouvre, dans notre système législatif, un domain~ extrêmement vaste, puisqu'il permet au chef de l'Etat de dispenser le condamné d'exécuter sa peine comme d'y substituer une peine plus douce.

Ce pouvoir de pardonner est tout à fait exorbitant du droit commun. Il s'étend sur l'ensemble du territoire national, et nul n'a le pouvoir de mettre obstacle à une mesure de grâce octroyée par le président de la République. Tout au plus est-il admis que les membres des Assemblées disposent d'un droit d'intercession, permettant d'ouvrir un dossier sans même que l'intéressé ait introduit un recours. Nous allons voir que, de nos jours, ce droit d'intercession a pris des dimensions surprenantes et a connu, de fait, une extension qui peut amener à se poser quelques questions.

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Le dro~t de grâce est donc une prérogative du seul chef de l'Etat, qu'il ne peut théoriquement ni partager ni déléguer. Aucun contrôle n'est possible et il s'agit bien là d'un pouvoir totalement discrétionnaire pou­vant donner lieu à de graves abus.

La procédure de recours gracieux n'est soumise qu'à quelques conditions. La condamnation doit être définitive et irrévocable. Aucune autre voie de recours ne doit être possible, soit parce que toutes ont été épuisées, soit parce que les délais sont passés.

La peine doit être une véritable peine. Les sursis, les contumaces, les peines prescrites ou exécutées sont donc exclues du champ d'application de la grâce.

Cela posé, la grâce n'est soumise à aucune autre condition de fond. Tous les condamnés peuvent en bénéficier y compris les récidivistes. Le président de la République dispose ainsi de pouvoirs plus étendus que n'en avait jadis le roi de France.

Les pratiques des prédécesseurs immédiats de François Mitterrand étaient restrictives et se limi­taient essentiellement à deux hypothèses : les motifs humanitaires d'abord, tels que les raisons médicales ou familiales, et les condamnations excessives telles que les décisions rendues par itératif défaut.

Le gracié type était, avant l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand, un individu condamné une première fois en son absence à quelques semaines d'emprisonnement pour une affaire relativement bénigne, un dossier de chèques sans provision par exemple. Les juges ont alors une tendance certaine à avoir la main plus lourde, partant du principe qu'ainsi le condamné se présentera la fois suivante devant eux.

Lorsque le condamné par défaut se voit signifier sa

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peine, à l'occasion d'un contrôle de gendarmerie ou d'un banal renouvellement de pièce d'identité, il peut faire opposition. Celle-ci annule immédiate­ment les effets du jugement, mais - et c'est un piège redoutable- une date d'audience est sur-le-champ fixée par les services du procureur de la République et indiquée à notre homme. Celui-ci qui, par hypo­thèse, ne correspond pas tout à fait à la définition du « bon père de famille » cher aux rédacteurs du Code civil, s'empresse d'oublier cette désagréable forma­lité.

Au jour dit, le juge constate la défaillance de l'opposant et prononce alors son jugement par itéra­tif défa';lt, sans rouvrir le dossier. La peine devient exécutOire.

C'est-à-dire que un ou deux ans plus tard, lorsque notre condamné a de nouveau recours aux services de police ou de gendarmerie (pour déposer plainte, par exemple) il se retrouve en prison ! · Les policiers avaient, en zone urbaine, tellement

l'habitude de se trouver confrontés à ce genre de situations qu'ils disposaient de formulaires de recours en grâce prêts pour la signature.

Les condamnations par défaut représentaient 60 % des grâces annuellement accordées par Valéry Giscard d'Estaing. La fonction d'humanisation et de régulation des flux judiciaires était ainsi correcte­ment assurée 1•

La demande en grâce est adressée au président de la République sans aucune autre condition de forme. Elle peut émaner du condamné, de sa famille, de ses

1. Modifié, de nos jours, l'itératif défaut ne présente plus ce caractère.

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amis, de comités de soutien, du ministère public, de l'administration pénitentiaire ...

Le dossier est examiné à la direction des affaires criminelles et des grâces de la Chancellerie.

La demande est ensuite transmise au procureur de la République de la juridiction qui a prononcé la condamnation. Une enquête est diligentée afin de déterminer si le requérant mérite de bénéficier de la clémence présidentielle.

Une fois ses diligences terminées, le procureur de la République adresse un rapport à la Chancellerie proposant ou non la mesure de grâce. C'est alors seulement que la décision peut être prise. C'~est du moins ainsi que cela devrait se passer dans un Etat de droit digne de ce nom.

Le président de la République peut, avant d'arrêter sa position, consulter le Conseil supérieur de la magistrature, qui peut demander à l'un de ses mem­bres d'aller étudier le dossier au ministère de la Justice. Une fois sollicité, le CSM doit donner son aVIS.

Le chef de l'État n'est lié par aucun des avis précédemment émis. Il est totalement libre d'accorder la grâce en signant un décret qui reçoit le contreseing du Premier ministre, celui du garde des Sceaux, et ne fait l'objet d'aucune publication.

Le président de la République dispose également du pouvoir d'accorder des grâces collectives visant certaines catégories de condamnés. Ces mesures sont prises par décret à l'occasion de la fête nationale notamment. Elles sont accordées d'autorité, sans qu'aucune demande ait eu à être formulée.

La remise de peine qui découle de la grâce peut être

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totale ou partielle. La mesure peut n'entraîner qu'une substitution de peine. En tout état de cause, elle entraîne bien dispense totale, ou partielle, de l'exécu­tion de la sanction.

Voilà rapidement décrits les mécanismes d'un droit qui sert depuis douze ans de prétexte et de support à toutes sortes de dérives.

Il ne reste plus qu'à découvrir les filières et les groupes d'influence qui ont abouti à ce dévoiement d'une institution aussi vénérable que nécessaire.

Sous l'Ancien Régime, les victimes n'étaient pas les « grandes muettes » des mesures de clémence. En effet, toute personne qui s'estimait lésée par une décision de grâce pouvait contester celle-ci devant la juridiction chargée de l'entériner.

La grande ordonnance prévoyait expressément que la partie civile soit citée devant le Parlement, en même temps que le bénéficiaire de la volonté royale.

Ce droit d'opposition de la victime allait en fait très au-delà d'une simple revendication de la réparation du préjudice subi. Comme nous l'avons vu plus haut, la grâce royale laissait subsister la culpabilité du condamné, donc l'indemnisation des victimes.

Le préjudice moral suffisait à justifier cette opposi­tion, laquelle prenait, dans ces conditions, un carac­tère évident de contestation du bien-fondé et de l'opportunité de la décision du monarque.

Un véritable débat s'engageait alors devant le Parlement qui avait été saisi de la demande d'entéri­nement. Le procureur du roi avait coutume, malgré la consigne de silence qui lui était imposée par la Chancellerie : « Imposons silence perpétuel à notre

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procureur », d'user de sa liberté de parole à l'au­dience. Chacune des parties s'exprimait à son tour. La cour procédait à une vérification minutieuse des conditions dans lesquelles la grâce avait été obte­nue. Les juges pouvaient même faire ordonner la « question » du gracié. La « question ordinaire » se donnait à Paris avec six pots d'eau et le petit tréteau. La « question extraordinaire » avec six autres pots, et le grand tréteau qui « serre et étend davantage le criminel ». La Grande Encyclopédie nous apprend que dans d'autres ressorts que celui du Parlement de Paris on la donnait avec des coins et des brodequins, qu'aux Pays-Bas on chauffait les pieds du condamné alors que dans le Nord on le mettait dans la boue.

Nul doute qu'avec de tels moyens, les honorables parlementaires aient pu parvenir à de bouleversantes confessions. Aussi les refus d'enregistrement des grâces royales étaient-ils fréquents, la cour se refu­sant à obtempérer. Il est vrai que le monarque, se défiant des méthodes d'enquête de ses parlements, s'était réservé le droit d'imposer sa décision sans permettre le moindre contrôle judiciaire. Il lui suffi­sait, comme nous l'avons vu, d'imposer à la juridic­tion de se contenter, comme seul et unique moyen de preuve, du serment de l'intéressé.

Par cette possibilité de refuser d'entériner les grâces royales, les juges de l'ancienne France s'étaient réservé un contrôle important des déci­sions du monarque.

Le droit de la victime de s'opposer à l'enregistre­ment de la mesure de clémence élargissait encore les possibilités judiciaires. Ainsi s'était établie une véri-

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table censure juridictionnelle du droit de grâce royal, allant jusqu'à vérifier l'opportunité de la mesure.

De nos jours, il n'en reste rien. L'exécutif fait ce qu'il veut en ce domaine. Aucune juridiction n'a plus le moindre contrôle sur ce qu'il fait en la matière.

Certes, jadis le roi accordait sa grâce avant tout jugement, donc avant tout examen de la cause. De nos jours, le président de la République statue théorique­ment en toute connaissance. Il s'entoure de garanties considérables et la direction des affaires criminelles et des grâces assure une « vérification minutieuse » du bien-fondé de la requête. La juridiction ayant eu à connaître de l'affaire est consultée.

Les mécanismes sont donc bien au point et, théoriquement, rien d'inéquitable ne peut ressortir de cette procédure.

D'où cette absence totale de contrôle q posteriori affirmée définitivement par le Conseil d'Etat en son arrêt Gombert du 28 mars 1947.

Ce dernier avait eu quelques problèmes avec la justice de son pays, et avait été condamné à la peine capitale le 16 octobre 1946 par la cour de justice de Bordeaux. Ce sont des choses qui arrivaient alors dans les meilleures familles.

Le 27 octobre 1946, la nouvelle Constitution fut promulguée.

Le 11 janvier 1947 le président du Conseil provi­soire rejeta le recours de l'infortuné Gombert. Or, la nouvelle Constitution était entrée en vigueur dès le 24 décembre 1946. Gombert estimait que le président du Conseil provisoire n'avait donc plus le pouvoir, à cette époque, de prendre cette décision de rejet.

La haute juridiction administrative considéra que

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les décisions prises par le chef de l'État dans l' « exer­cice du droit de grâce dont dépend l'exécution de peines infligées par des juridictions de l'ordre judi­ciaire, ne peuvent pas être regardées comme des actes d'une autorité administrative ».

L'octroi de la grâce est donc bien un acte judiciaire. Ainsi, confirmant ses jurisprudences Conti!lguy de 1890 et Guguel de 1893, le Conseil d'Etat, en réaffirmant que les actes accomplis par le président de la République en matière de grâce n'émanent pas d'une autorité administrative soumise à son contrôle, supprimait toute possibilité de limitation de ce pou­voir extraordinaire.

Que celui-ci tombe entre les mains de personnages sous influences et il peut devenir une machine de guerre redoutable, permettant de remettre en cause sans vergogne les décisions des autorités judiciaires, voire de contrecarrer résolument celles-ci.

La porte était ouverte à tous les abus. Le méca­nisme du scandale des grâces présidentielles était enclenché.

La grâce allait cesser d'être l'institution qui permet l'apaisement, pour devenir le moyen imparable de favoriser les prébendiers du régime et ses soutiens, et celui de gérer un parc pénitentiaire surencombré en raison du déferlement de la délinquance survenu ces douze dernières années.

13 août 1981. Il y a trois mois que François Mitterrand est président de la République française. Il y a deux mois que Me Robert Badinter, du barreau de Paris, a accédé aux responsabilités de ministre de la Justice, garde des Sceaux.

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Les hautes autorités morales qui, dans ce pays, dictent inlassablement les conduites à tenir et savent si bruyamment distinguer le bien du mal, ne s'y trompent pas.

Cette nomination de l'homme qui a fait de la lutte contre la peine de mort une spécialité exclusive, a valeur de symbole :

Le show-business se pâme ; , Philippe Boucher 1

défaille, Guy Bedos s'extasie :l'Etat de droit vient de triompher enfin dans la France de 1981.

La lumière l'emporte sur les ténèbres. Une ère radieuse s'ouvre pour le peuple de gauche et une aube nouvelle se lève pour les opprimés et les exclus de toutes sortes. Le Paradis perdu va être prochainement retrouvé : bientôt il n'y aura plus de chômeurs, plus de malheurs, et le crime va disparaître.

En attendant on libère les criminels ! Entre la loi d'amnistie publiée au journal officiel du 5 août 1981 et la grâce présidentielle du 14 juillet de la même année, ce sont quelque 6 500 détenus qui retrouvent la liberté, et leurs diverses activités.

Mais, en ce 13 août 1981 nos concitoyens font une d~couverte surprenante ; le culte du nouveau chef de l'Etat pour la Vierge Marie. Ses amis francs-maçons, « les frères La Gratouille », comme il les surnomme affectueusement, n'en sont pas encore revenus.

C'est en effet à l'occasion des fêtes du 15 août que Christina von Opel et quelque 20 camarades de malheur recouvrent la liberté. Condamnée le 18 juin 1980 par la chambre des appels correctionnels de la

1. Ex-billettiste au Monde, s'est fait remarquer en 1981 par un papier parfaitement ridicule relatant la visite de f. Mitterrand au Panthéon après son élection. Il est aujourd'hui conseiller d'Etat.

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cour d'Aix-en-Provence à cinq années d'emprisonne­ment pour une vilaine affaire de stupéfiants, la jeune milliardaire avait eu le flair de désigner Robert Badinter pour assurer une difficile défense.

Ainsi, ce que le talent du défenseur n'avait pu obtenir, le ministre l'avait emporté en quelques semaines d'un combat douteux : le garde des Sceaux avait fait libérer la cliente de l'avocat.

Le règne de la vertu et de la morale débutait sous de bien vilains auspices. Le doute s'était insinué dans quelques esprits pourtant peu suspects d'hostilité systématique à la « gauche cachemire ». Certains commençaient à se demander si les figures embléma­tiques de la génération morale étaient bien ~ignes d'accéder aux plus hautes responsabilités de l'Etat.

Une méchante tache de moisissure venait d' appa­raître sous le marbre blanc de l'image que Badinter était opiniâtrement parvenu à donner de lui.

Le doute n'allait plus cesser de se développer au fur et à mesure de l'éclatement des scandales, parfois abominables, qui devaient émailler la décennie Mit­terrand.

Aussi est-ce avec un amusement mêlé d'indulgence que les mêmes esprits, devenus fort sceptiques, accueillent en juin 1992 la nouvelle d'une des der­nières largesses présidentielles. Le 8 mai précédent, François Mitterrand vient de gracier (une nouvelle fois) un de ses petits favoris. Harlem Désir, président de l'association SOS Racisme, doit au Trésor public la bagatelle de 80 000 F pour quelques amendes de stationnement. Il n'y a certes pas là de quoi fouetter un chat.

Le président gracie donc, comme il avait gracié les

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années précédentes, quelques dizaines de milliers de détenus qu'une justice trop sévère avait ravis à la liberté ; comme il allait, le 14 juillet suivant, libérer d'autres prisonniers et les rendre prématurément à l'affection de leurs futures victimes.

Ces dernières, de plus en plus ahuries, décou­vraient à leurs dépens le sens de la formule qui devrait s'inscrire en lettres d'or aux frontons des bâtiments officiels : « Ici l'on fait la charité avec le sang et l'argent des autres. »

Chaque année, des milliers de délinquants sont ainsi graciés par la seule volonté d'un homme vieillis­sant auquel une chapelle d'intellectuels du droit, de journalistes et d'idéologues mêlés à quelques anciens tôlards et autres professionnels de la lutte contre les exclusions arrachent des mesures de clémence collec­tive.

Ils semblent tous, d'un geste large, indiquer à leurs petits protégés une cible de choix : la cohorte encore immense des gens honnêtes. Ils ouvrent les portes austères des maisons d'arrêt de la République et désignent leur proie à ceux qu'ils libèrent : servez­vous, ne vous inquiétez pas, nous faisons voter de bonnes lois qui empêchent juges et policiers de gêner votre action. Si d'aventure un accident judiciaire doit vous arriver, nous sommes là et nous savons com­ment, en toute impunité, sans aucun contrôle, défaire ce que la justice a fait.

Défaire ce que la justice a fait. Le président de la République n'avait pas, quand il se trouvait dans l'opposition, de mots assez durs, de formules assez acerbes pour dénoncer le, droit de grâce, cette survi­vance d'un passé révolu. Evoquant le caractère exces-

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sif de ce vestige de la monarchie capétienne, le candidat Mitterrand annonçait en fin de campagne qu'il en userait cependant pour les condamnés à mort qui croupissaient dans les prisons françaises.

Pour la gauche judiciaire, l'affaire est entendue. Le syndisat de la magistrature rayonne. Le nouveau chef de l'Etat va rétablir la justice française dans sa plénitude et sa majesté.

Bertrand Le Gendre après avoir rappelé dans Le Monde du 15 juillet 1981, les turpitudes du prédéces­seur de François Mitterrand, coupable d'avoir gracié un policier qui avait passé à tabac un Maghrébin dans un commissariat ainsi que les grâces individuelles octroyées entre 1977 et 1979, évoque les lendemains qui vont chanter :

« Si on ne voit pas le président de la République renoncer complètement à ce droit, on peut imaginer qu'ille partage. De 1946 à 1958, le droit de grâce était exercé par le président de la République en Conseil supéri,eur de la magistrature, le point de vue du chef de l'Etat l'emportant seulement lorsqu'il y avait partage des voix. »

Or il n'y eut ni renonciation ni partage avec un quelconque conseil supérieur officiel, mais abus de droit caractérisé et pervers. Aujourd'hui le droit de grâce tel qu'il est exercé, évoque les moments les plus désagréables de l'histoire de notre pays. Les institu­tions les plus nobles et les plus estimables de la République sont systématiquement dévoyées et détournées au profit d'une minorité cynique et amo­rale.

L'autorité judiciaire aura été en effet, à la surprise de ceux qui la méprisaient tant, un obstacle particuliè-

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rement gênant pour le démantèlement de l'État et la généralisation sans risque de toutes les formes de corruption.

Il convenait donc d'user de toutes les ficelles possibles pour anéantir ou contourner ses décisions les plus gênantes.

Le droit de grâce allait en être un moyen d'autant plus imparable qu'il s'exerce sans aucun contrôle.

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CHAPITRE II

Le ministre et la grâce

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5 juillet 1977 : la nouvelle éclate, provoquant la stupeur dans les milieux honnêtes et travailleurs où l'on a encore l'habitude de croire naïvement que la misère est la cause exclusive de toute délinquance. Ce n'est plus tout à fait vrai, ce n'est pas encore tout à fait faux.

En l'occurrence, les célèbres gendarmes de Saint­Tropez viennent de réussir un coup de filet peu banal dans la jet society de la Côte d'Azur. Chris­tina von Opel, fille du baron Fritz, surnommée Putzi par ses intimes, se fait arrêter avec la baga­telle de 1 600 kg de haschisch libanais qu'elle a aidé à introduire sur le territoire français.

La prise est énorme, la qualité des trafiquants tout à fait exceptionnelle. Le juge d'instruction de Draguignan apprécie modérément l'action de la jeune femme et la jette en prison. Le « rêve doré »

a tourné au « noir cauchemar ». La presse spéciali­sée ne s'y trompe pas et, à longueur de colonne, s'étalent les malheurs de la pauvre petite fille riche. La guimauve coule à flots visqueux. Tous les ingrédients pour papiers faciles sont réunis. L'atmosphère de luxe et d'oisiveté dans laquelle vivait Putzi permet de bien belles descriptions où

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se mêlent l'argent, le sexe et la drogue sur fond de somptueuses villas tropéziennes.

Bref, la France des honnêtes gens est rassurée :il y a désormais dans les prisons de la République au moins une détenue qui n'est pas un cas social.

En octobre 1977, l'intérêt pour cette affaire s'est un peu estompé quand soudain il rebondit. Malgré le mutisme observé par l'inculpée et ses complices, les journalistes du Matin du 17 octobre 1977 soupçon­nent l'existence d'un vaste trafic d'armes qui aurait servi à financer l'affaire de drogue.

Le ton de l'organe proche du Parti socialiste n'est alors pas tendre pour Putzi.

« A 26 ans cette jolie rentière coule des jours dorés ... et puis l'été Christina vient allonger son corps maussade dans les eaux paresseuses de la Méditerra­née entre Sainte-Maxime et Saint-Tropez. »

L'époque est à la dénonciation sans complaisance et sans nuance des turpitudes bourgeoises ou aristo­cratiques. Le capitalisme est à l'agonie et se vautre dans le stupre et la luxure sous le regard froid et impitoyable des militants du parti de la Morale et de l'Histoire, formés à l'aune de la grande révolution soixante-huitarde.

Que ces débris d'une époque bientôt révolue profitent bien des « plus beaux yachts du monde, des plus belles villas louées à prix d'or, des plus belles femmes et des fêtes les plus grandioses »!Nul doute que les parasites de « la ville trépidante avec ses seins nus et ses fils de famille aux plaisirs tapageurs »

devront demain, à genoux, implorer le pardon de ce peuple de gauche dont la sueur et les larmes financent toute cette fête.

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Ce sera au demeurant le dernier article un peu désagréable d'un quotidien de gauche dans le dos­sier von Opel. C'est que, entre l'arrestation et le jugement de Christina, le temps a passé. En mars 1978, elle a été mise en liberté grâce au versement d'une caution d'un million de francs payée par un autre damné de la terre, son cousin Gunther Sachs.

Et puis la drogue, au fond, est-ce si grave que cela ? commence-t-on à se demander chez les futurs maîtres de la France.

Enfin et surtout, Christina a su choisir un défenseur digne de sa cause. Quand son procès commence le 8 octobre 1979 devant le tribunal correctionnel de Draguignan, elle a autour d'elle l'écurie Badinter au grand complet.

Les plaidoiries sont précises. La pauvre petite fille trop riche a vécu une enfance abominable­ment malheureuse. Aucun fait précis ne peut lui être reproché puisque c'est son compagnon Michaël Karg qui aurait loué en cachette les villas dans lesquelles furent retrouvés les 1 600 kg de drogue. Maître Lombard défend ce dernier dans le procès le plus mondain de l'année.

Le 16 novembre 1979, le verdict tombe. Le tri­bunal correctionnel de Draguignan ne s'est pas laissé attendrir par les défenseurs de Christina. Le charme de Robert Badinter n'a pas suffisamment joué. A la lecture des attendus, l'avocat a com­pris. Sa cliente est déclarée coupable.

Quand la peine est prononcée, quand les mots de dix ans d'emprisonnement et de mandat de dépôt sortent des lèvres du président Bencaz, les

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mains de Robert Badinter se sont crispées sur la barre et son visage est devenu blême.

Le 18 juin 1980, les magistrats de la cour d'appel d'Aix-en-Provence ramènent la peine de Christina à cinq ans d'emprisonnement. Il ne reste plus alors à cette dernière qu'à prendre son mal en patience, et à attendre le moment de la libération conditionnelle.

Mais le destin des pauvres petites filles trop riches connaît parfois de spectaculaires retournements.

Le 10 mai 1981, François Mitterrand est devenu président de la République française et a fait de Robert Badinter son ministre de la Justice.

Le 13 août de la même année, Christina von Opel est libérée avec 20 autres mères de famille.

Dans l'opinion publique c'est un choc, et la réaction de la presse d'opposition est plus que vive.

De toute évidence, la statue de commandeur de Robert Badinter vacille sur son socle. La faute politique est énorme. François Mitterrand a tenté de parer le coup à l'avance; la présidence de la Rép,ubli­que souligne le geste symbolique du chef de l'Etat : les 21 remises en liberté, selon le bon plaisir du nouveau monarque républicain, sont toutes mères de famille. C'est la « grâce des enfants » que François Mitterrand entendait signer.

Ces explications un peu niaises n'apaisent pas la colère d'une France qui n'est pas, rappelons-le, majoritairement de gauche. Quelques centaines de milliers d'électeurs ont seulement entendu signifier son congé à Valéry Giscard d'Estaing. Mitterrand traînait par là depuis un certain temps, il fut élu.

Ces Français-là n'apprécient pas et commencent à se demander s'ils n'ont pas commis une bourde

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monumentale. Ils ont en l'occurrence l'impression désagréable que l'on se moque d'eux; ils n'ont pas tort.

Rien ne s'est déroulé comme le prince de l'équivo­que et son ministre le laissent entendre. La libération des 20 mères de famille n'est intervenue que pour servir de justification à celle de Christina von Opel. Elle n'en est que le support médiatique et le prétexte administratif.

La mise en liberté ne s'est pas effectuée sans difficulté. Face aux résistances institutionnelles, le pouvoir exécutif a été contraint de reculer puis de manœuvrer afin de tourner l'obstacle. Le sort de la pauvre petite milliardaire était certes douloureux, mais les précédentes équipes gouvernementales ne s'étaient pas montrées trop rudes avec elle. Christina aurait dû normalement gagner, après sa condamna­tion, la maison centrale de Rennes. C'est dans cet établissement, en effet, que les femmes condamnées à plus d'un an d'emprisonnement doivent purger le reste de leur peine.

Le triste climat breton et son crachin ne valant rien pour les milliardairt;,s habituées au soleil de la Médi­terranée, c'est de l'Elysée giscardien que serait venu l'ordre donné à la direction pénitentiaire de faire, dans le cas de Mlle von Opel, exception à la règle. Me Badinter, à défaut d'avoir évité à sa cliente la paille humide des cachots, avait obtenu qu'elle ne fût pas privée du soleil de Provence. Christina demeura aux Baumettes.

Au mois d'août 1981, il lui reste encore un certain temps à passer en prison, théoriquement du moins. Actuellement, en effet, un condamné à trois ans

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d'emprisonnement est libérable à mi-peine, moins quatre mois et demi de remise gracieuse automa­tique soit 3 + 2 = 18 mois- 4,5 mois= 405 jours, soit 13,5 mois.

Voilà qui réduit singulièrement la portée des affirmations des spécialistes et autres ministres ou société des prisons, qui affirment que les peines d'emprisonnement prononcées en France sont de plus en plus lourdes.

La libération conditionnelle de Christina von Opel fut proposée par le juge d'application des peines local, mais, s'agissant d'une condamnation supérieure à trois ans d'emprisonnement, cette mesure ne pouvait être prise que par le garde des Sceaux après avis du comité consultatif de la libéra­tion conditionnelle, organe national composé de magistrats et de personnalités de toutes sensibilités.

En matière de drogue, la politique de la Chancel­lerie et du comité consultatif était alors extrême­ment rigoureuse. Les libérations de trafiquants n'intervenaient que rarement, tout à fait en fin de peine. Le dossier von Opel suivait donc un chemi­nement normal, et nul ne se hâtait.

Après le 10 mai 1981, tout change. Dès l'arrivée de Badinter place Vendôme, le dossier se retrouve sur le dessus de la pile et l'instruction en est, sur ordre du cabinet, littéralement bâclée. Il est audiencé d'urgence à la plus proche réunion du comité consultatif. Or, un certain nombre de pièces essentielles manquaient, notamment l'avis du préfet du département qu'il est nécessaire de recueillir dans cette procédure.

Ce défaut était d'autant plus regrettable que

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l'intéressée étant de nationalité allemande, la question de son éventuelle expulsion se posait.

Le comité consultatif se cabra. Arguant du carac­tère incomplet du dossier, il rendit un avis négatif, plaçant le ministre devant un choix douloureux : mécontenter une bonne cliente ou prendre la décision inouïe de la libérer malgré les lacunes de la procédure.

La colère de Robert Badinter fut, dit-on, d'une belle qualité.

Le malheureux préfet des Bouches-du-Rhône fut sommé de se prononcer dans les meilleurs délais. Grâce à sa diligence soudaine, le dossier von Opel fut audiencé quinze jours après le premier échec.

Les magistrats de la Chancellerie reçurent ordre de voter favorablement, ce qui, semble-t-il, ne les convainquit que médiocrement puisque le comité consultatif renouvela son rejet précédent.

Désormais Robert Badinter se trouvait face à ses responsabilités. L'affaire était délicate. Il pouvait certes accorder cette libération conditionnelle. Aller contre l'avis du comité pour une cliente de son cabinet d'avocat était difficile à gérer politiquement et médiatiquement. Il fallait trouver une autre solution.

Le pouvoir exécutif suprême n'avait certes pas encore pris l'habitude d'user systématiquement de son droit de grâce pour tenter de mener un semblant de politique pénitentiaire, mais l'outil existait.

Et c'est ainsi que par une belle matinée d'été, le cabinet fit savoir à la direction de l'administration pénitentiaire que le président de la République venait d'être saisi par un accès de dévotion pour la Sainte Vierge Marie, aussi brutal qu'inattendu.

Il convenait de dresser sans délai une liste de mères

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de famille dont la situation humaine et sociale était susceptible de susciter l'intérêt du premier magistrat de la République.

L'administration pénitentiaire cela sa surprise devant cette bondieuserie soudaine et se mit inconti­nent à la recherche de détenues pouvant correspondre au profil recherché.

La tâche n'était pas simple. Entre les grâces du 14 juillet et l'amnistie du 4 août les prisons françaises s'étaient vidées. Des messages furent envoyés à tous les établissements qui soumirent en retour un certain nombre de dossiers. L'administration pénitentiaire se plongea immédiatement dans l'étude de ceux-ci.

Au terme de plusieurs réunions de travail, 20 noms furent retenus. Il s'agissait des inévitables Maghré­bines et Gitanes accablées d'enfants délinquants que l'on rencontre habituellement dans nos prisons, où l'on finit par les mettre quand tout le reste a échoué.

Le nom de Christina von Opel ne figurait pas dans la liste envoyée par les Baumettes. Or, le matin du 13 août, quelle ne fut pas la surprise des fonction­naires et magistrats de l'administration pénitentiaire en découvrant qu'il avait été rajouté sur la liste des mères de famille libérées.

La Vierge Marie avait réussi là un miracle d'autant plus étonnant que le projet de décret initial ne faisait pas mention de la malheureuse Christina. Par un mystère tout aussi stupéfiant, un des pur-sang de l'écurie Badinter, Me Sauveur Vaisse, l'attendait à sa sortie de la maison d'arrêt des Baumettes pour l'assister dans l'épreuve difficile qui l'attendait désor­mais : retrouver sa petite fille Vanessa, ses occupa­tions d'héritière, et un nouveau fiancé! Le père de

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l'enfant, Michaël Karg, moins chanceux, restait en effet sous les verrous.

L'administration pénitentiaire apprit par la presse le bon tour que lui avait joué son ministre.

L'affaire était grave. Le règne de la Vertu commen­çait bien mal. Le dévoiement du droit de grâce, au profit d'une ex-cliente de l'avocat avait introduit de lourds soupçons dans une opinion publique devenue méfiante.

Le président de la République avait eu beau se réfugier derrière « la grâce des enfants », le doute était apparu.

Aujourd'hui encore je m'interroge sur les motiva­tions de Robert Badinter : revanche de l'avocat qui avait subi un lourd échec et dont le formidable narcissisme n'avait pas supporté la condamnation de sa cliente, ou autres raisons ?

Quelle est la véritable personnalité de l'actuel président du Conseil constitutionnel ?

Indiscutablement, le petit avocat des années cin­quante, fasciné par le monde du spectacle, a su, au fil du temps, acquérir une dimension certaine. Il est parvenu notamment à conserver une image flatteuse. Il serait toujours « l'honneur » d'une gauche par ailleurs en totale déconfiture et qui est en train de devenir le symbole de la corruption et de l'incapacité.

Le jeu médiatique des cop.sorts Badinter m'amuse. Robert est le charme, Elisabeth a le masque de

l'énergie. Elle ne désespère pas de voir son époux accoucher ; de toute évidence il s'y refuse.

Qui sont-ils réellement ? La réponse à l'énigme Badinter nous a peut-être été

récemment fournie. Le président du Conseil consti-

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tutionnel avait parrainé l'œuvre d'un groupe de chercheurs qui se livrait à une étude détaillée sur les prisons républicaines. Ce travail devait être publié collectivement. Il le fut chez Fayard sous la seule signature de Robert Badinter, mais peut-être à l'ini­tiative de l'éditeur.

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CHAPITRE III

Luc Tangorre, innocent à tout prix

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24 mai 1983 : Luc Tangorre, ex-étudiant en édu­cation physique, est condamné à quinze ans de réclusion criminelle par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône.

