France RUBRIQUE Premiere

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PAYS :France PAGE(S) :1;18 SURFACE :65 % PERIODICITE :Quotidien RUBRIQUE :Premiere page DIFFUSION :275310 JOURNALISTE :Fabienne Darge 20 juillet 2021 - N°23803 Tous droits de reproduction réservés

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“Misericordia” m.e.s. Emma Dante

Devenir fils, devenir mères

Il y a des spectacles qui se créent après la lecture d’un livre, après une discussion amicale,

après un choc, une colère, un sourire. Misericordia est née de la danse d’un enfant autiste

dans un hall d’hôpital. Une simple danse, sans perte d’équilibre, sans crainte. Un corps

heureux qui tourne sur lui-même pour tourner sur lui-même.

Ce petit garçon est devenu Arturo, le personnage principal de la dernière pièce d’Emma

Dante présentée au festival d’Avignon 2021.

La pièce commence dans un noir total. Des aiguilles à tricoter cognent les unes sur les autres.

La lumière arrive. Trois femmes siciliennes assises côte à côte tricotent. Arturo se balance sur

sa chaise. Il canalise ses humeurs, ses émotions en pratiquant un geste de “stimming” familier

des personnes autistes. Comme un saxophoniste ou les ressacs de la mer, il balance son torse

d’avant en arrière dans des mouvements répétitifs que certaines personnes neuroatypiques

effectuent pour communiquer leurs émotions, exprimer leur sensorialité, délimiter leur

périmètre de communication. Il porte une robe légère sous laquelle se dissimule une couche.

“Pas une robe de femme mais une tenue d’intérieur” dira l’une des femmes. Arturo est un

enfant. On apprendra que sa mère est morte en couche alors que le géniteur d’Arturo cognait

fréquemment sur le ventre de sa mère. Arturo a été recueilli par trois amies de sa mère.

Le géniteur s’appelait Gepetto et était menuisier. Il est absent. Il est parti après avoir cassé et

tué la créatrice de son petit Pinocchio. Il n’y aura pas de figure paternelle.

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

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▶ 20 juillet 2021

Arturo est le point de fuite de toutes les pensées et de toutes les émotions

Le danseur Simone Zambelli (Arturo) interprète avec justesse et force un pantin désarticulé

et gauche. Il donne à son personnage une grâce infinie et une maladresse parfaitement

contrôlée qui accentue l’intensité de son langage non verbal. Il parvient à déplacer l’attention

et les émotions vers ses gestes, ses bruits, les mouvements de son corps. En faisant

disparaître, par sa présence, les conversations des trois femmes, il établit, avec le public, un

dialogue sans mot. Il crée, sublimement, sans oralité, un autre récit, une autre langue.

De langage, il est beaucoup question dans Misericordia. Il y a l’italien qui est sous titré, les

dialectes de Sicile et des Pouilles qui sont chuchotés, laissés sans traduction et les gestes,

saccadés, atypiques d’Arturo qui nous bombardent le cœur. Arturo ne communique pas par la

parole. Il chantonne un peu. Il nous offre les mouvements de son corps, la beauté de ses yeux

instables, la profondeur de son regard étrange, la courbure de ses poignets. Emma Dante joue

sur le fossé qu’il y a entre l’abondance de mots échangés par les trois femmes et le mutisme

d’Arturo. Il se moque de leurs papotages, de leurs chamailleries. C’est pourtant lui que l’on

écoute, que l’on veut comprendre. Il est le point de fuite de toutes les pensées et de toutes les

émotions. Il emmènera les trois femmes dans le silence et la nudité à l’occasion d’une danse

sublime où des corps atypiques et réjouissants se dévêtissent et se libèrent. On meurt d’envie

de les rejoindre et d’essuyer nos larmes en s’agitant comme elleux.

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Trois mamans, un enfant !

Arturo est totalement affranchi des normes sociales, des normes de genre, des normes

comportementales. Il porte des bas comme ses bonnes fées. Il se déplace et danse avec des

chaussures à talon aiguille. Il aime le désordre, jette et disperse les objets. Une liberté et une

désinvolture fascinante que Simone Zambelli interprète à la perfection. Emma Dante nous

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invite dans Misericordia à observer l’attrait de l’anormalité et de la différence. Ce gamin

atypique va séduire celles qui n’étaient pas préparées à la maternité. C’est peut être parce

qu’il est différent, neurodivergent, qu’il parvient à faire naître un lien d’amour atypique. Trois

mamans et un enfant.

Il les modifie progressivement. Il les apaise et rééquilibre le trio qui boitait au détriment de

l’une d’elles qui étaient le souffre douleur des deux autres. Il les pousse à bousculer les

normes de la maternité. Par ce recentrage, Emma Dante fait voler en éclat la supposée

harmonie que les siècles ont accolée à la notion de couple, à la binarité dans l’éducation d’un

enfant.

Emma Dante, qui vient d’adopter, nous parle dans cette pièce de la filiation sans lien de sang.

