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Frédéric FABRI Cycle Beta - Collection Romans / Nouvelles - Retrouvez cette oeuvre et beaucoup d'autres sur http://www.inlibroveritas.net

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Frédéric FABRI

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- Collection Romans / Nouvelles -

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Table des matièresCycle Beta....................................................................................................1

Préface.................................................................................................2Avertissement de l'auteur.....................................................................4Débarquement sur B-112.....................................................................7Évasion..............................................................................................14Unis....................................................................................................18Nouvelle vie.......................................................................................28Alsyen s'implique..............................................................................34Cérémonie de baptême......................................................................40Leçon de dressage..............................................................................44Progrès et découvertes.......................................................................47Drill intensif.......................................................................................56Visite des entrepôts............................................................................62Simulation globale.............................................................................68Revue de chambrée............................................................................84Le vétéran..........................................................................................87B-006 : Accident dans la jungle........................................................96B-006 : Planète tout risque..............................................................110B-006 : Expériences douloureuses..................................................121B-006 : Recueillement.....................................................................129B-006 : Sortie nocturne....................................................................135Déparasitage....................................................................................146B-069 : Bordée dans l'espace...........................................................153Déchirements...................................................................................174.........................................................................................................179

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Cycle Beta

Auteur : Frédéric FABRICatégorie : Romans / Nouvelles

L'expansion humaine suit la mise en place d'un réseau de transmetteurs dematière disposés en toile, dont le centre est le niveau alpha.Alpha Prime désigne la Terre.

Les Forces de Colonisation Planétaire ont pour vocation de protéger lescolons lors de leur installation dans les systèmes solaires. Elles ont aussi lalourde tache d'être l'ambassadrice de la Terre lors de la rencontre avec uneintelligence extra-terrestre.

Si la rencontre est inéluctable, elle n'a pas encore eu lieu. Chaque systèmeplanétaire dispose pour sa protection d'un croiseur. Un vaisseau école dansle Cercle Bêta, depuis son orbite autour de Bêta 112, envoie ses jeunesrecrues se dégourdir les jambes sur la terre ferme...

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Préface

Je ne connaissais Frédéric que sous un avatar virtuel jusqu'au jour où ilm'a demandé de préfacer son premier roman. Ému, j'ai commencé à lirepour me faire une idée. J'avais peur de retomber dans la collection FleuveNoir que je lisais en cachette durant mon adolescence. Je me disais, « Bon,encore un qui va nous téléporter sur des rayons verts et autres trucs paspossibles. » Et je me suis trompé. J'ai rapidement été conquis par l'histoire qui,même si elle recèle de profonds termes et descriptions techniquesincompréhensibles à un non-scientifique, m'a scotché à plusieurs points devue. Je connaissais l'ouverture d'esprit, la franchise et les engagements deFrédéric, j ' ignorais son côté conteur de belles histoires. Je n'aipratiquement pas quitté Alsyen, cette petite bête que vous allez découvriret qui donne à l'auteur ce détachement indispensable au bon déroulementde l'histoire. Le caractère humain et parfois bestial de l'histoire ne vous échapperapas. Même si j'ai regretté à quelques moments que Frédéric ne se lâche pasun peu plus, j'ai découvert une aventure qui m'a tenu en haleine jusqu'aubout et dont je n'ai qu'un mot pour la résumer : à quand la suite ? Merci Frédéric de tes mots qui m'ont allumé, parfois subjugué, souventdistrait de ce monde que je croyais sans vie. Merci, Frédéric d'avoir pum'apporter ce rayon de soleil indispensable à la vie, merci Alsyen dem'avoir fait vivre d'heureux moments. Comment ? Vous n'avez pas encore commencé la lecture ? Qu'attendez-vous ?

Denis Nerincx

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Avertissement de l'auteur

Premier roman, premier tome d'une trilogie, ce « Cycle Bêta » décrit leparcours et la formation d'une jeune recrue des temps futurs. L'espècehumaine est alors en pleine expansion. La barrière de la vitesse de lalumière n'a pas été franchie. Aucune intelligence extra-terrestre n'a étérencontrée. Enfin presque… Les robots sont peu nombreux et spécialisés. Les ordinateurs permettentl'entraînement par la simulation. La vie des militaires est rustique, lesefforts sont aussi physiques.

Dans ce contexte, on peut dire que les progrès techniques ne sont pastrès nombreux. Il n'y a pas de produits miracle. Il n'y a pas une sociétéutopique. L'aventure reste humaine.

Mon passé de militaire m'a servi pour illustrer la vie quotidienne duhéros. L'exemple de certains de mes chefs aussi. Certains pourraientestimer que cette organisation militaire « idéale » est propagandiste. Desmilitaires pourraient nier certaines critiques ou pratiques brutales. Ils onttous raison. Les défauts mis en avant ont été empruntés à une vieilleexpérience. L'idéal mis en avant est le modèle qui était vanté à mon départde l'institution. Et le tout a subi les influences du roman et de l'adaptation àune société futuriste. De plus, la première partie de la formation a étéréalisée sur Terre avec des cadres qui ne savent plus ce que c'est que laguerre. Ils appliquent un « manuel » sans en comprendre le fond et avecennui car ils se répètent à chaque contingent. Dans l'espace, les recruessont prises en main par des gens d'expérience et qui sont du métier. Onpeut donc voir l'analogie que j'ai faite entre l'armée d'appelés d'avant 1998en France, (même la formation était assurée par des « intérimaires ») et

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l'armée professionnelle d'aujourd'hui, où le rôle de chaque individu compteet justifie une permanente recherche de l'excellence.

C'est aussi la description du passage de l'adolescent au stade adulte,comme du civil scolaire au soldat confirmé. Cette aventure profite dedifférents décors, de circonstances, d'un processus comme d'une évolutionintérieure. Ce qui ne rentre pas par les yeux et les oreilles passe par lespieds.

Alsyen n'est pas un simple faire-valoir qui se transforme en « Deus exmachina » dès que le besoin s'en fait sentir. Il est à la fois témoin et acteur.Par son œil étranger, et son histoire personnelle, il démontre que pour notresociété humaine, d'autres choix sont possibles et que nous sommes encorenous aussi des enfants dans l'évolution. Par son amitié avec Reno, ilfranchit les espaces interraciaux alors que nous n'avons pas encoreglobalement réussi à franchir l'espace entre deux religions ou deux ethniesau sein de notre propre espèce. Et pourtant, heureusement, notre« jeunesse » dans l'évolution a quelque chose à lui offrir, à lui, le jeuned'une société « mâture ». Enfin, mes personnages ne sont pas desphilosophes ni des êtres parfaits. Ils sont juste honnêtes, droits etrecherchent un but digne de leurs efforts. Mais ils sont aussi de chair et desang.

Les distances aussi sont « en taille réelle ». En interplanétaire, il fautcompter entre l'accélération et la décélération qui sont les phases les pluslongues. Au quart de la vitesse lumière, qui est « physiquement » la limiteatteinte, il faut vingt ans pour arriver sur Alpha du Centaure, et quandmême six ans pour l'atteindre sous forme dématérialisée. Cela symbolise ladistance entre la recrue et le monde qu'il a quitté, ainsi que ce que peuventconnaître les expatriés au bout du monde. La distance physique interdit lecontact et isole. Il se crée alors une distance temporelle, entre l'endroit oùon est qui évolue lentement sans qu'on s'en aperçoive après qu'on l'aitdécouvert, et l'endroit où on revient qui lui a changé d'un coup. La gestiondes distances a de tout temps été le souci des sociétés en expansion.

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Néanmoins, l'homme n'évolue pas vite et si les sociétés s'adaptent auxéléments ambiants, elles retombent vite dans les mêmes travers. Le lecteursera donc dépaysé sans être en territoire inconnu. Mon ambition n'a pas étéde concurrencer des films tels la saga « StarWars », mais de faire parfoisdes clins d'œil aux classiques de Jules Verne, auteur qui expliquaitscientifiquement ce qui n'existait pas encore, ou faisait du « journalisme »sur les territoires traversés en racontant l'histoire, les conditionsgéographiques, le système social… enfin, tout ce qui venait enrichir oucontrarier l'aventure personnelle des héros.

Car, ce roman se veut être plus une aventure qu'une histoire descience-fiction, qu'il s'agisse de défi personnel, d'obstacles à franchir,d'épreuves à surmonter ou d'objectif à atteindre…

Frédéric FABRI

P. S : je tiens ici à remercier Denis pour son soutien « technique » ainsique mes lecteurs « Bêta », en ligne comme sur papier, qui m'ont soutenumoralement lors de l'écriture et de la correction.

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Débarquement sur B-112

Le jeune homme qui posait le pied sur Bêta-112 ressentit une intensebouffée d'émotion teintée d'appréhension. C'était la première fois qu'ilfoulait le sol d'une autre planète que la sienne, Alpha Prime, autant dire LaTerre. Il était le dernier du groupe de soldats s'extrayant d'une navettemi-hélicoptère, mi-hydroglisseur utilisée pour débarquer des troupes enprovenance de leur vaisseau amiral, resté en orbite haute. L'espace était colonisé par « cercles » autour du système planétairecentral, codés selon l'alphabet grec, en hommage aux premiers astronomesutilisant des lettres et non des hiéroglyphes. La première expédition avaitquitté la terre trois cent ans auparavant, avec dans ses soutes unrégénérateur moléculaire. Elle avait atteint Pluton l'orbite servaitmaintenant de base de départ pour les expéditions. L'exploration spatiale utilisait deux principes complémentaires pour sonexpansion. Tout d'abord, un vaisseau classique partait avec à son bord unrégénérateur moléculaire. Il pouvait atteindre après une longue accélérationla vitesse de 0,21 fois la vitesse de la lumière, soit environ cinq fois moinsvite. Cela équivalait tout de même à six mille kilomètres par seconde ! Maisil fallait aussi songer à la longue décélération. Une fois arrivé à la destination voulue, le régénérateur moléculaire étaitinstallé. Les techniciens établissaient le « pont » avec le premierrégénérateur grâce à un rayon lumineux envoyé déjà quelques années plustôt et qui leur avait servi de fil guide durant le voyage. Une foisopérationnel, le « pont » permettait un voyage dans un état dématérialisébien plus rapide puisque proche de la vitesse de la lumière dès le départ etsans obligation de décélération.

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Pour un engin spatial, la vitesse de pointe n'était pas accessible dans leseul périmètre du système solaire. L'espèce humaine enfin unifiée avait planifié son expansion en commun.Pour commencer, elle avait utilisé un énorme vaisseau construit en orbiteterrestre pour atteindre Pluton et durant quarante ans y avait construit unebase devant servir de « grand échangeur inter-galactique », point depassage obligé pour tout départ vers les étoiles. Une fois le régénérateur moléculaire monté sur l'orbite de Pluton , unpont d'énergie avait pu être établi avec la station du Pôle Nord. Ce pont,sorte de tunnel d'informations énergie, permettait physiquement ladésintégration et la reconstitution d'organismes vivants, de matières brutesou de matériels sophistiqués. Le régénérateur pouvait servir, soit de pointd'arrivée, soit d'amplificateur pour relayer le flux au régénérateur suivant,bien au-delà. Le système très sophistiqué de redondance de l'informationpermettait la reconstitution parfaite d'un individu viable et le cerveaun'était pas affecté par des pertes de mémoire. Le flux, bien que composé de protons, se comportait comme un fluxlumineux sauf que sa vitesse n'excédait pas 0,91 fois la vitesse d'unelumière classique. La technologie pour maîtriser le boson restaitinaccessible et le proton était plus fiable que l'électron pour transmettrel'information. Pluton fut aussi colonisée pour servir l'expansion afin de fournirmatériaux et grosses pièces d'infrastructures, trop coûteuses en énergie àfaire venir de la Terre ou de Mars. L'expansion se plaçait dans la durée.Les solutions retenues devaient être pérennes et non servir une causeéphémère. Une fois la base au sol construite, un autre régénérateur avaitdonc été installé sur Pluton afin de recevoir directement les hommes et dumatériel. C'était donc des centaines de milliers d'ouvriers et des millions detonnes de matériel qui avaient permis de rendre Pluton viable, etd'exploiter ses gisements de minerais Ce régénérateur pouvait aussi servir de régénérateur de secours, mais dans les faits il fournissait l'orbite de Pluton en pièces locales. Ce « trio » de régénérateur moléculaire permit de mettre au point lefonctionnement et la doctrine d'emploi d'un régénérateur dans le cadre desmissions au long cours.

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Un régénérateur moléculaire se composait d'un ensemble fixe composéd'une extrémité émettrice fixée sur un corps servant à la dématérialisationdes éléments à expédier, d'un second module servant à la rematérialisationet d'une extrémité réceptrice. Le flux émis était envoyé sur un miroir distant de plusieurs centaines dekilomètres chargé de le réfléchir dans la bonne direction. Il traversaitensuite l'espace pour rencontrer aux alentours de sa destination un autremiroir qui le dirigeait alors sur la partie arrière d'un autre régénérateurmoléculaire. Ce régénérateur pouvait alors, soit réexpédier le flux amplifiévers son miroir situé à l'avant pour être envoyé vers un régénérateur plusdistant, soit rematérialiser les éléments transportés par le flux. Chaque régénérateur pouvait se tester seul grâce à ses deux miroirs. Lesmiroirs eux se calaient avec un rayon lumineux à travers l'espace et letemps. En effet, la position relative des miroirs placés jusqu'à cinq annéeslumière de distance évoluait à chaque seconde de plusieurs centaines dekilomètres. Mais de façon régulière et de manière imperceptible au niveauangulaire. Les principes du voyage, bien compliqués, entre la dématérialisation, leflux lumineux, le guidage et le temps étaient sommairement expliqués auxvoyageurs avec des images de synthèse mais tous préféraient faireconfiance et en accepter l 'existence plutôt que de rechercher desexplications qui les auraient incités à prendre des vaisseaux spatiauxclassiques, mais bien moins rapides et qui surtout les laisseraient vieillirdurant le voyage. Les espaces interstellaires sont tellement vastes qu'il avait fallu quaranteans et quelque (un milliard de secondes) pour atteindre trois destinations(deux vaisseaux étaient considérés comme perdus) et bâtir le premiercercle Bêta à seulement 60000 milliards de kilomètres, soit 1,6 parsec ou4,9 années lumières. À l'issue de ces quarante années de difficile traversée pour l'équipagecloîtré et vieillissant parti fort heureusement avec des enfants, unrégénérateur avait été installé près de Proxima du Centaure. Sous la formed'un faisceau de protons, il ne fallait plus alors que cinq ans et demi à unvoyageur dématérialisé aux environs de Pluton pour être régénéré àl'identique sur ce qui allait devenir une station du second cercle ou Cercle

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Bêta. Pour communiquer avec la terre, les signaux lumineux ne mettaientque six mois de moins. Au moment où ce soldat posait le pied sur B-112, il y avait cinq cercles,correspondant à trois-cents années de voyages classiques consécutifs etpermettant à un terrien de parcourir les vingt-huit années lumières dedistance entre la terre et êta-prime, base la plus éloignée, en trente et un an. Vingt-neuf stations de régénérateur moléculaire opérationnelles avaientété déployées. Si des planètes avec des formes de vie avaient étédécouvertes, aucune intelligence, et encore moins de puissance galactiquen'avait été rencontrée. Autour de chaque base la colonisation s'établissait, afin de découvrir etd'exploiter les matières premières permettant la poursuite de l'exploration. Un corps militaire planétaire avait été créé pour protéger les colons dèsle début de leur implantation :la Force de Colonisation Planétaire ou FCP. Quelques membres partaient avec le vaisseau d'exploration, représentantdix pour cent des contingents coloniaux à la sortie des régénérateurs. Tous les jeunes engagés passaient par une station Bêta avant derejoindre les confins de l'univers connu. Le décalage temporel avec la terren'était que de cinq ans et demi en moyenne quand ils étaient régénérés.L'aller-retour durait donc onze ans. S'ils le désiraient, ou parce qu'ilsn'étaient pas certains de leur choix dans leur première année de formation,ils ne pouvaient retrouver leur famille que douze ans plus tard. À l'issue de cette année de formation (Quatre mois sur terre, huit moisdans la zone Bêta) ils obtenaient une affectation, déterminée par leur choixpersonnel, mais ensuite en fonction des besoins des FCP et de leurclassement, situées dans des systèmes plus ou moins proches. Partir pour lequatrième ou le cercle extérieur signifiait effectuer un voyage sans retour.Quel intérêt de revenir sur Terre soixante-deux ans plus tard au minimum ? Ce jeune garçon de dix-huit ans s'appelle Reno. Il a suivi quatre moisd'instruction en Sibérie pour apprendre les principes du combatd'infanterie. À bord du vaisseau station caserne il a appris la vie demarsouin de l'espace et son rôle d'adjoint fourrier. Aujourd'hui, il étudie ledéplacement en groupe de combat pour la première fois en situationinconnue sur une planète de type terrestre, où l'air est respirable. Bien bâti,il laisse une franche trace de botte taille quarante-deux sur le sol un peu

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spongieux de Bêta-112 parachevant ainsi le piétinement du reste dugroupe, suivant son chef qui ouvre la marche à travers la savane bleue. C'est un petit pas pour lui, mais il survient après de nombreusesavancées pour l'Homme.

* * *

Glyon et Alsyen se baignaient en toute tranquillité sur cette planète detype végétal. Il n'y avait pour eux aucun danger d'agression. L'analysetoxicologique de la mare avait révélé une eau quasi pure filtrée par lesroseaux, et aucun composant chimique ne présentait les caractéristiquesd'un poison potentiel. Leur vaisseau spatial de petite taille était camouflé par un écran de forcecylindrique qui restituait la lumière au coté opposé de sa réception ce quirendait l'espace protégé invisible. Il était aussi impossible de traverser cetécran. Il arrêtait même les ondes lumineuses ou radios sauf les fréquencesen parfaite opposition de phase. Cette fréquence servait entre autre à latélécommande du champ de force. Mais, matériaux, ondes de chocs, bruitsne pouvaient ébranler cet écran. Celui-ci servait aussi lors de la navigation spatiale afin d'éviter lescollisions avec la poussière d'étoile ou les morceaux plus petits dans lesphases de déplacement local. Il n'avait jamais été utilisé durant une guerre,les races de la galaxie Zannienne étant pacifiques, mais nul doute qu'il étaitindestructible. Glyon et Alsyen, deux adolescents insouciants, avaient violé les limitesde l'espace interdit. La race humaine, détectée dès son arrivée, avait étéjugée trop peu évoluée pour pouvoir s'intégrer dans la fédérationmultiraciale de Zanni. La zone étant déserte, elle avait été laissée auxhumains. Les détecteurs du vaisseau de plaisance Zannien avaient sondéseulement la planète à l'arrivée et non l'espace immédiat. Pour ses deuxoccupants, La planète était donc libre pour le jeu et la recherche dephilloxphène, une plante prohibée dont les effets euphorisantsagrémentaient les soirées pimentées de l'élite Zannienne. Ils en avaient consommé quelques extraits et ils riaient à gorgedéployée. Glyon lança Alsyen en l'air et alors qu'il allait le rattraper, unbruit de tonnerre lui emporta la moitié du crâne. L'onde de choc du

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projectile sonique atteint aussi Alsyen qui sombra dans l'inconscience. *

* * — Qu'en pensez vous Docteur ? — Bizarre. Cette planète est considérée comme sans faune. On n'y amême pas trouvé d'insectes terrestres et il n'y a que quelques vers dansl'eau. Aujourd'hui vous me ramenez d'un coup deux espèces évoluéesdifférentes. Il est dommage qu'il y ait un cadavre dans le lot. — Si je n'avais pas tué celui-ci, vous seriez allé chercher l'autre dans sonestomac. — Certes. Mais ces deux espèces ne semblent pas partager le mêmebiotope. L'une semble amphibie alors que l'autre est manifestementarboricole, ce qui ne colle pas à cette planète seulement colonisée par desherbes géantes. — Le petit singe a des ventouses aux doigts. C'est peut-être pour monterà la cime de ces herbes comme le long d'un mât. Et s' il est petit, c'est pourne pas les plier. — Et il se nourrirait alors des graines aux extrémités ? Oui, pourquoipas. — L'autre me semble d'une force phénoménale. — Effectivement. Des membres inférieurs très courts pour marcher,mais pas pour courir. Un corps massif et six tentacules terminés par desdoubles pinces. Une tête couronnée d'yeux dont certains surveillent en l'air.On ne distingue l'avant de l'arrière que par cette gueule impressionnante. — Le croyez vous herbivore ? — Plutôt omnivore. Il a des molaires plates, des canines et des incisives.Ses pinces peuvent griffer comme attraper. Au corps à corps, il s'avéreraitmortel pour n'importe lequel d'entre nous malgré sa taille d'un mètrecinquante. C'est un danger potentiel qu'il va falloir cataloguer. En tout cas,je vais préconiser au commandement que toutes les sorties se fassent enarmure et que personne ne se retrouve isolé. — Mes camarades n'étaient pas loin. Je m'étais éloigné un peu juste pourune envie pressante avec l'accord de mon chef de groupe. Après mon tir,ils étaient tous là en moins de deux minutes.

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— Si cette bestiole avait été tapie dans les herbes et avait surgi à unmètre de vous, il lui aurait fallu trente secondes pour vous estourbir et vousentraîner sous les eaux . En tout cas, soldat, c'est une belle prise. — Que va devenir le petit singe ? - Je vais l'observer quelques temps, puis j'en ferai une petite étude pluspoussée. Enfin, il rejoindra les autres spécimens dans mes bocaux sur lesétagères. - Alors je ne l'ai pas vraiment sauvé en fin de compte… — Vous l'avez au moins sauvé de l'oubli…

Alsyen a repris connaissance depuis un moment déjà dans sa petite cage.Même s' il n'a pas compris les paroles des deux humains, il en a saisi lesens émotionnel, surtout dans celles de Reno. Avec effroi, il a aussi constaté la mort de Glyon, son Zymbreke. La dépouille de celui-ci qui avait été à la fois son protecteur, sonserviteur et son ami lui inspire de la peine, de la souffrance, ainsi qu'unsentiment de solitude de culpabilité et de crainte pour son avenir. Il n'a pasl'intention de finir son existence plongé dans une solution d'alcool.

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Évasion

Dans le dortoir, il règne une bonne ambiance festive. Les douze jeunesrecrues qui dorment sur des couchettes superposées (par trois) fêtent leursortie sur B-112 autour de la table commune centrale. Tous les écrans sontrepliés dans le plateau. L'heure n'est pas à l'instruction. Chacun tient danssa main une brique de C'fet, une boisson euphorisante, au goût d'alcool,avec des psychotropes non dangereux pour la santé, efficaces trèsrapidement, mais aussi brièvement, et n'entraînant ni ivresse nidépendance. Reno raconte pour la énième fois son tir sur la créature des marais, avectoute l'assurance d'un exterminateur de monstres galactiques, puis le bainqu'il a pris pour aller récupérer le petit singe inanimé (et peut-être mêmemort de peur), avant qu'il ne se noie. Il rit un peu moins quand il raconte comment le sergent l'a envoyéchercher le corps de sa victime. Cependant il l'imite tant bien que mal,reprenant tous ses sarcasmes. « Vous qui êtes déjà mouillé… qui vous êtes jeté pour sauver des eaux un singe au mépris des risques considérables d'attaques de redoutablescréatures sous-marines… qui d'ailleurs vous ont déjà épargné une fois…allez donc maintenant nous ramener votre monstre sanguinaire» Malgré toutes ses moqueries, alors que Reno s'embourbait une deuxièmefois, le sergent avait quand même allumé son détecteur afin de s'assurerqu'aucun autre intrus ne surgisse à l'improviste. Cette présence deprédateur était plutôt imprévue. Cette fois, Reno avait dû toucher le corps hideux, caoutchouteux etsanguinolent. Il l'avait tiré par deux tentacules jusqu'à la rive et sescamarades un peu effrayés l'avait aidé à le sortir de l'eau. Ensuite, à l 'aide de quelques herbes assez rigides, ils avaientconfectionné un brancard de fortune pour pouvoir le ramener jusqu'à la

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barge. Ils avaient marché trois heures et les autres se moquaient de la boueséchée qui maculait son uniforme. L'adjudant à son arrivée lui jeta un« Alors Reno, le terrain était glissant ? » avant de s'enquérir du mystérieuxcadavre auprès du sergent. Trois briques de C'fet plus tard, Reno épaule toujours son fracasseur,mais se propose en plus de faire sauter au passage la tête du sergent, bienmoins sympa th ique se lon lu i que ce l l e d 'un aca r i en g ross i etrois-cent-cinquante-mille fois. Si ses accents de matamore provoquent une certaine hilarité, c'est parceque Reno n'est pas ce qu'on pourrait appeler un foudre de guerre. Un peurêveur, assez distrait, plutôt malchanceux, il s'est vite fait remarquer àl'instruction pour son équipement toujours incomplet, sa maladresse et sapoisse, ce qui en a fait très vite le souffre-douleur préféré des cadres etl'attraction de la section. Sa gentillesse et sa camaraderie l'ont tout demême fait accepter par les autres recrues, bien contentes qu'un seul assumece qui sinon serait distribué plus aléatoirement. Car si Reno est là, c'est quetout le monde est présent, si Reno y arrive, les autres doivent y arriveraussi, etc. etc. Et ce pauvre Reno sert de cobaye pour n'importe quelle démonstrationde close combat, d'obstacle à franchir ou de question de contrôle… Ce soir malgré tout, il est envié même si son triomphe se change petit àpetit en farce tartarine.

* * *

Dans le laboratoire, Alsyen est sorti de sa cage et explore la moindreanfractuosité des murs et du plafond. Il est allé fermer les quatorze yeuxrestants (sur vingt) de Glyon allongé sur une paillasse et il lui apéniblement arrangé les tentacules autour du corps, avec les extrémités sursa poitrine. Il ne sera certes pas enterré ainsi, mais au moins, si son âme seretourne un instant, elle verra que son compagnon ne l'a pas oublié. Il a compté six grilles de ventilation et chose bizarre, sur chacune desouvertures, il y a des système de fermetures étanches automatiques. Alsyenn'en a pas encore tiré toute la signification. Il veut croire à un abri decampagne protégé d'une éventuelle contagion de l'extérieur, ou à une pièce

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pouvant abriter des expériences dangereuses qui pourraient s'avérercontagieuses, voire contenir des animaux encore plus petits que lui qui nedoivent à aucun prix s'échapper entre des grilles, comme des serpents parexemple … Mais il n'a pas de tournevis pour les démonter de leur cadre… Alsyen, bien qu'il ait enfreint les règlements en franchissant les limitesinterdites est tenu par le respect des règles de survie pour sa race. LesHumains, trop immatures, ne doivent pas découvrir l'existence d'une autreespèce intelligente. Donc, il ne doit pas tenter de communiquer pour sefaire reconnaître et obtenir sa libération. Il va devoir jouer serrer. Et pour l'instant, il est de retour à sa cage, qu'il a correctement ferméepour réfléchir en toute quiétude. Primo, il ne doit pas rester sous le coude du scientifique. Sinon, il va ypasser très prochainement. Secundo, il est nu. S'il parvient jusqu'au vaisseau, la puce implantéesous sa peau déverrouillera le champ de protection. Dans le cas contraire, ildoit prendre en considération que sa race n'a plus vécu à l'état sauvagedepuis trois-cents siècles. Sa vie sur cette planète végétale n'aura del'intérêt que lorsque il trouvera des plants de philloxphène. Mais avoirétudié trente ans pour n'avoir que pour seule perspective quatre-cents ansde défonce en ermite, est-ce bien un avenir enviable ? Tertio, le retour sur Myrna l'enverra directement en disgrâce pour unecinquantaine d'années. Au lieu de prospérer dans la société, il deviendra unbanni condamné à rester en dehors des murs de la cité, récupérant tous lesjours son minimum vital après avoir travaillé une quinzaine d'heures (lapériode de révolution de Myrna est de trente heures et 54 minutes environ). Avec la mort de Glyon, il n'y aura aucune commisération pour lui de lapart de ses congénères, car en tant que Niumi, il avait la responsabilité deson Zymbreke. Alsyen choisit de sortir par la porte. Il a déjà touché au cadavre deGlyon. Il lui suffit de dissimuler sa cage dans le labo et de s'échapper dèsque la personne présente regardera ailleurs. Alsyen a d'ailleurs la facultéd'inspirer une présence à un cerveau dans une direction précise. Il lui suffira d'influencer l'humain pour détourner son regard vers ladirection opposée à celle de la porte durant quelques secondes…

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* * *

C'est d'ailleurs un humain chargé du nettoyage qui va lui permettre demettre son plan à exécution quelques heures plus tard. Alsyen pénètre dansun couloir et décide d'aller le plus loin possible dans la même direction.Grâce à ses ventouses, il progresse au plafond et incite les quelqueshumains qu'il croise à regarder par terre, ce qui est assez simple car ilssemblent à peine éveillés. Certains crient, mais il s'agit plus d'ordres que de cris de bataille ou dedétresse. Il y a un sentiment de sécurité et d'habitude dans leurs esprits etils semblent au dixième de leurs facultés de réflexion. Au bout detrois-cents mètres environ, Alsyen se retrouve à hauteur de la porte dulabo. ? ? ?. Alsyen est dérouté. Aucune fois il n'a obliqué à droite ou à gauche.Il est vraiment allé tout droit. Lorsque il atteint à nouveau la porte du labo,il décide de prendre la première à droite et de continuer tout droit. À une dizaine de mètres de l'intersection, il laisse une marque. Au boutde quarante mètres, il est bloqué et doit tourné à droite ou à gauche. Ilchoisit la droite après avoir fait une marque. Au bout d'un kilomètre, iltrouve son trajet bien familier. Tout se ressemblerait donc. Il fait une nouvelle marque, marque qu'ilretrouve trois-cents mètres plus loin avec dix mètres d'avance. Un humainest en train de la nettoyer. Il comprend tout d'abord qu'il est dans un espacecirculaire, et un quart de seconde plus tard prend conscience qu'il est dansl'espace. La roue tourne sur elle-même afin de générer une force centrifuge quicrée un ersatz de gravitation artificielle. Les escaliers qu'il croiseconduisent vers le centre qui doit être exempt de gravité. À cet axe, il peuty avoir un passage pour une autre roue ou pour d'autres éléments d'unvaisseau spatial. Cette fois, il réalise qu'il ne retournera jamais sur Myrna.

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Reno est un peu fatigué de la soirée précédente. Le C'fet n'y est pourrien. Il s'agit du manque de sommeil. La part consacrée au sommeil oscilleentre six et huit heures par cycle de vingt-quatre heures, en fonction desactivités. Seulement, cette fois-ci, ils n'ont dormi que quatre heures dans lachambrée, et lui-même a tourné et retourné sa journée précédente avant desombrer dans un sommeil agité. Pour ne plus y penser et enfin trouver le repos, il a tenté de se souvenirdes traits d'Alessandra, et des meilleurs moments qu'il a pu passer en sacompagnie. Ils se sont fâchés, avant qu'il ne s'engage, mais depuis sondépart de la Terre, elle en est un peu devenue le symbole. Il y a certes desrecrues féminines à bord mais elles sont cantonnées dans d'autres quartiers.Les mises en contact rares donnent lieu à quelques « échanges » de bonsprocédés pour les plus rapides, échanges n'étant pas du goût de lahiérarchie. Bien qu'il paraîtrait que certaines auraient un talent d'ubiquité et departage assez étendu… selon des histoires de « grandes gueules ». Ladernière fois, il a bu quelques C'fet , deviné quelques formes sous lescombinaisons de travail et juste reniflé quelques effluves de parfum. Saconversation n'a pas été non plus des plus brillantes, bien qu'elle ne le soitjamais vraiment. Mais là, il avait touché le fond et continué de creuser toutle reste de la soirée. Il doit, pour s'acquitter de sa corvée du matin, effectuer le nettoyage ducouloir de la section C4. Le revêtement sombre, sorte de plastique très durcontenant les barres de métal permettant l’aimantation en cas de coupurede la gravité a en effet tendance à se ternir au passage des bottes de bord. Il s'agit de lui rendre un certain lustre avec la « cireuse ». Il n'y a pas deproblème de poussières puisque l'atmosphère est filtrée lors de sarégénération via les conduits de ventilation qui évacuent les gaz nocifs et

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redistribuent un air plus frais, rechargé en oxygène. Il en est presque à lafin du couloir à lustrer au moment où il croise Alsyen. Alsyen depuis un moment a reconnu de loin le jeune humain commeétant celui qui était avec le scientifique du labo la veille. À ce moment là,il avait déjà ressenti chez le jeune humain de l'affection pour lui, confonduavec un petit primate sans défense. Cette méprise était tout de mêmepréférable à une curiosité scientifique un peu trop poussée. Il décide doncde capter son attention par une simulation télépathique pour attirer sonregard jusqu'alors dirigé sur le sol. Reno lu i pa r l e doucement pour l ' amadouer e t s ' approcheprécautionneusement pour ne pas l'affoler. « Alors, p'tit tu cherches à tebarrer ? T'iras pas loin tu sais. Viens me voir. Là . Attend, j'ai un gâteau ». Il sort de sa poche un petit sachet de biscuits, reste du précédent petitdéjeuner, en déchire l'emballage plastique, et tend le petit beurre endirection d'Alsyen. L'estomac de celui-ci se crispe. Il n'a pas mangé depuislongtemps. Que risque-t-il à goûter de la nourriture étrangère. De toutefaçon, il va mourir de faim s'il n'essaie pas. Il prend le biscuit d'une main,puis des deux et pend alors la tête en bas pendant qu'il grignote sans enperdre une miette. Reno en profite pour le saisir sur les flancs. Alsyen se laisse faire et se décroche. Chacun a fait le geste enversl'autre. Les deux ont les mains prises. Reno se penche pour observerAlsyen. Celui-ci lève alors les yeux pour regarder Reno tout en continuantde manger en confiance. Le ciment prend. Dès qu'Alsyen a fini le biscuit, Reno lui en donne unautre puis il approche le jeune Niumi de son épaule gauche. Alsyen seplaque à lui de façon à ne pas le gêner et Reno peut terminer son travail envitesse. Il se précipite ensuite vers sa chambre, tentant de dissimuler tant bienque mal Alsyen lorsqu'ils croisent quelqu'un. Mais son manège ne passerait pas inaperçu si Alsyen ne détournait pasl'attention des humains par suggestion télépathique fugitive les incitant àregarder dans une autre direction. Une fois dans la chambre, Reno ouvre son placard et sort quelquesfriandises pour Alsyen. Celui-ci y fait honneur, et puis fait mine de lui en

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offrir une. Reno sourit et accepte volontiers pour faire plaisir à l'animal. Ille caresse pour le remercier en mimant le plaisir de recevoir. Il se saitparfaitement ridicule mais ne s'en soucie pas. Par contre, les autres ne vontpas tarder à revenir de leurs corvées. Quoi leur dire ? Il décide donc decacher le singe dans le placard. Il prend Alsyen dans les mains et le pose àl'étage de la nourriture tout en le caressant. Il lui fait une petite place, y metune serviette, l'installe dessus. L'animal semble accepter. Il ferme alorslentement la porte. Celui-ci ne semble pas s'en offusquer. Il rouvre. Alsyenfait mine de vouloir dormir. Rassuré, Reno referme la porte et met lecadenas. Alsyen a la certitude que l'humain l'accepte et n'ira pas prévenir lescientifique. Lui non plus n'a pas envie d'un Alsyen écorché flottant au seind'une solution alcoolisée dans un bocal. Ici, il est encore en sécuritéquelques heures. Il a senti au moment où Reno fermait la porte qu'il n'allaitpas revenir tout de suite et qu'il craignait qu'Alsyen soit bruyant une foisenfermé. Alsyen l'a donc rassuré par persuasion télépathique afin qu'ilpuisse partir sans inquiétude. Inquiétude qui aurait pu tenter Reno de leramener au labo. Cet humain pourrait-il être un bon remplaçant pour son Zymbreke ?Alsyen y pense déjà. La journée de Reno, comme celle de ses camarades, est réglée commedu papier à musique. Deux heures de sport au gymnase, deux heures decours de spécialité, repas, informations en salle commune, instructioncombat théorique, simulation de tir, sports de combat, corvées de bord,repas et ensuite retour en chambre et/ou foyer du soldat. Ainsi pendantdeux jours. La troisième journée, c'est loisir, c'est-à-dire compétitionssportives et compétitions de jeux intellectuels. Mais il y a toujours uneheure le matin et une heure le soir consacrées aux corvées de bord. Une journée de loisir sur trois, une manœuvre virtuelle est organisée auprofit de l'ensemble du vaisseau. Chacun est un joueur tenant son propre rôle dans une phase de conflit. Deuxéquipes s'affrontent, avec des variantes de moyens. Les gradés jouent la stratégie, mais connaissent aussi les qualités réellesde leurs hommes quand ils les font affronter en corps à corps des créatureschimériques. En effet, chacun gagne ses points de valeur grâce aux

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contrôles continus dans les vraies matières de l'instruction militaire. Les chefs qui gagnent aux jeux virtuels gagnent aussi la considération deleurs subordonnés. Il y a deux façons de contrôler son avatar, doublevirtuel incorporé en 3D dans la simulation par les programmeurs lors desformalités administratives de la recrue sous la base d'un simple scan del'original. Soit le joueur mime son action, et les nombreuses caméras deslocaux transmettent l'information au réseau de serveurs affectés à lasimulation et à sa distribution sur le réseau général, soit il pointe sur sonécran les actions proposées du type « je tire », "je me mets à l'abriderrière » etc. etc. Des paroles peuvent être saisies en direct, des ordres notamment...D'autres sont simulées par une pré-programmation et lors d'élémentsimprévus dans le cadre d'une action automatisée, comme un déplacementd'un point à un autre, suivi d'une chute malencontreuse dans un piège. Des« Aïe », des « Ouille », des jurons fleuris pour « détendre l'atmosphère »,voire des cris d'agonie aux accents dramatiques, dont le réalisme (parfoiscaricatural) frise le ridicule, font l'objet de sophistications perverses de lapart des programmeurs. En conséquence, tout soldat appréhende sa proprefin de partie, qui risque de déchaîner les rires de ses camarades, mais pas leleur. L'humour des informaticiens a pour consigne de ne pas respecter lesgradés non plus. Ainsi, tout le monde se doit d'être aussi prudent, craignantpour son image comme il devrait craindre pour sa propre vie dans uncontexte réel. Ces grands jeux en réseau servent donc à la cohésion de l'Armada ducercle, tout en ayant des vertus pédagogiques. Un soldat inactif est un soldat qui se relâche. Il devient un mort ensursis. Dans l'espace, l'ennui est aussi le pire ennemi à craindre pour sesconséquences sur le moral. Les activités doivent donc être équilibrées etpermanentes. Bien sûr, dès que la situation l'exige, l'emploi du temps s'adapte auxcirconstances. La priorité opérationnelle prend le dessus sur l'instruction.Durant l'attente, les petits gradés vérifient la parfaite connaissance despoints-clés de l'action susceptible d'être réalisée.

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C'est vers onze heures de l'heure « Quart C » que l'alerte est donnée.Une espèce animale inconnue s'est enfuie d'une enceinte sécurisée. Ellepeut être n'importe où, il faut la retrouver avant qu'elle ne provoque desdégâts. D'aspect simiesque, elle semble tout de même inoffensive. Il fautessayer de la capturer vivante, mais aussi se méfier et prendre toutes lesprécautions, en particulier bactériologiques : des germes mortels peuventsubsister sous ses griffes, sa morsure peut être contaminante... Grâce aux hauts-parleurs intégrés un peu partout dans les cloisons, leshommes peuvent entendre le détail de la suite des opérations. La rechercheva s'organiser secteur par secteur. Ces secteurs seront ensuite condamnésde manière étanche. Chaque compagnie va déployer une trentained'hommes par équipe de dix qui se déplaceront dans leur secteur derésidence ou d'entraînement avec des détecteurs de chaleur. Les autres équipes ont pour ordre de rejoindre dans un premier temps lessalles de réunion afin d'y recevoir des consignes de recherche dans leszones communes. Les quatre roues, quartiers des escadres, doivent coupertout accès entre elles, comme avec la roue de l'état-major. Les secteurspériphériques, en apesanteur, réservés au stockage, aux serres et aux postesde combat sont eux aussi cloisonnés. « Ils vont retrouver le petit singe à tous les coups dans mon casier »s'affole Reno. Il se précipite dans sa chambrée au lieu de filer directementau foyer, car il n'est désigné dans aucune équipe de détection. Il se saisit d'Alsyen. Un instant, il l'abandonnerait bien dans le couloir,pour lui laisser sa chance. En aucun cas, il ne voudrait le livrer. Alsyencomprend instinctivement le désir de Reno et le rassure par son contact.Moins affolé, Reno prend son sac à dos de sport et y dépose doucementAlsyen à l'intérieur. Celui-ci se tapit au fond et reste immobile. « On diraitqu'il comprend » pense le jeune homme sans vraiment croire à cette réalité. Reno croise l'équipe de détection. — J'avais oublié mon kimono pour le quart de l'après-midi, dit-il ausergent. — Toujours la même tête de piaf, lui répond celui-ci, dégage ! Le détecteur n'a pas bronché, la signature thermique de l'humain ayantmasqué celle du Niumi.

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Deux heures plus tard, des rations sont distribuées. Les recherchescontinuent… en vain. À la passerelle de commandement, le scientifique en prend pour songrade. Il n'est pas le seul à devoir redouter les foudres de la hiérarchie. On« découvre » à bord des dizaines de rats, des animaux familiers passés enfraude comme des hamsters et même un furet et deux chats. Avec eux, despuces à foison, vecteurs potentiels de contamination redoutables. Une seule silhouette reste calme et détendue, silencieuse et énigmatique,au milieu de l'agitation générale. C'est l' « Amiral ». Son grade sert denom, de prénom, d'épouvantail ou de dieu vivant à bord. Quand on parle deLui, c'est avec crainte et respect, y compris dans son entourage direct, etsurtout quand « ça chauffe ». On ne l'interroge jamais sur la conduite àtenir. On fait ce qu'il dit, on fait ce qu'on pense qu'on doit faire quand il nedit rien, en lui jetant parfois un regard pour tenter de lire sur son visage unepreuve de son assentiment. Un visage dur, de parchemin cuivré, avec unnez crochu, une mâchoire carrée, des lèvres quasi-inexistantes. Descheveux blancs, très courts et drus. Surtout, comme pour les autresvétérans, ce qui marque le plus, ce sont ses yeux : tout de marbre blanc,veinés à l'or fin, avec un soleil rouge pour iris éclipsé par une pupille grisde cendre. Entre l'Amiral et son état-major frais émoulu des grandes écolesmilitaires terrestres, il y a encore toute la distance entre la terre et le derniercercle. Il n'y a qu'au milieu de ses vétérans qu'on a pu de loin l'entendrerire. Mais pourquoi donc ces vieux débris du siècle dernier ont été rappelésdans le cercle Bêta ? L'Amiral laisse le soin à son second d'invectiver tous les commandantset capitaines pour leur incompétence crasse et l'inefficacité de leurstroupes, incapables de retrouver un bœuf dans un couloir. Ceux-ci s'enprennent ensuite à leurs lieutenants et leurs sous-officiers par radio, pasmême fichus de commander un C'Fet au foyer et de trouver leur ... pourpisser. À tous les niveaux, les fouilles s'intensifient dans la plus grandeagitation. Les casiers personnels sont ouverts, fouillés, vidés pour envérifier le moindre recoin. La liste des coupables d'infractions aux règlements s'allonge encore.Alcools, cigarettes, drogues, et même armes blanches, argent sale, photos

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compromettantes… Rien n'échappe aux équipes de recherche. Pas même,dans les zones périphériques, quelques « garçonnières » improvisées aumilieu des rangées de stockages ou dans les alvéoles d'armement. De nouvelles équipes sont constituées, pour aller chercher dans lescompartiments périphériques, et dans les quartiers des autres escadres.Ainsi, personne ne peut être protégé dans son propre secteur deresponsabilité. Une nouvelle moisson d'entorses aux règlements s'annonce. Le représentant des vétérans s'insurge. Il demande à parler à l'Amiral.Celui-ci, le voyant arriver de loin, le reçoit avec le sourire, mais sans luilaisser le temps de prendre la parole. — Je sais ce que vous allez me dire. Ces ordres ne s'appliquent pas pourvos quartiers, désignez parmi vos hommes ceux qui vont VOUSaccompagner pour y chercher le singe. — Bien Monsieur, à vos ordres. Quatre heures plus tard, distribution de rations de type « cycle de 24h »à chaque personnel. Les équipes de recherche sont relevées, et le seront ànouveau toutes les deux heures. Reno, intégré dans une équipe pour laprochaine période, ne s'étonne pas de son culot, oubliant même qu'il estporteur de l'objet de toute cette agitation.. Alsyen veille au grain. Dans tous les foyers, les commentaires vont bon train. Certains boiventplus que de coutume afin de se préparer à leur future sanction. En effet, ilssavent que ce qu'ils dissimulaient a dû être découvert ou est en passe del'être. D'autres commentent. Jean-Louis, de la chambrée de Reno, enprofite pour mettre en avant son camarade en lui demandant de raconter ànouveau son histoire. Piégé, Reno reprend son récit, pour un public assezlarge cette fois. Dans le sac, Alsyen vit au travers des images ressenties dans le souvenirde Reno l'histoire telle qu'elle a été vécue par celui-ci. Il entend d'abord ses rires, confondus par l'humain avec des cris de peur.Il aperçoit Glyon, son frère spirituel, au travers des yeux de Reno, l'imageterrible un monstre rugissant jouant avec sa pauvre victime avant de ladévorer d'un coup de gueule. Il distingue, au travers du viseur de l'arme, levisage de son ami exploser sous l'impact du projectile sonique. Il se voit,inanimé, flottant sur le ventre à la surface du plan d'eau, risquant se noyer.