Il lui était reproché quatre viols, tentatives de viol et sept attentats à la pudeur avec violences qu'il aurait commis entre le 6 décembre 1979 et le 10 avril 1981.

Au cours de cette période, les policiers chargés de la surveillance des quartiers Sud de Marseille enre­gistrent 17 plaintes pour différentes agressions sexuelles dont sont victimes un certain nombre de jeunes femmes qui rejoignent leurs domiciles, seules, de nuit. Tout se passe dans les grands ensembles des quartiers chics des VIlle et IXe arrondissements de la cité phocéenne.

Le mode opératoire de l'agresseur est pratique­ment toujours le même : il attend que ses victimes soient sorties de voiture et regagnent leurs apparte­ments pour les aborder et les contraindre à différents rapports sexuels.

A chaque fois, les jeunes femmes fournissent un signalement précis du violeur : il est petit, brun, moustachu, âgé de 20 à 25 ans. Il se déplace en 2 CV

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ou à vélomoteur et utilise un couteau ou un revolver pour parvenir à ses fins.

Au mois d'avril 1981, la France est en pleine campagne présidentielle. A Marseille, ces affaires d'agression font grand bruit. Le pays ne s'est pas encore habitué à l'insécurité permanente.

Une véritable psychose du violeur s'empare des quartiers Sud. La police multiplie les patrouilles.

Le 12 avril, vers 23 h 30, une patrouille de gardiens de la paix intercepte Luc Tangorre : 22 ans, 1,69 rn, cheveux bruns et moustache noire, il correspond au signalement dont disposent les policiers.

A leur vue, le jeune homme part en trottinant vers sa voiture, une 2 CV bleue. Les policiers l'interpellent et le trouvent muni d'un grand couteau de cuisine emballé dans du papier journal.

La perquisition opérée le lendemain dans le studio de Luc Tangorre amène la découverte d'un revolver factice, d'un vélomoteur et d'un imperméable kaki auréolé de taches suspectes.

Présenté aux victimes au milieu d'inspecteurs de police tous plus bruns et moustachus les uns que les autres, le suspect est reconnu plus ou moins formelle­ment selon que les agressions sont récentes ou anciennes.

Luc Tangorre conteste farouchement les faits. Ceux-ci, il est vrai, ne sont guère sympathiques et révèlent une violence étonnante chez leur auteur. Quelles que soient les tentatives des jeunes femmes pour le raisonner, l'homme parvient à ses fins avec une grande brutalité.

Certaines d'entre elles seront simplement contraintes à le caresser sur les lieux mêmes de leur

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agression. D'autres seront obligées de l'emmener à bord de leur véhicule jusqu'à un parking du quartier des Baumettes proche de la calanque de Morgiou. « Un endroit très joli pour mourir», dira Aline E., l'une des victimes.

Plusieurs d'entre elles sont sodomisées. Prévoyant, le violeur utilise un corps gras qui se répandra sur les sièges de la voiture de Béatrice 1. Or, sur l'imperméa­ble kaki de Tangorre, l'on trouve des traces de vaseline.

Tangorre hurle son innocence. Les taches de vase­line n'ont rien à voir avec la sodomisation de Béatrice 1. Selon lui, le vêtement est demeuré longtemps suspendu à côté des fourneaux d'une rôtisserie dont le cuisinier utilisait ce corps gras pour s'enduire les mains avant de décaper le four.

Il fournit alibi sur alibi, justification sur justifica­tion. Le juge d'instruction n'en a cure. Les alibis émanent de proches de l'inculpé. Les témoignages sont flous et ne semblent guère crédibles face aux accusations des victimes et aux différents indices figurant au dossier. Tangorre se bat comme un lion. Il désigne défenseur sur défenseur, hurle son innocence, entame une grève de la faim.

Un comité de soutien s'est mis en place. Des pétitions sont lancées. Le 24 mai 1982, une réunion publique est organisée à Marseille qui réunit plus d'une centaine de personnes. A partir du 30 juin 1982, les conditions de détention de Luc Tangorre s'amé­liorent. Il est transféré à la prison des Petites Bau­mettes, établissement réservé en principe aux mineurs. Il occupe désormais une cellule individuelle et peu à peu assume certaines fonctions qui lui

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rendent la détention moins pénible. A la fin de l'instruction, sur dix-sept agressions sexuelles initia­lement retenues, onze feront l'objet d'un renvoi devant la cour d'assises d'Aix-en-Provence.

Quand, le 19 mai 1983, s'ouvre le procès, la défense de l'accusé est assurée par Anne et Jean Dissler, François Chevallier et Paul Lombard.

Un incident violent oppose Luc Tangorre au président de la cour Brousse. L'accusé hurle sa colère devant le ton employé par ce dernier et tente de quitter la salle du procès pour retourner dans sa cellule. Finalement, il cède aux objurgations de ses défenseurs et accepte de reprendre sa place.

La suite de la procédure va se dérouler normale­ment. D'un côté, les victimes viennent confirmer leurs accusations. Certaines dépositions sont acca­blantes. De l'autre, les proches de Tangorre crient leur conviction. Luc n'est pas, ne peut pas être le violeur des quartiers Sud de Marseille. Ses parents se montrent particulièrement émouvants.

« Si j'avais su mon fils coupable de tels faits je ne serais pas là. Il y a une erreur judiciaire, une erreur de ressemblance », affirme la mère de Tangorre tandis que le père proclame : «J'aurais été le premier à le condamner si j'avais su qu'il était coupable. »

Les plaidoiries des avocats de la partie civile sont efficaces. Me Campocasso, défenseur de Béatrice 1., lance au jury : « Si Luc Tangorre sort, il recommen­cera. »

Quant à l'avocat général Pascal, il termine son réquisitoire sur ces phrases terribles : « Si vous avez un doute, il vous faut l'acquitter. C'est ce qu'il veut et c'est pour cela qu'il a joué une partie de poker en

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niant tout. Mais si vous l'acquittez il vous aura bien eus. » Il réclame quinze ans de réclusion criminelle contre l'accusé.

Me Anne Dissler, première avocate de Tangorre à prendre la parole, est si émue qu'elle ne peut aller au bout de sa plaidoirie. Elle est incapable de développer la personnalité de Luc et se trouve obligée de passer la parole à ses confrères. Ces derniers s'appliquent à démolir les arguments de l'accusation. Me Lombard conclut : « Vous êtes obligés d'acquitter Luc Tan­gorre. »

Quand la cour revient après un long délibéré, le verdict tombe :l'accusé est condamné à quinze ans de réclusion criminelle.

Mme Tangorre trouve la force de clamer : « Vous êtes fous, vous êtes fous », avant de perdre connais­sance tandis que son mari lance, avant d'être expulsé : « Malédiction sur cette cour ! »

Depuis l'arrestation de Luc Tangorre, le violeur des quartiers Sud de Marseille ne s'est plus manifesté.

Le 10 novembre 1983, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejette le pourvoi élevé par Luc Tangorre contre l'arrêt du 24 mai.

Tout cérébral « de gauche » entretient avec la justice française une relation essentiellement symboli­que. Le thème de l'erreur judiciaire est historique­ment bien ancré, financièrement juteux, médiatique­ment porteur, et permet sans risque de s'inscrire- en toute modestie - dans les lignées de Zola et de Voltaire.

Pour « l'élite de l'intelligentsia » française, l'affaire Dreyfus est une valeur sûre qui permet, aujourd'hui

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encore, de bien belles envolées. De Guy Bedos, de l'Olympia, à Jean-Denis Bredin, de l'Académie fran­çaise, en passant par Gilles Perrault, du Pull-over rouge, on ne compte plus les professionnels de la lutte contre ce fléau. L'image de l'innocent sur lequel s'acharne un appareil policier et judiciaire aveugle, sûr de lui et incapable de reconnaître ses erreurs, fait partie du bagage culturel et du patrimoine génétique des professionnels de l'indignation sélective.

Le moindre ouvrage sur la question est accueilli par des cris d'extase de toute la critique spécialisée en ce domaine. Les ventes sont assurées, les relais médiati­ques aussi. Bons sentiments et sens des affaires n'étant pas incompatibles, cela vaut bien que l'on consacre quelques efforts en signant quelques pesants ouvrages. Jean-Denis Bredin y a gagné l'Académie française et le titre envié de « spécialiste » de la lutte contre l'erreur judiciaire. Il va être, en compagnie de l'historien Pierre Vidal-Naquet, le principal artisan du scandale de la grâce accordée à Luc Tangorre par François Mitterrand.

Nous avons vu que, dès 1982, un comité de soutien s'est mis en place. Ce dernier est animé par une jeune femme, Gisèle Tichané. Amie de la famille Tangorre, cette chercheuse au CNRS, déjà auteur d'un ouvrage sur l'accouchement, va se dépenser sans compter pour la cause du condamné. Elle sera l'âme, au sens le plus noble du terme, de la défense de Luc Tangorre.

Le verdict de condamnation assomme littéralement les partisans de ce dernier. Le rejet du pourvoi en cassation est une nouvelle déception. Le moral des membres du comité de soutien est au plus bas.

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Vieux militant de toutes les justes causes qui ont ensanglanté la planète depuis une trentaine d'années, signataire du« Manifeste des 121 »appelant en 1960 à l'insoumission contre la guerre d'Algérie, l'historien Pierre Vidal-Naquet s'intéresse, dès 1983, au cas de Luc Tangorre. Un de ses neveux est en effet un camarade de classe du condamné. Il fait partie du comité de soutien et sensibilise son oncle au cas de son ami. Pierre Vidal-Naquet alerte son frère Fran­çois, avocat au barreau de Paris.

L'avocat mondain Jean-Denis Bredin se joint au trio. Le décor et les acteurs sont en place. La pièce peut commencer.

Le 7 décembre 1983, Jacques Maigne publie dans Libération un article qui résonne comme un tir d'avertissement. Sur quatre colonnes, le journaliste rappelle l'affaire et annonce la bataille sous un titre racoleur : « Marseille, contre-enquête sur le violeur des quartiers Sud. » L'ambiance est créée : Tangorre est probablement innocent ; du reste, la Cour de cassation a « discrètement » rejeté son pourvoi, ce qui laisse de toute évidence planer un doute sérieux sur sa culpabilité.

Le 28 décembre 1983, Pierre Vidal-Naquet occupe le terrain et fait paraître dans Le Monde un article résumant admirablement toute l'argumentation et la tactique qui aboutiront à la remise en liberté du condamné.

1) Tangorre est innocent, puisque l'historien en a acquis l'intime conviction.

2) Il s'agit d'une nouvelle affaire Dreyfus. 3) Robert Badinter doit user de son pouvmr et

ordonner l'ouverture de la procédure en révision

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préparée par son ex-associé Jean-Denis Bredin (le hasard fait bien les choses).

4) Le président de la République doit sans délai gracier Luc Tangorre.

Deux offensives sont simultanément déclenchées. L'une est médiatique et appuie sans réserve l'autre qui se déploie sur le terrain judiciaire.

La presse légitimiste se dépense sans compter. L'Express publie les 1er juin et 24 novembre 1984 deux articles de Jacques Derogy. Le journaliste laisse clairement apparaître sa foi dans l'innocence de Tangorre.

« Le spectre d'une erreur judiciaire. » « Les comités de soutien se mobilisent pour défendre le violeur de Marseille que tout paraît innocenter. »Tels sont les sous-titres racoleurs des deux articles qui se terminent sur les paroles définitives des partisans de Luc. « A cette affaire Dreyfus au petit pied, il n'aura même pas manqué un Bertillon », écrit l'historien Pierre Vidal-Naquet, à l'appui du mémoire de Me Jean-Denis Bredin, auteur d'un best-seller sur la plus illustre des erreurs judiciaires. « Ce qu'il faut essayer d'expliquer, conclut Vidal-Naquet, c'est l'er­reur judiciaire en passe de devenir un crime judiciaire à mesure que les mois s'écoulent et qu'un innocent demeure en prison. »

Simultanément, les membres des comités de sou­tien s'expriment sur diverses radios locales. Le maga­zine Marie-Claire publie en juillet 1984 un article intitulé « Gisèle Tichané mène l'enquête », repris et complété deux mois plus tard. TF1 et France Inter consacrent également des émissions à l'affaire Tan­gorre. Cependant, la requête en révision présentée à

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la Chancellerie échoue le 26 juillet 1984, faute d'un fait nouveau ignoré des premiers juges.

Le 25 janvier 1985, Pierre Vidal-N aquet et les comités de soutien s'offrent une page entière de publicité dans le journal Le Monde: « Le viol est un crime, l'erreur judiciaire aussi. »

Le manifeste est signé par les hautes autorités habituelles : Claude Mauriac, Gilles Perrault, Frédé­ric Pottecher, Madeleine Rebérioux, Laurent Schwartz, Pierre Vidal-Naquet ...

Le même jour, ce dernier lance dans Le Matin une accusation révélatrice de l'état de délabrement intel­lectuel des partisans de Luc Tangorre.

« C'est l'affaire Dreyfus d'un homme ordinaire. Tangorre n'était ni maghrébin ni juif. Il a été victime en 1981 de la campagne électorale, ON AVAIT BESOIN

D'UN COUPABLE À TOUT PRIX. »

Cette thèse du complot policier séduit Pierre Vidal-Naquet. C'est que, pour réussir une belle « affaire Dreyfus », il faut une machination des enquêteurs. Peut-être même Tangorre ~st-il « tombé dans un piège organisé avec l'aide d'Eric, le jeune homme inconnu avec lequel il avait rendez-vous ».

Même s'il écarte finalement cette hypothèse, Pierre Vidal-Naquet en retient une autre bien proche de la première.

« Le plus simple est de penser que la police, en cette période électorale où l'argument de la sécurité est brandi par les uns comme par les autres, a arrêté au hasard, et que la ressemblance de Luc avec le portrait-robot lui a été fatale » (Coupable à tout prix, p. 197).

Cette publication appuie la parution du livre de

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Gisèle Tichané, Coupable à tout prix, l'affaire Luc Tan gorre, dans lequel la malheureuse démontre minutieusement que son ami ne peut être coupable.

Et comme le hasard fait, une fois de plus, bien les choses, c'est justement deux semaines plus tard que le garde des Sceaux Robert Badinter soumet à la chambre criminelle de la Cour de cassation un pourvoi dans l'intérêt de la loi, préparé avec soin par son compère Jean-Denis Bredin.

L'avocat général, Henri Dontenwille, a beau voler au secours des avocats de Tangorre, ceux-ci ont beau rappeler le cas d'un autre client de Robert Badinter, Guy Mauvillain, rejugé puis acquitté en 1985 après que son conseil fut devenu ministre, la Cour de cassation rejette le pourvoi le 9 octobre 1986.

Pierre Vidal-Naquet ne se le tient pas pour dit. L'homme est désormais ivre de suffisance. « Si j'af­firme qu'il y a eu erreur judiciaire ... c'est parce que cette innocence ressort de l'analyse du dossier telle que l'a pratiquée l'historien que je suis. Contre Luc Tan gorre tout vraiment a été perpétré.

« Tout se sait toujours ... et j'aime à penser au visage que feront les juges lorsque le vrai coupable aura été identifié 1• »

Pour le condamné, les choses s'arrangent plutôt bien. En janvier 1987, François Mitterrand reçoit deux éducateurs et l'aumônier des Baumettes qui viennent plaider la cause du détenu. A la centrale de Muret, près de Toulouse, où il purge sa peine,

1. Le Matin, t•• novembre 1986, «Pour Luc Tangorre, encore et tou­jours. ,.

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Tangorre consacre tout son temps à l'animation de ses comités de soutien.

Au bout de cinq ans et demi de détention, il obtient des permissions de sortie~ « Comme si la justice, enfin, doutait », souligne Eliane Bègue dans France­Soir du 18 avril 1987,

Dans Libération, Mireille Debart s'apitoie sur le sort du malheureux qui vient à Lyon le 17 avril1987 appuyer l'action de son comité de soutien.

« Comment peut-il croire encore à la justice après le verdict de la cour d'assises, après ce procès mené à la hâte, malgré les anomalies du dossier mené exclusi­vement à charge ! » Le mois suivant, la commission d'application des peines de la centrale de Muret se fâche et prive le condamné de permissions de sortie ... pour un tnmestre.

En fait, la libération de Tangorre se prépare dans la plus grande discrétion.

Le 21 juillet 1987, François Mitterrand signe une grâce de quatre ans et le 11 janvier 1988 le garde des Sceaux de la cohabitation, Albin Chalandon, prend un arrêté de libération conditionnelle.

Curieusement, la presse de droite se tait. Il est vrai que certains encouragements inhabituels n'ont pas manqué à Luc Tangorre. Au festin de la lutte contre l'erreur judiciaire, les hommes politiques de droite, qui ne brillent ni par le courage ni par l'imagination, répondent présent. Même le gentil Gaudin, député des Bouches-du-Rhône, a soutenu le malheureux condamné et s'est fendu d'une lettre d'encourage­ment. Dominique Baudis en a fait autant.

Jean-Pierre Elkabbach attend le bénéficiaire de la grâce à la porte de la centrale. Pierre Vidal-Naquet a

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soigneusement balisé le terrain. « La liberté ne m'est rien sans l'honneur », proclame Tan gorre devant les micros et caméras, reprenant ainsi à son compte les célèbres paroles du capitaine Dreyfus.

Il se lance à corps perdu dans la bataille pour la révision de son procès. Albin Chalandon est convaincu de son innocence et c'est donc de la presse de droite que vient la nouvelle offensive sous les plumes de Valérie Duparchelle et Jean­Louis Debieuvre : « Les incertitudes de l'affaire Tangorre », « La nouvelle affaire Tangorre » (Le Figaro du 16 février puis du 8 octobre 1988).

Or, sous la plume de ce même Debieuvre, sous le même titre « La nouvelle affaire Tangorre », le même Figaro du 26 octobre 1988 annonce une bien triste nouvelle : le lundi 24 octobre 1992, les gendarmes de la section des recherches de Nîmes, agissant sur commission rogatoire de Christian Lernould, juge d'instruction au tribunal de grande instance de cette localité, interpellent Luc Tan­gorre à Lyon au moment où il ouvre le bureau de tabac acheté après sa libération avec l'aide de ses parents.

Le lundi 23 mai 1988, les gendarmes reçoivent un appel angoissé qui émane de la borne 19 de l'autoroute A9 aux environs de Nîmes.

Une patrouille est envoyée immédiatement sur place. Les gendarmes se trouvent en présence de deux jeunes Américaines profondément choquées qui sanglotent en se tenant par la main.

Une ambulance les emmène au CHR de Nîmes.

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Les médecins qui les examinent constatent la présence de lésions dont l'origine est due à des violences sexuelles.

Le récit que font les deux jeunes filles -Jennifer Mac Luney et Carol Ackermann - est terrible. Venues de Paris en stop sur la Côte d'Azur pour cette fin de semaine des 21 et 22 mai, elles décident de repartir vers la capitale le 23 mai en fin d'après-midi. Les cours de perfectionnement de français qu'elles suivent dans un collège américain de la capitale doivent en effet reprendre le jeudi suivant.

Elles se postent à la sortie de Marseille. Une 4L s'arrête à leur hauteur. Le conducteur, âgé d'une trentaine d'années, est brun et sympathique. Il leur propose de les amener à Lyon.

Peu avant Nîmes, le véhicule quitte la route et s'engage dans un chemin qui mène à des vergers. Le conducteur prétend vouloir aller cueillir des cerises. Il immobilise finalement la voiture dans un petit chemin bordé de ronciers. Là, après avoir frappé l'une de ses passagères et les avoir menacées de mort, il les viole longuement puis les sodomise en utilisant de l'huile de moteur pour se faciliter la tâche.

Les deux victimes s'efforcent alors de retenir le maximum de détails afin de confondre leur violeur si elles survivent à l'agression. Elles notent tout menta­lement. La 4 L est verte, le poussoir de la portière arrière ne fonctionne pas. A l'arrière du véhicule se trouve une pile de livres. Elles peuvent lire le mot « Coupable » et apercevoir une photo d'un homme brun et moustachu sur la première page de couver­ture.

Les menaces sont précises et les enquêteurs le

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découvriront ultérieurement, semblables à celles entendues par certaines victimes du violeur des quartiers Sud de Marseille.

Une fois parvenu à ses fins, le violeur relâche ses deux victimes non sans leur avoir donné 100 F pour prendre un taxi car « les routes ne sont pas sûres ».

L'enquête des gendarmes est longue, minutieuse. Elle part de ce mot « Coupable » lu sur la couverture des livres rangés dans le coffre de la voiture. Un libraire marseillais consulté par les gendarmes, M. Rénucci, se rappelle l'ouvrage de Gisèle Tichané. Les enquêteurs tiennent désormais un début de piste. Mais cette fois, forts de l'expérience de la police marseillaise, ils ne vont rien laisser au hasard.

Début octobre, ils se rendent aux États-Unis en emportant une dizaine de livres dont les titres com­portent tous le mot « Coupable ». Sans hésiter, Jennifer et Carol désignent l'ouvrage de Gisèle Tichané. Les gendarmes leur présentent alors un album composé de deux tapissages de six photogra­phies, l'un en noir l'autre en couleur. Là aussi, sans la moindre hésitation, les victimes montrent les deux photographies de Luc Tangorre.

C'est alors, et alors seulement, que la décision d'interpellation est prise, après que Carol et Jennifer sont discrètement arrivées en France.

La « parade » organisée par les gendarmes est irréprochable. Les hommes choisis pour accompa­gner Tangorre lui ressemblent et portent les mêmes types de vêtements.

Les deux témoins sont formelles et accusent Luc. Ce dernier hurle à nouveau son innocence en inju­riant ses victimes. Par un de ces ricanements étranges

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du destin, la malheureuse Gisèle Tichané sera la cause de la deuxième chute de Luc Tangorre. C'est son livre qui aura permis l'identification du violeur; c'est dans sa voiture, la fameuse 4L verte cédée à Luc peu après sa libération que se dérouleront les faits.

Dès lors, pour Tangorre tout est joué. Une partie de ses bruyants supporters de naguère exprime sa perplexité. Claude Mauriac et Laurent Schwartz se désintéressent du deuxième procès. Jacques Derogy est troublé. Jean-Denis Bredin se fait discret. Cette grande âme souffre d'avoir « combattu dans l'er­reur... c'est une épreuve ». Pierre Vidal-Naquet devient prudent et reste sceptique sur la culpabilité de celui qu'il a tant contribué à faire gracier.

Il est vrai que les parents de Tangorre font à nouveau tout ce qu'ils peuvent pour sauver leur rejeton :fourniture d'alibis, et recrutement d'avocats, tous plus célèbres les uns que les autres. François Vidal-N aquet est désormais flanqué de Jean-Louis Pelletier et de Paul Lombard.

De son côté, l'appareil judiciaire a bien fait les choses. Il est vrai que si l'accusé est encombrant, les victimes sont sensibles. L'une d'entre elles est en effet la fille d'un homme politique influent de Washington.

Lorsqu'elle découvre dans le bureau du juge d'instruction, la lourdeur des charges pesant sur son protégé, Gisèle Tichané est victime d'un malaise cardiaque.

Quelques mois plus tard, elle s'éteint et quitte furtivement la scène qu'elle avait occupée avec pas­sion et sincérité.

Le 8 février 1992, Luc Tangorre est condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. Son père traite

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les jurés d'assassins, pendant que sa mère pousse un long hurlement strident avant d'être expulsée de la salle d'audience. Pierre Vidal-Naquet et jean-Denis Bredin (de l'Académie française) ne se sont jamais mieux portés.

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CHAPITRE IV

Les affaires Knobelspiess

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Avec Tangorre, l'élite intellectuelle de notre beau pays croyait tenir son Dreyfus ordinaire, avec Kno­belspiess elle s'efforça avec constance de réussir son Jean Val jean.

La tâche ne fut pas aisée et l'intéressé s'acharna avec la même constance à mettre en porte à faux ses puissants protecteurs.

Ces derniers ne ménagent pourtant ni leur peine ni l'argent des autres. C'est ainsi que Le Quotidien de Paris du 3 décembre 1992 nous apprend que Roger Knobelspiess vient de recevoir du Centre national des Lettres une subvention de 100 000 F afin de rédiger un ouvrage sur les « sciences de l'homme ».

Ainsi, toutes les largesses dont il a bénéficié jusqu'ici, se traduisant par deux remises en liberté en application de décrets de grâce présidentiels, ne suffisent plus. Désormais la « gauche caviar » ouvre les cordons de la bourse publique. Les contribuables ne manqueront pas d'apprécier cette judicieuse utili­sation du produit de leurs impôts.

Il est vrai que rarement personnage colla autant à l'idéal de la gauche quinquagénaire.

L'histoire de Roger Knobelspiess commence le 15 septembre 1947, jour de sa naissance. En ces temps

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difficiles de l'après-guerre, Roger n'a pas été gâté. Une famille de sept enfants dont les parents passent leur temps à boire et à se battre. Au commissariat d'Elbeuf, les Knobelspiess font partie des meubles. En 1964, ce sont h;s premiers ennuis judiciaires et « Klop » (diminutif affectueux donné par les nom­breux intimes de notre nouveau 1 ean Valjean) fait la connaissance du monde carcéral.

En 1969, il passe directement de la tôle à l'armée mais fausse compagnie aux gendarmes qui devaient l'amener à la caserne. Notre héros refuse décidément d'être mis au pas... Le 12 juin 1969, les policiers arrêtent à nouveau Knobelspiess. Il est soupçonné d'avoir participé le 26 mai 1969 à une agression contre un pompiste dont le butin se monte à 800 F.

Le 4 mars 1972, il comparaît devant la cour d'assises de l'Eure. Les charges ne sont pas considéra­bles. L'avocat du prévenu a choisi de jouer la cour d'assises, car il est persuadé d'obtenir l'acquittement de son client, ce qui n'est pas évident devant le tribunal correctionnel dont il a soulevé l'incompé­tence. C'est une erreur aussi lourde que la condamna­tion qui frappe l'accusé. Roger écope de quinze ans de réclusion criminelle. C'est la révolte absolue. Pendant sa détention provisoire, il a appris la mort de son frère 1 ean qui s'est fait abattre en janvier 1971 par un commerçant dont il cambriolait le magasin. Le non-lieu obtenu par celui-là rend Knobelspiess fou de rage.

Il hurle son innocence. Les grèves de la faim succèdent aux isolements dans les quartiers de haute sécurité (QHS), automutilation, le~tres au président de la République, publication aux Editions Stock de

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deux ouvrages sur les QHS et la « volonté d'erreur judiciaire » préfacés par Michel Foucault et Claude Mauriac. Knobelspiess est connu. L'avocat de gauche Henri Leclerc est désormais son défenseur.

En 1975, il demande la révision de son procès et obtient l'appui de l'avocat général Monteils qui avait requis contre lui trois ans auparavant. En vain.

Aussi, le 21 octobre 1976, en décrochant sa pre­mière permission de sortie, Knobelspiess juge-t-il préférable de ne pas revenir derrière les barreaux.

En 1977, nouvelle arrestation. « Klop » est forte­ment soupçonné d'avoir fait un mauvais usage de cette liberté si mal acquise et se retrouve le 26 octobre 1981 devant la cour d'assises de Rouen. Il lui est reproché d'avoir, durant sa cavale, commis la baga­telle de neuf vols à main armée ou tentatives.

Si le procès von Opel avait été le plus mondain de l'année 1979, celui de Knobelspiess sera, et de loin, le plus intellectuel de la décennie. Ils sont cinq dans le box. Outre « Klop », Serge Laguerrière, Fabien Lemasson, Pierre Levigneron et Jacqueline Prost assurent la figuration. La vedette est sans contexte le révolté des QHS. Le Tout-Paris littéraire et artistique et les professionnels du « charity business » se bous­culent à l'entrée de la salle d'audience.

Le spectacle dépasse toutes les espérances tant le président Léger et l'avocat général Vayrac rivalisent de complaisance face à l'accusé. Les journalistes de gauche présents en sont gênés et la relecture de leurs articles ironiques pose le problème de l'indépendance et du caractère des magistrats.

« Procès surréaliste », « Réquisitoire futuriste »,

« La Jus ti ce à l'envers » sont les mots qui reviennent

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constamment sous la plume des journalistes de Libé ou du Matin.

Des deux magistrats, c'est à qui méritera les satisfecit d'un accusé médusé. C'est au président Léger que revient la volupté de se mortifier le premier :

« Un journaliste radio a dit que ce procès était celui du désespoir d'un homme, je le pense un peu. Vous avez parlé d'acharnement des juges. Actuellement, ils sont plutôt animés d'un esprit d'apaisement. Il faut que vous vous expliquiez si vous ne voulez pas être matraqué à la fin du procès. A travers le dossier et la conversation que j'ai eue avec vous, j'ai pu me faire une idée de votre personnalité. Et cette idée, je veux la faire partager aux jurés qui vous jugeront avec mot. »

Et le bon président de ne jamais omettre de tendre la perche à l'accusé quand il évoque quelques passages difficiles.

« A dix-neuf ans, vous vous êtes lié à un mauvais garçon beaucoup plus âgé que vous. J'admets que vous avez pu être entraîné. »

Le magistrat en fait trop. Knobelspiess, qui a de l'honneur et une réputation à justifier, s'insurge : « Pas du tout ! je prends toujours mes responsabi­lités. »

« Moi aussi, réplique le digne président, je prends les miennes. Je vais au-devant de vous. J'ai peut-être besoin de trouver des excuses que vous ne voulez pas trouver. »

Les témoins défilent. On se croirait chez Bernard Pivot. A l'historien Claude Manceron, tout nouveau chargé de mission de François Mitterrand, succèdent

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le comédien Denis Manuel, l'écrivain Marie Cardinal, le père 1 ean Cardonnel, l'inévitable Frédéric Potte­cher et le philosophe Roger Garaudy.

Manceron pleurniche : « Cet homme a une âme d'enfant, s'il avait été coupable, il nous le dirait. Nous voulons vivre ici un jour de vérité, un jour de bonheur. » Puis, il exige : « A vous la cour de le délivrer! »

Denis Manuel lit un poème ... de Knobelspiess. La guimauve coule à flots, emportant Pottecher, Car­donne! et Garaudy. « 1 e le dis tout net, je serais fier s'il accepte de venir s'asseoir à mon foyer auprès de mes enfants. »

Henri Leclerc contemple d'un œil bienveillant ces magistrats qui se comportent si bien avec son client. Il a enfin affaire à de bons juges ; comme il les aime ; qui acquittent ses clients et condamnent ceux des autres.

C'est que, depuis peu, la gauche est arrivée au pouvoir. Les ouvriers de la vingt-cinquième heure ne manquent pas et se coulent dans le moule des nouveaux maîtres du jour. L'avocat mesure sa puis­sance nouvelle et constate combien certains juges sont malléables. C'est une leçon qu'il n'oubliera pas.

Mais parmi les témoins, un gêneur se présente. Le révérend père Cardonnel, Mgr Myriel de ce carnaval judiciaire, a beau se laisser emporter dans un élan lyrique passionné : « Où est le vol le plus grave, voler à quelqu'un ses possibilités, sa jeunesse, son avenir, sa vie, ou bien léser une banque ? », le dominicain néglige un détail qui a son importance. Dans les banques, il y a des employés qui sont des êtres humains, éprouvant des sentiments, des angoisses, des terreurs. Or, au cours du vol à main armée

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commis à Louviers, Knobelspiess a tiré, blessant légèrement le directeur de l'agence à la cuisse.

Bonne mère, la justice française a considéré que le coup de feu était involontaire, une sorte d'accident du travail. On n'allait tout de même pas embêter M. Knobelspiess et ses amis avec de pareilles vétilles ! Seul l'employé de banque n'apprécie pas. « Lorsque vous avez le canon d'un revolver dans le dos, cela vous fait mal au ventre. Le mal et la peur qui ne vous quittent plus, qui se réveillent à l'arrivée de chaque client. »

Le témoin va un peu loin. Le bon président Léger fait les gros yeux, l'avocat général Vayrac se tasse et se demande s'il ne va pas requérir un outrage à Knobel­spiess.

Ce dernier a compris le danger. Il s'adresse au témoin : «Je vous comprends, seulement j'aimerais qu'on se rappelât dans quel désespoir j'étais ... Cela aurait pu être plus grave. »

C'est donc un « banquier » reconnaissant qui va quitter la salle d'audience, en remerciant intérieure­ment le ciel d'avoir doté son agresseur de nerfs d'acier.