Les trois femmes, fauchées, prostituées le soir, s’occupent tant bien que mal d’Arturo. En

triplant, la Madame Rosa de La vie devant soi de Romain Gary, Emma Dante questionne

avec intensité et délicatesse la difficulté d’être mère et le parcours chaotique vers

l’attachement d’un être que l’on ne porte pas en soi, que l’on a pas forcément attendu.

© Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

En creux, c’est surtout la capacité de devenir un fils qu’Emma Dante explore. Arturo apprend

à se faire aimer de ces trois femmes. Il crée des liens souterrains et profonds. Il réconcilie les

trois femmes qui se disputent fréquemment. Il apaise leurs malheurs et leur donne du sourire

et des larmes. C’est bien lui, qui, dans les seuls mots qu’il prononce, finira, alors qu’il va

quitter son foyer, par les appeler maman(s).

Emma Dante réussit magnifiquement à nous emporter très rapidement dans cette pièce

émouvante et puissante. Elle parvient à disséquer avec une simplicité désarmante le complexe

sujet des relations filiales en utilisant le formidable Simone Zambelli et ses mouvements

comme véhicule des émotions. On sourit. On a les yeux humides. En moins d’une heure,

Misericordia raconte une enfance entière. Bravo !

Auteur : Xavier Prieur

Source : https://www.culturopoing.com/scenes-expos/misericordia-m-e-s-emma-dante/20210720

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PERIODICITE :Quotidien

RUBRIQUE :Idees et debats

DIFFUSION :129052

JOURNALISTE :Ph. N

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▶ 22 juillet 2021

ARTE Pays :

France

EMISSION

: ARTE

INFO

DUREE :

146

PRESENTATEUR : CAROLIN OLLIVIER

Le vent sicilien d’Emma Dante souffle sur Avignon En cette dernière semaine du festival d’Avignon, Emma Dante donne une belle et détonante

impulsion à une 75e édition en manque de chair, de souffle. Curieuse du monde, de ses petites

comme de ses grandes tragédies, l’artiste palermitaine poétise, entre rêve et cauchemar,

l’amour, la maternité, la vie et la mort, et signe deux créations éblouissantes autant que

différentes.

Le soleil brille à son zénith. Devant le gymnase du Lycée Mistral, les festivaliers se pressent

en nombre. Tout le monde veut voir les deux dernières créations de l’artiste sicilienne, qui

avait marqué les esprits, il y a de cela trois ans, avec son déroutant et prenant Besti di scena,

qui mettait l’humanité face à sa crue nudité. Autre temps, autre sujet, après plusieurs mois

d’impossiblité de présenter ses œuvre, Emma Dante revient à Avignon en force avec deux

propositions très différentes, l’une sur la maternité, l’autre sur la manière qu’ont les vivants de

célébrer les morts.

Mères de substitution

Sur une scène nue, trois femmes tricotent à un train d’enfer. Les cliquetis des aiguilles servent

de bande-son hypnotique. À leurs côtés, Arturo, un jeune homme, un peu simplet, fait mille

facéties. Né prématuré, « l’imbécile », comme elles le nomment affectueusement, est comme

leur fils de substitution. Quand sa mère, une amie, une prostituée comme elles – un striptease

fou et débridé le laisse imaginer – , est morte sous les coups répétés de son amant, elles l’ont

pris sur leurs ailes. De leur gouaille, de leur franc parler, elles tentent de le protéger du monde

hostile des hommes. La charge devient trop lourde, lui trop grand, il est temps de le mettre en

institution.

Une irrévérencieuse trinité

Infernal, feu follet, enfant hyperactif, Arturo (extraordinaire Simone Zambelli) danse à se

désarticuler le corps, court, joue sans jamais s’arrêter. Il ne connaît aucune limite, patauge

dans les poubelles de plastique, s’amuse d’un rien. Face à lui, Italia Carroccio, Manuela Lo

Sicco et Leonarda Saffi se mettent en colère, jamais longtemps, font des pantomimes, tentent

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▶ 22 juillet 2021

par leurs grimaces, leur âpreté d’apparence de le calmer, de le canaliser. Refusant de se

l’avouer, elles l’aiment ce garçon recueilli et non désiré. Avec habilité, ingéniosité et son sens

aigue d’un esthétisme lucide, Emma Dante nous embarque dans cette fable tragique,

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▶ 22 juillet 2021

hyperréaliste en lui insufflant de la poésie, de la beauté brute. Sorte de portrait

kaléidoscopique de femmes perdues dans la misère et la pauvreté des rues sombres de

Palerme, Misericordia saisit les cœurs, touche juste et éblouit par la puissance radicale du

geste simple et engagé d’une artiste éblouissante.

La fête des morts

Un peu moins de trois heures plus tard, c’est à une autre réalité que nous convie la metteuse

en scène sicilienne. Cette fois, il n’est pas question de parler du quotidien, du temps présent.