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Il voit Reno, le peureux, se lancer sans réfléchir pour le récupérer. Il voitintimement, agir, vibrer, celui qui est à la fois l'assassin de son Zymbreke,son sauveur et le responsable de tous ses malheurs. Alsyen est bouleversé. Glyon est mort. Il est seul dans le labo. Il a enviede le rejoindre. Reno finit son histoire. Alsyen le pousse à montrer ce qu'ila dans le sac. Reno lutte. Non, il ne veut pas. Alsyen insiste. Reno a peuraussi des représailles du commandement. Alsyen le rassure, puis l'incite ànouveau. Reno vide sa brique de C'fet et conclut. « Et ce matin, j'ai retrouvé le singe. C'est mon ami. Il est là. » Il sort Alsyen du sac. Celui-ci se colle à lui contre l'épaule un instant,puis s'y perche. La salle se tait. Alsyen voit ces trois-cents têtes tournéesvers lui et les affronte du regard. Il saute sur le bar, fait mine de boire duC'fet à la paille. L'éclat de rire est général. Le spectacle est retransmis à la passerelle. Le chef d'escadre responsablede Reno est blanc comme un linge. L'amiral contre toute attente sourit. Alsyen a goûté à un hamburger, l'ajeté par terre puis se régale avec des cacahuètes, en jette une en l'air, larattrape dans la bouche. Et ainsi de suite... Il effectue des tours de plus enplus difficiles et cabotins. Il exécute aussi quelques pas de danseimprovisés sur le bar, deux trois cabrioles et tout le monde s'esclaffe. Lessous-officiers n'arrivent pas à passer pour les rejoindre. L'amiral se tournevers le chef d'escadre. — Mon cher Patrick, j'aimerai beaucoup voir ce jeune homme avec sonanimal dans mon bureau dans dix minutes. — Je donne les ordres Monsieur. — C'est ça. Amenez-les moi. Il sort ... prestement. L'Amiral s'adresse alors au reste de son staff, avecun petit sourire en coin qu'on ne lui connaissait pas. — De temps en temps, une petite mise au point est nécessaire non ?J'attends pour demain matin le résultat par escadre de toutes les« découvertes ». Je pense que le bilan est très positif et la leçon bonne àprendre… Le chef de section et son adjoint encadrent Reno et Alsyen. Ils ontessayé de les séparer, mais Alsyen s'est agrippé à Reno de toutes ses forcesen poussant des cris perçants quand ils lui ont tiré sur les membres pour

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tenter de le faire lâcher sa prise. Reno s'est emporté, contre toute attente dela part d'une jeune recrue. Alsyen les a intérieurement couverts de honte etils ont préféré capituler. Le chef d'escadre marmonne sa vengeance entre les dents. Il ne veut riendire avant la décision de l'amiral, mais Reno comprend qu'il ne perd rienpour attendre. La sanction sera exemplaire. Il finira comme cireur degodasses pour toute l'escadre. Alsyen a retrouvé un peu le moral. Il en veut moins à Reno qui s'est mis,pour lui, dans une sacrée mauvaise passe. Seulement, c'est aussi sa surviequi se joue. Dans la salle d'attente, malgré les sièges confortables, personne nes'assoit. L'amiral est en vidéo-contact permanent, supervisant la fin desinspections en cours dans les derniers secteurs qu'il a décidé de mener àleur terme. Il faut dire, qu'ironie de l'histoire, on a retrouvé sa cantineégarée depuis vingt-sept ans relatifs. Il n'était alors que jeune lieutenantmuté sur ce vaisseau-école pour se préparer à la conquête des dernièresplanètes delta. Avec trois de ses camarades, disparus aujourd'hui, ilsavaient été bizutés et ils avaient dû se débrouiller sans leurs affairespersonnelles durant deux semaines. Par contre, lui avait dû faire sansjusqu'à aujourd'hui. À l'époque, il n'y avait qu'une roue centrale. Uneexcellente nouvelle donc. Qu'ont-ils bien pu retrouver d'autre qu'ils n'ont pas signalé ? Finalementce vaisseau avait bien besoin d'un peu de remise en ordre. Il n'empêche ques'il tenait le petit malin qui à l'époque avait collé l'étiquette « Jouetsd'enfants 0-3ans » sur sa cantine et l'avait planquée dans une salled'archives... Un pseudo camarade d'alors, sans doute, qui a bien dû semoquer de lui dans son dos...mort certainement depuis, avec son petitsecret. N'a-t-il donc survécu que pour la retrouver ? Il sait qu'à l'intérieur, il yavait laissé les photos de sa vieille Jessie, une chienne de quinze ans mortedeux jours avant son embarquement et avec laquelle il avait vécuquasiment toute son enfance. Alors il a une idée. Une idée pas bien nouvelle puisque elle a juste étéperdue à l'occasion des débuts de la conquête spatiale.

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Il va restaurer la tradition des mascottes à bord. Les fouilles ont mis àjour un cheptel assez conséquent qui en démontre le besoin. Il sait aussique les vétérans cachent une créature bizarre qui ne doit jamais êtremontrée à d'autres. Alors ce petit singe extra-terrestre va devenir lamascotte du vaisseau, et ce jeune homme qui a su gagner sa confiance ensera le responsable. Le scientifique tripailleur et collectionneur de bocaux quant à lui seraresponsable de l'hygiène et de la santé de tous les animaux classifiés« familiers ». Pour le désordre induit par cette recherche effrénée, ce seront tous lesmagouilleurs et les tarés qui paieront les pots cassés. L'humanité traîneavec elle une fange que l'espace doit permettre de purifier. Mais la vie, sirare dans l'univers, est sacrée. Même les rats seront adoptables. Cependantleur reproduction va être régulée. En plus de la charge d'entretien du petit singe, le jeune va tout de mêmerécupérer une corvée moins glorieuse. Le risque sanitaire est un risque àprendre au sérieux. Une sanction doit donc s'appliquer. Il va devenir durant deux heures parcycle jour de douze heures responsable de l'entretien des latrines jusqu'à lafin de sa formation. Cela dissuadera les amateurs d'adoption en douced'espèces extra-terrestres à bord. La prochaine planète d'exercice est eneffet peuplée par une faune parfois redoutable.

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À peine sorti de chez l'amiral, Reno est devenu le VIP de l'escadre. Maisles jeunes évitent pour l'instant de lui manifester leur sympathie car la têtesinistre des deux cadres de la section qui l'accompagnent en dit long sur sapopularité dans la hiérarchie. Pourtant, après que l'amiral l'ait tout de même tancé pour avoir cacherl'animal recherché, Reno a été un peu interrogé sur le déroulement de soninstruction. Il n'a pas critiqué ses chefs malgré les brimades plus ou moinslégères et au bon goût contestable subies durant sa formation initiale, puisau quotidien durant la formation complémentaire actuelle. Il a parlé de lapeur de voir l'animal disséqué par le vétérinaire scientifique alors qu'ilpensait lui avoir sauvé la vie pour justifier son acte. Mais Reno n'en menaitpas large et ses cadres auraient préféré présenter au « grand chef »un« velu » plus représentatif de la qualité de leur instruction. L'énoncé de la peine ne les a pas satisfaits. Eux vont devoir subir lesavanies de leurs collègues pour les fouilles entreprises et leursconséquences dérangeantes. Ce Reno porte-poisse est vraiment la pirechose qui leur soit arrivée. Il ne manquait plus qu'il devienne un« chouchou » intouchable à haut niveau. Alsyen, sentant l'animosité des deux humains vis-à-vis de Reno, prendparti pour celui-ci même sans en comprendre la raison. (il ne connaît pasencore leur langage). Il décide de stimuler un peu plus leur sentiment defrustration, ce qui leur serre bien la gorge. Il prend soin aussi de rassurerReno, plutôt bouleversé. Heureusement, l'amiral a donné quartier libre pour le reste de la journéeà toutes les recrues non prises par le service, afin de remettre de l'ordredans leurs affaires. Autre largesse : malgré les rations distribuées, le repaschaud devra être prêt pour le soir. Ce sera le premier signe du « retour àl'ordre ».

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Le sergent Coll quant à lui hérite d'une demande de punition pour avoirdissimulé dans son casier un Neurovid avec des contenus pornographiquesinterdits. Ceux-ci montrent des humaines en pleine action avec desAlcychiens, animaux pacifiques de la planète Alcyde, domestiqués pourprotéger les alentours de la base, et dont la tendance aux câlins profonds àl'attention des femmes de colons est légendaire. Il va aussi subir un examen médical complet, suivi d'une rééducationpsychologique de plusieurs semaines. À l'origine, un Neurovid était prévupour se connecter directement sur le cerveau à travers les tempes. Uneémission de rayon photonique à travers le crâne permettait de modifier lesperceptions visuelles et donc de montrer en grand des scènes virtuelles.Mais ils furent interdits après des accidents qui rendirent leurs usagersaveugles : les synapses des neurones cognitifs au contact des neuronesoptiques subissaient de graves dommages dus à une sur-stimulationd'acétylcholine, et divers autres neuro-transmetteurs habituellementsécrétés en quantité infinitésimale. Facteur aggravant : le principe avaitévolué avec la distribution de ce produit à grande échelle. Le Neurovidressemblait à un simple baladeur avec des écouteurs. Le signal visuel cettefois était transmis au cerveau via les nerfs auditifs. Cela permit auxpremières victimes de l'ancienne technologie de retrouver la vue grâce àune caméra fixée sur des lunettes reliées au Neurovid. Mais malgré toutesles précautions, à la longue, des troubles auditifs, acouphènes commehypoacousie apparaissaient, ainsi que des altérations irréversibles del'oreille interne. Les Neurovids auraient donc dû rapidement tomber dans l'oubli si untrafiquant minable n'avait pas eu l'idée de les utiliser pour du porno. Afinde s'assurer des clients, il avait fait évoluer le dispositif. Commercialementrebaptisé Porn-Neurovid, l'engin fait parvenir par les nerfs optiques nonseulement des scènes obscènes, mais aussi des signaux « fleshy »,provoquant une excitation sexuelle artificielle directement au niveau ducerveau, puis par réaction, au reste du corps. Un effet de dépendancesurvient alors assez vite, surtout chez des hommes privés de relationssexuelles durant de longues périodes, comme ceux contraints à de longstrajets dans l'espace par exemple.

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Le corps des FCP ne peut tolérer la moindre dépendance psychologique,surtout lorsque elle s'accompagne de dégénérescence mentale et physique.Le sergent Coll risque se retrouver débarqué au retour sur Bêta prime pourredevenir simple colon durant la durée de son contrat initial de vingt ans.S'il est reconnu inapte, il va être dégradé et affecté à des tâchesprimaires. Cela, les jeunes recrues l'ignorent totalement pour l'instant mais le chefde section sait qu'il va regretter ce sergent prometteur, moins « bourrin »que le reste de l'encadrement, physiquement « chat maigre » et dont lecommandement impose naturellement le respect sans contrainte auxjeunes. Un peu ce qu'il aurait souhaité pour lui-même, mais qu'il n'était pasparvenu à réaliser. Trop ambitieux, trop pressé pour prendre le tempsd'atteindre les objectifs dans les règles de l'art, il s'était rabattu sur « lesbonnes vieilles méthodes » pour tenter d'y parvenir quand même. Dans la chambre de Reno, les recrues se passent et se repassent Alsyen.Tout le monde veut le toucher, l'amadouer et Reno n'a pas le cœur derefuser ce plaisir à ses camarades. Alsyen n'apprécie pas vraiment mais ilsent la sympathie communicative de tous ces jeunes humains et il se laissefaire avec bonne grâce. Néanmoins, il ne recommence pas son numéro aumilieu des briques de C'fet. Sinon, la chambre risque devenir un music-hallet il estime que même un « animal » doit avoir droit à sa dignité. Au réfectoire, Alsyen n'a pu que regarder les humains manger. Sondernier repas est assez loin. Heureusement Jean-Louis y pense. — Et qu'est ce qu'il mange ton singe ? — Pour l'instant, je suis sûr qu'il aime les biscuits, les cacahuètes maispas les hamburgers — On a eu des rations. On n'a qu'à les ouvrir et voir ce qui lui plaît — Excellente idée. — Moi j'ai une numéro 3 avec du porc aux patates. — Et moi une 7 avec mouton haricots. — Il préférera peut-être la 11 avec des cannelloni. — Je suis sûr qu'il aime les corn-flakes au chocolat… La table commune se couvre de victuailles industrielles et Reno poseAlsyen à côté en lui proposant un biscuit. Alsyen prend le biscuit, le

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mange puis, oh quelle intelligence, se met à renifler tout ce qui est sur latable. I l n e m a n g e j a m a i s d e v i a n d e o u d e p o i s s o n . Q u e s t i o nd'éducation. Néanmoins, il lui arrive assez souvent de manger sur Myrnacertains gros insectes et des sortes d'escargots à condition qu'ils soientservis vivants. Les œufs d'oiseaux comme de reptiles sont aussi des metsde choix mais il n'en abuse pas. Les Niumis ne consomment pas denourriture cuite. Omnivores, ils s'astreignent à un régime carné minimum.Ils lyophilisent quand même la nourriture pour mieux la conserver sousvide ensuite car il s'agit d'une technique dérivée du séchage des fruits.Friands de nombreuses espèces de graines,, ils n'ont jamais ressenti lebesoin d'en faire de la farine pour la cuire. Au contraire, le grain entier seconserve mieux dans les filets silos. Déjà, les biscuits plaisent beaucoup àAlsyen. Contraints de goûter pour survivre, Alsyen découvre avec plaisirles corn-flakes au miel. Ceux au chocolat sont un pur délice. Le fromagepar contre l'intrigue beaucoup. De peu, il évite de se trahir, tenté un brefmoment de prendre le verre de lait à la main, malgré sa grosse taille pourlui. Il se met donc à laper pour la « première » fois. Par la suite, pour enboire d'une manière plus civilisée, il fera quelques simulacres d'imitation,feignant ainsi d' « apprendre » à boire au verre. Néanmoins, il va lui falloir tout d'abord apprendre à communiquercomme un animal mais surtout à comprendre réellement les humains, c'està dire leur langue en plus de leurs émotions et de leurs motivations (Alsyenjusqu'à maintenant « sent » le geste de l'humain avant qu'il ne le réalise). Ensuite, il lui faudra savoir lire. Malgré son extraordinaire mémoire etson intelligence par rapport à un humain, un apprentissage non organisé esttoujours pénible. Impossible dans son cas de demander un abécédaire avecdes images, des enregistrements sonores et un professeur. Il y a un mot facile à apprendre. Allez, c'est pour maintenant. Alsyenprend une poignée de raviolis et la lance sur Reno. Tout le monde rit saufl'intéressé qui part dans une diatribe négative incompréhensible. Donc,Alsyen recommence. « Non, arrête » dit Reno. Alsyen reprend unepoignée. Reno retient son bras. « Non » répète t-il. Alsyen relâche son braspuis va pour lancer. Reno le retient à nouveau et lui présente sa main prèsde la tête, comme pour le frapper. « Non » insiste t-il. Alsyen repose les

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raviolis dans la boite. « Oui, c'est bien » dit Reno. Alsyen se lèche la main,alors qu'il préférerait se l'essuyer, puis va pour se coller contre Reno.« Oui, c'est bien. Gentil le singe » Reno le caresse. Alsyen peut sentir l'affection qui lui est destinée. Pasrancunier l'humain. Jean-Louis alors pose la question fatidique. — D'abord c'est même pas un singe. Et puis, on va l 'appelercomment ? — Je ne sais pas. — Moi je sais. Caubard ! » Tout le monde rit. Donner le nom du chef de section au singe, c'estamusant, mais plutôt déconseillé. L'humour risquerait ne pas être partagépar les cadres. — Et pourquoi pas Willy ? — C'est nul comme idée. — Tarzan. — Léon. — Non, moi je sais. Flipper. — Pff. — Nikita ! — C'est un mâle ! Arrête de l'appeler comme ça. — Rex. — C'est pas un chien. — Nabudochonossor. — C'est Nabuchodonosor et c'est trop long. — Rocky. — Riton. — P'tit louis. — Dicentim. — Non. Ça va pas. Mais on peut organiser un vote. — Oui. On sélectionne plusieurs trucs parmi les meilleures idées et onchoisit. — Ça lui irait bien Coco Barge. — On reconnaîtrait encore le chef et ça fait perroquet.

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Jean-Louis s'approche de l'oreille d'Alsyen et doucement l'appelle« Bleno !». Alsyen tourne la tête et Jean-Louis fait « Vous avez vu ?Bleno réagit » Reno secoue la tête de gauche à droite. Vraiment, ils sont tous nuls.Mais c'est vrai, comment l'appeler ?

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Alsyen s'implique

Alsyen s'est installé sur les cuisses de Reno et fait mine de jouer avec lehochet lumineux à variation de spectre en le tournant dans tous les sens eten le mordillant. En fait, il observe les doigts de Reno et l'écran. Lamémoire d'Alsyen lui permettrait déjà de se connecter car sans comprendreles caractères, il les a déjà tous retenus, comme enregistré la réaction dechacun d'eux à l'écran. Les Niumis utilisent des ordinateurs depuis une vingtaine de siècles.Néanmoins, leur planète n'est industrialisée qu'à moitié et les Niumis n'ontfait aucune découverte technique. Depuis plus de cent-mille ans, ils ontévolué de concert avec les Zymbrekes. D'abord symbiotique et animale, larelation avec les Zymbrekes a connu les rapports maître-esclave pendantcinquante-mille ans. Puis cette situation est devenue insupportable auxNiumis, qui, ayant acquis une certaine sagesse, commençaient à influencerles cerveaux des Zymbrekes pour les faire accéder à l'intelligence.Trente-mille ans plus tard, des colons xhantiens débarquèrent sur Myrna laForestière. Ils s'installèrent près des fleuves, dans les plaines et chassèrentles Niumis à coup de désintégrateurs. Mal leur en prit. À chaque violencecommise par un groupe de colons, ceux-ci se retrouvaient rapidementdécimés par des Zymbrekes, ayant parvenu mystérieusement à s'introduirederrière les barrières de sécurité les plus sophistiquées. Les Xhantiens avaient installé une station orbitale. Au télescope, ilspurent observer Niumis et Zymbrekes découvrant les objets technologiquesabandonnés, puis apprenant à s'en servir. Ils comprirent alors que les massacres à coups de griffes n'étaient doncqu'une mise en scène. Dès le départ, ils auraient pu retourner les armes desenvahisseurs contre eux. Il s'agissait d'espèces intelligentes : il fallait agirautrement.

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La troisième expédition xhantienne fut donc précédée d'une navettediplomatique sans aucun armement. Un groupe de volontaires se porta à larencontre des Zymbrekes. Lorsque ceux-ci voulurent lancer l'assaut, lesXhantiens présentèrent des objets en cadeau. Il n'y eut cette fois aucunevictime et les trois races sympathisèrent. Les armes saisies sur les cadavres furent restituées aux Xhantiensspontanément au bout de quelques jours. Alors, les colons xhantiensdébarquèrent non armés et purent s'installer là où ils le souhaitaient. Des couples Niumis-Zymbrekes (Deux Niumis et deux Zymbrekes) seprésentèrent au devant des implantations et manifestèrent leur désir devivre au sein de la communauté xhantienne. En réciprocité, certainsXhantiens durent aller vivre avec les colonies des Niumis. En moins d'un siècle, il y avait deux types de quartiers dans les villes deMyrna. Celui qui était adapté au mode de vie autochtone, et celui adaptéaux Xhantiens. Les Xhantiens sont des créatures humanoïdes à la peausombre et écailleuse. Leur nez est presque plat, à quatre fentes. Leursoreilles sont petites et cylindriques de part et d'autre de la tête. Enfin, ilsmesurent plus de deux mètres cinquante. L'habitat ne peut donc êtrecommun avec les Niumis, hauts de quarante centimètres maxi sur la pointedes pattes ayant leurs « propres appartements » à l'étage auxquels ilsaccèdent par un pilier-tronc, tandis que le rez-de-chaussée est réservé auxZymbrekes, mesurant environ un mètre cinquante, se déplaçant sur destentacules et souhaitant vivre en permanence sur un sol nu et naturel. La « villa-immeuble » est d'ailleurs conçue pour protéger une colonie deNiumis à l 'é tage, avec le nombre équivalent de Zymbrekes aurez-de-chaussée. Les Niumis permirent aux Xhantiens de régler leurs problèmesethniques sur leur planète, par leur philosophie et leur pacifisme,rapidement à la mode au sein de l'élite xhantienne. Ils devinrent très viteambassadeurs adjoints, au service de chaque partie, afin d'arbitrer et réglerles problèmes internes des Xhantiens avec pragmatisme. Leurcollectivisme permit aussi de rationaliser la production, de mettre en placeun partage équitable des ressources et de maintenir la motivation de tousles individus en récompensant le travail accompli par des fournituresinédites, cependant non vitales. Ils firent aussi redécouvrir aux Xhantiens

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les charmes d'une pharmacopée naturelle grâce à leur excellenteconnaissance de la flore myrnienne, encore intacte et riche en plantesmédicamenteuses. Les chimistes xhantiens parvinrent d'abord à synthétiserles molécules actives, et finalement prirent le parti de la culture des planteselle-mêmes, avec les quelques manipulations génétiques adéquates pouraméliorer leur rendement et en permettre un développement contrôlé surles sols déserts ou pollués de Xhantios. Diverses techniques d'extractiondes principes actifs s'avérèrent bien plus profitables que de jouerindustriellement avec des éprouvettes... En échange, les Xhantiens devinrent partenaires pour la réalisationd'usines de produits manufacturés pour les Niumis et les Zymbrekes, dontla nudité fut déclarée « choquante ». Les Niumis découvrirent donc lesheures de travail (seulement la moitié de la journée un jour sur deux) pourpouvoir se procurer ces produits. Le binôme Zymbreke (avec ses bras ettentacules) et Niumi était quand même aussi efficace que six Xhantiens.Myrna exporta très rapidement des produits pour Xhantiens fabriquésgrâces aux ressources naturelles de la planète et grâce au travailniumio-zymbreke. Puis, il y eu très rapidement des techniciens, desconcepteurs et des créateurs niumis car leur vive intelligence était étayéepar une mémoire phénoménale. Enfin, en dehors de leurs heures de travail, les Niumis élaborèrent desdictionnaires, des méthodes d'apprentissage, des bilans de découvertes...sur leur réseau informatique global. Ils accédèrent ainsi à une culture del'écrit, une révolution, car jusqu'alors, toute la transmission des savoirs etdes traditions était orale et télépathique. Aucunement pervertis par unehistoire sanglante et des idéologies hégémoniques, tout à fait innocentsface à l’œdipe, incapables de comprendre le besoin de richesses, leurmotivation était la recherche de la connaissance et de la sagesse. La possibilité de voyager loin allait perturber quelques équilibres. Pourpouvoir s'offrir des vaisseaux spatiaux, il fallait quand même gagnerbeaucoup de crédits. De plus, les plaisirs d'une drogue concentrée (alorsque les Niumis en consommaient seulement sous forme naturelle le soirpour se détacher l'esprit), interdite de surcroît encouragèrent quelquescomportements déviants comme l'escroquerie et la masturbation en public.Mais il n'y eu jamais violence ou meurtre en effet secondaire.

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Alsyen faisait donc partie d'une famille aisée. Ele possédait d'ailleursdeux vaisseaux spatiaux. Celui qu'il avait « emprunté » pour sa petite viréefuneste dans l'espoir d'un « détachement » plus jouissif retournerait delui-même au bercail après une centaine d'alternances jour/nuit … Tenir compagnie à Reno durant ses cours l'avait déjà amené à apprendrenotre alphabet dans l'ordre des touches du clavier. De plus, comme souventReno répondait au logiciel en parlant à voix basse mais perceptible par unmicro d'oreille interprétant les vibrations des os de la mâchoire, et que lelogiciel de synthèse vocale affichait la réponse dans les cadres de saisie,Alsyen connaissait déjà un certain nombre de phonèmes à la fin de lajournée. Il pouvait ainsi reconnaître dans une phrase un objet nommé en saprésence assez rapidement. Il y avait tout de même une difficultéparticulière à la langue humaine. Aucune des trois langues (Niumi,Zymbreke, Xhantien) connues d'Alsyen ne comportaient d'articles et ilexistait quatre genres : masculin, féminin, neutre et associatif (genreréservé au binôme Niumi-Zymbreke). Avec le nombre et la fonction dansla phrase, tout était une question de déclinaison à la fin du mot. Le verbeétait donné accordé en début de phrase, puis suivait l'adverbe éventuel, legroupe sujet, (un groupe est composé d'adjectifs invariables car c'est lenom commun qui porte la marque du genre et nombre) toujours sanssubordonnée à l'intérieur, et enfin le groupe action, suivis des groupescirconstanciels, toujours sans subordonnées. Voila pour le langage parlé.Dans le langage écrit par contre, après le dernier groupe circonstanciel, onintroduisait les subordonnées par un pronom qui indiquait, soit le groupeobjet, soit le groupe action, soit enfin le numéro du groupe circonstanciel.Les pronoms personnels sujets n'existaient pas puisque le verbe, accordépar un suffixe à la bonne personne du singulier ou du pluriel, indiquait déjàles renseignements. Cela donnait des phrases du genre « Boije » (je bois).« Boije eau quiobjet coule dans grande forêt qui1 recouvre verte planète ».La négation, quant à elle, se plaçait devant le verbe quand il y avait lieu. Quelques autres règles avec des conjonctions de coordinationrégentaient les règles de position, d'appartenance, d'antériorité etc. etc. Alsyen allait avoir au début un peu de mal à s'y retrouver, malgré sonintelligence et sa mémoire. Les langages de la terre avaient fusionné en un

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franglais extrêmement compliqué à cause de l'exception culturelle d'unpetit pays de trente millions d'habitants. Celui-ci, héritier d'une « GrandeHistoire de Lui-Même », avait voulu, et obtenu par influence uneacadémie planétaire composée « d'immortels » pour régenter le bon emploides mots et leur certification, comptant ainsi éviter des termes « locaux »même dans les futures terres conquises. Le pire vint ensuite des huit cents « immortels », menant de grandesluttes d'influence et d'ego tout en prétendant sauvegarder l'étymologie desmots alors qu'ils devaient être homogénéisés. Quant aux phrases, lesgrammairiens menaient d'épiques batailles pour défendre telle ou telleexcep t ion dans l es règ les un iverse l l es . Sans l es cor rec teursorthographiques ou les logiciels de synthèse vocale, nul n'écrirait de terrienacadémiquement correct. D'où un retour à un langage parlé universel assez fruste quicorrespondait très bien à l'action en ces périodes d'émancipation. Mêmescertaines onomatopées pouvaient être lourdes de sens chez quelquestaciturnes, significations très accessibles à la télépathie d'Alsyen se basantsur les émotions et les motivations liées au déclenchement de l'usage de laparole. Mieux, Alsyen pouvait sentir le mensonge ou la méchancetéderrière chaque message apparemment sibyllin chez la plupart descréatures intelligentes.

* * *

À la mi-journée, alors que toute la section finissait son repas, Renoamena Alsyen en chambre dans les locaux de la section. Il croisa le sergentColl, ou plutôt l'ombre du sergent Coll. Celui-ci revenait de la visitemédicale et les résultats d'analyse étaient mauvais. Le docteur avait décidéde temporiser la décision du commandement en prévoyant unecontre-visite trente cycles/jour plus tard pour jauger d'une éventuelleamélioration après suppression par le sujet de l'usage de sa Neurovid.Néanmoins, il pensait certains dommages irréversibles. À sa vue, et sans connaître la cause de sa tristesse, Reno proposa de boncœur au sergent Coll une C'fet et celui-ci accepta. La conversation restaanodine et tourna autour d'Alsyen tandis que celui-ci mangeait. Alsyen

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perçut la détresse du sergent et les dégâts occasionnés par le Neurovid surses zones temporales. Entraîné par la sympathie de Reno, il décida donc de stimuler certainessynapses qui al laient relancer la product ion d 'hormones et deneurotransmetteurs qui eux-mêmes déclencheraient les réparations demanière naturelle. Le Neurovid « désamorçait » et déréglait trop demécanismes pour que la réparation se relance d'elle-même. Il faudrait justeque pendant deux semaines, Alsyen puisse croiser Coll quotidiennementpour re-stimuler l'ensemble et ensuite, les choses se soigneraientd'elles-mêmes progressivement, totalement en quelques mois, mais déjàaux trois-quarts dans les deux premières semaines. Coll prit congé de Reno avec un « Merci, c'était sympa de ta part, Reno.Mais fait gaffe, Caubard t'a dans le nez et il veut ta peau »

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Cérémonie de baptême

Alsyen va être baptisé au cours d'une petite fête surprise pour les recruesde l'escadre, mais préparée dans les moindres détails par l'équipe désignéepar le chef d'escadre. En effet, l'Amiral a précédemment décidé une visited'inspection dans toutes les unités élémentaires du vaisseau. À l'issue decelle-ci, la mascotte de chacune de ces unités va connaître son nom. Unemanière de vérifier que la leçon a porté et qu'après les sanctions et lesmises au point, les escadres sont à nouveau irréprochables et dignes de laconfiance de leur chef. Cela donne aussi l'occasion aux recrues de voir leur chef suprême à desmillions de kilomètres à la ronde. Les chambres ont été rangées « aucarré », les couloirs ont leurs parois étincelantes, les lourdes portescoulissent au petit poil et toutes les ampoules fonctionnent. Les sanitaireseux aussi ont eu droit à un nettoyage en règle, et durant les deux heuresprécédant la visite, puis pendant l'heure d'inspection, personne n'a eu ledroit de les utiliser, d'où quelques grimaces de la part de certains. Les deux-cents recrues non prises par le service sont maintenant augarde-à-vous devant leur amiral, section par section, avec leurencadrement, dans le réfectoire réaménagé pour l'occasion… La corvée de Reno pour cette cérémonie a été de nettoyer Alsyen et demettre en valeur sa fourrure. Il a fait ça au labo du « tripailleur », dans lebac d'une paillasse. Si Alsyen ne craint pas l'eau, il n'a pas du tout apprécié le savon aucitron mais Reno, malgré les sollicitations télépathiques a été intraitable.Lui aussi a donc été abondamment mouillé malgré le tablier en plastiqueque lui a prêté le « tripailleur ». Le plus pénible a été le nettoyage de latête. Même les poissons dans leur aquarium se sont cachés suite àl'émission de détresse télépathique d'Alsyen, le passage de la tête sous l'eauétant équivalent pour sa race à un véritable supplice.

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Sorti du bac, Alsyen semblait squelettique et pitoyable. Son air outré fitsourire Reno et Alsyen dut s'incliner et rire de son propre ridicule. Il selaissa donc faire durant la séance de sèche-cheveux, puis Reno le brossa enfaisant bouffer les poils très fins. Alsyen reprit ainsi une forme plusprésentable. Reno lui coupa au carré les poils qui sortaient des oreilles.Alsyen se trouva beau dans la glace que lui présenta Reno. Il dut aussi enfiler l'uniforme réalisé par le maître-tailleur d'après lesimages prises par l'ordinateur spécialisé. Alsyen résista un peu pour laforme. Il était censé être un primate sauvage à peine apprivoisé.Néanmoins, ce cadeau imprévu qui lui redonnait toute sa prestance deNiumi civilisé lui fit énormément plaisir. Un grand soin spécifique avait été apporté à sa conception. Sa queueavait son propre compartiment interne mais n'était pas visible de l'extérieurafin certainement d'éviter qu'elle puisse rester coincée dans une porte. Letissu, multicouche, était bien sûr indéchirable. Les agrafes pour y fixer defaçon étanche une capuche sous casque scaphandre afin de sortir dansl'espace étaient présentes. En avait-il un prévu pour lui ? (Plus tard, ils'avéra que oui. Reno reçut ainsi un paquetage complet pour son protégé,avec même des vêtements civils et une trousse de toilette adaptée. Ah, lesapplications du règlement parfois). Cette combinaison était auto-respirante, anti-allergique, anti-odeur.Équipée d'un convecteur, elle récupérait la chaleur corporelle de l'individupour recharger ses batteries, partie prenantes de la matière du vêtementelle-même. La polarisation variable des fibres permettait le détachage detoute matière organique interne et externe, ce qui permettait au vêtementde rester toujours propre. Plusieurs couches totalement isolantes pouvaients'activer d'elles-mêmes en fonction de la température extérieure (sécurité)ou sur commande. D'anti-transpirant, le vêtement devenait alors totalementétanche. La transpiration collectée au niveau de la peau s'accumulait dansla doublure, comme les excréments liquides. Sel et eau était récupérés etutilisables en cas de besoin. Ainsi, le recyclage des liquides, avec élimination des déchets dangereuxpermettaient à un naufragé de survivre plus longtemps. La plupart dutemps, dès le retour dans une atmosphère sécurisée, il suffisait de vider lespoches réservoir situées à l'extérieur des cuisses. Leur contenu était recyclé

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une deuxième fois à bord du vaisseau, car dans ce cas-là, personne nepensait plus à l'origine de l'eau. Les hommes ne portaient pas cette tenue en permanence. Mais elle leurservait aussi d'uniforme d'apparat, en particulier lors des escales. Le tissuinfroissable, brillant et coupé sur mesure impressionnait les colons. Dansl'espace, en cas d'alerte, les hommes devaient l'enfiler au plus vite. Unautre modèle de combat au sol, plus résistant, prévu pour emporter armes,munitions, protégeant aussi des rayons laser de faible intensité, des impactsde projectiles de première catégorie et des champs magnéto-soniques, étaitrangé dans les casiers de chaque recrue. Différents modèles de bottesavaient aussi été conçus pour la compléter efficacement en fonction descirconstances. (température au sol, dans l'espace, résistance à l'eau, àl'incendie, poids et souplesse si long déplacement pédestre...) Après essayage des gants et des chaussons à doigts pour Alsyen, ceux-cilui furent retirés et rangés dans une poche dans son dos. Ainsi, en tempsnormal, il gardait toute son « adhérence naturelle » à Reno.

* * *

La cérémonie commence. Après la présentation des troupes par le chef d'escadre, l'amiral ordonnele « repos » puis entame son petit discours traditionnel. Il les félicite pourl'état impeccable de leurs quartiers pourtant vétustes puisqu'ils sont logésdans la roue la plus ancienne du vaisseau. Il félicite en particulier lescadres qui donnent le meilleur d'eux-mêmes pour la formation et lesrecrues ayant les meilleurs résultats aux tests continus. Il leur annonce unnouveau décor pour la prochaine simulation tactique globale, sans en trahirle secret du thème. « Mais il va y avoir de l'action et chacun devra être aumaximum de son potentiel ». Pour conclure, avant que chacun puisse goûter ce que l'excellente équipede cuisiniers a préparé comme buffet, il décide de présenter une nouvellerecrue à l'escadre, dans la nouvelle fonction de mascotte. Reno s'avance donc droit comme un « i » et au pas vers l'Amiral, avecAlsyen tenu sous les aisselles au bout de ses bras. Un haut tabouret estamené près de l'Amiral et Reno y dépose Alsyen. Celui-ci ne fait pasd'histoire, mais joue un peu l'apeuré, sans se forcer vraiment car il a aussi

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le trac d'avoir tous ces yeux fixés sur lui. L'amiral sourit, puis se tourna vers les troupes. — J'ai choisi pour notre ami un nom prestigieux de notre histoire. Unmilitaire bien sûr, qui s'est battu pour la grandeur de sa cité, pour sesvaleurs, pour sa survie, son expansion et son rayonnement sur le monded'alors. Je vous présente Scipion. Il y a un blanc. Tout le monde ne connaît pas ce général romain. Puis lescadres de haut rang commencent à applaudir, vite suivis par le reste del'assemblée. « Et maintenant, la main dessus » (Vieille expression terrienne dontl'origine s'est perdue signifiant qu'on peut se servir au buffet). Dans un joyeux brouhaha, tout le monde se rend auprès des tableschargées de boissons et de toasts disposées contre les cloisons. — Venez avec nous au buffet officiel mon garçon , dit le second à Renoqui vient de récupérer Alsyen. Scipion est parfait. Il ne lui manque plusque la parole.

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Leçon de dressage

Tout le monde observe de son lit ou d'une chaise le duo Alsyen-Reno.Le spectacle attendu est une pièce comique. Reno dépose Alsyen à une extrémité de la pièce. Puis il va à l'autre bout,tenant à la main une petite boite de croquettes de chocolat. — Scipion ici ! ordonne-t-il. Reno a décidé de dresser Alsyen. Maintenant qu'il a un nom, il vapouvoir le lui apprendre. Alsyen comprend déjà une bonne partie dulangage courant et s'est même habitué à son rôle. Mais là, sa fierté en prendun coup. Il a décidé de se jouer de son dresseur dès qu'il le pourra. Donc, Scipion ne bouge pas. Reno répète en lui tendant les bras. Scipionfait mine de se gratter les fesses. - Allez, viens ici Scipion ! Insiste Reno en secouant la boite decroquettes. Cette fois, Alsyen est d'accord. Aucun animal n'est censé refuser unappel direct à l'estomac. — Bien Scipion bien, dit Reno en lui refilant une croquette. Il s'éloigne et Alsyen le suit. Alors Reno revient et lui dit « Pasbouger ». Scipion s'assied donc. Reno repart. Alsyen aussi. « Non, Scipion,non ». Reno le pose à nouveau au sol. « Scipion pas bouger ». Il parcourt unmètre. Scipion le regarde sans bouger. Reno revient, lui donne unecroquette en lui disant « Bien, Scipion, bien ». — Scipion, pas bouger. Il s'éloigne et Scipion suit. Même jeu une dizaine de fois. Reno ne peutpas s'éloigner de plus de deux mètres après avoir donné une croquette. Puis Alsyen le laisse traverser la pièce. Reno revient. Le félicite. Luidonne une croquette. Il le laisse sans rien dire. Alsyen le suit donc. Retoursur l'endroit, « pas bouger Scipion » puis Reno se place à l'autre bout de la

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salle — Viens, Scipion. Viens, ordonne Reno. Scipion s'étire. Le regarde, avance un peu. « Allez oui, viens Scipion ».Il décide de ne pas se presser. Reno secoue la boite. Alsyen s'arrête. — Il n'a plus faim, fait Jean-Louis. — Il est trop bête, ajoute Paulo. — Allez viens Scipion, implore Reno. Sur ce ton-là, Alsyen veut bien. Nouvelle croquette et deux troiscaresses. « Pas bouger Scipion » et Reno s'éloigne. — Viens, Scipion, viens. Il en a assez Alsyen, et il tient à le faire savoir. À mi-parcours, il s'arrêteet défèque. Toute la chambre écarquille les yeux. Scipion n'a jamais fait celaauparavant. Et d'ailleurs personne ne sait ce qu'il fait d'habitude. Bien sûrque jamais personne n'a pu penser que Scipion pouvait ne rien faire. Mais,on s'imaginait qu'il allait plus loin, durant les périodes nocturnes, qu'uneautre section devait nettoyer sans rien dire… Tout le monde rit, sauf Reno qui sait qu'il va devoir nettoyer. — Scipion vilain, sermonne Reno. — Il faut le gronder, dit Jean-Louis,. Il y a un truc qui marche bien, c'estlui mettre le nez dedans. Alsyen sent tout son poil se hérisser. « Non, Reno, non. Tu ne vas pasfaire ça ? » songe t-il effrayé. Reno se rapproche d'Alsyen. Si, il va le faire ! Alsyen s'enfuit mais laporte est fermée. Il tente en sautant d'atteindre le bouton, mais le manquesous la précipitation. — Pas bête le singe, dit Jean-Louis, on dirait qu'il a compris. Attrape-leavant qu'il réussisse à se tirer ailleurs. Reno l'attrape au vol. Alsyen s'accroche à son bras, lui envoie télépathiquement des ondes deremords de sa part, de honte pour lui s'il lui faisait subir ça… Reno sait quetout le monde le regarde. Il ne peut plus reculer, sinon, il est bon pournettoyer en permanence. Les corvées du matin et du soir lui suffisent.Alsyen appelle à l'aide toute la chambrée, se crispe, jette sa tête en arrière,fait les gros yeux gémit bruyamment mais rien n'y fait et Reno inflexible

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lui souille la truffe. Les griffes rétractiles d'Alsyen, oubliées par Reno habitué aux ventousesqui les dissimulent jaillissent et en un éclair lacèrent Reno aux bras,déchirant combinaison et peau comme un simple film de plastique. Il lâcheAlsyen, qui en profite pour se dissimuler sous un lit, en répandant desondes de honte à la ronde. Fin de la leçon d'aujourd'hui. Les deux ont appris plus qu'ils n'auraientvoulu et chacun d'eux le regrette car chacun a sa part de responsabilité.Alsyen finalement ému par le désarroi de Reno cesse ses stimulationstélépathiques. Reno nettoie les dégâts et personne ne rit. Il se prometdemain de consulter en ligne les principes d'un bon dressage plutôt qued'improviser. Un animal, ça se respecte. Jean-Louis va chercher dans satrousse individuelle des pansements hémostatiques et désinfectants à basede cyanoacrylate en tube (Les modèles en bombe sont interdits dansl'espace). Alsyen remonte alors télépathiquement le moral des troupes et suggèreune petite soif de C'fet à tous. Quand les premiers rires fusent à nouveau, ilsort de sa cachette et va se blottir contre Reno qui discrètement le serrecontre lui avec une effusion qu'il tente de masquer.

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Progrès et découvertes

Quinze cycles jours se sont écoulés. Aujourd'hui, Alsyen est capable decomprendre l'intégralité des conversations en cours autour de lui. Il saitaussi lire. Ayant mémorisé le code d'accès de Reno, il va pouvoir seconnecter sur le réseau interne du vaisseau et étendre sa connaissance de laculture des humains. Le sergent Coll est enfin sorti d'affaire avec ses problèmes médicaux. Lemédecin de bord ne s'explique pas la régénérescence aussi rapide desneurones endommagés et le sevrage sans troubles psychologiques auNeurovid. Sur la feuille de soin, il a présumé d'une détérioration très rapidemais non définitive, donc réversible grâce à un emploi antérieur très peufréquent. Cette conclusion de « très peu fréquent » permet aussi d'appliquerun bémol à la punition en cours et ne remet plus en cause de manièrecatégorique la suite de la carrière du jeune gradé. Coll trouvant Reno très sympathique, il interagit sur le chef de groupeen titre de celui-ci, le sergent Sancruz afin de le convaincre de cesser lespetites vexations quotidiennes imposées à Reno. D'ailleurs Alsyen lui aussiencourage le tourmenteur à plus de retenue, surtout verbale en lui simulantdes goûts écœurants lors de l'emploi de termes blessants à l'égard de sonsubordonné. Le sergent Sancruz va finir par devenir poli avec tout lemonde à la longue, bien conscient de ce « problème » dont il n'ose parler àqui que ce soit. Quant à Reno, il prend du poil de la bête. Son assurance s'affirmevis-à-vis de ses camarades et il est moins gaffeur dans la vie quotidienne. Ilfaut dire qu'il bénéficie de l'aura de « responsable de mascotte ». Il estdevenu une célébrité sur le vaisseau. Son singe savant en jette tout demême plus que les cochons d'Inde ou les souris blanches des autres unités. Alsyen n'est pas étranger à cet état.