Dans le box, les autres accusés se demandent ce qu'ils sont venus faire dans cette galère. Ils s'en iraient volontiers discrètement, mais la présence des gardes leur rappelle qu'ils sont là pour être jugés.

Il est vrai cependant que le réquisitoire de l'avocat général Vayrac va dépasser toutes les espérances de la défense. Dans sa bouche, les hold-up deviennent des péripéties un peu brutales de la vie quotidienne de banquier. Un employé a-t-il été frappé à coups de crosse de revolver ? « Ce n'est pas banal, pas normal.

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Ce n'est pas ça le progrès de la civilisation »,explique le représentant de la société avant de conclure que pour toutes ces broutilles, les jurés devront pronon­cer une peine de trois ans d'emprisonnement tout en formulant ces paroles définitives : « On est sûr que Roger Knobelspiess ne retournera pas parmi les truands. » Cet avocat général, particulièrement clair­voyant, avait calculé que ces trois ans d'emprisonne­ment allaient permettre à l'accusé de sortir le 17 juillet 1983. Ce dernier lui décerna immédiatement un satisfecit figurant probablement aujourd'hui au dos­sier de ce magistrat, qui avait, selon les termes mêmes de l'accusé, « donné une leçon chaleureuse d'objecti­vité judiciaire » au terme d'un « réquisitoire nuancé».

La cour, après trois heures et demie de délibéra­tions, condamne le 30 octobre 1981 Roger Knobel­spiess à cinq ans de réclusion criminelle. Elle émet le vœu que le 4 mars 1977, jour de la dernière arresta­tion du condamné, soit retenu comme date du début de la peine. L'accusé continue en effet de purger cette peine de quinze ans de réclusion criminelle dont le bon Léger a affirmé avec force « qu'innocent ou pas, c'était une peine très exagérée ».

Voilà qui devrait permettre à notre brave Knobel­spiess de sortir dès 1982.

C'était compter sans les merveilles de la grâce présidentielle. Certes, la farce judiciaire qui s'était déroulée à Rouen n'avait trompé personne. Tout le monde savait que Robert Badinter avait, dès le 17 juillet, suspendu l'exécution de la fameuse peine de quinze ans de réclusion criminelle. Malheureusement pour notre héros, d'autres petites condamnations

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traînaient, que le garde des Sceaux avait oubliées, ce qui empêcha sa sortie immédiate.

Personne ne fut surpris quand le président de la République fit usage de son droit de grâce au profit de Roger Knobelspiess. Le décret fut signé le 6 novembre 1981.

Nous avons vu plus haut que le représentant du ministère public, Jean Vayrac, et le président Léger n'avaient pas assuré seuls la défense de Knobel­spiess 1• Henri Leclerc, du barreau de Paris et de la Ligue des droits de l'homme, avait eu son mot à dire. En terminant sa plaidoirie, il s'était tourné vers son client et l'avait adjuré : « Tu as une responsabi­lité énorme, Roger. Tu vas devenir le symbole d'une nouvelle politique judiciaire. »

Il ne croyait pas si bien dire.

Après sa libération, Knobelspiess est pendant quelque temps la coqueluche du Tout-Paris média­tico-politique. Les dignitaires du régime se l'arra­chent. Pierre Mauroy se fait photographier en sa compagme.

Il est devenu la figure emblématique de la politi­que judiciaire de la gauche, celle qui réinsère sans exclure, en attendant de parvenir à « effacer totale­ment cette frontière profonde entre innocence et culpabilité » (Michel Foucault).

Knobelspiess ne se sent pas à l'aise dans ces dîners

1. Jean Vayrac sera nommé directeur des stages à l'École nationale de la magistrature le 26 janvier 1982. Guy Léger sera décoré de l'Ordre national du Mérite le 31 décembre 1981 et nommé conseiller à Versailles le 16 mars 1983. Ne pas confondre ce dernier avec Philippe Léger, directeur de cabinet de l'actuel garde des Sceaux.

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en ville. Tous ces gogos qui le font asseoir à la droite de la maîtresse de maison finissent par le lasser.

Les Mauriac, Cardonnel, et autres bondieusards en rupture de froc, cela va bien le temps d'un procès ... Au fond ce qu'il aime, Knobelspiess, ce sont d'autres émotions et d'autres sensations, plus fortes; celles que procure la préparation d'un coup avec les copains, les vrais, ceux de sa jeunesse, pas ceux de son comité de soutien. Et puis il y a tout le reste : la trouille qui vous noue les tripes avant de se ruer dans la banque, l'ivresse de la puissance et de la force, les armes, le jeu de cache-cache et de courses poursuites avec ses ennemis de toujours, les flics, la panique qu'il lit dans les yeux de ceux qu'il a au bout du canon de son revolver. Et puis la griserie de tout cet argent vite gagné qu'il va dépenser encore plus vite au cours de dégagements insensés. Bref la vie des HOMMES.

C'est là qu'il existe, Knobelspiess. Pas quand il fait risette à Manceron, ou quand il remercie l'avocat général Vayrac pour sa « chaleur ».

Quand tous ses potes ont fêté le bicentenaire, il n'était pas invité, Roger. Ils ne le connaissaient plus. Et pourtant, il était là. C'est lui qui a pris la Bastille il y a deux cents ans. C'est lui qui hurlait à mort en massacrant les aristocrates. C'est lui qui a donné l'assaut aux Tuileries le 10 août 1792, et fait un carnage de Suisses. Pas Manceron qui, pendant ce temps, pérorait.

Ce Knobelspiess-là, il s'est trouvé un homme de génie pour le comprendre jadis et l'envoyer se faire tuer à Austerlitz, Wagram, Eylau ou Waterloo en criant « Merci, et encore. »

Knobelspiess, aujourd'hui, ne sait que faire.

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L'intelligentsia progressiste commence à le faire « gerber », mais peut-être va-t-il réussir à l'utiliser une dernière fois.

Il va retrouver ses vieilles dupes de l'Élysée et tenter de leur faire cracher quelques tunes, en vain. Minute, dans un numéro· de mai 1983, publie une enquête sur l~s liens entre le palais présidentiel et le truand. A l'Elysée, c'est l'affolement. On enquête. On trouve, sans grandes difficultés. C'est encore Manceron, bien sûr, qui est responsable de cette bavure. Et voilà le malheureux chargé de mission de François Mitterrand contraint, le 13 juin 1983, de se fendre d'une longue confession adressée aussi bien à Gilles Ménage qu'à] ean-Louis Bianco etJ ean-Claude Colliard.

Cette note confuse et gênée reflète l'embarras de son auteur qui se trouve obligé de se justifier et s'exécute avec une certaine lâcheté. Selon le principe connu du« ni coupable ni responsable », ce n'est pas sa faute mais celle de sa secrétaire qu'il a immédiate­ment fait licencier (voir annexe 3). Oh, le courageux bonhomme!

Il est intéressant de découvrir comment un indi­vidu peut, dès lors qu'il fait partie des êtres incertains dont le président de la République aime à s'entourer pour qu'ils chantent ses louanges, décrocher une décision aussi lourde que la grâce d'un truand. «J'ai fait mienne la démarche du comité pour qu'il puisse, le plus tôt possible bénéficier d'une grâce présiden­tielle », explique sans fard Manceron.

L'acte de confession de l'historien présente un autre intérêt. Le pauvre Manceron doit en effet avouer son échec dans le traitement social de la

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délinquance de son petit protégé. « Depuis environ un an, je n'ai ni revu ni entendu Roger Knobelspiess, écrit-il. Il me donnait un peu l'impression de m'éviter à mesure que je le sentais retomber dans le milieu de la délinquance. »

Après avoir noté au passage les pauvres mensonges dans lesquels s'enferme notre malheureux spécialiste de l'aventure révolutionnaire et les mystérieux pou­voirs lui permettant de sentir s'enfoncer à nouveau dans le crime un homme qu'il n'a ni revu ni entendu depuis un an, il faut bien constater que Manceron ne manque pas pour une fois de perspicacité (ou de franchise). Depuis quelque temps, en effet, notre Robin des Bois de la banlieue rouennaise fait à nouveau parler de lui.

Il a renoué avec le monde des cités misérables. Il revoit Michel Baron, un garagiste qui a subi les mêmes échecs scolaires que lui. Ils se montrent en compagnie d'autres voyous. Dans la nuit du 23 au 24 septembre 1982, les gendarmes procèdent, avec ennui, à un banal contrôle de routine sur une route départementale près de Pont-de-l' Arche (Eure). Une 4L s'arrête, avec trois hommes à bord. Un gendarme s'approche, le véhicule démarre en trombe. Les militaires se lancent à sa poursuite. C'est l'équipée sauvage! 4L contre 4L. L'affaire manque tourner au drame. Dans la voiture poursuivie, un homme ouvre le feu à l'arme automatique. La course-poursuite se déroule sur une quarantaine de kilomètres. Les trois hommes parviennent à s'échapper.

Les services de police d'Elbeuf alertés repèrent le véhicule suspect sur un parking situé près du parc Saint-Cyr, à deux pas du domicile de la famille

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Knobelspiess. Les occupants de la 4 L ouvrent à nouveau le feu et prennent la fuite en escaladant un échafaudage.

Dans la voiture, les policiers découvrent un vérita­ble stock d'armes. Une carabine, un fusil Mauser, un pistolet-mitrailleur, un pistolet Tokaref, un revolver 38 spécial et un colt 45. Les enquêteurs font une autre trouvaille étonnante : une imitation de colt Reming­ton toute neuve, qui a été achetée deux jours aupara­vant à un armurier d'Elbeuf par Roger Knobelspiess soi-même!

Les gendarmes reconnaissent Michel Baron, J ac­ques et Roger Knobelspiess comme étant les occu­pants du véhicule qui a forcé le barrage de Pont-de­l'Arche.

Chat échaudé craint l'eau froide, dit-on;« Klop »,

lui, craint la justice. Il ne croit plus en elle. Pourtant, elle a été plutôt bonne mère à Rouen au cours de ce fameux procès qui a abouti au verdict du 30 octobre 1981.

Peut-être Roger sait-il que MM. Léger et Vayrac ont été promus après leurs brillantes prestations. La comédie ne pourra donc être rejouée avec les mêmes acteurs. La Chancellerie n'est pas près de trouver l'équivalent au sein de la magistrature rouennaise.

Et quand bien même ! il y a les jurés populaires. Pourra-t-on les manipuler deux fois de suite? Rien n'est moins sûr.

« Klop » a compris les nouvelles règles du jeu judiciaire que son avocat Henri Leclerc maîtrise parfaitement. Un procès doit être préparé médiati­quement. Il faut terroriser les magistrats profession­nels, s'assurer les services de l'avocat général et

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s'emparer de l'esprit des jurés par un battage publici­taire sans précédent.

Roger choisit Antenne 2. Au journal de 20 heures du 24 septembre 1982, il explique qu'il se sent persécuté, qu'il a un alibi et n'est pour rien dans l'affaire d'Elbeuf. Puis il disparaît pendant dix jours.

Quand il se présente chez le juge d'instruction, c'est pourvu d'un alibi en béton. Le juge d'instruction le laisse repartir libre.

Le 6 juin 1983, les gazettes de droite exultent, reprenant de façon un peu précipitée et imprudente des informations de sources policières.

La veille, une vaste opération regroupant la BRI (antigang) et les Groupes de répression du banditisme des SRPJ de Versailles et de Rouen aboutit à l'arresta­tion des « auteurs » (très présumés) du « fabuleux »

hold-up de Palaiseau du 24 mai 1983. Cette attaque d'un fourgon blindé avait rapporté la bagatelle de 2 milliards de centimes. Parmi les personnes arrêtées, Michel Baron et Roger Knobelspiess.

Les adversaires de « Klop » crient victoire un peu vite. Quand le procès s'ouvre aux assises de l'Es­sonne, le 6 janvier 1986, Baron et Knobelspiess protestent de leur innocence.

La défense, assurée par Leclerc, Lévy et Metzner, est efficace. Certes, Manceron ne vient pas témoigner mais d'autres le remplacent avantageusement. Les témoins de moralité de la gauche moutonnière du monde « du spectacle et des arts » répondent présents avec, par ordre d'entrée en scène, Lény Escudero, François Cavanna, Paco Ibafiez, Maurice Nadeau et ... Guy Bedos. Le professeur Pierre Halbwachs a ahan-

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donné un instant le comité de soutien à Luc Tangorre pour apporter un témoignage d'une simplicité anti­que. Il compare l'accusé à un« Prométhée rongé par la fatalité »dont l'affirmation serait de« dire toujours non ».

Après d'interminables débats, Baron écope de dix ans de réclusion criminelle, Knobelspiess est acquitté. Les dénégations des uns n'ont décidément pas la même valeur que celles des autres. Le 19 janvier 1986, à 4 heures, Roger quitte libre le centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis et disparaît dans la nuit.

Pour réapparaître le 6 avril1987 près de Perpignan, à Thuir, où deux hommes armés attaquent une agence bancaire; butin : 150 000 F et 300 000 pesetas.

Les policiers les prennent en chasse ; première fusillade : un inspecteur blessé au cuir chevelu n'échappe à la mort que par miracle. Les fuyards sont rejoints un peu plus loin et cette fois se rendent sans résistance. Dans leur véhicule, les enquêteurs retrou­vent les armes et le produit du vol.

Cette fois M. Knobelspiess - car c'est lui- ne peut mer.

Et la justice lui présente la facture. Celle des fusillades de Pont-de-l' Arche et d'Elbeuf d'abord, dès le 17 avril 1987, soit onze jours après son arrestation. Me Leclerc a beau faire et Claude Mauriac se lamenter dans Le Matin de Paris, en cinq jours d'audience, malgré les dénégations de l'accusé et malgré ses alibis miracle, ce sont sept années de réclusion criminelle qui tombent.

Le 27 octobre 1989, la cour d'assises des Pyrénées­Orientales le condamne à neuf ans de réclusion criminelle.

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Les témoins de moralité se sont fait rares, très rares. Seules les femmes sont restées fidèles et sont venues. La comédienne Marie Rivière dont il a eu un enfant a joué un rôle pathétique, en vain. Paco Ibanez est encore là, mais le cœur n'y est plus. Les juges ont cessé de se flageller. Le temps des pénitents est passé. Celui du châtiment est venu.

Très provisoirement il est vrai car, à la Chancelle­rie, Pierre Arpaillange ... et sa bande préparent déjà la sortie du protégé de l'Elysée et de l'élite intellectuelle et culturelle du pays. En vieux professionnel, Arpail­lange a bien élaboré son coup.

C'est le mardi 14 août 1990, soit moins d'un an après l'arrêt de la cour d'assises des Pyrénées-Orien­tales, que Knobelspiess retrouve la liberté. Une fois de plus, la justice officielle du pays et les apparatchiks judiciaires remettent en cause, sans le moindre scru­pule, les décisions d'une cour d'assises. « Klop »

bénéficie d'une libération conditionnelle particulière­ment sophistiquée.

Le pouvoir, quand il se sent en faute, utilise la mi­août pour favoriser ses protégés. Rappelez-vous Christina von Opel et la grâce mariale des 21 mères de famille. Il espère qu'au cœur du creux des vacances la pilule passera mieux auprès des électeurs.

Comme d'habitude « Klop », dès sa sortie du centre pénitentiaire de Nantes, rappelle qu'il« n'a de merci à dire à personne ».

Quelque temps plus tard, il publie Voleur de poules qui ne semble pas connaître un grand succès. La question des véritables causes de l'attribution à Knobelspiess de la subvention de 100 000 F par le ministre de la Culture se pose. Manceron évoquait,

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dans son plaidoyer du 13 juin 1983, une tentative qu'il avait engagée en décembre 1982, alors qu'il sentait son protégé (qu'il ne voyait plus depuis des mois!) retomber dans le milieu de la délinquance. Il avait essayé de constituer, avec les membres du comité, un fonds de soutien qui aurait été alimenté par un versement de 150 F par mois et par personne.

Hélas, les membres de l'intelligentsia parisienne sont moins avares de l'encre de leurs signatures que de leurs petites économies. Aussi, « devant le peu d'écho rencontré », dut-il« renoncer ». Il est vrai que l'intéressé lui « avait fait savoir il y a longtemps (bien sûr !) qu'il répugnait à être un assisté ».

Pourquoi a-t-on accordé ces 10,0 000 F à Knobel­spiess pour qu'il aille étudier en Egypte les sciences de l'homme?

Le pouvoir exécutif n'aurait-il pas détourné des informations de sources policières pour éloigner du territoire national le symbole vivant de ses échecs, à deux mois des élections législatives ? La question mérite d'être posée.

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CHAPITRE V

La bande à Zolhutaire

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Le mécanisme d'obtention des grâces présidentielles n'est pas le fruit du hasard. Il obéit à des logiques tout à fait particulières.

La bande à « Zolhutaire 1 » est grosse consomma­trice de cette mesure qui s'inscrit dans le cadre de ses justes luttes habituelles. Tout intellectuel français qui se respecte entretient en effet avec la justice de son pays des relations symboliques. D'une part, le thème de l'erreur judiciaire est un classique de notre littéra­ture. Il permet de s'inscrire à peu de frais dans les lignées de Zola et de Voltaire. D'autre part, le sujet du bon délinquant, arraché au crime et touché par la grâce de Mgr M yriel mais poursuivi sans cesse ni relâche par la vindicte de J a vert, est un des grands moments du roman français. L'image de Hugo, luttant seul contre le crime personnifié par Napoléon III, a fixé définitivement le tout.

Même si aujourd'hui ce cliché se trouve quelque peu remis en question, il aura marqué les esprits qui peuplent aujourd'hui le firmament de la pensée contemporaine. Dans Travelingue, Marcel Aymé a

1. Je suis Zola, voyez mon Dreyfus; je suis Hugo, admirez mon Valjean; je suis Voltaire, dégustez mon Calas. Des références chères aux progressistes spécialisés dans la bonne conscience.

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admirablement mis en scène ces petits cénacles bien de chez nous où des êtres étranges, indéfinissables et équivoques vivent et revivent de grands moments d'exaltation littéraire ou cinématographique, ne per­cevant plus la réalité qu'à travers la lecture de leurs auteurs préférés.

Ce marché, car il s'agit bien d'un véritable marché, est occupé par quelques « professionnels de haut niveau », autour desquels papillonnent quelques cen­taines de Bouvard et Pécuchet du show-business et de la presse écrite ou télévisée. Ces derniers se font l'écho des vérités révélées par les nouveaux mara­bouts et les diffusent sans relâche, en un tourbillon désinformateur impressionnant.

Jean-Denis Bredin, de l'Académie française, et Pierre Vidal-Naquet, de l'École des hautes études en sciences sociales, sont les spécialistes de l'affaire Dreyfus. Ils vont donc communier dans des traques soupçonneuses et interminables de tout ce qui peut s'apparenter à celle-ci de près ou de loin. Avec Luc Tangorre, ils vont connaître bien des satisfactions, mais la chute finale sera dure.

Au milieu de tous ces personnages de la comédie humaine, Claude Mauriac, fils de son père, sera le Hugo essoufflé d'un Valjean-Knobelspiess décidé­ment rebelle aux sollicitudes de ses protecteurs. L'historien Claude Manceron participera au festin et en éprouvera quelque désagrément dans ses fonctions élyséennes.

La tâche des « spécialistes » et « experts » de l'ana­lyse du comportement des Zolhutairiens est grande­ment facilitée par l'extraordinaire prolixité de cette espèce. Aussitôt qu'elle a opté pour un nouveau

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combat, elle éprouve le besoin de le faire savoir, de décrire les impressions et sentiments qu'elle ressent au fur et à mesure que se développe son action. Elle a, depuis longtemps, oublié que le moi est haïs­sable.

Elle est tellement sûre d'elle et tellement convain­cue de son bon droit, qu'un zeste de mauvaise foi ne l'effraie pas.

Le Zolhutairien ne recule en effet devant aucun obstacle quand il s'agit de constituer son capital « d'innocentes victimes de l'acharnement judiciaire et de l'incapacité de l'institution à reconnaître ses erreurs ».

A voir son affaire Dreyfus vaut bien que l'on travestisse un peu la réalité et que l'on exerce quelques pressions. Qu'il est bon de rejouer indéfi­niment la même pièce et d'éprouver ensemble tou­jours les mêmes indignations.

Sur l'affaire Tangorre, Pierre Vidal-Naquet a été le moteur de la libération du violeur des quartiers Sud de Marseille. Il a donc beaucoup publié pour parvenir à cet admirable résultat. La lecture de ses articles fascine tant elle illustre les dangers que font courir à leurs concitoyens des hommes que n'ef­fleure jamais le moindre doute ... sur eux-mêmes et leur action.

Comme nous l'avons vu en parcourant l'affaire Tangorre, c'est en 1983 que notre étudiant en gym­nastique a la chance d'intéresser Pierre Vidal­Naquet à son cas. L'universitaire est à l'époque en panne de croisade. Les pétitions se font rares. Notre homme s'ennuie. L'affaire Mirval s'éloigne dans le temps. Nul ne saura jamais si ce jeune

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Antillais de vingt ans, décédé le 22 février 1974 à Fleury-Mérogis, s'est suicidé ou s'il a été tué « acci­dentellement » par les gardiens qui le conduisaient au mitard.

Dans un article paru dans Le Monde du 25 janvier 1977, Vidal-Naquet laisse poindre une opinion dont il ne changera jamais. « Démonstration écrasante du crime, et par crime j'entends moins le meurtre lui­même que la façon atroce dont la justice de ce pays a couvert le meurtre. »

L'historien, lui, ne laisse rien échapper. Les crimes qu'il attribue aux gardiens de l'ordre sont régulière­ment dénoncés. Il se penche sur les dossiers qu'il estime mal instruits, mal jugés, mal classés. Dans un article paru dans Le Monde du 9 juillet 1985, il explique que « la justice de classe fonctionne dans un sens et dans l'autre... pour en finir... il faudra le profond travail de soi, sur soi, de tout le corps judiciaire ».

A travers la lecture de ces différents papiers, l'on sent bien que notre cérébral s'ennuie. De plus les morts ne constituent pas de bons cas : trop silen­cieux! Ce qu'il faut c'est un vivant nerveux et pugnace qui crie bien fort son innocence.

De toute évidence, la perspective de ne plus avoir pour s'exprimer que les colloques universitaires affole un homme qui a dépassé la cinquantaine. Croiser le fer avec un Bernard-Henri Lévy dans Le Nouvel Obser­vateur du 18 juin 1979, faire assaut de cuistrerie en se jetant au visage le péché originel, Halicarnasse ou Sophocle, voilà qui manque cruellement de panache et rappelle furieusement les interminables querelles des chanoines de la Sainte-Chapelle du Lutrin.

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Même la perspective de faire juger, un jour, pour crime contre l'humanité son vieil ennemi le général Bigeard, ne parvient plus à le tirer d'un engourdisse­ment redoutable. Heureusement, il lui reste l'affaire Dreyfus. Elle fait partie de son patrimoine familial. Son grand-père Jules, avocat, y joua un rôle. Ce sont là des choses que l'on n'oublie pas dans les bonnes familles.

Au fur et à mesure que les années passent, Pierre Vidal-N aquet éprouve le besoin de revivre les com­bats de son aïeul. Où diable trouver un Dreyfus ? On n'a pas tous les jours la chance de découvrir un capitaine juif victime d'une machination de ses supé­rieurs hiérarchiques. Cela se fait rare. Un Antillais aurait fait l'affaire, mais le dossier Mirval n'a pas « pris », Faute d'un « travailleur immigré », « un petit Français moyen, étudiant en gymn~stique » suffira.

Intime conviction, aveuglement, fantasmagorie his­torico-judiciaire, l'historien patauge et s'enfonce dans ses errements. Il s'en prend aux règles de procédures inquisitoriales qui, à l'en croire, ont conduit Luc Tangorre « à payer de trois ans et demi de prison le crime d'avoir été pris pour un autre :comme le disait Anatole France, ajoute-t-il, la Raison toute seule est de peu de poids quand le fictif a pour lui la pesanteur de la chose jugée ».Et c'est à ce même Anatole France que Vidal-Naquet emprunte cette mâle formule, digne d'un politicien de la Ille République en manque d'autorité : « Nous aurons raison parce que nous avons ra1son. »

La rechute de Luc Tangorre après sa libération méritait, après tant d'excès de plume, que nous

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guettions la réaction de Vidal-Naquet. Elle se fit attendre. Le gros bataillon des fidèles de Tangorre avait, il est vrai, fondu sous la mitraille. La vieille garde n'était plus guère composée que de l'inévitable Marguerite Duras, dont les fulgurantes intuitions font parfois regretter l'alcoolisme discret d'Antoine Blondin. Elle écrit encore, le 29 novembre 1990 : « Très cher Luc Tangorre ... je crois toujours que tu as été victime d'une petite garce (sic) qui veut ta défaite coûte que coûte. Tu resteras mon ami, je t'embrasse. »

Le directeur à l'École des hautes études en sciences sociales n'avait pas les excuses du vieil écrivain quand il daigna livrer ses réflexions dans Le Monde du 15 février 1992 sous le titre : « Luc Tangorre et notre erreur. » Cet article présente un double intérêt. L'his­torien y livre en effet le mécanisme d'obtention de la grâce du condamné et, surtout, dévoile une mauvaise foi ahurissante.

Les relations entre le petit lobby des professionnels de la lutte contre l'erreur judiciaire, le ministère de la Justice et la présidence de la République sont désor­mais connues. La théologie de la lutte contre l'exclu­sion transposée aux plans judiciaire et pénal, l'influence du monde des avocats pénalistes, la toxi­comanie, et, comme l'a écrit si joliment le conseiller d'État Massenet, l'existence de « milieux à risques 1 »

possédant une « influence toute particulière sur le Parti socialiste » expliquent la fascination que la gauche intellectuelle éprouve pour la délinquance.

Aussi longtemps que ce phénomène restait l'apa-

1. Cf. La Transmission administrative du sida, Albin Michel, 1992.

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nage d'une clique de clercs peu clairvoyants, il n'y avait pas lieu de s'inquiéter. Leurs luttes contre les innombrables injustices dans le monde les occupaient fort. D'Amnesty International à la Ligue des droits de l'homme, ces grandes âmes trouvaient à s'agiter et à étaler leur beauté devant les gogos admiratifs du peuple de gauche. La tribu des singes du Livre de la jungle criaillait et gesticulait, mais au fond ne faisait pas grand mal. Il lui arrivait même parfois, tant ses relais médiatiques sont efficaces, de jouer un rôle d'utile contre-pouvoir. Les hommes de droite ser­raient leurs muscles fessiers à la seule idée de passer en jugement devant cette cour jacassante de censeurs impitoyables des vices et défauts des autres.,

L'arrivée de François Mitterrand à l'Elysée a entraîné un déséquilibre brutal de l'écosystème : les fantasmes et les délires de tous ces agités du stylo trouvent dès lors de redoutables relais pour leurs mauvais coups. Leur fantasmagorie peut enfin deve­nir réalité.

L'épouse du chef de l'État, Danielle Mitterrand, joue un rôle non négligeable de « mouche du coche » au sein même du palais présidentiel. Dans un ouvrage La Levure du pain 1, elle livre une description, ahurissante de niaiserie, du grouillement et de la fermentation « droit-de-l'hommesque ». La petite Bourguignonne issue d'un milieu de « gauche hon­nête et travailleur » éprouve une véritable fascination pour« l'élite »intellectuelle et artistique du pays. On frémit devant tant de naïveté. Il n'empêche que, sur

1. Éditions n° 1, 1992.

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ces bases, a été lancée une fondation : France­Libertés - Fondation Danielle Mitterrand. Elle bénéficie, bien sûr, du soutien des« plus grands noms de l'art, de l'écriture, de la musique ». Voilà qui rassure sans doute la piétaille du peuple de gauche. Il n'est pas seul à se battre, il dispose de l'aide des esprits les plus brillants de l'époque!

Cet ouvrage impérissable de la première dame de France n'a pas reçu l'écho qu'il méritait. La presse de gauche a gardé un silence atterré. Le Canard enchaîné s'est même risqué à un article narquois. Les bons sentiments ne font pas automatiquement des œuvres comestibles !

Il n'empêche que cette lecture indigente permet de découvrir comment le sentiment d'injustice prend naissance dans la conscience des petites filles de gauche. La privation de bonbons à la framboise par une enseignante fanatisée par l'obscurantisme clérical, le refus de l'irréparable qui poussa jadis la jeune Danielle à déterrer une portée de chatons, le sauve­tage d'un chien abandonné attaché à un arbre de la forêt expliquent la métamorphose de la chrysalide en une militante des droits de l'homme ... et de la femme.

« L'attention portée aux autres commence-t-elle avec le sauvetage d'un animal que l'on a aimé en l'identifiant à l'injustice et à l'inégalité des destins ? »

Vaste question que nous pose là l'épouse du président de la République.

Marie-Antoinette vécut le calvaire de l'affaire du Collier. Danielle Gouze connut le drame du bocal aux petites framboises acidulées. A chaque époque ses affres et ses tourments.

Danielle, alors âgée de six ans, n'avait pas reçu,

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bien qu'excellente élève selon ses dires, les deux bonbons à la framboise qu'obtenaient normalement les petites filles méritantes. Hélas, son père était favorable à l'école laïque et libre penseur. Pourtant, la malheureuse enfant s~ trouvait dans un établissement religieux de la Bretagne profonde et cléricale. Ce jour-là, elle subit une humiliation terrible. Une punition imméritée s'abat sur elle, sanctionnant l'impiété du père. Faute d'avoir obtenu ses deux bonbons, Danielle bascula définitivement dans le camp de l'exclusion! Fascinante incursion dans le vécu d'une femme de gauche. A quoi tiennent les combats politiques, humanitaires et judiciaires les plus nobles.

Danielle Mitterrand connaît, à l'occasion de « l'af­faire des bonbons », une autre expérience qui la marque profondément. Elle « n'accepte pas l'injus­tice » et, aidée par l'aile marchante du prolétariat, en l'occurrence le fils de la concierge, elle vole le contenu du bocal de bonbons et procède à sa distribution. La sanction s'abat et elle est punie publiquement pour son action de réparation de l'iniquité subie. Robine des Bois est capturée par le shérif de Nottingham !

Admirable parabole, puissance du symbole, force des mots, magie du verbe qui nous plongent au plus profond d'un drame qui s'est déroulé dans la Bre­tagne d'il y a soixante ans. C'était hier et pourtant ...

L'injustice, Danielle Mitterrand connaît donc. Elle a entamé, contre la dame noire de l'iniquité, un de ces combats titanesques qui marquent une vie sinon un septennat ! En pédalant sur les routes landaises, la première dame de France rumine et s'indigne. Après douze ans de socialisme, il y a encore trop à faire dans

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ce pays. Elle est « lasse de recevoir un courrier qui dénonce des bavures et des jugements aux allures tendancieuses que nous ne saurions tolérer » (sic, p. 156). Et d'ajouter : « Nombreux sont ceux qui se méfient des pratiques violentes de certains de nos policiers et n'ont plus entièrement confiance en notre JUStice. »

Ces dysfonctionnements de la police et de la justice ne sont pas, aux yeux de l'épouse du chef de l'Etat, le fruit du hasard. Ils résultent d'une sorte de complot contre la France des droits de l'homme. « A cette cadence, écrit-elle en effet, on pourrait assimiler ces faux pas répétés à une volonté de nuire préjudiciable à la réputation de notre pays » (ibid.). Il est, conclut­elle, « nécessaire de s'indigner pour inciter chacun à réagir dans son domaine. Nous nous rangerons aux côtés de tous ceux qui déjà œuvre~t dans ce sens ».

Pour s'indigner, on s'indigne ! L'Elysée croule sous les requêtes et les recours en grâce, parfois accordés avant même que d'avoir été instruits par l'autorité judiciaire!