C’est aux survivants et à ceux que l’on pleure qu’elle dédie Pupo di Zucchero – La Festa dei

morti. Sur scène, un vieil homme, dernier vivant de sa lignée, tente désespérément de faire

lever une patte, celle qui une fois cuite servira d’offrandes aux morts. Il n’est plus bien

vaillant. Chaque respiration semble être une souffrance. Chaque minute de plus, semble

l’entraîner un peu plus vers la tombe. Face à cette fatalité imminente, un cortège de fantômes

vient accompagner ses derniers instants sur terre.

Le bal des morts

.

Au fil d’un récit fragmenté, d’histoires de famille, père, mère, sœurs, cousins, se rappellent

aux bons souvenirs du vieil homme. S’inspirant librement du Conte des

contes de Giambattista Basile, Emma Dante signe une œuvre baroque où s’enchaîne

magistralement une succession de tableaux tous plus beaux, plus poétiques, plus burlesques

les uns que les autres. D’une anecdote, elle construit une épopée, d’une petite bêtise, un conte

granguignolesque. Conjuguant les langues, les arts, elle invite à découvrir une tradition

ancestrale de son île, un lieu des plus pittoresques de Palerme, ses étonnantes catacombes.

Porté par une troupe fabuleuse de comédiens et de danseurs, Pupo di Zucchero – La Festa dei

morti est une fresque théâtrale hallucinante et puissante, un hymne à la vie flamboyant, un

poème noir, cocasse à la beauté sidérante.

Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage, © Masiar Pasquali

Auteur : Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Source : https://www.loeildolivier.fr/2021/07/le-vent-sicilien-demma-dante-souffle-sur-avignon/

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▶ 22 juillet 2021

La misère et le cœur – sur deux spectacles d’Emma Dante

Outre deux de ses films, la 75e édition du Festival d’Avignon propose deux spectacles de

l’italienne Emma Dante. Dans Pupo di zucchero comme dans Misericordia, elle s’amuse avec

peu et une grande liberté, en restant fidèle à la substantifique moelle du théâtre avec des corps

qui font face à d’autres corps, dans un endroit dédié et protecteur.

Pour renouveler le sacré du théâtre, Antonin Artaud proposait de jouer les spectacles au

milieu ou après la traversée d’un cimetière, afin de déplacer la réception du spectateur en

l’éloignant du simple divertissement et en l’amenant vers l’invisible et les grands

tremblements. Si la cérémonie théâtrale a quelque chose d’originairement religieux dans la

plupart des cultures, elle vise désormais, dans nos sociétés occidentales athées, à supplanter

les rites par d’autres rituels laïques : Angélica Liddell en veuve noire assénait dans Liebestod

quelques uppercuts dans son espagnol foudroyant, s’écriant « Malheur au pays qui n’a plus de

transcendance ! », tout en célébrant la religion de l’Art où ses dieux s’appellent Baudelaire,

Sade, Cioran. Quelques jours plus tard, Emma Dante déclare que le plateau est le lieu de sa

prière, et convoque les morts avec tendresse et une nostalgie aussi douce que la fureur de

Liddell était violente.

Dans Pupo di zucchero, la metteuse en scène sicilienne nous entraîne la veille du 2 novembre,

jour de la fête des morts. Assis à la table, un vieil homme se souvient devant la pâte à pain de

sucre qu’il doit offrir aux disparus le lendemain, selon une de ces traditions de l’Italie de Sud

dont Emma Dante aime à s’inspirer. Lors de cette cérémonie, un banquet est organisé où l’on

mange biscuits et autres douceurs, et où l’on dévore ainsi, symboliquement, les morts. Depuis

l’autre royaume, la famille défunte apporte aux enfants des cadeaux, célébration et potlatch où

les morts et les vivants communiquent joyeusement, où les morts vivent parmi les vivants, où

les vivants gardent en mémoire les souvenirs des morts, et qui tend, comme le regrette Emma

Dante, à de plus en plus être supplanté par l’hégémonie du Père Noël.

Sur scène, dans sa maison solitaire, le vieillard regrette que la pâte ne « lève pas », alors il la

pétrit, l’étire, la modèle « pe li pesci de lo cielo » (pour les poissons du ciel), et le mannequin

de sucre prend un goût de Fraises sauvages. Vieillir, n’est-ce pas se sentir, à un moment, plus

proche des morts que des vivants ? La maison bruisse, le théâtre se remplit des spectres que ce

lieu affectionne tant : apparaissent la petite maman marseillaise et courbée, le père flamboyant

noyé en mer, les trois sœurs non pas tchekhoviennes mais napolitaines, dont les pas de danse

virevoltant rappellent l’épidémie de Tarentelle qui était au centre de Bestie di scena. Elles

tournent, elles tournent dans leur robe de printemps, oublié le typhus qui les a coupées dans la

fleur de l’âge, elles gloussent et l’enfance revient sous le drap coloré d’un lit qui devient

voile, direction l’amer… Et voilà Pedro l’Espagnol ! Matador de pacotille, amoureux transi et

éconduit, il déboule sur scène le poitrail en avant, suivi par Pasqualino, le fils adoptif,

malicieux et vorace garnement… Les acteurs du passé vont et viennent, vies minuscules

fugitives, elles éclosent au plateau comme des souvenirs ressurgissant à la surface de notre

mémoire.