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Il a de moins en moins besoin d'influer sur le rythme cardiaque ou lesnerfs de son protégé/partenaire. En effet, il a corrigé le petit défautcongénital de Reno en stimulant quelques neurones jouant sur lessécrétions de l'hypophyse. Il a aussi un peu modifié les taux de sécrétionshormonales et bidouillé quelques neurones du cervelet pour finir de« câbler » les hémisphères cérébraux. Reno dispose aujourd'hui du doublede neurones cognitifs par rapport à la grande majorité de ses congénères.Les performances de sa mémoire et de ses dispositifs mentaux en sontsur-multipliés. Reste à les lui faire utiliser à autre chose que ses maigrescours théoriques et le comptage de chaussettes auxquels il est destiné dansle cadre de son orientation initiale. Alsyen a aussi corrigé le caractère naturellement indolent de Reno.Rêveur timide et maladroit, Reno ne se donnait que des buts étriqués àatteindre afin de ne pas être dépassé et son manque d'ambition pouvait lecantonner aux échelons subalternes de la hiérarchie. Aujourd'hui, Reno aenvie de faire du sport, de progresser dans tous les domaines possibles. Ilattribue cette nouvelle boulimie d'intérêts à la relative inactivité après sesclasses à bord du vaisseau. Heureusement, il peut accéder à une salle desport, et il commence à s'y rendre de plus en plus souvent en dehors desheures obligatoires en sect ion. Les premiers progrès sont t rèsencourageants et sa maîtrise de mouvement, qu'il s'agisse de sport decombat ou de geste technique, s'est bien améliorée, surtout qu'auparavant,trop craintif, il tremblait presque d'appréhension à chaque mise à l'épreuve,ce qui l'inhibait totalement. Alsyen, toujours à ses côtés veille au grain. Comme ce fameux jour de la dernière décade... Reno s'entraînait à laboxe française contre un simple sac rembourré de mousse. Les troissergents de la section sont arrivés pour s'entraîner entre eux. Surpris par laprésence d'une recrue en ces lieux en dehors des heures imposées, Sancruza décidé de le prendre pour adversaire au « full contact ». Reno montaalors sur le ring la tête basse. Les trente premières secondes, ce fut un massacre. Reno tentait de parer,mais les coups de poing mêmes amortis par les gants, l'étourdissaient. Sonadversaire en profitait pour l'accabler sous une grêle de coups de plus enplus appuyés et précis en toute liberté. Alsyen dissipa alors ses malaises enaugmentant son rythme cardiaque, en stimulant quelques glandes pour

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dilater les veines, puis coupa les récepteurs de la douleur, simula en Renoune sourde colère et lui suggéra quelques enchaînements. Deux minutesaprès, un uppercut envoyait proprement Sancruz au tapis, alors que lesdeux autres n'avaient rien remarqué d'étrange en ce subit revirement desituation. Alsyen calma instantanément Reno avant qu'il n'y ait risque dedébordement et celui-ci, avec sa gentillesse habituelle proposa alors samain à son adversaire pour l'aider à se relever. Sancruz préféra refuserl'aide inattendue, prétexta une douleur au poignet et quitta le ring, baignantdans un mélange de surprise et de dépit. Reno n'en ressentit pasimmédiatement de la fierté car Alsyen bloqua ce sentiment. Il ne fallait pasque la métamorphose semblât trop rapide. Mais depuis cette raclée inattendue, Sancruz choisissait un autre cobayepour ses démonstrations au niveau section et les vexations se raréfièrentpour disparaître totalement. Reno doit encore intellectuellement beaucoup progresser, pour parvenirau niveau souhaité par Alsyen. Celui-ci stimule les centres de la curiosité,mais l'emploi du temps est chargé et les accès aux informations sontpeut-être analysés. Alsyen s'oblige à la prudence et apprend simultanémentles mêmes choses que Reno. Lorsque la « roue » est endormie, Reno en profite pour allumer un desordinateurs intégrés dans la table de la chambre. Il trouve enfin undescriptif du vaisseau école, avec une représentation visuelle et undescriptif technique, dans les grandes lignes. Derrière lui, Alsyen esthorrifié. Les humains ont un tel retard technologique. Mais on ne peut leurdénier un certain sens pratique et un sacré courage pour s'embarquer sur detelles casseroles. Le vaisseau est composé d'une base propulsive circulaire. À chaquee x t r é m i t é d ' u n d i a m è t r e , d e u x g r a n d e s c o l o n n e s s ' é l è v e n tperpendiculairement à cette base. Ces deux colonnes supportent un axe lesreliant entre elles. Cet axe est aussi celui de cinq roues internes (Mais onpourrait encore en rajouter deux à l'intérieur des colonnes). Rienn'interdirait d'avoir un jour des roues tournant à l'extérieur des colonnes,mais pour l'instant, il y a deux roues cylindriques stables de part et d'autrede l'ensemble.

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Ces deux roues servent d'entrepôts dans les niveaux les plus proches desaxes, de réservoirs dans les parties inférieures, de ponts d'envols et degarage pour les différents types de véhicules spatiaux ou terrestresembarqués dans les parties supérieures. On sort par l'avant de l'épaisseurdu disque et on y entre par l'arrière. Ainsi, les trajectoires d'entrées-sortiesne se croisent pas et ne sont jamais perpendiculaires aux « rouesd'habitation ». Elles sont aussi éloignées des réservoirs et des réacteurs depropulsion du vaisseau école. Enfin, les surfaces extérieures des disques,flancs de l'ensemble, servent de boucliers comme de support pourl'installation de canons pour la défense rapprochée. D'autres canons sontsitués aussi sur deux niveaux à l'arrière et à l'avant dans l'axe du vaisseau. La roue interne est plus large que les autres. Elle peut suspendre sarotation en phase d'alerte ou de combat. C'est la seule roue à avoir latranche entièrement armée. En effet, en son centre, jusqu'à mi-rayon, sontimplantées la passerelle de commandement et l'état major. Pilotes etcommandement peuvent voir dans toutes les directions grâce aux caméraspositionnées tout autour du vaisseau, tout en étant au coeur supérieur de lastructure du « Sun Tzu ». Dans la partie supérieure (quand la rotation est bloquée), il y a troisniveaux de pistes d'envol, accessibles par l'arrière. Dans la partie inférieuresont prépositionnés des stocks de survie, toujours vérifiés et jamaisentamés dans le service courant prévus pour être consommés durant lesattaques, ou en cas de destruction des stocks plus exposés aux coups d'unadversaire. Les meubles sont fixés au sol et le matériel informatique decommandement inclus dans les tables. Les hommes s'arriment à leur siège,et pour se déplacer, disposent de semelles qui s'aimantent par induction enfonction de la position du pied à l'intérieur de la botte. Un talon qui serelève sous l'effet de la marche permet en fonction de sa position relative ladés-aimantation de l'arrière de la semelle tandis l'autre pied bien à platcommande l 'aimantation totale. Si deux talons sont « en l 'air »simultanément, les semelles restent aimantées. Ce dispositif est indispensable puisque lorsque la roue ne tourne plus, iln'y a pas d'énergie cinétique créant une attraction artificielle contre lesparois dans le sens de la tranche. Mais il n'y a pas de pesanteur non pluspour troubler un homme assis qui serait « tête à tête » avec son symétrique

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par rapport à l'axe. En disposition de combat, l'équipe est donc répartie dans la roue centraleet dans les roues boucliers. Les roues d'habitation, trop exposées etsuceptibles de subir des décompressions coûteuses en oxygène etdestructrices sont exemptes de personnels, dépressurisées (et l'atmosphèrerécupérée), désactivées (moins de risques d'incendie, en particulierélectrique) et protègent le cœur du vaisseau. La surface extérieure du disque de propulsion ainsi que ses tranches sonthér i s sées de canons à commande dépor tée dans l e cen t re decommandement. Il y a trop de radiations au niveau de ce disque pour yenvoyer des canonniers. C'est pour cela que le nombre de canons y est trèsimportant. Il est redondant à l'extrême, car ils peuvent s'enrayer ou sebloquer dans une mauvaise position de tir, et personne n'ira les remettre enfonction durant la bataille. En effet, la propulsion du vaisseau est nucléaire. Tout le disque est unesuperposition d'accélérateurs atomiques. Les gaz propulseurs décrivent unetrajectoire en spirale d'accélération électromagnétique, dans un plan enpartant du centre, puis dans le second de l'extérieur vers l'intérieur, etenfin selon le même principe au travers de trois autres avant d'être éjectésavec le maximum de vitesse, donc d'énergie pour propulser le vaisseau. Ces gaz ne sont plus sous une structure moléculaire lors de l'éjection,mais plutôt en bouillie d'atomes car la vitesse a brisé toutes les liaisons etune recombinaison moléculaire n'est plus possible à l'intérieur du circuit. Mélange de méthane ou d'autres pompés à la surface de certainesplanètes, les gaz propulseurs sont conservés sous forme liquide à 100 °K,température régulée dans les réservoirs du vaisseau, mais dans lesréservoirs souples en forme de dirigeables, ils sont, soit solidifiés quand iln'y a aucun astre « proche » et que la température passe en dessous de 80°K. L'espace interstellaire est le plus froid, à 2,3 °K soit – 270 °C. Ceux-cisont reliés entre eux par des câbles et forment un gigantesque successionde « saucisses » . Elle est disposée en arc de cercle à l'arrière du vaisseaucar chaque extrémité est fixée à une colonne. Selon les besoins, le contenudu réservoir est réchauffé si besoin est, puis pompé pour remplir lesréservoirs internes tandis que l'enveloppe souple une fois « dégonflée » eststockée dans les entrepôts. En cas d'attaque, les sacs sont largués, car ils

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peuvent gêner à l'accélération brutale nécessaire, comme risquer d'explosersous les feux de l'ennemi trop près du vaisseau. Cependant, en vitesse decroisière, accélérés comme le reste de l'ensemble, il n'ont aucun effetparasite important puisque il n'y a pas de frottement dans le vide. En phasede décélération, le vaisseau « descend » par rapport au plan de l'ensemble,pour permettre aux réservoirs de passer au devant sans croiser les flux desréacteurs. En fait, c'est l'arrière qui monte un peu sous l'effet d'une légèreéjection gazeuse et la propulsion le fait descendre. Le chapelet de« saucisses » s'aligne dans le nouveau plan. Puis la propulsion arrière estcoupée, l'avant remonte sous l'effet d'une éjection de gaz, et la propulsion« avant » servant à la décélération fait passer le vaisseau sous l'arc de« saucisses ». Cet effet est rendu possible grâce à la conception de l'ensemble « disquepropulseur ». Au premier niveau du disque, ce sont les cinq réacteurs nucléaires. Deuxseulement sont simultanément en activité. Les autres sont en attente. Ilsseront activés un par un quand un autre s'arrêtera faute de carburant. Car iln'y a pas de « recharge » en combustibles durant les voyages. Celles-cis'effectuent à quai et seulement dans les stations spatiales spécialisées. Les réacteurs servent aussi à la production d'électricité pour lesaccélérateurs atomiques et pour l'ensemble du vaisseau, ainsi que pour lescircuits de chauffage qui font vivre celui-ci. Prés du cœur en fusion, aprèsla piscine permettant l'échange calorique entre deux tuyauteries bat unepompe qui fait circuler un fluide visqueux bien chaud « à tous les étages ». L'électricité alimente des batteries qui desservent les circuits de« prises » comme l'éclairage ou les circuits techniques intégrés dans lacoque du vaisseau. Ces systèmes sont très variés et vont des valves pourl e s s y s t è m e s p n e u m a t i q u e s o u h y d r a u l i q u e s s e r v a n t àl ' ouve r tu re - f e rme tu res de « po r t e s » , à un r é seau mul t ip l e sordinateurs-experts rendant compte au système central en temps réel dessous-systèmes dont ils ont la charge. Il y a aussi des radiateurs de secoursen cas de « purge » ou fuite des circuits hydrauliques etc. etc.) Mais surtout, elle alimente les gigantesques bobines d'induction des sixaccélérateurs.

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Chaque accélérateur est doté d'une sortie d'éjection destinée à lapropulsion. L'orientation de cette sortie permet de définir la direction de lapoussée. Les disques peuvent se déplacer autour de leur axe, à la vitessed'un degré par minute seulement, alors qu'il suffit de dix secondes pour« démarrer » un réacteur et trente secondes pour qu'il soit au maximum desa capacité. Donc, en temps normal, pas plus de deux réacteurs sont activés. Lessorties d'éjection sont pré-positionnées de la manière suivante : une à angledroit par rapport au sens de déplacement à droite, une de même à gauche,deux sorties à l'avant pour la décélération, deux sorties à l'arrière. Cesquatre dernières formeraient un X, avec un angle de trente degrés à l'avantet à l'arrière, si on devait relier par une ligne imaginaire l'arrière droit avecl'avant gauche, puis l'arrière gauche avec l'avant droit. Ainsi, on peut obtenir très rapidement (dix secondes) une décélérationdans l'axe de déplacement par extinction de la propulsion arrière etactivation de l'éjection avant ou une déviation latérale puissante. Cetteactivation à l'avant ne doit jamais se faire à moins de dix degrés de l'axe dedéplacement du vaisseau. Autrement, celui-ci pourrait être éclaboussé parses propres gaz d'éjection qu'il « rattraperait » et il y aurait risque deradioactivité à bord. Pour pour un simple changement de cap, il suffit defaire lentement pivoter l'ensemble. Enfin, pour les longs voyages où l'accélération initiale est importante entermes de délais de trajets, les six réacteurs, une fois le vaisseau sur le boncap, peuvent être alignés à l'arrière et utilisés simultanément durant cettephase. Puis deux réacteurs suffisent à conserver la vitesse acquise (lavitesse maximale dépend aussi de la vitesse d'éjection maximale possiblede la matière gazeuse). La maniabilité est donc excellente, car les systèmes-experts d'aide aupilotage s'occupent de tous les choix en matière d'orientation des jets et dela puissance en fonction des mouvements du « manche à balai » entre lesmains des pilotes. Mais ceux-ci restent indispensables pour gérer l'inertiede la masse afin dene ne pas percuter les planètes lors de la mise en orbiteou les quais des plates formes spatiales durant les manœuvres d'amarrage,car les ordinateurs ne peuvent pas tout faire, quoique...

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Il n'empêche que pour Alsyen, ce système est bien primaire, et surtout, ilregrette l'absence rassurante de bouclier anti-collision pour les petits corpscélestes. Les hommes ne disposent pas de la technologie du vaisseaud'Alsyen et ont choisi d'autres solutions techniques, sachant tout de mêmeque seule la redondance en matière d'équipements et de précautions peutpermettre de lutter contre le hasard des mauvaises rencontres. Les parois des zones pressurisées comportent des matériaux« auto-réparant » (mousse expansive). Le trou créé par le passage serebouche par la pression du matériau environnant jusqu'à cinq centimètres.Ensuite, c'est la couche fluide pâteuse emprisonnée entre les deux couchesde ce matériau qui s'écoule et coagule au contact de l'air qui s'échappe. Ellepeut boucher encore huit centimètres en moins de trente secondes.Cependant, à l'intérieur, un corps vivant peut être traversé de part en part àn'importe quel moment, ce qui n'est guère rassurant. La probabilité est quasi nulle dans les espaces inter-galactiques, mais estaugmentée par la vitesse de déplacement et la proximité de planètes ou decomètes. Le choix fait par les humains du « traversé de part en part comme dans du beurre » permet, grâce à la multiplication et la diversitédes systèmes mis en place, comme la sur-compartimentation ses espacesprévue dès la conception d'éviter les explosions ou les larges brèches dansles espaces habités. Seuls les boucliers latéraux peuvent être endommagés sans« auto-réparation » mais il n'y aurait pas de fuite d'air catastrophique. Leurrôle à eux est d'arrêter des projectiles moins rapides ou des lasers dans lecadre de combats. Les hommes ont confiance en leur vaisseau. Seulement,si comme Alsyen, nous devrions perdre une vie de plusieurs siècles, nousserions aussi craintifs que lui. Un détail important attire l'attention d'Alsyen. Le système centralsurveille toutes les sorties vers les ponts d'envol et y exerce un contrôled'accès draconien. En effet, ceux-ci sont dans l'espace et les hommes sont en scaphandre.Il faut donc passer par des sas, vidés de leur air (récupéré) à la sortie, etre-pressurisés avant de rentrer. Toute sortie doit être programmée et faitl'objet d'un ordre de mission individuel ou d'une habilitation permanentedoublée d'une programmation. Pour des raisons de sécurité, des

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vérifications sont faites pour que jamais un travailleur de pont ne soitencore dehors une demi-heure avant la fin de son autonomie en oxygène.Un éventuel fuyard qui n'aurait pas programmé une sortie à l'extérieur, etsensé être encore sur le pont, serait donc repéré au bout d'une heure trente. S'enfuir en volant une navette serait extrêmement compliqué pour lui,même en influençant un humain… il faut tous les sacrements del'état-major pour pouvoir décoller...

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Alsyen (tranquillement installé sur les genoux de Reno) poursuit enmême temps que lui mais avec le regard en biais et l'esprit un peu légerl'instruction technique et militaire du jeune soldat. Tous les gestes, toutes les situations, toutes les missions qu'il doitréaliser dans le cadre de son emploi existent en simulation. Pour lui,comme pour ses camarades. Dans le cadre de son travail d'adjoint fourrier, Reno peut réaliser desdistributions pour sa section, commander des véhicules de manutention decaisses dans les entrepôts sans gravité ou gérer des stocks de vivres encampagne au niveau d'une section isolée. Pour apprendre les bons comportements au combat, il joue son rôle desoldat devant suivre les ordres de son chef en cours de mission tout enprenant garde à son environnement. Il apprend ainsi à toujours essayer deprogresser discrètement, en évitant les éventuels pièges dissimulés le longd'une lisière, à traverser un découvert en liaison avec d'autres éléments dugroupe, mais aussi à utiliser son arme (visée, suivi des indications dedistance, identification de la menace…et autres données sont fournies dansla visière de son casque). L'ordinateur associé à sa combinaison, relié auréseau du vaisseau, analyse en permanence, par l'intermédiaire de samini-caméra à trois-cent-soixante degrés ventousée sur son casque et ledispositif de visée de son fusil d'assaut, l'ensemble de son environnement.Il peut ainsi renseigner d'une présence ennemie en temps réel (type,volume, position, intention, dangerosité), non seulement le soldat pour saprotection individuelle et celle de ses camarades, mais aussi lecommandement pour la prise de décision stratégique. Cette représentation virtuelle en 3D permet d'instrumenter leséquipements comme les cadres d'ordres, les savoir-faire, les méthodes etles conventions au combat, ainsi que l'application de nombreuses

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consignes dans des phases particulièrement délicates comme le respect desprocédures de sécurité à l'embarquement ou au débarquement d'unebarge… Ces programmes sont adaptés à chaque échelon hiérarchique et tout lemonde suit un entraînement journalier afin que chacun, au combat commeen simulation générale, soit déjà drillé et réagisse avec un maximumd'efficacité. Si la simulation ne remplace pas la véritable expérience sur leterrain, elle reste la seule possible réalisable dans l'espace en ce quiconcerne les opérations terrestres. D'autres exercices liés au vaisseau dansl'espace sont aussi réalisés physiquement aux abords des planètes ou àl'arrêt. Reno s'étonne de ses excellents résultats. La stimulation effectuée parAlsyen porte ses fruits. Il ne sait pas que le programme d'instruction réagiten fonction de son niveau et que les exercices deviennent de plus en pluscompliqués. Dans la vie réelle, Reno se révélerait comme une redoutable« bête de guerre » sur un champ de bataille. Son corps progresse en souplesse, force et efficacité. Après l'épisodeavec le sergent Sancruz, il a encore amélioré le contrôle de ses capacitéscombatives tout en commençant à profiter de la rapidité et de la force. Leprogramme sportif qu'il s'impose selon les indications soufflées par Alsyenlui apporte élasticité des muscles et des tendons, augmentation de la massemusculaire et optimisation physico-chimique du système nerveux. Lenombre de synapses a encore été doublé. Les neurones eux-mêmes àchaque régénération cellulaire font progresser leur infrastructure de canauxsodiques et améliorent leur conductivité. Les gaines de myéline ont étérenforcées, la composition des neurotransmetteurs a été épurée. Enfin, lesystème physiologique a ralenti la mort des neurones, développé leursystème dendritique, multiplié les connexions chimiques. Le systèmeimmunitaire fabrique des anticorps supérieurs aux modèles classiques, àlarge spectre et s'attaquant même à certains virus et aux cellulespré-cancéreuse. Le sang est mieux filtré, l'hémoglobine est plus efficiente et lesorganes eux-aussi ont été optimisés. Le phénomène de vieillissement naturel est retardé grâce à une mitosesécurisée principalement aux stades de l'interphase et de l'anaphase, lors

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du renouvellement cellulaire. Reno est donc en pleine forme et en proie àun appétit féroce. Le système expert de détection des meilleurs éléments l'a inscrit en tête.Néanmoins, personne encore ne le consulte à ce sujet, car Reno n'est pasdans une phase d'orientation. Le niveau de simulation se porte donc pour Reno dans le cadre desimple combattant comme de sa progression en trinôme au sein de songroupe commandé par un sergent. Dans le cadre d'une manœuvre, il a aussiun rôle au niveau section, qui dispose de quatre groupes, et une interactionavec le niveau escadre. Dans l'espace, où les effectifs sont réduits, lesgrandes armées n'existent pas. Pour la défense d'une planète peuplée de colons, on ne prévoit qu'unvaisseau amiral, que l'ennemi soit situé dans l'espace ou sur la planète. Ilpeut y avoir quatre ou six escadres sous le commandement d'un état-majorpartagé entre plusieurs missions : « Le vaisseau », l'escadron spatio-aérien,les troupes au sol, et les liaisons avec l'état-major allié (les colons). Il y aobligatoirement une escadre attachée au vaisseau, et une escadre qui est enfait l'escadron aérien. Le vaisseau-école ne forme donc que deux escadres de « troupes au sol »à la fois. C'est plus un choix technique et logistique adapté au format actuelle destroupes du FCP. Néanmoins, l'amiral et les vétérans, dont la section est une sectiond'état-major, autant qu'une garde rapprochée, s'appliquent à faire évoluerses schémas en testant d 'autres combinaisons avec le pool desprogrammeurs-concepteurs du vaisseau. Ce sont eux, avec un des troisadjoints de l'amiral, qui mettent au point les « simulations globales », oufont évoluer les programmes d'instruction virtuelle. Il existe aussi une salle par escadre avec des armes quasi-réelles et descaméras percevant mouvements et position, reliées au systèmeinformatique et une cinématique grandeur nature projetée sur un largeécran. Cette salle permet de s'entraîner au tir et au déplacement avec unereprésentation 3D conforme aux gestes et attitudes réelles des participants,(un groupe de quinze hommes : deux trinômes assaut, deux trinômessoutien, un trinôme de commandement et de liaison (un élément liaison

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sol, un élément liaison aérien, et le sergent). Ces trinômes peuvent s'appeler différemment selon les missions. Parexemple, dans le cadre d'une embuscade visant à l'attaque d'un convoiennemi, le premier trinôme est l'élément d'arrêt qui bloque la progressiondu convoi en prenant sous ses feux le véhicule de tête puis tout véhiculequi tenterait de la dépasser. Le second trinôme constitue l'élément dedestruction. Le troisième trinôme sert d'« élément de couverture ». Ilempêche les véhicules du convoi ou les troupes qui en descendraient dedéborder par l'arrière les éléments précédents en sortant de la voie decirculation du côté du flanc d'où proviennent les tirs. Enfin, le quatrièmetrinôme guette l'arrivée éventuelle de renforts qui viendraient dégager leconvoi des feux qui le paralysent et le détruisent. Toutes ces techniques sont le fruit de réflexions de milliers d'années deguerre, constate Alsyen. Néanmoins, elles ne sont pas spécialementvalables dans tous les types de conflits modernes. L'unité de combat debase zannien regroupe une intelligence zannienne, un système expert, etune centaine de droïdes très spécialisés de toutes tailles mais aptes àl'autonomie dès lors qu'une mission individuelle leur est confiée. La pointe du combat au sol d ' infanter ie a une composanteaérienne équipée de droïdes qui se propulsent en trois secondes à centmètres de haut et arrosent de grenades dans les dix secondes une zonede un kilomètre de long sur cinquante de large. L'ensemble du dispositifd'attaque humain niveau escadre serait anéanti avant la première velléité derepli. Les scénarios les plus loufoques parfois permettent aussi d'utiliser cematériel en détente, mais la plupart du temps, le verdict tombe durement(« trop en arrière, tu n'as pas couvert ton camarade, il est mort par tafaute », « trop en avant, tu t'es exposé à la vue de l'ennemi trop tôt faisantperdre l'effet de surprise », « trop distrait, tu as marché sur une mine… »). Être soldat, ce n'est pas simple et les erreurs se paient au prix fort, alorsq u e l a r e s s o u r c e e s t r a r e e t c o û t e u s e p o u r f a i r e f a c e à d e sbesoins...astronomiques. Le champ de bataille n'est pas un terrain de jeu etla réalité de leur formation leur fait oublier la fiction des films depropagande pour inciter à l'engagement de toute l'humanité dans laconquête spatiale, effort soutenu depuis plus de trois siècles…

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Les mises en situation tactique des échelons supérieurs, grâce auxrésultats individuels permanents des troupes, permettent aux chefs deprendre des décisions avec les moyens virtuels correspondant aux moyensréels. Un individu mauvais pénalisera donc son chef sur le terrain. Ainsi, lecommandement, à tous les niveaux est obligé de s'investir dans le suivi etla motivation de ses subordonnés dans le réel. C'est pour cela aussi que lesexercices sont soit individuels, soit en réseau, par groupe, section ouescadre avant les exercices de « restitution » au niveau global. Lasimulation permet en outre un vrai gain de temps dans l'instruction, grâce àune préparation minutieuse déjà réalisée pour les exercices basiques, avecdes objectifs pédagogiques clairement identifiés, comme une véritablemise à l'épreuve lors des simulations globales où « tout peut arriver ». Dans le premier cas, on peut faire l'analyse critique et « rejouerl'exercice » jusqu'à l'obtention du résultat escompté, autant individuel quecollectif (Et dans l'espace, le temps ne manque pas pour la simulation).Mais, lors des simulations globales, la sanction du « terrain » tombe etl'amiral se charge d'être le « juge suprême » de la qualité des actionsmenées. En prévision de l'arrivée prochaine pour une restitution physiqued'envergure sur B006, l'exercice de simulation globale de mi-parcours seradéterminant pour l'instruction complémentaire à réaliser avant cettenouvelle mise à l'épreuve. L'Amiral place l'homme au cœur du dispositif. Selon lui, sans ladétermination et la compétence du soldat, les moyens employés seraientsans effet face à un ennemi plus motivé. De plus, la meilleure desmécaniques des systèmes d'armes comme des systèmes de transmission etde commandement peut s'enrayer pour un grain de sable dans l'œil du chefmal secondé par des subordonnés sans imagination ni initiative. Avec seschers vétérans, il a préparé une sacrée surprise pour ses cadres qui neconnaissent pas encore la dure réalité des niveaux extérieurs. Car si l'homme n'a toujours pas rencontré d'espèces intelligentes, il s'estquand même implanté sur des planètes dont l'évolution des espèces en estencore au niveau de la griffe et de la dent, mais où parfois existent desgroupes sociaux primaires, plus évolués que les termitières ou les bandesde loups… avec lesquels l'affrontement direct peut être pire qu'essayer

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d'endiguer une marabunta de fourmis de deux mètres de long équipéesd'une queue de scorpion. Ces planètes-là, à risque, ne sont bien sûr pasouvertes à la colonisation de masse.

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Visite des entrepôts

Après le déjeuner, Reno retourne à sa chambre avec Alsyen . Il vientrécupérer son équipement spatial, et celui de la « mascotte » qui est tout àfait opérationnel. Aujourd'hui, il se rend réellement dans les entrepôts pourapprendre, lors d'une véritable opération de déstockage, à manipuler leslourds containers en apesanteur. Il passe alors ses bottes « de cale ». À la différence des bottes normales,celle-ci s'enfilent dans la double épaisseur des jambes de pantalon qui ainsiles recouvrent et se fixent de manière étanche sur la botte au niveau de lacheville. Enfin, elles sont elles-aussi à aimantation progressive (seule estaimantée la partie en contact, en respectant le mouvement du pied. Cetteaimantation est réalisée grâce à un maillage de mini-bobines inductivesultra-conductrices (qui en plus chauffent la botte) alimentées ou pas situédans la semelle. Les gants fonctionnent sur le même principe, que ce soitpour l'étanchéité, qui cette fois se fait au niveau du poignet, que pour lechauffage (sur le dos de la main) mais ont une aimantation facultative etréglable en intensité. L'énergie électrique est stockée dans lesmulti-couches de la combinaison, qui a aussi des qualités de protection auxchocs et d'isolement aux différences extrêmes de température. Au niveau du casque, la combinaison dispose d'une capuchehabituellement rangée en col fermé par des bandes auto adhésivesélectrostatiques. Un simple changement de polarité et la capuche peut sedérouler. Le casque est composé d'une partie rigide protégeant le crâne, etd'une visière prolongée par une mentonnière pouvant basculer d'avant enarrière et dont chaque coté vient s'emboîter hermétiquement à la basearrière du casque, emprisonnant ainsi la mâchoire. La mentonnière et labase du casque sont elles-mêmes prolongées par une « jupe » qui vientélectrostatiquement se fixer dans le dos, sur les épaules et sur le torse. L'airentre les deux couches de « tissu spatial » est chassé par l'injection d'un gel

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qui aura tendance à se rétracter et à coller dès qu'il sera soumis à bassetempérature, ce qui est rapidement le cas dans les entrepôts (il y fait moinssoixante degré Celsius). Alsyen est encore une fois étonné par cette rusticité. Là où l'hommeemploie un système multi-couches de fibres tissées alterné avec descouches isolantes métalliques et d'autres plastiques, sa technologie utiliseun champ ondo-magnétique généré à fleur de combinaison très seyante, àla fois isolant et protecteur grâce aussi à des micro-pai l let tesréfléchissantes polarisées emprisonnées en son sein. Il n'y a pas de contactde la combinaison avec le vide donc il n'y a pas de déperdition de chaleur.L'énergie lumineuse quant à elle est dispersée par les micro-paillettes avantde l'atteindre et n'entraîne pas de surchauffe. Ensuite, juste avant de sortir, il faut, par-dessus la combinaison de bord,enfiler un scaphandre bien plus épais que celle-ci, rigide sauf au niveau desarticulations du poignet, du coude, et du genou. Le scaphandre se clipse luiaussi au casque, aux gants et aux bottes. Sécurité maximum. La zone des entrepôts jouxte celle des hangars auxnavettes. Ceux-ci, durant le déplacement intra-planétaire sont fermés. Celaleur permet de ne pas être exposés au froid extrême de l'espace de l'ordrede moins trois cent cinquante degrés Celsius quand il n'y a pas d'étoiledans les environs. Actuellement, l'espace extérieur est à 150°K grâce àAlpha du Centaure. C'est quand même un froid à ne pas mettre une navettedehors. Il ne fait que moins cent degrés Celsius dans le hangar desnavettes, quasi désert en période de voyage. Le sergent Coll se charge de la formation de Reno. Celui-ci se réjouit derecroiser Alsyen et il a insisté pour que Reno l'emmène. De plus, Reno doitse sentir en confiance. Les manœuvres à effectuer sont délicates. Ils fautresponsabiliser sans mettre une pression trop forte qui pourrait avoir desconséquences dramatiques. Ils enfilent leurs scaphandres. Puis ils effectuent mutuellement lesvérifications d'usage des systèmes de sécurité, de l'étanchéité et del'intégrité de ceux-ci. (pas de trou, ni d'entaille, ni de pli collé ou de bandeélectrostatique désactivée, discontinue, mal positionnée...). Ils sont alorsautorisés à entrer dans le sas après identification auprès du poste desécurité de l'état-major qui, à distance, leur ouvre la lourde porte. Quand

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celle-ci s'est refermée, l'atmosphère du sas est saturée d'un gaz irritant souspression. Cinq minutes plus tard, si aucune plainte n'émane des trois reclus,c'est que leur équipement est opérationnel. Le vide est fait et la deuxièmeporte s'ouvre sur l'entrepôt Charlie. Après ces deux mois de confinement, Alsyen et Reno se sentent écraséspar l'immensité de celui-ci. La porte est située prés du plafond, alors que lesol est à trente cinq mètres plus bas. De là où ils sont, ils peuvent tout voir.Les containers, de trois mètres sur quinze, pour trois mètres cinquante delarge, sont rangés empilés par dix, opposés par l'arrière. Ainsi, ilsprésentent en permanence leurs portes à la vue. Pour en contrôler lecontenu, rien ne serait plus facile que de les ouvrir. Seulement, lescontainers sont chauffés par circulation de fluide. Leur dispositionempilable permet à leur circuit de chauffage de communiquer avec leurvoisin du dessus, du dessous et des cotés. Ouvrir signifie faire descendre latempérature de moins dix à moins soixante degrés Celsius et de risquerendommager les tuyaux de fluides internes. Alors, il vaut mieux s'abstenir.Pour les ouvrir dans de bonnes conditions, il faut les manipuler pour lesinstaller à l'entrée de sas spéciaux qui en permettent le vidage ou leremplissage en atmosphère normale. À l'autre bout, des hommes peuventdonc les ouvrir et remplir les monte-charges permettant la répartitionultime dans les escadres ou dans les ateliers. Trois ponts télécommandés pouvant se déplacer sur des rails d'acier enhauteur, et équipés de palans avec des chaînes au bout desquelles s'agitentdes mousquetons de quarante centimètres de long permettent cettemanipulation. Les containers sont numérotés et leurs contenus sontrecensés dans les mémoires des ordinateurs du vaisseau, sauf pourquelques-uns encore, datant d'une semaine avant l'arrivée de l'amiral, il y avingt sept ans, qui ont été perdus dans les strates du cargo. Non équipés dela balise d'identification, et suite à un gros clash, ils ont totalement disparudes archives. Pour un potentiel d'embarquement par entrepôt de six millecontainers, il reste une douzaine de « fantômes » auxquels on n'accèdejamais. Il suffirait de retrouver les identifications en double alors qu'uneseule est présente dans le fichier en « lisant » toutes les portes descontainers mais on préfère compter sur le hasard pour les retrouver. Ainsi,s'il existe deux containers 1695, on « charge » le premier 1695 que l'on

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trouve sur le chariot. Si le contenu correspond à l'état de chargement, tantmieux, sinon, c'est qu'on a retrouvé un container perdu…mais alors, où estl'autre ? Par jeu, personne ne recense les numéros des containers ouvertspour lesquels le contenu ne correspondait pas... Lorsque un container a été vidé, il est placé au bout de l'entrepôt. Afind'équilibrer vide et plein, les entrepôts C et D qui sont accolés sont vidés« en opposition ». Parfois un container vide est aménagé en lupanar ou enpopote. Les « fêtards » embarquent avec un système de chauffage et uns y s t è m e d ' o x y g é n a t i o n d a n s l e c o n t a i n e r p a r l e s a s d echargement-déchargement et se font enfermer. Avec un complice dansl'entrepôt, le container quitte le sas et ses occupants ne risquent pas d'êtredérangés durant leurs excès. C'est strictement interdit, mais c'est inévitable. Cette façon de fuir un instant le vaisseau et la promiscuité est très prisée.Une histoire de container « fantôme » ainsi occupé circule afin dedissuader les fêtards mais l'Amiral sait qu'il n'en est rien, ou alors sonamiral de l'époque a su cacher la disparition de quelques membres del'équipage. Ce qui est sûr, c'est que l'internement disciplinaire sans lumièreavec un chauffage minimum et quelques rations est aussi strictementinterdit par la hiérarchie militaire de haut niveau. Quelques amiraux y onttout de même recouru pour des cas extrêmes. Reno est assez ému de manipuler les commandes du pont central. Ilapprend à ne pas donner d'accélérations brusques et à poser doucement lecontainer à la place exacte pour permettre l'emboîtement des circuits dechauffage. L'effet du poids n'existe pas en apesanteur, mais celui l'énergiecinétique, produit de la masse par la vitesse au carré existe bien. En cas dechoc, il peut donc y avoir sous son action détérioration irrémédiable d'unejonction, ou plus grave, celle d'un sas, d'un pont, d'un autre container,d'une cloison... ou l'écrasement d'un collègue situé sur la trajectoire alorsqu'il est en train de guider le conteneur pour réaliser un emboîtementparfait. Car au ralenti, on peut « pousser », quand les pieds aimantéstouchent bien le sommet d'un container ou le sol, un autre container nonemboîté. Le sergent Coll constate les manœuvres parfaites de Reno. Il en estheureusement surpris car former un jeune à cet exercice est une sacréeresponsabilité. Néanmoins, le protocole exige un nombre minimum de

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mêmes manœuvres à effectuer à la suite, alors il suit le protocole même sic'est une perte de temps, question de responsabilité en cas de problèmeéventuel ultérieur. Le cerveau d'Alsyen est assailli par des ondes suspectes. Cela provientde l'autre extrémité de l'entrepôt. L'exercice étant terminé, il « suggère » ausergent Coll de décider un petit tour avec le pont pour l'atteindre. Chacuns'accroche à un palan et sur ordre, Reno lance le pont « à fond », histoirede tester la sécurité du freinage d'urgence. À cinq mètres du mur, le pontstoppe brutalement. Les deux compères continuent leur course au bout deleur chaîne, la lâchent au bon moment et vont se coller contre la cloisonavec leurs quatre membres. Le jeu déplaît à Alsyen qui ne dispose pas degants aimantés car il ne serait pas capable, selon leur fabricant, d'actionnerle coté facultatif . I l rebondit donc sur la paroi et se retrouve àl'horizontale, avec la vue dirigée vers le haut, tenu par les pieds. Les deuxhommes r ien t . Mais lu i ne pense qu 'à ces ondes psychiques .Malheur, elles émanent de mantas. Ces créatures de l'espace semblentimmatérielles. Elles ne sont pas perceptibles à l'œil nu et passent au traversde la matière. Elles se nourrissent de matière fissile, de chaleur et derayonnement lumineux. Il n'y en a que deux mais elles sont collées auxréacteurs nucléaires. La consommation du vaisseau doit en être augmentée.Les réserves en uranium pourraient ne pas être suffisantes. Et ce serait lamort pour tout l'équipage. La solution pour s'en débarrasser est de serapprocher d'un soleil, source de nourriture, puis d'émettre des ondes d'unecertaine longueur qui leur sont, pour des raisons inconnues extrêmementdésagréables. Elles choisissent alors de changer de fournisseur. Maiscomment prévenir les humains sans se compromettre ? Il n'y a pas encore urgence mais ce vaisseau est condamné s'il ne faitrien. Au retour des entrepôts, un vétéran aborde Reno. — Petit, suis-moi avec Scipion. On va le numériser. Reno est ravi. Ainsi Scipion sera dans les programmes de simulationavec lui. Reno bafouille un peu . — Oui Monsieur (*). Avec plaisir. Le vétéran le regarde de ses yeux glacés. Les traits burinés de son visagesec sont durs et figés. Les rides sont profondes alors que l'homme n'a pas

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l'air si vieux. Son crâne rasé est parcouru de veines proéminentes. Il estaussi efflanqué qu'un épouvantail. Reno n'ose plus bouger, attendd'interminables secondes que l'homme brise cette glace qui l'emprisonne. — Gamin, ne m'appelle jamais Monsieur. Moi, c'est « chef », compris ? — Oui M…Chef.

(*) Monsieur est la traduction de "Sir" réservé aux officiers dans lesarmées du vingtième siècle. Le vétéran doit être un non-officier ancienavec une certaine aversion pour le « corps » supérieur.

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Les programmeurs de l'état-major ont monté l'exercice « Bêta 112 :retour à la normale » de main de maître. Ils ont simulé la colonisation de laplanète végétale avec quelques villes, des secteurs industriels et des minesd'uranium, de fer et autres métaux précieux. Ils ont aussi défini la cartographie des villages autochtones. Une raceguerrière, peu évoluée au niveau technique, mais redoutable au corps àcorps et à la guérilla. Certaines tribus disposeraient aussi d'un arsenald'armes de poing volées aux colons. Il ne s'agit pas de tous les massacrer, mais de leur faire entendre raisonquant à la suprématie technologique et militaire des humains. Afin derétablir la paix, il faut dissuader et effectivement, en échange, on peut leurfournir quelques produits inédits manufacturés : les petits cadeauxentretiennent l'amitié. La mission de l'Armada est donc de venir en aide aux colons, avec leursmoyens militaires aériens et terrestres. Aucune opération amphibie n'estprévue. Ce type de mise en place ne se justifie pas, les barges aériennes àatterissages et décollages verticaux permettant d'investir les plages avec denombreux personnels sans se mouiller et bien plus rapidement. Il faut savoir aussi qu'aucune évacuation totale des colons n'est possible.L'expansion coloniale a atteint le point de non-retour, en matièred'investissements comme en volume de population. Seuls 25% de lapopulation pourraient être évacués, et elle ne le sera que si 75% ont étémassacrés au préalable. Par contre, après définition des points sensibles àtenir coûte que coûte, et celle des lieux de regroupement sans risque, desmissions d'extraction de colons de zones sensibles seront organisées, avecle risque d'être « accroché ». Après la « bande annonce » du contexte , les chefs peuvent consulter lescartes de la planète et prendre contact avec des entités virtuelles figurant

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les colons afin de préparer les états-majors terrestres. Certains officierssont des officiers de liaison (O.L) professionnels prévus pour travailler enéquipe avec les colons et ils transmettront les demandes de moyensmilitaires à l'Armada, ainsi que tout renseignement à propos des colonssusceptible d'être « utile » à la décision. Le commandement des opérationsest dévolu à l'Amiral, mais la décision d'action est conjointe entre celui-ciet le « représentant planétaire ». C'est cependant l'Amiral qui, le caséchéant, prend le dessus en matière de diplomatie avec les races localesévoluées. La simulation commence. Reno a été affecté comme aide de camp del'état-major de l'escadre, après la distribution (fictive) aux hommes de sasection de tous leurs équipements de combat terrestre. Cela va de leuréquipement de vie en campagne (tentes individuelles, petits outils, troussesde premiers soins, produits d'hygiène spécifiques – par exemple le savonparfumé autorisé à bord est prohibé en opération, on ne peut se raser qu'àla crème dépilatoire afin d'éviter les risques d'infections par des germeslocaux inconnus– à des compléments de paquetage indispensables nonconservés dans leurs armoires et parfois spécifiques au type de missioncomme l'armure-gilet et le casque intégral de combat entre autres). Renoest « virtuellement » aux côtés de son chef d'escadre même s'il estphysiquement dans sa chambre avec ses camarades. Ils ont tous des casques audio qui les isolent physiquement des uns enles rapprochant virtuellement des autres. Alsyen suit l'évolution de lasituation par les yeux de Reno et fait mine de dormir sur le lit. Son doublenumérique a beaucoup amusé la galerie, avec une petite cinématiquereprenant ses « acrobaties » du premier jour. C'était la « private joke » dubriefing initial. Maintenant, il se tient tranquillement aux cotés de Renovirtuellement en salle état-major. De temps en temps, son avatar fait unebêtise qui provoque un désagrément à un officier en pleine action etl'hilarité de ses camarades. Ces humains sont de grands enfants. Le réalisme est extrême. Le rôle de Reno en ce moment est de préparerla sa l l e de dé ten te des o f f ic ie r s , avec res taura t ion légère e trafraîchissements. Les officiers qui s'y rendront guideront leur avatar puisirons réellement à la salle d'à coté, dans la pièce de l'état major. Déjà lamission pour transporter des officiers de liaison (O.L) dans la capitale

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virtuelle de Bêta 112 a quitté le bord. Une navette équipée de huit bargesse prépare à disperser celles-ci sur toute la surface de la planète en leslarguant au plus près de leur point d'atterrissage. Elles transportent leséquipes de recherche en profondeur (renseignement) plus deux sectionsaguerries pour déjà tenir une position stratégique. Les navettes peuvent éventuellement atterrir sur les planètes à conditionqu'il y ait de grandes pistes d'atterrissage, nécessaires aussi au décollage.Mais la dépense énergétique est très importante, même si elles se posent oudécollent comme un avion. Les barges sont des sortes d'ailes volantes circulaires, avec un cockpit àl'avant pour les deux pilotes. Une petite queue à l'arrière stabilise l'engin etpeut l'incliner vers l'avant ou vers l'arrière afin de permettre à la grandehélice du centre d'élever l'ensemble, de le faire avancer ou de le freiner,comme pour un hélicoptère. Elles disposent aussi de petites ailes escamotables qui peuvent lesdiriger tout en planant, avec l'hélice en auto-rotation. Un habitacle en faitle tour, tel une couronne et est occupé par les troupes d'assaut et leurmatériel. Il existe un réservoir de carburant destiné au groupe électrogènefournissant l'énergie électrique pour le moteur, secondé néanmoins par denombreuses batteries intégrées dans la coque qui se chargent en électricitéquand la barge se laisse « tomber » en silence au dessus de son pointd'arrivée. Elles font partie du bouclier inférieur qui protège aussi le dessousde la barge de tirs de projectiles. Au dessus et au dessous de l'hélice, unfilet serré en câbles de polymères cent fois plus résistant et dix fois plusléger que l'acier, évite à celle-ci de cogner avec des oiseaux en vol, et avecdes bouts de bois, ou des pierres à l'atterrissage. Sur le bord extérieur del'habitacle, une sorte de store automatique déplie ou replie une « jupe », età l'avant, une grosse hélice dans un cadre peut quitter l'intérieur del'habitacle pour se positionner au dessus du poste de pilotage. La barge setransforme ainsi au sol en hydroglisseur. Le déplacement nécessite alorsmoins d'énergie qu'en vol. La position du jour sur la planète détermine quelle demi-escadre part aucombat. Le rythme des demi-escadres est décalé de six heures, une mêmeescadre couvrant ainsi dix-huit heures potentielles consécutives. Ainsi tousles personnels d'une demi-roue s'endorment totalement.