Cette vision d'apocalypse, Danielle Mitterrand n'est pas seule à la diffuser. Ses thèses sont corrobo­rées par la lecture de Pierre Vidal-Naquet. Et, là encore, des filières sont proposées aux délinquants pour échapper aux institutions policière et judiciaire. Vidal-Naquet n'écrit-il pas : « Les hommes qui nous gouvernent ne sont pas pour moi, depuis 1981, des hiérarques inaccessibles. Le garde des Sceaux, Robert Badinter, ne fut-il pas pendant la guerre d'Algérie mon avocat, n'est-il pas demeuré mon ami 1 ? » Ce

1. Dans Coupable à tout prix, de G. Tichané p. 194.

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petit monde se mobilise donc pour faire plaisir à un si fidèle compagnon de route. On ne va tout de même pas refuser la grâce de Tan gorre à « Pierrot » ! Les vieux copains s,ignent l'appel. Jean-Denis Bredin et le directeur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales font le siège de l'Élysée.

Robert Badinter était, dit-on, sceptique quant à l'innocence de Tangorre. François Mitterrand, en bon tacticien, accorde la grâce mais laisse à Albin Chalan­don, garde des Sceaux RPR du premier gouverne­ment de cohabitation, le soin de libérer le violeur des quartiers Sud. Le chef de l'État opte en effet pour une mesure de libération conditionnelle rendue possible par la remise de peine présidentielle. J'ai tendance à croire que cette demi-mesure trahissait un doute sérieux sur l'innocence du client de Me Jean-Denis Bredin.

Qu'importe, il fallait faire plaisir à un pote, et tous ces « braves gens » ne risquaient pas d'être victimes des agissements de Tangorre.

Lorsqu'il est contraint de confesser son erreur, Pierre Vidal-Naquet ne consacre que dix lignes, dans un article qui en comporte plus de deux cents pour exprimer ses « regrets tant à l'égard des victimes anciennes qu'à celui des victimes nouvelles ». L'es­sentiel du texte n'est que justification a posteriori de l'action de l'universitaire. L'aversion et l'antipathie qu'il éprouve pour l'institution judiciaire éclatent encore. Vidal-Naquet ne peut se renier totalement et conclut à propos de Tangorre : « A-t-il été jugé? Je dois, à regret, écrire que non. Chacun a pu constater l'incroyable partialité du président de la cour d'assises du Gard. » Il s'offre même le ridicule d'ajouter :

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« Est-ce, par-delà ce coupable, l'idée même d'erreur judiciaire- car tout de même il y en a- qu'on a voulu frapper de réclusion criminelle ? »

Or, contrai~ement à ce qu'affirme volontiers le directeur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, l'historien qu'il se targue d'être ne s'était pas entouré des précautions que l'on est en droit d'atten­dre d'un scientifique d'aussi haut niveau. Son article laborieux suscita d'ailleurs, le 6 mars 1992 dans Le Monde, une cinglante réponse du premier président de la cour d'appel de Nîmes, Henri Bezombes, et du procureur général près cette même cour, Monique Guemann 1, réplique rédigée après consultation de l'assemblée générale des magistrats. Rappelant que Pierre Vidal-Naquet n'avait pas assisté aux débats et ne faisait donc que rapporter des événements dont il n'avait pas été témoin, ils évoquent les dix expertises psychiatriques et psychologiques du condamné, alors que l'historien estimait« qu'aucune enquête psychia­trique digne de ce nom, digne d'un cas aussi rebelle, n'avait été tentée » !

Le mal de Zolhutaire a beaucoup frappé. Chaque année ou presque, de la mare aux fantasmes sort quelque nouvelle recrue qui rejoint la cohorte de ceux qui traquent désespérément l'erreur judiciaire. Cor­tège surréaliste d'agités et d'hallucinés du monde médiatique, de l'intellocratie et du syndicat des avocats de France, ils avancent en psalmodiant fréné­tiquement : « Dreyfus, Affaire, Valjean, Hugo ; Vol-

1. Cette militante du syndicat de la magistrature a su conserver une certaine indépendance qui s'est manifestée à une époque difficile par le soutien apporté à l'action du juge Thierry Jean-Pierre.

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taire, Calas ; Zola, Hugo, Voltaire, Zolhutaire ... » On fait place au nouveau qui s'engage dans la croisade avec la fougue du néophyte et redonne vigueur à la colonne vacillante.

Le Zolhutairien peut aller loin dans la mauvaise foi. Dans certains milieux médiatiques, il convient d'avoir son « innocent-incarcéré-victime-de-l'achar­nement-d'une-machine-aveugle-qui-refuse-obstiné­m~nt-de-reconnaître-ses-erreurs ». A n'importe quel pnx.

Daniel Kar lin, réalisateur de télévision, dans un ouvrage intitulé L'Affaire Char a, un innocent meurt en prison (Seuil, 1992) étale les recettes qui permettent de fabriquer de toutes pièces un scandale judiciaire. Mohamed Chara est un jeune Arabe accusé d'avoir participé aux meurtres d'Irène Sobon et de sa fille Sandrine, âgée de cinq ans. Les faits se sont déroulés le 6 février 1978 à Méricourt-sous-Lens, dans le Pas­de-Calais. Chara a été mis en cause par Jean-Luc Rivière, Réunionnais de vingt-deux ans, qui a reconnu le meurtre de la mère mais impute celui de Sandrine à Mohamed Chara. Ce dernier, après avoir reconnu les faits au cours du début de la garde à vue, est revenu ensuite sur ses aveux. Jean-Luc Rivière a . . constamment mamtenu ses accusations.

Sans entrer dans le détail de ce dossier, décortiqué douze ans après les faits par Karlin et son équipe, la plus élémentaire objectivité amène à se poser la question de la culpabilité de Chara. D'autant qu'il a été condamné à mort, en 1980, par la cour d'assises de Saint-Omer. Le verdict ayant été cassé, l'affaire est rejugée en février 1982 par la cour d'assises d'Amiens, laquelle condamne derechef les deux hommes à la

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peine maximale : la réclusion criminelle à perpétuité, la peine de mort ayant, entre-temps, été abolie par le législateur.

Le dossier peut faire l'objet de plusieurs lectures et je n'ai, pour ma part, pas d'opinion définitive sur la question. Je sais simplement, par expérience, qu'un délit banal peut basculer en quelques secondes dans l'horreur criminelle. Il est vrai que l'enquête a été menée par le commissariat, c'est-à-dire par des poli­ciers qui ne sont pas habitués à traiter pareils dossiers. Le commissaire de la bourgade d'A vion, chef de service, abandonne ses occupations habituelles et prend tout en main. Il n'est pas nécessairement le meilleur enquêteur. Claude Delalé, l'officier de police judiciaire qui traite d'habitude les dossiers d'investi­gation, en conçoit une amertume profonde. Une tension s'établit au sein du commissariat qui se retrouvera encore, des années plus tard, bien que l'inspecteur en question ait quitté la police. Or c'est sur le témoignage de cet ancien OPJ en conflit avec sa hiérarchie que Daniel Karlin appuiera une partie importante de sa démonstration.

En 1990, Daniel Karlin obtient du garde des Sceaux Pierre Arpaillange l'autorisation de se déplacer libre­ment dans les prisons françaises afin de tourner une émission sur la justice. Ancien intellectuel commu­niste, à l'époque où ce titre était encore porteur, il a pris la précaution de s'adjoindre, comme coréalisa­teur de l'émission, un grand ami du ministre, Philippe Boucher. Longtemps journaliste ~u Monde, Philippe Boucher est devenu conseiller d'Etat par la grâce de ses hautes protections élyséennes. L'un tenant la porte ouverte, l'autre jouant des micros et des

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caméras, Karlin peut ainsi se promener en toute tranquillité dans les palais de justice, les commissa­riats, les maisons d'arrêt. Pierre Arpaillange lui a accordé toutes les autorisations possibles et imagina­bles.

Par une de ces délicates attentions qui font le charme des nombreux prébendiers de l'ère Mitter­rand, Daniel Karlin utilise, pour le tournage et le montage des plans, les services d'un professionnel de haut niveau, P-DG d'une société de production vidéo de Vendée. Un homme qui a des prisons une expérience ne se bornant pas à une simple visite. Ami de longue date d'un des ravisseurs du baron Empain, il n'a rien trouvé de mieux que de tenter d'extorquer, fin 1989, un million de francs à un directeur de magasin. Il sera incarcéré en 1992, après une longue procédure.

Ce sont donc ces trois hommes, ces trois « hautes autorités morales », qui vont se pencher sur les dysfonctionnements de notre pauvre justice.

Mohamed Chara est mort dans sa cellule le 29 décembre 1991. Je me garderai bien d'affirmer que le malheureux était coupable, mais je n'admets pas les procédés employés par celui qui a décidé qu'il était innocent. Karlin, comme tant d'autres avant lui et bien d'autres demain encore, tenait son affaire Drey­fus ! Il y a un siècle, Zola ne fabriquait pas les preuves de l'innocence du malheureux capitaine, les faux étaient confectionnés par Esterhazy. Or, dans l'af­faire Chara, Karlin forge l'innocence de son protégé d'une manière littéralement ahurissante. D'abord, le réalisateur ne donne pas la parole à ceux qui ont mené l'enquête et conduit l'instruction. « Mon indignation,

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explique-t-il, me dicte la conduite à suivre : Moha­med Chara a trop souffert et depuis trop longtemps pour que je fasse un film tiède ... Il est exclu que je perde mon temps à solliciter le témoignage de deux individus qui ont, à mes yeux, perdu toute crédibilité dans cette affaire 1• »

A cette partialité dans la présentation s'ajoute un autre procédé, pire encore. Sans autre guide que son intime conviction, Daniel Karlin a besoin, pour réussir son opération, d'obtenir une rétractation de Rivière. Il va s'y employer par une forme de chantage que révèle la correspondance adressée par Karlin au détenu Rivière, lettre que le réalisateur a eu le culot, ou l'inconscience, de publier dans L'Affaire Chara. Il s'y livre en effet à une tentative de subornation de Jean-Luc Rivière, l'accusateur de Mohamed. Pour tenter de faire revenir celui-ci sur ses mises en cause, il n'hésite pas à avancer des promesses invraisembla­bles, écrivant par exemple : « A plusieurs reprises, Rémi Laîné et moi-même vous avons fait part de notre certitude de la véracité de ces déclarations [d'innocence] ... Si une parole de vous disculpait enfin Mohamed Chara, cela représenterait pour moi la meilleure preuve de votre transformation et je me battrais pour qu'il vous en soit tenu compte. Je suis sûr que je pourrais faire comprendre à l'opinion publique que le Jean-Luc Rivière disculpant Moha­med Chara ne serait plus le même ... et que ce Jean­Luc Rivière différent mériterait aussi sa part de clémence... Je pense que vous pourriez améliorer votre condition en le faisant. »

1. Souligné par nous.

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Que recouvrent ces belles promesses? Rien. Non sans un certain cynisme, Karlin et son collaborateur Rémi Laîné l'avouent. N'indiquent-ils pas : « Notre opinion est que [si Rivière reconnaît avoir tué la petite fille] cela améliorera sa situation, à tous les sens du terme. S'il décide de parler c'est qu'il ne supporte plus de se taire : c'est l'évidence. Et s'ille fait il vivra mieux ensuite. Avec lui-même et avec les autres. Quant à sa conditionnelle, de toute manière ce n'est pas demain la veille. En France, on ne sort pas de prison après quatorze ans pour une histoire comme celle-ci. »

Voilà comment on traite aujourd'hui, dans notre pays, le problème de l'erreur judiciaire ! On affole un pauvre gars en lui laissant miroiter une perspective de liberté afin de le faire revenir sur ce qu'il a dit, jadis, au cours de l'enquête et de ses deux procès. La méthode vaut qu'on s'y attarde tant elle illustre la duplicité et l'hypocrisie de ces « intellectuels » qui se croient toujours en situation de donner des leçons à la planète entière.

Daniel Karlin n'avait pas encore actionné les filières qui permettent d'obtenir les grâces présiden­tielles, mais il avait déjà mis en place le mécanisme qui aurait pu y aboutir sans le décès de son protégé. Avec cet invraisemblable orgueil, courant dans un monde médiatique particulièrement touché par la mégaloma­nie, Karlin et ses semblables ne se retiennent plus lorsque le syndrome de Dreyfus les frappe.

D'où vient un tel mode de fonctionnement? D'un système de références qui tourne en circuit fermé, d'une ignorance des réalités sociales. Tout se passe en fonction de clichés et de réflexes acquis depuis

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longtemps. Face à un policier, Karlin a, par exemple, cette réaction immédiate : « De vieilles images remontent à ma mémoire : la grande rafle du Vel'd'Hiv', Drancy, les flics chargeant à Charonne aux cris de " A bas la gueuse, mort aux juifs. " Toujours la même chose. On ne se change pas. Ce n'est pas pour rien que je m'intéresse à Chara. Tout à coup je me sens envahi par la haine. Y compris à l'égard de Claude Delalé [l'ex-inspecteur du commis­sariat d'Avion], qui n'y est pour rien. » Comment attendre dès lors une contre-enquête objective ? Kar­lin a trop de comptes à régler avec la justice et la police. Il s'identifie au délinquant, pas au flic ou au juge et encore moins aux victimes. Il en résulte une fascination pour le crime et les criminels, courante dans ce milieu professionnel. Voilà pourquoi la démarche de Karlin charrie tous les poncifs, les clichés, le mode de raisonnement habituel des Zolhu­tairiens. Il se vante de réaliser« un film à décharge ... un plaidoyer en faveur de l'innocence de Mohamed Chara, un appel flamboyant pour la révision de son procès... Ce film devra être un véritable coup de poing ». Parallèlement, l'un épaulant l'autre, la réali­sation du film est accompagnée de la mise en place d'un comité de soutien où siègent les habituels militants du syndicat des avocats de France (SAF). Le tour est JOUé.

Le décès prématuré de Mohamed Chara a privé Daniel Karlin de son support, mais notre justicier n'en restera pas là. Il promet d'aller jusqu'au bout de la demande en révision. C'est pour lui un « devoir sacré ». Par une étrange coïncidence, le réalisateur de télévision use des mêmes mots que Pierre Vidal-

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Naquet dans son combat pour Luc Tangorre : « Plus nous avons progressé, plus son histoire nous a éclairés sur l'ordinaire de la justice criminelle, et plus âpre est devenu notre désir que cela se sache et que cela se paie. Que soient désignés au moins les responsables de ce gâchis, qu'ils tremblent à leur tour et que l'institution y perde un peu de sa morgue et de son arrogance ... Il faudra bien que l'on présente des excuses à la victime. Qu'on s'incline bien bas devant sa mémoire : levez-vous mesdames et messieurs et découvrez-vous, ôtez vos toques et vos mortiers, et saluez, la justice passe 1• »

La mort de Chara ne laisse pas longtemps Daniel Karlin désarmé. Par un heureux hasard, notre réalisa­teur épris de justice (et de repris de justice) rencontre une nouvelle victime de l'institution judiciaire, bien vivante celle-là! Il s'agit d'un certain Charmasson condamné, le 3 décembre 1977 par la cour d'assises de Carpentras, à la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre d'un policier. Allons, il y aura toujours des dossiers porteurs pour les amateurs de lutte contre l'erreur judiciaire !

Robert Morange 2 attend des volontaires pour créer le comité de soutien en vue d'une révision du procès de Gérard Charmasson ...

La lecture des Misérables a profondément marqué des générations de potaches tétant le savoir et la culture aux mamelles généreuses de l'instruction laïque et obligatoire.

1. Souligné par nous. 2. Visiteur de prison qui signala le cas Charrnasson à Daniel Karlin après la

projection du film sur l'affaire Chara.

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Sorte de super-Case de l'oncle Tom de la vieille Europe, ce long fleuve agité permet à chaque lecteur de trouver ce qu'il y cherche. L'amateur d'épopée et de gloire militaire vibre toujours au récit de Water­loo, puis à la découverte du passé de son père par Marius Pontmercy. Les partisans de l'Ancien Régime sont un peu ridicules mais ont au fond bon cœur. Les jeunes élèves de Polytechnique savent mourir avec élégance face aux émeutiers des barricades. Ceux-ci sont admirables de courage et d'abnégation. Les prostituées ont un grand cœur mais les poumons fragiles. Le forçat devient M. Madeleine grâce à Mgr My riel. Marius épouse Cosette et ils s'aiment. Gavroche restera Gavroche.

Bref, tout le monde serait beau et gentil si deux personnages ne venaient compléter le tableau de cet admirable mélo bien de chez nous. D'abord, l'im­monde Thénar dier, le bourreau de Cosette, le détrousseur de cadavres du champ de bataille du Mont-Saint-1 ean. Il n'aura pas la chance de croiser un « Mgr Bienvenu », dans sa longue descente aux enfers. En revanche, il rencontrera souvent l'autre exception, l'inspecteur 1 avert, ce fils d'une tireuse de cartes dont le mari était aux galères. « Donnez une face humaine à un chien fils d'une louve et ce sera 1 avert. Un front anguleux et étroit, un regard funeste, un menton menaçant, des mains énormes, et un gourdin monstrueux. Tout en haïssant les livres, il lisait, ce qui fait qu'il n'était pas complètement illettré. Il eût arrêté son père s'évadant du bagne. »

Après une telle description, comment voulez-vous que nos chers cérébraux de la gauche- chrétienne ou non-, nourris de tels clichés littéraires, n'aient pas

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pour la police les yeux de Hugo pour 1 avert, et pour les truands ceux de Mgr Myriel?

Est-ce dans Hugo que Claude Mauriac, le fils de son père, découvrit le monde de la police et celui de la délinquance? Par quel itinéraire tortueux passa-t-il, après des débuts prometteurs dans la mouvance du colonel de La Rocque et de 1 ean Mermoz 1, du conformisme de droite à l'orthodoxie gauchiste de ces vingt dernières années ? Quelle blessure secrète a pu l'amener à promener mélancoliquement sa longue silhouette un peu triste au milieu des damnés de la terre post-soixante-huitards ? Il est certain que la référence dreyfusarde est un tantinet plus discrète chez Mauriac que chez Vidal-Naquet. Il est vrai que les traditions familiales ne sont pas les mêmes. Dans la famille Mauriac, on a eu de la tendresse pour le vieux maréchal avant de triompher sous le général. On n'a pas connu les affres d'un Vidal-Naquet pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce dernier raconte : « Toute ma vie a été marquée par le récit que m'a fait mon père, à la fin de 1941, de l'affaire Dreyfus. C'est aussi à travers l'affaire que j'ai été formé non seulement à la politique mais à la Morale et à l'Histoire. »

Dans le cas du célèbre écrivain catholique la rime de Knobelspiess avec Saint-Sulpice ne peut tout expliquer. Le « jeune » Mauriac a-t-il été déstabilisé par la fameuse lettre ouverte de Roger Peyrefitte, publiée par la revue Arts en 1964 ? La révélation de terribles et délicieux conflits entre chair et foi, qui

1. Le célèbre aviateur fut un membre actif du mouvement des Croix-de­Feu du colonel de La Rocque.

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n'auraient pas été que littéraires, a-t-elle déboussolé le fils d'un père détrôné? Toujours est-il qu'à défaut de « casser la gueule à Peyrefitte », le Rodrigue manqué d'un Corneille défaillant vira au gauchisme militant. Il avait, dès lors, tout naturellement sa place à la tête du comité de soutien de Knobelspiess.

La place de Zola était prise et bien prise. L'affaire Dreyfus étant la propriété exclusive de Vidal-Naquet et de Jean-Denis Bredin, il revenait à Claude, tout en ne se désintéressant pas de Tangorre, d'assurer la promotion journalistique du braqueur. Dans Le Matin de Paris du 17 août 1981, sous le titre bien connu « Roger Knobelspiess encore et toujours », Mauriac fils se lance dans un vibrant plaidoyer pour son protégé. L'argumentation est simple et efficace : Roger a déjà trop payé pour un braquage de pompiste qu'il n'a pas commis et il dispose d'un« avoir »sur la justice pour les actes commis durant sa cavale. Et Claude Mauriac d'ajouter : « Il y avait une belle expression autrefois, et elle s'est un peu perdue : avoir charge d'âme. Nous avons charge du corps et du cœur et de l'âme de Roger Knobelspiess ... »

Vieille réminiscence de bondieuserie ou recherche d'une chute, toujours est-il que notre écrivain se place ainsi dans le sillage de Mgr My riel dit également Bienvenu.

Le 30 avril 1987, un long cri de désespoir s'élève des colonnes du Matin de Paris. Knobelspiess a été, à nouveau, arrêté à Perpignan. « Tout allait donc recommencer! D'autres années de prison attendaient celui qui avait déjà passé la moitié de sa vie en prison. » L'écrivain de se lamenter en pensant à ces sept ans que son protégé va devoir vivre de nouveau

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en prison. Il oubliait les mystères de l'arithmétique de la Chancellerie qui transformera les sept ans de Rouen et les neuf ans de Perpignan en... trois ans !

Ce mécanisme n'avait pas, en revanche, échappé à Henri Leclerc, l'avocat de Knobelspiess. Il met immédiatement en cause des policiers que « Roger rend fous quand il les approche » et notamment le commissaire Bidet 1, ce 1 a vert des temps modernes.

1 avert, le nom est lancé! Toute la gauche frémit. Elle retrouve ses repères. Un instant perdue, elle s'est ressaisie grâce à la littérature et au vieil Hugo. Puisque la police c'est 1 avert, « Klop »reste Valjean. Ce petit monde est rassuré, se congratule, se félicite et se relance dans la bataille avec ardeur. La police, c'est « 1 avert faisant un bras d'honneur à 1 ean Val jean devant la cour même qui vient de le condamner sur son témoignage, cela s'est-il jamais vu? » A ce 1 ean Valjean il ne manquera pas même une Cosette. Claude Mauriac ne se tient plus : « Lorsqu'il y a un an, je l'ai vu pour la dernière fois, il descendait les marches du métro avec une petite fille qu'il accompa­gnait à la foire, d'une main elle tenait le panier de son goûter; de l'autre, serrée, celle de Roger ... »

!te missa est.

1. Policier normand que Knobelspiess et ses amis ont accusé de tentative d'assassinat.

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CHAPITRE VI

Sur quelques grâces individuelles

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La présidence de la République ne se contente pas de satisfaire quelques bruyants compagnons de route, parfois encombrants mais si utiles pour chanter les louanges du pouvoir. Il existe d'autres filières d'obtention des grâces individuelles, certaines politi­ques, certaines techniques. Tout magistrat qui a travaillé à la direction des affaires criminelles et des grâces sait, en effet, que disposer d'un avocat bien en cour est un atout considérable pour le condamné.

Les grâces accordées le 8 mai 1992 à Harlem Désir, pour ses petites amendes et celles de son mouvement, ne sont que l'aboutissement paroxystique d'un phé­nomène ancien de recours systématique aux mesures de clémence individuelles pour favoriser les protégés de la présidence de la République. Souvenez-vous de Toumi Djaïdja, ce jeune Français d'origine algé­rienne, fondateur de SOS Minguettes et organisateur en décembre 1983, de la « marche des Beurs pour l'égalité ». La France médiatique le couvait littérale­ment. Les bons sentiments s'étalaient à longueur de colonnes de la presse légitimiste. Les beurs donnaient à la France de l'exclusion et du racisme une exem­plaire leçon de fraternité et d'humanisme, et mon­traient un sens civique admirable. Toumi Djaïdja était

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devenu la coqueluche du Tout-Paris médiatico-socia­liste.

Las, quand la fête est terminée et que les lampions sont éteints, les petits beurs se retrouvent seuls. Quand ils ont cessé d'amuser ou de distraire les requins professionnels des bons sentiments, ils retrouvent leurs blocs et leurs caves jonchés de seringues et de pièces de mobylettes. Leur fréquenta­tion n'est en effet tolérable que le temps d'un ou deux meetings ou d'une rapide étreinte. Ils demeurent, pour la bourgeoisie « de gôche » bien-pensante, indé­crottablement mal élevés. Et puis ils professent de troubles sympathies pour Y asser Arafat et Saddam Hussein. Bref, ils sont infréquentables.

Le jouet cassé est dès lors rejeté dans sa cité pourrie. Envolés les caméras et les micros. Plus question de tenir le rôle du « bon petit beur lar­moyant, victime permanente des provocations des keufs racistes ». Finis les petits fours et les réceptions officielles. Jack Lang n'est, tout bien réfléchi, pas du même monde qu'eux.

Toumi Djaïdja se retrouve en prison. Qu'a-t-il fait ? Presque rien, une bagatelle, une de ces petites agressions à peine brutales, un vol a':ec violence commis dans un supermarché de Saint-Etienne. Pas de quoi fouetter un chat. Tout juste une redistribu­tion des richesses, un banal transfert de propriété. Les victimes, pourtant, n'apprécient guère. Pas plus que les policiers chargés de l'enquête. Quant aux magis­trats de la cour d'appel de Lyon, ils ont l'audace de condamner le malheureux jeune homme à deux ans d'emprisonnement, dont neuf mois assortis du sursis, confirmant ainsi la volonté de condamnation du

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tribunal correctionnel qui avait eu à connaître de l'affaire. Par deux fois les magistrats du parquet avaient supplié les juges de se montrer indulgents en ne prononçant qu'une peine de principe, mais les faits étaient graves, dépassaient largement le niveau de l'emprunt d'une mobylette et s'apparentaient plutôt au vol à main armée. L'âge de l'auteur permet une relative indulgence de la condamnation. Les quinze mois d'emprisonnement correspondent aux peines normalement prononcées dans ce type d'affaire.

Quelques jours après la condamnation, le président de la République gracie Toumi Djaïdja à l'occasion des fêtes de Noël1984. Cette mesure d'élargissement provoque un mouvement de colère au sein de la police dont les syndicats (Union des syndicats caté­goriels de police en tenue et inspecteurs de la CGC) assurent les magistrats du « soutien total de la police lyonnaise ». Le syndicat indépendant de la police nationale s'indigne de cette grâce accordée à un « délinquant notoire » et voit dans cette mesure un « désaveu cinglant infligé à tous ceux qui sont chargés d'assurer la sécurité, policiers et magistrats ».

A l'inverse, le Mouvement des radicaux de gauche, dont Bernard Tapie est devenu depuis le plus illustre des adhérents, se félicite de cette mesure de clémence. Dans un style pompier qui n'appartient plus qu'à une certaine gauche, le MRG souligne combien cette mesure symbolique « compte dans le contexte actuel qui voit renaître l'intolérance et le racisme inadmissi­bles pour tout homme de cœur et contraires à l'esprit traditionnel de la France ». La palme revient toutefois à Georgina Dufoix, alors ministre des Affaires sociales et porte-parole du gouvernement, qui voit

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dans cette libération un« signe de paix et d'espérance pour tous les jeunes immigrés de voir progresser l'idéal d'égalité » !

Rarement grâce accordée par le président de la République aura constitué un désaveu si cinglant pour la justice. A deux reprises, en effet, les représen­tants du procureur de la République et du procureur général avaient requis l'indulgence du tribunal, se comportant ainsi en loyaux représentants du pouvoir exécutif. Par leurs voix, le gouvernement avait donc fait connaître son souhait. Les juges, comme ils en avaient le droit, avaient statué différemment et main­tenu la jurisprudence habituelle pour ce type d'infrac­tion. Leur décision n'avait rien de choquant ni de disproportionné.

Le pouvoir exécutif n'a pas supporté cette indoci­lité. Gracier Toumi Djaïdja à quelques jours de sa condamnation revenait à infliger un camouflet à l'autorité judiciaire, autorité dont le président de la République est pourtant le garant.

Octobre 1983 : la cour d'assises de Meurthe-et­Moselle examine le cas d'un criminel ordinaire. Dans la nuit du 1er au 2 juin 1981, deux hommes se prennent de querelle dans un bar de Nancy, Le Cintra. Une histoire de « moumoutte » serait à l'origine de l'incident. Un homme d'une quarantaine d'années, passablement éméché, se livre à des com­mentaires désobligeants sur la perruque d'un autre consommateur. L'ami de ce dernier, Alain Keller, s'interpose. L'ivrogne se rebiffe. Il est finalement expulsé, manu militari, de l'établissement. Mécontent de s'être fait rabrouer, l'homme monte dans un taxi,

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se fait conduire à son domicile, récupère deux cou­teaux de cuisine qu'il dissimule dans son blouson. Il est 0 h 40 quand il fait sa réapparition au Cintra. Il se précipite, en silence, sur Alain Keller et le poignarde, puis il regagne son domicile où la police l'arrêtera sans difficulté. Le prélèvement sanguin effectué révèle un taux de 2,60 g d'alcool par litre de sang.

L'homme explique aux enquêteurs qu'il a bu beaucoup de whisky au cours de la soirée et qu'il se trouvait en outre dans un état psychique second causé par une piqûre de tranquillisant. Une affaire bien ordinaire donc et que la justice mitterrandienne considérerait plutôt avec bienveillance. Le meurtrier s'est en effet abstenu de prendre le volant après avoir bu, évitant ainsi de commettre l'acte le plus lourde­ment condamné de nos jours : la conduite sous l'empire d'un état alcoolique!

Il existe cependant une petite difficulté. L'auteur des coups de couteau se nomme Claude Lang. Il a un frère, Jack, qui vient d'être nommé ministre de la Culture. Ce dernier offre immédiatement sa démis­sion au président de la République qui, naturelle­ment, la refuse. Le geste surprend aujourd'hui par son aspect passéiste et ringard. De nos jours, un ministre, même directement compromis dans une affaire comme celle du sang contaminé ou dans un scandale financier a, sauf exception, les nerfs plus solides. Pour le débusquer et le sortir de son cocon officiel, il faut le pousser, le tirer, installer un palan, renverser son fauteuil. ..

Lors du procès qui s'ouvre devant la cour d'assises, un peu plus de deux ans après les faits, l'avocat général se montre d'une extrême indulgence. Il trouve

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à l'accusé de nombreuses circonstances atténuantes. Le réquisitoire n'est certes pas aussi scandaleux que celui de l'avocat général Vayrac lors du procès Knobelspiess, mais il se termine sur une demande modérée : sept ans de réclusion criminelle.

L'affaire se gâte. Les jurés, sentant le coup fourré, se montrent intraitables. Le verdict tombe après une très longue délibération : Claude Lang est condamné à douze ans de réclusion criminelle. On susurre, dans les milieux bien informés, que la lutte a été rude et que les magistrats professionnels ont éprouvé les plus grandes difficultés pour éviter une sanction plus lourde encore. Le malheureux Claude Lang ne serait pas passé loin de la perpé­tuité.

Les examens psychiatriques effectués dans le cadre de l'instruction ont montré que Claude Lang pouvait effectivement bénéficier de circonstances atténuantes les plus larges. Sa vie familiale aurait été, selon l'inculpé, « assez pathologique » et mar­quée notamment par des troubles dépressifs chez certains de ses frères et sœurs. Depuis 1977, Claude Lang est invalide de deuxième catégorie à 90 %. Toutes ces circonstances lui évitent donc une condamnation écrasante.

Eût-il été frappé d'une peine de vingt ans de réclusion criminelle que son sort serait cependant resté enviable. Le miracle, mille fois renouvelé, de la grâce présidentielle va permettre de rendre la liberté à cette malheureuse victime de cruels jurés. Le 14 novembre 1985, en effet, le président Mitter­rand accorde une remise gracieuse de deux ans, ce qui permet au pauvre Claude Lang de sortir de

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détention après n'avoir passé que quatre ans dans les geôles de la République.

En permettant au frère de Jack Lang de sortir de Pt.:ison au bout de quatre ans de réclusion, le chef de l'Etat annule très exactement les années supplémen­taires que la cour a infligées à l'accusé, par rapport aux réquisitions de l'avocat général. Le président de la République a effacé la décision de la cour en ce qu'elle dépassait la demande présentée par le représentant officiel du pouvoir exécutif.

Ni Yolande, la compagne d'Alain Keller, ni Gene­viève, sa mère, n'apprécièrent la décision présiden­tielle. La première s'insurgea : « Tout ça parce que c'est le frère d'un ministre. Je suis écœurée par la justice de notre pays. » La seconde laisse échapper sa colère après avoir rappelé que son fils était tout pour elle : « Quand j'ai appris cette grâce, j'ai eu un sentiment de révolte. Je croyais que la justice c'était autre chose. »

La décision de gracier Claude Lang avait été prise discrètement. Lorsque des explications furent sollici­tées auprès du ministère de la Justice, la réponse fut on ne peut plus intéressante. Il ne s'agissait là que d'une des cinq cents mesures de grâces individuelles, personnalisées et octroyées après examen du dossier !