Avec sa maestria habituelle, Dante orchestre les entrées et sorties rythmées des uns et des

autres : les membres de la famille se rassemblent derrière l’aîné comme pour une photo de

groupe au charme sépia, avant de s’animer de nouveau, rires en bandoulière, douleurs en

stigmates et rondes rythmées pour une danse des morts joyeuse comme une fête mexicaine.

Chants polyphoniques traditionnels, goût de la pantomime et de la comedia dell’arte, musique

collective de quincaillerie, attrait pour les costumes désuets – on retrouve tous les ingrédients

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▶ 22 juillet 2021

qui font la saveur des spectacles d’Emma Dante où l’arte povera se mêle à un baroque du

presque-rien : de la farine, des confettis, et déjà le rêve et la féérie affleurent.

La nuit avance. Deux portiques s’emboîtent sur scène, formant une croix blanche en son

centre. Des bougies rouges d’église posées sont allumées, la lumière s’abaisse à celle d’une

crypte ; la salle s’épaissit d’un mystère. Les comédiens entrent de nouveau en scène, portant

chacun leur marionnette squelettique à taille humaine évoquant leur double morbide dans la

fiction, mais aussi le personnage qu’ils laissent inerte à la fin du spectacle. Je songe à La

Classe morte de Kantor, et je me rappelle avoir lu que c’est le choc de cette rencontre

artistique qui avait déclenché le désir de théâtre de Dante. Les corps décharnés de carton-pâte

sont accrochés lentement de part et d’autre de la croix blanche, et cet étrange vestiaire prend

les allures d’un retable.

Devant ce tableau frappant de catacombe, je songe. On s’interroge aujourd’hui sur un possible

mémorial dédié au victimes de la pandémie, dans un pays qui a la fièvre du « devoir de

mémoire », et après une période qui a donné lieu à une véritable rupture anthropologique :

nous n’avons pas pu enterrer nos morts. La philosophe Judith Butler, dans Ce qui fait une vie

(La Découverte, 2010), étudiait les guerres américaines en Irak et en Afghanistan à l’aune de

ce qu’elle nomme « la vie précaire », à savoir la manière dont la fragilité existentielle du

vivant et l’absence de garantie quant à sa continuation s’expriment ou sont exploitées du point

de vue social et politique. Elle examinait par ce prisme le refus de sépulture volontaire comme

déni de reconnaissance d’un sujet humain. Au théâtre, on connaît bien cela depuis Antigone.

Au-delà des funérailles elles-mêmes, Pupo di zucchero, avec cette nekuia métaphorique,

alliant poésie et humour, profane et sacré, questionne le désarroi d’un monde sans royaume :

qu’est-ce qui nous lie à nos morts ? Comment les transmettre ? Comment les garder vivants

(et joyeusement) en nous, et pas seulement de façon individuelle ? Ce qui frappe, chez Liddell

comme chez Dante, c’est le recours à l’iconographie chrétienne – de façon plus ou moins

hérétique, et qui pourrait être celle d’autres religions – dont on hérite (encore) comme un

réservoir esthétique de symboles pour le moment indépassable…

C’est aussi une notion chrétienne qu’explore et détourne l’artiste palermitaine avec

Misericordia, deuxième spectacle qu’elle présente lors de cette 75e édition du Festival

d’Avignon, où sa production cinématographie (Palerme, 2014 ; Le Sorelle Maculoso, 2020)

est également mise à l’honneur. Elle y renoue avec sa veine plus sociale, jusqu’au pathétique,

avec un mélodrame qui est une nouvelle pièce de la mosaïque qu’elle crée avec chaque

spectacle, où elle continue d’explorer, avec une touche surannée, l’Italie du Sud, l’indigence,

les tragédies de la vie quotidienne, la poésie bricolée, les familles (re)composées.

Après une poussée vers l’abstraction avec Bestie di scena, Emma Dante revient vers la

narration qui l’avait fait connaître magistralement avec Le Sorelle Maculoso. Ici, tout

commence avec le cliquetis stylisé des aiguilles à tricoter, dans une maison misérable où

vivent Bettina, Nuzza et Anna, Parques maternelles qui tiennent le fil de la vie d’Arturo entre

leurs mains, enfant muet qui tourne et tourne sur lui-même, innocent et vibrant au rythme des

aiguilles. Elles l’ont pris sous leur aile à la mort de leur amie Lucia, décédée sous les coups du

père de l’enfant, évocation de la violence faite aux femmes déjà présente dans Pupo di

zucchero. La metteuse en scène rapporte que le point de départ de ce spectacle est la vision à

l’hôpital d’un enfant autiste en constant mouvement : elle souhaitait raconter une histoire sur

cet enfant et sa danse sans fin. A cela s’ajoutait l’envie d’explorer sur scène une maternité

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« non biologique, mais tout autant naturelle », alors qu’elle-même avait récemment adopté un

enfant.