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Il y a aussi quatre quarts pour les équipes d'état-major mais leur roue ades quartiers spécifiques pour qu'ils ne se gênent pas dans leur cycle de viequotidienne. Pour les attaques, autant que possible, le rythme des escadres estrespecté au moins pour le départ. Ensuite, il s'agira d'aléas « au sol », maisles personnels seront fatigués au moment de la nuit, quoique que le rythmede la rotation de Bêta 112 soit de trente heures. C'est un problème de pluspour les grands décideurs. La durée de l'exercice est prévue aux alentoursde quarante-huit heures pour ne pas compromettre l'instruction despersonnels, mais une attaque manquée au départ ou une résistanceacharnée due à une erreur de programmation initiale peut prolongerl'exercice. Car il est hors de question de se contenter de résultats partiels.La partie doit être gagnée. Le chef de Reno connaît ses objectifs. Face à sa webcam, il s'adresse àses hommes pour leur donner les informations et les ordres nécessaires à lamission de l'escadre. Il sera bref car les chefs de section vont ensuitepréparer les ordres avec les sergents avant de s'adresser à l'ensemble deleur section. Les sergents vérifieront que tous leurs hommes ont biencompris les ordres et ont bien préparé leur paquetage avant le départ.Enfin, ils pourront dormir réellement, pour être réveillés trente minutesavant le départ virtuel. L'escadre devra installer son PC dans une petiteville. Ce PC sera protégé par la Section Une renforcée par trois sections decolons, civils formés sur le tas, et équipés avec du matériel local. La section Deux, celle de Reno, devra assurer la sécurité de l'évacuationde petits villages, couverte ensuite sur ses arrières par la section Trois. La section Quatre quant à elle reste en réserve dès l'atterrissage. Ellepeut être engagée à la demande en renfort, ou relever une section éprouvéeaprès un dur combat. Sinon, elle remplacera, dix heures plus tard, laSection Une dans sa mission de surveillance… qui se substituera à lasection Deux qui prendra la mission de la section Trois qui elle-même seraplacée en repos. Toutes les escadres s'organisent ainsi, afin que les recrues puissent êtrejaugées sur trois types de mission différents. Enfin, un groupe comprendl'adjoint de section, tandis que le chef de section se place au sein d'unautre. Ainsi, avec le « décalage » permettant un groupe en situation de

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repos, il y a permanence du commandement de la section. Alsyen ne peut que constater l'ingéniosité de cette organisation,auxquels les moyens techniques ont été adaptés via un cahier des chargesinitial. Chaque section de combat débarquée compte soixante hommes. Chaquenavette de huit barges peut débarquer deux sections. Chaque barge comptevingt-deux places pour permettre un éventuel sur-effectif accompagnantles groupes (chef d'escadres, officiers de liaison, spécialistes…) Le vaisseau école « Sun Tzu » dispose donc d'une force de frappeterrestre de quatre-cent-quatre-vingt fantassins, auxquels il faut ajouter lesdeux pilotes et le mécanicien de bord de chaque barge. Vingt navettes autotal sont servies par six hommes (deux pilotes, deux mécaniciens et deuxcanonniers, les canonniers ayant des compétences de mécanicien, et lesmécaniciens des compétences de pilote adjoint.) Deux équipages, enalternance sont prévus pour chaque navette. Avec le personnel de bord du « Sun Tzu », cela représente un effectiftotal de mille hommes. Mille hommes pour sauver une colonie de terriensface à plusieurs millions, voire plusieurs milliards d'autochtones. Il fautimpérativement une supériorité technique et une force de frappe militairecrédible pour s'imposer. Mais surtout, il faut de la diplomatie et du bluff.Une race non équipée de télescopes ne doit pas pouvoir connaître les vraiseffectifs auxquels elle est opposée. Car le nombre est en sa faveur. Pour l'instant, la race humaine n'a pas été confrontée à une race avec,entre autres, une armée organisée. Pas même une race qualifiéed' intelligente. Les simulations ne prennent donc en compte que despeuplades très primitives qui ne peuvent s'opposer à l'exploitation de leursressources minières. Néanmoins, un « droit sidéral» de l'indigénat les protège de sévicesesclavagistes ou de génocides. Sur une planète déclarée « habitée », lescolons ne peuvent prétendre à occuper plus de dix pour cent des terresémergées. En cas de société sédentarisée agricole, ce pourcentage passe à cinq, enpartie en zone désertique qu'il faudra « aménager » pour être supportable etil est nécessaire de développer une diplomatie afin d'aider la race àatteindre le niveau de race industrialisée en échange. En cas de société

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industrielle, il ne peut y avoir que négociation : il ne s'agit alors plus decolonisation mais de comptoir d'échange marchand en préambule à desliens progressivements plus nombreux et ressérrés dans l'intérêt des deuxespèces. Dans le cas de Bêta 112, pour plus de suspense, la forme de vie locale,qualifiée d'intelligente, mais ayant atteint seulement l'équivalent de l'âge defer par elle-même n'a pas été dévoilée. Elle n'a malgré tout pas atteint lestade de la sédentarisation agraire. On imagine quand même un armementcomposé de lances, d'épées, de couteaux. Les programmeurs ont aussirajouté en supposition des casse-têtes, des haches, des bolas, desboomerangs, des frondes, des arcs, des fourches et des filets, conçus àpartir des hautes herbes qui recouvrent la planète, dont la tige est parfoisaussi robuste, souple et dure que des bambous terrestres. On suppose qu'ils'agit d'une race ancienne, intelligente, naufragée de l'espace dont lesdescendants des rescapés initiaux sont en pleine décadence. En effet,aucune autre vie animale n'existant sur cette planète avant l'arrivée descolons, cette espèce évoluée ne peut pas être un effet de l'évolutionlocale… Autre détail croustillant : sa barbarie au combat est effrayanteselon les colons. Quant aux effectifs, ils sont estimés entre quinze etcent-cinquante assaillants pour les plus grandes communautés. Seulement, un recensement plus précis à l'échelle de la planète n'ajamais été réalisé et la densité de communautés est totalement inconnue,car, celles-ci disparaissant sous les herbes, elles restent invisibles sur lesphotos aériennes. En cas d'attaque, l'avatar de chacun est « touché » de façon très réaliste.La mort semble moins évidente qu'avec des balles soniques ou des rayons,mais infiniment plus douloureuse. Se voir meurtri ou découpé peut faireréfléchir pour le cas où « ce serait vrai ». Il convient donc d'éviter lecontact au corps à corps ou à courte distance… Ce qui est étonnant, c'est que les colons ont des problèmes surl'ensemble de la planète. Ils occupent trois des quatre continents ( lequatrième est marécageux sur la totalité de sa superficie) pour un total decinq villes (aïe, une de plus que quatre, chiffre « magique » del'organisation du « Sun Tzu »), et treize implantations minières (gaz naturelet pétrole).

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Ceux-ci ont leur propre armée, environ mille cinq cents hommes répartissur les cinq villes. Chaque ville pouvant fournir un contingent de centhommes (cinq barges), pour défendre un centre minier attaqué. Seulementça, c 'était i l y a trois mois. Leurs effectifs ont chuté de moitié« brutalement » suite à quelques accrochages meurtriers, sans survivant.Des civils ont été massacrés autour des villes. Les ouvriers desimplantations minières sont retranchés et demandent leur évacuation. Doit-on imaginer une réaction au niveau de la planète ? Sur la base dequel système de communications existant entre ces primitifs ? Dans la salle d'état-major, les chefs d'escadre réels, avec l'amiral et lesvice-amiraux peuvent suivre l'évolution de la simulation sur un écran géantsplitté sur plusieurs scènes, avec des cartes des opérations en cours, un« espace de type planche contact » et une vue principale de cinq mètres surtrois. L'officier chef de l'équipe de programmation est celui qui choisit quelsous-espace a droit au premier plan. Mais chacun à son poste sélectionneses sous-écrans et son espace principal en fonction de sa place dans ledispositif et de sa mission. Deux barges d'action de reconnaissance se sontposées à quelques centaines de mètres d'un village autochtone. Il ne s'agitpas d'attaquer mais de les observer. Dans le même temps, une barge de combat et une navette coloniale sesont posées prés d'un centre minier à évacuer. Cent soldats coloniauxdevront protéger l'usine et ses ouvriers, car dans un premier temps, seulsles femmes et les enfants seront emmenés à la ville la plus proche. Les soldats coloniaux se déploient rapidement le long des barricadesédifiées par les ouvriers. Ceux-ci quittent alors leur poste pour allerembrasser leurs famille avant qu'elles ne les quittent. Les deux aéronefsdécollent. Au sol, les ouvriers montrent aux soldats non postés et à leurschefs les quartiers qu'ils vont pouvoir occuper durant leur séjour. Quand soudain, c'est l'attaque. Partie des hautes herbes, une pluie deprojectiles divers s'abat sur les hommes. La plupart sont de gros galets quiexplosent les crânes découverts et les visières de casque, ébranlent lescorps sous les gilets pare-éclats et blessent les membres. Mais il y a aussides étoiles de métal qui se plantent dans les chairs. En deux minutes,quelques morts jonchent le sol et une cinquantaine de blessés geignentdans leur coin, sans que personne n'ait tiré une fois, tout occupé à se

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protéger contre l'averse. Ensuite, rien ne bouge malgré quelques rafales lâchées au hasard dans lavégétation. Une deuxième bordée aussi drue que la première ne fait cettefois aucune victime. Le chef de bataillon colonial demande des renfortsface à la « direction dangereuse ». Des grenades explosent à intervallesréguliers et enflamment la savane bleue. Des cris sur leurs arrières leur parviennent. Lorsqu'ils se retournent, ilspeuvent voir une horde de cauchemar franchir les défenses. Alsyen en a unhaut-le-cœur. Des Zymbrekes, une centaine environ, courant sur leurs jambestentaculaires et courtaudes, avec leurs quatre bras armés déboulent enmassacrant très vite tout ce qu'ils croisent. Les armes automatiquescrépitent, quelques grenades explosent, des rayons vrombissent, mais entrois minutes, tous les humains périssent, affreusement mutilés. La vitesseet la résistance aux balles durant quelques secondes des assaillants leurpermettent de s'approcher au plus près. Certains parviennent à tuer leurvis-à-vis avant de mourir sous les balles reçues presque une minute plustôt. Sinon, ce sont les suivants protégés par les premières lignes qui s'enchargent. Seuls les projectiles soniques faisant exploser les torses et lestêtes pourraient les arrêter en plein élan, mais les colons n'étaient paséquipés. Enfin, chaque soldat ne disposait que de huit chargeurs devingt-cinq cartouches. Ceux qui étaient en hauteur n'ont pu tuer qu'un oudeux adversaires (car il est impossible de viser correctement sous une grêlede cailloux) avant d'être sauvagement tailladés par les haches, serpes,couteaux et griffes de leurs ennemis. Un à zéro, avantage aux « lanceurs de cailloux ». Leur victoire est totale,y compris pour le nombre de victimes. L'effroi se lit sur les visages deshommes. Le corps à corps est à leur désavantage. La portée utile de leurarme est inférieure à celle de leurs adversaires qui peuvent lancer leurscailloux en étant à l'abri des vues. Pour commencer, iIl va falloir désherbertout autour des périmètres de défense. Mettre des détecteurs de mouvementassez loin pour ne pas se faire surprendre...et surtout monter en batterie desmitrailleuses soniques et des canons. Le « Sun Tzu » n'a pour l'instant aucune perte à déplorer mais l'usinetombée aux griffes des autochtones explose avec une cinquantaine de

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ceux-ci après qu'ils l'aient incendiée. C'est l'approvisionnement des villeset des vaisseaux spatiaux qui est menacé, c'est une défaite pour l'humanité. C'était à prévoir : le président de la planète s'en prend à l'Amiral qui n'apas correctement protégé sa colonie. L'Amiral l'assure que dorénavant, toutdétachement colonial sera appuyé par le « Sun Tzu ». Voilà les chefsd'escadre condamnés à organiser la défense de chaque exploitationminière. La solution retenue pour être efficace s'organise autour de deux groupes.Un groupe armé en traditionnel. Un autre à moitié en barge, et à moitiéavec deux trinômes appuis, un trinôme servant un canon de 20 mmexplosif et l'autre une mitrailleuse à munitions soniques. Mais il manque deux groupes pour couvrir l'ensemble du dispositif : iln'y a pas de forces de réserve sur lesquelles compter... Cela fait partie desproblèmes « calculés » pour donner des maux de tête aux stratèges enexercice. En ne mettant qu'un groupe dans les villes, qui disposeraient de civilsbien décidés à vendre chèrement leur peau, il devient possible d'en mettredeux dans les lieux isolés. Deux sections « éveillées » partent avec une navette et renforcent ainsiquatre usines. Afin de calmer la population, cinq des huit groupes présentsau sol seront livrés en canons, mitrailleuses et munitions soniques pourfusil d'assaut afin de défendre les villes. Deux barges partent aussi raser un village autochtone proche de l'usinedétruite en représailles. Huit heures plus tard, une nouvelle usine est attaquée. L 'a t taque a l ieu de nui t . Chaque fantass in es t b ien équipéd'intensificateur de lumière individuel, mais les armes pour l'appui n'ontpas pu avoir le résultat escompté car le système intensificateur n'estutilisable qu'à cent mètres. Les troupes vendent chèrement leur peau maisfinissent taillées littéralement en pièces. Seuls les deux trinômes à bord dela barge ont encore une chance de survie. Le chef de section est avec eux.La barge doit arrêter son feu meurtrier et retourner en ville lorsque l'usineest perdue et les troupes au sol anéanties. Le massacre aérien desautochtones est inutile et peu efficace puisque ils se dispersent vite etdisparaissent dans les herbes après avoir tué le dernier humain.

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Faut-il abandonner les usines ? Chaque ville compte entre deux mille etcinq mille habitants mais seulement le tiers est apte au combat et a besoind'être encadré par des personnels bien formés. À titre d'expérience, on décide d'évacuer une usine, en la piégeant à sesabords. Ainsi, les autochtones seraient dissuadés de s'y aventurer alors qu'iln'y a personne. Deux heures après son abandon, un groupe d'autochtones s'approche desbaraquements. Une mine fait deux morts parmi eux. Loin de s'enfuir, aumépris de quatre autres morts, ils l'incendient. Dans l'intervalle, une ville est sévèrement attaquée. Grâce à l'arrivée dedeux barges heureusement positionnées aux alentours, l'ennemi estcontraint à la fuite, non sans avoir massacré quatre-cent-quatre-vingt-septcolons en vingt minutes. L'escadre de Reno doit rejoindre ses diverses affectations. Reno sera enville avec un groupe appui, deux barges et le chef d'escadre, tandis que sasection sera répartie sur deux usines. Il se fait traiter de planqué par toute sa chambrée. Chacun se jure debousiller le maximum de « toctones » avant d'y passer. Ce n'est pas lastratégie qui les étouffe, mais surtout aucun ne sait comment éviter lemassacre. Si les grands chefs ne trouvent pas un moyen de défendre lespositions contre des bestioles qui foncent comme une horde d'éléphantséquipés de griffes et de dents, ils n'ont plus qu'à faire la prière de ne jamaistomber réellement dans cette situation-là. Car la reconstitution est riche enjurons spontanés réels mêlés ensuite aux horribles cris d'agonie émis parles avatars déchiquetés ou écrasés sous le nombre. On propose la construction de chicanes, de plots, de trous, de piègescontondants, de murets, de tranchées plus où moins profondes pour faireun no man‘s land autour des villes et des installations pour stopper le fluxdes attaquants. Certains ressortent les plans des camps retranchés romainsavec le plus grand sérieux. Mais le temps manque. Il suffit de l'arrivée destroupes pour déclencher des attaques spontanées. Abandonner les lieux,c'est les livrer aux flammes. Un chef d'escadre reçoit un regard noir de l'Amiral quand il suggère quele scénario n'est pas crédible. La réalisation de ces usines ou des villesn'aurait jamais pu avoir lieu dans de telles conditions d'agressivité de cette

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espèce. — Le scénario est crédible, lâche l'Amiral, mais certains d'entre vous nele sont pas . Vous n'allez pas assez au bout de vos observations. » Les avatars s'équipent en combinaison de combat, en matériel, en armeset en munitions. Un dernier repas est pris avant de quitter le vaisseau, puisc'est l'embarquement dans les barges pour les uns, directement dans lanavette pour Reno et Alsyen. Cet embarquement se fait par des sasspéciaux qui évitent de passer par les lourdes portes et qui mènentdirectement à l'intérieur des barges ou des navettes. Ainsi, pas besoin des'équiper en scaphandre. Mais la température est quand même encorefraîche dans les habitacles. Un petit plus quatre les change de leurs dix-huitdegrés habituels. Chaque décollage sur le « Sun Tzu » est reconstitué sur le grand écran.Les hommes qui sont à l'intérieur des navettes et des barges eux conserventla vue intérieure, avec sur leur visage leur propre angoisse reconstituée parleurs avatars. Mais ceux qui restent dans le vaisseau où qui participentmaintenant en spectateur puisque ils sont virtuellement morts ressentent àla fois ce sentiment de n'être rien par rapport à la masse du vaisseau, maisaussi celle d'être une parcelle de sa grandeur. La beauté de ses lignes,l'intensité des couleurs, la planète en arrière-plan, c'est un spectaclemagnifique qui un instant leur fait oublier toute la dureté de cettesimulation, au sol. Les hommes qui fixent les vis-à-vis de leur avatar sur leur écranrestituants les vibrations de leur aéronef en seraient presque pris de nauséesentraînées par cette suggestion. Il faut dire que leur chambre est aussiéquipée d'un disposit if sensurround qui par l 'émission de sons« inaudibles » consciemment, mais perçus par leur oreille interne,provoque des crampes au niveau de l'estomac. Personne n'ose parler dansla reconstitution comme dans la réalité durant le trajet d'une petitedemi-heure. Puis c'est le débarquement sur B-112. Dans les usines, la section estaccueillie avec des cris de joie et les ouvriers leur proposent quelquesboissons alcoolisées, boissons qu'il faut savoir accepter mais ne pasconsommer.

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Pour Reno, et le contingent accompagnant le chef d'escadre, c'est tout lecontraire. La population maugrée de la modicité des renforts fournis. Ellepensait certainement voir débarquer de nombreuses troupes, maisseulement une quarantaine de militaires débarquent de la navette qui s'estposée sur une des grandes places de la ville. Des femmes et des enfants ont été conduits dans l'enceinte de l'astroport.Leur nombre correspond à la capacité d'emport des navettes présentes si ondoit évacuer rapidement ce qu'on pourra de la population. Les hommes deplus de seize ans ont tous vocation à se battre, ainsi que les femmes jeunessans enfant. Les personnes de plus de cinquante ans sont aux portes del'astroport et serviront de dernier rempart pour couvrir la fuite des navettes.La mission des groupes de la FCP est d'interdire coûte que coûte l'accès àl'astroport, aux civils en fuite comme aux autochtones meurtriers. La ville est bouclée et se considère comme assiégée alors qu'aucunennemi n'est encore en vue. Les abords à deux kilomètres à la ronde ont été« désherbés » au lance-flamme. Les sols sont affreusement noircis. Leszones marécageuses sont d'un noir parfois brillant, trahissant ainsi laprésence d'eau, d'une profondeur aléatoire. Le chef d'escadre peste intérieurement. Il est sûr que l'Amiral triche avecla simulation. Les premiers assauts étaient l'œuvre d'une centaine decréatures. La dernière usine attaquée l'a été par plus d'un millier. Lepotentiel du dispositif de défense a beau devenir plus efficace, lesassaillants sont à chaque fois plus nombreux et il ne peut que céder sous lenombre. Mais il préfère ne pas en rediscuter. Reno, qui a aidé au montage des abris de combat en mousse expanséeprotégeant les défenseurs des jets de pierre durant leurs tirs par lesmeurtrières du-dit abri constate lui aussi l'inutilité d'une telle défense,orientée seulement vers les terres. Qui dit que l'ennemi ne va pas surgir dulac voisin qui borde la ville à peine à trois cent mètres de la place àdéfendre ? Il en parlerait bien à son chef, mais il n'ose pas. Le hasard faisant bien les choses, l'avatar de celui-ci le rejoint. En tantque chef, il est de bon ton avant la bataille d'avoir un petit mot avec lessubordonnés, histoire de connaître leur mental et de leur remonter le moral.Sa note globale dépend de l'ardeur de ses combattants. Alsyen dans le cas

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de Reno est un bon moyen d'approche. — Alors Scipion, pas trop effrayé par le voyage ? Pour toute réponse, l'avatar lui bondit dans les bras pour jouer avec lesboutons dorés de ses poches pectorales. - Faites attention à vos bonbons si vous en avez, monsieur, dit l'avatar deReno sans intervention de celui-ci. Les spectateurs sensibles à l'humour au deuxième degré bien qu'endessous de la ceinture rient de bon cœur à bord du « Sun Tzu », comme levrai chef d'escadre interloqué juste quelques secondes. Mais il est encore plus stupéfait cette fois par la question du vrai Reno. — Monsieur, c'est bien sûr qu'ils ne savent pas nager sous l'eau, lesmonstres ? fait-il en montrant le lac. L'évidence même qui avait pourtant échappé à tout le monde... De sonposte de commandement, l'Amiral sourit. L'effet de l'attaque surprise vatomber littéralement à l'eau mais, enfin, ses troupes commencent à réagir... — En fait, je n'en sais rien, avoue honnêtement le chef d'escadre. Je vaisme renseigner auprès des colons. Plus personne ne rit, surtout quand il s'avère que les colons n'en saventrien non plus. L'étude de l'espèce la plus évoluée de la planète n'a pas étéfaite. Ils ont été classés comme « sauvages » ne pouvant s'opposer àl'exploitation des ressources indispensables au déploiement de l'humanitéet sources de profit pour les colons sans plus de considération. Alors que l'état-major assiste en premier plan au massacre de la moitiéde la section de Reno commandée par le chef de section, le chef d'escadreconsulte les archives des colons au sujet des autochtones. Il visionne ainsiquelques scènes filmées au tout début par le module d'exploration, puis parles premiers humains débarqués sur la planète. Les colons ont menti par omission. Cette espèce ne cultive pas la terresoit, mais elle est évoluée. Il semble qu'il y ait un système hiérarchiquedans les villages. Les femelles élèvent les petits et les mâles ploient lesherbes de moins de trois mètres dont ils ne consomment seulement que lesextrémités pour faire la cueillette. La ressource étant inépuisablenaturellement, la culture propement dite est bien entendu inutile. Et ladéfinition de la limite pour la définition de leurs droits est inadéquate.

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Plus rien n'a été filmé après la mort d'un anthropologue et de son guide.Nul ne savait ce qui s'était passé. On ne voulait pas le savoir non plus. Ondonnait quelques verroteries à ceux qui approchaient des premièreshabitations et tout se passait bien. Sauf quand on retrouva toute une famillemassacrée. Les colons s'armèrent donc. Les incidents, cachés dans un premiertemps, devinrent de plus en plus nombreux. Certains abandonnèrent leursfermes et leurs animaux. Ceux-ci laissés en liberté, afin de pouvoir lesretrouver en cas de retour se reproduisirent anarchiquement dans unpremier temps, détruisant les jeunes herbes. Puis disparurent. Onsoupçonna bien sûr les autochtones d'en être responsables. La situation empira petit à petit. On créa donc une milice pour défendrela population. Les accrochages s'intensifièrent. C'est alors qu'un appel àl'aide fut lancé. Le chef d'escadre se repasse les vidéos et autres bilans des attaques. Lescailloux peuvent se trouver dans les lacs et rivières et être communs. Leshaches, serpes et couteaux doivent servir à la fabrication des cabanes et àla consommation de l'herbe. Seules les étoiles l'intriguent un moment. Mais dans un passage filmé,on peut voir une créature évider avec une branche d'étoile l'intérieur d'uneherbe. Et voilà pourquoi les étoiles ont des branches de tailles différentes.En fonction de l'herbe à évider, la créature utilise la branche appropriée.Toutes les « armes » utilisées sont des outils d'utilisation courantedétournés de leur emploi. Malgré l 'usage commun du métal, lesautochtones ne fabriquent pas d'armes. D'ici qu'il y ait un tabou sur les armes, il n'y a qu'un pas à franchir. Et enle franchissant, l'escalade de la violence devient logique. Les créatures sontpacifiques mais ne tolèrent pas une espèce guerrière sur leur sol qui par lapossession ou par l'exposition d'armes violent leurs principes. Encore deux usines viennent d'être attaquées et dévastées. Il n'y a quequelques survivants qui ont pu atteindre les barges. Il est temps d'arrêterles frais. Cette fois, le chef d'escadre décide de faire regrouper tous lescolons sur l'astroport, ayant déjà fait embarquer les candidats autorisés àl'évacuation.

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Il ordonne ensuite la destruction de toutes les fortifications qui bloquentles routes, et la dissimulation de toutes les armes. Personne ne doit arborerune seule arme, puisque cela ne les dissuade pas, mais au contraire lesoblige à passer à l'attaque. En face du lac, il fait mettre de nombreuses caisses ouvertes de« cadeaux ». En première ligne, il y installe Reno et Alsyen avec uneconduite à tenir. Le conseil des colons hurle à la folie furieuse. Mais cette fois l'Amiral sedéclare intéressé par la suggestion de son chef d'escadre. Et pourquoi pasune tentative de négociation pour un retour à la paix ? Il donne lui-même des ordres à l'autre chef d'escadre d'infanterie pouradopter la même conduite dans les usines encore intactes. C'est alors que des créatures sortent du lac et se dirigent vers Reno. Ellesne sont qu'une vingtaine. Reno lutte contre la sensation de peur et dedégoût qu'il avait eue en découvrant Glyon. Alsyen à ses côtés n'intervient pas, mais peut constater ce qui se passedans la tête de son nouvel ami protecteur. Son chef a t-il raison ou sonavatar va t-il être déchiqueté ? A t-il eu raison de tirer, réellement cettefois, sur cette créature qui allait avaler Alsyen tout cru ? Puis il se dit qu'ilest victime du scénario de la simulation, que bien sûr, la créature desmarais aurait dévoré Alsyen. Mais c'est vrai que dans le cadre d'une sociétéextra-terrestre, cette créature à l'apparence monstrueuse peut effectivementêtre intelligente et pacifique. Seulement, cette simulation n'est qu'unefiction à but pédagogique et applicatif. Alsyen le conforte dans cette idéequi peut lui éviter une culpabilisation traumatisante, bien inutile puisqueGlyon est mort, et qu'il n'aurait pas voulu d'une vengeance inutile. Aprèstout, Reno n'est pas responsable des préjugés qu'une race inférieure commela s ienne peut encore colporter . Déjà , s i cet te race se montrecompréhensive envers les races qui lui sont inférieures, alors elle mérite lamême compréhension à son égard de la part des races supérieures. Alsyen s'interroge sur cet amiral et sur cette société humaine, capable dumeilleur comme du pire. Arrivées à deux mètres de Reno, les créatures s'arrêtent. Avec des gestesamples, de ses deux bras, Reno montre les caisses, désigne les créatures etessaie de mimer le fait que ces caisses sont pour eux et qu'ils peuvent les

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prendre. Une créature y plonge un tentacule et Reno opine du chef. Et puis,non prévu, il s'avance, bras largement ouverts, à portée immédiate destentacules meurtriers. Il présente en avant sa main. L'être accepte alors dele toucher, d'abord la main, puis le dos, les bras… et Reno bien que crispégarde le sourire. Les créatures voisines emportent les caisses avec eux. La bataille n'aurapas lieu. Des scènes semblables se répètent à chaque implantation. La guerre est finie. Et gagnée. Non pas militairement, bien au contraire.Les colons sont désarmés de force par les FCP. L'Amiral donne desavertissements clairs aux colons, en matière d'expansion et de respect desespèces déjà en place. En fait, il rappelle ces notions essentielles dans lesF.C.P. à l'ensemble de ses troupes. Son état-major est soulagé, bien que surpris d'une telle conclusion. Dansun sens, elle est logique. De l'autre, ils ne sont pas encore prêts à accepterce genre de réalité. L'Amiral a de l'expérience, mais ne se ferait-il pas unpeu vieux ?

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Bien que la partie soit gagnée, l'exercice n'est considéré comme terminéqu'une fois le dernier homme rembarqué sur le « Sun Tzu », le matérielreconditionné et réintégré, les différents états et comptes-rendus remplis.Mais l'ennemi a emporté de l'armement, l'a détruit ou jeté dans des endroitsinaccessibles. Il a pris aussi la plupart du petit matériel des sectionsmassacrées, par curiosité, comme « prise de guerre » ou pour améliorerl'ordinaire. Reno a dû faire de nombreux rapports de perte virtuels etrééquilibrer ses stocks. La section n'a pas eu un résultat honorable car, au combat, les hommesont eu des réactions irraisonnées. Pour ceux qui se sont laissés dépassercomme le chef de section, et ceux qui ont voulu faire du zèle et qui se sonttrop exposés, comme le chef de groupe Sancruz, le bilan est sévère. Alors,la note exceptionnelle de Reno réveille des rancœurs même si elle permetde ne pas être la section la plus mal notée du « Sun Tzu ».

Dès le dernier bouton de guêtre nettoyé, rangé ou recousu, Caubardorganise une revue de chambre pour la section. Le but évident est de« punir » si possible les coupables de mauvaises notes. Mais il a décidé de s'en prendre aussi à Reno. Dans la première chambre, C'est l'ensemble des recrues qui écopent desévères remontrances disgracieuses pour des traces de doigts encorevisibles sur les surfaces sensibles des postes informatiques. Sa voixrésonne dans les couloirs. Il y a parmi les recrues des autres chambres despetits rires moqueurs et nerveux, mais tous s'agitent afin de traquer lamoindre trace ou la moindre poussière. Pour un reste de nourriture pourtant emballé et récent dans une armoire,Caubard gueule à l'infamie, au manque d'hygiène, à l'irresponsabilité et

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vide entièrement l'armoire dont les habits, serviettes et effets étaientpourtant bien rangés, pliés au carré. Seul le petit casier réservé aux affairespersonnelles est épargné. Il n'a théoriquement même pas le droit de voir cequ'il contient. La malheureuse recrue abattue par les paroles blessantes de son chefcontemple tristement au sol ses affaires, en vrac alors qu'elle avait mis tantd'effort à les plier et à les aligner. Sa sanction est exemplaire : trois joursd'interdiction de foyer pour lui et cinq pour le responsable de piaule.

Dans la seconde chambre, c'est une bannette avec un sac de couchagedéclaré froissé qui vaut à son possesseur un savon en règle. Il faut direqu'en matière de qualificatifs exotiques, l'armée stellaire a su conserver desclassiques du genre. « Pine de coucou » dispute avec « couille de loup »,« testicule de chien sauvage » et « résidu de fond de capote » la premièreplace au hit-parade de l'insulte gratuite. Encore deux jours pour lamalheureuse victime habillée pour tout le reste de son service à bord du« Sun Tzu ».

Sancruz met la chambre de Reno au « Garde à vous ». Alsyen saute surla bannette de Reno et fait mine de grignoter un stylo. Caubard répond au salut de Sancruz, fait mettre au repos la chambrée etse plante devant Reno. — C'est quoi ce binz, soldat ? Reno ne comprend pas. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il va passer un salequart d'heure. — Votre saloperie de singe n'a rien à faire ici durant une revue. Surtoutavec son habitude de faire des saletés partout. — Désolé, Monsieur, je ne le savais pas. C'est la première depuis que... Caubard se colle presque à lui et à deux centimètres du nez, il lui cracheune flopée d'invectives. Il en est rouge de rage. — Désolé…désolé. Vous ne savez dire que çà. Vous êtes une bite deporc, une pine d'huître, une grosse couille, une plaque d'égout, unebalayette à chiottes, un … On n'en saura pas plus. Alsyen vient de perturber les neurones contrôlantles centres moteurs de la parole, et Caubard n'émet plus qu'un borborygme

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suivi d'un gargouillis. Il n'apprécie pas trop qu'on lui rappelle un incidentrécent qui l'a en fait mis dans l'embarras, même si ce n'était pas le but duchef de section.

Caubard s'interrompt, surpris. Puis réessaie. Il n'articule qu'un « vous »très aigu et ridicule. Tous les regards se portent sur lui. Silence pesant etson teint devient livide. Il choisit de sortir sans un mot et Sancruz « pète »un garde- à-vous quand il franchit la porte. La revue est terminée. Laquatrième chambre souffle, tandis que celle de Reno retient un fou-rire quileur tord les tripes et les fait grimacer alors qu'ils tentent de resterimpassibles. Sancruz sort lui aussi. Le regard de son chef ne présageait rien de bon.Et manifestement, ses sphincters ont dû lâcher en même temps que sesnerfs.

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Le vétéran

Le vétéran Erick Dombass est assez intrigué par le duo Scipion-Reno. Ilobserve les deux acolytes consommant l'un un C'fet, l'autre un petit paquetde biscuits à une table du foyer. I l lui semble que ces deux-làcommuniquent vraiment. Il est vrai que Reno parle à Alsyen, mais sans sedouter que celui-ci comprend. Assez réservé, malgré une certainepopularité parmi les recrues grâce à son petit compagnon, Reno restesouvent seul. Il ne se doute pas qu''Alsyen éloigne insidieusement lesgêneurs, ceux-ci pouvant faire perdre du temps à la formation de Reno. Celui-ci étudie « par curiosité » le pilotage d'une navette sur l'écransouple au bras gauche de sa combinaison tout en sirotant à la paille sacannette souple. Il retient sans vraiment se rendre compte toutes lesconsignes qui devront lui servir le moment venu. Dans son idée, il les lit« comme un roman » même s'il ne comprend pas tout. En même temps, ilparle à Alsyen de son ancienne vie sur Terre, comme si Alsyen était unconfident. Il agit en fait sous l'impulsion de celui-ci. Ainsi, Alsyen enapprend beaucoup sur les mœurs ter r iennes e t leur n iveau dedéveloppement. Il en apprend aussi beaucoup sur Reno, ses joies, sespeines, ses ambitions… Reno s'est engagé suite à une rupture sentimentale et parce qu'il avaitl'âge de travailler. Un secret désir d'aventure chez le garçon l'avaitdétourné du fonctionnariat ou de l'emploi à vie dans une société ou uneusine. Une condition physique moyenne, mais potentiellement améliorablelui avait permis de passer les tests de sélection pour les FCP (Force deColonisation Planétaire, souvent mises à tort au pluriel, car la volontéterrestre est bien d'avoir un organisme unifié de défense). Mais son faibleentrain pour les études ne lui avait permis d'obtenir qu'un maigre diplômede gestionnaire de stock, ce qui avait conditionné son emploi actuel. Blanc originaire de « La Dominique », dans les Antilles, Reno avaitcette nonchalance trompeuse des îliens. À l'étroit sur son île, dans son idée,

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la Terre elle-même était aussi étroite. En fait, il s'adaptait très bien à vivredans un microcosme comme le vaisseau ou le camp d'entraînement danslequel il avait séjourné trois mois. Il n'avait que peu visité les extérieurs puisque celui-ci était implantédans un ancien goulag soviétique, afin de préparer les recrues à toujours seméfier du froid de l'espace, bien sûr hors de proportion avec ce qu'onpouvait subir sur terre. Néanmoins, il n'avait pas eu à affronter directement le terrible hiverrusse. Il avait commencé en été à supporter chaleur, moiteur et moustiquesdans les marais, puis un rafraîchissement notable automnal pour quelquestempératures glaciales mi-novembre. Ensuite, l'instruction avait portésurtout sur le confinement, et non sur la résistance au froid. Il n'avait doncpas été exposé à des températures extrêmes. À quoi bon ? Dans l'espace,elles pouvaient survenir en quelques secondes en cas d'accident ou enquelques heures par manque d'énergie. Quand il n'y avait aucun secoursextérieur possible, une mort rapide était peut-être même parfois préférableà une survie inutilement prolongée grâce aux différents dispositifs desurvie et l'aptitude à les mettre instantanément en œuvre. Puis il avait effectué un petit trajet vers le cercle Arctique à la stationdite du Pôle Nord, mais en fait située sur l'île d' Ellesm. Les glaces avaientfinalement fondu deux siècles auparavant et malgré le contrôle del'atmosphère, la calotte glaciaire ne se reformait pas. À peine arrivé dans le cercle Bêta, il avait intégré le « Sun Tzu » etentrepris le voyage initiatique dans le système d'Alpha du Centaure. Siseulement ses cadres ne l'avaient pas bousculé, pour lui, plutôt placide,malgré sa timidité, les classes dans l'espace auraient été supportables. Maisson côté « provincial » et sa gentillesse en avaient fait la tête de turc idéalepour des cadres qui devaient rapidement s'affirmer, derrière ceux qui surterre avaient « préparé le boulot ». De Bêta prime à Bêta 112, Reno avait appris la vie à bord et son travailde soldat lors des simulations, mais sans étincelles. Pour Erick Dombass, àce moment-là, Reno n'était qu'un bleu, sans intérêt de surcroît. Erick Dombass a physiologiquement trente ans. Mais il a quitté la terreplus de cinquante ans avant Reno. Il a exploré pendant dix ans un systèmeà dix années-lumière de là. Cinq ans de voyage initial, un an dans le cercle

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Bêta, encore douze ans de « voyage », dix ans d'explorations et d'aventuresdurant lesquelles les trois-quarts de ses camarades ont perdu la vie. Puis douze ans pour « revenir en arrière » avec quelques raresprivilégiés afin de participer à la formation d'un équipage et repartirensuite avec pour les cercles extérieurs à dix-sept années-lumière du cercleBêta. Il a encore dix ans à faire de l'exploration. S'il en réchappe, il auragagné le droit à une retraite et à une « terre » à exploiter sur une planètehabitable des systèmes extérieurs. Bref, même petit gradé, ce vétéran compte plus qu'un jeune sergent ouun jeune officier, surtout aux yeux de l'Amiral, qui lui, va accomplir satroisième campagne… Alors, quand le vieux soldat aborde Reno, celui-ci tombe des nues et enécrase sa canette de C'Fet posée sur la tablette devant lui. — Bonjour mon garçon. Désolé de te déranger. Tu permets qu'ondiscute un peu ? — Euh! Oui Mon…, chef, avec plaisir. — Tu en reprends un ? — Oui merci. (En fait, refuser une invitation de vétéran est impensablepour une jeune recrue, déconseillé pour un jeune gradé, y compris officier). Celui-ci fait un signe de la main, avec deux doigts tendus. Leresponsable du comptoir se déplace avec deux « spécial vétéran » car il esthors de question qu'un vétéran boive du C'Fet. Cet ersatz de boissonalcoolisée, à base d'eau recyclée, légèrement gazéifiée et additionnée desucre, de colorant jaune/noir et d'un mystérieux extrait de plantesapéritives ne serait pas bénéfique pour un vieux foie habitué à dégrader debien plus intéressants liquides. La boisson « spécial vétéran » est un peu forte et certainementalcoolisée. De curieuses histoires de distillation clandestine sur le vaisseaucirculent. Il s'agit là en fait d'un pur malt terrestre que l'administration militaire nesaurait refuser à ses troupes d'élite qui sont sans espoir de revoir un jour laterre, cela malgré le coût énergétique élevé du kilo de matière expédié àcinq année-lumières par le régénérateur. Reno est plus accoutumé au rhum. Mais c'est devenu un produitintrouvable pour lui, et à son grade actuel, tout alcool lui est interdit. Sous

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la « protection » du vétéran, il peut apprécier le breuvage à sa juste valeur. — Je te regardais et j'ai vu que ton petit ami est bien apprivoisé. — Oui, Monsieur, il est assez intelligent même. — À quel point ? — Il sait ouvrir une poche proprement pour manger la nourriture àl'intérieur. Il répond à son nom. Il sait rester sage bien qu'en fait, il n'estpas très actif. Il serait même du genre nocturne, car je l'entends bouger lanuit. Mais il ne fait aucun dégât dans la chambrée et je lui dépose sanourriture à portée. Il mange quand il veut et ne semble pas grossir. — Et que mange- t-il ? — Des cacahuètes, des biscuits, des fruits secs ou seulementséchés…Ses dents sont vérifiées toutes les semaines, à cause du sel et dusucre. Il a aussi droit à des analyses d'urine pour détecter un éventueldéséquilibre. De temps en temps, je lui donne des fruits au sirop mais iln'aime ni les compotes, ni les yaourts, ni les crèmes dessert. Il faut direqu'à bord, nous n'avons aucune nourriture pour animaux. — C'est peut-être une chance pour lui. Nous avons une « bestiole » nousaussi. Mais elle est infiniment plus insaisissable. Plus intelligente je pense,mais très sournoise. Nous la gardons en cage. Tu as le seul toutouextra-terrestre du bord. — C'est vrai qu'il est affectueux. Mais parfois, je me dis que c'est lui quim'a adopté. — Certains animaux sentent qu'ils ne risquent rien avec certainespersonnes. C'est d'autant plus vrai avec les primates habitués à la vie encollectivité sous la domination d'un chef. Il t'accepte et obéit. Les échangesensuite tissent les liens. Mais il faut aussi respecter leur « personnalité » etne pas céder à leurs caprices. — Le jeu ne l'intéresse pas trop. Par contre, il veut toujours être avecmoi. Alsyen rirait bien intérieurement de cette conversation, s'il n'avait« scanné » l'esprit du vétéran durant cette conversation. Un brave gars unpeu bourru qui en a vu des vertes et des pas mûres, mais surtout condamnéà brève échéance si Alsyen ne fait rien. Une tumeur sous le lobe gauche estdéjà bien développée. Son foie est déréglé ainsi que son systèmephysiologique. Certainement des altérations dues à des rayonnements

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cosmiques ou des radiations. Pour la tumeur, Alsyen l'étouffe en organisantle boycott des mini vaisseaux sanguins qui la nourrissent. Quelquesmilliers de neurones vont en pâtir. Mais d'autres prendront leur place, carAlsyen le « stimule » un peu pour cela, comme il l'a déjà fait pour Reno. Ilcorrige aussi les taux de réaction de certaines glandes afin d'accélérer laproduction d'hormones réparatrices. Enfin, que l'homme profite bien deson whisky, car les prochains lui seront désagréables au goût. C'est du « vite fait », mais la médication par stimulation neuronale aaussi des limites et demande du temps pour agir sur certaines parties ducorps. La prostate elle-aussi est à changer rapidement. Il vaut mieux asseztôt que trop tard. Ce soir, il dormira à l'infirmerie, car Alsyen en bloquel'influx nerveux qui la ferait réagir. Les humains ont d'ailleurs une solutionefficace de remplacement aujourd'hui pour vider une vessie à la demande.Pour soigner les intestins, Alsyen sollicite la vésicule biliaire. Elle vaproduire pour l'estomac une variante d'un antibiotique naturel qui va lesassainir. L'homme en général n'est pas adapté à tous les micro-organismesextra-terrestres qu'il croise et certains lui sont néfastes à long terme. Comme si l'homme lui en était déjà reconnaissant, celui-ci le caressedoucement sur le sommet du crâne et à la base du cou. Alsyen se rapprocheun peu de Reno, jouant à l'apeuré, alors qu'il peut provoquer une douleurde tous les diables en moins d'un dixième de seconde à tout ennemi, avantmême que celui-ci n'attaque. Puis c'est la paralysie temporaire ou la mort,selon l'inspiration. En général, c'est la paralysie. Alsyen et les siensrespectent toute vie dans la mesure du possible. Un apanage du vraipouvoir. Celui de pouvoir faire et de savoir se contrôler. — Monsieur, demande Reno timidement, vous avez déjà fait desguerres ? Dombass s'interroge. A-t-il le droit de répondre que les seules guerresqu'il a connues ont dû être menées contre des colons qui s'en prenaient àd'autres colons ? — Non mon garçon. Nous sommes une force de dissuasion et d'urgence,ainsi qu'une aide à l'exploration, un symbole du gouvernement légal et uneprotection dont on espère ne pas avoir besoin. Mais nous devons nousentraîner pour être prêts à toute éventualité. Seulement tu verras. Certainesplanètes sont hostiles. Et le service est fatigant à la longue.