Les membres méritants de la famille difficile d'un ministre remuant ne sont pas seuls à bénéficier de petits privilèges rendus possibles par ce droit de grâce régalien, jadis tant décrié par l'actuel occupant de l'Elysée. Les politiciens nécessiteux peuvent égale­ment recourir à la générosité présidentielle. C'est ainsi que Wilfrid Bertile, ancien député socialiste de

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La Réunion, toujours maire et conseiller général de Saint-Philippe, se prétendait victime de cet acharne­ment judiciaire qui semble poursuivre le parti de la morale et ses représentants. Il a, en effet, été condamné le 24 juin 1987 par la cour d'appel de La Réunion à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement assortis du sursis et son pourvoi a été rejeté par la Cour de cassation le 15 juin 1988.

Que lui reprochait-on? Une bagatelle. Sa mairie avait acheté un terrain dont il s'était, miraculeusement, retrouvé propriétaire. Il n'y avait pas de quoi envoyer un honnête citoyen devant la justice de son pays. D'autant plus qu'il n'était pas le seul dans ce cas.

Le 21 juin de la même année, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait rejeté le pourvoi d'un certain Axel Kichenin, maire et conseiller général de Sainte-Marie de La Réunion, président d'un« mouve­ment progressiste » proche du PS. Ce politicien avait, en novembre 1988, subi une condamnation à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, toujours pronon­cée par cette damnée cour d'appel de La Réunion.

L'affaire, là encore, était d'une banalité conster­nante : une petite histoire de fausses créances sur la collectivité publique doublée de subornation de témoins, bref d'un ordinaire ...

Ces condamnations présentaient toutefois une par­ticularité. Elles étaient assorties d'une interdiction à vie d'exercer toute fonction élective. Un véritable « assassinat politique », avaient rugi les deux élus, soulignant le fait que l'arrêt avait été rendu par une formation, collégiale certes, mais présidée par un adversaire politique proche du Front national.

Les députés du PS, redevenus majoritaires après la

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réélection en 1988 de François Mitterrand à la prési­dence de la République, n'oublièrent pas leurs mal­heureux petits camarades. Aussi, à l'occasion de l'examen de la loi d'amnistie du 20 juillet 1988, intro­duisirent-ils sournoisement une disposition qui por­tait, pour l'Outre-Mer, à dix-huit mois d'emprison­nement avec sursis le quantum des peines amnistiables, quantum qui, en métropole, n'est que de douze mois.

Le tour était joué. Hélas, le Conseil constitutionnel ne l'entendit pas de cette oreille et annula cette disposition. Le jeudi 15 septembre 1988, François Mitterrand gracia donc Axel Kichenin et Wilfrid Bertile, leur permettant de se consacrer à nouveau au service de leurs contemporains !

Disposer de relations politiques n'est pas le seul moyen d'obtenir une mesure gracieuse de la prési­dence de la République. Un comité de soutien se révèle utile, surtout s'il comporte les noms de Guy Bedos ou de Marguerite Duras. Les relations person­nelles ou familiales, l'appartenance à tel groupe social, religieux ou ethnique, la participation à certains types de délinquance constituent également des facteurs favorables.

Bien choisir son avocat peut s'avérer un excellent placement. Tout le monde n'a pas la chance de Christina von Opel, mais il existe d'autres filières. Moins voyantes, elles sont tout aussi efficaces. Il est, par exemple, notoire que Me Henri Leclerc, du barreau de Paris et de la commission Delmas Marty, ne défend que des innocents. Nous avons vu, à propos des affaires Knobelspiess, que sa technique est redoutablement efficace.

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Henri Leclerc, vétéran des luttes contre la Cour de sûreté de l'État menées entre 1970 et 1980, préfère obtenir l'acquittement de ses clients plutôt que leur grâce après condamnation. Il s'y emploie avec effi­cience. L'affaire débute, en général, par un puissant tir d'artillerie médiatique qui lui permet, au passage, de se livrer à une sévère critique de nos règles d'enquête. La Ligue des droits de l'homme lui ouvre de nombreuses portes. Il a micro ouvert dans un certain nombre de stations radio et les chaînes de télévision du service public ne lui sont point cruelles.

Avant de commander l'ouverture du feu, l'avocat parisien ne dédaigne pas s'appuyer sur des comités de soutien. La revue Esprit lui apporte les supports nécessaires et lui fournit un solide soutien logistique. Si d'aventure, quelques semaines avant l'ouverture du procès, un journaliste de Libération éprouve le besoin de sortir un livre démontrant l'innocence du client de l'avocat, ce dernier ne lui en tiendra pas rigueur. Autour de lui une meute de petits confrères du syndicat des avocats de France s'agitent et chantent dévotement ses louanges. L'Ordre du barreau de Paris le couve d'une affection fraternelle.

Me Henri Leclerc n'aime pas les policiers. Ceux-ci le lui rendent bien. Les magistrats le servent ou le détestent. De tous ses dossiers, il ne fait pas des cas exemplaires. Il faut bien vivre. Il en sélectionne certains qui resteront gravés dans les mémoires et illustreront « tous les dysfonctionnements du sys­tème judiciaire français ». Comme il connaît les faiblesses des magistrats professionnels et que depuis 1981 le parquet n'a rien à lui refuser, il s'en donne à

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cœur joie. Les jurés sont sous le charme, la télévision reprend le point de vue de la défense, la cour est terrifiée. La pièce peut commencer.

Juillet 1981, un promeneur découvre, au col de la Berche dans l'Ain, le corps partiellement calciné de Monique Soubeyran, vingt-cinq ans, infirmière depuis six mois au centre de L'Al barine Belligneux à Hauteville-Lompnès. Près du cadavre se trouvent deux livres érotiques dont Vénus Erotica d'Anaïs Nin. L'enquête est confiée aux gendarmes de Belley. Rapidement, les soupçons se portent sur un certain Yves Ponthieu, économe de l'établissement dans lequel travaillait également la malheureuse Monique Soubeyran. Le livre retrouvé à côté de la victime aurait été acheté par Yves Ponthieu dans la librairie d'Hauteville-Lompnès. Le libraire, Michel Druot, est formel sur ce point.

Le suspect commence par nier. Au terme de quarante-quatre heures de garde à vue, il recon­naît d'abord avoir acheté le livre, puis passe des aveux complets. Présenté au juge d'instruction, Mlle Gérard-Blanc, il confirme les déclarations faites aux enquêteurs. Quelques jours plus tard, le 31 juillet, il se rétracte.

Yves Ponthieu est alors âgé de trente-six ans. Ce père de famille (il a quatre enfants) n'est pas un homme facile. Il s'est attiré de solides inimitiés professionnelles. Ses collègues l'ont affublé d'un surnom : le « Napoléon de l'Intendance ». L'empe­reur, qui ne prisait guère les armes non combattantes, n'eût pas apprécié. On reproche à Ponthieu une sorte de rigidité qui l'a poussé à combattre le laxisme débonnaire qui régnait jusqu'alors dans l'établisse-

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ment hospitalier. Il semble de surcroît éprouver une certaine tendresse pour la CFDT dont un autocollant figure sur le pare-brise de son véhicule.

Le 23 avril 1983, le procès s'ouvre. Il est mené rondement. Yves Ponthieu, reconnu coupable de viol et de meurtre, est condamné à vingt ans de réclusion criminelle. L'avocat général avait réclamé la réclusion criminelle à perpétuité. L'accusé a crié son innocence et a ainsi évité la « perpète ».

Bien entendu, dès le prononcé de la condamnation, un comité de soutien se met en place. Cette fois-ci, ce n'est pas la filière show-biz habituelle qui va être utilisée. C'est en effet le curé de la paroisse d'Haute­ville-Lompnès, Jean Vigneau, qui préside le COSYP (comité de soutien à Yves Ponthieu). En son sein on trouve le cardinal Albert Decourtray et l'évêque de Grenoble.

Les nouveaux avocats de Ponthieu, Henri Leclerc et François Serres, s'attellent à une véritable contre­enquête, solidement relayée médiatiquement. Bien entendu, elle conclut à la précipitation des premières investigations. Les contre-enquêtes ont ceci d'admi­rable qu'elles ont le temps et la durée pour elles. Au fur et à mesure que les événements s'éloignent, les témoignages sont moins sûrs. Obtenir la révision, et donc un nouveau procès, sept ans après les faits, est un gage de succès assuré.

Le 26 septembre 1988, la Cour de cassation juge la requête transmise par Albin Chalandon irrecevable en la forme. Selon la technique habituelle, cette requête avait été précédée par une enquête du journal Libération publiée le 25 novembre 1986. De son côté, Yves Ponthieu soutient l'action de ses partisans et

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entame, dans la prison de Loos-lès-Lille, une grève de la faim. La bataille pour la révision continue. Parallè­lement, un combat souterrain est mené qui va conduire Ponthieu à retrouver la liberté.

Discrètement, le président de la République lui a accordé une remise de peine de cinq ans qui aurait dû lui permettre de bénéficier d'une libération condi­tionnelle en 1989. Le juge d'application des peines de Lille s'oppose à cette mise en liberté. La réplique présidentielle ne se fait pas attendre. Le vendredi 5 janvier 1990, Yves Ponthieu fait l'objet d'un décret de grâce en bonne et due forme !

L'abbé Jean Vigneau exulte. Il a gagné sa croisade. C'est chose rare de nos jours pour un fervent catholique. La mère de Monique Soubeyran pousse un long cri de douleur et clame sa révolte : « Je ne peux pas admettre que l'assassin de ma fille soit libéré. Il y avait des preuves accablantes. De toute façon la grâce présidentielle ne lui enlèvera pas sa tache. Et moi, j'aurai toujours ma douleur. »

Les « justes luttes » de Me Henri Leclerc ne font pas que des heureux.

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Les hommes-et les femmes - de main

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10 février 1993. Dans des palais de justice fort agités par l'entrée en vigueur précipitée de la réforme du Code de procédure pénale, la colère et l'indignation se donnent libre cours. La« Transparence »vient de paraître. Il s'agit d'un document régulièrement envoyé dans les juridictions. Il contient les projets de nominations individuelles de magistrats. Son arrivée est un événement de la vie judiciaire. Les uns s'y plongent avidement, d'autres dévotement, la plupart se contentent de le parcourir, certains le signent sans même se donner la peine de l'étudier.

La « Transparence » de février 1993 suscite toute­fois chez tous les magistrats un intérêt particulier. Elle reflète en effet le mouvement de panique qui, au ministère de la Justice comme ailleurs, précède un changement de majorité annoncé. Les vide-gousset et autres tire-laine des cabinets ministériels cherchent désespérément un abri. Leurs maîtres achètent leur silence ou les récompensent en les installant à des postes sûrs. Ils constitueront autant de « bombes à retardement » pour leurs adversaires politiques une fois ceux-ci au pouvoir.

En ce début d'année 1993, la course aux postes dépasse tout ce qui s'était pratiqué jusqu'alors. La

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« Transparence » ne ressemble pas à un projet de mouvement de magistrats, mais à une anthologie de toutes les vilenies et de tous les forfaits judiciaires de ce régime. Tableau fascinant de la fourberie érigée en système généralisé. Le vice succède au crime. La domesticité judiciaire vient toucher son treizième mois ou ses trente deniers selon les cas.

Le cortège est mené par un bien intéressant person­nage. Franck Terrier, quarante-trois ans, voit sa candidature au poste de procureur de la République près le tribunal de grande instance de Créteil retenue par la Chancellerie. Il occupait jusque-là un poste ultra-sensible, celui de directeur des affaires crimi­nelles et des grâces.

Sa nomination à ce poste avait déjà surpris, voire irrité. Elle ressemblait fort à ces promotions suicides qui précèdent les grandes débâcles. Les gens raison­nables se défilent dans de telles situations et il faut trouver un kamikaze pour boucher le trou. Rien ne prédisposait en effet le sieur Terrier à une aussi brillante carrière. Il n'a pratiquement jamais été en juridiction d'où sa méconnaissance du métier de magistrat. Un de ses camarades ne l'a pas loupé dans Les juges parlent 1

: « Autrefois le directeur des affaires criminelles était ... un magistrat qui faisait le poids ... l'actuel n'a même pas quarante-cinq ans ... Il a dû être deux ans parquetier. »

Franck Terrier, après avoir franchi les obstacles de la carrière de magistrat en un minimum de temps a joué, à la tête des affaires criminelles et des grâces, un

1. Laurent Greilsamer, Daniel Schneidermann, Les juges parlent, Fayard, 1992.

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rôle détestable. Le public n'en connaît qu'une partie infime. Nul n'oubliera le comportement de ce fonc­tionnaire lorsqu'il se précipita chez le ministre de la Ville, Bernard Tapie, pour lui donner quelques conseils sur la meilleure façon d'échapper à la justice, tâche habituellement ré$ervée aux avocats et non aux cadres de la Chancellerie.

Nul n'oubliera non plus le dessaisissement du juge d'instruction Thierry Jean-Pierre en pleine perquisi­tion au siège d'U rba, la « pompe à finances » du PS. Ce détournement de procédure, utilisé pour empê­cher un magistrat d'effectuer son travail, était une idée de Franck Terrier. Le substitut de permanence du tribunal de Paris en fut l'instrument d'exécution sous l'œil goguenard de policiers. Ils se gardèrent, par exemple, d'aider le représentant de l'exécutif qui cherchait désespérément l'entrée du siège de l'officine de fausses factures afin de notifier son dessaisissement à Thierry Jean-Pierre.

Homme des affaires sensibles, Franck Terrier s'est vu projeté au grand jour par une actualité judiciaire brûlante. Son travail, d'ordinaire, était plus discret. L'homme des grâces individuelles ou collectives, le point de passage obligé, c'était lui. Les convergences d'intérêts nécessaires aux dispenses de peine ou aux libérations des amis de l'exécutif s'effectuaient dans son bureau. Il était l'incontournable relais entre le pouvoir suprême qui détient le droit de gracier qui bon lui semble et la lourde machine de l'administra­tion judiciaire et pénitentiaire qui obéit à des règles juridiques strictes.

Quand un protégé du régime demande la grâce d'un de ses amis à l'Elysée, la mesure doit être mise en

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forme et organisée. C'est alors que Terrier intervient et facilite les démarches. Il est l'instrument privilégié de ce travail de Pénélope qui, durant des années, s'est acharné à défaire le travail des juges, des policiers et des gendarmes.

Pour mener à bien cette tâche, Franck Terrier n'est pas seul. Il est relayé, à l'Élysée même, par Paule Dayan, une avocate intégrée dans la magistrature en 1981. Elle a été nommée, en 1993, secrétaire général du Conseil supérieur de la magistrature. Fille de Georges, vieux compagnon de route du président de la République, Paule Dayan a succédé dans cette fonction à Claude Burguburu 1, une autre belle figure de la magistrature parisienne. Son mari était en effet l'avocat de Pelat, autre ami intime du chef de l'État, financier, sinon avisé, du moins « initié » et prêteur occasionnel de liquidités aux ministres démunis ! Tout ceci illustre jusqu'à la caricature la confusion des genres qui caractérise la décennie Mitterrand.

Franck Terrier sait aussi pouvoir compter, à la présidence de la République, sur le soutien de Danielle Mitterrand, toujours prête à s'enflammer pour de justes causes par l'intermédiaire de France­Libertés et du Comité national contre la double peme.

Il existait dans l'arsenal juridique de lutte contre la toxicomanie une disposition du Code de la Santé publique permettant d'interdire le territoire français aux étrangers auteurs d'infractions à la législation sur

1. Elle a, quant à elle, rejoint le Conseil d'État en compagnie de l'ancien garde des Sceaux Henri Nallet.

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les stupéfiants. En clair, un tribunal correctionnel condamnant un étranger pour vente de drogue (ce sont des choses qui arrivent) ordonnait pratiquement toujours son expulsion à l'issue de la peine d'empri­sonnement qu'il avait à subir. Cette disposition fut abrogée par la loi n° 91-1383 du 31 décembre 1991 « renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l'organisation de l'entrée et du séjour irrégulier d'étrangers en France » (sic).

Le législateur socialiste, pour être bien sûr de garder sur notre sol tous les étrangers qui s'y trouvent, organise en réalité le maintien sur le terri­toire national des délinquants qui étaient jadis suscep­tibles d'être expulsés. La loi du 31 décembre 1991 a, sous prétexte de lutter contre l'immigration clandes­tine, purement et simplement traduit sur le plan législatif un mouvement général lancé par un certain nombre d'organisations gauchistes et d'associations d'anciens tôlards. Depuis des années, ces groupus­cules agissent, avec l'aide de Franck Terrier, contre le principe de ce qu'ils ~ppellent « la double peine ».

Dans ce dossier, l'Elysée et la direction des affaires criminelles et des grâces jouent un rôle essentiel. Il leur semble intolérable qu'un étranger, condamné pour trafic de stupéfiants, puisse être expulsé. Il doit pouvoir recommencer dès sa sortie, laquelle ne tar­dera pas quelle que soit la peine prononcée.

Roland Agret, vétéran des luttes anticarcérales des années 70 révèle, dans L'Express du 6 août 1992, les mécanismes et l'itinéraire suivis par les demandes de grâce présentées par la ligue Justice-prison qu'il anime. Ses interlocuteurs privilégiés sont Claude Man ceron, Jean-Denis Bredin et surtout Paule Dayan

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et Franck Terrier. L'ancien détenu distribue les satisfecit à ses interlocuteurs élyséens. « Vous êtes urye sage et précieuse collaboratrice du chef de l'Etat », écrit-il à Paule Dayan, avant de louer l'incor­ruptible Terrier : « Tant de coquins polluent notre justice que vous, au milieu, semblez d'un autre monde. »

Roland Agret a des comptes à régler avec la justice et, ma foi, on peut le comprendre. Cela dit, son action s'intègre parfJtitement dans un dispositif de désinté­gration de l'Etat. Il appartient à cette nébuleuse de professionnels du combat anti-prison qui va de Gilles Perrault à Alain Krivine en passant par l'inévitable Mgr Gaillot.

Le Comité national contre la double peine (CNCDP) exerce une action décisive dans le contournement des décisions de justice frappant les étrangers condamnés pour trafic de stupéfiants, à être chassés du territoire national.

Il s'agit d'une association de fait qui a vu le jour en juin 1990 et dont la façade légale est l'Association de soutien aux expulsés et à leurs familles. Son siège effectif se trouve 14, rue Nanteuil à Paris dans le xve arrondissement. On découvre à la même adresse l'Association franco-palestinienne et l'Association Amitiés France-Uruguay.

A la tête de l'organisation trois hommes : Tarik Kawtari, N oreddine Iznazni et MathieH Leccia, res­pectivement président, secrétaire et trésorier.

La France socialiste officielle ne leur est pas cruelle. En 1991, l'Association de soutien aux expulsés et à leurs familles a touché du Fonds d'action sociale

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(FAS) une subvention de 150 000 F. Encouragés par ce résultat les animateurs ont renouvelé leur demande en août 1992. Ils ont été reçus par Claudine Dusso­lier, déléguée à l'insertion sociale et familiale au FAS.

Il leur faut 400 000 F. La France socialiste, bonne mère, fera le petit effort nécessaire pour conserver cette clientèle et la force de manœuvre qu'elle consti­tuera lorsque les lendemains déchanteront.

Le CNCDP est l'interlocuteur privilégié de Franck Terrier quand il s'agit d'obtenir l'annulation ,d'une décision d'expulsion. Il signale les cas. L'Elysée prend la décision et se charge de la formulation des demandes. Terrier met le tout en musique. Car- et c'est ce qui est insupportable- si la décision est prise selon un circuit court, CNCDP- France-Libertés - Paule Dayan, il convient ensuite de respecter les règles formelles.

Une comédie judiciaire honteuse se joue. Franck Terrier fait adresser en urgence et selon la procédure normale, aux procureurs des juridictions ayant pro­noncé la peine la demande d'enquête prévue par les textes. Les magistrats, ignorant totalement la réalité des choses, font procéder en toute bonne foi à des investigations et recueillent les avis nécessaires. A l'issue de toutes ces diligences qui occupent policiers, gendarmes, élus, etc., ils rédigent un rapport généra­lement défavorable à l'octroi d'une faveur qui est déjà accordée depuis longtemps ! Le décret de grâce étant prêt dès la demande, le président de la République n'a qu'à le signer.

Le rôle d'officine à dispenser des faveurs tenu par la direction des affaires criminelles et des grâces est d'autant plus intéressant que le Comité national

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contre la double peine ne cache pas l'aversion que lui inspirent ceux des magistrats qui ne se montrent pas aussi dociles que Terrier et ses petits camarades. Il a, dans le cadre d'opérations ponctuelles dans les ban­lieues, donné naissance à un collectif Sans justice pas de paix qui s'est fixé pour objectif de mettre en cause les magistrats professionnels.

Parmi les soutiens officiels apportés au Comité national contre la double peine, on rencontre l'inévi­table Fondation France-Libertés chère à Danielle Mitterrand, le MRAP, Jeunes Arabes Banlieues, Djida Tazdait, député vert européen, le syndicat de la magistrature, les vestiges des mouvements révolu­tionnaires soixante-huitards, Act Up, etc.

Le syndicat des avocats de France, très engagé à gauche, joue un rôle moteur dans la lutte contre la double peine. Il accueille par des cris de joie chaque truand qui reste sur notre territoire. Il assure la logistique juridique permettant aux étrangers d'impo­ser aux maires récalcitrants ces mariages, plus ou moins bidons, qui empêchent leur expulsion, quelle que soit leur situation au regard de la loi pénale.

Dans ce combat, le SAF prend régulièrement appui sur la circulaire d'application de la loi 91-1383 du 31 décembre 1991, parue le 22 janvier 1992. Ce docu­ment est l'œuvre de Franck Terrier. Les dernières lignes sont révélatrices de l'officialisation du trafic des grâces.

L'objectif consiste à conserver sur notre sol les voltigeurs de ces manifestations futures destinées à déstabiliser le pouvoir d'une droite revenue au gou­vernement. Ce machiavélisme avait d'ailleurs choqué l'ancien directeur de cabinet de Michel Rocard. Nul

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ne peut croire que l'indignation deJean-Paul,Huchon n'ait pas été sincère lorsqu'il reprocha à l'Elysée sa trouble connivence avec les mouvements gauchistes : « C'est une des choses qui m'ont le plus profondé­ment choqué au cours de ces trois ans. S'appuyer sur des irresponsables (ou sur quelques trotskistes bien organisés) pour saper l'action gouvernementale est une curieuse manière de pratiquer l'article 20 de la Constitution ... Pourquoi ces messieurs ont-ils tou­jours accès au " château " et sont-ils si souvent dans les bagages du président? S'agit-il d'un engouement tardif pour la jeunesse ou de la volonté de gêner Rocard à tout prix? Dans les deux cas c'est inadmissi­ble. Le gouvernement du pays ne doit pas se confon­dre avec le harcèlement de Matignon 1• »

Il est regrettable que Michel Rocard et son direc­teur de cabinet n'aient pas ouvert les yeux plus tôt. Car, si le harcèlement de Matignon était à l'ordre du jour, il passait par le démantèlement de la justice. Et qui contresigiJait les fameux décrets de grâce des protégés de l'Elysée, sinon le Premier ministre ?

Lorsqu'on reprend la conclusion de la circulaire Terrier tout s'éclaire : « Les étrangers condamnés sur le fondement de l'article L 627 du Code de la Santé publique réprimant le trafic de stupéfiants à l'inter­diction définitive du territoire retrouvent la possibi­lité de demander le relèvement du fait de l'abrogation du dernier alinéa de l'article L 630-1. »Et le directeur des affaires criminelles et des grâces de préciser : « J'attire votre attention sur la situation particulière des étrangers condamnés à l'interdiction définitive ou

1. Cf. jours tranquilles à Matignon, Grasset, 1993.

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temporaire du territoire français avant l'entrée en vigueur de la loi et appartenant aux catégories désor­mais exclues du champ d'application de la mesure. Vous ferez en sorte que les requêtes présentées par ces étrangers puissent être soumises dans le meilleur délai possible aux juridictions compétentes. Vous appellerez notamment l'attention des greffes des établissements pénitentiaires sur l'urgence de la trans­mission de ces requêtes lorsqu'elles sont présentées par des étrangers dont la date de libération approche. Vous voudrez bien, dans le cadre de ces procédures de relèvement, prendre des conclusions tirant les conséquences de la loi nouvelle ... Il y a lieu de faire surseoir à l'exécution de la mesure de reconduite à la frontière. »

Il est vrai que la Cour européenne de Strasbourg a condamné certaines décisions d'expulsion d'étrangers délinquants. Selon elle, le lien de nationalité, pour exister, doit correspondre à une « réalité concrète ».

Sur cette base, juridiquement et philosophiquement contestable, l'action de Franck Terrier a permis à un certain nombre de trafiquants de stupéfiants de poursuivre leurs fructueuses activités sur notre terri­tOire.

Toutefois, cette politique se voit menacée. Le 1er septembre, en effet, devait entrer en vigueur le nouveau Code pénal, un de ces petits cadeaux laissés par la gauche. Même la droite semble s'en satisfaire. A sa place, je me garderais de me réjouir trop vite. Le texte contient en effet des dispositions explosives. Il prévoit notamment le retour des peines d'interdiction du territoire national, en les étendant à des infractions autres que celles liées à la toxicomanie. Autant dire

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que la droite se prépare de beaux jours, tant ces nouvelles mesures vont être assimilées à une douche écossaise après les largesses, de Franck Terrier et des dames patronnesses de l'Elysée. Déjà, Pierre Le Moussu, juge d'application des peines à Marseille et membre de l'Association des juristes pour la recon­naissance des droits fondamentaux des immigrés, a dénoncé dans Libération du 10 février 1993 cette systématisation de la double peine dans le nouveau Code pénal.

Affaire à suivre.

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CHAPITRE VIII

Du bon usage des grâces collectives

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Henri N allet, garde des Sceaux lors de l'affaire U rb a, a rendu un signalé service à ses concitoyens en passant, dans son ouvrage Tempête sur la justice, des aveux complets sur le dévoiement de l'institution judiciaire. Avouant, non sans naïveté, le rôle qu'il a joué dans ces manipulations politico-judiciaires, il écrit :

« Pour ce qui est des condamnations, faute de pouvoir imposer aux juges et aux jurés 1 un principe simple posé par Beccaria dans son célèbre traité Des délits et des peines: " Ce qui compte plus, c'est la certitude de la peine et non sa sévérité ",j'ai demandé au président de la République d'user de son droit de grâce afin de réduire la durée de la peine de chaque condamné. C'était, à mon sens, la seule manière équitable d'appliquer le principe du numerus clausus préconisé par Gilbert Bonnemaison. »

Quelle phrase révélatrice ! On y découvre l'estime dans laquelle les socialistes tenaient les décisions judiciaires. Quels regrets dans ces quelques mots, « faute de pouvoir imposer aux juges et aux jurés » ! Cruelle formule chez un homme si sourcilleux, par

1. Souligné par nous.

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ailleurs, du républicanisme des autres. Henri Nallet démontre ainsi, de façon désormais indiscutable, que le droit de grâce n'est plus, aujourd'hui, ce« pouvoir de pardonner » célébré par Montesquieu, mais un simple instrument technique permettant la régulation du flux pénitentiaire en fonction des nécessités du jour et de la philosophie officielle du parti du président. ,

Se servir de l'Etat, utiliser les institutions à des fins personnelles ou pour satisfaire une idéologie, telle aura été la caractéristique essentielle des années Mitterrand. Henri Nallet confesse la sottise dogmati­que dans toute sa splendeur : le président de la République fait usage du droit de grâce afin d'appli­quer de manière équitable le principe de Gilbert Bonnemaison, dit du numerus clausus.

Je n'aurai pas 1~ cruauté de revenir 1 sur le cas du grand sorcier d'Epinay-sur-Seine, mais le pauvre homme porte une lourde responsabilité dans le désastre actuel. Gilbert Bonnemaison, maire de cette commune de banlieue où le PS s'est donné à Mitter­rand, élabore et véhicule le message éculé qui tient lieu de doctrine judiciaire au parti de la morale et de la lutte contre toutes les exclusions ! Je croyais, pour ma part, avant de lire Henri Nallet, que seuls quelques « spécialistes de haut niveau » s'accrochaient encore dé~espérément aux vérités révélées par le messie d'Epinay-sur-Seine. La gauche, en gouvernant, n'avait pas pu ne pas ouvrir les yeux. Il n'en est rien et le président de la République a donc signé quelques

1. Voir nos ouvrages Les Fossoyeurs de la justice et Les Fossoyeurs de la police, tous deux chez Albin Michel.

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dizaines de milliers de grâces pour permettre la mise en application de théories plus ahurissantes les unes que les autres.

Le résultat est connu. Entre 1981 et 1992, la délinquance a explosé. Nous sommes passés de quelque 2 800 000 crimes et délits annuels à près de 4 millions. Mais si on dénombre plus de 50 000 détenus dans nos prisons, ce ne peut être que la faute de juges et de jurés qui condamnent à de trop lourdes peines et n'appliquent pas le fameux principe du numerus clausus si cher à Gilbert Bonnemaison !

Notre Euclide de banlieue eut un jour, en effet, une illumination. Puisque le nombre de détenus augmen­tait, il suffisait d'imposer aux juges et aux jurés la règle suivante : pour un qui entre, un sort. Voilà qui permettait de régler le problème de la surpopulation carcérale sans bourse délier. Une mesure simple et de bon goût.

A lire les œuvres de N allet et de Bonnemaison, le citoyen contribuable peut avoir l'impression que les magistrats français ont pour seul objectif de surchar­ger les prisons. En réalité, rien n'est moins vrai. Les parquets des grandes villes éprouvent les plus grandes difficultés à faire exécuter les peines d'emprisonne­ment prononcées par les tribunaux correctionnels lorsque le condamné n'était pas détenu au moment de sa comparution. C'en est même ridicule à Paris où les services du procureur de la République parviennent péniblement à faire purger leurs condamnations à un petit cinquième des condamnés. Ces faits permettent de relativiser les « vérités révélées » dispensées régu­lièrement dans les colonnes de la presse légitimiste par la société française des prisons.

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Le principe du numerus clausus est du reste absurde et irréalisable, sauf intervention massive des grâces présidentielles. S'il est possible d'appliquer cette règle du « un pour un » avec des détenus provisoires, elle est totalement impraticable avec les condamnés à des peines déterminées. Même si l'im­mense majorité des détenus ne purgent pas la moitié de la peine prononcée, en raison des remises (quatre mois par an) et de la libération conditionnelle, il n'en demeure pas moins un seuil incompressible au-delà duquel on ne peut aller. Il est donc aberrant de penser que le président de la République puisse user du droit de grâce pour appliquer, à la demande de son ministre de la Justice, les dogmes du failli de la politique pénale française. L'idéologie socialiste n'a que faire de ces réalités. Les ministres de la Justice successifs professent depuis dix ans que la prison est la cause première de la récidive et qu'en vidant les maisons d'arrêt, la « sécurité augmentera ».

Alors que nous avions d'excellentes règles d'enquête ayant fait la preuve de leur valeur, alors que nous avions des enquêteurs de police et de gendarme­rie disponibles, motivés et efficaces, notre pays connaît une crise de ses institutions judiciaires et policières sans précédent. Tout a été fait pour écœu­rer des hommes dévoués, constamment soupçonnés par le pouvoir et ses amis d'être des tortionnaires arrachant des aveux insensés à de malheureux inno­cents en usant de noirs sévices. Jamais un gouverne­ment ne s'était livré à une telle entreprise de dénigre­ment de sa police et de sa justice.

Ce désaveu ne date pas d'hier, il remonte aux premiers mois de pouvoir de François Mitterrand.