Pour cela, elle choisit de nous plonger dans l’indécence et la solitude de trois femmes

soumises à l’oppression des hommes, avec au centre cet enfant désarticulé. On entre dans le

spectacle par un conflit, avec la coalition des deux femmes contre l’autre. On ne comprend

pas ce qu’elles disent à l’oreille l’une de l’autre avec un air peste, mais on saisit qu’elles

fomentent un complot qui exclut la troisième, plus misérable encore. Les effusions et autres

engueulades au débit de mitraillette des trois mères adoptives, déroutantes également pour un

public italien grâce à l’usage de différents dialectes, sont excessives, organiques,

accompagnées de gestes dessinés qui évoquent le travail d’Andrea de Jorio qui, au XIXe

siècle, avait compilé pour la première fois la gestuelle napolitaine.

Mais c’est Arturo qui, bien que dénué de paroles, s’exprime le plus à travers son corps

trépidant, réagissant constamment à son environnement. Le danseur Simone Zambelli

parvient à raconter par ses mouvements la vie intérieure de cet enfant marionnette : son talent

nous fait oublier la performance pour ne nous mettre qu’à l’écoute de son langage et déceler

ses états d’âme. Alors que d’autres privilégient la force brute de la présence sur scène d’un

véritable corps atrophié, comme c’est le cas une nouvelle fois chez Angélica Liddell, qui

invite sur le plateau un manchot unijambiste, ou encore chez Pipo Delbono avec feu son

acteur fétiche Bobò, acteur microcéphale et sourd-muet – dont le corps maladroit, les pas

traînants, les silences bouleversaient – Emma Dante se refuse à l’effet de réel et croit encore

au pouvoir de métaphore et de la transfiguration de l’artiste.

Cela vient probablement de son amour pour les comédiens et les danseurs. À l’opposé des

mises en scène déployant de gros moyens, à coups d’écrans géants et de sono tonitruantes,

Emma Dante fait reposer l’essentiel du spectacle sur ces interprètes : le geste et la parole

théâtralisés, l’implication dans chaque acte, la précision de chaque chose, la frontalité stylisée,

l’art et l’écoute du groupe, et ces langues de feu, énergiques, passionnées – tout cela donne

l’âme de son travail.

Dans ces spectacles, on s’amuse avec peu et une grande liberté, en restant fidèle à la

substantifique moelle du théâtre avec des corps qui font face à d’autres corps, dans un endroit

dédié et protecteur : dans Misericordia, les trois prostituées s’élancent sur un catwalk

imaginaire, se mettent à nu et dévoilent des corps vieillissants, des chairs affaissées, des

imperfections assumées. Et que c’est beau de les voir rayonner ainsi, embellis par la

confiance, la morgue sensuelle qui s’en dégagent, et l’envie d’en découdre avec le public de

ces femmes, armées de leurs regards de défi ; de Pupo di zucchero, revient la vision des

fantômes du passé s’amusant, avec paillettes, perruques, et pas de claquette à la Fred Astaire,

à citer et se prendre au jeu des comédies musicales de Broadway.

Malgré toute cette misère, ainsi quelques éclats colorés demeurent, comme ceux des jouets

qu’Arturo envoie valser comme un feu d’artifice. Après toute cette traversée, qui est celle

d’une émancipation, valise à la main, il est prêt pour le départ. Les trois mères se cotisent l’y

envoient dans le but d’une vie meilleure. L’enfant, dont le père était surnommé « Gepetto »,

de pantin deviendra alors véritablement humain, son corps défectueux moins rigide. C’est un

peu tire-larme mais la salle est conquise.

Car Emma Dante prend le parti de la miséricorde dans un monde féroce, où les petites et

grandes agressions quotidiennes entraînent un climat général délétère, pour attendrir les cœurs

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et ouvrir les bras aux plus vulnérables. Sans angélisme, elle se place dans la lignée du Brecht

de La Bonne du Sé Tchouan : sans complaisance envers les pauvres qui s’entredéchirent, elle

montre aussi que la tendresse n’y est pas totalement absente. Comme le déclare Shen Té dans

la pièce de Brecht, « le malheur, c’est qu’il y a trop de misère dans cette ville pour qu’une

seule personne puisse y remédier », et, ailleurs, le personnage maintient : « Il y a encore de

bonnes personnes, malgré toute cette misère. Une fois, quand j’étais petite, je portais un fagot

de bois et je suis tombée par terre. Un vieil homme m’a relevée et il m’a même donné une

pièce. Je m’en suis souvent souvenue. C’est très souvent ceux qui ont peu à manger qui

donnent volontiers. Les gens aiment bien montrer ce qu’ils peuvent faire, probablement, et

comment mieux le montrer qu’en étant gentils ? La méchanceté n’est qu’une sorte de

maladresse. »

Autrice : Ysé Sorel

Source : https://aoc.media/critique/2021/07/21/la-misere-et-le-coeur-sur-deux-spectacles-demma-

dante/

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JOURNALISTE :A.D

23 juillet 2021 - N°12472

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▶ 23 juillet 2021

Sulla solitudine, la vecchiezza e la morte: Pupo di zucchero di Emma

Dante

ILENA AMBROSIO | Che rumore fanno i morti? Quale suono è preannuncio della loro

visita? Uno scampanellio forse, acuto ma gentile, spigliato quanto basta per risvegliare una

dismessa spensieratezza infantile e generare, insieme, una sottile ma innocua inquietudine.

