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    AURORES BORALES ET AUTRES SURPRISES

    Mon ovni au Groenland

    "Terre verte", telle est la signification du mot Groenland. Mais le Groenland est une terre blanche neuf mois sur douze.

    Tous les repres se brouillent dans cette immensit peine peuple. Reste une beaut couper le souffle.

    Le barman thalandais improvise une danse endiable au son nasillard d'un tube thalandais ringard. Il jongle avec les

    bouteilles et, d'une main experte, verse dans un grand verre Kahlua, Grand Marnier, Sambuca, caf et crme. Entre deux

    lancers de bouteille, il me raconte qu'il a remport les championnats de barmen en Thalande.

    A l'extrieur, la temprature est brusquement tombe - 20 C, il gle pierre fendre. Les montagnes montent la garde,

    sentinelles fantomatiques se dtachant sous le clair de lune, et les flammches lumineuses de l'aurore borale dansent dans

    la nuit arctique. Une paisse couche de neige et de glace recouvre la ville. Bienvenue Nuuk, la capitale du Groenland.

    Au Groenland, on peut s'attendre tout. Les assemblages les plus htroclites ne manquent pas. Dans un pays de la taille de

    l'Europe occidentale, avec une population de seulement 55 000 habitants, le sentiment d'espace vous saisit chaque instant.

    Pourtant, de grands ensembles hideux dfigurent le centre de Nuuk. Les anciennes traditions - 30 % de la population vit de la

    chasse - cohabitent avec des infrastructures de type europen (jusqu'en 1979, le Groenland tait une province du

    Danemark). Le Groenland (en danois, "terre verte") porte bien mal son nom : neuf mois par an, le pays est d'un blanc glac.

    Mais les tempratures largement au-dessous de zro n'empchent pas les enfants de manger des glaces, ni les gens

    d'tendre l'extrieur leur linge frachement lav, morceaux de cartons rigides battant au vent, pour les faire scher ou

    plutt solidifier. J'ai constamment l'impression d'tre sur une autre plante. Depuis trois jours Nuuk, j'ai pu admirer la

    beaut strile du fjord des alentours et les montagnes dominant le village d'Ukkusissat. J'ai jou au foot sur la glace avec les

    gamins du coin et vu au muse national les momies du XVe sicle retrouves Qilakitsoq. J'ai vu aussi les dpouilles

    sanglantes des rnes et des phoques sur les tals du march des chasseurs. J'ai particip un concours de harpon (sur des

    cibles en plastique, bien sr) et dfendu l'honneur de la Grande-Bretagne en arrivant en finale. Mais, ma grande dception,

    personne ne m'a mis la main aux fesses.

    Au Tulles Rock, un bar branch, Steve, un touriste canadien, m'avait lanc tout excit : "Je suis entr dans le bar, elle s'est

    penche et m'a mis la main au cul." Un autochtone m'a confirm que c'tait une pratique courante : ici, les femmes aiment

    pincer les fesses des hommes. Ds lors, c'est minable, j'en conviens, j'ai pass chaque instant essayer de mettre au point

    une dmarche flatteuse pour mon postrieur. Mais je n'ai russi qu' m'attirer des regards moqueurs.

    Pathtique. J'ai ensuite quitt Nuuk par le dernier bateau, cap vers le nord et l'ancienne ville baleinire de Sisimiut, vingt

    heures de voyage. Grs par la compagnie maritime Arctic Umiaq Line, ces bateaux font la navette toute l'anne le long des

    ctes occidentales du Groenland et sont un moyen bon march et confortable d'explorer l'une des ctes les plus

    spectaculaires au monde. Bien au chaud dans ma cabine propre et tout confort, j'ai pass une excellente nuit de sommeil,

    berc par le roulis. A mon rveil, le ciel tait d'un bleu d'azur et la mer recouverte d'une pellicule de minuscules icebergs qui

    flottaient perte de vue. La cte offrait un panorama sublime : montagnes aux artes acres recouvertes d'un pais

    manteau de neige.

    J'arrive Sisimiut alors que les derniers rayons du soleil vespral irradient les montagnes d'un clat dor. Poursuivi par

    l'angoissante litanie des hurlements des chiens, je me rends au Sisimiut Hotel. Sisimiut est la capitale des chiens de traneau

    du Groenland, et, apparemment, chaque foyer possde sa propre meute qui monte la garde l'extrieur. Cette nuit-l, avec

    l'aurore borale, les hurlements des chiens se transforment en grognements hargneux... vous glacer le sang.