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Le triomphe de la lumière sur les ténèbres et celui des meilleurs esprits de leur génération sur les tenants de l'obscurantisme vont permettre, grâce à)'avène­ment de François Mitterrand à la tête de l'Etat, une « remise à niveau » dont les brillantes intelligences de gauche ont le secret. Pour avoir souvent flirté avec la délinquance de droit commun, pendant la période 1970-1980, ces esprits n'échappent pas aux pesanteurs culturelles de ces milieux. Entre la révolte politique et le refus de la loi pénale, les passerelles sont nom­breuses : lutte contre l'idéologie sécuritaire, comité d'action des prisonniers. A cela s'ajoutent parfois la toxicomanie, l'homosexualité, les fantasmagories psychanalytiques et bientôt l'affairisme. Tous ces éléments serviront de ciment à des courants divers. Une nouvelle génération d'avocats investissent le PS et exercent, sans scrupules excessifs, une influence décisive sur le monde médiatico-politique, ce qui accentue encore le phénomène.

En mai 1981, la gauche sincère, les profs de CEG et de CES, les instituteurs, les fonctionnaires qui croient en leur mission de justiciers, partageaient une certi­tude : l'Homme est né bon, la société capitaliste et ses prisons l'ont rendu méchant, ouvrons les cages et nous supprimerons les causes de la délinquance.

Le 13 juillet 1981, le président de la République signe un décret de grâce collective prévoyant de larges remises de peine : trois mois pour les condamnés à moins de trois ans de prison, quatre mois pour les peines de trois à cinq ans, cinq mois pour cinq à dix ans et six mois au-delà. Près de 5 000 détenus se trouvent lâchés sur le pavé. Ils seront rejoints par les 1500 libérés de la loi d'amnistie du 5 août 1981. Le

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législateur a en effet fait montre d'une particulière générosité : tous les condamnés à des peines infé­rieures à six mois d'emprisonnement ferme ou quinze mois assortis du sursis simple sont blanchis.

A ces deux vagues s'ajoute une autre cohorte, . , . '. . constituee par ceux qut n tront pas en pnson en raison de condamnations prononcées mais non exé­cutées. Aucune statistique ne permet d'évaluer ce dernier contingent, mais ce n'est pas le moindre. Le lecteur doit savoir que, pendant des mois, les tribu­naux correctionnels vont tourner littéralement à vide en jugeant des affaires s'étant déroulées antérieure­ment à la loi d'amnistie du 5 août 1981 et donc en condamnant à des peines immédiatement amnistiées. Je n'ai pas oublié ces interminables audiences au cours desquelles nous prononcions une peine avant d'égrener la litanie : « Constatons que cette condam­nation est couverte par la loi d'amnistie » et d'expli­quer aux victimes qu'elles n'avaient plus qu'à se « débrouiller pour obtenir leur indemnisation » ! Cette situation s'est prolongée pendant des mois. Personne ne peut avoir une idée exacte de la désorga­nisation qui en est résultée. La machine judiciaire ne s'en est jamais remise. Les gendarmes et les policiers continuèrent à traiter des enquêtes dont la majeure partie aboutissait à la sacro-sainte formule : « Cons­tatons ... ammstte. »

Parallèlement, la mémoire judiciaire était détruite par cette mesure démagogique. La magistrature joua en effet le jeu. Car, en 1981, pour être condamné à cinq mois d'emprisonnement ferme, il fallait faire preuve d'une belle santé et compter déjà trois ou quatre condamnations sur son casier judiciaire. Du

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jour au lendemain, tout a été effacé. Même dans le petit tribunal des Sables-d'Olonne, où j'exerce, la « clientèle » est connue et fidélisée. Nous n'allions pas, pour contrer une amnistie abusive, cogner comme des sourds et_infliger à ces faux délinquants primaires les peines qu'ils auraient dix fois méritées. Nous avons donc respecté la fiction voulant que nous ayons affaire à des nouveaux venus. Tout un jeu de condamnations à des peines assorties du sursis recommença avant que des sanctions réellement adaptées au cas de ces prévenus ne s'abattent à nouveau sur les heureux bénéficiaires de la générosité socialiste. Cette situation, on le comprend, exaspéra les policiers qui voyaient, simultanément, leurs vieux adversaires du Comité d'action des prisons parader dans les émissions littéraires.

Le législateur, en adoptant la loi du 5 août 1981, avait pourtant bien fait les choses. Le chapitre II de ce texte prévoit en effet que le président de la Républi­que peut admettre, par décret, au bénéfice de l'amnis­tie les personnes poursuivies ou condamnées pour toute infraction commise avant le 22 mai 1981 et appartenant à certaines catégories de la population : les jeunes délinquants et les personnes s'étant distin­guées d'une manière exceptionnelle dans les domaines humanitaire, culturel ou scientifique, les anciens combattants déportés~ et résistants. La palette des pouvoirs du chef de l'Etat se trouvait élargie à l'infini tant étaient souples les définitions retenues par nos bons députés.

Or, cette possibilité d'octroi de grâces amnistiantes n'était pas anodine. Le président de la République dispose du droit de grâce, mais cette mesure laisse

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subsister les condamnations ainsi que les diverses interdictions et incapacités professionnelles qui y sont attachées. Gracier un homme d'affaires véreux ou un avocat marron ne présentait que l'intérêt limité de le faire échapper à sa peine. En revanche, la « grâce amnistiante » le rétablit dans une pureté analogue à celle du jour de sa naissance. Cet instrument, le pouvoir va l'utiliser, le plus légalement du monde, pour de juteuses opérations.

Les brillantes intelligences de la « génération morale » savent user des possibilités offertes par leur bonté et leur générosité naturelles. D'un côté, on abuse les naïfs de l'électorat de gauche en satisfaisant leurs fantasmes et en libérant Jean Valjean, de l'autre on permet à quelques Stavisky contemporains de récupérer leurs outils de travail pour le plus grand profit des nouveaux copains et coquins de l'ère radieuse de la corruption socialiste.

Bien entendu, après la remise sur le marché de quelque 8 000 professionnels de bon niveau, auxquels il faut ajouter ceux que la loi d'amnistie dispensèrent de condamnation, la délinquance explosa. Les ser­vices de police et de gendarmerie ainsi que l'autorité judiciaire en tireront les conclusions qui s'imposaient et, en 1985, nos prisons se retrouvèrent à nouveau archi-combles. Pour quelque 40 000 détenus avant les largesses présidentielles de 1981, on en était à nou­veau parvenu à près de 45 000 personnes incarcérées. Dès lors, le choix était simple : ou on construisait des prisons ou on libérait des détenus. Faute d'adopter une de ces solutions, les risques d'explosions et d'émeutes étaient considérables.

Un idéocrate ne revient jamais sur ses certitudes et,

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plus les faits lui donnent tort, plus il s'entête. Il proclame à qui veut l'entendre que l'on s'est mon­tré trop timide dans l'application des solutions qu'il préconise et que seule cette timidité en explique l'échec. Telle fut la position de la gauche.

Dans une France dominée par une certaine pesanteur intellectuelle, une mesure de grâces col­lectives ne se met pas en place du jour au lende­main. Un tel événement se prépare et s'annonce, de savantes indiscrétions permettent, plusieurs semaines à l'avance, d'accoutumer l'opinion à la nouvelle. Le débat qui s'engage fournit l'occasion de débusquer l'adversaire sécuritaire, de le contrain­dre à se découvrir puis de lancer de lourdes contre­offensives avec l'aide des bataillons journalistiques gagnés par avance aux clichés de « la cage aux mseaux »,

La technique utilisée par le pouvoir exécutif est connue. Elle consiste à invoquer un précédent attri­buable à la droite. En l'espèce, la Chancellerie se plaça sous le haut patronage de Georges Pompidou qui aurait gracié 6 000 détenus à l'occasion du 14 juillet 1972. Le conditionnel s'impose car aucune trace officielle de cette mesure n'a pu être retrou­vée. Sans doute s'agit-il d'un de ces procédés de désinformation dont la gauche judiciaire est coutu­mière.

Jacques Vialettes, alors secrétaire général du tout­puissant syndicat Force ouvrière du personnel péni­tentiaire, fait, sans attendre, remarquer qu'il serait « impardonnable » de procéder à des libérations alors que, quelques semaines auparavant, des muti­neries ont ravagé les prisons françaises. « Si le gou-

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vernement le fait, ajoute-t-il, nous considérerons qu'il agit sous la pression des détenus et qu'une fois de plus ces derniers obtiennent systématiquement satisfaction. »

Menant l'enquête, Catherine Delsol, l'excellente chroniqueur judiciaire du Figaro, découvre ce que Henri N allet avouera par la suite, à savoir que les magistrats doivent appliquer la sacro-sainte règle du numerus clausus. Malheur donc au délinquant de petit calibre qui se fait prendre dans une région de faible criminalité, où les prisons sont peu remplies. Tant mieux pour le voyou de Bobigny, Marseille, Lyon ou Grenoble. Sans doute est-ce une telle pratique que l'on baptise « égalité des chances » !

L'emprisonnement ne doit plus s'effectuer en fonc­tion de la gravité du délit, mais de la capacité d'absorption de la maison d'arrêt locale! Voilà qui permet de relativiser les belles déclarations sur l' éga­lité des citoyens devant la justice.

Le 8 juillet 1985, Libération revient sur le sujet. « Le 14 juillet approche et, dans les milieux judi­ciaires, on commence à sérieusement s'agiter ... Le président de la République sera-t-il aussi large qu'ille fut le 14 juillet 1981 ? » Amicalement admonesté, le président de la République ne pouvait faire moins que de libérer 2 763 détenus auxquels doivent s'ajouter 6 000 à 8 000 personnes qui seront élargies par anticipation entre le 14 juillet et la fin de l'année 1985.

Petite délicatesse supplémentaire, destinée sans doute à mettre du baume au cœur des Français touchés par le chômage, le ministre de l'Intérieur réquisitionne 33 chambres à 340 Fla nuit au Novotel de Palaiseau. Il faut en effet loger une cinquantaine de

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ressortissants étrangers en attente d'expulsion qui ont été jetés à la rue par la clémence présidentielle ! Dans leur nouvelle résidence, ils reçoivent la visite de magistrats du tribunal d'Évry venus s'enquérir de leurs conditions d'hébergement et vérifier si celles-ci sont conformes à la Convention européenne des droits de l'homme. Il fallait bien, selon le pr~mier vice-président du tribunal de grande instance d'Evry, « éviter à ces étrangers le transport et l'attente dans des fourgons de gendarmerie » !

Dès le 15 juillet, une des grandes consciences du régime, le billettiste du Monde Philippe Boucher morigène à l'avance l'opposition si d'aventure elle osait critiquer les mesures présidentielles : « Ces grâces ne sont-elles pas l'excuse d'une nation qui ne réserve pas à ses délinquants le traitement de dignité auquel ils ont incontestablement droit. Méconnaître cela, c'est faire preuve d'un électoralisme aux limites de la mauvaise foi. »

Les grâces du 14 juillet 1985 posent un autre problème, strictement juridique celui-là, qui illustre à merveille la perversion des pouvoirs présidentiels en ce domaine. L'alinéa 2 de l'article 1er du décret prévoit que la remise d'un mois octroyée par le président de la République pourra être portée à deux par 1~ juge de l'application des peines. Ainsi, le chef de l'Etat, non content d'exercer pleinement les pou­voirs que lui confie la Constitution, s'arroge celui de le déléguer aux juges de l'application des peines! Par ce biais, l'autorité judiciaire est contrainte d'endosser une responsabilité que le président de la République se refuse à assumer seul devant l'opinion. Les juges de l'application des peines se verront en effet contraints

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d'utiliser systématiquemel}t la possibilité ainsi offerte par le décret du chef de l'Etat afin de parvenir à gérer la population carcérale.

Il était, à l'époque, déjà évident que la politique de la gauche en matière de lutte contre la délinquance débouchait sur un échec. La solution, face au bond spectaculaire effectué par la criminalité entre 1981 et 1985, consistait à créer de nouvelles places de prison. Seul Albin Chalandon, en homme d'affaires dynami­que, osera l'entreprendre.

En 1986, le ton change et la délinquance baisse. Les prisons sont archicombles : 50 000 détenus s'y entas­sent. Un certain nombre de juges et d'enquêteurs reprennent courage. Les opérations « Pénélope » de la présidence de la République et de la direction des affaires criminelles et des grâces sont momentané­ment bloquées.

La Ligue des droits de l'homme, organisation gauchiste qui joue, au niveau européen, un rôle prépondérant dans l'offensive menée, tant en France qu'en Italie, contre les institutions policières et judi­ciaires, ne va plus rester muette. Comme en 1981, elle s'efforce de tenir le rôle de mouche du coche en dénonçant cette surpopulation des prisons françaises. Le 8 août 1987, elle souhaite que des mesures de grâce soient prises rapidement. Il faut, selon la Ligue, « profiter d'une période de rémission pour éviter d'intervenir à chaud ».

Le culot des ligueurs est étonnant. La délinquance a baissé au cours de la première période de la cohabitation et personne ne songe à mettre en parallèle l'alourdissement de la répression et la dimi­nution des crimes et délits. C'est trop simple, même

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pour la droite. Pourtant, l'équation est élémentaire : plus de délinquants en prison = moins d'infractions au-dehors= plus de sécurité pour ceux qui respectent les lois.

Une telle situation est intolérable pour les ligueurs, qui comptent, il est vrai, beaucoup d'avocats dans leurs rangs. Vite, remettons tout le monde dehors afin que nos chers petits voyous puissent retrouver leurs cibles favorites et nous notre clientèle ! Le comité central de la Ligue décide donc de constituer une commission d'enquête sur les conditions de déten­tiOn.

Les conclusions en sont d'avance prévisibles. Le procédé, utilisé couramment par toutes ces organisa­tions qui font régner un véritable terrorisme intellec­tuel sur notre pays, est bien connu : affirmer, faire semblant d'enquêter puis démontrer ce que l'on a affirmé, le tout en usant de termes scientifiques!

Un des arguments chocs, toujours utilisé bien que complètement éculé, est la comparaison entre la France et la Turquie. Cela frappe les imaginations et permet aux moutons de Panurge judiciaires et autres intellectuels du droit ou journalistes spécialisés, de gloser sans fin sur les dangers encourus par les droits de l'homme dans notre pays. Nos bons ligueurs s'agitent en vain. Les prisons restent pleines et la délinquance baisse à leur grand désespoir.

Il faut attendre l'élection présidentielle de 1988 et le retour aux affaires d'un gouvernement socialiste pour retrouver une période équivalente à celle de 1981. La nouvelle majorité s'empresse de voter une de ces bonnes petites lois d'amnistie dont elle a, hélas, le secret. Cette fois-ci, chat échaudé craint l'eau froide.

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La Chancellerie met en place (sur le papier) un vaste dispositif d'assistance aux libérés. Arpaillange bande toute son énergie; une vaste kermesse s'organise. C'est à qui s'agitera le plus et mettra en valeur les efforts qu'il déploie. Le vaillant directeur de l'admi­nistration pénitentiaire n'est pas en reste. Le « Petit Cotte 1 », alors directeur des affaires criminelles et des grâces, se donne sans réserve à cette grande tâche. Tous les assistants sociaux ratés qui peuplent la haute magistrature et le cabinet du garde des Sceaux s'en donnent à cœur joie. Le Premier ministre met la main à la pâte. Les mesures d'aide à la réinsertion sociale et professionnelle mobilisent les conseils départemen­taux de prévention de la délinquance.

Pierre Arpaillange se rend en personne sur le terrain pour encourager ses troupes et s'assurer du bon fonctionnement de son dispositif d'assistance aux détenus libérés. Dans la presse légitimiste, ce ne sont que cris d'admiration. Tel l'empereur à Austerlitz ou au soir d'Iéna, le garde des Sceaux reçoit l'hommage de ses seconds. Philippe Boucher sautille et s'extasie. Le ministre de la Justice manifeste son enthousiasme pour ces structures, destinées à prévenir la récidive.

Las, toute cette agitation a un terme :le 30 septem­bre 1988. A cette date, les DDASS cesseront de verser les 120 F par jour et par libéré qui permettent aux foyers de jeunes travailleurs et autres auberges de jeunesse d'héberger les anciens détenus. Une fois l'effet médiatique d'annonce assuré, aux juges et aux policiers de se débrouiller pour gérer la situation !

1. Devenu procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris.

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Comme en 1981, la mesure de grâce a été soigneu­sement préparée journalistiquement. Dès le mois de juin, chacun connaît les moyens et les structures mis à la disposition de cette grande œuvre. Des cellules opérationnelles perma~entes (sic), une permanence téléphonique au ministère de la Justice et 2 millions de francs doivent permettre de faire face à la situation.

Le 21 juin 1988, le décret de grâce est signé par François Mitterrand. Il permet de libérer 2 863 déte­nus. Ceux-ci sont rejoints, dès le 21 juillet de la même année, par les 2 308 élargis en application de la loi d'amnistie votée la veille par le Parlement. Au total 6 000 prisonniers seront élargis en deux mois. Les députés, moins généreux qu'en 1981 sur la durée des condamnations amnistiables (quatre mois d'empri­sonnement ferme et douze mois assortis du sursis), laissent au président de la République de larges possibilités de recours à la formule de la grâce ammsttante.

Les grâces vont servir immédiatement car, sur tous ces libérés il y a 200 étrangers passibles de reconduite à la frontière. Pierre Arpaillange, en homme de cœur, fait savoir dès le 24 juillet qu'un certain nombre d'entre eux pourront bénéficier ... d'une grâce remet­tant leur expulsion. Voilà au moins une bonne nouvelle pour ces malheureux trafiquants de stupé­fiants victimes de l'acharnement d'une justice aveugle et figée dans ses préjugés passéistes !

Il semble, à la décharge de François Mitterrand, que celui-ci n'ait pas été enthousiaste devant ces perspectives de libération. Il aurait même tempéré la fougue de son ministre de la Justice qui avait voulu marquer le début de son passage place Vendôme par

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de plus larges mesures d'élargissement. Le président de la République, en fin politicien, se rappelait la colère qui avait saisi les Français après les libérations de l'ère Badinter et les conséquences électorales de cette grogne des honnêtes gens. L'avenir lui donna raison car, une fois de plus, une augmentation significative de la délinquance sera la conséquence directe de toutes ces belles mesures.

En 1989, date symbolique s'il en fut, le président de la République ne pouvait manquer de fêter dignement le bicentenaire des débuts de la Révolution française. C'est à Agathe Logeart, chroniqueur judiciaire au Monde, qu'il revient, le 13 juin 1989, d'annoncer la bonne nouvelle et de préparer le terrain.

Comme toujours dans le principal journal légiti­miste, les précautions d'usage sont prises et le code des bonnes manières de la gauche judiciaire est respecté : il ne faut surtout pas que l'attente des prisonniers soit déçue. En raison des festivités du bicentenaire, le décret de grâce collective « tradition­nel » doit revêtir une ampleur particulière. Les remises de peine pourraient aller jusqu'à neuf mois. Ne convient-il pas de compenser la triste nouvelle qui, si on en croit l'aimable demoiselle Logeart, perturbe les détenus : l'annonce de l'adoption de la peine de trente ans lors du vote du livre 1 dtJ nouveau Code pénal.

A la Chancellerie, Jean-Pierre Dintilhac prépare des propositions individuelles de remises gracieuses des peines complémentaires d'éloignement du terri­toire pour les condamnés étrangers libérables entre le 26 juin et le 31 juillet 1989. Pierre J oxe, alors ministre de l'Intérieur, demande à ses services de se montrer

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particulièrement vigilants et d'éviter au maximum d'exécuter ces mesures. Nous voilà rassurés. Nous aurions pu être privés de la présence de ces délin­quants. Voilà qui aurait été vraiment dommage !

Finalement, 3 091 détenus seulement vont profiter de la grâce du bicentenaire. Une mauvaise année, estiment certains d'entre eux qui lancent un mouve­ment de protestation.

Libération se fait l'écho de cette déception des détenus face à la « pingrerie » présidentielle. Ce sont des années et non des mois de remises gracieuses que nos malheureux braqueurs, proxénètes, cambrioleurs et trafiquants de stupéfiants, estiment être en droit d'exiger.

Aux Baumettes, la célèbre prison marseillaise, les prisonniers élaborent un projet de réforme du Code de procédure pénale. Ils se plaignent de la durée des instructions et suggèrent que les avocats soient désor­mais admis dans la salle des délibérations des cours d'assises. Le garde des Sceaux Michel Vauzelle ne restera pas sourd à ces propositions mais ne sera pas en mesure, faute de temps, de les intégrer au Code de procédure pénale.

En 1990, rien de notable ne se passe en matière de grâce, à l'exception de la libération, le 27 juillet 1990, d'Anis Naccache qui avait, en son temps, essayé de tuer Chapour Bakhtiar, l'ancien Premier ministre du défunt Chah d'Iran. Ce terroriste iranien n'est pas seul à bénéficier d'une mesure d'élargissement. D'au­tres« garnements »l'accompagnent dans l'avion pour Téhéran : Tabrizzi, El-Satari, J enab et El-Kaara.

Ceux qui restent dans les prisons de la République ne sont pas contents et manifestent leur déception. Le

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chef de l'État, à l'écoute de ce genre de doléances, en gracie individuellement un certain nombre pour cal­mer le jeu.

En juillet 1991, probablement pour respecter le fameux numerus clausus, le président de la Républi­que accorde une nouvelle grâce collective, sous forme de libérations anticipées plafonnées à neuf mois. Cette mesure permet de faire sortir 5 000 détenus en quelques mois, dont 1 200 le jour de la promulgation du décret.

En 1992, ce sont encore 1 000 détenus qui retrou­vent la liberté, le 8 juillet, avec quelques autres dans les mois qui suivent.

Dans un article, paru dans Le Monde du 9 juillet 1992, Anne Chemin montre qu'elle a bien assimilé la politique d'Henri Nallet et note : « Depuis quelques années, les grâces tentent de limiter les problèmes liés à la surpopulation carcérale. » La journaliste est toutefois contrainte d'admettre que ces libérations massives et brutales sont souvent suivies de retours en prison rapides. Aussi juge-t-elle intéressante la prati­que des « grâces échelonnées ». Probablement parce que celles-ci permettent des retours en prison éche­lonnés!

Notre spécialiste a compris le nouveau casse-tête : la multiplication des longues peines. La provende est assurée pour les années d'opposition qui s'annoncent, un scandale pourra être dénoncé, des combats enthousiasmants menés à l'horizon radieux de l'actualité judiciaire.

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CONCLUSION

Le dernier coup de grâce

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Octobre 1982 : Nelly Duhem, fille adoptive du peintre Henri Duhem se sépare de la femme de confiance qui la sert depuis près de vingt ans. Elle vient de fêter ses 86 ans. Son père est mort en septembre 1941. La vieille dame erre seule dans les vastes pièces de sa villa de Juan-les-Pins baptisée le Montriaut. Aux murs, des dizaines de toiles, dont les cadres se couvrent de poussière, lui rappellent l'épo­que où son père rassemblait patiemment une collec­tion prestigieuse. Les noms font rêver : Rembrandt, Watteau, Boucher, Delacroix, Jongkind, Corot, Bou­din, Pissarro, Sisley, Renoir et tant d'autres que l'on a l'habitude de contempler dans les musées.

La vieille dame est isolée au milieu de ses souvenirs - et de cette fortune. Deux ou trois fois par semaine, les visites de Jean-Paul Diblanc, employé à l'hôpital d'Antibes, viennent rompre la monotonie de cette fin d'existence solitaire.

Le 8 avril 1983, Nelly Duhem se casse le col du fémur. Elle regagnera le Montriaut pour quelques jours avant de s'installer définitivement dans une maison de repos. La villa se referme sur ses trésors. Pas pour très longtemps. En septembre 1983, la vieille demoiselle manifeste clairement, par une lettre adres-

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sée à l'académie des Beaux-Arts, sa volonté de léguer l'ensemble de sa collection à cette institution. La malheureuse ignore que celle-ci s'est considérable­ment réduite depuis son départ de la villa. Des taches claires constellent les murs où s'accrochaient fière­ment les chefs-d' œuvre réunis par Henri Duhem.

Un neveu, Guy Meesmaecker, soudain préoccupé par le sort de sa vieille tante, dénonce aux services de police un cambriolage commis dans la propriété de Juan-les-Pins. Le 25 juillet 1984, Nelly Duhem, poussée par un critique d'art qui connaît l'importance de la collection réunie au Montriaut, dépose plainte.

Le premier attrapé est Guy Meesmaecker. Les perquisitions effectuées à son domicile et dans un garde-meubles loué pour la circonstance amènent la découverte de nombreux tableaux, bijoux, pièces d'or et objets d'art de toute nature. Et avec Jean-Paul Diblanc, les enquêteurs vont récolter une moisson encore plus fructueuse. L'honnête (et pauvre) agent hospitalier s'est en effet transformé en un redoutable professionnel du marché de l'art. Si les murs du Montriaut se sont dégarnis des œuvres les plus prestigieuses de la collection Duhem, le modeste trois-pièces-cuisine de Jean-Paul Diblanc a pris des allures de galerie d'art. Sur les meubles en formica de la cuisine trônent désormais Sisley et Pissarro que contemplent, narquois, Renoir et Watteau qui occu­pent le salon-salle à manger.

Jean-Paul Diblanc découvre les avantages d'une belle collection. Sa compagnie est très recherchée, notamment par un certain Arthur Melki, né il y a quelque quarante-cinq ans du côté de Constantine et heureux propriétaire d'une galerie d'art parisienne,

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Art-Mel. Il a noué un contact direct avec Di blanc grâce à l'intervention d'une succession d'intermé­diaires, tous plus avides les uns que les autres. La présence du butin les rend fous. La fille vole le père, l'amant sa maîtresse, mais il revient à Arthur Melki d'évaluer l'importance exacte du magot.

Il achète un premier Pissarro 650 000 F et le revend immédiatement 1100 000 F. A cette occasion, notre amateur d'art découvre l'origine du tableau : la collection Duhem.

Une agitation fébrile s'empare de lui. Il appelle le contact qui lui a fourni le tableau et lui répète : « C'est une véritable mine d'or, une véritable mine d'or. » Dès lors, les Sisley défilent entre les mains de Melki. A chaque transaction, il réalise des « coups »

superbes. Le Canal du Loing, payé 700 000 F, est négocié 2100 000 F auprès d'un industriel d'Aix-la­Chapelle. Melki a compris que l'affaire est douteuse. Il s'entoure de précautions qui se révéleront inutiles. Factures fantaisistes et mentions totalement erronées portées sur les talons de chèque sont autant d'artifices destinés à brouiller les pistes. Elles se retourneront contre leur auteur et permettront aux juges d'établir sa mauvaise foi.

Il est vrai que les quelques transactions passées avec Diblanc et ses comparses laissent à Melki des marges exceptionnelles. Ce sont des millions de francs qui tombent dans son escarcelle ... avant quelques années de prison ! Car les meilleures choses ont une fin et, le 17 décembre 1985, le tribunal correctionnel de Grasse condamne notre malheureux amateur d'art à quatre ans d'emprisonnement. Pour faire bonne mesure, il lui inflige une amende de deux millions de francs.

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Prudemment, la juridiction provençale fait incarcé­rer sur-le-champ le malheureux marchand de tableaux. Pour le paiement de l'amende, il ne doit pas y avoir de problèmes. Le juge d'instruction chargé de l'affaire avait exigé une caution de ce montant avant de libérer Melki, en juillet 1985, à l'issue d'une détention provisoire de neuf mois.

La cour d'appel d'Aix-en-Provence, bonne mère, ramène le 19 juin 1986 la peine à quatre ans d'empri­sonnement, dont deux assortis du sursis. Hélas, si la liberté n'a pas de prix, l'amende conserve le sien. Or nul, parmi les fonctionnaires chargés du recouvre­ment des frais de justice, ne songea à cette caution qui dormait sous le soleil de Grasse entre les mains du régisseur du tribunal de cette localité.

Arthur Melki, quant à lui, n'oubliait pas ce bel argent qu'il avait dû abandonner entre les mains d'une justice impitoyable. Son cœur d'amateur d'art trop sensible saignait douloureusement.

Fort heureusement la présidence de la République veillait en la personne de Paule Dayan qui pria la direction des affaires criminelles et des grâces de bien vouloir préparer de toute urgence un décret libérant le malheureux Melki de sa petite dette « artistique ».

Il convenait, selon l'avocate intégrée à la magistrature en 1981, « que la caution versée en juillet 1985lui soit restituée au plus vite », en raison de la crise qui frappait le marché de l'art.

Insensible à tous ces malheurs, le procureur général près la cour d'appel d'Aix-en-Provence émet un avis défavorable, estimant cruellement que la justice ne s'est pas réellement montrée impitoyable à l'endroit du négociant.

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A la direction des affaires criminelles et des grâces, l'accueil n'est pas plus chaleureux. On a même la cruauté de rappeler l'importance du patrimoine immobilier de l'épouse de l'intéres~é 1 avant d'émettre également un avis défavorable.

Rien n'y fit. Il fallait aller vite. La cohabitation approchait à grands pas et le temps n'était pas si lointain où le droit de grâce allait cesser d'appartenir à ces privilèges dépendant du seul bon vouloir du pnnce.

Aussi François Mitterrand signa-t-il, le 25 février 1993, le décret de grâce dispensant définitivement Arthur Melki du paiement de l'amende de deux millions de francs mis à sa charge par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Cette recension des injustices de la décennie Mit­terrand a été, je l'espère, l'occasion d'un fascinant voyage au pays des privilèges, des prébendes et des passe-droits.

Comment cette situation a-t-elle été rendue pos­sible?

Parce que la gauche « intelligente », celle qui n'hésite pas à s'affirmer composée des esprits « les plus brillants de leur génération », est fascinée par l'acte de délinquance. Violer l'interdit lui semble être la forme la plus achevée de la lutte contre l'exclusion, une façon efficace de redistribuer les richesses, un moyen original de combattre les inégalités. Ces « cérébraux » ont, en conséquence, mené une série

1. Trois appartements à Paris, quatre en province, des parts de sociétés civiles immobilières et des actions diverses selon Le Canard enchaîné du 3 mars 1993.

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d'offensives systématiques contre la justice et la police. Le démantèlement de l'appareil d'enquête, voté en urgence fin 92 par la seule majorité socialiste, est l'ultime réponse illustrant cette action. Les années Mitterrand resteront comme l'éclatante revanche de ceux qui s'étaient sentis exclus par nos lois pénales.

Les fantasmes historiques de ces intellectuels ont contribué à la déstabilisation que nous connaissons. Revivant indéfiniment l'affaire Dreyfus et la rafle du V el' d'Hiv', ils perçoivent l'appareil judiciaire et policier comme une source permanente de danger pour leur liberté et leur existence. Alors ils détruisent, sans se soucier des conséquences pour les autres.

Vichy est pourtant loin, les circonstances excep­tionnelles de la guerre d'Algérie aussi, mais peu leur importe. Le policier demeu,re pour eux celui qui sonne à la porte à l'aube. L'Etat n'est plus l'appareil régulateur de la vie de la cité, mais une menace potentielle. La justice sert de support juridique à ce péril immanent. Toute mesure coercitive est vécue comme un danger personnel virtuel. Jouer à se faire peur, sans risque véritable, est un plaisir subtil...

Les victimes de ces apprentis sorciers sont les honnêtes gens, ceux qui respectent les lois, gagnent leur vie en travaillant et croient que la famille n'est pas seulement un lieu privilégié d'aliénation. Ce sont les boulangères, de Reims ou d'ailleurs, les salariés de chez Hoover et tous les cocus de 1981, qui regardent, consternés, passer le cortège bruyant et bariolé des excités du show-biz et du charity-business, entraînés par la fanfare multicolore de Jack Lang.

Ces laissés-pour-compte commencent, pour leur plus grand malheur, à peupler nos prisons. Les uns

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auront été piégés par un drame de l'autodéfense et lynchés médiatiquement parce qu'ils auront eu le mauvais goût de se défendre seuls dans )eurs ban­lieues pourries désertées par l'appareil d'Etat. D'au­tres, conducteurs en état d'ébriété ne parviendront à échapper à la prison que s'ils sont arrêtés au volant d'une voiture volée. Qui s'indigne, par exemple, de cette forme de double peine constituée par le permis à points? Dans les nouvelles lois qui régissent la société française, il est permis d'être délinquant mais pas au volant de sa propre voiture. La drogue est, de fait, en vente libre, mais gare au conducteur en état d'ivresse. Jamais il ne bénéficiera de la moindre amnistie.