È con il suono di un campanello che inizia il racconto di Pupo di zucchero, l’ultimo lavoro di

Emma Dante inserito nel cartellone della rassegna Pompei Theatrum Mundi del Teatro di

Napoli e che ha riscosso, assieme a Misericordia, uno straordinario successo al Festival di

Avignone. Sulle pagine di Le Monde si acclama la Dante come «papesse sicilienne et

hérétique»

“Tin tin tin”, scampanellano tre giovani donne in nero, in piedi dietro una sedia; sulla sedia un

Vecchio, intorno il buio. È la notte del 2 novembre, la notte dei morti, e il Vecchio la trascorre

insonne, con gli occhi puntati su qualcosa che sembra di importanza vitale, un panetto di

impasto che servirà a dare forma al dono per i suoi defunti in arrivo: il pupo di zucchero. La

vita di un impasto in lievitazione, di una massa che prenderà forma umana, in dono alle anime

dei defunti.

In Sicilia i pupi di zuccaru sono i dolci simbolo della festa dei defunti: statuette antropomorfe

di zucchero dipinto e decorato che rievocano figure tradizionali come Paladini di Francia,

ballerini e personaggi tipici del teatro dei pupi siciliani.

Nella notte del 2 novembre i pupi venivano disposti in bell’ordine su una tavola, pasto per i

defunti della famiglia che sarebbero tornati a cenare nella loro antica dimora. Ma non erano

solo un dono: essi erano anche rappresentazione delle anime stesse, cosicché cibarsene era

cibarsi dei propri defunti. Un esempio di patrologia simbolica.

L’antica tradizione siciliana – che ben si sposa con la poetica carnale e viscerale della Dante e

con l’immaginario sempre vivido sul mondo dei defunti e sul loro rapporto con i vivi – dà il là

e insieme intesse la rappresentazione di una saga familiare che il Vecchio racconta e che, nel

mentre, prende forma intorno a lui, animando la sua notte insonne. Un racconto nel quale

all’ingrediente principale della tradizione siciliana fa da lievito una struttura stilistica,

linguistica e narrativa che liberamente si ispira a Lo cunto de li cunti di Giambattista Basile.

Dopo La Scortecata, Emma Dante torna sul testo seicentesco ma questa volta non ispirandosi

a una singola favola bensì impregnando il suo lavoro di tutto l’humus dell’opera. Linguistico,

specialmente. Dal parlato agli inserti cantati – e incantevolmente armonizzati dagli interpreti –

la lingua di questo testo è plastica, materia vivente: un napoletano poetico, “d’arte” benché

verace così come l’opera di Basile fu un’operazione colta benché definita, nel sottotitolo,

«trattenimento de peccerille».

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Ed è anche la struttura drammaturgica che sembra richiamare quella del Pentamerone: le

vicende familiari raccontate dal Vecchio si inseriscono come piccole novelle nella cornice

della nottata del 2 novembre e, al contempo, evocano personaggi, figure e immaginari di

Basile. Ci sono le amate sorelle Rosa, Viola e Primula «c’addorano i primavera» che

rimandano a Rosa, Garofano e Viola della terza novella della prima giornata e alle tre fate

della decima novella della giornata terza. C’è la zia Rita maltrattata dallo zio Antonio, un

uomo orco come lo Shioravante della prima novella della terza giornata. E poi il padre

marinaio, sempre in viaggio; l’amico di famiglia Pedro, che aggiunge atmosfere latine a

corredo del suo amore per la giovane Viola: Lo cunto pullula di mercanti, marinai, atmosfere

esotiche. Il racconto accoglie suggestioni che si percepiscono come intimamente radicate

nell’animo dell’autrice e che non si traducono mai in calco o imitazione, e al contempo

acquista lo spessore di un’operazione quasi filologica eppure altamente poetica.

Ma il raccontare è anche e soprattutto ricordare e il ricordo è un ritorno dei morti tra i vivi.

Così come era stato per il capolavoro Le sorelle di Macaluso, anche qui i morti ritornano,

immortalati nelle loro sembianza di giovani, replicando movenze, gesti, parole che, lungi da

farne dei tipi, li tratteggiano come immagini, perché per immagini – come di foto, di un

vecchio filmino – scorrono i ricordi delle persone perdute. Le sorelle volteggiano e ballano e

cantano e ancora volteggiano, continuamente; lo zio continuamente percuote la zia che

continuamente gli mostra il seno per placare la sua ira e risvegliare il suo piacere; il padre

continuamente ripete “Ti amerò per sempre”, la madre continuamente lo cerca; Pedro

continuamente danza come un toreador.