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— Alors, il y a beaucoup de routine ? — L'entraînement permanent permet de s'en affranchir en partie. Deplus, chaque escale est exceptionnelle et enrichissante. Le danger estpermanent, car l'espace dehors est glacial. Mais il faut savoir dominer sapeur, gérer son stress et rester opérationnel. Pour cela, il faut un moral enacier inoxydable. Enfin, nous balisons le chemin de l'homme dans cetteimmensité. Nous écrivons l'histoire, à notre petit niveau. Pas de gloire et deconquêtes sanguinaires. Mais je te promets des jours difficiles où le hérossera toujours celui qui sait en toute occasion résister à la tentation debaisser les bras. Enfin, dans ce contexte, les risques d'accidents sontnombreux. Tu dois être vigilant pour toi, mais aussi pour tes camarades.Nous sommes dans le ventre du même tas de ferraille, et crois-moi, desactes importants pour tous, tu auras à en faire souvent. Déjà en étant unbon camarade. — Vous avez visité beaucoup de planètes ? — J'en ai survolé quelques-unes. Je me suis posé sur d'autres. Mais onne peut en visiter une en entier. Il y a tant à voir sur chacune. Despaysages, de la flore et de la faune parfois… et puis les colons, leurs filles.Il y a des bons coups dans de plus en plus d'endroits. Et à chaque fois qu'onse repointe près d'un régénérateur, la station a doublé de volume, il y a denouvelles villes sur la planète support, de nouveaux bars, de nouvellesfilles… ». Les filles. Mais quelles filles disponibles pour des soldats de la FCP, pardéfinition de passage ? Des prostituées, l'amour tarifé. Sur terre, celan'existe plus. — Des p... ? — Mais non, ce sont des hôtesses et elles ont choisi de s'occuper denous. Bon, elles te poussent à la consommation, mais le passage à l'acten'est pas automatique. Et surtout, il est gratuit. Là, le vétéran ment effrontément. Il est interdit aux filles d'encaisserquoi que ce soit de la part des troupes de la FCP. Mais elles ont leurcommission sur leurs consommations, comme sur les prix des chambres.Enfin, les petits cadeaux offerts aux plus gentilles ne sont pas interdits, àcondition qu'il ne s'agisse pas d'argent. Elles sont très habiles pour se faireoffrir des produits que les commerçants reprendront ensuite comme les

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bijoux et les bouteilles de parfums encore sous emballage. Ils appliquentcependant une petite décote aux dépens de la fille, histoire de mieuxprofiter du filon que représente un vaisseau des FCP plein de jeunes genssans occasion réelle de pouvoir dépenser leur solde durant de longuespériodes. En tout cas, Reno est peu prolixe sur le sujet. Quant au vétéran, il n'a pasenvie de s'étendre sur son passé. Un passé chargé de camarades morts paraccident ou maladie. Il ne peut pas parler aujourd'hui de toutes les affections qui touchentl'humanité durant sa conquête de l'espace à un jeune : les radiations, le« scorbut de l'espace », la stérilité à trente ans, les « coups de folie »meurtriers… Néanmoins, il tente de prendre la température du moral de Reno,histoire de rendre cette discussion « utile » au bon fonctionnement desFCP. — Et tes chefs, ils sont sympas ? Petite moue de Reno. — Je vois. Je ne te demande pas de balancer. Ça ne se fait pas en plus.Mais tu sais, c'est normal qu'au début, ils soient un peu rudes avec vous.Ce ne sont pas des copains et vous n'êtes plus des gosses. Ensuite ças'arrange. Ils doivent pouvoir compter sur vous et savent vous féliciter pourvos résultats aux manœuvres … — Je n'ai pas dû être brillant dans mon travail, et moi je n'ai pascombattu comme le reste de la section. — Tu es pourtant le premier qui se soit interrogé sur la connaissance desespèces locales, alors que les autres ne se contentaient que de réagir à undéferlement d'assaillants. Or on ne peut bien combattre un adversairequ'avec la connaissance complète de celui-ci, et pas seulement de sonarmement et de ses effectifs. De plus, le meilleur combat est celui quicoûte le moins cher en vies. C'était le but de cet exercice. Les effectifs sontencore réduits et les moyens sont coûteux. Enfin, nous ne pouvons paslaisser une trace de sang sur notre passage dans l'espace. Alsyen apprécie ces réflexions de la part d'un simple soldat. Cettepréoccupation, même motivée par des raisons économiques et pratiques estoubliée par les espèces belliqueuses finissant alors dans un cul-de-sac de

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l'évolution. Parfois trop tard, après avoir causé des dégâts irrémédiablespour d'autres mondes. Qu'une espèce sache raisonner ainsi en chacun deses membres est un bon signe. Malheureusement, l'homme a encorebeaucoup à apprendre avant de pouvoir bénéficier des échanges avec lesZanniens. — Tout à fait d'accord avec vous. Mais enfin, c'est le travail desdiplomates, pas des militaires. — Où vois-tu des diplomates ici ? Dans l'espace, nous nous devonsd'être autonomes. Dans les cercles extérieurs, ce seront des militaires quiseront en premier au contact avec une autre civilisation. Imagine que nousouvrions le feu à mauvais escient. Nous condamnerions tout le reste denotre espèce à cause de cette « mauvaise impression » initiale. — Il n'y a pas de cours pour ça. — L'Amiral a l'intention maintenant de faire travailler les officiers à lesconcevoir. D'où le côté un peu manichéen de la dernière simulation pourles convaincre après un échec cuisant. — Oui, c'est une histoire de « grands chefs ». — Pas du tout. La rencontre avec une espèce intelligente peut avoir lieun'importe où, et avec celui qui sera en première ligne : un simple soldat engénéral. — Et si l'autre est armé ? — Espérons que de son côté, il aura eu la même instruction que nous.Sinon c'est la peur de l'autre qui entraînera les deux parties dans un conflitmeurtrier. — Mais comment savoir ? — Si tu croises une espèce avec des objets manufacturés, même unesimple hache en pierre, tu évites de tirer. Et même de menacer. Ta vie esten jeu, mais dans ce cas-là, celle de tes camarades l'est encore plus, et tudois être prêt à mourir pour ne pas t'être défendu à temps. — Facile à dire. — C'est pour cela qu'il faut une instruction, pour aller au-delà du réflexeprimaire d'auto-défense, et que nous sélectionnons les « éclaireurs ». — Vous voudriez que je sois éclaireur ? — Du calme petit. Finis d'abord tes classes. Cette fonction n'existe pasencore… officiellement, et puis, tu as déjà tiré sur une espèce inconnue.

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Cela peut être interprété comme un constat d'échec ou comme uneexpérience unique qui peut t'éviter de recommencer. — C'était pour… — Oui mais, le casse-croûte est en général moins important que leprédateur dans l‘échelle de l'évolution. Dans ton choix, tu as fait preuved'anthrocen... d'anthropocentrisme comme dit l 'Amiral. Et quandl'intelligence survient, alors, il y a produits manufacturés. — C'est un point de vue aussi. — C'est un point de départ. Je ne suis pas une grosse tête. Allez, ne t'enfais pas. Après Bêta 006, le régime de « bleu » passera de mode. Ça va êtrevotre baptême du feu là-bas. — Qu'est ce qu'il y a là-bas ? — De nombreuses surprises. Mais ne compte pas sur moi pour leséventer. Sinon, où serait l'intérêt ? Je te laisse. Deux whisky, c'est tout ceque le règlement permet. Même pour nous. Et je suis de quart tout àl'heure. À la prochaine petit. — À la pro…oui Chef » Deux heures plus tard, le vétéran s'endort alors que le chirurgien de bordétudie son dossier médical. Pour lui, si la prostate est touchée, le vétérann'en a plus pour longtemps. La suite va lui donner tort.

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Tout allait bien jusqu'alors. Ce n'était plus de la simulation cette fois.Comme pour Bêta 112, il fallait débarquer. Il ne s'agissait pas d'unepromenade de santé. À peine sorti des barges, il faudrait progresser dans lajungle durant un kilomètre, se cacher en lisière, observer l'ennemi de jour.Enfin, passer à l'attaque de nuit. Dans le scénario, l'ennemi était clairement humain et évolué en matièretechnologique : des colons séparatistes, supérieurs en nombre, mais pastrès bien formés militairement. Ils avaient recruté des mercenaires et desaventuriers, plus dangereux mais moins motivés dès que les forcescoloniales seraient clairement supérieures en puissance de feu. Enfin, unerésistance aux séparatistes, légaliste, existait et il fallait agir de concertavec elle. Chaque compagnie avait sa mission. Une section prendraitcontact avec la résistance, les autres se prépareraient à l'assaut en lisière.Mais toutes commenceraient leur exercice par une phase d'infiltrationpédestre. Voilà pour les conditions initiales de la mission qui avaient été relayéesà tous les échelons. Il fallait le prendre pour un simple petit jeu engrandeur réelle avant de rejoindre les quartiers des camps d'entraînementde Bêta 006. Une formalité à laquelle chacun avait dû être préparé grâce auxexercices de simulation. Hélas, l'impondérable survient. La barge dugroupe de combat de Reno donne des signes de dysfonctionnement. Elle sepose sur la canopée de la jungle luxuriante qui borde l'objectif. Des branches craquent, elle s'enfonce de moitié dans l'océan vert, desantennes extérieures se brisent. Le contact avec le « Sun Tzu » et les autresbarges est coupé. Les pilotes déclenchent la balise de secours. C'est la nuit. Il y a deux heures avant que ne se lève l'aube. Tout lemonde reste en sécurité à l'intérieur et tente de dormir un peu. La situation

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semble stable, une autre barge ne devrait pas tarder à arriver. Alsyen en doute un peu. L'encadrement, que ce soit le chef de section oules sergents ne semble pas croire à l'arrivée d'éventuels secours. Seulement,aucun d'entre eux ne manifeste de signe d'inquiétude pour autant. Qu'est ceque cela cache ? Aux premières lueurs du jour, les sergents réveillent la troupe. Caubardprend alors la parole. — Les gars, l'exercice continue, même si nous ne sont plus dans le cadredes conditions de départ. Mais au lieu d'un kilomètre de jungle à parcourir,c'est dix qu'il va falloir se coltiner, en vingt-quatre heures seulement.L'attaque a été reportée pour nous attendre. Il n'y a pas de bargesdisponibles pour venir nous chercher. Elles ont leurs propres exercices àeffectuer une fois les troupes déposées au sol au profit des pilotes. Dans l'esprit des recrues, il y a un peu de colère et d'appréhension. Fairedix bornes en vingt-quatre heures dans cette jungle si inhospitalière, alorsque dans l'espace, leurs organismes se sont affaiblis... Ils rêvent tout éveilléles chefs !. Mais pour elles, le cauchemar commence. Alors que la plupart de ses camarades sont descendus, Reno, d'autorité,arrête quatre de ses camarades. — Faut prendre du matos les gars sinon on va se retrouver rapidement àcourt dans cette jungle. Joignant le geste à la parole, il leur tend coupe-coupe, hachettes,trousses de survie, cordes, sacs plastiques, gants de manutention... ainsiqu'un brancard, une pompe filtrante… — On répartira tout ça en bas, ordonne Reno. C'est chargés comme des baudets, avec armes, munitions et sacs decampagne bourrés de grenades et d'explosifs que Reno et ses camaradesdescendent le long des cordes jusqu'au sol à travers les branchages. Avant de partir, chacun s'occupe de vider son sac pour n'emporter que lestrict nécessaire. Alsyen les trouve bien inconséquents. Certains abandonnent leur tenteindividuelle, d'autres les affaires de rechange sous prétexte que leurcombinaison de combat est étanche. Des sur-vestes chauffantes (par miseen contact de deux liquides réactifs) et des duvet-hamac jonchent le sol,jetés par leur propriétaire désireux de transporter un petit kilo de moins. Il

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est question de combattre de nuit, donc la nuit prochaine, il n'y en a pasbesoin. Les organismes sont amoindris par le manque d'exercice physiquedans l'espace, tout poids inutile peut leur rendre l'épreuve insoutenable oules mettre dans une situation dramatique. Heureusement Reno lui est en pleine forme et Alsyen le conforte dans sadécision de tout garder, et même de porter en plus une trousse de surviesupplémentaire, de la corde, des sacs plastiques, la pompe filtrante et latoile du brancard. En cas de besoin, des branches peuvent remplacer lesarmatures. Les sergents regardent leurs hommes mais ne disent rien.Alsyen remarque qu'eux n'ont rien laissé de leur paquetage individuel. Tout le monde est muni, soit d'un coupe-coupe, soit d'une hache, outilsindispensables dans la jungle pour ouvrir une trace. Reno emporte unepetite pelle pliable à son ceinturon. C'est encore le seul. — Alors Reno, plaisante l'un, c'est toi qui va te charger des feuillées ? (Les feu i l l ées : nom donné aux WC de campagne u t i l i séscollectivement. Sommairement, il s'agit d'un trou creusé à l'écart du restedu camp, protégé des regards, mais dans la zone sécurisée. Si ledétachement est important, et le stationnement prévu pour durer un peu,toute l'ingéniosité des bâtisseurs est sollicitée : trous plus importants,planchers, murs de branches, protection contre la pluie, camouflage ycompris aérien avec de la végétation fraîche (herbes, feuilles...) .) Les deux sergents rassemblent leurs groupes face à eux. Il faut expliquerà la troupe la méthode de progression dans une jungle. Chacun tient à songroupe ce langage. — Cette planète dispose d'un magnétisme comme sur la terre, situé aupôle nord avec une déviation de quatre degrés entre le nord magnétique etle nord géographique. À bord de la barge, nous disposions d'un GPS reliéau « Sun Tzu » qui nous renseignait en permanence. Dans certains cas, lerelais était assuré par une navette qui nous « orientait » durant l'opération.Mais ce dispositif, assez lourd, n'est pas prévu pour rester en place deuxjours pour seulement une section isolée. Au sol, nous disposons donc d'unecarte et d'une boussole. La carte nous servira quand nous rejoindrons uneroute. Mais nous devrons éviter celles-ci lorsque nous nous rapprocheronsde l'objectif.

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Nous allons donc passer par la jungle sur dix kilomètres en suivant unazimut, c'est à dire une direction dont je connais l'écart angulaire avec lenord magnétique. Mais il va falloir aller tout droit et connaître à chaqueinstant la distance que nous aurons parcouru. Pour cela, nous allons définir des fonctions et tout le monde leséchangera au fur et à mesure. Il va y avoir un « ouvreur » qui marchera en tête avec un sac à dosrouge, bien visible dans cette végétation, mais très léger car il va lui falloirse faufiler entre les branches. Plus loin il sera, tout en restant à vue, mieuxje peux prendre un point de repère situé entre moi et l'objectif dans ladirection indiquée par ma boussole. Si je n'ai pas de point de repère,l'ouvreur en fera un, avant de faire lui aussi encore un peu de trajet.Derrière moi, il y aura deux compteurs de pas. On vous a fait calculercombien de pas vous faisiez « naturellement » en cent mètres. Ils vontcompter leurs pas pour les transcrire ensuite en distance. Quand un« compteur » arrive à cent mètres, il fait un nœud sur une petite cordeaccrochée à son poignet droit. Au bout de dix, il fait un nœud sur lacordelette de gauche. Au bout de neuf nœuds de chaque coté, nous seronspas loin de la sortie.. Mais avant de faire compter, j'envoie les layonneurs vers le repère quej'ai pris, qu'il soit naturel, ou posé par l'ouvreur. Avec les coupe-coupe etles haches, ils devront tracer un chemin « carrossable » pour le reste deleurs camarades jusqu'au repère. Car ceux-ci vont porter leur équipement,plus l'équipement « collectif », plus le sac de leurs camarades de devantqui ne bénéficient pas d'un passage aisé. Bref, les bêtes de somme avecplus de trente kilos sans compter arme et munitions. Avec cette chaleurmoite, ce ne sera pas une partie de plaisir. Fin de l'explication. Tout le monde n'a pas encore bien compris, saufque ça va être pénible. Mais une fois que chacun sera à sa place, il vapouvoir constater le fonctionnement de l'ensemble. Jamais les recrues n'auraient pu penser se retrouver dans de pareillesconditions. À l'époque des régénérateurs translateurs inter-sidéraux, desvaisseaux spatiaux et des scooters anti-gravité (en ville seulement car ilfaut un rail à effet d'induction enterré pour pouvoir léviter), il va leurfalloir marcher, et dans une forêt dense en plus.

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Rien à voir avec leurs marches dans les déserts glacés sur terre lors deleurs classes, où il suffisait de baisser la tête et de suivre le rythme… Caubard marche juste devant Reno. Il constate la qualité du layon ouvertet s'assure de ne perdre personne. Par précaution, tout le monde est reliépar talkie-walkie. Seuls les cadres les gardent en permanence allumés,ainsi que l'ouvreur. Une recrue qui s'éloignerait de la trace à l'insu de sonbinôme doit l'allumer pour appeler à l'aide. En dix mètres hors du layon, onpeut perdre le sens de l'orientation, partir dans une mauvaise direction etêtre perdu, c'est-à-dire dans ces conditions, être condamné à mort à brèveéchéance. Bien que la progression se fasse en file indienne, que chacunvoit son camarade de devant, et que logiquement il n'y a pas à quitter la« trace », on ne sait jamais ce qui peut arriver si une créature agressivesurprenait les hommes et que ceux-ci se dispersent un peu trop vite. Un sergent ferme la marche, tandis que l'autre guide la colonne. Les arbres vont du simple tronc très fin qui tente de trouver de lalumière aux gros troncs centenaires assombrissant le ciel. Les racines sonttriangulaires, à haut sommet et s'élève parfois jusqu'à cinquantecentimètres au dessus du sol puis rejoignent le tronc et semblent vouloir ygrimper. On dirait des lettres J. Elles sont assez pénibles à enjamber, etextrêmement glissantes, comme le bois mort dissimulé par les mousses etles hautes fougères, semblables à celles que Reno a pu voir dans les restesde forêt primaire sur son île d'origine. Elles ont aussi la fâcheuse manie dese disputer l'espace et de s'enchevêtrer. Le sol est constitué en dessousd'argile rouge, elle aussi glissante en surface et dure en dessous. En suivantles troncs, Reno peut constater la présence de nombreuses plantes parasitesnichant dans les trous et méandres des géants. Des lianes retombent dessommets et finissent par se replanter dans le sol. Parfois, il faut passerentre les branches d'arbres morts tombés en travers. Les tronçonneusesentrent alors en action car les coupe-coupe sont insuffisants pour permettrede se frayer un passage. L'œil acéré de Reno repère aussi quelques orchidées accrochées auxarbres, mais il n'est pas sur un circuit touristique et il vaut mieux pour luisurveiller ses pieds. Les serpents doivent fuir au devant des hommes maisles scolopendres n'hésitent pas à leur couper le passage. Leur piqûredouloureuse peut faire gonfler un bras en quelques minutes et mettre au

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supplice sa victime pour plusieurs jours. Vu la taille de certains ici,approchant les trente centimètres, ils pourraient peut-être même fairemourir un homme de douleur. Chaque souche de bois pourrissante peutabriter un nid de dizaines d'individus... Reno n'ose penser qu'on ait puimporter aussi des mygales et des fourmis géantes Au bout de deux heures, première halte. Ils ont parcouru un kilomètreenviron. Tout le monde est regroupé pour un repos et une collationobligatoire. À l'issue, les rôles seront inter-changés. À part les cadres, non astreints au layonnage, et qui de plus ne portentque leurs affaires personnelles au maximum, tout le monde est déjàexténué. Alsyen constate que Reno supporte mieux les conditions difficiles queses camarades. L'entraînement physique à bord porte déjà ses fruits. Aucours de la progression, il a déjà soulagé la fatigue des deux porteurs depart et d'autre de Reno, et à la pause, il s'occupe de Jean-Louis qui s'est pasmal entaillé les avants-bras en layonnant. Les griffures, bien quesuperficielles, sont vilaines et sales mais Jean-Louis ne semble pas vouloirles montrer à l'infirmier. Il incite donc Reno à les voir et spontanément lejeune homme se propose de soigner son camarade. Celui-ci accepte volontiers. Reno nettoie les avant-bras avec un peud'eau prise de sa gourde, puis passe un antiseptique léger avant d'appliquerun pansement vaporisable. Jean-Louis est soulagé de la sensation debrûlure à fleur de peau qui le taraudait. Plus loin, l'infirmier de la sectionne chôme pas non plus. Alsyen s'étonne de la fragilité des combinaisons de combat qui se sontparfois déchirées au niveau des jambes et des bras. Les porteurs et lescadres ont encore les leurs en bon état, mais celle de l'ouvreur qui sefaufile comme il peut en liaison avec le sergent de tête risque fort debientôt ressembler à une loque s'il conserve cette fonction. Branches etronces devraient glisser sur elles… En observant les épines des lianes,Alsyen constate qu'elles sont dentelées et coupantes comme des rasoirs.Ces plantes sont fortement composées de minerai de fer, dont le sous-soldoit être saturé, et elles l'intègrent dans leur organisme en évitant en plusson oxydation. Voilà pourquoi aussi elles sont si difficiles à trancher. Lescoupe-coupe eux-aussi sont déjà passablement émoussés et Sancruz

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montre aux jeunes comment les réaffûter. Le sergent Coll lui aussi aborde individuellement chaque membre de songroupe pour une brève discussion qui lui permet de savoir où en estmentalement et physiquement son interlocuteur du moment, comme depouvoir juger l'état général de l'ensemble de son groupe. Caubardenregistre des commentaires sur son dictaphone en chuchotant. L'attitudedes cadres est totalement différente que sur le « Sun Tzu ». Attentifs etprévenants, ils passent de l'un à l'autre de leurs hommes avec les bonsconseils pour gérer les petits bobos. La colonne se remet en marche. Environ une heure plus tard, elle tombeface à un marigot. Des sortes de palétuviers ont colonisé la cuvette. Il fauttraverser. Caubard ordonne la pause déjeuner. Les hommes ont droit à une petitedemi-heure. Certains mangent complètement leur ration journalière decombat, d'autres chipotent. Reno s'applique à ne manger que le nécessaire,mais à en garder pour le cas où, ce soir. Chacun en effet n'a qu'une ration.Celle qu'ils devaient manger pour juste après le combat. La conserveauto-réchauffée est excellente, et Reno fait chauffer de l'eau pour quechacun puisse profiter de son café individuel en sachet. Cette initiative est saluée par Caubard lorsque il vient d'autorité se serviret Reno en rougit. Pour une fois que son chef de section a un motsympathique pour lui, il en tombe des nues. Ce petit moment de détentepour chacun retarde la fin de la pause, mais ensuite, le moral un peuremonté, personne n'hésite à entrer dans l'eau à la suite de l'ouvreur. Celle-ci se trouble de la vase remuée dans le fond. Des odeursméphitiques remontent aussi en grosses bulles. Pour ceux dont lescombinaisons sont griffées, le contact avec l'eau est gluant. Chacun porteson sac en hauteur bien qu'il soit logiquement parfaitement étanche, etseuls quatre guetteurs conservent leur arme hors de la housse, prête àservir. En effet, Caubard a parlé de la présence éventuelle de crocodiliens et ilsont la mission de surveiller la moindre ombre suspecte. Tout le mondepense aussi à des poissons carnivores, des serpents d'eau géants … En toutcas, il y a des sangsues dans l'eau et des insectes tout aussi suceurs de sangau dessus.

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La peur et le dégoût au ventre, chacun avance, vigilant, afin de ne pasglisser sur les racines sous marines, de ne pas s'enfoncer dans des sablesmouvants… L'ouvreur n'est plus seul. Il s'agit d'un trinôme dont chaqueélément est relié à la même corde. Le premier surveille au devant, les deuxautres ont chacun leur côté et la section suit plus loin le même trajet. Pourl'instant, la profondeur est inférieure à un mètre et il n'y a pas de courant,d'où la vase et les poches de méthane issues de la putréfaction et piégéessous la couche de végétation tombée ultérieurement au fond de l'eau … Au-dessus, la canopée vibre de mille cris, craquements et autresbruissements. Parfois, une branche tombe dans l'eau, on entend uneenvolée subite… et la vie si bruyante du haut, bien qu'étouffée par lefeuillage dense, contraste avec le silence d'en bas, dans une semi pénombrepermanente, où les hommes, sauf pour quelques flocs parfois inquiétants,sont les plus bruyants malgré leur mutisme. La jungle d'en bas retient sonsouffle sur leur passage, ou s'est enfuie avant leur arrivée. À part le sergent Coll qui communique avec le trinôme de tête, pluspersonne ne discute et chacun avance à la queue leu-leu, perdu dans sespensées, tout en regardant anxieusement autour de lui. Pour certains, lacombinaison de combat retient plus l'eau qu'autre chose. On entend râlersourdement pour des piqûres. De temps en temps, l'un glisse, parfois dansun juron éteint par l'eau et se terminant par un « plouf », mais pluspersonne ne rit. Certains commencent même à aider les plus faibles à serelever, écrasés par le poids du sac et du reste de l'équipement. D'autres prétendent être tombés à cause du « sol » qui a glissé, ou d'unserpent qui les a entravés. Personne n'est rassuré par ces anguillesinvisibles et tomber pourrait entraîner les morsures d'un adversaireinvisible, ou pire… Les remugles gazeux qui éclatent à la surface ne parviennent plus àécœurer les nez blasés mais commencent à donner de sérieux maux de tête.Caubard harangue les hommes exténués leur promettant la pause dès lasortie du bourbier. Ceux-ci maugréent maintenant. C'est alors qu'un crocodilien sème la panique. Ses quatre mètres dequeue et d'estomac derrière ses deux mètres de mâchoires immergés sontsurmontés des deux centimètres d'yeux et des dix centimètres de cerveauqui ont repéré les hommes et décidé l'ensemble à plonger. L'eau est

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tellement trouble qu'il est devenu invisible dès son immersion complète.Alsyen détecte sa présence froide tapie dans les profondeurs. L'animal n'apas faim mais chasse systématiquement, histoire de mettre dans son gardemanger sous-marin un peu de viande à y faire pourrir pour mieuxl'attendrir et la bonifier . Il est impossible de faire un tir de barrage pourl'effrayer. Alsyen comprend que soit le crocodilien est tué, soit il va tuer unhomme. Alors, il stimule Reno pour qu'il se saisisse de son arme etpersuade le crocodilien de remonter en surface. À moins de dix mètres dusergent Coll, la masse sombre apparaît, gueule ouverte. Reno l'atteintimmédiatement à l'articulation de la mâchoire, puis dans la masse du torse.L'animal se tord de douleur et une fusillade l'achève, le perforant de toutesparts. Les hommes respirent. Le sergent Coll fait un petit signe deremerciement à Reno puis les hommes s'éloignent rapidement du corps quidéjà attire de nombreux poissons et anguilles carnivores. De plus grosprédateurs risquent bientôt eux aussi se joindre à la curée… Bien leur en prend. Quelques dizaines de mètres plus tard, Reno seretourne et aperçoit d'inquiétants soubresauts qui agitent la surface voisinedu cadavre déjà à moitié dévoré. Un quart d'heure plus tard, ils atteignent enfin la terre ferme. Caubardaccorde dix minutes de pause. Il faut s'éloigner ensuite du marais pourétablir un camp pour la nuit. Car celle-ci tombe dans moins de trois heures. Les hommes passent ces dix minutes à brûler les sangsues qui se sontfixées sur les jambes avec la pointe incandescente de briquets à pile.Certaines ont même mordu au travers de la combinaison. Reno fait circulerentre les recrues les bombes de sparadrap hémostatique en aérosol. Il pensequand même à s'en garder une pour lui. Après tout, les autres n'avaient qu'àse charger eux aussi. Il pense à mettre sur le crâne d'Alsyen un baume pourcalmer les piqûres et celui-ci lui manifeste sa reconnaissance par de petitscris. La colonne repart. « Dans une demi-heure, si on trouve une clairière, ons'arrête » ordonne Caubard au sergent Sancruz qui prend la responsabilitéde l'orientation à la place de Coll. Une heure et demi plus tard, enfin, l'endroit idéal est trouvé. Tout lemonde avec son coupe-coupe ou sa hache dégage la zone afin de la rendre

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plus confortable. Une équipe va chercher du bois mort avec haches ettronçonneuses. Chaque groupe à sa zone de « résidence » . Certainstendent les hamacs (dits étanches car le dormeur est intégralement protégépar une toile laissant passer l'air mais pas l'eau, et encore moins lesinsectes) entre deux arbres. D'autres préfèrent la tente … Mais surtout, lamoitié des effectifs se retrouve sans protection ni couchage pour la nuit. Les cadres sermonnent les inconscients qui peuvent se préparer à la plusmauvaise nuit de leur vie, entre les moustiques, araignées, serpents,scolopendres, rats, chenilles urticantes et autres vermines grouillantes quivont sortir de terre ou descendre des arbres dès le crépuscule. Ils n'ont plusqu'à dormir, à même une bâche plastique ou une couverture de survie prèsdu feu. Caubard relève d'ailleurs leurs noms, l'air de rien et Alsyen comprendque les circonstances actuelles n'ont rien d'accidentel, ni mêmed'improvisé. Le stage d'aguerrissement a commencé à l'insu des recrues. Longue nuit prévisible : quatorze heures. Alors que les tentes sont à peine montées, des trombes d'eau s'abattentsur la jungle en quelques minutes. Des sacs oubliés ouverts, en particulierceux des « sans-abris », se remplissent et leur contenu se mouille. Adieulinge sec et papier toilette. Le sergent Coll montre comment allumer du feu avec du bois mouillé. Ilprend une hache et choisit un gros rondin. Il le fend et en conserve le cœur.« Voyez,fait-il, au centre, le bois est dur et sec ». Il en extrait alors de finesbaguettes qu'il empile puis allume avec un superbe briquet tempête àessence gravé à son nom que tous les jeunes à ce moment-là admirent etdésirent le même dès qu'ils auront l'occasion d'en acheter un. Enfin, ilrajoute progressivement des bouts de bois de plus en plus gros. Trois autres foyers sont donc allumés selon la même recette et tout lemonde s'y réchauffe et s'y sèche tant bien que mal. Personne ne pense quel'ennemi pourrait repérer ces fumées et qu'un aéronef pourrait surgir et lesrégaler d'un feu nourri plus lourd à digérer en plein repas. Dans un petitabri de branches et de bâche, confectionné à la hâte, Reno et l'infirmierpassent en revue avec leur lampe électrique les corps fatigués et meurtrisde leurs camarades afin de soigner toutes les coupures, piqûres,

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ampoules... Caubard surprend tout le monde après s'être absenté aux feuilléesnouvellement creusées grâce à la pelle de Reno (Le sergent Coll a désignédeux responsables. Il a félicité Reno pour sa prévoyance de « fourrier », etremercié pour son tir rapide et efficace qui lui a peut-être sauvé la vie). Ilrevient traînant une lourde masse derrière lui. En fait, il a abattu une sortede phacochère qui a eu le malheur d'être trop curieux alors que l'humaintenait à son intimité et à sa sécurité à ce moment-là. Pas question d'espérerque l'animal ne charge pas quand la situation n'est pas à son avantage.Personne ne demande s'il a tiré en position accroupie ou debout. Lesrecrues les moins « impressionnables » dépècent, vident et mettent à labroche le cochon sauvage en un minimum de temps. Les odeurs de viande grillée réveillent des instincts de chasseur chezplusieurs recrues et Sancruz en place deux sur un côté du campement,interdisant aux autres de s'y promener. Une lampe et les viscères du tourne-broché servent d'appâts. Bientôtchaque feu s'orne d'une broche sur laquelle un gibier de taille « frétillant »de graisse fondue va permettre à des ventres affamés de se remplir. Alsyen est effaré de cette barbarie. Il a suffit d'une journée à ces jeuneshumains civilisés tiraillés par leur estomac pour redescendre au niveau del'homme des cavernes.

* * *

Les affamés oublieront d'ailleurs Reno et l'infirmier, occupés jusqu'à forttard aux soins de leurs camarades. Finalement, ils n'en verront même pasles os, jetés dans le feu après qu'on y ait arraché avec les dents le dernierlambeau de viande et croqué les cartilages les plus fragiles. Heureusement le prévoyant Reno avait encore quelques bribes de rationdans son sac qu'il partagea avec l'infirmier. Celui-ci avait aussi quelquesbonbons revigorants et des vitamines dont il décréta qu'ils en avaient toutdeux bien besoin avec un petit sourire. Afin d'achever en beauté ce maigrerepas en solitaires, ils prirent ensemble un petit café soluble chaud grâce auréchaud de Reno et ils se couchèrent relativement rassasiés. Pour leur travail précédent, ils avaient été dispensés de tour de garde. Ilspurent donc s'endormir pour une nuit sans interruption tandis qu'autour du

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camp, les ombres des sentinelles fantomatiques, par leurs courtes etincessantes rondes repoussaient tout de même un peu les silhouettes plussinistres de la faune locale. Alsyen ne put dormir mais plongea Reno dans un sommeil profond etréparateur. Lui ressentait la pression des esprits animaux prédateurs oupeureux du voisinage. Certains cris et rugissements inquiétants jaillissantdurant de brefs moments furent sans équivoque sur la triste destinée decertains. Auprès du feu, les recrues trop peu prévoyantes vécurent une nuit decauchemar entre les moustiques, araignées, tiques et vers sangsues qui neleur laissèrent aucun répit. Les bruits et les cris sinistres les empêchèrentaussi de s'endormir. Un peu avant le lever du jour, de nouvelles trombes d'eau faillirentéteindre les maigres cendres rescapées de la nuit. Seuls deux feux purentreprendre après l'averse pour tenter de sécher ce qui n'avait pas été mis àl'abri.

* * *

Ce matin humide et encore froid, les cadres constatent les dégâts. Lestrois quarts de leurs troupes sont amorphes, les yeux bouffis, la tête basse,les bras ballants. Afin de les réveiller, Caubard ordonne un rassemblement, bien alignés,dans les trois minutes. C'est la pagaille. Il houspille les recrues et ordonneun nouveau rassemblement, prêts à partir, dans le quart d'heure, camppropre. Cette fois, tout le monde s'active un peu plus, mais Reno a duretard, car personne ne l'aide pour le matériel commun. Il en fait un tas, près du lieu de rassemblement, et rejoint l'arrière desrangs, son sac à peine bouclé et gonflé au maximum. Caubard l'appelle. Ça va être sa fête. — Soldat, c'est quoi ce tas ? — La tronçonneuse, une pelle, le reste du matériel médical, une pompeépuratrice d'eau, un réchaud collectif… — Vous aviez donc de quoi chauffer de l'eau pure pour toute la sectionce matin.

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— Oui adjudant. — Et vous ne l'avez pas fait. — Je n'ai pas eu d'ordres et tout seul, pour trouver de l'eau dans cettejungle… — Voilà ce que je reproche à la section. Tout le monde s'est occupé deses petits bobos et est resté au chaud dans sa propre bouse en attendant queles choses se fassent. Sortez tous quarts et couverts de vos sacs et laissezles sacs ici. À quatre, allez cherchez de l'eau. Vous, dit-il en regardantReno, soyez prêt à faire fonctionner l'épurateur et à faire chauffer l'eau. Etfaites vous aider si nécessaire. Les autres, trouvez-moi dix branches droitesde deux mètres cinquante de long pouvant supporter plus de cent kilos. Jeveux tout dans vingt minutes, personne ne reste seul. Tout le monde a sonarme avec lui. Il y en a toujours un pour couvrir le groupe. Exécution. » Cette fois tout le monde s'agite dans le bons sens. Caubard arrête deuxboiteux dans leur élan et demande à l'infirmier de les examiner. Tout le monde est bien réveillé maintenant et le café a aussi redonné unpeu de moral. Certains se sont proposés pour aider Reno à transporter lematériel commun. Caubard réclame à nouveau l'attention de la section. — Les gars, il ne reste qu'une heure d'efforts pour rejoindre l'objectif. Lamanip de l'assaut est annulée. (« Tiens donc - pense Alsyen – Comme si onpouvait encore y croire ... »). Dans un kilomètre, nous sortirons de cettejungle. Mais nous avons un problème. Deux de vos camarades ne peuventplus marcher. Il va falloir les brancarder. Toi l'infirmier, tu as combien debrancards ? — La toile d'un seul, adjudant. — Alors trouve-moi deux sur-vestes chauffantes. Reno donne la sienne à l'infirmier qui en avait déjà une. Ce sera encoreça de moins à porter pour lui. Le sergent Coll prend les deux vestes, les boutonne, puis les oppose parle bas. Ensuite, il fait passer un bâton dans la manche de la première, lelong de la veste fermée, le long de l'autre veste pour enfin faire ressortir lebâton par la manche de la seconde veste. Même opération avec ledeuxième bâton et voilà un brancard de fortune prêt à accueillir un blessé. Reno récupère deux bâtons pour la toile de brancard classique et lesergent Coll demande au reste de la section de confectionner trois

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brancards de plus sur lesquels seront mis les sacs des blessés et de leursporteurs. La difficile progression reprend, encore plus compliquée par l'exercicede brancardage à réaliser. Caubard a été optimiste en parlant de« seulement une heure » et au bout de deux heures, la lisière apparaît enfin.Une autre section est sortie de la jungle elle aussi, depuis peu et progressecent mètres plus loin. Elle se traîne, désemparée, avec le dernier marcheurabandonné, des petits groupes dispersés, la tête basse, de taille variable...elle ressemble aux tristes lambeaux d'une armée défaite. — Rassemblement au pied du mât au drapeau. Immédiatement, lanceCaubard. Effectivement, sur ce qui ressemble à une énorme base aérienne flotteau loin un drapeau qui doit être au moins à deux kilomètres. Mais cettefois, c'est l'euphorie et chacun rassemble ses dernières forces pour ne pasralentir la section. Les cadres derrière adoptent un rythme de croisière en riant,regardant leurs jeunes poulains dopés par l'odeur de l'écurie. Ils courentpresque, le souffle court, oubliant les ampoules aux pieds, les musclesdouloureux, le poids de la charge, la fatigue et la faim. Ils ne voient que cedrapeau qui finalement se rapproche et ils sont hypnotisés par le roulementde leur cadence sur le bitume. À hauteur de l'autre section, les quolibetsfusent entre les dépassés et ceux qui les doublent. Les cadres tous en têtese font surprendre par la section de Reno qui leur passe devant, tousgroupés en quelques secondes. Le temps de rameuter les traînards et delancer leurs propres hommes à leur trousses, il est trop tard. La section Caubard arrive avec cent mètres d'avance sur leur section quivient de se faire griller la première place pour toute l'unité. Spontanément,Reno et ses camarades déposent leurs sacs, le matériel proprement derrièreet s'alignent, par groupe, au pied du mât. — lls comprennent vite, glisse Caubard à ses deux sergents. Après tout,elle n'est pas si mauvaise cette section.

Mais le stage vient seulement de commencer.

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Les recrues en ont plein les bottes. Et pourtant, cela ne fait que quinzejours que le stage d'aguerrissement a commencé. Il reste encore un mois etdemi à tirer avant de repartir avec le « Sun Tzu » vers d'autres horizons. Bêta 006 est une planète grosse comme une fois et demi la Terre. Lagravité s'en ressent. Comparée à la gravité artificielle du « Sun Tzu », elleest encore plus pénible à supporter. Voilà pourquoi les efforts dans lajungle étaient si pénibles à leur arrivée malgré leur entraînement physiquedans l'espace. D'un autre côté, cette gravité élevée leur permet de se remuscler plusrapidement car leur organisme est sollicité en permanence. Rationnés àbord, et contraints de manger des denrées lyophilisées, congelées,irradiées, conditionnées sous vide, pleines de conservateurs etc …, leplaisir de remanger de la viande rouge, de vrais œufs, et surtout des fruitset des légumes frais est immense. Cette planète a été terra-formée il y a deux cents ans. Précédemment, lesêtres vivants, malgré la présence d'eau, de volcans, d'une atmosphère…,n'avaient pas encore atteint le stade des amibes. Par contre, de nombreuses plantes se sont adaptées à l'atmosphère richeen gaz carbonique et certaines ont été plantées dans le but de dégrader oude capter les gaz soufrés qui encombraient l'atmosphère à l'origine et larendait impropre à la vie humaine. Puis des semences d'espèces terriennes ont proliféré. Des organismesanimaux ont été manipulés génétiquement. Les crocodiles de la jungle sontindispensables pour nettoyer les grosses charognes. Les insectes servent denourriture aux oiseaux, mais aussi d'aide à la reproduction de la flore. Il n'ya que quelques centaines d'espèces animales et il est question d'essayerd'en adapter des milliers d'autres au fur et à mesure afin de gérer l'écologiedes parcs forestiers. L'introduction des espèces est planifiée et suivie par

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des centres spécifiques au niveau de la planète. Les embryons d'espècesmenacées sur terre, congelés parfois depuis deux cents ans, sont implantésdans des couveuses-placentas (produits à la chaîne grâce à des cellulessouches) puis élevés en cage jusqu'à ce que quelques individus aupatrimoine génétique varié puissent se reproduire. Des couples sont alors lâchés et suivis sur des espaces propices à leuressor. L'équilibre entre nouveau prédateur et le reste de la « chaînealimentaire » doit se créer harmonieusement, sinon les scientifiquesinterviennent pour corriger les effets néfastes induits par l'introductionmalheureuse. Des mutations surviennent après seulement deux à trois générations àcause de la gravité, en plus des résultats de la sélection naturelle. Enfonction des espèces, certaines deviennent plus petites alors que d'autresgrossissent. Ces mutations interviennent souvent par l'expression des« gênes endormis » qui permettent aux espèces de s'acclimater à leursnouvelles conditions d'existence. Quelques unes ne s'expliquent pas pourautant. L'agriculture est elle aussi encadrée, car sa production doit êtresupérieure à la simple quantité nécessaire pour l'autarcie de la planète. Bêta006 possède une industrie agroalimentaire qui permet de reconstituer lesréserves du « Sun Tzu » même s'il n'en a apparemment pas besoin, etsurtout de nourrir une dizaine de stations spatiales ou de stations minièressur des astéroïdes stériles, mais riches en métaux rares. Enfin, l'argent desFCP, provenant de la métropole terrestre, imposant les grosses sociétés survingt années-lumière de rayon est toujours bon à prendre pour les petiteséconomies locales. D'ailleurs, pendant que la troupe s'échine et en bave à l'instruction,l'Amiral et ses vétérans sont partis en safari éliminer un excédent de fauvesdans une réserve à quelques milliers de kilomètres de là durant quatrejours. Ce ne sont pas les mêmes émotions fortes que les parcours du risquedivers auxquels les recrues sont confrontées… Alsyen est aussi du voyage, car dès le lendemain de l'arrivée sur lecamp, il a été confié à Erick Dombass, bien remis de ses problèmes desanté. En effet, Reno et ses camarades sont soumis à de nombreusesactivités et le temps libre est rare. Ils se voient quand même tous les deux

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ou trois jours durant une ou deux heures. Alsyen profite de ces momentspour le sonder, le libérer de toutes les tensions nerveuses et entretenir sonbesoin de le voir, car il n'a pas l'intention de se laisser prendre de mains enmains indéfiniment. Par contre, les contacts entre les recrues et la population sont inexistantset prohibés. La religion locale, dérivée de celle des Mormons, est encoreplus intransigeante envers les interdits, sauf qu'ils ont enfin accepté uncertain modernisme. Si la polygamie subsiste et se révèle bien utile pourune colonisation dangereuse surtout pour les mâles, la populationaujourd'hui est quand même équilibrée en nombre d'hommes et de femmes,d'où certaines tensions si des « concurrents » venus de l'espace faussaientle jeu de l'offre et de la demande en local. Malgré certains souhaitsexprimés de sélection scientifique du sexe des bébés pour augmenter lenombre de filles, les vieux tabous religieux s'y opposent. Souvent, avoirune deuxième femme consiste à épouser une veuve déjà propriétaire pouraugmenter son exploitation, en taille comme en production. Comme de plus, il est interdit de frayer aussi avec ses collèguesféminines car un soldat enceinte ne peut monter à bord d'un vaisseauspatial, et se bat moins bien, les jeunes se dépensent sans compter dans lesexercices physiques. Le pugilat met aussi souvent un terme àl'interprétation sexuelle d'un geste ambigu entre deux soldats de mêmesexe. L'homosexualité n'est pas prisée dans les rangs des FCP. Il n'y a pasd'homophobie encouragée pour autant. Mais la notion de camarade decombat n'atteint pas les niveaux du soldat grec de l'antiquité. L'amitié estune valeur qui ne saurait être galvaudée. Dans l'espace, malgré la pression atmosphérique moindre qui facilite lesérections, la promiscuité permanente décourage les relations par définitionintimes. À terre, le soleil, le sport, la bonne chère (l'alimentation est souvent labase du moral) éveillent des sens enfouis depuis trop longtemps, et mêmel'épuisement ne peut suffire seul à les calmer. Pour éviter des incidentsregrettables dus à des frustrations trop fortes, les jeunes qui le désirentpeuvent se projeter des films dans des cabines isolantes. Le médecin ad'ailleurs distribué à tous des pilules stimulantes à prendre une heure avantla projection privée. Ainsi, l'orgasme ressenti est plus fort que celui d'une

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simple masturbation et répond mieux aux attentes du cerveau. Cela évite lerecours au traditionnel « tonneau du marin » si présent dans la légende destroupes spatiales et sujet de quelques bizutages (« simples bahutages »diraient les cadres car la pratique du bizutage est rigoureusement interditesuite à des excès antérieurs). En effet, il existe toujours un cadre danschaque section pour afficher un tour de présence au sein du-dit tonneaupour le soir même suivant l'arrivée des nouveaux. La recrue désignée en premier passe une bien mauvaise journée entre lesquolibets de ses camarades pas très rassurés par leur nom présent tout demême pour les jours suivants, et les sourires entendus des cadres le plussouvent mal interprétés. Comme les menaces de prendre la place dupremier désigné pleuvent rapidement dans les oreilles des traînards, lesconsignes d'installations à bord sont rapidement exécutées. Le soir, dans lasalle commune de la section, le malheureux de la terrible première journéese retrouve au milieu d'un tonneau constitué de canettes de C'fet àdistribuer à ses camarades au milieu de quelques rires libérateurs et c'est ledébut de la cohésion entre les jeunes qui se connaissent souvent déjà deleur centre de sélection terrestre, et les cadres, qui sont plus âgés de troisans en moyenne puisque ils ont une année de formation sur le « Sun Tzu »,deux ans de patrouille dans l'aire Bêta et encore six mois de formation surBêta 006. Le bataillon des pilotes du « Sun Tzu » ont eux aussi trois ansd'expérience en doublure, d'abord en élèves puis en instructeurs, avant depouvoir prétendre partir pour les cercles les plus éloignés. Seuls lesmeilleurs des techniciens pilotes et des cadres partent avec l'amiral enfonction, et le contingent de fantassins pour constituer à tous un nouveléquipage de vaisseau des colonies extérieures. Les autres continuent leurformation avec la promotion suivante. Ils peuvent progresser en grade et enresponsabilité avant de partir l'année suivante. Mais il est bien rare que lesdéparts pour les cadres et techniciens pointus se fassent en moins de troisans et en plus de cinq. Reno s'inquiète un peu de son manque de motivation pour le sexe etl'usage des cabines. Sur terre, il était un peu timide, mais avait quandmême eu quelques petites amies, même si les histoires d'amour s'étaientmal terminées. Il ne peut savoir qu'Alsyen a rendu pour lui inutile le

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recours à ce procédé. Il est donc parfaitement équilibré coté hormonal etmental. Ses rêves érotiques dont il se souvient parfois, loin de letourmenter, ont la faculté de le réguler. Comme après tout cela arrangebien ses affaires, il ne s'en préoccupe pas outre-mesure pour autant. Il ne pense pas non plus à mieux réussir pour devenir cadre outechnicien. Lui, il est simple fourrier et combattant. Il partira en premièreligne au plus loin de l'espace connu. Son but, c'est de ne pas être éliminé dela sélection, comme le sera une recrue sur deux. Pour les recalés, ce sera alors un statut de colon et ils seront envoyés surune planète à terraformer, où ils pourront avoir tout de même un avenircivil intéressant. Mais certains se retrouveront comme souvent dans desmilices planétaires et formeront alors un petit noyau de fonctionnaires desécurité ou de mercenaires selon la chance, la motivation et lescompétences. Ce seront surtout des éternels rampants… Très peu en faitfont valoir leur droit immédiat à retourner sur Terre. Son manque d'ambition hiérarchique et son incapacité à penserpositivement sur sa personne d'une part, sa motivation et ses capacitéssportives et intellectuelles développées récemment de d'autre part,l'entraînent à se démarquer des autres sans qu'il ne s'en rende vraimentcompte. Bien qu'il décroche au sport comme au tir les meilleures notes, sesrésultats en équipe dopent celle-ci tout en masquant son rôle primordial.En effet, les cadres restent sur les a-priori du centre de sélection terrestre etses premiers résultats à bord du « Sun Tzu » avant l'embarquementd'Alsyen. Caubard voit aussi dans certaines notes une magouille ducommandement due à son rôle de chaperon de mascotte, et pour des notesd' « appréciation » saque Reno dans un but de rééquilibrage. Enfin, certainstests effectués à bord par Reno ne sont pas prévus dans son orientationinitiale et sont tout simplement ignorés par l'ordinateur qui ne retient queles matières liées à son emploi futur. Pour ses camarades, Reno est devenu un ami de choix. Il a toujours lasolution à un problème, il donne de sacrés coups de main et il n'a pas lagrosse tête. Malgré tout, la plupart de ses amis ont de médiocres résultatspar ailleurs et sont condamnés à être éliminés. De plus, comme Caubardsouhaite l'élimination de Reno, il le met toujours en équipe avec le« rebut ».