A la tête de ce grand foirail règnent les nouvelles autorités.

Danielle Mitterrand a été érigée, par la grâce du Pouvoir, en autorité morale. Telle est la dénomina­tion officielle dont elle a été affublée dans une circulaire de l'administration pénitentiaire signée de son directeur Ivan Zakine.

La première dame de France s'était plainte de ce que les courriers adressés par les détenus lui parve­naient après avoir été ouverts par les fonctionnaires de la pénitentiaire. Aussitôt le sieur Zakine, dans un document qui provoqua l'hilarité générale, s'empressa d'édicter que Danielle Gouze, épouse Mitterrand, était une « autorité morale » et qu'à ce titre, les correspondances de prisonniers devaient lui être adressées sous plis fermés (voir annexe 1 ).

Face à cet état de choses, les juges font ce qu'ils peuvent et finissent par emprisonner les éternels récidivistes que les policiers se lassent d'arrêter. L'explosion des crimes et délits se traduit par une

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surpopulation carcérale que l'exécutif a été incapable d'envisager et d'affronter. Celle-ci était pourtant d'autant plus inévitable que le laxisme de la décennie quatre-vingt et l'ébranlement par le pouvoir et ses amis des institutions judiciaires et policières ont privé ces dernières d'une partie de leur efficacité, contri­buant ainsi à l'amplification du phénomène.

Seul, désormais, le travail de Pénélope de la prési­dence de la République permet de gagner un temps précieux et d'arracher quelques minutes au bourreau. Le droit de grâce en est l'arme. Une arme dévoyée mais efficace, utilisée massivement pour les amis du pouvoir d'abord, pour ses protégés ensuite, pour sa clientèle enfin.

Le droit de grâce a perdu ce caractère exceptionnel que soulignait Montesquieu : « Le Pouvoir que le prince a de pardonner, exécuté avec sagesse, peut avoir d'admirables effets. » Après n'avoir plus, été qu'un moyen supplémentaire de se servir de l'Etat pour satisfaire des intérêts privés de tous ordres, il est devenu un instrument permettant de mettre en œuvre les lubies ahurissantes du Parti socialiste et de sa mouvance ainsi que d'assurer, au jour le jour, la gestion de la population pénitentiaire. Sur ce point, l'aveu d'Henri Nallet est tout à fait révélateur et symbolique.

Le droit de grâce constitue la mesure institution­nelle qui aura permis à l'arbitraire de s'exercer en toute impunité et au pouvoir exécutif de saboter l'action de la police et de la justice en livrant, de plus en plus, les populations honnêtes aux exactions des délinquants. Le coût social, économique et moral de cette politique est immense.

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Ce constat est désolant car une partie du désastre aurait pu être évitée si des hommes réalistes, compé­tents et honnêtes avaient été capables de s'arracher à l'influence des cercles de « pensée judiciaire », des professionnels de l'indignation sélective et médiati­que. En attendant ce sont des centaines de milliers de victimes innocentes qui chaque année font les frais des charités présidentielles. Du viol des deux jeunes Américaines par Luc Tangorre aux assassinats com­mis par Action directe en passant par les méfaits de Knobelspiess, la liste des bavures des grâces présiden­tielles est interminable.

Un tel dysfonctionnement ne peut durer et se prolonger. Une évaluation doit être effectuée. Le droit de grâce ayant été vidé de sa substance et détourné, il ne serait pas convenable que l'on conti­nuât à invoquer, à son sujet, des principes totalement surannés. Dès lors la représentation nationale est en droit d'examiner ce qui a été fait depuis douze ans en matière de grâces. Une commission d'enquête parle­mentaire peut parfaitement se pencher sur cette question afin d'ouvrir le dossier et d'éviter que de pareils errements ne se reproduisent.

Les institutions sont ce qu'en font les hommes. Le droit de grâce est aujourd'hui ravalé au rang des hochets du Prince au même titre que la Légion d'honneur distribuée comme autant de gadgets aux amis du pouvoir.

La démonstration est éclatante : il faut réformer le droit de grâce et entourer son exercice des précau­tions élémentaires que n'aurait pas manqué de prévoir le législateur de 1958 s'il avait pu envisager de telles dérives.

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Annexes

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ANNEXE 1

Le statut de l'épouse du président de la République

République Française MINISTÈRE

DE LA JUSTICE

Direction de l'Administration Pénitentiaire

13, place Vendôme 75042 PARIS Cedex 01

tél. 261.80.22

Sous-Direction de la Réinsertion Sociale

Bureau des Méthodes de Réinsertion Sociale

et de la Réglementation

Réf. P. 3- P 61

Paris, le 2 février 1982

NOTE

à l'attention de Messieurs les Directeurs

Régionaux des Services Pénitentiaires et Messieurs les Directeurs

d'Établissements Pénitentiaires

Autonomes

OBJET : Correspondance des détenus avec la Présidence de la République et les autres autorités administratives et judiciaires.

Il a été porté à ma connaissance que des correspondances adressées à l'épouse du Président de la République avaient été soumises au contrôle.

J'ai l'honneur de vous indiquer que la possibilité d'envoi sous pli fermé au Président de la République doit s'entendre comme englobant son épouse.

Il est en effet reconnu par une tradition républicaine solidement établie que l'épouse du Chef de l'État intervient en qualité d'autorité morale et constitue un recours ultime pour l'ensemble des citoyens.

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En conséquence, je vous serais obligé de bien vouloir rappeler aux chefs d'établissements que les instructions conte­nues dans ma circulaire AP 80-2 du 15 novembre 1980, précisant que les lettres aux autorités administratives et judi­ciaires échappant aux formalités de contrôle, s'appliquent non seulement au courrier adressé au Secrétariat Général de la Présidence de la République mais aussi à celui adressé à l'épouse du Président de la République.

Je tiens à vous indiquer, conformément aux termes de ma circulaire mentionnée ci-dessus, qu'en aucun cas les fonction­naires chargés du contrôle ou de l'acheminement du courrier ne doivent apposer sur les correspondances le cachet de l'établisse­ment ou toute autre mention faisant apparaître l'incarcération de l'auteur ou du destinataire de ces correspondances.

Je vous invite à veiller à une application scrupuleuse des termes de l'article D. 262 du Code de Procédure Pénale disposant que les détenus peuvent à tout moment faire parvenir des lettres sous pli fermé et échappant à tout contrôle, aux autorités administratives et judiciaires françaises.

Par ailleurs, je vous informe que le juge des Tutelles du lieu de détention ou de condamnation doit être considéré comme figurant sur la liste des autorités telle qu'elle est précisée dans ma circulaire citée plus haut.

Vous voudrez bien me rendre compte, sous le présent timbre, de toute difficulté susceptible de se produire dans l'application de ces directives.

signé :Ivan ZAKINE

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ANNEXE 2

Un exemple de fonctionnement des réseaux

Le Grand Maître du Grand Orient de France

PG/AH

Madame le Ministre,

16, Rue Cadet 75009 Paris

Paris, le 21 avril 1983

Madame Yvette RouDY Ministre des Droits de la Femme 53 av. d'Iéna 75016 PARIS

Lors de notre rencontre, je me suis permis d'attirer votre attention sur le cas du Docteur M. - demeurant à Paris - qui fut condamné à 4 ans de prison dont 2 avec sursis, pour une affaire d'interruption de grossesse et à 6 ans d'interdiction d'exercice, par la 16e Chambre Correctionnelle, le 4 mars 1983.

Il semble que l'évolution de la Législation et de la J urispru­dence soit telle que si l'affaire se produisait actuellement, il n'encourrait pas de telles condamnations, voire de poursuites.

Je me permets de solliciter votre intervention ·auprès du Garde des Sceaux, pour obtenir une mesure rapide d'annulation de la sanction complémentaire d'interdiction d'exercer :

Celui-ci se rappellera peut-être que l'Avocat du Docteur M. fut à cette époque, Maître Robert BADINTER.

L'affaire est pendante devant la même 16e Chambre Correc­tionnelle pour l'examen de sa requête, ramenant au maximum le temps d'interdiction d'exercer, à celui déjà couru.

Inutile de vous préciser que par l'intermédiaire de personnes

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le connaissant depuis longtemps, je me porte garant de la moralité du Docteur M.

1 e vous remercie très vivement de ce qu'il vous sera possible de faire pour réparer cette anomalie.

1 e vous prie de recevoir, Madame le Ministre, l'expression de ma meilleure considération.

Le Ministre délégué auprès du Premier Ministre

Ministre des droits de la femme SP /830489/ AMD

Paul GouRDOT

53, avenue d'Iéna 75016 Paris tél. 501.86.56

Paris, le 3 Mai 1983

Monsieur le Ministre et Cher Collègue,

Mon attention vient d'être attirée sur la situation du Dr M. demeurant à Paris qui fut condamné à 4 ans de prison dont 2 avec sursis, pour une affaire d'interruption de grossesse et à 6 ans d'interdiction d'exercice, par la 16e Chambre Correction­nelle, le 4 mars 1983.

1 e vous demande de bien vouloir étudier avec la plus grande bienveillance son dossier afin d'obtenir une mesure rapide d'annu­lation de la sanction complémentaire d'interdiction d'exercer.

1 e me permets de vous rappeler que vous étiez son avocat lors de cette affaire en 1981.

1 e vous prie de me tenir informée des suites susceptibles d'être réservées à sa requête.

Croyez, Monsieur le Ministre et Cher Collègue, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.

Cordialement,

Monsieur Robert BADINTER Garde des Sceaux, Ministre de la 1 ustice 13, place Vendôme 75042 PARIS

Yvette RounY

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ANNEXE 3

Knobelspiess et l'Élysée

PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE

Le Chargé de Mission

Note de Claude Man ceron

Paris, le 13 juin 1983

pour : Mme Laurence SouoET

Objet. Roger Knobelspiess.

MM. Jean-Louis BIANCO Jean-Claude COLLIARD Christian SAUTIER Gilles MÉNAGE Cyrille ScHOTI

Suite aux allégations infâmes publiées par M{nute du ven­dredi 10 juin à propos d'un soutien éventuel de l'Elysée apporté à Roger Knobelspiess et en réponse plus détaillée au coup de fil que Mr. Schott m'a passé à ce propos, je tiens, par cette note, à bien préciser tous les éléments de la situation, au cas où nous serions interrogés par d'autres journalistes. Il va sans dire que je ne réponds pas à ce torchon.

1. - Quand j'ai pris mes fonctions à l'Élysée en août 1981, j'étais Président du Comité de soutien à Roger Knobelspiess depuis deux ans déjà. Ce Comité groupait une trentaine de personnalités, allant de Claude Mauriac à Roger Garaudy, et de Guy Bedos à Marie Cardinal. La liste complète en est à votre disposition.

J'ai personnellement reçu de Knobelspiess une dizaine de très

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180 LES GRÂCES DE DIEU

belles lettres, écrites depuis le pénitencier de Melun et que j'ai conservées.

2. - Persuadé de l'innocence de Knobelspiess dans l'incul­pation qui lui avait valu quinze ans de prison à 19 ans, j'ai fait mienne la démarche du Comité pour qu'il puisse, le plus tôt possible, bénéficier d'une grâce présidentielle, tout en sachant qu'il devait, auparavant, repasser en Cour d'assises pour des hold-up effectivement commis, ceux-ci, lors d'une longue « cavale ».

Je m'en suis entretenu rapidement, une fois, avec le Garde des Sceaux, et jamais avec le Président.

3. - Dans l'attente de ce procès, j'ai obtenu un permis de la Chancellerie pour une visite à Knobelspiess dans sa prison de Melun, pour l'exhorter à la patience et au calme, car il était en dépression suicidaire. Le docteur du pénitencier m'a confirmé l'excellente conduite du détenu et m'a donné l'autorisation de lui téléphoner quelquefois.

4. - Je suis allé témoigner de la moralité que je lui trouvais au présent, devant les jurés de Rouen, mais uniquement à titre d'écrivain et sans que mon appartenance à la Présidence de la République fût mentionnée une seule fois.

Une dizaine d'autres membres du Comité de soutien ont accompli ce matin-là la même démarche.

5. - Après sa libération, il est venu me voir deux ou trois fois à mon bureau pour me remercier. J'ai tenté en vain de lui obtenir une aide efficace et une situation stable, afin d'éviter qu'il ne retombe au milieu criminogène.

Je lui ai, à titre personnel, versé une somme de 5 000 francs qu'il a eu beaucoup de mal à accepter.

6. - Environ un mois après sa libération, il s'est entendu avec la première secrétaire, que les services du Palais avaient procurée conjointement à Laurence Soudet et moi-même, Mlle Nelly Barry.

Celle-ci, déménageant, lui a offert de lui succéder dans la location du 28 rue de l'Ourcq.

Je ne me suis, ni de près, ni de loin, mêlé à cette tractation qui s'est déroulée en dehors de mon bureau et qui n'engageait que les intéressés.

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ANNEXES 181

7. - C'est peu de temps après que, d'un commun accord, Laurence Soudet et moi-même avons demandé à Gilles Ménage le remplacement de Mlle Nelly Barry, incompétente en secréta­riat et dont d'autres fréquentations nous paraissaient douteuses. Gilles Ménage a procédé à son licenciement le 15 mars 1982, et je n'ai plus eu signe de vie de Mlle Barry depuis ce moment.

8. - J'ai accepté une seule fois une invitation insistante de Roger Knobelspiess pour aller déjeuner chez lui en compagnie de Dany Manuel, son visiteur de la prison. Depuis environ un an, je n'ai ni revu, ni entendu Roger Knobelspiess. Il me donnait un peu l'impression de m'éviter à mesure que je le sentais retomber dans le milieu de la délinquance.

9. - Ma dernière tentative en sa faveur fut d'essayer, en décembre 82, toujours à titre strictement personnel, de mettre sur pied un fonds de soutien que les membres du Comité auraient eux-mêmes alimenté régulièrement, chacun par un versement mensuel de 150 francs. J'y ai renoncé devant le peu d'écho rencontré.

L'intéressé m'avait d'ailleurs fait savoir, il y a longtemps, qu'il répugnait à être un assisté.

Cet homme est mon ami et il le demeure.

p.a. Claude Manceron, absent

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ANNEXE 4

Appel de Vidal-N aquet en faveur de Tan gorre

(« Le Monde », 25 janvier 1985)

Le viol est un crime ... L'ERREUR JUDICIAIRE AUSSI !

Vous mesurez environ 1,70 m, vous êtes brun, moustachu, âgé de 20 à 25 ans, vous portez parfois un blouson, des jeans et des tennis blanches, et vous n'avez personne d'autre que vos proches pour justifier de votre emploi du temps à 2 heures du matin ... Vous êtes peut-être, vous aussi, le « violeur des quartiers sud de Marseille » et vous pourriez être en prison depuis 3 ans 1

Des tennis blanches

Entre le 6 décembre 1979 et le 9 avril 1981, les services de police de Marseille reçurent une douzaine de plaintes de jeunes femmes victimes de viols, d'agressions sexuelles ou d'attentats à la pudeur, alors qu'elles regagnaient seules la nuit leur domicile dans le sud de Marseille.

Le signalement qu'elles donnaient de leur agresseur était le suivant :un individu d'environ 1,70 rn, 20 à 25 ans, brun, petite moustache, vêtu d'un blouson, d'un jean et de tennis blanches, utilisant un revolver ou un couteau et se déplaçant à cyclomo­teur ou en 2 CV.

« Contrôle d'identité. Vos papiers ... »

Le 12 avril1981 à 23 h 30, une patrouille de police intercepte un individu de 22 ans, cheveux bruns et moustache, 1,69 rn, en

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jean, chaussé de tennis blanches. Dans son blouson il y a un couteau enveloppé dans du papier journal. Sa voiture : une 2 CV bleue.

Il s'appelle Luc Tangorre, il est étudiant en éducation physique. On l'arrête et il est emmené au commissariat. Il ne sait rien, il manifeste son impatience et, à 2 heures du matin, il demande pourquoi il est là et ce qu'on lui reproche. En guise de réponse, on le gifle. Il riposte et on le maîtrise sans ménage­ment. Il a une crise de nerfs qui le laisse prostré jusqu'à son transfert à l'hôtel de police où il achève sa nuit à même le sol froid de sa cellule.

Le «physique de l'emploi »

Dès le lendemain matin, le suspect est confronté aux victimes. Il vient de passer une nuit blanche, il a l'air hagard et n'est pas rasé. Il présente une sale gueule de garde à vue. On le mêle à des inspecteurs moustachus, reposés et rasés de frais. De plus, il est le seul à mesurer 1,70 rn, à avoir moins de 25 ans et surtout à porter aux pieds des tennis blanches ... Conséquence, la plupart des victimes affirment : « Le violeur, c'est lui. »

Pourtant Luc Tangorre nie : « Ce n'est pas moi, c'est quelqu'un qui me ressemble. >> Le délai de garde à vue étant écoulé, Luc Tangorre est amené devant le juge d'instruction qui décide de l'inculper : il correspond au portrait-robot, il avait un couteau, il possède un cyclomoteur, une 2 CV, et chez lui les policiers ont trouvé un revolver factice ...

Tout l'accuse, et dès lors tout s'enchaîne. Luc Tangorre se trouve happé par une machine judiciaire d'autant plus implaca­ble qu'elle se fonde davantage sur « l'intime conviction » que sur la matérialité des faits et l' « absolue certitude ».

Pourtant, il y a dans ce dossier une très grande place pour le doute. Non sur la nature indiscutable du crime (le viol est un crime abominable et on ne peut, en présence d'une telle accumulation de forfaits, que souhaiter que la justice agisse) mais sur l'identité du criminel.

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ANNEXES 185

Un « crime judiciaire »

Quinze ans de réclusion ... Tel est le verdict prononcé contre Luc Tangorre par le jury de la cour d'assises d'Aix-en-Provence le 24 mai 1983. Mais les carences, les contradictions et les invraisemblances du dossier pemiettent de se demander si Luc Tangorre ne paie pas pour un autre.

Des centaines de personnes dans des comités de soutien se sont mobilisées pour la révision de son procès car le spectre de l'erreur judiciaire hante d'un bout à l'autre cette affaire.

Non seulement l'accusation n'a pas fait la preuve de la culpabilité de Luc Tangorre, mais il est possible de prouver son mnocence.

Coupable à tout prix ...

Sans revenir sur les tennis blanches et autres « incongruités »

des séances de reconnaissance, il n'est pas un témoignage, pas un indice, pas une déposition qui, dans cette affaire, ne laissent apparaître des contradictions. Certains témoins à décharge n'ont été convoqués que plus d'un an après les faits ... le temps de perdre la mémoire !

Les premières victimes parlent de la 2 CV du violeur alors que Luc Tangorre n'en possédait pas encore. L'une a vu un cyclomoteur « Enduro » alors que Luc Tangorre n'a qu'un simple vélomoteur. Le revolver jouet a été trouvé sur une pelouse par Luc Tangorre et un ami bien après que deux viols eussent déjà été commis avec une arme similaire. De plus, le sien possédait une caractéristique bien particulière qu'aucune victime n'a signalée : un canon à bout rouge.

Au surplus de nombreux alibis prouvent que Luc Tangorre n'a pas pu commettre ce qui lui est reproché : lors d'une agression à Marseille, il séjournait à Cavaillon avec sa fiancée et la mère de celle-ci. Lors du viol du 20 décembre, il dansait au bal au moment des faits. Pour les viols et agressions des 1er et 2 avril, il se trouvait à l'hôpital à la suite d'un accident au bras qui lui a laissé des cicatrices importantes, qu'aucune victime n'a signalées.

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Un dossier accablant ... pour qui?

Le dossier rassemblé contre Luc Tangorre ne tient pas : négligences de l'enquête, retards de l'instruction, intimidations, reconnaissances hâtives, expertises arbitraires, analyses fantai­sistes ... Quant aux viols, ils n'ont pas disparu des quartiers sud de Marseille.

Gisèle Tichané, chercheur au CNRS, a fait une étude systématique et scientifique du dossier d'instruction. Dans un livre-dossier édité par les éditions La Découverte, elle met à plat toutes les pièces du procès et démonte les mécanismes de cette nouvelle erreur judiciaire. Lecture difficile parce que l'on sent reposer sur soi la même responsabilité qu'un juré et parce qu'il s'agit d'affaires de viol.

Pourtant, la lecture terminée, malgré les idées premières, malgré la logique policière, malgré l'obstination du juge d'instruction et le verdict des assises, l'innocence de Luc Tangorre ne fait plus aucun doute.

Il n'est de justice que dans la vérité

Si une décision de justice s'oppose au sentiment que chacun peut éprouver après avoir étudié un dossier, on doit au minimum demander qu'elle soit réformée par une révision du procès. C'est la demande qui a été adressée le 3 août 1984 au garde des Sceaux par les avocats de Luc Tangorre. C'est là une entreprise qui, dans le système français, est toujours de langue haleine. Mais si la justice a le temps devant elle, il n'en est pas de même de la liberté. Chaque journée qu'un homme présumé innocent passe en prison est insupportable. Dans l'immédiat, nous demandons au garde des Sceaux de suspendre, comme il en a le pouvoir, la peine frappant Luc Tangorre. Et si la justice refuse de se confondre avec la Vérité, nous demandons au président de la République d'annuler, en prononçant la grâce de Luc Tangorre, l'effet d'une décision injuste.

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ANNEXES 187

Liste des premiers signataires :

Charles Carrière, professeur à l'Université de Provence, Françoise Cibiel, éditeur. Bernard Cuau, professeur à Paris VII, Jacques Derogy, journaliste. Susan George, Senior Fellow du Transnational Institute. Jacques Gervet, maître de recherches au CNRS. François Gèze, éditeur. Pierre Halbwachs, professeur à l'Université de Paris VII. Maria Jolas, traductrice. Chantal Lacroix, standardiste. Philippe Lacroix, traducteur. Denis Langlois, avocat. Jean-Louis Lévy, médecin, petit-fils du capitaine Alfred Dreyfus. Jérôme Lindon, éditeur. Catherine Malamoud, traductrice. Charles Malamoud, directeur d'études à l'EHESS. Claude Mauriac, écrivain. Françoise Mead, chargée de recherches au CNRS. Pierre Pachet, maître assistant à Paris VII. Annick Parmentier, assistante sociale. Bruno Parmentier, éditeur. Gilles Perrault, écrivain. Frédéric Pottecher, journaliste. Madeleine Rebérioux, professeur à l'Université de Paris VIII, conservateur au musée d'Orsay. Louis Sala-Molins, professeur à l'Université de Paris!. Laurent Schwartz, professeur à l'École polytechnique. Lily Scherr, enseignante à l'INALCO. Gisèle Tichané, chargée de recherches au CNRS. Lucette Valensi, directeur d'études à l'EHESS, Jean-Pierre Vernant, professeur au Collège de France, médaille d'or du CNRS 1984. Geneviève Vidal-Naquet, professeur. Pierre Vidal­Naquet, di~ecteur d'études à l'EHESS. Raymond Weil, professeur à Paris­Sorbonne. Edouard Will, professeur à l'Université de Nancy II.

-- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- -- ~

A découper et à retourner à Pierre Vidal-Naquet, 11, rue du Cherche-Midi, 75006 Paris

Nom ............................................ .

Adresse ................... · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

o Commande . . . . . . exemplaires du livre-dossier réuni par Gisèle Ti­chané sur l'affaire Tangorre, au prix unitaire de 68 francs et joint un chèque de ...... à l'ordre de Pierre Vidal-Naquet. (CCP No 12 954 15 R Paris)

o Désire être tenu au courant des activités prochaines des comités de soutien à Luc Tangorre.

o Conscient des difficultés que ren­contrent les comités de soutien, notamment pour faire paraître ce manifeste, envoie un chèque à l'ordre de : Pierre Vidal-Naquet (CCP N° 12 954 15 R Paris).

o 50 F o 100 F o 200 F o 300 F o autre

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ANNEXE 5

Extrait de la circulaire d'application de la loi 91.1383 du 31 décembre 1991

renforçant la lutte contre le travail clandestin et la lutte contre l'organisation

de l'entrée et du séjour irrégulier d'étrangers en France (sic)

aournal officiel du rr janvier 1992)

3. - LA RÉFORME DE L'INTERDICTION DU TERRITOIRE FRANÇAIS.

La loi du 31 décembre 1991 présente la double caractéristique d'élargir le champ d'application de l'interdiction du territoire français (3.1) et d'interdire le prononcé de cette peine pour certaines catégories d'étrangers (3.2).

3.1. - L'ÉLARGISSEMENT DU CHAMP D'APPLICATION (articles 9, 15, 22 et 26).

Auparavant, l'interdiction du territoire français s'appliquait essentiellement, d'une part, en application de l'article L. 630-1 du code de la santé publique, aux étrangers auteurs d'infrac­tions à la législation sur les stupéfiants, d'autre part aux étrangers pénétrant et séjournant irrégulièrement en France (article 19 de l'ordonnance du 2 novembre 1945).

Il convient de rappeler que cette peine peut désormais être prononcée :

- pour une durée ne pouvant excéder cinq ans à l'encontre des étrangers condamnés pour l'une des infractions liées au travail clandestin et à l'emploi irrégulier de travailleurs étran­gers, des étrangers facilitant l'entrée et le séjour irrégulier en France d'autres étrangers (article 21 de l'ordonnance du 2 novembre 1945) et des étrangers condamnés pour violation des règles applicables à l'hébergement collectif définies par la loi du 28 juin 1973 ;

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- pour une durée ne pouvant excéder dix ans à l'encontre des étrangers qui se soustraient à une mesure de refus d'entrée sur le territoire national ou qui font obstacle à la mise à exécution d'une mesure d'éloignement (article 27 de l'ordon­nance du 2 novembre 1945).

3.2. - EXCLUSION DU PRONONCÉ DE L'INTERDICTION DU TER­

RITOIRE A L'ÉGARD DE CERTAINS ÉTRANGERS.

Tirant les conséquences de la position adoptée par le législateur dans le cadre de l'examen du livre II du projet de code pénal, la loi du 31 décembre 1991 exclut l'application de la peine d'interdiction du territoire français pour certaines catégo­ries d'étrangers qui ont des liens étroits avec la France et n'ont souvent plus aucune attache dans leur pays d'origine.

La loi s'inscrit également dans le respect des principes énoncés par la Convention Européenne des Droits de l'Homme et consacrés par la jurisprud~nce de la Cour Européenne de STRASBOURG et du Conseil d'Etat.

Ces juridictions ont déclaré non conformes à l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme les décisions d'expulsion prononcées à l'encontre d'étrangers qui ont toutes leurs attaches familiales et sociales dans le pays d'accueil, et n'ont plus de liens avec leur pays d'origine, « le lien de natio­nalité ne correspondant à aucune réalité humaine concrète » *

En application des articles 9, 15, 22, 26 et 27, l'interdiction du territoire ne peut ainsi plus être prononcée à l'encontre d'un étranger rentrant dans l'une des catégories suivantes :

- mmeur; - résidant habituellement en France depuis qu'il a atteint

l'âge de dix ans ; - résidant habituellement en France depuis plus de quinze

ans ou y résidant régulièrement- c'est-à-dire disposant d'un

* Voir sur ce point : - Cour Européenne des Droits de l'Homme, 18 février 1991, affaire

MousTAQUIM c/BELGIQUE; - Commission Européenne des Droits de l'Homme, 15 mars 1990, affaire

DJEROUD c/FRANCE ; - Commission Européenne des Droits de l'Homme, 6 septembre 1990,

affaire BELDJOUDI c/FRANCE; - Conseil d'État, arrêt BELGACEM, 19 avril1991.

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ANNEXES 191

titre de séjour en cours de validité - depuis plus de dix ans ; - père ou mère d'un enfant français, s'il exerce l'autorité

parentale ou subvient à ses beoins ; - marié avec un Français depuis au moins six mois, à

condition que le mariage soit antérieur aux faits ; - titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie

professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %.

Ces dispositions reprennent pour l'essentiel celles de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui définit les catégories d'étrangers non expulsables.

Il convient cependant de signaler, concernant l'étranger marié à un Français, la condition d'antériorité de ce mariage aux faits reprochés. La date des faits devrait également être retenue pour apprécier l'existence de la condition de minorité, confor­mément au principe général du droit des mineurs.

Pour les autres cas prévus par la loi, il semble, sous réserve de l'appréciation souveraine des juridictions, que la date de référence doive être celle de la décision. Il conviendra à cet égard de porter à ma connaissance toute décision rendue en sens contraire afin de me permettre, le cas échéant, de faire saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Toutefois, l'article 27 prévoit que ces exclusions du champ d'application de l'interdiction du territoire français ne jouent pas en cas de condamnation pour les infractions suivantes :

- production, fabrication, importation ou exportation de stupéfiants ;

- association ou entente en vue de commettre les infrac­tions susvisées ;

- blanchiment de l'argent provenant des infractions susvi­sées.

En revanche, les étrangers condamnés sur le fondement de l'article L. 627 du code de la santé publique à l'interdiction définitive du territoire retrouvent la possibilité de demander le relèvement du fait de l'abrogation du dernier alinéa de l'article L. 630-1.

J'attire votre attention sur la situation particulière des étrangers condamnés à l'interdiction définitive ou temporaire

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du territoire français avant l'entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 1991 et appartenant aux catégories désormais exclues du champ d'application de la mesure.

Vous ferez en sorte que les requêtes présentées par ces étrangers puissent être soumises, dans le meilleur délai possible, aux juridictions compétentes. Vous appellerez notamment l'attention des greffes des établissements pénitentiaires sur l'urgence de la transmission de ces requêtes lorsqu'elles sont présentées par des étrangers dont la date de libération approche.

Vous voudrez bien, dans le cadre de ces procédures de relève­ment, prendre des conclusions tirant toutes les conséquences des dispositions de la loi nouvelle à l'égard des personnes relevant d'une catégorie d'étrangers ne pouvant plus faire l'objet d'une mesure d'interdiction du territoire. En pareil cas, il y aura lieu de faire surseoir à l'exécution de la mesure de reconduite à la frontière, dans l'attente de la décision de la juridiction saisie.

Vous voudrez bien me tenir informé avant la fin du premier semestre 1992 des conditions de mise en œuvre de ces nouvelles dispositions ainsi que de toute difficulté particulière d'applica­tion.

Pour le Garde des Sceaux, ministre de la Justice Par délégation

DESTINATAIRES:

Le Directeur des Affaires Criminelles et des Grâces

Franck TERRIER

Mesdames et Messieurs les PROCUREURS GÉNÉRAUX

Mesdames et Messieurs les PROCUREURS DE LA RÉPUBLIQUE

Mesdames et Messieurs les MAGISTRATS DU PARQUET.

POUR INFORMATION:

Mesdames et Messieurs les PREMIERS PRÉSIDENTS

Mesdames et Messieurs les PRÉSIDENTS

Mesdames et Messieurs les MAGISTRATS DU SIÈGE.

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ANNEXE 6

Les grâces collectives

MINISTÈRE

DE LA JUSTICE

Paris, le 2 juillet 1992

Direction des Affaires Criminelles et des Grâces - Bureau E.3.

LE GARDE DES SCEAUX,

MINISTRE DE LA JUSTICE

à Direction de l'Administration Pénitentiaire - Bureau G.l.

Madame et Messieurs les PROCUREURS GÉNÉRAUX

Mesdames et Messieurs les PROCUREURS DE LA RÉPUBLIQUE

Mesdames et Messieurs les JUGES DE L'APPLICATION DES PEINES

Messieurs les DIRECTEURS RÉGIONAUX

Mesdames et Messieurs les DIRECTEURS

et CHEFS D'ÉTABLISSEMENTS PÉNITENTIAIRES

NOR: JUS.D.92 30019 C Circulaire : CRIM. 92.11/E3.2. 7. 92 Objet : Décret de grâces collectives.

A l'occasion de la fête nationale, le Président de la Républi­que a accordé, par décret en date de ce jour, ci-joint en copie, une remise exceptionnelle de peine aux personnes condamnées à une ou plusieurs peines temporaires privatives de liberté.

Comme à l'habitude, ce décret ne sera pas publié au Journal Officiel.

La présente circulaire a pour objet de préciser le domaine de la remise, son mode de calcul et les diligences particulières à accomplir. Elle comporte, en annexe 2, des exemples pratiques d'application et de non-application de la grâce collective.