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Il Vecchio li accoglie nella notte dei morti per ricordarli, per onorarli ma soprattutto per

riempire il vuoto della sua solitudine. Perché, a ben vedere, è proprio questo Pupo di

zucchero: una storia di solitudine e di vecchiaia. Come anche in La Scortecata, Emma Dante

sembra voler raccontare la storia di un Vecchio – e Vecchio è il nome del personaggio in

drammaturgia – e di come la vecchiaia corrisponda spesso alla solitudine, al rammarico del

restare mentre gli altri sono andati via, alla melanconia del ricordare la gioia di una casa piena

e viva che ora è buia e vuota, del ricordare la vita di chi ora è morto. E allora sono i morti/vivi

a riempire – anche materialmente – la scena che altrimenti resterebbe vuota come la vita del

Vecchio. Sono loro a ballare vestiti di paillettes, sono loro a cantare, a urlare, a fare l’amore, a

baciarsi; a volteggiare e piroettare. Lo fanno di continuo, queste anime: in quelle piroette

effusioni di vita, di una vita oramai finita ma in questa notte più energica che mai: «Il 2

novembre è l’unico iuorno ca ce sta nu poco de vita dinta a sta casa». Così, alla fine, proprio

loro danno forma al pupo, lo decorano, lo vivificano, aiutando il Vecchio a completare la sua

opera e a colmare la sua solitudine. Solo allora un nuovo scampanellio li congederà.

I morti, però, sono morti e solo nel ricordo, quindi nell’immaginazione, possono essere vivi,

immutati nella loro forma giovane e vigorosa. Ciò che resta davvero ce lo dicono le stupende

e potenti sculture di Cesare Inzerillo: la rappresentazione cruda e orrenda della morte.

Ciascuno rientra portando il proprio io mummificato, con cura ma senza dolore, con

consapevolezza e fierezza, quasi. Si compone un altare, la festa è finita, i morti tornano a

essere morti.

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Ancora un lavoro di artigianato sulla scena, la drammaturgia e la lingua questo Pupo di

zucchero. Gioverebbe, forse, una maggiore compattezza: il filo della rappresentazione risulta,

in alcuni punti, poco teso e sembra lasciare slegati i vari momenti della messa in scena. Ma gli

interpreti sfruttano con eccezionale maestria l’espressività del proprio corpo per dire

dell’animo dei personaggi e della loro vita, mentre Carmine Maringola, il Vecchio, è un

abilissimo cantastorie che maneggia con cura una lingua complessa ma che non risulta mai

pesante o faticosa. A fare da contraltare allo spessore linguistico una simbologia scenica

nettamente semplificata: resta qualche oggetto lanciato dalle quinte, tipico della regia di

Emma Dante, abiti in paillettes, una bambola; ma è come se anche questi fossero diluiti nel

ricordo, come fossero citazioni di una vita passata. Perché nella solitudine e nella vecchiaia

non c’è posto per un surplus di cose.

Ed è questo che, in definitiva, arriva e resta: un sentimento desolato ma tenerissimo per la

solitudine di un vecchio, una com-passione per il dolore della morte, ma anche il profondo,

incondizionato amore che sta nel ricordo.

Autrice : Ilena Ambrosio

Source : http://www.paneacquaculture.net/2021/07/23/sulla-solitudine-la-vecchiezza-e-la-morte-pupo-

di-zucchero-di-emma-dante/

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•In 2021• Pupo di Zucchero - La Festa dei Morti Ode à la joie, à la

célébration de la vie devant soi

Emma Dante revient à Avignon pour gratifier les festivaliers d'un étrange et envoûtant

cérémonial prenant possession d'un plateau peuplé d'impressionnantes sculptures

grandeur nature qu'accompagnent des acteurs tout aussi fascinants. Ce rituel de la Fête

des Morts, tradition de l'Italie du Sud pérennisant chaque 2 novembre le désir des

humains de faire perdurer la vie au-delà de la mort, la metteuse en scène de Palerme le

transfigure superbement en "regroupement familial" festif débordant de vie.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

Les apparitions d'Emma Dante dans la Cité des Papes ("Le Sorelle Macaluso" et plus récemment

"Bestie di scena") sont toujours attendues "religieusement", avec grande fébrilité tant elle allie à une

créativité unique une humanité hors normes insufflant de l'oxygène revivifiant dans un monde au

bord de l'asphyxie. Tout chez elle semble surgissement du bonheur de la représentation. De création

en création, mettant en pièces les attendus sur lesquels d'autres pourraient paresseusement surfer,

elle nous "surprend" pour nous entraîner dans des mondes fabuleux parlant intimement à notre

sensibilité.