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Le sergent Coll quant à lui finit tout de même par être intrigué. Ayantobservé Reno à l'épreuve nautique du groupe de l'après-midi, où sonleadership et son endurance ont permis un résultat inespéré pour sonéquipe de canards boiteux, il décide de filmer l'épreuve de sabotage de nuiten infra-rouge et en son intégral afin de bien cerner le rôle de Reno. Avecun cadre du centre commando, il décide aussi que Reno sera unedes victimes « privilégiées » de l'exercice d'interrogatoire. Alsyen est bien loin de toutes ses préoccupations militaires. Pourtant, ila eu une semaine chargée lui aussi avec le vétéran Erick Dombass. Celui-ci l'a emmené au centre de zoologie de Bêta 006. Là, unecharmante scientifique l'a étudié sous toutes les coutures avant d'avouerson ignorance quant à son origine. Elle étudiait aussi le moyen de séduirele vétéran. Elle a donc extrapolé mille et une hypothèses à chacune de sesobservations, qu'il s'agisse de ses doigts ventouses, de ses griffes rétractilesvenimeuses à volonté et de son intelligence troublante, malgré tous lesefforts d'Alsyen pour saboter certains tests. Le vétéran a ensuite tout fait pour qu'Alsyen ne soit pas classé commeanimal dangereux, à cause de la toxicité de son venin recueilli durant sonsommeil (il a été gazé par surprise) et de cette intelligence trouble quipouvait s'avérer dangereuse en cas d'agressivité soudaine. Alors qu'Alsyen pensait effacer quelques pans de la mémoire de lascientifique pour mieux influencer ensuite son jugement, le vétéran sortitsa botte secrète et la proposa à la zoologiste tout à fait à même d'apprécierla qualité de l'offre. Alsyen trouva ce marchandage répugnant, et effaça par précautionquelques informations quand même chez la jeune femme qui, vuemaintenant sous son coté animal par un Alsyen anthropologiste, semblaiten manque permanent malgré une forte demande masculine locale. Il fautdire que cette malheureuse ne parvenait pas à rompre le machisme ambiantmalgré son intelligence et ses armes naturelles. La bêtise de certainescertitudes était si forte qu'elle était le vrai pilier de la pseudo supérioritémasculine sur cette planète. Le vétéran quant à lui attentionné rendit le vrailustre qui convenait selon lui à un homme digne de ce nom en donnant àcette femme toutes les considérations nécessaires et optionnelles qu'elleétait en droit d'attendre. Puis il commença à étendre le cercle de ses

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connaissances en la gratifiant de spécialités lointaines dont cette planètesemblait avoir été tenue à l'écart. Enhardie et conquise, elle l'encouragea àrepousser plus loin les limites de sa pudeur qui la privait de plaisirsinconnus mais désirés. Le temps manquant, ils reprirent rendez-vous, au prétexte d'examenscomplémentaires à effectuer sur Alsyen pour le lendemain. La soirée étaitimpossible car réservée à son mari. Ensuite, Dombass ne pouvait plusrevenir. Alsyen avait pris le parti d'en rire et faillit provoquer un grave lumbagoen suggérant aux deux amants une position impossible pour ceux quin'avaient pas la souplesse d'un Niumi. Pour se faire pardonner, il participaun peu en soutenant l'élan de chacun des partenaires. L'alerte sismique futà deux doigts de se déclencher dans le bâtiment. Cependant le lourd vitragecomme les murs épais ne laissèrent rien passer du remue-ménage àl'extérieur du laboratoire. Un porte-éprouvettes fut tout de même renversé et le contenu decelles-ci se mélangea parmi les bouts de verres sur le sol. Deux bactériesdont le hasard, jusqu'alors n'avait pas permis la rencontre se trouvèrentquelques similitudes et beaucoup de complémentarités. Si le sol quelquesheures plus tard fut nettoyé et stérilisé avec soin, les morceaux de verrefurent jetés tels quels dans la poubelle, qui fut vidée dans une décharge enplein air, car la planète peu peuplée n'était pas encore équipéed'incinérateurs. Mais il faudrait attendre trente ans pour que les effets de la bactérie issuedu croisement d'un prélèvement de la flore intestinale d'un coléoptèrecommun et de la culture d'un virus bovin anodin se fassent sentir. Enfin repus de l'autre, chacun des amants occasionnels remit de l'ordredans sa tenue et son attitude, si ce n'est quelques sourires échangés dans lespropos tout à faits professionnels qu'ils purent encore avoir et le regardcomplice en se disant « Au revoir. À demain » Un effet plus court dans le temps fut aussi la conséquence de cetterencontre. Alsyen gazé n'avait pu se rendre compte qu'il avait subi uneextraction de gamètes. Après le départ du « Sun Tzu », des ovules demacaque eurent leurs chromosomes substitués par ceux d'Alsyen.

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Puis les spermatozoïdes d'Alsyen servirent à la fécondation. Dixfemelles furent ensuite fécondées au moyen de ses œufs et toute prudencequant à la dangerosité de l'espèce d'Alsyen ne fut pris en compte carAlsyen avait éliminé de la mémoire de la scientifique les faits qui auraientpu conduire à sa détention en cage. Elle, par nostalgie pour son militaire,allait reporter son affection sur son animal mystérieux. Seulement lesrejetons des jeunes macaques, doués de raison génétiquement, mais élevéspar des animaux se conduisirent comme des bêtes sauvages et surtoutréussirent à s'évader du centre à leur maturité après avoir tué le personnelresponsable de leur entretien. Puis leur intelligence et leurs facultéstélépathiques leur permirent d'échapper aux pièges des humains et deproliférer dans les jungles avant de… Ils allaient devenir, vingt ans plus tard, une menace pour tout le systèmeBêta … La seule menace qui à ce moment-là planait sur l'humanité était l'espèceà laquelle appartenait la « mascotte » des vétérans. Quand Alsyen avait pula voir, par hasard, puisque il logeait avec Dombass dans leursquartiers, son sang s'était glacé. Mais il ne pouvait rien faire pour prévenirles hommes sans se trahir.

* * *

Pour l'heure, Alsyen s'éloigne un peu des véhicules tout terrain ayanttransporté les chasseurs qu'il n'a pas accompagné dans leur ultimedéplacement, obligatoirement pédestre. Son responsable joue aux cartesavec les autres chauffeurs. Les chasseurs se sont déployés et progressent ensilence contre le vent pour approcher un gigantesque troupeau derhinocéros laineux. Alsyen a envie de se rapprocher de la lisière arboréedont l'ombre lui procurerait un peu de fraîcheur. Il règne, au sein de cettesavane-prairie, une chaleur torride sous le soleil intense. Assez verte etdense, constituée en majorité d'une herbe de plus de deux mètres de haut,elle fournit une nourriture abondante aux grands herbivores, un abri pourles plus petits, mais vraiment pas de réconfort pour les espèces nonadaptées aux fortes températures. Curieusement, les rhinocéros laineux nesouffrent pas de cette chaleur. Les poils protègent leur épiderme fragile etleur sudation suffit à éliminer l'excès de chaleur.

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* * *

À quelques milliers de kilomètres de là, le groupe de Reno commenceson raid. Ils sont largués depuis des barges à huit-cents mètres d'altitude endeux passages humains, après le largage de quelques robots qui sécurisentla zone. Une fois arrivés au sol, les huit robots en s'éloignant forment uncarré dont les côtés s'allongent jusqu'à couvrir un carré de trois-centsmètres de côté. Pour un parachutiste qui saute de la barge, c'est la chutelibre puis à deux-cents mètres d'altitude, une bouteille d'air comprimé sedéclenche et gonfle en quelques secondes une voile rigide qui stoppe uneéventuelle vrille du parachutiste qui n'aurait su se maintenir à plat. Ensuite,dans un pschitt, la voile se détache du corps du parachutiste et sertd'extracteur pour un parachute-delta qui gonfle aussi des armatures et doitpermettre d'atterrir en un minimum de temps face au vent. Encore cinqsecondes et les pieds touchent le sol. Le parachutiste se laisse choir etlibère avec son couteau la voile à usage unique qui doit, une fois dépliée,s’autodétruire par dé-polymérisation dans les dix minutes. Les suspentessont quasi invisibles tellement le fil est fin et le couteau les tranche commedes cheveux alors que leur résistance à la traction est de plusieurs centainesde kilos. Les paras ne conservent avec eux que les poignées qui leur ontpermis de se diriger dans les quelques dizaines de mètres avant l'impact ausol, histoire d'éviter une flaque, un arbre, un rocher ou tout autre obstacledangereux. Elles peuvent être réutilisées, mais pour leur premier saut, lesrecrues sont autorisées à les conserver comme trophées. Pour son premier saut, le cœur de Reno bat à tout rompre. Il s'est vumourir durant les six-cents premiers mètres de chute libre, puis les soixantederniers sous voile lui ont semblé être une éternité alors que dès le choc àl'ouverture, il s'attendait déjà au choc suivant avec le sol semblantremonter vers lui à grande vitesse. Déjà, il faut se relever, se rassembler et aller à couvert, avant de dégagerillico la zone. Pour le largage suivant, ce sont des véhicules électriques desoutien qui vont les rejoindre et il vaut mieux ne pas être dessous en cas demauvais fonctionnement des parachutes automatiques. Ces véhicules permettent le transport de munitions et d'explosifs sur centkilomètres. Le soldat a son équipement individuel sur lui. Deux véhicules

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servent aussi à la reconnaissance tandis que les fantassins se déplacent àpied derrière. Ils peuvent faire des aller-retours, mais en règle générale, ilsprogressent rapidement d'une centaine de mètres, se postent, puis, en casde détection de robots ennemis, déposent leur propre robot pour couvrirleur fuite. Ils donnent aussi l'alerte. En fonction de l'ennemi rencontré , lesfantassins doivent fuir ou combattre et ils ont ainsi le temps de se mettre enposition pour accueillir le premier rang ennemi. Les robots n'ont qu'une puissance de feu limitée, car trop de munitions àtransporter les handicaperait. Par contre, une fois déployés, leur camérasclassiques et thermiques donnent de précieux renseignements sur leseffectifs et les moyens de l'ennemi en face, présent dans les huit-centderniers mètres, distance de combat idéale pour les armes légères. La zone est sécurisée. Le second largage se passe bien. La manœuvre se poursuit, conformément aux exercices de simulation.Sinon que cette fois, le poids de l'équipement, de l'arme et des vivres sefait cruellement sentir dans les épaules, le dos, les genoux, les pieds…

* * *

La terre se met à trembler autour d'Alsyen. L'air se charge d'unbourdonnement sourd qui commence à se rapprocher, comme lerugissement d'une vague chargée de milliers de tambours. Un nuage ocres'élève à deux-cents mètres de là. Des ondes de terreur parviennent àAlsyen. La panique vient de réveiller le troupeau nonchalant et sa fuite lemène vers les véhicules. Alsyen n'a pas le temps de les rejoindre. Il préfèrefuir vers les arbres. Les hommes embarquent en vitesse. Déjà lesrhinocéros laineux sont à moins de cinquante mètres et leur vitesse atteintles quarante kilomètres heures. Leur front massif est impressionnant car ilcouvre plus de huit-cents mètres. Un véhicule ne démarre pas. Mais l'autre ne l'a pas attendu et tented'atteindre une vitesse supérieure à celle de la mort qui le talonne.Quelques secondes après, le premier véhicule et ses malheureux occupantsdisparaissent sous la masse. Alsyen a perçu la détresse des hommes face àleur mort inéluctable. Une terreur sans nom pour l'un, un renoncementfataliste pour l'autre. Le courage ne sert à rien dans ces cas-là car il n'y arien à combattre ou à gérer.

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Ils sont morts instantanément les os broyés, en particulier ceux du crânemais par réflexe, Alsyen avait coupé les ponts télépathiques avant leurtrépas pour se préserver mentalement. Le passage des rhinocéros laineux se prolonge durant de longuesminutes. La ruée qui s'éloigne laisse la place à un silence de mortassourdissant. Alsyen contemple avec effroi le sol écorché et écrasé par lepassage des pachydermes. Nulle trace des corps humains, certainementmêlés aux quatre ou cinq cadavres de rhinocéros qui ont perdu l'équilibreen butant sur le véhicule. Leurs corps éclatés laissent une tache sombred'une vingtaine de mètres de long sur cinq à sept mètres de large tandis quedes mouches par milliers viennent se poser sur les restes sanguinolentsaplatis et dispersés comme sur les herbes souillées de sang poussiéreux. Levéhicule quant à lui a été déplacé de plus de cent mètres tandis que lespaquetages ont été éjectés, broyés, aplatis, dispersés et semi-enterrés avecles hautes herbes. Sur les huit-cents mètres de large du front du troupeauaffolé règnent la désolation et la mort. Ces troupeaux n'ont pas pourhabitude de ravager ainsi la végétation. Leurs déplacements se fontlentement à la queue leu-leu sur de longues files qui ouvrent denombreuses voies, assez étroites finalement, ce qui permet une repousserapide sur celles-ci grâce à la proximité de larges bandes de végétationintactes. Alsyen ne sait pas si quelqu'un va venir le chercher. Le second véhiculea t-il échappé à la fureur de la vague meurtrière ? Et que sont devenus leschasseurs à pied ?

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B-006 : Expériences douloureuses

La nuit est tombée sur Bêta 006. Elle va être longue. Alsyen s'est réfugié dans les frondaisons d'une sorte d'acacia géant. Lesbranches sont assez épineuses et devraient le protéger des gros prédateurs.Il en a d'ailleurs cassé quelques unes pour s'en faire une grille de protectionefficace, enfin l'espère t-il car elle n'est pas solide. Mais il l'espère assezdissuasive si un gros félin arboricole s'y frotte. Il a dû mener un durcombat cet après-midi avec l'un d'entre eux et c'est son poison plus quel'attaque mentale qui a eu raison du prédateur. Celui-ci avait une vitesse depensée bien supérieure à lui. Impossible d'anticiper et de bloquermentalement son adversaire. Le félin par contre avait dédaigné le dangerde ses petites mains. Griffé sur la truffe, surpris, il a reculé au lieu de tuerAlsyen, puis ressentant les effets foudroyants du poison neurotoxique s'estenfui ivre de douleur. Il devrait s'en sortir néanmoins après des maux decrâne durant quelques jours car la dose injectée par Alsyen a étévolontairement réduite. Alsyen a faim et soif. Il préfère attendre le plus tard possible pours'abreuver. Afin de ne pas être trop affaibli, il devra boire quand même,mais il préfère éviter d'attraper des amibes, ou autres parasitesintestinaux pour rien et ne le fera qu'en dernière extrémité.. Alors, il joue lacarte des secours intervenant rapidement. Pareil pour la nourriture. Lesfruits et racines peuvent être toxiques. Quant à la viande, elle risque de lerendre malade, à cause des microbes locaux (pour lesquels il ne disposed'aucun anticorps) ou de parasites. Il sait que les secours arriveront pour récupérer les restes des humains.Inutile donc de prendre des risques pour combler une simple sensation defaim.

* * *

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Reno et son groupe progressent selon les ordres d'un chef de section quiles suit par GPS. Chacun dispose d'un dispositif personnel de visionnocturne, de moyens radios sophistiqués, et d'un équipement individuelcomplet et léger par dessus la combinaison de combat terrestre. La missionde ce soir est délicate. Ils doivent investir une cité lacustre. Elle flotte surun bloc de béton alvéolé plus léger que l'eau, produit d'une émulsionchimique entre un béton avec des fibres polymérisées et un gaz libéré audernier moment par l'ajout du catalyseur en fin de cycle mélangeur. Entrela surface habitable bien au-dessus du niveau du lac et le matériau deflottaison, il y a des « sous-sols » parfois inondés qui permettent unsystème d'égouts, de voies de communication invisibles de la surface, et enceinture, un dispositif de défense retranchée. L'attaque se déroulera sur plusieurs fronts et en phases successives.Après infiltration d'un commando par les « voies d'eau », une attaqueamphibie aura lieu pour permettre à l'élément de sabotage de faire sauterl'usine hydro-biochimique qui fournit l'énergie électrique. Reno fera partie des quatre hommes de la section chargés d'ouvrir lavoie au reste du commando. Pour l'heure, ils viennent d'atteindre le borddu lac. L'ombre de la cité au loin plane sur l'horizon à quelques kilomètres.Il va falloir s'équiper. Les groupes sortent alors les masques, en vérifientles pastilles d'oxygène qui au contact de l'eau extérieure vont libérer un airconsommable à la base du nez. Au niveau de la bouche, un conduitentraîne l'air expiré vers un filtre spongieux. À son contact, les gazréagissent chimiquement avec un élément solide et génèrent un liquide,évacué discrètement au fur et mesure dans le cas présent. Bien sûr, dans l'espace, ce résidu chargé de CO2 est récupéré pourrecyclage dans le « poumon » du scaphandre, (un « organe » plat de cinqcentimètres d'épaisseur pour vingt de long et dix de large, situé à laceinture à gauche, un peu en arrière), qui par électrolyse, libère à nouveaul'oxygène et l'azote dans les bonnes proportions. Les pastilles fournissent à l'utilisateur deux heures d'autonomie en airrespirable, au bout desquelles il faut changer filtre et pastilles. Plus qu'iln'en faut pour investir la position. Reno a quand même appris à changer« calmement » pastilles et filtre sous l'eau en moins de trente secondes sanspaniquer. En plus du masque, les hommes disposent d'un harnais

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sustentateur muni de compartiments gonflables et de compartimentsétanches. Dans les compartiments étanches, les commandos disposent leursexplosifs, leurs grenades, leurs petits équipements … Leur armement (fusild'assaut) est toujours en bandoulière dans une housse étanche individuelle.Les éléments gonflables se remplissent grâce à la réaction d'une poudre decatalyseur qui au contact de l'eau prise alentours libère l'oxygène decelle-ci. Ainsi, ce harnais reste-t-il très léger et sert de sac à dos spécifiqueaux commandos aquatiques. Les palmes servent à terre à rigidifier lesflancs du sac du harnais, fonction assurée par le gonflage lors de l'actionsous marine. Reno sait qu'il va falloir franchir des filets sous-marins, pénétrer desconduits étroits et surtout ne pouvoir compter que sur son équipier. Eneffet, sous l'eau, en opération, le contact se fait à vue avec son binômetandis que la liaison avec le reste de la section est rompue. Pourquoi est-illà, alors qu'en fait, en tant que fourrier, il n'est pas censé être un combattantd'élite ? Le sergent Coll bien sûr, en est le responsable. Après avoir vu sesrésultats physiques et ses notes de simulateur, il a remarqué que le nouveauReno ne correspond pas aux données fournies à l'origine par la Terre àl'issue de ses classes. Le sergent a préféré n'en parler à personne, maiscompte lui donner toutes ses chances, même s'il n'est pas de son groupe. Lesergent Sancruz lui, y voit peut-être l'occasion de faire chuter Reno de sonpiédestal et ne se préoccupe pas de savoir pourquoi son subordonné qu'ildéteste participe à cet exercice pénible et périlleux.

* * *

Alsyen tremble. Il n'a pas de raison d'avoir froid, car sa combinaison leprotège, mais c'est la fatigue qui le fait frissonner. Il ne veut pas s'endormircar autour de lui, la vie grouille et la mort rôde. Souvent, un froissementsubi de feuilles, des grognements, un cri de plainte puis d'agonie sesuccèdent, témoignage sonore d'un drame banal. Des branches craquent.Des oiseaux s'envolent soudainement. Des bruits de chute aussi. La veillementale est saturée de peur paralysante, de faim intense et du confort d'uncouple de phacochères au fond de son terrier improvisé entre les racinesd'un arbre à moitié couché. Mais ce qu'Alsyen ne peut détecter pour caused'incompatibilité mentale, c'est l'arrivée lascive d'un boa dans les branches

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voisines… *

* * Reno se raidit un instant au contact de l'eau dans son cou. Il ne peut laressentir ailleurs, car il est bien protégé. De plus, elle n'est pas vraimentfroide. Il nage avec des gants et exceptionnellement porte un vrai couteau àson mollet. Une fois les filets passés, il est censé ne plus en avoir besoin ety mettre à la place un couteau en bois pour « égorger » d'éventuellessentinelles. En nageant près du fond, la vase se soulève en d'inquiétantsnuages troubles… Le temps nécessaire pour effectuer les deux kilomètreslui semble une éternité. Puis les premiers filets anti-plongeurs étendentleurs ombres fantomatiques dans l'onde calme. On les voit bien. Trop bien.Les filets sont efficaces dans les lieux sombres car ils réussissent àemprisonner le plongeur. Là, ils sont trop facilement repérables commes'ils voulaient être coupés. Reno fait donc un signe de négation à sonbinôme. Il vaut mieux inspecter les lieux avant de toucher. Bien leur enprend. Les filets sont fixés au sol par des plots en béton, et ils ont desflotteurs immergés à peine en dessous de la surface. Au niveau desflotteurs, il y a de l'électronique testant la continuité des circuits. Unemaille déchirée et l'alarme se déclenche. Reno constate que la taille des mailles pourrait permettre le passage d'unhomme non équipé sans la rupture de celles-ci. Bien sûr, c'est un exercice.En temps de guerre, il y aurait plus de surveillance en surface, les maillesseraient plus petites et il y aurait plus de maintenance pour réparer desfilets abîmés par la faune sous-marine parfois non dissuadée par les influxd'ondes censées l'effaroucher. Dans le cas présent, il ne fallait pas seprécipiter et faire l'exercice de se déharnacher, se faire aider par soncamarade, passer les harnais au travers, puis se ré-équiper de l'autre côté.Ce savoir-faire est vital quand on est réellement coincé. Les filets serventdonc de prétexte. Au moins un binôme d'une autre section (ils font le même exercice, maisdoivent prendre un autre passage) n'a pas réfléchi et une vedette rapideavec quatre plongeurs les interceptent. Reno connaît la sanction. Lesrecrues mal inspirées vont être ramenées sur la rive et se re-taper deuxkilomètres de trajet. Reno arrive à la cité. Bien que ce soit déjà la

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quasi-obscurité à vingt mètres de profondeur, l'ombre de cette masse lesécrase. Ils vont devoir passer dessous. Après, et seulement après, ilspourront utiliser leurs lampes pour trouver les orifices de sortie des égoutsde la ville, pas si écœurants que le mot le laisse supposer puisqu'ils necharrient que de l'eau de pluie ou de l'eau purifiée. Cette ville rappelle uneforme de bateau classique au niveau de sa « coque », mais il s'agit en faitd'une pointe de flèche, avec à l'arrière deux renfoncements latéraux de troisquarts de cercle qui sont des ports protégés, et une « poupe » en demicercle abritant des accès à des plages artificielles. Ainsi, l'île-ville s'orientetoujours face au vent et son étrave renforcée lui permet de résister à lahoule qui peut parfois atteindre deux mètres. C'est aussi à l'avant que l'ontrouve les stations de pompage pour l'usine hydro-biochimique. Deuxrécupérateurs de l'énergie marémotrice sont situés sur les flancs antérieurs. Les égouts sont les accès les moins surveillés car leur franchissementest le plus dangereux et le plus improbable de par leur conception. Ils sontfermés par de lourdes portes qui ne s'écartent que sous l'action de lapression de l'eau au-dessus. Ouvertes, ces portes sont infranchissables àcause de l'eau qui s'échappe des flancs de la cité. Il est hors de question deles ouvrir à l'explosif pour passer dans le cadre d'un exercice. Il va doncs'agir de les ouvrir grâce à un treuil fixé contre la paroi et sur l'un desbattants . En temps normal, il faudrait creuser le béton et le métal grâce àdes outils spéciaux. Mais pour ne pas détériorer les portes à chaqueexercice, il y a des poignées sur la porte et sur la paroi qui permettentd'installer le treuil et de passer les câbles. Le but en fait est de faire travailler les recrues sur un parcours aquatiqueplus compliqué qu'un simple débarquement sur la plage plutôt que deréellement trouver le point faible d'une cité lacustre. Dans le plus grand silence et l'obscurité quasi totale, Reno et soncamarade s'engouffrent dans le collecteur, allument les lampes, mettent enplace les fausses charges, installent le treuil... Reno pense à éteindre leslampes avant d'écarter la porte. Les sentinelles font donc mine de ne pasles voir, puisque il n'y a pas de lumière visible. Ils parviennent ainsijusqu'aux bassins de décantation. Les plafonds sont faiblement éclairés.Prudence.

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Ce qui n'est pas juste, c'est qu'il est prévu dans l'exercice (mais ils ne lesavent pas) qu'ils soient capturés et interrogés individuellement. Ils serontjugés sur leurs réactions. Deux salles plus loin, ils tombent sur unguet-apens, simulant une patrouille de quatre hommes. Le camarade deReno s'enfuit et il est « abattu » dans le dos. Reno se poste et fait usage deson arme de type flashball. Malgré deux adversaires éliminés, il est censése rendre quand six nouveaux adversaires arrivent. À deux, ils auraientpeut-être pu éliminer les quatre premiers avant l'intervention des six autreset ainsi s'échapper. Mais là, le combat est « désespéré ». Les deux commandos enherbe sont menottés et séparés. Reno se retrouve dans une pièce avec deuxhommes à la mine patibulaire. — Où sont les autres ? Pas de réponse. Il n'est pas censé en donner. Celui qui n'a rien dit se porte à sa hauteur et le frappe violemment auvisage, main ouverte. La claque étourdit Reno et lui brûle la joue. Il ouvrela bouche pour insulter son agresseur mais se ravise in extremis et aucunson n'en sort. S'il a reçu la claque, c'est qu'il devait la recevoir. « On me teste. Et ça vaêtre très dur » Il réalise que même si la sécurité sera respectée, le prochain quartd'heure ne va pas être une partie de plaisir. — Où sont les autres ? Mutisme de Reno. Aller-retour de la part de la brute. — Où sont les autres ? Reno s'en sort haut la main, c'est le cas de dire. L'inefficacité des giflesest établie. — Vérifions si nous ne sommes pas tombés sur un muet. La brute se met derrière Reno et lui appuie avec le pouce et un certainsavoir-faire dans le creux de l'épaule. Reno pousse un long râle qui en fait vibrer le béton de la pièce etarticule un « arrêtez » pour que cesse le supplice. La brute attend quelquessecondes avant de relâcher la pression. — Allez accouche. Où sont les autres ?

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Reno se reprend, vexé. Alors la brute recommence et Reno prend le partide hurler. Au moins, de la sorte, il ne pense plus à la douleur. Ses yeux seremplissent de larmes de souffrance. Mais quand la pression cesse, au bout d'un temps de plus en plus long,Reno résiste à la tentation de « lâcher le morceau ». — Manifestement, notre ami désire le grand jeu. La brute déchire la combinaison de Reno et lui pince les tétons. Reno enun réflexe fou lui mord violemment le bras, ce qui lui vaut un coup depoing pour le faire lâcher prise. La brute regarde son acolyte, interrogateur, puis gifle violemmentplusieurs fois de suite Reno. Sa tête explose, mais Reno ne plie pas. Alors, son tourmenteur lui donne un coup de pied dans la cuisse. Cettefois, la douleur persiste. Il va avoir un bleu durant plusieurs jours après cecoup-là. — Nous allons voir si votre camarade a été plus loquace. Vous n'aurezainsi pas de scrupule à parler ensuite. Ils abandonnent Reno. Les deux hommes sont assez admiratifs même sile « mordu » lâche un qualificatif disgracieux. Ils doivent parler. Ilsfinissent tous par parler. Après tout, ce n'est qu'un exercice pour leurmontrer que même en étant gentil, on parvient à être persuasif, et que donc,il vaut mieux éviter de tomber vivants dans les mains de l'ennemi. PourReno, il va falloir être un peu plus créatif. Il a franchit le cap du quartd'heure avec succès. Ils ne sont que trois sur dix en moyenne dans ce cas. À leur retour, ils commencent à injecter à Reno un pseudo « sérum devérité » qui en fait doit l'étourdir et lui donner des nausées. « Tu parlerasde toute manière. » insistent-ils. Puis l'interrogatoire recommence, et ilvaut deux brûlures légères à Reno sur les avant-bras. Reno serre les dents,sauf quand il doit recevoir une claque qu'il apprend à dominer. Le jeu devient plus cruel, avec des chocs électriques. Reno s'abandonnedans la douleur au lieu de parler. Il subit comme si rien ne devait arrêter cesupplice, même pas lui. Un quart d'heure plus tard, Reno dans lesstatistiques fait partie du un pour cent qui résiste. Mais il est trop épuisépour pouvoir seul parvenir à réussir l'exercice d'évasion. Ses bourreaux s'absentent donc et c'est le camarade de Reno qui reçoitpour « instruction » de s'évader en allant chercher son camarade.

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Reno reprend espoir quand il est libéré. Il pense à récupérer son matérieldans la pièce voisine, et tout naturellement, au lieu de s'enfuir, comme fontla moitié des recrues, il décide de tenter de poursuivre la mission desabotage. Dans les coulisses, le sergent Coll se réjouit de cette bonne réaction.S'ensuit alors une partie de cache-cache (infiltration), l'élimination d'unesentinelle par égorgement (mimé avec le couteau en bois), l'acte desabotage lui-même (dépôt des charges), et enfin, l'exfiltration. Les premières lueurs de l'aube le trouvent à plus de quatre kilomètres dulac. Il lui en reste encore quinze à parcourir avant d'être de retour à la base.

* * *

Alsyen déjeune de la chair du boa. Celui-ci a été victime du poison desgriffes d'Alsyen, qui ne s'est pas laissé surprendre grâce à un craquementde sa cage en bois. Au fond de lui, après avoir lutté contre le dégoût ettenaillé par la faim, Alsyen se réjouit de se repaître d'une viande crue.Assis sur la branche, tenant le serpent à deux mains, il plonge son museaudans l'entaille à travers la peau du ventre pour dévorer la chair des muscleslatéraux. À la fin du repas proprement dit, il savoure les dernières gouttesde sang en faisant sa toilette « à l'ancienne » et sans eau. Son visage ainsidébarbouillé du rouge sanglant redevient celui d'un petit animal inoffensif.

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Dure journée en perspective. Moralement. Après le raid, il y a eu encore quelques épreuves sportives, du tir, destests d'utilisation de matériel militaire et des épreuves sur simulateurs, avecdes questions comme des mises en situation tendues à débrouiller. Mais il y a eu aussi un mort parmi les recrues durant le raid. Alsyen aété « miraculeusement » retrouvé par l'équipe venue récupérer les restesdes deux vétérans écrasés par le troupeau de rhinocéros laineux. On avaitpas spécialement craint pour sa vie, ce n'est qu'un animal, mais personnen'aurait parié qu'on le retrouverait aussi proche du lieu du drame. Renon'avait par contre pas été prévenu de la disparition d'Alsyen. Cet après-midi, il y aura un hommage rendu aux trois défunts. Alors, lamatinée est consacrée au sport et à la préparation de la cérémonie. Cedernier jour de la formation avant quelques jours de vacances à prendre surla planète aurait dû être joyeux, mais les recrues pourtant soulagées restentinquiètes quant à leurs résultats individuels. Chacun a été poussé à bout.Quels sont ceux qui ne prendront pas le chemin des extrêmes confins del'univers connu ? La déception risque d'être grande pour certains. La veille, Alsyen a été de nouveau confié à Reno. Les deux acolytes ontété contents de se retrouver. Alsyen s'est blotti contre Reno et a tout desuite senti le traumatisme mental que Reno a subi l'avant-veille. Maisplutôt que de commencer un traitement télépathique, il a préféré laisser à lajoie sincère de leurs retrouvailles le soin d'opérer une « cicatrisation »naturelle. Reno a beaucoup changé durant ces deux mois sur Bêta 006.Alsyen se félicite des progrès qu'il a acquis naturellement à partir des basesqu'il lui avait dispensées à bord du « Sun Tzu ». Il regrette cependantl'acceptation d'une certaine violence froide que la discipline peut lui fairemettre en œuvre dans le cadre d'un combat, même avec un de sescongénères.

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L'homme pourrait être plus évolué, mais l'éducation qu'il donne à sesjeunes adultes, teintée de peur et de violence, le précipite quelques niveauxplus bas dans l'échelle de l'évolution. Dans le reste de la société humaine,la recherche du profit plus que les impératifs économiques l'asservit aussi àun égoïsme qui le condamne à rester au ban des civilisations évoluées. Aumoins, dans son système militaire, l'homme conserve d'intéressantesvaleurs d'honneur, de justice et d'altruisme qui lui donnent la motivationpour, éventuellement, se sacrifier dans l'intérêt de sa race. L'adjudant Caubard a été convoqué à l'état-major du centre deformation. L'Amiral, au côté du commandant en chef du centre se tenaitdebout en le fixant fermement du regard. Caubard, encore essoufflé par sapromptitude à obéir s'attendait au pire. Mais celui-ci ne fut pas à l'imagequ'il en attendait. En effet, il fut félicité pour Reno, élément exceptionnel qui avait donnéle meilleur de lui-même, dans la terrible épreuve de l'interrogatoire commedans le reste de la mission. Sa rage se mêla quand même à un peud'admiration. Lui-même avait tenu vingt-cinq minutes, mais quand ses« bourreaux » avaient approché les électrodes de ses parties intimes, ilavait craqué. Bien sûr, il est interdit d'électro-choquer à cet endroit-là, mais il n'estpas interdit de le suggérer. Reno avait ensuite été « stimulé » un peu plusloin, comme l'aurait été Caubard. Celui-ci l'aurait supporté, c'est sûr, maisil n'avait alors pas été prêt à sacrifier sa virilité, ou à bluffer. À partir de cemoment-là, Caubard en son for intérieur se jura de respecter un peu plus cegarçon qui lui avait semblé si timoré au départ, causé quelques soucis parses maladresses... et d'oublier cette antipathie qu'il lui avait tout de suiteinspiré avec ses deux pieds gauches, sa droite molle et son sourire niais. Après lui avoir valu quelques remontrances à bord du « Sun Tzu », Renocette fois lui apportait de la considération de la part de ses supérieurs,considération à laquelle Caubard était assez sensible, s'étant toujoursdémené en vain pour en obtenir autant qu'il pensait en mériter. L'Amiral lui expliqua donc qu'il lui était cependant impossibleaujourd 'hui de mettre Reno à l 'honneur, à cause des tragiquescirconstances, mais qu'il passerait les jours prochains la revue de sa sectionet qu'il en parlerait. Caubard finalement trouva ce compromis préférable à

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des honneurs trop larges, qui suscitent souvent des jalousies, et quitta lapièce plus heureux qu'à son arrivée. Alsyen avait repéré depuis longtemps un atelier d'électronique quiservait pour de multiples réparations de matériel. Tout le personnel avaitdéserté son poste de travail pour préparer la prise d'armes de l'après-midice qui laissait enfin à Alsyen le champ libre. Il échappa à la surveillance deReno, trop occupé lui aussi pour se soucier de « la mascotte », se rendit àl'atelier et y réalisa un mystérieux montage. Cela lui prit une bonne heure.Par chance, il y avait tout ce qui fallait pour son projet. Quand il sortit enfin, dissimulant sous sa combinaison les diverséléments, il ressemblait à un petit chapardeur satisfait.

* * *

Vers seize heures, tous les personnels de la base sont alignés sur lagrande place d'armes, en tenue d'apparat. Les combinaisons argent et noirdes spatiaux étincellent au soleil. Ils portent un casque de cérémonie blanc,en résine ultra-légère, avec un profilé sur le sommet, une casquette mouléetrès courte et équipé d'une visière noire relevable, qui baissée leur cacheles yeux et s'appuie sur le nez. En effet, souvent, au sol, les spatiaux nesupportent pas le soleil trop intense. Le personnel permanent de la basequant à lui porte des combinaisons kaki bariolé, par dessus lesquelles ilsont passé des ceinturons blancs et de larges épaulettes dorées. Leur casque, blanc lui aussi, n'est pas équipé de visière relevable, maisd'une casquette moulée plus longue et d'une large mentonnière enplastique. Enfin, tout le monde est en gants blancs et personne n'estarmé. Le commandement des mouvements de pied ferme se fait à la voixet « au bâton », celui-ci symbolisant l'ancien sabre jugé trop agressif danscertaines communautés. Le salut au passage d'une autorité, lors de la revue des troupes, se faitcoude au corps, bras rabattu sur la poitrine, le poing droit fermé avec lepouce au dessus posé sur le cœur, juste en dessous des pectoraux, tandisque le bras gauche reste tendu le long du corps, la main dans l'axe et lesdoigts joints, le pouce avec les autres doigts. La musique que l'Amiral a choisie pour la revue est un vieux morceautraditionnel du folklore écossais. Les accents de la cornemuse lors de

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l'interprétation de Hightland Cathedral déchirent le voile noir de latristesse des cœurs pour redonner courage et enthousiasme, avec un zestede nostalgie. Ils sont ainsi plus de quatre-mille à vibrer à l'unisson, tandis quel'Amiral et le commandant de la base passent devant les bataillons depermanents et les unités du « Sun Tzu ». Le dernier carré est celui desvétérans. Ils saluent tous, aussi droits qu'ils puissent l'être malgré leurs osqui les font souffrir, avec le menton levé, la visière escamotée, et le regarddirigé droit dans les yeux des deux autorités. Leur froide fierté estimpressionnante. Pendant un instant, pour ces hommes éprouvés par dedures campagnes, les tremblements cessent, les strabismes sont corrigés,les corps sont figés tout entiers dans ce respectueux salut que l'Amiral leurrend ensuite avec la même solennité. Puis les deux hommes se rendent aucentre de la place d'arme, face aux trois cercueils. De part et d'autre, deux hommes brandissent, l'un la torche de la base, etl'autre la torche du « Sun Tzu » . Les torches ont remplacé drapeaux etétendards dans les cérémonies. Il s'agit, ni plus, ni moins, que d'une lourdehampe avec au bout de larges insignes laissant passer au travers deperforations une intense lumière aux reflets polychromes. Dans lesinsignes, obligatoirement, il y a une représentation du globe terrestre,symbole d'unité dans tout l'espace. Le « Sun Tzu » dispose en plus decelui-ci d'une chimère enroulée autour d'une ancre et d'un diadème de cinqétoiles bleues clair, chaque étoile est censée représenter un cercled'expansion humaine, auquel le « Sun Tzu », comme les vaisseaux écolesprédécesseurs aujourd'hui démantelés, fournit des recrues formées. L'Amiral se saisit du bâton de commandement et dirige la cérémonie.Les notes de la sonnerie aux morts résonnent encore un instant aux oreillesavant de se perdre dans les premières secondes de la minute de silence,moment de recueillement qui, pour les recrues comme pour Alsyen, estune première. Reno est touché par ce silence soudain qui alourditl'atmosphère de Bêta 006. Il ne connaissait aucun des trois décédés, mais ilsent toute l'émotion que ce moment implique. Depuis des siècles, lessociétés du monde entier ont ainsi rendu hommage à leurs morts et il al'impression qu'aujourd'hui, à des millions de kilomètres de la planèted'origine, les morts de toutes les conquêtes ont suivi les vivants et

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partagent cet instant à leurs côtés. Pour signifier la fin de la minute desilence, les haut-parleurs diffusent l'hymne mondial, le « Boléro » deRavel, choisi il y a plus de trois cent ans pour sa neutralité politique oureligieuse, son rythme bien particulier, sa magnificence et sa notoriété dansune version tout de même moins obsédante que l'original. Certains auraient préféré du Beethoven, mais il avait déjà été sollicité end'autres temps pour des hymnes locaux de sinistre mémoire. « Officiers, sous-officiers, hommes de troupe, nous sommes ici pour undernier hommage à nos trois camarades. Ils sont morts loin de notreplanète, l'ayant quittée pour servir l'expansion de l'humanité. Bien qu'ils'agisse pour eux trois d'accidents tragiques, ils avaient fait le choix deservir leurs semblables au lieu de rechercher des richesses dans l'espacecolonisé. Ils avaient choisi de sacrifier amour, famille et ambitions égoïstespour se consacrer au dur métier de soldat. Souvenons-nous de ce qui nousrassemble encore. Ils avaient comme nous choisi ce métier. Car si certainsviennent chercher la gloire, l'aventure ou l'évasion, que nous soyons chefsou exécutants, que nous appartenions au soutien logistique ou que noussoyons en première ligne, nous avons tous choisi de quitter notre mondeconnu pour nous consacrer au service des autres. Ce métier de soldat quine pardonne pas la médiocrité, vous avez pu en éprouver toute la difficultépour l'apprendre. Vous allez découvrir aussi qu'il ne vous épargnera pas.Nous paierons tous notre fierté de l'exercer au prix fort. C'est à ce prix, quenous acceptons alors que les autres le trouvent trop élevé, et à ce prixseulement que nous pouvons prétendre avoir le droit de porter fièrementles armes de notre civilisation. C'est à ce prix que nous avons l'honneurd'être les premiers à pouvoir explorer l'immensité de notre univers. C'est auprix du sang versé, du courage sans cesse renouvelé, du risque calculé, dela force maîtrisée, des efforts perpétuels, de l'entraînement régulier, durespect et de l'abnégation permanents que nous pouvons à chaque réveilêtre fier d'être un soldat. » L'Amiral laisse alors passer un ange. « Votre jeune camarade sans nul doute comme vous l'avait compris.Comme nos deux vieux amis que l'espace avait épargnés jusqu'à ce jour.Un soldat des FCP ne meurt pas toujours dans l'espace, mais il y reposera àjamais. Leur poussière se mêlera à celle des étoiles et nous leur rendront

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dans quelques jours un dernier hommage à bord du « Sun Tzu » avant deles laisser aller librement dans les courants de l'espace. » Chaque recrue, comme Reno, se sent touchée par le sort de leurcompagnon malchanceux. Ils ont l'impression de déjà faire partie des FCP,puisque le défunt est honoré comme les anciens le sont aussi. S'ils nerésilient pas leur engagement, s'ils ne renient pas leur foi, eux aussi aurontdroit à ces honneurs. Leurs noms seront gravés dans les archives del'histoire et d'autres voudront leur ressembler, faire comme eux…L'empathie de groupe joue à plein. Et tous, même dans la tristesse,ressentent la chaleur de leur nouvelle famille d'élection.