    Le lendemain matin, le temps est superbe, hormis quelques rafales de vent et un thermomtre qui affiche - 15 C. Je pars

    alors la rencontre de mon guide de chiens de traneau, Poul, un Groenlandais pure souche. Nous nous sommes donn

    rendez-vous au beau milieu d'un lac gel. Il prpare sa meute de chiens grognant et montrant les dents l'aide de coups de

    pied bien placs et de vocifrations tonitruantes. Ces btes froces n'ont rien d'animaux de compagnie, et mieux vaut

    s'abstenir de toute caresse affectueuse. Je demande Poul depuis combien de temps on utilise les chiens et les traneaux au

    Groenland. "Nous sommes arrivs d'Asie centrale en traneau, me rpond-il, il y a environ cinq mille ans." Il hurle un dernier

    ordre aux chiens, et nous dmarrons en trombe, dvalant tombeau ouvert les chemins sillonns d'ornires et les pentes

    vertigineuses.

    Aprs avoir travers d'tourdissantes valles compltement verglaces, nous atteignons le fjord glac de Kangerluarsuk, et le

    paysage qui s'offre nous est - les mots me manquent - tout bonnement hallucinant. Des montagnes et des lacs s'tendent

    l'infini, et je ne peux que ressentir un sentiment d'angoisse face cette nature sauvage et envotante.

    Nous arrivons au Sisimiut Hotel juste avant la tombe de la nuit. Cette nuit-l, le blizzard fait rage et je ne suis pas mcontent

  • Mon ovni au Groenland

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    d'avoir le chauffage central. Au matin, le ciel est de nouveau dgag. Je dois partir pour une excursion de deux jours

    raquettes travers les montagnes avec Morten, un Danois install Sisimiut depuis deux ans, qui a mont une entreprise

    proposant des circuits "aventure". La premire tape, la traverse d'une baie compltement gele, est terrifiante. La glace se

    soulve sous les pousses de la mer, et le craquement des plaques de glace rsonne encore mes oreilles. "Si la glace rompt,

    tu es fini", me rassure Morten. A peine remis de mes frayeurs, je dois le suivre dans l'ascension d'une source gele ; nous

    avons de la neige jusqu'aux genoux. Trois heures plus tard, nous arrivons sur un plateau dominant des paysages tout droit

    sortis des romans de Tolkien. Je suis mu aux larmes : je n'aurais jamais imagin qu'un endroit d'une beaut aussi

    spectaculaire puisse exister ailleurs que dans les rves. Encore sous le coup de l'motion, je poursuis mon escalade avec

    difficult vers notre destination : une cabane de chasseur perdue dans les montagnes.

    Pass la dernire crte, nous apercevons la cabane. Rien ne m'avait prpar cela. Je reste sans voix. "On l'appelle l''ovni'",

    me dit Morten avec un large sourire. Dans les profondeurs de cette nature sauvage et d'une beaut couper le souffle se

    trouve une soucoupe volante digne d'un film de srie B des annes 50, une capsule en forme d'ellipse juche sur de maigres

    jambes mtalliques. Difficile d'imaginer une scne plus surraliste.

    Aprs que nous nous sommes installs pour la nuit dans le ventre chaud de l'"ovni", je m'aventure au-dehors pour prendre

    un peu l'air. Je contemple alors l'horizon, les nuages qui ondulent au-dessus des montagnes, l'aurore borale et les toiles

    scintillant dans la nuit. Pivotant sur moi-mme, je pose de nouveau mon regard sur l'ovni, puis retourne dans cette trange

    capsule en mtal et tombe dans un profond sommeil.

    Je suis rveill par le vrombissement des autoneiges venues nous chercher et, avant d'avoir pu merger de ma torpeur, je

    suis de retour la civilisation et au Sisimiut Hotel.

    Ce soir-l, lors de ma dernire soire dans ce pays, pendant le gueuleton o nous sont servis le meilleur crabe groenlandais

    et la meilleure viande de renne de l'htel, je rprime un fou rire en me remmorant mon voyage dans ce pays la fois bizarre

    et magnifique. A l'extrieur, les chiens et les vents arctiques hurlent de concert. Au Groenland la vie normale n'a pas cours, et

    en rentrant au pays j'aurai l'impression de me retrouver sur une autre plante.

    Andrew Spooner