Et "La Statuette de Sucre - La Fête Des Morts", créé au Teatro Grande à Pompéi ce début juillet, en

est la preuve… vivante. Au centre du plateau, lumière est faite sur un homme seul, coincé dans ses

vêtements endimanchés, assis sur un petit tabouret de paille, et dont le poids des ans fait pencher

ostensiblement la tête vers la terre qui l'attend. Devant lui, sur un autre tabouret, une pâte à lever

concentre toute son attention : elle est la matière vivante d'où émergera la statuette en pain de

sucre placée au centre de la cérémonie qui se prépare… Derrière lui, ses trois jeunes sœurs, mortes

depuis des lustres, agitent déjà gaiement des clochettes en psalmodiant des mélodies. Le ton est

donné, la messe va pouvoir être dite…

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© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

Un à un, puis tous ensemble, les membres de la "familia grande" vont surgir de l'épaisse nuit qui les

enveloppait pour peupler facétieusement le plateau de leurs existences disparues. Chacun est

porteur de son double mort - stupéfiantes sculptures articulées de Cesare Inzerillo - l'accompagnant

comme son ombre dans ce retour vers la vie. Ils ont différents âges, dont celui de leur mort, les

frontières spatio-temporelles n'ont plus lieu d'être… C'est la fête des retrouvailles, sous l'œil attendri

du vieil homme solitaire retrouvant enfin ceux qu'il aimait.

Qu'elles étaient belles ses sœurs, la mère les couvait de son regard attendri… Elles sont là, devant

nous pétillantes de fantaisie, jusqu'à ce qu'on les voie jetées au sol, leurs corps pris de convulsions,

victimes du typhus les ayant emportées dans la fleur de l'âge - pas étonnant, elles dormaient toutes

les trois tête-bêche, dans le même lit, ne se quittant jamais… Et lui le frère noir adopté, feu follet à la

faim insatiable, bondissant en tous sens comme un lutin monté sur ressorts, que de jeux endiablés

tous les quatre n'ont-ils pas vécus… Et cet oncle et cette tante n'ayant rien de plus urgent en se

retrouvant qu'à se chevaucher fougueusement, avant que ça dégénère, cheveux tirés et coups de

pied à l'appui dans le corps sans vie projeté au sol…

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© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

Et sa mère, si belle et si jeune, attendant au bout de la jetée pendant plus de cinquante ans le retour

de son mari parti en mer… Ce père aimant, jeune marin fringant à côté de lui dans ses vêtements le

mettant en valeur, ému, il lui donne tendrement l'accolade… Quand il revenait le père de ses

traversées au long cours, c'était la fête ! Et tous alors de mettre le feu au plateau, la mère redevenue

instantanément jeune, redressant son corps courbé par les ans et ôtant sa robe de vieille femme

pour exhiber une tenue branchée, sa mère s'éclatant dans des figures de danses électriques faisant

vibrer la scène transformée en gigantesque dancefloor.

Le vieil homme semble visiblement aux anges en voyant ses chers disparus revivre sous ses yeux,

chacun n'ayant rien perdu de ce qui de son vivant faisait qu'il était un être unique, défauts et qualités

comprises. Et quand viendra au bout de la nuit, le moment pour les morts de regagner leurs pénates

d'outre-tombe et le temps pour le vieil homme de retourner à sa solitude, ils repartiront en

procession lumineuse portant chacun sa sculpture sur l'épaule. Les chants religieux viendront couvrir

la voix de leur hôte d'un soir et le dernier tableau, d'une beauté sculpturale à faire défaillir, sera à

prendre comme une apothéose musicale et visuelle.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

Célébrer de manière joyeuse les morts afin de ne pas les tuer une seconde fois en les incarcérant

dans l'oubli, les exhumer pour les représenter doublement au plateau (artistes bien vivants et leurs

répliques sculptées mangées en partie par la décomposition "à l'œuvre") dans une mise en jeu d'une

beauté plastique insoupçonnée, est à prendre comme un moment de grâce accordé aux vivants par

une metteuse en scène mécréante développant vis-à-vis de l'humaine condition une foi

inconditionnelle.

Plaisir sensuel de voir se rencontrer vivants et morts dans le même espace onirique orchestré par des

musiques et des danses énergisantes, c'est peu de dire que, dans le droit fil de cette tradition

italienne dont elle revendique l'héritage, Emma Dante réussit sous nos yeux émerveillés l'exploit peu

ordinaire de répondre à notre besoin abyssal de consolation.

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© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

© Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon.

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Auteur : Yves Kafka

Source : https://www.larevueduspectacle.fr/In-2021-Pupo-di-Zucchero-La-Festa-dei-Morti-Ode-a-la-

joie-a-la-celebration-de-la-vie-devant-soi_a3026.html

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1 août 2021 - N°407

PAYS :France

PAGE(S) :73

SURFACE :44 %

PERIODICITE :Mensuel

DIFFUSION :404306

JOURNALISTE :Loïs Flayac