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I - DOMAINE DE LA REMISE

1. Conditions relatives aux condamnés détenus à la date du 7 juillet 1992 (art. 1)

Sous réserve des cas d'exclusion exposés à la section II de la présente circulaire, cette mesure de grâce bénéficie aux détenus à temps dont les peines auront été prononcées au plus tard le 7 juillet 1992 et seront exécutoires avant le 19 juillet 1992.

Ces conditions sont cumulatives.

L'article 1er du décret envisage deux situations ouvrant droit à une remise :

a) - l'alinéa rr concerne « les condamnés détenus à la date du 7 juillet 1992 pour l'exécution d'une ou plusieurs peines ... »,

Cette hypothèse est donc celle où, à la fois : 1 °) la peine est déjà exécutoire le 7 juillet 1992 ; 2°) elle a été portée à l'écrou au plus tard à cette date.

b) - l'alinéa 2 s'applique « aux personnes condamnées au plus tard le 7 juillet 1992 et détenues à cette même date en vertu d'une décision de placement ou de maintien en détention prononcée par la juridiction de jugement ... »,

Le cas prévu est ainsi celui où : 1 °) la condamnation a été prononcée au plus tard le 7 juil­

let 1992; 2°) la peine n'est pas encore exécutoire à cette date mais le

deviendra avant le 19 juillet 1992 (l'intéressé n'est pas détenu « en exécution » de la peine mais en vertu d'un titre de détention exécutoire par provision);

3°) la condamnation a été assortie d'une décision de place­ment ou de maintien en détention ;

4°) la condamnation assortie du placement ou du maintien en détention a été portée à l'écrou au plus tard le 7 juillet 1992.

Les éléments de cette définition, qui forment un tout, ne sont pas dissociables.

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ANNEXES 195

Sont considérés comme détenus les condamnés qui, à la date du 7 juillet 1992, exécutent leur peine en semi-liberté ou bénéficient d'une suspension ou d'un fractionnement de peine.

En revanche, la remise de peine ne s'applique pas aux condamnés admis à la libération conditionnelle, c'est-à-dire ceux pour lesquels une décision de libération conditionnelle a été prise avant le 8 juillet 1992, même si la libération effective ne doit intervenir qu'ultérieurement.

Il convient en effet, de retenir que la décision de libération conditionnelle « fige » la situation pénale en considération de laquelle le principe et les modalités de la libération condition­nelle ont été arrêtés. Par ailleurs, l'octroi d'une remise de peine à un condamné bénéficiant d'une décision d'admission à la libération conditionnelle n'aurait pour effet que d'abréger la durée des mesures de contrôle et d'assistance, sans pour autant avancer la libération effective. Tel n'est pas l'objet du présent décret.

2. Conditions relatives aux peines qui n'ont pas été ramenées à exécution (art. 3)

Sous réserve des exclusions mentionnées à l'article 2 alinéa 1er du décret, une remise est accordée sur toute peine temporaire privative de liberté prononcée au plus tard le 7 juillet 1992 et non ramenée à exécution à cette date, à condition que cette peine soit devenue exécutoire avant le 19 juillet 1992.

Pour que la remise s'applique, il faut donc que les conditions cumulatives suivantes soient réunies :

1 °) la condamnation a été prononcée au plus tard le 7 juil­let 1992;

2°) la peine n'a pas encore été ramenée à exécution, c'est-à­dire qu'elle n'a pas été mise à l'écrou, à la date du 7 juillet 1992 ;

3°) la peine doit être devenue exécutoire avant le 19 juil­let 1992.

Ainsi, dès lors qu'il n'y a pas encore eu écrou à la date du 7 juillet et que les autres conditions précisées ci-dessus sont remplies, l'article 3 s'applique sans qu'il y ait lieu d'attendre la mise à exécution effective de la peine.

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196 LES GRÂCES DE DIEU

En tout cas, lorsque l'intéressé est détenu en vertu d'une décision de placement ou maintien en détention assortissant la condamnation, sa situation ne relève pas de l'article 3 mais de l'article 1er alinéa 2.

J'attire par ailleurs votre attention sur le fait qu'un condamné détenu pour autre cause, pourra bénéficier à la fois de la remise de l'article 1er pour l'ensemble des peines au titre desquelles il est détenu, et de la remise de l'article 3 pour toute autre condamnation qui viendrait à être portée à l'écrou après le 7 juillet 1992.

3. CaractèrP exécutoire de la condamnation

Dans tous les cas, c'est le caractère exécutoire de la condam­nation- soit à la date du 7 juillet 1992 (article 1er alinéa 1 ), soit à la date du 18 juillet 1992 (article 1er alinéa 2 et art. 3)- qu'il convient de prendre en considération, et non son caractère définitif. En effet, d'une part il est traditionnel de ne pas prendre en compte le délai d'appel du procureur général pour l'application des grâces collectives; d'autre part, il a paru opportun de ne pas écarter du bénéfice de la grâce les personnes condamnées avant l'entrée en vigueur du décret mais qui se trouvent encore, lors de cette entrée en vigueur, dans le délai d'exercice d'une voie de recours.

Le caractère exécutoire de la condamnation est apprécié selon les règles habituelles. Dès lors que la condamnation prononcée, en première instance ou en appel, n'a pas acquis un caractère exécutoire avant le 19 juillet 1992, le décret de grâces ne s'applique pas.

Notamment, le fait pour un condamné de se désister de son recours- alors même qu'il n'en a pas été judiciairement donné acte avant le 19 juillet 1992 ou que reste pendant un recours formé par le ministère public - ne peut avoir effet à lui seul de rendre la condamnation exécutoire (v. Cass. Crim. 24 octobre 1991 ). De même, en cas de rejet d'un pourvoi en cassation, la condamnation ne peut être regardée comme exécutoire avant le rejet du pourvoi.

Par ailleurs, la grâce ne peut être considérée comme acquise qu'une fois la condamnation devenue exécutoire. De la sorte~

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ANNEXES 197

un condamné ne peut pas bénéficier de la grâce si la peine assortie d'un maintien en détention est intégralement purgée avant que la condamnation devienne exécutoire (exemple : 8 jours avec maintien en détention, prononcés le 7 juillet 1992 par le Tribunal correctionnel).

4. Peines concernées

Outre les peines criminelles à temps, la notion de peine privative de liberté comprend non seulement les peines d'emprisonnement prononcées ab initio mais aussi la condam­nation à l'emprisonnement pour l'inexécution d'un travail d'intérêt général et la détention à subir à la suite du non­paiement de jours-amendes à la condition que le délai de 5 jours prévu par l'article 3-1 du décret 64-1333 du 22 décembre 1964 modifié par le décret n° 83-1153 du 23 décembre 1983, soit expiré au plus tard le 7 juillet 1992. En revanche, la contrainte par corps ne saurait être considérée comme une peine.

En cas de libération conditionnelle révoquée, l'intéressé peut bénéficier à ce titre de la grâce si la révocation est antérieure au 8 juillet 1992.

En présence d'un sursis révoqué, la grâce est applicable lorsque la révocation ou la décision d'exécution est intervenue avant le 8 juillet 1992 et est devenue exécutoire dans les conditions précisées ci-dessus. On ne tient donc pas compte de la date de la condamnation initiale. A titre d'exemple, un sursis prononcé le 4 novembre 1991 et révoqué le 8 juillet 1992 (ou postérieurement) n'entre pas dans le champ de la grâce.

Qu'il s'agisse d'une libération conditionnelle révoquée ou d'un sursis révoqué, on appliquera l'article 1er ou l'article 3 selon que la mise à exécution aura eu lieu ou non à la date du 7 juillet 1992.

5. Exclusions

a) Règles communes aux détenus et aux non-détenus Sont exclus du bénéfice de la grâce : - les personnes condamnées pour toute infraction visée par

l'article 706-16 du Code de procédure pénale et en relation avec

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198 LES GRÂCES DE DIEU

une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur. L'exclusion joue quelle que soit la date des faits, c'est­à-dire même si l'infraction a été commise antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 9 septembre 1986.

- les personnes condamnées pour tout crime prévu au titre Il, chapitre 1er, du Code pénal et constitutif d'une atteinte à la personne d'un mineur de moins de quinze ans. Sont exclues de la sorte les personnes condamnées par une cour d'assises, pour des faits ainsi qualifiés crime, quelle que soit la nature, criminelle ou correctionnelle, de la peine prononcée.

Ces exclusions, prévues par l'article 2 du décret, s'appliquent aussi bien aux infractions commises qu'à la tentative et à la complicité.

Les peines prononcées par des juridictions étrangères ne peuvent être graciées que si les conventions internationales ratifiées par la France le prévoient. Par exemple, la grâce ne s'applique pas aux condamnations prononcées par les juridic­tions andorranes.

b) Règles particulières aux détenus En ce qui concerne les condamnés détenus, l'exclusion au

titre d'une condamnation s'étend aux autres condamnations portées également à l'écrou à la date du 7 juillet 1992. Ainsi, le condamné purgeant plusieurs peines ne bénéficiera d'aucune remise s'il est privé de la grâce pour l'une de ces peines.

L'exclusion joue aussi en cas de confusion de la peine prononcée pour une infraction mentionnée à l'article 2 avec une autre peine, qu'il s'agisse de la peine absorbante ou de la peine absorbée. Il en est de même lorsque la peine exclue a déjà été purgée mais fait partie de l'ensemble des peines portées à l'écrou à la date du 7 juillet 1992. Si la peine considérée n'a pas encore été ramenée à exécution, l'exclusion ne portera toutefois que sur cette peine.

Sont également exclus du bénéfice de la remise les détenus en état d'évasion à la date d'entrée en vigueur du décret. En revanche, il n'en va pas de même pour les condamnations du chef d'évasion, qui peuvent bénéficier de la grâce.

Les condamnés à une peine perpétuelle non commuée ne

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ANNEXES 199

peuvent faire l'objet d'aucune remise, même s'ils ont été condamnés, par ailleurs, à des peines temporaires.

Il - CALCUL DE LA REMISE

1. Condamnés détenus à la date du 7 juillet 1992 (art. 1)

Les condamnés sous écrou au 7 juillet 1992 à 24 h 00 pour l'exécution d'une ou plusieurs peines temporaires privatives de liberté bénéficient, sauf exclusion prévue par l'article 2 du décret, d'une remise gracieuse égale à 10 jours ou à un multiple de 10 jours.

* Il en résulte qu'en cas de pluralité de peines, le montant de la remise est calculé globalement sur l'ensemble des peines.

·~ Comme pour le précédent décret de grâces collectives, la remise est calculée non pas d'après la durée de la peine ou des peines prononcées mais en fonction de la durée globale de détention restant à subir au titre del'ensemble des condamna­tions portées à l'écrou dans les conditions évoquées ci-dessus. Les libérations intervenant au titre de ce décret seront ainsi échelonnées dans le temps, ce qui permet de mieux préparer la sortie de ceux qui en bénéficieront tout en limitant l'encombre­ment des comités de probation et des structures d'accueil.

* Cette remise est de 10 jours par mois ou fraction de mois restant à exécuter, dans la limite de 6 mois de grâce au maximum (le tableau figurant en annexe 1 indique le quantum de la remise correspondant à chaque situation).

>:· Pour l'application du présent décret, qui prévoit une remise pouvant correspondre à 30 jours ou à un multiple de 30 jours, il conviendra de suivre les règles ci-après :

- la remise sera calculée de date à date lorsqu'elle atteindra une durée égale à 30 jours ou à un multiple de 30 jours (le reliquat éventuel étant, bien entendu, compté en jours) ;

- de même, les mois entiers de détention restant à subir seront comptés de date à date, et non par tranches de 30 jours.

* Le reliquat de détention s'apprécie dans tous les cas à la date du 8 juillet 1992 (à 00 heures), y compris pour les condamnations qui ne deviendraient exécutoires qu'ultérieure­ment (cf. 3.).

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200 LES GRÂCES DE DIEU

Pour tout examen ultérieur de la situation du condamné, le montant de la grâce ainsi calculé demeure acquis.

Ainsi, aucune réduction de peine accordée par le Juge de l'Application des Peines après le 7 juillet 1992 ne doit venir réduire le reliquat de détention servant de base de calcul à la . . remise gracieuse.

Inversement, les fractions de peine remises par l'effet du décret de grâces ne doivent pas être incluses dans la durée d'incarcération sur laquelle seront calculées les réductions de peine accordées après le 7 juillet 1992.

En ce qui concerne les condamnés bénéficiant d'une suspen­sion ou d'un fractionnement de peine, le reliquat à prendre en compte est celui de la détention restant effectivement à subir à la date du décret. Il n'y a donc pas lieu de prendre en considération la date à laquelle le condamné aura fini de purger la totalité de sa peine, ni la date initiale de fin de peine, ces dates n'étant pas en elles-mêmes significatives si l'exécution de la peine est ou doit être interrompue.

La grâce ne s'appliquant pas aux condamnations assorties du sursis (simple ou avec mise à l'épreuve), seule la partie ferme est à prendre en considération en cas de peine mixte.

* Bien qu'elle soit définie en fonction d'une durée globale de détention restant à subir, la remise doit être imputée sur une peine déterminée.

A cet égard il conviendra, lorsque plusieurs peines figurent à l'écrou, d'appliquer les règles suivantes :

La remise sera réputée s'imputer sur la peine la plus longue non purgée, quelle qu'en soit la nature.

Dans le cas où la remise excédera la durée de cette peine, elle s'imputera, pour le surplus, sur la peine non purgée ayant la durée immédiatement inférieure et ainsi de suite jusqu'à épuisement du montant de la remise.

Chaque fois que l'on sera en présence de plusieurs peines d'une durée égale, la remise s'imputera sur la dernière portée à l'écrou et, si le quantum de celle-ci est inférieur au quantum de la remise, sur la peine précédente pour le reliquat, etc ...

La fiche pénale devra préciser sur quelle(s) peine(s) la grâce est imputée et le quantum de la ou des remises correspondantes.

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ANNEXES 201

* Le décret de grâces prenant effet le 8 juillet 1992, les libérations ne pourront intervenir qu'à partir de cette date.

2. Condamnés dont les peines n'ont pas été ramenées à exécution (art. 3.).

Une remise de 3 mois est accordée, sous réserve des exclusions mentionnées à l'article 3 alinéa 2 du décret, sur toute peine temporaire privative de liberté prononcée mais non ramenée à exécution à la date du 7 juillet 1992.

Pour ces condamnations, la grâce opère peine par peine.

Ill - DILIGENCES PARTICULIÈRES

a) Diligences incombant au ministère public près la juridic­tion qui a prononcé la peine :

La remise de peine accordée sera mentionnée sur les extraits de jugement ou d'arrêt non encore diffusés. Dans la mesure où les extraits diffusés avant l'application de la présente circulaire n'auront pas été mis à jour, il conviendra de vérifier, lors de la mise à exécution ultérieure d'extraits ne portant pas mention de la grâce, si les conditions de la remise sont remplies et, dans l'affirmative, d'en tirer toutes conséquences.

Toutes les mentions utiles seront portées sur les registres de grâce et d'exécution des peines.

Pour les peines non ramenées à exécution le 7 juillet, le par­quet avisera le magistrat chargé du Casier Judiciaire National ou, le cas échéant, le greffier en chef compétent. Quant aux peines déjà ramenées à exécution le 7 juillet, il n'est pas nécessaire que le parquet établisse un avis au casier judiciaire, dès lors que la mention de la grâce figurera sur la fiche d'exécution de peine informant le casier judiciaire de la date de fin de peine.

En ce qui concerne les détenus, les parquets feront toute diligence pour que les déclarations d'appel non enregistrées à l'établissement soient communiquées sans délai au greffe péni­tentiaire.

Il y aura lieu de référer à la Chancellerie (bureau des Grâces et de l'application des peines) de tout problème suscité par l'application de la grâce. Au cas où le condamné prendrait

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202 LES GRÂCES DE DIEU

l'initiative de saisir la juridiction d'une requête en difficulté d'exécution, copie de la décision rendue devra être adressée au même serv1ce.

b) Diligences incombant aux chefs d'établissement Le mode de calcul du quantum de la remise retenu par

l'article 1er du décret permet une libération échelonnée des détenus concernés.

Ainsi, la grâce aura-t-elle pour effet l'élargissement immédiat, sous réserve de contrainte par corps, de condamnés n'ayant plus à subir, au 8 juillet 1992, qu'une durée de détention de 10 jours au maximum ; elle entraînera, le lendemain, la levée de l'écrou de détenus dont le reliquat de peine est de 11 jours, le surlendemain ceux dont le reliquat est de 12 jours, etc ...

J'appelle donc particulièrement votre attention sur la néces­sité d'examiner d'urgence la situation des détenus libérables dans les prochaines semaines et, tout spécialement, de ceux dont la fin de peine devait intervenir avant le 19 juillet 1992, et qui deviendraient donc libérales dès le 8 juillet 1992.

Les services des étrangers des préfectures devront être informés, dans les plus brefs délais de la date d'élargissement prévisible de tous les condamnés étrangers et notamment de ceux faisant l'objet d'un arrêté d'expulsion parvenu à l'établis­sement, d'une interdiction àu territoire français ou d'une décision de reconduite à la frontière.

Il y aura lieu également d'informer sans délai l'autorité militaire de la date d'élargissement des détenus qui en relèvent.

Par ailleurs, lors de l'envoi au casier judiciaire national ou, le cas échéant, au greffier en chef compétent (DOM-TOM) des fiches d'exécution des peines destinées à l'informer des dates de fin de peine, ces documents devront mentionner expressément la grâce intervenue en indiquant précisément sur quelle(s) peine(s) porte la remise et le(s) montant(s) de remise correspon­dant(s).

Enfin, lors de la réception ultérieure d'extraits non portés à l'écrou le 7 juillet 1992 et ne mentionnant pas la grâce, le greffe pénitentiaire devra vérifier avec une attention particulière si les conditions du décret de grâce sont réunies. (Voir a/ : Diligences incombant au ministère public).

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ANNEXES 203

c) Dispositif de préparation de la sortie et de l'accueil des détenus libérés - Diligences incombant aux services socio­éducatifs des établissements et des CP AL.

L'intervention du présent décret nécessite que soit réactivé le dispositif propre à répondre aux problèmes spécifiques posés par la libération d'un nombre accru de détenus, dans les jours suivant la date de prise d'effet de la mesure.

Aussi, afin de fournir toutes précisions utiles sur la situation des détenus susceptibles d'être élargis, les chefs d'établissement devront, dès à présent, effectuer un recensement des sortants de prison sur la base des critères retenus par le décret de grâce.

A cet égard les greffes procéderont à un travail préliminaire de repérage des dossiers des détenus libérables, au vu des situations pénales qui devront faire l'objet d'un examen attentif. De même, devront être vérifiés l'état du compte nominatif de chaque condamné concerné et ses éventuelles pièces d'identité.

Les résultats du recensement ainsi effectué devront être transmis notamment aux services socio-éducatifs afin de leur permettre d'ajuster les prises en charge des détenus concernés aux perspectives de leur sortie anticipée. De telles dispositions permettront en particulier au service médical de définir un protocole de soins avec les futurs sortants intégrant les informations utiles à leur suivi à l'extérieur.

Par ailleurs, les services socio-éducatifs s'emploieront à préci­ser aux détenus libérés qu'en cas de nécessité ils devront s'adres­ser non au comité de probation le plus proche de l'établisse­ment mais à celui du lieu où ils entendent fixer leur résidence.

Les services socio-éducatifs des établissements et les comités de probation devront, très rapidement, prendre tous contacts nécessaires avec les divers partenaires extérieurs concernés (préfectures, DDASS, ANPE, ASSEDIC, structures d'héber­gement, de formation, associations, secteur caritatif, etc ... ).

Un soin particulier devra être apporté à l'application du dispositif sur le RMI, de nombreux sortants de prison remplis­sant les conditions prévues pour en bénéficier.

Par ailleurs, concernant les étrangers frappés d'une mesure d'éloignement du territoire, il est indispensable que les services socio-éducatifs transmettent aux préfets les éléments circons-

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204 LES GRÂCES DE DIEU

tanciés de nature à permettre à ces derniers d'apprécier les mesures à prendre.

Afin de mieux faire face à la charge de travail occasionné, il convient d'étudier la possibilité, en fonction des réalités locales, d'associer les personnels sociaux du milieu fermé et du milieu ouvert à l'ensemble de l'opération.

L'expérience des précédentes mesures de grâce a montré la nécessité de mettre en place une aide de nature à permettre aux sortants de prison de subvenir à leurs besoins immédiats. Cette aide, qui ne doit pas avoir de caractère systématique, devra être calculée en tenant compte des ressources financières dont le sortant de prison dispose (cf. compte nominatif) ou est susceptible de disposer à bref délai (cf. l'allocation d'insertion, le RMI, l'accès prévu, dès la sortie, à un stage de formation ou à un emploi ... ).

Vous veillerez, dès à présent, à constituer les dossiers nécessaires pour que l'accès des sortants aux différentes for­mules d'aide sociale ou d'aide à l'insertion s'effectue dans des délais rapides.

Enfin, dans le cas où une aide de subsistance devrait être versée, celle-ci pourra prendre la forme soit d'une prestation en nature, soit d'un secours financier en application des disposi­tions des articles D 575, D 576 et D 544 du Code de procédure pénale.

P /Le Directeur de l'Administration Pénitentiaire

et Par délégation L'Adjoint du Directeur

de l'Administration Pénitentiaire

Bernard DEBRY

Pour LE GARDE DES SCEAUX,

MINISTRE DE LA JUSTICE

et par délégation

Le Directeur des affaires criminelles et des grâces

Franck TERRIER

Poûr information : Mesdames et Messieurs les Premiers Présidents des Cours d'Appel et Présidents des Tribunaux de grande instance

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ANNEXES 205

ANNEXE 1

Quantum de la remise en fonction de la date de fin de peine

Date de la fin de la ou des peines Remise de peine des personnes détenues le 7 juillet 1992 au titre du décret et dont les peines sont exécutoires

de grâce au plus tard le 18 juillet 1992

Autant de jours de remise

9 juillet 1992 au 17 juillet 1992 que de jours 1

restant à subir au 8 juillet 1992

18 juillet 1992 au 8août 1992 10 jours 1

9août 1992 au 8 septembre 1992 20 jours 1

9 septembre 1992 au 8 octobre 1992 1 mois 9octobre 1992 au 8 novembre 1992 1 mois et 10 jours 9 novembre 1992 au 8 décembre 1992 1 mois et 20 jours 9décembre 1992 au 8 janvier 1993 2 mois 9 janvier 1993 au 8 février 1993 2 mois et 10 jours 9 février 1993 au 8mars 1993 2 mois et 20 jours 9mars 1993 au 8 avril 1993 3 mois 9 avril 1993 au 8mai 1993 3 mois et 10 jours 9mai 1993 au 8 juin 1993 3 mois et 20 jours 9juin 1993 au 8 juillet 1993 4 mois 9 juillet 1993 au 8 août 1993 4 mois et 10 jours 9 août 1993 au 8 septembre 1993 4 mois et 20 jours 9 septembre 1993 au 8 octobre 1993 5 mois 9 octobre 1993 au 8 novembre 1993 5 mois et 10 jours 9 novembre 1993 au 8 décembre 1993 5 mois et 20 jours au-delà du 8 décembre 1993 6 mois

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206 LES GRÂCES DE DIEU

ANNEXE 2

Exemples:

1. - Une condamnation à 6 mois d'emprisonnement, deve­nue définitive en mars 1992 est ramenée à exécution le 8 avril 1992, date de l'écrou. La grâce collective s'applique au reliquat de 3 mois restant à subir au 8 juillet 1992 (art. 1er alinéa 1 ). La remise est de 10 jours x 3 = 1 mois.

2. - La même condamnation a été ramenée à exécution le 29 mai 1992. Le reliquat à subir au 8 juillet est de 4 mois et 22 jours. La remise est de 10 jours x 5 = 1 mois et 20 jours.

3. - La même condamnation est ramenée à exécution le 8 juillet 1992 ou postérieurement : l'article 1er ne s'ap­plique pas, mais le condamné bénéficie de la remise de 3 mois prévue par l'article 3.

4. - Un détenu provisoire est condamné par le Tribunal Correctionnelle 23 juin 1992 à 1 an d'emprisonnement avec maintien en détention. Aucun recours n'est exercé par le condamné ni par le Parquet. La peine devient donc exécutoire le 4 juillet 1992, soit avant le 8 juillet. L'article 1er alinéa 1 du décret de grâces collectives s'applique (10 jours par mois ou fraction de mois restant à subir).

5. - La même condamnation intervient le 7 juillet 1992. Aucun recours n'est davantage exercé. La peine, prononcée avant le 8 juillet devient exécutoire le 18 juillet 1992, c'est-à-dire après le 7 juillet mais avant le 19 juillet. L'article 1er alinéa 2 s'applique (10 jours par mois ou fraction de mois restant à subir).

6. - La même condamnation est prononcée le 8 juillet 1992,

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ANNEXES 207

soit après le 7 juillet : la grâce collective ne s'applique pas.

7. - Un détenu provisoire est condamné le 8 juillet 1992 par une Cour d'Appel à 1 an d'emprisonnement, avec maintien en détention. Aucun pourvoi en cassation n'est formé. La peine sera exécutoire avant le 19 juillet mais la condamnation a été prononcée après le 7 juillet. La grâce collective ne s'applique pas.

8. - Une condamnation à 4 mois d'emprisonnement est prononcée par le Tribunal Correctionnel le 7 juillet 1992. Elle devient exécutoire le 18 juillet 1992 et est ramenée à exécution le 20 juillet 1992. L'article 3 du décret de grâces collectives s'applique. La remise est de 3 mois. Le reliquat à subir est d'un mots.

9. - La même condamnation est prononcée le 8 juillet 1992. La grâce collective ne s'applique pas.

10. - Une condamnation à 8 mois d'emprisonnement est prononcée par une Cour d'Appelle 7 juillet 1992. Aucun pourvoi en cassation n'est formé. La peine sera exécutoire avant le 19 JUillet 1992. Elle n'est ramenée à exécution que le 27 juillet 1992. L'article 3 du décret de grâces collectives s'applique. La remise est de 3 mois.

11. - La même condamnation est prononcée le 8 juillet 1992. La grâce collective ne s'applique pas.

12. - Une condamnation à 6 mois d'emprisonnement deve­nue définitive en mars 1992 est ramenée à exécution le 8 avril 1992, date de l'écrou (cf. exemple 1 ). La grâce collective s'applique au reliquat de 3 mots restant à subir au 8 juillet 1992 (art. 1er). La remise est de 10 jours x 3 = 1 mois. Le même condamné, inculpé libre, dans une autre affaire, est condamné par ailleurs le 7 juillet 1992 par le Tribunal Correctionnel à 4 mois d'emprisonnement. Aucun recours n'est exercé. Il bénéficie en outre d'une remise de 3 mois sur cette dernière condamnation (art. 3).

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MINISTÈRE

DE LA JUSTICE

LES GRÂCES DE DIEU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

DÉCRET DE GRÂCES COLLECTIVES

Le Président de la République ; Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ; Vu l'ordonnance n° 58-1271 du 22 décembre 1958 portant loi

organique sur le Conseil supérieur de la magistrature ;

DÉCRÈTE

ARTICLE 1er. - Les condamnés détenus à la date du 7 juillet 1992 en exécution d'une ou plusieurs peines privatives de liberté à temps bénéficient :

- d'une remise gracieuse de dix jours lorsque la durée de la détention restant à subir n'excède pas un mois;

- dans les autres cas, d'une remise gracieuse de dix jours par mois de détention restant à subir, augmentée, le cas échéant, de dix jours pour la part supplémentaire inférieure à un mois, sans que la durée totale de la remise puisse excéder six mois.

Les dispositions de l'alinéa qui précède sont également applicables aux personnes condamnées au plus tard le 7 juillet 1992 et détenues à cette même date en vertu d'une décision de placement ou de maintien en détention prononcée par la juridiction de jugement, sous réserve que la peine devienne exécutoire avant le 19 juillet 1992.

ARTICLE 2. - Sont exclus du bénéfice de l'article 1er les condamnés détenus pour l'exécution d'une ou plusieurs peines dont l'une au moins a été prononcée pour :

- toute infraction entrant dans le champ d'application de l'article 706-16 du code de procédure pénale, même lorsque les faits sont antérieurs à l'entrée en vigueur de la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme ;

- toute infraction prévue au chapitre 1er du titre II du code

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ANNEXES 209

pénal et qualifiée crime, lorsqu'elle a été commise sur la personne d'un mineur de moins de quinze ans.

Sont également exclus du bénéfice de l'article 1er les détenus en état d'évasion.

ARTICLE 3. - Les personnes condamnées au plus tard le 7 juillet 1992 à une peine temporaire privative de liberté non ramenée à exécution à cette même date, hors le cas prévu par le deuxième alinéa de l'article 1er, bénéficient d'une remise gracieuse de trois mois sous réserve que la peine soit devenue exécutoire avant le 19 juillet 1992.

Toutefois, la remise gracieuse ne s'applique pas aux peines prononcées pour les infractions mentionnées au premier alinéa de l'article 2 du présent décret.

ARTICLE 4. - Le garde des sceaux, ministre de la justice, et le ministre de la défense sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent décret qui prendra effet le 8 juillet 1992.

Fait à PARIS, le 2 juillet 1992

Par le Président de la République :

Le garde des Sceaux, Ministre de la Justice

Michel V A UZELLE

François MITTERRAND

Le Premier Ministre Pierre BÉRÉGOVOY

Le ministre de la Défense Pierre JoxE

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TABLE

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Préambule ......................... 9

I. La grâce et quelques choses que je sais d'elle 11

II. Le ministre etla grâce . . . . . . . . . . . . . . 37

III. Luc Tangorre, innocent à tout prix ...... 49

IV. Les affaires Knobelspiess ............ 67

V. La bande à Zolhutaire .............. 85

VI. Sur quelques grâces individuelles ....... 111

VII. Les hommes- et les femmes- de main . . 127

VIII. Du bon usage des grâces collectives. . . . . . 141

Conclusion. Le dernier coup de grâce. . . . . . . . . 161

Annexes 1. Le statut de l'épouse du président de la

République. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175 2. Un exemple de fonctionnement des

réseaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177 3. Knobelspiess et l'Élysée. . . . . . . . . . . . 179 4. Appel de Vidal-Naquet en faveur de Tan-

gorre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183 5. Extrait de la circulaire d'application de la

loi 91.1383 du 31 décembre 1991 . . . . . . 189 6. Les grâces collectives. . . . . . . . . . . . . 193

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La composition de cet ouvrage a été réalisée par l'Imprimerie BUSSIÈRE, l'impression et le brochage ont été effectués sur presse CAMERON dans les ateliers de B. C.A., à Saint-Amand-Montrond (Cher), pour le compte des tditions Albin Michel.

Achevé d'imprimer en août 1993. N• d'édition: 13095. N• d'impression: 1243-93/288. Dépôt légal: septembre 1993.

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• • .......

lES GRACES DE DIEU Le président de la République dispose en

matière de grâce de pouvoirs discrétionnaires supérieurs à ceux dont bénéficiaient les monar­ques sous l'Ancien Régime. Il peut, sans avoir à s'en expliquer, sans même que sa décision soit rendue publique, faire pencher dans un sens ou dans l'autre la balance de la justice, effacer une peine, de quelque nature qu'elle soit.

Depuis 1981, cette pratique a pris une ampleur encore inconnue, permettant de libérer des milliers de détenus, mais aussi de régler un certain nombre de situations personnelles, qu'il s'agisse de l'incarcération de la jeune milliardaire Christina von Opel ou des amendes impayées d'Harlem Désir, sans oublier le sort de Luc Tangorre, de Knobelspiess, du frère de Jack Lang et de quelques membres du Parti socialiste en difficulté.

Juge d'instruction aux Sables-d'Olonne, auteur chez Albin Michel des Fossoyeurs de la justice et des Fossoyeurs de la police, Didier Gallot a entrepris d'explorer cette étonnante dérive, d'en com­prendre les origines et d'en décoder les filières.

Une enquête inédite au cœur des plus obscures manipulations politico-judiciaires.

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ISBN 2-226-06493-1

89,00FTTC

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