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Ils ont été lâchés pour une soirée plus nuit de fête sur Bêta 006. Toute lamatinée, ils ont fait leurs bagages, chargé les barges de paquetagespersonnels et de matériel à destination du « Sun Tzu ». Puis ils ont réparéet récuré les bâtiments qu'ils ont occupés durant ces deux mois intenses.Les revues ont été draconiennes. Certaines chambrées ont même étérepeintes du sol au plafond. Alsyen a réussi à faire charger dans lepaquetage de Reno son bricolage « ultrasonique », ressemblant en toutpoints au poste radio émetteur individuel qui a fourni la carcasse. Aéro-transportés jusqu'à la capitale avec les barges du « Sun Tzu » quiles ramèneront ensuite à bord de leur vaisseau-école qu'ils n'ont pas vudepuis deux mois, ils ont été débarqués avec de la monnaie locale. Lamauvaise surprise, c'est qu'ils n'ont pas grand-chose pour faire la fiesta. Àpeine un petit repas, quelques verres dans un bar ou une entrée en dancing.Manger, boire ou s'amuser, il faut choisir. Les jeunes recrues partent donc à pied et en bande sillonner les rues dela petite capitale. Reno quant à lui, outre Alsyen, est accompagnéde Jean-Louis. Lui, il a un « bon plan » avec une fille du « Sun Tzu ». Etelle est avec une copine puisque nul n'a le droit de se promener seul ou encouple hétéro. Néanmoins, une petite rencontre dans un endroit discret doitpouvoir être possible. Reno n'est pas rassuré de devoir faire un manquement à la discipline. Il n'est pas non plus enchanté de faire laconversation tandis que son camarade s'éclate dans l'auberge même (Lesdeux éléments de chaque binôme ne doivent pas être éloignés de plus devingt mètres). Bref, la soirée, au nom de la camaraderie, va se passer dans un resto quifait aussi hôtellerie. Malheureusement, les finances ne permettent pas cettefameuse chambre d'hôtel. Ils parviennent à retrouver les filles dans le centre-ville, près de la« Pierre de la Cité ». La Pierre de la Cité est une tradition des colons. C'estun monument sur lequel sont gravés les noms des fondateurs de la ville,

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puis des dirigeants successifs. Elle est très souvent en plein air. Auxalentours, on peut y trouver une mairie, un organe du gouvernement, unmusée racontant l'histoire de la ville ou de la planète. Ne connaissant pas laville, c'était un lieu sûr de retrouvailles possibles. Les deux filles ne sont pas des top modèles loin s'en faut. Elles ont toutde même l'air sympa. Reno reconnaît la victime à son air un peu renfrogné.Elle aussi a dû se faire harceler pour être là. Surtout qu'en tant queféminine, elle n'aurait eu aucun mal à se trouver un garçon par elle-même.Jenifer croise les yeux de Jean-Louis mais les deux tourtereaux n'ont pas ledroit de s'embrasser en tenue et en public, pour la réputation des FCPcomme du fait de l'extrême pudibonderie des habitants de Bêta 006. Ils seserrent donc la main, un peu longuement. Reno attend qu’Élisa tende lasienne, ce qu'elle se résout à faire. Mais l'échange est rapide. Par contre,d'emblée, elle veut prendre la main d'Alsyen mais celui-ci s'y refuse, parjeu, faisant le timide. Cela l'amuse et elle caresse Alsyen qui se retient dela griffer. Non mais, pour qui se prend-elle ? Reno sent son petit camarade se raidir contre lui. — Laisse-le pour l'instant. Il n'aime pas être traité comme un jouet. Toutà l'heure peut-être, s'il vient à toi. — T'es sûr ? Il a l'air si chou ? — Tu ne l'as pas vu en colère. Un vrai fauve. — Et c'est toi qui l'a dressé ? — Euh oui, en quelque sorte. « En aucune sorte, pense Alsyen, je vais te faire payer ça ». Néanmoins, Alsyen n'en fait rien immédiatement. Il a compris lasituation et pour les trois laissés pour compte, la situation n'est pas trèsagréable. Selon Alsyen, Reno est encore trop gentil, et Élisa, de la mêmetrempe molle qui les font plier au desiderata de leurs camarades. Enfin, dans leurs rapports avec les autres, car leur opiniâtreté face àl'adversité est proportionnelle à leur « gentillesse ». Ils savent que la vie nefait pas de cadeaux. Tout compte fait, Alsyen estime Élisa de bonnecompagnie tandis que Reno la trouve plutôt quelconque. Même après dixmois d'abstinence, il n'est pas tenté par elle. Élisa par contre, si elle ne trouve pas Reno très mignon, remarque toutde même son corps vif et vigoureux. Les parties moulantes de la

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combinaison sont en effet à l'avantage de Reno. Mais pour l'instant,celui-ci ne semble disposer que d'un vocabulaire réduit à quelquesacquiescements de mauvaise grâce. Que vont-ils bien pouvoir faire ? Leurs pas les amènent devant unattroupement de quelques recrues. Là, une d'entre elle est en train d'essayerde regagner ce qu'elle a déjà perdu. En vain. Un homme assis propose de retrouver la carte de l'étoile parmi deuxcartes de lunes. Un vulgaire bonneteau en fin de compte. Il est assez doué,et parvient souvent à tromper la vigilance des jeunes. Alsyen lui-même selaisserait embrouiller s'il n'avait pas la possibilité de savoir grâce à sesdons télépathiques où l'homme a mis l'étoile. Jean-Louis se propose de gagner facilement quelques crédits. Il tente etcommence à perdre. Alsyen se décide à l'aider par suggestion. Petit à petit,il efface ses pertes et gagne un peu. Une autre recrue prend le relais,pensant que c'était facile. Il perd vite les deux tiers de son avoir et préfèrealler boire le reste pour oublier. Jenifer essaie. Même méthode. Lesamoureux seraient-ils chanceux ? L'homme arrête de jouer avec Jenifer,car « elle est trop forte ». Une autre recrue se présente. Les deux gagnantsvoudraient partir mais Élisa veut jouer elle aussi. Ils attendent donc leplumage d'un puis de deux jeunes. Élisa joue et perd elle aussi plus de lamoitié de son avoir. Alsyen n'a rien fait pour elle. Elle regarde Reno qui luin'a pas l'intention de jouer à ce truc trop facile. En fait, il ne veut pas jouerdu tout. L'homme renifle un autre pigeon. Il insiste. — Puisque c'est si facile, essaie ! — Pff ! Ça ne m'intéresse pas de gagner des clopinettes. — Tu as peur. La demoiselle a eu plus de courage. — Mais ça n'a rien à voir. — Je joue contre toi à trois contre un. Trois fois. Il suffit que tu gagnesune fois pour être gagnant. Statistiquement, c'est plausible. Tu n'as qu'àjouer le tiers de ton argent disponible à chaque fois. — Et pourquoi je jouerais ce que j'ai déjà ? — Pour regagner ce qu'elle a perdu, et pour prouver que c'est facile. — Je n'ai rien à prouver. Alsyen réfléchit. Cet homme ne va pas lâcher Reno. Il a mêmel'intention de le rétamer. Pourquoi ? Il n'en sait rien. Mais un non-joueur,

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c'est comme quelqu'un qui ne veut rien lui lâcher. Alors, il veut lui donnerune leçon. — Dommage. Voilà une demoiselle qui va s'ennuyer ce soir. Alsyen donne le coup de pouce qu'il faut à Reno pour se décider. — Allons-y, puisque vous insistez. L'homme manipule ses cartes. « Ouyettelle ? » — Là ! Reno a parlé, vite, trop vite pour Alsyen qui n'a rien pu suggérer. Et biensûr, ce n'est pas la bonne. L'homme saisit les billets aussi vite qu'il trompela vue des gogos. — Il te reste deux chances. Reno est coincé. Il est pris dans l'engrenage. Mais cette fois, pendant le« oukellé oukellé ouyettelle », Alsyen bloque le gosier de Reno. Celui-cipense à de la peur et le temps que la gorge se desserre, il « sait » où est labonne carte. L'homme fait grise mine. Cette fois, c'est lui qui est en perte. Et qui lesera, sauf si Reno joue plus et perd sur le dernier coup... une idée que lui amise Alsyen dans la tête. — Quitte ou double ? propose l'homme à Reno. — Au troisième coup, je peux donc miser ce que je veux, dit Reno, etvous avez parlé de trois fois la mise. — C'est exact. confirment les autres. Cette fois, l'homme est coincé. Il reste deux de ses victimes dans lepublic. Il y a bien une trentaine de spectateurs au total. — OK. — Donc je rejoue ce que je viens de gagner, à un contre trois. Cette fois le « oukellé » dure plus longtemps. La gorge de Reno se noueà nouveau. Il se résigne déjà à perdre. Mais néanmoins, il n'aura perduqu'un tiers. Il aurait du ne rejouer que ses gains, c'est à dire deux tiers, maisil ne sait pas pourquoi il a remis un tiers en jeu. — « Ouyettelle ? » Tout le monde se tait. Attend Reno. Celui-ci ne parvient pas à ouvrir labouche. Pas à bouger. Alsyen veut être bien sûr qu'il fasse selon sonindication. Il veut aussi faire durer un peu le suspense.

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— Celle du milieu, articule maladroitement Reno enfin libéré del'étreinte mentale d'Alsyen. L'homme la retourne. Dépité. Mais pas trop. Il n'a pas perdu grand chosefinalement. Il arnaque les jeunes sur une partie des loisirs de la soirée et ygagne un bénéfice intéressant sur le nombre. Finalement, il est à la fois unespoir, statistiquement déçu, et une attraction. Ce gros gagnant va, si ça setrouve, lui rapporter des clients toute la soirée. Dans une heure ou deux, ilse sera refait sur l'écornage d'une trentaine d'autres. Reno a le triomphe modeste. Finalement, il a dû se baser sur sonintuition car la carte n'était pas là où il croyait avoir vu. — J'arrête avant que la chance tourne, dit-il plus posément. Les mises à nouveau réduites, l'homme perd encore un coup sur deux,histoire de dire que la chance ce soir n'est pas de son côté. Il disparaîtpresque sous la foule impatiente de se faire plumer. Les trois camarades de Reno le regardent comme le Messie. — On y va ,dit-il, maintenant, il ne reste qu'à trouver le bon endroit. — C'est toi qui paye ? lance Jean-Louis. — C'est nous qui payons. Tout doit être dépensé avant l'embarquement.Cette monnaie n'a court qu'ici. Il n'y a qu'à mettre tout l'argent en commun. — T'es vraiment sympa toi ! balbutie la malchanceuse Élisa. Elle tente gentiment de se rapprocher de Reno. Mais celui-ci ne lui porteguère l'attention qu'elle souhaiterait, même s'ils n'ont pas le droit de seprendre la main en public. À la première borne électronique, ils font lechoix du complexe restauration - dancing - chambre en tenant compte desa distance avec l'astroport et de ses prix abordables pour leur bourse. Le Santa-Fe leur tend les bras, et ils décident de prendre un taxi vert àbande blanche pour s'y rendre. Les tarifs sont libres et négociables car laconcurrence est rude et certains sont plutôt vétustes. Les chauffeurs lesplus pauvres ne mettent du carburant (huile végétale) qu'au derniermoment. Sinon, ils sont là, à retaper leur vieux véhicule pour qu'il fasseencore quelques kilomètres de plus. Les autorités ferment les yeux sur ces taxis illégaux. Comme pour lesrécupérateurs de métaux, de plastiques, de bois, de papier, de vieuxtextiles, ces activités de récupération pour le recyclage permettent à unefrange pauvre de la population de subsister tout en ne grevant pas le budget

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social, en travaillant et en étant utile au reste de la population. Cette main d'œuvre bon marché sert aussi pour du travail minute :balayer un trottoir, nettoyer une vitrine … À côté de cela, qui n'est pascontrôlé, existe une tolérance zéro pour les trafics de drogue ou deNeurovids, les vols et les agressions, la prostitution, le trafic d'organes enmatière de justice pénale. Enfin un service de soupe populaire est assurépour ceux qui n'ont pas pu gagner les quelques crédits nécessaires à leursubsistance immédiate. La soupe est infâme, produite synthétiquement,mais contient le nécessaire pour la survie et un développementharmonieux. Avec quelques additifs gustatifs, cette « recette » sert mêmede repas de substitution pour ceux qui ont besoin de perdre quelques kilosnaturellement. Il existe aussi une médecine minimale gratuite dans desétablissements spéciaux. La pauvreté doit être plus rebutante que le mondedu travail pour que celui-ci trouve la main d'œuvre dont il a besoin. Maiselle peut aussi être un état passager pour tous et personne ne manque derespect à ces exclus. Les colons assez durs sur Bêta 006 ont un bagne prison totalement isoléqui a mauvaise réputation. Ceux qui ont débarqué ici sans un sou, peuventsoit réussir par leurs compétences personnelles, soit survivre en attendantune chance de repartir gratuitement en soute de vaisseau-cargo pour uneplanète qui embauche quand Bêta 006 ne le permet pas. Néanmoins, ces pauvres peuvent passer quotidiennement dans lesbureaux de recrutement pour rappeler qu'ils n'ont pas quitté la planète etqu'ils recherchent toujours un emploi. Ce système n'est pas le plus juste qui soit et les colons sont âpres augain. Ils acceptent cette règle dans la ville, sachant qu'en dehors, la naturene fait pas de cadeau à l'homme. Celui qui quitte la capitale doit en avoirles moyens ou être embauché par une entreprise ou un fermier, parfoispour des missions temporaires. Ils sont ensuite ramenés à la capitale, quiseule dispose d'un astroport et de logements pour eux, assez sordides,communs et à sa périphérie. C'est donc pour le fun que le quatuor embarque dans un tas de ferraillebrinquebalant roulant certainement avec un mélange non homogèned'huiles de friteuse d'origines diverses. La rouille tient grâce à la peintureet le siège défoncé permet à Jean-Louis, au centre et à l'arrière, de se

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retenir aux filles pour stabiliser tout le monde. Reno et ses grandes jambesse sentent à l'étroit devant, avec Alsyen sur les genoux. La nuit commenceà tomber et la température devient progressivement plus supportable. Alorsque ses camarades rient de bon cœur à l'arrière, il reste un peu songeur,voire mélancolique. Alsyen lui transmet un peu de réconfort. Il n'est pasbon pour Reno d'être un solitaire. Afin de rester corrects au restaurant, les garçons font face aux filles.Bien leur en a pris. Un quart d'heure après, Erick Dombass et son amie lascientifique pénètrent à leur tour dans la salle. Avec manifestement lesmêmes intentions que Jean-Louis et Jenifer pour leur dernière soiréeensemble. Les quatre recrues rougissent en l'apercevant, mais le vétéran leuradresse un sourire complice. Toute l'hypocrisie du monde n'empêchera pascelui-ci de tourner. Après l'apéritif le moins cher, les jeunes ont choisi un menu. Lepersonnel sympathiquement charge un peu les assiettes. C'est si rared'avoir des recrues ici (trop cher) et la base des FCP a bonne presse surBêta 006. Tout le monde reconnaît les efforts que les jeunes ont dû fournirpour devenir des soldats au service de l'humanité et sait que leur destin esttragique, à plus court terme que pour le reste de la population de colons. L'espace favorise les cancers multiples et les accidents sont nombreux. Par contre, c'est la scientifique qui, elle, va manger un de ses pires repas.D'ailleurs, elle sait qu'elle ne remettra jamais les pieds ici pour s'êtremontrée avec un homme qui ne peut être son conjoint. Ce n'est pas pourrien qu'elle a choisi une salade, et la viande additionnelle fraîche qui essaiede fuir l'assiette est censée achever de lui couper l'appétit. Erick veut seplaindre mais elle en dissuade. « On leur laissera une chambrehonteusement marquée par les stigmates de nos ébats » plaisante-t-elle enposant ostensiblement sur son verre une empreinte glosseuse bien rouge etbien dessinée de surcroît sans que ses lèvres pulpeuses ne perdent pourautant de leur éclat. Erick la ressert donc de cet excellent simili Bordeauxsur la base de plants importés d'Australie, puisque manifestement labouteille sera la seule origine sûre de ce que pourra consommer soninvitée.

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À la table des quatre jeunes, la tension tombe un peu. Élisa raconte avecbrio ses mésaventures durant sa formation. Ils en rient de bon cœurmaintenant que c'est terminé, mais manifestement pour elle aussi, laformation n'a pas été rose tous les jours. Ce n'est vraiment pas une question de manque de chance, mais d'unepoisse permanente. Jean-Louis et Jenifer se dévorent des yeux et il fautque Dombass passe un petit moment leur dire qu'il ne verra rien pour qu'ilsdécident de s'éclipser. D'ailleurs, pour permettre au couple de s'éloigner àplus de vingt mètres des deux autres, il déverrouille les braceletsde Jean-Louis et Élisa. Ils les intervertissent, les glissant dans leur poche,et doivent se les échanger à nouveau le lendemain avant l'embarquement. Illeur faut conserver les bracelets sur eux, par sécurité. Comme pour toutesles recrues, en cas de problème, c'est le bracelet qui permettra de lesretrouver. Toute personne disparue loin de son bracelet risque d'êtresanctionnée pour désertion. Reno se retrouve donc seul avec Élisa, dont il ne peut plus s'éloignermaintenant puisque elle a le bracelet de Jean-Louis. Tous les quatre se sontdonnés rendez-vous devant l'établissement pour demain six heures. Pourfaire plaisir à Élisa, il commence à lui narrer ses propres déboires. Ellesourit, pose les coudes sur la table, sa tête sur les mains et se dandine unpeu en hochant la tête. Alsyen est écœuré. La femelle serait intéressée par une petite partie dejambes en l'air avec Reno. Mais celui-ci ne se rend compte de rien. Ilcontinue, fort correctement, à animer cette conversation que la missvoudrait bien voir déraper vers un peu de séduction de principe à son égardavant de céder diplomatiquement à une proposition à laquelle elle aspirevraiment. Mais au fur et à mesure, elle est quand même conquise par lepersonnage qui s'avère, en plus d'un solide gaillard, être assez intéressant.Alsyen tente de la calmer hormonalement histoire qu'elle cesse d'envoyerles regards langoureux que l'autre nigaud ignore, tout absorbé à raconter sadécouverte d'Alsyen en vidant son assiette. Bien au contraire, Élisa sent qu'elle commence à , oui, c'est ça, tomberamoureuse. Ce n'est plus l'excitation sexuelle d'une fille en parfaite santéenfin en présence d'un garçon qu'elle ressent, mais une attirance pour lui.

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Elle a envie de le soulager, le protéger, le réconforter, s'en occuper,s'offrir… Reno, lui, rassasié, ne voit en elle qu'une fille sympa, et pas si mocheaprès tout. D'un revers mental souverain , il écarte avec honte pour lui,respect pour elle, la brève tentation bestiale de la soumettre à un traitementde choc contre la virginité chronique. Il décide d'ailleurs de ne rien luiproposer de tel, afin de pouvoir la garder comme copine. Élisa n'a pour l'instant pas un physique facile. Ce petit bout de fille de unmètre soixante-deux est encore suivi, malgré tout le sport pratiqué depuisdeux mois, par un derrière apparemment généreux. C'est aussi un effetgrossissant de la combinaison des FCP qui n'est pas prévue non plus pourmettre en valeur les seins des recrues féminines (effet aplatissant dans cecas). Les cheveux sont obligatoirement portés courts (Ils ne doivent pastoucher les épaules ou être en chignon ou couette enroulée). La rouquineÉlisa a choisi une coupe en brosse sur les cotés avec une frange assezsympa qui met en valeur ses yeux verts. Son visage est un champ debataille entre les taches de rousseurs qui se disputent l'espace avec desboutons d'acné juvénile non traités, car les crèmes ne sont pas monnaiecourante sur le « Sun Tzu » comme sur une base militaire. Un petit neztaquin surmonte des lèvres assez fines. Déjà des rides d'expressionmarquées, dues aux efforts, à un visage qui a maigri, s'est un peu durcidurant ces derniers mois, lui donnent une petite maturité en contradictionavec la flamme joueuse brillant dans ses yeux. Sa dentition est un peuirrégulière, mais son sourire reste délicat, éclairant son visage dedouceur tout en lui conservant un petit air naïf. Ses narines palpitentd'excitation et elle garde en permanence un demi-sourire involontaire. Seslèvres sont un peu plus gonflées qu'à l 'accoutumée et quelquesmicro-muscles font parfois trembler légèrement sa lèvre supérieure. Elleboit les paroles de son compagnon, et se surprend pour une fois à ne pastoujours se présenter comme une gourde. Mais Reno ne remarque rien de rien. Il reste même insensible à sa voix,marquée d'un accent assez chaud pourtant, qui lui vante le boulotd'infirmière de « contact ». Elle n'est pas protégée par un statut médical.(D'ailleurs, comment des extra-terrestres pourraient-ils avoir développé desnotions pareilles). Elle est combattante à part entière, mais s'occupe des

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premiers gestes sur les blessés (les mettre à l'abri en tenant compte pour lesdéplacer de leurs blessures apparentes, les dégager de leur harnachement,les positionner correctement). Pour les secourir, elle active leurs balises dedétresse s'ils ne peuvent pas le faire, pose des garrots, enfin, des braceletsde contrôle de la combinaison qui permettent de gérer des zones depression spécifique, ainsi que des atèles et des pansements hémostatiques.Elle a aussi dans sa trousse des doses injectables supplémentaires deméta-morphine, seringues qui ne peuvent être en trop grande quantité àdisposition du combattant lui-même. La méta-morphine est plus puissante que la morphine classique, et n'estutilisable que dans un temps très court (entre dix-huit et vingt-quatreheures selon les dosages). Ensuite, elle provoque des nausées quidécouragent une accoutumance grâce à un complément qui à une demi-viede quelques jours dans l'organisme. Donner cette spécialité en sus à toutesles filles leur permet de ne pas faire partie du premier binôme de choc lorsd'une progression en zone hostile, comme d'être respectées au sein dugroupe de combat. Si la formation n'est pas mixte, les équipes de combatopérationnel le seront dans la plupart des cas lors de leur mise en placeeffective. Avec l'expérience et la fin des tabous précédant le vingt etunième siècle, on s'est aperçu que la présence d'une femme ou deux rendaitle groupe plus solide et plus efficace dans quatre-vingt-dix pour cent descas, à condition que la « Madelon » refuse d'appartenir à un membre dugroupe. Par contre, elle est encore mieux acceptée quand elle a uncompagnon hors du groupe. Allez donc comprendre… Alsyen non plus ne comprend pas. Malgré ses suggestions télépathiquespour décourager Élisa, celle-ci est à un cheveu de passer à l'acte en public.Elle n'est plus retenue par sa timidité de maladroite congénitale. Il passemême à la limite de la catastrophe, quand il la trouble au point de lui fairerenverser son verre. Reno prévenant saisit sa serviette pour l'essuyer et audernier moment se ravise, se contentant de la lui tendre. De toute façon, lacombinaison est traitée anti-tâches. Alsyen parfois fait balbutier Reno pourqu'elle pense avoir un nigaud en face, ce qu'il est déjà assez tout seuld'ailleurs, car même non intéressé, il se montre assez timide. Maisjustement, elle interprète sa maladresse comme justement un effet dutrouble qu'elle lui provoquerait.

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Finalement, ils décident d'aller aux salles de dancing. Malheureusement,ils sont restés tard à table et celles-ci se sont vidées. La population est dugenre couche-tôt dans le coin. Un petit verre d'alcool local, pours'encanailler, a fait pleurer la tendre marguerite en vain. Ils décident doncde prendre une chambre pour se reposer et attendre l'heure. Il y a une salle de bain avec baignoire. Un luxe qu'ils avaient oublié.Galant, Reno lui laisse la première place. Pas question de laisser passer uneoccasion pareille, qui ne se reproduira peut-être jamais, en tout caspeut-être pas avant quelques années. Élisa s'y éternise. Elle a l'impression de décoller une crasse de plusieursmois tellement elle a l'impression que sa peau respire. La direction del'hôtel fournit aussi le bain moussant parfumé et réparateur. Elle n'oseappeler Reno sous un prétexte fallacieux qui pourrait lui permettre de voirson corps, ou au moins sa tête et ses épaules émergeant de la mousseblanche. Et puis, elle n'est pas trop sûre d'elle. Un échec après une telleaudace serait un affront qu'elle ne pourrait pas supporter. Reno lui necogite pas. Il dort tandis qu'elle rêve tout haut. À elle le bain, à lui le lit.Alsyen rit intérieurement. Finalement, ils sont bien bêtes tous les deuxavec leurs scrupules alors qu'ils auraient pu tout partager. Élisa sort du bain, observe son corps nu dans le grand miroir. Elle al'impression d'être plus fine qu'avant alors qu'elle a perdu peu de poids. Etmême d'être plus grande. Elle a raison mais elle reste elle persuadée qu'ilne s'agit que d'une impression. Elle est plus grande car elle a passé déjàplus de six mois dans l'espace. Dans quelques mois, quand elle devrachanger son paquetage, elle pourra constater qu'elle aura pris dixcentimètres en taille sans prendre un kilo de plus. Avec l'effet dû auxfaibles pressions dans l'espace qui réussissent bien aux organes érectiles, sasilhouette finalement sera bien plus agréable à regarder que celles desfemmes restant à la surface des planètes. Elle se couche à côté de Reno, nue, sans le réveiller. Elle décided'activer l'alarme vibratoire de sa montre une heure avant de partir. Ainsi,elle s'habillera et réveillera Reno afin qu'il puisse prendre un bain lui aussi.Avant de sombrer dans le sommeil, elle espère un instant être réveillée aumatin par un prince charmant entreprenant.

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Le « Sun Tzu » en route pour Bêta Prime va croiser la route d'uneexoplanète gazeuse de gros calibre. C'est l'occasion rêvée de se débarrasserdes « mantas ». Pour cela Alsyen doit dispatcher trois réémetteurs d'ondes miniatures depart et d'autre du « Sun Tzu ». Impossible pour lui de se promener seul. Ilva avoir besoin de Reno pour traverser les différents quartiers et atteindreles entrepôts. Reno, depuis son retour sur le « Sun Tzu », a du vague à l'âme. Il al'impression d'être passé à côté de quelque chose d'important. En fait, il estobsédé par Élisa Quand elle l'a réveillé au petit matin sur Bêta 006, il a étéfrappé par ce visage féminin qui lui souriait au dessus de lui. Commesuggéré, il est allé prendre un bain et finalement, il se sont quittés bonsamis à la sortie de l'établissement de loisirs. Jean-Louis n'a cessé de luiraconter ses exploits de la nuit tandis que lui avait dormi. Au début, il n'yavait accordé aucune importance, mais à chaque fin de cycle de sommeil,Reno revoit le visage d’Élisa au dessus de lui. La cérémonie de dispersion des cendres de leurs camarades a étédiffusée sur le réseau informatique du vaisseau en direct pour les quartierséveillés et en différé pour les autres. Pendant le recueillement, cela apermis à Reno de se remémorer les moments forts vécus sur Bêta 006. Chaque minute le rapproche de Bêta prime qu'ils atteindront dans deuxsemaines. Là, les recrues devront choisir en fonction de leurs résultats auxépreuves entre partir en unité constituée pour l'exploration dans le derniercercle atteint Thêta, partir en individuel dans les places proposées dans lesautres niveaux pour combler les trous des effectifs ou devenir colon, enrépondant aux nombreuses offres d'emplois interstellaires. En effet, les sous-officiers surtout sont sollicités pour « entraîner » lestroupes planétaires quand elles existent. Les hommes de troupe sont

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recherchés par les gouvernements pour servir dans leurs forces deprotection, qu'il s'agisse de police, milice, entreprise de gardes du corps oumême de d'employeurs de mercenaires. Les officiers peuvent se voirproposer des postes de généraux au lieu de rester simple lieutenant. Maisaucune place ne peut avoir le prestige d'être un soldat des FCP, protecteursde l'humanité à travers l'espace. Ce sont donc le plus souvent les recalésqui trouvent ainsi des places de consolation. Mais ils resteront desrampants loin de leur terre d'origine… Reno se souvient de ce vieux fermier à quelques kilomètres de la basesur Bêta 006. À son époque, la formation devait être bien plus pénible. Àl'issue de celle-ci, il avait choisi de rester dans le cercle Bêta. Reno et songroupe étaient planqués dans le hangar des couveuses. Ils avaient coupé auplus court entre deux points de contrôle durant un raid de survie et avaientun peu dévié pour demander à la ferme un peu d'eau et acheteréventuellement un peu de nourriture. À ce moment-là, ils ne savaient pasque la monnaie utilisée sur la base n'avait pas court en dehors de seslimites. Mais le fermier les avait bien reçus. Lorsque le vrombissement d'unglisseur les avait alertés, ils avaient dû se cacher pour ne pas se faireprendre en flagrant délit de tricherie. De là où il était, Reno pouvaitentendre le sergent Coll, accompagné de Erick Dombass. Alsyen avaitrepéré l'aura de Reno mais lui aussi avait compris qu'il ne devait pas réagirà sa présence. Coll avait questionné le fermier pour savoir s'il avait vu du monde.« Personne » avait répondu le vieux, goguenard. Manifestement, sa fermeétait souvent visitée. Dombass avait alors discuté avec le fermier du bon vieux temps.Horrifié, Reno avait compris que le fermier et Dombass avaient été recruesensembles sur la base, quarante ans plus tôt. Le fermier n'était pas parti, etavait vécu sa vie. Dombass lui, totalisait presque trente ans de voyagesinter-cercles sous forme dématérialisée et n'avait relativement vécu qu'unedizaine d'années. Trente ans auparavant, le fermier s'était installé près de labase, par nostalgie de ce qu'il n'avait pas vécu. Il était donc un producteur vendeur privilégié pour la base, et on savaitqu'il recevait parfois des visites durant les exercices de survie. Il était donc

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défendu de passer à sa ferme, en théorie. Signaler cette interdiction, c'étaitdéjà indiquer l'existence de cette ferme, voire insister sur son importancestratégique. Que penser de commandos sans audace qui ne de braveraientpas les interdits, surtout que le risque était proportionné. Vingt kilomètresen arrière si on se faisait prendre, une bonne omelette d'œufs d'autruche etune lampée de gnôle si on gagnait, et parfois les deux si le timing était tropjuste. D'ailleurs, Dombass en avait une bien bonne à raconter à son vieil amiqu'il n'avait revu que quelques jours auparavant, au hasard d'une livraisonde produits frais à la base. C'était le vieux qui l'avait reconnu. Dombassavait bien sûr moins changé que son camarade. — Hier, tu nous as menti. Je le sais parce qu'un blaireau n'a rien trouvéde mieux que de déposer une gerbe à l'arrivée du parcours d'obstaclesqu'on leur fait franchir comme dernière épreuve du raid. Il n'a bien sûr pascraché le morceau même devant l'évidence. Et à l'odeur, j'ai reconnu plusta « pomme » que les sucs gastriques habituels. — Y en a, avait reconnu le vieux, mais pas seulement. Ne t'inquiète pas,personne n'est devenu aveugle avec ce que je donne à boire ici. Reno plaignait ce vieux fermier et ne voulait pas passer à côté de ce queDombass avait déjà vécu. Si ses résultats le permettaient, il choisirait luiaussi de partir pour l'inconnu le plus lointain.

* * *

Alsyen trouve Reno seul à ce seuil de réflexion. Il décide de lui envoyerun message télépathique en clair. — Reno, il faut que tu m'aides. Celui-ci se retourne, et ne voit qu'Alsyen. Il pense avoir rêvé. — Reno, c'est bien moi qui te parle. Il se retourne. Alsyen lui fait face, debout. — Scipion ? — Oui, Reno. Reno doute encore de ses sens. Puis il décide de déclencher l'alarme caril doit y avoir une fuite de monoxyde de carbone, un excès d'oxygène, ouun gaztruc quelconque qui donne des hallucinations. Il a au moins besoind'un examen médical.

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Alsyen l'arrête en plein mouvement. — Non, Reno, cela doit rester entre nous. Mais c'est grave. Calme-toi. Jete bloque, mais je peux lire tes pensées maintenant. Je peux aussi me fairecomprendre de toi au niveau conscient. Je ne suis pas un simple animal,mais un être intelligent, comme toi. Mon vrai nom est Alsyen. Je dois tefaire confiance pour garder ce secret. De toute façon, si tu me dénonces, jefais le singe et tu passes pour fou. Alors, fini les rêves étoilés pour toi.Réponds mentalement que tu as bien compris et répète le en toi, que jemesure bien la qualité de la liaison télépathique entre nous. — Tu t'appelles « Le sien ». C'est grave. Tu peux me contrôler. Tu esintelligent. Ça doit rester secret sinon je passerai pour fou. — Excellent résumé. Je suis aussi un ami. Ton vaisseau est infesté pardeux mantas qui vous volent votre énergie nucléaire. Le vaisseau vatomber bientôt en panne de carburant si nous laissons faire car leurconsommation double tous les vingt-quatre jours. Nous pouvons leschasser en les encourageant à quitter le bord pour se nourrir de l'énergie decette planète, moins intense, mais en quantité bien plus importante. — Comment faire ? — Il faut faire passer durant quelques minutes un train d'ondesdésagréables pour elles à travers la structure afin qu'elles quittent le navireet dérivent en orbite. Le temps qu'un vaisseau repasse, elles serontdevenues tellement grosses que voler l'énergie du vaisseau ne lesintéressera plus. — Et alors ? — Regarde. Alsyen va chercher dans les affaires de Reno le simili poste de radio. Ilsort de la carcasse deux mini-émetteurs. — Il faut mettre ces émetteurs aux extrémités du « Sun Tzu ». Chacundiffuse un train d'ondes particulier, et leur conjonction dans les entrepôtssera intolérable pour elles. — Donc, il faut aller dans chaque roue externe et sur la plate-formesupérieure ? — C'est à peu près ça. — Pour la roue de droite, c'est facile. — C'est déjà fait.

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— Pour les deux autres endroits, il faut des laissez-passer électroniques. — Je les ai aussi…à ton nom. Mais il faut que tu sois avec moi pour quela garde actionne les sas de sortie en extérieur. — Ils ne vont pas me laisser passer chez les filles. En plus, elles sont enpériode de sommeil. — Oh que si. Officiellement, tu dois traverser la zone pour changer lelot de cartouches de gaz servant au déclenchement automatique de lafermeture des portes incendie qui sera périmé dans six heures. — Tu sais trafiquer l'ordinateur central ? — Je te promets que c'est pour la bonne cause. Les cartouches sontstockées dans les entrepôts. C'est aussi simple que ça. — Scipion, c'est incroyable. Mais comment est tu arrivé sur Bêta-112 ? — Appelle moi Alsyen tu veux bien ? Sinon comme toi. En vaisseauspatial. — Et le monstre ? — On en reparlera au retour. D'accord ? — Oui, allons-y. Mille questions s'entrechoquent dans l'esprit de Reno tandis que sous ladirection d'Alsyen, il se rend aux entrepôts, récupère les cartouches etplace le mini émetteur. Alsyen y répond un peu, histoire de le motiver. Ilse garde la possibilité de le paralyser à tout moment et de le faire baver, s'ila le malheur de tenter d'informer ses congénères. Reno a des projets ensuite avec Alsyen. Il n'a pas encore compris quecelui-ci y était pour beaucoup dans les changements récents. Pour lui, cesont les FCP et la formation militaire qui l'ont ainsi révélé à lui-même.Alsyen ne le détrompe pas. Le passage dans le quartier féminin est moins aisé que prévu. Il a falluun peu discuter. Incroyable. Elles sont mieux gardées que tout le matérielsensible, hors armement tout de même. Alsyen en reste stupéfait. Il ne manquait plus que ça. Une malchance surdix mille. Il faut que Reno croise Élisa qui revient des toilettes. — Reno ? — Chut ! — Mais …que fais tu là ? — Je …euh…

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— Tu voulais me voir ? — Non euh oui (Alsyen lui a soufflé de mentir. Elle ne doit pas savoir). — Oui ou non ? insiste-t-elle espiègle. Elle est ravie de la présence de Reno et ne pense pas à de possiblessanctions. Il est peut-être un peu lent, mais déterminé en fin de compte.Comment a-t-il fait pour franchir les contrôles ? Il doit être malin en fait, etaudacieux. C'est pour elle qu'il fait tout ça.. Elle est flattée, voire plus. — Oui, répond-il. C'est presque vrai. S'il avait pu par lui-même, il serait venu. Il estcontent d'être là. La chance est avec lui. — Suis-moi. Ici on peut nous voir. Retour donc aux toilettes. Alsyen laisse faire. Il vaut mieux ne pas êtrelouche aux yeux d’Élisa — Viens avec moi, insiste Élisa Ils entrent dans une cabine. C'est exigu. Ce n'est pas prévu pour deux quiplus est. Il a posé son matériel ainsi qu'Alsyen dans la cabine d'à-côté.Élisa est contre lui. Elle le serre entre ses petits bras. — E m b r a s s e - m o i , l u i s u s u r r e - t - e l l e d a n s l ' o r e i l l e ,rougissante. Embrasse-moi ou je crie. Alsyen les laisse s'expliquer durant un petit quart d'heure. Puis ils'immisce dans la conversation en envoyant des messages d'urgence àReno afin qu'il abrège l'entretien. Les deux tourtereaux ont été en fait biensages, même si les mains se sont parfois un peu égarées. Reno promet de revenir bientôt. Mais là, il lui faut rejoindre rapidementsa section s'il ne veut pas être repéré. Il a un petit boulot à effectuer qu'ildevra terminer plus tard afin de pouvoir revenir. « Demain, même heure,d'accord.» Une dizaine de minutes plus tard, la palpitante Élisa le laisse enfinpartir. Reno se hâte d'effectuer les changements de cartouches tandis queAlsyen met en place le dernier émetteur. Puis il met en route songénérateur d'ondes. D'ici quelques dizaines de minutes, les mantas sedécrocheront… De retour à la section, Reno se trouve pris d'une soudaine fatigue alorsqu'il est censé se rendre en sport. Personne ne s'en aperçoit.

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Alsyen lui envoie dans son premier sommeil quelques mots d'excuses,avant de lui effacer la mémoire des deux dernières heures, c'est à dire justeavant lui avoir demandé son aide et révélé sa vraie nature. Il efface doncaussi le souvenir de ses quelques moments d'intimité avec Élisa, despromesses qu'il lui a faites, des sentiments qu'il a éprouvés pour elle.Demain soir, il ne sera pas au rendez-vous.

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À l'issue d'une approche parfaite, le « Sun Tzu » s'arrima à la stationspatiale de Bêta 69 surnommée l'Oasis. Effectivement, elle était entre un tiers et mi-parcours de Bêta-112 etBêta prime dans ce sens de déplacement (En fonction des positionsrelatives durant l'année centaurienne). En orbite éloignée de Bêta 69, l'Oasis disposait de quais gigantesques oùs'amarraient les gros vaisseaux interstellaires, les petits courriersinterplanétaires et les remorqueurs. Ceux-ci établissaient une noria dans tout le système pour alimenter lesautres stations planétaires en gaz naturel bon marché de Bêta 69 et ramenerà la station et aux quartiers miniers en orbite basse les métaux et lesproduits manufacturés nécessaires à leur expansion. L'espace environnant la géante gazeuse grouillait donc de chapelets deréservoirs saucisses vides ou pleins, dérivant sur des orbites définiesguidés par des pilotes automatiques, en attendant d'être tractés par lesremorqueurs, puis arrimés sur les vaisseaux à distance de la station avantleur départ pour leurs lointaines destinations. Les convois ainsi formésétaient tous identifiés afin que les convoyeurs sachent quels réservoirsmonter sur le vaisseau demandeur. Ce système était censé éviter la piraterie. À ce jour, la gestion et lasurveillance avait dissuadé toute tentative de vol d'énergie. De toute façon, en cas de problèmes (attaque ennemie), les remorqueursavaient l'autorisation de charger les vaisseaux avec n'importe quel convoi àcondition qu'ils ne soient pas sous un feu direct. Par tradition, les pilotes furent applaudis pour leur manœuvresavamment exécutée sans accroc. Néanmoins, ce quai n'était pasphysiquement arrimé à la station. Il était en contact permanent avec elle, etses générateurs de poussée à gaz conservaient une distance stable.

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Il permettait aussi aux hommes du « Sun Tzu » de quitter le bord et deprendre place sur des petites navettes qui elles allaient rejoindre la stationproprement dite. D'autres petites navettes assuraient le transbordement demarchandises plus précieuses que les simples métaux et le carburant. La station elle-même était composée de cylindres de cent-vingt mètresde diamètre et de quatre-vingt mètres de large, reliés par des cordonsombilicaux par leur axe. Ces cordons avaient des sas amortisseurs en leurcentre pour maintenir les cylindres entre eux avec une certaine souplesse.Les cylindres tournaient sur eux-mêmes comme le faisaient les roues pluspetites du « Sun Tzu » pour générer une gravité artificielle. En fait, il s'agissait de deux demi-cylindres séparés par un sas dechangement de sens. La station était occupée en majorité par despermanents. La gravité devait donc être bien plus forte que dans le « SunTzu » pour se rapprocher des normes terrestres indispensables sur le longterme. La vitesse de rotation était donc dix fois plus rapide. Le système fonctionnait par éjection de gaz neutre. À l'axe de rotation,en plus des sas de transition, il y avait donc des bobines à induction quifournissaient une partie de l'électricité des modules et des passages defluides, certains caloporteurs qui par contact avec les élémentsamortisseurs et lubrificateurs se réchauffaient et circulaient partout pourchauffer l'atmosphère des cylindres ou d'autres réseaux caloporteurs. La même technologie d’auto-réparation des parois que sur le le « SunTzu » et des cloisons étanches protégeaient les humains contre lesdépressurisations dues à l'impact de petites météorites, ou, dans cette zoneassez occupée, de déchets négligemment semés dans l'espace quibénéficiaient des accélérations orbitales et s'avéraient assez dangereux.Des navettes de récupération avaient d'ailleurs pour mission de lesrepêcher avec des « filets » magnétiques. En fait de filet, c'était unesoucoupe alvéolée que la navette déployait autour d'elle. Une fois l'objet àcapturer repéré avec des radars spécifiques, elle arrivait derrière lui avecune vitesse relative légèrement plus élevée. Celui-ci se plantait alors dansla coupelle entre les différentes parois et y restait coincé. Pour ceux quiétaient trop gros, il y avait une méthode de capture plus manuelle. Lesrécupérateurs se positionnaient auprès d'eux pour les intercepter sansrisque, chacun ayant la même vitesse. L'exercice restait toutefois périlleux

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quand l'objet avait en plus un mouvement de rotation sur lui-même... L'ensemble des cylindres décrivait une spirale sphérique d'une centained'éléments. Cet ensemble aurait pu être étiré, mais ainsi en spirale, en casde problème, chaque cylindre était assez proche des autres pour permettrel'évacuation d'un cylindre endommagé en catastrophe par des cabinesindividuelles non motorisées. On pouvait ainsi récupérer ces cabines dansle délai de trois heures de survie au maximum qu'elles permettaient à leuroccupant (Ou une heure et demi pour deux plutôt l'un sur l'autre, maiscomme il n'y avait alors plus de gravité…). Les gaz expulsés par de courts tuyaux orientables sortant à l'extérieurdes cylindres (dont l'ensemble semblait former une crête inclinable) pourentretenir la rotation étaient bien sûr inertes, et retombaient finalementlentement sur la naine gazeuse qui maintenait elle-même encore une trèslégère attraction à cette distance. Leur compression était donc une sorte deconservation de leur énergie. Les usines qui devaient brûler des gaz étaientbien à l'écart des lieux habités et avec des effectifs humains réduits. Desrobots non humanoïdes assistaient très efficacement ceux-ci, bien qu'on nep o u v a i t p a s p a r l e r d ' i n t e l l i g e n c e c o n c e r n a n t l e u r c e r v e a u« micro-processeurisé » pourtant à l'extrême. Tous les travailleurs de l'espace étaient bien payés. Mais ils ne pouvaientpas exercer leur métier plus de quinze ans, toujours à cause des cancers dusaux rayons solaires, aux ondes diverses et à la nourriture souvent enconserve. Enfin, les travailleurs spatiaux souffraient de déformations corporelles(les corps continuaient de grandir alors que les muscles s'atrophiaient) quipouvaient les tuer prématurément ou même leur interdire de retourner surdes planètes à gravité normale. De plus, au bout de quinze ans, ils étaientstériles dans quarante pour cent des cas. Mieux valait n'y rester que dixans, y gagner un pécule conséquent, puis s'installer sur une bonne planète.

Mais cette épargne en intéressait d'autres. Sur l'Oasis, en plus dequelques commerces de base, et des grandes sociétés d'énergie, banques etassureurs en surnombre cohabitaient avec espaces de loisirs et casinos.Comme tout bon port, il y avait des femmes disponibles pour les marins depassage.

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Cette fois, les recrues avaient accès à une plus grosse part deleur épargne forcée. Mais ils ne disposaient que de deux jours pour profiterde la vie en toute insouciance. Ils seraient sur Bêta prime dans une semainepour rendre le « Sun Tzu » à un autre équipage et en ce qui les concernait,prendre un nouveau départ. La précaution des bracelets pour chaquebinôme n'avait pas été prise. Si un jeune se perdait ici, c'est qu'il ne désiraitplus faire partie des FCP ou appréhendait trop la suite. Cette liberté était unmoyen déguisé de pratiquer une sélection. En leur laissant plus de chancesque s'ils désertaient sur Bêta 006. Les sections furent débarquées sur les cylindres en fonction de leurrythme circadien. Il fut impossible à Jean-Louis de contacter son amieJenifer pour se mettre d'accord sur un lieu de rendez-vous. Mais ce n'étaitpas grave. Avec le reste de la section, c'était une bande de copains quiallait s'éclater sans retenue. Les filles auraient été des poids morts, pire, des freins, des rabat-joie.Reno partageait cette impression, le visage d’Élisa ayant cessé de luiapparaître au réveil après l'amnésie provoquée par Alsyen. Une petiteétincelle humide essaya bien de lui étreindre la conscience mais soninflexible mentor la souffla sans remord quand il s'en aperçut. De leur côté, les deux copines étaient plus réservées quant à leurs excès.Les hôtes de charme masculins étaient bien moins nombreux que leurséquivalents féminins, et le genre musclé, huilé et épilé ne leur plaisait pasvraiment. Les gars sportifs des FCP suffisaient à leur bonheur, mais seuleÉlisa voulait se garder pour le sien, malgré qu'il ne soit pas venu aurendez-vous, ni à l'heure, ni aux jours suivants. Enfin, aucun point derendez-vous n'était possible à « deviner » sur l'Oasis. Elle espérait que lehasard ferait bien les choses. Si les types de distraction étaient rares, les établissements qui lesproposaient étaient assez nombreux. Il y en avait au moins un pardemi-cylindre. D'autres vaisseaux étaient présents. En particulier desvaisseaux en provenance de Bêta prime, avec des produits terrestres, qu'ils'agisse de biens d'équipements, culturels ou des colons fraîchementrégénérés. On leur posait de multiples questions sur la planète mère, etc'était pour les recrues déjà une source de nouvelles sur ce qu'ils avaientlaissé derrière eux, subjectivement il y a quelques mois, mais depuis

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presque six ans en réalité. Les colons quant à eux découvraient l'espace, bien qu'ils étaient presséspour la plupart de retrouver une terre ferme. Certains savaient sur quelleplanète du système ils allaient aller. D'autres étaient des aventuriers. Ilsavaient toutes leurs richesses sur eux, et pour certains, ce n'était pas grandchose. En théorie aussi, ils ne voulaient rien dépenser pour garder de quois'établir. Mais les entraîneuses étaient là pour les convaincre de voyagerplus léger par la suite. Bref, alors qu'ils dérivaient un peu dans les brumesde l'alcool entre deux recherches d'emploi (ou d'opportunité) surInterplaNet, elles leur vantaient leurs futures richesses pour les inciter àprofiter de l'instant présent. Les plus anciennes, dont le crédit spatials'amenuisait, recherchaient aussi celui qui pourrait leur assurer un avenirplanétaire grâce à ses diplômes, ses amis déjà installés, une richessepersonnelle… Même s'ils étaient en minorité, la station étaient aux mains de sespermanents. Ceux qui y travaillaient quinze ans. Les métiers demaintenance, de sécurité, d'informatique pour le personnel spécifiqued'entretien et de gestion des cylindres, des quais et des entrepôts. Il fallaitcompter aussi tous les employés d'entreprises, de loisirs, de commerce et lepersonnel d'état-major des sociétés minières. Ce ne pouvait être que dessalariés. Les propriétaires des lieux avaient acheté ceux-ci dès laconstruction du cylindre. C'était le plus souvent des intersidérales, cesgrandes sociétés qui avaient les capitaux pour investir dans l'espace plutôtque sur les planètes, où les petites entreprises étaient leurs clients.Quelques aventuriers se faisaient embaucher pour être serveur, cuistot,manœuvre en échange du gîte, du couvert et d'une paie modique, parcequ'ils espéraient mieux avec les rotations de personnels permanents. Maisla plupart se décidaient au bout d'un an ou deux à retrouver une terreferme, ou à s'engager dans le dur travail de méthanier ou de mineur.Quelques uns trouvaient aussi des places dans les vaisseaux qui faisaientrelâche au port et qui n'avaient qu'une vocation interplanétaire. Quoiqu'il en soit, comme pour le « Sun Tzu », les cycles de vie étaientdécalés afin qu'il y ait toujours un lieu où les gens ne dormaient pas ettravaillaient pour recevoir les touristes.

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Le premier réflexe d'un soldat en bordée est de trouver un endroit sympapour boire un coup. Le quartier des loisirs n'offre que des endroits de ce type. Jean-Louis,Reno et leurs deux camarades de chambrée dépassent les premiersétablissements bondés pour profiter d'un peu de calme plus loin. LaCaverne de l'espace, copie modeste d'une taverne quasi homonymique, leurtend les bras. Les filles sont moins jolies mais plus disponibles. Ilss'installent donc à une table de huit, car les filles boivent avec eux mais àleurs frais. Elles n'ont pas droit à l'alcool, mais leur jus d'orange vaut aussicher que le rhum. Comme elles touchent une commission sur chaque verrebu, et pas seulement sur leur verre. Autant dire qu'elles fixent les clients etleur font tenir un rythme assez soutenu. Pour cela, elles ont une vie à rallonge à raconter, un panel de blaguesstupides, plein de conseils utiles à donner, mais surtout des yeuxlangoureux, des mains caressantes, des cuisses alléchantes et des hanchesaccueillantes. Elles n‘hésitent pas non plus à réchauffer les genoux de celui qui seraittenté de se lever pour quitter l'établissement. Leurs parfums capiteux et lerhum font tourner rapidement les têtes, tandis que leur poitrinesemi-apparente attirent de plus en plus les regards de ceux qui cherchentun sein comme oreiller. Deux heures qu'ils sont coincés. Alsyen s'impatiente. Il préféreraitvisiter plutôt que de voir ces niais boire comme des trous et se fairesoutirer leur argent. Les attouchements sont de plus en plus précis mêmes'ils demeurent discrets. Le niveau de la discussion vole au ras de laceinture des pâquerettes. La relève des filles arrive. Celles-ci ne sont pluscensées rester dans l'établissement. Chacune essaie de se faire emmenerpar son client. Le groupe de huit devient trop important tandis que deuxsont vraiment pressés de conclure. Jean-Louis et Reno préfèrent emmenerleurs amies dîner. En échange, sympathiquement, elles leur proposent descachets anti-ébriété afin qu'ils puissent profiter de cette soirée. L'avantage,c'est qu'ils seront dessaoulés avant la partie de jambes en l'air, alors que lesdeux autres vont connaître une rapide déroute. Elles sont comme ça les

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filles. Même les prostituées veulent être respectées. L'inconvénient, c'estque ces cachets sont interdits à la vente. En effet, ils suppriment l'ivressemais n'empêchent pas la nocivité de l'alcool ingéré. En supprimantl'ivresse, ils permettent donc une surconsommation supérieure pour ceuxqui ne savent pas s'arrêter. Reno apprécie de retrouver certaines sensationsun petit quart d'heure plus tard. Alsyen sent bien d'ailleurs que les cachetsn'ont pas entamé sa détermination pour des relations sexuelles prolongéesmultiples et variées en fin de soirée. Élisa et Jenifer ont utilisé leur après-midi différemment. D'abord, ellessont entrées dans un institut de beauté pour profiter de masques anti-acnésur le visage, une coupe de cheveux bleue avec une mèche rose et des soinsd'épilation, de manucure, de maquillage. Elles se font aussi masser et poserquelques tatouages affriolants temporaires. Puis elles sont entrées dans quelques boutiques pour acheter bijoux etsous-vêtements. Leur combinaison spatiale devient ainsi l'écrin devoluptueuses créatures. Élisa joue avec sa nouvelle montre scarabée.L'insecte mécanique n'a que des diamants et autres pierres précieusesd'origine artificielle et les chaînes sont en plaqué or, mais de toute façon,elle ne pourra pas l'utiliser souvent sur le « Sun Tzu ». L'effet sur lapopulation masculine dès qu'elles sortent ainsi dans les coursives estprobant. Les deux coquettes ont le choix de leurs cavaliers si elles ledésirent. Ce succès tourne un peu la tête d’Élisa. Tant pis pour Reno si ellene le croise pas. Elles s'installent dans un établissement de loisirs et nerestent pas seules longtemps. Elles n'ont même pas eu à commander cardeux mineurs ont décidé de tenter leur chance. Elles n'ont rien à débourserpour l'instant. Pas de chance pour Élisa Rapidement, le plus mignon desdeux a trouvé l'ouverture avec Jenifer et l'autre ne la tente pas du tout. Enplus, ils sont déjà légèrement saouls et particulièrement lourds dans leursplaisanteries. Si Jenifer peut répondre à leur pitoyable humour par un rireridicule et bien peu spontané. Élisa n'y parvient pas. On commence à seforcer à rire à table, on finit par faire semblant au lit. Tout ça pour quoi ? Avec Reno, ce ne serait pas la même chose. Ce garçon a de fantastiquesélans du cœur, et s'il est plutôt passif côté drague, c'est certainement àcause de sa timidité et de son respect pour le sexe féminin. Pas comme cebutor, qui lorsque elle fait signe à un employé pour lui demander un

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nouveau jus de fruits s'entend dire qu'une femme ne devrait jamaiscommander, même pas dans un bar. Son doux visage s'assombrit un instant puis elle rétorque qu'on nedevrait pas laisser sortir les mineurs sans surveillance car ils ont tendance àvouloir amuser la galerie avec des blagues de niveau moins dix. Les voilà dégrisés d'un coup. Jenifer essaie de décoincer un peu lasituation avec son rire qu'une otarie reconnaîtrait pour sien, maisfinalement, les deux compères les lâchent assez rapidement une fois leurverre vidé. — Tu as raison, dit Jenifer. Il doit y en avoir de moins idiots. Elles sortent de l'établissement car elles s'estiment grillées sur place.Mieux vaut qu'elle aillent tenter leur chance ailleurs. Elles croisentquelques gars mais aucun de l'unité de Reno et Jean-Louis qui pourrait lesrenseigner. Elles prennent un C'fet avec eux quand même. Il est toujoursbon de se connaître avant que le futur équipage soit constitué. Pendant unebonne heure, la conversation tourne beaucoup autour de leurs aventurespersonnelles depuis qu'ils se sont engagés. Ils ne parlent pas de leurenfance ou de la Terre. C'est comme s'ils étaient nés, il y a quelques mois. Encore une fois,Élisa se renfrogne car sa chère copine raconte une de ses mésaventuresqu'elle aurait préféré oublier. Une histoire qui maintenant risque la suivre àtravers les millions de kilomètres de l'espace. Les garçons ne risquent pasd'oublier cette histoire de la culotte impossible à changer durant unesemaine de terrain parce qu'elle avait oublié au départ de mettre le linge derechange dans son sac. De nuit, elle avait voulu la laver discrètement avecl'eau de sa gourde et du savon aux abords du bivouac. Mais c'était la nuitde l'attaque du bivouac. Elle avait donc été capturée la première et avaitperdu la culotte durant la bataille. Elle n'en avait parlé à personne sur lemoment et était restée fesses nues sous la combinaison durant le reste de lamanœuvre, soit encore trois jours. Deux semaines plus tard, confidence àla mauvaise copine, et patatras toute la section était au courant avant la findu cycle. Même les gradées de la section, elle en était sûre, mais elle n'allait pasleur demander.

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Cette fois, au retour sur le « Sun Tzu », l'Amiral lui-même sera aucourant qu'elle est la recrue de son vaisseau école capable de perdre saseule culotte sur le terrain. Sa gêne lui donne de belles couleurs mais cette fois, les regards sontplus égrillards que moqueurs. En voulant se mettre en avant, Jenifer en faitn'a réussi qu'à donner une mauvaise impression d'elle-même et apporter del'intérêt à sa copine. Élisa en rajoute donc en disant qu'il était pour elle hors de questionqu'une culotte, aussi sexy soit-elle, reste soudée sur sa propriétaire et ilsprennent cela pour une invite. Certains en viennent ainsi à douter de lavéracité de l'histoire qui en devient un mythe inventé par les filles pour lesémoustiller. Au final, elles repartent avec trois copains pour une petite séance delaser-game en apesanteur au centre du cylindre. Dans un espace de vingtmètres de diamètre sur quarante mètres de long avec de multiples cloisonsqui protègent dans une direction mais qui laissent vulnérable dans l'autre,trois équipes de huit doivent marquer des points en blastant les équipesadverses, dans une semi-obscurité obtenue avec des lumières tamisées, traversée par des flashs violents et irréguliers. L'ambiance est survoltée parune musique obsédante, inquiétante, et rapide. Pour se déplacer, il faututiliser son sac à dos qui permet, grâce à six jets de gaz, de progresser danstoutes les directions pour surprendre un adversaire ou échapper à des tirs. Le corps à corps est interdit pour blaster un adversaire, mais certainsbinômes s'organisent. Un joueur prend un de ses camarades par la taille ets'occupe des déplacements . L'autre tire sur les autres joueurs. Ce n'est pasvraiment plus efficace pour l'équipe, mais beaucoup de binômes sont enréalité des couples, plus où moins temporaires. Élisa se laisse faire. Le garçon est sympa et elle pense à Reno. Lui estaux anges, enfin, jusqu'au moment où il abuse de la situation pourl'embrasser dans le cou. Il reçoit un bon coup dans les côtes qui lui coupele souffle et elle lui rappelle son rôle tout en indiquant qu'elle n'est pasrancunière en serrant son bras contre elle pour qu'il ne lâche pas sa prise(L'autre bras lui permet de les diriger par rotation du poignet dans lequel ilserre le joystick de commande des gaz). À la fin du jeu, elle se retourne etl'embrasse gentiment sur la joue par surprise avec un sourire. L'honneur est

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sauf et ils ressortent comme les deux camarades qu'ils étaient en entrant.

* * *

Reno et Jean-louis entrent avec leurs accompagnatrices dans le hall ducasino. Il ne s'agit en fait que d'un bar, avec un dancing et des machines àsous. On y achète des jetons en nickel afin que les jack-pots soient aussibruyants que traditionnellement. Il n'est pas besoin de jouer beaucoup pours'amuser. En fait, la dépense maximale possible au jeu en une soirée estpeu élevée. Donc, les probabilités pour perdre ne sont que légèrementsupérieures à celles de gagner. Il s'agit d'un divertissement. Il est aussipossible de jouer au poker entre clients, mais seulement avec des jetons. Ily a surtout un petit numéro de music-hall d'une durée de trois quartsd'heure qui se répète toutes les trois heures. C'est ce numéro qu'ils viennentvoir. Le one-man-show désopilant raconte l'histoire d'un colon un peusimplet, en manque de femme, tenté par tous les animaux de sa ferme etqui réinvente avec chaque espèce une espèce de Kamasutra improbableplutôt grivois. Il ne fait pas dans la dentelle et sert d'exutoire à tous lescélibataires de la station. Autant dire qu'à la fin, quand autour d'un verre les accompagnatricesproposent leurs prestations, leurs clients sont tentés par le forfait toutcompris et plus si affinités. La fille un peu lourdaude et limite vulgaire del'après-midi s'est transformée en ange de la nuit aux yeux de Reno et augrand désespoir d'Alsyen. C'est la vieille poule qui va plumer le pigeon. La chambre d'hôtel n'est qu'une cabine de dix mètres carrés. Un grandlit, une apesanteur très réduite, des miroirs et des poignées pour s'accrocherpartout. Avec des petits dessins aux murs pour donner des idéesd'utilisation. La fille a en plus une robe très aérienne, soyeuse et quand ellese met dans le courant d'air, des petits pans se soulèvent et laissentapparaître sa peau. Des jeux de lumière envoûtants sont aussi prévus et lafille manie la télécommande des effets spéciaux avec art. Reno entre dans la danse et Alsyen décide d'aller faire un tour. Depuisune petite demi-heure, il a un vague pressentiment. Il décide d'en avoir le cœur net et se dirige vers les parois extérieures ducylindre.

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La population du cylindre est dans son cycle nocturne tardif. Il y règneun silence relatif. C'est dans ce silence qu'Alsyen sent une présencetélépathique connue. Un de ses nombreux frères est dans les parages. Laliaison se cale en quelques nanosecondes. — Alsyen ? C'est Thornott ! Comment vas tu ? — Vous m'avez retrouvé. C'est incroyable. Je vais bien. — Nous étions si inquiets pour toi et Glyon . — Glyon est mort. — Quelle tristesse ! — Une erreur de jugement regrettable. Comment avez vous fait pour meretrouver ? — Le vaisseau est rentré sans vous, et le pilote automatique avaitconservé votre lieu d'atterrissage. Il avait en plus détecté le vaisseau spatialen orbite. Grâce à la signature de sa trace radioactive, nous avons pu lesuivre jusqu'ici. Nous venons te chercher. — Non. — Pourquoi ? — Primo, avec les lois que j'ai enfreintes, je vais avoir de sérieuxennuis. — Notre père arrangera ça. — Glyon est mort. J'en suis responsable. — Fuir n'amènera rien. — Je sais. Mais je veux aussi rester. — Une fois que tu seras à bord du vaisseau de guerre, nous ne pourronsplus rien pour toi. — Il faut quand même que vous me fassiez parvenir une balise pour quevous puissiez me suivre. — Pourquoi ? — Nous allons partir pour un secteur de l'espace que j'ignore. Le trajetva se faire par un système de désintégration-régénération. Ils n'ont trouvéque ça pour voyager presque à la vitesse de la lumière. Là où ils vont, il y ades struves. Ils en ont capturé une. Actuellement, s'ils rencontrent cetteespèce, ils sont condamnés. — Les guerres entres espèces inférieures ne nous intéressent pas.

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— Les hommes ont du potentiel. Ils ont aussi des choses à nousapprendre. — Ce sont surtout des sauvages. Ils se font la guerre entre eux. — Pas tous. Ils ne sont pas les enfants d'une même tribu. — Nous n'avons pas le droit d'aider des espèces inférieures qui ont deslogiques de guerre expansionnistes. — Les hommes ne sont pas des struves. Ils ont la conscience du bien etdu mal. — Leur contact t'a perverti. — Lis en moi. Tu verras qu'il n'en est rien. — Tu as mangé une proie que tu as tuée. — Pour survivre et j'ai été attaqué. Je ne pourrai mentir à mon retour. Sinotre race me condamne, je le comprendrai. — Que vas-tu faire ? — Faire la guerre contre les struves à leur côté, mais discrètement.D'ailleurs, que l'une ou l'autre espèce gagne vous indiffère. — Nous sommes invisibles à leur vue et à leurs radars grâce à notreécran. Combien de temps seras-tu sur cette base ? — Je pars dans douze heures. — Ta décision ? — Est irrévocable. J'ai un nouveau Zymbreke et ami même s'il ne le saitpas vraiment. — Comment t'envoyer la balise ? As-tu besoin d'autre chose ? — Mettez la balise et un petit kit de survie d'un demi-litre au maximumdans un sac magnétique caché sous le flanc de la barge immatriculéeIMZTNX248. Arrivé sur le vaisseau de guerre, j'échapperai un instant àmon Zymbreke et j'irai le récupérer. — Bien. Bonne route mon frère. — Nous nous reverrons peut-être. Je croyais déjà t'avoir perdu. — Si tu changes d'avis, envoie un signal mental de détresse. Nous allonsrester dans les parages jusqu'à ton embarquement. — Merci Thornott. — Prend soin de toi. — Toi aussi. Et rassure nos parents. Je vais vivre autre chose que ce quela tradition avait prévu pour moi.

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— Peut-être. Mais à quel prix ? — Celui d'une vie. Alsyen coupe la conversation. Cette échange lui a été si fort. Mais il doitrenoncer à toute idée de retourner chez lui. Il ne l'a jamais expriméjusqu'alors. Son idée de s'échapper était non seulement irréaliste, maissurtout vaine. Rien ne l'attend en dehors de Reno. Il se lie corps et âme à lacause des hommes. Par un engagement personnel, mais aussi pour le choixd'une autre vie, plus rude, plus aventureuse, plus stimulante que la vie den'importe quel Niumi, né dans la sécurité au sein d'une espèce dominanteau sommet de sa maturité intellectuelle, alliée à d'autres espèces ayant desconnaissances technologiques supérieures. « Scipion, soldat d'élite des FCP » Alsyen sourit intérieurement à cetteidée. Il y a quelques temps, il l'aurait trouvée ridicule.

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Jenifer a loué une alvéole pour deux et s'y est réfugiée avec un pilote denavette, rencontré au bar après qu'elles aient pris congé de leurs camaradesdes FCP. Élisa a préféré finir la soirée dans son coin. Elle en veut un peu àReno de l'avoir laissée seule. Dans son alvéole individuelle, elle est vitelassée des vidéos proposées aux clients. Il y a un Neurovid dans uncompartiment mural. Tentée car frustrée, elle se résout à l'utiliser malgréles interdits. Au bout de quelques minutes, son rythme cardiaque s'estaccéléré, elle respire à pleins poumons et son corps est parcourud'agréables frissons qui petit à petit l'entraînent vers un tourbillon dedélices.

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Reno a largement été à la hauteur, bien qu'il ait raison de douter de lasincérité de la fille dont le travail du soir n'a pas été désagréable mais qui adepuis longtemps oublié que le plaisir avait été créé pour deux au moins.Consciencieuse, elle a initié Reno a quelques pratiques qui pourront luiservir plus tard, et lui a fait profiter de sensations inédites pour un jeunot.C'est un type bien sur tout rapport, pourrait plaisanter une amante conquisedevant ses parents.

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Reno se réveille et constate l'absence de la fille. Il allume sa lampe dechevet, se lève, vérifie ses quelques affaires. Tout est là. Rassuré, il serecouche, non sans avoir eu un regard affectueux pour Alsyen, revenudepuis peu, et qu'il a réveillé à s'agiter ainsi. Il éteint la lampe mais cettefois Morphée l'ignore. Reno cogite dans l'obscurité. Il comprend vite ceque d'autres essaieront d'ignorer toute leur vie. En s'engageant, il a aussilaissé l'amour vrai derrière lui. L'amour a besoin de stabilité pours'épanouir. Il n'a aucun avenir à proposer à ses rencontres. C'est la solitudeau pied de son lit maintenant froid qui s'offre à lui. Son cœur se glace.L'amour, jamais, mais cela ne nuira pas au sexe. Néanmoins, Reno ne peuts'empêcher de penser à sa famille. Avec les décalages dus aux transferts, cesont peut-être les arrière-arrière-petits enfants de son frère qui recevront lanouvelle de sa mort. Il ne les reverra pas. Aucun. Sur Bêta prime, il y auraenviron six mois de courrier, de courrier déjà vieux de plus de cinq ans. Il se promet ces jours prochains de leur demander d'envoyerrégulièrement des photos, des petits films. Il se promet de leur écrire à tousqu'il les aime. Il ne va leur donner que des bonnes nouvelles, comme quoiil a bien réussi, qu'il a une belle vie, et qu'il ne les oublie pas pour autant.Lui aussi va prendre quelques photos. Il regrette de ne pas y avoir pensésur Bêta 006. Il va leur présenter Scipion… Alsyen sentant qu'on pense à lui se connecte sur Reno et peut suivrel'évolution de ses états d'âmes. Lui ne fait pas tout à fait les mêmessacrifices car sa race possède une très longue longévité. De plus, ses parents sont encore très jeunes, et un long transfert par lesméthodes des humains ne lui fera pas perdre la même chose. Néanmoins,lui aussi vient de choisir de s'éloigner de son foyer et il apprécie que Renovoit en lui une présence agréable, même si c'est un amour pour uncamarade de jeu du niveau animal de compagnie. Reno repense à ce qu'il attend. Solitaire, il sent bien que sans ami, ilrisque devenir fou. De l'autre, il est vrai que les divertissements d'un soldaten bordée sont plutôt limités. Il se remémore toutes ses expériences qu'il adéjà vécues. Depuis Bêta 112, ce n'est plus aussi subi qu'au départ. Ilcommence à aimer l'aventure et le dépassement de soi. Jamais sur terre, iln'aurait pu faire tout ce qu'il a fait : plongée, parachutisme, raids…dans desconditions extrêmes. Et puis, l'espace est assez envoûtant, il rencontre des

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gens hors du commun terrestre. De toute façon, hors période de crise, rienne l'empêche de terminer un contrat et de devenir colon pour fonder unefamille tant qu'il en est encore temps. Ce qu'il ne sait pas encore, c'est que le temps passe si vite et qu'un jour,on peut rester prisonnier du choix de ses vingts ans.

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Reno et Jean-Louis se racontent leur nuit d'enfer dans un bar sansaccompagnatrice. Entre garçons, ils rient de jour de ce qu'ils faisaient leplus sérieusement du monde la nuit. Ils sont fatigués et ont pris quelquescachets autorisés pour soulager leur foie. Ils boivent du thé froid, meilleurpour leur santé. Jenifer et Élisa sont entre filles. Elles sont plutôt nature ce matin et ontles traits tirés. Élisa n'ose pas parler de sa nuit alors que Jenifer est plusdiserte. Elle vont retourner se faire refaire une beauté, puis elles mangerontun peu plus gastronomique qu'à l'ordinaire. Ça les changera des menus du« Sun Tzu ». Les cadres du « Sun Tzu » ont organisé un repas commun dans unétablissement de loisirs spécialement loué pour l 'occasion. Pasd'accompagnatrices au menu. L'Amiral à l'issue de la formation veutféliciter et remotiver ses troupes. Il a aussi des infos à partager. ErickDombass et quelques vétérans sont arrivés en avance pour s'occuper de lasécurité et s'assurer que l'intendance suit pour que tout soit prêt à l'heure. Sur Bêta 069, à part quelques volontaires qui en ont bien profité la veilleet qui sont de quart sur le « Sun Tzu », l'ensemble de l'équipage comptebien profiter de ce dernier cycle de détente avant le départ pour le cercleextérieur. À l'heure de l'apéritif, sacré en vacances, Reno et Jean-Louis ont finileurs emplettes. Pour se dérouiller, Reno propose à Jean-Louis un petit jeuvidéo. Une cabine pour devenir « Chasseur de l'espace » est libre. Reno s'yintroduit avec Alsyen, ajuste son siège, son tableau de bord, saconfiguration et attaque le niveau un.

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Jenifer et Élisa rient de leur crédulité. Elles ont commandé des metssavoureux à des prix tout à fait corrects. Le serveur vient de leur ramenerde la nourriture synthétique. Elles vont donc manger du poisson, du crabe,des fruits de mer, de la grenouil le, du rhinocéros laineux, deschampignons, du caviar, du foie gras, mais aussi des légumes sous formede petits carrés ou de boulettes arrosés de sauces colorées aux arômesartificiels. La présentation est très artistique et la consistance agréable à mâcher.Certains cubes sont fourrés avec des goûts nouveaux qui éclatent sous lepalais. Finalement, c'est excellent. Chaque bouchée est raffinée et lagastronomie spatiale est concurrentielle des méthodes plus traditionnellesqu'elles ont connues sur terre. C'est quand même bien meilleur que lesbeignets frits synthétiques, les sandwichs, les biscuits et les ersatz douteuxqu'elles ont testé la veille entre deux verres.

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Les cadres du « Sun Tzu » ont aussi ce genre de plats au menu, arrosésnéanmoins de vins naturels. L'ambiance est bonne mais la mine de l'Amiralest grave et personne n'ose lui demander pourquoi. Il n'a rien dit dans sondiscours de bienvenue, sinon « Amusez-vous ». Tant qu'il sera là, personnene se permettra de s'absenter et d'aller se divertir ailleurs. Les vétéranschantent quelques chansons, tantôt paillardes, tantôt traditionnelles. Il y estquestion de filles qu'on a quittées, de Madelons, comme de mèresmaquerelles. Il y a aussi des chansons sur les vaisseaux qui ontmystérieusement disparus, les planètes qui ont coûté la vie à bien descamarades, l'enthousiasme des jeunes qui partent droit devant sans espoirde retour mais le plus loin possible… Il y a de la gaîté, mais aussi del'émotion, de la nostalgie, du mystère. Les cadres se mêlent à leurs chantsquand ils en connaissent les paroles. Il y a aussi des chansons du folklorecolon. L'histoire de cette femme qui part cinq ans après en espérantretrouver son mari riche. Mais c'est un estropié des mines et il mendie à lasortie des établissement de loisir. Elle devient accompagnatrice et le rejointchaque nuit, après son dernier client.

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L'Amiral reçoit un appel du « Sun Tzu ». Il demande à ce qu'on activel'écran géant de la salle. Le sergent Coll reconnaît Reno dans une petite incrustation en bas àdroite. Le reste de l'écran est occupé par un spectacle dantesque. En bas, onpeut lire que ce joueur depuis quatre heures, repousse les hordes ennemiesavec brio et qu'il est détenteur du meilleur score de B-069 depuis un quartd'heure. Reno joue sur un simulateur de chasseur conforme avec une futureréalité. Il n'est en effet pas encore construit et les ingénieurs s'inspirent desmodifications que les joueurs font subir à l'ergonomie de l'habitacle et àdes paramètres tels que l'écartement des réacteurs, les commandes duchasseur, le placement des canons sur les ailes latérales. Reno, fortementinspiré par Alsyen, a choisi une configuration très efficace. En cours dejeu, en fonction de la mission, il a réalisé trois type de chasseurs basés surle même réacteur et un noyau dur de la carcasse. Les ingénieurs en sontassez estomaqués. Ce type doit avoir la chasse dans le sang. La maniabilité du petit chasseur semble parfaite à l'écran, mais le piloted'essai sur le « Sun Tzu » qui le teste sur le même logiciel ne parvient pas àle maîtriser. Sauf en durcissant les commandes, ce qui en limite l'efficacité.Mais c'est une piste. Chaque pilote devra pouvoir régler ses paramètres etenregistrer sa config sur chaque chasseur ou avoir une sauvegarde sur lui àl'embarquement. En cours de jeu, le niveau de force des adversaires augmente. Au départégal au tiers des performances d'un chasseur classique, il en estactuellement à cinq fois plus et ils ont adopté une logique de groupe pourtraquer un chasseur isolé. Reno est obligé de tirer sur ses ennemis tout en ayant lui-même unetrajectoire désordonnée. Il lui faut en même temps supprimer les missilesfire and forget qui sont attirés par la chaleur de ses réacteurs. Enfin, il doitenvoyer le maximum de coups au but sur un vaisseau spatial ennemigigantesque avec des zones sensibles en évitant le tir de ses canons deproximité. Chaque seconde de survie semble un miracle, car il composeavec une trentaine de départ de coup toutes les cinq secondes sous desangles et des distances différentes. Il a un aileron noirci à son extrémité, et

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des traces de brûlure sur la carrosserie, vestiges d'une explosion un peutrop proche. Dans la sa l le , chaque ennemi abat tu susci te desapplaudissements et des cris de joie, d'encouragement et d'admiration.Soudain, une vague de nouveaux chasseurs apparaît. Ils sont plus d'unecentaine. Les gens sifflent. C'est de la triche. À l'écran, les chasseurs quiharcelaient Reno se sont enfuis. La réaction de Reno ne se fait pas attendre. Il se dirige vers le vaisseaugéant, objet de la mission et le bombarde au maximum. Le jeu s'arrêtealors. Il a eu la bonne réaction en ne se précipitant pas au devant deschasseurs contre lesquels il n'avait aucune chance et a choisi ce qui pouvaitêtre le plus efficace contre l'ennemi. Au restaurant, Élisa a pu voir Reno elle aussi. D'abord surprise, elle aensuite éprouvé une vive sensation de désir pour le retrouver. Elle a suivila retransmission jusqu'au bout. Il y avait en incrustation le nom del'établissement propriétaire de la cabine de jeu publique. Il n'est qu'à cinqcylindres. Jenifer ne veut pas y aller. Elle ne comprend pas l'obstination desa copine et a rendez-vous avec sa connaissance de la veille. Élisa part donc seule. Elle ne remarque pas deux hommes qui se lèventpour la suivre. Reno ressort après quatre heures et demi de jeu, complètement épuisé. Ilne comprend qu'il a fait le spectacle qu'au nombre de clients qui entourentla cabine et l'acclament. Après avoir serré quelques mains, bu quelquesverres, le nombre d'inconnus qui veulent le féliciter diminue et il peut enfinmanger tranquille avec Jean-Louis. Le patron lui sert ce qu'il a de meilleur.Dans la cabine, d'autres joueurs se succèdent en testant les configurationsqu'il a enregistrées. Alsyen sourit intérieurement. Ce premier coup depouce à la technologie humaine peut être décisif.

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La fin du repas cohésion approche. L'Amiral demande la parole. Il aappris une nouvelle importante qui concerne tout le monde sur le « SunTzu ». Il n'y aura pas de choix d'orientation à Bêta prime. À part les« échecs physiques », tout le monde partira pour le cercle extérieur. Lescadres pourront envoyer des messages aux membres de leurs familles

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encore vivants sur terre avant le départ. Les recrues ne doivent pas être aucourant avant le rembarquement sur le « Sun Tzu » pour éviter lesdésertions en plus grand nombre que la simple évaporation classique. Les supputations vont bon train mais l'Amiral ne donne pas plus dedétails. Les cadres comprennent que la situation est exceptionnelle et qu'ilsn'en sauront pas plus. L'Amiral a déjà eu beaucoup de confiance en euxpour les prévenir afin qu'ils puissent prendre les dispositions nécessaires àtemps. Ils en sont reconnaissants bien qu'inquiets.

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Quand Élisa arrive au restaurant, elle peut voir Reno bien entouré. Ilembrasse une brune ténébreuse et ne s'interrompt pas en l'apercevant. Elle s'approche et il reste totalement de marbre à son dépit qu'ellemasque au maximum. Alsyen est intrigué. Élisa est parcourue à la fois derage, de colère mais aussi de désirs sexuels qui ne lui ressemblent pas.Surtout, il reconnaît la brûlure psychique d'un Neurovid sur sonhémisphère gauche. Il est aussi alerté par les deux hommes qui viennentd'entrer et qui observent Élisa. Ils la suivent comme une proie. Ils ont desales intentions envers elle. Quand Élisa décide de fuir en courant un Renoqui la dégoûte, ils s'écartent puis lui emboîtent le pas. Reno regardeJean-Louis, interrogateur. Aucun des deux n'y a rien compris. Reno seconsacre à nouveau à l'accompagnatrice. Alsyen décide d'agir. Il se sentcoupable de ce qui se passe à cinquante mètres de là. Ils l'ont rattrapée.L'un d'eux vient de lui coller un disque sur la tempe qui à le même effetqu'un Neurovid. Elle ne résiste pas. Alsyen rend en vitesse à Reno lessentiments qu'il a éprouvés pour elle quelques jours auparavant, et activetous ses indicateurs de danger. Le jeune homme se précipite alors à sontour vers la sortie et Alsyen lui suggère la bonne direction. Jean-Louis nesuit pas immédiatement. Il passe d'abord à la caisse. Reno s'engouffre dans une travée sombre d'entretien, perpendiculaireaux larges couloirs de promenade. Il aperçoit les deux ombres quienserrent une troisième plus petite. Ils sont en train de lui ôter sacombinaison de soldat. Ils ont pour elle une combinaison d'agent deservice. Alsyen charge Reno de rage afin qu'il attaque sans poser dequestion. Les séances d'entraînement font merveille. Reno se débarrasse en

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moins de vingt secondes de son premier adversaire par un fort coup depied au plexus, heureusement amorti par les bras de celui-ci qui s'était misen garde. Il en reste choqué et évanoui, mais il s'en réveillera. L'autre sort unelame, abandonnant sa victime pantelante qui choit sur le sol comme un sacvide. Reno esquive une fois, deux fois puis parvient à saisir le poignet dutruand, le brise sans pitié, tord le bras, lui déboîte l'épaule. L'homme crie.Reno le fait taire d'un coup à la tête, porté avec le pied mais mesuré cettefois. Puis il s'occupe d’Élisa. Elle pleure doucement, tandis qu'Alsyen luiadministre les premiers soins psychiques. Ses lèvres tremblent mais neparviennent pas à articuler. Reno rajuste sa combinaison alors qu'elle estencore à terre. Puis il la lève, passe son bras au dessus de son cou enmaintenant sa main et la soutient avec son autre bras passé derrière son doset sous son aisselle. Elle s'abandonne contre lui, à moitié évanouie,marchant comme un zombie. Une fois retournés au couloir central, ilsretrouvent Jean-Louis. — Nous allons nous coucher. Elle a besoin de repos, dit Reno. — Et bien bonne nuit. T'inquiète pas pour moi. Ta brune là-bas m'a ditde revenir si je ne te retrouvais pas. — Amuse-toi bien ! — J'y compte. — Ne t'inquiète pas pour Élisa Elle a l'air d'aller mieux. — Je ne m'inquiétais pas. Prends en soin. Je la trouve quand même unpeu pâlichonne. — Je n'y manquerai pas. Une enseigne lumineuse accueille Reno, qui doit négocier avec le patronqui ne veut pas d'un animal comme Alsyen dans ses chambres-alvéoles.Cela lui vaut une rallonge mais il peut enfin poser Élisa qui s'endortcomme une masse. Alsyen décide qu'il en a assez fait et de ne pasremodifier les psychés des deux jeunes tourtereaux. De toute façon, ce n'est pas encore ce soir qu'ils vont pouvoirconsommer. Reno sait qu’Élisa ne lui en voudra pas et ose alors ladéshabiller pour la glisser dans le lit. Mais il la contemple un instant, dansses magnifiques sous-vêtements, avec ses tatouages dont un petit cœur, au

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dessus du sein gauche. Il la recouvre ensuite tendrement avec le drap etembrasse sa joue avant de se préparer lui même pour dormir à son côté. — Mince,pense t-il amusé, elle est sur mon côté habituel.

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Le « Sun Tzu » est amarré à la station Bêta Prime. Reno effectue avec lesergent Coll toutes les dernières réintégrations de la section. Les recrues nepeuvent conserver que quatre kilos d'effets personnels et une seule tenue,celle qu'ils portent, avant le départ pour le transmetteur. Les quatre kilos iront dans la « soute à bagage » tandis qu'eux seprésenteront quasi nus pour le voyage. Alsyen a eu un mal fou à dispatcherses propres bagages que lui a procuré son frère entre les affaires de Reno etcelles de quelques uns de ses camarades. Durant le voyage entre B-069 et Bêta Prime, ils n'ont cessé de récurer etremettre en état le vaisseau. La tension était parfois à son comble etquelques bagarres ont éclaté ici ou là. Certains se voyaient déjà recalés.D'autres réglaient des comptes avant de perdre de vue certains mauvaiscamarades. Et puis surtout, il y avait cette incertitude et personne ne devaitrester inactif pour y penser. Autre moment important. Ils ont tous écrit du courrier qu'ils vontpouvoir physiquement envoyer à leurs familles. Ils vont surtout enrecevoir. Le lien avec la Terre commence à peser sur leur moral alors qu'ilsvont encore plus le distendre avec le prochain départ. Une nuit, Reno a pu revoir Élisa. Alsyen a utilisé le même stratagèmeque la fois dernière. Une petite demi-heure seulement mais ils ont pu sedire au revoir. Ils espèrent tout deux être sélectionnés, mais il est vrai queles résultats d’Élisa, si on en croit ce qu'elle en pense, ne doivent guère êtrebrillants. Reno lui pense toujours que Caubard lui en veut. Il n'est donc passûr de ne pas avoir quelque part une mauvaise note éliminatoire. Ilsregrettent de s'être ainsi manqués sur B-069. Reno ne comprend pas cetteamnésie, tandis qu’Élisa fait mine de le croire. Néanmoins, elle doit à Reno de ne pas être prisonnière de sadiques oud'un rade clandestin sur B-069. Alsyen a d'ailleurs profité de cette entrevue

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pour soigner encore quelques pulsions latentes dues au Neurovid, mais iln'a pas osé trop y toucher non plus car l'amoureuse était en proie à defortes émotions même si elle en laissait peu paraître à son compagnon plusfataliste. Les deux jeunes gens se sont quand même un peu découverts surB-069 au réveil, contrairement à celui de B-006. Mais aucun n'a oséexprimer de sentiments durables à l'autre. Puis c'est le débarquement, par une porte étanche donnant sur un tunnelsouple vers la base qui surplombe les aires de transit vers les transmetteurs.Un autre équipage, d'autres recrues vont bientôt embarquer et faire lemême voyage. Ils rejoignent en silence de grands hangars où ils sont réunis à plus decent. C'est dur pour eux de quitter ce vaisseau qui était quasiment leurnouvelle maison. Reno est appelé, avec quelques autres. Tous en sontdépités. Ils vont rater la remise du courrier. Ils sont même assez abattus.Reno glisse un « au revoir » à Jean-Louis. Il pense faire partie des exclus.C'est évident. Les deux camarades se séparent avec émotion. Si c'est le cas,ils ne se reverront sans doute jamais. Ils sont conduits dans une grande salle, où les attendent les vétérans. Il yrègne une bonne ambiance. L'Amiral doit les recevoir. Dombass se dirigevers Reno et Alsyen. Reno se met à rêver d'une promotion finalement. Unpeu de C'Fet, quelques biscuits et son moral remonte. Il remarquecependant que les recrues qui passent chez l'Amiral ne réapparaissentpas… Lorsque son tour vient, Dombass conserve Alsyen avec lui en souriant.« Je te le rends tout à l'heure ». Alsyen sent de la tristesse chez Dombass,mais il ne ment pas. Il en est intrigué. Reno s'éloigne, se remémorant in petto la manière dese présenter dans le bureau d'un amiral. Pas de mouvement brusquesurtout, car l'apesanteur peut jouer des tours. Reno aperçoit le voyantau-dessus de la porte passer du rouge au vert, il peut entrer, referme laporte, fait face à l'Amiral qui ne le laisse pas parler. — Asseyez-vous mon garçon, nous avons des choses à nous dire. — À vos ordres Monsieur. — Je suis très satisfait de vos résultats. Je pense que vous êtes uneexcellente recrue. J'espère que vous êtes toujours volontaire pour partir

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avec nous vers le cercle extérieur. — Oui Monsieur. — Vous vous êtes engagé il y a aujourd'hui presque sept ans. Vous avezpassés trois mois de formation en Sibérie. — Oui Monsieur. — Un bon souvenir ? — Pas tout à fait Monsieur. — C'est un peu fait exprès. Nous décourageons ainsi tout ceux quin'auraient pas l'étoffe pour entreprendre le grand voyage. Et puis, si onpense à la Terre, en se rappelant ce passage, c'est quelque chose qui vousrend heureux d'être là où vous êtes. Néanmoins, avec le temps, même laSibérie finira par vous manquer. — Je ne pense pas Monsieur. — Vous verrez bien. Ensuite, vous avez intégré la section Caubard. Desdébuts laborieux. — J'ai changé Monsieur. — Oui, énormément en fait. Il semble que la présence d'un compagnonvous a aidé à vous réaliser, puis à vous aider à aller vers les autres. De là,une amélioration de votre mental et …un désir d'apprendre. Très fort. — C'est venu tout seul Monsieur. Je n'ai jamais réussi à apprendre ainsiavant. — Votre environnement d'alors ne s'y prêtait peut-être pas. Quoi qu'il enso i t l e s r é su l t a t s son t l à , e t j e vous p rome t s un be l aven i r .Malheureusement, ce n'est pas pour cela que je vous ai fait venir mongarçon. — ... ? — Durant ces six ans, les choses ont changé sur Terre, et il y a un mois,nous avons appris que votre mère était morte quelques mois après votredépart pour le Cercle Bêta. J'en suis fortement peiné pour vous. La vue de Reno se trouble. Il ferme ses yeux humides et garde la gorgeserrée. Il ne veut pas montrer sa douleur à l'amiral. — Vous pouvez sortir mon garçon. Un de vos camarades vous attendavec votre courrier. Je suis désolé d'avoir eu à vous apprendre cettenouvelle. Mais nous n'avons pas voulu que vous l'appreniez par un courriervieux de six ans. Reno sort. L'amiral appuie sur un bouton, pour prévenir

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d'aller chercher le suivant. Il en profite pour sortir une bouteille du tiroir deson bureau et boit une gorgée d'alcool. Bon sang, qu'il déteste ce boulotaujourd'hui. Il parcourt la fiche du suivant… Dombass est là, avec le courrier et Alsyen. D'emblée, celui-ci peut liretoute sa peine. Dans un premier réflexe, il va pour atténuer celle-ci mais seravise. Il est des expériences indispensables dans la vie d'un homme. Nuln'a le droit de les lui confisquer. Dombass prend Reno par l'épaule. — Voilà ton courrier. Tu as peu de temps pour le lire même si tu vas leretrouver à notre « gare » d'arrivée. Courage camarade. Si tu veux parler, jelis mon courrier à tes côtés. — Ça va aller, articule tant bien que mal Reno. Dans cette grande salle, ils sont bien peu nombreux à s'isoler de part etd'autre, seuls avec leur chagrin. Parfois, un courrier plus gai leur arracheun vilain sourire, vite effacé. Quelques soupirs, peu de pleurs déchirentparfois un froid silence. Quand Reno a fini de lire et relire son courrier, de revivre sous la plumede son père, son frère et ses deux sœurs de douloureux moments, commequelques bons, il a encore une bonne heure avant de rejoindre les salles dedépart. Il lit alors une des lettres qu'il a mises à l'écart. Une seule. Deslettres de sa mère, il ne lit que la dernière. Il se sent coupable de tout cetamour qu'une dernière fois elle lui prodigue, lui cachant ses douleurs duesà la maladie, taisant sa souffrance de le savoir si loin pour mieuxl'encourager à aller de l'avant. Il ferme les yeux, pense à la Terre. La vie y continue, mais le temps qu'ily retourne si finalement il rentre, plus de douze ans se seront écoulés entreson arrivée et la mort de sa mère. Si cela se trouve, il y aura encore demauvaises nouvelles, mais sinon, ils ne seront plus en deuil depuislongtemps. Quand il arrivera sur le cercle extérieur, il recevra des lettres quidateront de un an et quelques mois après son départ terrestre, mais en fait,elle dateront de trente-quatre ans pour ceux qui les ont envoyées. Quand illes recevra, d'autres seront morts mais il lui faudra encore quelques annéesavant de l'apprendre. Le courrier qu'il vient d'envoyer pour la terre arriveradans six ans, et il n'en recevra une réponse éventuelle que dans douze ansde son temps à lui, sauf s'il voyage sous forme dématérialisée dans cet

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intervalle. Un vrai casse-tête. Il écrit donc quelques lignes pour rassurer sur son sort, pour les assurerde son amour familial et pour leur souhaiter une vie heureuse, en espéranttoujours recevoir des nouvelles même si elles dateront un peu, car pour lui,ils sont à jamais dans son cœur. Alsyen soupire un peu lui aussi. Il doit manquer aux siens. A-t-il pris labonne décision ? Dombass les tire de leur réflexion. « Il faut y aller ». Reno ose poser unequestion qui lui brûle les lèvres. Reverra t-il Jean-Louis, et puis une filleappelée Eli… — Tu vas revoir tout le monde. Nous avons besoin de vous tous dans lesFCP. Faire la queue, puis se déshabiller dans une des multiples cabines,enfiler une sorte de sac plastique noir pour se couvrir. Reno sent l'aiguillede l'infirmière s'enfoncer dans son bras. Il pense à Élisa, caresse le poild'Alsyen. Puis on l'allonge sur une civière. Il est amené dans la salle detransit occupée par des centaines de lits. Il ne reconnaît personne. À côté,Alsyen plus petit s'est déjà endormi. Reno rêve déjà d'aventures plusextraordinaires encore. Et les ténèbres froides se referment sur lui.

À suivre...

Cycle Bêta : mobilisation

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© Frédéric Fabri – 2008

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